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QUE SAIS -JEexcerpts.numilog.com/books/9782130480020.pdfQUE SAIS -JE ? Athènes des origines à 338 av. J.-C. CHRISTIAN BONNET Professeur en Première supérieure au lycée Fustel

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Q U E S A I S - J E ?

Athènes des origines à 338 av. J.-C.

C H R I S T I A N B O N N E T

Professeur en Première supérieure au lycée Fustel de Coulanges (Strasbourg)

Docteur ès lettres

ISBN 2 13 048002 0

Dépôt légal — 1 édition : 1997, mars

© Presses Universitaires de France, 1997 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

INTRODUCTION

«J'affirme que notre cité dans son ensemble est pour la Grèce une vivante leçon.» Par cette phrase prononcée en 431 av. J.-C., à un moment où Athènes semble au sommet de sa gloire et à la veille même du grand désastre que va représenter la guerre du Pélo- ponnèse, Périclès résume en quelques mots les vertus de la cité dont il est stratège. Il la présente comme un exemple à suivre en tous points par les autres cités du monde grec, c'est-à-dire du monde civilisé. Si le ton du discours péricléen est évidemment partisan, il n'en reste pas moins qu'Athènes, cité puissante, cité où brillent les lettres et les arts, dispose alors des moyens de pouvoir prétendre servir d'exemple. La gloire pas- sée d'Athènes a longtemps fait rêver, depuis les hommes de la Renaissance jusqu'aux touristes des temps présents. Mais la brillante «civilisation» athé- nienne ne s'est pas construite en un jour. Des petites communautés dispersées dans la péninsule de l'At- tique au I I millénaire avant Jésus-Christ au peuple qui s'engage dans la guerre du Péloponnèse, des siè- cles se sont écoulés qui ont vu la naissance et l'orga- nisation d'une cité, baignés de légendes, précédant « l'invention de la démocratie ».

Faut-il rappeler que le monde grec antique, du VII au IV siècle av. J.-C., est un monde de cités ? La polis (cité) est à la fois un support géographique et un cadre civique qui lui donne précisément un contenu nettement « politique » : une « cité-État ». Et quand Aristote définit la polis comme « la communauté des

politai », il montre que le caractère civique l'emporte sur la notion géographique dans l'esprit des Grecs. Ces derniers ne conçoivent pas à cette époque d'au- tres formes harmonieuses de communautés humaines. Lorsque Aristote présente l'homme comme un «ani- mal politique », il reflète l'opinion de ses contem- porains qui assimilent cité et civilisation et n'éprou- vent qu'aversion pour les grandes monarchies centralisées.

La cité d'Athènes s'est développée dans le cadre de l'Attique, au sud-est de la Grèce, sur la mer Égée. Cette péninsule au relief heurté s'étend sur une superfi- c i e à p e i n e s u p é r i e u r e à 2 6 0 0 k m L e s h a u t e u r s c a l -

c a i r e s e t d é c h a r n é e s y t i e n n e n t u n e l a r g e p l a c e m a i s

l ' A t t i q u e e s t r i c h e e n r e s s o u r c e s m i n é r a l e s q u i o n t p u

ê t r e f o r t p r é c i e u s e s p o u r l e s A t h é n i e n s : p l o m b a r g e n t i -

f è r e d u L a u r i o n , à p r o x i m i t é d u c a p S o u n i o n , m a r b r e

d e l a c h a î n e d u P e n t é l i q u e . . . L e l i t t o r a l e s t à l ' o r i g i n e

p e u a c c u e i l l a n t p o u r l e s n a v i r e s , m a i s l e s A t h é n i e n s

s a u r o n t l ' a m é n a g e r e n f o n c t i o n d e l e u r s b e s o i n s . L e s

p l a i n e s s o n t p e u n o m b r e u s e s e t s o u v e n t i n h o s p i t a -

l i è r e s : c ' e s t l e c a s d e l a p l a i n e d e M a r a t h o n , s i t u é e s u r

l a c ô t e e s t d e l ' A t t i q u e , l a r g e m e n t m a r é c a g e u s e . S e u l e

l a p l a i n e q u i c o n s t i t u e l e s i t e d ' A t h è n e s , a v e c s e s c o l -

