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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JANVIER 2013 - N°448 // 33 La possibilité de mobiliser par différentes molécules les cellules souches hémato- poïétiques du sang périphérique a révolutionné depuis quelques années la pratique des greffes de moelle. Les greffes de cellules souches du sang périphérique (GCSP) représentent ainsi une alternative à la classique greffe de moelle (GMO), qui présenteraient comme avantages potentiels, outre une grande simplicité d’obtention du matériel greffé, une reconstitution hématopoïétique plus rapide après la greffe et peut-être un risque plus faible de rechute en post-greffe. Néanmoins, certaines études ont montré que ce type de greffe s’accompagnait d’un risque plus élevé de réactions du greffon contre l’hôte (RGCH), aiguës ou chroniques. Ces 2 types de greffes viennent d’être comparés dans le contexte d’un donneur non apparenté, dans un vaste essai randomisé multicentrique mené dans 48 unités de transplantation. Entre mars 2004 et septembre 2009, 551 patients ont été inclus et randomisés pour recevoir l’une ou l’autre modalité de greffe. Après stratification sur la gravité de la maladie initiale, les 2 groupes ont été analysés durant un suivi médian de 36 mois, sur leur survie et sur le succès de la greffe. La survie globale à 2 ans est de 51 % (IC 95 % : 45-57 %) pour le groupe GSCP et de 46 % (IC 95 % : 40-52 %) pour le groupe GM, mais cette différence de 5 points n’est pas significative (p = 0,29). La prise de la greffe est en revanche meilleure en cas de GSCP, avec seulement 3 % (IC 95 % : 1-5 %) d’échecs dans ce groupe, contre 9 % (IC 95 %: 6-13 %) dans le groupe GM (p = 0,002). À l’inverse, l’incidence de la RGCH chronique est plus élevée dans le groupe GSCP (53 %, IC 95 %: 45-61 %) comparativement au groupe GM GSCP (41 %, IC 95 % : 34-48 % ; p = 0,01). Aucune différence significative n’est notée en termes de rechute de la maladie hématologique, ni pour la survenue d’une RGCH aiguë. Ces deux modalités de greffes présentent chacune des avantages et des inconvénients spécifiques, pour une efficacité qui paraît au final relativement comparable. Match nul ? Anasetti C, Logan BR, Lee SJ, et al. N Engl J Med 2012;367:1487-96. Greffe de moelle ou greffe de cellules souches périphériques ? Un essai qui ouvre une voie prometteuse dans la RGCH, à confirmer plus largement. La réaction du greffon contre l’hôte (RGCH) est un obstacle important au succès des greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH). Le récepteur des chimiokines CCR5 occupe un rôle-clé dans cette complication, par son implication dans le recrutement des lymphocytes allo-réactifs au niveau des sites de la RGCH. Des inhibiteurs du CCR5 font partie depuis des années de l’arsenal des antirétroviraux pour traiter des patients infectés par des souches résistantes. Il était donc ten- tant de regarder ce que ces molécules pouvaient apporter dans cette tout autre indication. L’anti-CCR5 maravi- roc a donc été testé dans ce cadre, tout d’abord in vitro sur des cellules T primaires d’origine humaine, puis in vivo dans un essai de phase 1/2 sur un petit groupe de sujets greffés, à risque de RGCH. Sur les cellules T exposées à diffé- rents ligands du récepteur CCR5, le maraviroc inhibe de façon efficace et spécifique son internalisation, confir- mant ainsi son activité. Des essais fonctionnels ont ensuite été conduits, démontrant que le maraviroc inhibe également la migration des cellules T en réponse aux mêmes ligands de CCR5. De façon importante, cette activité sur la migration ne s’accompagne pas d’autres modifications fonctionnelles des cellules exposées, qui prolifèrent et synthétisent correctement différentes cytokines en réponse à une stimulation antigénique. Leur activité cytotoxique vis-à-vis d’un antigène du cytomégalo- virus (agent pathogène majeur du sujet greffé) ne paraît pas non plus affectée par l’anti-CCR5. Une fois ces tests réalisés, l’expérimen- tation in vivo s’est mise en place sur une petite série de sujets recevant une greffe de CSH. Trente-cinq receveurs ont pu être analysés, dans un essai ini- tial de phase 1 (n = 13) visant à vérifier la tolérance de la molécule aux doses utilisées pour le VIH (150 et 300 mg, 2 fois par jour par voie orale), puis dans une phase 2 (n = 25) évaluant l’efficacité de la posologie la plus élevée, adminis- trée le premier mois post-greffe. Tous les patients subissaient par ailleurs un conditionnement pré-greffe d’intensité modérée et recevaient la prophylaxie usuelle vis-à-vis de la RGCH. Sur les 35 patients qui ont pu être évalués, l’incidence cumu- lée de RGCH aiguë (de grade 2 à 4) est faible, de 14,7 % ± 6,2 % à J100 et de 23,6 % ± 7,4 % à J180, en comparaison de chiffres obtenus sur d’autres séries de patients com- parables. Aucune RGCH touchant le foie ou le tube digestif n’a été observée avant J100 et ces localisations restaient très rares ensuite, ce qui réduisait à 5,9 % ± 4,1 % l’incidence des RGCH sévères de grade 3 ou 4. Les auteurs ne notent pas de fréquence accrue de rechute ou d’infection et la mortalité à 1 an qui ne soit pas précédée par une rechute est de 11,7 % ± 5,6 %. Cette preuve du concept est renforcée par les derniers tests in vitro qui démontrent enfin que les sérums des patients tes- tés présentent, à l’instar de la molécule testée, une activité inhibitrice sur la migration de lymphocytes T primaires. Cet essai pilote ouvre une voie mais ses résultats doivent maintenant être confirmés dans un essai contrôlé qui devra confirmer à long terme et sur un plus grand nombre de patients ces résultats prometteurs, tout en vérifiant que l’efficacité de la greffe ne soit pas affectée par cet inhibiteur. Reshef R, Luger SM, Hexner DO, et al. N Engl J Med 2012;367:135-45. Réactions du greffon contre l’hôte : moindres avec un anti-CCR5

