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1 Bruno Drweski Pridniestrovie ≠ Transnistrie 2012 Editions du Présent Littéraire Arad

Pridniestrovie ≠ Transnistrie

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Tout ce qu'on vous cache sur la Transnistrie.

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Bruno Drweski

Pridniestrovie ≠ Transnistrie

2012

Editions du Présent LittéraireArad

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Collection IMAGO MUNDI, vol. I

Collection dirigée par: Raoul Weiss

Texte original 2012 ©Présent Littéraire SRL, Roumanie - www.le-present-litteraire.com

I.S.B.N. : 978-606-93122-3-0

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La courte guerre qui s’est déroulée en 1992 le long du Dniestr a opposé très violemment deux formations étatiques indépendantes nées au moment de la désintégration de l’URSS. Depuis, un calme précaire règne dans cette région, mais les séquelles du conflit continuent à peser sur les populations locales (1) : cessez-le–feu le long de l’ancienne ligne de front, crimes de guerre restés impunis, disparus non retrouvés, absence de reconnaissance internationale de l’entité où vit plus d’un demi-million d’habitants, double taxation des produits locaux aux frontières, double homologation exigée, et donc coûts supplémentaires pour les produits provenant du Dniestr, non reconnaissance des documents d’identité, de voyage et des diplômes émis par Tiraspol, fermeture de l’espace aérien pridniestrovien, interruption du trafic ferroviaire normal, impossibilité d’importer des produits décrétés « stratégiques » en provenance des pays occidentaux, rumeurs malveillantes sur les activités commerciales déployées sur les bords du Dniestr, etc.. Cette situation pesante dure maintenant depuis plus de 20 ans. Et pourtant, les gens continuent à vivre là-bas, ils ne quittent pas massivement le pays, c’est plutôt le contraire qui se produit, si l’on compare avec les deux États voisins.

Comment une telle situation est-elle possible ? Pourquoi les autorités locales jouissent-elles d’une crédibilité réelle auprès de leurs concitoyens pour que l’entité qu’elles dirigent continue à perdurer envers et contre tout ? Car le gouvernement de Tiraspol n’a aucune relation officielle avec aucun État indépendant reconnu internationalement, même s’il bénéficie d’une sympathie assez large au sein des populations de l’ex-URSS et, en conséquence, au sein de beaucoup des dignitaires de la plupart des États de la CEI, voire d’autres pays d’Europe ou du tiers-monde, dès lors qu’ils découvrent la situation existante (2).

Nous verrons dans cet ouvrage les raisons économiques et sociales qui peuvent aider à comprendre ce phénomène assez extraordinaire. Nous verrons les racines culturelles multiethniques de cette société, qui contribuent aussi à expliquer son acharnement à refuser de se soumettre aux injonctions des institutions dominant le monde d’aujourd’hui. Nous examinerons aussi les fondements légitimateurs de la « République moldave de Pridniestrovie » (Transnistrie).

Mais, avant d’aborder ces sujets, commençons par un petit peu d’histoire, de géographie, et de géopolitique. Car c’est là que se trouvent les racines de la situation actuelle, et c’est là que nous trouvons les éléments qui ont permis aux habitants de cette entité d’imaginer la constitution d’un État qui, sous sa forme actuelle, n’avait jamais existé auparavant …et qui pourtant n’est pas né de rien.

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Dis moi comment tu t’appelles et je te dirai qui tu es

Le nom officiel du pays, et sa traduction dans les langues occidentales, pose lui même la problématique que nous allons développer dans cet ouvrage. Issue de l’ancienne République socialiste soviétique de Moldavie créée en 1940 comme conséquence du pacte germano-soviétique, l’entité d’abord soviétique puis indépendante qui a été créée en 1990 sur les bords du Dniestr revendique jusque dans son appellation officielle son origine moldave, comme c’est le cas pour sa voisine de l’ouest, aujourd’hui indépendante (la « République de Moldova »), et comme les provinces moldaves situées à l’ouest de la rivière Prut et faisant partie de la Roumanie. Mais l’identité moldave est une identité complexe. La moldavité qui s’est développée le long du Dniestr est restée plus fidèle aux fondements historiques de la première culture moldave qui s’était formée au Moyen-âge. Mais d’autres populations et d’autres cultures se sont aussi développées le long du fleuve Dniestr au cours de l’histoire.

L’actuelle entité étatique ayant pour capitale Tiraspol s’est établie le long de la rive orientale du Dniestr, sur plus de 200 km de rivage, mais aussi dans deux enclaves situées à l’ouest du même fleuve (Bendery et Kitskany), d’où son appellation dans les deux langues slaves officielles du pays (russe et ukrainien) de « Pridniestrovie » ou, « pays situé le long du Dniestr ». Ce préfixe « pri » n’existant pas dans les langues latines, le nom du pays dans la troisième langue officielle, le moldave, se traduit en français par « République moldave du Dniestr », en moldave « Nistru ». Nous pouvons donc accepter deux appellations pour désigner cette entité étatique : soit « Pridniestrovie », c’est-à-dire la transcription de l’appellation du pays dans deux de ses trois langues officielles (le russe et l’ukrainien), soit « Dniestr » (ou « Dniestrie »), du nom du fleuve qui a donné son nom au pays, dans la version de ce nom traditionnellement connue en français. On pourrait éventuellement aussi imaginer de reprendre le terme de « Nistru », du moldave, dans la mesure où cette appellation est la forme latinisée du nom du même fleuve, et que le français est une langue latine.

