12
143 Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le « millefeuille » des territoires en haut Languedoc héraultais ? par Pierre DERIOZ Plus encore que dans d’autres régions françaises, où la forêt s’impose depuis plus longtemps et de manière plus incontestable comme une ressource et un secteur économique (Landes, Vosges, Jura…), la prise en compte de ses problématiques dans les politiques des collectivités locales et territoriales représente en régions méditerranéennes un phé- nomène récent. Dans une histoire de l’administration et de la gestion forestières d’abord marquée par le rôle de l’Etat — propriétaire, ges- tionnaire direct et maître des grandes orientations politiques natio- nales en matière de forêts — mais également par celui des proprié- taires privés, certaines communes d’arrière-pays ont bien sûr participé précocement au reboisement des terres laissées en déshérence par le repli des activités agro-pastorales, et tirent des revenus irréguliers de boisements dont la gestion a souvent été confiée à l’Office national des forêts (ONF). La réalisation des documents d’urbanisme, à compter de l’institution des Plans d’occupation des sols par la loi Pisani du 30 décembre 1967 1 , a aussi fourni de multiples occasions de s’interroger sur la place de la forêt — très généralement incorporée aux zones ND — dans le territoire communal, tout comme la nécessaire implication des élus locaux dans la problématique de la défense des forêts contre l’incendie (DFCI), renforcée par la loi de 1966 sur la protection et la reconstitution de la forêt méditerranéenne (BAZIRE et GADANT, 1991). Mais au-delà de la gestion de leurs propres boisements et de ces approches sectorielles — urbanisme, risque — rares sont les collectivi- tés locales à avoir envisagé de manière globale les enjeux de la forêt méditerranéenne, et à les avoir intégrés de façon cohérente dans une politique d’ensemble, faute d’intérêt pour des peuplements réputés sans valeur, sans doute aussi faute d’outils réglementaires et adminis- tratifs adaptés. La mise en place tardive de ces outils, institution des « périmètres d’action forestière » (PAF) par la loi de 1971, ou mise au point des procédures « d’aménagement foncier forestier » et création Le second séminaire “La forêt méditerranéenne : un atout pour le développement des territoires” était consacré aux zones d’arrière-pays et de montagne. Il s’est déroulé les 8 et 9 mars 2007 à La Salvetat-sur-Agout dans l’Héraut. Francis Cros, maire de La Salvetat, président de la Communauté de communes de la montagne du haut Languedoc, Conseiller général et Président des Communes forestières de l’Hérault, nous y a accueillis. Pierre Dérioz a ouvert les débats en retraçant l’histoire des processus de territorialisation à travers l’exemple du haut Languedoc héraultais. 1 - Les réglementations portant sur la création et la conservation de certains espaces boisés dans le cadre des plans d’urbanismes remonte même à 1958-1959. forêt méditerranéenne t. XXVIII, n° 2, juin 2007

Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

143

Quelle place pour la forêtméditerranéenne

dans le « millefeuille »des territoires en haut

Languedoc héraultais ?

par Pierre DERIOZ

Plus encore que dans d’autres régions françaises, où la forêt s’imposedepuis plus longtemps et de manière plus incontestable comme uneressource et un secteur économique (Landes, Vosges, Jura…), la priseen compte de ses problématiques dans les politiques des collectivitéslocales et territoriales représente en régions méditerranéennes un phé-nomène récent. Dans une histoire de l’administration et de la gestionforestières d’abord marquée par le rôle de l’Etat — propriétaire, ges-tionnaire direct et maître des grandes orientations politiques natio-nales en matière de forêts — mais également par celui des proprié-taires privés, certaines communes d’arrière-pays ont bien sûr participéprécocement au reboisement des terres laissées en déshérence par lerepli des activités agro-pastorales, et tirent des revenus irréguliers deboisements dont la gestion a souvent été confiée à l’Office national desforêts (ONF). La réalisation des documents d’urbanisme, à compter del’institution des Plans d’occupation des sols par la loi Pisani du 30décembre 1967 1, a aussi fourni de multiples occasions de s’interrogersur la place de la forêt — très généralement incorporée aux zones ND— dans le territoire communal, tout comme la nécessaire implicationdes élus locaux dans la problématique de la défense des forêts contrel’incendie (DFCI), renforcée par la loi de 1966 sur la protection et lareconstitution de la forêt méditerranéenne (BAZIRE et GADANT, 1991).Mais au-delà de la gestion de leurs propres boisements et de ces

approches sectorielles — urbanisme, risque — rares sont les collectivi-tés locales à avoir envisagé de manière globale les enjeux de la forêtméditerranéenne, et à les avoir intégrés de façon cohérente dans unepolitique d’ensemble, faute d’intérêt pour des peuplements réputéssans valeur, sans doute aussi faute d’outils réglementaires et adminis-tratifs adaptés. La mise en place tardive de ces outils, institution des«périmètres d’action forestière » (PAF) par la loi de 1971, ou mise aupoint des procédures « d’aménagement foncier forestier » et création

Le second séminaire “La forêtméditerranéenne : un atout pourle développement des territoires”

était consacré aux zonesd’arrière-pays et de montagne.Il s’est déroulé les 8 et 9 mars2007 à La Salvetat-sur-Agout

dans l’Héraut.Francis Cros, maire de La

Salvetat, président de laCommunauté de communes de la

montagne du haut Languedoc,Conseiller général et Président

des Communes forestièresde l’Hérault, nous y a accueillis.Pierre Dérioz a ouvert les débats

en retraçant l’histoiredes processus de territorialisation

à travers l’exemple du hautLanguedoc héraultais.

1 - Les réglementations portant sur la création et laconservation de certains espaces boisés dans le cadredes plans d’urbanismes remonte même à 1958-1959.

forêt méditerranéenne t. XXVIII, n° 2, juin 2007

Page 2: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

d’« associations syndicales de gestion fores-tière » ouvertes aux collectivités publiquesdans le cadre de la loi forestière de 1985,coïncide du reste avec les profondes muta-tions induites dans le territoire français parl’émergence de nouvelles formes de collabo-ration intercommunale comme par lestransferts de compétences et de ressourcesliés au processus politique de décentralisa-tion et de régionalisation amorcé à l’oréedes années 80.La plupart de ces outils, d’ailleurs, du

PIDAF 2 (1980) au Plan de développement demassif ou à la Charte forestière de territoire(2001), ont à l’évidence été conçus pour cesnouvelles échelles intercommunales (FORÊTMÉDITERRANÉENNE, 2006). Il apparaît doncparticulièrement pertinent de s’interroger àrebours sur la manière dont les probléma-tiques de la forêt méditerranéenne ont étéprises en compte dans les politiques locales,au fil des multiples recompositions territo-riales, d’échelle et de nature différente,qu’ont connues les espaces ruraux méditer-ranéens au cours du dernier demi-siècle. Enla matière, le haut Languedoc héraultaisfournit un cas d’espèce intéressant : ces« hauts-cantons » du département del’Hérault, arrière-pays fragmenté auxmarges du domaine méditerranéen, ont eneffet expérimenté la quasi-totalité des formespossibles de l’intercommunalité, héritant aupassage, à la faveur de l’intégration dans unParc naturel régional, de cette étiquettegénérique de « haut Languedoc », à la perti-nence historique discutable. Le«millefeuille » territorial semble donc parti-culièrement épais dans cet espace oùl’intensité de la déprise agricole s’est tra-duite par une croissance spectaculaire destaux de boisements, par reconquête sponta-née ou par plantations, généralement rési-neuses : la part de la forêt sous toutes sesformes y excède souvent les trois quarts de lasurface globale, et le processus d’extensiontend aujourd’hui encore à se poursuivre.