l i n e s ( L y c a b e t t e , A c r o p o l e , P n y x , c o l l i n e d e s M u s e s . . . )

e t s e s p e t i t s c o u r s d ' e a u ( I l l y s s o s , C é p h i s e ) , p e u t a p p a -

r a î t r e c o m m e u n e s p a c e r e l a t i v e m e n t f a v o r i s é d a n s

l ' A t t i q u e . L ' A c r o p o l e c o n s t i t u e à l a f o i s l ' o r i g i n e e t l e

c œ u r d e l a c i t é d ' A t h è n e s m a i s e l l e e s t r é s e r v é e a u x

d i e u x . L e s d i f f é r e n t s q u a r t i e r s d e l ' A t h è n e s a n t i q u e s e

s o n t d é v e l o p p é s a u t o u r d ' e l l e : S c a m b o n i d a ï , C é r a -

m i q u e q u i c o r r e s p o n d a u q u a r t i e r d e s a r t i s a n s . . . P u i s

v i e n n e n t l e s f a u b o u r g s e x t é r i e u r s c o m m e l e L y c é e o u

l ' A c a d é m i e . Q u a n t a u p o r t d u P i r é e , i l a é t é c r é é d e

t o u t e s p i è c e s a u d é b u t d u V s i è c l e e n f o n c t i o n d e s

n é c e s s i t é s s t r a t é g i q u e s ; i l s e r a r e l i é à A t h è n e s p a r l e s

L o n g s - M u r s f o r t i f i é s .

C'est donc dans ce cadre qu'Athènes, qui n'était pas prédisposée par la géographie à devenir une cité néces- sairement plus brillante que les autres, a connu un des- tin exceptionnel pendant quelques siècles. Des origines à 338 av. J.-C., trois périodes peuvent être nettement distinguées :

1 / Jusqu'à la fin du VI siècle av. J.-C. se produit la lente maturation qui, au terme des temps homériques puis des siècles obscurs, va caractériser la période archaïque dans l'ensemble du monde grec: naissance du monde des cités, révolution hoplitique, premières errances politiques. Athènes n'échappe pas à ces tur- bulences à travers les longs chemins qui l'amèneront à la naissance de la démocratie.

2 / D e la réforme de Clisthène, en 508 av. J.-C., au commencement de la guerre du Péloponnèse en 431, le monde grec en général et Athènes en particulier connaissent un véritable âge d'or. Il se marque dans un premier temps par l'affrontement et la victoire rempor- tée sur les forces «barbares», dans un second temps par un éclat exceptionnel de la civilisation, en particu- lier des lettres et des arts. Athènes a joué un rôle fon- damental dans la lutte contre le barbare : elle est désor- mais capable de s'imposer au cours de la « pentékontaétie », des cinquante années glorieuses qui vont de la bataille de Salamine aux premiers affronte- ments avec Sparte. Les réussites de la démocratie et l'éclat culturel d'Athènes contribuent à son prestige autant que sa force militaire.

3 / Du début de la guerre du Péloponnèse à la bataille de Chéronée (431-338 av. J.-C.), Athènes perd un à un tous les atouts qui lui avaient permis de briller de tous ses feux. A-t-elle présumé de sa puissance de façon excessive en engageant les hostilités avec Sparte ? Toujours est-il qu'elle ne se relèvera jamais vraiment du désastre de 404. Il est certes possible de discuter du fait de savoir si le IV siècle est une époque de déclin ou

La péninsule attique.

Source: G. Glotz, Histoire grecque, t. 1, Paris, PUF, 1 en 1926, réédité en 1986, p. 384-385. Collect. Dito.

bien de mutation avec ses heures de gloire et ses richesses culturelles. Au terme de multiples déchire- ments entre les cités grecques où Athènes est toujours partie prenante, la victoire remportée par Philippe de Macédoine à Chéronée, en 338 av. J.-C., met fin à l'in- dépendance d'Athènes et au régime de la cité.

Ascension, apogée, déclin : Athènes a-t-elle été régie par ce destin qui semble avoir été le lot de bien des civilisations brillantes ?

Source : C. Orrieux, P. Schmitt Pantel, Histoire grecque, Paris, PUF, coll. « Premier Cycle », 1996, 2 éd., p. 167.

Athènes à l'époque classique.