On ne peut en revanche accepter le terme le plus communément répandu pour désigner ce pays en français et dans les autres langues occidentales, celui de « Transnistrie ». Même si beaucoup de dirigeants locaux, peu au fait des questions linguistiques et historiques, l’utilisent eux-mêmes lorsqu’ils parlent dans ces langues. En effet, d’un point de vue géographique, l’appellation « Transnistrie » (« au-delà du Nistru », ou Dniestr) n’a de sens que si l’on se place géographiquement du côté de l’ouest, de Chisinau, de Bucarest. C’est donc déjà un choix partial (3). À cela, il faut ajouter que, comme nous venons de le mentionner, une partie du territoire de cette république se trouve sur sa rive droite, occidentale, et donc que, même vu de Chisinau, ce territoire n’est pas entièrement situé « de l’autre côté » du Dniestr.

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Mais il y a pire. Le terme de « Transnistrie » a été inventé pendant la Seconde Guerre mondiale lorsque l’État roumain, allié de l’Allemagne nazie, annexa les terres situées à l’est du Dniestr, jusqu’au Boh, et y procéda à de nombreux crimes contre les populations locales, et contre les Juifs et Tsiganes roumains amenés là pour y être tués. Reprendre donc ce terme aujourd’hui dans une langue occidentale est donc un crime contre la mémoire. Les seules appellations acceptables pour ce pays sont donc « Pridniestrovie », « Dniestr » ou « Nistru ». C’est donc celles que nous utiliserons dans cet ouvrage.

Nous avons commencé à voir, en abordant cette question d’appellation, l’importance du facteur « légitimité » dans le règlement de la question moldave et, en conséquence, l’importance du facteur historique, par lequel nous commencerons ici notre périple dans ce territoire disputé et attachant.

Symboles nationaux de la Pridniestrovie

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Histoire mouvante et stabilisation russe Aussi loin que l’on remonte dans la nuit des temps, on constate que les terres situées le long

du Dniestr ont été des terres de passage, et que des populations et des États très divers y ont laissé leurs traces. Sans même remonter en détail aux découvertes archéologiques et à la présence des populations nomades ou semi-nomades (Ougro-finnois, Indo-européens de différentes peuplades, Latins, Germains, Slaves, Huns, Avars, Hongrois, Petchenègues, Polovtses, Tatars, Turcs, etc.) qui ont traversé ou emprunté le Dniestr avant la constitution des États médiévaux, c’est à une liste impressionnante d’États successifs que nous avons affaire sur ce territoire depuis un millénaire : Ruthénie (Rous’) de Kiev, empire tatar de la Horde d’or, Lituanie, empire ottoman, Pologne, Russie, URSS (Ukraine soviétique puis Moldavie soviétique), Roumanie, Pridniestrovie.

C’est incontestablement avec l’annexion de ces territoires à l’État russe que commence l’histoire d’une continuité de peuplement massif, sédentaire, et concentré sur ce territoire. Jusque-là, les terres situées le long du Dniestr étaient habitées par des populations éparpillées, rarement urbanisées, menacées en permanence, et donc très mobiles. Quelques centres comme Bendery ou Kamenka purent s’y développer, mais la règle générale resta, jusqu’au XVIIIe siècle, celle d’une histoire de peuplement mouvante et instable. Chaque État successif pouvait y faire passer ses armées, y établir des campements militaires ou des forteresses, mais aucun d’eux n’eut de véritable politique de peuplement, et les populations qui s’établissaient sur ces terres steppiques et ouvertes à tous les vents le faisait dans la précarité et l’insécurité quasi-permanente. C’est incontestablement l’irruption de la Russie sur les terres situées le long du Dniestr et de la mer Noire qui allait faire entrer ces territoires dans l’histoire du peuplement et du développement économique réguliers.

Une vision un peu mythifiée de l’histoire russe s’appuie sur un soi disant conflit séculaire qui aurait existé entre l’islam et la chrétienté orthodoxe, et qui pourrait servir d’argument légitimateur pour l’expansion russe vers le sud et le sud-ouest de l’État des tsars. Cette expansion a bien eu lieu, et elle avait des causes géopolitiques, commerciales, géographiques. Mais le conflit entre l’État russe et l’Empire Ottoman en décadence au XVIIIe siècle fut simultané avec la poussée de la même Russie en direction de la Pologne et de la Suède, elles aussi en décadence au même moment, et pourtant États à dominante chrétienne. Et du côté « turc », on trouvait le long du Dniestr, non pas une entité musulmane, mais l’État moldave, un État vassal de la « Grande Porte ». Mais un État chrétien orthodoxe, dominé par une élite liée au patriarcat grec de Constantinople, et où l’on pratiquait simultanément le grec et une langue slavisée d’origine latine. Le conflit qui opposa deux armées le long du Dniestr à la fin du XVIIIe siècle, et qui se solda par la victoire de la Russie, n’opposa en fait pas tant « l’islam » à la « chrétienté », qu’une Russie multiethnique et multi-religieuse, mais en voie de modernisation rapide, à un empire ottoman multiethnique et multi-religieux lui aussi, mais en voie de dégénérescence. Il suffit de voir les noms des officiers de l’armée russe morts le long du Dniestr pour comprendre à quel point l’État russe apportait sur ces territoires ce qu’on

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appellerait plus tard « la modernité européenne ». On y trouve en effet quelques noms russes, mais beaucoup de noms allemands, scandinaves, français. L’armée russe, et donc l’État russe au siècle des Lumières, poursuivant en cela la politique de modernisation inaugurée sous Pierre le Grand, apportait dans les territoires nouvellement conquis non seulement un ordre nouveau, mais elle frayait la voie à une politique étatique de peuplement et d’intervention économique tirée de l’exemple ouest-européen. Quoiqu’on pense aujourd’hui des effets pervers et des inégalités de développement qui ont accompagné toutes les politiques de modernisation répandues dans le monde à partir de l’Europe occidentale avec la naissance des banques, de l’industrie, des moyens de communication rapides, etc., force est de constater que la Russie a adhéré activement à ces processus dès la fin du XVIIe siècle, et que cela a permis un bond dans la production, la consommation, l’éducation et l’essor démographique. Face à la vieille culture moldave byzantino-ottomano-latino-slave, la Russie d’après Pierre le grand apportait à ses sujets, malgré l’archaïsme persistant de sa structure sociale, un État et une religion orthodoxe réformés, en route vers la modernité. Le paradoxe de la Pridniestrovie actuelle, mais un paradoxe créatif, est que cette république est aujourd’hui devenue à la fois l’héritière directe de toutes les phases de la modernité européenne, implantées indirectement sur ces terres d’abord par la Russie des tsars puis par l’Union Soviétique, et simultanément, le conservatoire de la vieille culture moldave cyrillique slavisée, mise à mal par la Roumanie relatinisée à partir de la fin du XIXe siècle, puis devenue nationaliste au XXe siècle. C’est ce que nous allons voir maintenant.