Le haut Languedoc héraultaiset les processusde territorialisationOn distingue généralement trois stades

dans la mise en œuvre de l’intercommuna-lité, qui vont de la simple collaboration tech-nique entre communes, parfois qualifiée« d’intercommunalité de services », jusqu’àdes formes plus intégrées, qui voient

aujourd’hui les communes se dessaisir pro-gressivement d’une partie de leurs compé-tences — et de leurs ressources — au béné-fice de l’échelon supérieur de regroupement.L’ampleur des tâches d’aménagement du

territoire auxquelles se trouvaient confron-tées en haut Languedoc des communes demoyenne montagne souvent étendues, àl’habitat plutôt dispersé, appauvries par ladéprise et l’exode rural, les a poussées relati-vement tôt à coopérer au plan technique enunissant leurs forces au sein de différentesformes de syndicats intercommunaux, SIVU,SIVOM ou syndicats mixtes 3. Bien que lespremiers existent depuis la fin du XIXe

siècle, institués par la loi du 22 mars 1890,c’est surtout après-guerre que cette coopéra-tion s’est développée, en relation avec lesnécessités de l’électrification et del’adduction d’eau potable d’abord, puis par lasuite de la collecte des déchets ménagers, del’assainissement, de l’information touristiqueou de la gestion de certains services (trans-port scolaire, cantines…) et de certainsespaces (lacs, massif, berges de rivières…).La plupart des communes appartiennentainsi généralement à plusieurs syndicatsintercommunaux, à géométrie variable selonles compétences qui leur ont été attribuées(DÉRIOZ, 1996). Aucune de ces compétencesne se rapporte d’ailleurs de manière expliciteaux questions forestières, au-delà des ouver-tures de pistes dont ces syndicats ont àl’occasion pu porter la maîtrise d’ouvrage, ouencore de l’entretien des ripisylves, à des finsde gestion hydraulique, assumé par les syn-dicats mixtes gestionnaires des berges descours d’eau (Syndicat mixte de la vallée del’Orb, par exemple). Mais il n’en convient pasmoins de souligner le rôle fondamental jouépar ces multiples structures dans le lentapprentissage, à la fois administratif, tech-nique et culturel, de la coopération et de laréflexion intercommunale.Compte tenu des enjeux en matière de

développement local, dans un espacedéstructuré par l’exode rural et la crise desactivités traditionnelles (agriculture, mines,industrie textile), l’engagement collectif dansles différentes formes de « l’intercommuna-lité de projet » (deuxième stade) a aussi étéassez précoce en haut Languedoc, quoiqued’abord à l’instigation des services de l’Etat :dès 1971, un large secteur regroupant lescantons du centre du département(Clermont-l’Hérault, Gignac) et l’ensembledes hauts-cantons (Cf. carte 1) — Lodévoisexcepté — a fait l’objet d’un PAR (Plan

144

2 - Plan Intercommunalde Débroussaillement et

d’AménagementForestier (PAFI en

Languedoc-Roussillon) ;mis en place par une cir-culaire interministérielle

du 15 février 1980 etconçu de manière privilé-

giée autour des problé-matiques de la forêt

méditerranéenne, il a enquelque sorte servi de

laboratoire pour la ges-tion concertée des mas-sifs, et préfigure PDM etCFT, l’un et l’autre issus

de la loi forestière dejuillet 2001.

3 - SyndicatIntercommunal à

Vocation Unique etSyndicat Intercommunal

à Vocation Multiple(autorisé par une ordon-

nance du 20 janvier1959.) Le syndicat mixte,qui permet d’association

des communes auxdépartements ou à

d’autres établissementspublics locaux, et a pu

aussi – comme les SIVOM– servir de support à desdémarches intercommu-

nales plus ambitieusesque la simple collabora-tion technique, est issud’un décret du 20 mai

1955.

Page 3: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

145

d’aménagement rural) piloté par la Directiondépartementale de l’agriculture (Cf. carte 2) ;ce dispositif, qui « inaugurait une vision nou-velle (parce que globale) du style de dévelop-pement qu’il convenait d’appliquer à l’espacerural » à l’échelle d’une « petite zone homo-gène » (SOULIER, 1977), n’a pas laissé beau-coup de traces en haut Languedoc, comptetenu de son caractère principalement incita-tif et de la médiocrité des moyens qui luiétaient alloués, mais il préfigurait pour leshauts-cantons la création, deux ans plustard, de l’un des premiers Parcs naturelsrégionaux de France (PNR) (Cf. carte 3).

Né en 1973 de la volonté politiqueconjointe de quelques conseillers générauxdu secteur et des sous-préfectures du Tarn etde l’Hérault, le PNR du haut Languedoc aconnu une histoire assez chaotique, double-ment marquée par la méfiance originellequ’il avait commencé par susciter au sein dela population et des élus locaux, redoutantque sa mission de protection ne vienneentraver la pratique de la chasse ou laliberté de bâtir, et par les tensions politiquesrécurrentes engendrées par son caractèretransdépartemental et transrégional(DÉRIOZ, 1997). Un temps menacé dans sonexistence même par le retrait des deuxrégions de son fonctionnement — et dufinancement de ses actions — le PNR a fina-lement obtenu en 1999 le renouvellement deson label, sur la base d’une nouvelle charteet sur un territoire sensiblement élargi 4,pour replonger illico dans une nouvellepériode de turbulences à l’issue des électionsrégionales de 1998. Depuis, le basculement àgauche de la Région Languedoc-Roussillonen 2004 ayant, du moins en théorie, rappro-ché les points de vue des deux régions et desdeux départements 5 à son endroit, le PNRs’apprête à évaluer son action et à remettresa charte sur le métier, pour tenter d’obteniren 2009 un deuxième renouvellement de sonlabel.