Chapitre 1

DES ORIGINES A SOLON

Les Athéniens croyaient à tort appartenir à une « race pure » ; pourtant il semble que l'Attique soit devenu un véritable creuset dès le I I I millénaire. Diffé- rentes populations sont arrivées d'Asie Mineure puis de la mer Égée : elles ont commencé à cultiver la vigne et l'olivier, à se livrer à des activités métallurgiques. Les invasions ioniennes sont survenues autour de 2000 av. J.-C. ; quant aux invasions doriennes, elles sont actuellement très controversées. Si elles ont bien eu lieu, à partir du XIII siècle av. J.-C., elles auraient été destructrices ailleurs en Grèce, mais pas en Attique.

I. — Les origines et le temps de la royauté

Au I I millénaire, l'Attique apparaît donc comme un ensemble de communautés sans réelle unité. D'ailleurs l'histoire d'Athènes à ses origines baigne plutôt dans une atmosphère de légendes : légende de Cécrops, à la fois dieu et serpent, premier roi d'Athènes ; légende de la lutte entre Athéna et Poseidon, une lutte ayant vu en définitive la victoire d'Athéna qui a offert l'olivier à Athènes ; légende d'Erichtonios, trouvé dans un panier avec un serpent, héritier de la puissance de Cécrops ; légende de Thésée enfin, connu pour son action en Crète mais aussi pour son accomplissement du synoécisme : c'est autour du IX siècle que les communautés de l'At-

font parfois les adeptes de théories relevant d'un égali- tarisme poussé à l'extrême.

Il reste à évoquer un événement essentiel qui se pro- duit à Athènes quelques années après la fin de la guerre du Péloponnèse : le procès et la mort de Socrate. L'ac- cusation portée contre Socrate est double : corruption des jeunes Athéniens, accusation d'impiété. Socrate mettrait en doute la religion de la cité et chercherait à introduire des dieux nouveaux : de fait, le « daimon » intérieur qui parlait à Socrate paraissait bien étranger aux divinités de la cité et prêtait ainsi le flanc aux accu- sations d'athéisme. Il n'est pas faux que Socrate ame- nait de nombreux jeunes à mettre en doute beaucoup de principes qui semblaient incontestables dans la cité. Il a été le maître de personnages très contestés comme Alcibiade ou Critias ; il est très mal vu des démocrates pour les critiques acerbes qu'il formulait envers les dif- férents aspects du système, mais aussi des oligarques pour avoir refusé de défendre le régime des Trente. Ainsi, parmi ses accusateurs, figurait un théraménien convaincu, très attaché aux traditions, le tanneur Any- tos. Son procès et sa condamnation à boire la ciguë (399) soulèvent bien des questions sur les limites de la liberté dans l'Athènes démocratique. La mort de Socrate a-t-elle été, écrira Platon, celle de «l'homme qui fut, en son temps, le meilleur, le plus sage et le plus juste » ? Faut-il en déduire comme Claude Mossé (La Grèce ancienne) qu' « avec la mort de Socrate s'an- nonce la fin de la démocratie athénienne»? Le débat demeure ouvert.

II. — L'évolution intérieure de la cité

Le V siècle athénien s'était caractérisé par un équi- libre social qui avait fait la force du régime démocra- tique incarné au premier chef par Périclès : une société certes loin d'être égalitaire mais où l'équilibre était

avant tout permis par l'existence d'une catégorie de paysans moyens propriétaires, ce qui excluait les ten- sions extrêmes. La politique impérialiste, les ressources qui en sont résultées ont favorisé la prospérité écono- mique et l'équilibre social à Athènes.

Au IV siècle tout est en pleine mutation. La dénata- lité sévit et le nombre de citoyens diminue. Il est vrai que l'économie monétaire se développe, mais aussi la spéculation et la hausse des prix. La ruine des paysans consécutive à la guerre du Péloponnèse accélère l'exode rural, qui se poursuit au IV siècle. L'écart se creuse entre les propriétaires et les paysans aisés d'une part, qui achètent les terres en vente, profitent de la hausse des prix et du développement des cultures maraîchères autour d'Athènes, et une petite paysanne- rie qui s'endette. Les activités artisanales à la ville connaissent une certaine stagnation et la production des mines du Laurion a du mal à reprendre. De la prospérité économique qui avait caractérisé le V siècle, on passe à une phase de stagnation.