Monument commémorant la victoire des Russes sur les Ottomans

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Aux origines russes de la modernisation des terres du Dniestr

Jusqu’à l’irruption des armées russes sur les bords du Dniestr, ces terres étaient restées

périphériques par rapport aux grands centres de développement. C’est l’établissement de la frontière russe d’abord le long du Dniestr qui permit l’afflux massif sur ces terres de populations sédentarisées d’origines ethniques diverses, principalement moldaves, ukrainiennes, russes, mais aussi gagaouzes, juives, arméniennes, allemandes, françaises, polonaises, tatares, bulgares, etc..

Tiraspol fut fondée en 1792 par le général russe Souvorov. Grigoriopol fut fondée la même année. D’autres villes sont certes plus anciennes (Rybnitsa mentionnée dans un document du Roi de Pologne de 1657, Doubossary dont l’origine remonte à la fin du XVIIe siècle, Kamenka qui reçut ses droits urbains en 1776, et surtout Bendery, sur la rive droite du Dniestr, dont l’origine remonte au moins au XVe siècle), mais aucune ville ne put connaître un véritable développement, semblable à celui des villes des pays voisins, avant son intégration au sein de l’empire russe. La Russie fut le premier État qui fut en état de prendre pied de façon durable sur ce territoire stratégique, et qui sut, même si ce fut souvent de façon brusquée et aléatoire, y introduire une dynamique de développement.

C’est de cette époque-là que datent les origines des « trois Moldavies ». Cette thèse peut être contredite par le fait que les terres situées sur la rive gauche du Dniestr n’ont jamais fait partie de l’État moldave jusqu’en 1940, et que deux tiers des habitants de la Pridniestrovie aujourd’hui ne sont pas d’origine moldave. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi les associations des anciens combattants de la guerre de 1992 réclament depuis peu que la mention « moldave » soit retirée de l’appellation officielle de l’État pridniestrovien. Constatons cependant que l’influence de la culture moldave sur la culture de l’ensemble des populations de Pridniestrovie est incontestable et profonde, et que c’est aujourd’hui Tiraspol qui protège vraiment la culture moldave traditionnelle, cyrillique, fortement effacée dans les autres territoires moldaves où la politique de latinisation systématique a contribué à déraciner les éléments de la culture moldave d’origine non latine.

Les territoires situés sur la rive gauche du Dniestr furent les premiers à être intégrés à l’empire russe, après avoir cessé d’appartenir à la Pologne pour leur partie septentrionale et à l’empire ottoman pour la partie méridionale. Ces territoires n’avaient jamais fait partie de la Moldavie, mais, après leur intégration dans l’empire des tsars, ils virent y affluer beaucoup plus massivement qu’auparavant une population d’origine moldave qui cohabita avec d’autres populations immigrantes venues de toutes les parties de l’empire, mais surtout d’origines ukrainiennes ou russes. Pour toutes ces populations, la langue russe devint un vecteur fondamental d’accès à la modernité et à la culture universelle, phénomène qui devint massif après la Révolution russe. La langue moldave qui perdura sur la rive orientale du Dniestr trouvait ses sources dans les parlers populaires et dans la vieille culture moldave basée sur une langue d’origine latine fortement slavisée et s’écrivant en alphabet cyrillique.

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Les territoires situés entre la rive occidentale du Dniestr et la rivière Prut ne furent annexés à la Russie que vingt ans plus tard, en 1812. On les connut alors sous le nom de Bessarabie. Comme ce fut le cas à l’est du Dniestr, la langue et la culture russes allaient aussi constituer pour les populations locales tout au long du XIXe siècle une voie d’accès privilégiée à la modernité, et l’Église orthodoxe liée au Patriarcat de Moscou constitua longtemps un point de référence fondamental. Mais ces territoires allaient être détachés de la Russie en 1917, avant de constituer le cœur de la Moldavie soviétique après 1940. La proportion de populations moldaves y était plus importante et, jusqu’à présent, on assiste là-bas à une nette rivalité entre la culture moldave traditionnelle et fortement influencée par les cultures slaves, et en particulier depuis deux siècles par la culture russe, et la culture importée de Moldavie roumaine depuis 1918. Car, les terres moldaves situées à l’ouest du Prut ont connu après 1812 un destin tout à fait différent.

L’effondrement progressif de l’Empire Ottoman et l’affaiblissement de la vieille culture gréco-byzantine qu’il avait contribué à protéger autour du patriarcat de Constantinople allait laisser un vide, une fois les principautés de Moldavie et de Valachie redevenues indépendantes. Elles s’unifièrent à partir de 1859 dans la foulée de l’effondrement de l’Empire Ottoman et des mouvements nationaux européens de 1848. L’État roumain moderne vit alors le jour, et tenta d’emprunter par lui-même les voies qui étaient censées le mener vers la modernité européenne. En Moldavie roumaine, on imposa une forme révisée, déslavisée, latinisée, dans son vocabulaire comme dans son alphabet, non plus de « moldave », mais de « roumain » moldo-valaque. Le nationalisme roumain moderne vit le jour. Il allait entrer en conflit avec la Russie à propos de la Bessarabie à partir de 1917, puis de la « Transnistrie » à partir de 1941. C’est sur la base de ces différences historiques que se sont développées des sensibilités et des visions géopolitiques et géoculturelles contradictoires entre les Carpates et les deux rives du Dniestr. Les liens économiques et familiaux qui s’étaient développés dans ces contextes différents avaient aussi imprimé à chacune de ces trois « Moldavies » leurs empruntes particulières.