Tout au long de cette histoire complexe,dont les péripéties répétées n’ont guèrecontribué à lever les doutes initiaux deshabitants et des élus au sujet de l’efficacitéet de la consistance territoriale du PNR,d’autres structures ont vu le jour. Dès 1979,la plupart des communes de l’Ouest héraul-tais se sont également regroupées autourd’un « Contrat de Pays » (1979) animé par unsyndicat mixte, qui a ensuite porté une« Charte intercommunale dedéveloppement » (1984). Matérialisé parl’existence d’une « maison de Pays », capable

d’assumer des maîtrises d’ouvrage, doté d’unbudget comparable à celui du PNR et fortd’une trentaine d’emplois répartis entre sesdifférents services d’aide et de conseil, le« Syndicat mixte du Pays de Saint-Pons,Somail, Espinouse, Caroux » a conduit denombreuses missions, dans des domainesaussi différents que l’emploi et la formation

4 - 70 communesen 1973, dont 28 dansl’Hérault, contre 93communes en 1999,dont 46 dans l’Hérault.

5 - Dorénavant tous sousle contrôle du PartiSocialiste.

Page 4: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

professionnelle (Service emploi, PLIE 6),l’aide sociale (crèche et halte-garderie), lestransports scolaires, l’amélioration de l'habi-tat (OPAH) 7, le soutien aux entreprises (ate-liers-relais), et l’aide à la création de struc-tures privées ou publiques d’hébergementtouristique... C’est ainsi le syndicat mixtequi a conduit l’opération qui a abouti à la

mise en exploitation de l’eau de La Salvetatpar le groupe Evian. En association avec lePNR, il est aussi à l’origine d’un « Paysd’accueil du haut Languedoc Héraultais »(1985), dont les deux structures ont assurél’animation à tour de rôle (Cf. carte 5). Avecun temps de retard, les communes des sec-teurs voisins n’ont pas été en reste, et ontégalement constitué des territoires de colla-boration autour d’autres chartes intercom-munales de développement, d’ampleur com-parable à celle du Pays de Saint-Pons, bienque seulement portées par des associationsde développement — ce qui ne leur conféraitpas la capacité d’assurer directement desmaîtrises d’ouvrage : 21 communes pour laCharte de la Haute Vallée de l’Orb, 25 pourcelle des Coteaux de l’Orb et du Vernazobre,et 13 pour celle du Minervois (Cf. carte 4).

Toutefois, si le « Pays d’accueil » n’est pasencore officiellement dissout, l’avènementrécent du « Pays haut Languedoc etVignobles » (Cf. carte 6) a conduit à engagerun processus de dissolution de ces différenteschartes et d’intégration de leurs missions 8 –et de leurs personnels – au sein de cette nou-velle entité issue des lois Pasqua (LOADT,1995) et Voynet (LOADDT, 1999), dont lamise en œuvre dans le département del’Hérault s’est effectuée de manière relative-ment tardive : aucun « pays-test » n’y avaiten effet vu le jour dans la deuxième moitiédes années 90. Approuvée en 2005, la Chartedu Pays haut Languedoc et Vignobles définitquatre orientations stratégiques, dont lestrois dernières lui confèrent un champd’intervention étendu, en matière de « valori-sation des productions économiques », de« maîtrise de l’aménagement de l’espace etde l’environnement », et d’ « offre demeilleures conditions de vie et d’activité ».La première, toutefois, insiste sur la néces-sité de « renforcer une identité commune »,pour un nouveau territoire qui compteaujourd’hui 89 communes et s’étend del’arrière-pays montagneux jusqu’à la plainelanguedocienne, selon une logique spatialeradicalement différente de celle qui avaitprésidé à la création du PNR : compte tenudu choix de certaines communes membres duPNR de ne pas adhérer au Pays, du faitqu’une large part des communes de piémontet de plaine incluses dans le Pays se trou-vent à l’extérieur du Parc, et des similitudesprofondes entre les chartes et les missionsdes deux structures, l’articulation des deuxterritoires et la définition de leurs champs decompétence respectifs sont loin d’aller

146

6 - Plan local d'insertionpar l'économique.

7 - OpérationProgrammée

d’Amélioration del’Habitat.

8 - Cette intégration està peu près effective

depuis septembre 2005.

Page 5: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

147

d’elles-mêmes. Une « convention d’harmoni-sation », sensée permettre de préciser lesmodalités de collaboration et répartir lestâches entre Pays et PNR sur la portion deterritoire commun, a été signée en juillet2006 entre ces deux instances territoriales.La logique de constitution du Pays, il est

vrai, interfère aussi avec le processus com-plexe et éminemment politique de constitu-tion des communautés de communes issuesde la loi ATR du 2 février 1992 : même sileur constitution et leur mise en route a prisun certain temps en haut Languedoc, elles setraduisent peu à peu par le transfert effectifde certaines compétences communales versl’échelon supérieur communautaire, et repré-sentent donc une étape décisive dansl’intégration intercommunale (troisièmestade) (Cf. carte 7). Les différentes chartesde développement évoquées plus hautauraient pu servir de base à ces regroupe-ments, mais, en dépit des habitudes decoopération antérieures, leurs communesmembres n’ont nulle part choisi de pousserplus avant la démarche d'intégration dansun cadre territorial aussi étendu (DÉRIOZ,1997) : les noyaux initiaux des communautésde communes constituées à partir de 1993ont pour la plupart retrouvé une base canto-nale plus ou moins élargie, qui consacrel’importance de cet échelon territorial, etcelle du personnage du Conseiller général.L’adéquation est ainsi parfaite entre le can-ton de Saint-Pons-de-Thomières et la com-munauté de Communes du Pays Saint-Ponais ; la Communauté de communes duMinervois, à la gestation longue et difficile,élargit l’assise cantonale qui était déjà cellede la charte intercommunale du Minervois(canton d’Olonzac) à deux communes du can-ton voisin. A quelques communes près, lescantons d’Olargues et de Saint-Chinian sontégalement unifiés par des Communautés decommunes, tandis que celle de Faugères estassez exactement calquée sur l’extension dusyndicat de cru de l’appellation d’origine viti-cole, comme celle des Monts d’Orb retrouvepour partie l’aire de l'ancien bassin minier deGraissessac.Autour des deux villes rivales de

Bédarieux et Lamalou-les-Bains enrevanche, le processus de constitution n’estpas encore achevé, laissant pour l’heure descommunes isolées – dont Bédarieux – ou descommunautés résiduelles vouées à dispa-raître à brève échéance, à l’image de celle deCombes et Taussac, qui compte seulementdeux communes et 617 habitants. A

l’inverse, la Communauté de communes dela Montagne du haut Languedoc, la premièreà avoir été formée, n’a cessé de s’étendredepuis 1993 : initialement constituée dequatre communes, dont les trois du cantonde La-Salvetat-sur-Agout, elle a d’abord inté-gré ses deux voisines tarnaises, égalementriveraines du lac de la Raviège, puis troiscommunes montagnardes orientales, dont leterritoire couvre une bonne partie du Massif

