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Studii şi cercetări filologice. Seria Limbi Străine Aplicate
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QUELQUES ASPECTS DISCURSIFS D’UNE POLITESSE
MONASTIQUE ORTHODOXE EXPRIMÉE EN LANGUE FRANÇAISE
/ SOME DISCOURSIVE ASPECTS OF AN ORTHODOX MONASTIC
POLITENESS IN THE FRENCH LANGUAGE / CÂTEVA ASPECTE
DISCURSIVE ALE POLITEŢII MONASTICE ORTODOXE ÎN LIMBA
FRANCEZĂ 1
Abstract: We would like to submit an analysis of the discursive functioning and of the spiritual
implications of some formal endings employed in the Orthodox Church in monastic environment in
French language, starting from a corpus of three Orthodox works, one of which being written directly
in French and the two others being translations. We will analyze the discursive manifestations of what
we name monastic politeness through the study of formal endings used when Orthodox monks or
believers address important spiritual fathers, as well as the ones that these last ones use when
addressing the others or when humbly speaking about themselves. We will also study some lexical
markers (the borrowings) used as polite formal endings that express, from a terminological point of
view, some particularities of the spiritual traditions within the original countries of the protagonists,
namely Greece and Romania.
Key words: monastic politeness, discursive actor, Orthodox terminology, French language,
formal endings.
Résumé: Nous aimerions proposer une analyse du fonctionnement discursif et des
implications spirituelles de quelques formules et termes d’adresse employés dans l’Orthodoxie, en
milieu monastique et en langue française, à partir d’un corpus constitué de trois ouvrages de
spiritualité orthodoxe, dont un écrit directement en français et deux traductions. Nous analyserons les
formes de manifestation discursive de ce que nous appellerons une politesse monastique à travers
l’étude des formules d’adresse employées à l’égard de quelques grands pères spirituels par d’autres
moines orthodoxes et des fidèles, ainsi qu’au niveau de celles que les premiers utilisent à l’égard des
autres, ou bien pour se désigner eux-mêmes, avec humilité. Nous étudierons également quelques
marques lexicales (des emprunts) employées en tant que formules polies d’adresse, qui expriment du
point de vue terminologique certaines particularités des traditions spirituelles des pays orthodoxes
d’origine des protagonistes, respectivement, la Grèce et la Roumanie.
Mots-clés: politesse monastique, acteur discursif, terminologie orthodoxe, langue française,
termes d’adresse.
Argument Nous aimerions proposer une analyse du fonctionnement discursif et des
implications spirituelles de quelques formules et termes d’adresse employés dans
l’Orthodoxie, en milieu monastique et en langue française, à partir d’un corpus constitué de
trois ouvrages de spiritualité orthodoxe, dont un écrit directement en français et deux
traductions. Le premier est signé par l’un des plus grands pères spirituels de l’Orthodoxie
d’expression française –le père archimandrite Placide Deseille- et s’intitule Propos d’un
moine orthodoxe ; le deuxième est une traduction du grec des Lettres du père Païssios, moine
1 Felicia Dumas, Université « Al. I. Cuza » de Iaşi, Roumanie, [email protected].
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du Mont Athos, le célèbre père spirituel grec contemporain ; enfin, le troisième est une
traduction du roumain de la vie et des labeurs ascétiques de l’un des plus grands pères
spirituels roumains, Le Père Cléopas. Nous analyserons les formes de manifestation
discursive de ce que nous appellerons une politesse monastique (sous-tendue par la charité
fraternelle et l’obéissance) à travers l’étude des formules d’adresse employées à l’égard de
ces grands pères spirituels par d’autres moines orthodoxes, ainsi qu’au niveau de celles que
les premiers utilisent à l’égard des autres, ou bien pour se désigner eux-mêmes, avec humilité.
Nous étudierons également quelques marques lexicales (notamment des emprunts : géronda,
gérondissa, starets) employées en tant que formules polies d’adresse, qui expriment du point
de vue terminologique certaines particularités des traditions spirituelles des pays orthodoxes
d’origine des protagonistes, respectivement, la Grèce et la Roumanie.
La politesse monastique : essai de définition
De plus en plus étudiée à partir des années 70 et 80 par la pragmatique linguistique
et les interactions sociales, la politesse y est envisagée de façons différentes, aux niveaux de
théories telles, celle des faces et du territoire (Goffman, 1973 ; Brown et Levinson, 1987), ou
bien celle de l’encodage et du décodage (Kerbrat-Orecchioni, 1990), de la construction de la
relation interpersonnelle et des manifestions des dimensions relationnelles dans le discours
oral (Kerbrat-Orecchioni, 1992). Il y est question de l’Ego et de l’Autre et de leurs efforts
d’établir et de maintenir une harmonie consensuelle et non conflictuelle au niveau de leur
interaction. En ce qui concerne notre démarche d’analyser dans ce travail ce que l’on pourrait
appeler une politesse monastique, c’est une définition proposée par La Bruyère dans ses
Caractères qui pourrait très bien nous servir de point de départ : « Il me semble que l’esprit
de la politesse est une certaine attention à faire que par nos paroles et par nos manières, les
autres soient contents de nous et d’eux-mêmes. » (chap. V). En effet, dans le milieu
monastique, on ne parle point de l’Ego (ou du moi), car il doit s’effacer, au nom de l’humilité
et de l’amour de l’autre, de la charité chrétienne, fraternelle. En partant de ces considérations
et de la définition du nom politesse proposée par le dictionnaire Trésor de la langue
française 1, on pourrait définir la politesse monastique comme une forme d’envisager les
autres, avec charité et au nom de la foi, en s’effaçant soi-même par humilité devant Dieu et
devant eux, en respectant la hiérarchie ecclésiastique et la dignité de la personne humaine.