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Moldavité et modernité

La Roumanie profita à son avantage de l’opportunité créée par la guerre civile en Russie après 1917 pour saisir, en pleine guerre mondiale, la Bessarabie (la majeure partie du territoire actuel de la « République de Moldova »). Les bolcheviks réagirent en refusant toute reconnaissance du fait accompli et en créant en 1924 sur la rive orientale du Dniestr une République Socialiste Soviétique Autonome de Moldavie intégrée à la République Socialiste Soviétique d’Ukraine, elle-même membre adhérente de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques depuis sa création en 1922. Plus étendue à l’est que l’actuelle Pridniestrovie, cette entité n’en constituait pas moins un territoire échappant au contrôle roumain, et proposant la construction d’une société moldave internationaliste et socialiste, apte à accélérer la modernisation des rapports sociaux et économiques sur les bords du Dniestr. D’emblée, elle fut en position concurrente par rapport aux politiques suivies par les autorités roumaines de l’autre côté du fleuve. Petit à petit, la Moldavie autonome et ukraino-soviétique allait s’intégrer dans un processus modernisateur accéléré, marqué par les rigidités staliniennes et ayant pour axe la langue russe. Laissée face à face avec la Roumanie, qui dans l’entre-deux-guerres ne parvenait pas à s’engager dans la voie de réformes sociales indispensables et d’un développement économique soutenu, la Bessarabie fut en revanche rapidement déçue par le nationalisme roumain et l’intégration à l’Eglise orthodoxe dépendant du patriarcat de Bucarest, coupé de celui de Moscou. Mais elle était aussi coupée du développement à la fois rapide et contradictoire des territoires devenus soviétiques. On trouve ici la source de la méfiance persistante jusqu’à aujourd’hui chez les « Moldaves de Chişinau » à l’égard de Bucarest et de la Roumanie d’un côté, mais aussi les différences avec les Moldaves du Dniestr résidant au milieu de leurs concitoyens d’autres origines nationales : ukrainiens, russes, soviétiques.

Suite à l’effondrement de l’équilibre politique instauré par les puissances ouest-européennes par le biais du traité de Versailles de 1919, et en conséquence de la signature du pacte germano-soviétique d’août 1939, l’URSS imposa à la Roumanie qu’elle renonce en 1940 à la Bessarabie. La direction soviétique de l’époque décida alors de rattacher la majeure partie de son territoire à la République Socialiste Soviétique Autonome de Moldavie, transformée en République Socialiste Soviétique de Moldavie distincte, et donc désormais détachée de l’Ukraine. Le gouvernement de cette nouvelle république fédérée de l’URSS fut assez rapidement transféré de Tiraspol à Kichinev (aujourd’hui Chişinau), qui devint la capitale administrative de la nouvelle entité de fait « bicéphale », puisque Tiraspol maintenait dans les faits son rôle de « capitale économique » régionale (4). La RSS de Moldavie englobait la plus grande partie de la Bessarabie et du territoire de l’ancienne Moldavie soviétique autonome désormais détachée de l’Ukraine (5). La nouvelle république était assez hétéroclite dans sa composition ethnique et dans ses structures sociales, car elle regroupait une région déjà fortement urbanisée, industrialisée et multinationale, avec une région très largement agricole, peu urbanisée et très majoritairement peuplée de Moldaves. Ces différences allaient perdurer

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jusqu’à la fin de l’URSS. En 1941, l’État roumain allié de l’Allemagne nazie, participa à l’invasion de l’URSS. Il réoccupa la Bessarabie, mais annexa aussi tout le territoire situé entre le Dniestr et le Boh, désormais rebaptisé « Transnistrie ». Une politique marquée par les répressions, les massacres, la corruption dura de 1941 à 1944, quand ces territoires furent libérés par l’Armée Rouge, à la faveur de l’affaiblissement de l’Allemagne nazie et du basculement de la Roumanie dans le camp allié.

Les territoires moldaves situés le long du Dniestr allaient connaître ensuite un développement industriel important. Les populations y affluaient de toute l’URSS, une société multinationale se développa, une intelligentsia technique naquit, marquant cette partie de la RSS de Moldavie d’une empreinte notable, tandis que la partie de la république située plus à l’ouest devenait le « verger de l’URSS ». Chişinau concentrait aussi les écoles supérieures humanistes, alors que Tiraspol était orientée vers l’enseignement technique et scientifique.