De même l'évolution politique du régime démocra- tique va dans le sens d'une dégradation de la vie civique. L'Ecclésia paraît être devenue extrêmement puissante et le misthos ecclesiastikos, cette indemnité attribuée aux citoyens présents lors des séances de l'as- semblée, est augmentée à plusieurs reprises au cours du IV siècle. En réalité, le peuple est de plus en plus manipulé par les orateurs et les démagogues. Il n'existe pas au IV siècle de partis à proprement parler mais tout un système de clientélisme de plus en plus mar- qué, avec des hommes politiques influents, qui ont souvent la haute main sur les finances de la cité, et des jeunes gens ambitieux gravitant dans leur sillage ; ces coteries se transforment en général au gré des circons- tances, de la montée en puissance des uns et de la perte d'influence des autres. Les magistratures tendent à ne plus être annuelles et s'étalent dans le temps. Le merce-

nariat se développe au détriment du service militaire. Les luttes politiques s'accentuent ; elles opposent en particulier les démocrates impérialistes partisans du retour aux vieilles pratiques du temps de la Ligue de Délos et de la constitution d'une seconde Confédéra- tion maritime, et les plus modérés, en général dans les catégories aisées, qui dénoncent cette politique qui bénéficie surtout aux pauvres et s'opposent aux déma- gogues. De fait la reprise de la politique impérialiste athénienne, qui redevient possible après les défaites de Sparte à Leuctres (371) et de Thèbes à Mantinée (362), coûte cher aux Athéniens eux-mêmes car elle suppose un renforcement de la puissance de la flotte et la multi- plication des expéditions : les riches Athéniens sont écrasés par le poids de l'eisphora et de la triérarchie, pendant que les rameurs eux-mêmes désertent et s'en- gagent comme mercenaires. Après l'échec de la guerre des Alliés en 355, les pacifistes l'emportent ; ils sont soutenus notamment par Xénophon et Isocrate qui cri- tiquent vivement la démocratie et l'impérialisme. Le nouvel homme fort s'appelle alors Eubule, un jeune orateur qui s'interdit toute politique impérialiste en vue de reconstruire l'économie et les finances. La pres- sion des riches Athéniens, qui supportaient financière- ment le poids d'une politique belliqueuse, amène ainsi à des mesures d'assouplissement en leur faveur, parti- culièrement en ce qui concerne l'équipement des trières ou navires de guerre (triérarchie) qui était à leur charge. Eubule prit également des mesures pour favo- riser l'agriculture, relancer vigoureusement la produc- tion des mines du Laurion, lutter contre les fraudes et les gaspillages. Une nouvelle politique fiscale, qui se veut plus juste et plus rationnelle, est mise en place et le budget devient excédentaire. Les excédents sont ver- sés en particulier au théôrikon, la caisse des fêtes publi- ques qui permettait aux pauvres d'assister gratuite- ment au théâtre depuis Périclès mais qui sert de plus

en plus, sous l'impulsion d'Eubule, à l'assistance publique. Toutefois la politique pacifiste menée par Eubule, que ses ennemis traitaient à loisir de déma- gogue, pourrait-elle longtemps tenir face aux nou- veaux dangers qui apparaissaient à l'horizon ?

A partir de 349, en effet, le débat politique devient complètement dominé par le danger représenté par les ambitions de Philippe de Macédoine. Les inquiétudes s'amplifient, lorsque Philippe, à la suite de son échec aux Thermopyles, entreprend la conquête de la Chalci- dique et s'en prend à Olynthe, alliée d'Athènes. Les Athéniens sont totalement divisés : Eubule, Xénophon, Isocrate, l'orateur Eschine ne sont pas partisans d'un affrontement, ce qui ne signifie pas qu'ils soient parti- sans de la Macédoine. Le plus vigoureux partisan d'une résistance offensive des Athéniens est l'orateur Démosthène. Au départ, ce jeune homme passionné de législation et d'histoire s'était convaincu que la poli- tique pacifiste d'Eubule affaiblissait Athènes et a com- pris très tôt l'ampleur du danger venu du Nord. Il ne va avoir de cesse, dès sa 1 Philippique en 351, de dénoncer haut et fort les menées du roi de Macédoine et préconise une mobilisation de tous les Grecs face au danger. En même temps il écorche le système démocra- tique, fustigeant le dèmos tout en prétendant le défendre, se méfiant tant des riches, uniquement guidés par leurs intérêts, que des décisions de la masse. Dans les Olynthiennes, il préconise une intervention vigou- reuse d'Athènes pour aider son alliée assiégée ; tout au plus obtient-il l'envoi d'un corps expéditionnaire tar- dif, les Athéniens préférant réprimer la révolte anti- athénienne qui vient de se produire en Eubée. Cette intervention trop tardive n'empêche ni la chute ni la destruction d'Olynthe par Philippe (348). La dureté avec laquelle les habitants de cette cité avaient été trai- tés a ému les Athéniens, d'autant plus que certains d'entre eux avaient réussi à s'échapper et à gagner l'At-