Page 6: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

du Caroux, fleuron de l’attractivité touris-tique du haut Languedoc.L’entrelac des territoires apparaît ainsi

bien enchevêtré, d’autant que certainesCommunautés de communes, pour des rai-sons différentes, ont préféré ne pas adhérer àla charte du Pays : c’est notamment le cas decelle de la Montagne du haut Languedoc,mais aussi celui de la Communauté de com-munes des Sources, constituée autour deLamalou-les-Bains, seule municipalité àavoir, par ailleurs, refusé de ratifier lacharte du PNR. Toutefois, quelle que puisseêtre la complexité des stratégies politiques àl’œuvre, la multiplicité des entités ne doitpas complètement faire illusion : la plupartde ces structures ont surtout joué un rôled’outil opérationnel et administratif, ettoutes n’ont pas « fait territoire », au sensplein et entier du terme, c’est-à-dire n’ontpas donné naissance à une appropriation col-lective durable de la part de la population(DI MEO, 1998). De surcroît, ce sont souventles mêmes personnalités que l’on retrouve àleur tête.

La question de la forêt :une question incontournable ?Si la diversité des physionomies forestières

du haut Languedoc est incontestable – diver-sité dans les stades de croissance, diversitébio-climatique et édaphique dans un espace

ouvert aux influences méditerranéennes etatlantiques qui s’étage entre 150 et 1100mètres d’altitude, diversité dans les modesde boisement, plantations ou accrus –, sonpoids spatial ne l’est pas moins : le taux deboisement représente plus de 70% de lasuperficie globale du PNR du hautLanguedoc (second PNR le plus boisé deFrance), il est de l’ordre de 80% pour le terri-toire de la Communauté de communes de laMontagne du haut Languedoc, où agricul-ture et élevage tiennent encore une placeimportante, et il avoisine même les 90% dansle canton de Saint-Pons-de-Thomières. Lespaysages du haut Languedoc sont donc enpremier lieu, très majoritairement, des pay-sages forestiers.

Comme en témoignent les paysagesouverts des cartes postales du début – oumême du milieu – du XXe siècle, cette omni-présence de la forêt représente en définitiveun phénomène assez récent, dontl’affirmation est à peu de choses près conco-mitante de la constitution des entités territo-riales qui viennent d’être évoquées. Elledécoule principalement du recul spectacu-laire des activités agro-pastorales, victimesde leurs fragilités structurelles (émiettementfoncier, faible degré de spécialisation…) etsurtout des handicaps inhérents à lamoyenne montagne méditerranéenne (pente,sols peu profonds et peu fertiles, manqued’eau…) 9 (DÉRIOZ, 1994), recul amorcé dèsl’entre-deux-guerres mais fortement accéléréau cours des années 60-70. D’abord à l’œuvredans les terroirs les moins favorables et lesvallées les plus reculées, au cœur des Avant-Monts ou dans le Massif du Caroux, cettedéprise se lit aujourd’hui sur les versants àproximité immédiate des villages principaux,où la friche continue à gagner sur lesanciennes prairies de fauche, les vignes arra-chées ou les vergers en déshérence. Maisronces, genêts et prunelliers ne durent qu’untemps, variable selon la position des par-celles, leur environnement végétal et lesinterventions anthropiques (pacage occasion-nel, par exemple) : le stade de la friche, quis’accompagne souvent d’un niveau élevé debiodiversité, a très souvent cédé la place àdes accrus forestiers, qui aujourd’hui encorecontinuent à gagner du terrain, sous formesde taillis de chênes verts, longtemps presquemonospécifiques dans les Avant-Monts, oude hêtraies-chênaies plus ou moins mélan-gées de pins au dessus de 800 m d’altitude(Cf. photos 1 et 2). A ces peuplementss’ajoutent les taillis de châtaigniers, en peu-

148

9 - Même si, d’une part,agriculture ou élevageont mieux résisté dans

certains secteurs(vignobles AOC du

Minervois, du Saint-Chinianais ou du

Faugérois, élevagesbovins-viande ou ovins-

lait du « rayon » deRoquefort autour de La-

Salvetat-sur-Agout…), etsi, d’autre part, peuvent

exister ponctuellementdes phénomènes inverses

de « reprise », réouver-ture de parcours pasto-raux ou rénovation de

châtaigneraies.

Page 7: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

149

plement plus ou moins purs, issus del’abandon quasi généralisé de la châtaigne-raie fruitière et des « broutades » (taillis) quifournissaient les exploitations en piquets,tuteurs et bois de charpentes (Cf. photo 3).

Outre cette réinstallation spontanée de laforêt sur les espaces livrés à eux-mêmes, lestaux de boisement contemporains doiventaussi beaucoup aux efforts de plantationaccomplis tout au long du siècle dernier,d’abord par l’Etat, puis, après-guerre sur-tout, par les communes et par les particu-liers. Aux premiers reboisements RTM(Restauration des terrains en montagne) surles pentes (Cf. photo 4) s’ajoutent sur la lignede crête principale des Avant-Monts, sur lerebord du plateau du Somail ou sur les hau-teurs de l’Espinouse, de vastes superficiesplantées, principalement en essences rési-neuses, au sein desquelles dominent les épi-céas, qui avec près de 6000 ha représententplus du quart des peuplements dansl’ensemble Somail-Espinouse (Cf. photo 5),alors que pins noirs, pins Laricio et douglasl’emportent dans les surfaces enrésinées desAvant-Monts, où les feuillus restent trèsmajoritaires.

Qu’il s’agisse des accrus forestiers, desreboisements en « timbre-poste » de la valléedu Jaur ou des vastes étendues plantées d’unseul tenant de l’Espinouse, la forêt apparaîtdonc d’abord comme le résultat de la dépriseet de l’exode rural, presque comme le négatifde l’occupation humaine : « ici, vous savez, çasent le sapin… », me disait au début desannées 90 un élu de la vallée du Jaur, inter-rogé sur les perspectives d’avenir de sa com-mune, et qui associait dans cette formule savision très pessimiste de l’évolution écono-mique et démographique de la vallée, et saperception de l’extension spectaculaire dessurfaces boisées au fur et à mesure de ladéprise. Si elle ne sont pas exclusivementnégatives, les représentations que les habi-tants du haut Languedoc se font de cetespace sont ainsi pour le moins ambiguës :dans la mesure où le développement localsemble passer par la sauvegarde des activi-tés traditionnelles, notamment agro-pasto-rales, et par celle de paysages diversifiés etouverts, attrayants pour les touristes, la pre-mière question qui se pose, au delà de cellede la prévention et de la lutte contre les feuxde forêt, est sans doute celle de la préserva-tion des milieux ouverts qui subsistent(landes, prairies, tourbières et zones culti-vées), alors même que se manifestent tou-jours de puissants processus de boisement

Photo 1 :La chênaie verte des Avant-Monts, ici sur le versant sud, en amont des Gorgesdu Briant (commune de Vélieux). A l’exception d’une étroite bande de châtaigniers(centre photo) le caractère monospécifique du peuplement reste très affirmé, alorsque le processus de colonisation par les chênes pubescents est nettement plusaffirmé en versant nord. Zébré par une piste de desserte relativement récente,la parcelle en triangle qui occupe le centre du cliché montre les premiers tempsde la régénération après coupe rase, et témoigne de l’exploitation relativementactive de ces peuplements en bois de feu, dès lors qu’ils sont accessibles.

