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7/31/2019 PSYCHANALYSE ET TAOISME...par Genvevive GANCET
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Universit de Toulouse Le - Mirail
PPSSYYCCHHAANNAALLYYSSEE EETT TTAAOOIISSMMEE
Mmoire pour le Diplme de la Dcouverte Freudienne
Prsent et soutenu le
31 janvier 2004
par
Genvevive GANCET
JURY
Directeur de Recherche :
M. Michel LAPEYRE Responsable de la Commission Pdagogique et duGroupe dAnimation du Diplme
Docteur dEtatMatre de Confrence lUniversit de Toulouse-Le-MirailPsychanalyste
Assesseur :
M. Sidi ASKOFARE Responsable Pdagogique du DiplmeMatre de Confrence en PsychologiePsychanalyste
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sur leur jouissance, les Arts nergtiques chinois sont devenus un phnomne de
mode, pour le meilleur ou pour le pire.
En rfrence au vide, et au Pays du Milieu.
Lengouement actuel pour la sagesse et les disciplines psycho-corporelles
drives du taosme met en relief quil ne sagit justement pas dune sagesse part,
ni dun monde langagier intransposable. Lacan en sy rfrant, na fait que montrer
que la structure langagire, mme emprunter dautres modalits, dautres
formulations, dautres manifestations, prenait racine du mme mystre. Autrement
dit, la notion du Vide1 permet daccder la structure.
La posie du Tao T King nous laisse mditer sur les vrits du Vide, autres
noncs du signifiant lacanien. Cest en allant explorer lIndex Rfrentiel2 des
Sminaires de Lacan que mest apparue toute la porte de la rfrence lacanienne
la philosophie et la culture chinoises. Je la croyais succinte, anecdotique. Je
croyais mtre engage la lgre, partir de mon propre intrt sinophile, intrigue
par ce concept taoiste du Vide si proche de son vocation psychanalytique, tente
par des rapprochements htifs, et encourage par une certaine communaut de
vocabulaire (avec la prudence requise du fait des traductions franaises).
Mais ma grande satisfaction, une premire explication, nonce comme une
lapalissade, est venue donner une autre tournure mes a priori : Lacan est
lacanien parce quil a fait du chinois3. Comment ? Avec toutes ses rfrences
Socrate, Platon, Aristote, Dmocrite, la philosophie grco-romaine et la
civilisation judo-chrtienne, que pouvait signifier de la part de Lacan, cette
dclaration impromptue ? En suivant les noms propres et les thmes rpertorisdans cet index, il apparat que Lacan se reporte la tradition chinoise dans au moins
dix-huit de ses sminaires et quil y dveloppe des notions cruciales, en particulier
dans le sminaire XVIII.
1 Sminaire VII, leon du 27 janvier 1960, p. 182-183, la fonction signifiante du vase, mettre enparallle avec le pome XI du Tao T King.2 De Henri KRUTZEN : Jacques LACAN, Sminaires 1952 1980, Index Rfrentiel, d. Anthropos.3Sminaire XVIII, Leon du 20 janvier 1971, Lacan est lacanien parcequil a fait du chinois est
une formulation de lIndex qui renvoie cette leon o Lacan dit exactement (p. 35) : Je me suisaperu dune chose, cest que peut-tre je ne suis lacanien que parce que jai fait du chinoisautrefois. Il dit aussi : je maperoisque cest de plain-pied avec ce que je raconte. (P. 36).
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Tenter, travers ce mmoire, de saisir une logique, au fil de la chronologie de
lenseignement de Lacan traversant la pense chinoise, en identifier les concepts
extraits qui rejoignent les concepts-clefs de la psychanalyse est une entreprise
dmesure dont ma tentative ne sera quune modeste bauche. Nanmoins, de
nombreuses pistes invitent lexploration, la rflexion, alors que la question de la
transmission de la psychanalyse concerne maintenant les cultures qui en
paraissaient les plus loignes. Pourtant, Freud tait dj traduit en Chine dans les
annes 20 ! De quelle manire ? Cest une autre histoire, sur laquelle le mode
dvolution politique du Pays Du Milieu nous laisse penser.
Yin et Yang, ctait crit .
Les thmes principaux dvelopps dans les sminaires concernent lapport
philosophique de Mencius dans la filiation confucenne, avec lmergence des
caractres chinois hsing et ming1 , la nature et le dcret du Ciel - que Lacan
traduit par ctait crit - part nigmatique de la structure et de lorigine de ltre. Il
y est aussi trait de lincompatibilit de ltre et de lavoir2 partir de la question du
mle et du femelle, principes yang et yin. Et surtout, la question du signifiant dans
lcriture et le systme langagier de la culture chinoise reste primordiale, en lien
troit avec dsir et jouissance. Dans ce moment de luvre de Lacan, Franois
Cheng incarne le point de rencontre entre les deux cultures, dOrient et dOccident,
travers lexpression littraire, potique et picturale dont la calligraphie est la
quintessence, suggrant le mouvement du souffle, le QI, partir du Vide taoste.
Lacan sollicite alors lcrivain pour dcrypter ce concept .
A propos de la nature humaine, Lacan laisse une premire empreinte sur la
Voie : Je vous dirai comment lhomme, cest intraduisible, cest comme a, cest letype bien, fait de trs curieux petits tours de jonglerie et dchange entre le hsing et
le ming. Est-ce dire que les choses sont ainsi parce que cest ainsi ? Lacan tout
au long des leons des 10 et 17 fvrier 1971 (sm. XVIII) transmet travers sa
propre exprience du chinois que : le langage en tant quil est dans le monde, quil
est sous le ciel (ming), voil ce qui fait hsing, la nature. Ce nest pas nimporte quelle
nature cest la nature de ltre parlant . Le dcret du Ciel sous-tend la pense
1Sminaire XVIII, en particulier leon du 10 fvrier 1971, p. 50 53.2Sminaire XVIII, leon du 17 fvrier 1971, p. 66 et 67.
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taoste, en tant que ses reprsentations sen rfrent une vision cosmogonique de
lunivers, o mieux vaut ne pas contrarier lharmonie des lments, lordre naturel
des choses, comme le chante le Tao T King. La pense chinoise est imprgne de
ces reprsentations qui au fil des sicles et depuis de trs lointaines traditions
guident lEtre sur la Voie de la sagesse et de laccomplissement. La Voie du Milieu
Juste donne-t-elle, au sens de la psychanalyse, une indication sur les voies du dsir
et les amnagements de la jouissance ?
Dans la plupart des leons o il traite de la culture et de la philosophie
chinoises, Lacan explore le langage et lcriture, mais il en vient au corporel lorsquil
mentionne : Retenir son foutre1 en termes dconomie dnergie, ce qui est
lobjectif des pratiques corporelles, dites disciplines, issues du taosme (et galement
dun bouddhisme qui migra en Chine de manire lgendaire en 500 av. J.C.), qui
unissent troitement philosophie, mdecine et art martial. En Chine, actuellement,
ces pratiques exerces quotidiennement et dune manire simplifie par des millions
de chinois jeunes ou vieux, sont vritablement une hygine de vie. Ces pratiques ont
subi bien des modifications et adaptations au cours des sicles, mais avant leur
diffusion un large public, elles demeuraient plus ou moins secrtes et ne se
transmettaient que par troites filiations. Les premiers courants sotriques, sans
doute lorigine du concept de Chi, dveloppaient une vritable alchimie interne ,
prcursive de la mdecine traditionnelle chinoise telle que nous la connaissons
actuellement, qui traite de lindividu dans sa globalit. Dans lalchimie des doctrines
sotriques, la rtention spermatique tait un gage de longvit.
La culture chinoise associe toute expression artistique, voire la moindre
gestuelle leve jusqu sa forme artistique, un processus de transformation
nergtique dont on observe un certain rapport avec les donnes de la
thermodynamique. Ce que, depuis la notion chinoise qui suggre le souffle vital,nous traduisons par nergie , est abord sous langle conomique, la maladie
tant physique que mentale rsultant alors dun dsquilibre nergtique, sorte
dagression venant de lextrieur sur lorganisme. Le discours mdical traditionnel
est imprgn de la conception taoste, le langage est mtaphorique. Quen est-il du
symptme2 ? Daprs la mdecine traditionnelle, le symptme est la manifestation de
dsquilibres ou de blocages nergtiques, et une technique comme lacupuncture
1Sminaire XX, op. cit.2Sminaire XVIII, leon du 10 fvrier 1971, p. 52.
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va traiter le dsquilibre sur le trajet des mridiens, rseau trs spcifique qui relie
les organes entre eux. Le soin passe donc avant tout par le contact corporel.Et les
pratiques corporelles de sant visent maintenir cet quilibre, engendr par le
chi (ou Qi), le souffle vital. Nous ne sommes pas dans lconomie psychique ,
mais plutt dans un principe dconomie corporelle.
Pour tenter de suivre les tapes de la construction lacanienne dans la
chronologie des sminaires, nous resituerons tout dabord dans les contextes
philosophique et historique les thmes amens jusqu nous par Lacan depuis la
civilisation chinoise. Puis nous reprendrons dans chacun des sminaires les ides
thorises partir des concepts essentiels de la pense chinoise en prcisant ses
particularits eu gard au langage et en tentant dapercevoir les lignes de confluence
vers les questions fondamentales de la psychanalyse souleves par Lacan.
Enfin, nous nous interrogerons sur la possibilit dune rencontre entre la
psychanalyse et la culture chinoise, telle quelle mme, cette culture autrefois si
autocentre, vient maintenant la rencontre de lOccident (aprs le raz de mare du
Grand Timonnier dont Lacan a pu dire quelques mots prmonitoires1), mue par les
mmes fantasmes exotiques que lOccident envers lExtrme-Orient.
Dans lapparente contradiction de ce passage inimaginable du taosme et du
confucianisme lre de la rvolution maoiste, nous esprons que les schmas des
quatre discours2 nous amneront un clairage complmentaire sur leffacement de
lindividualit dans la prgnance de la collectivit. Actuellement, les chinois sont de
plus en plus attirs par le mode de consommation occidental, voire par lAmerican
way of life. Comme sur la bande de Moebius, il ny a pas de face distincte,dans le
passage du collectif lindividuel ;cependant, cette nouvelle mergence de
lindividualit, ce nouveau rapport lautre peut-il faire envisager le symptme dune
autre manire, telle que se dveloppe lintrt pour la psychanalyse, qui au fond, sielle nemprunte pas les mmes voies que les traditionnelles philosophies chinoises,
parle bien des mmes choses partir de la mme bance ?
