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Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2001 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 06/18/2022 8:18 p.m. Frontières Qui est le fou ? Entre raison et déraison Martyne-Isabel Forest Les morts de l’esprit Volume 13, Number 2, Spring 2001 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1074459ar DOI: https://doi.org/10.7202/1074459ar See table of contents Publisher(s) Université du Québec à Montréal ISSN 1180-3479 (print) 1916-0976 (digital) Explore this journal Cite this document Forest, M.-I. (2001). Qui est le fou ? Entre raison et déraison. Frontières, 13(2), 58–66. https://doi.org/10.7202/1074459ar Article abstract Who is called the fool? Is he someone who’s opinion is automatically viewed as nonsensical, being unable to consent or to refuse a treatment? Does his condition induce an inaptitude to determine what is right for him? Are we ready and capable, as jurists and as psychiatrists, to help the fool earn the right to self-determination, to autonomy? According to our hypothetical view on this issue, the protagonists of the legal processes would be profoundly influenced by the social representations of madness. Victim of such prejudices, the fool is compelled to submit himself to the power of the health experts, on their strong influence on the decision-makers. We are claiming more freedom for those who are, all too often, prisoners of our narrow-minded conception of their disease.

Qui est le fou ? Entre raison et déraison

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Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2001 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit(including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can beviewed online.https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

This article is disseminated and preserved by Érudit.Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is topromote and disseminate research.https://www.erudit.org/en/

Document generated on 06/18/2022 8:18 p.m.

Frontières

Qui est le fou ?Entre raison et déraisonMartyne-Isabel Forest

Les morts de l’espritVolume 13, Number 2, Spring 2001

URI: https://id.erudit.org/iderudit/1074459arDOI: https://doi.org/10.7202/1074459ar

See table of contents

Publisher(s)Université du Québec à Montréal

ISSN1180-3479 (print)1916-0976 (digital)

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Cite this documentForest, M.-I. (2001). Qui est le fou ? Entre raison et déraison. Frontières, 13(2),58–66. https://doi.org/10.7202/1074459ar

Article abstractWho is called the fool? Is he someone who’s opinion is automatically viewed asnonsensical, being unable to consent or to refuse a treatment? Does hiscondition induce an inaptitude to determine what is right for him? Are weready and capable, as jurists and as psychiatrists, to help the fool earn the rightto self-determination, to autonomy? According to our hypothetical view on thisissue, the protagonists of the legal processes would be profoundly influencedby the social representations of madness. Victim of such prejudices, the fool iscompelled to submit himself to the power of the health experts, on their stronginfluence on the decision-makers. We are claiming more freedom for thosewho are, all too often, prisoners of our narrow-minded conception of theirdisease.

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FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2001 58

P O I N T D E V U E

Me Martyne-Isabel Forest, LL.M.,consultante en droit des personnes

et en humanisation des soins,Direction générale, Hôpitaux universitaires de Genève ;

responsable du programme et de la formation,Certificat de formation continue en éthique clinique,

Centre interfacultaire de gérontologie,Université de Genève, Suisse.

Un sujet grave. Vous l’aurez pressenti,c’est de l’enfermement du fou, dans son sensle plus large, dont il s’agit ici de parler etdu processus qui l’y entraîne.

Des sujets graves aussi : la préservationdu soi, dont on ne fait l’expérience qu’àla condition d’être « sujet de son action,centre de sa vie1 » et de l’intégrité physiqueet psychique des personnes, introduitsd’abord en empruntant les mots d’AmélieNothumb dans La métaphysique des tubes,pour saisir l’extraordinaire cruauté del’isolement dans lequel on confine la per-sonne dont on dit qu’elle déraisonne,

Qui est le fou ?Entre raison et déraison

RésuméQui est le fou ? Un être dont l’opinion estpar nature déraisonnable, incapable deconsentir ou de refuser un traitement ? Sacondition le rend-il inapte à déterminerce qui constitue son bien ? Dans quellemesure sommes-nous prêts et capables delui permettre d’exercer ses droits à l’auto-nomie et à l’autodétermination, en tantque juristes, en tant que psychiatres ?Selon notre hypothèse, les acteurs duprocès portant sur l’autorisation detraiter le fou contre son gré seraient for-tement imprégnés des représentationssociales de la folie. Victime de ce regard-jugement, le fou serait soumis au pouvoirdes experts, de l’argument de la santéqu’ils promeuvent et de leur influencechez les décideurs. Nous plaidons enfaveur d’une liberté recouvrée pour cespersonnes trop souvent captives.

Mots clés : fou – inaptitude –refus de traitement – procès –représentations sociales

AbstractWho is called the fool ? Is he someonewho’s opinion is automatically viewed asnonsensical, being unable to consent orto refuse a treatment ? Does his conditioninduce an inaptitude to determinewhat is right for him ? Are we ready andcapable, as jurists and as psychiatrists,to help the fool earn the right to self-determination, to autonomy ? Accordingto our hypothetical view on this issue, theprotagonists of the legal processes wouldbe profoundly influenced by the socialrepresentations of madness. Victim ofsuch prejudices, the fool is compelled tosubmit himself to the power of the healthexperts, on their strong influence on thedecision-makers. We are claiming morefreedom for those who are, all too often,prisoners of our narrow-minded concep-tion of their disease.

Key words : fool – incapacity – treatmentrefusal – trial – social representations

MOURIR SA VIE, MOURIR LE TEMPS, MOURIR LA PEUR, MOURIR LE NÉANT.LA MORT, J’AVAIS EXAMINÉ LA QUESTION DE PRÈS :

LA MORT C’ÉTAIT LE PLAFOND. QUAND ON CONNAÎT LE PLAFONDMIEUX QUE SOI-MÊME, CELA S’APPELLE LA MORT.

LE PLAFOND EST CE QUI EMPÊCHE LES YEUX DE MONTERET LA PENSÉE DE S’ÉLEVER. QUI DIT PLAFOND DIT CAVEAU :

LE PLAFOND EST LE COUVERCLE DU CERVEAU.A. NOTHUMB, LA MÉTAPHYSIQUE DES TUBES, 2000, p. 54.

le plus souvent contre son gré maisavec l’autorisation du prétoire, selon laprocédure prévue, l’ancien décret de prisedu corps, à des fins thérapeutiques, bienentendu... !

N’est-ce pas là le seul moyen que l’onprescrive encore dans nos sociétés ditescivilisées pour protéger le dément contrelui-même ou pour protéger la collectivité :l’encadrer de murs et d’un plafond juste-ment, le séparer de l’Autre, le mettre àdistance, au rancart, dans des institutionsspécialisées, entouré de professionnelsspécialisés, en le privant du regard et là,peut-être, « le mettre à mort». Le regard quel’on porte sur celui dont l’esprit divague estsi mortifère.

Or, la vie, ou plutôt ici la mort, commencelà où commence le regard, comme la paroledu reste :

Les yeux des êtres vivants possèdentla plus étonnante des propriétés :

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le regard. Il n’y a pas plus singulier.Qu’est-ce que le regard? C’est inexpri-mable. Aucun mot ne peut approcherson essence étrange. Et pourtant leregard existe. Il y a même peu deréalités qui existent à ce point.Quelle est la différence entre les yeuxqui ont un regard et les yeux qui n’enont pas? Cette différence a un nom :c’est la vie...2

Aussi, il s’agira dans un premier tempsde définir le fou et de déterminer sa capa-cité sous les regards du droit et de la cli-nique pour en dégager, dans un deuxièmetemps, les impacts dans l’action, c’est-à-direau moment même du procès qu’il subit pouravoir refusé un traitement. Avec le verbeparfois cinglant, nous aborderons alors ladécision judiciaire d’administrer un traite-ment contre le gré d’une personne atteintede maladie mentale à travers trois scéna-rios : le procès a lieu, le fou en est-il informé,est-il présent? ; le procès a lieu, le fou estprésent, l’entendrons-nous? ; et, enfin, leprocès a lieu, le fou est présent, mais letémoin-expert est aussi au rendez-vous...3

À l’occasion du traitement de ces sujets,nous ouvrirons une brèche dans différen-tes certitudes dont celle du procès conçutrop sommairement comme «un litige sou-mis à un tribunal» ; celle de l’art de juger,comme le résultat d’une décision purementrationnelle prise par un être impartial,indifférent aux représentations de la folie ;celle du concept de maladie mentale, commeétant objectif, en tout cas clair et juste.