Autrement dit, il s’agit d’une façon harmonieuse, chrétienne, de vivre sa foi au sein d’une
communauté monastique, avec et au milieu des autres, par rapport auxquels se construit, dans
la charité et l’obéissance, toute relation interpersonnelle. Les paramètres particuliers qui la
sous-tendent sont de trois types : spatiaux, temporels et rituels proprements dits (spécifiques
des interactions rituelles).
En milieu orthodoxe –car c’est exclusivement à l’Orthodoxie que nous nous
rapporterons par la suite–, le monachisme a toujours joui d’une importance spirituelle fort
puissante. Les moines et les moniales sont des chrétiens fervents qui ont choisi de renoncer à
leur vie dans le monde, de se retirer dans des monastères et de s’y consacrer exclusivement à
la prière, après avoir prononcé les trois vœux monastiques, de l’obéissance, de la chasteté et
1 « Respect des bonnes manières, des règles de la bienséance; bonne éducation » : http:/ /atilf.atilf.fr/
dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2607047070, consulté le 15 avril 2013.
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de la pauvreté. Le monachisme orthodoxe ne connaît qu’un seul ordre, par rapport au
monachisme occidental, catholique, qui en connaît plusieurs. Il se caractérise par trois formes
de vie: cénobitique ou communautaire (le mode de vie le plus répandu1), idiorythmique (plus
rare2) et, respectivement, érémitique (qui caractérise la vie des ermites, qui sont des moines
vivant dans la solitude, menant une vie de prière et d’ascèse). On peut parler de la politesse
monastique, qui suppose la présence des autres, notamment dans le premier cas, de vie
communautaire. Ce genre de vie se caractérise par le fait que les moines et les moniales qui
le choisissent vivent dans des monastères où tout est mis en commun : ils travaillent ensemble,
ils mangent ensemble au réfectoire et ils habitent dans des cellules à l’intérieur du monastère.
La politesse s’y manifeste entre cette catégorie particulière d’interactants, dans deux types
d’espaces : sociaux (la cour, le réfectoire, les jardins, les ateliers de travail), et liturgiques
(notamment dans l’église). Par interactant, nous comprenons ici, à partir des études de
Goffman (1973) et de Scheflen (1964), le participant à une interaction verbale. Un autre
paramètre qui caractérise et qui module l’expression de la politesse monastique est le
paramètre temporel. Les moines et les moniales orthodoxes vivent, certes, dans un temps
historique, défini par rapport à leur option de vie (religieuse) comme un temps social (dans
le sens de profane, ou non-sacré), mais en même temps, très bien ancré dans un temps
liturgique, qui est celui des offices célébrés à l’église ou de leur prière personnelle dans la
cellule. Ils se préparent, plus que tout autre chrétien, pour le Royaume de Dieu, qui est celui
de l’éternité. Enfin, un troisième paramètre qui sous-tend la manifestation de la politesse
monastique est représenté par la dimension rituelle de l’existence des moines et des moniales
orthodoxes, concrétisée dans leur pratique liturgique, qui comprend des offices (liturgiques),
des cérémonies religieuses (d’intronisation d’higoumènes, de tonsure monastique, etc.). Tous
ces paramètres engendrent des échanges ritualisés, concrétisés en autant de formules
monastiques de politesse qui relèvent, tout simplement, d’une manière de vivre dans la foi,
la charité fraternelle, l’obéissance et l’humilité, en tant que moine ou moniale orthodoxes.
Toutefois, si jusqu’ici nous avons envisagé plutôt la dimension interactionnelle de
la politesse monastique, nous aimerions focaliser davantage notre recherche sur la dimension
discursive de celle-ci, telle qu’elle apparaît dans les trois livres mentionnés, qui font partie du
corpus de notre analyse.
Le moine comme acteur discursif et personnage littéraire
Ces trois livres, dont deux représentent des traductions, sont des œuvres littéraires
d’un type particulier, qui appartiennent à ce que l’on appelle la littérature spirituelle,
chrétienne-orthodoxe. Il s’agit d’une littérature « engagée », religieuse, dont le but est
l’enrichissement de la culture religieuse des lecteurs, le profit spirituel de ceux-ci, ainsi que
la popularisation de modèles spirituels à suivre. Dans notre cas, il s’agit de plusieurs figures
remarquables de pères spirituels (des moines), dont les conseils et l’exemple même de leur
vie sont proposés par les auteurs comme des repères et des guides intiés pour la vie chrétienne
des lecteurs, des chrétiens orthodoxes pratiquants.
