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CAROLINE SAVOIE
(RE)CONSTRUCTION IDENTITAIRE LORS DES ÉTUDES
UNIVERSITAIRES
Le cas de jeunes originaires de régions majoritairement
francophones du Nouveau-Brunswick lors d’une expérience de
mobilité
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en sciences de l’orientation
pour l’obtention du grade de maître ès arts (M.A.)
DÉPARTEMENT DES FONDEMENTS ET PRATIQUES EN ÉDUCATION
FACULTÉ DES SCIENCES DE L’ÉDUCATION
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
2011
© Caroline Savoie, 2011
Résumé
S’inscrivant dans le domaine des sciences de l’orientation, ce mémoire contribue de façon
originale au développement des connaissances sur la construction identitaire. Il s’intéresse
au problème de développement et de vitalité des communautés francophones en situation
minoritaire au Canada, et ses répercussions sur la construction identitaire des jeunes. Une
recherche qualitative sous forme d’enquête par récits biographiques a permis d’analyser
plus spécifiquement les parcours individuels et le rapport à l’identité acadienne de vingt-
deux jeunes francophones originaires du nord du Nouveau-Brunswick lors d’une
expérience de mobilité géographique dans la poursuite d’études universitaires. Les résultats
démontrent que les tensions existentielles sont toujours présentes, qu’elles varient d’une
personne à l’autre et qu’elles sont plus marquantes lors des périodes critiques de la vie. La
synergie des tensions crée une (re)construction identitaire perpétuelle qui diffère pour
chaque individu selon sa représentation du milieu, son sentiment d’appartenance et son
besoin d’autonomie.
Abstract
Stemming from the field of Guidance and Counselling, this research brings a new
understanding and furthers our knowledge on the topic of identity construction. It studies
the problem of development and vitality encountered by the francophone communities
living in a minority situation in Canada, and how it affects the identity construction of
youths. A qualitative research performed through studies of life stories gave access to a
more specific analysis of individual journeys and their relationship to acadian identity for
twenty-two young francophones of northern New Brunswick during their geographical
mobility for the pursuit of university studies. Results show that existential tensions are still
present, that they vary between individuals and that they are more significant during the
various critical life stages. This synergy of tensions creates a perpetual identity
(re)construction that differs between individuals according to their own understanding of
their milieu, their sense of belonging and their need for autonomy.
Remerciements
Il faut du temps pour maîtriser un sujet.
(Harry Lewis)
Un jour, j’ai fait la rencontre de ma directrice, Annie Pilote, qui m’a spontanément ouvert
les portes de son monde de la recherche. Tel un phare, elle m’a guidée par sa passion, sa
rigueur, son expérience, ses grandes connaissances sur le sujet, ses critiques constructives
et son dynamisme/optimisme contagieux. Et moi, j’ai plongé, confiante, dans cette mer
d’abord inconnue. J’ai dansé dans les vagues. J’ai connu la marée haute et la marée basse.
J’ai aussi affronté les tempêtes, évité les naufrages et me suis laissé bercer au large. Une
traversée certes salée et périlleuse, mais ô combien formatrice!
J’ai compris par ce travail à quel point le « mouvement » est essentiel à tout processus,
voire incontournable. Moi-même, je n’y ai pas échappé. L’évolution qui s’est produite tout
au long des mois qui se sont enchaînés n’a pas seulement eu un impact dans la maturation
de mon travail, mais aussi dans la (re)construction de ma propre identité.
Pour m’avoir offert une telle expérience de vie que je n’oublierai pas de sitôt, je remercie
Annie, du fond du cœur. Ce fut pour moi un honneur considérable que celui d’avoir pu
côtoyer une professeure à ce point passionnée et chevronnée dans son domaine de
recherche.
Mes remerciements s’adressent également aux étudiants universitaires qui ont
volontairement accepté de se livrer à nos questions. L’entièreté de cette étude n’aurait
certes pu prendre vie sans eux.
v
Je n’oublie pas mes collègues de recherche, des complices extraordinaires, avec qui j’ai
partagé cette expérience unique : Marie-Odile Magnan, pour son rôle de « grande sœur »;
Karine Vieux-Fort, une autre « grande sœur » qui a su transformer mes blocages en élans
d’inspiration et qui m’a toujours si bien encouragée à aller de l’avant; Karine Filteau, pour
sa grande ouverture d’esprit et ce petit je-ne-sais-quoi qui fait d’elle une personne
merveilleuse; et Marlène Canuel, ma « jumelle » de recherche que j’ai tant appréciée de par
sa grande simplicité, son authenticité et pour le soutien mutuel que nous nous sommes
procuré. Merci à elles toutes pour leur appui, leur compréhension, les petites et les grandes
discussions, et les fous rires.
Les coquilles étant inévitables, un merci sincère à ma belle-mère, Léda Aubert-Patenaude,
pour une révision finale efficiente de mon travail. Merci également à ma belle-sœur, Anick,
pour la traduction de mon résumé en anglais.
Un merci tout spécial à mes parents, Marcel et Anne-Marie, pour leur appui, leurs
encouragements et pour avoir toujours cru en mes capacités. Un autre merci bien senti à ma
marraine, Margot, qui m’a toujours soutenue et inspirée de par son ouverture à la vie. Merci
aussi à mon très cher grand frère Éric, ma famille, ma belle-famille et mes amis pour leurs
constants encouragements à mon égard depuis mon retour aux études.
Enfin, un tendre merci à mon mari Patrick, un être exceptionnel qui me comble d’amour et
qui m’a toujours encouragée à réaliser mes rêves, et à mes deux adorables filles, qui sont
ma source d’inspiration quotidienne et ma motivation première. Ce travail est le fruit de
tous nos efforts mis en commun depuis ces dernières années, ces derniers mois, ces
dernières semaines, à travers la vie quotidienne, et aussi à travers les joies et les embûches
que la vie peut parfois nous soumettre. À eux trois, je leur offre toute mon appréciation, ma
reconnaissance et mon amour.
Ça prend effectivement beaucoup de temps pour maîtriser un sujet. Un tel processus
n’aurait pu prendre forme sans tout ce merveilleux entourage que je viens d’énumérer.
Merci infiniment!
Pour Leelou et Emma,
mes petites étoiles montantes.
J’espère de tout cœur vous inspirer à mon
tour afin que vous aussi puissiez partir à la
conquête de vos rêves les plus fous.
Sachez que la vie est une suite d’expériences
et qu’il n’en tient qu’à soi de rendre celles-ci
riches et abondantes. Car une vie riche en
expériences est certainement une vie bien
vécue.
Je vous aime,
Maman
Table des matières
Résumé .................................................................................................................................. ii
Abstract ................................................................................................................................ iii
Remerciements ..................................................................................................................... iv
Table des matières ............................................................................................................. vii
Liste des tableaux .................................................................................................................. x
Liste des figures .................................................................................................................... xi
Prologue ................................................................................................................................. 1
Introduction ........................................................................................................................... 2
Chapitre 1 Ô Canada ....................................................................................................... 9
1.1 Rapports sociolinguistiques au Canada ...................................................................... 9
1.1.1 Politiques linguistiques canadiennes .................................................................. 10
1.1.2 Enjeux pour la francophonie canadienne ............................................................ 13
1.1.3 Problème social ................................................................................................... 18
1.2 La province du Nouveau-Brunswick ........................................................................ 19
1.2.1 Situation démographique de la population francophone .................................... 19
1.2.2 Renforcement identitaire ..................................................................................... 20
1.2.3 Position des communautés « majoritairement » francophones du Nouveau-
Brunswick ..................................................................................................................... 30
Chapitre 2 Pertinence scientifique de la recherche ..................................................... 32
2.1 Le concept d’identité dans toute sa complexité ........................................................ 32
2.1.1 Avenir des francophones en situation minoritaire .............................................. 32
2.1.2 Identité en pleine mouvance ............................................................................... 34
2.1.3 Identité complexe ................................................................................................ 35
2.1.4 Identité bilingue .................................................................................................. 36
viii
2.1.5 Engagement identitaire ....................................................................................... 37
2.1.6 Influence de la famille et des amis ...................................................................... 37
2.1.7 Identité : éléments retenus .................................................................................. 38
2.2 Vitalité communautaire ............................................................................................. 39
2.3 Migration .................................................................................................................. 41
2.3.1 Migration : éléments retenus ............................................................................... 45
2.4 Éducation postsecondaire ......................................................................................... 45
2.5 Domaine de recherche nécessaire et pourtant restreint ............................................. 48
2.6 Problème spécifique .................................................................................................. 50
2.7 Objectifs de recherche .............................................................................................. 52
2.8 Postulat ...................................................................................................................... 52
Chapitre 3 L’identité acadienne ................................................................................... 53
3.1 Chronologie sommaire de l’Histoire acadienne ........................................................ 54
3.1.1 L’Acadie et ses territoires ................................................................................... 54
3.1.2 L’Acadie d’hier à aujourd’hui ............................................................................ 55
3.2 Les quatre dimensions de l’identité acadienne ......................................................... 64
3.2.1 Dimension territoriale ......................................................................................... 64
3.2.2 Dimension historique .......................................................................................... 64
3.2.3 Dimension culturelle ........................................................................................... 65
3.2.4 Dimension linguistique ....................................................................................... 66
Chapitre 4 Le changement social .................................................................................. 68
4.1 Perspective générale ................................................................................................. 68
4.2 Modèle théorique retenu ........................................................................................... 72
4.2.1 Définition des concepts ....................................................................................... 73
4.2.2 Présentation du modèle théorique ....................................................................... 76
4.3 Utilisation du cadre théorique pour notre recherche ................................................. 82
Chapitre 5 Approche méthodologique ......................................................................... 84
5.1 Méthode de cueillette des données ........................................................................... 84
5.1.1 Le déroulement des entrevues et la présentation du guide d’entretien ............... 86
5.1.2 Considérations déontologiques ........................................................................... 89
5.2 Constitution de l’échantillon ..................................................................................... 89
5.2.1 Recrutement des participants .............................................................................. 90
5.2.2 Caractéristiques de l’échantillon ......................................................................... 91
5.3 Méthode d’analyse des données ............................................................................... 92
5.3.1 L’analyse de contenu .......................................................................................... 92
5.3.2 Les étapes de l’analyse de contenu ..................................................................... 92
Chapitre 6 Parcours individuels et rapport à l’identité acadienne ........................... 95
6.1 Organisation du corpus ............................................................................................. 95
6.2 Confidentialité .......................................................................................................... 97
6.3 Analyse descriptive par comté .................................................................................. 97
ix
6.3.1 Comté de Madawaska ......................................................................................... 97
6.3.2 Constats généraux pour les participants du comté de Madawaska ................... 111
6.3.3 Comté de Restigouche ...................................................................................... 114
6.3.4 Constats généraux pour les participants du comté de Restigouche .................. 120
6.3.5 Comté de Gloucester ......................................................................................... 120
6.3.6 Constats généraux pour les participants du comté de Gloucester ..................... 140
6.4 Conclusion de l’analyse descriptive ....................................................................... 141
Chapitre 7 Comprendre les modes de gestion des tensions existentielles du sujet
dans sa (re)construction identitaire ................................................................................. 142
7.1 Analyse de chacune des trois zones identitaires ..................................................... 143
7.1.1 Identité assignée ................................................................................................ 143
7.1.2 Identité engagée ................................................................................................ 148
7.1.3 Identité désirée .................................................................................................. 152
7.2 Analyse des trois zones identitaires en synergie ..................................................... 158
7.2.1 Exemples d’interaction synergique entre les trois zones identitaires ............... 159
7.3 Synthèse des résultats ............................................................................................. 165
Chapitre 8 Conclusion ................................................................................................. 168
8.1 Rappel de la problématique, de la question et des objectifs de recherche .............. 168
8.2 Liens avec le champ d’études ................................................................................. 169
8.3 Discussion des résultats .......................................................................................... 171
8.3.1 L’identité en mouvement perpétuel .................................................................. 171
8.3.2 Période critique de la vie .................................................................................. 172
8.3.3 L’identité dans une représentation collective ................................................... 173
8.3.4 Migration pour les études, et après? ................................................................. 173
8.3.5 Bilinguisme pour une identité cohérente .......................................................... 174
8.4 Limites et pistes de recherche ................................................................................. 175
Bibliographie ..................................................................................................................... 178
Annexes .............................................................................................................................. 192
Annexe 1 – Exemple d’un formulaire de consentement ................................................. 193
Annexe 2 – Questionnaire sociodémographique ............................................................ 197
Annexe 3 – Guide d’entretien ......................................................................................... 200
Annexe 4 – Exemple de fiche-synthèse .......................................................................... 207
Annexe 5 – Présentation du corpus avec les types d’attitudes ....................................... 209
Liste des tableaux
Tableau 1.1 : Population selon la langue maternelle (Canada) 10
Tableau 1.2 : Population selon la langue maternelle (provinces et territoires) 14
Tableau 1.3 : Somme globale par province et par université des programmes d’études
offerts en français au Canada (hors Québec) 29
Tableau 1.4 : Somme globale des cycles et des domaines d’études par cycle 30
Tableau 5.1 : Constitution de l’échantillon du projet de recherche général 91
Tableau 5.2 : Constitution de l’échantillon de notre projet de recherche 91
Liste des figures
Figure 1.1 : Carte géographique du Canada 11
Figure 1.2 : Répartition géographique des francophones au Nouveau-Brunswick 20
Figure 4.1 : La structure de l’identité personnelle 77
Figure 4.2 : Les modes de gestion relationnelle de soi 80
Figure 6.1 : Carte géographique des comtés du Nouveau-Brunswick 96
Figure 6.2 : Carte géographique du comté de Madawaska 98
Figure 6.3 : Carte géographique du comté de Restigouche 115
Figure 6.4 : Carte géographique du comté de Gloucester 121
Prologue
Étant moi-même originaire de la Péninsule acadienne, dans le nord du Nouveau-Brunswick,
cette recherche est venue toucher profondément mes ancrages identitaires. J’ai donc fait
l’expérience d’une participation beaucoup plus intense aux différentes étapes de réalisation
de ce mémoire. Il m’est arrivé de me sentir très près de mon sujet, au point d’avoir le
sentiment de me perdre en plein cœur de ma recherche. Ce fut pour moi un défi d’en arriver
à poser un regard le plus neutre et le plus objectif possible sur la problématique. J’en suis
venue à me questionner moi-même sur mes représentations et mes tensions existentielles
quant à mon rapport à l’identité acadienne. Je constate, en cette fin de parcours, l’évolution
de ma compréhension personnelle du sujet. Enfin, je considère cette expérience unique,
certes comme un inconvénient de m’être sentie trop impliquée personnellement, mais
surtout comme un privilège d’avoir pu la vivre aussi intensément. J’en retire une réflexion
tout à fait exceptionnelle sur l’identité acadienne, réflexion qui m’aura (re)façonnée, permis
de prendre du recul face à mes engagements identitaires, et réorientée pour la suite de ma
vie. En tant que future conseillère d’orientation, la maîtrise d’un cadre théorique sur le
changement social fait dorénavant partie de mon bagage professionnel et sera certainement
un outil pratique dans la compréhension de la construction identitaire de mes futurs clients.
Introduction
Cette recherche porte sur le problème de développement et de vitalité des communautés
francophones en situation minoritaire au Canada, en fonction des enjeux propres à ce
groupe linguistique particulier, et ses répercussions sur la construction identitaire de
l’individu.
La dispersion démographique, le vieillissement de la population, l’assimilation et la
mobilité géographique représentent un problème social majeur pour les communautés
francophones en situation minoritaire et ils peuvent avoir une conséquence directe sur la
construction identitaire de chacun. Les discours communs et les recherches scientifiques
revendiquent des actions pour améliorer le développement identitaire de la jeunesse
francophone canadienne.
S’insérant dans cette problématique générale, notre recherche s’intéresse particulièrement
aux communautés francophones du Nouveau-Brunswick. En dépit d’être la seule province
ayant un statut officiellement bilingue, les communautés francophones du Nouveau-
Brunswick doivent affronter les mêmes enjeux que leurs semblables ailleurs au Canada.
Qui plus est, il s’avère que les communautés du Nouveau-Brunswick où sont regroupés
majoritairement les francophones font face à leurs propres enjeux, étant éloignées
géographiquement des grands centres. Entre autres problèmes, la majorité des jeunes de ces
régions quittent leur milieu d’origine pour aller poursuivre des études postsecondaires. Lors
de cette période critique dans leur vie en ce qui a trait à la construction identitaire, le
phénomène de migration chez les jeunes francophones en situation minoritaire peut ajouter
de la complexité à l’identité, déjà complexe en soi. D’où l’intérêt de ce travail de cibler un
corpus de jeunes étudiants universitaires francophones en situation de mobilité, originaires
de régions à forte présence francophone du Nouveau-Brunswick.
Pour le domaine des sciences de l’orientation, ce travail permet d’apporter une
interprétation originale au champ de connaissances sur la construction identitaire
3
individuelle. Son originalité se situe notamment dans l’échantillon qui cible comme
population à l’étude les jeunes étudiants universitaires francophones en situation de
mobilité, originaires de régions majoritairement francophones du Nouveau-Brunswick. Une
recherche qui se veut, certes, plus pointue de par son sujet à l’étude, mais qui permettra tout
de même de porter un éclairage pertinent sur le phénomène général de la construction
identitaire.
L’identité est au centre de l’intervention pratique, comme en témoigne l’Ordre des
conseillères et des conseillers d’orientation du Québec (OCCOQ, 2010) :
… Les difficultés vécues par l’individu […] concernent [les conseillers
d’orientation] de façon spécifique. Ces difficultés étant souvent la
manifestation de problèmes d’identité, les conseillers d’orientation
s’intéressent tout particulièrement aux processus psychologiques qui lui sont
sous-jacents et ils interviennent sur ce plan. [Ceux-ci évaluent] notamment
les intérêts, les aptitudes, la personnalité, les fonctions intellectuelles et la
structure identitaire. Ils interviennent aux plans de la formation de l’identité,
de sa clarification (la connaissance de soi) et de sa transposition en termes
professionnels (information scolaire et professionnelle) de façon préventive,
éducative et curative, par l’établissement d’une relation d’aide significative
avec la personne. (n. p.)
Ceci démontre, sans aucun doute, le bien-fondé du présent travail dans le domaine des
sciences de l’orientation, alors que la construction identitaire représente une notion
importante au cœur même de la relation d’aide en orientation.
Pour les communautés francophones en situation minoritaire, il existe réellement un
problème social propre à celles-ci qui vient jouer sur la construction identitaire de leurs
membres. Nous verrons dans ce travail les répercussions des enjeux sur ce groupe
linguistique particulier, qui viennent, du même coup, atteindre l’identité des francophones
en situation minoritaire. Les conseillers d’orientation qui exercent leur profession auprès
des jeunes francophones en situation minoritaire sont du même avis que les chercheurs, les
organismes, les associations francophones et autres qui soulèvent l’existence bien réelle
d’une problématique sociale sur laquelle il faut se pencher sérieusement pour le
développement et la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire au
Canada. En effet, l’Association francophone des conseillères et des conseillers en
4
orientation du Nouveau-Brunswick (AFCONB) a présenté, en 2007, un mémoire à la
Commission sur l’éducation postsecondaire au Nouveau-Brunswick dans lequel on
souligne un problème qui dure depuis plus d’une dizaine d’années où l’on voit les jeunes
réaliser, durant leur formation postsecondaire, qu’ils n’ont peut-être pas fait les meilleurs
choix pour leurs projets d’études. Ce problème, l’AFCONB (2007) le relie directement
« aux coupures associées au programme Excellence en éducation du début des années 90
qui a enlevé à toute une génération de jeunes Néo-Brunswickois le support des Conseillers
en orientation à une période critique » (p. 1) de leur vie. Nous y reviendrons au premier
chapitre, lorsque nous aborderons le rôle de l’orientation scolaire face à la construction
identitaire des jeunes francophones en situation minoritaire. Nous verrons que l’apport des
conseillers d’orientation dans les écoles de milieux francophones en situation minoritaire
est reconnu comme étant considérable, mais qu’il n’est malheureusement pas exploité à sa
juste mesure.
Au chapitre premier, une brève contextualisation sur les rapports sociolinguistiques entre
les francophones et les anglophones du Canada mène à comprendre de quelle façon ces
rapports ont façonné les politiques linguistiques canadiennes. L’état de minorité
linguistique des francophones fait en sorte que ces derniers font face à des enjeux propres à
leur situation particulière. La compréhension de ces enjeux (dispersion démographique,
vieillissement de la population, assimilation, mobilité géographique) porte à croire que
l’avenir de la francophonie canadienne n’est pas assuré. Seule province officiellement
bilingue, le Nouveau-Brunswick devient le centre d’intérêt plus spécifique de ce travail. La
situation démographique de la population francophone de cette province sera présentée
dans ce chapitre, de même qu’une description du travail effectué par les différents acteurs
dont le but est de faire en sorte que l’identité culturelle des francophones soit constamment
renforcée. Enfin, une introduction à la position des communautés majoritairement
francophones du Nouveau-Brunswick, versus les autres communautés francophones hors
Québec, détermine qu’elles sont privilégiées en matière d’assimilation, mais qu’elles font
tout de même face à d’autres enjeux importants mettant en risque leur développement et
leur vitalité.
5
S’inspirant du contexte commun des participants de cette étude en tant que jeunes étudiants
universitaires francophones en situation de mobilité, originaires de régions majoritairement
francophones du Nouveau-Brunswick, le chapitre deux fait état des recherches scientifiques
faites sur l’identité, la vitalité communautaire, la migration et l’éducation postsecondaire. Il
appert que peu d’études ont été effectuées sur l’éducation postsecondaire en milieu
francophone minoritaire (Allard, Landry et Deveau, 2009; Labrie, 2007; Pilote et Magnan,
2008a; 2008b). Les recherches sur l’identité chez les jeunes francophones en situation
minoritaire ne sont guère plus avancées, alors qu’une urgence d’agir est émise en ce qui a
trait aux stratégies éducatives et identitaires (Pilote et Magnan, 2008a). En effet, ces
stratégies nécessitent d’être ajustées pour pouvoir garantir le maintien ou l’atteinte d’une
vitalité communautaire au sein de la francophonie minoritaire canadienne. La migration,
pour sa part, est un fait couramment observé chez les jeunes Canadiens (Beaudin, Ferron et
Savoie, 2007) et elle contribuerait à la construction identitaire du jeune qui en fait
l’expérience (Pilote et Molgat, 2010); une donnée non négligeable pour la présente étude
dont l’ensemble de son corpus est en situation de mobilité. Finalement, ce chapitre en
arrive à dégager une question spécifique, des objectifs ainsi qu’un postulat de recherche.
Le troisième chapitre définit l’identité acadienne, l’objet d’analyse de cette étude, telle
qu’elle est perçue collectivement. Pour ce faire, une recension scientifique des événements
chronologiques ayant marqué le façonnement de l’Acadie au cours de l’Histoire permet
d’aboutir à l’identification de quatre dimensions générales : historique, territoriale,
culturelle et linguistique. Une fois précisées, ces dimensions deviennent indispensables à la
présente étude puisqu’elles déterminent les données à recueillir au sein du discours de
chaque participant, spécifiant du même coup la manière dont chacun se définit en rapport
avec l’identité acadienne.
Le cadre théorique retenu pour cette recherche est énoncé au chapitre quatre. Les grands
courants sociologiques sont d’abord brièvement présentés pour en arriver au modèle
théorique et pratique de Bajoit (2003) sur le changement social, intégré dans un paradigme
identitaire. Celui-ci renouvelle la nature profonde de la sociologie afin de l’adapter aux
sociétés modernes; une perspective qui rejoint bien la nouvelle réalité des communautés
francophones du Nouveau-Brunswick. Ainsi, ce modèle théorique rend bien compte de la
6
construction identitaire, où l’individu devient l’élément central pour mieux comprendre les
sociétés modernes. Par un travail individuel constant, l’individu construit son identité
personnelle dans le but de s’épanouir personnellement, d’être reconnu par les autres et de
trouver un équilibre parmi tout ces éléments (Bajoit, 2003). L’application de ce modèle
théorique à la présente étude permettra de dégager les diverses tensions vécues par les
jeunes francophones en fonction de leur rapport à l’identité acadienne, des données
d’analyse jusqu’alors très peu connues dans le monde de la recherche sur la francophonie
minoritaire canadienne.
Avant de passer aux chapitres d’analyse, le chapitre cinq introduit l’approche
méthodologique employée. Ce mémoire de recherche présente une étude de cas d’étudiants
au postsecondaire originaires de milieux francophones minoritaires et âgés de dix-huit (18)
à trente (30) ans. Vingt-deux (22) participants ont été sélectionnés pour faire partie de notre
corpus, soit douze (12) femmes et dix (10) hommes. Ils ont comme point commun d’être de
jeunes étudiants universitaires francophones en situation de mobilité, originaires de régions
majoritairement francophones du Nouveau-Brunswick, plus précisément du nord de cette
province. Dans une perspective sociologique, cette recherche privilégie une approche
qualitative où les rapports à l’identité, tant avec les autres qu’avec soi-même, sont examinés
dans un contexte de mobilité géographique effectué lors de la période critique que
représentent les études postsecondaires. L’entrevue individuelle semi-dirigée, sous forme
de récits de vie (Bertaux, 1997), est la méthode d’enquête qui fut utilisée pour recueillir les
données. Une telle méthode permet justement de saisir de l’information quant aux
expériences personnelles de chacun des sujets à l’étude et d’accéder à leurs attitudes ainsi
qu’à leurs valeurs individuelles (Byrne, 2004, citée par Silverman, 2006). Les entrevues,
d’une durée moyenne de deux heures, ont porté sur cinq thèmes : 1) grandir et vivre dans
un milieu francophone minoritaire; 2) le parcours universitaire; 3) parcours de mobilité; 4)
identification culturelle, sociale et politique; 5) qu’est-ce que l’avenir me (et nous) réserve?
Ce mémoire tient compte de ces cinq thèmes, mais il dégage essentiellement les conditions
objectives et les parties du discours identitaire des sujets à l’étude qui renseignent sur le
rapport à l’identité acadienne de chacun.
7
Le chapitre six propose une présentation descriptive du corpus, en matière de parcours
individuels et de rapport à l’identité acadienne, comme elle se révèle dans le discours des
vingt-deux (22) participants à l’étude. Une telle synthèse s’avère exhaustive, mais capitale
pour cette recherche, puisque c’est le rapport à l’identité acadienne qui devient, au chapitre
suivant, l’objet d’analyse en fonction du cadre théorique retenu. Dans ce chapitre, le corpus
est organisé en fonction des trois comtés qui composent le nord du Nouveau-Brunswick,
soit Madawaska, Restigouche et Gloucester. Une telle organisation permet d’apprécier les
contextes de vie qui peuvent différer selon le comté dans lequel les participants ont grandi.
Elle permet aussi de réunir des descriptions de rapports à l’identité acadienne qui tendent à
varier entre les comtés.
Le chapitre sept met en œuvre le cœur de l’analyse qualitative de ce mémoire en présentant
l’articulation des composantes identitaires acadiennes selon le modèle théorique proposé
par Bajoit (2003). Malgré le fait qu’elles soient indissociables, les trois zones identitaires
(identité assignée, identité engagée, identité désirée) sont décortiquées afin d’en révéler les
caractéristiques distinctes de chacune des logiques identitaires qui composent ces trois
zones identitaires, et ce, en fonction des parcours individuels et du rapport à l’identité
acadienne de chacun des sujets à l’étude. Une démarche particulièrement intéressante
puisqu’elle permet de saisir la complexité et les nuances à l’intérieur même de chaque type
d’attitude. Finalement, des exemples d’interaction synergique des trois zones identitaires
permettent d’illustrer comment l’individu parvient à une articulation cohérente de sa
biographie. Les résultats d’analyse démontrent qu’une telle articulation peut parfois
sembler complexe, ou à l’inverse, sans grandes tensions apparentes, tout dépend du type
d’interaction présent entre les trois zones identitaires. De plus, malgré le partage commun
d’un groupe linguistique particulier, les compromis se différencient d’une personne à
l’autre. Enfin, ce chapitre se conclut par l’affirmation que la construction identitaire est en
éternelle mouvance et que les tensions existentielles sont effectivement plus marquées lors
de périodes de la vie plus critiques, comme le moment des études postsecondaires, de sorte
que le travail de (re)construction identitaire demande plus d’efforts. Un meilleur accès aux
études postsecondaires est nécessaire pour les jeunes francophones en situation minoritaire
au Canada. Dans leur cas, le phénomène de migration représente un enjeu variable selon la
province et selon la région, mais la présente recherche croit qu’il représente un enjeu
8
variable également selon le jeune lui-même, cela en fonction de la façon dont il parvient à
gérer ses tensions existentielles dans sa construction identitaire.
En guise de conclusion, le chapitre huit présente, tout d’abord, un rappel de la
problématique, des objectifs de recherche et du cadre d’analyse. S’ensuivent une
explication des liens à faire avec le domaine des sciences de l’orientation ainsi qu’une
discussion des résultats selon différents concepts vus dans cette étude. L’énoncé de biais de
subjectivité et des pistes de recherche à développer complètent ce dernier chapitre.
Chapitre 1
Ô Canada1
A Mari usque ad Mare (« D’un océan à l’autre »)
(Devise du Canada)
1.1 Rapports sociolinguistiques au Canada
Pays géographiquement vaste, le Canada compte deux langues officielles, le français et
l’anglais, dont la première adoption fut faite en 1969 par la Loi sur les langues officielles2.
De ces deux langues découlent deux groupes culturels, les anglophones et les francophones.
Ceux-ci possèdent des ressemblances quant au fait qu’ils partagent le même pays et aussi
des différences quant aux attitudes et représentations linguistiques reliées à leur état de
majorité (anglais) et de minorité (français) linguistique. De son recensement de 2006,
Statistique Canada (2009) affiche un taux de population canadienne à plus de trente et un
millions. De ce nombre, 57,2 % sont de langue maternelle anglaise et 21,8 % de langue
maternelle française. Le 21 % restant représente principalement le regroupement des
langues maternelles non officielles (Statistique Canada, 2009).
1 « D'abord chant patriotique canadien-français [composé au XIX
e siècle] avant d'être l'hymne national du
Canada, il reste particulièrement présent lors des événements sportifs […], sans pourtant faire l'unanimité sur
sa portée identitaire réelle » (Gauthier, 2007). 2 « La Loi sur les langues officielles de 1969 n'est plus en vigueur aujourd'hui. Elle a été abrogée en 1988 lors
de l'adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles » (Leclerc, n.d.a, n. p.).
10
Tableau 1.1 : Population selon la langue maternelle3 (Canada)
Nom
géographique
Langue maternelle
Total Anglais Français
Langue
non
officielle
Anglais et
français
Anglais et
langue non
officielle
Français et
langue non
officielle
Anglais,
français et
langue non
officielle
Canada 31 241 030 17 882 775 6 817 655 6 147 840 98 625 240 005 43 335 10 790
57,2 % 21,8 % 19,7 % 0,3 % 0,8 % 0,1 % 0,0 %
(Statistique Canada, 2009, n. p.)
1.1.1 Politiques linguistiques canadiennes
Les rapports sociolinguistiques, parmi l’ensemble de la population, ont façonné les
politiques linguistiques canadiennes. Pour en arriver à les expliquer, il importe, tout
d’abord, de préciser que le Canada est une fédération de dix provinces (Terre-Neuve-et-
Labrador, Île-du-Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Québec, Ontario,
Manitoba, Saskatchewan, Alberta, Colombie-Britannique) et de trois territoires (Territoire
du Yukon, Territoires du Nord-Ouest, Nunavut).
3 Première langue apprise à la maison dans l’enfance et encore comprise par le recensé au moment du
recensement.
11
Figure 1.1 : Carte géographique du Canada
(http://pm.gc.ca/grfx/colouring_book/map_f.html)
Chacune de ces provinces comprend un gouvernement provincial et chacun de ces
territoires, un gouvernement territorial. Enfin, tous ces gouvernements sont chapeautés par
un gouvernement fédéral, situé dans la ville d’Ottawa, en Ontario. Certains « champs de
compétence » sont pris en charge par le gouvernement fédéral, certains autres par les
gouvernements provinciaux et territoriaux, alors que d’autres relèvent tant du
gouvernement fédéral que des gouvernements provinciaux et territoriaux (Leclerc, 2011).
Cette dernière façon de gérer les champs de compétence, que Leclerc (2011) nomme
« double compétence » ou « double juridiction », est justement celle qui est utilisée en
matière de politiques linguistiques.
… Puisque le domaine de l’emploi des langues est une compétence qui
relève à la fois du gouvernement fédéral et des provinces, les problèmes
12
sont fréquents. Ainsi, toute province peut légiférer sur la langue des raisons
sociales, mais uniquement lorsqu’il s’agit d’entreprises constituées en vertu
d’une loi provinciale, non en vertu d’une loi fédérale. […] Néanmoins, une
province ne peut régir la langue de travail des entreprises relevant de la
compétence exclusive du gouvernement du Canada : l’Administration
publique fédérale, le transport aérien, la navigation, les cours de justices
fédérales, etc. Pour le reste, les provinces peuvent adopter les lois qu’elles
désirent, sous réserve des dispositions constitutionnelles qui garantissent
certains droits aux minorités linguistiques au Canada. D’ailleurs, les
provinces ont adopté des régimes linguistiques fort variées(sic). (Leclerc, 2011, n. p.)
Ces variations dans le mode d’organisation linguistique entre les provinces découlent
notamment des différences de statuts linguistiques officiels entre elles. En effet, il y a, tout
d’abord, le Nouveau-Brunswick qui forme la seule province officiellement bilingue. Par
ailleurs, alors que le français constitue la seule langue officielle pour la province de
Québec, l’anglais est, en contrepartie, la seule langue officielle des huit autres provinces
canadiennes, soit l’Alberta, la Colombie-Britannique, l’Île-du-Prince-Édouard, le
Manitoba, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador
(Leclerc, 2010a). Pour ce qui est des trois territoires canadiens, soit le Nunavut, les
Territoires du Nord-Ouest et le Territoire du Yukon, leur statut est plus difficilement
comparable au reste du pays4, mais on leur confère officiellement un statut bilingue (anglais
et français) (Leclerc, n.d.b).
« Toutefois, la situation juridique des langues n’est pas aussi simple que peut le supposer le
statut officiel, car dans la plupart des provinces le français et l’anglais bénéficient de
certaines reconnaissances juridiques » (Leclerc, 2010a, n. p.) Ainsi, pour les provinces de
Québec, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, le français et l’anglais sont les langues
officielles au sein des parlements, des tribunaux, de la fonction publique et des services à la
communauté (Leclerc, 2010a). « Il y a parfois des lacunes au plan des services
gouvernementaux lorsque la population minoritaire est numériquement faible, mais le
principe est acquis, les tribunaux étant là pour faire respecter les droits des minorités »
4 Les trois territoires du Canada étant plus au nord, une région arctique, ceux-ci recouvrent la partie du pays la
moins habitée. De fait, cette partie du Canada comprend moins de un pourcent (1 %) des habitants du pays
(Leclerc, 2010b). Qui plus est, les langues autochtones y surpassent largement la langue française, malgré son
statut officiel avec l’anglais (Leclerc, n.d.b).
13
(Leclerc, 2010a, n. p.). Les autres provinces ont des politiques linguistiques plus étroites et
concentrées dans des secteurs bien particuliers. Elles sont généralement restreintes au
secteur éducatif dans la langue de la minorité (Leclerc, 2010a).
1.1.2 Enjeux pour la francophonie canadienne
De leur situation minoritaire au sein de cette dualité canadienne, les francophones font face
à des enjeux importants qui compromettent le développement et la vitalité d’une
francophonie canadienne hors Québec. Ces enjeux sont notamment les suivants : la
dispersion démographique des communautés francophones, le vieillissement de leur
population, l’assimilation et les mobilités géographiques.
1.1.2.1 Dispersion démographique
Au Canada, les francophones sont répartis inégalement sur le territoire, malgré leur
présence partout au pays. Ceux-ci se retrouvent majoritairement dans la province de
Québec, où 79 % des habitants sont de langue maternelle française (Statistique Canada,
2009). De fait, on comprend mieux pourquoi le Québec est la seule province ayant comme
langue officielle le français. Vient ensuite le Nouveau-Brunswick, la seule province
officiellement bilingue, avec 32,4 %, soit plus du tiers de la population de cette province
qui est de langue maternelle française. Les autres provinces et territoires en comptent moins
de 5 %. Qui plus est, les provinces de Québec (5 877 660), de l’Ontario (488 815) et du
Nouveau-Brunswick (232 980) représentent respectivement les provinces contenant le plus
de population de langue maternelle française (Statistique Canada, 2009). Ainsi, l’Ontario,
qui compte seulement 4,1 % d’habitants de langue maternelle française, surpasse le
Nouveau-Brunswick en matière de supériorité numérique.
14
Tableau 1.2 : Population selon la langue maternelle5 (provinces et territoires)
Nom
géographique
Langue maternelle
Total Anglais Français
Langue
non
officielle
Anglais et
français
Anglais et
langue non
officielle
Français et
langue non
officielle
Anglais,
français et
langue non
officielle
Terre-Neuve-
et-Labrador 500 610 488 405 1 885 9 540 295 435 30 15
97,6 % 0,4 % 1,9 % 0,1 % 0,1 % 0,0 % 0,0 %
Île-du-Prince-
Édouard 134 205 125 265 5 345 2 960 495 105 25 10
93,3 % 4,0 % 2,2 % 0,4 % 0,1 % 0,0 % 0,0 %
Nouvelle-
Écosse 903 090 832 105 32 540 34 620 2 100 1 440 140 140
92,1 % 3,6 % 3,8 % 0,2 % 0,2 % 0,0 % 0,0 %
Nouveau-
Brunswick 719 650 463 190 232 980 18 320 4 450 560 120 25
64,4 % 32,4 % 2,5 % 0,6 % 0,1 % 0,0 % 0,0 %
Québec 7 435 900 575 560 5 877 660 886 280 43 335 16 200 31 350 5 520
7,7 % 79,0 % 11,9 % 0,6 % 0,2 % 0,4 % 0,1 %
Ontario 12 028 895 8 230 705 488 815 3 134 045 32 685 131 285 7 790 3 565
68,4 % 4,1 % 26,1 % 0,3 % 1,1 % 0,1 % 0,0 %
Manitoba 1 133 515 838 415 43 960 236 315 2 630 11 675 435 85
74,0 % 3,9 % 20,8 % 0,2 % 1,0 % 0,0 % 0,0 %
Saskatchewan 953 845 811 730 16 055 118 465 1 130 6 080 245 140
85,1 % 1,7 % 12,4 % 0,1 % 0,6 % 0,0 % 0,0 %
Alberta 3 256 360 2 576 665 61 225 583 525 5 405 27 725 1 325 480
79,1 % 1,9 % 17,9 % 0,2 % 0,9 % 0,0 % 0,0 %
Colombie-
Britannique 4 074 385 2 875 775 54 740 1 091 530 5 920 43 785 1 840 790
70,6 % 1,3 % 26,8 % 0,1 % 1,1 % 0,0 % 0,0 %
Territoire du
Yukon 30 195 25 655 1 105 3 180 110 130 10 0
85,0 % 3,7 % 10,5 % 0,4 % 0,4 % 0,0 % 0,0 %
Territoires du
Nord-Ouest 41 055 31 545 970 8 160 40 320 10 0
76,8 % 2,4 % 19,9 % 0,1 % 0,8 % 0,0 % 0,0 %
Nunavut 29 325 7 765 370 20 885 20 260 25 0
26,5 % 1,3 % 71,2 % 0,1 % 0,9 % 0,1 % 0,0 %
(Statistique Canada, 2009, n. p.)
Outre le Québec, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick, la répartition des francophones parmi
les autres provinces et territoires est à ce point dérisoire que l’on peut affirmer qu’il y a
« dispersion linguistique » pour cette partie de la population canadienne (Leclerc, 2010b).
Selon Leclerc (2010b), l’état de fait des francophones hors Québec est excessivement
5 Première langue apprise à la maison dans l’enfance et encore comprise par le recensé au moment du
recensement.
15
incertain. Bref, pour reprendre les termes de Laniel (2009), « les populations francophones
se trouvent isolément minoritaires » (p. 12).
1.1.2.2 Vieillissement de la population
Les données démographiques le confirment, la population canadienne est vieillissante et
« l’espérance de vie s’allonge » (Castairs et Keon, 2009, p. 2). Cependant, les naissances
étant à la baisse, nous assistons à un phénomène de vieillissement de la population (Castairs
et Keon, 2009). Les communautés francophones en situation minoritaire n’y échappent pas.
… La population francophone vieillit plus rapidement que la population
anglophone, plus particulièrement dans les régions rurales à cause du départ
des jeunes familles vers les grands centres qui leur offrent de meilleures
possibilités sur le plan de l’éducation et de l’emploi. (Castairs et Keon, 2009, p. 200)
Pour ces francophones vivant en milieux ruraux, cela annonce, par le fait même, une
exacerbation d’un sentiment d’isolement pour ceux qui souhaitent « vieillir sur place »
(p. 203), pour ne pas quitter leur communauté et pour continuer à vivre linguistiquement et
culturellement en français (Castairs et Keon, 2009).
1.1.2.3 Assimilation
Afin de comprendre la notion d’assimilation dans une perspective canadienne, il nous
apparaît pertinent d’expliquer, en premier lieu, mais très brièvement, le concept de
bilinguisme, tel que présenté par Mboudjeke (2006). Tout d’abord, celui-ci explique qu’il y
a une nuance importante entre le « bilinguisme individuel » et le « bilinguisme officiel
canadien »; ce dernier représentant la possibilité pour les citoyens canadiens de vivre selon
la langue de leur choix (Mboudjeke, 2006).
Pour ce qui est du bilinguisme individuel, Mboudjeke (2006) démontre que ce qui distingue
les francophones et les anglophones, en termes de rapports avec les langues officielles,
façonne les comportements envers le bilinguisme individuel. Il appert que toutes les
16
communautés linguistiques, mais particulièrement les communautés francophones, sont
résolues à protéger leur langue et, ce faisant, leur ethnicité et leur culture identitaires
(Mboudjeke, 2006). La perception, de part et d’autre, est que « bilingualism is maintained
by two monolingual units. Should one of the units become entirely bilingual, it assures the
linguistic dominance of the other unit, which can then assimilate the bilingual
community6 » (Mackey, 1967, cité par Mboudjeke, 2006, p. 157). Tous ont conscience
d’une telle menace et demeurent donc prudents (Mboudjeke, 2006). Les données officielles
témoignant d’un bilinguisme individuel beaucoup plus présent chez les francophones
(Johnson, 2009), nous comprenons, de ce fait, l’attention portée à ce bilinguisme individuel
par les communautés francophones en situation minoritaire ainsi que leur crainte
d’assimilation surpassant celle des communautés anglophones.
Donc, l’assimilation, selon Corbin et Buchanan (2005), est perçue comme étant la « perte
de l’usage de la langue maternelle et de l’identité culturelle » (Lexique). Elle est à
l’antipode de la vitalité générale d’une langue (Castonguay, 2005). Johnson (2009), pour sa
part, explique que ce que l’on appelait autrefois « l’assimilation linguistique » est
dorénavant désigné comme « le transfert linguistique » (p. 21). Ce transfert linguistique ne
représente pas le rejet de la langue maternelle; par contre, son taux prédit le peu de
probabilité que cette langue soit léguée aux prochaines générations (Johnson, 2009).
Lorsqu’on observe la francophonie hors Québec, celle-ci subit « un transfert linguistique
fort et croissant » (Johnson, 2009, p. 21). Il faut toutefois faire la nuance en fonction de la
situation géographique de chacune des communautés francophones. « Par exemple, les
Acadiens du Nouveau-Brunswick connaissent un taux [de transfert linguistique] d’environ
9 %, alors que les francophones de Colombie-Britannique ont un taux d’environ 70 % »
(Johnson, 2009, p. 21).
6 Traduction libre : Le bilinguisme est soutenu par deux groupes unilingues. Si l’un de ces deux groupes
devient complètement bilingue, cela confirme la dominance linguistique de l’autre groupe, qui pourrait alors
assimiler la communauté bilingue.
17
Bernard (1998) abonde dans le même sens que Johnson (2009), alors qu’il parle d’une
« assimilation structurelle […] qui n’entraîne pas forcément la perte de l’identité
originelle » (p. 45). Cette constatation prend toutefois un double sens pour Bernard (1998),
alors que celui-ci soutient qu’autant le transfert linguistique ne mène pas nécessairement à
une « acculturation », autant le fait de parler français n’engage pas inévitablement au
« maintien de la culture qui s’y rattache normalement » (p. 46). Pour Bernard (1998), les
francophones en situation minoritaire sont en train de développer « une nouvelle forme de
bilinguisme et de biculturalisme individuel » (p. 82), et ce, à l’intérieur même de leurs
propres communautés.
De multiples recherches (Bernard, 1990, 1994; Castonguay, 1979; Lachapelle, 1986, cités
par Deveau et Landry, 2007) maintiennent « que l’exogamie7 est l’un des facteurs
déterminants, sinon le facteur principal, menant à l’assimilation » (Deveau et Landry, 2007,
p. 122). Mais, pour Landry et Allard (1997), « ce n'est pas l'exogamie en soi qui constitue
le facteur assimilateur, mais la dynamique familiale et le vécu scolaire » (p. 586). Lafontant
et Thibault (2000) sont du même avis.
… L’exogamie n’est pas la cause de l’assimilation : elle est un des
phénomènes qui accompagnent l’intégration des francophones à la société
moderne dominante. La famille ne peut donc pas être tenue pour
responsable de l’augmentation des mariages exogames, car elle ne fait que
transmettre les normes et valeurs de la société à laquelle les francophones
adhèrent désormais en majorité. (Lafontant et Thibault, 2000, p. 504)
Bref, « l’assimilation est un phénomène complexe, difficile à cerner » (Bernard, 1998,
p. 45).
7 « Exogamie/exogame : Terme qui qualifie les mariages et les unions interlinguistiques (mixtes) » (Corbin et
Buchanan, 2005, Lexique).
18
1.1.2.4 Mobilité géographique
La migration n’est pas que l’affaire des francophones minoritaires (Beaudin, Ferron et
Savoie, 2007), car, selon Beaudin et Forgues (2008), « le problème d’exode ne serait lié
qu’à la géographie (localisation) et non au statut linguistique » (p. 187). Toutefois, si l’on
se penche sur le phénomène de mobilité géographique au sein des communautés
francophones en situation minoritaire, celui-ci constitue un enjeu variable selon la province
dans laquelle ces communautés se trouvent et selon que leurs régions soient plus rurales ou
urbaines. En effet, la proportion de francophones qui choisit de migrer vers une autre
province serait plus grande là où les francophones sont clairement minoritaires et les
départs interprovinciaux seraient moins fréquents là où les francophones sont plus
nombreux (Forgues, Bérubé et Cyr, 2007). Ainsi, les migrants francophones en situation
minoritaire préfèrent une destination comme le Québec plutôt que l’ouest du Canada
(Forgues et al., 2007). De plus, il appert que la migration interprovinciale se fait moins en
Ontario et au Nouveau-Brunswick; la majorité des francophones de ces provinces migrent
surtout à l’intérieur même de celles-ci (Forgues et al., 2007). Enfin, là où le bât blesse, c’est
pour la minorité francophone en contexte rural, alors qu’il y a plus de départs que
d’arrivées, c’est-à-dire que le solde migratoire est négatif pour ces régions éloignées des
grands centres (Beaudin, Forgues et Guignard Noël, 2010; voir aussi Fédération des
communautés francophones et acadiennes du Canada [FCFA], 2007).
1.1.3 Problème social
Ainsi, la mobilité géographique des jeunes additionnée à une population vieillissante vient
créer un « déclin démographique » important au sein des communautés francophones en
situation minoritaire au Canada (Pilote et Richard, à paraître). Qui plus est, « la
fragmentation actuelle des francophones et les complications provenant de l’existence de
trois paliers du gouvernement au Canada – fédéral, provincial et municipal – donnent lieu à
une géographie difficile qui est, en soi, un défi pour demain » (Louder, Trépanier et
Waddell, 1999, p. 19-20). Sans oublier le phénomène complexe d’assimilation (Bernard,
1998), dont le taux de transfert linguistique survient beaucoup plus intensément chez les
19
francophones en situation minoritaire que chez les anglophones (Johnson, 2009). Par
conséquent, l’avenir de la francophonie canadienne n’étant pas assuré, les enjeux
susmentionnés en faisant foi, un tel contexte représente une problématique sociale qui nous
apparaît particulièrement intéressante à étudier.