Photo 2 :L’arête de la « Dent du Chat », au dessus de Pestous (Forêt domaniale del’Espinouse), avec en toile de fond l’aval de la vallée du Jaur et les hautes collines desAvant-Monts. La dominante est encore celle d’une lande à callune et genêt purgatif,héritée d’un usage en tant que terrain de parcours pour des ovins, aujourd’huicomplètement révolu. Mais la large ouverture du paysage est à terme menacéepar un processus rapide de colonisation par les pins, bien visible sur le cliché. Cetterétraction progressive des milieux ouverts contribue également à réduire les res-sources trophiques disponibles pour la population de mouflons, implantée vers 1960dans le Caroux voisin, et qui fréquente également cet espace (Dérioz & Grillo, 2006).

Page 8: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

spontané – ils sont à l’œuvre jusque sur leslandes et les tourbières du plateau duCaroux, haut lieu de la randonnée dans ledépartement et principal secteurd’attractivité touristique.La problématique forestière, toutefois,

dépasse largement cette seule question,compte tenu de la variété des fonctions etdes usages des superficies boisées du hautLanguedoc. Comme la plupart des forêtsméditerranéennes, elles servent de cadre àde nombreuses activités qui relèvent des loi-sirs et du temps libre, dont certaines, fonda-mentalement ubiquistes, concernent aussid’autres milieux, alors que d’autres appa-

raissent plus spécifiquement forestières. Aunombre de ces dernières, la chasse au san-glier en battue, pièce maîtresse de la sociabi-lité locale (MEILHAC, 1997), et la cueillettedes champignons, qui attire en sous-bois desramasseurs locaux – au sens large – et desramasseurs forains venus des aires urbainesvoisines (plaine languedocienne et audoise,agglomération toulousaine) (DÉRIOZ, 1997).Les deux activités ont en commun le prélève-ment d’une ressource dans le milieu fores-tier, qui peut dans les deux cas représenterune source de revenu, tout particulièrementen ce qui concerne la cueillette des cèpes – lesuccès de l’épicéa dans les reboisements duSomail n’est d’ailleurs pas indépendant de laproductivité mycologique du sous-bois desjeunes pessières. Mais les territorialités sym-boliques élaborées par les chasseurs, collec-tives, exclusives, attachées à l’espace dechasse compact et délimité reçu en partagepar chaque « diane 10» au sein des ACCA, dif-fèrent profondément des appropriations ter-ritoriales plus individuelles, secrètes, spatia-lement discontinues – un réseau decheminements à la géométrie variable joi-gnant un archipel de « coins » – , qui caracté-risent les « champignonneurs ». Ces territo-rialités symboliques se superposent pourtantles unes aux autres, comme elles interfèrentavec celles, encore différentes, qu’engendrentles autres pratiques ludiques de la forêt, quivont du simple pique-nique à l’ombre deslisières – l’année de la canicule a amplementdémontré l’attrait sur les estivants et lescitadins du bas pays de la fraîcheur des sous-bois des hauts-cantons –, à la randonnéesous toutes ses formes (pédestre, équestre eten VTT) et, sur les pistes, aux « sports méca-niques » (4X4, quad, trial).Le multiusage traditionnel de la forêt

méditerranéenne a ainsi changé de natureen changeant d’échelle, même si certaines deses composantes majeures, notammentchasse et cueillettes, sont toujours bien pré-sentes : autrefois réservé à la populationlocale, à des fins d’abord utilitaires, ilconcerne aujourd’hui autant les habitants du

150

Photo 3 :Jeune taillis

de châtaignier, communede Pardailhan (Avant-

Monts). Les châtaigniersreprésentent encore

quelque 12 000 ha dansles Avant-Monts et les

Monts d’Orb, le plussouvent sous forme de

taillis, dont certains sontissus de l’abandon et de

la disparition d’ancienneschâtaigneraies fruitières.

Bien que cespeuplements se trouvent

en bonne part livrésà eux-mêmes, ils font

l’objet dans certainssecteurs (commune

de Courniou notamment)d’une exploitation

régulière pour fournirdes piquets et des

tuteurs, dont les originesremontent à l’époque

gallo-romaine.

Photo 4 :Les arbres tourmentés de la hêtraie RTM en aval descascades du Saut de Vesoles, dans les gorges duBureau (commune de Riols, Forêt domaniale duSomail). Amorcés dès le XIXe siècle, les travaux dereboisement des Eaux et Forêts sont allés de pair avecl’aménagement touristique progressif de ce site spec-taculaire (construction du sentier des « 1000marches » (devenu le GR 77), d’un belvédère(1937)…) (Béringuier & al., 2005).

10 - Equipe de chasseen battue au sanglier(ACCA : Association

communale de chasseagréée).

Page 9: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

151

territoire que des visiteurs plutôt citadins,dans le cadre d’activités à dominanteludique, même si les cueillettes marchandesrestent importantes et peuvent être le fait degens du cru comme de cueilleurs extérieurs.De toute évidence, la prise en compte de cespratiques multiples d’un même espace fores-tier, qui participent puissamment del’attractivité touristique de l’arrière-pays,mais également la gestion des concurrenceset des conflits d’usage qui naissent inévita-blement de l’augmentation du nombre despratiquants et des problèmes de compatibi-lité entre modes de fréquentation, contri-buent donc à faire de la forêt un enjeu depremier plan.Au-delà de leurs aspects bénéfiques, ren-

forcement et diversification de la « fonctiond’accueil » de la forêt du haut Languedocposent d’ailleurs de surcroît la question deleur articulation avec ses autres fonctions :pour certains secteurs de pente, en particu-lier sur le rebord méridional du Somail, del’Espinouse et du Caroux, où la forêt joueaussi depuis la fin du XIXe siècle un rôle deprotection et de fixation des sols, et plusencore là où les milieux forestiers présententune richesse écologique ou une fragilité par-ticulières, reconnues par des mesures de pro-tection (réserves naturelles aux accès régle-mentés), le contrôle des flux de visiteurs poseparfois problème (VIAL & MALAFOSSE, 2004).Mais les pratiques de loisir ne font pas nonplus toujours bon ménage avec l’exploitationdes bois, dans un ensemble forestier certesdiversifié, mais où nombre de peuplementssont déjà à maturité.La qualité de beaucoup de boisements,