Réactions du greffon contre l’hôte : moindres avec un anti-CCR5

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JANVIER 2013 - N°448 // 33

La possibilité de mobiliser par différentes molécules les cellules souches hémato-poïétiques du sang périphérique a révolutionné depuis quelques années la pratique des greffes de moelle. Les greffes de cellules souches du sang périphérique (GCSP) représentent ainsi une alternative à la classique greffe de moelle (GMO), qui présenteraient comme avantages potentiels, outre une grande simplicité d’obtention du matériel greffé, une reconstitution hématopoïétique plus rapide après la greffe et peut-être un risque plus faible de rechute en post-greffe. Néanmoins, certaines études ont montré que ce type de greffe s’accompagnait d’un risque plus élevé de réactions du greffon contre l’hôte (RGCH), aiguës ou chroniques.Ces 2 types de greffes viennent d’être comparés dans le contexte d’un donneur non apparenté, dans un vaste essai randomisé multicentrique mené dans 48 unités de transplantation. Entre mars 2004 et septembre 2009, 551 patients ont été inclus et randomisés pour recevoir l’une ou l’autre modalité de greffe. Après stratification sur la gravité de la maladie initiale, les 2 groupes ont été analysés durant un suivi médian de 36 mois, sur leur survie et sur le succès de la greffe.La survie globale à 2 ans est de 51 % (IC 95 % : 45-57 %) pour le groupe GSCP et de 46 % (IC 95 % : 40-52 %) pour le groupe GM, mais cette différence de 5 points n’est pas significative (p = 0,29). La prise de la greffe est en revanche meilleure en cas de GSCP, avec seulement 3 % (IC 95 % : 1-5 %) d’échecs dans ce groupe, contre 9 % (IC 95 % : 6-13 %) dans le groupe GM (p = 0,002).À l’inverse, l’incidence de la RGCH chronique est plus élevée dans le groupe GSCP (53 %, IC 95 % : 45-61 %) comparativement au groupe GM GSCP (41 %, IC 95 % : 34-48 % ; p = 0,01). Aucune différence significative n’est notée en termes de rechute de la maladie hématologique, ni pour la survenue d’une RGCH aiguë.Ces deux modalités de greffes présentent chacune des avantages et des inconvénients spécifiques, pour une efficacité qui paraît au final relativement comparable. Match nul ?