Maintenant, partant d’un portrait plus général de cette francophonie canadienne que nous
venons de dresser, il serait certainement tentant d’examiner plus profondément la réalité de
chacune des communautés francophones du pays face à ces enjeux. Toutefois, pour ce
travail, nous nous intéresserons plus particulièrement à la francophonie du Nouveau-
Brunswick. En tant que seule province officiellement bilingue, ce statut officiel offre-t-il
des conditions favorables pour les francophones du Nouveau-Brunswick par rapport aux
autres francophones hors Québec?
1.2 La province du Nouveau-Brunswick
Tel qu’il fut mentionné ci-haut, le Nouveau-Brunswick est la troisième province, après le
Québec et l’Ontario, à contenir le plus haut taux de population ayant le français comme
langue maternelle, ce qui représente le tiers de sa population provinciale.
1.2.1 Situation démographique de la population francophone
La répartition géographique de la population francophone est très inégale à l’intérieur
même de la province, tout comme ce l’est pour le Canada, à plus petite échelle. Castonguay
(2005) résume comme suit la disposition des francophones au Nouveau-Brunswick :
… Les francophones du Nouveau-Brunswick conservent le vif sentiment de
former un peuple distinct, les Acadiens8. […] Cette persistance du vouloir-
8 « Aujourd'hui, bien que la grande majorité des francophones du Nouveau-Brunswick soit de descendance et
d'origine acadiennes, l'appellation ‘Acadien’ ne peut plus être associée à tous les francophones de la province.
Autrement dit, le terme ‘francophones’ englobe à la fois les Acadiens et ceux qui parlent le français »
(Leclerc, 2010c).
20
vivre collectif des Acadiens fait en sorte qu’ils demeurent concentrés sur un
même territoire, voire se regroupent davantage. En 2001 comme en 1971,
plus de 93 % des francophones du Nouveau-Brunswick habitent les comtés
du nord et de l’est de la province, qui forment sa « région acadienne ». (p. 479)
Figure 1.2 : Répartition géographique des francophones au Nouveau-Brunswick
(Leclerc, 2010c)
Comme Leclerc (2010c) le précise, ce que l’on ne voit pas sur cette carte, c’est qu’une
grande partie de ce territoire occupée par les francophones est également occupé par les
anglophones. Ainsi, outre les régions du nord et de l’est du Nouveau-Brunswick ayant un
fort pourcentage de population francophone, la présence anglophone continue d’être
prépondérante dans le reste de la province (Leclerc, 2010c). Par ailleurs, « [là où] les
Acadiens sont majoritaires[,] ils ont su y développer un sens d’appartenance et un réseau
institutionnel qui font l’envie des autres minorités » (J. Y. Thériault, 1999, p. 13).
1.2.2 Renforcement identitaire
Ce sentiment d’appartenance, qui habite les communautés francophones du Nouveau-
Brunswick à forte présence francophone et qui semble se démarquer du reste de la
21
francophonie canadienne hors Québec, s’explique du fait que, « dans sa représentation
nationale, l’Acadie ne fit jamais partie de la diaspora canadienne-française ou québécoise.
C’est pourquoi, d’ailleurs, elle vivra différemment du reste de la francophonie canadienne
la rupture du Canada français au début des années 1960 » (J. Y. Thériault, 1999, p. 219). En
effet, c’est à cette époque que « la montée du nationalisme québécois » (Allaire, 1999,
p. 180) mène à une dégradation relationnelle « entre le Québec et les autres communautés
francophones » (Pilote, 2004, p. 123). La province de Québec fait le choix de ne plus être
l’âtre de l’identité franco-canadienne (LeBlanc, 1999) et ceci entraîne les francophones
hors Québec à se redéfinir. Une telle redéfinition fut ainsi scindée « à partir de
l’appartenance provinciale (Franco-Ontariens, Fransaskois, Acadiens du Nouveau-
Brunswick, etc.) » (Pilote, 2004, p. 123). Qui plus est, « sur le plan politique, l’église a
cessé à partir des années 1960 de jouer le rôle dominant qu’elle avait assuré par le passé au
sein des communautés francophones » (Pilote, 2004, p. 123). Avec tout ça, « l’idéologie
nationale [est alors entrée] dans une crise qui travaille depuis lors l’identité et la société
acadienne » (J. Y. Thériault, 1999, p. 233).
1.2.2.1 Rôle des organismes et associations
Ainsi, depuis bon nombre d’années, des organismes et associations francophones au
Nouveau-Brunswick travaillent d’arrache-pied dans le but d’élaborer des plans d’action et
autres stratégies afin de développer et renforcer l’identité culturelle des francophones. Les
efforts sont surtout concentrés sur les générations plus jeunes puisque ce sont elles qui ont
tendance à faire de plus en plus l’expérience de transferts linguistiques.
… Le remplacement des générations francophones est fonction de leur
fécondité et de la transmission du français comme langue maternelle aux
enfants. Celui des générations anglophones se règle de façon semblable. Vu
qu’il n’existe plus guère de différence de fécondité entre francophones et
anglophones au Nouveau-Brunswick9 […], tout écart significatif entre les
populations de langue officielle en matière de remplacement des générations
provient nécessairement du pouvoir d’assimilation de l’anglais. En effet, les
9 « Francophones et anglophones sont à peu près également sous-féconds au Nouveau-Brunswick »
(Castonguay, 2004, p. 225).
22
jeunes parents francophones et allophones10
qui utilisent l’anglais comme
langue d’usage à la maison transmettent habituellement l’anglais comme
langue maternelle à leurs enfants, ce qui mine le remplacement de leurs
générations et renforce celui des générations anglophones. (Castonguay, 2004, p. 225)
La situation des francophones du Nouveau-Brunswick ne diverge donc pas de la position
générale pour l’ensemble de la francophonie canadienne hors Québec, et ce, même si son
taux de transfert linguistique est plus faible que celui d’autres provinces. En effet, comme
nous l’avons vu précédemment, dans la section sur les enjeux, le bilinguisme individuel
étant beaucoup plus présent chez les francophones hors Québec que chez les anglophones
(Johnson, 2009), les communautés francophones s’y attarderont davantage et demeureront
prudentes face aux possibilités d’assimilation qui surpassent celles des communautés
anglophones.
Maintenant, en ce qui a trait aux organismes et associations francophones, mentionnons,
tout d’abord, la Société Nationale de l’Acadie (SNA, 2008a) qui priorise la place faite aux
jeunes au sein des communautés francophones. Pour ce faire, elle organise, à tous les cinq
ans, un événement hors du commun : le Grand rassemblement jeunesse (GRJ), en marge du
Congrès mondial acadien11
. Sa première édition a eu lieu à Halifax (Nouvelle-Écosse), en
2004, où près de deux cent cinquante jeunes y avaient participé (Conseil provincial des
sociétés culturelles [CPSC], 2011). L’événement s’est ensuite répété en 2009, à Tracadie-
Sheila (Nouveau-Brunswick) (SNA, 2008a), et il se répétera en 2014, à Edmundston
(Nouveau-Brunswick) (Congrès mondial acadien 2014, n.d.). Le GRJ est un rassemblement
de jeunes francophones âgés de douze à vingt-cinq ans provenant de partout à l’échelle
internationale (GRJ, 2009). C’est ainsi que la Société Nationale de l’Acadie, en tant que
fédération chargée « de promouvoir les intérêts du peuple acadien, particulièrement de
l’Atlantique12
» (SNA, 2008b, n. p.), et le Congrès mondial acadien souhaitent offrir à la
10
« Un allophone est une personne qui, dans un territoire donné, a pour langue maternelle une autre langue
que la ou les langues officielles » (Allophone, 2010). 11
« Le Congrès mondial acadien est un festival de culture acadienne et cadienne, organisé à tous les cinq ans
depuis 1994. Il a pour objectif de rassembler la diaspora acadienne répartie aux quatre coins du monde dans
des retrouvailles, qui donnent lieu à une série de rassemblements familiaux, de conférences et de spectacles
qui durent pendant une dizaine de jours » (Congrès mondial acadien, n.d.). 12
Le Canada atlantique représente les quatre provinces situées à l’Est du Canada, soit le Nouveau-Brunswick,
l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador.
23
relève un lieu pour échanger et célébrer la vitalité de la jeunesse francophone et acadienne,
et ce, par l’entremise de trois volets d’activités : arts et culture, leadership et politique
(SNA, 2008a). « Le GRJ vise à renforcir la construction identitaire acadienne et
francophone des jeunes, en plus d’être une occasion incroyable de rassemblement » (GRJ,
2009, n. p.).
Dans son Plan de développement global de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (2009-2014),
la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick13
(SANB, 2009) plaide également pour le
développement et le renforcement de l’identité culturelle de toute la population
francophone et acadienne, mais surtout des jeunes afin que ces derniers en soient fiers. Elle
prône aussi la place de choix qu’occupent les arts et la culture dans le développement de
l’identité des jeunes Acadiens et Acadiennes (SANB, 2009).
De même, les loisirs sont reconnus comme étant « un site prioritaire d’intervention pour
freiner les transferts linguistiques vers l’anglais » (Dallaire et Roma, 2003, p. 30). Le réputé
rassemblement sportif annuel des Jeux de l’Acadie, depuis 1979, est un bon exemple en ce
sens, alors que leur vision est la suivante : « Par la pratique du sport, participer au
développement d’une jeunesse acadienne et francophone de l’Atlantique qui soit forte,
solidaire, épanouie et fière de sa langue et de sa culture acadienne » (Société des Jeux de
l’Acadie, n.d., n. p.).
1.2.2.2 Rôle des familles et de l’école
Comme nous l’avons vu précédemment, Landry et Allard (1997), de même que Lafontant
et Thibault (2000), soutiennent que les éléments pouvant influencer directement
l’assimilation sont les dynamiques familiale et scolaire. En ce sens, dans son rapport de la
Commission sur l’école francophone, Leblanc (2009) précise que la famille est certes
essentielle et de premier niveau en tant que passeur culturel et identitaire, mais que l’école
suit de très près dans cette mission. Il ajoute que les études parviennent à démontrer
13
Organisme voué « à la défense et à la promotion des droits et des intérêts de la communauté acadienne de la
province » (SANB, n.d., n. p.).
24
l’importance capitale de l’école dans l’éclosion de la culture et de l’identité au sein des
milieux linguistiquement minoritaires (Leblanc, 2009).
L’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF, n.d.) explique la
nécessité d’encourager « la construction identitaire francophone » :
… Nous croyons essentiel que l’école de langue française se préoccupe non
seulement du succès scolaire, mais aussi du développement personnel et
social de chaque élève, l’aidant ainsi à construire son identité, à se définir et
à se reconnaître en tant que francophone. Le français n’est pas qu’un moyen
d’apprendre des matières scolaires, il est aussi une façon d’exprimer qui
l’on est par ses réflexions, ses actions et sa volonté. Pour nous, favoriser
l’intégration positive du français dans le vécu de l’élève constitue une
excellente façon de soutenir son appartenance et de susciter son engagement
au sein de la francophonie locale, nationale et internationale. Sans
construction identitaire, l’école de langue française perd sa raison d’être. (n. p.)
Il en est de même pour la Trousse du passeur culturel de la Fédération canadienne des
directions d’école francophone, de la Fédération culturelle canadienne-française et de
l’Association canadienne d’éducation de langue française (FCDEF, FCCF et ACELF,
2009) qui illustre clairement l’existence d’un lien étroit entre l’éducation et la construction
identitaire. Cette trousse est définie comme étant un « outil d’intervention en construction
identitaire destiné aux directions d’école […] pour assurer la survie et l’essor de la
communauté francophone » (FCDEF et al., 2009, p. 4). De cette façon, on désire faire de la
sensibilisation envers les arts et la culture au sein des écoles dans le but d’appuyer
favorablement le développement identitaire des jeunes avec toute cette complexité
individuelle que cela comporte (FCDEF et al., 2009).
1.2.2.3 Rôle de l’orientation scolaire
Les services d’orientation scolaire ont également un rôle à jouer face à la construction
identitaire chez les jeunes francophones en situation minoritaire. Dans son rapport sur
L’importance des services d’orientation et de soutien dans la préparation aux études
postsecondaires, la Fondation canadienne pour l’avancement de la carrière (2003) explique
25
que les écoles ont de plus en plus recours à des services d’orientation scolaire pour les
étudiants dans le but de les informer et de les aider à planifier efficacement leur
cheminement scolaire et professionnel. Lorsqu’on tente de déterminer de quelle façon ces
services devraient être dispensés chez les jeunes francophones en situation minoritaire, les
opinions en ce sens semblent toutefois diverger. Par exemple, une instance
gouvernementale dont l’observation se fait plus institutionnellement peut avoir une
différente perspective qu’une chercheuse rapportant les discours de jeunes franco-ontariens.
Ainsi, tandis que Leblanc (2009) est favorable à ce que « les professionnels de l’orientation
[encouragent] les élèves de poursuivre des études postsecondaires en français en leur
présentant les programmes d’études disponibles en français en Atlantique et au Canada »
(p. 8), Lamoureux (2009) rapporte que des jeunes s’inquiètent du fait que les services
d’orientation ne les appuient pas dans leurs choix lorsqu’ils désirent poursuivre des études
universitaires en anglais.
En ce sens, le rapport de Labrie, Lamoureux et Wilson (2009) sur l’accès aux études
postsecondaires en Ontario pour les jeunes Franco-Ontariens conclut que « les choix
effectués par les jeunes ne coïncident pas nécessairement avec les attentes des systèmes
éducatifs et des établissements scolaires et postsecondaires, ni avec les intentions des
politiques gouvernementales » (p. 35). Pour les conseillers d’orientation, une telle
contradiction est lourde à porter. Doivent-ils « encourager l’accès des francophones aux
études postsecondaires au sens large, ou encourager cet accès spécifiquement en français »
(Labrie et al., 2009, p. 35)?
Ainsi, de quelle façon les conseillers d’orientation réussissent-ils, entre ces différentes
perspectives, à soutenir efficacement les jeunes francophones en situation minoritaire dans
leurs projets scolaires et professionnels? L’apport considérable des conseillers d’orientation
dans les écoles de milieux francophones en situation minoritaire gagnerait, selon Pilote et
Magnan (2008a), à être attentivement examiné.
… Il faut réfléchir à des manières d’assurer le lien social et de faire en sorte
que les jeunes se sentent pleinement concernés par les débats concernant
26
l’avenir de la francophonie canadienne et qu’ils respectent en même temps
le fait que ces derniers soient libres de choisir les parcours qui leur semblent
les plus propices à la construction de leur propre identité. (Pilote et Magnan, 2008a, p. 310)
Qui plus est, l’Association francophone des conseillères et des conseillers en orientation du
Nouveau-Brunswick (AFCONB, 2007) rapporte que :
… le succès aux études postsecondaires se prépare bien avant le début des
études. [Celui-ci] doit commencer par une démarche qui permet à l’individu
d’établir un plan de carrière, de bien choisir son projet d’études et de s’y
engager pleinement. L’individu doit avoir un sentiment clair de son identité
et des ressources à sa disposition pour accomplir son plein potentiel. […]
Malheureusement, l’AFCONB ne peut que déplorer les coupures associées
au programme Excellence en éducation du début des années 90 qui a enlevé
à toute une génération de jeunes Néo-brunswickois(sic) le support de
Conseillers en orientation à une période critique pour les premières phase du
processus décisionnel, soient(sic) : « exploration » et « cristallisation ». Les
[conseillers d’orientation] des écoles tentent de conduire les élèves à travers
l’exploration, la cristallisation, la spécification de même que la préparation à
la réalisation alors qu’ils n’ont accès aux élèves que de la neuvième à la
douzième année et ce avec un ratio de 450 élèves pour un conseiller. Il n’est
donc pas étonnant que depuis une douzaine d’année(sic) on voit(sic) de plus
en plus de jeunes se rendre compte durant la formation postsecondaire que
la voie qu’ils ont prise n’est pas la meilleur(sic) pour eux. (p. 1-2)
Par conséquent, la Fondation canadienne pour l’avancement de la carrière (2003) suppose
que les francophones hors Québec, au même titre que les autochtones et les jeunes
immigrants :
… sont confrontés à des problèmes différents pour trouver et utiliser
l’information et l’aide appropriées en matière de développement de carrière
et de planification des études postsecondaires. [De fait, la fondation
souligne la nécessité] de mener une enquête similaire à [la leur] qui ciblerait
ces groupes particuliers de la population. (p. 32)
Il semble donc qu’un service d’orientation scolaire déficient pour les jeunes francophones
en situation minoritaire ait des répercussions lors de la poursuite d’études postsecondaires.
27
… Les professionnels du domaine de l’orientation croient que le
développement de carrière se poursuit tout au long de la vie et qu’il inclut le
développement identitaire, la représentation sans cesse réorganisée de
l’environnement et la mise à jour constante de compétences qui permettent
de se développer comme individu et de contribuer au développement de la
communauté d’appartenance. (Équipe de professeurs des programmes de maîtrises en orientation
de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Moncton, 2008, p. 1)
1.2.2.4 Éducation postsecondaire
Corbin et Buchanan (2005) abondent dans le même sens que les professionnels du domaine
de l’orientation, alors qu’ils soutiennent l’existence d’un rapport entre l’école, la culture et
la langue, et que c’est ce rapport qui garantit la vitalité des communautés de langue
officielle en situation minoritaire.
La question sur l’éducation en milieu minoritaire francophone au Canada fut scrutée à la
loupe en 2005 avec le Rapport intérimaire du Comité sénatorial permanent des langues
officielles (Corbin et Buchanan, 2005) dans lequel on affirme l’importance de permettre
légalement un enseignement en français non seulement du primaire au secondaire, mais
aussi à la petite enfance et au postsecondaire. Même son de cloche de la part de la Société
de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB, 2008, 2009) qui milite pour une « dualité
pleine et entière en éducation, [que ce soit pour] la maternelle, l’école ou les institutions
publiques d’études postsecondaires, collégiales ou universitaires » (2008, p. 1). Une telle
légalisation nous apparaît toutefois loin d’être faite.
Les établissements d’enseignement postsecondaire ont, tout comme les écoles primaires et
secondaires :
… un double mandat qui consiste à favoriser la culture française et la fierté
d’être francophone, en plus d’assumer un leadership rayonnant à l’extérieur
des murs de leurs établissements. De là l’importance pour le gouvernement
fédéral d’appuyer l’éducation postsecondaire comme les autres niveaux
d’enseignement. (Corbin et Buchanan, 2005, p. 59)
28
Ainsi, le but à atteindre, soit un « cheminement scolaire uniforme » (Corbin et Buchanan,
2005, p. 65) devrait inclure tout le processus de la naissance à la réception du diplôme
postsecondaire pour tous les enfants de la minorité linguistique. En ce sens, la Fédération
de la jeunesse canadienne-française (FJCF, 2009) dénonce les situations qui font en sorte
que les jeunes ont la sensation qu’il est très difficile de choisir un programme d’études
postsecondaires dans la langue de leur choix et dans le domaine qui les intéresse.
De fait, le jeune francophone qui ne souhaite pas quitter son milieu d’origine, mais qui veut
également poursuivre des études postsecondaires, n’a souvent d’autre choix que de partir à
cause d’une mauvaise répartition des formations francophones sur le territoire. Ce faisant,
la voie s’ouvre à une possible restructuration de l’identité et du sentiment d’appartenance
chez le jeune (Beaudin, Ferron et Savoie, 2007; Forgues, 2007; Garneau, Pilote et Molgat,
2010; Lamoureux, 2007; R. A. Malatest & Associates Ltd., 2002) qui pourrait être
différente si une formation francophone complète, de la petite enfance au postsecondaire,
était justement mieux répartir sur le territoire.
L’inégalité est effectivement apparente, alors que l’ébauche d’un portrait sommaire de tous
les programmes d’études francophones offerts dans les universités faisant partie de
l’Association des universités de la francophonie canadienne (AUFC), et que nous avons
nous-mêmes compilés en 200814
, démontre qu’il existe à ce jour treize (13) établissements
universitaires francophones hors Québec répartis dans six (6) provinces. C’est bien peu
lorsque l’on sait qu’il en existe environ quatre-vingt-dix (90) au Canada, toutes langues
confondues.
De ces treize (13) établissements, on dénombre neuf cent soixante-quinze (975)
programmes d’études offerts. Sur neuf cent soixante-quinze (975) programmes, on en
trouve sept cent cinquante-neuf (759) en Ontario (dont quatre cent cinquante-huit [458] à
l’Université d’Ottawa), cent soixante-deux (162) au Nouveau-Brunswick, vingt-neuf (29)
14
Pour compiler les données voulues, nous nous sommes basées sur la liste des établissements universitaires
francophones membres de l’AUFC. Une recherche minutieuse fut effectuée sur les sites Internet de chacune
des universités membres dans le but de regrouper tous les programmes francophones offerts hors Québec.
29
en Nouvelle-Écosse, treize (13) au Manitoba, neuf (9) en Alberta et trois (3) en
Saskatchewan. L’inégalité est aussi visible au premier cycle (six cent trente-sept [637]
programmes) par opposition au deuxième cycle (deux cent un [201]) et au troisième cycle
(cent trente-sept [137]). Pour ce qui est des domaines d’études, six cent quarante-six (646)
programmes sont dans les sciences humaines et sociales, deux cent vingt-quatre (224) sont
en sciences pures et appliquées et cent cinq (105) sont en sciences de la santé.
Tableau 1.3 : Somme globale par province et par université des programmes d’études
offerts en français au Canada (hors Québec)
Alberta Saskatchewan Manitoba Ontario Nouveau-
Brunswick
Nouvelle-
Écosse
Campus Saint-
Jean,
Edmonton = 9
Institut
français,
Régina = 3
Collège
universitaire de
Saint-Boniface,
Saint-Boniface
= 13
Université de Hearst, Hearst = 8
Université Laurentienne, Sudbury
= 105
Université de Sudbury, Sudbury =
20
Collège universitaire Glendon,
Toronto
= 29
Collège militaire royal du Canada,
Kingston = 50
Université d’Ottawa, Ottawa = 458
Université Saint-Paul, Ottawa = 71
Collège universitaire dominicain,
Ottawa
= 18
Université de
Moncton,
Moncton
= 162
Université
Sainte-Anne,
Pointe-de-
l’Église = 29
Total : 9 Total : 3 Total : 13 Total : 759 Total : 162 Total : 29
(Savoie, 2008, inédit)
30
Tableau 1.4 : Somme globale des cycles et des domaines d’études par cycle
Sciences humaines et
sociales
Sciences pures et
appliquées Sciences de la santé Total par cycle
1er
cycle15
46916
133 35 637
2e cycle
17 133 58 10 201
3e cycle
18 44 33 60 137
Total par domaine 646 224 105
(Savoie, 2008, inédit)
Force est de constater que l’offre de programmes est inégalement répartie sur le territoire,
entraînant, par le fait même, une migration quasi obligée pour les jeunes francophones en
situation minoritaire désireux de poursuivre des études postsecondaires dans un domaine
spécifique en français. Pourtant, tous les citoyens canadiens devraient pouvoir obtenir un
« cheminement scolaire uniforme » (Corbin et Buchanan, 2005, p. 65), et ce, « tout au long
de leur vie » (SANB, 2009, p. 9).
1.2.3 Position des communautés « majoritairement » francophones du
Nouveau-Brunswick
Nous venons de démontrer que les enjeux pour l’ensemble de la francophonie canadienne
sont également des problématiques très actuelles pour la francophonie du Nouveau-
Brunswick. Mais, qu’en est-il plus précisément des régions de la province où les
francophones sont regroupés majoritairement?
Tout d’abord, il appert que ces régions, situées dans les périmètres nord et est de la
province, sont plutôt rurales (J. Y. Thériault, 2007). De ce fait, elles tiennent le coup face à
l’assimilation, mais elles sont toutefois en déclin démographique et « sous-scolarisées en
15
Baccalauréats, baccalauréats à distance, programmes spécialisés (baccalauréats en cinq ans), programmes
combinés (Éducation), certificats, certificats offerts à distance et en ligne, diplômes, majeures, mineures,
licences (Droit), formations à l’enseignement/perfectionnements professionnels, programmes d’études
médicales du premier cycle. 16
Vingt (20) baccalauréats ne sont pas comptés, car programmes bilingues et trilingues. Deux (2) majeures,
deux (2) mineures et un (1) diplôme ne sont pas comptés, car programmes bilingues. 17
Maîtrises, diplômes postbaccalauréats, programmes à distance, diplômes d’études supérieures, certificats
d’études supérieures, programmes de perfectionnement, programmes de licence (Droit), certificats de
deuxième cycle, diplômes de deuxième cycle. 18
Doctorats, programmes de résidence (études médicales postdoctorales), programmes de Ph.D.
31
regard d’une moyenne canadienne. [De plus,] les régions à faible assimilation […] sont des
régions à faibles revenus » (J. Y. Thériault, 2007, p. 150).
… Quand nous restons dans les régions souches, nous résistons mieux à
l’assimilation, mais nous offrons peu de perspectives de réussites
personnelles à nos membres. On peut encore aller plus loin et dire que nos
communautés sont victimes du succès individuel de leurs membres. [Car] ce
sont les individus les plus dynamiques qui quittent leurs communautés pour
tenter l’expérience urbaine. (J. Y. Thériault, 2007, p. 152)
Les communautés francophones du Nouveau-Brunswick à forte présence francophone sont
donc privilégiées par rapport aux autres communautés francophones hors Québec en ce qui
a trait au phénomène de l’assimilation, mais elles subissent autrement des répercussions qui
pourraient tout aussi bien mettre leur développement et leur vitalité en péril. Par
conséquent, une démographie en déclin, de la sous-scolarisation et de faibles revenus sont
des enjeux certainement non négligeables auxquels sont aux prises les communautés du
Nouveau-Brunswick où les francophones sont regroupés majoritairement.
Pour nous mener à notre question de recherche ainsi qu’aux objectifs découlant de cette
question, il nous apparaît nécessaire de poursuivre le prochain chapitre avec une revue sur
la pertinence scientifique de notre étude.
Chapitre 2
Pertinence scientifique de la recherche
Ce mémoire s’intéressant de plus en plus clairement à la construction identitaire des jeunes
francophones du Nouveau-Brunswick provenant des régions à forte présence francophone,
nous introduirons, tout d’abord, des recherches qui s’intéressent à l’identité, l’objet de notre
étude.
2.1 Le concept d’identité dans toute sa complexité
Les recherches traitant de l’identité sont multiples, incluant celles effectuées en milieu
minoritaire francophone. En effet, au Canada, plusieurs chercheurs scientifiques tentent
d’analyser l’identité individuelle et collective des francophones en situation minoritaire.
Aux fins de ce travail, nous nous sommes concentrées à recenser des résultats de recherches
identitaires ciblant précisément les jeunes de la francophonie canadienne hors Québec.
L’organisation et la présentation d’une telle recension nous permettront de prendre position
et de justifier l’approche que nous prioriserons pour ce qui est de la notion d’identité chez
les jeunes francophones en situation minoritaire.
2.1.1 Avenir des francophones en situation minoritaire
Tout d’abord, la recherche semble dresser un destin différent pour les francophones en
situation minoritaire, selon qu’on la regarde sous un angle où les « structures sociales du
monde quotidien [sont] en interaction » (Mehan, 1982, p. 78) ou sous une perspective où la
subjectivité « des conduites des acteurs [est] le fondement de l’action sociale » (Weber,
2011, n. p.). Ainsi, Roger Bernard (1998), avec une vision plus interpersonnelle de la
construction sociale, présente un bilan plutôt négatif en ce qui a trait au sort réservé aux
francophones canadiens vivant hors Québec, face à leurs enjeux linguistiques et culturels, et
33
face à leur avenir. Celui-ci prédit l’assimilation complète des francophones en situation
minoritaire vers l’anglais et la non-survivance de leurs communautés (Bernard, 1998).
Après sa présentation de « l’état de la recherche sur les communautés francophones hors
Québec » (p. 9), Bernard (1998) conclut que les francophones en situation minoritaire,
malgré les efforts et la détermination dont ils font preuve, savent pertinemment que la
francophonie est en déclin au sein d’« un bilinguisme de plus en plus anglo-dominant »
(p. 212). Cazabon (2007), pour sa part, évoque également la notion d’assimilation chez les
francophones en situation minoritaire, mais il préfère en parler en termes de
« responsabilisation » de tout un chacun. Il met ainsi en garde contre des protestations
collectives à outrance :
… À mon avis, il y a surenchère à parler de l’assimilation parce que des
personnes vivent dans des conditions de bilinguisme soustractif, mais ces
conditions n’ont pas été organisées systématiquement dans l’intention de
subjuger(sic). Il n’en résulte pas des pratiques de tortures non plus. (Cazabon, 2007, p. 162)
Enfin, d’autres chercheurs (Deveau et Landry, 2007; Landry, Deveau et Allard, 2008;
Pilote, 2006, 2007a, 2007b; Pilote et Magnan, 2008a; Pilote et Molgat, 2010) optent pour
des recherches portant sur le phénomène identitaire selon une approche beaucoup plus
subjective où c’est l’acteur social qui construit la vie en société plutôt que de s’y
soumettre19
. Les résultats de leurs recherches apparaissent plus optimistes face aux enjeux
de la francophonie canadienne hors Québec et on n’y parle pas d’une fin en soi. Dans une
étude de Pilote (2007b) où elle a voulu vérifier si les jeunes francophones en situation
minoritaire préfèrent « suivre la trace ou faire leur chemin », il en ressort un désir de
reconnaissance individuelle en même temps qu’une volonté de prendre part à la vitalité
communautaire. Ainsi, selon Pilote (2007b), la construction identitaire étant un phénomène
complexe, les jeunes veulent prendre part à la vie collective, en même temps qu’ils
souhaitent obtenir une reconnaissance personnelle. C’est ainsi que se dessine l’avenir des
communautés francophones en situation minoritaire, alors que « l’identité se façonne, se
19
Cependant, il convient de préciser que, pour Deveau et Landry (2007), il y a primauté de la société sur
l’individu, alors qu’ils expliquent que l’assimilation est encouragée par ce « déterminisme social » (p. 115),
mais ils observent également une certaine « affirmation identitaire » (p. 115) favorisée par le fait que chaque
individu a la faculté d’agir avec indépendance.
34
modifie, se fragmente et se fragilise en fonction d’un processus continu de socialisation
complexe et diverse » (Deveau et Landry, 2007, p. 120).
2.1.2 Identité en pleine mouvance
Un fait important qui ressort dans les recherches de Cazabon (2007), Gérin-Lajoie (2001,
2007), Labrie (2010) et Pilote (2006) est la notion de mouvance identitaire. Ces chercheurs
insistent sur la constante mobilité de la structure identitaire. On ne naît pas avec une
identité fixée dans le temps. Comme Labrie (2010) l’explique, l’identité est construite de
façon variable et progressive. De plus, elle se meut au sein des rapports sociaux et
langagiers (Gérin-Lajoie, 2001, 2007). Elle comporte aussi plusieurs dimensions en
constante mouvance menant à une « construction sociale » (Cazabon, 2007). Selon Pilote
(2006), l’identité individuelle se construit dans une « négociation » en trois temps, soit
selon les circonstances, l’histoire et les ressources de la personne, et ce, sur des axes
temporel et relationnel. Dans une autre étude, Pilote (2007a) aborde de la même façon
l’identité collective. Elle précise, en ce sens, qu’il faut « éviter de tomber dans le piège
d’une identité francophone canadienne définie de manière homogène et immuable »
(p. 102).
Malgré la reconnaissance d’une identité qui bouge constamment, les institutions
gouvernementales et d’enseignement semblent pourtant maintenir une vision identitaire
uniforme pour les jeunes scolarisés (Labrie, 2010; Pilote, 2007a). Ainsi, Labrie (2010) s’est
interrogé sur les effets d’un « cadre de références identitaires figé » auquel se réfère le
ministère de l’Éducation de l’Ontario pour la formation et l’évaluation des jeunes à l’école.
Selon Labrie (2010), ce ministère est certes conscient qu’il y a une différence entre
« l’identité au singulier et les identités au pluriel » (p. 33), mais il s’en sort en s’exprimant
en faveur d’une identité singulière et homogène, atteignant du même coup le jeune désirant
se développer au-delà du projet collectif unique et inconditionnel de son institution
d’enseignement. Pilote (2007a), pour sa part, conclut qu’il y a tout de même un besoin
d’ouverture de la part de l’école afin de permettre une construction identitaire basée sur la
35
réflexion, l’échange et les enjeux communautaires des francophones plutôt que d’y aller
d’une transmission préétablie de l’identité. « L’école doit donc accepter que l’identité
collective ne soit pas définie une fois pour toutes. » (Pilote, 2007a, p. 102-103)
2.1.3 Identité complexe
Afin de comprendre toute la dynamique qui entoure le rapport à l’identité des jeunes
francophones en situation minoritaire ainsi que leur perception personnelle à propos de ce
« processus d’identification », Gérin-Lajoie (2007) démontre dans sa recherche, et tel que
mentionné au point précédent, l’existence d’un phénomène de mouvance au sein des
rapports sociaux et langagiers, mais aussi la complexité des parcours identitaires. En ce
sens, toujours selon Gérin-Lajoie (2007), une identité francophone constitue « un type de
rapport à l’identité parmi d’autres » (p. 48). Elle conclut que « l’école de langue française
en Ontario doit être repensée » (Gérin-Lajoie, 2007, p. 55) en prenant en considération la
diversité et la complexité identitaire de ses élèves ainsi que la « réalité anglo-dominante »
(p. 55) et multiculturelle qui les entoure.
À leur façon, les arts et le sport permettraient aussi aux jeunes d’apprivoiser leur
complexité identitaire. En effet, des chercheurs ont su démontrer que les arts et le sport sont
des disciplines essentielles au développement identitaire chez les jeunes. Dallaire (2007)
étudie l’impact des festivals sportifs sur l’identité des jeunes francophones vivant en
situation minoritaire. Selon elle, « le mariage du sport et de la promotion des identités
francophones minoritaires peut être fructueux » (Dallaire, 2007, p. 170). Les festivals
sportifs ne peuvent pas lutter directement contre l’anglicisation, mais ils peuvent, certes,
renforcer les liens et contribuer au rayonnement de la langue française (Dallaire, 2007).
Dans le même sens, O’Carroll (1993) est convaincu de l’importance du sport pour les
communautés acadiennes. Celui-ci explique que « les succès individuels servent à enrichir
l’image collective et, par conséquent, à renforcer l’identité acadienne » (p. 593). Théberge
(2007), pour sa part, s’est penchée sur l’éducation artistique pour explorer le concept
d’identité, la théorie d’autodétermination ainsi que le concept de « passeur culturel ». Il
36
ressort que les besoins fondamentaux d’appartenance, d’autonomie et de compétence sont
satisfaits lorsque les jeunes vivent des expériences artistiques. De plus, la création artistique
étant unique à chacun, « le sentiment de différence tout comme celui d’appartenance
contribue à [une] prise de conscience identitaire » (p. 26).
2.1.4 Identité bilingue
L’« identité bilingue » est un terme qui apparaît régulièrement parmi les recherches que
nous avons recensées (Cazabon, 2007; Deveau et Landry, 2007; Gérin-Lajoie, 2001;
Landry et al., 2008; Pilote, 2007a; Pilote, Magnan et Vieux-Fort, 2010). D’un côté, Landry
et al. (2008), dans une enquête pancanadienne auprès d’élèves du secondaire, ont dressé un
« profil sociolangagier » afin d’observer la « dominance identitaire » des jeunes sur un
continuum allant d’une « identité fortement francodominante [à une] identité fortement
anglodominante » (p. 4). Il ressort que l’identité bilingue fait partie de la réalité des jeunes
francophones minoritaires et qu’elle se situe quelque part sur ce continuum, entre les deux
identités dominantes (Landry et al., 2008). D’un autre côté, Cazabon (2007) explique que
même si les jeunes francophones en situation minoritaire disent avoir une identité bilingue
parce qu’ils sont capables de parler en anglais, ceux-ci n’ont pas réellement une « identité »
bilingue, car, toujours selon Cazabon (2007), on ne forme pas un groupe simplement en se
basant sur une langue. Gérin-Lajoie (2001), pour sa part, croit que l’identité bilingue prend
de multiples sens, selon chacun et selon les contextes, et qu’elle n’est pas nécessairement
synonyme d’abandon tant de la langue française que de l’attachement et la reconnaissance
ressentis envers la communauté francophone (voir aussi Dallaire et Roma, 2003; Pilote et
Magnan, 2008a). Pilote (2007a) abonde dans le même sens lorsqu’elle précise que, pour les
jeunes, le bilinguisme mène à se faire reconnaître au sein de « l’environnement
majoritaire » et il est une forme d’expression subjective.
… Les jeunes veulent être reconnus pour la totalité de ce qu’ils sont et non
seulement pour ce qu’ils devraient être. Si nous percevons, à travers ces
différentes significations, l’avantage du bilinguisme et un usage important
de l’anglais, il n’y a pas nécessairement un rejet du français. (Pilote, 2007a, p. 99)
37
2.1.5 Engagement identitaire
La langue française et le sentiment d’appartenance ne s’abandonnent donc pas
nécessairement à l’identité bilingue, et cet état de fait serait dû au niveau d’engagement
identitaire de la personne. Deveau, Allard et Landry (2008) définissent l’engagement
identitaire en tant que « disposition affective envers [l’]identité [francophone] » (p. 3). En
fait, pour qu’il y ait une identité ethnolinguistique, une personne doit, tout d’abord,
reconnaître appartenir à un regroupement, puis se sentir engagée émotionnellement envers
ce groupe; l’un ne va pas sans l’autre (Deveau et Landry, 2007). Le champ de recherche
relatif à l’engagement identitaire au sein de la francophonie minoritaire est très peu
développé. C’est pourquoi Deveau et Landry (2007) concluent que « la relation entre
l’engagement identitaire francophone et la position sur le continuum identitaire
endodominant-exodominant reste à étudier, surtout la relation avec l’identité bilingue »
(p. 128).
2.1.6 Influence de la famille et des amis
Enfin, l’impact du réseau familial et social sur la construction identitaire des jeunes
francophones en situation minoritaire n’est pas à négliger. Pour Gérin-Lajoie (2001), la
famille se situe au premier plan en ce qui a trait au positionnement des jeunes « face à la
langue et à leur appartenance de groupe » (p. 67). Premièrement, parce que ce sont les
divers liens sociaux qui contribuent à la construction identitaire et que ceux-ci s’amorcent
généralement dans le giron familial (Gérin-Lajoie, 2001). Puis, parce que le rapport
qu’auront les parents eux-mêmes envers le contexte particulier de la francophonie en
situation minoritaire déterminera également le type d’attachement et de reconnaissance que
les jeunes auront pour leur communauté francophone (Gérin-Lajoie, 2001). D’autre part, les
amis peuvent exercer une influence notable et favoriser grandement au fait que les jeunes se
façonnent aux usages de l’anglais ou non (Gérin-Lajoie, 2001). En effet, « le réseau d’amis,
qui constitue un prolongement du milieu familial, joue un rôle de socialisation
prépondérant durant l’adolescence et la jeunesse » (Bernard, 1998, p. 134).
38
2.1.7 Identité : éléments retenus
L’identité chez les jeunes est un thème qui attire grandement l’attention des chercheurs.
Nous avons vu, tout d’abord, que l’avenir des francophones en situation minoritaire peut
être perçu d’un œil pessimiste ou optimiste. Puis, nous avons constaté que des chercheurs
optent d’analyser l’identité en posant un regard plus général sur la vie en société, alors que
d’autres préfèrent la perspective de l’acteur social comme élément central. En fin de
compte, chaque auteur a sa façon de définir l’identité, mais plusieurs termes se rejoignent
ou sont pratiquement synonymes, alors que l’on suggère une identité complexe, multiple,
plurielle, sociale, objective, collective, contextuelle ou diversifiée, tout en étant singulière,
subjective ou individuelle à chacun. L’identité est également perçue comme étant en pleine
mouvance, changeante, variable, progressive, mobile ou dynamique. Qui plus est, avant
l’école, la famille est celle qui permet une première passation culturelle et identitaire chez
les jeunes, et, simultanément, ces derniers tentent d’y aller de leur propre perception.
Idéalement, un équilibre s’installe entre la construction d’une identité collective et
individuelle offrant à chaque jeune un parcours unique. Dans cette perspective, plusieurs
chercheurs expliquent cette nécessité de reconnaître le caractère unique de chacun et
l’importance de porter une attention particulière à la condition unique de chaque
communauté, y compris les communautés francophones en milieux minoritaires.
Des recherches sur l’identité, ce que nous retenons pour ce travail est la recherche
d’harmonie chez le jeune entre l’identité collective et individuelle (Pilote et Magnan,
2008a) et où l’acteur social en est l’élément central (Gérin-Lajoie, 2007; Landry et al.,
2008; Pilote, 2006, 2007a, 2007b; Pilote et Magnan, 2008a, 2008b; Pilote et Molgat, 2010).
Nous l’avons vu, la construction identitaire est un phénomène complexe (Gérin-Lajoie,
2007; Pilote, 2007b) et puisqu’elle est constamment influencée par les contextes, les
interactions et l’environnement, l’identité est également variante et mobile (Cazabon, 2007;
Gérin-Lajoie, 2007; Labrie, 2010; Pilote, 2006). De fait, chaque jeune effectue un
cheminement propre à lui-même, tout en tenant compte des objectifs communs de sa
communauté (Pilote, 2007b).
39
Pour conclure, en ce qui a trait à la construction identitaire des jeunes francophones en
situation minoritaire, nous constatons que très peu de recherches se sont intéressées
spécifiquement aux francophones des régions majoritairement francophones du Nouveau-
Brunswick. En effet, les études néo-brunswickoises sont surtout menées dans des milieux
où la population francophone est beaucoup moins nombreuse, telles que les études de Pilote
(2007a, 2007b) dans la région de Fredericton, au Nouveau-Brunswick, une région
majoritairement anglophone. Ou bien, elles sont menées plus globalement, telles que les
études de Deveau et Landry (2007) qui touchent les milieux francophones en situation
minoritaire de partout au Canada. Pourtant, « le défi des francophones des milieux
minoritaires est titanesque, sinon impossible à relever, et il demeure énorme même dans des
milieux où les francophones ne sont pas minoritaires » (Bernard, 1998, p. 135). La présente
recherche suscite un intérêt en ce sens, du fait que nous avons choisi un corpus composé
uniquement d’étudiants universitaires francophones du Nouveau-Brunswick originaires de
milieux à plus forte concentration de francophones, soit à plus de 90 % de la population. Il
appert que toutes ces régions se retrouvent au nord de cette province. Une telle instigation
vient donc répondre à notre curiosité de reconnaître la diversité ou la régularité du
phénomène identitaire chez les jeunes pour cette partie spécifique de la population
francophone en situation minoritaire du Canada.
2.2 Vitalité communautaire
La recension d’écrits sur l’identité des jeunes provenant de milieux francophones
minoritaires nous a menées à plusieurs reprises au concept de « vitalité communautaire ».
C’est une notion qui a conquis les écrits sociaux et scientifiques concernant la francophonie
en situation minoritaire et il existe diverses façons de l’interpréter (Gilbert et Lefebvre,
2008). En nous inspirant de l’interprétation qu’en ont faite certaines recherches, nous
élaborons notre propre cadre d’interprétation du concept de vitalité communautaire. Une
telle élaboration nous offrira une meilleure compréhension pour ce qui est du
développement des communautés francophones en situation minoritaire.
40
Tout d’abord, « la vitalité est une caractéristique englobant l’ensemble de la vie
communautaire qui peut être envisagée soit comme un état, soit comme un processus de
développement » (Johnson et Doucet, 2006, p. 18). De plus, elle « s’observe au niveau
individuel (vitalité subjective) ou au niveau collectif » (Johnson et Doucet, 2006, p. 65).
Cette vitalité communautaire représente un grand défi pour les communautés francophones
hors Québec (Johnson et Doucet, 2006), dont l’objectif est de maintenir ou d’atteindre une
forte vitalité ethnolinguistique (Pilote et Molgat, 2010). Le concept de « vitalité
ethnolinguistique » est, en effet, beaucoup employé au sein des recherches sur la
francophonie en situation minoritaire. Il relie « les dimensions linguistique et culturelle »
(Johnson et Doucet, 2006, p. 19) d’un groupe ou d’une communauté. Comme Landry et
Allard (1999) le mentionnent, « l’identité francophone […] est le produit d’un processus de
socialisation […], y compris l’identité ethnolinguistique » (p. 410) qui est
fondamentalement composée de l’expérience linguistique et culturelle de la personne.
« L’organisation sociale […] devient [ainsi] garante de la vitalité de la minorité
ethnolinguistique » (Landry et Allard, 1999, p. 406). En effet, incontrôlée, une organisation
sociale pourrait voir disparaître son caractère unique qui l’anime et la différencie des autres
groupes, et, par le fait même, se faire assimiler linguistiquement et culturellement (Landry
et Allard, 1999). Enfin, selon Gilbert et Lefebvre (2008), la vitalité des communautés
francophones en situation minoritaire dépend, à la base, des actions individuelles de chacun
des membres, de leur attachement et leur reconnaissance ressentis à l’égard de leur
communauté, puis du type de milieu dans lequel cette communauté s’intègre, c’est-à-dire
des relations minoritaires et majoritaires environnantes.
Tel que susmentionné au début du premier chapitre, la répartition inégale des francophones
fait en sorte que les communautés en situation minoritaire sont hétérogènes. Ainsi, leur
vitalité varie d’un « territoire » à l’autre (Johnson et Doucet, 2006). Le développement des
communautés francophones en situation minoritaire ne dépendrait donc pas seulement du
nombre d’habitants dans chaque communauté, mais aussi de la vitalité ethnolinguistique
qui l’anime (Landry et Allard, 1999). Qui plus est, la vitalité ethnolinguistique, tout comme
la construction identitaire, est en constante évolution puisque, comme nous venons de le
41
voir, elle dépend de l’individu, de la communauté et de l’environnement (Gilbert et
Lefebvre, 2008), ces derniers étant naturellement eux-mêmes en constante évolution.
2.3 Migration
Notre recension d’écrits sur l’identité des jeunes provenant de milieux francophones
minoritaires nous a également menées à découvrir plusieurs recherches portant sur la
migration, une expérience qui représente une réalité commune pour plusieurs jeunes
(Beaudin et al., 2007) et une période charnière dans la vie en termes de construction
identitaire (Beaudin, 2010; Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier, 2010; Pilote, Gallant,
Leblanc et Villeneuve, 2010). De fait, les établissements d’enseignement n’étant pas
nécessairement à proximité, la migration semble être un phénomène courant pour les jeunes
francophones en situation minoritaire qui désirent poursuivre des études postsecondaires en
français. La mobilité géographique faisant partie des enjeux majeurs chez les francophones
en situation minoritaire, nous avons déjà quelque peu abordé le concept de migration au
début de ce travail. Que disent de plus les chercheurs à ce sujet?
Tout d’abord, précisons que le « migrant-type au Canada est au début de la vingtaine,
demeure dans une petite communauté ou petite ville, est célibataire et est généralement plus
instruit ou en voie de le devenir » (Beaudin et al., 2007, p. v).
Par rapport au phénomène migratoire, rappelons-nous que ce sont les francophones en
situation minoritaire vivant dans les régions éloignées des grands centres qui vivent plus de
départs que d’arrivées (Beaudin et al., 2010). Ainsi, quoique la migration chez les jeunes ne
soit pas spécifique aux régions rurales et périphériques, ce sont ces types de régions qui
affichent statistiquement le plus bas pourcentage de retour de la part des jeunes (R.A.
Malatest et Associates Ltd, 2002). Mais, tout de même, retour il peut y avoir et c’est
pourquoi Garneau (2003) admet que « la migration est considérée ici comme un processus
dynamique et réversible et non comme un phénomène statique et définitif » (p. 94). C’est
aussi pour cette raison qu’à la suite du Groupe de recherche sur la migration des jeunes
42
(Potvin, 2000; Gauthier, Côté, Molgat et Deschenaux, 2003), Beaudin et Forgues (2008)
insistent sur le terme « migration » plutôt qu’« exode », ce dernier désignant un départ sans
retour possible. De plus, ces départs présentent un plus grand risque pour les migrants
francophones minoritaires en termes de culture et de langue (Pilote et Richard, à paraître),
car elles sont annonciatrices d’une utilisation plus fréquente de l’anglais comme langue
d’usage et d’une disparition de la culture, alors qu’il y a, plus souvent qu’autrement, le
passage d’un milieu majoritairement francophone vers des milieux où l’anglais est
davantage utilisé dans l’environnement social (Beaudin et Landry, 2003; Johnson et
Doucet, 2006). Ces départs ont également tendance à augmenter les liaisons amoureuses
exogames (Beaudin et Forgues, 2008; Bernard, 1998; Lafontant et Thibault, 2000; Landry
et Allard, 1997). Bref, l’éloignement de son lieu d’origine et l’assimilation dans un
nouveau milieu d’accueil favorisent la restructuration de l’identité et du sentiment
d’appartenance chez le jeune (Beaudin et al., 2007; Forgues, 2007; Garneau, Pilote et
Molgat, 2010; Lamoureux, 2007; Pilote et Magnan, inédit; R. A. Malatest et Associates
Ltd, 2002).