1 Voir article consacr Lacan dans la revue Le magazine littraire , nov. 1993, p. 33 : Lacan etles maostes franais. Lacan rplique son auditoire : Vous voulez un matre, vous laurez. 2Sminaire XVIII, p. 51, sur le dcret du ciel, Marx et le capitalisme.
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Ltre dans sa globalit.
Lintrt des occidentaux pour les courants philosophiques dExtrme -Orient
est soutenu par le caractre indissociable du corporel et du spirituel. Dans la
diversit incroyable des pratiques psycho-corporelles, il y a toujours inscription dans
une filiation, dans une transmission de gnration gnration, reprsente par tel
ou tel Matre. Mais surtout, dans cette qute de sagesse passant par la matrise du
corporel et lapaisement du mental, il y a identification au discours dun Sage en
place de Matre : ce discours nest pas autoritaire, il incite la vertu, mais sans
contrainte, sen rfre non quelquun qui en sait plus, mais quelque chose qui na
pour toute rponse, ou plutt pour tout savoir, que le vide. Cest faire lhypothse de
la pluralit des discours de Matre. Ainsi, la saisie globale de lEtre dans son rapport
lUnivers et dans laspiration lharmonie naturelle vient-elle rvler depuis la
tradition chinoise, ce que Lacan qualifie dternelle ambigut du
terme inconscient1 Il prcise : Certes linconscient est suppos de ce quen ltre
parlant il y a quelque part quelque chose qui en sait plus que lui, mais ce nest pas l
un modle recevable du monde. La psychanalyse, en tant quelle tient sa possibilit
du discours de la science, nest pas une cosmologie1 Ce quelque chose qui en
sait plus que lui, cest la doctrine quaccepte le disciple comme vrit du Matre,
dans une socit base lorigine sur le culte des Anciens et le respect de la
hirarchie, ce dont Confucius sest servi dans son modle de gouvernement. Cest
comme si linconscient tait en dehors, en dehors de la vrit propre du sujet. Sa
qute ne peut donc passer par le dcodage introspectif, puisque elle induit une
conformit un discours, une union avec les Dix mille Etres mtaphore
emprunte au Tao T King. La singularit du sujet nest pas forcment reconnuecomme telle, du moins ne se rvle telle pas dans une parole dont la rfrence est
lincorporation, la rduction soi, dun modle extrieur, macrocosmique. De mme,
dans le lien social et lhumanisme transmis par le confucianisme, lindividualit
sestompe au profit de la collectivit.
Les problmes complexes orientant la matire de ce mmoire ne peuvent
cependant stendre la sphre sociologique, jusqu tudier lmergence de
1 Sminaire XX, ch. VII, p. 81, Une lettre dmour .
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lindividualit dans une socit fonde sur le collectivisme. Nanmoins, il parat
important de noter comment lusage du signifiant en Chine, partir dune pense
philosophique trs imprgne de la reprsentation dun mouvement naturel rgissant
les rapports des tres et des choses, prend effet sur la manire de traiter les
symptmes, par un ensemble de pratiques psycho-corporelles riges en Art, ou
Excellence, manifestation du Chi dans laquelle est endigue le symptme, cest
dire lexpression physique dun dsquilibre nergtique, comme nous lavons
soulign plus haut, qui se traite de manire globale, curative et prventive. La
reprsentation de la vitalit et dune bonne sant est vhicule par les signifiants qui
rappellent au corporel lart de se conformer aux prceptes du hsing et du ming, cest
dire, pour le taoste comme pour le confucianiste, de ne pas contrarier lordre
naturel des choses.
Une approche superficielle consisterait prendre au pied de la lettre cette
invitation la conformit, afin dy trouver une certaine solution de facilit dadopter le
discours du matre, alors quau fond, Lao tseu et Confucius navaient de cesse un
peu comme dans la maeutique socratique, de pousser leurs disciples-interlocuteurs
sinterroger eux-mmes et dbattre. Il importe donc de resituer ces concepts,
auxquels Lacan a consacr beaucoup de temps et de cogitations, tout
particulirement dans le Sminaire XVIII, dans leur contexte et leur dynamique
historique .Il importe denvisager leur porte et leur intrt dans la thorie
psychanalytique, tels que Lacan en pose les jalons, en distinguant, dans la
transmission, lcrit et la paroleEt lcriture chinoise nest pas une mince affaire !
Quest-ce qui fait dire Lacan quavoir fait du chinois, cest de plain-pied avec ce
quil raconte, plus globalement ?
Chronologiquement, il semble y avoir une progression dans les thmes
abords par Lacan. Les premiers sminaires1 comprennent de courtes allusions lcriture chinoise, venant illustrer ou pointer les propos dvelopps.A partir de
lEthique, lexemple du vase rappelle la mtaphore du Tao T King2, et permet
daborder la question du vide et du plein. Lon retrouve cette articulation dans
Problmes cruciaux, o Lacan parle de Lao-tseu et du Tao T King.
1 Henry KRUTZEN op. cit. v. liste en annexe.2Tao T King,traduit par Liou Kia hway, , Connaissance de lOrient ed. Gallimard 1967,pome XIP.44.
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Ce cheminement lamne voquer lcriture potique chinoise de Franois
Cheng, dans le Sminaire XXIV3. Sur un autre axe, Lacan dveloppe deux thmes
qui apparaissent alors indissociables, concernant la forme et le fond, cest dire
lorigine de lcriture chinoise et le processus de transmission de ce qui est parvenu
jusqu nous, des courants philosophiques fondateurs de toute une sagesse
civilisatrice , et tout spcialement celle de Mencius.
Dans cet enchanement de thmes, lide centrale de ltre et du sujet apparat
sous divers clairages. Elle demeure prpondrante et forcment indissociable du
mystre du nant. Cest dans la complmentarit et non dans lopposition que le vide
et le plein jouent dalternance pour engendrer le mouvement de la vie. Premire
approche- approximation- signifiante, le Tao laisse insond le mystre des origines,
mais il le pose comme une donne, quclaireront les deux caractres hsing et
ming, au cur de la question ontologique. Ces deux caractres nous disent tout
dabord que,bien que teints dune tradition de la conformit, ils ne peuvent se prter
nimporte quel contresens. Ensuite, il y a quelque chose de transposable nos
socits modernes, reliable la question du lien social, et ce lien ncessite une
incursion dans lHistoire de la Chine. Aussi dans la premire partie de ce mmoire,
nous situerons les grands philosophes chinois dans leur contexte historique et
chronologique, ainsi que dans leur rapports aux thmes voqus par Lacan.
3 Jacques LACAN, Sminaire XXIV, leon X, 19 avril 1977, p. 118-119.
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PREMIERE PARTIE
HISTOIRE DES PHILOSOPHES CHINOIS EVOQUES PAR LACAN
Introduction.
Pas dhistoire sans lgendes.
Lhistoire de la philosophie chinoise est complexe, et la notion de philosophie
inapproprie lvolution dune pense qui relve plutt dune Sagesse, en tant quelle
ne slabore pas dune construction logique. La part lgendaire a exhauss la
renomme des Grandes figures de la Sagesse, jusqu la Saintet, vertu accomplie.
Si, lorigine le taoisme vhicul par le mythique Lao tseu est fondateur de la
pense chinoise, sa transmission a suivi plusieurs courants doctrinaires et a fait clore
autant dcoles, dont la vision schmatise1 nous aide saisir la diversit. Le taoisme est
avant tout lcriture inspire dun saint homme-du moins daprs la lgende- ce qui
implique ce distingo entre sagesse et philosophie. Le Tao K King invite lobservation
et la contemplation2. Dans lHistoire de la philosophie chinoise, certaines tendances se
compltent, dautres sopposent, tout au long de la transmission de matres disciples.
Marcel Granet explique3 la vie secrte et efface des sages du taoisme : sans
souci, ils vivent dans les solitudes, ou bien au milieu des hommes, se rfugient danslextase. Ils ne sinquitent pas de recruter des adeptes. Sils font des conversions, cest
par leffet dun enseignement silencieux. Puis : ce sont des croyants, mais peu leur
importent dieux, dogmes, morales, opinions. Ce sont des mystiques, cependant ce
retrait des ralits sociales et ce mode contemplatif transmis dans les chants potiques
du Tao T King abordent parfois sous forme de mtaphores le thme dun
1 V. schma de lorganigramme gnalogique en annexe, in : La pense chinoise, Marcel GRANET ,ed.
Albin Michel 1988, p. 484.2 Franois HAINRY : Introduction la philosophie confucianiste, fascicule 2, p. 25.3 Marcel GRANET, op. cit. ch. III, Les recettes de saintet , p. 409.
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gouvernement vertueux. Dailleurs M. Granet note : Ils connaissent, disent-ils, la vraie
manire de mener le peuple, cependant ils profrent leurs plus durs sarcasmes sils
entendent parler de devoir socialSils sont parfois sur le terrain social, ils refusent de
laisser le souvenir de leur nom. Nul nest saint, insinuent-ils, sil laisse une
trace.1 Contradiction ? En tous les cas, les taoistes ne sengageaient ni dans la socit,
ni dans la politique.
La tendance confucianiste est autre quoique puisant ses sources et sa morale
dans la pense taoiste. Suivant la lgende, Confucius aurait rencontr Lao tseu2. Le
confucianisme, doctrine des lettrs3, se transmet par une mthode denseignement
base sur lloquence et le pragmatisme.La chronologie4 dpeint un contexte politique
qui donne des indications sur lmergence de la philosophie confucenne. Brivement,
situons les principaux personnages :
-Lao tseu, ou Lao zi (604 av. J.C.), auteur prsum du Tao T King, recueil de
penses sous forme de pomes ;
-Confucius, nom latinis de Matre Kong (551-479 av. J.C.), auteur prsum des
Entretiens ou Lun Yu, recueil de paraboles et de sentences ;
-M tseu, ou M zi (468-376 av. J.C) Soutenant des thses sectaires en
opposition avec les ides humanistes de Confucius. Lacan nen parle pas mais il ma
sembl intressant den raconter quelque chose pour mentionner les drives
interprtatives des caractres chinois.
-Mencius, nom latinis de Mong tseu (370-290 av.J.C),qui reu de Tseu tseu, le
petit-fils de Confucius, la vraie parole du matre ;
-Tchouang tseu, ou Zouang zi (369-286 av. J.C.) fervent taoiste et aussi modeste
que brillant crivain, dont le recueil de penses profondes porte le nom.