1 Vie monastique menée en communauté. 2 Type de vie monastique selon lequel le moine ne vit pas dans une communauté, mais suit un rythme
personnel de prière et de travail (Dumas, 2010a : 114).
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Le fait que deux des trois livres que nous avons choisis pour faire partie du corpus
de cette analyse discursive de la politesse monastique soient représentées par des traductions
relève des particularités culturelles de l’Orthodoxie d’expression française1. Enracinée en
France au début du siècle dernier, grâce notamment aux émigrations russe et grecque (suivies
ensuite par d’autres : roumaine, serbe, bulgare, etc.), l’Orthodoxie s’est développée une
terminologie spécifique, propre à exprimer et à nommer ses particularités confessionnelles
dans différents domaines : théologique, liturgique, cultuel-rituel, ou de la vie quotidienne.
(Dumas, 2009). Les normes lexicales de cette terminologie ont été fixées par l’intermédiaire
des traductions faites en langue française notamment du grec, des textes liturgiques
fondamentaux de l’Orthodoxie, tout d’abord les livres liturgiques, mais aussi des ouvrages
de théologie et de spiritualité, à rôle de catéchèse et de soutien pour les fidèles-lecteurs. A
l’heure actuelle, l’Orthodoxie jouit d’un grand rayonnement en France, tel que le prouve
l’augmentation du nombre de fidèles (des migrants des pays traditionnellement orthodoxes
et des « convertis »2), la création de nouvelles paroisses et de communautés monastiques.
Plus de vingt monastères (orthodoxes) sont recensés en France3, où vivent et pratiquent leur
foi à peu près 180 moines et moniales orthodoxes. Ce chiffre n’est révélateur que rapporté au
nombre de vocations monastiques de l’Eglise catholique en France, qui est plutôt dramatique
et décourageant. (Dumas, 2009 : 73).
L’une des particularités canoniques de l’Orthodoxie enracinée en France est la
multitude de juridictions qui se partagent les différentes paroisses et monastères. Il s’agit
d’une caractéristique normale, qui s’explique par le conditionnement géographique et
ecclésial de son enracinement en France : les différentes communautés orthodoxes (paroisses
et monastères) représentent des diocèses des Eglises orthdoxes-mères des pays
traditionnellement orthodoxes dont elles relèvent en tant que diaspora. Nous avons choisi
délibérement trois textes différents, du point de vue de leur tradition culturelle : un texte écrit
directement en français, par le plus grand père spirituel de l’Orthodoxie d’expression
française, moine athonite français « de souche », le père archimandrite Placide Deseille, et
deux traductions, dont une du grec (sur l’un des plus grands pères spirituels grecs
contemporains : le père Païssios du Mont Athos) et une du roumain (sur la vie et les conseils
spirituels de l’un des plus grands pères spirituels roumain : le père archimandrite Cléopas du
monastère de Sihastria). Les versions françaises de celles-ci sont signées par des auteurs
français, situés à l’intérieur du paradigme de la foi, et donc concernés directement par les
sujets traités dans ces livres : le traducteur du roumain est un moine français, parfaitement
bilingue (franco-roumain), le hiéromoine Marc, à présent évêque auxiliaire de l’Eglise
Orthodoxe Roumaine en France ; la traductrice du livre épistolaire du père Païssios du Mont
Athos est une moniale orthodoxe française : sœur Svetlana Marchal, excellente connaissseuse
du grec. Au niveau de ces textes, nous avons relevé des particularités lexicales spécifiques
1 Le syntagme est employé ici à valeur purement référentielle, car l’Orthodoxie est universelle, l’Eglise
du Christ. 2 Selon l’Annuaire de l’Eglise Orthodoxe de France, 2010/2011, il y aurait 500 000 fidèles orthodoxes
à l’heure actuelle en France (Monastère de Cantauque, p. 8). 3 Par le Petit guide des monastères orthodoxes, publié à Cantauque (monastère orthodoxe francophone
de juridiction roumaine) par le hiéromoine Samuel en 2008.
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des traditions orthodoxes dont ces grands pères spirituels devenus des personnages littéraires
sont les représentants spirituels de choix.