Plusieurs recherches ont concentré leurs efforts afin de cerner les répercussions de la
migration des jeunes sur la vitalité des communautés. Beaudin et al. (2007), Garneau
(2003) et Potvin (2000) affirment que, malgré les expériences migratoires, le sentiment
d’appartenance envers la région d’origine demeure fortement présent. Gauthier, Molgat et
Côté (2001) ainsi que Roy (1997) abondent dans le même sens en affirmant que les jeunes
se représentent plutôt positivement leur milieu d’origine. Gauthier et al. (2003) en
concluent que la plupart des jeunes choisissent de poursuivre leurs études et non de quitter
leur communauté d’origine. De plus, Gauthier (1997) perçoit la migration des jeunes
comme une « partie du processus même de l’entrée dans la vie adulte » (p. 106).
Néanmoins, une fois partis, certaines dispositions deviennent indispensables pour que les
jeunes considèrent sérieusement de retourner dans leur région d’origine (Gauthier et al.,
2001), ce qui crée, pour la plupart, un réel dilemme entre appartenances et ambitions
personnelles futures (Pilote et Brier, 2010). Simard (2006) ajoute, en ce sens, que le lieu
d’origine étant « porteur de valeurs symboliques et de souvenirs, [celui-ci] demeure un lieu
fréquenté régulièrement lors des périodes de vacance ou de ressourcement » (p. 437). Mais,
43
pour avoir l’intention d’y retourner pour de bon, c’est une tout autre histoire : les jeunes
pencheraient plus pour des facteurs rationnels que pour des facteurs affectifs (Ramos,
2006). En d’autres mots, il n’en tient pas qu’au sentiment d’appartenance pour assurer un
retour définitif au lieu d’origine. Plusieurs motifs entrent en ligne de compte (Dupuy,
Mayer et Morissette, 2000; Roy, 1997), tels que l’obtention d’un emploi et les conditions
sociales offertes par le milieu (Côté, 1997), créant un sentiment d’ambivalence chez les
jeunes qui sont en situation de migration (Simard, 2006).
Alors que la plupart des recherches, tout comme le discours commun, abordent surtout les
conséquences de la migration des jeunes sur la vitalité communautaire, et ce, de façon
négative ou problématique (Assogba, Fréchette et Desmarais, 2000; Pilote et Molgat,
2010), Assogba et al. (2000), Gauthier et al. (2003) ainsi que Pilote et Molgat (2010)
s’intéressent au point de vue des jeunes sur leur vécu migratoire. Deux autres études vont
dans le même sens, soit celles de Beaudin et al. (2007) et de Lamoureux (2007) où l’on
s’intéresse véritablement au parcours de migration des jeunes dans une optique de
cohérence pour le jeune (Pilote et Molgat, 2010). Ce mémoire prend une telle direction en
considérant plutôt l’opinion de jeunes universitaires francophones du Nouveau-Brunswick
qui ont été interrogés.
Qu’en est-il des études sur la migration qui ont été faites précisément auprès des jeunes
étudiants universitaires francophones du Nouveau-Brunswick? Tout d’abord, Pilote et al.
(2010), dont l’idée centrale de leur étude est d’en arriver à une compréhension du
fonctionnement de la société à partir des jeunes et de leurs choix individuels en matière de
mobilité, présentent deux types de migrants : les « migrants de retour » et les « migrants
urbanisés ». Les auteurs expliquent « que la transition vers la vie adulte et l’expérience de
la migration elle-même contribuent à façonner les parcours » (p. 11). Les migrants de retour
ont toutefois la caractéristique de préserver un attachement manifeste envers leur région
d’origine alors que les migrants urbanisés démontrent une ouverture à tout ce qui pourrait
se présenter à eux, sans être encore convaincus du lieu de destination finale. Pilote et Brier
(2010), pour leur part, ont déterminé, à partir d’une étude auprès de jeunes francophones de
la région de Gloucester, au Nouveau-Brunswick, que le choix de migrer ne se fait pas sans
44
« compromis » et qu’il mène à une situation nécessitant de choisir entre deux solutions
contradictoires : sentiment d’appartenance et ambitions personnelles futures. Comme
mentionné précédemment, Beaudin et al. (2010) précisent que le solde migratoire pour les
jeunes de la province est négatif; ces derniers « contribuent pour une part importante au
déficit migratoire de la province » (p. 26). De plus, en comparant les non-migrants avec les
migrants, Beaudin et al. (2010) sont capables de déterminer qu’il y a plus de migrants que
de non-migrants qui détiennent un diplôme universitaire. D’un autre côté, les résultats d’un
sondage effectué en 2006-2007 auprès de jeunes migrants et non-migrants de la Péninsule
acadienne (Beaudin, 2010) démontrent de façon explicite « que le fait d’avoir vécu à
l’extérieur pour un certain temps procure des avantages au plan économique » (p. 28). À
partir du même sondage, Beaudin (2010) ressort également qu’au moins la moitié des
jeunes migrants résidaient en dehors de la province au moment de la compilation des
données; une constatation qui surprend puisque « trois quarts des migrants francophones du
nord du Nouveau-Brunswick optent pour le sud de la province, en particulier le sud-est »
(p. 28). Beaudin (2010) propose comme hypothèse qu’à la suite d’une première migration
de la Péninsule acadienne, il y aurait ensuite des départs pour d’autres provinces.
Nous avons vu que, sans être exclusive aux jeunes francophones de milieu minoritaires, la
migration représente un enjeu non négligeable pour les communautés francophones,
notamment pour celles qui sont éloignées des grands centres. La migration peut être vécue
comme un passage obligé par certains jeunes francophones minoritaires qui désirent
poursuivre des études postsecondaires, mais il appert également qu’elle se traduit en un
besoin de mobilité ressenti par la plupart des jeunes, comme un processus normal dans le
passage à la vie adulte. Tenter de freiner cet élan naturel va à l’encontre du respect des
jeunes et de leurs expériences de vie. Il est vrai que l’expérience migratoire favorise la
restructuration de l’identité ainsi que du sentiment d’appartenance du jeune qui a migré,
mais les représentations du milieu d’origine, qu’elles soient positives ou négatives, sont un
déterminant important dans le désir d’y retourner ou non après les études.
45
2.3.1 Migration : éléments retenus
Expérience commune pour plusieurs jeunes (Beaudin et al., 2007), la migration fait aussi
partie de la réalité des jeunes francophones en situation minoritaire. Les chercheurs
partagent la perspective migratoire entre deux conceptions principales : les conséquences
possibles sur les communautés, surtout celles qui sont les plus éloignées des grands centres,
et l’impact qu’elle a sur les jeunes alors qu’ils sont à une période charnière de leur vie
(Beaudin, 2010; Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier, 2010; Pilote et al., 2010).
Reconnaissant la complexité de ce phénomène, les effets de la migration sur la vitalité
communautaire (Assogba et al., 2000; Beaudin et al., 2007; Garneau, 2003; Gauthier,
1997; Gauthier et al., 2003; Gauthier et al., 2001; Pilote et Brier, 2010; Potvin, 2000; Roy,
1997; Simard, 2006) ne peuvent être négligés, mais aux fins de cette recherche, notre
position se résume à analyser le point de vue de jeunes francophones provenant de milieux
minoritaires, en ce qui a trait à leur mobilité (Assogba et al., 2000; Gauthier et al., 2003;
Pilote et Molgat, 2010). Cela dit, nous nous intéressons particulièrement à cette nouvelle
approche théorique sur la « sociologie des mobilités » qui considère les stratégies et les
actions portées par les jeunes dans l’orientation de leurs parcours personnels (Pilote et
Molgat, 2010). La migration, en ce sens, devient plus que de la migration à proprement
parler; elle contribue à la construction identitaire du jeune. En fait, tout comme Pilote et
Molgat (2010) le mentionnent, il devient nécessaire d’aller au-delà de l’étude des
migrations pour tenir compte des différentes facettes de la notion de mobilité que vivent les
jeunes francophones du pays. On ne peut tenter à tout prix de retenir ou de ramener les
jeunes dans leurs milieux d’origine au seul profit du maintien ou de l’atteinte d’une forte
vitalité ethnolinguistique (Pilote et Molgat, 2010). Les jeunes sont certes des acteurs
importants de leurs milieux, mais ils sont aussi et surtout les acteurs de leurs propres
parcours (Assogba et al., 2000; Gauthier et al., 2003; Pilote et Molgat, 2010).
2.4 Éducation postsecondaire
Nous avons vu que le choix de partir pour les jeunes francophones en situation minoritaire
est souvent associé au désir de poursuivre des études postsecondaires. Il nous semble donc
46
fort pertinent de tenter de comprendre ce que vivent ces jeunes lors d’une telle étape de vie,
alors qu’ils quittent leur milieu d’origine pour poursuivre des études postsecondaires. Que
disent les recherches à ce propos?
La tournée fut brève. Les écrits scientifiques concernant l’éducation postsecondaire en
milieu minoritaire sont peu développés et on le dit à l’intérieur même des quelques écrits
que nous avons pu retracer. Ainsi, selon Pilote et Magnan (2008a), la route est encore
longue et, bien que des pistes de solution aient été proposées lors des consultations menées
par le Comité sénatorial, il est nécessaire d’approfondir les recherches afin de déterminer
« les meilleures options » (p. 292). Labrie (2007), pour sa part, mentionne qu’« il y a
préséance de la recherche sur l’enseignement primaire et secondaire au détriment du
collégial et de l’universitaire. De ce fait, il existe un besoin important de recherche sur la
scolarisation des jeunes francophones aux niveaux collégial et universitaire » (p. 7; voir
aussi Pilote et Magnan, 2008b). Labrie et al. (2009) reconnaissent, de leur côté, qu’un
nombre infime de recherches se sont penchées sur le choix d’études postsecondaires que
font les jeunes canadiens en situation minoritaire. Leur recherche quantitative auprès de la
jeunesse franco-ontarienne et anglo-québécoise nécessiterait, selon eux, des études
comparables au sein des autres provinces canadiennes (Labrie et al., 2009). Enfin, Allard,
Landry et Deveau (2009) expliquent qu’« une recension récente de la littérature sur les
aspirations éducationnelles des élèves en milieu minoritaire francophone, sur les facteurs
liés à ces aspirations et à l’intention d’entreprendre des études postsecondaires, et sur les
facteurs liés à l’intention de faire ces études en français montre que relativement peu
d’études empiriques ont été faites sur ces sujets » (p. 15). Leur enquête pancanadienne a
démontré que les variations entre les régions sont assez importantes quant au choix de
poursuivre ou non des études postsecondaires en français chez les jeunes francophones en
situation minoritaire du secondaire. En effet, une majorité de jeunes francophones du
Nouveau-Brunswick (71,4 %) et de l’Ontario (57,2 %) souhaite poursuivre des études
postsecondaires en français, alors que le taux devient minoritaire pour les régions de
l’Ouest/Nord (42,7 %) ainsi que pour celle de l’Atlantique (35,6 %) (Allard et al., 2009).
47
Qui plus est, en faisant brièvement le tour d’une bibliographie sur les jeunes dans la
francophonie canadienne (Pilote et Vieux-Fort, 2009) qui comporte plus de six cents (600)
références de 1998 à 2009, nous remarquons, premièrement, qu’il y a peu d’écrits qui
ressortent par rapport au postsecondaire; ce qui n’est tout de même pas étonnant après ce
qui vient d’être mentionné précédemment concernant la rareté des écrits scientifiques sur le
sujet. Ainsi, il y a plus de recherches qui ont été effectuées sur les études postsecondaires
au Québec qu’il y en a dans les communautés francophones en situation minoritaire, ce qui
souligne davantage la nécessité d’approfondir les recherches en ce sens pour ces
communautés de milieux francophones minoritaires. Enfin, par rapport au thème de
l’éducation en général, les références répertoriées concernent principalement le niveau
d’éducation secondaire. Ainsi, sans mettre de côté le secondaire, il apparaît important de
concentrer les efforts de recherche vers les autres niveaux d’études. Pilote et Magnan
(inédit) expliquent bien une telle nécessité vis-à-vis les études postsecondaires :
… À l’ère de la ‘société du savoir’, il est essentiel de développer des
connaissances sur la fréquentation collégiale et universitaire des minorités
de langue officielle afin de s’assurer que tous les groupes linguistiques
puissent participer à l’essor des nouvelles orientations économiques du
pays, tout en contribuant au développement de leur communauté
linguistique respective. (p. 3)
Une des rares et une des premières recherches qualitatives à avoir été effectuée au
postsecondaire chez de jeunes francophones en milieu minoritaire est celle de Lamoureux
(2007, 2009). Plus précisément, cette recherche (Lamoureux, 2007) menée auprès de
quinze élèves diplômés d’une école secondaire de langue française en milieu minoritaire en
Ontario examine l’expérience de transition de l’école secondaire à l’université. Il faut
toutefois avouer que l’appartenance à une institution postsecondaire était tout de même très
précoce pour les participants puisque sur les dix-huit mois de la cueillette des données,
seules les huit dernières semaines se sont déroulées en milieu universitaire. Mais compte
tenu du nombre restreint de recherches sur le sujet, les résultats ressortant de cette étude
retiennent tout de même notre attention. Ainsi, Lamoureux (2007, 2009) explique que c’est
selon la nature et la qualité des programmes offerts, tout en prenant en considération
48
l’éloignement géographique, que les élèves vont faire leurs choix d’études postsecondaires.
Elle ajoute que « pour ces jeunes bilingues scolarisés dans des écoles de langue française en
milieu minoritaire, le passage au postsecondaire suppose un repositionnement sur le plan de
l’identité linguistique peu importe la langue d’enseignement du milieu postsecondaire »
(Lamoureux, 2009, p. 8). En conclusion, Lamoureux (2007) constate que « cette
confrontation d’ordre social peut avoir d’importantes répercussions sur la perception de soi
ainsi que sur l’intégration académique puisqu’elle porte atteinte au modèle de succès
individuel » (p. 287). La chercheuse (Lamoureux, 2009) réitère, à son tour, la nécessité de
produire d’autres études quantitatives et qualitatives relativement aux jeunes francophones
en situation minoritaire, sur les différentes expériences vécues lors des études
postsecondaires.
Plus récemment, les recherches qualitatives de Garneau et al. (2010) et de Pilote et Magnan
(sous presse) se sont, pour leur part, concentrées entièrement à l’analyse de données
concernant la période des études postsecondaires chez les jeunes francophones en situation
minoritaire. Elles se sont appliquées à étudier la construction identitaire chez de jeunes
étudiants universitaires provenant des minorités linguistiques officielles au Canada. Pour
Garneau et al. (2010), les résultats de leur étude démontrent que l’expérience de mobilité
chez le jeune contribue à la restructuration de son identité et du type d’attachement et de
reconnaissance qu’il ressent envers sa communauté d’origine. Comme nous l’avons vu
dans la partie sur la migration, ces résultats sont aussi partagés par d’autres chercheurs
(Beaudin et al., 2007; Forgues, 2007; Lamoureux, 2007; Pilote et Magnan, inédit; R.A.
Malatest et Associates Ltd, 2002). Enfin, pour Pilote et Magnan (sous presse), l’analyse
identitaire des jeunes par l’entremise de leurs parcours peut mener à mieux comprendre la
socialisation et comment se construit leur identité.
2.5 Domaine de recherche nécessaire et pourtant restreint
Pour conclure cette revue des écrits, nous retenons l’insistance des chercheurs sur
l’importance de poursuivre les recherches autant sur la construction identitaire que sur
49
l’éducation des jeunes francophones en situation minoritaire. Pilote et Magnan (2008a)
soulignent que la problématique sur les identités, tant collectives qu’individuelles, devrait
être priorisée par les analyses sociologiques sur l’éducation en milieu minoritaire. Dallaire
et Roma (2003) souhaitent également que les études se poursuivent à propos des choix et
des habitudes des jeunes francophones, notamment dans le but d’accroître la
compréhension sur leur façon de composer avec l’abondance des choix identitaires qui leur
incombent d’effectuer et sur la manière de prendre en charge leur propre francité.
Dans un contexte comme celui des francophones en situation minoritaire, nous sommes
loin d’avoir atteint un point de saturation en ce qui a trait aux recherches en ce sens. En fait,
nous l’avons vu du côté de la pertinence scientifique où l’on y souligne notamment le
besoin de poursuivre les recherches sur les études postsecondaires auprès des jeunes
francophones en milieu minoritaire puisque les données existantes sont plutôt rares. Le
terme « rare » ici ne désigne certes pas l’absence de problématiques puisqu’il est clair pour
les chercheurs susmentionnés qu’elles sont bel et bien présentes, alors qu’ils croient en la
nécessité d’étudier la question de plus près. Sans avoir des résultats de recherches pouvant
démontrer que celles-ci abondent dans le même sens que ce qui ressort pour la pertinence
sociale, nous ressentons l’urgence d’agir émise de la part des chercheurs et qui rejoint, par
le fait même, le discours des organismes, associations et autres qui pressent les
gouvernements et les institutions d’ajuster les stratégies éducatives et identitaires mises en
place afin d’assurer le maintien d’une vitalité communautaire au sein de la francophonie
minoritaire canadienne.
Bien entendu, il y a les recherches quantitatives de Allard (2005), Allard et al. (2009),
Landry et Allard (1997) ainsi que Landry, Deveau et Allard (2006, 2008) auprès de jeunes
du secondaire, puis il y a les recherches en Ontario de Labrie et al. (2009) ainsi que de
Lamoureux (2007) auprès de jeunes qui sont en plein passage du secondaire à l’université.
Mais là où notre humble contribution devient intéressante, c’est du fait que, tout comme
Garneau et al. (2010) ainsi que Pilote et Magnan (sous presse), notre recherche qualitative
rejoint les jeunes francophones en situation minoritaire qui sont déjà aux études
postsecondaires et qu’elle examine les liens qu’il peut y avoir entre la langue de la minorité,
50
les expériences de mobilité, le sentiment d’appartenance et la construction identitaire. De
plus, notre étude permet un apport original au champ de connaissances sur les francophones
en situation minoritaire au Canada du fait qu’elle cible les jeunes provenant de milieux
francophones minoritaires du Nouveau-Brunswick où les francophones sont regroupés
majoritairement. La présente recherche vient donc s’ajouter au nombre restreint d’études
auprès de jeunes francophones en situation minoritaire lors de leur passage au
postsecondaire. Comme nous l’avons vu tout au long de ces deux premiers chapitres, il est
nécessaire que l’on s’y penche pour le maintien et le développement de la culture française,
et pour l’équilibre personnel de chacun.
2.6 Problème spécifique
Dans ce vaste pays ayant le français et l’anglais comme langues officielles, les enjeux de la
francophonie canadienne hors Québec viennent clairement compromettre le développement
et la vitalité de cette dernière. En effet, il fut démontré que des enjeux, tels que la dispersion
démographique, le vieillissement de la population, l’assimilation et la mobilité
géographique constituent un problème social majeur pour les communautés francophones
en situation minoritaire. Tant dans le discours commun qu’au sein des recherches
scientifiques, les revendications sont nombreuses pour un meilleur développement
identitaire de la relève francophone du pays.
Intégré dans cette problématique générale, notre problème s’intéresse de façon plus
particulière aux communautés francophones du Nouveau-Brunswick, la seule province
officiellement bilingue. Nous avons vu que ces communautés font face aux mêmes enjeux
que leurs homologues des autres provinces. Par ailleurs, malgré un fort sentiment
d’appartenance qui semble se démarquer du reste de la francophonie canadienne hors
Québec, les communautés francophones du Nouveau-Brunswick à forte présence
francophone sont en position défavorable en ce qui a trait au déclin démographique, à la
sous-scolarisation et à la faiblesse des revenus en raison de leur situation géographique
éloignée des grands centres. Seule l’assimilation leur est moins éprouvante.
51
Sachant que les communautés du Nouveau-Brunswick où les francophones sont regroupés
majoritairement « sont victimes du succès individuel de leurs membres » (J. Y. Thériault,
2007, p. 152), alors que les plus motivés sont plus enclins à partir, ce n’est pas tant
l’identité collective de ces communautés qui nous intéresse pour cette étude que la
construction identitaire individuelle des jeunes originaires de ces dites communautés. En ce
sens, à l’instar de Pilote et Magnan (sous presse) ainsi que de Garneau et al. (2010), nous
nous intéressons encore plus spécifiquement aux jeunes qui sont en situation de mobilité
pour leurs études postsecondaires. En effet, expérience commune pour plusieurs jeunes
(Beaudin et al., 2007) et période charnière dans la vie en matière de construction identitaire
(Beaudin, 2010; Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier, 2010; Pilote et al., 2010), le
phénomène de migration chez les jeunes francophones représente un problème de taille
pour la minorité francophone en contexte rural, alors qu’il y a plus de départs que
d’arrivées (Beaudin et al., 2010). Qui plus est, l’angle de recherche où l’acteur social est le
centre d’intérêt nous interpelle, alors que, comme Pilote (2006) le mentionne, « la société
est […] vue comme une entité hétérogène et mouvante, travaillée de l’intérieur par des
individus qui sont eux-mêmes influencés par la société » (p. 42). Il est donc intéressant et
pertinent d’analyser la situation des régions les plus francophones du Nouveau-Brunswick
sous cet angle.
Par conséquent, en ce qui a trait à la construction identitaire des jeunes francophones en
situation de mobilité, originaires des régions majoritairement francophones du Nouveau-
Brunswick, leurs expériences migratoires motivées par les études postsecondaires ont-elles
pour résultat de créer un moment de choix et un processus réflexif marquants qui
engendreraient une étape identitaire importante dans leur vie? Comment s’organise, pour
chacun, l’équilibre entre la construction d’une identité collective et individuelle? Étant
originaires de régions où les francophones sont regroupés majoritairement, s’identifient-ils
tous en tant que francophones émotionnellement engagés? De quelle façon se définissent-
ils en rapport avec l’identité acadienne telle qu’ils se la représentent collectivement?
52
Notre problème de recherche spécifique se pose donc ainsi : Comment les jeunes
originaires de régions majoritairement francophones du Nouveau-Brunswick construisent-
ils leur identité lors d’une expérience de mobilité dans la poursuite d’études universitaires?
2.7 Objectifs de recherche
Cette recherche a pour objectif général d’en savoir un peu plus sur la construction
identitaire des jeunes francophones en situation minoritaire lors des études postsecondaires,
et ce, par l’entremise d’une enquête de récits biographiques auprès de jeunes étudiants
universitaires francophones en situation de mobilité, originaires de régions du Nouveau-
Brunswick où les francophones sont regroupés majoritairement.
Trois objectifs de recherche découlent du problème spécifique que nous venons de poser :
― définir l’identité acadienne dans une représentation collective;
― décrire les parcours individuels et le rapport à l’identité acadienne des jeunes étudiants
universitaires francophones; et enfin,
― analyser les différentes façons de gérer les tensions relativement à ce groupe
linguistique qui leur est particulier.
2.8 Postulat
À la lumière des propositions retenues dans le premier chapitre de ce travail, nous faisons
le postulat que le rapport à l’identité acadienne des jeunes francophones en situation
minoritaire se rattache essentiellement à la représentation qu’ils se font de leur communauté
d’origine, conjointement à leur personnalité propre. En d’autres mots, le rapport à l’identité
acadienne varierait selon les diverses perceptions des jeunes quant à leur sentiment
d’appartenance à leur milieu d’origine et à leur besoin de vivre leurs propres expériences de
vie. De fait, malgré que nos jeunes étudiants universitaires participants soient tous des
francophones minoritaires ayant grandi dans une région majoritairement francophone du
Nouveau-Brunswick, nous nous attendons à des résultats d’analyse diversifiés.
Chapitre 3
L’identité acadienne
Quel calme dans les champs! Plus de gais laboureurs.
La haine des méchants jadis les a chassés, comme, au
bord d'une grève, quand octobre est venu, l'ouragan
qui s'élève chasse et disperse au loin, sur l'onde ou les
sillons, des feuilles et des fleurs les légers tourbillons.
Grand-Pré n'existe plus; nul n'en a souvenance; mais
il vit dans l'histoire, il vit dans la romance. […] C’est
un poème doux que le cœur psalmodie, c’est l’idylle
d’amour de la belle Acadie!
(Extrait du poème Évangéline de Henry Wadsworth Longfellow, 1847,
traduction française de Pamphile LeMay [1837-1918])
Nous l’avons vu, l’identité est mouvante dans le temps (Cazabon, 2007; Gérin-Lajoie,
2007; Labrie, 2010; Pilote, 2006); elle se construit selon les contextes, sur des axes
temporel et relationnel (Pilote, 2006). Alors que la dimension linguistique semble prévaloir
dans la société acadienne actuelle, des repères plus traditionnels, tels que la religion
catholique, sont encore présents chez certaines personnes (Pilote, 2004), même si « les
dimensions religieuse et rurale, bien que toujours existantes, n’ont en effet plus la centralité
qu’elles occupaient dans l’univers des Acadiens et des Acadiennes » (Allain, McKee-Allain
et J. Y. Thériault, 1993, p. 379). C’est pourquoi nous avons choisi de présenter notre
prochaine recension d’écrits selon un ordre chronologique afin d’identifier les éléments qui
ont contribué à définir l’identité acadienne au cours de l’histoire. Par un bref retour dans le
temps, de 1604 à aujourd’hui, nous serons donc en mesure d’identifier les dimensions
générales qui définissent l’identité acadienne dans une représentation collective et qui
seront pertinentes à notre analyse. En effet, un tel détour est nécessaire pour marquer la
différence entre la représentation de l’identité acadienne d’un point de vue collectif et
l’identité du jeune comme il se définit lui-même. Ainsi, avant de traiter des dimensions de
l’identité acadienne à proprement parler, nous présenterons tout d’abord une chronologie
sommaire de l’Histoire acadienne, question de rapporter les faits et d’identifier les repères
54
historiques. Ce faisant, et afin de comprendre à travers ce récit historique les fondements
identitaires des Acadiens, nous tenterons de faire surgir les nœuds identitaires qui se sont
manifestés au cours de ces événements qui ont forgé la société acadienne que l’on connaît
aujourd’hui.
3.1 Chronologie sommaire de l’Histoire acadienne
3.1.1 L’Acadie et ses territoires
Commençons tout d’abord par situer l’Acadie. Un exercice pouvant sembler anodin, mais
qui prend plutôt la voie de la complexité. En effet, « l’Acadie représente une réalité dans les
Provinces maritimes, même si l’on ne s’entend pas sur sa représentation territoriale »
(Arseneault, 1999, p. 42). Plusieurs chercheurs se sont penchés sur le sujet (Arseneault et
Lamarche, 1993). Parmi eux, les travaux du géographe Adrien Bérubé (1987) sont
fréquemment cités (par exemple, Arsenault, 1999; Arseneault et Lamarche, 1993; Gallant,
2007; Johnson et McKee-Allain, 1999; Pilote, 2010). Celui-ci propose « quatre définitions
de l’Acadie » : l’Acadie historique, généalogique, opérationnelle et prospective.
L’Acadie historique coïncide avec les limites géographiques de l’Acadie lors de la période
des premiers colons européens arrivés en Amérique du Nord; une période qui n’existe plus
depuis belle lurette (Bérubé, 1987). En fait, c’est la Déportation des Acadiens, entre 1755 et
1763, qui « met définitivement fin à l’Acadie historique et [qui donne] naissance à l’Acadie
contemporaine » (Acadie, 2011, n. p.).
La territorialité de l’Acadie généalogique se présente plutôt sous forme de diaspora selon
les « aires de dispersion des Acadiens, en particulier celles d’après la Déportation »
(Gallant, 2007, p. 327). Dans ce contexte, les Acadiens légitimes sont les descendants des
familles qui faisaient partie de l’Acadie historique, le « sang acadien » (Gallant, 2007;
Johnson et McKee-Allain, 1999), et ce, peu importe leur lieu de résidence et la langue
parlée de nos jours.
55
L’Acadie opérationnelle, pour sa part, s’applique à tout francophone établi dans les
Provinces maritimes, nonobstant leur origine. Ce type de territoire est fragmenté, tout
comme l’Acadie généalogique, et il se base sur l’espace occupé par les francophones des
régions du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard.
Finalement, l’Acadie prospective correspond à l’espace habité en majorité par les
francophones au Nouveau-Brunswick que l’on qualifie de « véritable cœur géographique de
l’Acadie » (Allain et al., 1993, p. 382). Ce type de territoire relève de la politique où l’on
caresse le projet d’obtenir un jour « une autonomie territoriale pour l’Acadie » (Gallant,
2007, p. 327).
L’expression de ces quatre façons bien distinctes de situer l’Acadie démontre bien que le
territoire acadien dépend des critères que l’on applique pour la définir. Voyons maintenant
le résumé du récit historique acadien.
3.1.2 L’Acadie d’hier à aujourd’hui
Les premiers « Acadiens » sont en fait des colons européens partis en exploration vers de
nouvelles terres et qui ont fini par découvrir l’Amérique du Nord en 1604 (Landry et
Allard, 1999; LeBlanc, 1999; J. Y. Thériault, 1995). Ceux-ci s’installent en bordure de la
baie de Fundy (Acadie, 2011), et débute alors l’enracinement (LeBlanc, 1999). C’est tout
d’abord une époque où l’État français crée des associations pacifiques avec les autochtones
basées sur la réciprocité et le partage. C’est aussi lors de cette « première phase de
colonisation » (LeBlanc, 1999) que la communauté francophone ainsi que l’Église
catholique romaine prennent leurs aises. Les représentants religieux se donnent alors
comme priorités d’entourer la colonie française et de propager la religion catholique au sein
de la communauté autochtone (Daigle, 1993). « Préférant s’occuper de leurs propres
intérêts, les membres de la grande famille acadienne, unis par des liens de sang et
d’affection, consacrent toutes leurs énergies à développer un style de vie tout à fait original
à l’époque en Amérique du Nord » (Daigle, 1993, p. 2). Mais malgré cette vie en parallèle,
56
les Acadiens ne sont pas isolés pour autant, alors que, comme susmentionné, ils côtoient
pacifiquement les Anglais et qu’ils ont des contacts réguliers avec les Amérindiens. C’est
un fait, pendant plusieurs années, les Acadiens auront des contacts beaucoup plus fréquents
avec les Anglais qu’avec les Français.
… C’est durant cette période que commence à se forger un élément
important qui caractérise leur vie en Amérique : la coexistence et
l’accommodation avec leurs voisins les Anglais. Les contacts fréquents
qu’ils entretiennent avec les Amérindiens et les colons anglais influenceront
leur héritage historique et leur comportement. L’emploi d’expressions
anglaises […] et l’utilisation de termes amérindiens pour désigner les lieux
en sont des illustrations. L’Acadien, tout comme l’habitant de la Nouvelle-
France, est condamné à être minoritaire en Amérique du Nord. À partir de
1666, tout apport migratoire est sérieusement limité par l’application de la
politique coloniale française qui affirme qu’il ‘ne serait pas de la prudence
de dépeupler son royaume pour peupler le Canada’. […] À l’avenir, la
croissance démographique sera liée à la fécondité de la population
acadienne. […] Laisser le peuplement de l’Acadie aux soins de l’initiative
privée, c’est condamner la colonie à vivre dans la marginalité. (Daigle, 1993, p. 9)
À partir de 1670, l’Acadie passe quelques fois dans les mains des Britanniques pour être
constamment reprise par la France, mais cela n’empêche pas la communauté acadienne de
poursuivre sa progression (LeBlanc, 1999). En période d’hostilités entre les Anglais et les
Français, conscients de leur impuissance face à leur destinée, les Acadiens ont appris à
cultiver une « attitude d’accommodement » que ce soit envers les Anglais ou les Français.
Qui plus est, les Acadiens tiennent beaucoup à leurs terres et le fait qu’ils s’adaptent ainsi à
leur environnement « leur permet d’obtenir un peu de sécurité et d’assurer leur permanence
en terre d’Amérique » (Daigle, 1993, p. 20). En 1710, l’Acadie est une fois de plus
conquise par les Britanniques qui souhaitent assimiler définitivement les Acadiens en tant
que sujets britanniques (Daigle, 1993). Cela se réalise en 1713 lorsque la France cède
officiellement l’Acadie à la Grande-Bretagne par la signature du traité d’Utrecht. Les
Acadiens ont alors le choix : ils sont contraints de prêter serment d’allégeance à la
monarchie anglaise ou bien ils ont douze mois pour quitter leurs terres (LeBlanc, 1999). La
plupart choisissent de prêter serment d’allégeance (LeBlanc, 1999), mais avec réserves
(Daigle, 1993). Ainsi, déjà endurcis par les luttes incessantes entre la France et la Grande-
Bretagne, les Acadiens réussissent à protéger « leur droit d’habiter et de développer leurs
57
terres, et de pratiquer la religion catholique romaine » (LeBlanc, 1999, p. 135), et ce, par
l’entremise d’une stratégie que les historiens ont nommée plus tard « la neutralité
acadienne : une stratégie qui établit leur non-participation dans les luttes militaires pour le
contrôle du territoire » (LeBlanc, 1999, p. 135). Ce faisant, les Acadiens se gardent d’entrer
en conflit avec les Français et les Indiens (Daigle, 1993). Les dirigeants anglais n’ont tout
de même pas lâché et ils ont tenté à quelques reprises de faire prêter serment d’allégeance
aux Acadiens, et ce, sans réserves. Cela n’a jamais fonctionné et les Anglais n’osent pas
trop insister sachant que, s’ils chassent les Acadiens, ceux-ci se tourneraient de bord et ne
feraient qu’aller solidifier les troupes françaises (Daigle, 1993). Ainsi, même si les
Acadiens portent le titre de « Français neutres », la tension monte chez les colons anglais
qui n’acceptent plus cette « allégeance temporaire à l’Angleterre » (Daigle, 1993, p. 38),
alors que les Acadiens demeurent malgré tout très fidèles à la France. Désireuse de
reprendre du territoire pour ses colonies anglaises et protestantes, la nouvelle
administration anglaise de 1753 met un point final à toute cette question entourant le
serment d’allégeance : les Acadiens seront expulsés (Daigle, 1993).
La Déportation débuta en 1755. Ce fut le début d’une « période douloureuse » (J. Y.
Thériault, 1995) pour les Acadiens qui furent, pour certains, rassemblés, embarqués sur des
bateaux et dispersés, alors que d’autres ont résisté et se sont enfuis et réfugiés dans les
forêts (Daigle, 1993). De plus, pour s’assurer du non-retour des Acadiens sur le territoire
dorénavant occupé par les Anglais, ces derniers ont détruit et brûlé l’ensemble de leurs
biens.
Enfin, les hostilités entre Britanniques et Français prennent fin en 1762, mettant fin
également à la Déportation des Acadiens (LeBlanc, 1999). Le retour de ces derniers sur le
territoire est permis à partir de 1764, mais celui-ci doit se faire discrètement. Par obligation,
les Acadiens « doivent s’installer en petits groupes, et ils doivent prêter serment
d’allégeance à la Couronne britannique » (LeBlanc, 1999, p. 137). C’est à partir de ce
moment que les Acadiens deviennent minoritaires dans les Maritimes (LeBlanc, 1999).
« Certains reviennent des colonies américaines, du Québec et de la France, quoiqu’un
certain nombre préférera rester en terre d’exil. D’autres sortent des bois du Nouveau-
58
Brunswick actuel où ils sont restés plus ou moins cachés après avoir échappé aux soldats
britanniques » (L. Thériault, 1993, p. 48). Des données de recherche effectuées en 1978 par
Adrien Bergeron, généalogiste (cité par L. Thériault, 1993), exposent même la possibilité
que les Acadiens aient été plus nombreux qu’on ne l’a estimé à s’être réfugiés et établis en
Nouvelle-France en période de Déportation. Si l’on se fie à ces données, la majeure partie
des Acadiens se trouvant dans les Maritimes après cette période ne seraient, en fait, jamais
partis (L. Thériault, 1993). Quoi qu’il en soit, le rétablissement en termes de collectivité de
ce peuple déchu est difficile. Ainsi, il est malaisé d’affirmer la présence d’une collectivité
acadienne avant 1860 (Pilote, 2004). Cette affirmation ne rejette cependant pas l’idée, selon
l’historienne Naomi Griffiths (1969, 1973, citée par J. Y. Thériault, 1995), d’un peuple
acadien très solidaire, déjà à l’époque de la Déportation. Et c’est ce lien d’appartenance
collective qui les encouragera justement à retourner sur le territoire par la suite. Les
Acadiens adoptent alors une vie complètement « en marge » des colons anglais (Daigle,
1993; Lapointe et J. Y. Thériault, 1999; LeBlanc, 1999); c’est « l’enracinement dans le
silence » (J. Y. Thériault, 1995; L. Thériault, 1993) jusque dans les années 1860 où il y a
alors le développement d’une « certaine prise de conscience collective [qui] est en train de
se former chez les Acadiens et les Acadiennes » (L. Thériault, 1993, p. 54).
Les années subséquentes, de 1860 à 1990, ont été divisées en quatre moments spécifiques
par Allain et al. (1993) : le moment traditionnel (1860-1960), le moment modernisateur
(1960-1970), le moment critique (1970-1980) et le moment organisationnel, mais
fragmenté (1980-1990). Il est à noter que cette périodisation n’est pas absolue. En effet,
d’autres auteurs (par exemple, LeBlanc, 1999; L. Thériault, 1993) ont marqué le
cheminement chronologique de la société acadienne d’une tout autre façon, mais ce sont
ces quatre moments susmentionnés que nous choisissons d’utiliser pour expliquer son
parcours. « Ces moments d’ailleurs […] correspondent à la fois autant à des modifications
des rapports sociaux internes des communautés acadiennes, qu’à des transformations des
frontières définissant l’espace de l’acadianité » (Allain et al., 1993, p. 344).
Le moment traditionnel couvre une grande période, soit de 1860 à 1960. « L’Acadie
traditionnelle […] fait appel à l’héritage des ancêtres, à la mémoire des générations
59
précédentes » (Allain et al., 1993, p. 344). Elle n’est toutefois pas que relative au discours
puisqu’elle est également associée à la façon dont s’organise la société acadienne, la
rendant ainsi efficiente dans son fonctionnement. Le terme « acadianité », qui signifie un
attachement aux traditions, est très représentatif de cette période. En effet, c’est à cette
époque que l’on se lance « dans des pratiques socioculturelles[, telles que] la création des
symboles nationaux, des institutions nationales, religieuses et scolaires acadiennes » (J. Y.
Thériault, 1995, p. 55).
… Il est possible de dater le moment de naissance de l’idéologie, et de
l’Acadie comme société, en 1881, au moment de la première Convention
nationale acadienne. L’objet principal des débats à cette rencontre portait
sur la création de symboles spécifiquement acadiens (saint patron, drapeau,
hymne national). […] L’Acadie qui n’était qu’une virtualité devient réalité. (J. Y. Thériault, 1995, p. 225)
Ainsi, l’identité acadienne mène à la création de pratiques socioculturelles (Pilote, 2010,
2004; J. Y. Thériault, 1995; L. Thériault, 1993), mais, naturellement, les Acadiens
développent également de nouveaux réseaux, de nouvelles associations (J. Y. Thériault,
1995). C’est un fait, « l’isolement culturel [de la société acadienne] est rompu » (Allain et
al., 1993, p. 350). Les années 1950 font donc place à « la victoire contre l’histoire,
l’ouverture au monde, à la modernité » (J. Y. Thériault, 1995, p. 221).
Vint ensuite le moment modernisateur, de 1960 à 1970, qui représente une période très
importante pour les Acadiens. En effet, « l’Acadie, au tournant des années 1960, est dans
un processus de transition » (Allain et al., 1993, p. 353). C’est, entre autres, à ce moment
qu’un premier Acadien, Louis J. Robichaud, est élu en tant que premier ministre du
Nouveau-Brunswick. « Ce gouvernement, fortement lié à l’élite acadienne, introduira une
série de réformes qui modifieront radicalement la société acadienne » (Allain et al., 1993,
p. 353-354). C’est aussi à cette période que « la montée du nationalisme québécois modifie
en profondeur les relations entre le Québec et les communautés francophones et acadiennes
et donne naissance à encore un autre, le Québécois » (Allaire, 1999, p. 180). Les Acadiens
en sont alors rendus « à réfléchir tant sur l’identité franco-canadienne que sur l’identité
acadienne dans le rapport qu’ils entretiennent avec la majorité anglo-protestante des
Provinces maritimes » (LeBlanc, 1999). Ce faisant, on assiste à un renforcement de
60
l’identité acadienne, une identité qui se distingue des autres francophones canadiens hors
Québec (J. Y. Thériault, 1995) de par l’expérience de colonisation particulière vécue par les
Acadiens (LeBlanc, 1999). En effet, « les Acadiens ne sont pas, comme les autres minorités
franco-canadiennes, issus du foyer québécois […] en dépit des traits communs traditionnels
de définition identitaire au Canada français que sont la langue et la religion » (LeBlanc,
1999, p. 140). Qui plus est, les différences linguistiques ne sont pas seulement vécues entre
les Acadiens et le reste de la francophonie canadienne, mais aussi entre les régions du
Nouveau-Brunswick où « les taux de continuité linguistique varient au sein de la province
selon qu’il s’agit(sic) d’une région à majorité ou à forte représentation francophone ou bien
d’une région très minoritaire » (Pilote, 2004, p. 134). Au 19e siècle, « plus de la moitié des
Acadiens habitent le territoire du Nouveau-Brunswick » (LeBlanc, 1999, p. 141) et cela ne
fait qu’augmenter par la suite. C’est par cette centralisation des Acadiens que le Nouveau-
Brunswick devient le « foyer principal des Acadiens des Provinces maritimes » (LeBlanc,
1999, p. 141). Cette nouvelle démographie provinciale offre aux élites acadiennes
l’opportunité de réclamer que l’on reconnaisse officiellement la langue française au
Nouveau-Brunswick (LeBlanc, 1999). La Loi sur les langues officielles du Nouveau-
Brunswick est ainsi adoptée en 1969, reconnaissant le statut bilingue de cette province
(LeBlanc, 1999; Pilote, 2004). Le moment modernisateur fait aussi place à une « crise
culturelle » parmi les Acadiens causée par un « vide laissé par les assauts des pratiques
modernisantes sur la culture acadienne » (Allain et al., 1993, p. 356). De fait, la société
acadienne est en crise « parce que la cohérence d’ensemble s’est effondrée sans qu’elle soit
remplacée » (Allain et al., 1993, p. 356). Et ce sont surtout les jeunes qui sont les critiques
de « l’Acadie traditionnelle » et les créateurs de cette « crise culturelle » (Allain et al.,
1993; Pilote, 2004).
Le moment critique, de 1970 à 1980, voit s’amenuiser tranquillement « l’explication
culturelle de la crise de la société acadienne » (Allain et al., 1993, p. 358). Les protestations
sociales mènent aux « pratiques réappropriatrices »; la société acadienne décide de
s’affirmer et de s’organiser de façon autonome se créant un « projet de société » (Allain et
al., 1993). « La volonté d’une réappropriation plus proprement politique s’affirmera [en
tentant] de récréer une cohérence d’ensemble autour, cette fois, des ‘débris’ de l’Acadie
61
traditionnelle » (Allain et al., 1993, p. 362). Bref, « le pouvoir [est] aux Acadiens et non
[…] à l’Acadie » (J. Y. Thériault, 1995, p. 71). Et ce « pouvoir aux Acadiens implique une
politisation de la vie acadienne » (J. Y. Thériault, 1995, p. 73). En effet, « la stratégie ne
pouvait plus […] se fonder exclusivement sur la société civile. Le pouvoir politique
s’avérait incontournable » (Allain et al., 1993, p. 362). La Convention d’orientation
nationale acadienne de 1979 sert justement de tremplin pour la politique acadienne. C’est
lors de ce grand rassemblement que les Acadiens réfléchissent sérieusement à la place de
l’Acadie sur la scène politique (J. Y. Thériault, 1995). Il appert toutefois que
« politiquement, […] l’on n’a pas créé un pouvoir acadien, [mais] l’on a néanmoins créé
des pouvoirs acadiens. [Par exemple,] la restructuration des conseils scolaires et du
ministère de l’Éducation sur une base linguistique [et] l’organisation en municipalité des
communautés acadiennes » (Allain et al., 1993, p. 363). En définitive, c’est notamment
l’aspect culturel qui a permis à l’identité acadienne de se préciser et de se maintenir
« comme un élément important et significatif de la réalité sociale des Acadiennes et des
Acadiens » (Allain et al., 1993, p. 363).
Les années 1980 marquent le moment organisationnel, mais fragmenté. Allain et al. (1993)
expliquent que cette période est nommée ainsi de par sa représentation d’une « réalité
collective » qui ne relève pas de l’exclusivité; le discours se faisant plutôt pluriel. On met
davantage en évidence les identités multiples de l’individu acadien et ce dernier priorise
tout autant son bien-être personnel. Cette façon d’être fait « naître le désir d’une
communauté renouvelée » (Allain et al., 1993, p. 374). Cette période est également
déterminante pour la communauté acadienne de la province dont la structure se fonde de
plus belle sur la langue : « de nos jours, on parle à la fois des Acadiens et des francophones
du Nouveau-Brunswick » (Pilote, 2004, p. 151). Une réalité qui a su mener à des actions
gouvernementales en ce sens, alors qu’en 1981, le gouvernement de Richard Hatfield
adopte la Loi 88 qui vient reconnaître l’égalité entre les communautés francophones et
anglophones du Nouveau-Brunswick (LeBlanc, 1999). Enfin, l’influence de la communauté
francophone et acadienne du Nouveau-Brunswick finit par être reconnue officiellement en
1993, sous le gouvernement de Frank McKenna, par l’enchâssement de la Loi 88 à la
constitution canadienne (Pilote, 2004). Mais malgré cette volonté de poursuivre dans la
62
modernité et de développer des identités multiples propres à chacun, il se dégage au sein
des communautés acadiennes « un ensemble de traits qui les situent dans la continuité des
sociétés traditionnelles et qui les font paraître comme des vestiges » (Lapointe et J. Y.
Thériault, 1999, p. 196). Ainsi, les Acadiens semblent conserver une affection particulière à
ce temps révolu. La transmission se fait notamment par l’entremise de « valeurs
familiales », de « traditions religieuses » et par une insistance mise sur le récit des moments
forts vécus spécifiquement par les ancêtres acadiens, tels que la Déportation. « Le passage
par une descendance commune (ethnique) reste encore, en Acadie […], un élément central
du débat sur l’identité, comme en témoigne le récent Congrès mondial acadien (1994)[,
ainsi que les subséquents en 1999, 2004 et 2009,] réunissant les enfants des déportés de
1755 » (Lapointe et J. Y. Thériault, 1999, p. 196). L’Acadie fait donc partie de ces sociétés
qualifiées par A. Giddens (1994, cité par Lapointe et J. Y. Thériault, 1999)
« d’hypermodernes » où l’on allie le traditionalisme et la modernité. On la reconnaît ainsi
en raison d’une perspective contrastante entre un groupe homogène fixé sur le passé versus
l’individu avec ses ambitions personnelles. Bref, la communauté acadienne est perçue
comme une « société complexe » (Lapointe et J. Y. Thériault, 1999).
Cette fixation sur le passé rend justement difficile pour la communauté acadienne
d’accepter d’inclure les immigrants francophones qui arrivent de plus en plus au pays et qui
tentent de s’intégrer à la société en place (Gallant, 2008). Il y a certes une ouverture à
accueillir ces nouveaux arrivants, mais pour les Acadiens qui ont développé des
représentations très généalogiques, ce n’est pas une « intégration » des immigrants, mais
plutôt une « juxtaposition ». Ainsi, à la question Qui peut être acadien?, Gallant (2008)
parle d’inclusion ou d’exclusion identitaire. L’auteure explique que l’inclusion identitaire
est possible lorsqu’un « référent symbolique est plutôt civique s’il est possible de l’acquérir
plus tard sur une base plus ou moins volontaire » (Gallant, 2008, p. 16). À l’opposé,
l’exclusion identitaire est représentée par un référent symbolique ethnique qui se « réfère à
une caractéristique obtenue dès la naissance ou presque. C’est le cas de la généalogie […]
ou encore du lieu de naissance » (Gallant, 2008, p. 16). De ce fait, il y a, toujours selon
Gallant (2008), « une forte tendance vers l’exclusion identitaire en Acadie, qui s’explique
63
surtout (mais pas entièrement) par la forte présence de représentations généalogiques de ce
groupe » (p. 25).