Si lon considre que lre des Cinq Empereurs Mythiques Wou Ti est date de
2550 2205 av. J.C.et que la premire dynastie, la dynastie des Xia, remonte 2205-1760 av .J.C. lavnement de Lao tseu se situe vers le milieu de la troisime dynastie,
celle des Zhou (1050-222), dans la priode dite des Printemps et Automne (770-476), qui
prcdait celle des Royaumes Combattants. Durant ces deux priodes politiquement et
socialement tourmentes, les hritiers du confucianisme ont promu des ides
1 Marcel GRANET, op. cit. p. 410.2
Franois HAINRY, op. cit. fasc. 2, La rencontre de Laozi et de Confucius .3 Franois HAINRY, fasc. 3, Introduction la philosophie confucianiste , Les Lettrs, p. 22 et 23.4 Donnes chronologiques extraites des fascicules de Franois HAINRY, op. cit.
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rvolutionnaires pour lpoque, engages socio-politiquement.Ils conseillaient aux
Princes de gouverner daprs des critres moraux et humanitaires, et, comme Mencius,
proposaient des solutions pragmatiques la gestion des biens publics. Il sagissait
vritablement dconomie politique. Nous verrons combien ces courants philosophiques
ont marqu la pense traditionnelle chinoise, jusqu la Chine actuelle partage entre
ses hritages et les tentations du discours capitaliste. Si, la proclamation de la
Rpublique Populaire de Chine Confucius fut honni par Mao ze dong-comme tous les
conservatismes et les rfrences la tradition - il nen reste pas moins quactuellement
on continue lui vouer un culte et que le taoisme, encore trs ancr dans la culture
chinoise, sest beaucoup export dans le monde occidental.
Lexpression pense chinoise , qui sous-entend loriginalit de cette culture, a
t emprunte Marcel Granet par les auteurs de louvrage : Penser dun dehors de la
Chine1. Franois Jullien, dans un dialogue avec Thierry Marchaisse, aborde lvolution
de cette pense et sa contemporanit, nous laissant entrevoir ses fondements
philosophiques.Thierry Marchaisse met cette rflexion2 : Et lon reste suspendu aux
risques que prend le philosophe en saffrontant de limpens ; le dsir de lesprit en est
activ Franois Jullien rplique : tandis que la pense chinoise, construisant peu,
mais lucidant, nous laisse dabord sans prise son gard. Sa facture formulaire ne cre
pas la tension de la dialectique, elle ne joue gure non plus du paradoxe, elle nintrigue
pas. Il y a donc une pense chinoise, il y a une criture chinoise, et sur ces
particularits dcriture, Lacan va stayer pour nous faire creuser les soubassements
conceptuels de la question ontologique universelle, quest-ce que ltre humain, quest-ce
qutre humain, jusqu se brancher sur lassertion tautologique vhicule par Mencius
dans la droite ligne confucenne : lhomme est humain.F. Jullien rapproche Mencius de
Rousseau et de Sartre3. Il affirme que des lgataires de Confucius, cest Mencius qui
nous drange le plus, malgr lapparente modration de ses propos . Nous verrons ceque Lacan retient de la thorie, pourtant sans clat, de Mencius, et qui malgr tout a eu
de bien tangibles rpercussions dans lconomie politique de son poque, sans compter
que la question de lhumanit de lhomme, on se la pose toujours.
Alors, que nous racontent les auteurs sinologues sur ces grands personnages
inspirs, quels thmes inpuisables sur la nature de lEtre et de lAutre nous ont
rejoints ?
1 Franois JULLIEN et Thierry MARCHAISSE, Penser dun dehors de la Chine ,d. Seuil, 2000.2 Franois JULLIEN op. cit. p. 381.3 Idem p. 399 et 401.
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Si nous avons choisi de prsenter ces philosophes chinois en respectant la
chronologie, il nous est apparu essentiel de centrer chacune des prsentations sur les
interrogations se profilant dans les sminaires de Lacan.Lao tseu est le plus ancien,
couramment mais respectueusement surnomm : le Vieux .
Chapitre 1.
Lao tseu, le vieux sage :Tao t king et vide mdian.
Lacan : Sminaire VII, leon du 27 janvier 1960.
Introduction.
Des origines de lcriture au Tao T King, la transmission.
Dans le Tao T King1, le chant XI nous dit :
Trente rayons convergent au moyeu
mais cest le vide mdian
qui fait marcher le char ;
On faonne l argile pour en faire des vases
mais cest du vide interne
que dpend leur usage.
Une maison est perce de portes et de fentres
cest encore le vide
qui permet lhabitat
LEtre donne des possibilits,
Cest par le Non-tre quon les utilise.
Le sens de la ngation dans la philosophie taoiste sinscrit dans un vritable
systme conceptuel de lunivers, bas sur la complmentarit,et non pas sur la valeur
exclusive de la logique binaire ; la valeur du non dfinit le vide comme un processus
1Tao T King, traduit par Liou Kia hway, op.cit.
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dynamique sans lequel le mouvement, la vie-mme, ne saurait se produire. Cette ide
est absolument fondamentale et essentielle dans la pense chinoise, qui explique son
expression bien souvent nigmatique : sens ou non-sens ?
Lacan cite le chapitre II du Tao T King car il tablit une analogie entre le
parcours en continu des deux faces de la bande de Moebius , le nouage conscutif son
dcoupage ininterrompu, et lnonc du pome taoiste : Que ,pour tout ce qui est du
ciel et de la terre , que tous sachent ce quil en est du bien, alors cest de cela que nat le
contraire ; que tous sachent ce quil en est du beau, alors cest de cela que nat la
laideur .Lacan fait ce commentaire : Ce qui nest pas pure vanit de dire que, bien
sr, dfinir le bon, cest du mme coup dfinir le mal. Ce nest pas une question de
frontire, dopposition bicolore, cest un nud interne.1
Tout est l, jusqu tre mtaphoris dans le rcit de la naissance de Lao
tseu. Qui tait le lgendaire Lao tseu ?
1 Lao tseu, le taoisme : yin et yang*
comme nud interne .
Lon ne retrouve que de brves biographies du Vieux , inspires des
suppositions propres la lgende. Son nom lui-mme a donn lieu bien des
interprtations. Le vieux matre est aussi qualifi de vieil enfant car il resta soixante
douze ans en gestation dans le ventre de sa mre. Il sortit par son aisselle et il naquit
avec la tte chenue.2
Son nom patronymique signifie second ou deux, eren chinois , comme lcrit dj
son biographe Sima Quian (145-110 av. J.C.) : Laozi se nommait Li (Prunier) se
prnommait Er ( oreilles , probablement les deux oreilles). Son nom personnel public
tait Boyang et son nom posthume Dan (Longues Oreilles). Il se pourrait que le
mythique Laozi ne soit quune hypostase du Tao, qui devient forme substantielle par la
sparation et la transformation3.
Lcriture du Tao t king lui est attribue, mais avec la marge dincertitude de la
lgende. Cest une philosophie originale qui ne sinspire ni du bouddhisme, ni du
lamasme, mais dune tradition fort recule ayant probablement un rapport avec les plus
1 Lacan, Sminaire XIII, Problmes cruciaux pour la psychanalyse, leon du 10 mars 1965, p. 205.* Pour tous les termes chinois, se reporter au lexique.2
Franois HAINRY, op. cit., qui cite le vol. 1 du Shexian Zhuan de Ge Hong (historien chinois) ; v. aussi enannexe lextrait de La voie rationnelle de Matgori.3 Donnes rassembles par Franois HAINRY, extraits de louvrage : Le Taoisme et les religions chinoises,dHenri MASPERO.
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anciennes mythologies chinoises . Elles se constiturent en lun des premiers systmes
philosophiques exprim et codifi, le Yiking(ou Yijing)1.
Les Trois Augustes San Houang sont dats de 4480 4365 et les Cinq
Empereurs Mythiques Wou Ti (dont Houang Ti, le patron des taoistes et Chouen,
souverain du confucianisme ) se sont succds entre 2550 et 2205 : ce sont des figures
lgendaires, des sages qui auraient cr eux aussi les premires lois et les rites
religieux, les outils, les armes et les arts. Puis la vie religieuse fut domine par les
chamanes qui inventrent une forme de langue crite destine la communication avec
le monde spirituel. Les plus anciens oracles, textes divinatoires tirs de linterprtation
des craquelures des os de buf ou des carapaces de tortues, remontent 14002. Ces
oracles sont cits par Lacan dans le Sminaire XVIII3 afin dinsister sur le phnomne
civilisateur de lcriture : Il y a un nomm je ne sais plus comment, Fu hsien, a date
pas dhier, vous comprenez, vous trouverez a peu prs au dbut de lre chrtienne,
a sappelle le Chouo - Wen cest dire justement le ce qui se dit en tant qucrit.
Car wen , cest crit , hein ? Voil, tachez quand mme de lcrire parce que pour
les chinois cest le signe de la civilisation.
1
V. les Hexagrammes en annexe, extraits des fascicules de Franois HAINRY, op. cit.2 William WANG, article intitul La langue chinoise, p. 77 du priodique Pour la Science, consacr lorigine des langues dans le monde (dossier hors srie, octobre 1997).3 Lacan, Sminaire XII, op. cit., Leon du 10 mars 1965, p. 88 et 89.
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2-Le Tao est-il interprtable ?
Les relations qutablit Lacan entre lcriture chinoise et les conceptsthorique dcrit et dcriture feront lobjet de la deuxime partie de ce mmoire.Mais ds
lors, ce qui apparat primordial, cest que la civilisation sdifie sur les fondements
philosophiques enseignables et transmissibles par les crits attribus aux sages, par les
discours des matres. Aborder la fonction de lcrit en la diffrenciant de celle de la
parole, cest, par ce dtour en Chine, attirer lattention sur la diversit des traductions et
le sens de ce qui en est transmis. Comment, alors, interprter le Tao ?
M. Granet tente une explication : Le premier sens du mot Tao est chemin
mais la notion de tao (ou de tao t) au moins ds quelle est utilise par les thoriciens
de la divination, implique le concept de succession cyclique, destruction et triomphe.
Cest relier avec la thorie des cinq lments, qui se placent suivant cinq orientations :
leau au Nord, le feu au Sud, le bois lEst, le mtal lOuest, et la terre au Centre.
Tantt ces lments sengendrent les uns les autres, tantt ils se dtruisent, suivant le
sens de rotation du cycle. Il y a donc lide dun mouvement circulaire, partir du Tao,
qui permet dentrevoir la porte du chaptre XLII du Tao T King1:
Le Tao engendre Un
Un engendre Deux
Deux engendre Trois
Trois engendre tous les tres du monde.
Lacan a tudi ce pome avec Franois Cheng2, et il est possible den originer
deux axes de rflexion : la rfrence au Tao souvre dune part sur lide du Nant, du
vide originel et de la naissance de lUn, dautre part, sur lide du trait unairecar le Tao,
linnomable, scrit et dans lcriture chinoise, il y a un ordre respecter dans le trac.