Les nationalistes roumains allaient après 1989 soutenir l’idée que la période soviétique fut marquée par une politique imposée de russification. Sans nier le fait que le nationalisme russe a effectivement continué à maintenir une véritable pression sous une forme camouflée pendant toute la période soviétique, il faut savoir que l’idéal internationaliste, qui tendait à voir dans la langue russe un moyen privilégié d’accès à la modernité pour tous, rencontra un écho notable dans les populations soviétiques de toutes origines nationales. Certaines nationalités surent néanmoins développer, voire imposer, leurs propres langues nationales au sein de leurs républiques soviétiques. C’est par exemple le cas des Arméniens, des Géorgiens, des Lituaniens, des peuples d’Asie centrale, qui ne furent jamais vraiment « menacés » par la russification. D’autres nationalités manifestèrent un attachement moindre à leur langue. Ce fut le cas en Moldavie, en Biélorussie, dans une grande partie de l’Ukraine, ou en Lettonie. Les raisons de ces différences restent encore à élucider, mais le phénomène lui-même ne peut être contesté. Notons aussi que les nationalismes eurent partout tendance à resurgir dans la foulée de l’affaiblissement du pouvoir central soviétique dans les années 1980, mais avec une force particulière dans les républiques où la « conscience nationale » semblait auparavant la plus faible : Moldavie, Lettonie, Estonie, Ukraine, etc. On peut émettre l’hypothèse que l’on avait plus nettement affaire dans ces cas-là à un « nationalisme réactif », faible, frustré, et donc extrémiste. Cela explique aussi pourquoi c’est au nom de l’internationalisme, et non pas au nom d’un hypothétique « panslavisme », que les « russophones » se mobilisèrent le plus souvent, en Moldavie comme dans les pays baltes. Ces « russophones » n’étaient en effet pas forcément tous d’origine russe, ou même slave, ils pouvaient même appartenir à la nationalité éponyme de leur république, mais ils s’opposaient à ce qu’ils considéraient comme une résurgence « provinciale », voire un nationalisme réactionnaire. Les puissances occidentales, en principe attachées aux « valeurs universelles », n’ont cependant, comme ce fut le cas auparavant dans les pays coloniaux, pas hésité à soutenir parfois, au moment du démantèlement de l’URSS, les nationalismes les plus « tribaux », du moment que ceux-ci s’opposaient au socialisme, au progrès social ou aux alliés de la grande puissance russe restée à leurs yeux concurrente dans le cadre du « grand échiquier » mondial décrit par Zbigniew Brzezinski.

Les réactions contradictoires manifestées au sein de la société moldave au sortir de l’Union Soviétique doivent être analysées à la fois sous l’angle social, économique, culturel et psychologique. Cela nous permet de comprendre les incohérences « identitaires » et géopolitiques que l’on constate

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dans les politiques suivies à Kichinev/Chişinau depuis les débuts de la perestroïka et jusqu’à aujourd’hui. D’un côté, on constate la persistance de sentiments nostalgiques à l’égard de l’URSS, du communisme ou de la culture russe, ce qui s’est manifesté par le rejet lors du référendum de 1994 du rattachement de la « République de Moldova » à la Roumanie, ou par la victoire électorale en 2001, pour la première fois en Europe depuis 1989, d’un parti communiste se proclamant fidèle au léninisme et à l’héritage soviétique. D’un autre côté, le nationalisme roumain virulent se maintient aussi sur ce territoire, ayant imposé en quelques semaines au début des années 1990 la suppression de l’alphabet cyrillique et l’adoption des symboles d’État roumains comme symboles nationaux. Ces évolutions contradictoires ont rendu difficiles pour la Moldova les négociations avec Tiraspol, et le développement des relations avec Moscou. On a même assisté à un moment à une situation paradoxale, où des « marxistes-léninistes » en principe, au pouvoir à Chişinau, ont tenté de souscrire à une politique de rapprochement avec l’Union Européenne, et plus encore avec les Etats-Unis, et semblaient accepter sans réagir que plus de la moitié de leurs citoyens au moins possèdent la citoyenneté roumaine. De ce fait, la « République de Moldova » semble en passe de devenir un « État virtuel ». Ce qui n’empêche pas Chişinau d’imposer en revanche aux citoyens de la Pridniestrovie sa propre citoyenneté, dès lors qu’ils veulent sortir de leur république, dont le passeport reste non reconnu à cause des pressions de Bucarest et Chişinau sur la « communauté internationale ». Si ces processus se poursuivent, il n’y aura bientôt plus de véritables citoyens moldoviens en Moldova, et les habitants de la Pridniestrovie seront les seuls à posséder cette citoyenneté, contre leur gré.

L’évolution de la Moldova en direction de la Roumanie allait se heurter quelques années après la rupture avec l’URSS au désenchantement de nombreux Moldoviens envers le « rêve » d’une grande Roumanie, une fois découverte la réalité de ce pays traversé par des phénomènes de crise profonde. Mais aujourd’hui, c’est le « mythe européen » d’un accès rapide au « bien-être occidental » par le biais d’une Roumanie désormais membre de l’Union Européenne qui a succédé au « mythe roumain » chez certains d’entre eux. Entre-temps, beaucoup, en particulier les plus jeunes, ont émigré, soit vers l’Europe occidentale, soit vers la Russie aujourd’hui en phase de renaissance économique.

L’évolution chaotique observée à Chişinau depuis les premiers signaux de la désagrégation de l’URSS était inacceptable pour les habitants de la Moldavie du Dniestr. Cette région abritait les industries de pointe de la République et ne souhaitait pas rompre les liens de coopération technique et commerciaux avec ses partenaires traditionnels. Les cadres comme les ouvriers de ces grands combinats économiques ne parvenaient pas non plus à accepter une politique de roumanisation qui tendait à marginaliser les russophones, majoritaires dans ce territoire, mais aussi les Moldaves qui restaient attachés à l’alphabet cyrillique dans lequel était née leur langue au Moyen-âge. Une convergence allait s’opérer le long du Dniestr, dans la ville de Tiraspol fondée par la Russie, comme dans la vieille ville historiquement moldave de Bendery, en faveur du maintien de la situation existante, et en opposition avec les tendances sécessionnistes alors en phase ascendante à Kichinev, désormais rebaptisée, comme avant 1940, Chişinau.

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L’extension des processus sécessionnistes dans toute l’URSS poussa les habitants du territoire pridniestrovien à créer leurs propres structures administratives, séparées de celles de la RSS de Moldavie dès 1990. Puis, lorsque Chişinau, suivie par les républiques soviétiques d’Ukraine et de Russie, fit sécession d’avec l’URSS, en 1991, les pouvoirs de Tiraspol allaient se retrouver dans la situation de devoir gérer de façon indépendante leur république.