J. Y. Thériault (1995) résume finalement l’Acadie en trois temps : il y a les Acadiens avant
1880 qui « ne sont pas encore constitués en société » (p. 238), il y a l’Acadie entre 1880 et
1960 qui « avait réussi […] à créer une société acadienne » (p. 239) et, enfin, il y a les
Acadiens après 1960 qui « sont des orphelins d’un principe de société qui n’a plus de sens,
puisqu’il n’est plus le principe organisateur de la société » (p. 239). « L’identité collective »
est dorénavant perçue comme un « projet » pour lequel chacun est libre de s’associer ou pas
(Pilote, 2010; J. Y. Thériault, 2008). C’est donc dire que « l’identité des Acadiens comme
individus et l’identité acadienne » (Pilote, 2004, p. 148) ne sont plus des synonymes. En
effet, « l’Acadie s’est profondément modifiée au cours des 40 dernières années » (Allain et
al., 1993, p. 343). Les Acadiens en sont donc rendus aujourd’hui à être « certes plus sûrs
d’eux-mêmes, mieux organisés, mieux préparés à affronter l’insertion dans un univers plus
large. [Mais] l’Acadie contemporaine est en mal d’une expression collective » (J. Y.
Thériault, 1995, p. 240). De plus, « l’individualisme est une réalité incontournable de la
modernité. […] Mais l’individualisme ne fait pas disparaître pour autant les identités.
[Celles-ci] restent en effet une composante essentielle du lien social. […] Car dans une
société d’individus [où] les identités sont plurielles, le social est dorénavant fragmenté entre
plusieurs identités en compétition » (J. Y. Thériault, 1995, p. 77). Les auteurs Allain et al.
(1993), ainsi que Johnson et McKee-Allain (1999) abondent dans le même sens. En
d’autres mots, l’individualité change la « réalité collective »; mais elle ne la condamne pas
(Allain et al., 1993).
Comme l’identité en général, ce récit historique acadien démontre bien que l’identité
collective des Acadiens n’est pas fixe, mais qu’elle se construit selon les contextes, sur des
axes temporels et relationnels (Pilote, 2006).
64
3.2 Les quatre dimensions de l’identité acadienne
Les représentations de l’Acadie sont très diversifiées suivant la perspective que l’on choisit
de considérer. De fait, il y a des repères collectifs et des dimensions relativement stables,
mais les combinaisons possibles sont multiples moyennant cette subjectivité propre à
chacun (Pilote, 2004, 2010). Aux fins de cette étude, nous choisissons donc de définir
l’identité acadienne dans une représentation collective selon quatre dimensions qui sont
ressorties de cette brève recension historique de l’Acadie que nous venons de faire, soit les
dimensions historique, territoriale, culturelle et linguistique. Ces quatre dimensions seront
très utiles, voire essentielles, à notre étude, notamment lorsque nous analyserons le
parcours individuel et le rapport à l’identité acadienne de chacun, alors qu’elles tracent la
carte conceptuelle des dimensions à repérer au sein du discours des participants à l’étude.
3.2.1 Dimension territoriale
Difficile de préciser le véritable territoire de l’Acadie. Plusieurs définitions sont pertinentes
selon la perspective qu’on lui donne. Par exemple, comme le propose le géographe Adrien
Bérubé (1987) la territorialité de l’Acadie peut être historique, généalogique, opérationnelle
ou prospective. Une chose est certaine, « les frontières de cette Acadie se sont rétrécies
avec le temps » (Allain et al., 1993, p. 382). Alors qu’elle concordait autrefois à la totalité
des Provinces maritimes, on identifie dorénavant le « cœur géographique de l’Acadie » aux
limites de la province du Nouveau-Brunswick. Cette perspective est surtout nourrie de par
le nombre d’Acadiens y résidant, l’organisation de la communauté francophone et les
multiples affrontements qu’elle a menés avec vigueur et acharnement (Allain et al., 1993).
3.2.2 Dimension historique
Pour ce qui est de la dimension historique, nous faisons le choix de la diviser en deux
éléments bien distincts. Tout d’abord, il y a de ces discours qui tendent vers le récit
collectif acadien, par exemple, la Déportation des Acadiens. Dans notre chronologie
65
sommaire de l’Histoire acadienne, des repères historiques nous ont effectivement permis de
saisir les fondements identitaires des Acadiens. Certes, il y a l’arrivée des premiers colons
Européens, leur enracinement, leur vie en parallèle, les liens de solidarité entre eux, leur
neutralité, leurs relations particulières avec les autochtones et les Anglais, la période de la
Déportation, etc., mais nous comprenons que l’insistance mise sur le récit collectif acadien
s’est surtout développée lors du moment traditionnel, entre 1860 et 1960 (Allain et al.,
1993), alors que c’est l’époque où l’on a saisi tous ces repères historiques du passé pour en
faire des symboles sur lesquels s’accrocher, afin de se créer une Acadie plus concrète et
dynamique. Enfin, pour le second élément de la dimension historique, il y a de ces discours
historiques qui se retrouvent plutôt affiliés aux ancêtres (Lapointe et J. Y. Thériault, 1999).
Le Congrès mondial acadien, qui revient tous les cinq ans, en est un bon exemple, alors
qu’on y rassemble les familles descendantes des premiers Acadiens en Amérique du Nord
et que les sujets abordés tournent principalement autour de la généalogie des familles
acadiennes. Les études de Gallant (2008) confirment également à quel point la société
acadienne est très centrée sur sa généalogie pour se définir. Donc, deux façons possibles de
développer la perspective historique permettant ainsi de teinter notre analyse des discours
avec encore plus d’exactitude : le récit collectif acadien (le peuple acadien déporté) ou
l’affiliation aux ancêtres (la généalogie).
3.2.3 Dimension culturelle
Le peuple acadien est porteur d’une culture assez large qui possède des pratiques culturelles
particulières et diversifiées. Au départ, la religion catholique était très présente. Les
dirigeants religieux, l’élite de l’époque, se faisaient un devoir d’entourer les Acadiens par la
foi et de propager chez les autochtones les enseignements religieux. Cette manifestation
intensive de pratiques religieuses a eu un effet rassembleur. La religion catholique était
alors porteuse d’espoir pour la communauté acadienne; elle a su la rassembler et contribuer
à son développement. Plus tard, c’est cette élite de l’époque qui fut derrière la création
d’une société culturelle avec ses symboles, soucieuse de bien représenter la communauté
66
culturelle acadienne en marge de la société globale. Une telle communalisation20
eut pour
effet de créer chez les Acadiens la conscience de faire partie d’un « Nous ». De nos jours, la
religion est de moins en moins considérée, sans toutefois être disparue, et la culture est
dorénavant une des dimensions qui prévaut au sein des discours sur l’identité acadienne.
Sans être objective, il existe bel et bien une culture acadienne spécifique au peuple acadien
avec ses particularités et ses divers symboles. Pour les besoins de cette étude, nous nous en
tiendrons à des éléments très précis lorsque nous analyserons les données, tels que le
Tintamarre, la musique acadienne, les participations aux festivités qui entourent la fête des
Acadiens, etc. Bref, la dimension culturelle, dans ce cas-ci, se réfère strictement à des
pratiques culturelles concrètes.
3.2.4 Dimension linguistique
Nous l’avons vu, l’individualité et la langue sont les nouveaux enjeux identitaires dans
l’Acadie contemporaine. « De nos jours, on parle à la fois des Acadiens et des
francophones du Nouveau-Brunswick » (Pilote, 2004, p. 151). C’est pourquoi J. Y.
Thériault (1995) affirme que :
… si la lourdeur de l’héritage historique ne peut plus structurer une
communauté d’histoire, il ne reste que la communauté de vie, produite par
l’usage d’une même langue, qui soit susceptible de produire une densité de
relations sociales suffisamment forte pour fournir à ces collectivités un
niveau d’historicité qui leur soit acceptable. […] Ce n’est qu’en accentuant
leur identité linguistique que les communautés minoritaires francophones
pourront envisager gagner le pari de la modernité. (p. 301)
La langue française devient ainsi un élément central dans le développement et la vitalité de
la communauté acadienne. Dans l’effondrement des concepts qui avaient surtout un sens
autrefois, le maintien des fondements de l’Acadie semble dépendre maintenant en grande
partie de la sauvegarde de la langue française au sein de la société acadienne
contemporaine. L’analyse des données démontrera justement cette prépondérance de la
20
« La communalisation est une relation sociale basée sur le sentiment d’appartenance » (Communalisation,
2009, n. p.).
67
langue française en matière d’identité acadienne chez les jeunes francophones du Nouveau-
Brunswick.
Chapitre 4
Le changement social
Force est de constater que la recherche traitant de l’identité chez les jeunes francophones
canadiens en situation minoritaire est partagée dans ses descriptions et ses analyses. De fait,
les recherches recensées sont tantôt descriptives, tantôt analytiques et elles se présentent
sous différentes perspectives et différentes méthodes (qualitative et quantitative) menant à
des résultats diversifiés. Ces recherches, que nous avons recensées, sont présentées sous de
multiples fondements utilisés comme cadre théorique.
Comme ces chercheurs, pour en arriver à l’analyse de nos données sur la construction
identitaire des jeunes francophones en situation minoritaire, il nous est nécessaire de
déterminer un cadre théorique sur lequel nous pourrons poser notre analyse. Par une brève
revue des grands paradigmes sociologiques, nous parviendrons au modèle théorique qui
saura cerner efficacement l’objet de notre étude.
4.1 Perspective générale
… [La sociologie] se joue dans le regard que le savant porte sur le réel, ou
[…] elle est fonction des ‘lunettes’ qu’il prend. Il doit opter premièrement
pour des verres sociologiques, et deuxièmement choisir, à l’intérieur de ce
rayon disciplinaire, telles ou telles lunettes sociologiques différenciées selon
une orientation théorique, selon une école de pensée. (de Singly, 2010, p. 20)
En ce sens, trois principaux courants sont désignés comme « rayons disciplinaires » en
sociologie, au sein desquels les « orientations théoriques » s’acheminent. Ces courants sont
le conflictualisme, le fonctionnalisme et l’interactionnisme.
Les paradigmes conflictualiste et fonctionnaliste posent un regard macrosociologique sur la
société. Pour le paradigme conflictualiste, la société est « structurée par des rapports
69
conflictuels » (Farmer et Heller, 2008, p. 126). Un courant, donc, qui s’éloigne de notre
perspective, évoquée précédemment, soit celle qui renvoie à la recherche d’harmonie chez
le jeune entre le collectif et l’individuel (Pilote et Magnan, 2008a) et où l’acteur social en
est l’élément central (Gérin-Lajoie, 2007; Landry et al., 2008; Pilote, 2006, 2007a, 2007b;
Pilote et Magnan, 2008a, 2008b; Pilote et Molgat, 2010). Le paradigme fonctionnaliste,
pour sa part, pourrait être intéressant dans le contexte présent de ce travail du fait que, pour
ses adeptes, « l’école sert à transmettre un sentiment de loyauté envers la société [tout en
valorisant] la réussite individuelle » (Farmer et Heller, 2008, p. 126). Mais l’intérêt s’arrête
ici, car là où les concepts s’éloignent de notre problématique, c’est que, pour le courant
fonctionnaliste, « l’institution scolaire n’est aucunement remise en question » (Farmer et
Heller, 2008, p. 128) par rapport à la notion de handicap culturel, que l’école « incite les
individus à intérioriser les valeurs dominantes de la société [et que la réussite individuelle,
dont on parle plus haut,] reposerait sur des critères rationnels de compétence » (p. 126).
Ainsi, le paradigme fonctionnaliste perçoit l’école comme un « jeu de la compétition
méritocratique où il faut bien qu’il y ait des gagnants et des perdants, mais il faut d’abord,
pour que la cohésion sociale reste possible, que tous acceptent comme équitable la règle du
jeu » (Farmer et Heller, 2008, p. 126). Il semble donc que c’est la société à travers ses
institutions qui forme l’individu par le biais de la socialisation.
Par conséquent, le paradigme interactionniste est celui qui rejoint beaucoup plus le contexte
de ce travail alors qu’il combine le macrosociologique et le microsociologique. En effet,
contrairement aux courants conflictualiste et fonctionnaliste, où le poids de la société est
fondamental et où l’individu prend l’apparence d’une simple marionnette, l’acteur social
occupe un rôle beaucoup plus important pour le courant interactionniste. De ce fait, le
paradigme interactionniste tient lieu de porte d’entrée vers les courants ou théories qui ont
suivi, ou qui découlent dudit paradigme, et qui viennent faire des liens encore plus précis et
intéressants avec les éléments qui ressortent de notre problématique sur la construction
identitaire des jeunes francophones en situation minoritaire lors des études postsecondaires.
Ainsi, regardons, premièrement, la théorie de la socialisation de Dubar (2000) qui, dans le
contexte étudié, a du sens, car elle définit l’identité professionnelle comme un processus de
construction des identités comprenant deux axes : l’identité pour autrui et l’identité pour
70
soi. Ainsi, l’identité pour autrui diffère selon chacun; il s’agit d’un ensemble d’individus
significatifs aux yeux de la personne, par exemple la famille, les enseignants/professeurs,
les amis, le ou les conseillers d’orientation et tout autre modèle d’individus qui l’auront
marquée (Dubar, 2000). L’identité pour soi représente, pour sa part, le côté subjectif de la
personne; qui elle dit qu’elle a été, ce qu’elle est et ce qu’elle veut devenir (Dubar, 2000).
Il n’y a pas que Dubar (2000) qui parle de socialisation. En effet, Darmon (2010)
mentionne que « la socialisation ne se limite pas à ce qui est commun à tous les membres
d’une société, mais s’étend à ce qu’il y a de plus individuel chez chacun » (p. 125). Une
perspective que Landry et Allard (1999) adoptent également lorsqu’ils parlent de l’identité
francophone en tant que « processus de socialisation » (p. 410), ajoutant que c’est
« l’organisation sociale » (p. 406) qui garantit la vitalité communautaire. Rappelons-nous
que Gilbert et Lefebvre (2008) abondent dans le même sens, alors qu’ils soulignent que la
vitalité communautaire dépend fondamentalement des actions individuelles de chacun, de
leur sentiment d’appartenance ainsi que du type d’environnement dans lequel la
communauté est intégrée. Ce qui nous ramène, comme un cercle vertueux, à la socialisation
de Darmon (2010) où l’individu est travaillé par le social tout en étant un agent de
changement. En ce sens, Darmon (2010) donne le ton à la modernité lorsqu’elle aborde la
socialisation en tant qu’« outil d’analyse particulièrement bien ajusté à l’ère de l’individu »
(p. 125). Un sujet également abordé dans notre chapitre sur l’identité acadienne, alors que
« l’individualisme est une réalité incontournable de la modernité » (J. Y. Thériault, 1995,
p. 77) et qu’il change le caractère collectif des communautés, mais sans, tout de même, le
condamner (Allain et al., 1993).
Il y a aussi Kaufmann (2004) dont le discours porte entre autres sur le processus de
construction des identités et la nécessité pour l’individu d’avoir sa propre histoire. De plus,
tout comme Dubar (2000), Kaufmann (2004) parle d’une identité qui s’appuie sur deux
éléments essentiels : la construction subjective et objective de la personne.
Ce qui nous amène à l’expérience sociale de Dubet (1994), pour qui la vie est de l’ordre
d’une expérience :
71
… Dans un ensemble social qui ne peut plus être défini par son
homogénéité culturelle et fonctionnelle, par ses conflits centraux et par des
mouvements sociaux tout aussi centraux, les acteurs et les institutions ne
sont plus réductibles à une logique unique, à un rôle et à une programmation
culturelle des conduites. La subjectivité des individus et l’objectivité du
système se séparent. […] Il faut prendre acte de cet éclatement en proposant
des théories à ‘moyenne portée’ qui n’ont pas l’ambition de proposer la
vision unifiée d’un monde social qui n’a plus de centre. C’est dans cette
perspective que je suggère ici de construire la notion d’expérience sociale,
notion qui désigne les conduites individuelles et collectives dominées par
l’hétérogénéité de leurs principes constitutifs, et par l’activité des individus
qui doivent construire le sens de leurs pratiques au sein même de cette
hétérogénéité. (p. 15)
Conséquemment, par ce qu’il nomme « la sociologie de l’expérience », Dubet (1994)
explique que la complexité dans laquelle la société se trouve oblige l’individu à construire
sa réalité selon trois logiques d’action : la logique de l’intégration sociale, la logique
stratégique et la logique de la subjectivation. La logique de l’intégration sociale fait
référence à l’appartenance sociale, à toutes les communautés qui existent dans toute
organisation sociale; la logique stratégique fait référence à la concurrence, au milieu
économique; il y a un but derrière l’action; et, finalement, la logique de la subjectivation
fait référence à l’engagement de l’individu selon ses propres valeurs (Lallement, 2000).
Enfin, combinées, ces logiques d’action sont nommées par Dubet (1994) « les produits des
expériences sociales » (p. 134) et celles-ci se juxtaposent à différents degrés (Lallement,
2000).
… Autrement dit : l’acteur construit une expérience lui appartenant, à partir
des logiques de l’action qui ne lui appartiennent pas et qui lui sont données
par les diverses dimensions du système qui se séparent au fur et à mesure
que l’image classique de l’unité fonctionnelle de la société s’éloigne. (Dubet, 1994, p. 136)
En rassemblant toutes ces perspectives sociologiques que nous venons d’élaborer, et ce,
selon le contexte étudié, les sociologues se rapprochant du paradigme interactionniste
semblent développer l’idée commune d’une socialisation qui se fait simultanément par les
expériences internes et externes de chaque personne. Une vision rejoignant celles des
études scientifiques que nous avons recensées pour ce travail. En effet, on y explique bien
72
la nécessité pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire de tenir
compte de cette position spéciale qu’occupent les francophones et qui s’ajoute à la
difficulté qu’ont les jeunes de se créer une identité propre, et de se tailler une place dans la
société.
Dans une ré-interrogation des notions principales en sociologie, Bajoit (2003) tente de les
débroussailler afin d’en arriver à produire un modèle permettant d’étudier le changement
social qui soit efficient pour la théorie et la pratique : le paradigme identitaire. Ainsi, Bajoit
(2003) perçoit les « paradigmes classiques » de la sociologie comme étant incapables de
structurer convenablement « l’individu-objet et l’individu-sujet » (p. 14), et ce, malgré le
fait qu’il en soit toujours question. Il convient toutefois que quelques-uns des plus récents
sociologues, par exemple Dubar et Dubet, semblent saisir la nécessité d’admettre, dans les
principes sociaux, la possibilité que l’individu soit sujet (Bajoit, 2003). La contribution du
modèle théorique de Bajoit (2003) s’insère justement dans une telle transformation
progressive de la sociologie. De fait, pour Bajoit (2003), il suffit de préserver la nature
profonde de la sociologie tout en la renouvelant, afin de la rendre apte à saisir le sens de
notre présente société. Bref, pour lui, « la sociologie est une science de juste mesure »
(Bajoit, 2003, p. 171). De ce fait, il n’y a pas de séparation à faire, mais bien une
articulation entre les dimensions d’individu-objet (conformité et influence) et les
dimensions d’individu-sujet (interactions et individualité). Ces dimensions étant toutes
engagées simultanément dans une relation sociale (Bajoit, 2003).
4.2 Modèle théorique retenu
L’approche sociétale renouvelée de Bajoit (2003) retient notre attention. Son modèle
théorique et pratique sur le changement social, qu’il intègre dans un paradigme identitaire,
vient répondre à notre volonté d’élaborer un système conceptuel qui puisse rendre compte
de l’objet de notre étude, soit la construction identitaire des jeunes francophones en
situation minoritaire.
73
Soulignons, au passage, la pertinence du modèle théorique de Bajoit (2003), alors que,
comme plusieurs chercheurs pour qui l’acteur social est l’élément central de leur modèle
théorique (Gérin-Lajoie, 2007; Gingras, 2005; Landry et al., 2008; Pilote, 2006; 2007a;
2007b; Pilote et Magnan, 2008a; Pilote et Molgat, 2010), celui-ci parle également de
l’importance de placer l’individu au cœur de la démarche pour une meilleure
compréhension des sociétés modernes.
4.2.1 Définition des concepts
Tout d’abord, Bajoit (2003) suggère une sociologie ayant l’hypothèse suivante :
… Pour le paradigme identitaire, l’homme est en recherche constante de
construction et de réalisation de son identité. Plus précisément : chaque
individu cherche à construire et à réaliser son identité personnelle par ses
relations avec les autres; pour ce faire, il produit des contraintes sur les
autres pour les obliger à le laisser faire ce qu’il veut; il produit des sens pour
justifier ce qu’il fait, à ses yeux et aux leurs; ces contraintes et ces sens
conditionnent les relations sociales qu’il pratique avec eux; ces relations
forment les identités collectives, qui sont traversées par des tensions
structurelles, que l’individu gère pour construire son identité personnelle;
pour réaliser cette identité personnelle, il s’engage dans des logiques
d’action avec les autres; et c’est par ces actions qu’il (re)produit les
contraintes et les sens qui structurent ses relations sociales. (p. 17)
En décortiquant cette hypothèse, des notions en ressortent : sujet individuel, socialisation,
identités collectives, tensions structurelles, construction identitaire personnelle, engagement
et reproduction. Ces notions relient bien la perspective de Bajoit (2003) à la présente
recherche, alors qu’il en fut justement question aux deux premiers chapitres dans l’énoncé
des problématiques générale et spécifique ainsi que dans l’énoncé des concepts retenus.
Celles-ci méritent donc que l’on s’y attarde. Nous les passerons en revue afin de bien les
situer et les comprendre dans cette perspective initiée par Bajoit (2003).
Premièrement, en ce qui a trait à la notion de « sujet individuel », Bajoit (2003) s’est posé
la question : « Comment partir de l’homme tel qu’il est, objet et sujet à la fois, ne pas
74
choisir entre les deux, et sortir de cette impasse sans perdre les acquis de ces deux manières
opposées, mais toutes deux valables, de faire de la sociologie? » (p. 13) Selon lui, il est
essentiel de baser toute action sociologique sur l’individu; en d’autres mots, il faut
appréhender et interpréter notre façon de vivre en société à partir de l’individu et de ses
relations (Bajoit, 2003). Une telle perspective n’est pas sans rappeler le cadre conceptuel
identitaire que nous avons retenu pour ce travail, soit celui qui renvoie au besoin
d’harmonie chez le jeune entre le collectif et l’individuel (Pilote et Magnan, 2008a) et où
l’acteur social en est l’élément central (Gérin-Lajoie, 2007; Landry et al., 2008; Pilote,
2006, 2007a, 2007b; Pilote et Magnan, 2008a, 2008b; Pilote et Molgat, 2010).
Cette façon de vivre en société à partir de l’individu et de ses relations est une notion que
Bajoit (2003) nomme « socialisation ». La socialisation « est à la fois la source de tous nos
plaisirs et de tous nos problèmes » (Bajoit, 2003, p. 19). En effet, elle a l’avantage de
faciliter l’accomplissement des tâches variées nécessaires à la subvention des besoins de
chacun par leur partage entre les membres d’une même collectivité, mais elle a aussi le
désavantage inévitable de soulever des difficultés au sein de la collectivité (Bajoit, 2003).
Dans une même collectivité, il y a les « identités collectives », c’est-à-dire la « production
et sélection des sens légitimes » (Bajoit, 2003, p. 63), et celles-ci entrent en jeu puisqu’elles
permettent notamment aux individus de se donner un référent culturel à ces inévitables
contraintes collectives qu’apporte la socialisation. Ainsi, selon Bajoit (2003), les identités
collectives justifient les contraintes de la société qui se résument à « la puissance, le
pouvoir, l’autorité, l’influence [et] l’hégémonie » (p. 63).
Toutefois, Bajoit (2003) reconnaît que « les identités collectives sont faites d’un mélange
complexe de tensions entre […] quatre sentiments [:] la fierté, l’envie, la honte et le
mépris » (p. 88). Ces « tensions structurelles », appelées également par Bajoit (2003)
« tensions existentielles » ou « tensions identitaires », se caractérisent selon « trois types de
tensions […] : sujet dénié [qui] souffre d’un déni de reconnaissance sociale[,] sujet divisé
[qui] souffre d’un déni d’accomplissement personnel [et] sujet anomique [qui] souffre de
dissonance existentielle » (p. 100). Pour illustrer ces trois types de tensions, Bajoit (2003)
75
explique, par exemple, que le sujet dénié pourrait très bien représenter un jeune qui se sent
déprécié par sa communauté qui le marginalise. Le sujet divisé, quant à lui, voulant
maintenir à tout prix l’harmonie entre soi et les autres, pourrait s’empêcher de lui-même
d’abandonner ses engagements déjà entrepris, même s’il croit avoir commis une erreur ou
adopté une nouvelle façon de penser. Enfin, le sujet anomique perçoit une opposition entre
ses propres « attentes culturelles d’accomplissement » (Bajoit, 2003, p. 102) et celles des
autres. Il se sent pris entre les deux. Céder à la pression sociale et tenter de suivre le
système signifierait d’aller à l’encontre de lui-même, et donc, d’éprouver l’état de tension
du sujet divisé. À l’inverse, s’acharner à la mise en œuvre de ses propres attentes
signifierait d’être non reconnu par les autres, et donc, d’éprouver l’état de tension du sujet
dénié. Ainsi, peu importe le choix du sujet anomique, cela lui occasionnera un état de
tension vers l’opposé (Bajoit, 2003).
Pour chaque individu, Bajoit (2003) explique qu’il y a donc un travail individuel constant
sur son identité personnelle dont l’objectif est notamment de s’accomplir personnellement,
de se faire reconnaître socialement ainsi que d’en arriver à une harmonie entre les deux;
c’est la « construction identitaire personnelle ».
De plus, Bajoit (2003) mentionne que « ceux qui occupent la même position dans une
relation sociale participent à la même identité collective. […] Mais cela ne signifie pas pour
autant qu’ils s’engageront tous dans les mêmes logiques d’action sociale » (p. 133). En fait,
« l’engagement est […] la traduction de l’identité engagée en logiques d’action sur les
autres. Pour réaliser son identité, chacun a besoin des autres, entre en relation avec eux,
noue des liens sociaux. […] Chaque ‘je’ cherche donc à agir sur les autres pour réaliser ses
engagements envers lui-même » (Bajoit, 2003, p. 134). En fin de compte, Bajoit (2003)
rappelle que c’est l’engagement identitaire de chacun qui permet à la société de se
« (re)produire ». Et « si nous comprenons comment les acteurs changent la société, nous
comprendrons aussi comment ils assurent sa continuité, comment ils la reproduisent »
(Bajoit, 2003, p. 155). On se souviendra du concept d’engagement identitaire, discuté au
deuxième chapitre, en tant que « disposition affective envers [l’]identité [francophone] »
(Deveau et al., 2008, p. 3). Un concept qui nous semble quelque peu différent de celui de
76
Bajoit (2003), alors qu’il souligne l’engagement émotionnel de la personne; la notion
d’engagement identitaire de Bajoit (2003) se traduisant plutôt en termes d’engagement dans
des logiques d’action sociale. Outre cette petite particularité entre les deux concepts, nous
reconnaissons cependant le même caractère d’engagement où l’individu reconnaît un
certain attachement envers son groupe. Somme toute, en adaptant le concept d’engagement
identitaire de Bajoit (2003) à celui des francophones en situation minoritaire, nous
pourrions ainsi supposer qu’avoir la possibilité de comprendre de quelles façons les
membres des communautés francophones en situation minoritaire modifient la société dans
laquelle ils prennent place, permettrait également de saisir par quels moyens ils en assurent
sa suite, par quels moyens ils la renouvellent.
Maintenant que les notions principales ont été précisées, il convient de présenter le modèle
théorique de Bajoit (2003) qui viendra supporter l’analyse de nos données à l’étude, et ce,
de façon plus pratique.
4.2.2 Présentation du modèle théorique
Ainsi, comme nous en avons parlé un peu plus haut, Bajoit (2003) reconnaît que la
(re)construction perpétuelle de l’identité personnelle permet à chaque individu d’atteindre
trois objectifs, soit le « sentiment d’accomplissement personnel », le « sentiment de
reconnaissance sociale » et le « sentiment de consonance existentielle ». Ces trois objectifs
mènent à l’harmonisation des « trois sphères constitutives de l’identité », soit « l’identité
désirée », « l’identité assignée » et « l’identité engagée » (Bajoit, 2003). Le schéma
présenté par Burrick (2010) permet de mieux comprendre l’interrelation entre ces trois
sphères.
77
Figure 4.1 : La structure de l’identité personnelle
(Burrick, 2010, p. 37)
Tout d’abord, l’identité désirée est la conception de tout être humain envers « ce qu’il
voudrait devenir et être, c’est l’ensemble des ‘projets’ identitaires […] qui forment son
noyau identitaire » (Bajoit, 2003, p. 103) lorsque vécus positivement ou qui représentent,
au contraire, une source de stress lorsque vécus négativement. À la lumière de cette
affirmation, nous comprenons que les jeunes francophones en situation minoritaire, dans un
contexte où ils sont plus éloignés des grands centres, qui souhaitent poursuivre des études
postsecondaires, alors que celles-ci ne s’offrent pas dans leur région, sont dans une
situation qui nécessite que l’on s’y attarde du fait que « l’identité désirée » (Bajoit, 2003)
de ces jeunes puisse représenter une expérience négativement marquante. Qui plus est, cela
rejoint les dénonciations de la FJCF (2009), que nous avions vues précédemment, envers
les situations où les jeunes francophones en situation minoritaire perçoivent des difficultés
lorsque vient le temps de choisir un programme d’études postsecondaires dans la langue de
leur choix et dans le domaine qui les intéresse. Reste à voir de quelle façon, au sein de notre
corpus, les jeunes composent personnellement avec leur identité désirée, c’est-à-dire si elle
est vécue positivement ou négativement, tel que Bajoit (2003) le conçoit.
L’identité assignée, pour sa part, est la perception de l’individu sur « ce que les autres
attendent de lui » (Bajoit, 2003, p. 103). En ce sens, Bajoit (2003) rapporte qu’il peut y
avoir le sentiment que les espérances des autres concordent avec les projets personnels de
l’individu, mais qu’il peut également y avoir un sentiment inverse, alors que les espérances
des autres semblent aller à l’encontre de ceux-ci. Toujours selon Bajoit (2003), l’identité
78
assignée peut aussi éveiller pour la personne la sensation qu’elle ne répond tout simplement
pas aux « attentes » de son entourage dans ses gestes quotidiens. Ce peut être parce que la
personne s’y affilie, mais qu’elle refuse tout simplement de passer à l’action, et ce, pour des
motifs variés. Ce peut être également parce qu’elle décide de ne pas chercher à en trouver
le sens pour elle-même. Comment se sent le jeune francophone en situation minoritaire
dans un contexte plus éloigné des grands centres qui fait le choix de partir de son milieu
d’origine pour poursuivre des études postsecondaires, alors qu’il reconnaît, en même
temps, les enjeux touchant sa région d’origine? Par ailleurs, l’étude de Lamoureux (2009)
sur les Franco-Ontariens nous fait porter la réflexion suivante : qu’en est-il de « l’identité
assignée » des jeunes francophones en situation minoritaire qui s’inquiètent à propos des
services d’orientation scolaire qui ne semblent pas les appuyer dans leurs choix quant à leur
volonté de poursuivre des études universitaires en anglais? Le même type de réflexion se
pose à propos des résultats de recherche de Labrie et al. (2009), alors que les conseillers
d’orientation, eux-mêmes, doivent composer avec les attentes du système scolaire et celles
des jeunes qui les consultent, et ce, même quand elles ne vont pas nécessairement dans le
même sens.
Enfin, l’identité engagée désigne ce que l’individu « est et devient vraiment, c’est
l’ensemble [de ses] engagements identitaires[…]; c’est ce qu’il fait de sa vie » (Bajoit,
2003, p. 104). Les « engagements » qu’il prend peuvent, tout d’abord, aller dans le sens
qu’il le désire selon ses « projets » et ce que l’entourage attend de lui. Ce faisant, l’individu
concrétise son « noyau identitaire ». Toutefois, les engagements peuvent tout aussi bien être
exécutés à l’encontre de ce qui est attendu par les autres ou, au contraire, à l’encontre de ses
propres attentes (Bajoit, 2003). Le troisième chapitre, portant sur l’identité acadienne, nous
éclaire bien sur la situation des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick d’aujourd’hui,
alors que l’individu se positionne de diverses façons vis-à-vis l’identité collective (Pilote,
2010; J. Y. Thériault, 2008). « Dans une société d’individus [où] les identités sont plurielles
[et où] le social est dorénavant fragmenté entre plusieurs identités en compétition » (J. Y.
Thériault, 1995, p. 77), reste à voir comment se traduira « l’identité engagée » des jeunes
participants à l’étude face au choix qu’ils ont fait de quitter leur milieu d’origine dans le but
de poursuivre des études postsecondaires.
79
Il est difficile, selon Bajoit (2003), de tolérer les « tensions existentielles » qui persistent
entre les trois sphères identitaires qui viennent d’être présentées. La raison est que
l’individu s’associe émotionnellement aux trois sphères simultanément et qu’il en est
grandement attaché (Bajoit, 2003). Il tente idéalement d’en aboutir à un équilibre parfait,
soit « d’avoir de l’estime pour lui-même, et, en même temps, jouir de l’estime des autres,
pour ce qu’il s’est engagé à faire de sa vie » (Bajoit, 2003, p. 105). Cet effort journalier de
gestion des rapports entretenus par chaque individu avec son entourage et avec lui-même
est ainsi, selon Bajoit (2003), ce qui fait qu’il se sent unique.
Bajoit (2003) se pose alors la question : « Comment, avec quelles ressources psychiques,
l’individu gère ses tensions? » (Bajoit, 2003, p. 111) En fait, Bajoit (2003) explique que
pour chaque type d’identité (assignée, désirée et engagée), les personnes font appel à
« différents modes de gestion relationnelle de soi, à différentes logiques du sujet » (p. 115).
« La variante (extrême ou modérée) de ces finalités donne lieu à dix types de logique
identitaire » (Burrick, 2010, p. 37) résumés clairement par Burrick (2010) :
… Le sujet conformiste fait preuve d’intégration, il se surconforme aux
‘valeurs sûres’ (religieuses, ethniques, régionales ou nationales, politiques,
familiales…), se convainc qu’il doit se soumettre.
Le sujet adaptateur est mobile, participe à la compétition pour ‘devenir
quelqu’un’, il présente des signes d’ascension sociale, mais n’y croit pas
toujours.
Le sujet rebelle se convainc que ce qui est attendu de lui n’est pas légitime,
est à rejeter, il se retrouve en désapprobation sociale.
Le sujet altruiste est avant tout un être social, il est prêt à renoncer à lui-
même, à se tenir à la disposition des autres.
Le sujet stratège est hédoniste, vit au présent et apprécie la qualité de vie
(physique, affective et mentale), notamment à travers son réseau de pairs, il
se situe au croisement des logiques authentique et altruiste.
Le sujet authentique est autotélique, il a une passion, des désirs, qu’il ne
peut s’empêcher de poursuivre malgré leur illégitimité au sein du monde
dans lequel il vit; il a, ou croit avoir trouvé, comment s’accomplir
personnellement.
80
Le sujet conservateur se persuade qu’il faut continuer dans ses choix, les
assumer et aller jusqu’au bout.
Le sujet pragmatique ne veut pas se contenter de la vie qu’il a, il rêve de
ce qu’il souhaiterait avoir : d’une part, il travaille de façon instrumentalisée
et, d’autre part, il s’autoréalise à travers sa seconde vie qu’il mène, en
rapport avec son talent, sa vocation.
Le sujet innovateur se veut plus souple, il est moins dogmatique, s’adapte,
fait preuve d’autocritique, serait prêt à recommencer à zéro, à faire d’autres
projets.
Enfin, le sujet anomique ne parvient pas à gérer les tensions, il ne veut pas
remplir le rôle social que les autres lui assignent, ni s’accomplir
personnellement par une passion; refermé sur lui-même, la souffrance le
conduit vers des conduites asociales, déviantes… voire il parvient à faire
croire que ‘tout va bien’. (p. 36-38)
Voici donc une illustration qui récapitule les « modes de gestion relationnelle de soi » que
nous venons de voir. Ces types, que Bajoit (2003) nomme aussi « attitudes », se présentent
de la façon suivante :
Figure 4.2 : Les modes de gestion relationnelle de soi
(p. 120)
81
Ainsi, pour l’identité assignée, on retrouve le sujet conformisme, le sujet adaptateur et le
sujet rebelle. Pour l’identité engagée, les sujets conséquent, pragmatique et innovateur.
Enfin, pour l’identité engagée, on retrouve les sujets altruiste, stratège et rebelle.
Bajoit (2003) insiste pour dire que « cette gestion n’est pas totalement (in)volontaire ni
entièrement (in)consciente » (p. 120). Dans un entremêlement de bon sens et de manque de
discernement, l’être humain poursuit son travail identitaire et sa façon d’être en société. Nul
besoin de porter un jugement, c’est ainsi que l’homme est constitué (Bajoit, 2003).
De plus, Bajoit (2003) explique que « sur un fond culturel propre à un lieu et à un temps,
chaque individu, doté de ses ressources sociales, face à un projet parental ou à un projet
scolaire, vit des expériences décisives, des moments où les tensions existentielles qui
menacent son identité sont particulièrement fortes et où le travail de gestion de soi est tout
spécialement important » (p. 121). Cette affirmation permet de faire un pont intéressant
entre le cadre théorique de Bajoit (2003) et la présente recherche puisqu’elle peut
facilement être appliquée à notre corpus de jeunes francophones provenant de milieux
minoritaires. Ceux-ci sont donc fortement susceptibles de rencontrer des tensions
existentielles pouvant porter atteinte à leur identité alors qu’ils vivent des expériences
marquantes par l’entremise de leurs choix scolaires et professionnels. Ils se trouvent à une
période importante de leur vie où leur construction identitaire en est généralement ébranlée.
L’analyse de nos données saura sûrement nous éclairer là-dessus.
Le modèle théorique de Bajoit (2003) que nous venons de ressortir rend bien compte de la
construction identitaire, et ce, à partir du processus d’engagement. Il sera intéressant
d’analyser nos données en fonction de ce cadre. De plus, la situation de mobilité, qui nous
intéresse tout autant puisqu’elle fait partie intégrante du vécu de nos participants à l’étude,
est facilement applicable à la typologie proposée par Bajoit (2003) puisqu’elle constitue en
soi une des possibles tensions existentielles parmi les expériences marquantes de nos
participants à l’étude.
82
Nous sommes maintenant en mesure de préciser de quelle façon ce cadre théorique sera
utilisé pour notre recherche.
4.3 Utilisation du cadre théorique pour notre recherche
Dans la présentation même du modèle théorique de Bajoit (2003) que nous venons de
parcourir, nous avons déjà su démontrer des liens possibles pouvant être faits entre le
modèle sur le changement social de Bajoit (2003) et le contexte actuel des jeunes
francophones en situation minoritaire. Une telle démonstration assure déjà l’atteinte d’une
cohérence dans l’interprétation des données à l’étude. De fait, nul doute que l’utilisation
d’un cadre théorique comme celui de Bajoit (2003) saura apporter un éclairage intéressant
dans l’analyse et l’interprétation de nos données de recherche, et, par ricochet, un éclairage
nouveau sur notre problématique générale, l’objet de notre étude, soit la construction
identitaire des jeunes francophones en situation minoritaire.
La position sociologique de Bajoit (2003), où il renouvelle la nature profonde de la
sociologie dans le but de l’adapter aux sociétés modernes, rejoint bien la nouvelle réalité
des communautés acadiennes du Nouveau-Brunswick, tel que nous l’avons dressé dans les
chapitres subséquents. Sa volonté d’accueillir les différentes dimensions d’individu-objet et
d’individu-sujet, plutôt que de les séparer (Bajoit, 2003), nous interpelle grandement dans
notre désir d’en arriver à dresser une interprétation médiane de nos données de recherche,
c'est-à-dire une interprétation qui ne vise pas à faire apparaître sous un jour favorable ou
défavorable la situation des francophones hors Québec.
Le système conceptuel sur lequel nous nous baserons pour analyser et interpréter les
données de notre recherche sera donc le modèle sur le changement social de Bajoit (2003).
Plus précisément, nous analyserons et interpréterons le rapport à l’identité acadienne de nos
participants à l’étude en utilisant les types de logique identitaire proposés par Bajoit (2003)
qui, rappelons-nous, permettent de déterminer les « modes de gestion relationnelle de soi »
mis en place par tout individu afin de régir les tensions existentielles ressenties dans les
83
rapports avec les autres et avec soi-même. Bref, nous chercherons dans le discours de
chaque participant et tenterons d’y ressortir les composantes identitaires acadiennes
pouvant être analysées selon la typologie proposée par Bajoit (2003).
Avant de passer à l’analyse des données, il importe d’introduire, au chapitre suivant, la
méthode de recherche employée pour la réalisation de ce mémoire.
Chapitre 5
Approche méthodologique
La présente étude s’insère au sein d’un programme de recherche sous la direction d’Annie
Pilote dont une partie a été financée par le Conseil de recherches en sciences humaines
(CRSH) et l’autre, par le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture
(FQRSC). S’inscrivant dans une même ligne de pensée que ce programme de recherche
général, notre recherche s’articule autour de la construction identitaire avec des objectifs
spécifique où les rapports à l’identité sont examinés, et ce, dans un contexte de mobilité
géographique.
5.1 Méthode de cueillette des données
Une approche qualitative est particulièrement appropriée pour la présente recherche. Elle se
veut pertinente du fait que nous visons à saisir le processus à travers lequel se construit
l’identité propre à chaque individu et non pas la quantifier. En effet, l’objectif est de
comprendre particulièrement le fonctionnement et la transformation (Bertaux, 1997) de la
construction identitaire lors des études universitaires chez de jeunes francophones en
situation minoritaire dans un contexte de mobilité géographique, et ce, « en mettant l’accent
sur les configurations de rapports sociaux, les mécanismes, les processus, les logiques
d’action qui [la] caractérisent » (p. 7).
… [Par ailleurs,] la sociologie ne se pratique pas en chambre, elle a besoin
nécessairement de corpus, de données empiriques. Elle doit être nommée
‘sociologie d’enquête’, soulignant ainsi ce va-et-vient entre les deux
niveaux, entre les idées et l’enracinement dans la réalité sociale. (de Singly, 2010, p. 20)
Ainsi, dans le but de « ‘faire travailler’ la théorie grâce aux données obtenues par la
recherche » (de Singly, 2010, p. 21), nous avons sélectionné une méthode d’enquête
85
qualitative sous forme de récits de vie (Bertaux, 1997), soit l’entrevue individuelle semi-
dirigée. Comme Bertaux (1997) l’explique, il importe de ne pas confondre « l’histoire
vécue par une personne et le récit qu’elle [peut] en faire, à la demande d’un chercheur, à tel
moment de son histoire » (p. 6). On ne peut donc pas renier le caractère subjectif d’une telle
technique, alors que le sujet est libre de raconter ce qu’il souhaite bien partager avec le
chercheur. Mais Kauffman (2004b, cité par Burrick, 2010) assure que, sans être conforme à
la réalité de son vécu, la personne n’en est pas moins sincère. Bertaux (1997) reconnaît
l’efficacité de la technique du récit de vie quant à la possibilité de recueillir de
l’information s’appuyant sur l’expérience de chacun des sujets, plutôt que sur la théorie, ce
qui « permet de saisir par quels mécanismes et processus des sujets en sont venus à se
retrouver dans une situation donnée, et comment ils s’efforcent de gérer cette situation »
(p. 15).
Notre approche se veut également interprétative, alors qu’elle favorise « les méthodes
qualitatives et les hypothèses subjectives, c’est-à-dire [qu’elle met] en relief la dynamique
des acteurs sociaux » (Toupin, 1995, p. 21). Par une telle approche, nous considérons aussi
que la construction de la vie en société dépend du sens que chacun lui donne (Toupin,
1995). Pour expliquer, Toupin (1995) présente « la pragmatique [qui] propose une relation
triadique » (p. 22) :
… De prime abord, le sens véhiculé par une conversation dépendra du
contexte qui permet de thématiser les échanges, met en relief la position
sociale des acteurs et mobilise des éléments porteurs de significations. […]
Le sens dépendra aussi du référentiel du locuteur, c'est-à-dire du rapport
entre les objets ou les états de choses du monde et les expressions
langagières qui les visent. […] Finalement, le sens dépendra aussi de
l’interaction elle-même. Le locuteur n’est pas, à lui seul, maître du mot, de
l’expression ou de la phrase. Non seulement extrait-il le plus souvent ses
expressions d’un stock culturel existant mais encore, de façon plus
immédiate, il doit considérer que le sens est le produit de l’interaction
verbale avec son auditeur. (p. 22)
De ce fait, il faut tenir compte, à la fois, du contexte dans lequel prend place le dialogue de
l’entretien, de la singularité de celui qui parle et de cette volonté de rester fidèle à la vision
86
du monde, malgré que l’on ne puisse échapper au fait que le chercheur lui-même interprète
cette vision du monde à son regard de chercheur.
Par conséquent, en recherche qualitative, l’entrevue est particulièrement utile comme
méthode de recherche pour accéder aux attitudes et aux valeurs individuelles des gens; des
éléments que l’on n’obtient pas aussi facilement en faisant remplir un questionnaire formel
(Byrne, 2004, citée par Silverman, 2006). Plus précisément, l’entrevue individuelle semi-
dirigée permet à la personne interrogée d’approfondir et d’élaborer ses réponses, tout en
prenant en considération le contexte particulier dans lequel elles sont posées. Bertaux
(1997) en parle en termes d’« expérience passée au filtre » (p. 34).
5.1.1 Le déroulement des entrevues et la présentation du guide
d’entretien
Une équipe composée de la chercheuse principale, de ses chercheurs associés ainsi que de
cinq assistants de recherche, dont moi-même, s’est chargée de faire passer les entrevues. Au
total, quatre-vingts (80) entrevues ont été réalisées entre les mois d’avril 2008 et avril 2009.
De ces quatre-vingts (80) entrevues, vingt-deux (22) ont été retenues pour ce mémoire,
selon les critères de sélection suivants :
― les sujets sont originaires du Nouveau-Brunswick;
― ils ont fréquenté une des écoles françaises de la province, et ce, dès le début du primaire
jusqu’à la fin du secondaire;
― ils ont grandi dans une communauté constituée de francophones à plus de 90 %, selon
Statistique Canada (2011); et enfin,
― les sujets choisis ont tous quitté leur milieu d’origine pour effectuer des études
universitaires.
Si nous reprenons plus en détail les raisons qui motivent le choix des critères
susmentionnés, nous avons, tout d’abord, choisi de cerner uniquement les francophones du
Nouveau-Brunswick ajoutant ainsi notre modeste contribution aux recherches en ce sens
qui sont encore trop peu nombreuses. Ensuite, tout comme Pilote (2010) le mentionne,
« l’identité varie aussi selon les contextes locaux » (p. 36). Ainsi, la fréquentation d’une
87
école francophone du Nouveau-Brunswick, tant au primaire qu’au secondaire, permettra
d’éviter un biais dans ce sens lorsque l’expérience de vie générale du corpus sera analysée
et interprétée. De fait, les sujets originaires du Nouveau-Brunswick ayant débuté ou
complété respectivement leurs études primaires ou secondaires dans une autre province ont
été exclus de notre corpus. C’est pour la même raison que nous avons choisi des sujets
originaires de régions ayant un très haut pourcentage de population francophone. Il va sans
dire qu’un plus petit nombre de participants nous aurait forcées à inclure dans notre étude
des régions avec un moindre pourcentage, mais tel ne fut pas le cas. Enfin, le fait de choisir
des jeunes qui ont décidé de quitter leur milieu d’origine pour effectuer des études
postsecondaires nous est apparu essentiel au regard de notre problématique qui porte sur la
mobilité.
Les entrevues, d’une durée moyenne de deux heures, se sont déroulées dans des locaux de
quatre universités canadiennes, soit l’Université de Calgary, l’Université d’Ottawa,
l’Université Laval et l’Université de Moncton (campus de Moncton, d’Edmundston et de
Shippagan). Avec le consentement21
des participants, toutes les entrevues ont été
enregistrées. À la fin des entrevues, un questionnaire sociodémographique22
était également
rempli par le répondant. Cette démarche supplémentaire permettait de préciser des
informations importantes qui n’étaient pas nécessairement mentionnées en entrevue. Enfin,
les entrevues ont porté sur les cinq thèmes du guide d’entretien23
. Celui-ci était composé de
questions générales touchant à des thèmes spécifiques à la trajectoire personnelle de chacun
des participants. Ces derniers étaient ainsi amenés à relater leur histoire de vie personnelle,
en lien avec leur décision de poursuivre des études postsecondaires et leur rapport à la
francophonie canadienne. Les cinq thèmes du guide d’entretien étaient les suivants :
1) grandir et vivre dans un milieu francophone minoritaire; 2) le parcours universitaire;
3) parcours de mobilité; 4) identification culturelle, sociale et politique; et 5) qu’est-ce que
l’avenir me (et nous) réserve?
21
Voir Annexe 1 – Formulaire de consentement. 22
Voir Annexe 2 – Questionnaire sociodémographique. 23
Voir Annexe 3 – Guide d’entretien.