Dune part le Tao, galement traduisible par Nant , reprsente le vide mdian dont
naissent le mouvement et le souffle originel. Dautre part lorsque Lacan parle de
lmergence du trait unaire dans le sminaire IX3 il dveloppe la thse de lapparition des
systmes dcriture partir des idogrammes. Dans lvolution langagire, il sest produit
1
V. pome complet en annexe.2 Lacan et F. Cheng, article de Mauricette BERNAC 02/02/2003, site internet ?3 Lacan, Sm. IX, Lidentification, Leon du 6 dcembre 1961, p. 53.
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des aller-retour entre phonmes et idogrammes mouvement do sorigine la fonction
du sujet, sujet au sens structural1. Puis Lacan dveloppe les concepts de marque et
de nom propre qui servent, au-del de ce qui permet didentifier la personne de situer
le sujet quant au marquage par le signifiant initial2.
De lavis dEtiemble3, lun des meilleurs traducteurs contemporains du Tao
T Kingest le hollandais J.L.L.Duyvendak, qui tait professeur de chinois luniversit
de Leyde. Il donne une version extrmement prcise et fouille , la toute premire phrase
revtant alors une importance fondamentale pour la comprhension de lensemble du
recueil : La voie vraiment voie est autre quune voie constante. Les termes vraiment
termes sont autres que des termes constants. Etiemble explique comment Duyvendak
justifie le distingo entre tao , qui peut parfois signifier parole,mais qui adopte ici le sens
de voie, et ming qui signifie nom, terme. Liou Kia Hway de par sa culture chinoise,
choisit une version ouverte quEtiemble est tent de qualifier de dialectique , et
qui annonce lnigme du Tao4. A travers lexpression ming, la question majeure est celle
du nom, du nomm, du nommable et du caractre insaisissable de la Voie, tout comme
une part du signifiant nous chappe.
Le caractre ming est lun des principes philosophiques qui prescrit de nommer
les choses avec exactitude. Il est devenu plus tard lun des prceptes moraux fondateurs
du confucianisme, mais dans une acception plus pdagogique que spirituelle.
Lhistoire et linfluence du Vieux , Lao tseu, sont en grande partie dinspiration
lgendaire, nimbe du flou des hypothses chronologiques. Daprs une autre thse,
lexistence de Lao tseu, si tant est quil ait exist en chair et en os, serait postrieure
celle de Confucius, ce qui terait au Vieux son aura prcursive de saintet et de
sagesse, rvre par Confucius lui-mme puisque la premire version suppose quil se
sont rencontrs5.
Ainsi, la pense taoiste a deux visages. Etiemble note cependant quil ny apas dappropriation de la pense par les taoistes , mais que ce couplage rsulterait plutt
dun snobisme contemporain . Le premier visage est celui du sage qui, tout en proposant
des pistes politiques pour un gouvernement en douceur , sen dmarquait en noccupant
pas de place lintrieur du systme politique. Le deuxime visage est la caricature
1 Lacan, Sminaire IX, Lidentification, Leon du 6 dcembre 1961, p. 87.2 Lacan, Sminaire XII, op. cit., Le Signifiant Un et aussi leons 6 et 7 p. 87 du Sminaire IX sur
Quest-ce que le nom propre .3 Lao tseu, Tao T king, op. cit. p. 16.4 Version de Liou Kia hway.5 Texte op. cit. rencontre de Laozi et Confucius (v. annexe).
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mystique vhicule par de vieilles coquettes convaincues dimmortalit corporelle
.Dun ct un taoisme intellectuel et contemplatif, qui se soutient dun langage
mtaphorique et parabolique vhicul et dvelopp plus tard par Tchouang tseu, de
lautre un taoisme magico-religieux, influenc par le chamanisme, obsd par la mort
quil espre vaincre force de techniques alimentaires et sexuelles1 . Cependant il est
tonnant quEtiemble spare de faon aussi manichenne des courants qui, si lon en
croit larbre gnalogique des diffrentes coles, se sont interpntrs et ont uvr
lapprofondissement du savoir et des arts dans la culture chinoise.
3-Emergence du Sujet, vocation du corps.
Dans le cadre de ce mmoire, ce quil faut surtout retenir, cest cette filiation, et en
quoi elle consiste. Etiemble conclut2 : Le taoisme du Vieux en ceci concide avec celui
de Tchouang tseu ou de Lie tseu quil conoit le Tao comme une mthode la fois une
voie selon ltymologie (la voie de lunivers et dans cet univers chacun des dix mille
tres) et dautre part un concept tranger notre philosophie : selon le Tao le il ya
quelque chose ,yeou, se sort du il ny a rien ,wou, par une efficace immanente, le
Tao lui-mme, et sans quon doive invoquer le geste dun crateur , lintervention dun
dmiurge . Etrange et inconcevable extraction dun premier signe partir de rien ! Aussi
Liou kia hway quEtiemble respecte comme lun des traducteurs les plus inspirs du Tao
T King, considre-t-il le Tao comme le Nant et lUn comme ltre.
Cette proposition nest pas simple : la fois puissante et nigmatique, tout
comme le Tao t king, elle invite le sage mditer plus qu analyser. Mais pour notre
comprhension occidentale, une approche autre est ncessaire. Lacan, soumettant ce
principe un minutieux dcryptage de caractres chinois , nous guide sur une piste
ontologique lorsquil voque le verbe tre comme dmonstratif et sujet. 3 Il sagit de
lexpression trois caractres Jou che ti traduisible par comme est le corps , que
Lacan a tire dune calligraphie monacale. Dans cette expression, le caractre che
signifie la fois le verbe tre et le dmonstratif ce. Si dans la contrainte de la pense
arithmticienne4, le sujet se manifeste un comme soriginant dans une privation , ce
1Tao T King, op. cit. prface dEtiemble, p. 25.2 Etiemble, op. cit. p. 26 et 27.3
Cette thmatique extraite de lIndex Rfrentielop. cit. renvoie au Sminaire XII, leon du 3 mars 1965,p. 179.4 Idem op. cit. p. 178.
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qui correspond autrement dit la gense duundans le zro, reproduit de faon srielle
jusqu linfini, Lacan parle d une certaine manifestation de linfinitude -la grammaire
du sujet dans la tradition chinoise nemprunte pas le mme cheminement logique, elle
nest pas formule suivant un dveloppement aussi exigeant, aussi fcond de la
logique.1 Car la nuance dmonstrative de lexpression che introduit lide dun corps
que Lacan prolonge par lide didentification et dincorporation tout en rappelant le
concentr des nigmes freudiennes : daprs ce concentr, formant la matire du
chaptre surLidentification2 , Lacan dduit quautre est le rapport du sujet lnonciation
o il se situe, savoir o est le je de lnonciation, ltre qui surgit du vide, mais qui ne
saurait suivre une logique de rptition srielle pour se reproduire tel quel linfini, la
question de ltre est une question un peu plus pineuse que la logique arithmtique
du zro et du un.
Le ce dmonstratif suppose une multiplicit virtuelle de places, tel le Bouddha qui
tait quelque chose comme trois cent trente trois millions trois cent trente trois mille
trois cent trente trois, et ctait toujours le mme Bouddha nous dit Lacan3 . Il relve
tout particulirement dans le che , tre et dmonstratif, de lexpression jou che ti,
comme est le corps , un point de jonction dans ce rappel Freud4 : Cette
primordialit (identification primordiale de lidentification au personnage du pre )
ce premier temps prend sa valeur dtre, une fois articul dans son caractre primitif,
et do surgit dans son relief aussi la dimension mythique, dtre articul en mme
temps comme tant li ce qui, ainsi, est produit comme la premire forme de
lidentification, savoir lEinverleibung, lincorporation La rfrence primordiale se fait
sur lvocation du corps .
Cest donc que dans la proposition taoiste dont les termes sont introduits par
touches dans la progression thorique de Lacan, analyss puis intgrs son
cheminement, le Nant et lEtre se retrouvent dans lide plus reprsentable, plusconcevable, du Vide et du Plein, depuis les mtaphores du Tao T King jusquaux
enseignements plus tardifs de Tchouang tseu.
Reportons -nous premirement au pome II du Tao T King, que Lacan nous
invite lire :
1 Idem op. cit. p. 179.2
Freud, Essais de psychanalyse, PBP Ed. 2001, Psychologie des foules , p. 1873 Lacan, Sm. XII, op. cit., p. 187.4 Idem p. 182.
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Tout le monde tient le beau pour le beau
Cest en cela que rside sa laideur
Tout le monde tient le bien pour le bien
Cest en cela que rside son mal
Car ltre et le nant sengendrent
Le facile et le difficile se parfont
Le long et le court se forment lun par lautre
Le haut et le bas se touchent
La voix et le son sharmonisent
Lavant et laprs se suivent1
et deuximement lexemple des pots de moutarde expos par Lacan, qui lui
permet dillustrer la droutante question de lidentit et de laltrit. Si dans la
numrotation il est indniable que lun surgisse du zro, Lacan ouvre pourtant un autre
paragraphe : Autre chose est la diffrence et laltrit , le problme tant la distinction
des indiscernables. LAutre est conjoint non pas au pareil, mais au mme et la question
de la ralit de lAutre est distincte de toute discrimination conceptuelle ou cosmologique,
elle doit tre pense au niveau de cette rptition de lun qui linstitue de son htrotit
essentielle. Le terme dhtrotit,ainsi mis en avant dans la leon du 3 mars 1965 laisse
envisager, dans le passage de un autre la mme nuance de sens quentre
mme er semblable . En effet, ltymologie grecque2 donne ladjectif
tros plusieurs sens, dont le premier est double , comme peuvent ltre deux
organes, comme les poumons,le deuxime est autre semblable , et le troisime est
autre diffrent ,voire contraire . ce nest donc pas dun clnage quil sagit. Lonpeut comprendre que lide dhtrotit suggre la potentialit de la diffrence dans la
rptition de lun. Est-ce dire que dans lun de ltre, il y a dj lautre, nous faire
entrevoir les dix mille tres taoistes comme les 333 333 333 Bouddha ? Cest aussi
dire que labsence est creuset de lAutre.
Et sur la question des pots de moutarde, est-ce que les creux des pots sont vides
des mmes vides, ou de vides diffrents ? Ils ne commencent se distinguer que
1Tao T king, op. cit., v., pome complet en annexe.2 Bailly, Abrg du dictionnaire grec-franais,d.Hachette 1969.