D’un point de vue formel, les autorités de Tiraspol soulignent qu’elles n’ont jamais rompu légalement avec l’URSS, à la différence de toutes les autres entités issues de cet État fédéral. C’est ce qui explique d’ailleurs pourquoi, avec l’appui déclaré de l’Église orthodoxe locale, le drapeau de la République moldave de Pridniestrovie reste celui de la Moldavie soviétique, avec la faucille, le marteau et l’étoile. Un observateur superficiel verra là une nostalgie style « Jurassic Park » à l’égard de l’URSS. Or, même si beaucoup de citoyens de la Pridniestrovie, comme la plupart des anciens citoyens de l’URSS, refusent de condamner en bloc toute la période soviétique et toutes les politiques soviétiques, il est clair que l’argumentation soutenue à Tiraspol sur la continuité juridique entre la Moldavie autonome liée à l’Ukraine avant 1940, la Moldavie soviétique intégrée dans l’URSS et la Moldavie pridniestrovienne qui s’est dégagée d’une Moldova rompant unilatéralement avec l’URSS, n’a rien à voir avec telle ou telle options politique ou idéologique. Le simple fait que cette argumentation ait été soutenue par l’Église orthodoxe en est la meilleure preuve. Car, on ne peut l’accuser de sympathie « idéologique » pour la faucille et le marteau (6). On peut en revanche prendre en considération l’expérience juridique de cette institution qui s’est basée dans son histoire sur la légitimité du droit romain.

Que beaucoup des Pridniestroviens apprécient les aspects positifs de l’héritage soviétique est leur droit le plus strict. Il suffit cependant de visiter le musée historique de Bendery pour voir que les autorités pridniestroviennes ne prônent pas une vision unilatérale de leur passé. La vision communiste de l’histoire de la ville y est certes bien présentée, mais les crimes commis par les autorités pendant la période stalinienne par exemple ne sont pas non plus passés sous silence. L’existence d’ailleurs de presque dix partis politiques représentant des orientations idéologiques différentes en Pridniestrovie montre bien que l’on a affaire, à la base comme au sommet du pouvoir, à une véritable vie sociale sur les bords du Dniestr, et donc, à un véritable pluralisme politique et idéologique se manifestant tant à l’égard du passé que du présent et de la vision d’avenir.

Les dirigeants de la république sont d’ailleurs généralement issus des milieux liés à la grande industrie locale. Ce sont en général des diplômés. C’est à Chişinau que se concentrait avant 1991 la nomenklatura du Parti Communiste, tentée alors de fuir le navire soviétique en perdition en se réfugiant dans le nationalisme roumain, à l’image de la nomenklatura qui avait su déjà à ce moment se maintenir au pouvoir à Bucarest en 1989.

La rupture de Chişinau avec l’URSS, puis le démantèlement de cet État en 1991, malgré les résultats du référendum de mars 1991 confirmant le refus de la majorité des habitants de l’Union soviétique de voir leur État multinational disparaître, amena les autorités de Tiraspol à prendre position. Elles proclamèrent d’abord, le 2 septembre 1990, la création d’une République Socialiste Soviétique Moldave de Pridniestrovie, concurrente de la Moldova désormais aux mains des nationalistes roumains. Puis, lorsque l’URSS disparut, les Pridniestroviens proclamèrent la naissance

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d’un État pleinement indépendant. La « République de Moldova », jouissant de l’appui de la Roumanie et, en conséquence, de la plupart des dirigeants des États ouest-européens et postsoviétiques, imposa sur la scène internationale sa vision des choses, et réussit alors à imposer l’idée d’une Pridniestrovie qui aurait été « sécessionniste ».

Les rapports entre Chişinau et Tiraspol étaient devenus de plus en plus tendus. En août 1991, le président de la Pridniestrovie, Igor Smirnov, et d’autres dirigeants pridniestroviens, furent arrêtés par les autorités de la Moldova. En signe de protestation, des habitants de Tiraspol descendirent dans la rue et ceux de Bendery bloquèrent les trains reliant Odessa à Chişinau. Ce qui permit leur libération. Finalement, en mars et avril 1992, les autorités de Chişinau tentèrent un coup de force en cherchant à occuper militairement le territoire pridniestrovien. Malgré la réalité linguistique sur le terrain, les dirigeants de Moldova souhaitaient prendre le contrôle des entreprises pridniestroviennes beaucoup plus rentables que celles restées sous leur propre contrôle. Les forces de la Moldova se heurtèrent à la résistance des forces de l’ordre locales, rapidement secondées par une levée en masse des habitants de la république du Dniestr. Ils reçurent l’appui de volontaires venus des régions cosaques, puis la XIVe armée russe s’interposa quand les combats se prolongèrent.

Chaque entreprise pridniestrovienne avait envoyé sur le front des détachements de volontaires chargés de défendre un secteur particulier du front. Cela allait donner naissance à un système social particulier, contrastant avec la privatisation tous azimuts en vigueur dans la plupart des États postsocialistes. On ne pouvait en effet demander aux ouvriers de défendre l’indépendance de leur république, sans leur accorder une participation réelle aux décisions et aux bénéfices de leurs entreprises. Le fait que la plupart des dirigeants locaux soient des ingénieurs issus des mêmes entreprises allait favoriser cette évolution. Rappelons que le président Smirnov lui-même n’était pas un produit de la nomenklatura du Parti, mais un ingénieur d’abord choisi à la tête de son entreprise, avant d’être élu à la tête de la République.