Autant de certitudes qui ne permettentpas d’appréhender ces phénomènes dansleur fabuleuse complexité : « la certitude netolère, ne leur faisant nulle place, ni ledoute, ni la différence, ni la divergence pasmême la nuance4 ». Par là, nous évoquonsaussi la possibilité que les protagonistesdans cette affaire construisent collective-ment la connaissance et la décision qu’ilssont appelés à prendre comme un travailde réduction d’une situation d’incertitude.On sait que c’est le cas de situations où sontmis en présence des intérêts divergentsrelativement à l’action à prendre. L’exemplepratique de la décision d’administrer untraitement contre le gré d’une personneatteinte de maladie mentale forme à ce titreun objet d’analyse de choix !

Enfin, disons-le, notre réflexion a commetoile de fond notre propre consciencejuridique, sociale, morale, à laquelle nousadmettons d’emblée ne pouvoir échapper.Nous adhérons à l’idée que la consciencejuridique de la classe sociale dominantedans une société donnée se reflète dans ledroit en vigueur. En son centre, cet articleest donc aussi traversé par nos sentimentsface à la justice, au pouvoir : « Tu es celuiqui écrit et qui est écrit », a dit Jabès...5

QUI EST LE FOU ET EST-IL APTE ÀDÉCIDER DE SON PROPRE BIEN ?Comment peut-on entendre et considé-

rer la voix d’un simple d’esprit, d’un aliéné,d’un insensé, d’un irresponsable, d’unforcené, d’un halluciné, d’un inconscient,d’un possédé, d’un déséquilibré, d’un êtremaléfique? Un corps privé de raison. Vusous cet angle, difficile de résister à latentation de l’enfermer en effet ! Et, c’est vraipar ailleurs qu’il faille le faire dans certainscas précis. Mais encore, qui est le fou?

À la suite de Bobin, pour éviter toutmalentendu, nous avons envie de dire : « Jesais bien qu’on ne doit pas dire fou maishandicapé mental ou quelque chose commeça. Mais je préfère le mot fou. Il est plusrapide et il sonne comme doux6 ». Presquetoujours, nous utiliserons ici le mot « fou»,à dessein, sans doute parce nous avons res-senti qu’il s’agissait là de la meilleure façonde mettre en scène l’injustice dont il peutêtre victime en raison de son état de santé.De toute manière, un seul coup d’œil surson expérience de l’hospitalisation psychia-trique suffit à un être normalement sensiblepour ne pas douter que le fou puisse effec-tivement être considéré comme une victimede notre fonctionnement social et du typede solutions que nous proposons. Voici,pour décrire ce qui se passe, une énumé-ration étonnante, inquiétante, élaborée àpartir des patients eux-mêmes, de leurssavoirs propres, que nous vous proposonsde lire et d’entendre sans les envisager –surtout – comme des savoirs lacunaires« susceptibles d’être redressés, complétés,corrigés par un savoir médical con-forme7 » :– la domination par le personnel

et l’infantilisation dont les sujetsse sentent victimes ;

– l’emploi systématique des médicamentspsychotropes, qui prennent alorsla place d’une écoute et d’uneaide réelles ; leurs effetssecondaires débilitants ;

– la quotidienneté marquéepar l’ennui et les règlements sévères,le fonctionnement institutionnelpar récompenses-punitions ;

– l’absence d’aide réelle permettant ausujet de sortir vraiment des difficultésqui l’ont mené en psychiatrie ;

– l’obligation dans laquellele rapport chronique à l’institutionmet les sujets de faire leur deuild’une vie normale et investie ;

– la perte des droits instituéepar la psychiatrisation, l’arbitrairede l’hospitalisation obligatoire ;

– l’intrusion dans la vie intérieure,personnelle et intime du sujetque représente l’interventionpsychiatrique ;

– la réinsertion sociale pavée de difficultés,l’invalidation marquée et la solitudeque le passage en psychiatrie entraîne8.Pour définir le fou, revenons au maître-

livre de Foucault, qui le décrit « commeétant cet individu dangereux qui, à l’inversedu délinquant qui n’en viole qu’une, peutvioler toutes les règles» ; «une transgres-sion vivante dont on cherche à se pro-téger»9. En vérité, on en a tellement peur :«Pas besoin de gril, disait Sartre, l’enfer,c’est les Autres. » Historiquement, toutesles sociétés se sont hardiment engagées às’en protéger. C’est là qu’à notre sens uneréflexion critique sur l’influence du regard-jugement, du regard-verdict, prend toute sapertinence. Lacan n’a-t-il pas dit : « C’est leregard de l’autre qui me construit»?

En tout cas, à l’instar de nous tous, lefou est un « il » parlé par les autres, un autreà soi-même :

Le Je du sujet parlant, son identitédonc, ou plus exactement ce à partirde quoi il croit pouvoir dire Je,est constitutivement aliéné.Car le Je s’identifie non pas à partird’une intériorité, mais à partir d’unreflet spéculaire qui lui est renvoyédans le regard porté sur lui.Ce regard est comme un sceauqui ne cesse de s’imprimer en lui,et auquel il n’échappera plus10.Chaumon pose le problème de la folie

en des termes semblables : « La folie c’estce qui est repéré par autrui comme excèsinsupportable alors même que celui qui enest la proie ne la nomme pas ainsi11 ». Orselon lui, seuls les mots du fou peuvent nouspermettre d’accéder à ce qu’il est. Il n’estpas question de s’en remettre à ce qu’il estdit sur lui. N’avons-nous pas, pour définirle fou autrement, pour devenir plus respon-sables, le «devoir de penser», comme l’écritHannah Arendt dans son Rapport sur labanalité du mal12 :

Mais accomplir notre «devoirde penser», « obéir créativement»est une entreprise difficile et périlleusecar cela implique en quelque sorte quenous bravions l’interdit de penser aussiarbitraire qu’implicite que véhiculel’idéologie scientiste lorsqu’elle rejettecomme dépourvues de sens les ques-tions qui ne sont pas susceptiblesde recevoir une réponse technique13.

DANS LES UNIVERS CLINIQUEET JURIDIQUE, LE FOU ÉCHAPPERA-T-ILAU REGARD « FOLIE-MALADIE » ?Pour vraiment être en mesure d’évaluer

l’impact de nos préjugés, de nos préconcep-tions, de nos regards et de nos peurs du foudans les univers de la clinique et du droit,nous estimons devoir au moins évoquer,même partiellement, ce que l’on appelle

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les représentations sociales de la folie. Ilfaudrait absolument en effet conserver àl’esprit qu’elles «orientent au présent, nossavoirs, nos opinions, nos jugements ainsique nos pratiques» et qu’elles « s’infiltrentau cœur des discours tenus par les spé-cialistes eux-mêmes»14 . Pas banal du tout.Un passage qu’il faut peut-être relire.

D’après la recherche menée par Schurmans,bien qu’il existe des espaces de sens basés surdes modèles psychosociaux qui considèrent lapersonne folle de façon beaucoup plus englo-bante, c’est encore malheureusement le modèlebiomédical qui prédomine au niveau desreprésentations sociales de la folie:

Les résultats indiquent combienla définition médicale de la folie-maladie s’impose et se diffusedans les milieux non spécialisés,dès le XVIIIe siècle. Cette conceptionse dote d’un appareillage fort– les établissements hospitaliers,les programmes de formation médi-cale, la précision accrue des catégoriesnosographiques, les textes de loien témoignent – qui la constitueen convention dominante15.Notre interrogation, à la fois fondamen-

tale et détestable aux yeux de certains : parquel miracle le droit, dans sa rencontre avecla médecine sur l’étrangeté de la folie,échapperait-il à l’emprise de ce modèle bio-médical ? Une hypothèse nécessairementdélirante ou choquante ? !

La déférence généralement témoignéeenvers le psychiatre, les représentationssociales de la folie dont le juge subirait éga-lement l’influence selon notre hypothèse,le recours à l’expertise psychiatrique fondéesur une reconnaissance du savoir spécialisé,nécessaire au niveau de la prise de déci-sion bien qu’accompagné il est vrai d’uneplus ou moins grande adhésion par lesjuges, le fait que les professionnels du droitse savent et se disent non spécialiséset, enfin, l’absence d’un véritable débatcontradictoire, paraissent restreindre consi-dérablement la liberté de jugement et dedécision de toutes les personnes présentesau procès. Or, s’ils sont plus ou moins libresdans la formation de leur regard-jugement,que dire de l’espace de liberté du fou?