88
Pour le premier thème Grandir et vivre dans un milieu francophone minoritaire, le
participant était invité à raconter ce qu’était la vie en général là où il a grandi, sa vie
familiale, l’identité de ses parents, ses souvenirs d’école, ses réseaux d’appartenance de
l’époque, la perception qu’il a de sa communauté francophone ainsi que le niveau
d’importance de la langue française pour lui et pour ses parents.
Le thème sur Le parcours universitaire demandait au participant de décrire son
cheminement scolaire après le secondaire, de réfléchir sur les raisons de ses choix
d’université et de programme d’études ainsi que de décrire les modes de financement
utilisé, sa vie étudiante et ses réseaux de relations particulières.
Pour le thème Parcours de mobilité, nous demandions au participant d’expliquer ce qui a
motivé sa décision de quitter son milieu d’origine, s’il y retourne régulièrement, s’il y a des
choses qui ont changé depuis son départ, ce qu’il pense des jeunes de sa région qui
choisissent de rester et s’il perçoit que sa communauté ainsi que les intervenants politiques
se mobilisent pour inciter les jeunes à rester.
Le thème Identification culturelle, sociale et politique permettait au participant de se
décrire personnellement, de se définir en tant qu’adulte ou jeune, d’expliquer comment il
croit que les autres le perçoivent, s’il pense qu’il existe des liens entre « sa » communauté
francophone et celles d’ailleurs, s’il a le sentiment d’appartenir à une communauté
minoritaire, et enfin, s’il y a un mouvement politique ou social auquel il se sent attaché.
Le dernier thème Qu’est-ce que l’avenir me (et nous) réserve? portait sur la vision du
participant envers son avenir professionnel, ses projets à venir et l’avenir des francophones
canadiens hors Québec, selon les dimensions politique, sociale et culturelle.
Notre mémoire considère les cinq thèmes, mais il se concentre plus précisément sur les
conditions objectives et le discours identitaire du participant à l’intérieur de ces thèmes
pouvant nous éclairer sur son rapport à l’identité acadienne.
89
5.1.2 Considérations déontologiques
Cet outil de cueillette de données (le guide d’entretien) ainsi que la description de tous les
éléments du projet de recherche ont été approuvés par le Comité d’éthique de l’Université
Laval en octobre 2007. Les participants ont été informés des objectifs et des modalités de la
recherche, de ses avantages et du droit de se retirer en tout temps. La confidentialité des
renseignements personnels a été respectée tout au long du processus de la recherche, de la
cueillette à l’analyse des données, et un pseudonyme a été attribué à chaque étudiant. Un
montant forfaitaire de quinze dollars a été déboursé au répondant à la fin de chaque
entrevue.
5.2 Constitution de l’échantillon
Dans le cadre de ce travail, nous nous intéressons plus spécifiquement aux jeunes étudiants
universitaires francophones en situation de mobilité, originaires de communautés néo-
brunswickoises francophones à plus de 90 %. Nous rappelons que le choix d’étudier cette
population spécifique découle des finalités de la démarche de recensions d’écrits que nous
avons effectuée aux deux premiers chapitres, dans laquelle nous reconnaissons les enjeux
communs à la francophonie canadienne hors Québec et auxquels s’ajoutent les enjeux
propres aux communautés francophones du Nouveau-Brunswick en contexte plus rural.
Entre autres enjeux, il en découle le phénomène de migration chez les jeunes francophones
qui représente un problème de taille pour la minorité francophone éloignée des grands
centres. Notre décision d’en faire une étude microscopique, soit directement auprès des
jeunes francophones universitaires, relève de notre intérêt à comprendre comment se
construit leur identité, alors qu’ils font l’expérience d’une mobilité géographique lors de
cette période cruciale de leur vie.
Par conséquent, cette étude étant effectuée à petite échelle, il convient que les résultats ne
soient pas représentatifs de toute une population. Toutefois, tout comme Bertaux (1997) le
mentionne, « en dépit de la vérité de chaque cas, on en arrive à la confirmation des
90
hypothèses et à une certaine saturation du modèle élaboré par le chercheur, modèle qui
prend ainsi une valeur de généralité » (p. 29).
Les étudiants universitaires provenant d’un milieu francophone minoritaire ont
volontairement accepté de participer à notre étude. Ceux-ci ont été recrutés et sélectionnés
en fonction des critères que l’on souhaitait étudier.
5.2.1 Recrutement des participants
Le recrutement des participants s’est effectué en deux étapes. Une invitation à répondre à
un questionnaire électronique a, tout d’abord, été envoyée à tous les étudiants originaires
d’un milieu francophone minoritaire fréquentant l’une des quatre universités concernées.
Ce questionnaire était directement accessible sur un site Internet réservé à cette fin. Puis, à
partir des membres de notre échantillon ayant répondu au questionnaire électronique, ceux-
ci ont été invités à participer à une seconde étape et des entrevues individuelles ont été
réalisées avec les intéressés.
L’étude comprend des étudiants universitaires en provenance de milieux francophones
minoritaires qui sont âgés entre dix-huit (18) et trente (30) ans. Au total, l’échantillon du
projet de recherche général est constitué de quatre-vingts (80) participants : dix (10) de
l’Université de Calgary, vingt-quatre (24) de l’Université d’Ottawa, vingt-deux (22) de
l’Université Laval et vingt-quatre (24) de l’Université de Moncton, dont dix-neuf (19) au
campus de Moncton, deux (2) au campus d’Edmundston et trois (3) au campus de
Shippagan.
91
Tableau 5.1 : Constitution de l’échantillon du projet de recherche général
Université de Calgary Université d’Ottawa Université Laval Université de Moncton
10 participants 24 participants 22 participants
Campus de Moncton
19 participants
Campus d’Edmundston
2 participants
Campus de Shippagan
3 participants
5.2.2 Caractéristiques de l’échantillon
Plus précisément pour ce travail, notre échantillon est composé de douze (12) femmes et de
dix (10) hommes. Parmi ceux-ci, deux (2) étaient inscrits à l’Université d’Ottawa au
moment de l’entrevue, dix (10) à l’Université Laval et dix (10) à l’Université de Moncton,
dont huit (8) au campus de Moncton et deux (2) au campus de Shippagan. Tous les
participants proviennent du nord du Nouveau-Brunswick, une partie de la province
comprenant plusieurs municipalités majoritairement francophones, malgré la situation
minoritaire de cette langue à l’échelle provinciale.
Tableau 5.2 : Constitution de l’échantillon de notre projet de recherche
Université de Calgary Université d’Ottawa Université Laval Université de Moncton
----- 2 participants 10 participants
Campus de Moncton
8 participants
Campus d’Edmundston
-----
Campus de Shippagan
2 participants
92
5.3 Méthode d’analyse des données
5.3.1 L’analyse de contenu
Tous les enregistrements audio ont été transcrits en comptes rendus intégraux (verbatims)
par des assistants de recherche. Les données qualitatives ainsi recueillies ont fait l’objet
d’une analyse de contenu. Une telle approche s’inspire des démarches proposées par
L’Écuyer (1990) et Huberman et Miles (1991, 1994). Ainsi, selon L’Écuyer (1990),
l’analyse de contenu est une « méthode de classification ou de codification des divers
éléments du matériel analysé, permettant à l’utilisateur d’en mieux connaître les
caractéristiques et la signification » (p. 9).
5.3.2 Les étapes de l’analyse de contenu
La première étape a consisté à transcrire l’ensemble des entrevues. Tous les renseignements
qui permettaient de reconnaître les participants ont été retirés. Un pseudonyme a aussi été
attribué à chacun d’eux.
Pour la seconde étape, le compte rendu intégral des entretiens fut téléchargé dans le logiciel
QDA Miner version 3.2 pour en faire la codification du matériel. Une équipe d’assistants
de recherche, dont moi-même, chapeautée par Annie Pilote, a effectué un premier essai de
codification avec une première entrevue dans le logiciel. La concertation d’équipe des
codes ressortis de ce premier essai a permis de créer un livre de codes très complet et
détaillé. Puis, à l’aide de ce livre de codes imposant, nous avons décortiqué
systématiquement par codes tous les entretiens. Le livre de codes comprenait notamment
des catégories et des sous-catégories bien définies qui nous a permis de regrouper
minutieusement les parties de discours comparables. Voici les grandes catégories de notre
livre de codes : socialisation familiale, consommation culturelle, réseau social, parcours de
mobilité, parcours scolaire antérieur, études universitaires actuelles, socialisation/parcours
professionnel, regard de l’Autre sur soi, représentation de l’Autre, relation à l’Autre,
93
identité individuelle « Je », identité collective « Nous », moments de choix, processus
réflexifs, projets personnels futurs, engagement envers la francophonie, autres
engagements, avenir des francophones, premiers contacts avec l’anglais. Cette étape de
création du livre de codes et ce processus de codification a certainement favorisé une
première appropriation vigoureuse du contenu des entretiens.
La suite de notre démarche pour ce travail nous a menées à reprendre les comptes rendus
intégraux afin de revoir chacun des entretiens individuellement. Il nous a semblé nécessaire
de procéder ainsi afin de maintenir une vue d’ensemble du discours du participant, nous
permettant, par le fait même, de saisir l’intégrité du contexte dans lequel les propos
recherchés ont été dits. Ainsi, comme dernière étape à l’analyse de contenu (L’Écuyer,
1990; Huberman et Miles, 1991, 1994), les parties de discours de chacun des vingt-deux
entretiens ont été choisies en fonction du sujet à l’étude. Aux fins de ce travail, nous avons
ciblé les parties qui relataient les conditions objectives (familiale, territoriale,
institutionnelle et sociale) du participant ainsi que celles plus identitaires (linguistique,
historique, culturelle et territoriale) en lien avec les conditions objectives qui avaient
émergé précédemment, et ce, dans une perspective toujours centrée sur le rapport à
l’identité acadienne. Une fiche-synthèse24
rassemblant ces conditions objectives et
identitaires a été élaborée pour chaque participant. Ce sont ces fiches, réalisées entretien par
entretien (Blanchet et Gotman, 2007), qui nous permettront, au prochain chapitre,
d’organiser la présentation d’une analyse descriptive du rapport à l’identité acadienne pour
chacun de nos participants à l’étude. Il convient que cela constituera un travail de longue
haleine que celui de parcourir les vingt-deux (22) fiches de nos étudiants, mais une telle
nécessité provient du fait que l’analyse des résultats qui suivra est en fait l’analyse de la
manière dont chacun se définit en rapport avec l’identité acadienne articulée selon la
perspective théorique de Bajoit (2003). Nous nous devons donc de résumer de quelle façon
et à travers quel cheminement chaque jeune construit son rapport à l’identité acadienne
avant de pouvoir l’articuler au modèle théorique de Bajoit (2003).
24
Voir Annexe 4 – Exemple de fiche-synthèse.
94
Ainsi, en ce qui concerne les prochains chapitres, nous présenterons, tout d’abord, comme
nous venons de l’expliquer, l’analyse descriptive du rapport à l’identité acadienne ressortie
pour chacun de nos sujets à l’étude. Ce rapport à l’identité sera ensuite analysé de façon
individuelle en fonction du cadre théorique choisi, notamment selon la démarche de gestion
relationnelle de Bajoit (2003), telle qu’expliquée au chapitre précédent. Nous pourrons
ainsi cibler les tensions existentielles qui ressortent pour chacun des participants et voir de
quelle façon ceux-ci parviennent à les gérer. Et, finalement, ces deux chapitres d’analyse
nous permettront de répondre à notre question de recherche.
Chapitre 6
Parcours individuels et rapport à l’identité acadienne
Je suis en train de me construire.
(Anthony, p. 21)
Avant de passer au chapitre où nous articulerons les données de notre recherche à la
perspective de Bajoit (2003), il importe de présenter une analyse descriptive des parcours
individuels et du rapport à l’identité acadienne de nos vingt-deux (22) participants qui
composent cette étude, et ce, comme il se révèle dans leur discours d’entrevue. Pour en
faire cette description, nous nous sommes concentrées à ressortir, dans les discours
d’entrevue, tous les éléments permettant d’illustrer au meilleur de la forme la manière selon
laquelle chacun se définit en rapport avec l’identité acadienne.
6.1 Organisation du corpus
Au départ, un de nos critères de sélection était que les participants devaient être originaires
d’une région à 90 % francophone et plus, selon les données de Statistique Canada (2011).
Dans ce chapitre, nous organiserons notre corpus en fonction du comté dans lequel se
trouvent ces régions ressorties pour tous les participants à l’étude. Trois comtés sont
concernés : Madawaska, Restigouche et Gloucester, qui sont tous géographiquement situés
au nord du Nouveau-Brunswick. Dans ce cas, les pourcentages de francophones se
présentent comme suit : le comté de Madawaska est francophone à 93 %, celui de
Restigouche, à 64 %, alors que celui de Gloucester l’est à 84 % (Statistique Canada, 2011).
96
Figure 6.1 : Carte géographique des comtés du Nouveau-Brunswick
(http://www.gnb.ca/0113/coveredbridges/coveredbridges-f.asp)
Le contexte de vie de nos participants francophones peut donc différer selon le comté dans
lequel ils ont grandi. Par exemple, un jeune de Madawaska, originaire d’une communauté
francophone à 90 % ou plus, est beaucoup plus en mesure de continuer de faire face à un
contexte francophone majoritaire lorsqu’il se déplace à l’intérieur de son comté qu’un jeune
originaire du comté de Restigouche. De plus, le rapport à l’identité acadienne variera selon
les comtés. Par exemple, les jeunes de Madawaska parleront surtout de leur identité
« brayonne », alors que les jeunes de Gloucester s’identifieront plus à une identité
« acadienne ». Exceptionnellement, nous verrons aussi que la dimension linguistique
« francophone » de l’identité acadienne est celle qui est la plus souvent mentionnée comme
faisant partie intégrante de la construction identitaire des participants de notre corpus, et ce,
97
dans les trois comtés confondus. C’est sans surprise d’ailleurs, puisque, comme il le fut
souligné précédemment, la langue française est devenue un élément central pour le
développement et la vitalité de la communauté acadienne.
6.2 Confidentialité
Afin de préserver la confidentialité de nos participants à l’étude, nous avons déjà mentionné
qu’un pseudonyme leur a été attribué dès le début du programme de recherche. Dans ce
cas-ci, par souci d’éliminer ce qui n’est pas pertinent à l’analyse, nous avons également
omis certaines précisions dans l’analyse descriptive du rapport à l’identité acadienne des
membres de notre corpus. C’est pourquoi certains détails comme l’âge du participant,
l’origine de ses parents, le nom de sa ville ou de son village, sa fratrie, ses écoles
fréquentées, son ou ses domaines d’études postsecondaires, le nombre d’années
universitaires effectuées ainsi que ses réseaux sociaux ne seront pas mentionnés dans ce
mémoire, à moins qu’il n’en soit nécessaire pour une meilleure compréhension des données
d’analyse qui nous intéressent.
6.3 Analyse descriptive par comté
6.3.1 Comté de Madawaska
Comme mentionné précédemment, le comté de Madawaska est à 93 % francophone
(Statistique Canada, 2011). Il est géographiquement situé au nord-ouest du Nouveau-
Brunswick, en bordure de la province du Québec et de l’état du Maine, aux États-Unis.
98
Figure 6.2 : Carte géographique du comté de Madawaska
(http://www.ec.gc.ca/meteo-weather/default.asp?lang=Fr&n=87152BC1-1)
Huit de nos participants proviennent de ce comté, soit Raoul, Dany, Anne-Catherine,
Pierre-Luc, Gaston, Évelyne, Julianne et Carole. Précisons qu’ils ont tous fréquenté les
écoles primaire et secondaire francophones de leur région respective. L’enseignement
qu’ils ont reçu était donc dispensé en français. Voici l’analyse descriptive de la manière
selon laquelle chacun se définit en rapport à l’identité acadienne pour ces huit premiers
participants.
6.3.1.1 Raoul
Les parents de Raoul, originaires du comté de Madawaska, se sont séparés alors qu’il était
très jeune. Depuis, sa mère est déménagée au Québec et il est demeuré avec son père au
Nouveau-Brunswick. Le français occupe une place importante dans sa famille, simplement
parce que c’est leur langue ainsi que la langue majoritairement parlée dans la région. Après
99
son secondaire, Raoul a amorcé un programme de baccalauréat à l’Université de Moncton
(campus d’Edmundston). Deux années plus tard, il a poursuivi ce même programme au
campus de Moncton et il s’y trouve encore au moment de l’entrevue. La raison de son
déménagement est que les cours voulus ne s’offraient pas au campus d’Edmundston.
Toutefois, il s’aperçoit que, même à Moncton, ce ne sont pas tous les cours qu’il aimerait
suivre qui y sont offerts. Pour cela, Raoul regrette de ne pas s’être dirigé directement à
l’Université Laval, à Québec. Il projette donc de terminer son programme de baccalauréat à
Moncton, puis d’aller faire des études supérieures au Québec. Il aimerait se rendre au
postdoctorat pour pouvoir enseigner dans une université plus tard. L’Université Laval serait
son premier choix, mais il est prêt à aller jusqu’en France ou ailleurs sans problème.
Idéalement, le français sera sa langue de travail, mais il se dit capable de compromis pour
pouvoir enseigner dans sa spécialisation. Enfin, il aimerait apprendre d’autres langues et
parcourir le monde pour son travail. Raoul a une copine francophone originaire de la même
région que lui.
Raoul se décrit comme étant une personne très autonome de par son expérience de vie
personnelle, notamment la séparation de ses parents. De plus, il exprime de l’attachement
envers sa langue maternelle. Depuis son arrivée à Moncton, celui-ci a commencé à ressentir
la position minoritaire de la communauté francophone ainsi que la confrontation entre les
anglophones et les francophones. Sans être un militant très actif pour la cause des
francophones, il avoue que cette situation le frustre, laissant ainsi entrevoir des bribes de
l’Acadie traditionnelle (Allain et al., 1993) où la société acadienne célébrait alors « la
victoire contre l’histoire » (J. Y. Thériault, 1995, p. 221). Raoul a le désir de fonder une
famille où le français y aurait assurément sa place, tout en demeurant très ouvert à l’idée
d’apprendre de nouvelles langues. Il est également conscient de l’historicité de l’identité
acadienne; il reconnaît le travail et l’implication des Acadiens qui étaient là avant lui. Il
n’est pas très actif culturellement, c'est-à-dire qu’il ne participe pas aux festivités qui
entourent la fête des Acadiens, mais il admet que les Acadiens ont leur propre culture. Il
conserve un attachement affectif envers sa région d’origine, mais il est surtout fier d’être
Canadien, ce qu’il se considère avant tout, car il perçoit que son pays se démarque
positivement à l’international. Ainsi, sans y mettre autant d’importance qu’à son pays,
100
Raoul ressent tout de même un sentiment d’appartenance à sa province et à son milieu
d’origine.
6.3.1.2 Dany
À la maison familiale de ce participant, le français a toujours été important, mais on y prône
également l’ouverture aux autres langues. Immédiatement après son secondaire, Dany a
poursuivi son parcours scolaire à l’Université de Moncton (campus d’Edmundston). Après
deux ans, il est allé à l’Université de Moncton (campus de Moncton). Là-bas, il a changé
pour un second programme de baccalauréat. Au moment de l’entrevue, il fait toujours
partie de ce programme. En ce qui concerne sa carrière professionnelle, tout est une
question de stratégie pour Dany : « C’est plus une décision de ‘business’. En tant
qu’administrateur de ma carrière, j’ai décidé d’aller en [nom d’un domaine d’études] plutôt
qu’en [nom d’un domaine d’études], pas par intérêt » (p. 8). Il ajoute : « Académiquement
parlant, j’aurais dû sortir le plus vite possible d’Edmundston[,] comme je sais que je
devrais partir le plus vite possible d’ici [Moncton] » (p. 10). Dans sa stratégie, il s’était
limité à des études en français pour que ce soit plus facile, mais, pour la maîtrise qu’il
projette de faire tout de suite après son baccalauréat, il se rend compte que ce ne sera pas
possible en français, à moins qu’il se rende en Suisse ou en France. Il croit qu’il optera
plutôt pour une université anglophone au Québec. Il recherche la formation la plus
intéressante pour lui et il est prêt à le faire dans une autre langue s’il le faut.
La langue anglaise ne lui pose pas problème, tout comme il se sent ouvert aux autres
langues d’ailleurs. Il se dit bilingue, car il se sait apte à parler et à écrire correctement en
anglais. Mais, malgré qu’il apprécie grandement la diversité linguistique, il reconnaît son
sentiment d’appartenance à la langue française. Dany ne voit pas de possibilités de retour
dans sa région natale pour le moment, mais il ne porte pas de jugement envers les jeunes
qui choisissent d’y rester ou d’y revenir. Il perçoit son milieu d’origine comme un endroit
où il aimerait peut-être revenir s’installer à sa retraite. Pour ce qui est de la région de
Moncton, là où il réside présentement, Dany n’y est guère très sensible : « une fois que
j’aurai quitté Moncton, je n’en conserverai pas grand-chose » (p. 15).
101
Ce participant n’a pas le sentiment d’appartenir à une communauté minoritaire ou d’être
lui-même minoritaire. Son discours se rapproche d’une représentation de l’Acadie
beaucoup plus moderne, où l’individualité est très présente. De fait, Dany a le sentiment
que la communauté acadienne tente de retenir les jeunes de la mauvaise façon.
… Si, naturellement, les jeunes veulent s’en aller, il faut que tu te demandes
pourquoi et que tu acceptes ça. Je ne connais pas de ville où on a forcé le
monde à vivre là et que tout le monde fait croire d’être content là. (p. 19)
Ce discours rejoint l’affirmation sur la notion de migration au chapitre deux qui relate
l’impossibilité de retenir ou de ramener les jeunes coûte que coûte dans leur région natale
uniquement dans le but de maintenir ou d’atteindre une forte vitalité ethnolinguistique
(Pilote et Molgat, 2010), les jeunes étant surtout les acteurs de leurs propres parcours
(Assogba et al., 2000; Gauthier et al., 2003; Pilote et Molgat, 2010). Qui plus est, dans
notre définition de l’identité acadienne, il ressort que l’individualité change la « réalité
collective », mais qu’elle ne la condamne pas (Allain et al., 1993). Dany explore bien cette
notion au sein de son discours.
… J’appartiens à la société d’où je viens. Je ne peux pas nier que je ne vis
pas de la même façon que les personnes qui vivent ailleurs. Ce n’est pas un
choix. Je suis venu au monde ici. […] Autre que ça, je ne m’identifie pas à
grand-chose. Comme je dis, la langue que je parle, l’endroit d’où je viens. (p. 19)
Bref, pour Dany, ses identités sont certes plurielles et son rapport à l’identité acadienne
n’est pas ce qui prévaut, mais il fait tout de même partie de ce qu’il est globalement.
6.3.1.3 Anne-Catherine
Le français occupe une place importante au sein de la famille d’Anne-Catherine. Le
bilinguisme aussi est important. En fait, ses parents valorisent de bien parler tant le français
que l’anglais, et de ne pas les mélanger. Le bilinguisme individuel est peut-être valorisé,
mais d’être en mesure d’obtenir un service en français de la part des institutions
gouvernementales ou des commerces l’est tout autant. Les parents d’Anne-Catherine sont
102
Québécois, mais ils ont vécu à proximité du Nouveau-Brunswick. Ils sont déménagés dans
le comté de Madawaska pour le travail. Tenant à faire ses études en français, Anne-
Catherine s’est inscrite pour faire un diplôme à l’Université de Moncton (campus
d’Edmundston), un programme de deux ans. Elle a ensuite déniché un programme de
baccalauréat à l’Université Laval, à Québec, une suite logique découlant de son premier
diplôme. Au moment de l’entrevue, Anne-Catherine fait toujours partie de ce programme
universitaire. Une fois cette formation terminée, elle aimerait poursuivre à la maîtrise,
toujours à Québec, puis possiblement travailler pour le gouvernement du Québec ou du
Nouveau-Brunswick.
… C’est sûr que je ne voulais pas trop m’éloigner de ma famille. […] Je
m’ennuie facilement. […] Je ne veux pas non plus perdre d’opportunités.
Mais quand je m’imagine dans le futur, c’est pas mal dans ce coin-là
[Québec ou Nouveau-Brunswick] que je voudrais être. Que je travaillerais.
Mais on ne sait jamais, là, tu sais, si j’ai une opportunité d’aller à l’étranger
pour une période de temps, j’irais. (p. 24)
Anne-Catherine se considère bilingue; un apprentissage qui s’est fait naturellement et
progressivement, à l’école et au quotidien. Elle croit qu’il est important de pouvoir
communiquer en anglais, une façon de s’ouvrir plus de portes pour des emplois plus tard.
C’est toutefois à la langue française qu’elle s’identifie. Il serait aussi important pour elle
que ses futurs enfants apprennent les deux langues. Cette participante reconnaît aussi son
rapport à l’identité acadienne selon la dimension historique : « On se dit qu’on est Brayons,
mais c’était des Acadiens à l’origine, ça s’est modifié. […] On est quand même Acadiens,
mais je ne sais pas » (p. 9). Anne-Catherine est fière de participer à la Foire Brayonne, la
fête annuelle des Brayons. Comme autres pratiques culturelles, elle a toujours aimé écouter
de la musique acadienne et elle faisait aussi de la danse folklorique acadienne quand elle
était jeune.
… Il y avait quand même des choses de la culture acadienne [dans ma
région]. […] Les Francophones du Nouveau-Brunswick, c’est sûr qu’on
parlait nous autres qu’on était Brayons, mais […] ils nous parlaient quand
même de la culture de tous les francophones. (p. 10)
103
Anne-Catherine aime beaucoup sa région d’origine, mais elle a toujours pensé qu’elle n’y
retournera pas après ses études, notamment à cause du domaine professionnel qui
l’intéresse. Elle pense qu’il sera plutôt possible pour elle de s’installer plus tard dans une
grande ville du Québec ou du Nouveau-Brunswick, selon les opportunités d’emploi.
Pour le moment, Québec représente pour cette participante la ville où elle y fait ses études.
Même si ses parents sont québécois, Anne-Catherine ne s’identifie pas à cette province. Sur
le plan de son identité, elle s’affirme plutôt en tant que Néo-Brunswickoise. Elle a
également le sentiment de faire partie d’un ensemble francophone au sein de sa province :
« On est moins de Francophones, on est une minorité » (p. 12). Toutefois, elle ne se sent
pas Acadienne. En fait, cette participante fait la distinction entre les Acadiens et les
Brayons; elle sent qu’il y a la langue en commun, mais que c’est aussi différent.
6.3.1.4 Pierre-Luc
Le français est très présent dans la famille de Pierre-Luc, mais la langue n’est pas
nécessairement valorisée.
… Mes parents ne sont pas très forts sur l’identité francophone et pour dire
que c’est important qu’on garde le français. Ce n’est pas qu’ils s’en foutent,
mais c’est un peu une indifférence. […] Mais c’est sûr qu’ils s’identifient en
tant que Francophones et en tant que Brayons aussi. On n’est pas
Québécois, on n’est pas Acadiens, on est Brayons. C’est vraiment l’identité
de la place. (p. 4)
Après son secondaire, Pierre-Luc s’est inscrit à l’Université de Moncton (campus
d’Edmundston), pour y faire un programme de deux années. Il a pu s’inscrire ensuite dans
un programme de baccalauréat à l’Université Laval, à Québec. Au moment de l’entrevue,
ce participant fait toujours partie de ce programme. Pierre-Luc effectue un cheminement de
formation qu’il qualifie de « parfait » puisqu’il a obtenu facilement ce qu’il souhaitait. Une
fois son programme de baccalauréat terminé, il aimerait poursuivre ses stages
professionnels dans un milieu anglophone, tel qu’à Halifax, en Nouvelle-Écosse, afin de
s’offrir davantage de possibilités de travail. Il souhaiterait également poursuivre des études
104
pour se spécialiser, mais il n’est pas encore fixé sur le type de spécialisation. Depuis qu’il
est à Québec, il habite avec sa copine qui est également originaire du comté de Madawaska.
Pierre-Luc se dit bilingue, mais il s’identifie en tant que Francophone. Il souhaite
transmettre la langue française à ses futurs enfants, mais il n’est pas fermé à l’idée de
s’installer dans un milieu bilingue pour qu’ainsi ses enfants soient ouverts aux deux langues
officielles. Pierre-Luc explique ses origines de la façon suivante :
… Au Nord-Ouest, on n’est pas Acadiens, […] on est Brayons; c’est un
autre type de francophones. Nous, on est un mix des Acadiens qui n’ont pas
été déportés et qui ont migré vers le Nord. Aussi, de Québécois et
d’Américains. C’est un mix de tout ça qui fait qu’on a une identité
particulière et différente des Acadiens de la côte est du Nouveau-
Brunswick. […] L’identité acadienne n’est pas vraiment forte chez nous. (p. 4)
Ce participant ressent un sentiment d’appartenance envers sa communauté d’origine,
surtout depuis qu’il est parti au Québec. Mais, bien qu’il soit attaché au nord du Nouveau-
Brunswick, il n’est pas enclin à vouloir s’y établir lorsque ses études seront terminées. Il
aimerait plutôt s’installer dans la région de Moncton, une plus grande ville qui, selon lui,
offre beaucoup plus de possibilités.
Pierre-Luc s’identifie donc en tant que Brayon et francophone. Il se considère aussi comme
Canadien. Son expérience en dehors de sa région d’origine a pour effet de le faire réfléchir
sur son sentiment d’appartenance : « Depuis que je suis à Québec, je suis plus à l’affût de
ce qui se passe ici [au Québec] et je suis plus attaché à ici. […] Je suis un peu mêlé » (p. 4).
Sur le plan de son identité, il ne s’est jamais senti minoritaire. La francophonie représente
pour lui beaucoup plus qu’une langue, c’est une culture qu’il souhaite fortement préserver.
Toutefois, il ne milite pas pour la langue française. Il est davantage ouvert sur le monde et
sur la valorisation du bilinguisme individuel : « Je pense que c’est un objectif de société
d’être bilingue » (p. 18). Comme Bernard (1998) l’a expliqué, nous avons là un bon
exemple d’« assimilation structurelle […] qui n’entraîne pas forcément la perte de l’identité
originelle » (p. 45).
105
6.3.1.5 Gaston
Les parents de Gaston accordent beaucoup d’importance à la langue française. Toutefois, il
est aussi important pour eux d’être bilingue pour que la langue ne soit pas une barrière, tant
personnellement que professionnellement. Comme parcours universitaire, Gaston s’est tout
d’abord inscrit à un programme de baccalauréat à l’Université de Moncton (campus
d’Edmundston). Après les deux années possibles à ce campus, il a choisi de poursuivre ce
même programme à l’Université Laval, à Québec, parce que cette université lui semblait
plus prestigieuse que l’Université de Moncton et parce que son père y était allé, et qu’il le
lui recommandait. Gaston a obtenu son diplôme de baccalauréat l’an dernier. Au moment
de l’entrevue, il est toujours à l’Université Laval, où il y fait un certificat d’un an. Par la
suite, il aimerait y faire une maîtrise. Après ses études postsecondaires, Gaston envisage de
travailler au Québec pour le gouvernement fédéral ou provincial, notamment à Québec,
sinon, à Ottawa.
Pour Gaston, être Brayon signifie forcément que l’on est francophone. Cette expression
n’est pas sans nous rappeler les propos de Pilote (2004) lorsqu’elle mentionne que « de nos
jours, on parle à la fois des Acadiens et des francophones du Nouveau-Brunswick »
(p. 151). Une perspective qui semble donc faire son chemin tant dans le discours commun
que chez les scientifiques. Gaston ajoute que la communauté francophone du Nouveau-
Brunswick comprend les Brayons et les Acadiens, et que c’est surtout au niveau
linguistique qu’ils se rejoignent. Une telle unicité revêt une importance capitale, selon
Gaston, puisque les francophones sont minoritaires, tant au Nouveau-Brunswick qu’au
Canada. À cela, il ajoute l’importance de défendre les intérêts de la langue française pour
contrer l’assimilation. Alors que la langue française fait partie intégrale de son noyau
identitaire25
, la langue anglaise est aussi très importante pour ce participant, mais dans une
perspective essentiellement utilitaire. De fait, Gaston serait confortable à l’idée de travailler
dans les deux langues. Il prévoit élever ses futurs enfants en français, mais il assure qu’il
les encouragera également à parler en anglais. Dans une dimension plus historique, Gaston
reconnaît le lien qui existe entre Brayons et Acadiens.
25
Noter que Bajoit (2003), dans sa théorie sur le changement social, parle lui-même de « noyau identitaire »
qu’il définit comme étant ce qui forme la partie la plus solide d’une identité.
106
… Les Brayons ont des racines acadiennes. […] Quand les loyalistes sont
entrés au Nouveau-Brunswick, […] les Acadiens se sont fait chasser vers le
nord. […] C’est des qualités qui sont fusionnelles. [Les Acadiens,] c’est
comme des frères ou des cousins [pour les Brayons]. (p. 3)
Tous les ans, Gaston participe fièrement à la Foire Brayonne. Il fête aussi le 15 août, le jour
de la fête des Acadiens. Ayant grandi dans un milieu majoritairement francophone, Gaston
n’avait pas le sentiment d’appartenir à une communauté francophone minoritaire. C’est
seulement lors de voyages à l’extérieur de sa région natale, alors qu’il s’est retrouvé en
situation minoritaire, qu’il en a pris conscience. Lors de ses études secondaires, les diverses
activités parascolaires de Gaston l’ont justement amené à sortir de sa région à plusieurs
reprises. Ce faisant, il s’en est peu à peu détaché. Son cœur demeure tout de même lié à son
milieu d’origine. « C’est symbolique » (p. 20), dit-il. Maintenant qu’il est à Québec, il
avoue aimer la province québécoise pour les perspectives d’emploi qu’on y offre et pour la
possibilité de vivre complètement en français. Il souhaite y faire sa vie. Cependant, il sait
qu’il ne s’identifiera jamais en tant que Québécois. Gaston est surtout fier de son pays et il
ne s’attend pas à demeurer ailleurs qu’au Canada. Il est aussi fier du caractère bilingue de
sa province natale. Bref, Gaston s’identifie comme Canadien par-dessus tout, puis Brayon
et francophone. Il ne s’approprie pas le terme « Acadien », mais il conçoit
qu’historiquement, les Brayons étaient des Acadiens : « Mes racines sont acadiennes, mais
dans le parcours, nos chemins se sont séparés au niveau de l’identité » (p. 3).
6.3.1.6 Évelyne
Le français a toujours occupé une place importante au sein de la famille d’Évelyne. De
plus, ses parents ne parlent pas beaucoup en anglais, mais ils l’ont toujours encouragée à
bien apprendre cette seconde langue. Après son secondaire, Évelyne s’est inscrite à un
programme de baccalauréat à l’Université de Moncton (campus d’Edmundston). Elle y a
fait ses trois premières années d’études. Puis, elle s’est rendue au campus de Moncton pour
y faire sa quatrième année. Enfin, elle est retournée au campus d’Edmundston pour y faire
ses stages et ses derniers cours, puis pour obtenir son diplôme. Souhaitant poursuivre sa
formation à un programme de maîtrise, elle a choisi l’Université Laval de Québec pour la
107
proximité (ce programme ne s’offrant pas à l’Université de Moncton), mais aussi pour
vivre quelque chose de différent, pour profiter de l’occasion pour connaître ce que c’est que
de vivre dans une autre province. Au moment de l’entrevue, elle termine sa première année
de maîtrise. Elle aimerait faire un doctorat, mais elle croit qu’elle travaillera auparavant
pour payer ses dettes d’études et pour prendre de l’expérience.
Depuis qu’elle est à Québec, Évelyne se rend compte des différences dans les parlers
brayons et québécois, tels que les termes utilisés, la façon de dire les mots et les
intonations. De plus, son rapport à la langue française a changé quelque peu depuis son
départ de sa province natale.
… Je pense que je me considère moins francophone que je me considérais
quand j’étais au Nouveau-Brunswick, parce qu’au Nouveau-Brunswick, on
a tendance à se comparer aux anglophones. Ça fait qu’à l’intérieur du
Nouveau-Brunswick, […] je me considérais comme TRÈS francophone,
même si je pouvais parler l’anglais. […] Tu sais, mon identité était vraiment
francophone. Puis, depuis que je suis ici [au Québec], à cause de mon
accent, […] ils vont m’associer davantage à la langue anglaise. […] Ça fait
que là, je me considère encore plus plongée dans la culture anglophone que
je l’étais quand j’étais au Nouveau-Brunswick, étant donné mon bilinguisme
qui est plus rare ici. (p. 10)
Dans son rapport avec la langue anglaise, Évelyne reconnaît l’avantage d’être bilingue,
mais elle maintient que sa langue maternelle est le français et que c’est à cette langue
qu’elle s’identifie. Elle tient à ce que ses futurs enfants aient le français comme langue
maternelle, mais elle souhaite qu’ils apprennent également l’anglais comme seconde
langue, et peut-être même l’espagnol, afin qu’ils s’ouvrent plus de portes sur le marché de
l’emploi plus tard. La perception d’une dimension historique chez cette participante se situe
surtout au niveau de l’Acadie des années 1880-1960, tel que nous l’avons susmentionné, où
l’on a réussi la création d’une société acadienne et qu’il faut maintenant tout faire pour la
maintenir. Évelyne perçoit aussi que la société d’aujourd’hui est beaucoup plus individuelle
que collective.
… On dirait que, plus ça va, moins les gens se battent pour défendre leurs
droits comparé à auparavant. […] Je pense que la culture en général s’ouvre
108
plus aux différences. D’un côté, c’est bon pour la francophonie. […] D’un
autre côté, ça peut nuire aussi, parce que tout devient pris à la légère. (p. 19)
Évelyne s’associe à la culture brayonne de sa région. Elle aime participer aux activités qui
entourent la Foire Brayonne et déguster les mets typiquement brayons. Évelyne a déjà
participé aux Jeux de l’Acadie. Elle a aussi fait partie de la distribution du spectacle de
l’Acadie des terres et forêts […] qui raconte l’histoire de la région du Madawaska. Cette
participante a l’intention de retourner dans son milieu d’origine; elle avait juste besoin de
sortir un peu. Elle croit que ce ne sera pas un problème pour elle de s’y dénicher un emploi
dans les prochaines années; elle a de bons contacts, ce qu’elle n’a pas au Québec. Évelyne
demeure tout de même ouverte quant à l’idée de s’installer ailleurs plus tard. Enfin,
lorsqu’elle tente de se définir, Évelyne se considère comme Néo-Brunswickoise avant tout.
Elle va aussi s’identifier comme Brayonne, mais surtout comme francophone canadienne.
… C’est difficile de faire la limite entre ‘je suis Acadienne’, ‘je ne suis pas
Acadienne’, ‘je suis Brayonne’, tout ça, parce que les francophones au
Nouveau-Brunswick, la plupart sont de souche acadienne. […] Si quelqu’un
me dit que je suis Acadienne, je vais dire oui. Si quelqu’un me dit que je
suis Brayonne, je vais dire oui. Si quelqu’un me dit que je suis francophone
canadienne, je vais dire oui. (p. 13)
6.3.1.7 Julianne
À la maison familiale de Julianne, ça se passe toujours en français, mais ce n’est pas une
question de valorisation et de fierté, c’est simplement la langue qu’ils utilisent pour se
comprendre entre eux. Après son secondaire, Julianne a fait une année dans un programme
de baccalauréat à l’Université de Moncton (campus d’Edmundston). Les six années qui ont
suivi se résument à des va-et-vient entre différents programmes d’études non complétés
(baccalauréats et certificat) à l’Université Laval, à Québec, ainsi qu’à une formation
quelconque dans une école privée de la ville de Québec. Le tout fut également entrecoupé
par des études d’une année à la University of British Columbia (UBC) de Vancouver, en
tant qu’étudiante-visiteuse. Ce petit séjour dans l’ouest du pays était surtout pour y suivre
son copain de l’époque. Au moment de l’entrevue, elle est de retour à l’Université Laval où
109
elle est en train de compléter un programme de baccalauréat. Elle projette ensuite de
s’inscrire à un programme de maîtrise, mais elle ignore encore si ce sera à Québec ou à
Ottawa. Pour ses projets professionnels, un emploi dans son domaine d’études l’intéresse,
au privé ou au gouvernement fédéral. À savoir si elle retournera un jour dans son milieu
d’origine, Julianne est catégorique : « Non. C’est sûr que non. […] En tant que [nom de sa
future profession], je ne vois pas ce que j’irais faire là » (p. 20).
Entre le français et l’anglais, il n’y a pas de barrières pour Julianne qui se considère
parfaitement bilingue. Elle aimerait même apprendre d’autres langues. Julianne affirme que
la dimension linguistique n’est pas ce qui définit la communauté brayonne. Malgré tout,
elle ne craint pas de perdre sa langue maternelle. Si elle a des enfants un jour, ils seront
francophones et ils apprendront aussi l’anglais. Julianne comprend ainsi la dimension
historique de ses origines : « On nous a surnommés les Brayons il y a très longtemps. On ne
sait pas si on est Acadiens, Québécois ou Américains. On sait plus ou moins d’où on vient,
c’est un mix de plein de monde et on s’est fait une communauté » (p. 1). Elle reconnaît
aussi être Acadienne, car ses ancêtres étaient Acadiens. Elle a également des souches
québécoises, mais elle ne dit pas qu’elle est Québécoise pour autant. « Je suis francophone
par moment, anglophone par moment et Brayonne et Acadienne tout le temps. C’est des
choses qui font partie de moi, sauf que je n’y porte pas vraiment d’importance » (p. 22-23).
Julianne n’a aucun attachement envers son milieu d’origine, ni même envers sa province.
Pour l’instant, elle aime particulièrement les villes de Québec et d’Ottawa. Elle serait
également prête à aller n’importe où dans le monde pour pratiquer sa future profession.
« Moi je vais toujours être une Brayonne, mais je ne vais pas retourner là. Je vais vivre en
tant qu’Acadienne, mais ailleurs » (p. 21). Ainsi, pour ce qui est de la dimension
territoriale, Julianne n’a peut-être pas un sentiment d’appartenance envers le nord du
Nouveau-Brunswick, mais elle décrit sa vision du territoire de l’Acadie comme étant
généalogique. En d’autres mots, elle reconnaît qu’elle sera toujours Brayonne et Acadienne
peu importe où elle se trouve dans le monde. Utilisant les mêmes termes que Bérubé (1987)
lorsqu’il parle de la territorialité de l’Acadie en termes d’Acadie généalogique, Julianne
reconnaît aussi qu’il y a une diaspora acadienne : « Même aux États-Unis, on a des régions
110
francophones et ça va rester francophone. Les Acadiens en Louisiane parlent acadien et ils
vont continuer à parler acadien » (p. 6).
6.3.1.8 Carole
Le père de Carole provient du comté de Madawaska et sa mère, du Québec. Tous deux sont
francophones. Le français a toujours été priorisé à la maison familiale, même chose pour
l’éducation. À sa sortie du secondaire, Carole a commencé par faire une session dans un
programme de baccalauréat à l’Université de Moncton (campus d’Edmundston). Elle a
ensuite changé pour un autre programme de baccalauréat. Après trois ans à l’Université de
Moncton (campus d’Edmundston) et deux ans au campus de Moncton, Carole a obtenu son
diplôme de baccalauréat. Depuis bientôt un an, elle a décroché un emploi permanent dans
son domaine d’études, et ce, dans sa région natale. Parallèlement, elle s’est inscrite à temps
partiel à un programme de maîtrise avec mémoire à l’Université Laval, à Québec.
Carole s’identifie à la langue française. De par son rôle professionnel, elle soutient
l’importance d’une langue française de qualité. Elle se considère aussi apte à converser en
anglais. Son anglais, elle l’a appris à l’école, avec ses amis et aussi en participant à un
programme d’immersion anglaise à Fredericton. Elle convient de l’aspect pratique de
connaître l’anglais et elle trouve dommage de ne pas y avoir été mise en contact plus
souvent dans sa jeunesse. Carole a un conjoint bilingue qui provient d’une mère
anglophone et d’un père francophone. Entre eux, ça se passe toujours en français. Ils
attendent l’arrivée de leur premier bébé. Pour leur enfant, ils ont convenu que la priorité
serait mise sur la langue française, mais que l’anglais serait très présent également. Nous
pourrions dire dans ce cas-ci que le rapport privilégié de Carole avec la langue française,
comme le dit Mboudjeke (2006), façonne son comportement envers le bilinguisme
individuel et fait en sorte qu’elle demeure prudente et consciente des dangers
d’assimilation. Culturellement, Carole a participé aux Jeux de l’Acadie lorsqu’elle était
plus jeune. Ces trois dernières années, elle s’y implique encore bénévolement pour sa
région. Pour elle, cette activité rejoint son sentiment d’appartenance envers la francophonie.
Un parallèle tout à fait intéressant qui rejoint bien les propos de Dallaire et Roma (2003)
111
pour qui les loisirs peuvent constituer un frein à l’assimilation. Dans sa dimension plus
territoriale, Carole se dit néo-brunswickoise. Toutefois, le fait qu’elle ait de la famille au
Québec, cela l’amène à avoir un attachement plus fort pour la province québécoise que
pour le sud du Nouveau-Brunswick. Adolescente, elle était persuadée qu’elle allait vivre au
Québec plus tard; c’était son projet de vie. Cependant, les possibilités d’emploi ont fait
qu’elle est finalement demeurée dans sa région natale. Elle et son conjoint y sont
confortablement installés. Entrevoyant de belles possibilités d’avancement dans sa carrière,
Carole n’a pas l’intention de partir.
Même si cette participante affirme ne pas être attachée à l’Acadie, nous sommes en mesure
d’évaluer son rapport à l’identité acadienne en fonction des critères que nous avons
préalablement établis. De fait, seule la dimension historique de l’identité acadienne n’a pas
été clairement abordée dans le discours de Carole. Les dimensions linguistique et
territoriale prévalent, alors que la participante se définit avant tout comme francophone du
nord-ouest du Nouveau-Brunswick. De plus, étant originaire du comté de Madawaska, elle
se dit Brayonne d’une certaine façon, mais elle avoue que ce n’est pas ainsi qu’elle se
présente aux autres. Pour ce qui est de sa vision de l’Acadie, Carole mentionne qu’elle n’est
pas vraiment Acadienne et que c’est la réalité quotidienne du Québec qui la rejoint
beaucoup plus, notamment parce que la majorité de sa famille vient de cette province :
« C’est pas nécessairement PAS Acadienne, c’est juste que j’ai pas vraiment d’attachement
nécessairement à l’Acadie. […] Je me trouve plus Québécoise qu’Acadienne » (p. 38).
Enfin, elle est fière d’être Canadienne et elle ne voudrait pas demeurer dans un autre pays.
Elle aime cependant voyager pour le plaisir de découvrir le monde.
6.3.2 Constats généraux pour les participants du comté de Madawaska
Nous venons de compléter l’analyse descriptive du rapport à l’identité acadienne de nos
huit premiers participants. Comme constats généraux sur ce qu’ont en commun les
étudiants participants de ce comté, il est intéressant, tout d’abord, de souligner qu’ils ont
tous commencé leurs études postsecondaires à l’Université de Moncton (campus
112
d’Edmundston). Ce campus offre effectivement la possibilité d’entamer, pendant deux ans,
la majorité des programmes offerts à l’Université de Moncton, tous campus confondus. Il
semble que les jeunes francophones du comté de Madawaska se prévalent bien de cette
offre, bien qu’ils doivent, après deux ans, poursuivre leur programme au campus de
Moncton ou poursuivre ailleurs dans un nouveau programme.
D’autre part, cela nous ramène à ce qui a été mentionné par Beaudin (2010) lorsqu’il parlait
du phénomène de migration chez les jeunes francophones de la Péninsule acadienne. Celui-
ci expliquait qu’au moment de leur sondage, au moins la moitié des jeunes migrants
résidaient hors de la province, alors que « trois quarts des migrants francophones du nord
du Nouveau-Brunswick optent pour le sud de la province, en particulier le Sud-Est » (p.