Dans les trois livres, le moine représente un type particulier d’acteur discursif et de
personnage. Il est un acteur discursif, car avant d’avoir été transformé en personnage
littéraire, il a vécu effectivement en tant que figure spirituelle concrète dans sa communauté
monastique, vie dont le caractère exemplaire a engendré sa transformation en personnage de
littérature spirituelle. Nous récupérons ici le concept d’acteur proposé par E. Goffman (1973),
qui parlait de l’acteur social comme de l’individu qui participe aux interactions sociales, où
il est contraint de jouer un rôle précis, par certaines conventions sociales. De la même façon,
le moine est « contraint » –« contrainte » qu’il accepte délibérement et volontairement– durant
sa vie monastique, de respecter des règles très précises. Il vit et se meut devant les autres et
au milieu d’eux, mais aussi et surtout devant Dieu. Il agit donc devant ces deux types
d’instances : une symbolique, mais effective dans le sens de sacrée : la présence divine, et
l’autre, représentée par des acteurs religieux et laïques : les autres moines, membres de sa
communauté monastique tout d’abord, ainsi que les fidèles, les pèlerins avec lesquels il entre
en contact. C’est la raison pour laquelle, la politesse monastique à l’égard de ces derniers
s’exprime à travers des formules de politesse, des interpellations et des appelatifs, tandis que
par rapport à Dieu, elle revêt des formules d’humilité, d’autodésignation.
Interactant d’un type particulier au niveau des interactions verbales, religieuses
(notamment liturgiques) monastiques, le moine devient acteur discursif transformé en
personnage littéraire au niveau des textes de littérature spirituelle auxquels nous faisons
référence ici. L’interactant est ainsi récupéré de façon discursive et transformé en acteur-
personnage dans le texte, où il est présenté en train d’interagir avec les autres, tout en
engendrant de l’histoire spirituelle, racontée au niveau de la narration (à la troisième
personne, comme dans le livre sur le père Cléopas et Propos d’un moine orthodoxe), ou du
discours épistolaire (à la première personne, comme dans le livre du père Païssios).
Aspects discursifs d’une politesse monastique
Comme nous l’avons déjà dit, la politesse est engendrée par la présence des autres,
car c’est à leur égard que l’on est poli. La politesse monastique se manifeste de la même
façon, par rapport aux autres, au niveau de la parole, ainsi qu’au niveau plus largement
interactionnel, des faits et gestes. Dans le milieu religieux en général et dans le milieu
monastique en particulier, on accorde une importance fondamentale au respect de la
hiérarchie. A l’intérieur d’une communauté monastique, il y a des moines et des moniales du
même degré monastique, mais aussi de degrés différents (notamment dans les monastères
masculins) ; à la tête de chaque monastère il y a un ou une supérieure, appelé(e) higoumène.
Les monastères font partie de diocèses, qui sont dirigés par des hiérarques, des évêques et des
archevêques. On retrouve dans les trois livres de notre corpus plusieurs formules de politesse
employées à l’égard de ces différents acteurs discursifs, selon la direction ascendante1,
descendante ou égale de l’interaction.
1 Par interaction hiérarchique ascendante, nous comprenons une rencontre communicationnelle qui
occasionne un échange communicatif engendré et dirigé par un interactant de condition hiérarchique
inférieure qui se rapporte à un interlocuteur de condition hiérarchique supérieure. En principe, en milieu
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Commençons par le livre du père Païssios, Lettres. C’est un texte qui se compose de
six lettres rédigées par ce grand père spirituel de Grèce et envoyées à l’higoumène du
monastère Saint-Jean-Le-Théologien Suroti de Thessalonique, que celle-ci décide de publier,
pour le profit spirituel des lecteurs désireux de se perfectionner dans la vie spirituelle. Chaque
lettre commence par une formule de politesse très élaborée, employée à l’égard de la mère
supérieure : « Chère Sœur et Gérondissa Philothée, bénissez ! » (Païssios, 2005 : 21). La mère
supérieure est considérée au niveau de cette formule, comme sa sœur en Christ, ce qui
exprime un rapport d’égalité, de fraternité spirituelle sous-tendue par la relation de filiation
qui existe dans le christianisme entre Dieu-le Père et les hommes ; en même temps, on
remarque une mise en évidence de la fonction hiérarchique monastique de celle-ci, par
l’emploi du terme gérondissa1, emprunt grec expliqué à la fin dans un Glossaire, à usage dans
les milieux monastiques de tradition grecque, athonite, dont le sens est « supérieure du
monastère, higoumène ». En la désignant comme cela, le père reconnaît son statut
hiérarchique, qu’il respecte comme toutes les membres de sa communauté, même s’il n’en
fait pas partie. Puisque dans le milieu monastique orthodoxe (celui qui nous intéresse ici), la
formule de politesse prouve le respect du supérieur et l’obéissance. La fin de la formule est
également intéressante, car elle exprime l’un des aspects les plus importants du point de vue
des implications spirituelles de la politesse monastique: l’humilité. Dans la tradition
orthodoxe, on demande aux pères spirituels, ainsi qu’aux supérieures des monastères, y
compris aux mères supérieures, la bénédiction, en guise de « bonjour », à l’intérieur d’une
interaction hiérarchique ascendante. C’est surtout les autres qui demandent au père spirituel
de les bénir, mais il arrive aussi que celui-ci le fasse. Au niveau discursif, le verbe bénir
inscrit le père Païssios dans une interaction hiérarchique de type ascendant par rapport à la
mère supérieure, sous-tendue par son humilité. La demande de la bénédiction se constitue en
un geste discursif qui exprime une forme explicite de respect, par la mise en évidence de la
reconnaissance de la fonction hiérarchique de la mère supérieure, et en même temps, en une
forme d’humilité, car ce grand père spirituel s’abaisse de bon gré, en lui demandant ceci.