Retournons d’abord à la petite histoirede la reconnaissance juridique de l’aptitudedu fou ou, en d’autres termes, de son droità consentir ou à refuser un traitement.Allons voir rapidement d’où l’on vient avantd’examiner ce que l’on fait aujourd’hui dece droit, c’est-à-dire de quelle façon onl’applique dans les faits. Au moment desdébats concernant la question de savoir sile fou pouvait, à l’instar des autres per-sonnes, posséder le droit à l’autonomie,deux valeurs se sont opposées avec force :celle de la santé, défendue par les membres

de la profession psychiatrique et celles del’égalité et de l’autonomie, défendues parles maîtres de l’approche légale, attachés àla protection des droits de la personne. Lequeldes deux clans l’emportera? À cette premièreétape, celui qui promeut les droits de lapersonne. Mais la guerre ne s’arrêtera pas là.

C’est au moment d’appliquer le droit,dans l’agir, quand on quitte le moment desgrands discours, que le clan psychiatriquereviendra en force et s’imposera, notam-ment en raison d’un argument massue, quine laisse personne indifférent, celui del’efficacité thérapeutique. Force est deconstater que devant l’autorité d’un telargument, l’on doive s’incliner assez bas.On verra l’argument de la santé finir parl’emporter haut la main et les discours,mordre la poussière.

LA PETITE HISTOIREDE LA RECONNAISSANCEDE LA CAPACITÉ JURIDIQUE DU FOUÀ l’avant-scène du jeu de l’élaboration

des textes de lois et des principes qui cou-vrent le champ de la santé mentale, les rôlesprincipaux sont incontestablement tenuspar les acteurs du droit et de la psychiatrie,qui sont le plus souvent des alliés du reste.Mais ici, la question du consentement autraitement fera apparaître leurs principalesdivergences, formera le lieu de leur oppo-sition : « Le conflit émerge plus particu-lièrement lorsque l’ordre juridique chercheà encadrer le pouvoir des psychiatres àl’égard des patients dans la décision detraitement16. »

Le conflit entre l’ordre psychiatrique etl’ordre juridique se cristallise autour de deuxvaleurs17 : la santé contre l’égalité et l’auto-nomie. Essentiellement binaire, la certitudese fera ici guerrière.

1. L’argument de la santé comme valeurPour le clan psychiatrique, il est fonda-

mental de pouvoir admettre une personneen psychiatrie et /ou de pouvoir la traiter,sans nécessairement obtenir son consen-tement, afin de s’assurer qu’elle bénéficieeffectivement des soins que sa conditionrequiert, cette dernière étant à l’origine,comme en témoignent les experts psy-chiatriques de l’OMS, de son incapacité decomprendre qu’elle a besoin d’être hospi-talisée et traitée18.

Le fou doit avoir accès aux meilleursservices de santé, au même titre que toutesles autres catégories de patients et, surtout,sans entrave de la part de la loi ou encoreavec son autorisation ou sa protection,cette décision étant de nature strictementmédicale :

La tradition médicale considère toutesles questions relatives au traitementcomme étant des questions de nature

médicale, y compris la décisiond’accepter ou non de se soumettreà un traitement. Traditionnellementaussi, l’ordre juridique n’échappe pasà cette conception paternaliste quandil reconnaît ce pouvoir au psychiatre19.Pourquoi diable se refuser à l’évidence?!

On se doit de protéger le droit à la santédu fou, du révolté qui refuserait sa condi-tion, envers et contre tous, sans discrimi-nation. L’argument de la santé commevaleur, irréfutable, ferait résolument contre-poids aux valeurs de liberté, d’égalité etd’autonomie car « si l’accent est mis sur laprotection du droit du patient à la libertédans de telles circonstances, c’est inévita-blement aux dépens de son droit aux soinset aux traitements. Le droit de refuserun traitement est un empêchement à laréalisation du droit au traitement et, parconséquent, du droit à la santé20 ». Querépondre à cela ? Le respect du droit à lasanté est tellement fondamental.

Voici la conclusion presque inquiétanteà laquelle en vient Gendreau à la suite deson analyse des valeurs qui fondent lediscours des professionnels psychiatriques :

[...] la loi doit servir d’abord et avanttout à faciliter leur travail dans l’intérêtdes malades mentaux. Pour ce faire,elle doit consacrer leur autonomieprofessionnelle, elle doit autoriserleur intervention auprès des patientsnon consentants qui ont besoinde traitements21 .

2. L’argument de l’égalitéet de l’autonomie comme valeurs

D’abord LA question : pourquoi toutepersonne malade physiquement aurait-ellele droit de refuser un traitement quand bienmême cela entraîne pour sa santé desconséquences très négatives, voire la mortdans certains cas, et que cela ne serait paspossible pour un patient psychique? On voitpoindre la valeur égalité dans ce discours,en même temps que le droit à la différence.

Au cours de l’élaboration des principesde l’ONU concernant cette question,l’Organisation internationale des personneshandicapées (OIPH) soutiendra que « lespatients sont souvent les mieux placés pourévaluer les bienfaits d’un traitement, en par-ticulier lorsqu’il s’agit de neuroleptiques»,problème épineux s’il en est dans le con-texte du refus de traitement en psychiatrie22.

Le Comité d’experts alors réuni faitvaloir que le patient admis involontaire-ment a besoin d’une protection accrue nonseulement parce qu’il est privé de sa libertémais également parce qu’il a besoin d’êtrevéritablement entendu, l’expression deson expérience constituant l’une des clésmajeures dans l’évaluation du succès del’intervention médicale.

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En fait, ce qui divise profondément cesdeux clans tourne autour de la questionde savoir si la décision d’accepter ou derefuser un traitement est ou non unedécision de nature médicale? Pour les uns,comme nous l’avons déjà vu, seul l’expertpsychiatre peut se qualifier. Aussi, on nepeut reconnaître au patient le droit deconsentir ou de refuser, la décision rele-vant d’une compétence qu’il ne possède pas.Pour les autres, la décision n’est pas denature purement médicale mais aussiprofane et sociale. De plus, la loi doitprotéger le patient contre le pouvoird’intervention coercitif délégué à cet expert.On ne peut permettre que la décision reposeuniquement sur l’expertise, la compétenceou l’éthique du corps médical spécialisé.Ainsi, on doit reconnaître au patient le droitde consentir ou de refuser, la décision rele-vant aussi de compétences qu’il possède.

À la réflexion, si la question opposantces deux clans reposait non pas surcelle de la nature de cette décision (médi-cale ou non) mais sur l’autonomie du sujetpsychiatrique?

LE FOU A-T-IL EFFECTIVEMENT LE DROITDE DÉCIDER DE SON PROPRE BIEN ?Oui. L’aptitude à consentir est consacrée,

pour l’essentiel, à l’article 11 du Code civildu Québec : « Nul ne peut être soumis sansson consentement à des soins, quelle qu’ensoit la nature, qu’il s’agisse d’examens, deprélèvements, de traitement ou de touteautre intervention. »

Il est avant tout une personne apte ausens du droit. Comme les autres personnes,on présume même de sa capacité. Étonnam-ment peut-être, l’inaptitude et l’incapaciténe sont pas automatiquement le lot du foudans la mesure où elles ne découlent pasdu diagnostic de maladie mentale en tantque tel23. Le fou est donc capable. La capa-cité est une notion juridique qui désignela faculté d’être titulaire de droits et deles exercer soi-même. Mais, capable dequoi? Est-il apte, par exemple, à exprimersa volonté?

Qu’entend-on par aptitude et inapti-tude? Dans l’arrêt Institut Philippe-Pinelde Montréal c. Blais24 , madame la jugeLebel se prononce clairement : «La capa-

cité de consentir à un traitement ou de lerefuser ne s’apprécie pas en fonction de lasituation de l’individu mais en fonction deson autonomie décisionnelle et de sa capa-cité de comprendre et d’apprécier ce quiest en jeu25. »

L’aptitude et l’inaptitude sont des situa-tions de fait. Ainsi, l’état d’esprit d’unindividu, fou ou non, et son aptitude àprendre des décisions le concernantpeuvent fluctuer dans le temps et varierselon plusieurs facteurs : la fatigue, lamédication, l’évolution de la maladie.L’article 258 du Code civil du Québec parle«d’une maladie, d’une déficience ou d’unaffaiblissement dû à l’âge qui altère lesfacultés mentales ou l’aptitude physique àexprimer sa volonté ». Pour déterminerl’inaptitude, certains critères ont d’abord étéétablis dans l’Hospitals Act de la Nouvelle-Écosse, pour être repris par l’Associationcanadienne des psychiatres et les tribunauxquébécois :1. Le patient réalise-t-il que le psychiatre

l’examine pour déterminer sa capacitéet comprend-il le sens de ce terme?