Lors de l’attaque de la république par les forces de la Moldova, le gros des combats se déroula dans la ville de Bendery. De nombreux témoignages concordant permettent de soutenir l’opinion selon laquelle ces forces étaient souvent commandées par des officiers venues de Roumanie, et qu’elles se livrèrent à de nombreuses exactions, non seulement contre les combattants, mais aussi contre des civils désarmés. On a dénombré presqu’un millier de morts et de disparus au cours de ces journées tragiques. Aujourd’hui encore, il y a des disparus. Des associations pridniestroviennes tachent de faire la lumière sur ces disparitions et sur les crimes qui ont été commis alors. Comme aucune commission d’enquête impartiale n’a pu voir le jour en raison du boycott de la Pridniestrovie par les États de l’Union Européenne et des hésitations des États postsoviétiques, ce dossier reste ouvert, et les souffrances des familles entretenues.

La guerre de 1992 se termina par un cessez-le-feu précaire conclu lorsque la XIVe armée russe, présente depuis la période soviétique, réussit sous le commandement du général Lebed, à s’interposer entre les combattants. Chişinau n’avait en effet pas réussi son coup de force face à la résistance locale relayée par toute une population. Elle allait désormais tacher de mettre fin à l’existence de la Pridniestrovie en utilisant l’arme des sanctions économiques, des contrôles tatillons, de la double taxation, voire du blocus. Depuis 1992 cependant, la République Moldave de Pridniestrovie a

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maintenu son existence, et connaît un développement économique soutenu, qui contraste avec les résultats économiques de beaucoup de régions de l’ex-URSS pourtant reconnues internationalement. Il est vrai que cette république est dotée d’un potentiel important, que ses habitants sont conscients de ces possibilités et des opportunités que recèle leur république. On ne peut nier le fait que cet État n’aurait pu se maintenir sans l’adhésion d’une grande partie de ses habitants et sans un sentiment de légitimité tiré de l’histoire de ce territoire.

Bendery: mémorial aux héros de 1992

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Souveraineté populaire, référendum et indépendance

C’est en 1991 que la Pridniestrovie devint de fait, suite à un referendum et au démantèlement de l’URSS par les chefs des trois républiques « slaves », un État indépendant. Cette évolution résultait avant tout du refus de suivre la Moldova sur la voie de la roumanisation. En 2006, les habitants de la Pridniestrovie ont de nouveau voté par référendum en faveur de l’indépendance de leur pays, et émis simultanément le souhait d’une politique de rapprochement avec la Russie. Mais, même si les observateurs internationaux admettent son caractère démocratique, ce référendum n’a pas obtenu la reconnaissance des grandes puissances et, conséquemment, des États indépendants reconnus. Si la réalité de la République du Dniestr n’est ignorée par aucun pouvoir, c’est la découverte qu’une véritable société pridniestrovienne s’est formée autour de principes politiques, sociaux, nationaux distincts qui semble une garantie d’avenir pour cette entité. Igor Smirnov, le premier Président de cette république, estimait : « Nous avons tenté de défendre notre société, car un État sans société n’a pas de valeur. Il serait intéressant de savoir si une société semblable est née en Moldova. J’en doute énormément. » (7)

La guerre de 1992 et ses séquelles toujours blessantes

La Pridniestrovie a repoussé en 1992 l’attaque des troupes de la République de Moldova au prix de près de 700 morts recensés, en fait plus, et c’est finalement ce sang répandu qui a enraciné l’État situé le long du Dniestr. Non reconnue internationalement, entourée, et en dépit de pressions internationales constantes – elle a quand même survécu jusqu’à aujourd’hui. La guerre n’a pris une forme violente que pendant une très courte période, au printemps 1992, mais, même si l’on n’entend plus le vacarme des combats, la paix n’a toujours pas été conclue. Les blessures n’ont pas encore été refermées et l’on n’a toujours pas retrouvé les corps de toutes les victimes… Galina Mouchina, résidente de Bendery, déclare : « Cette période terrible a touché mon mari. Il sortait du travail et n’est pas revenu. Ils l’ont kidnappé sur le chemin de la maison. Je l’ai cherché pendant toute une année et je l’ai retrouvé le 12 juin 1993. Il avait été exécuté d’une façon cruelle sur le territoire de la Moldova. Les nationalistes roumains lui avaient ordonné de creuser sa propre tombe, puis ils l’ont exécuté…. Mon cas n’est pas exceptionnel. Il y a beaucoup de femmes ici dans ma situation. Des veuves recherchent leurs maris jusqu’à aujourd’hui, et des enfants cherchent leurs pères. …Les politiciens devraient être des personnes réfléchies, et mener la vie politique de telle façon que les gens n’aient pas à mourir. Discutez tant que vous voulez, faites tout ce qui est possible afin que l’on n’en arrive pas à ce que le sang coule. Ensanglanter un pays aussi beau que celui-ci, c’est un blasphème. » (8)

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Le Dniestr a sur la majeure partie de son parcours séparé l’ancienne Moldavie soviétique en deux États. Les mêmes nationalités vivent cependant, dans des proportions différentes, des deux côtés du fleuve, elles se reconnaissent en majorité dans la même confession, et elles ont toutes deux subies l’influence des idées communistes. Une de ces entités bénéficie cependant de la reconnaissance internationale, l’autre a été condamnée à la non-existence.

Il fut un temps où le Dniestr était navigable, même si la non régulation de ses berges en avait fait une réserve naturelle de la flore et de la faune aquatique (9), un cas quasi-unique désormais en Europe. Le Dniestr a cessé depuis 1992, en raison du conflit, d’être une artère commerciale menant à la mer Noire. Il n’est plus navigable que pour les barques et les bateaux de petite taille, et encore uniquement sur la portion de ce fleuve qui est entièrement sous contrôle de la Pridniestrovie.