tique. Les Athéniens étaient divisés face aux affronte- ments oratoires de plus en plus violents entre Démos- thène et Eschine. Ils adoptent des mesures pour renfor- cer la puissance de l'armée et de la marine d'Athènes, effectivement négligées depuis la fin de la guerre des Alliés, mais espèrent trouver un compromis avec Phi- lippe et ménagent Eschine pour ne pas mécontenter le roi de Macédoine. Mais lorsque Philippe entreprend la conquête de la Thrace (342), Démosthène réussit à sen- sibiliser définitivement les masses sur le danger que représente le roi de Macédoine pour les intérêts vitaux de la cité. Ses discours prononcés en 341, Sur les affaires de Chersonèse, la 3e et la 4 Philippiques, appa- raissent très belliqueux. Ses efforts pour réorganiser la triérarchie afin de renforcer encore la marine athé- nienne semblent efficaces à court terme. Mais Athènes avait-elle encore les moyens d'éviter le désastre qui se profile alors à l'horizon ? Le sursaut du dèmos athénien entre 342 et 338, suscité par Démosthène, n'est-il pas venu trop tard ? Par-delà les efforts d'Athènes, n'était- ce pas le régime de la cité lui-même qui était condamné ?

III. — Les derniers feux de la civilisation athénienne

Dès la fin du V siècle, le développement du sophisme puis les affirmations de Socrate n'avaient pas manqué de renouveler le débat philosophique. De nouvelles philo- sophies se répandent comme l'hédonisme et le cynisme. Mais la philosophie athénienne du IV siècle a aussi de grands noms. Platon (428-347 av. J.-C.), issu d'une illustre famille athénienne, s'intéressait à la politique mais ne chercha guère à y participer directement, peut- être pour avoir été marqué par la cruauté du régime des Trente et par la condamnation de Socrate. Il fonda en 387 l'Académie, qui apparut comme un établisse-

ment de science politique. Ses premières œuvres comme l' Apologie de Socrate, le Protagoras, le Gorgias font apparaître très tôt son goût pour la philosophie. Ses œuvres d'âge mûr (Le Banquet, La République...) et les plus tardives (Parménide, Phédon) contribuent à en faire un des plus grands philosophes de tous les temps. Pour Platon, politique et philosophie apparaissent

. indissociables et l'étude de la philosophie suppose au préalable une excellente connaissance des mathémati- ques. Il recherche volontiers les caractéristiques de la cité idéale mais apparaît extrêmement méfiant à l'égard de l'opinion commune et de la démocratie. Il distingue nettement le corps et l'âme, celle-ci partagée entre les passions et la raison, et il met en garde contre les illu- sions de l'apparence sensible. Ces illusions sont celles du corps alors que l'âme permet d'accéder aux idées, tout comme l'amour est une voie d'accès au beau ; la mort est le moment où se produit la séparation de l'âme par rap- port au corps qui est son tombeau. Platon se montre enfin extrêmement méfiant envers l'art, la rhétorique, la poésie symbolisée par une immense gloire telle qu'Ho- mère ; il redoute surtout de leur part un travestissement de la vérité.