L’humilité et l’obéissance vont de pair dans le milieu monastique, représentant les vertues
qui se trouvent à la base de la perfection spirituelle. Précisons que la réponse canonique,
proposée à cette demande de bénédiction (adressée normalement à des pères spirituels),
exprime la même humilité : « Le Seigneur », ce qui veut dire « Que le Seigneur bénisse »,
car le Seigneur seul bénit, ou peut bénir. Par l’intermédiaire de cette réponse, qui accompagne
dans la tradition roumaine et slave le geste de la bénédiction fait avec la main droite sur la
tête inclinée de celui (ou celle) qui sollicite la bénédiction, le père spirituel s’efface
humainement, pour affirmer que seul le Christ-Dieu peut bénir. Il s’agit d’un échange rituel,
qui caractérise tant les espaces sociaux que liturgiques des monastères, qui explicite
l’obéissance monastique, ainsi que la reconnaissance de la renommée spirituelle de celui
auquel on demande la bénédiction.
monastique, ce type d’interactions ont lieu quotidiennement, lors des rencontres à l’intérieur du
monastère, au travail, au réfectoire, dans l’église, etc. Lorsqu’elles deviennent sujet de narration
littéraire, comme dans le cas de nos trois livres, elles proposent au lecteur des acteurs discursifs, et non
plus d’interactants. 1 Du grec gérontissa γερόντισσα (vieille).
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La formule initiale de la lettre est construite en miroir par rapport à celle de clôture,
finale, représentée par une formule monastique d’autodésignation : « votre frère, moine
Païssios » (Païssios, 2005 : 22). Celle-ci illustre la mise en évidence discursive de la relation
de fraternité définie par rapport aux sœurs (comme expression d’un rapport voulu d’égalite),
en vertue de la relation de filiation instaurée par rapport à Dieu-le Père, ainsi que l’humilité
de ce grand père spirituel athonite contemporain, qui s’autodésigne en tant que « moine », le
degré monastique le plus simple et le plus modeste.
Dans l’appareil paratextuel du livre, notamment dans l’Introduction signée par
l’higoumène du monastère de Souroti –la moniale Philotée-, le père Païssios est désigné par
une formule de politesse qui exprime également la reconnaissance de la renommée spirituelle
dont jouit ce grand père spirituel contemporain, devenu personnage du livre et acteur
discursif : « le bienheureux Géronda Païssios » (Païssios, 2005 : 9). L’emprunt géronda, du
grec géron γέρων (vieux) représente à la fois un appelatif1 et une forme de nomination2
employés dans la tradition grecque (notamment athonite) pour désigner le supérieur d’un
monastère, ainsi qu’un père spirituel de grande renommée. Considéré comme unanimement
reconnu et fixé comme norme lexicale au niveau de la terminologie religieuse orthodoxe
individualisée en français, il n’est plus expliqué dans le Glossaire qui clôt la version française
du livre, où figure, en échange, comme nous l’avons déjà dit, le terme gérondissa : « Mère
Higoumène d’un monastère de femmes » (Païssios, 2005 : 245). Quant au déterminant
bienheureux qui l’accompagne, il représente une preuve lexicale discursive de la
représentation collective concernant le niveau de perfection spirituelle et la sainteté de ce
père, acquis à travers sa vie de prière, d’humilité et d’ascèse, qui lui a valu le bonheur suprême
de se retrouver dans la proximité de Dieu, dans Son Royaume.
Passons maintenant à un autre livre de notre corpus. Dans la version française de la
biographie spirituelle du père Cléopas du monastère roumain de Sihastria, on rencontre une
autre formule de politesse, très élaborée, employée par ce grand père spirituel à l’égard des
autres membres de sa communauté monastique, par humilité et par affection : « Très
révérends pères, mes frères, comme je vous vois ici, mes chers enfants, puissé-je vous voir
tous au paradis dans la joie sans limites » (Balan, 2003 : 141). Le père Cléopas a engendré
dans les années 90 l’un des plus grands pèlerinages de la Roumanie orthodoxe ; des fidèles
venaient de tout le pays pour le voir, pour écouter ses sermons et lui demander des conseils
spirituels. Il les recevait tous avec beaucoup d’affection et de charité, leur souhaitant de les
retrouver au paradis. Le père Cléopas est considéré comme l’un des plus grands pères
spirituels roumains contemporains, connu et aimé même en dehors de la Roumanie, dans les
milieux orthodoxes, y compris en France. Dans le contexte cité, on remarque à la fois sa
charité, son humilité et son affection, vertues chrétiennes et monastiques exprimées
discursivement par la structure syntagmatique de l’énumération des appellatifs : le premier
1 Les appellatifs désignent, selon C. Kerbrat-Orecchioni, non seulement l’allocutaire, mais aussi le
délocuté (la personne dont on parle), voire le locuteur : Adresse (termes d’), article signé par C. Kerbrat-
Orecchioni, dans Charaudeau et Maingueneau, 2002 : 30. 2 La nomination pourrait être définie comme la fonction dénominative des appellatifs et des pronoms
d’adresse, servant à mettre en évidence, à marquer les relations interpersonnelles, en fixant l’identité de
la personne concernée, définie forcément par rapport à l’initiateur de la nomination : Dumas, 2010b.