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lorsquon en remplit un, remarque Lacan. La distinction commence donc par laltrit et
lhtrognit.Lclairage amen par la rfrence aux caractres chinois dune part, et
la proposition taoiste dautre part, cest le mouvement dynamique dengendrement
partir dun vide, oscillation entre identit et altrit, avec toujours, un reste, un rsidu, un
vide qui reste. Lide dincorporation (comme le corps) inaugure celle didentification,
mais elle conserve cependant sa part d opacit essentielle au point inaugural du
surgissement de la structure inconsciente1. Un pas de plus et nous dcelons dans le
rve de Tchouang tseu, le rve du papillon2 que nous aborderons plus loin,
linsaisissable trait de la position subjective.
Afin de mieux nous reprer dans lvolution de la pense chinoise dont Lacan
nous transmet sa propre exprience, nous avons respect lvolution historique des deux
courants principaux, le taoisme et le confucianisme.
Chapitre 2.
De Confucius Mencius : la rvolution par la vertu.
Lacan, Sminaire VII, leon du 6 juillet 1960 et Sm. XVIII, l. du 10 fvrier 1971.
Lacan sest davantage intress aux propos de Mencius qu ceux de Confucius,
notamment par rapport la fonction de lcrit et des nouveauts que cet hritier de
Confucius a pu introduire dans sa manire de transmettre. Ce qui nous permettra de
situer la pense mencenne dans le droit fil de la pense confucenne, cest
premirement sa mise en parallle avec les ides de M tseu, contemporain de
Confucius et opposant virulent, et deuximement, dvaluer, dans lapparente banalit
caractrisant ses propositions de socit, ce quelle a pu innover et prolonger de la
doctrine de Confucius, tout en empruntant au courant taoiste.
1-Confucius (matre Kong), les recettes de bien public.
La doctrine confucenne se rattache sans aucun doute la sagesse des Anciens.
Le matre le dit lui-mme : Je mattache aux Anciens avec confiance et affection ,
cependant ce conservatisme nexclut pas une volont dagir et de sengager pour
1 Lacan, Sminaire XII, leon du 3 mars 1965, p.182.2 Lacan, le rve au papillon dans Sminaire XIV,leon du 25 janvier 1967 .
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amliorer le sort du peuple. Franois Hainry cite cette anecdote1 : Alors que Confucius
suivait son Prince en exil, il rencontra au pied du Mont Tai une femme qui pleurait en
poussant des lamentations dchirantes, sur une tombe.Tseu Lou (disciple de Confucius),
alla voir de quoi il sagissait. Le pre de mon mari, dit la femme, a t dvor par un
tigre, puis mon mari, et maintenant son tour mon fils connat le mme sort !
-Et pourquoi ne changez-vous pas de lieu dhabitation ? demanda Confucius
-Ici, il ny a pas de gouvernement qui opprime le peuple.
Confucius fut trs frapp par cette rponse : Voyez, dit-t-il, un mauvais gouvernement
est plus redoutable que le tigre.
Si la dynastie des Han2 a favoris la doctrine confucenne, cest quelle a pu y
appuyer son pouvoir en donnant la primeur aux examens des lettrs. Cette utopie
conservatrice souligne F. Hainry3 est base sur une conception lgitimiste de lordre
social,sur lconomie, la restitution de valeurs simples et la foi en la bienveillance
humaine. Pour Confucius, la vertu, la correction morale dpendent strictement de la
qualit, de lordre du langage. Lun des prceptes du matre est ainsi traduit : Rendre
correctes les dnominations. Une fois dfinis les concepts, lhomme de qualit veille
toujours y conformer ses paroles et ses actes. Si le pre agit en pre, le fils en fils, tout
va bien .Il sagit bien dun modle humain, construit sur quatre dnominations :Junzi, le
sage, lhomme de qualit, Zhong, la fidlit aux principes de notre nature, Shu,
lapplication bienveillante de ces principes lgard dautrui , et Ren, la vertu suprme.
Confucius croit en une nature humaine foncirement bienveillante, alimente par
quatre sentiments inns : la commisration, la honte et la rpulsion lgard du mal, la
modestie, le sens du vrai et du faux l origine du discernement moral. Les
dnominations correctes refltent la manire dont Confucius conoit le Tao t king, qui
pour lui tend se confondre avec un idal de perfection obtenu par la pratique de
vertus purement humaines . Plus tard, cest Tchouang tseu, le taoiste, qui a mis envidence le rapport tabli par Confucius entre le yi et le ren, quit et humanit. Dans
une Chine chaotique, dsorganise, ce rappel au respect de lautre par la biensance
tait vritablement rvolutionnaire. La morale confucianiste empreinte des meilleurs
aspects de la tradition a figur comme modle de socit, jusquau gouvernement de
1 F. Hainry, fasc. 2, op. cit. p. ?2 Voir chronologie en annexe.3
F. Hainry, fasc. 3, op. cit. p. 3.
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Tchang Ka Chek (1934) qui estimait que la Chine Nouvelle ne pouvait rompre avec la
tradition confucenne millnaire.
Cependant, en raction une politique qualifie de passiste, Mao Tse Toung
sest farouchement oppos cet hritage en ordonnant tabula rasa de la doctrine
confucenne , par une grande campagne lance sous Lin Piao, en1974.
2-M tseu le pessimiste.
Mais bien avant cette dnonciation acharne des valeurs morales anciennes, un
certain matre M tseu, contemporain de Confucius, sest montr hostile la doctrine de
son rival, dabord dans ce quelle avait de moralisateur exhortant les individus leur
responsabilit les uns vis vis des autres- ensuite dans ce quelle avait dlitiste
encourageant ltude et la rflexion intellectuelle des lettrs . Au fond, nous dit Marcel
Granet1, M tseu, fondateur dune cole sectaire, tait un conservateur pessimiste
dont la thorie tait base sur le principe dautorit absolue et dune hirarchie
incontestable comme solution lanarchie.
M tseu postulait2 : Quand le Fils du Ciel dit oui, tous disent oui ;quand il dit
non , tous disent non. Mais surtout, il sopposait avec force aux conceptions
confucennes humanistes, en considrant que le bonheur et le malheur ntaient non
pas une question de chance, mais la rcompense ou le chtiment dcerns par le Ciel ;
cest dire quil donnait une autre signification aux dnominations correctes . Lide du
Ciel, Tien (ou Tian) lui tait autre chose, bien loign du dcret du ciel, tien ming,
confucen. L o Confucius signifiait humanit et quit, par les expressions ren et yi,
M tseu induisait lide de Chef ( le meilleur ) et dopinion ; pour lui, lexpression tien
che se superpose tien ming,comme si ce che ,dmonstratif, sincarnait dans une
personne, ce chef-l. Il dit : La volont du Ciel est pour moi comme lquerre et le
compas pour le charron ou le charpentier. Si elle dit : cela est juste, ce lest ; si elle dit :
ce nest pas juste, ce ne lest pas3. Par son interprtation, M tseu dtournait au profit
de son pouvoir dendoctrinement les principes cls de la philosophie confucenne.
1
M. Granet, op. cit., sur M tseu, p. 398 407, chap. sur Les recettes de bien public .2 Idem p. 401, sermon 11 du M tseu.3 Idem p. 403, sermon 26 du M tseu.
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L o Confucius propose des recettes de bien public , dans un respect
rciproque et une reconnaissance de laltrit, M prche la soumission sans distinction
au reprsentant cleste, ren, le Chef. Pour lui, distinguer le toi et le moi est le principe
de toutes les plaies sociales . Il est remarquable que cette raction niant les principes
daltrit fonctionne comme nimporte quelle forme dendoctrinement actuelle .
Ce que je propose den retenir, cest le concept-cl figur par tien ming, que
Lacan interroge dans sa rfrence Mencius, justement pour montrer quel point est
dlicate la traduction, puis linterprtation des caractres chinois, et quelle orientation les
dnominations correctes donnent la rflexion ontologique.
3- Mencius (Meng tzu) lhumaniste.
Etiemble sinterroge propos du Matre de Mencius1 : Lorsque matre Kong se
rclamait du Ciel, quentendait-il au juste, lui ? A la mort dun de ses plus chers
disciples, il aurait gmi : Le Ciel me dtruit ! Ce quoi Etiemble ragit : Mais
combien dagnostiques chez nous disent Dieu merci ! . Cependant lauteur suppose
que Confucius conserve tien la valeur quil a habituellement dans les textes classiques
chinois : sens moral, cosmique et lyrique tout la fois. Tandis que le sage emploie plus
rarement tien ming , le dcret du ciel. Etiemble le cite2 : A cinquante ans, je compris
le dcret du ciel (II, 4) . Etiemble laisse se dessiner un flou , tout en conservant au
terme sa valeur positive : Le ming ressemblerait au destin, mais dans la mesure o
lhomme se fait soi-mme3 . Ce peut dsigner aussi le hasard, laccident , qui
contrarient ou interrompent la destine individuelle3.
Dans le Sminaire XVIII, Lacan va commenter la citation de Meng tzu en
prambule au thme du jour, la fonction de lcriture4. Bien videmment dans lincertitude
o nous sommes encore actuellement, (ce que des sinologues comme Granet et
Etiemble soulignent avec insistance) de lexistence tangible de Lao tseu et de Confucius,
ce qui a prvalu dans la structuration de la socit chinoise, cest la transmission crite
de ces principes de sagesse. Lacan parle du phylum philosophique en tant quil est
nodal pour comprendre ce dont il sagit quant au discours du matre .
1 Etiemble, Confucius, de 551 1985, Folio essais Gallimard 1986, ch. La Gestion , p. 113.2
Idem p. 113, 114.3 Idem p. 114.4 Lacan, Sminaire XVIII, leon 4, 17 fvrier 1971, p. 55 et suiv.
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Le texte dont il est question est extrait du Mencius, recueil des penses de ce
philosophe. Qui tait-il ?Meng tzu ou Mong tseu, latinis en Mencius, vcut donc la fin
du IV me sicle av. J.C. il na pas connu Confucius, mais son enseignement lui fut
transmis par Tseu sseu, petit-fils du matre . Comme son illustre prdcesseur, il naquit
dans la seigneurie de Lou. Marcel Granet note1 quil tait un brillant crivain, plutt
polmiste que penseur. Il ajoute1: Il dfendait la sagesse confucenne en la dfinissant
comme une sagesse du juste milieu, galement distantes de deux utopies
pernicieuses , lindividualisme pur, gosme grossier chez Yang tseu2, le fanatisme et la
dvotion sectaire au bien public chez M tseu. Mencius affirme : Yang tseu part du
chacun pour soi. Sarracher un seul poil lavantage de lempire, il ne laurait pas fait. M
tseu, cest laffection qui ne distingue pas : se faire broyer du cou au talon lavantage
de lempire, il laurait fait.