favorisés par de remarquables conditionsthermiques et pluviométriques qui autorisentdes productions ligneuses élevées, parfoisexceptionnelles 11, fait en effet aussi de laforêt du haut Languedoc une forêt exploitéeet productive. Surtout alimentée par lesforêts domaniales et les boisements deGroupements forestiers privés ou mixtes, larécolte y représente plus des deux-tiers decelle de l’ensemble du département, et larelative jeunesse des peuplements (souventmoins de cinquante ans) laisse prévoir uneaugmentation des tonnages à moyen terme,notamment en ce qui concerne les résineux.Les documents de la Communauté de com-munes de la Montagne du haut Languedoc(42 730 ha, boisés à 80%), tablent même surun pic de production de l’ordre d’un millionde m3 par an vers 2020. Pour la seule forêtdomaniale du Somail (5 164 ha), la produc-

tion de bois représente déjà quelques30 000 m3 annuels, autour du quart, peut-être, d’une production globale du hautLanguedoc héraultais en croissance continue,qui repose toutefois principalement sur lespeuplements du Somail, de l’Espinouse et del’extrémité orientale de la Montagne Noire.Pour autant, les chênaies d’Yeuse des Avant-Monts ne sont pas dépourvues d’intérêt éco-nomique sur le plan du bois énergie, toutcomme certains taillis de châtaignier dusillon Orb-Jaur font toujours l’objet d’uneexploitation régulière pour fournir piquets ettuteurs. En dépit de la faiblesse des filièreslocales de valorisation, et d’un certainnombre de problèmes structurels classiques –morcellement foncier, absence de motivationdes petits propriétaires…–, la forêt repré-sente donc en haut Languedoc une véritableressource économique, sur laquelle les poli-tiques de développement territorial pou-vaient difficilement faire l’impasse.

Echelles territorialeset questions forestièresL’examen des documents de programme des

différentes structures territoriales qui ont vule jour en haut Languedoc depuis une quaran-taine d’années, du moins celles dont les com-pétences ont été suffisamment larges,confirme bien la prise en compte précoce dupotentiel que représente la forêt, dans plu-sieurs champs distincts :– en tant que paysage de qualité et support

d’activités de loisir ;– en tant que source de revenu, grâce à la

production ligneuse, mais aussi parfois grâceà ses ressources annexes (champignons) ;– en tant que secteur économique suscep-

Photo 5 :Exploitation forestièreen forêt domanialedu Somail, à proximitéimmédiate du Centreforestier de Combesalatet de sa pépinièredomaniale, vers 960 md’altitude.

11 - Les potentialitésligneuses des forêtsdes petites régionsforestières « Somail-Espinouse »et « Montagne Noire »comptent parmi les plusfortes de la régionLanguedoc-Roussillon,et même de France en cequi concerne certainspeuplements de douglas(commune de Verreries-de-Moussans) (ArchivesDep./ODAC, 1998)

Page 10: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

tible de permettre la création d’emplois, ycompris vers l’aval de la filière.

Toutefois, les démarches préconisées pourdynamiser la filière ou améliorer la gestionforestière varient considérablement en fonc-tion de la structure considérée, de son échellespatiale d’intervention et de la date à laquelleobjectifs et programmes ont été élaborés.Ainsi la première charte du PNR (1973) secontente-t-elle de s’engager à ne pas entraverles opérations de reboisement etd’exploitation, après avoir souligné la vocationforestière de certains secteurs de son terri-toire et la source de revenus diversifiés quereprésente la forêt : « La forêt constitue nonseulement un attrait mais encore la forme demise valeur la plus adaptée à de nombreuxterrains et par là une source de revenusimportants pour de nombreux habitants duParc, grâce aux bois qu’elle produit, au gibierqu’elle nourrit et abrite, au tourisme qu’ellefavorise » (art. 25). Les pistes d’action prévuesse bornent à participer, par une démarched’information du public, à la protection desforêts, et à « l’aménagement touristique » desforêts domaniales.

Un quart de siècle plus tard, la charte réno-vée de 1999, si elle reconnaît aussil’importance stratégique de l’économie fores-tière, fait dorénavant de la préservation de «l’équilibre entre la forêt et les espaces agri-coles et naturels » (ouverts) son « objectif envi-ronnemental premier ». La charte préconiseainsi plutôt la mise en œuvre d’un « projetsylvo-environnemental de référence (…) com-binant des objectifs de production et de valori-sation par la qualité de la ressource en bois, etde gestion environnementale de la forêt », éla-boré en concertation avec l’ensemble des par-tenaires concernés : outre la volonté affirméed’encourager l’usage du bois sur le territoiredu Parc, l’appui à la filière repose essentielle-ment sur une démarche — peu explicitée —d’identification (provenance) etd’écocertification (qualité et garanties envi-ronnementales) des produits forestiers, regar-dés comme autant d’arguments au plan com-mercial. Mais les turbulences politiques danslesquelles est retombé le PNR entre 2000 et2005 ne lui ont guère permis de concrétiserles déclarations d’intention de la Charte, et laplace éminente qu’elle réservait aux enjeuxforestiers ne se retrouve pas vraiment dans leProjet de contrat territorialisé pour le PNR duhaut Languedoc (2002), ni dans le premierdocument de programme qui le prolonge :« Valoriser la production forestière et le boisen haut Languedoc » constitue seulement le

troisième axe d’intervention d’un projet qui encompte quinze, répartis entre trois enjeuxmajeurs 12. Sur 59 projets recensés pour la pre-mière année de programmation, trois seule-ment ont trait à la forêt, dont une expositionsur le bois-énergie et une étude de valorisa-tion de la filière bois dont les maîtresd’ouvrage sont deux communautés de com-munes et la « Maison de la forêt et du Tarn »portée par la coopérative FORESTARN. Enl’absence d’un chargé de mission « forêt » spé-cifiquement en charge de ces questions dedéveloppement au PNR, ce dernier ne par-vient pas non plus à jouer un rôle décisif enmatière d’animation, en dépit des conventionssignées dans les deux départements avec laforêt publique et la forêt privée et del’ambition nouvelle (2006) de mettre en placeune Charte forestière de territoire (CFT).