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souligne la reconnaissance très respectueuse (exprimée par l’emploi du déterminant
révérend) du statut monastique des autres moines, membres de la même communauté (très
révérends pères); le deuxième (mes frères) instaure déjà une familiarité affective, par la mise
en évidence de la relation de fraternité spirituelle1 définie à l’égard des mêmes acteurs
discursifs; le troisième (mes chers enfants) prouve une progression encore plus évidente dans
la désignation affective de ceux-ci, par rapport auxquels il se définit en tant que père, à cause
de son âge assez avancé, de son statut de père spirituel2 et par son affection.
Dans le même livre traduit en français par le hiéromoine Marc, on trouve une
formule polie de nomination, propre à l’espace orthodoxe roumain, employée également
comme forme d’interpellation habituelle entre des moines du même degré monastique, en
tant que marque lexicale de reconnaissance d’un statut égal à l’intérieur d’un système
hiérarchisé: ta fraternité. Elle est utilisée assez souvent par le père Cléopas dans ses échanges
avec d’autres moines, de son monastère ou d’ailleurs, qui viennent lui demander des conseils
spirituels : « Mais bien sûr ! Ta Fraternité mange et dort à satieté [...] » (Balan, 2003 : 157).
Du point de vue discursif, cette formule exprime l’humilité du père Cléopas et sa grande
charité à l’égard des autres moines, qu’il considère comme ses frères en Christ, en les situant
au même niveau spirituel que le sien, en position d’égalité.
Des anciens et des géronda de la Sainte Montagne
Le seul livre écrit directement en français de notre corpus est constitué de plusieurs
entretiens avec le père archimandrite Placide Deseille, orchestrés par le journaliste chrétien
Jean-Claude Noyé ; il contient plusieurs formules de politesse monastique employées par ce
grand père spirituel de l’Orthodoxie d’expression française pour introduire discursivement
de nombreux acteurs monastiques, qu’il transforme en personnages de son « histoire ». Moine
athonite d’origine française, le père archimandrite Placide Deseille mentionne dans son livre
plusieurs pères du Mont Athos, qu’il désigne de façon respectueuse par l’appellatif père, suivi
de leurs prénoms monastiques : « le père Ephrem de Katounakia, au Mont-Athos » (Deseille,
2010 : 132), ou bien « le père Séraphin, qui, je le rappelle, m’a accompagné dans mon
cheminement depuis l’abbaye de Bellefontaine » (Deseille, 2010 : 111). Arrêtons-nous un
peu à ce dernier. Le père Séraphin est mentionné comme étant le compagnon du père Placide
depuis leur abbaye cistercienne jusqu’à leur entrée dans l’Orthodoxie, pendant plus de
soixante ans, les deux moines ayant à peu près le même âge. Toutefois, par politesse
monastique, le père Placide le désigne par l’appellatif père, qu’on emploie de façon
habituelle, respectueuse (et polie), à l’égard de tous les moines orthodoxes en général3.
Pour marquer au niveau terminologique une certaine spécificité de la vie monastique
propre au Mont Athos, le père Placide Deseille emploie aussi dans son livre le terme de
politesse géronda, déjà mentionné plus haut, pour désigner les grands pères spirituels
athonites : « l’avis des grands Géronda de Grèce et de la Sainte-Montagne » (Deseille, 2010 :
1 Les membres de la même communauté monastiques sont tous des frères en Christ. 2 Pour la plupart des moines de son monastère, qu’il entendait en confession. 3 Nous ne nous arrêtons pas ici sur les appellatifs utilisés dans le milieu monastique catholique, à savoir :
le frère suivi du prénom monastique, le père abbé, ou Dom, que l’on retrouve dans le même livre écrit
par le père archimandrite Placide Deseille.
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82). La présence de la majuscule et le choix de cet emprunt grec pour ce type particulier de
contexte suggère d’abord et surtout le respect voué à ces grands pères spirituels, mais aussi
sa familiarisation avec cette tradition monastique athonite, à laquelle il appartient, malgré son
origine française1.