28); des données qui ne concordent pas selon Beaudin (2010). Son hypothèse fut alors de
proposer que ce serait à la suite d’une première migration à l’intérieur de la province qu’il y
aurait ensuite des départs vers d’autres provinces (Beaudin, 2010). Pour ce qui est de nos
huit participants du comté de Madawaska, la majorité a effectivement migré une première
fois à l’intérieur de la province, soit vers le campus de Moncton, avant de partir ensuite
pour l’Université Laval, à Québec. Parmi ceux qui n’avaient pas quitté la province au
moment de l’entrevue, il y a Raoul, que nous avons rencontré au campus de Moncton, mais
qui projette justement de poursuivre des études supérieures à l’Université Laval après son
programme de baccalauréat. Il y a aussi Dany qui, tout comme Raoul, a été rencontré au
campus de Moncton. Celui-ci planifie de poursuivre des études supérieures dans une
université anglophone au Québec après son programme de baccalauréat. Puis, il y a Carole
qui est retournée dans sa région d’origine pour travailler dans son domaine d’études, mais
qui, parallèlement, s’est inscrite à temps partiel à un programme d’études supérieures à
l’Université Laval. Pour ces jeunes étudiants francophones du comté de Madawaska, une
région qui, rappelons-le, se situe à la frontière de la province de Québec, l’Université Laval
est un choix avantageux, certains alléguant le caractère prestigieux de cette institution
d’enseignement, d’autres, la proximité du milieu d’origine, et certains autres, l’offre de
programmes beaucoup plus alléchants que ceux offerts à l’Université de Moncton. Ce qui
nous ramène, finalement, à citer encore une fois Forgues et al. (2007) qui mentionnaient,
tout d’abord, que les départs interprovinciaux sont moins fréquents là où les francophones
113
sont plus nombreux, et aussi que les migrants francophones en situation minoritaire
préfèrent une destination comme le Québec plutôt que l’ouest du Canada. Des résultats de
recherche qui concordent avec ce qui a été dit précédemment.
Par ailleurs, un fait intéressant à souligner est que ces étudiants sont portés à se dire
bilingues, au sens d’aptitudes linguistiques et non d’identité, en fonction d’une réalité qu’ils
attribuent à la majorité de la population du comté de Madawaska, dû au fait qu’elle soit
proche des frontières québécoises et américaines. Malgré la vie quotidienne qui se déroule
en français dans la région, ceux-ci tendent à valoriser la connaissance de l’anglais.
Enfin, nous constatons une grande diversité chez ces huit participants dans leur
représentation de l’identité « brayonne », typique aux gens du comté de Madawaska. En
effet, il y a :
― les Brayons qui découlent historiquement des Acadiens;
― les Brayons qui découlent historiquement des Acadiens/Québécois/Américains;
― les Brayons qui sont Brayons, pas Acadiens;
― les Brayons qui sont aussi Acadiens;
― les Brayons qui se considèrent plus Québécois qu’Acadiens;
― ceux qui ne sont ni Brayons ni Acadiens, mais francophones; et enfin,
― les Brayons qui ne sont pas Acadiens, mais auxquels ils sont cependant unis du fait
qu’ils représentent tous les francophones de la province.
Le constat que nous faisons surtout est notamment du fait que, dans leur discours, les
représentations sont peut-être diversifiées, mais les huit étudiants prennent toutefois tous
position « par rapport à » (Gérin-Lajoie, 2007, p. 48) cette identité brayonne, une
114
représentation collectivement forte pour la population du Madawaska. Autrement dit,
l’identité brayonne est la plupart du temps floue et difficile à cerner, mais elle est bien
présente dans la construction identitaire des jeunes francophones du comté de Madawaska.
Dans notre recension d'écrits, nous n’avons pas croisé de recherches portant précisément
sur les francophones du comté de Madawaska. Nous en avons vu, par contre, sur les
francophones du comté de Gloucester (Beaudin, 2010; Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier,
2010). Les constats généraux que nous venons de faire sont particulièrement intéressants et
ils constituent un apport original au champ de connaissances sur les francophones en
situation minoritaire au Canada.
6.3.3 Comté de Restigouche
Le comté de Restigouche est, pour sa part, majoritairement francophone à 64 % (Statistique
Canada, 2011). Il est géographiquement situé au nord du Nouveau-Brunswick, entre les
comtés de Madawaska et de Gloucester.
115
Figure 6.3 : Carte géographique du comté de Restigouche
(http://www.ec.gc.ca/meteo-weather/default.asp?lang=Fr&n=18AC1F1F-1)
Trois participants faisant partie de notre étude proviennent de ce comté : Charles, Andrée,
Anthony. Précisons, encore une fois, qu’ils ont tous fréquenté les écoles primaire et
secondaire francophones de leur région respective, et que l’enseignement qu’ils ont reçu
était offert en français. Voici donc l’analyse descriptive de la manière dont chacun de ces
participants se définit en rapport à l’identité acadienne.
6.3.3.1 Charles
La vie quotidienne à la maison familiale de Charles se déroule en français. Après son
secondaire, celui-ci a étudié deux années à l’Université de Moncton (campus
d’Edmundston), en changeant de programme à quelques reprises. Il s’est ensuite inscrit à
l’Université d’Ottawa, à Ottawa, où il y a fait un programme de baccalauréat et un
programme de maîtrise. Au moment de l’entrevue, Charles est toujours à l’Université
d’Ottawa où il y complète un programme de doctorat. Il aspire à une carrière universitaire
116
ou, sinon, à travailler à la fonction publique fédérale. Il ne sait pas encore où il s’installera
plus tard, cela dépendra de son futur travail. Mais il ne veut surtout pas retourner dans son
milieu d’origine. Enfin, il demeure pour le moment à Ottawa avec sa copine qui est
francophone et originaire du Nouveau-Brunswick, plus précisément du comté de
Madawaska.
À son arrivée à Ottawa, Charles a vécu un choc par rapport à l’étendue de la ville et au
contexte linguistique qui caractérise la capitale fédérale. En effet, c’est suite à sa mobilité
qu’il perçoit que la langue française constitue une barrière dans un milieu fortement marqué
par la présence de la langue anglaise, et ce, malgré un certain bilinguisme dans le milieu.
Depuis, il a amélioré son anglais et il soutient que l’apprentissage de cette seconde langue
officielle est obligatoire, selon lui, puisque le Canada est un pays officiellement bilingue.
Ce changement au plan de ses représentations le conduit à s’ouvrir davantage à la diversité
linguistique, alors qu’il a entrepris l’apprentissage de l’allemand. Il reste que le français est
important pour lui, au point de reconnaître son identité francophone, mais pas en tant que
minoritaire. Il souhaite également léguer la langue française à ses enfants, mais surtout pas
comme une langue exclusive. Enfin, Charles ne tient pas à son identité culturelle et il dit ne
pas se sentir Acadien ni Québécois. Cette position de Charles dans son rapport à l’identité
acadienne nous amène à nous questionner sur l’effet de la notion d’assimilation dans ce
cas-ci, alors que Bernard (1998) soutient que le fait de parler français n’engage par
inévitablement au « maintien de la culture qui s’y rattache normalement » (p. 46). Charles
démontre justement sa volonté de préserver sa langue maternelle pour lui-même et pour la
prochaine génération, alors qu’il ne se sent pas attaché à l’identité culturelle.
6.3.3.2 Andrée
À la maison familiale de cette participante, ça se déroule toujours en français. Les
mauvaises expressions sont corrigées par la mère et la lecture a été encouragée dès un très
jeune âge. Les parents d’Andrée trouvaient aussi important que celle-ci apprenne l’anglais :
« si tu es francophone et tu ne parles pas anglais, tu n’auras pas une job, tandis qu’un
anglophone unilingue va l’avoir la même job » (p. 8). Tout de suite après son secondaire,
117
Andrée est déménagée à Moncton pour entrer dans un programme de baccalauréat à
l’Université de Moncton (campus de Moncton), qu’elle a terminé après quelques années.
Au moment de l’entrevue, Andrée est en deuxième année d’un second programme de
baccalauréat, toujours à l’Université de Moncton (campus de Moncton). Elle projette de le
terminer, puis de travailler dans ce domaine. Enfin, le copain d’Andrée est anglophone. Il
est également originaire du comté de Restigouche. Entre eux, les conversations sont
majoritairement en anglais.
Pour sa part, qu’elle soit au nord ou au sud du Nouveau-Brunswick, Andrée n’a jamais eu
le sentiment d’appartenir à une communauté minoritaire. De plus, elle se dit bilingue : « tu
me parles en anglais, je vais te répondre [en anglais], je n’y pense même pas, là, […] c’est
automatique » (p. 18). Elle a tout de même eu un choc lorsqu’elle a déménagé à Moncton.
Elle s’est demandé si tout le monde parlait en anglais dans la région, car les débuts de
conversation avaient l’habitude d’être en anglais. Depuis cette conscientisation, elle a
décidé de prendre l’initiative de parler en français la première. Elle a aussi eu un choc
lorsqu’elle a commencé son second programme de baccalauréat, car les étudiants
proviennent de partout au pays et plusieurs se parlent en anglais en dehors des cours.
Andrée n’avait pas vécu cela lors des études de son premier programme universitaire. De
plus, cela la frustre beaucoup lorsqu’elle demande un service dans un commerce, qu’elle se
fait regarder avec hostilité par l’employé anglophone parce qu’elle a un gros accent en
anglais et que ce même employé est incapable de dire deux mots en français, mais que ça,
c’est correct. « Moi je trouve que les droits linguistiques sont vraiment importants. » (p. 69)
Andrée parle de la langue française comme étant une nécessité pour elle. Pour cette raison,
elle n’aurait jamais choisi de poursuivre ses études postsecondaires dans une institution
anglaise. Et puis, elle croit fortement que ce sera un avantage pour elle de travailler en tant
qu’employée bilingue. Enfin, elle assure que ses futurs enfants seront élevés en français et
en anglais : « je vois beaucoup de couples francophone/anglophone, puis le monde ont
tendance à élever les enfants en anglais, moi je ne vais pas faire ça » (p. 67). Du côté de ses
pratiques culturelles, Andrée a toujours fêté avec sa famille la fête des Acadiens, le 15 août,
en participant au Tintamarre et en portant des vêtements aux couleurs de l’Acadie. Elle
soutient que le drapeau acadien est un symbole qui la représente vraiment. Cette
118
participante est plus attachée à sa famille qu’à sa région d’origine. En fait, sa famille
pourrait se retrouver ailleurs au Canada aujourd’hui qu’elle ne sentirait plus le besoin de
retourner dans sa région natale. « J’étais toute petite, puis ma mère disait ‘Tu es une fille de
ville toi, tu ne resteras pas ici’ » (p. 43). Cela dit, pour rester le plus près possible de sa
famille, elle souhaite s’installer pour de bon à Moncton, une ville qui est, selon elle, ni trop
grosse, ni trop petite : « Moncton, c’est ma ville asteure. » (p. 60) Bref, Andrée se définit
premièrement comme Acadienne, puis comme francophone et Canadienne. « Je peux être
n’importe où dans le monde, je vais tout le temps être Acadienne. » (p. 56)
Andrée exprime bien, lors de cet entretien, cette période critique de la vie que vivent les
jeunes francophones minoritaires lors de leurs études postsecondaires (Beaudin, 2010;
Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier, 2010; Pilote et al., 2010). Pour sa part, son expérience
a eu pour effet qu’elle est entrée en action dans ses gestes quotidiens afin de lutter pour la
cause des francophones et qu’elle a renforcé son sentiment d’appartenance envers son
rapport à l’identité acadienne. Il s’agit d’un bon exemple de ce dont Garneau et al. (2010)
rapportent, alors qu’ils mentionnent que l’expérience de mobilité chez le jeune contribue à
la restructuration de son identité et de son sentiment d’appartenance.
6.3.3.3 Anthony
Chez Anthony, le quotidien se passe en français. Les parents d’Anthony ont choisi de lui
apprendre également l’anglais à la maison. En effet, entrepreneur, son père ne maîtrise pas
beaucoup cette langue seconde, mais il sait se débrouiller avec la clientèle anglophone de
son entreprise et il reconnaît ainsi son importance en termes d’utilité. Après son secondaire,
voulant suivre ses amis et sentant une pression sociale d’obtenir un diplôme, Anthony s’est
inscrit à l’Université de Moncton (campus de Moncton). Il s’est inscrit dans un premier
programme de baccalauréat pour ensuite bifurquer vers un second programme de
baccalauréat; des études qu’il n’a pas complétées. Il a ensuite entrepris des études
techniques au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, à Bathurst, dans le comté
de Gloucester. Diplôme en poche, Anthony a préféré aller travailler dans l’entreprise de son
père plutôt que de se trouver un emploi dans son domaine d’études; le salaire étant meilleur
119
avec son père. Entre-temps, des projets lui sont venus en tête pour l’entreprise familiale
ainsi que pour une autre entreprise qu’il souhaiterait créer. Il a donc décidé de faire un
retour aux études en tant qu’étudiant libre à l’Université de Moncton (campus de
Shippagan), pour aller chercher les cours qui lui manquent pour la carrière d’entrepreneur
qu’il projette. Il voyage donc deux fois par semaine du nord du Nouveau-Brunswick jusque
dans la Péninsule acadienne pour ses études au Campus de Shippagan, ce qui lui permet de
poursuivre son travail en parallèle dans l’entreprise de son père.
Très attaché à la langue française et désireux de participer au développement de son milieu
d’origine, Anthony souhaite y rester. Il ne voudrait pas aller vivre dans une région
anglophone. Professionnellement, il préfère travailler en français parce qu’il est plus à
l’aise avec sa langue maternelle. Qui plus est, Anthony fait partie de ces individus qui
déplorent l’attachement aux symboles culturels pour s’identifier en tant qu’Acadien :
« Mais là, c’est quoi être Acadien tsé? C’est-tu ça taper des chaudrons pis porter des
couleurs voyantes, pis dire qu’on est fiers pis qu’on existe encore? » (p. 27) Il est
également très représentatif de cette « société d’individus où les identités sont plurielles »
(J. Y. Thériault, 1995, p. 77) : « je suis moi, pis je sais de quoi je fais partie, dans le sens
que j’ai des groupes, ma famille, mes amis, ma façon de penser, ma façon d’agir là, […]
mais je peux appartenir, tu sais, à plusieurs groupes, tu sais, en même temps » (Anthony,
p. 15). Il ajoute : « j’en fais partie, mais je n’appartiens pas au groupe, j’utilise le groupe, le
groupe m’utilise, c’est un échange » (p. 20). De fait, ce participant a un sentiment
d’appartenance très ouvert sur le monde; il ne se considère pas Acadien, ni Néo-
Brunswickois et à peine Canadien. Mais, même s’il mentionne ne pas se considérer
Acadien, si l’on se fie à la définition que nous nous sommes donnée, Anthony possède
malgré tout un rapport à l’identité acadienne qui se reflète notamment dans deux des quatre
dimensions, soit les dimensions linguistique et territoriale. En effet, il est très attaché à la
langue française ainsi qu’à sa région d’origine. Un sentiment qui s’est développé après son
secondaire, soit après avoir quitté le nid familial.
… Oh oui, j’ai changé. Ah! C’est sûr, une personne différente. C’est ça,
quand je suis parti, […] j’aimais plus la région, […] on se faisait dire
‘retourne en ville, c’est plus cool’. […] Finalement, je suis arrivé à Moncton
120
déçu, tsé c’est la même maudite affaire, tsé il y a juste plus de buildings
(rires). Je vais à Montréal, ah c’est encore pire, […] c’est toute la même
affaire dans le fond. Pis là, je suis allé en Afrique [trois semaines, pour un
organisme à but non lucratif] pis ça m’a cliqué, je regardais le monde là
d’une telle façon, avec une ouverture d’esprit tsé, pourquoi je reviens pas
chez nous tsé, je pourrais faire exactement la même chose. (p. 16)
De fait, une fois ses études complétées, il projette de rester dans son milieu d’origine et de
participer au développement de sa communauté en s’engageant, par exemple, en tant que
conseiller municipal dans sa région.
6.3.4 Constats généraux pour les participants du comté de Restigouche
Nous venons maintenant de compléter l’analyse descriptive du rapport à l’identité
acadienne de nos trois participants originaires du comté de Restigouche. Peut-être est-ce
l’effet d’un comté francophone à 64 %, comparativement aux deux autres comtés de cette
étude qui possèdent un plus haut taux de majorité francophone, mais force est de constater
que les trois participants sont très ouverts sur la diversité linguistique et sur le monde,
plutôt que d’être majoritairement centrés sur la francophonie. Dans leur discours, on ne
ressent pas d’opposition envers les anglophones et la langue anglaise, juste une fierté d’être
francophones et une très grande ouverture à l’Autre, et ce, qu’ils souhaitent ne plus revenir
dans le nord du Nouveau-Brunswick ou y rester pour participer activement au
développement de la région, et qu’ils tiennent ou non à leur culture.
6.3.5 Comté de Gloucester
Francophone à 84 % (Statistique Canada, 2011), le comté de Gloucester est
géographiquement situé au nord-est du Nouveau-Brunswick, en bordure de la baie des
Chaleurs et du golfe du Saint-Laurent, à l’est.
121
Figure 6.4 : Carte géographique du comté de Gloucester
(http://www.ec.gc.ca/meteo-weather/default.asp?lang=Fr&n=37740CDE-1)
C’est dans ce comté que l’on retrouve la région de la Péninsule acadienne, la partie la plus à
l’est et la plus francophone du comté. Une information importante puisqu’il ressort que les
onze participants à notre étude qui proviennent du comté de Gloucester sont tous
originaires de la Péninsule acadienne : Lyne, Claudine, William, Marcel, Martine, Magalie,
Patrick, Michel, Carolanne, Léa, Valérie. Comme les participants précédents, ils ont tous
fréquenté les écoles primaire et secondaire francophones de leur région respective, et
l’enseignement qu’ils ont reçu était offert en français. Voici donc l’analyse descriptive de la
manière dont chacun se définit en rapport à l’identité acadienne pour ces onze derniers
participants.
122
6.3.5.1 Lyne
La mère de Lyne est, tout comme elle, originaire de la Péninsule acadienne, dans le comté
de Gloucester. Son père, lui, est originaire du comté de Madawaska. Ça s’est toujours
déroulé en français dans la maison familiale. Les parents de Lyne ont toujours priorisé le
fait de recevoir leurs services en français, tant gouvernementaux que dans les commerces;
c’est important pour eux. Au moment de l’entrevue, Lyne en est à sa première année
d’études postsecondaires. Elle s’est inscrite à un programme de baccalauréat à l’Université
de Moncton (campus de Moncton). Étant une personne plutôt indépendante et autonome,
elle a vécu ce premier déménagement sans trop de difficulté. L’aide humanitaire l’intéresse
beaucoup également. Très bientôt, elle projette de mettre de côté ses études pour une année,
le temps d’aller faire un voyage humanitaire. Elle se dit très nomade, avec des projets plein
la tête : « je veux parcourir l’univers et je veux faire tout ce qui est possible de faire »
(p. 21). Il est donc difficile pour elle de se prononcer pour la suite, mais il est certain que
les activités professionnelles de son domaine d’études l’intéressent toujours beaucoup. Plus
tard, elle aimerait pouvoir compléter ses études et pratiquer sa future profession tant en
français qu’en anglais, ce qui lui offrirait plus d’opportunités de carrière.
Outre sa mère, Lyne est celle qui se débrouille le mieux en anglais dans sa famille. Ses
premiers contacts avec l’anglais furent ses multiples conversations avec le père de sa
meilleure amie d’enfance qui était anglophone et aussi sa participation à un camp
d’immersion anglaise. Lyne a toujours été ouverte pour apprendre l’anglais. Elle ne s’est
jamais vraiment sentie en danger d’assimilation du fait qu’elle a grandi dans un
environnement majoritairement francophone : « Pour moi, dans ma tête, l’anglais n’était
pas important; c’était juste une autre langue. […] Je n’avais pas réalisé la minorité qu’on
était » (p. 12). Elle aime s’exercer à parler en anglais dès qu’il lui est possible de le faire,
mais elle se sent un peu coupable devant ses parents qui ont plutôt l’habitude de militer
pour se faire servir en français dans les commerces qu’ils fréquentent. Ainsi, la dimension
linguistique est de moindre importance pour elle.
… C’est important pour moi de dire que je suis une Acadienne brayonne.
Française, peut-être moins. […] Je veux être la Française qui parle anglais.
123
Bilingue, maintenant, c’est très demandé. Pour un emploi futur, je pense que
l’anglais est très important, mais je suis quand même une Française. (p. 21)
Si elle a un conjoint et des enfants un jour, il sera tout de même important pour elle qu’ils
comprennent le français. Pour ce qui est de la dimension historique de son rapport à
l’identité acadienne, Lyne soutient qu’il y a une différence historique entre Brayon et
Acadien, mais elle ne saurait dire d’où provient l’identité brayonne.
… Acadien, c’est la Déportation acadienne, on a une histoire. […] Je sais
pourquoi on est Acadiens, mais pourquoi on est Brayons? […] Moi je sais
que je suis Brayonne et Acadienne, il faut que je précise parce que c’est
deux choses différentes. (p. 7)
Lyne a un grand sentiment d’appartenance envers sa communauté d’origine. Elle aime le
fait que tout le monde la connaisse là-bas; elle s’y sent accueillie et trouve que les gens sont
chaleureux. « Nous [moi et ma famille], on ne vient pas du Canada, on vient de la
Péninsule. On est Acadiens et on est fiers » (p. 7). Toutefois, Lyne n’aimerait pas retourner
s’y installer plus tard. Bref, cette participante se définit comme étant mi-Brayonne et mi-
Acadienne, une identité importante pour elle. Ainsi, Lyne reconnaît et apprécie ses origines.
Elle conserve également un attachement envers le milieu où elle a grandi. Mais, cette
participante fait partie de ces jeunes qui reconnaissent certes la notion d’homogénéité d’un
groupe ayant le passé en commun et qui, en même temps, s’engagent en tant qu’individu
vers des buts plus personnels (Lapointe et J. Y. Thériault, 1999).
6.3.5.2 Claudine
Le père de Claudine est également originaire de la Péninsule acadienne. La mère de
Claudine, pour sa part, est d’origine québécoise. La langue française a toujours été très
présente dans la maison familiale. Claudine était une élève très performante et elle a
toujours nourri des aspirations scolaires élevées (enfant, elle voulait faire un doctorat). Et
puis, l’éducation ayant toujours été valorisée dans cette famille, il allait de soi pour
Claudine qu’elle poursuivrait ses apprentissages vers des études postsecondaires. C’est
pourquoi, après ses études secondaires, cette participante a choisi l’Université de Moncton
124
(campus de Moncton), pour y faire un premier diplôme d’un programme d’études de deux
ans. Elle visait dès lors une profession bien spécifique. Se démarquant parmi sa cohorte,
elle fut admise au programme de son choix à l’Université Laval, à Québec. Au moment de
l’entrevue, elle étudie toujours dans ce programme. Après ses études, elle souhaite
retourner exercer sa profession dans le nord du Nouveau-Brunswick. Toutefois, elle
choisira sa spécialité professionnelle d’abord par intérêt, même si cela signifie, par
extension, qu’il pourrait lui être impossible de retourner dans son milieu; une décision qui
l’attristerait s’il s’avérait en être ainsi.
Pour Claudine, la langue française représente le centre de l’identité acadienne : « Qu’est-ce
que c’est Acadien? C’est JUSTE parler français au Nouveau-Brunswick, moi je pense »
(p. 5). Elle voudrait fonder une famille et élever ses enfants en français. Pour ce qui est de
la langue anglaise, son rapport avec cette langue en est un d’utilité seulement, c’est-à-dire
que l’anglais représente un outil linguistique pour Claudine. De fait, elle connaît la langue
anglaise, mais elle ne s’y associe pas. Cette participante aime aussi beaucoup voyager.
Lorsqu’elle voyage à l’international ou qu’elle est au Québec, elle se dit militante pour les
francophones hors Québec. Ayant des racines québécoises via sa mère, Claudine considère
qu’elle n’est pas celle qui met le plus d’importance sur la culture acadienne. Elle avoue
participer annuellement au Tintamarre de la fête des Acadiens, mais avec moins d’ardeur
que la plupart de ses comparses acadiens. Cette participante a voulu quitter son milieu
d’origine pour mieux y revenir. Elle voit la petite ville comme un milieu idéal pour y
grandir et s’y établir pour fonder une famille, alors que la grande ville l’intéresse davantage
dans l’entre-deux : « J’aime les deux, mais à différentes parties de ma vie. […] Enfant et
parent, entre les deux, tu sors » (p. 30). Claudine a donc le souci de revenir et aussi celui de
s’engager dans sa communauté : « On dirait que je serais plus heureuse au Nouveau-
Brunswick. […] Revenir puis se battre pour que le français reste » (p. 29).
Claudine s’identifie en tant que francophone du Nouveau-Brunswick. Elle se définit aussi
beaucoup plus comme Acadienne que comme Québécoise : « Je viens vraiment du
Nouveau-Brunswick. […] J’ai une partie québécoise, mais je ne le serai jamais
complètement. Je serai vraiment plus Acadienne » (p. 4). Elle se considère également
125
Canadienne, même si tous les Canadiens sont différents selon les régions. Lorsqu’elle se
présente en dehors de sa province natale, Claudine préfère dire qu’elle est Néo-
Brunswickoise : « Je dis tout le temps ‘Je viens du Nouveau-Brunswick’. […] Je ne dis pas
‘Je suis Acadienne’ » (p. 41). Finalement, elle ne partage pas une vision folklorique ou
généalogique de l’Acadie.
6.3.5.3 William
William a toujours participé avec sa famille aux festivités entourant la fête nationale
acadienne, notamment le Tintamarre. Il précise toutefois qu’il est issu d’une famille
acadienne qui n’est, malgré tout, pas très axée sur la culture traditionnelle. Cela dit, le
français est l’unique langue parlée à la maison familiale. Après son secondaire, William a
choisi de faire ses études postsecondaires à l’Université de Moncton (campus de Moncton).
Il y a complété un programme de baccalauréat et, au moment de l’entrevue, il est à la
maîtrise. William travaille aussi dans son domaine de formation pour une entreprise de
Moncton.
En ce qui concerne la dimension linguistique, William est avant tout francophone. Ses
premiers contacts avec l’anglais ont été à l’école primaire dans les cours d’anglais, mais
sans plus. Il a aussi participé à un camp d’été en immersion anglaise, en sixième année du
primaire. À ce jour, il se dit bilingue, mais il reconnaît avoir tout de même des lacunes
importantes en anglais et que cela le limite dans ses possibilités professionnelles. En effet,
la présence de l’anglais est très importante dans sa discipline universitaire, surtout par
rapport aux livres de cours et aux articles nécessaires pour la recherche. Et puis, ses
collègues de travail ou de stages sont francophones, bilingues ou uniquement anglophones.
S’il vient à fonder une famille, William soutient qu’il parlera en français avec ses enfants.
Du côté des dimensions historique et culturelle, il reconnaît l’importance du français dans
sa vie, mais il ne participe pas aux « combats » des francophones minoritaires. Il se définit
comme étant un « Acadien francophone du Canada »; son rapport à l’identité acadienne
ressortant naturellement, comme il l’explique, dans son accent et dans sa façon de penser
culturellement. Ainsi, la culture acadienne fait partie de lui, mais il croit qu’il y a des
126
causes plus importantes à défendre dans la société. Nous reconnaissons ici les effets de la
réalité moderne où « l’individualisme ne fait pas disparaître pour autant les identités »
(J. Y. Thériault, 1995, p. 77) et où l’identité collective est dorénavant perçue comme un
projet pour lequel chacun est libre de s’associer ou pas (Pilote, 2010; J. Y. Thériault, 2008).
Au plan territorial, William n’envisage pas de retourner vivre dans son milieu d’origine,
car, de par son orientation professionnelle, ce serait difficile pour lui. Il n’avait pas un
sentiment d’appartenance particulier envers sa province natale avant sa maîtrise, mais il s’y
intéresse beaucoup plus maintenant puisque son travail de recherche cible précisément le
Nouveau-Brunswick. Il voit dorénavant en cette province un potentiel professionnel. Ce
participant préfère la région du sud-est du Nouveau-Brunswick plutôt que celle du sud-
ouest qui renferme des milieux moins intéressants à y vivre du côté des services offerts et
aussi parce que ce sont des régions moins bilingues. S’il ne parvient pas à se trouver un
emploi dans l’est du Canada, incluant le Québec, William soutient qu’il tentera sa chance
dans le nord-est des États-Unis, en Nouvelle-Angleterre.
L’analyse du discours identitaire de William révèle la présence d’un rapport à l’identité
acadienne que celui-ci décrit comme étant sans artifices, mais qui est pourtant bien présent.
De langue maternelle francophone, William, qui se décrit comme un « Acadien
francophone du Canada », a grandi dans une communauté culturellement très acadienne. Il
reconnaît l’importance de parler en anglais professionnellement, mais il préfère de loin
parler en français avec son entourage et dès qu’il lui est possible de le faire. Malgré sa
volonté de rester au Nouveau-Brunswick, dans une région où le bilinguisme est présent, il
est prêt à ouvrir sur ses possibilités et à tenter sa chance aux États-Unis si rien ne se
présente professionnellement pour lui au Nouveau-Brunswick.
6.3.5.4 Marcel
Le père de Marcel est parti de la maison familiale alors qu’il avait un an et demi. À douze
(12) ans, il a déménagé avec sa mère dans une municipalité juste à côté de celle où il a
grandi. Il a également quitté l’école alors qu’il était en onzième année du secondaire pour
occuper un emploi non qualifié à temps plein pendant deux ans. Marcel a finalement choisi
127
de terminer son secondaire à l’éducation permanente. Influencé par un ami, il a ensuite
déménagé au sud-est du Nouveau-Brunswick pour y compléter un programme de deux ans
au collège communautaire francophone. Curieux et souhaitant aller encore plus loin dans
ses apprentissages, il s’est ensuite inscrit à un programme de baccalauréat à l’Université de
Moncton (campus de Moncton). Au moment de l’entrevue, il est toujours admis dans ce
programme.
Le rapport à l’identité acadienne de Marcel est présent dans les quatre dimensions qui la
définissent, quoiqu’elles le soient à des niveaux différents. Tout d’abord, la dimension
linguistique ressort abondamment alors que Marcel s’identifie fortement en tant que
francophone. Malgré qu’il se sache bilingue, ce participant ne peut pas s’imaginer travailler
en anglais; il souhaite ardemment pouvoir le faire en français. S’il a des enfants un jour, il
assure qu’il les encouragera à parler en français et à aller à l’école française, mais il ne les
empêchera pas à s’ouvrir à la langue anglaise. La dimension historique est également
présente, alors que Marcel insiste sur le côté du récit collectif acadien. En effet, il reconnaît
que c’est grâce aux faits historiques du passé, aux fondements acadiens, qu’il peut
aujourd’hui profiter des droits acquis aux Acadiens du Nouveau-Brunswick, notamment
celui de pouvoir étudier en français à l’Université de Moncton.
… L’Université de Moncton a été l’élan d’émancipation là, avec Louis J.
Robichaud, dans les années 60, heu, du peuple acadien, pis franco-néo-
brunswickois, là, […] je suis porté à croire que l’université a aidé la cause
acadienne pis francophone au Nouveau-Brunswick, c’est certain. (p. 29)
Pour ce qui est de ses pratiques culturelles, Marcel est conscient qu’il a baigné dans un
environnement complètement francophone, dans une culture de langue française. Toutefois,
le symbolisme culturel acadien n’est qu’une « idéologie » pour lui. Enfin, Marcel projette
de rester sur le territoire du Nouveau-Brunswick ou du Québec, mais il n’est pas question
pour lui de retourner vivre dans la Péninsule acadienne. De toute façon, sa copine s’oppose
à un éventuel retour là-bas. Elle aimerait plutôt rester dans le sud-est de la province; Marcel
semble acquiescer à cette idée.
128
Dans le cas de Marcel, son rapport à l’identité acadienne s’est surtout précisé ces dernières
années, alors qu’il a vécu un moment fort de conscientisation envers son statut de
francophone minoritaire, notamment lors d’une expérience de travail au sein d’un groupe
majoritairement anglophone. En effet, ses cours de formation durant l’été se déroulaient
principalement en anglais. En plus de se faire réprimander s’il communiquait en français
avec ses collègues francophones, ces derniers subissaient des moqueries discriminatoires :
« il [le formateur] disait quelque chose tout en anglais pis quand il arrivait pour le traduire,
ben il disait ‘Même chose en français’, pis tout le monde riait » (p. 12). C’est en grande
partie à cause de ce manque de respect envers sa langue maternelle que Marcel a, après
cinq ans, choisi de quitter ce travail qu’il occupait en marge de ses études. Cette nouvelle
perspective a eu comme résultat de préciser son rapport à l’identité acadienne, son
sentiment d’appartenance à la communauté francophone et ses valeurs personnelles. Tout
comme nous l’avons vu avec Andrée, originaire du comté de Restigouche, Marcel exprime
bien, lui aussi, dans son entretien, cette période critique de la vie que vivent les jeunes
francophones minoritaires lors de leurs études postsecondaires (Beaudin, 2010; Beaudin et
al., 2010; Pilote et Brier, 2010; Pilote et al., 2010).
6.3.5.5 Martine
Dans la famille de cette participante, le français occupe une place importante. Martine
s’entend bien avec ses parents, mais elle a ressenti le besoin de partir à la fin de son
secondaire : « Je ne voulais plus être ici. C’est comme si j’avais vieilli et que je ne fitais
plus dans la maison. […] Je voulais connaître d’autres mondes » (p. 5). Martine soutient
qu’elle a toujours aimé fréquenter les institutions d’enseignement, de la petite enfance
jusqu’à aujourd’hui (au doctorat). Elle aime apprendre et elle s’est toujours beaucoup
investie dans les sports et les conseils étudiants. Pour Martine, il allait de soi qu’elle
poursuivrait des études universitaires après son secondaire. Elle a tout d’abord fait une
première année à l’Université de Moncton (campus de Moncton), dans un programme de
baccalauréat. Après cette première année, Martine s’est inscrite à un autre programme de
baccalauréat assez semblable, mais à l’Université Laval, à Québec : « Je voulais changer de
milieu, changer d’air et voir de nouvelles choses et du nouveau monde » (p. 6). Ce
129
programme complété, elle s’est inscrite aux cycles supérieurs. Elle a complété sa maîtrise
et, au moment de l’entrevue, elle est en train de faire son doctorat. Pour ses projets
personnels et professionnels futurs, Martine aimerait rester à Québec avec son copain
québécois et trouver du travail dans son domaine de formation. Elle ne rejette pas la
possibilité de retourner dans sa province d’origine un jour, mais cela ne fait pas partie de
ses plans à court ou à moyen terme.
Cette participante se considère comme bilingue. Elle a toujours aimé l’anglais et elle
aimerait bien apprendre l’espagnol. En général, sa vie quotidienne se passe en français. Elle
est peut-être très ouverte aux autres langues, mais, depuis qu’elle a quitté sa ville natale, sa
relation avec le français s’est approfondie. Martine soutient que ses futurs enfants seront
élevés en français. Outre la langue, le récit collectif acadien contribue à la construction de
son rapport à l’identité acadienne. Ainsi, pour Martine, les Acadiens se distinguent de par
leur Déportation et les luttes qui ont suivi pour préserver leurs droits territorial, linguistique
et culturel : « C’est ça être un Acadien aussi. C’est être francophone dans un milieu
minoritaire et de savoir que tu vas l’être tout le temps. Même si tu as été déporté et chassé,
on ne peut pas te l’enlever » (p. 15). Selon Martine, l’Acadie n’a pas de frontières, mais les
Acadiens francophones des Maritimes sont ceux qui ressortent le plus. Cette participante
retourne dans sa région d’origine deux fois par année. Indépendante, mature et responsable,
elle ne souhaite cependant pas revenir s’y installer.
Martine se dit « Acadienne complètement » (p. 12). Elle prend de plus en plus conscience
que le français est sa langue maternelle et que cette langue est importante pour elle. De fait,
la dimension linguistique est primordiale dans sa construction identitaire : « C’est
important parce que l’histoire des Acadiens tourne autour de la langue française » (p. 15).
Sans renier son rapport à l’identité acadienne, Martine avoue développer un sentiment
d’appartenance envers le Québec à force d’y vivre. Son rapport à l’identité acadienne serait
donc principalement un sentiment d’appartenance selon les dimensions linguistique et
historique. Martine est un bon exemple d’une Acadienne « de la modernité » qui développe
des identités plurielles. Ainsi, sans renier son acadianité, sa perspective est beaucoup plus
individuelle que collective (J. Y. Thériault, 1995; Allain et al., 1993; Johnson et McKee-
130
Allain, 1999). De plus, cette participante représente bien la majorité des jeunes
francophones du Nouveau-Brunswick qui tendent dorénavant à définir leur rapport à
l’identité acadienne beaucoup plus par la dimension linguistique que par toutes autres
dimensions (Pilote, 2004; J. Y. Thériault, 1995).
6.3.5.6 Magalie
Magalie est issue d’une famille de parents francophones qui favorisent le bilinguisme
individuel. De respecter et d’être respecté sont des valeurs transmises au sein de la famille.
Sans s’impliquer activement dans la collectivité, ses parents sont reconnus pour être très
militants envers la francophonie dans leurs gestes quotidiens; il en est de même pour
Magalie. Ainsi, ça se passe toujours en français à la maison familiale; les anglicismes sont
rectifiés. De plus, ceux-ci n’acceptent pas un service en anglais, dans un commerce par
exemple, lorsqu’il est possible de l’obtenir en français. Après son secondaire, cette
participante a tout d’abord complété un programme de baccalauréat à l’Université de
Moncton (campus de Moncton). Elle s’est ensuite dirigée à l’Université du Québec à
Montréal pour poursuivre un programme de maîtrise. Enfin, au moment de l’entrevue,
Magalie se retrouve à l’Université Laval pour y faire son doctorat. Elle envisage, par la
suite, de faire un postdoctorat en Europe.
Magalie est fière de se définir comme étant une Acadienne. Elle fait partie de ces jeunes
francophones minoritaires qui démontrent bien cette période critique de la vie qui est vécue
lors des études postsecondaires (Beaudin, 2010; Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier, 2010;
Pilote et al., 2010). En effet, après sa première mobilité, un moment fort pour elle fut son
passage à Moncton où elle a pris conscience de son statut de minoritaire. Celui-ci était alors
beaucoup plus tangible pour elle à cause d’une plus grande présence de l’anglais,
notamment dans l’affichage et dans les contacts avec les autres. Depuis ses études de
maîtrise, elle explique que, dans sa discipline, les lectures, les rédactions et les
communications se font généralement en anglais; il en est de même avec ses réseaux de
recherche universitaire. Magalie se dit ouverte à la langue anglaise; c’est une langue qu’elle
apprécie et qui l’intéresse. Elle se dit maintenant bilingue, c’est-à-dire comme ayant la
131
possibilité de communiquer en anglais. De fait, elle accepterait de travailler en anglais,
mais ce qu’elle souhaiterait par-dessus tout, ce serait de travailler à l’Université de
Moncton après ses études pour pouvoir le faire en français et aussi afin de participer à
l’éducation des Acadiens. De plus, s’installer à Moncton répondrait à son besoin de se
rapprocher de sa famille et à celui de retourner pour de bon dans les Maritimes, une région
pour laquelle Magalie possède un fort sentiment d’appartenance. Enfin, elle n’exclut pas la
possibilité d’avoir un conjoint anglophone, mais elle assure que ce sera toujours une
communication en français entre elle et ses enfants.
Le discours identitaire de Magalie expose une identité francophone. L’identité acadienne,
telle que nous la définissons, est très présente dans sa dimension historique, surtout au sens
généalogique, alors qu’elle mentionne être fière du nom qu’elle porte et de son rapport à
l’identité acadienne transmis par sa famille; c’est ainsi qu’elle se présente aux autres
Canadiens. Il y a aussi sa volonté de participer activement à l’éducation des Acadiens
démontrant ainsi son attachement à la culture acadienne et son désir de passer le flambeau à
la génération suivante. Enfin, la dimension territoriale du rapport à l’identité acadienne de
Magalie se résume à un fort sentiment d’appartenance envers la région des Maritimes
jusqu’à l’inciter à vouloir s’y installer pour de bon.
6.3.5.7 Patrick
Les parents de ce participant ont toujours donné beaucoup d’importance à la langue
française au sein de leur famille. Après son secondaire, Patrick est allé étudier à
l’Université de Moncton (campus de Shippagan), où il y a complété un programme de deux
ans. Il a ensuite déménagé à Moncton pour y faire des études de baccalauréat et de maîtrise
à l’Université de Moncton. Au moment de l’entrevue, il est en fin de parcours de son
programme de maîtrise. Patrick évalue des offres pour poursuivre ensuite au doctorat à
Ottawa ou en Europe. La différence est que l’un se donne en français et l’autre en anglais,
mais ce n’est pas ce qui le fera reculer. Il semble même pencher plus vers celui de l’Europe,
en anglais, pour y vivre une expérience plus enrichissante à tous les niveaux. Dans le futur,
il aimerait continuer de travailler dans la recherche universitaire dans son domaine, en étant
132
professeur-chercheur. Enfin, Patrick demeure avec sa copine francophone qui est originaire
du sud-est du Nouveau-Brunswick.
Les premiers contacts de Patrick avec l’anglais furent durant sa jeunesse, lors de voyages
avec ses parents dans divers milieux anglophones. Mais c’est en arrivant à Moncton qu’il a
pris conscience de sa situation minoritaire : « Ça frappe, […] c’est pratiquement
uniquement en anglais. […] Ici, tu te sens minoritaire. […] Y’a plein de commerces où le
service est même pas en français » (p. 31). Patrick, tout comme d’autres jeunes que nous
avons interrogés, démontre ainsi clairement à quel point la période des études
postsecondaires représente un moment critique dans la vie d’une personne (Beaudin, 2010;
Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier, 2010; Pilote et al., 2010) et que la migration semble
accentuer cette prise de conscience. Patrick parle couramment en français et en anglais, et
c’est un avantage pour lui puisqu’il sait pertinemment qu’il devra se déplacer pour
travailler dans son domaine. Malgré tout, Patrick est persuadé qu’il léguera la langue
française à ses futurs enfants. Ce participant a un bon sentiment d’appartenance envers son
milieu d’origine, même si cette communauté offre une piètre qualité de vie à ses résidents.
Il aimerait beaucoup retourner travailler dans sa région, mais il sait que ce n’est pas
possible dans son domaine professionnel. Patrick est donc très ouvert à s’installer là où le
travail le mènera.
Patrick se définit comme Acadien et Canadien, mais pas comme francophone : « Je trouve
important le français, mais ça ne me définit pas comme personne » (p. 28). C’est en
voyageant à l’international qu’il a saisi l’importance de préserver sa culture acadienne :
« C’est bien, la mondialisation, il faut comprendre, mais il faut pas se perdre, faut pas juste
diluer tout ça » (p. 29). Bref, le rapport à l’identité acadienne de Patrick n’est certes pas
celui qui est ressorti le plus en entrevue, mais il est tout de même perceptible dans trois des
quatre dimensions : l’importance pour lui de maintenir vivante la langue française
(dimension linguistique) ainsi que la culture acadienne (dimension culturelle) et son
sentiment d’appartenance envers son milieu d’origine (dimension territoriale).
133
6.3.5.8 Michel
La vie s’est toujours déroulée en français dans la maison familiale de ce participant. Après
son secondaire, Michel s’est dirigé vers la Cité collégiale d’Ottawa pour y faire, en
français, un programme de certificat. Ses études postsecondaires se sont poursuivies,
également en français, à l’Université de Guelph (campus d’Alfred), en Ontario. Enfin,
diplôme en poche, il est revenu dans la Péninsule acadienne six années plus tard, à
l’Université de Moncton (campus de Shippagan), pour y effectuer un autre programme
d’études. Au moment de l’entrevue, son baccalauréat est en cours.
Selon Michel, son apprentissage de l’anglais a débuté à l’école, et via la musique et les
voyages en famille dans le sud de sa province. Mais, il dit avoir surtout développé son
bilinguisme grâce aux multiples emplois qu’il a occupés à Ottawa, lors de ses premières
années d’études postsecondaires. Très ouvert aux autres, il se décrit comme étant de prime
abord « un humain ». Il se considère acadien, il se dit aussi bilingue et il perçoit
positivement cette diversité que le bilinguisme canadien procure. Cela dit, c’est son
expérience de vie, alors qu’il était éloigné de son coin de pays, qui l’a fait l’aimer
davantage. De famille « acadienne », Michel participe souvent au Tintamarre et aux
festivités qui entourent la fête des Acadiens, qu’il se trouve dans son milieu d’origine ou
ailleurs au Canada. Il est très attaché à ses racines et à sa langue maternelle, au point de
souhaiter s’établir, travailler et fonder une famille au Nouveau-Brunswick.
Le rapport à l’identité acadienne de Michel est très présent dans ses dimensions historique
(ancêtres) et culturelle (fête des Acadiens), alors qu’il se perçoit avant tout comme un être
humain ouvert aux autres, et ce, par l’entremise de son rapport à l’identité acadienne. Cette
dernière ressort aussi énormément dans sa dimension territoriale, alors que le souhait de
Michel serait de se trouver un emploi dans la Péninsule acadienne afin de pouvoir s’y
installer de façon permanente et vivre un quotidien entièrement en français. Pour ce qui est
de la dimension linguistique de son identité, celle-ci s’avère être très francophone. En effet,
Michel accorde de l’importance au bilinguisme canadien, mais il est fier de s’afficher en
tant que francophone lorsqu’il communique avec les autres. Ce faisant, il démontre
clairement qu’il tient à préserver sa langue française.
134
Un autre bon exemple d’« assimilation structurelle […] qui n’entraîne pas forcément la
perte de l’identité originelle » (Bernard, 1998, p. 45). Michel fait la part des choses en
reconnaissant et en appréciant le caractère bilingue de son pays, en matière de bilinguisme
officiel canadien, tel que mentionné par Mboudjeke (2006), en même temps qu’il reconnaît
son rapport à l’identité acadienne.
6.3.5.9 Carolanne
Le français a toujours occupé une place importante dans la maison familiale de cette
participante. Même chose pour ce qui est de l’apprentissage de l’anglais comme langue
seconde; la famille de Carolanne a toujours démontré de l’ouverture envers les autres
cultures et les autres langues. Après son secondaire, ne se sentant pas prête à s’engager
dans des études postsecondaires, Carolanne a travaillé pendant un an. Elle a ensuite
complété un programme de deux ans à l’Université de Moncton (campus de Moncton).
Souhaitant améliorer ses connaissances en anglais, afin de s’ouvrir plus de portes sur le
marché du travail, elle a choisi de poursuivre des études à Dalhousie University, à Halifax,
en Nouvelle-Écosse, où elle a complété un programme de trois ans de baccalauréat. Encore
hésitante à ce moment-là sur ses choix professionnels et désirant continuer d’étudier en
français, Carolanne a tenté une année d’études à un programme de maîtrise à l’Université
de Montréal, à Montréal. Ce fut une révélation pour elle, mais, le programme étant
beaucoup plus long à l’Université de Montréal, elle a complété cette maîtrise à l’Université
d’Ottawa, à Ottawa. Au moment de l’entrevue, Carolanne travaille à Ottawa depuis
quelques mois seulement dans son domaine d’études. Elle planifie de continuer de travailler
encore pour un bout, mais elle ne met pas une croix sur les études. Plus tard, elle aimerait
faire un doctorat clinique pour effectuer de la recherche et peut-être même pour enseigner à
l’université.
Cette participante communique en anglais sans problème. Elle accepterait un poste qu’elle
aime en anglais, mais elle soutient qu’elle aura toujours besoin du français dans sa vie.
Dans son rapport avec la langue française, Carolanne vit parfois de petites frustrations
lorsqu’elle n’obtient pas un service à la clientèle en français dans les commerces qu’elle
135
fréquente. Elle reconnaît son désir de contribuer à l’épanouissement de la langue française.
Même si son mari est un anglophone originaire du sud-ouest du Nouveau-Brunswick,
Carolanne assure qu’elle va tout faire pour transmettre à ses futurs enfants l’importance de
parler en français, tout en encourageant le bilinguisme. Il est déjà convenu que leurs futurs
enfants fréquenteront des écoles francophones. Culturellement, le drapeau acadien est très
significatif pour cette participante. De plus, à chaque année, elle tient obstinément à prendre
ses vacances autour du 15 août, pour la fête des Acadiens. Elle aime aussi aller voir et
encourager les artistes acadiens de passage dans la région d’Ottawa. Carolanne retourne
régulièrement dans sa région natale pour rendre visite à sa famille et à ses amis d’enfance.
Encore aujourd’hui, elle conserve un fort sentiment d’appartenance pour cet endroit. Le fait
d’être partie et d’avoir rencontré des personnes avec des différences culturelles l’a fait
réfléchir sur sa propre identité. Sa vision sur la société en général a, elle aussi, changé; elle
est plus ouverte. Quand est venu le temps pour elle de se trouver un emploi, ce fut un
dilemme à savoir s’ils allaient rester à Ottawa ou retourner dans leur province d’origine.
Carolanne et son mari ont, somme toute, conclu que la meilleure décision pour le moment
était de rester à Ottawa, mais la participante avoue que cela n’a pas été une décision facile.
… Ça m’a fait de la peine de pas aller aider comme les gens du Nouveau-
Brunswick parce que je sais qu’il y avait des besoins aussi dans mon
domaine. […] Mais, dans le futur, je le sais pas, […] je pense que ça va
beaucoup se décider quand on va avoir des enfants, […] si on retourne ou si
on s’établit [à Ottawa]. (p. 23)
Enfin, lorsqu’elle se définit, Carolanne insiste beaucoup sur le fait qu’elle est Acadienne.