Aristote est né en 384 à Stagyre en Chalcidique et mort à Chalcis en 322. Il est le fils d'un médecin, Nico- maque. Il a fait plusieurs séjours à Athènes où il a fondé le Lycée. Il a énormément écrit mais tout ne nous est pas parvenu. Outre ses œuvres à caractère philosophique et politique, il s'est beaucoup intéressé à la biologie, ce qui en fait un véritable esprit encyclopé- diste. Sa Physique comporte des traités à caractère scientifique dans des domaines aussi variés que l'astro- nomie, la météorologie, la biologie. Dans la Politique, il procède à l'analyse des différentes constitutions et leur dégénérescence. La Constitution d'Athènes, en même temps qu'elle est une source précieuse sur le plan historique, témoigne de son esprit de modération.

Xénophon (428-354), riche propriétaire athénien, est fasciné par Sparte au service de qui il a combattu, ce qui lui a valu d'être exilé d'Athènes pendant un certain temps. Il a pris également part à l'expédition des Dix Mille. Il a subi l'influence directe de Socrate envers lequel il fait preuve toutefois d'une certaine réserve. Il a écrit des œuvres économiques : L' Économique, une sorte de guide pour une bonne gestion de l ' Les Revenus pour une bonne gestion de la cité, en particu- lier en matière fiscale. Il est aussi l'auteur d'œuvres à caractère politique comme La République des Lacédé- moniens qui fait apparaître son admiration pour le régime spartiate. Enfin ses œuvres à caractère histo- rique plus marqué : les Helléniques qui semblent pro- longer La guerre du Péloponnèse de Thucydide; La Cyropédie, histoire du règne de Cyrus le Grand, le Grand Roi fondateur de la puissance perse envers lequel l'auteur éprouve une admiration non dissimu- lée ; l'Anabase, son œuvre sans doute la plus connue, est tirée de l'expérience qu'il a vécue lors de l'expédi- tion des Dix Mille.

Isocrate (436-338) a ouvert à Athènes une école d'éloquence en 393. Son œuvre principale est le Pané- gyrique (380) où il fait valoir la méfiance qu'il éprouve envers Sparte et où il préconise l'union des Grecs contre les Barbares. Bien avant Alexandre il estime que la conquête de la Perse par les Grecs est non seulement possible, à condition qu'ils soient unis, mais encore nécessaire. Démosthène apparaît plutôt comme le maître de l'éloquence : nous avons évoqué ses œuvres comme les Harangues ou les Philippiques, dominées par le danger macédonien.

Le théâtre demeure toujours essentiel dans la vie des Athéniens, mais les modes changent. De la même façon que la prose prend le pas sur la poésie, les tragé- dies n'ont plus vraiment la faveur du public, même si la création dans ce domaine ne semble pas se tarir. Un

certain nombre d'auteurs imitent en fait les grands noms de la tragédie au V siècle plus qu'ils ne créent personnellement. Après 350 le déclin est plus accusé et la tragédie recule dans les concours. L'heure est à la popularisation de la comédie, dont Aristophane (vers 445 - vers 385) apparaît toujours comme le grand maître. Après la fin de la guerre du Péloponnèse, il compose les dernières des onze comédies qui nous sont parvenues. Ainsi, dans L'Assemblée des femmes (392), il imagine de façon ironique ce que serait le pouvoir dans une société où l'Ecclésia aurait remis le pouvoir aux femmes.

Dans le domaine artistique enfin, Athènes paraît avoir perdu la position hégémonique qu'elle détenait au siècle de Périclès : l'élévation du Mausolée et la reconstruction de l'Artemision d'Éphèse semblent témoigner beaucoup plus nettement de l'esprit du siècle. Un grand nom athénien toutefois : le sculpteur Praxitèle, qui a vécu entre 390 et 330 environ. Ses sta- tues d'éphèbes ou de jeunes femmes frappent par la finesse des traits. Son Aphrodite de Cnide est l'un des premiers chefs-d'œuvre consacrés au nu féminin. Enfin l' Hermès attribué à Praxitèle, tenant Dionysos enfant et actuellement exposé au musée d'Olympie, est consi- déré comme un sommet de l'art classique tardif, le divin étant empreint d'une humanité profonde.