Deux autres mots sont employés dans la terminologie religieuse orthodoxe
individualisée en français pour désigner à peu près le même type de moine, avancé dans la
vie spirituelle, modèle et guide spirituel pour ses disciples : ancien et starets. On les retrouve
dans le livre du père archimandrite Placide Deseille, en tant qu’appellatifs très polis employés
à l’égard de deux autres acteurs discursifs, le père Joseph l’Hésychaste de la Sainte Montagne
(mort en 1959), et un moine de Moldavie roumaine, formé dans le sillage spirituel du grand
saint Païssy Vélitchkovsky du monastère de Neamt (né en Ukraine). D’origine slavonne, le
terme starets désigne dans la tradition slave un grand père spirituel, ainsi que le supérieur
d’un monastère masculin ; en langue française, la terminologie religieuse orthodoxe l’a
intégré de façon monosémantique, pour exprimer uniquement le premier sens, de moine qui
a passé sa vie dans la prière et dans l’ascèse et qui donne des conseils, qui forme des disciples,
en tant que père spirituel. Par la forme même du signifiant, au niveau discursif, il renvoie à
une tradition slave de l’Orthodoxie. C’est exactement le cas pour l’occurrence enregistrée
dans le livre qui nous intéresse ici : « Un moine russe du XIXe siècle, le starets Jean de
Moldavie, dans un bref témoignage légué à ses fils spirituels, racontait ainsi son itinéraire
spirituel [...] » (Deseille, 2010 : 135). Le choix de cette forme de nomination, au détriment
de l’autre, plus commune, de « père », représente une preuve discursive évidente de la mise
en évidence de cette tradition spirituelle slave que l’on retrouve au niveau de l’Orthodoxie
d’expression française, dans la littérature de spiritualité traduite en général du russe, ou qui
fait référence à des grands pères spirituels et des moines de cet espace géographique et
culturel ou des espaces environnants (comme l’espace ukrainien, moldave ou roumain, dans
notre cas).
Le mot français ancien est employé à l’intérieur d’une formule de politesse plus
élaborée, utilisée de façon quasi synonymique, au niveau d’un discours rapporté libre : « Le
père Ephrem de Philothéou raconte ceci à son sujet : Mon vénérable ancien, le père Joseph,
a souvent dit à mon indignité : Si Dieu conduit quelques âmes entre tes mains, enseigne-leur
une seule chose : la prière » (Deseille, 2010 : 125-126). Si l’emploi du mot starets fait
référence au prestige spirituel général dont jouit le père qu’il désigne, le choix du mot ancien,
accompagné du déterminant vénérable exprime dans ce contexte très précis l’appréciation
affective et subjective d’un disciple du père spirituel en question, dans le sillage spirituel
duquel il se définit comme continuateur de son enseignement (et de son héritage spirituel).
La hiérarchie ecclésiastique est unanimement reconnue et respectée à l’intérieur de
l’Eglise en général et des communautés monastiques en particulier. L’emploi des formules
polies d’adresse, de nomination et de désignation des hiérarques orthodoxes prouve la
reconnaissance de leur statut hiérarchique, le respect et l’obéissance qui leur sont dus pour
1 Le caractère panorthodoxe des monastères du Mont-Athos est bien connu dans le monde orthodoxe et
non seulement ; les moines qui vivent sur la Sainte Montagne sont de nationalités très diverses, grecque,
russe, roumaine, bulgare, ukrainienne, etc. Au moins un moine français vit à l’heure actuelle au
monastère Simonos Petra du Mont-Athos (le père Macaire).
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cela. Un autre acteur discursif mentionné dans le livre Propos d’un moine orthodoxe est le
métropolite grec de France qui a célébré l’office de la consécration de l’église du monastère
de Saint-Antoine-le-Grand, dans le Vercors, dont le père archimandrite Placide Deseille est
le fondateur et l’higoumène : « son Éminence Monseigneur Jérémie, alors métropolite grec
orthodoxe de France » (Deseille, 2010 : 110). Il est désigné par la formule de politesse la plus
élaborée (et, en même temps, la plus exacte, dans le sens d’initiée) employée canoniquement,
en français religieux orthodoxe, à l’égard des métropolites et des archevêques. Elle prouve le
respect du père archimandrite à l’égard de la hiérarchie de l’Eglise, et souligne
discursivement son obéissance et son humilité monastiques, autrement dit un profil spirituel
de moine orthodoxe « véritable », qui mène humblement sa vie monastique dans l’Eglise
Orthodoxe.
L’autodésignation
Cette humilité cultivée avec beaucoup d’application par les moines en général et par
les grands pères spirituels en particulier est exprimée également par une formule
d’autodésignation, donc une formule employée à l’égard de soi-même, qui fait également
partie de la politesse monastique que nous essayons d’étudier ici. Il s’agit d’être « poli »
devant Dieu, en se faisant humble devant sa Toute-Puissance, par le simple fait de se
reconnaître indigne d’être dans sa proximité et de bénéficier de sa charité, à cause de la nature
pêcheresse et corrompue de l’être humain, dont le moine est particulièrement conscient.