Elle s’identifie aussi à sa province natale; elle est fière de dire qu’elle est Néo-
Brunswickoise. Et puis, elle souligne qu’elle n’est pas bilingue, mais bien « une
francophone qui peut parler anglais » (p. 19).
Il est clair que cette participante possède un fort sentiment d’appartenance dans son rapport
à l’identité acadienne et que, malgré son ouverture à la langue anglaise, elle continue de
soutenir la francophonie dans ses gestes quotidiens et dans les valeurs qu’elle véhicule. Une
attitude que Cazabon (2007) qualifie de « responsabilisation ».
136
6.3.5.10 Léa
Léa a été élevée dans un milieu familial francophone. Très tôt, elle savait qu’elle voulait
partir pour découvrir le monde, malgré son attachement à sa région et surtout à sa famille.
Après son secondaire, Léa s’est tout d’abord inscrite à un programme de baccalauréat à
l’Université de Moncton (campus de Moncton). Elle a choisi d’abandonner ce programme
d’études après deux années complétées et d’opter pour un second programme de
baccalauréat, toujours à la même université. Toutefois, lors de cette troisième année
universitaire, Léa a fait une rencontre déterminante avec une enseignante, aujourd’hui sa
directrice de doctorat, qui lui a fait découvrir un domaine beaucoup plus intéressant pour
elle. Après avoir bifurqué une fois de plus, Léa a finalement complété ses programmes de
baccalauréat et de maîtrise. Au moment de l’entrevue, elle faisait son doctorat. La
participante vise l’enseignement et la recherche universitaires pour l’avenir. Enfin, elle
s’est récemment mariée à un anglophone de la Nouvelle-Écosse qu’elle a connu pendant
l’un de ses voyages à l’international. À part lorsqu’elle est avec son mari, tout se déroule en
français dans le quotidien de Léa.
Très attachée à sa lignée familiale qui provient de sa région natale, elle ne croit toutefois
pas qu’il faut s’en remettre uniquement à la généalogie, ni à l’histoire des Acadiens. Elle
pense qu’il faut plutôt se concentrer sur la grande diversité linguistique et culturelle de la
communauté acadienne au grand complet. De fait, Léa se distancie de l’image que l’on
donne à l’Acadie, notamment celle de modèles typiques aux francophones du sud du
Nouveau-Brunswick (par exemple, le chiac, la Sagouine). Il y a, selon elle, des
particularités propres à chaque région qui sont tout aussi représentatives de l’Acadie. Qui
plus est, Léa décrit la Péninsule acadienne comme un environnement francophone
« hermétique » (p. 1). À son arrivée à Moncton, elle a été confrontée au chiac (parler
acadien fortement anglicisé présent chez les francophones du sud du Nouveau-Brunswick)
de par son français parlé qui se rapproche plus de celui des Québécois. Elle a l’impression
d’être jugée par les Acadiens du Sud. Enfin, l’attachement de Léa envers la Péninsule
acadienne est très sentimental. Mais le rationnel l’emportant sur l’affectif, elle souhaiterait
s’installer pour de bon à Moncton. Étant dans une relation amoureuse exogame, Léa
projette d’élever ses futurs enfants dans les deux langues (français et anglais).
137
« J’accepterais pas que mes enfants soient uniquement anglais, […] non, c’est absolument
pas question. » (p. 27)
Léa est fière de ses racines acadiennes; elle est effectivement très affiliée à ses ancêtres. Et
elle est, en même temps, très ouverte sur le monde. De fait, elle est constamment à l’affût
de nouvelles connaissances, ce pour quoi elle aime tant voyager. La participante se
définissait auparavant comme une francophone, mais cela s’est précisé depuis son départ de
la Péninsule acadienne. Elle se dit maintenant Acadienne avant tout, puis Canadienne et
enfin Néo-Brunswickoise. Nous l’avons vu, un moment fort de conscientisation à propos de
son rapport à l’identité acadienne fut lorsqu’elle a quitté le nord du Nouveau-Brunswick
pour emménager à Moncton; une période critique de la vie, comme l’expliquent plusieurs
chercheurs (Beaudin, 2010; Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier, 2010; Pilote et al., 2010).
Contrairement à d’autres qui ont vécu un tel moment marqué par le fait de côtoyer
quotidiennement pour la première fois des anglophones, ce fut pour Léa le fait qu’elle s’est
mise à côtoyer des francophones parlant le chiac, changeant ainsi la perception de son
monde francophone. Pour ce qui est des anglophones, elle ne se trouve pas très militante
dans ses interactions avec eux; elle dit plutôt qu’elle s’adapte. La dimension territoriale est
donc très importante pour Léa. Elle est peut-être passionnée de voyages, mais lorsqu’il est
question de lieu d’ancrage, Léa veut rester dans les Maritimes, son coin de pays. « J’ai les
racines très enfoncées, mais les branches qui tendent vers le ciel quand même. » (Léa,
p. 39)
6.3.5.11 Valérie
Le français a toujours été très valorisé dans la famille de Valérie. À la fin de son
secondaire, elle s’est inscrite à un premier programme de baccalauréat à l’Université
d’Ottawa, à Ottawa. Trois années plus tard et trois programmes de baccalauréat plus tard,
toujours à l’Université d’Ottawa, Valérie trouve enfin sa voie professionnelle et elle finit
par compléter un programme de baccalauréat. Elle s’est ensuite inscrite à un programme de
maîtrise à l’Université Laval, à Québec. Au moment de l’entrevue, elle est en fin de
parcours de sa maîtrise. Après, elle aurait bien aimé retourner travailler dans les Maritimes,
138
mais les possibilités de travail y sont plutôt minces pour son type de profession. Au bout du
compte, on vient de lui offrir un poste permanent en anglais au gouvernement fédéral à
Ottawa qu’elle ne pouvait refuser. Elle sera à ce nouvel emploi dans quelques semaines et
elle en est très heureuse.
Valérie a appris son anglais à l’école ainsi que dans un camp d’immersion anglaise, alors
qu’elle était au secondaire. Son passage à Ottawa, une ville bilingue, l’a également aidé à
parfaire son anglais. Aujourd’hui, elle se considère presque bilingue. Avec son nouvel
emploi en anglais qui débute bientôt, elle perçoit cela comme une possibilité d’améliorer
considérablement sa langue seconde. Quant à son rapport à l’identité acadienne, Valérie
trouve qu’il est difficile de définir clairement ce qu’est un Acadien. Cependant, elle est
persuadée que la langue française en est un incontournable : « Une des caractéristiques
principales pour être Acadien, il faut que tu sois francophone. Pour moi, une va avec
l’autre. Le fait d’être Acadien signifie que je suis francophone » (p. 4). Encore une fois,
tout comme nous l’avons vu avec Gaston, du comté de Madawaska, une telle expression
n’est pas sans nous rappeler les propos de Pilote (2004) lorsqu’elle mentionne que « de nos
jours, on parle à la fois des Acadiens et des francophones du Nouveau-Brunswick »
(p. 151). À son arrivée à l’Université d’Ottawa, Valérie a eu un choc linguistique.
… J’ai vraiment réalisé que j’avais un gros accent. [Au départ,] les gens
m’abordaient seulement en anglais. […] La deuxième chose, c’est qu’une
fois qu’ils ont commencé à me parler en français, ils ne me comprenaient
pas à cause de mon accent. […] Ça m’a pris du temps à m’ajuster pour que
le monde me comprenne. (p. 10)
C’est aussi en quittant son milieu d’origine qu’elle a réalisé les dangers d’assimilation de la
langue française. Si un jour elle a des enfants, cette participante assure que ceux-ci
parleront en français et qu’ils iront à l’école française. Valérie retient ce qui s’est passé
pour les Acadiens historiquement, notamment selon le récit collectif acadien véhiculé dans
les écoles qu’elle a fréquentées : « Une fois que tu connais l’histoire, tu réalises qu’on s’est
battu pour pouvoir parler français, pour que l’éducation se donne en français » (p. 4). Et
puis, son opinion est catégorique en ce qui a trait à la provenance des Acadiens.
139
… Les Acadiens ont été déportés, mais ils se sont tellement défendus pour
la langue [française]. […] La particularité des Acadiens, c’est que c’est des
Français qui ont été en Acadie. Ils ont été échangés et ils ont voulu rester
français. Ils se sont battus pour leurs droits et pour pouvoir parler français.
La religion avait une grosse partie aussi. C’est quand même une
caractéristique assez profonde et tu ne peux pas dire juste par un territoire
que tu es Acadien. (p. 30-31)
Cette participante parle également de sa région comme étant très représentative de la
culture et du territoire acadiens : « L’identité acadienne est très forte. Je viens d’une région
où l’Acadie, c’est tout. […] L’Acadie, pour nous, c’est notre identité » (p. 4). Elle est déçue
de ne pas pouvoir y retourner après sa maîtrise, mais elle maintient son idée pour plus tard :
« Éventuellement, je vais essayer de voir si je ne peux pas me faire transférer dans les
Maritimes. C’est mon but et je ne perds pas l’idée en tête » (p. 23).
Pour Valérie, l’expression de son rapport à l’identité acadienne se vit tout simplement au
quotidien. Son sentiment d’appartenance envers son milieu d’origine s’est amplifié depuis
qu’elle est partie : « Il faut quitter le milieu où on est pour l’apprécier. […] Mon sentiment
d’appartenance a même augmenté » (p. 15). Valérie s’identifie donc en tant qu’Acadienne
du Nouveau-Brunswick, et ce, peu importe où elle se trouve. « Jamais je ne renierai tout ce
que je suis » (p. 28).
Bref, tout comme Charles, Valérie a vécu un choc dû au contexte linguistique qui
caractérise la capitale fédérale, un milieu fortement marqué par la présence de la langue
anglaise, malgré un certain bilinguisme dans le milieu. Étant dans un moment critique de sa
vie (Beaudin, 2010; Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier, 2010; Pilote et al., 2010), la
migration aurait, dans ce cas-ci, accentué la prise de conscience de son rapport à l’identité
acadienne ainsi que l’importance de protéger sa langue maternelle, tel que Mboudjeke
(2006) le mentionne en parlant du concept de bilinguisme individuel.
140
6.3.6 Constats généraux pour les participants du comté de Gloucester
Ceci complète l’analyse descriptive du rapport à l’identité acadienne de nos onze derniers
participants. Comme constatation générale, il appert que l’Université de Moncton (campus
de Moncton) est le choix d’institution d’enseignement postsecondaire que la majorité
privilégie au départ. Par la suite, les choix sont beaucoup plus partagés entre l’Université
d’Ottawa et l’Université Laval. Cette dernière n’a pas la même cote de popularité pour les
étudiants du comté de Gloucester en comparaison avec les étudiants du comté de
Madawaska. Cela pourrait s’expliquer, entre autres, par la distance qui n’est pas la même.
En effet, alors que les jeunes du comté de Madawaska sont davantage à proximité de
l’Université de Moncton (campus d’Edmundston) et de l’Université Laval, les étudiants de
la Péninsule acadienne sont beaucoup plus près de l’Université de Moncton (campus de
Shippagan et de Moncton). Ensuite, le choix de poursuivre à l’Université d’Ottawa ou à
l’Université Laval dépend surtout, pour les étudiants du comté de Gloucester, de l’offre des
programmes puisque la distance ne serait pas dans les considérations. Le voyagement à
plus grande distance étant nécessaire dans les deux cas.
Enfin, les étudiants de la Péninsule acadienne sont les plus expressifs envers l’importance
que revêt pour eux de recevoir des services en français lorsqu’ils font affaire avec les
commerçants et les institutions gouvernementales. Seules Anne-Catherine, pour le comté
de Madawaska, et Andrée, pour le comté de Restigouche, en font mention également.
Souvent, ce sont les parents qui ont cette habitude de militer pour se faire servir en français.
Les réactions en ce sens sont partagées par les jeunes : ils choisissent de militer comme
leurs parents, ils se sentent un peu coupables de ne pas militer autant que leurs parents, ou
ils n’adhèrent pas du tout et ils ont même un peu honte envers de tels agissements de la part
de leurs parents. Toutes ces réactions ne sont pas surprenantes quand on pense au contexte
de la société acadienne dans lequel ont grandi les parents. Allain et al. (1993) parlent de la
fin du moment traditionnel (1860-1960), où « l’isolement culturel [de la société acadienne]
est rompu » (p. 350), et de l’arrivée du moment modernisateur (1960-1970), où l’on entre
alors dans une période de transition importante. À ce moment, on ressent encore très
fortement le legs des générations précédentes, avec les traditions et les symboles acadiens
141
(J. Y. Thériault, 1995). Les membres de notre corpus ont peut-être conservé une affection
particulière à ce temps révolu, mais, comme nous l’avons vu, la réalité collective n’est plus
exclusive et le discours se fait plutôt pluriel maintenant (Allain et al., 1993). Bref, pour
reprendre les termes de Pilote (2010) et de J. Y. Thériault (2008), les jeunes perçoivent
dorénavant l’identité collective comme un projet pour lequel chacun est libre de s’associer
ou pas.
6.4 Conclusion de l’analyse descriptive
Rappelons-le, cette analyse descriptive du rapport à l’identité acadienne dans une
perspective collective de chacun de nos participants à l’étude fut de longue haleine, mais
nécessaire au prochain chapitre qui se consacrera à en faire l’articulation sous l’angle
théorique de Bajoit (2003) sur le changement social, dans un paradigme identitaire. Grâce à
cette démarche d’analyse très détaillée, nous connaissons dorénavant de quelle façon et à
travers quel cheminement chacun de nos étudiants construit son rapport à l’identité
acadienne dans la représentation qu’il s’en fait. Ces données seront à présent rapportées au
prochain chapitre où elles seront articulées selon le modèle théorique de Bajoit (2003), tel
que présenté au quatrième chapitre de ce mémoire.
Chapitre 7
Comprendre les modes de gestion des tensions
existentielles du sujet dans sa (re)construction
identitaire
L’être humain se construit et se reconstruit sans cesse
comme un individu singulier.
(Bajoit, 2003, p. 99)
Maintenant que l’on connaît les parcours et les profils identitaires de chacun de nos
participants, il convient de les articuler selon la perspective théorique de Bajoit (2003).
Rappelons-nous que celui-ci propose que « les identités collectives sont traversées par des
tensions existentielles que les individus gèrent pour construire leur identité personnelle »
(p. 99). Nous verrons, dans ce chapitre, que le rapport à l’identité acadienne de ces jeunes
étudiants universitaires francophones du nord du Nouveau-Brunswick s’exprime selon
différentes logiques identitaires (Bajoit, 2003). L’utilisation de ces logiques identitaires est
faite avec un objectif précis, soit celui d’accéder à trois sentiments essentiels à chacun : les
sentiments d’accomplissement personnel, de reconnaissance sociale et de consonance
existentielle (Bajoit, 2003). Ces sentiments bien distincts, tout individu cherche
constamment à les accorder, même s’ils ne sont pas toujours susceptibles de l’être. C’est ce
que Bajoit (2003) appelle le « travail de (re)construction identitaire » (p. 100).
Par ailleurs, ce travail de (re)construction identitaire évoque bien qu’au-delà de l’identité
acadienne, le rapport des jeunes étudiants universitaires francophones avec celle-ci met en
lumière un regard plus global sur la construction identitaire vécue par les jeunes
francophones en situation minoritaire au Canada, l’objet de notre étude. Ainsi, dans ce
travail, c’est toujours la construction identitaire des jeunes francophones qui se trouve à être
analysée, en tenant compte de la réalité spécifique de leur situation minoritaire.
143
7.1 Analyse de chacune des trois zones identitaires
Bien entendu, tel que Bajoit (2003) l’explique, la structure de l’identité personnelle de
chacun correspond à l’association des trois zones identitaires (identité assignée, identité
engagée, identité désirée) qui, elles, se subdivisent en trois types d’attitudes chacune. Ainsi,
étant conscientes qu’elles sont indissociables, nous les décortiquerons tout de même, dans
un premier temps, afin d’analyser les caractéristiques spécifiques des types d’attitudes qui
composent les trois zones identitaires propres à chacun de nos participants, selon le rapport
à l’identité acadienne de chacun ressorti au chapitre précédent. Ainsi, il faut bien
comprendre que tout le corpus sera regardé, de façon systématique, sous chacune des trois
zones identitaires suivantes, ce qui signifie que les vingt-deux (22) participants seront
nommés, en tout, trois fois chacun, selon les types d’attitudes auxquels ils seront associés26
.
7.1.1 Identité assignée
Les parcours individuels et le rapport à l’identité acadienne des jeunes de notre corpus sont
analysés ici en fonction de leur attitude personnelle face à ce qu’ils croient que les autres
attendent d’eux (Bajoit, 2003). Trois attitudes sont ici possibles dans leur façon de gérer
leur identité assignée : soit ils ont la sensation de concordance avec les autres (sujet
conformiste), soit ils ont le sentiment qu’ils vont à l’encontre des attentes des autres (sujet
rebelle), soit ils réussissent à s’adapter de diverses façons entre les modes extrêmes de
conformité et de rébellion (sujet adaptateur).
26
Voir Annexe 5 – Présentation du corpus avec leurs types d’attitudes
144
7.1.1.1 Sujets conformistes (6 participants)
Pour ces six participants27
, le besoin de reconnaissance des autres est très fort. Ils
s’engagent dans la culture et les traditions pour obtenir l’approbation de leur entourage.
Raoul, par exemple, a toujours perçu que sa famille n’était pas très attentionnée à son
égard, mais depuis le début de ses études universitaires, il sent que c’est en train de
changer : « c’était mon frère qui avait l’attention. […] Arrivé à l’université, [mes parents]
voient que j’ai vraiment bien progressé, pis que je fais quelque chose de ma vie, je vois
qu’ils l’apprécient plus là » (p. 33). De plus, il y a, pour ces six participants, un attachement
intense à la famille, à la communauté d’origine, à la langue française. Ainsi, malgré des
possibilités de travail limitées, certains projettent de retourner dans leur coin de pays; un
compromis qu’ils sont prêts à faire. Patrick, lui, maintient un fort sentiment d’appartenance
envers son milieu d’origine et un grand respect pour cette communauté, malgré l’étiquette
de précarité, de pauvreté et d’exclusion qu’on semble lui attribuer. De plus, il obtient
l’approbation de ses parents de quitter le nid familial pour poursuivre sa vie, mais non sans
qu’ils l’aient prévenu des risques d’assimilation et de l’importance de préserver sa langue
française, peu importe le chemin qu’il empruntera. Ce message est clair pour lui, il abonde
dans le même sens et il sent ainsi qu’il se conforme aux attentes de son entourage. Andrée,
de son côté, démontre bien son attachement envers sa famille et sa volonté de ne pas la
décevoir en poursuivant des études postsecondaires : « Je savais toute petite que j’allais à
l’université, comme mon papa » (p. 28).
27
Magalie, Michel, Andrée, Raoul, Patrick, Gaston
145
7.1.1.2 Sujets adaptateurs (12 participants)
Pour certains28
des sujets adaptateurs de notre corpus, il y a la volonté d’obtenir de la
reconnaissance des autres, tout en répondant à leurs projets individuels. Parmi les
participants qui se rejoignent dans ce cas-ci, on dénote qu’ils se sentent bien en ce sens,
qu’ils tiennent à leur rapport à l’identité acadienne et qu’ils réussissent tout simplement à
trouver un équilibre entre les attentes des autres et ce qu’ils souhaitent pour eux-mêmes.
Dans le cas d’Évelyne, par exemple, elle pense à elle en se permettant de partir pour
quelque temps au Québec, alors qu’elle avait le goût d’étudier, tout en vivant quelque chose
de différent, mais elle prévoit, toutefois, de revenir dans le nord du Nouveau-Brunswick
pour exercer son métier. De plus, son rapport à l’identité acadienne s’inscrit surtout dans
une dimension historique et elle croit qu’il faut tout faire pour maintenir la société
acadienne bien vivante. Martine, pour sa part, sent qu’elle a approfondi sa relation avec le
français depuis qu’elle a quitté sa région d’origine. Elle tient aussi au récit collectif acadien
qui contribue, selon elle, à la construction de son rapport à l’identité acadienne. En même
temps, Martine s’adapte à sa nouvelle vie au Québec et elle ne souhaite pas nécessairement
revenir dans le nord du Nouveau-Brunswick, car, pour elle, l’Acadie n’a pas de frontières.
Charles, de son côté, ne souhaitait que partir du nord du Nouveau-Brunswick parce qu’il
sentait qu’il n’y obtenait pas la reconnaissance qu’il aurait désirée de la part de son
entourage immédiat. Il est donc déménagé à Ottawa et c’est là qu’il est passé de sujet
rebelle à sujet adaptateur, alors qu’il a rapidement réalisé que parler en français n’était pas
suffisant pour répondre aux attentes de cette nouvelle communauté qui l’accueillait et de
laquelle il souhaitait obtenir de la reconnaissance, tout en répondant à ses projets
personnels. Depuis, son ouverture aux langues se poursuit et Charles ne se contente pas de
son nouveau rapport à la langue anglaise. En effet, il est en train d’apprendre l’allemand
pour pouvoir poursuivre ses projets de recherche au doctorat.
Certains autres participants29
dont le profil correspond à celui du sujet adaptateur désirent
plutôt s’éloigner du nord du Nouveau-Brunswick ou exprimer une certaine forme de
28
Charles, Martine, Évelyne 29
Léa, Dany, Carole
146
déviance, mais ils ressentent tout de même le besoin de se conformer et de répondre un tant
soit peu aux attentes des autres. Ainsi, pour Léa, la mentalité des Acadiens est qu’il « faut
que tu t’élèves, mais pas trop loin » (p. 31). Elle donne comme exemple ceux qui décident
de partir pour le Québec : « c’est difficile parce que, tu vois, t’es perçu comme quelqu’un
qui a coupé ses racines pis qui a été comme englobé par le système québécois » (p. 31).
Ainsi, persuadée qu’il est difficile de revenir au bercail lorsque la scission est faite, Léa est
plus à l’aise à l’idée de rester dans la région de Moncton qui fait aussi partie de l’Acadie.
Pour ce qui est de la majorité30
des sujets adaptateurs, leurs projets individuels donnent
l’apparence qu’ils se conforment aux attentes des autres (Bajoit, 2003), mais, dans le fond,
c’est surtout que cela fait leur affaire. Comme l’un d’eux qui mentionne : « Quand tu es
bon en sciences, tu vas faire ton DSS [diplôme en sciences de la santé]. Ce n’est pas
nécessairement ce que tu veux et je pense que j’ai été influencé un peu par ça, malgré le fait
que je voulais le faire » (p. 6). Les participants dans ce cas-ci se persuadent qu’ils font tout
ce qu’ils peuvent pour répondre aux attentes des autres. S’ils échouent à se trouver un
emploi le plus près du nord du Nouveau-Brunswick, cela prouvera simplement qu’ils n’ont
pas été capables, malgré leurs efforts, et qu’ils ont alors le droit de faire ce qu’ils veulent
(Bajoit, 2003). Lyne aurait pu être sujet rebelle (Bajoit, 2003) de par son indépendance et
son ouverture sur le monde. Mais son sentiment de culpabilité de ne pas militer pour la
langue française comme ses parents le font dévoile sa volonté de plaire. Elle tente donc de
se persuader de sa conformité à l’identité acadienne telle qu’elle se la représente
collectivement, mais elle n’en persiste pas moins à atteindre ses ambitions personnelles. Il y
aurait donc chez Lyne un semblant de rébellion, tout comme Bajoit (2003) l’explique, qui
cache inconsciemment une convoitise de séduction et de désirabilité sociale. Prenons aussi
l’exemple d’Anne-Catherine qui affiche son ouverture à vouloir travailler au Nouveau-
Brunswick, mais qui sait très bien que le type d’emploi qu’elle désire occuper y est moins
accessible et qu’elle devra s’installer ailleurs, ce qu’elle souhaite intrinsèquement faire.
« De toute façon, si je retournais au Nouveau-Brunswick, ça serait pas… c’est sûr que je ne
pourrais pas retourner à [nom de sa ville d’origine] » (p. 30).
30
William, Lyne, Pierre-Luc, Anne-Catherine, Claudine, Carolanne
147
7.1.1.3 Sujets rebelles (4 participants)
Les sujets rebelles ont une opinion bien campée, même si ce doit aller à l’encontre des
autres. Parmi nos participants rebelles, il y a Valérie et Julianne qui rejettent ce que les
autres attendent d’elles et qui sont prêtes à se faire désapprouver par leur entourage pour
vivre comme elles l’entendent. On le voit avec Julianne qui a voyagé à travers le pays lors
de ses études postsecondaires et pour qui les langues ne représentent pas une barrière. Elle a
toujours cru aller à l’encontre de ce que sa famille, ses amis et son entourage attendaient
d’elle : « J’ai été une adolescente assez compliquée et assez rebelle » (p. 2). Plus tard, elle
ajoute : « Je fais ma vie à moi et je fais ce que j’aime. J’essaie de ne pas trop m’arrêter à ce
qui se passe autour de moi » (p. 22). Il est également clair pour elle qu’elle ne souhaite pas
vivre au nord du Nouveau-Brunswick.
Également sujet rebelle, Anthony, pour sa part, refuse de s’accrocher à des symboles
culturels pour se définir. Il désapprouve la société acadienne sur ce point et il va même
jusqu’à s’opposer à ses parents sur leur vision de l’Acadie.
… Premièrement, je trouve pas que c’est ça l’Acadie […]. Pis les fanfares
pis les couleurs, je trouve qu’on a l’air d’une gang de clowns (rires). Tsé,
pis mes parents s’associent avec ça, pis j’essaie d’expliquer à ma mère :
‘ben premièrement, tu n’es pas Acadienne, tu es un quart Acadienne’, tsé
dans le sens qu’on fait ça acadien par lignée sanguine […]. Moi je ne suis
pas Acadien, je suis tellement, je suis plus Indien que je suis Acadien, dans
ce sens-là. (p. 27)
Toutefois, de par son amour pour la langue française et pour le nord du Nouveau-
Brunswick, Anthony fait le choix d’y rester et de s’y engager pour faire changer les choses.
Bajoit (2003) parle ici d’un type de rébellion qui dissimule de façon inconsciente un désir
de gloire et d’acceptation sociale. Anthony ferait ainsi partie d’une catégorie de sujets
rebelles que l’auteur nomme « sujet dissident » où ceux-ci choisissent de demeurer au sein
du groupe, mais contestent le leadership (Bajoit, 2003).
Enfin, il y a Marcel dont la rébellion est dirigée vers les anglophones du Nouveau-
Brunswick de par son expérience de vie, contrairement à ses acolytes participants qui sont
148
sujets rebelles envers leur propre société acadienne. Marcel refuse donc de se conformer à
la majorité (les anglophones) et de partager leur même point de vue vis-à-vis la langue
française : « Je demande tout simplement de parler comme qu’on parle pis d’être nous-
mêmes » (p. 15).
7.1.2 Identité engagée
Les parcours individuels et le rapport à l’identité acadienne des jeunes de notre corpus sont
analysés ici en fonction de leur attitude personnelle face à leurs engagements identitaires
(Bajoit, 2003). Trois attitudes sont ici possibles dans leur façon de gérer leur identité
engagée : soit ils se convainquent qu’il est plus prudent d’assumer et de poursuivre les
engagements pris au départ (sujet conséquent), soit ils n’hésitent pas à recommencer de
nouveaux projets (sujet innovateur), soit ils réussissent à s’adapter à la réalité du contexte
dans lequel ils se trouvent, tout en assumant leurs choix antérieurs (sujet pragmatique).
7.1.2.1 Sujets conséquents (7 participants)
Les sujets conséquents de notre corpus31
ont un chemin de carrière tout tracé et ils ne
veulent pas que cela change ou ils s’y résignent. Ils assument également leurs choix
scolaires ou professionnels antérieurs, même s’ils réalisent que ce n’était peut-être pas les
meilleurs choix en fin de compte. Bref, ces participants possèdent un attachement affectif
assez intense envers leurs engagements identitaires (Bajoit, 2003).
Prenons, tout d’abord, Gaston comme exemple. Pour son parcours scolaire, il s’est engagé
dans un cheminement bien précis et il n’en déroge pas. En effet, une fois arrivé à
l’Université Laval, il réalise que des cours compensatoires sont nécessaires et que cela aura
pour effet d’allonger la période d’études pour l’obtention de son baccalauréat. Il a quelque
peu regretté de ne pas plutôt être allé à l’Université de Moncton (campus de Moncton).
31
Pierre-Luc, Gaston, William, Marcel, Andrée, Magalie, Valérie
149
Mais il s’est vite résigné aux conséquences de son choix; ce n’était plus le temps de
changer.
Avec des liens d’appartenance plutôt faibles envers l’école, la Péninsule acadienne et son
entourage, Marcel, pour sa part, s’est d’abord perçu comme un individu en marge de la
société. C’est en déménageant dans la région de Moncton qu’il s’est finalement senti à sa
place, malgré sa marginalité : « Icitte [à Moncton], je crois qu’il y a plus de tolérance à la
diversité pis à l’ouverture d’esprit, pis à toutes sortes de choses » (p. 23). Ce faisant, il
s’épanouit étant très avide de connaissances, capable d’analyser et de formuler sa propre
opinion. Mais, comme tout le monde, Marcel a des besoins de se réaliser et d’être reconnu :
« Je suis icitte pour apprendre pour moi, puis si ça peut donner quelque chose de plus
finalement à la collectivité, ça ce sera merveilleux là » (p. 31). Il assume son choix de se
restreindre à trouver un futur emploi en français et il s’engage à fond dans ses
apprentissages universitaires, avec des buts encore flous, mais qui tendent vers
l’enseignement auprès de jeunes francophones : « j’essaie d’avoir un rôle un petit peu plus
social » (p. 23). Qui plus est, Marcel sait que le simple fait d’être retourné à l’école pour
compléter son secondaire et d’avoir ensuite poursuivi des études postsecondaires représente
une grande fierté pour sa mère : « Elle voulait vraiment qu’on graduait, […] elle était toute
fière, là » (p. 7).
7.1.2.2 Sujets pragmatiques (12 participants)
À la différence du sujet conséquent, nos participants32
qui sont sujets pragmatiques
assument leurs choix scolaires ou professionnels tout en demeurant ouverts aux possibilités
qui pourraient se présenter à eux.
Par exemple, le parcours scolaire de Carolanne fut plutôt sinueux, mais n’empêche qu’il l’a
menée vers une profession qu’elle n’est pas prête à abandonner : « Dans le futur, je prévois
continuer de travailler dans le même domaine. […] Je me vois continuer dans cette
32
Raoul, Dany, Anne-Catherine, Claudine, Évelyne, Anthony, Martine, Carolanne, Patrick, Michel, Léa,
Carole
150
branche-là » (p. 23). Tout en assumant son choix professionnel, elle aimerait bien, si le cas
se présente, approfondir ses études au doctorat et peut-être même bifurquer vers la
recherche et l’enseignement universitaires. De plus, Bajoit (2003) explique que, pour
s’adapter à la réalité, il y a parfois des « renoncements déchirants » qui seront faits.
Carolanne l’a justement fait lorsqu’elle a opté pour un emploi à Ottawa, alors qu’elle aurait
bien voulu retourner dans le nord du Nouveau-Brunswick : « Ç’a été un peu déchirant de ce
côté-là » (p. 23).
Patrick représente bien, lui aussi, les sujets pragmatiques de notre corpus, alors qu’il
poursuit ses études dans le but d’enseigner et de faire de la recherche universitaire dans son
domaine d’études. Il désire persévérer dans ce domaine, même s’il sait que les postes
permanents sont recherchés. Patrick est donc prêt à se déplacer pour obtenir un de ces
postes convoités.
... Si je continue dans la voie que je me vois, ça va être l’aspect recherche,
donc, heu, surtout les universités. En tout cas, je sais que, dans le domaine
des [nom du domaine], les professeurs restent très longtemps où ils sont,
donc, c’est assez difficile d’avoir un emploi stable au début, là. […] Donc,
heu, c’est sûr que je vais devoir me déplacer et suivre où va être l’emploi,
là, c’est avec le niveau d’études. Si je termine mon doctorat, ça va être, heu,
très défini, donc, y’a pas d’ouvertures là, faudra vraiment que je vais où ce
que je fais est demandé, là. (p. 31)
Enfin, contrairement à d’autres qui auraient bien aimé retourner dans le nord du Nouveau-
Brunswick, Carole aurait bien aimé ne pas y retourner. Elle souhaitait donc s’installer de
prime abord au Québec, mais une offre d’emploi alléchante dans le nord du Nouveau-
Brunswick a fait bifurquer cette idée première. Sans avoir à renoncer à ses projets
identitaires de travailler dans son domaine, il a tout de même fallu qu’elle accepte que ce ne
soit pas dans la région choisie à priori.
… Moi, la région d’Ottawa, j’aimais bien ça. J’allais passer des semaines là.
Je trouvais ça bien, fait que ça m’amenait à m’ouvrir à ce niveau-là. […]
J’ai eu une opportunité d’emploi ici [dans ma région natale] avant, ça fait
que j’ai décidé de m’établir ici à la place. (p. 28)
151
7.1.2.3 Sujets innovateurs (3 participants)
Ces trois participants33
expriment une grande souplesse dans ce à quoi ils souhaitent
s’engager (Bajoit, 2003). Chacun l’exprime toutefois différemment. Tout d’abord, Lyne
souhaite parcourir le monde afin d’aider les autres et de ne jamais s’installer à un endroit
bien précis. Au moment de l’entrevue, elle fréquente l’Université de Moncton (campus de
Moncton), elle apprécie ce que lui apporte cette expérience universitaire et elle attend de
voir ce que l’avenir lui réserve. Charles, pour sa part, est ouvert à la diversité des langues.
Son engagement ne s’arrête pas à apprendre l’anglais pour devenir bilingue; il apprend
maintenant l’allemand. Finalement, Julianne n’hésite pas à passer d’un projet à l’autre et de
recommencer à zéro selon ce qui se présente à elle (Bajoit, 2003).
… Je pense que je suis une personne qui aime le changement. Je ne suis pas
une personne stable et je suis une personne qui a besoin de bouger,
d’imprévu et d’instabilité. Je pense que c’est ce qui me démarque le plus, ce
qui fait que je change et je ne fais pas quelque chose qui ne m’intéresse pas.
C’est ce qui fait que j’ai changé plusieurs fois de programme. (p. 22)
Cette capacité pour Julianne de repartir si facilement sur de nouveaux projets peut
également se produire sous l’influence d’une amie ou dans sa volonté de suivre son copain
du moment. En ce sens, il y a eu la période où elle a fait le choix pour des études
postsecondaires après son secondaire : « À ce moment-là, ça a été plus l’influence de mon
amie [le fait d’avoir choisi l’Université Laval]. Je me suis totalement laissée influencer par
elle, je n’ai même pas regardé si ça se donnait ailleurs » (p. 8). Il y a aussi eu le moment où
tout allait bien dans ses études, mais que son copain de l’époque voulait partir : « Après
cette année-là [à l’Université Laval], mon copain […] s’est inscrit dans une école à
Vancouver et il a été accepté. Moi, accro à lui comme j’étais, j’ai décidé de partir avec lui »
(p. 13). Puis, il y a la période à venir qui demeure encore floue pour Julianne : « Je ne sais
pas où, je ne sais pas si je vais rester à Québec ou aller ailleurs. Je pense que ça va dépendre
des programmes et de mon nouveau copain » (p. 16).
33
Lyne, Charles, Julianne
152
7.1.3 Identité désirée
Les parcours individuels et le rapport à l’identité acadienne des jeunes de notre corpus sont
analysés ici en fonction de leur attitude personnelle face à leurs projets identitaires (Bajoit,
2003). Trois attitudes sont ici possibles dans leur façon de gérer leur identité désirée : soit
ils sont des êtres sociaux s’abandonnant pour les autres (sujet altruiste), soit ils agissent
selon leurs propres intérêts (sujet authentique), soit ils réussissent à trouver un accord plus
ou moins harmonieux entre leurs besoins sociaux et leurs projets plus individuels (sujet
stratège).
7.1.3.1 Sujets altruistes (0 participant)
Les sujets altruistes sont des êtres sociaux qui renoncent à eux-mêmes et qui sont résignés
« à se tenir à la disposition des autres » (Bajoit, 2003, p. 117). Parmi nos participants,
aucun n’est associé au sujet altruiste dans la gestion de leur identité désirée (Bajoit, 2003).
Ceci étant dit, un tel résultat ne nous surprend guère puisque nous avons affaire ici à un
corpus de participants qui ont choisi de quitter le nid familial pour poursuivre des études
universitaires. On ne peut pas dire qu’ils ont renoncé à eux-mêmes en faisant de tels choix.
Quoi qu’il en soit, nous retrouvons tout de même des participantes avec un penchant vers
l’altruisme dans la prochaine catégorie (sujets stratèges). Celles-ci ressentent le besoin de
travailler pour leur communauté et de se tenir à leur disposition, mais à la différence du
sujet altruiste, elles réussissent à créer un équilibre entre ce besoin et celui de se satisfaire
personnellement.
7.1.3.2 Sujets stratèges (16 participants)
La majorité de nos participants utilisent un mode de gestion stratégique pour leur identité
désirée (Bajoit, 2003). Premièrement, tel que susmentionné, certains34
de nos participants
stratèges s’assument plutôt en tant qu’être social et tentent du même coup à être les plus
conformes à leurs propres pulsions (Bajoit, 2003). Comme exemple, Andrée consent à se
34
Claudine, Andrée, Magalie, Carolanne, Carole
153
rendre disponible pour les autres (Bajoit, 2003). En effet, elle est très attachée à sa famille
et à l’Acadie, et elle milite fortement pour les Acadiens et pour la langue française. Les
projets dans lesquels elle s’engage reflètent bien ce dans quoi elle se réalise et s’accomplit
pleinement. On le voit lorsqu’elle mentionne vouloir être professionnellement bilingue :
« En tant que [nom de sa profession], je veux faire sûr qu’ils [les francophones] peuvent
aller à la cour en français, […] c’est leur droit » (p. 69).
Ensuite, il y a les sujets stratèges pour qui, sans rejeter leurs origines, l’individualité passe
en priorité35
. En d’autres mots, les visées professionnelles de ces participants surplombent
l’attachement affectif, mais cela est fait de façon stratégique. Prenons l’exemple d’Anne-
Catherine. Comme nous l’avons mentionné dans notre définition de l’identité acadienne,
l’identité collective peut être perçue comme un projet pour lequel chacun est libre de
s’associer ou pas (Pilote, 2010; J. Y. Thériault, 2008). Dans le cas d’Anne-Catherine, celle-
ci ne s’y associe pas, ou en tout cas, pas de façon prioritaire. En effet, dans la planification
de ses projets identitaires, la participante ne rejette pas ses origines, sa culture et sa langue,
qui sont des composantes essentielles à son lien social (J. Y. Thériault, 1995). Elle est fière
de participer à la Foire Brayonne et d’écouter de la musique acadienne. Mais elle insiste
surtout sur son individualité dans ses réalisations : « C’est sûr que je ne voulais pas trop
m’éloigner de ma famille. […] Je ne veux pas non plus perdre d’opportunités » (p. 24). En
exprimant sa volonté de se trouver un emploi non loin de son milieu d’origine, Anne-
Catherine s’est trouvé un « substitut » qui lui permet de se dire qu’elle « n’y renonce pas,
tout en y renonçant cependant » (Bajoit, 2003, p. 117). Même chose pour Pierre-Luc qui
souhaite faire ce qui lui tente, mais qui n’oublie pas ses origines. C’est donc avec un petit
pincement au cœur qu’il avoue ne pas vouloir retourner dans sa région natale :
… C’est sûr que je ne choisirai pas une spécialité en fonction de revenir à
[nom de sa ville natale]. Si je fais ça, je risque de ne pas aimer ce que je vais
faire. Je veux vraiment le faire selon mes intérêts et si je peux pratiquer à
[nom de sa ville natale], tant mieux. […] En même temps, je ne suis pas
certain que je reviendrais chez nous. (p. 14)
35
Anne-Catherine, Pierre-Luc, Léa
154
On le voit, l’attachement familial et territorial est certes présent, mais il n’est pas assez fort
pour que Pierre-Luc retourne directement au bercail. Dans le cas de Léa, celle-ci exprime
un attachement très sentimental envers le nord du Nouveau-Brunswick, mais elle a compris
que ce n’était pas en restant là-bas qu’elle atteindrait ses objectifs personnels et
professionnels. De fait, elle a senti qu’on la freinait dans ses ambitions, dans sa volonté
d’apprendre toujours plus. C’est justement la perception générale de Léa sur la
communauté acadienne qui agirait ainsi face à l’éducation de la relève : « il y a l’espèce de
drôle de dualité par chez nous, il faut que tu ailles à l’école et que tu sois éduqué, mais en
même temps pas trop » (p. 3). Un commentaire intéressant qui s’apparente aux propos de
J. Y. Thériault (2007) concernant les régions souches de la francophonie, alors qu’elles
offrent « peu de perspectives de réussites personnelles à [ses] membres [et qu’elles] sont
victimes du succès individuel de leurs membres […] qui quittent leurs communautés pour
tenter l’expérience urbaine » (p. 152). Cela dit, retourner vivre dans son milieu d’origine est
impensable pour Léa; ce serait réintégrer un milieu qui l’inciterait à mettre un frein sur ses
projets identitaires. Cette participante continue plutôt de s’accrocher à d’autres projets de
voyages qu’elle pourrait faire, notamment dans le cadre de ses études. Elle évalue les
possibilités qui seraient bénéfiques tant personnellement que professionnellement et tant
pour elle que pour son mari.
D’autres36
encore recherchent du plaisir avant tout dans ce qu’ils entreprennent (Bajoit,
2003). Par exemple, sachant, grosso modo, ses directions professionnelles et sachant
surtout qu’elle peut compter sur de bons contacts professionnels dans le nord du Nouveau-
Brunswick lorsqu’elle sera prête à entrer sur le marché du travail, Évelyne se permet
d’apprécier ses expériences de la vie et elle préfère ne pas se fixer de plans trop précis pour
le moment. Nous percevons une telle attitude stratégique dans son choix de poursuivre à la
maîtrise qui fut plus personnel, dont le besoin d’assouvir son envie de vivre un
changement.
… La maîtrise, je l’ai faite un petit peu plus pour moi-même, là. Je ne visais
pas vraiment un objectif de carrière avec ma maîtrise, j’espère que je vais
36
Évelyne, Marcel
155
quand même pouvoir [exercer ma profession] comme je l’aurais fait après
mon bac. (p. 8)
Cette attitude stratégique est également perceptible, toujours chez Évelyne, lorsqu’elle
explique qu’elle se trouve présentement dans une situation où elle laisse les choses aller.
… Pour le moment, je suis vraiment dans une phase où j’ai comme éliminé
tous les plans, là. J’aime ça vivre au jour le jour. Puis, je vais m’adapter à ce
qui s’en vient. Je n’ai pas réellement de plans spécifiques. […] La seule
chose que je peux dire, c’est que j’aimerais avoir une famille, j’aimerais être
enseignante, puis peut-être éventuellement, faire un doctorat. Où? Quand?
Comment? Ça, je n’ai pas décidé. Je n’ai pas de plans pour tout de suite. (p. 16)
Par ailleurs, l’expérience de jeune décrocheur vécue par Marcel fait en sorte qu’il apprécie
la qualité de vie qu’il a présentement. Pour ses projets identitaires, il lui est ainsi difficile de
se fixer des objectifs à long terme et d’exprimer clairement ce qu’il souhaite faire plus tard :
… J’avance dans le brouillard. […] Je m’en vais vers un objectif, mais on
dirait que j’apprends toutes sortes de choses. […] Tout de suite, [mon
objectif,] c’est d’apprendre, c’est vraiment ça, depuis que je suis entré à
l’université il y a deux ans, c’est d’apprendre, découvrir, juste. (p. 16)
Parmi les sujets stratèges, il y aussi ceux37
qui sont aptes à faire des compromis pour se
plaire dans leurs projets identitaires. Par exemple, sur le plan de son identité désirée,
Charles semble avoir trouvé à Ottawa la reconnaissance dont il avait besoin pour se
réaliser. Il s’y sent bien et il s’y accomplit pleinement, et c’est pourquoi il projette de partir
faire un postdoctorat aux États-Unis ou à Toronto pour revenir s’établir à Ottawa plus tard,
où il vise l’obtention d’un poste universitaire en enseignement et en recherche ainsi que de
s’installer pour y fonder une famille. L’ensemble de ses projets identitaires, tant
professionnels que personnels, lui procure ainsi la reconnaissance sociale et un sentiment
d’accomplissement personnel qui le satisfont grandement. Ceux-ci forment son « noyau
identitaire », la partie la plus solide de son identité (Bajoit, 2003). Anthony, de son côté, est
37
Charles, Anthony, Martine, Michel
156
également prêt à faire des compromis pour jouir d’une vie qui saura beaucoup plus
l’intéresser malgré tout (Bajoit, 2003). De fait, il consent à s’installer et à fonder sa future
entreprise dans sa région natale, où le coût de la vie est moindre et où les salaires sont plus
bas : « Ça ne me dérangeait pas de faire moins haut de salaire, parce que le coût de la vie
est beaucoup, est moindre tsé […], tandis qu’en ville, faut tout le temps que t’achètes »
(p. 13). Il consent également à retourner aux études, malgré son aversion, sachant que c’est
ce dont il a besoin pour s’accomplir dans ses projets identitaires : « Je comprenais rien de
l’institution dans ce temps-là (rires), pis j’ai encore de la misère à le comprendre » (p. 6). Il
est réaliste, il sait à quel point l’environnement de son milieu d’origine est perçu
négativement par la population, mais malgré tout, il aime sa région, il aime les défis, il
souhaite y vivre et s’investir pour améliorer leurs conditions de vie. « J’aime l’idée que je
peux faire partie de quelque chose qui, qui a une forme de pouvoir, qui peut faire avancer
les choses, faire quelque chose » (p. 29).
Selon Bajoit (2003), il est également possible d’être sujet stratège lorsqu’on s’en remet aux
ressources limitées dont on dispose. Cela s’applique à William, un cas isolé parmi nos
participants stratégiques, pour qui le choix personnel de travailler dans le domaine
professionnel qu’il a choisi va à l’encontre de son désir de travailler uniquement en français
et dans sa province. Il choisit pourtant de poursuivre ses projets identitaires, même s’il sait
pertinemment que les emplois dans ce domaine se déroulent majoritairement en anglais et
que très peu sont disponibles à l’intérieur de la province du Nouveau-Brunswick.
Enfin, Patrick représente un second cas isolé parmi nos sujets stratèges, mais pour lequel
type Bajoit (2003) est assez éloquent. Ainsi, malgré une gestion assez équilibrée de ses
engagements identitaires, Patrick fait partie de ces jeunes d’aujourd’hui qui ne savent pas
où donner de la tête : « Je suis encore incertain » (p. 16). Comme Bajoit (2003) l’explique,
« il arrive qu’au lieu d’être trop exigeante, l’identité désirée ne le soit pas assez » (p. 118).
C’est donc avec difficulté que Patrick réussit à se définir une identité désirée, car les projets
dont il rêve ne sont plus fiables puisqu’il ne peut pas non plus se fier à ce que les
institutions attendent de lui (Bajoit, 2003). En appliquant cette théorie sur ce que vit la
société acadienne d’aujourd’hui, où notamment J. Y. Thériault (1995) explique que les
157
Acadiens de la modernité « sont des orphelins d’un principe de société qui n’a plus de
sens » (p. 239), nous interprétons que Patrick n’a pas de repère identitaire fort sur lequel il
peut s’appuyer, ce qui crée chez lui de l’incertitude envers ce qu’il souhaite avoir pour lui-
même (Bajoit, 2003).
7.1.3.3 Sujets authentiques (6 participants)
Les sujets authentiques38
brillent par leur grande autonomie et leur façon prompte de passer
à l’action. Ceux-ci agissent plus selon leurs intérêts que par obligation. En effet, envers ses
projets personnels et professionnels, Lyne a toujours reçu des éloges de la part de son
entourage et elle se sent s’y accomplir personnellement. Il y a aussi le projet « en réserve »
auquel elle fait le souhait de réaliser très bientôt, soit celui de faire de l’aide humanitaire. Il
n’y a pas de moment dans son discours où l’on sent que Lyne ne poursuivra pas la
réalisation de ce qu’elle souhaite accomplir. Même chose pour Raoul pour qui sa grande
autonomie fait qu’il n’hésite pas à entreprendre ce dont il a vraiment envie. Celui-ci est prêt
à se rendre n’importe où, à l’international s’il le faut, pour effectuer des études supérieures
afin d’enseigner dans une université plus tard. Dany, pour sa part, ne fait pas que rêver à ce
qu’il voudrait faire; il passe à l’action, ce qui fait en sorte qu’il s’accomplit pleinement.