Maillon de la transmission confucenne, Mencius en reprend les thmes
humanistes principaux.Mais, et cest l toute limportance de lexprience quen fait
Lacan, quelque chose du fait de lapproche polmique de Mencius ,pourtant le contraire
dune ide originale et novatrice3, quelque chose de surprenant va sortir de ce discours
tautologique4 , justement parce quil sagit de transmission crite, de lcrit, qui nest pas
la parole. Ce discours tautologique, cest : Homme, soyez humains5 , humain tant
signifi par le caractre ren dont - lexigence dEtiemble eu gard aux traductions des
plus minents sinologues le montre bien - peuvent tre extraites diffrentes traductions,
diverses interprtations. Nous lavons vu avec M tseu lopposant, qui promouvait lide
de chef. Rendfinit lhumanit,comme un en-plus, une qualit morale inhrente ltre
et qui ne demande qu se rvler. Franois Jullien la peroit comme un minimalisme
philosophique , une vidence : Ce qui singularise Mencius, ce nest dailleurs pas quil
dise cela, cest quil ne dise que cela, consquence de ce quen chinois, la vertu
dhumanit scrive avec lidogramme de lhomme suivi du chiffre deux ren, ren yi.
Donc, dans lcriture chinoise, cest lhomme accol au chiffre deux ,
calligraphi ainsi : , et qui signifie laltrit.
1 M. Granet op. cit., ch. L orhodoxie confucenne , p. 451, 452.2 Yang tseu ou Yong zi, lun des philosophes prcurseurs de la transmission de la pense taoiste.3 Comme le montre F. Jullien, op. cit.4
Suivant lexpression de F. Jullien, op. cit. p. 395.5 Idem p. 394.
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Lacan aborde la fonction de lcriture par ce quil dmontre de la complexit de
lcriture chinoise, tant est sujette nuances la traduction des diffrentes composantes
des caractres chinois .
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Sil sagit, dans la structure du discours du matre (qui fait exister le grand Autre
incarn par le Un comme semblant du pouvoir qui domine tous les autres1), dont le sens
sextrait dune vrit naturelle qui resterait dfinir, Lacan vient soutenir autre chose que
lexigence du logico-positivisme2, doctrine philosophique estimant qu un certain
nombre dnoncs philosophiques se trouvent en quelques sortes dvaloriss du fait
quils ne donnent aucun rsultat saisissable quant la recherche du sens . Il ajoute :
En dautres termes, pour peu quun texte soit pris en flagrant dlit de non-sens, il est
mis pour cela mme hors jeu et si nous partons du principe que quelque chose qui
na pas de sens ne peut pas tre essentiel dans le dveloppement dun discours, nous
perdons le fil tout simplement. Aussi bien le sens est-il une question de culture et dans
la sagesse orientale, le non-sens laisse mditer, cest ce qui est manifeste dans le
taoisme et le bouddhisme.
La philosophie humaniste de Mencius se fondait sur un certain pragmatisme,
puisqu elle sinscrivait dans un engagement politique , dans un projet damlioration
morale des stratgies gouvernementales. Ltayage en tait le bon sens. Etiemble
raconte3 : On assure que Mencius rsida dans le Tsi, dont le prince, le roi Huan,
prtendait lhgmonie Comme ce prince navait pas ltoffe dun vrai roi, Mencius
qui dtestait les hgmons quil opposait aux Wang, les vrais rois, voulut le persuader
den adopter les qualits : Constituez ds aujourdhui un gouvernement fond sur la
bienveillance Mencius fit au prince un discours complet dconomie politique :
quand on crve de faim on se soucie fort peu des manires et de la morale ;
commencez donc garantir tous vos sujets de quoi manger et assurez la subsistance
des leurs. La vertu et la morale , tablies comme valeurs incontestables, ne pouvaient
que rparer un pays en crise, tout en maintenant la stucture dune tradition hirachique,
que lon pourrait retrouver mtaphoriquement dans la structure de lcriture :le caractre
tian ,le ciel, se trace au dessus et le caractre ming, qui le complte, lui estsubordonn dans lexpression le dcret du ciel . Lon a vu quel point M ,
lopposant, a rcupr cette expression en lui donnant un tout autre non-sens.
1 Expos dAntonio Quinet intitul lhtrit de Lacan , p. 67 de la revue de psychanalyse, Htrit 2,2001 lOdysse lacanienne, IFCL nov. 2001.2
Lacan, Sminaire XII, p. 59., propos de louvrage des philosophes anglais Richards et Ogden, intitulThe Meaning of Meaning, Le Sens du Sens, sur la doctrine logico-positiviste.3 Etiemble, Confucius , chap. Le legs , p. 158-159.
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Conclusion : quand lhumanisme chappe la logique philosophique.
La ligne vertueuse de Mencius est humaniste, en ce quelle reconnait des
qualits altruistes tout individu, comme inhrentes et virtuelles . Elle ne doute pas
dune possible compassion. Quest-ce qui fait dire Etiemble1 Peut-on lire en Mencius
comme une premire bauche de la psychanalyse ? Est-ce le fait que, dj,dans le
phylum confucen, la perspective humaniste ne pouvait scrire sans lien lAutre ? Est-
ce le fait que ces sages avaient su, par la primaut donne au langage et aux
dnominations correctes , dceler et nommer des tendances chez ltre humain ,
mises lpreuve de la collectivit ? Etiemble nmet pas de rponses et conclut dune
hypothse dans le champ du discours politique : Je crois que si la Chine avait appliqu
son conomie politique (celle de Mencius) , elle et montr au monde le chemin du
socialisme2.
Il est fort intressant de se reporter lanalyse de la pense mencenne par
Franois Jullien et Thierry Marchaisse3. A propos du principe tautologique de Mencius,
Hommes, soyez humains , F. Jullien ajoute : Voil ce quil faut bien assumer
pourtant par la pense , mais qui chappe la philosophie. Elle na plus rien dire la-
dessus, les mots lui manquent. Que manquait -il aux mots, pour un autre grand Sage
de lHistoire chinoise, Tchouang tseu ?
Chapitre 3.
Tchouang tseu, srnit et ralisme.
Lacan, Sminaire XIV, leon du 26 avril 1967.
Introduction.
Est-ce fatalit que de suivre la Voie ?Les confucens se donnaient pour objectif, dans leur rle de sages conseillers
auprs des princes, de les amener la raison et la vertu par lusage des
dnominations correctes, et lloquence requise signait la qualit du discours des lettrs.
Tchouang tseu en taoiste clair ne cherchait pas convaincre. Sa profonde
spiritualit sexprime travers lun des textes les plus importants du deuxime chapitre,
1
Etiemble,Confucius op. cit.p. 167.2 Idem rfrence prcdente (2, p. 17).3 F. Jullien et T. Marchaisse, op. cit., ch. Lire Mencius, lire la Chine , p. 401.
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1- Le papillon et lAutre.
Cependant, est-ce vritablement fataliste ? Voici quelque chose dassez tonnantet qui nous permet de reporter toute notre attention sur le paragraphe que Lacan rserve
Tchouang tseu dans leSminaire XIV1. Liou Kia hway rappelle ce que dit le philosophe
propos de la libert2 : Lhomme parfait est sans moi, lhomme inspir est sans
mrite ; lhomme saint ne laisse pas de nom . Cette libert intrieure serait
laboutissement dune sorte de dissolution o lhomme change de point de vue par
rapport son moi , parce quil aspire fusionner avec la nature en surmontant
idalement lobstacle de la matire .
Si nous suivons Lacan dans le rve de Tchouang tseu, nous sommes tents de
rapprocher cette dissolution , de laphanisis de Jones. Lacan met en garde de ne pas
sgarer dans un possible contresens : Dieu sait ce quon lui fait dire ( Tchouang tseu
de ce quil aurait dit propos davoir rv de stre rv lui-mme tre un papillon.Il
aurait interrog ses disciples sur le sujet de savoir comment on peut distinguer Tchouang
tseu se rvant papillon, dun papillon qui tout rveill quil se croit ne ferait que rver
dtre autre chose ! Pour Lacan, il sagit avant tout du thme de la formation des tres
savoir des choses et des lois qui nous chappent depuis longtemps dans une trs
grande mesure , je veux dire quant ce quil en tait exactement pens par ceux qui ont
laiss des traces crites . Dans ce rve, si le je de Tchouang tseu est comme
voyant lobjet et quil peut dire je vois ceci ou cela lAutre, le papillon n est rien
dautre que ce qui le dsigne lui-mme comme tache, le je sur ce fond . Il sagit de
la pulsion scoptophilique, o nous ne pouvons pas encore saisir , dans la multiplicit,
au reste, de ces objets a, ce qui lui donne ce privilge dans le statut du je en tant quil se
pose comme dsir .
Nous ne saurons jamais rien du dsir de Tchouang tseu, cependant nous en dit-il
un petit quelque chose dans sa qute de la Voie, dont lidal est le dtachement
suprme ? Peut-on envisager qu la notion de dtachement des biens matriels soit
relie celle de dtachement de lobjet a, tel que la rptition de ce quelque chose qui
1
Lacan, Sminaire XIV, op. cit., ch. VIII, leon du 25 janvier 1967, p. 115 et suiv., Tchouang tseu et le rveau papillon.2 Liou Kia hway, op. cit., p. 13 de la prface.
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tombe de lobjet soit rsolue par lutopique fusion de lhomme et de lunivers, dans
l harmonie cosmique chre aux taoistes ?
2- Le rve comme thme de rflexion.
Le rve au papillon vient clore le chaptre 2 du Tchouang tseu. Mais voici un
passage dtaill, qui le prcde, et o se dploie le concept du rve. Alors que
Tchouang tseu, travers un dialogue imaginaire expose que le saint est ignorant et
simple1 il ajoute : Comment pourrais-je savoir si lamour de la vie nest pas une
erreur ? Comment pourrais-je savoir si celui qui a horreur de mourir ne ressemble pas
un enfant gar qui oublie le chemin du retour vers son foyer ? Et plus loin viennent
ces paroles tonnantes2 : Certains rvent de festins et pleurent au rveil, dautres
pleurent dans leurs rves , et laurore partent la chasse .Or les uns et les autres
,pendant leurs rves, ne savent pas quils rvent, et parfois rvent quils sont en train de
rver.Ce nest quau moment de leur rveil quils savent quils rvent . Ce nest que lors
du grand rveil quon sait que tout na t quun grand rve. La foule ignorante se croit
veille en distinguant le prince dun berger. Quel prjug !
Quant au rve au papillon : Jadis, Tchouang Tchou rva quil tait un
papillon voltigeant et satisfait de son sort et ignorant quil tait Tchou lui-mme .