Le même décalage entre déclarations deprincipe et réalisations concrètes et le mêmedéficit en personnel d’animation aux missionsfocalisées, au moins partiellement, sur lesenjeux forestiers, peuvent s’observer àl’échelle territoriale des Chartes intercommu-nales de développement. Prenant appui surune étude de 1985 (« propositions d’actionspour la filière bois »), le contrat d’objectifs1986-88 de la Charte de développement etd’aménagement du Pays de Saint-Pons,Somail, Espinouse, Caroux (28 communes àce moment-là), affirme ainsi pareillementl’intérêt majeur de la ressource forestière 13, etsemble dessiner un projet aux contoursfermes, en déclinant les actions envisagéesautour de trois axes stratégiques : valorisa-tion de la forêt paysanne (autofourniture debois d’œuvre pour les exploitants et améliora-tion technique par débardage au câble etusage d’une scierie mobile collective), rationa-lisation du secteur « artisanal » (exploitantsforestiers et scieurs locaux) au plan techniqueet au plan commercial, prospection sur lesdébouchés industriels (déroulage de châtai-gnier et de Douglas, promotion des maisons àossature bois). Mais il s’agit là encore surtoutd’animation, de sensibilisation,d’expérimentation, de prospection… Le pro-gramme de plantation de feuillus nobles, lavolonté de « consolider le tissu local des entre-prises » de la filière bois et de « susciterl’implantation d’unités industrielles valori-sant la production », affichés par le documentd’objectif de 1993 ne débouchent guère davan-tage sur des réalisations concrètes, pas plusque l’étude pointue dédiée à la question dubois-énergie (1994) ne suffit à enclencher laréalisation du projet saint-ponais de chauffe-

152

12 - Les enjeux forestiers(bois énergie) se retrou-

vent toutefois égalementdans l’axe 5, qui a traitaux énergies renouve-lables, inséré comme

l’axe 3 dans l’enjeu n°1(« Valorisation des res-

sources naturelles »).

13 - « Les ressourcesnaturelles les plus

évidentes et porteuses dedéveloppement potentiel

sont laressource forestière

(40 000 ha boisés sur80 000 ha du territoire

de la Charte) et laressource du « cadre

géographique »montagnard par rapport

au développementtouristique » (Contrat

d’objectifs 1988-1993,Syndicat mixte du Paysde Saint-Pons, Somail,

Espinouse, Caroux).

Page 11: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

153

rie-bois et de réseau de chaleur. « L’assistanttechnique spécialisé » dont le Syndicat mixteenvisage de solliciter les services n’est en défi-nitive pas recruté non plus. C’est encore enforêt que l’impact de ces programmes est leplus visible, sous la forme de pistes de débar-dage, de coupe-feux et d’aires de retourne-ment.

Quant au Pays haut Languedoc etVignobles, sa charte (2002) évoque très briè-vement la forêt au sein de son axe 2-3(« Valorisation des ressources naturelles »),notamment à propos de la production de bois-énergie. Le document « d’Elaboration d’un dis-positif d’évaluation de la Charte de Pays »(2003) ne consacre pas plus de trois lignes (etun tiers de fiche) aux objectifs en matièreforestière – « aider à améliorer la gestion desforêts, à accroître la compétitivité de la filière,promouvoir l’utilisation du bois, et à répondreen même temps au besoin croissant de lapopulation en espaces boisés » –, et il semblevouloir cantonner ses interventions audomaine de l’ouverture au public des espacesforestiers (« Le pays pourrait travailler surl’ouverture au public des espaces boisés »). Lanon-adhésion au Pays de la Communauté decommunes de la Montagne du hautLanguedoc, qui compte les boisements lesplus productifs et les plus rentables du dépar-tement, contribue probablement à la modestiede ses objectifs en matière forestière. L’étudeconsacrée par ETD (2006) aux relations entreChartes forestières de territoire et Paystémoigne d’ailleurs, à l’échelle de la Franceentière, d’une grande variété de situation : 20Chartes forestières de territoire sur 76 (26%)sont ainsi directement pilotées par des Pays,mais ces derniers peuvent aussi rester plus oumoins complètement à l’écart de la démarche.En haut Languedoc, la réflexion sur une CFTs’amorce seulement, et nous avons vu quec’est le Parc naturel régional qui l’engage – iln’en est, il est vrai, qu’au stade de la réflexionsur le cahier des charges de la mission, avantconsultation des cabinets d’études suscep-tibles d’assumer son élaboration.

Au regard des ambitions affichées, et del’affirmation réitérée de l’importance del’enjeu forestier, les résultats atteints par lesgrandes structures de coopération intercom-munale restent donc assez modestes, tout par-ticulièrement sur la dynamisation de l’aval dela filière. L’Etat et les collectivités territo-riales ayant assumé l’essentiel des aménage-ments de DFCI, les expériences les plus inté-ressantes de structuration de la filière ou devalorisation de la ressource ont plutôt été le

fait de communes innovantes mais isolées,comme celle de Courniou (canton de Saint-Pons-de-Thomières), à l’origine du premierGroupement forestier de France (1957),constitué pour valoriser des terres en déshé-rence (100 ha à la fin des années 50, plus de600 ha aujourd’hui). C’est également le cas dela commune de Fraïsse-sur-Agout (Canton deLa-Salvetat-sur-Agout), dont le souci constantde gestion rationnelle de la forêt communale,attesté par la réalisation, confiée à l’ONF,d’un Plan d’aménagement forestier 1997-2016, a débouché en 2003 sur la réalisationd’une chaufferie bois et d’un réseau de chaleurpour les bâtiments municipaux et quelquesbâtiments privés. Ce sont les sous-produits del’entretien par l’ONF des 902 ha de forêt com-munale qui fournissent le combustible en pla-quettes nécessaire au fonctionnement de cettechaudière de 450 kW, qui chauffe égalementles six gîtes touristiques à ossature bois édi-fiés en 2005 sous maîtrise d’ouvrage de laCommunauté de communes de la Montagnedu haut Languedoc, dont relève la communede Fraïsse. Lorsque l’on sait que cette com-mune est également parvenue, grâce à lacréation en 1975 d’une Association foncièrepastorale qui regroupe des parcelles commu-nales et privées, à sauvegarder 950 had’herbages et de terrains de parcours mis à ladisposition des éleveurs, en maintenant de lasorte un équilibre entre forêt et espacesouverts rare dans le secteur (BROSSARD, 1998),et qu’elle profite aujourd’hui des coupesd’affouage attribuées aux habitants pour fairede l’amélioration forestière par sélection desarbres à abattre, on obtient une illustrationrelativement saisissante des résultats quepermet d’obtenir en matière forestière unevolonté politique claire, constante et cohé-rente.