2. Le patient comprend-il la naturede la maladie pour laquelle on luipropose le traitement en question?

3. Le patient comprend-il la natureet le but du traitement?

4. Le patient saisit-il les risques et lesavantages du traitement s’il le subit ?

5. Le patient saisit-il les risqueset les avantages du traitements’il ne le subit pas26 ?Mais cette appréciation, faut-il le dire,

n’est pas purement objective. Certainsprennent le risque d’avancer que le corpsmédical aurait tendance à juger la personnecomme étant apte lorsqu’elle accepte lesconseils qu’un de ses membres lui prodigueet, à l’inverse, qu’il aurait tendance à la jugerinapte lorsqu’elle les questionne et surtoutlorsqu’elle les refuse. On constate égalementque lorsque la décision ne semble pasrationnelle ou raisonnable aux yeux del’évaluateur de l’aptitude, on aurait ten-dance à juger que la personne n’est pas apte.Or, il est clair que la décision ne doit pasêtre jugée. L’évaluation ne doit porter quesur les habiletés d’une personne à prendreune décision. Prenons le temps d’écouterattentivement à ce propos le juge Legris, surl’esprit de la loi justement :

Pour conclure à l’inaptitude de l’intiméà donner un consentement, il faudrait,dans les présentes circonstances,consacrer un principe voulant quetoute personne qui refuse des soinsmédicaux jugés nécessaires par lamédecine est inapte à consentir. Teln’est pas, je crois, l’esprit de l’article 11du Code civil du Québec27.

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Dans un deuxième temps, si le fou estconsidéré apte, nous devrons rechercheret obtenir de sa part un consentement libreet éclairé, exercice périlleux s’il en est.Notons que ce sont précisément les droitsà l’autonomie et à l’autodétermination, àl’intégrité, à l’inviolabilité et à la dignité dela personne qui constituent les fondementsjuridiques et éthiques de cette obligationprofessionnelle, formant en conséquenceson principal enjeu28. Nous ne sommes passans savoir par ailleurs que l’autonomie,qu’elle soit examinée à travers le prismede l’éthique, du droit, de la psychologie,de la sociologie ou d’autres disciplines,demeure très complexe, difficile à mesurer,polysémique, voire tyrannique, hégémo-nique, pervertie ! Son respect pose de réelsdilemmes29. Le patient psychiatrique peutà l’évidence être un individu dangereux etnécessiter des mesures visant à le protégerou à nous protéger. Là, soyons honnête,l’exercice de son droit à l’autonomiedoit être véritablement contraint : «quelleviolence à l’égard du patient et quelleviolence à l’égard du soignant sont tolé-rables ? Où est la limite?30 ».

Et « le bien » ? La notion de bien estdevenue problématique. Le professeurFuchs a même récemment intitulé un de sesouvrages : Comment faire pour bien faire?31.Oui, c’est vrai, comment prendre une déci-sion juste ? Le normal, le juste, le légitimesont plus que jamais incertains. Sachanttout cela, nous devons quitter l’aparté pourrevenir à notre point de vue critique surl’enfermement du fou.

Un consentement à la fois libre et éclairé.Libre, dans la mesure où il est exempt demenaces, de manipulations ou de touteautre forme de pressions, de peur desreprésailles ou d’abandon, de «coercitionsubtile, de la conviction dont le médecinpeut témoigner, de ses propres tendancesthérapeutiques personnelles conservatricesou, au contraire, agressives32 ». Dans quellemesure sommes-nous réellement libresde consentir dans le cadre de la relationsoignant-soigné? Fort heureusement, nousne sommes pas les premiers et les seuls ànous en inquiéter.

Éclairé, dans la mesure où il comporteun certain nombre d’informations néces-saires à la prise de décision, soit « la natureet l’objet du traitement proposé, les béné-fices escomptés, les risques prévisibleset probables qui lui sont associés, lesautres alternatives possibles et disponibleset, enfin, les conséquences d’un refus detraitement».

Nous admettons néanmoins qu’il existede véritables balises établies, soit par les lois,soit par les tribunaux, pour contrôler l’exer-cice du pouvoir psychiatrique sur le fou et leprotéger. C’est vrai que l’esprit des différentes

lois applicables et l’interprétation qu’en fontnos tribunaux sont animés de la volonté deprotéger les personnes de façon générale.

À titre d’exemple, pour atteindre cesobjectifs la Loi sur la protection despersonnes dont l’état mental présente undanger pour elles-mêmes ou pour autruiprévoit un certain nombre de règles subs-tantives et procédurales devant être respec-tées par les établissements de même quel’existence de recours pouvant être exercéspar ces personnes33. Par exemple, la gardeforcée d’une personne, dans la mesure oùelle suppose de toute évidence une priva-tion de sa liberté et sa détention, contre songré, dans un établissement, porte gravementatteinte aux droits garantis notamment parles chartes des droits et libertés. Aussi,toutes les dispositions législatives devrontêtre interprétées de façon restrictive etappliquées avec le souci de respecter néan-moins les droits fondamentaux de lapersonne. On pense au droit à l’informa-tion concernant les motifs de la garde, lesdroits et les recours qu’elle possède etla date de la fin de la garde. Au chapitredes droits de la personne sous garde, onretrouve également les droits à la commu-nication avec les proches, avec un avocat,le droit d’être transféré dans un autreétablissement, etc.

Il y a eu également un certain nombrede décisions judiciaires fort controverséesdu reste, et dont nous avons déjà faitl’analyse par le passé, qui, au momentd’accorder l’autorisation judiciaire detraitement contre le gré d’une personne,ordonnaient au médecin, peut-être mala-droitement, de transmettre un rapport aucomité d’éthique de l’établissement afind’être assuré que le traitement du patientdemeure conforme aux règles de l’éthique34.Au centre des préoccupations de ces juges :l’intérêt du patient. Il s’agissait en effet devoir à ce que l’autorisation du tribunal neconsiste pas en un simple blanc-seing donnéau médecin traitant.

QUAND LE FOUS’EN VA-T-EN GUERRE…On l’a vu, l’aptitude du fou à décider de

son propre bien a été reconnue par le droit.Nous voilà maintenant en présence d’un fouqui a décidé que le traitement que luiproposent les soignants n’est pas dans sonmeilleur intérêt. Il refuse. Nous devons alleren procès puisque la loi l’impose. En effet,dans la mesure où l’on ne peut administrerquelque traitement que ce soit à un patientapte contre son gré, il faudra aux soignantsconvaincus que le traitement doit néan-moins être appliqué présenter une requêtedevant le tribunal : la Requête pour autori-sation de traitement ou la Requête pour éva-luation psychiatrique ou la Requête pour

mise sous garde en établissement à la suited’une évaluation psychiatrique ou, encore,celle pour renouveler cette ordonnance.

Or, on verra dans les faits que « tout cequi brille n’est pas or». Souvenons-nous queles acteurs du droit et de la psychiatriedébattent dans un espace, un temps et despratiques ritualisées qu’on appelle le procès,constitué pour Bourdieu de rapports dedomination et qui représente « une mise enscène paradigmatique de la lutte symboliquedont le monde social est le lieu35 ».

Nous envisagerons trois situations.

1. Le procès a lieu ;le fou en est-il informé, est-il présent ?

Quasi absents ou même, dans certainscas, totalement absents de l’action, dudénouement d’une histoire, la leur, pour-tant au cœur de leur destinée, les fous n’ontpas tort de penser que la mise en œuvre deleur droit à l’autodétermination est le plussouvent exposée à des risques majeurs tantil est vrai que les acteurs professionnelsdu procès restent maîtres de ce champ debataille. Une tragique méprise.

Nous en voulons pour preuve l’existenceet l’utilisation qu’on pourrait juger abusive,ou en tout cas contestable, de procéduresjudiciaires visant à les exclure du prétoire,du lieu du débat concernant justement letraitement qu’ils ont refusé et qu’on vou-drait leur administrer contre leur gré et pourleur bien. Nous ne pouvons résister à l’enviede prendre, comme Antisthène et Diogèneau fond de leur solitude, une attitudecynique en posant cette question : a-t-ondéjà vu les tribunaux être saisis d’uneaffaire concernant un traitement auquelun patient aurait consenti? ! C’est peut-être à l’occasion du refus, dont se sententvictimes les professionnels de la santé, queles systèmes du droit et de la clinique fontle mieux alliance.