CONCLUSION

Il faut d'abord souligner la spécificité de l'expérience athénienne entre le VIII et le IV siècle av. J.-C. Athènes a inventé la démocratie, elle a su l'adapter à son époque et à ses mentalités, la faire évoluer en fonction des circons- tances. L'invention de la démocratie est le résultat d'une construction multiséculaire dont la maturation s'est faite à l'époque archaïque ; cette construction a été faite de tâtonnements, d'ajouts, de sérieuses remises en ques- tion aussi. Certes, les contemporains ont été divisés sur la valeur de la démocratie. Toutefois il faut bien admettre que la grande majorité des Athéniens y étaient attachés et que les interruptions puis la chute du régime démocratique ont eu des causes tout à fait extérieures. Mais Athènes antique ne se réduit pas à la démocratie. C'est aussi une civilisation brillante, en particulier dans le domaine littéraire et artistique, qui a marqué notre culture occidentale ; c'est encore la volonté de défendre la liberté en refusant la soumission au barbare. Mais le succès engendre souvent des excès : Athènes n'a pas échappé à la volonté de domination ; elle en a payé les conséquences en 404 et, dans une moindre mesure, en 355 et en 338. Toutefois le désastre de Chéronée a des causes qui dépassent très largement la politique athé- nienne. Le plus grand échec d'Athènes est peut-être de n'avoir pas su aider le monde grec à progresser vers l'unification en préservant les spécificités de ses diffé- rentes composantes. Philippe de Macédoine a su procé- der à cette marche à l'unification mais son mode de pen- sée et ses objectifs étaient tout à fait différents de ceux des Athéniens de l'époque classique.

B I B L I O G R A P H I E

I. — Sources

Utiliser notamment la collection Guillaume Budé, édition Les Belles Let- tres.

Aristophane, Comédies. Aristote, Politique ; La Constitution des Athéniens. Démosthène, Harangues ; Plaidoyers politiques. Hérodote, L'Enquête. Plutarque, Vies parallèles. Thucydide, La guerre du Péloponnèse.

II. — Le monde grec

Amouretti M.-C. et Ruze F., Le monde grec antique, Paris, Hachette, 1990.

Basiez M.-F., Histoire politique du monde grec antique, Paris, Nathan Université, 1994.

Carlier P., Le IVe siècle grec jusqu'à la mort d'Alexandre, Paris, Points, Seuil, 1995.

Finley M.-I., Les premiers temps de la Grèce, Paris, Flammarion, 1980. Glotz G., Histoire grecque, Paris, 1926-1939 (rééd. PUF, DITO, 4 vol.). Kaplan M. et Richer N. (sous la dir. de), Le monde grec, Paris, Bréal,

1995. Lévy E., La Grèce au V siècle, Paris, Points, Seuil, 1995. Maffre J.-J., Le siècle de Périclès, PUF, « Que sais-je? », 1994. Maffre J.-J., La vie dans la Grèce classique, Paris, PUF, « Que sais-je? »,

1988. Mosse C., La Grèce archaïque d'Homère à Eschyle, Paris, Points, Seuil,

1984. Mosse C., Le citoyen dans la Grèce antique, Paris, Nathan Université,

1993. Orrieux C., Schmitt P., Histoire grecque, Paris, PUF, « Premier Cycle »,

1995. Poursat J.-C., La Grèce préclassique des origines à la fin du VIe siècle,

Paris, Points, Seuil, 1995. Robert F., La religion grecque, Paris, PUF, « Que sais-je? », 1981. Will E., Le monde grec et l'Orient, t. 1 : Le Ve siècle, Paris, PUF, 1991. Will E., Mosse C., Goukowsky P., Le monde grec et l'Orient, t. 2 : Le

IVe siècle et l'époque hellénistique, Paris, PUF, 1990.

III. — Athènes

Carlier P., Démosthène, Fayard, 1990. Chatelet F., Périclès et son siècle, Bruxelles, Complexe, 1990.

Hansen M.-H., La démocratie athénienne à l'époque de Démosthène, Paris, Les Belles Lettres, 1993.

Levêque P. et Vidal-Naquet P., Clisthène l'Athénien, Paris, 1964 (rééd. Macula).

Mosse C., Histoire d'une démocratie, Athènes, Paris, Points, Seuil, 1975. Mosse C., Politique et société en Grèce ancienne. Le « modèle » athénien,

Paris, Aubier, 1995. Romilly J. de, Problèmes de la démocratie grecque, Paris, Agora, 1986. Romilly J. de, Alcibiade, Paris, Éd. De Fallois, 1995.