La formule à laquelle nous faisons référence apparaît une seule fois dans le livre
signé par le père archimandrite Placide Deseille et nous avons été très surprise de l’y
« découvrir », de la lire en langue française. Son équivalent existe en langue roumaine, où il
connaît une grande fréquence d’emploi en milieu monastique, notamment masculin. Nous
avons déjà mentionné plus haut le contexte de son emploi, pour une autre formule de
politesse, qui comprend l’appellatif ancien : « Mon vénérable ancien, le père Joseph, a
souvent dit à mon indignité : Si Dieu conduit quelques âmes entre tes mains, enseigne-leur
une seule chose : la prière » (Deseille, 2010 : 125-126). Le dictionnaire Trésor de la langue
française ne mentionne pas ce type d’emploi pour le nom indignité ; il s’agit donc d’une
occurrrence spécialisée qui est propre à la terminologie religieuse orthodoxe indvidualisée en
français.
Cette formule très humble d’autodésignation est le reflet et l’expression discursive
de toute une spiritualité monastique, centrée sur l’importance de l’humilité et de l’obéissance
pour la perfection spirituelle et le salut de l’âme. Ce sont deux vertues qui vont ensemble,
comme on peut le voir également dans le fragment cité pour notre occurrence, où le père
Ephrem de Philotéou se fait humble tant par rapport à Dieu, que par rapport à son ancien, le
père Joseph. Être humble veut dire se reconnaître indigne de la charité divine, ou bien, avec
les mots du père archimandrite Placide Deseille : « acquérir de plus en plus le sens de sa
radicale pauvreté, de sa foncière dépendance, de la gravité de son péché aussi, devant la
grandeur et la sainteté de Dieu ». (Deseille, 1990 : 78). D’ailleurs, cette formule
d’autodésignation monastique renvoie à tout un ensemble d’occurrences de l’adjectif indigne,
qui apparraissent dans de nombreuses prières liturgiques, notamment dans celles qui
précèdent la communion, et qui explicitent la construction discursive de ce rapport humble
avec Dieu : « Aussi, bien que je sois indigne du ciel et de la terre et même de cette vie
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passagère, bien que je sois un serviteur docile du péché et l’esclave de mes passions, moi qui
ai souillé ton image, mais qui suis pourtant ton œuvre, formée par toi, je ne désepère pas de
mon salut, tout misérable que je suis »1, ou bien : « Seigneur, mon Dieu, je sais que je ne suis
pas digne ni préparé pour que tu entres sous le toit de mon âme, car je suis entièrement vide
et délabré et tu n’a pas en moi de place pour reposer ta tête »2, ou enfin : « Je ne suis pas
digne, ô mon Maître et mon Seigneur, de te recevoir sous le toit de mon âme ; mais puisque,
dans ton amour des hommes, tu veux habiter en moi, je prends confiance et je m’approche de
toi »3. Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme a perdu ses qualités ontologiques
initiales par manque d’humilité et par désobéissance ; pour s’approcher de Dieu et retrouver
son état initial, de perfection spirituelle, il doit se montrer humble envers Lui et envers les
autres. La politesse manifestée à l’égard de Dieu à travers cette formule d’autodésignation
veut dire prendre conscience de sa nature corrompue et vivre dans l’humilité. Un véritable
programme spirituel, que les moines s’évertuent de mettre en pratique, au niveau de leur vie
d’ascèse et de prière monastique.
En guise de conclusion
Toutes les formules de nomination et les appellatifs analysés au niveau de notre
corpus prouvent discursivement le fait que cette politesse monastique représente une manière
toute naturelle de vivre des moines (et des moniales orthodoxes), de se conduire envers les
autres et envers Dieu. Employer ces formules polies à l’égard des premiers veut dire les traiter
et les reconnaître en tant que membres de l’Eglise du Christ et (selon le cas) d’une même
famille monastique, avec charité et respect, comme des frères en Christ et des enfants de
Dieu. Être poli envers Dieu veut dire pour un moine vivre tout simplement dans l’humilité et
l’obéissance, « vivre le plus parfaitement qu’il peut sa vie spirituelle, sa vie de prière »4, en
cherchant la sainteté et la déification : « Est moine, disait saint Jean Climaque, celui qui imite,
en un corps terrestre et misérable, l’état et la vie des incorporels »5. Du point de vue spirituel,
cette politesse monastique représente la mise en œuvre d’un véritable programme de
perfectionnement sur la voie du salut, le long de cette vie terrestre, sous-tendu par la charité,
l’obéissance et l’humilité, dont l’enjeu est de vivre transfiguré dans la lumière du « huitième
jour » (Deseille, 2010 : 191) de l’Eternité et de retrouver « la cité céléste » (He 13, 14).
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Le-Grand, p. 23. 2 Première prière de saint Jean Chrysostome, Office de la Sainte Communion, Monastère Saint-Antoine-
Le-Grand, p. 25. 3 Seconde prière de saint Jean Chrysostome, Office de la Sainte Communion, p. 27. 4 Le père archimandrite Placide Deseille, dans Dumas, 2009 : 14. 5 Saint Jean Climaque, L’Echelle sainte, Degré 1 ; PG 88, col. 633 C (apud Deseille, 1990 : 14).
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