Examinons ces différentes questionssous l’angle de l’effectivité du droit, c’est-à-dire en observant le degré de réalisation,dans les pratiques sociales, des règles énon-cées par le droit. Baissons le masque deslois quelques instants pour voir de quellefaçon elles sont appliquées dans les faits.Là, dans le jargon juridique, mettre un nomsur le double visage de la justice c’est dire« dispense », un savoureux mélange debienfaits, de confiance et d’autorisationexceptionnelle accordée en vue de protégernotre ami le fou, celui-là même dont on ditqu’il déraisonne. D’abord, la « dispense designification » qui prévoit, à l’article 779 duCode de procédure civile :

La demande ne peut être présentéeau tribunal ou au juge à moins d’avoirété signifiée à la personne qui refusel’évaluation ou la garde au moinsun jour franc avant sa présentation.

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Cette demande est aussi signifiée àune personne raisonnable de sa familleou, le cas échéant, au titulairede l’autorité parentale, au tuteur,curateur, mandataire ou à la personnequi en a la garde ou qui démontreun intérêt particulier à son égard ;à défaut, la demande est signifiéeau curateur public.Exceptionnellement, le juge peutdispenser le requérant de signifier lademande à la personne concernée s’ilconsidère que cela serait nuisible à lasanté ou à la sécurité de cette personneou d’autrui, ou s’il y a urgence.

Puis, la «dispense d’interrogatoire», à l’article780 du même Code :

Le tribunal ou le juge est tenud’interroger la personne concernéepar la demande, à moins qu’elle ne soitintrouvable ou en fuite ou qu’il ne soitmanifestement inutile d’exiger sontémoignage en raison de son état desanté ; cette règle reçoit aussi exceptionlorsque s’agissant d’une demande pourfaire subir une évaluation psychia-trique, il est démontré qu’il y a urgenceou qu’il pourrait être nuisible à la santéou à la sécurité de la personne concer-née ou d’autrui d’exiger le témoignage.Dans les deux cas, on constate que la

dispense peut être accordée au motif quele fait de connaître l’existence d’une tellerequête ou d’être interrogé par le tribunal«pourrait être nuisible à la santé ou à lasécurité du fou ou d’autrui, ou s’il y aurgence ». Qu’est-ce à dire? Il s’agit biensûr d’exceptions, le principe étant qu’onsignifie et /ou qu’on interroge.

Par ailleurs, si l’on consulte le fameuxKelada36, véritable mode d’emploi de larédaction des procédures pour les praticiensdu droit, on lit dans les «modèles» relatifsà la Requête pour évaluation psychiatriqueet à la Requête pour mise sous garde enétablissement à la suite d’une évaluationpsychiatrique ou encore pour renouvelercette ordonnance :

Compte tenu qu’il serait nuisibleà la santé (et /ou à la sécurité) del’intimé (et /ou d’autrui) de lui signifierla présente requête (ou Vu l’urgence),le requérant demande d’être dispenséde signifier la présente requêteà l’intimé ;Compte tenu qu’il serait nuisibleà la santé (et / ou à la sécurité)de l’intimé (et /ou d’autrui) d’exigerson témoignage (ou Vu l’urgence), le requérant demande de dispenserl’intimé de témoigner ;Dans les circonstances, il estmanifestement inutile d’exigerle témoignage de l’intimé, en raisonde son état de santé.

Est-ce à dire que la demande de cesdispenses se fait de manière quasi automa-tique, s’agissant justement de modèles ?Faut-il suivre le modèle? Le Petit Robertdéfinit le modèle comme étant « ce qui sertou doit servir d’objet d’imitation pour faireou reproduire quelque chose ».

Mais qu’en est-il de la fréquence àlaquelle on recourt à ces dispenses ?Fréquence – dispense : déjà deux rimesriches pour notre oreille ; imaginons un peucomment elles s’accordent entre plaideurs,psychiatres et juges ! Notre aptitude à éprou-ver l’art poétique s’arrête là. À regret, ondoit constater que l’existence d’un débatcontradictoire est peut-être menacée quandil s’agit d’un fou. C’est une douche froide,très froide, d’une lassitude indicible pourceux et celles qui se battent pour que leslois visant à protéger les droits humains nejouent pas seulement pour les banquettespendant que celles qui visent à protéger lespouvoirs format géant, toutes catégories con-fondues, continuent de tenir les premières.

2. Le procès a bel et bien lieu, le fouest présent, l’entendrons-nous ?

Dans un deuxième temps de la démarche,qu’arrive-t-il si la dispense de signifier larequête au fou n’est pas accordée? Il peutalors témoigner. Or, qu’a-t-on dit de luiavant qu’il ne fasse le serment de dire toutela vérité? En d’autres mots, qu’est-ce quele juge a déjà entendu, de qui? Commententendra-t-il le fou qu’il interroge selon lesnormes usuelles qu’il pratique?

Il a entendu un avocat, le plus souventexpérimenté en matière de refus de consen-tir, assisté des experts, pour le compte del’hôpital.

Il a entendu l’opinion d’un expert. Une«expertise».

Il interroge un fou.Un fou répond à ses questions concer-

nant les raisons pour lesquelles il refusel’acte destiné à soigner sa folie.

Le fou est le plus souvent seul, sans laprésence d’un avocat et d’un expert.

Il ne connaît pas les règles du jeu auquella loi l’a convié... pour le protéger.

Lequel de ces protagonistes a le plus deplomb dans l’aile selon vous?

Ô rage ! Ô désespoir ! Quand le pater-nalisme juridique s’unit au paternalismemédical, sous couvert de protection, ilspeuvent former un ménage solide d’où undébat réellement contradictoire aurait dumal à émerger : le système familial est peut-être lui-même malade. En tout cas, lorsquela décision tombe, le patient qui se voitcontraint à l’enfermement ou à la prise desubstances qu’il ne veut pas absorber doitcertainement se sentir d’une certaine ma-nière tyrannisé. La loi aura-t-elle par ailleursréussi à sauver les apparences de sa liberté?

Qu’il est difficile d’abandonner le préjugéqu’une personne qui subit un diagnosticpsychiatrique est nécessairement dépourvuede la capacité de consentir ou de refuserun traitement ; de la faculté, par conséquent,d’exercer ses droits à l’autonomie, àl’intégrité, à l’inviolabilité, à l’égalité et à ladignité, pourtant des droits fondamentauxconsentis à toute personne.

Pour Gendreau, le jugement que l’onpose sur la capacité de consentir ou derefuser un traitement quand il s’agit d’unpatient psychiatrique est justement la pierreangulaire du problème car il forme le lieuobligé de la prise en compte effective desa parole. Admettons en effet que si le droitde consentir ou de refuser ne lui est pasréellement reconnu, le furiosos est réduit àune fureur sans parole. Salas en fait l’enjeuphilosophique de toute cette question :

Ni plus ni moins que de reconnaîtrele sujet atteint d’un trouble mentalcomme sujet de droit quel que soitson état psychologique. Non pas,sans doute, un sujet ayant pleinecapacité juridique mais, à tout lemoins, un sujet de droit-créanceet surtout un sujet de parole37 .Les patients et leurs familles sont éga-

lement des acteurs de cette œuvre drama-tique, mais ils y seraient pour l’essentielréduits au rôle de simples figurants. Il n’estd’ailleurs pas banal de noter que, suivantl’usage commun, ce type de personnage estprécisément défini comme étant effacé,quand il n’est pas carrément muet :

La négociation, dont le destin socialdu malade est le résultat, n’a pas lieuentre l’expert et ceux qui posentle problème, mais entre l’expertet d’autres experts ou d’autresresponsables qui ont mandat(et pouvoir) de résoudre le problème.C’est toujours une question d’équilibre,d’échanges, de concurrence entrereprésentants d’appareils : de la justice,de l’administration, de la police...S’il existe quelqu’un à qui l’ona jamais demandé son avis surson traitement, c’est bien le fou38 .Au procès donc, est-il réellement permis

au fou d’argumenter ? Est-il représenté parun avocat susceptible de prendre véritable-ment sa défense? Peut-il expliquer et faireentendre les motifs de son refus de traite-ment, puisque c’est à l’occasion du refus,comme on l’a vu, que l’affaire devient par-ticulièrement problématique? Peut-il fairevaloir son point de vue sur « sa» santé, surla façon dont « il » entend la gérer, sur « sa»destinée? A-t-il vraiment droit à la parole?Sa parole est-elle prise en considération?En principe, bien sûr. Rappelons les raisonspour lesquelles la tenue d’un débat réel-lement contradictoire est si importante :

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Le principe de non-contradictionenferme la pensée, au terme del’argumentation, dans la certitudede la vérité atteinte. L’accueilde la contradiction dans le paradoxepermet de maintenir la penséeouverte, aux prises avec l’incertitudeet elle-même incertaine, par-delàses certitudes ; vivante39.Ce qui compte ici, c’est la vie ; c’est aussi

ce que disait Nothumb, citée ici en intro-duction, au sujet des yeux qui ont unregard...