Dès lors, peut-être l’échelle la plus perti-nente en haut Languedoc sera-t-elle celle desCommunautés de communes, compte tenu del’intégration intercommunale et du processusde territorialisation poussés qu’entraîne leurconstitution : même si les objectifs générauxrestent à peu de choses près ceux définis, surle mode volontariste, par les structures précé-dentes — « développer une gestion multifonc-tionnelle et durable de la forêt », « améliorerles conditions d’exploitabilité de l’espace fores-tier », « faciliter l’extension et la créationd’entreprises », « valoriser le matériau boissous toutes ses formes » (2001) — la démarcheentreprise par la Communauté de communesde la Montagne du haut Languedoc sembletrouver davantage le chemin des projets

Page 12: Quelle place pour la forêt méditerranéenne dans le

concrets14, schéma de desserte forestière en1999, exposition « La Salvetat raconte saforêt » pour mobiliser la population locale surce thème en 2001, Plan de développement demassif en 2005-2006, confié à la coopérativede propriétaires forestiers FORESTARN etaux deux CRPF, Plan de massif DFCI confié àl’ONF (2005), ou encore emploi architecturaldu bois pour l’extension du Campotel deFraïsse-sur-Agout (2005). S’y ajoutel’acquisition en 2006 par la Communauté decommunes d’un site bien connecté au réseauroutier, sur lequel accueillir une zoned’activités de 10 ha dédiée au bois et auxénergies renouvelables, comprenant une pla-teforme de stockage et de commercialisationdes bois pourvue d’une unité de fabrication deplaquettes, qui figure en bonne place dans laprogrammation du pôle d’excellence rurale(PER), baptisé « FOREST »), dont la CCMHLest porteuse. Sans préjuger de l’avenir, il estdéjà possible de repérer dans ce petit terri-toire plusieurs des ingrédients del’opérationnalité : outre une volonté politiqueclairement affirmée, on y retrouve le souci dela connaissance précise du territoire, illustrépar l’élaboration d’un diagnostic territorial(1995) ou la cartographie de la biodiversité,l’appréhension de la thématique forestièredans ses différentes dimensions (production,tourisme et loisirs), la constitution d’unréseau actif d’acteurs publics et privés, lerecours à du personnel d’animation qualifié(notamment en matière de bois-énergie), et lerecours à des leviers politiques et financiersqui relèvent d’autres échelles (Association descommunes forestières de l’Hérault (COFOR34) nouvellement créée, PNR, Départements,Régions, FNADT, ADEME etc.).L’échelle d’action paraît ici d’autant plus

pertinente que la CCMHL est attractive, ettend à s’étendre aux dépens de ses voisines :deux communes tarnaises limitrophes l’ontrejointe en 2000, imitée par les communeshéraultaises de Rosis et Castanet (2005), puiscelle de Saint-Julien-d’Olargues (2007). Maiselle correspond, il est vrai, à un territoire oùla part de la forêt dans les paysages, la qua-lité des peuplements et le nombre de camionsgrumiers sur les routes semblent avoir finipar convaincre de la réalité et de la consis-tance de ce secteur économique. Pour l’heure,les autres Communautés de communes duhaut Languedoc (St-Pons, Olargues…) sontloin d’avoir engagé des démarches de mêmenature.

P.D.

Eléments bibliographiquesArchives Départementales de l’Hérault / ODAC(1998) : Bois et forêts de l’Hérault, 131 p.BAZIRE P., GADANT J. (1991) : La Forêt en France,Les études de la Documentation Française, Paris,142 p.BERINGUIER P., DÉRIOZ P., LAQUES A.E. (2005)Glissements progressifs du regard sur des paysagesmutants, Actes du séminaire Enfa/ENITA/Géode"Observer, analyser et accompagner le changementpaysager et son appréhension", Toulouse, 9-10mars 2004, 17 p. + planches d’illustrations, articleconsultable sur http://www.enfa.fr/ACI/doc_pdf/13-Derioz.pdfBROSSARD C. (1998) : Paysages de qualité, situationfoncière et usages pastoraux dans une commune dela moyenne montagne héraultaise, Fraïsse-sur-Agout, mémoire de maîtrise Université MontpellierIII (A. Saussol & P. Dérioz dir.), 99 p.DÉRIOZ P. (1994) : Friches et terres marginales enbasse et moyenne montagne. Revers sud-est duMassif Central, Structures et dynamiques spatialesn°1, Université d'Avignon/Laboratoire S.D.S.,Thèse de Doctorat soutenue en 1993, 330 p.DÉRIOZ P. (1996) : Le développement local en quêtede territoire. Vingt-cinq ans d'expériences inter-communales en haut Languedoc héraultais,Montagnes Méditerranéennes n°3 (Séminaire CER-MOSEM "Les Pays en MontagnesMéditerranéennes : échelle d'avenir pour le déve-loppement territorial ?"), pp. 39-47.DÉRIOZ P. (1997) : Le Parc Naturel Régional duhaut Languedoc à la recherche d'un second souffle,Bulletin de la Société Languedocienne deGéographie, tome 31, fasc. 3-4, "Les parcs naturelsde France, un concept de développement territoria-lisé et environnemental à l'épreuve du temps", pp.159-173DERIOZ P. (1997) : Territoires, saisons, enjeux de laguerre des champignons en haut Languedoc, in "LaForêt, perceptions et représentations", L'Harmattan,pp. 331-340.DÉRIOZ P., GRILLO X. (2006) : Un demi-siècle deprésence du mouflon dans le massif du Caroux(Hérault) : de l’expérience naturaliste à la gestiondu territoire et à la valorisation de la ressource,Revue de Géographie Alpine n°4-2006, « La mon-tagne commeménagerie », pp. 27-45.DI MEO (1998) : Géographie sociale et territoires,Nathan Université, 317 p.E.T.D. (Entreprises Territoires et Développement)(2006) : Forêts et Territoires, « Les notes del’observatoire », ONF / FNCoFor / Ministère del’Agriculture et de la Pêche, 18 p., téléchargeablesur http://www.projetdeterritoire.comForêt Méditerranéenne (2006) : Les états Générauxde la Forêt Méditerranéenne, 232 p., notamment pp.153-160, Les lieux et les outils de la politique fores-tière méditerranéenne, débat.MEILHAC L. (1997) : Des terroirs aux territoires.Ethnographie des pratiques cynégétiques enCévennes, Thèse Doctorat Montpellier III.SOULIER A. (1977) : Eléments pour l’étude desformes d’organisation de l’espace rural : le cas del’arrière-pays languedocien, Bulletin de la SociétéLanguedocienne de Géographie, t. 11, fasc. 1, pp.121-139.VIAL R., MALAFOSSE F. (2004) : Diagnostic territo-rial du Massif du Caroux. PNR du hautLanguedoc, Mémoire de maîtrise Universitéd’Avignon (Dir. P. Dérioz), 127 p.

154

14 - Cf. présentationdétaillée de l’action de la

C.C.M.H.L. par F. Cros,dans ce même numéro.

Pierre DERIOZFaculté des Lettres et

des SciencesHumaines d'Avignon

et des Pays deVaucluse

UMR 5194 Pacte –Territoires – équipe

CermosemMél : pierre.derioz@

univ-avignon.fr