Brusquement, il sveilla et saperut avec tonnement quil tait Tchou. Il ne sut plus si
ctait Tchou rvant quil tait un papillon , ou un papillon rvant quil tait Tchou.
Entre lui et le papillon, il y avait une diffrence. Cest l ce quon appelle le ch angement
de tres. Si nous rejoignons le paragraphe o Lacan, dans le Sminaire XII3distingue
deux termes partir de la diffrence et de laltrit, les termes de semblable et de mme,
et plus familirement du pareil au mme, la thse de la position scopique du je par
rapport l Autre permet de situer lAutre comme conjoint non pas au pareil mais au
mme , et il est opportun de ritrer cette remarque : la question de la ralit de
lAutre est distincte de toute discrimination conceptuelle ou cosmologique, elle doit tre
pense au niveau de cette rptition de lun qui linstitue dans son htrotit
essentielle. Lacan dcle dans le rve du papillon une position relative lAutre. Dans
un autre texte, dont ce rve pourrait tre lune des ramifications, Tchouang tseu situe
1Tchouang tseu, op. cit., ch. II, p. 43.2 Idem p. 44.3 Lacan, Sminaire XII, op. cit. p. 186.
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ltre dans laltrit. A vrai dire, tout tre est autre, tout tre est soi-mme. Cette vrit
ne se voit pas partir de lautre, mais se comprend partir de soi-mme , mais soi-
mme dpend aussi de lautre1.
En termes analytiques, lon dirait que Tchouang tseu interroge la position
du sujet dans son rapport lAutre et ce nest pas sans voquer cet Autre de
lalination , que le dsir, cest le dsir de lAutre. Ce que dit Lacan sur le rve de
Tchouang tseu, cest quil dvoile une ide transparente elle-mme2 .
Conclusion : on en parle encore.
Que pouvons nous retenir de cette progression dans la sagesse chinoise, nos
sminaires sous le bras ?
Dans la leon du 25 janvier 1967, Lacan samuse un tantinet, partir de la formule3 : Je
suis non pas celui qui suis, ni celui qui est, mais ce que je suis, cest dire cherchez toujours !
Puis : Car la vrit le Tao snonce, comme vous le savez, de notre temps o le Zen court les
rues , vous qui avez bien d le rcolter dans un coin, que le Tao qui peut se nommer nest pas le
vrai Tao. Nous ne sommes pas l pour nous gargariser avec ces vieilles plaisanteries. Il sagit
surtout de dire en quoi les mystiques - si tant est que Lao tseu et Tchouang tseu en aient t -
veillent une certaine vigilance, de ne pas sblouir de lvidence surtout lorsque les choses ontlair de tourner rond.Boutade lacanienne ? Les mystiques je nen parle que pour signaler
quils sont moins btes que les philosophes, de mme que les malades sont moins btes
que les psychanalystes4 .Si nous pouvons cheminer dans ces Voies, cest que les crits des
philosophes chinois sont arrivs jusqu notre sicle ; ils nous font encore parler. Et quelquesoit
leur angle dapproche, cest bien autour de ce qui na pas t entendu quil y a matire
discussion.
En quoi, dtre crit, modifie-t-il le discours ? Lacan avertit son auditoire avec
insistance, propos de la formule du discours de lanalyste5 : Cest parce que ctait
1 Liou Kia hway, op. cit., p. 15.2 Lacan, Sm. XIV, op. cit., p. 115.3 Idem, p. 114.4 Lacan, Sm. XIV, op. cit., p. 273.5 Lacan, Sm. XVIII, op. cit., p. 61.
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crit et crit comme a, car je lai crit maintes reprises, que vous ne lavez pas
entendu. Cest en a que lcrit se diffrencie de la parole, et il faut len beurrer
srieusement, mais naturellement non pas sans inconvnients de principe, pour quil soit
entendu Cest de la parole que se fraie la voie vers lcrit .
Nous tenterons dapprofondir cette question dans la deuxime partie.
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DEUXIEME PARTIE
CALLIGRAPHIE , BELLE ECRITURE , FICHUS CARACTERES
Introduction . Ailleurs, la psychanalyse
Freud en Chine
Monsieur Muo1, apprenti psychanalyste chinois, est de retour en Chine aprs
un long sjour en France, o il a tudi Freud et Lacan. Le train lemmne dans sa
province natale du Sichuan : Non, Monsieur Muo ne se trouve pas dans un wagon,
mais au milieu dune ligne dcriture, dans la langue dun lointain pays, et surtout au
milieu de ses rves, quil noteet analyse avec tant de conscience professionnelle, tant
de zle, ou plutt tant damour2 De fait, Monsieur Muo voue Lacan et Freud , ses
deux matres, une adoration inconditionnelle . Lire Freud et Lacan, sen remmorer
des passages, font natre en Monsieur Muo une volupt enfantine . Le plaisir quil
prouve retranscrire ses rves en franais le libre dune calligaphie besogneuse et,
du coup, est le signe quil est entr dans un autre monde, toujours palpitant, toujours
passionnant, toujours nouveau. Le roman de Dai Sijie, intitul Le complexe de Disest
rcemment vu attribuer le Prix Femina. Il arrive point nomm pour illustrer par la fiction
lun des possibles de lavenir de la psychanalyse outre-occident.
Mais au-del de la lgret et de la fantaisie de cette fiction, au-del de la
caricature dun apprenti psychanalyste qui vnre ses matres, Freud et Lacan et non
Lao Tseu ou Confucius, il apparat deux thmes , vers lesquels nous a conduit le
parcours guid par Lacan travers civilisation et philosophie chinoises. Ce parcours
concerne moins la transmission possible de la psychanalyse ailleurs que dans les
socits occidentalises, que les particularits des modes de pense qui traduisent
autrement ces deux thmes, celui de la vrit et celui de la jouissance.
Aprs la migration des sagesses orientales en Occident, qui a donn lieu
quelques remarques allusives de Lacan, comme nous lavons vu dans la premire partie,
nous assistons la migration de la psychanalyse vers la Chine, un moment o la
socit chinoise subit dimportantes mutations, tiraille par des forces antagonistes :
1
Dai Sijie, Le complexe de Di, d. Gallimard 2003. Monsieur Muo est le nom du personnage principalde ce roman.2 Idem p. 16 et 17.
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dune part le retour aux valeurs traditionnelles confucennes, dautre part lattirance vers
la consommation capitaliste1 . Nous dvelopperons cette question un peu plus loin, grce
de prcieux lments recueillis au cours dun entretien tlphonique avec Monsieur
LIN Ping Xian, minent professeur dhistoire de la psychanalyse Pkin.
Mais comme nul ne peut prdire lavenir de la transmission de la psychanalyse, il
est par contre indispensable dexplorer ce qui se profile des consquences de la
diffrence langagire,entre notre civilisation et la civilisation chinoise, question finalement
dbusque par Lacan au cur de lcriture chinoise.
La chronologie historique de la premire partie a permis de situer les pisodes
philosophiques dont Lacan sest inspir pour largir sa rflexion. Avec ces repres
philosophiques et chronologiques, nous remonterons le cours des Sminaires avec en
ligne de mire ces deux termes, de la vrit et de la jouissance, tous deux reconsidrs
dans cet espace de sagesse laissant sa trace par lcriture, et dans lequel vrit et
jouissance demeurent galement insaisissables.
Dommage ?
Remonter le cours des sminaires, cest repartir, comme annonc dans
lintroduction gnrale de ce mmoire, du passage de Tlvision o lacan parle de la
Voie et lche ce regret : Dommage que 2. La jouissance et la vrit y apparaissent
lpreuve des particularitsdune civilisation diffrente ,tout comme la diffrence entre
lcriture chinoise et la ntre3, ce qui nous apprend quelque chose dautre, autre chose
que la btise du simple constat.
La structure propre cette criture, son originalit, son appel lquivoque, nous
donnent envisager dautres aspects des modalits de la jouissance.
En premier lieu, nous relions ce moment de Tlvision au chaptre IX du
Sminaire XX4, comme rappel des dveloppements de Lacan sur la jouissance et sesmodalits. Si pour les taoistes, Laffaire nest pas de vrit mais de voie , sagit-il
dune jouissance autre, celle de la sagesse, parce quelle serait jouissance de la
pense5? Vers quoi Lacan nous oriente-t-il ?Il sagit bien ici dOrient, dune voie qui
slve, mais vers quoi, eu gard la vrit ? Nous nous efforcerons dextraire du champ
1 V. article paru dans le journal Libration du 30/10/03 : 2500 aprs, Confucius bouge encore 2 LACAN Tlvision op. cit. p. 52.3
LACAN Sminaire VIIop. cit. p. 195.4 LACAN Sminaire XXop. cit. ch. IX, Du Baroque , p.95.5 LACAN Sminaire XXop. cit. p. 66.
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philosophique ce qui sen diffrencie par la voie toute spciale de la sagesse et qui attire
le Sujet vers un autre mode de jouissance, qui, pour emboiter le pas la remarque de
Lacan, laisse froide la ntre . Que peut-il y avoir dans lexpression de son regret :
Dommage que ?
Avec le secours de lIndex Rfrentiel , nous pouvons observer de manire
panoramique, trois champs dexploration de Lacan dans la culture chinoise : le geste et
le thatre, la philosophie au fil de lcriture, et labord de lArt potique par lcriture ,
grce luvre de Franois Cheng. Ce cheminement volutif soulve de nombreuses
interrogations qui semblent confluer vers le thme de la jouissance et de sa particularit
mise jour dans Tlvision.
Partout a ne va pas .
En ce qui concerne la Chine actuelle, issue de lcriture et du dtour 1 quelque
chose des particularits culturelles est emport dans le mouvement sociopolitique et la
recomposition des liens sociaux. Lon ne peut que sinterroger sur cet intrt naissant
pour les sciences humaines, dont la psychanalyse. Cest lmergence dune approche
clinique de lindividu dans une culture fonde sur la collectivit.
Cest l un point de convergence avec ce qunonce Lacan dans le Sminaire XX,
sur la collectivit et le non-rapport sexuel, do lon peut dduire que quelquesoit la
collectivit, les rapports des hommes et des femmes a ne va pas 2, sauf faire aller
quand mme par divers amnagements de ces rapports.
Il nest, l, pas question de diffrence de stucture, mais de modalits. Si le
rapport sexuel ne peut pas scrire , quest-ce qui peut bien scrire dans une civilisation
fonde sur lcriture ?