Dans un autre ordre d’idées, commentpeut-on de façon réaliste continuer d’igno-rer l’existence et l’importance de variablespsychiques et psychosociologiques dansles processus d’interprétation et d’applica-tion du droit ? Le processus de décision estencore trop souvent pensé à travers lasacro-sainte rationalité logique du juge-ment. Et les affects, les intuitions, les senti-ments d’équité, de justice, les émotions, lesopinions ? Déjà, en 1952, Gorphe défen-dait une telle approche psychologique dujugement :

Comme pour bien connaître autrui, ilfaut commencer par bien se connaîtresoi-même et déterminer son indice deréfraction psychologique, on peut sedemander s’il ne servirait pas aux jugesde se faire au moins sommairementpsychanalyser... Accroître le savoirsans former la volonté ne fait pasavancer l’art du jugement40.Enfin, un grand nombre de recherches

en psychologie sociale démontrent que larencontre avec l’étrangeté d’un phéno-mène, en l’occurrence la folie, le degré deproximité et l’implication des personnesprésentes à cette rencontre, pourraientrenforcer le pouvoir des représentationsindividuelles et collectives. Schurmans pro-pose que les divergences d’opinion soientclairement exposées par les soignants :

Il conviendrait de suspendreconsciemment un conflit d’interpré-tation s’exprimant en termes delégitimité (mon interprétation estplus légitime que la vôtre dans lamesure où je suis spécialiste) pourentrer dans une logique de plausibilité(différentes interprétations coexistent,légitimement : elles sont l’une et l’autreplausibles), dans la mesure où, effecti-vement, la médecine elle-même aproduit des interprétations divergentesdes pathologies psychiques41.

3. Le procès a bel et bien lieu,le fou est présent,mais le témoin-expertest aussi au rendez-vous...

Pour mieux appréhender la réalitéclinique, les principes scientifiques recon-

nus dans le traitement des différentespathologies psychiatriques et les meilleurespratiques de soins, on aura besoin d’uninterlocuteur privilégié : le témoin-expert.Les pairs seraient généralement les mieuxplacés pour déterminer ce qui doit ou nedoit pas être fait. Ils sont représentés devantle tribunal par les expertises et les référencesscientifiques et servent à «éclairer » le jugequant à la meilleure décision à prendre. Or,en l’occurrence, il faut savoir que le pouvoirpsychiatrique et l’autonomie profession-nelle de ses agents, les psychiatres, sontencore plus forts que dans le cas des autresdisciplines médicales en plus d’être légi-timés par un consensus social et politiquesans pareil42.

Qui est l’expert? Ici, souvenons-nous,c’est celui à qui le fou a dit non. C’est celuidont le fou a refusé les bons soins. Le refusde soins ou de traitements s’avère un refletinsoutenable pour un professionnel de lasanté de ce qu’il est sur un plan profes-sionnel. Une sacrée égratignure narcissique,un rejet, une non-reconnaissance de ceque lui, l’expert, est en mesure d’apporter,de ce pourquoi il a été formé et de cepourquoi il a choisi d’être formé dans cechamp, de sa compétence professionnelle,de l’intention presque naturelle qu’il a defaire le bien. Un « reflet » est une imageréfléchie, généralement atténuée certes,mais tout de même un écho, une imitation,une représentation. Or, comment s’épren-dre de soi en se regardant dans l’eau d’unefontaine à travers un reflet aussi peu écla-tant? En fait, les soignants souffrent de cessituations, plus sérieusement.

Mais il n’en demeure pas moins que lemiroir et son reflet peuvent être des outilsféconds pour saisir en quoi les comporte-ments individuels et collectifs d’exclusionet de pathologisation de la folie – surtoutlorsque les fous refusent d’être soignés –peuvent également être porteurs d’un ima-ginaire marqué au coin de la peur, des peurset des certitudes, celles-là, par contre, liéesimmanquablement au pouvoir43.

Face au refus, plusieurs attitudes sontpossibles. Ainsi, le professionnel peut affi-cher une attitude autoritaire en choisissantd’imposer le traitement. Le malade seraalors puni pour refus d’obéissance, pourrefus de se soumettre, «car la désobéissanceéquivaut à une déclaration de guerre contrevotre personne. Votre fils veut vous prendrele pouvoir et vous êtes en droit de combattrela force par la force, pour raffermir votreautorité 44». Admettons tout de même quel’impuissance à laquelle le respect de l’auto-nomie condamne les soignants à l’heureactuelle, qui s’accompagne pour certainsauteurs d’une certaine crise de l’autoritéprofessionnelle et d’une dévalorisation del’expertise, aurait de quoi susciter de la

colère et dérouter, pour dire le moins45.L’autonomie et son pendant, l’exigence duconsentement, sont devenues de véritablescontre-pouvoirs. Mais continuons.

Le droit intervient au moment où leprofessionnel adopte la première attitude.La règle de droit prévoit en effet qu’on nepeut administrer un traitement à quiconquecontre son gré – même un fou – à moinsd’avoir obtenu l’autorisation du tribunal. Lepsychiatre peut-être autoritaire doit doncaller défendre sa position devant le jugepour pouvoir aller de l’avant.

Par ailleurs, cet expert est-il neutre,objectif ? De plus, qui est-il et que commu-niquera-t-il aux autres acteurs profes-sionnels du procès? Est-il le représentantde l’idéologie dominante du groupe profes-sionnel auquel il appartient, de la sociétéà laquelle il appartient ? Comment cetéchange d’informations et de valeursinfluence-t-il le jugement qu’il s’agit deposer46 ?

On sait que lorsque s’affrontent deux ouplusieurs écoles de pensée qui jouissent defondements sérieux et également défen-dables, le tribunal n’interviendra pas.Cependant, s’il y a simple divergence auniveau de l’opinion des experts, le juge quientend la cause pourra choisir l’opinion laplus probable, la plus conforme à la preuve,la plus crédible. Mais encore faut-il que cesopinions divergentes soient présentes auprocès. Le sont-elles si le fou n’y est pasreprésenté par un avocat ou s’il est seul?

Par ailleurs, le droit, discours de pou-voirs, est pourtant vulnérable – eh oui – faceà l’autonomie professionnelle, face àl’expert, cet « être au-dessus de tout soup-çon », comme le qualifie Bozzini47 . Entreombres et lumières : l’ordre juridique pos-sède également ses zones de fragilité. Ladéfinition même du professionnel serviraità justifier et à maintenir le dogme de l’auto-nomie professionnelle et, avec lui, lepouvoir. Le mot est de nouveau lancé :

Les abus qui pourront découler del’exercice de ce pouvoir se manifestentnotamment jusque dans le pouvoirde mesurer et de définir les besoins descitoyens et la manière de les satisfaire.Un pouvoir qui fait mal, dansle contexte de la santé,à l’action autonome du patient48.En fait la définition de ce qu’est un profes-

sionnel suggère l’image de deux personnes,l’une, compétente et l’autre, ignorante. Ellecontient virtuellement la violence de n’êtrepas reconnu comme un sujet compétent,en tant que personne soignée, et par voiede conséquence, comme un sujet apte àdéterminer ce que constitue son proprebien49. Alors, l’autre est une menace. Nousnous trouvons face à une crise indicible dela confiance. Sur le plan éthique, face à

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l’exigence d’informer le patient, on distin-gue trois modèles d’attitudes : paternaliste,informatif ou délibératif50. Le modèle déli-bératif postule que le soignant et le soignépossèdent des compétences, différentescertes, mais bel et bien existantes au seinde la relation. Fondé sur la négociationentre deux partenaires compétents, il insistesur le fait que la recherche du consentementde la personne repose sur un processus,un dialogue et des aptitudes relationnellesrespectueuses de la personne soignée,surtout lorsqu’il s’agit de personnes parti-culièrement vulnérables. Ici, le commentfaire, le comment dire sont aussi importantsque le quoi dire.

Le processus judiciaire que nous avonsdécrit et remis en cause, le verbe sans aucundoute cinglant voire impertinent, respecte-t-il ces nouvelles exigences éthiques ethumanistes ? La sollicitude, la compassion,la justice, la responsabilité, en tant que con-dition de notre humanité, sont-elles véri-tablement au rendez-vous de la rencontredu fou avec les acteurs du droit et de laclinique et ce, tout au long du processus,difficile par ailleurs ? Pourrait-on mêmealler jusqu’à se reconnaître dans le fou etlui reconnaître, comme le disent Blondeauet Gagnon, une certaine grandeur, dans lamesure où « il représente celui qui refusel’aliénation à la norme et la négation de sasingularité uniquement pour se conformeraux attentes des autres. Le délire est souventune manière de se faire entendre, disaitFreud, une construction en réponse à unmal, et non le mal lui-même51 »? Si la folie«contenait une vérité52 »?