Anasetti C, Logan BR, Lee SJ, et al. N Engl J Med 2012;367:1487-96.

Greffe de moelle ou greffe de cellules souches périphériques ?

Un essai qui ouvre une voie prometteuse dans la RGCH, à confirmer plus largement.

La réaction du greffon contre l’hôte (RGCH) est un obstacle important au succès des greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH). Le récepteur des chimiokines CCR5 occupe un rôle-clé dans cette complication, par son implication dans le recrutement des lymphocytes allo-réactifs au niveau des sites de la RGCH. Des inhibiteurs du CCR5 font partie depuis des années de l’arsenal des antirétroviraux pour traiter des patients infectés par des souches résistantes. Il était donc ten-tant de regarder ce que ces molécules pouvaient apporter dans cette tout autre indication. L’anti-CCR5 maravi-roc a donc été testé dans ce cadre, tout d’abord in vitro sur des cellules T primaires d’origine humaine, puis in vivo dans un essai de phase 1/2 sur un petit groupe de sujets greffés, à risque de RGCH.Sur les cellules T exposées à diffé-rents ligands du récepteur CCR5, le maraviroc inhibe de façon efficace et spécifique son internalisation, confir-mant ainsi son activité. Des essais fonctionnels ont ensuite été conduits, démontrant que le maraviroc inhibe également la migration des cellules T en réponse aux mêmes ligands de CCR5. De façon importante, cette activité sur la migration ne s’accompagne pas d’autres modifications fonctionnelles des cellules exposées, qui prolifèrent et synthétisent correctement différentes cytokines en réponse à une stimulation antigénique. Leur activité cytotoxique vis-à-vis d’un antigène du cytomégalo-virus (agent pathogène majeur du sujet greffé) ne paraît pas non plus affectée par l’anti-CCR5.Une fois ces tests réalisés, l’expérimen-tation in vivo s’est mise en place sur une petite série de sujets recevant une greffe de CSH. Trente-cinq receveurs ont pu être analysés, dans un essai ini-tial de phase 1 (n = 13) visant à vérifier la tolérance de la molécule aux doses utilisées pour le VIH (150 et 300 mg, 2 fois par jour par voie orale), puis dans une phase 2 (n = 25) évaluant l’efficacité

de la posologie la plus élevée, adminis-trée le premier mois post-greffe. Tous les patients subissaient par ailleurs un conditionnement pré-greffe d’intensité modérée et recevaient la prophylaxie usuelle vis-à-vis de la RGCH.Sur les 35 pat ients qu i ont pu être évalués, l ’ incidence cumu-lée de RGCH aiguë (de grade 2 à 4) es t fa ib le , de 14 ,7 % ± 6 ,2 % à J100 et de 23,6 % ± 7,4 % à J180, en comparaison de chiffres obtenus sur d’autres séries de patients com-parables. Aucune RGCH touchant le foie ou le tube digestif n’a été observée

avant J100 et ces localisations restaient très rares ensuite, ce qui réduisait à 5,9 % ± 4,1 % l’incidence des RGCH sévères de grade 3 ou 4. Les auteurs ne notent pas de fréquence accrue de rechute ou d’infection et la mortalité à 1 an qui ne soit pas précédée par une rechute est de 11,7 % ± 5,6 %. Cette preuve du concept est renforcée par les derniers tests in vitro qui démontrent enfin que les sérums des patients tes-tés présentent, à l’instar de la molécule testée, une activité inhibitrice sur la migration de lymphocytes T primaires.Cet essai pilote ouvre une voie mais ses résultats doivent maintenant être confirmés dans un essai contrôlé qui devra confirmer à long terme et sur un plus grand nombre de patients ces résultats prometteurs, tout en vérifiant que l’efficacité de la greffe ne soit pas affectée par cet inhibiteur.

Reshef R, Luger SM, Hexner DO, et al. N Engl J Med 2012;367:135-45.

Réactions du greffon contre l’hôte : moindres avec un anti-CCR5