Pour lui, la carrière professionnelle est une question de « business », alors que son but est
de trouver la formation la plus intéressante pour lui, quitte à la faire dans une autre langue
si cela s’avère nécessaire. Pour Gaston, dont l’identité canadienne est très forte, il n’existe
pas de tensions existentielles dans le fait de vouloir s’installer au Québec, une province
canadienne. De plus, assumant son identité francophone et brayonne, ne ressentant pas de
pression de la part de son entourage, et connaissant bien son anglais, Gaston parvient à
s’accomplir personnellement selon ce qu’il souhaite vraiment devenir. On reconnaît aussi
cette tendance chez Julianne de se lancer dans des projets identitaires personnels de façon
impulsive et non au bénéfice des autres :
… Mon côté qui dit ‘tu vas faire ce que tu aimes’ est plus fort que
l’insécurité. […] Je suis pas mal underground. […] Je suis une personne très
neutre. Les opinions des autres, je les accepte, mais moi je n’ai pas
38
Lyne, Raoul, Dany, Gaston, Julianne, Valérie
158
d’opinions coulées dans le béton. Je suis vraiment une personne ouverte.
[…] Je m’identifie à moi-même et ça s’arrête là. (p. 22)
Bref, ces participants authentiques sont tous fidèles aux projets identitaires qu’ils
souhaitent concrétiser. De plus, nous remarquons que les dimensions de l’identité
acadienne passent pratiquement inaperçues pour les authentiques, alors que ce sont les
aspirations professionnelles qui prévalent sur tout le reste.
7.2 Analyse des trois zones identitaires en synergie
Dans le seul but de pouvoir décortiquer afin de mieux saisir les résultats pour chaque
identité (assignée, engagée, désirée), nous venons de passer en revue les combinatoires
possibles illustrées par des exemples pertinents provenant de nos vingt-deux sujets à
l’étude. Il faut toutefois comprendre que ces trois identités offrent des interrelations de
synergie. En réalité, celles-ci ne sont pas dissociables. Ainsi, comme Bajoit (2003)
l’explique, dans un mouvement incessant, la personne est constamment en quête de
compromis entre ces trois zones identitaires qui composent son identité propre. Elle tente,
en fait, de bénéficier du meilleur des trois et de trouver un équilibre entre les sentiments de
reconnaissance sociale, d’accomplissement personnel et de consonance existentielle
(Bajoit, 2003).
Ainsi, nous avons pu ressortir pour chacun de nos participants la façon de gérer leurs
propres tensions existentielles, selon leur rapport à l’identité acadienne. Malgré le partage
commun d’un groupe linguistique particulier, nous constatons que les compromis diffèrent
d’un participant à l’autre. Avec cette information, nous sommes maintenant en mesure
d’effectuer une analyse des trois zones identitaires pour nos sujets à l’étude. Nous ne les
présenterons pas tous, mais nous tenterons d’illustrer une telle présence de synergie par
quelques exemples, question de démontrer la façon dont l’individu arrive à articuler une
cohérence dans sa biographie qui peut parfois paraître complexe (Valérie) ou, au contraire,
sans grandes tensions apparentes entre ses différentes sphères identitaires (Magalie).
159
Par rapport à la section précédente, où nous avons analysé chacune des trois zones
identitaires, précisons qu’il fut volontaire de notre part d’éviter de nous appuyer sur des
exemples qui concernaient Magalie et Valérie, et cela dans le but d’éviter une répétition
superflue. L’illustration suivante que nous allons faire pour chacune d’elles présentera les
caractéristiques spécifiques complètes de leur rapport à l’identité acadienne articulées aux
trois zones identitaires, telles que proposées par Bajoit (2003).
7.2.1 Exemples d’interaction synergique entre les trois zones identitaires
7.2.1.1 Magalie
Les quatre dimensions définissant l’identité acadienne que nous avons ressorties après une
brève recension historique sur l’Acadie, soit les dimensions historique, territoriale,
culturelle et linguistique, ont permis de tracer la carte conceptuelle des éléments à ressortir
du discours des jeunes participants. L’analyse descriptive du parcours individuel et du
rapport à l’identité acadienne de Magalie a, par la suite, dévoilé la présence des quatre
dimensions chez elle. Observons-les, tout d’abord, séparément et très brièvement :
― Dimension territoriale : La participante désire s’installer dans les Provinces maritimes
après ses études; elle y voue un fort sentiment d’appartenance.
― Dimension historique : De type généalogique, car Magalie exprime de la fierté envers
son nom de famille qui identifie, selon elle, son acadianité transmise par sa famille, par
ses ancêtres.
― Dimension culturelle : L’ambition qu’elle a de participer activement à l’éducation des
Acadiens, de passer le flambeau à la génération suivante, démontre son attachement à la
culture acadienne.
― Dimension linguistique : Magalie est très attachée à la langue française. Dans ses gestes
quotidiens, elle milite pour la francophonie, tout comme ses parents. Elle apprécie tout
de même la langue anglaise en tant que langue utilitaire et elle respecte les anglophones
qui partagent le même pays qu’elle.
160
Voyons maintenant, à l’aide du cadre théorique de Bajoit (2003), de quelle façon ces
dimensions s’articulent entre elles et l’interprétation que nous en avons faite à l’intérieur du
parcours individuel de Magalie.
Magalie possède un côté militant envers les droits des francophones, un sentiment qu’elle a
développé avec ses parents. Étant originaire d’une région majoritairement francophone de
la Péninsule acadienne et, donc, n’ayant pas de contacts réguliers avec les anglophones, elle
était sans se douter que son passage à Moncton, entourée d’une majorité d’anglophones,
aurait pour effet qu’elle se sente plus que jamais minoritaire. Ce fut pour elle un des
moments les plus marquants qu’elle a vécu lors de sa première expérience migratoire. Mais,
malgré ce sentiment de minorité notable, Magalie demeure fière d’appartenir à la
communauté francophone et elle se dit aussi ouverte à la langue anglaise. Ce qui fait sens
pour elle puisque de respecter et d’être respecté font partie des valeurs importantes qui sont
véhiculées dans sa famille. En dépit de la mobilité géographique qu’elle effectue pour ses
études universitaires, Magalie maintient un lien très fort avec son milieu d’origine. Elle est
aussi très attachée à sa famille et elle est fière de ses racines acadiennes. D’abord très
sociale, elle est intègre et résignée à se tenir à la disposition des autres, alors qu’elle
souhaite participer professionnellement à l’éducation des Acadiens, le tout entrant en
conformité avec ses projets professionnels. Pour bien le faire, elle a joué de stratégie en
choisissant de partir pour mieux revenir. Ainsi, son expérience de vie universitaire à
l’extérieur de son milieu d’origine l’a fait, certes, évoluer, mais c’est lorsqu’elle reviendra
dans les Provinces maritimes pour se rapprocher de sa famille et pour redonner à sa
communauté, en participant activement à la formation de jeunes francophones en situation
minoritaire, qu’elle obtiendra la reconnaissance sociale dont elle a besoin pour se sentir
bien. Elle va ainsi jusqu’au bout de ses projets et elle assume les choix de vie qu’elle a
pris, tant personnels que professionnels.
Le rapport à l’identité acadienne de Magalie, articulé à la théorie sur le changement social
de Bajoit (2003), démontre qu’elle est sujet conformiste dans son identité assignée, sujet
conséquent dans son identité engagée et sujet stratège dans son identité désirée. Selon la
description complète que nous avons pu en faire, nous concluons que cette participante
161
réussit plutôt bien à créer une harmonie dans l’organisation de ses trois zones identitaires
en ce qui a trait à son rapport à l’identité acadienne. Par ailleurs, nous croyons qu’une telle
harmonie n’est toutefois pas synonyme d’absence de tensions existentielles. Nous le
voyons, dans ce cas-ci, alors que Magalie vit tout un choc à son arrivée à l’Université de
Moncton (campus de Moncton), entourée d’une majorité d’anglophones, et que c’est à ce
moment précis qu’elle prend conscience de son statut de minoritaire. Cette expérience de
vie peut marquer encore plus du fait qu’elle est vécue lors de cette période cruciale où les
tensions existentielles seront beaucoup plus présentes (Bajoit, 2003) et du fait qu’en plus,
l’expérience de mobilité chez le jeune contribue à la restructuration de son identité et de
son sentiment d’appartenance (Garneau et al., 2010).
7.2.1.2 Valérie
Comme nous l’avons fait pour Magalie, observons, tout d’abord et brièvement, les quatre
dimensions qui sont ressorties de l’analyse descriptive du parcours individuel et du rapport
à l’identité acadienne de Valérie :
― Dimension territoriale : Son sentiment d’appartenance envers son milieu d’origine s’est
amplifié depuis qu’elle a quitté le nord du Nouveau-Brunswick pour effectuer des
études postsecondaires. Elle aimerait beaucoup pouvoir retourner s’y installer plus tard.
― Dimension historique : Selon le récit collectif acadien véhiculé dans les écoles qu’elle a
fréquentées, Valérie retient ce qui s’est passé pour les Acadiens historiquement, alors
qu’ils se sont battus pour obtenir des droits linguistiques, pour acquérir le droit d’être
éduqués en français.
― Dimension culturelle : Pour Valérie, la Péninsule acadienne représente le berceau de la
culture acadienne : « On fête […] la Fête nationale des Acadiens qui est le 15 août, c’est
un moment important » (p. 4).
― Dimension linguistique : Pour Valérie, on ne peut pas être Acadien sans être
francophone, l’un ne va pas sans l’autre. C’est en quittant le nord du Nouveau-
Brunswick pour se rendre à Ottawa qu’elle a eu un choc linguistique et qu’elle a réalisé
les dangers d’assimilation de la langue française. Depuis qu’elle est à Ottawa, elle a pu
parfaire son anglais et elle se considère presque bilingue.
162
Voyons maintenant, à l’aide du cadre théorique de Bajoit (2003), de quelle façon ces
dimensions s’articulent entre elles et l’interprétation que nous en avons faite à l’intérieur du
parcours individuel de Valérie.
Valérie est fière de la culture acadienne qui est transmise dans la Péninsule acadienne. Elle
a aussi beaucoup de respect pour les Acadiens qui se sont battus par le passé pour leurs
droits linguistiques. Cependant, elle fait partie de ces jeunes d’aujourd’hui qui perçoivent
l’identité collective comme un projet pour lequel chacun est libre de s’associer ou pas
(Pilote, 2010; J. Y. Thériault, 2008). Ainsi, fidèle à elle-même, sans toutefois désapprouver
tout ce que l’Acadie propose aux Acadiens en termes d’évolution personnelle et
professionnelle, Valérie a préféré s’en détacher pour s’accomplir pleinement et
entreprendre des projets identitaires pour sa satisfaction personnelle. De plus, plusieurs
bribes dans son discours évoquent à quel point elle possède un esprit de rébellion. Tout
d’abord, Valérie allègue la raison de son départ pour l’Université d’Ottawa : « Je ne voulais
pas faire comme les autres. C’est pour ça que je suis partie à Ottawa » (p. 6). Elle ajoute
ensuite :
… J’ai eu l’impression que le monde voulait que j’aille à Shippagan, mais
ça ne venait pas de mes parents, plus de mes tantes, mes oncles et mes
professeurs. […] Je ne les ai pas écoutés. […] Ils ont tenté de me
convaincre, mais ça n’a pas marché. (p. 6)
Un peu plus loin, elle explique que « c’était [l’Université d’Ottawa] la seule place au
Canada où le programme était offert. C’est ce qui m’attirait. Je trouvais ça bien d’avoir
quelque chose de différent des autres » (p. 7). Ainsi, Valérie ne voulait pas aller là où
plusieurs de ses amis poursuivaient leurs études postsecondaires. Elle ne voulait pas non
plus écouter ce que ses proches l’encourageaient à faire. Puis, elle recherchait l’exclusivité
ou l’originalité dans le choix de son programme d’études. Et ce ne fut pas le seul moment
où Valérie a utilisé la voie de la rébellion pour poursuivre son chemin :
… Après ma première année, j’ai voulu changer de programme. […] J’ai
alors songé à retourner au Nouveau-Brunswick. J’avais des amis qui [étaient
163
à Shippagan] qui disaient ‘viens nous trouver, tu vas aimer ça ici’.
Malheureusement, avec ma tête de cochon, j’ai voulu prouver à tout le
monde et à tous ceux qui m’avaient dit de ne pas aller à l’Université
d’Ottawa, qu’ils n’avaient pas raison. Je me suis trouvé un autre programme
qui ne se donnait pas nulle part ailleurs. […] Je suis restée à Ottawa
finalement. (p. 10)
Cependant, son expérience de mobilité des dernières années a éveillé chez elle une envie de
plus en plus forte de retourner dans les Provinces maritimes. En effet, son départ de la
Péninsule acadienne vers Ottawa a été tout un choc linguistique pour elle et c’est là qu’elle
a réalisé les dangers d’assimilation qui guettent la langue française. Mais, du fait qu’elle
avait déjà mis en branle les projets identitaires qui répondent à ses besoins de partir et
d’être différente des autres, Valérie sait pertinemment qu’elle ne peut pas simplement
changer de direction. Elle assume ce qu’elle a commencé, malgré qu’elle ressente de plus
en plus l’envie de retourner dans son milieu d’origine : « J’espère que je vais retourner dans
les Maritimes. […] Si je peux y retourner, ça va être mon plus grand plaisir. Sinon, je vais
vivre avec » (p. 32).
Certes, elle ressent le besoin de retourner dans les Maritimes un jour, mais ce serait pour
son bonheur à elle et non pas pour répondre aux exigences des autres. C’est pourquoi, dans
ce cas-ci, cette volonté de revenir ne peut pas être considérée comme de l’altruisme. Valérie
ne renie pas ce que l’Acadie a à offrir aux Acadiens, mais elle demeure ancrée sur ses
propres désirs : « Il faut être fier d’avoir une université francophone [l’Université de
Moncton], sauf que, dans mon cas, ce n’est pas ça que je voulais » (p. 7). Au départ, son
choix de programme d’études postsecondaires fut une décision personnelle par rapport à
son orientation professionnelle, selon ses intérêts, et non selon les emplois éventuels qu’elle
pourrait avoir plus tard.
… Je voulais faire ce qui me plaisait, je voulais avoir une approche
différente des autres. […] Je voulais avoir quelque chose d’un peu plus
spécifique. […] Je me suis toujours dit que je ne voulais pas me mettre des
bâtons dans les roues. Je voulais être prête à pouvoir aller n’importe où.
J’étais ouverte à n’importe quoi. (p. 11)
164
Même son de cloche pour ce qui est d’un futur copain, Valérie ne s’empêcherait pas, en ce
sens, de faire ce qu’elle veut.
… Je vais faire ce qui me tente et je ne vais jamais empêcher un gars de me
permettre d’aller où ce que je veux. C’est un peu ingrat de ma part, mais
c’était moi qui passais en premier. Je savais ce que j’avais à vivre et c’est ça
que je vais vivre. (p. 23)
Bref, Valérie s’engage dans des projets identitaires avec pour unique objectif sa satisfaction
personnelle.
… Je veux être heureuse, c’est la seule chose qui m’importe. Je n’ai pas de
projets fixes. Oui, je veux trouver un travail que j’aime et fonder une
famille, mais ça arrivera quand ça arrivera. Tout ce que je veux, c’est d’être
heureuse. (p. 32)
Le rapport à l’identité acadienne de Valérie, articulé à la théorie sur le changement social
de Bajoit (2003), démontre qu’elle est sujet rebelle dans son identité assignée, sujet
conséquent dans son identité engagée et sujet authentique dans son identité désirée. Selon
la description complète que nous avons pu en faire, nous concluons que les tensions
existentielles de cette participante sont importantes au niveau de ses engagements. Elle
tente de les gérer en étant conséquente, alors qu’elle se convainc de poursuivre, malgré
tout, les projets entamés (Bajoit, 2003).
L’histoire de Valérie représente un bel exemple du caractère unique que prend chacune des
analyses. Les quatre dimensions (territoriale, historique, cultuelle, linguistique) ressorties
peuvent être comparables à d’autres, mais une fois introduites dans le contexte individuel,
on ne peut plus justifier la pertinence de comparer une histoire à une autre. Nous
démontrons ainsi, tel qu’il fut susmentionné, qu’il y a, certes, des repères collectifs et des
dimensions relativement stables, mais les combinaisons possibles sont multiples et
subjectives à chacun (Pilote, 2004, 2010).
165
7.3 Synthèse des résultats
Tout comme notre postulat de départ, les résultats démontrent que le rapport à l’identité
acadienne varie d’un jeune à l’autre, et ce, selon la représentation qu’il se fait de sa
communauté d’origine, selon son sentiment d’appartenance, et selon son besoin
d’autonomie. Comme tous ces éléments se présentent différemment pour chacun de nos
sujets à l’étude, les rapports à l’identité acadienne sont effectivement très diversifiés.
Toutefois, malgré cette grande diversité, le cadre théorique de Bajoit (2003) nous a permis
de décortiquer et de catégoriser les différentes tensions existentielles présentes au sein du
rapport à l’identité acadienne de nos jeunes étudiants. Bref, une catégorisation théorique est
possible lorsque les tensions existentielles sont analysées de façon isolée par logiques
identitaires, alors que le type d’interaction synergique des trois zones identitaires est unique
à chacun.
Ainsi, nous pouvons conclure que les jeunes étudiants universitaires provenant de milieux
minoritaires francophones et qui sont en situation de mobilité parviennent à gérer leurs
tensions identitaires en exploitant au maximum les trois sentiments de reconnaissance
sociale, d’accomplissement personnel et de consonance existentielle, et en en recherchant
constamment leur équilibre (Bajoit, 2003). Les résultats mettent en évidence que chacun
des participants à l’étude parvient à articuler sa biographie de façon cohérente. Cependant,
une telle articulation peut être plus laborieuse pour certains, alors qu’elle sera sans grande
complexité pour d’autres. Cela dépend, en fait, du type d’interaction synergique entre les
zones identitaires assignée, engagée et désirée du jeune. Il appert donc que certains jeunes
francophones provenant de milieux minoritaires sont effectivement exposés à des tensions
existentielles supplémentaires dues à leur groupe linguistique particulier. Nous comprenons
maintenant qu’il en est ainsi pour certains des membres de notre corpus dont l’articulation
de leur construction identitaire entre les trois zones identitaires, quant à leur rapport à
l’identité acadienne, est beaucoup plus laborieuse.
On ne peut prédire ce que l’avenir réserve aux jeunes étudiants universitaires francophones
en situation de mobilité, originaires du nord du Nouveau-Brunswick. Une chose est certaine
166
cependant, il y aura toujours chez chacun de ces jeunes diverses tensions existentielles qui
se présenteront dans leur vie. Par un mouvement incessant, la synergie de leurs trois zones
identitaires crée inévitablement une (re)construction identitaire perpétuelle pour chacun
d’eux. Ceci est également vrai pour tous les jeunes francophones en situation minoritaire au
Canada; ceci est vrai pour tous.
Dans le contexte qui nous intéresse pour ce mémoire, il a été démontré tout au long de ce
travail, et ce, tant dans les discours communs, dans les écrits scientifiques, dans la théorie
du changement social de Bajoit que dans le discours des participants, que les périodes
critiques de la vie, comme l’étape des études postsecondaires, donnent lieu à des tensions
existentielles marquantes, rendant le travail de (re)construction identitaire particulièrement
laborieux. Nous ne pouvons que confirmer ce que les discours communs et scientifiques
affirment en ce qui a trait à la nécessité de rendre plus accessibles les études
postsecondaires pour les jeunes francophones en situation minoritaire. En effet, les résultats
d’analyse que nous venons d’obtenir dévoilent que les jeunes francophones en situation
minoritaire peuvent être issus d’une même société, mais vivre différentes tensions, certains
plus difficilement ou de façon plus complexe que d’autres. Par ailleurs, pour reprendre les
propos de Beaudin et al. (2010), là où le bât blesse, c’est effectivement pour la minorité
francophone éloignée des grands centres. En effet, comme nous l’avons vu lors de notre
recension d’écrits, une migration quasi obligée pour les jeunes francophones en situation
minoritaire constitue un enjeu variable selon la province (Forgues et al., 2007) et selon la
région (Beaudin et al., 2010) dans laquelle ils se trouvent. À la lumière des résultats de
notre analyse, nous ajoutons qu’une migration quasi obligée pour les jeunes francophones
en situation minoritaire constitue également un enjeu variable selon le jeune lui-même,
c'est-à-dire selon la manière dont il parvient à gérer ses tensions existentielles dans sa
construction identitaire. Dans une telle perspective, l’explication théorique de Bajoit (2003)
sur le changement social intégré dans un paradigme identitaire continue de maintenir notre
intérêt du fait qu’il souligne l’inutilité de séparer, mais bien d’articuler les dimensions
d’individu-objet et les dimensions d’individu-sujet. Ces dimensions, rappelons-le, étant
toutes engagées simultanément dans une relation sociale.
167
Comprendre ainsi théoriquement et dans la pratique les modes de gestion des tensions
existentielles de l’individu dans sa construction identitaire devient un outil pratique pour les
intervenants en orientation, notamment, dans ce cas-ci, pour ceux qui ont à travailler auprès
des jeunes francophones issus de la francophonie minoritaire canadienne.
Chapitre 8
Conclusion
8.1 Rappel de la problématique, de la question et des objectifs
de recherche
La présente étude visait à apporter un éclairage nouveau sur le problème de développement
et de vitalité des communautés francophones en situation minoritaire au Canada, en
fonction des enjeux qui y sont associés, et ses répercussions sur la construction identitaire
de l’individu.
Ainsi, comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, les enjeux, tels que la dispersion
démographique, le vieillissement de la population, l’assimilation et la mobilité
géographique, constituent un problème social majeur pour les communautés francophones
en situation minoritaire et ils peuvent avoir une conséquence directe sur la construction
identitaire. Déjà que l’identité d’une personne est complexe en soi, nous nous sommes
demandé si cette complexité identitaire pouvait s’accroître chez les jeunes francophones en
situation de mobilité, originaires de régions du Nouveau-Brunswick où les francophones
sont regroupés majoritairement conséquemment à leur groupe linguistique particulier. La
question spécifique suivante fut alors posée : Comment les jeunes originaires de régions
majoritairement francophones du Nouveau-Brunswick construisent-ils leur identité lors
d’une expérience de mobilité dans la poursuite d’études universitaires?
Notre premier objectif visait à définir l’identité acadienne dans une représentation
collective. Pour ce faire, nous avons déterminé les repères historiques de l’Histoire
acadienne afin d’en arriver à identifier les dimensions générales qui définissent l’identité
acadienne telle qu’elle est perçue collectivement. Il en est ressorti une carte conceptuelle
169
des dimensions qui allait permettre de repérer les dimensions territoriale, historique,
culturelle et linguistique au sein du discours de chacun des participants à l’étude.
Le second objectif cherchait à décrire les parcours individuels et le rapport à l’identité
acadienne des jeunes étudiants universitaires francophones. Pour y arriver, nous avons,
tout d’abord, extrait les éléments du discours de nos participants, selon les composantes de
l’identité acadienne qui leur était propre. Ensuite, nous avons pu présenter l’analyse
descriptive de chacun des vingt-deux étudiants de notre corpus, organisée en fonction du
comté (Madawaska, Restigouche, Gloucester) dans lequel ils sont originaires. Des constats
généraux ont émergé en fonction de chacun des comtés. Enfin, cette démarche d’analyse
détaillée nous a permis de connaître de quelle façon et à travers quel cheminement chacun
des étudiants construisent leur rapport à l’identité acadienne.
Le troisième objectif avait pour but d’analyser les différentes façons de gérer les tensions
relativement à ce groupe linguistique qui leur est particulier. Pour faire cela, nous avons
déterminé que le modèle sur le changement social de Bajoit (2003) serait le cadre théorique
sur lequel nous allions articuler les parcours individuels et le rapport à l’identité acadienne
de nos participants. À l’aide de ce modèle, nous avons pu constater que le rapport à
l’identité acadienne des jeunes s’exprime selon différentes logiques identitaires et que
l’utilisation de ces logiques identitaires en interaction synergique conduit au travail de
(re)construction identitaire qui est unique à chacun (Bajoit, 2003). Tous parviennent à
articuler leur biographie de façon cohérente. Toutefois, les jeunes, même s’ils sont issus du
même groupe linguistique particulier, vivent des tensions différentes qui peuvent être, pour
certains, vécues plus difficilement ou de façon plus complexe que pour d’autres.
8.2 Liens avec le champ d’études
L’ouvrage de Bajoit (2003) réinterrogeant les notions fondamentales de la sociologie offre
un modèle théorique efficient pour étudier le changement social et l’évolution de la société
par l’entremise des acteurs sociaux. Il faut comprendre que la « Sociologie » n’est pas
170
étrangère au domaine des sciences de l’orientation puisque l’approche sociologique fait
partie des multiples disciplines utilisées pour étudier la carrière (Bujold, 1989).
La synthèse des résultats effectuée à la fin du chapitre précédent nous mène à parler des
liens que nous pouvons faire avec le domaine d’études dans lequel se rattache ce mémoire.
S’inscrivant dans le domaine des sciences de l’orientation, ce mémoire contribue
assurément à toute démarche d’intervention individuelle en counseling d’orientation. En
effet, la construction identitaire n’est pas que l’affaire des jeunes francophones
minoritaires. L’étape de vie en tant que jeune adulte apporte son lot de questionnement et
de recherche identitaires; elle est une étape normale en soi. De fait, nous avons appliqué
l’approche théorique de Bajoit (2003) au processus de construction identitaire de jeunes
étudiants universitaires francophones en situation minoritaire, mais elle pourrait tout aussi
bien s’appliquer à tout être humain qui réfléchit ou qui se questionne sur son identité
individuelle et son appartenance collective. Une personne qui arrive à évaluer les tensions
existentielles qui dominent ses trois zones identitaires (identité assignée, identité engagée,
identité désirée) et les interrelations de synergie qui en découlent peut, de surcroît,
comprendre de quelle façon elle s’engage sur le plan identitaire. Une telle compréhension
s’avère donc très utile pour l’intervenant qui voudrait mettre en place des pistes
d’intervention individuelle en ce sens.
La méthode d’enquête qualitative sous forme de récits de vie (Bertaux, 1997) employée
pour recueillir les données pour ce travail n’est pas qu’utile à la recherche en orientation,
mais aussi pour la pratique dans cette même discipline. En effet, selon Francequin,
Descamps, Ferrand et Cuvillier (2004), proposer une « démarche de ‘récits de vie’ [permet]
de découvrir la réalité sociale et de comprendre la personne qui accepte de raconter des
tranches de sa vie » (p. 21). Une telle démarche autoriserait l’individu à se réinvestir « dans
son pouvoir de participer activement au processus de formation » (Francequin, Descamps,
Ferrand et Cuvillier, 2004, p. 23). Les auteurs ajoutent que « l’individu qui ‘se défait de ses
aliénations’ peut donc à nouveau agir dans son environnement en manifestant toutes ses
potentialités » (p. 24). Concrètement, l’utilisation du récit de vie par le conseiller
d’orientation peut permettre, par exemple, à des élèves d’effectuer un travail d’analyse sur
171
des domaines spécifiques, tels que l’école et la vie affective, pour y révéler les « nœuds
biographiques », pour composer une biographie au carrefour de toutes ces informations
mises ensemble, puis pour agir sur les tensions existentielles ainsi exposées (Francequin,
Descamps, Ferrand et Cuvillier, 2004, p. 23). Nous saisissons l’opportunité pour rapprocher
cette démarche à l’outil conçu par Bajoit (2003) et utilisé aux fins de ce travail. Notre
vision nous fait croire que cet outil pourrait lui-même contribuer, dans la pratique, à ce que
l’individu en vienne à comprendre l’interaction synergique de ses identités, plurielles et
propres à lui-même, c’est-à-dire l’abondance des choix identitaires qui lui incombent
d’effectuer, et qu’une telle compréhension puisse le mener à une meilleure connaissance de
soi, et, conséquemment, à une meilleure orientation dans la vie, tant personnelle que
professionnelle.
8.3 Discussion des résultats
8.3.1 L’identité en mouvement perpétuel
De notre recension d’écrits, nous avons pu ressortir que l’identité est variante et mobile
(Labrie, 2010; Cazabon, 2007; Gérin-Lajoie, 2007; Pilote, 2006). Dans la même veine,
mais selon une perspective migratoire cette fois-ci, qui rejoint tout autant notre étude,
Ramos (2006) parle de « géographie individualisée » où « chaque lieu n’est pas un point,
mais un mot dans une phrase [qui] prend sens dans la relation aux autres mots » (p. 38).
Une telle conception rend compte, comme l’explique Ramos (2006), du « caractère
mouvant, jamais figé, de la trajectoire humaine » (p. 53). Suivant toutes ces propositions de
recherche, nos résultats d’analyse permettent de constater qu’il y a bel et bien une
mouvance identitaire constamment influencée par les contextes, les interactions et
l’environnement. Un bon exemple, très bref, parmi les participants de notre corpus est celui
de Charles dont les représentations ont été fortement ébranlées lorsqu’il a quitté le nord du
Nouveau-Brunswick pour déménager à Ottawa, afin d’y poursuivre ses études
postsecondaires. Dans sa façon de gérer son identité assignée, celui-ci est alors passé très
clairement de sujet rebelle, avec sa communauté du comté de Restigouche, à sujet
172
adaptateur envers sa ville d’accueil. Comme quoi un nouveau contexte, un nouvel
environnement et de nouvelles interactions peuvent certainement influencer la construction
identitaire qui est constamment en train de se mouvoir.
8.3.2 Période critique de la vie
Bajoit (2003) parle de (re)construction perpétuelle de l’identité ainsi que de la présence de
tensions existentielles vécues par tout un chacun qui peuvent porter atteinte à leur identité,
notamment lors de périodes cruciales de la vie. Cela n’est pas sans nous rappeler les propos
de l’AFCONB (2007) qui souligne l’importance pour les jeunes d’avoir pleine confiance en
leur identité et aux ressources disponibles afin de se réaliser entièrement, surtout lorsque
vient le temps de se préparer au succès de leurs études postsecondaires. Toutefois,
l’association (AFCONB, 2007) trouve déplorable que cette période critique dans la vie des
jeunes soit malheureusement mal supportée par les conseillers d’orientation, et ce, malgré
eux. Ajoutons à cela les quelques recherches portant sur la migration des jeunes
francophones en situation minoritaire (Beaudin, 2010; Beaudin et al., 2010; Pilote et Brier,
2010; Pilote et al., 2010) qui soulignent à quel point les expériences migratoires de ces
jeunes pour poursuivre des études postsecondaires représentent une période charnière dans
la vie de ces jeunes en matière de construction identitaire. Et puis, nous constatons la même
situation en ce qui concerne les résultats de recherche de Garneau et al. (2010), démontrant
également que l’expérience de mobilité chez le jeune contribue à la restructuration de son
identité et de son sentiment d’appartenance. Une telle recension d’écrits vient donc
renforcer l’idée de « période cruciale » pour les jeunes francophones en situation
minoritaire, période durant laquelle, selon Bajoit (2003), les tensions existentielles seront
beaucoup plus présentes. Cela démontre aussi la cohérence de faire une recherche auprès de
jeunes francophones ayant grandi dans une région majoritairement francophone du
Nouveau-Brunswick. En effet, comme nous l’avons démontré au premier chapitre, la
répartition de l’offre des programmes universitaires francophones est inégale partout au
pays et cela fait en sorte que ces dits jeunes sont plus susceptibles de quitter leur milieu
d’origine s’ils choisissent de poursuivre des études postsecondaires dans un domaine
particulier en français.
173
Force est de constater que l’offre de programmes est inégalement répartie sur le territoire,
entraînant, par le fait même, une migration quasi obligée pour les jeunes francophones en
situation minoritaire désireux de poursuivre des études postsecondaires dans un domaine
spécifique en français. Pourtant, tous les citoyens canadiens devraient pouvoir obtenir un
« cheminement scolaire uniforme » (Corbin et Buchanan, 2005, p. 65), et ce, « tout au long
de leur vie » (SANB, 2009, p. 9).
8.3.3 L’identité dans une représentation collective
Comme nous l’avons vu dans le troisième chapitre, l’identité acadienne dans sa
représentation collective n’est plus ce qu’elle était. Les représentations qu’on en fait sont
très diversifiées. Il y a, certes, des repères collectifs et des dimensions relativement stables,
d’où le choix de nos quatre dimensions de l’identité acadienne (territoriale, historique,
culturelle et linguistique), mais les combinaisons possibles sont multiples et subjectives à
chacun (Pilote, 2004, 2010). Souvenons-nous aussi que le phénomène de migration chez les
jeunes francophones constitue une problématique majeure quant au développement et à la
vitalité des communautés francophones du Nouveau-Brunswick dans un contexte plus
éloigné des grands centres. Par conséquent, si nous tentons de déterminer là où ces jeunes
francophones seraient les plus susceptibles de vivre des tensions existentielles dans cette
période charnière de leur vie, nous comprenons que cela se joue justement entre leur
rapport à l’identité acadienne et leur expérience de migration.
8.3.4 Migration pour les études, et après?
Comme Gauthier et al. (2003) l’ont conclu dans leur recherche sur la migration des jeunes
que nous avons décrite au chapitre deux, la majorité de nos jeunes à l’étude ont également
choisi de partir de leur milieu d’origine pour poursuivre des études postsecondaires et non
pour quitter leur communauté. Certes, ils ne reviendront pas tous, mais l’intention du départ
n’était pas en ce sens. Nos trois participantes Martine, Léa et Valérie sont les exceptions,
car celles-ci ont souhaité partir pour connaître d’autres mondes et pour ne plus revenir, et
174
ce, malgré leur sentiment d’appartenance à leur milieu d’origine. Qui plus est, tout comme
Ramos (2006), plusieurs de nos participants ont parlé de facteurs rationnels l’emportant sur
les facteurs affectifs. De fait, le sentiment d’appartenance envers la communauté d’origine
ne fait généralement pas le poids sur les possibilités professionnelles et les conditions
sociales offertes ailleurs. Pilote et Brier (2010) parlent même d’un dilemme qui se crée
entre le sentiment d’appartenance et les ambitions personnelles futures. Nos participantes
Carolanne et Valérie ont exprimé un tel dilemme au moment de leur entrevue. Anthony est
notre seul participant qui est complètement à l’opposé, alors qu’il s’attribue un sentiment
d’appartenance ouvert sur le monde (ne se considérant pas Acadien, ni Néo-Brunswickois
et à peine Canadien) et qu’il fait le projet de rester dans son milieu d’origine et de participer
au développement de sa communauté.
Les résultats démontrent que certains de nos jeunes participants qui ont migré pour les
études auraient préféré rester dans leur milieu d’origine pour y faire leur formation
postsecondaire au complet. Une telle façon de faire est toutefois loin de la réalité, car, nous
l’avons vu, obtenir un enseignement qui profite de façon équitable aux deux communautés
linguistiques officielles demeure, encore aujourd’hui, le but à atteindre (Corbin et
Buchanan, 2005; FJCF, 2009; SANB, 2009). Les communautés francophones minoritaires
auraient donc avantage à offrir une formation francophone complète, de la petite enfance au
postsecondaire, mieux répartie sur le territoire, qui permettrait d’éviter une restructuration
de l’identité et du sentiment d’appartenance (Garneau et al., 2010, Forgues, 2007,
Lamoureux, 2007, Beaudin et al., 2007 dans Pilote et Richard, à paraître; R.A. Malatest &
Associates Ltd, 2002) chez le jeune qui ne souhaite pas partir.
8.3.5 Bilinguisme pour une identité cohérente
Tel que nous l’avons vu au premier chapitre, certains chercheurs scientifiques abordent le
bilinguisme de façon identitaire. Cette « identité bilingue » serait un fait observé et
généralisable aux régions minoritaires du Canada (Deveau et Landry, 2007). Cependant,
Deveau et Landry (2007) ont aussi suggéré que « dans un milieu où les francophones
175
profitent d’une très forte vitalité et où la vaste majorité des contacts linguistiques sont
vécus en français, l’identité a tendance à être presque exclusivement francophone »
(p. 121). Et même quand ils s’affichent francophones, les jeunes ont tendance à se
positionner envers la langue anglaise. Pilote (2004) explique, en ce sens, que « l’identité
bilingue peut conduire à une reconnaissance au sein du groupe majoritaire alors que
l’identité francophone peut être reconnue comme légitime mais non liée à l’attribution de
« droits » particuliers » (p. 72). L’identité bilingue permet donc à l’individu de se construire
une identité qui sera cohérente (Pilote, 2004). Pour illustrer avec nos résultats d’analyse,
ceux-ci démontrent que, de nos vingt-deux (22) participants, vingt participants se
définissent en tant que francophones et se disent bilingues, mais de façon utilitaire
seulement. Les deux autres participants de notre corpus, Patrick et Léa, ne s’identifient pas
comme ayant des compétences bilingues, toutefois le français demeure la langue qu’ils
privilégient. Ajoutons que lorsqu’ils parlent de leurs futurs enfants, le fait de leur léguer
l’importance de la langue française ressort pour plusieurs. Certains de nos jeunes n’ont tout
simplement pas abordé la question des futurs enfants lors de l’entrevue, alors que d’autres
ont seulement spécifié l’importance de les élever en français, sans plus de détails. Mais
plusieurs ont dit qu’ils favoriseront également le bilinguisme individuel pour leurs enfants,
reconnaissant une telle aptitude comme étant socialement et professionnellement un atout à
léguer.
8.4 Limites et pistes de recherche
Les données recueillies auprès des participants à l’étude sont d’une grande importance
puisqu’elles représentent le cœur de notre analyse. Il faut convenir, cependant, qu’elles
demeurent propres au récit que les jeunes ont bien voulu partager avec nous, représentant
leur perspective subjective sur la vie. Comme Bertaux (1997) l’explique, la technique est
tout de même efficace, alors qu’elle permet d’obtenir des détails sur l’expérience de vie de
chacun. La compréhension de l’ensemble des actions qui ont mené aux divers parcours
individuels nous a permis de saisir la façon dont ces jeunes parviennent à gérer leurs
176
tensions existentielles; des résultats que nous n’aurions pu obtenir avec une recherche plus
objective.
Pour autant qu’il fut audacieux, le choix du modèle conceptuel de Bajoit (2003) ne fait pas
partie des références théoriques utilisées généralement au sein des études sur les minorités
linguistiques ou ethniques. Peut-être qu’une combinaison avec d’autres de ces dites
références théoriques permettrait une analyse et une interprétation des données qui
démontrerait encore plus clairement ce que la situation minoritaire laisse comme traces sur
l’identité du jeune migré.
Ciblant les études postsecondaires, notre recherche a porté sur les jeunes étudiants
fréquentant des universités francophones ou bilingues. De surcroît, les études collégiales
n’ont pas été abordées dans ce travail. Une recherche en ce sens apporterait peut-être des
nuances considérables aux résultats que nous avons obtenus.
Un autre point de vue qui n’a pas été abordé dans ce travail, mais qui serait tout autant
intéressant, est celui de l’entourage du jeune, comme les parents et les conseillers
d’orientation. En effet, le fait d’obtenir des données supplémentaires par l’entremise de
l’entourage pourrait offrir un second niveau de données qui bonifierait ou qui clarifierait
celles obtenues par l’acteur central. Cela permettrait du même coup de rendre la perspective
subjective plus précise.
Comme il fut présenté dans ce travail, l’identité est mouvante dans le temps (Cazabon,
2007; Gérin-Lajoie, 2007; Labrie, 2010; Pilote, 2006); elle se construit selon les contextes,
sur des axes temporel et relationnel (Pilote, 2006). De ce fait, il serait fort intéressant de
donner une suite à cette présente étude afin d’apprécier la (re)construction et l’engagement
identitaires qui adviendront dans les prochaines années chez ces jeunes étudiants
universitaires francophones en situation de mobilité, originaires de régions majoritairement
francophones du Nouveau-Brunswick, alors qu’ils poursuivront leurs expériences de vie, et
ce, tant personnelles que scolaires et professionnelles. Une telle seconde démarche
ajouterait certainement un éclairage supplémentaire à la compréhension du rôle de la
177
construction identitaire, et ce, dans cette période particulière que représente l’expérience
d’insertion socio-professionnelle des jeunes adultes francophones en situation minoritaire
au Canada.
Enfin, tel un jeune qui suit la trace tout en faisant son chemin (Pilote, 2007b), nous avons,
certes, fait notre chemin par ce travail qui devient, très humblement, une des rares
contributions à la recherche sur les jeunes francophones originaires du nord du Nouveau-
Brunswick. Mais nous souhaitons également suivre la trace en affirmant, comme de
multiples chercheurs, organismes, associations et autres présentés dans cette recherche,
qu’il est nécessaire de poursuivre les actions et les recherches entamées sur la construction
identitaire des jeunes francophones en situation minoritaire. Il est nécessaire aussi de
réfléchir sur le rôle des conseillers d’orientation face à la construction identitaire des jeunes
francophones en situation minoritaire, alors qu’ils jouent un rôle essentiel dans la
préparation aux études postsecondaires et dans le choix de carrière. Enfin, il est nécessaire
que les politiques gouvernementales prennent des actions en ce qui a trait aux enjeux
propres des francophones en situation minoritaire. Le problème social général que nous
avançons par ce travail, où l’avenir de la francophonie canadienne n’est pas assuré, est loin
d’être réglé et il ne le sera pas tant que les jeunes francophones en situation minoritaire
auront, entre autres enjeux, à migrer quasi obligatoirement pour poursuivre des études
postsecondaires en français dans l’université et le programme d’études de leur choix.
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Annexes
Annexe 1 – Exemple d’un formulaire de consentement
194
195
196
Annexe 2 – Questionnaire sociodémographique
198
199
Annexe 3 – Guide d’entretien
201
202
203
204
205
206
Annexe 4 – Exemple de fiche-synthèse
QUI EST MICHEL (UMCS2)? SES CONDI TI ONS OBJECT IV ES :
1 - TERR IT OR IA LES
*La région [nom du lieu d’origine], située dans la Péninsule acadienne, est francophone à 95 %;
c’est là que Michel a grandit.
2 - FAMI LIA LES
*Ses parents sont acadiens; avec eux, Michel participait au Tintamarre étant jeune; à la maison,
la télévision était toujours écoutée en français.
3 - INSTIT UTI ONNELLES
*Michel a fait son école primaire et secondaire entièrement en français; [nom du programme] à
la Cité collégiale d’Ottawa; Université de Guelph, campus d’Alfred(collège); Université de
Moncton à Shippagan (en cours – [nom du programme]).
4 - SOCIA LES
*Une partie de sa famille élargie est anglophone; ses contacts avec des anglophones se sont
intensifiés à partir du secondaire; ses amis sont tous francophones; lors de son passage à
Edmonton, en Alberta, les Acadiens se réunissaient et ils fêtaient ensemble la fête de l’Acadie.
RÉSUMÉ DES CONDITIONS OBJECTIVES : La région [nom du lieu d’origine], située dans la Péninsule
acadienne, plus précisément incluse dans la grande région de [nom de la région], est francophone à 95 %;
c’est là que Michel a grandit avec ses parents acadiens. Avec eux, il participait au Tintamarre du 15 août. La
télévision a toujours été écoutée en français à la maison familiale. Michel a aussi fait son école primaire et
secondaire entièrement en français. Il s’est ensuite dirigé vers la Cité collégiale d’Ottawa pour y faire un [nom
du programme]. Son parcours scolaire s’est poursuivit à l’Université de Guelph, campus d’Alfred, en Alberta,
en [nom du programme]. Même lors de son séjour en Alberta, les Acadiens se réunissaient et ils fêtaient
ensemble la fête des Acadiens. Enfin, il est revenu dans la Péninsule acadienne, à l’Université de Moncton,
campus de Shippagan, pour y effectuer des études en [nom du programme]. Au moment de l’entrevue, son
baccalauréat était en cours. Le réseau social de Michel se résume à des amis francophones. Soulignons
toutefois qu’une partie de sa famille élargie est anglophone et que ses contacts avec les anglophones se sont
principalement intensifiés à partir du secondaire.
SON DI SCOUR S ID ENTI TA I R E (SUBJECTI F ) EN RAPP OR T AV EC SES
COND ITI ONS OBJECTIV E S :
1 - L I NG UI ST IQUE
*Selon Michel, son apprentissage de l’anglais a débuté à l’école et via la musique; mais il se dit être
devenu réellement bilingue grâce à ses multiples emplois qu’il a occupés à Ottawa; malgré
l’importance qu’il accorde au bilinguisme canadien, Michel possède une identité francophone forte
jusqu’au point de faire exprès pour que l’on remarque son accent francophone lorsqu’il parle en
anglais, de façon à afficher clairement qu’il est francophone; pour lui, effectuer des études en
français est très important, car c’est sa langue maternelle et c’est en français qu’il communique.
2 - H I ST OR ICO -CULT UR EL
*Michel se considère acadien, mais il préfère dire qu’il est un humain avant tout; à travers sa culture
acadienne, il réalise être un humain ouvert aux autres; Michel dit s’associer à la culture acadienne
traditionnelle avec le travail de la terre et la musique; sans s’impliquer directement, il sympathise
avec les associations acadiennes.
3 - TERR IT OR IA L
*Michel aimerait retourner dans sa région d’origine un jour, notamment pour vivre son quotidien en
français; son expérience en des milieux anglophones lui a fait réaliser qu’il désire vivre dans les
bornes françaises, plus précisément dans la Péninsule acadienne.
208
RÉSUMÉ DU DISCOURS IDENTITAIRE : Selon Michel, son apprentissage de l’anglais a débuté à l’école et via
la musique, mais il se dit être devenu réellement bilingue grâce aux multiples emplois qu’il a occupés à
Ottawa. Malgré l’importance qu’il accorde au bilinguisme canadien, Michel explique posséder une identité
francophone forte jusqu’au point de faire exprès pour que l’on remarque son accent francophone lorsqu’il
parle en anglais, et ce, de façon à afficher clairement qu’il est francophone. Pour lui, effectuer des études en
français est très important, car c’est sa langue maternelle et c’est en français qu’il communique tout
naturellement. Sans s’impliquer directement, il sympathise avec les associations acadiennes. Michel se
considère ainsi acadien, mais il préfère dire qu’il est un humain avant tout; à travers sa culture acadienne, il
réalise qu’il est un humain ouvert aux autres. Michel dit s’associer à la culture acadienne traditionnelle
notamment avec le travail de la terre et la musique. Celui-ci aimerait s’installer pour de bon dans sa région
d’origine pour pouvoir y vivre son quotidien en français. En effet, son expérience de vie en des milieux
anglophones lui a fait réaliser qu’il désire vivre à l’intérieur de bornes françaises, plus précisément dans la
Péninsule acadienne.
B R E F , Q U E L L E E S T L ’ ID E N T I T É A C A D I E N N E D E M I C H E L ?
Le rapport à l’identité acadienne de Michel est très présente dans sa dimension historico-culturelle, alors qu’il
se perçoit avant tout comme un être humain ouvert aux autres, et ce, par l’entremise de sa culture acadienne.
Son rapport à l’identité acadienne ressort aussi énormément dans sa dimension territoriale, alors que le
souhait de Michel serait de se trouver un emploi dans la Péninsule acadienne afin de pouvoir s’y installer de
façon permanente et vivre un quotidien entièrement en français. Pour ce qui est de la dimension linguistique
de son identité, celle-ci s’avère être beaucoup plus francophone qu’acadienne. En effet, Michel accorde de
l’importance au bilinguisme canadien, mais il est fier de s’afficher en tant que francophone lorsqu’il
communique avec les autres. Il est clair qu’il tient à préserver sa langue française.
Annexe 5 – Présentation du corpus avec les types d’attitudes
Pseudonyme Comté IDENTITÉ ASSIGNÉE IDENTITÉ ENGAGÉE IDENTITÉ DÉSIRÉE
conformiste adaptateur rebelle conséquent pragmatique innovateur altruiste stratège authentique
Raoul Madawaska √ √ √
Dany Madawaska √ √ √
Anne-Cath. Madawaska √ √ √
Pierre-Luc Madawaska √ √ √
Gaston Madawaska √ √ √
Évelyne Madawaska √ √ √
Julianne Madawaska √ √ √
Carole Madawaska √ √ √
Charles Restigouche √ √ √
Andrée Restigouche √ √ √
Anthony Restigouche √ √ √
Lyne Gloucester √ √ √
Claudine Gloucester √ √ √
William Gloucester √ √ √
Marcel Gloucester √ √ √
Martine Gloucester √ √ √
Magalie Gloucester √ √ √
Patrick Gloucester √ √ √
Michel Gloucester √ √ √
Carolanne Gloucester √ √ √
Léa Gloucester √ √ √
Valérie Gloucester √ √ √