Peut-on aussi réellement parler d’auto-nomie quand l’expression du « je », par lefou, est à ce point à risque d’être enferméedans le regard de l’autre ? Peut-on aussiparler d’autonomie, pour nous, quandnotre propre expression de professionnelest prisonnière de nos préconceptions ?Le filtre folie-maladie, à travers lequel onregarde le fou, ne porte-t-il pas en lui-mêmela mort de l’esprit du fou en même tempsque la nôtre?

L’épanouissement de la vie de l’espritest-il envisageable dans l’enfermement dela pensée? Sommes-nous capables d’inté-grer le doute, la mise à distance, dansnos processus de compréhension et deprise de décision? Savons-nous, êtres bien-pensants, douter de nous, peut-être mêmedans certains cas nous méfier de nous-mêmes, de nos jugements, mais surtout deleurs fondements? L’avons-nous seulementappris? Pouvons-nous l’apprendre?

Qui est le fou?Entre raison et déraison. Était-il si

impertinent de poser la question?

Notes1 R. HOUDE, Les temps de la vie.

Le développement psychosocial de l’adulteselon la perspective du cycle de vie,Montréal, Gaëtan Morin, 1999, p. 246.

2 A. NOTHUMB, La métaphysique destubes, Paris, Albin Michel, 2000, p. 7-9.

3 Avant de poursuivre cette réflexion, nousressentons le besoin d’aviser le lecteur quenous avons choisi d’opter pour une explica-tion qui, à sa façon, « implique le mal »,selon l’expression savoureuse de J. CAR-BONNIER, Flexible droit. Pour une socio-logie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ,1988, p. 124 : «Réfléchissons-nous assez àtout ce que le pessimisme de Voltaire conte-nait de possibilités méthodologiques? Entredeux explications pareillement acceptablesd’un phénomène, il serait sans doute debonne méthode d’opter pour celle qui im-plique le mal [...] En sociologie du droit,ce pourrait être un instrument d’analyseaffreusement efficace. »

4 G. BOURGEAULT, Éloge de l’incertitude,Montréal, Bellarmin, 1999, p.44.

5 E. JABÈS, Le livre des questions, Paris,Gallimard, 1963.

6 C. BOBIN, La folle allure, Paris, Gallimard,1995, p. 49. Il convient cependant de souli-gner qu’avec le remplacement de la Loi surla protection du malade mental par la Loisur la protection des personnes dont l’étatmental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, la terminologieutilisée pour désigner cette personne a elle-même peut-être opéré un renversement duregard. On ne parle plus de malade mentalcomme c’était le cas autrefois. Dorénavant,l’état mental et le caractère dangereuxd’une personne constituent les critères debase de l’application de la loi, peu importequ’un diagnostic ait été ou non posé.

7 M.-N. SCHURMANS, Représentations etaction. Déterminants psychosociaux despolitiques de soins, 1999, p. 16, texte inédit.

8 R. LETENDRE, D. MONAST et F. PICOTTE,Dynamique de l’expérience de l’hospitalisa-tion en département interne de psychiatriechez les 18-30 ans, Montréal, Départementde psychologie, UQAM, 1988, p. 590-591 etdans C. GENDREAU, Le droit du patientpsychiatrique de consentir à un traitement :élaboration d’une norme internationale,Montréal, Thémis, 1996, p. 3. On verraG. PETRILLO (dir. publ.), La santé et lamaladie comme phénomènes sociaux, Paris,Delachaux & Niestlé, 2000.

9 M. FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âgeclassique, Paris, Gallimard, 1972. L’expres-sion est de D. SALAS, «L’homme qui cha-vire», dans Justice et psychiatrie : normes,responsabilité, éthique, dans C. LOUZOUNet D. SALAS (dir. publ.), RamonvilleSt-Agne, Erès, 1998, p. 305. On verra, géné-ralement, « Éthique, morale et loi en psy-chiatrie », Cahiers psychiatriques, vol. 27,1999 ; « L’éthique en psychiatrie et le con-sentement aux soins », Soins Psychiatrie,vol. 161, 1992 ; « Folies/ Espaces de sens»,Anthropologie et Société, vol. 1-2, 1993,dont E. CORIN, «Les détours de la raison.

Repères sémiologiques pour une anthropo-logie de la folie » ; H. GRIVOIS, Le fou et lemouvement du monde, Paris, Grasset,1995 ; A. FAGOT-LARGEAULT, « Éthiquedu consentement en psychiatrie», dans C.LOUZOUN et D. SALAS (dir. publ.), Justiceet psychiatrie : normes, responsabilité, éthi-que, ibid., p. 77 et suiv. ; S. RAMEIX, « Dupaternalisme des soignants à l’autonomiedes patients ? », dans C. LOUZOUN etD. SALAS (dir. publ.), Justice et psychiatrie :normes, responsabilité, éthique, ibid., p. 65 ;R. McCLELLAND et G. SZMUKLER,«Consent and Capacity in Psychiatric Prac-tice Revisited », Eur. J. Health L., vol. 7,2000, p. 47 ; MINARD, Folie et psychiatrie,Ramonville St-Agne, Erès, 1997.

10 I. LASVERGNAS-GREMY, «Angoisse dansl’air du temps», Frontières-Peur bleue, vol. 12,2000, p. 44.

11 F. CHAUMON, «L’excès de l’acte», Société,vol. 17, 1997, p. 53 ; G. SWAIN, Dialogueavec l’insensé, Paris, Gallimard, 1994.

12 H. ARENDT, Eichmann à Jérusalem. Rapportsur la banalité du mal, Paris, Gallimard,1966.

13 J.-F. MALHERBE, Technique et humanisme.Une alliance contre nature ?, Sherbrooke,GGC, 2000, p. 35.

14 M.-N. SCHURMANS, Représentationset action. Déterminants psychosociauxdes politiques de soins, ibid., note 7, p. 2 ;E. DURKHEIM, « Représentations indivi-duelles et représentations collectives »,Revue de métaphysique et de morale, t. VI,1998 ; S. MOSCOVICI, La psychanalyse, sonimage, son public, Paris, PUF, 1976.

15 Ibid., p. 7-8. Aussi id., Maladie mentale etsens commun, Neuchâtel-Paris, Delachaux& Niestlé, 1990 ; id., «Maladie mentale : faitde nature, concept et représentation sociale»,Journal de psychiatrie, vol. 4, 1989 ; id.,«Maladie mentale et altérité : deux thêmataantagonistes», dans G. PETRILLO (dir. publ.),La santé et la maladie comme phénomènessociaux, Paris, Delachaux & Niestlé, 2000.

16 C. GENDREAU, ibid., note 8, p. 12 ;D. WEISSTUB, «Le droit et la psychiatriedans leur problématique commune »,R.D. McGill, vol. 30, 1985, p. 221.

17 « Par valeur, nous référons à la notiond’idéal, la valeur étant : une manière d’êtreou d’agir qu’une personne ou une collec-tivité reconnaissent comme idéales et quirend désirables ou estimables les êtres oules conduites auxquels elle est attribuée »,dans C. GENDREAU, ibid., note 8, p. 60, quicite G. ROCHER, Introduction à la socio-logie générale, Paris, HMH, 1968, p. 72.

18 «L’altération des facultés mentales de certainsmalades les expose tout particulièrement aumanque d’attention et ne leur permet pas deprofiter des services de santé et de protectionsociale alors même qu’ils sont prévus pour eux»,dans C. GENDREAU, ibid., note 8, p. 159.

19 Ibid., p. 12-13.

20 Ibid., p. 161-162.

21 Ibid., p. 163-164.

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22 Ibid., p. 164 à 169, pour toute cette section ;L. GOSTIN, «Consent to unusually hasar-dous, unestablished or irreversible treat-ments in psychiatry : a review of the DraftUnited Nations Guidelines for the protec-tion of persons suffering from mentalhealth », dans ASSOCIATION INTERNA-TIONALE DE DROIT PÉNAL, The Protec-tion of the Persons Suffering from MentalDisorder, Nouvelles études pénales, Toulouse,Erès, 1980 ; E. GAGNON, « L’avènementmédical du sujet. Les avatars de l’autono-mie en santé », Sciences sociales et santé,vol. 16, 1998, p. 49-74.