Le discours psychanalytique dbusque cette vrit, que a ne va pas , en ce
sens que cette part importante de ce qui se confie dans le discours cest reconnatreque a ne va pas . Que chaque ralit se fonde et se dfinisse dun discours 3 cest
poser la cause et les effets. Si le signifiant est cause, les effets en sont le signifi,
lcriture, et la jouissance. Et lorsque dans son approche du texte de Mencius4, Lacan
relve la fonction de la cause, cest bien dadmettre intuitivement, en labsence de ralit
1 Franois JULLIEN, Le Dtour et lAccs, stratgies du sens en Chine, en Grce, d. Grasset etFasquelle, 1995.2
LACAN Sminaire XXop. cit. p. 34.3 LACAN Sminaire XXop. cit. p. 33.4 V. Premire Partie de ce mmoire, sur Mencius.
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prdiscursive, un amnagement possible de la jouissance, qui passe par la voie qui nest
pas vrit.
Cette fonction de la voie substantifie par lcriture vient pallier - Lacan parle de
supplance du langage - linsaisissable logique dun rapport ncessaire, qui ne cesse
pas de ne pas scrire .
A partir de Tlvision, les notions de vrit, de voie et de jouissance sont, en
somme,autrement interroges, et constituent le point charnire dune double ouverture :
lune thorique, sur la fonction de lcrit en tant que lcrit se diffrencie de la parole
et que l criture est effet de discours ; lautre dans ce champ dexprience quest
lAutre culture, avec les particularits de lcriture chinoise, traces inscrites long terme,
de la voie taoiste de la jouissance et plus largement de la voie de la Sagesse.
Lacan parle du discours philosophique comme une variante du discours du
Matre 1 tout comme le discours de la sagesse. Cest un discours qui scrit, et cest en
ceci que lcrit se diffrencie de la parole 2, faire autre chose du discours et
produire dautres effets.
Chi,signifiant du souffle.
Louvrage de Colette Soler, Len-corps du sujet3, amne un nouvel clairage sur
ce qui relie, dans le champ de la jouissance, le corps et lcriture. Lacan, dans le chapitre
Ronds de ficelle , Sminaire XX4, soutient que ce qui scrit, ce sont les conditions
de la jouissance et nous verrons cet aspect de la question travers le geste et le corps
dans les Arts corporels chinois, issus des plus anciennes pratiques taoistes. Retenir
son foutre , comme le synthtise Lacan reprsente en quelque sorte la quintessence de
la matrise corporelle puisant aux sources de la Sagesse.
Colette Soler rappelle que la jouissance est la marque du sujet, quelle est inscrite
dans le sujet. En ce sens, lcrit voque le symptme, effet marquant du signifiant-cause.Si lcriture procde de la jouissance en ceci quelle implique le corps, comme la
remarquable gestuelle de la calligraphie, alors la civilisation chinoise est un exemple
vivant et reprsentatif du passage de la culture lArt ; lart calligraphique, indissociable
de lcriture potique, sen fait le symbole car il mane, comme tout ce qui srige en Art
dans cette tradition, dun signifiant qui minemment dsigne le vivant : le chi (ou qi),
1
LACAN Sminaire XXop. cit. p. 36.2 LACAN Sminaire XXop. cit. p. 45.3 Colette SOLER, Len-corps du sujet, cours 2001-2002, d. du Collge Clinique de Paris.4 LACAN Sminaire XXop. cit. p. 118.
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souffle, nergie vitale, qualifi par bien dautres signifiants qui ne sont, tous, que des
approximations. Dans lide de souffle vital, nous dcelons le point nodal de la
jouissance.Luvre de Franois Cheng, qui pour Lacan fait rfrencedans le Sminaire
XXIV, transmet une prcieuse vocation de la mtamorphose du discours travers
lcriture potique. Lorsque Franois Cheng introduit Lcriture potique chinoise1, il parle
effectivement des mtamorphoses qua connu, au long des sicles lcriture chinoise
depuis son origine, ce chant ininterrompu . Il note aussi que le systme dcriture a
conditionn en Chine tout un ensemble de pratiques signifiantes , posie, calligraphie,
peinture, mythes. Lon peut ajouter que, initialis par le mouvement du chi, le geste
calligraphique procde de la mme dynamique que la gestuelle des Arts corporels, Arts
martiaux (Wushu, Taiji quan) ou Arts de la sant (Dao yin fa, Chi gong). Ecriture,
jouissance, mtamorphoses : il semble que les formulations du discours, prenant corps,
nous donnent bien des indications pour rflchir aux conditions de la jouissance et la
fonction de lcrit.
Chapitre 1.
S/s2Lcrit est-il lire ?
Introduction. Intraduisible.
Finnegans Wake, au tout dbut3 : Sire Tristnam, violeur damoeurs, manchissant
la courte oisie, navait pque baiss sa derrive dArmorique du Nord, etc
Auparavant, cest une citation de Roland Barthes qui inaugure la prsentation du
Finnegans Wake, de James Joyce : Lcriture nest nullement un instrument de
communicationelle parat toujours symbolique, introverse, tourne ostensiblement
du ct dun versant secret du langage.
Lorsque Lacan, dans le Sminaire XX, insiste sur la forme pronominale de selire , cest pour dire quel point lcrit nest pas forcment lire, car pas forcment
lisible par lautre. Si Joyce nest pas traduisible en chinois4, cest quil y a une relation si
particulire, dans son criture, entre le signifiant et le signifi, que langlais de Joyce -
cependant traduisible en franais - et la langue chinoise ne naviguent pas sur la mme
1 Franois CHENG, Lcriture Potique Chinoise, d. du Seuil, 1996, p. 11.2 LACAN Sminaire XXop. cit. p. 35 : S/s, effet de discours, ce que la barre fait valoir entre Signifiant et
Signifi est marqu par la distance de lcrit.3 James JOYCE, Finnegans Wake, d. Gallimard Folio, 1982, p. 19.4 LACAN Sminaire XXop. cit. p. 36-37.
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longueur donde. Lacan dit que le signifiant de Joyce vient truffer le signifi . Si cette
absolue fusion se fait hors-sens, exclue limaginaire, cest que la barre entre S et s,
barre de la ngation, sestompe , ou disparat. Lquivoque du sens est alors illimite,
infinie, hors sens, il ny a plus vraiment de distance entre le signifiant et le signifi.
Colette Soler, dans son ouvrage Laventure littraire ou la psychose
inspire1 consacre toute une partie James Joyce, et dmontre dans le prolongement
de lanalyse lacanienne ce quest, chez Joyce, la pure jouissance de la lettre2 . La
question qui se dvoile dans lcrit est celle du sens. Lhypothse de Lacan est que,
chez le Joyce de Finnegans Wakeen particulier, le court-circuit du sens passe par
un usage spcial de lquivoque3. Colette Soler ajoute : Le paradoxe, cest que
Joyce fait de lquivoque mme, symptme, autrement dit jouissance3 au point
quil fixe la jouissance la pulvrulence de lquivoque rendant tout sens volatile et
insaisissable. Cest une manire toute particulire de phagocyter lcriture. Dans un
autre chaptre, Colette Soler affirme que Joyce se fait, par la lettre, un ego
consolid4 , qui supple au laisser-tomber du corps. Lacan prfrait parler
d ego que de moi , du fait du dnouage de lImaginaire 5 de son amarrage au
Rel et au Symbolique, du fait de navoir pas de corps , de ne pas crire avec son
corps6 . Colette Soler explique alors : lincorporel de son criture tient au fait quentre
rel et symbolique il sagit dune jouissance qui nest pas du corps propre, mais des
lettres multiples de la langue. En ce sens, on pourrait dire que Joyce ncrit pas avec
son corps5. Dans la possession de la lettre, Joyce fut peut-tre le martyr7 de la
langue , dmontrant qu lextrme, lcrit est pure jouissance de la lettre.
Colette Soler nous dit aussi que lenseignement de Lacan voque dautres
exemples de pure jouissance de la lettre : la calligraphie notamment, o il sagit de
tracer le trait unique dun seul coup, sans rature. Pourtant, la particularit de la
calligraphie chinoise rside en ce quelle requiert une attitude corporelle de mmenature que celle des Arts Corporels en gnral, inspirs par les principes Taoistes. La
1 Colette SOLER, Laventure littraire ou la psychose inspire, d. du Champ lacanien, 2001.2 idem p. 59.3 idem p. 60.4 idem p. 71.5 idem p. 67.6 idem p. 61.7 idem p. 82.
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calligraphie chinoise est donc un art corporel o lquivoque et Lacan nous en
explique quelque chose dans son approche de Mencius surgit la fois de la prsence
du calligraphe, du vide et du plein, de la forme, du trac, aussi bien que du contenu
potique, pictural. Le sens et son quivoque sont suggrs par larticulation des
caractres tracs et des sons dont ils sont porteurs. En ce sens, il est possible de dire
de la calligraphie chinoise quelle a une fonction de transmission, de situer la civilisation
chinoise dans un continuum, une gnalogie.
Le dtour par lcriture de Joyce, nous en dit un peu plus sur la fonction
symptomatologique de lcrit, cest dire l o se situe la jouissance. Pour Joyce, il
sagissait de se faire un nom, le nom de ce que je suis pour lAutre autrement dit le
nom du symptme que je suis pour lui1. Colette Soler traduit par l que Joyce a
trouv son audience il a russi passer du traumatisme de lalangue au
symptme-nom, qui fait de lui un matre du discours . Ce fut sa manire lui dentrer
dans le lien social, par la publication , la renomme .
Si la civilisation chinoise sest fonde sur lcriture, cest que, justement, lcriture
consiste pour elle en le vecteur du dit et du non-dit, conformment lindicible Tao, en
core faut-il que cela soit entendu, que le Tao est indicible. Lcriture chinoise se
construit dune codification aux origines les plus anciennes(V. les graphis antiques en
annexe) ,o le corps est engag, jusqu y tre reprsent comme trac de base,
comme cl . La lettre, effet de discours, dsigne ds lorigine la marque de
reconnaissance grave sur des objets dchange, la marque de fabrique : Cela veut
dire que cest du march prcise Lacan2 et donc que le march est effet de discours,
dans une possible rciprocit, dans lchange codifi.
Leffet du discours, dans cet change, fonctionne comme un lien, sur le modle de
S/s sans lequel on ne pourrait pas voir que du signifiant sinfiltre dans le signifi ,
que quelque chose se transfuse de lun lautre. Pourtant, ce que lon entend, cest lesignifiant. Le signifi, lui, ne sentend pas, bien queffet de signifiant.
Il est utile de considrer les choses dans leurvolution. Lacan nous invite
les prendre au niveau de lhistoire de chaque langue2. Si nimporte quel effet de
discours est fait de la lettre, la lettre, elle, sort des diffrents discours, de la multitude
des langues. Aussi bien, les lettres sorties du discours analytique ont-elles une valeur
diffrente que celles de la thor