23 Même le diagnostic de maladie mentale pose-rait un problème : W. REICH, «PsychiatricDiagnosis as an Ethical Problem » et W.FULFORD, « The Concept of Disease »,dans S. BLOCH, P. CHODOFF, PsychiatricEthics, Oxford Medical Publications, 1999,p. 77 à 134.

24 Pour l’ensemble de cette section : R. P. KOU-RI, S. P. NOOTENS, « Le corps humain,l’inviolabilité de la personne et le consente-ment aux soins », Sherbrooke, Revue dedroit de l’Université de Sherbrooke, 1999,p. 213 à 273 ; A. NOLET, « Gardé contremon gré », Justice santé, vol. 1, 2001 ;E. DELEURY et D. GOUBAU, Le droit despersonnes physiques, Cowansville, YvonBlais, 1997 ; Développements récents endroit de la santé mentale, Cowansville,Yvon Blais, 1998 ; F. VILLENEUVE,« Quand l’état mental d’une personnedevient dangereux. Connaissez-vous la nou-velle loi ? », L’Infirmière du Québec, vol. 6,1999, p. 19 et suiv. ; K. GLASS, « RefiningDefinitions and Devising Instruments : TwoDecades of Assessing Mental Competence»,Int. J. of Law and Psychiatry, vol. 20, 1997,p. 5 ; B. DICKENS, «Legal Aspects of theDementias », The Lancet, vol. 349, 1997, p.948 ; D. BLONDEAU et E. GAGNON,« De l’aptitude à consentir à un traitementou à le refuser : une analyse critique», LesCahiers de droit, vol. 35, 1994, p. 651 ; Ibid.,« Consentement aux soins et inaptitude »,dans D. BLONDEAU (dir. publ.), Éthiqueet soins infirmiers, Montréal, PUM, 1999,177-189 ; K. BROWN, E. MURPHY,«Falling Through the Cracks : The QuebecMental Health System », McGill LawJournal, vol. 45, 2000, p. 1 037.

25 (1991) R.J.Q. 1969 (C.S.), p. 1973.

26 J. ARBOLEDA-FLORENZ, « Le consen-tement en psychiatrie : la position de l’Asso-ciation des psychiatres du Canada », Revuecanadienne de psychiatrie, vol. 36, 1988,p. 321.

27 Centre hospitalier de la Mauricie c. C.,(1998) R.L. 383, à la page 389.

28 Se pose ici la question de l’objet de ce con-sentement. En principe, le droit du patientpsychiatrique de consentir vaut pour tousles traitements médicaux. Toutefois, commel’observe C. Gendreau: « les catégories mêmesde traitements psychiatriques suscitent lacontroverse et en font un enjeu spécifiquedu droit au consentement », dans Le droitdu patient psychiatrique de consentir à untraitement : élaboration d’une norme inter-nationale, ibid., note 8, p. 36 à 43.

29 E. FUCHS et al., «La notion d’autonomie :une reformulation interdisciplinaire», Cahiersmédico-sociaux, vol. 41, 1997, 161-180 ;S. RAMEIX, «Du paternalisme des soignantsà l’autonomie des patients ?», dans Justiceet psychiatrie, ibid., note 9.

30 D. BLONDEAU, E. GAGNON, « Consen-tement aux soins et inaptitude», ibid., note24, p. 183.

31 E. FUCHS, Comment faire pour bien faire ?,Genève, Labor & Fides, 1996, 196 p.

32 Lisons R. P. KOURI, S. P. NOOTENS, «Lecorps humain, l’inviolabilité de la personneet le consentement aux soins», ibid., note 24,p. 226 : «La liberté du consentement réfèreà une décision prise en dehors de touteinfluence ou contrainte indue : seule s’ex-prime la volonté de la personne, souverainedans l’appréciation de son meilleur intérêt.Cette notion est, à l’évidence, toute relative :chaque individu se trouve dans un réseaucomplexe d’influences humaines, matérielles,environnementales, qui vont interférer avecson libre arbitre, à tel point que, pourcertains, le consentement libre en matièremédicale est un leurre. »

33 A.-M. VEILLEUX et H. ALLARD, «Les recourset la représentation du patient psychiatriqueselon la nouvelle Loi sur la protection despersonnes dont l’état mental présente undanger pour elles-mêmes ou pour autrui»,dans Développements récents en santémentale, ibid., note 24, p. 147 et suiv.

34 M.-I. FOREST, «Le comité d’éthique d’unétablissement de santé ou de services sociauxest-il garant de la protection des droits dela personne ? », Revue juridique Thémis,vol. 28, 1994, p. 263 et suiv.

35 P. BOURDIEU, « La force du droit ; pourune sociologie du champ juridique », dansActes de la Recherche en Sciences Sociales,no 64, Paris, 1986, p. 12.

36 H. KELADA, F. PAYETTE, Formulairede procédure civile, Montréal, Wilson &Lafleur, 2000. Me Payette précise dans sonavant-propos : « L’expérience l’a démontré :le Formulaire répond indéniablement auxattentes de la communauté juridique auprèsde qui il a toujours joui d’un accueil trèsfavorable. Le Formulaire a été conçu commeun guide utile et pratique qui réunit les élémentsessentiels devant se retrouver dans les alléga-tions et conclusions d’une procédure.»

37 D. SALAS, « L’homme qui chavire », ibid.,note 9, p. 307.

38 R. CASTEL, L’ordre psychiatrique, Paris,Minuit, 1976, p. 155.

39 G. BOURGEAULT, Éloge de l’incertitude,ibid., note 4, p. 48.

40 F. GORPHE, La décision de justice, étudepsychologique et judiciaire, Paris, Sirey,1952; Id., La critique du témoignage, Paris,1927 ; Id., « La psychologie appliquée enjustice », dans Traité de psychologie appli-quée, Paris, PUF, 1959. On verra, en fran-çais, PAIN et al., « L’approche systémique»,dans Revue de pratique de l’institutionnel,no 4, 1987 ; A.-J. ARNAUD et al. (dir. publ.),Dictionnaire encyclopédique de théorie et

de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1988,p. 487 et suiv.

41 Représentations et action. Déterminantspsychosociaux des politiques de soins, ibid.,note 7, p. 15; G. MUGNY et F. CARUGATI,L’intelligence au pluriel, Cousset (CH),DelVal, 1985.

42 E. FREIDSON, La profession médicale, Paris,Payot, 1984.

43 Dans son Éloge de l’incertitude, ibid., note 4,p. 45, Bourgeault rappelle que : «La certitudea partie liée avec le pouvoir, concrètementavec les pouvoirs [...]. J’utilise le plurielpour rendre évidente la contradiction :l’absolu, qu’il soit vérité ou pouvoir, exigel’exclusive. S’arrogeant la totale possession –de la vérité ou du pouvoir, peu importe,puisqu’il s’agit toujours d’une « vérité» miseau service d’un pouvoir et que celui-ci, enretour, protège et défend – il se fait tota-litaire. Nécessairement. »

44 A. MILLER, C’est pour ton bien. Racinesde la violence dans l’éducation de l’enfant,Paris, Aubier, 1983, p. 1.

45 D. BLONDEAU, E. GAGNON, «Consen-tement aux soins et inaptitude », ibid.,note 24, p. 178, 185.

46 M.-I. FOREST, « Jalons d’une réflexioncritique sur la revendication de l’éthique encontexte clinique », dans G. GIROUX (dir.publ.), La pratique sociale de l’éthique,Montréal, Bellarmin, 143-198, aux pages179-182 ; Id., « Le mythe de l’objectivitéd’un jugement sur la douleur : le droit et laclinique nez à nez ? », Frontières – Lasouffrance en question, vol. 8, no 2, 1995,p. 24-31.

47 L. BOZZINI, « L’expertise et la hiérarchiesanitaires en question», dans L. BOZZINIet al. (dir. publ.), Médecine et société. Lesannées 80, Montréal, St-Martin, 1986,p. 393.

48 Ibid., p. 394. En 1977, I. ILLICH, DisablingProfessions, Londres, Boyars, 1977, allaitplus loin en écrivant « [...] les nouvellesprofessions dominantes exigent le contrôledes besoins humains, tout court ». On verraB. KOUCHNER, La dictature médicale,Paris, Laffont, 1996.

49 G. LEBEER, «La violence thérapeutique»,Sciences sociales et santé, vol. 15, 1997,69-96, sur l’interprétation psychologiquedes conduites de résistance des patients.

50 G. DURAND, Introduction générale à labioéthique. Histoire, concepts et outils,Montréal, Fidès / Cerf, 1999, p. 237 et suiv.

51 D. BLONDEAU, E. GAGNON, «Consen-tement aux soins et inaptitude », ibid.,note 24, p. 182.

52 Ibid.