La guerre non déclarée dure donc toujours. Car le cessez-le-feu – cela veut dire pour la Pridniestrovie le blocus économique de la part de ses voisins – l’Ukraine et la Moldova. Tous les produits pridniestroviens ne peuvent franchir la frontière que s’ils sont homologués en tant que produits moldoviens, et en payant les douanes moldoviennes. Tant que l’Ukraine n’exigeait pas ces formalités, la croissance en Pridniestrovie atteignait annuellement presque 15%. Depuis, elle reste élevée, mais elle a quand même baissé de moitié.

L’auteur et quelques amis, en croisière sur le Dniestr

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Trafics, drogues, mafias

Tous les observateurs internationaux et européens peuvent constater que les services de contrôle aux frontières de la Pridniestrovie contrôlent électroniquement les plaques minéralogiques des voitures et le contenu des marchandises, selon les mêmes critères que ceux de l’Union Européenne. Celle-ci a d’ailleurs accès à tous les rapports électroniques frontaliers. Léonid Garnaga, un fonctionnaire local aux frontières déclare: « Nous avons les technologies et les appareils les plus modernes à nos postes frontières, ce qui permet de contrôler le passage des marchandises, et aussi l’entrée et la sortie des objets interdits, donc de la contrebande, parmi lesquels les armes et les drogues. » (10) La Pridniestrovie s’est heurtée à d’énormes difficultés pour se procurer les appareils indispensables, car on a empêché leur vente à un État formellement non reconnu. Malgré le fait que Tiraspol a réussi à franchir toutes ces difficultés, on continue à retrouver dans les médias étrangers beaucoup d’accusations contre elle. Parfois elles sont tellement absurdes, comme par exemple celle d’exportation illégale de 5 millions de « Kalachnikov » par an, alors que ses frontières sont entièrement contrôlées à l’intérieur et à l’extérieur, et qu’aucun témoin n’a vu les usines qui produiraient ces armes.

Certes, lors du démantèlement de l’URSS, on trouvait dans le pays des stocks d’armes à détruire et qui étaient aux mains de l’armée russe. Celle-ci a procédé à leur destruction jusqu’à récemment, et si les contrôles n’ont pas eu lieu depuis, la responsabilité en revient aux institutions internationales qui refusent de venir vérifier sur place. Pourquoi d’ailleurs la Pridniestrovie produirait-elle armes ou drogues, alors que ses productions connues internationalement sont de grande qualité, et lui rapportent suffisamment ? Pourquoi prendrait-elle de tels risques pour si peu d’avantages ? Pour ce qui est des trafics, le commerce des produits pétroliers, de l’alcool et des cigarettes a pu compléter les revenus de certains Pridniestroviens, en particulier de certains enfants de dirigeants, pendant les premières années suivant le démantèlement de l’URSS, alors que les frontières n’étaient pas stabilisées et pas contrôlées, et que les productions habituelles se heurtaient à la désagrégation du marché soviétique. Mais la position périphérique de ce pays par rapport aux grands ports maritimes et aux grands aéroports l’aurait de toute façon empêché, quand bien même il l’aurait voulu, de devenir une plaque tournante semblable à certains pays d’Asie centrale, du Caucase ou à certaines régions russes ou ukrainiennes.

La rébellion de la Pridniestrovie contre Chişinau a rencontré la sympathie de beaucoup de Soviétiques. Mais ces populations subissent aussi depuis la pression psychologique provenant des accusations de tout ordre visant Tiraspol. Svetlana Slavinskaya est la directrice du centre d’expertises criminelles du ministère local de l’intérieur. Elle est révoltée par les accusations sur la soi-disant tolérance de son pays envers la criminalité, et en particulier dans le domaine des drogues. On trouve ces accusations surtout dans les médias moldoviens et ukrainiens – pays frontaliers de la Pridniestrovie eux-mêmes souvent pointés du doigt pour leur rôle dans les trafics internationaux. Selon elle, « Les drogues arrivent chez nous en provenance des États voisins, de Moldova et d’Ukraine. Dernièrement, il y a aussi des drogues synthétiques. Car, si auparavant les jeunes fumaient surtout de la marijuana

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et de l’opium de pavot, nous trouvons maintenant des tablettes d’extasy, d’amphétamine, de méta-amphétamines et d’autres drogues. » (11) Des échantillons de toutes les drogues trouvées sur le territoire pridniestrovien et aux frontières arrivent tous au centre d’expertises criminelles qu’elle dirige, où l’on analyse leur provenance. Svetlana soutient qu’elles ne proviennent pas de son pays, et que c’est ici qu’il est le plus facile de lutter contre le commerce des drogues car, « En comparaison avec les autres États, le territoire pridniestrovien est relativement petit, c’est pourquoi il nous est plus facile de lutter contre ce mal. » (12)

Méconnaissance internationale

Malgré les tentatives faites par les autorités de Tiraspol pour faire connaître leur État de façon positive, on est bien forcé de reconnaître que l’état de la connaissance de cette république à l’extérieur reste dramatiquement faible, y compris dans les pays voisins. La République moldave de Pridniestrovie n’est pas reconnue par les gouvernements, mais elle rencontre en revanche souvent une grande reconnaissance de la part de firmes mondialement connues dans différents domaines (voitures, cognac, textile, pétrole, hautes technologies, etc.). Tiraspol a fait preuve de beaucoup d’inventivité pour investir tous les secteurs qui lui permettent de démontrer au monde qu’il y a de la vie et un potentiel de créativité sur les bords du Dniestr. Parfois ce sont des étrangers eux-mêmes qui ont trouvé intérêt à découvrir l’existence de cette société.

Malgré les multiples barrages gênant l’acheminement des marchandises à cause des difficultés faites par les pays voisins, la vente de voitures, par exemple, ne cesse pas à Tiraspol. Beaucoup de firmes rencontrent des problèmes pour se procurer des voitures, mais la demande ne cesse pas, en particulier de la part des hommes d’affaire et des classes moyennes. Les grandes entreprises automobiles mondiales ont donc leurs concessionnaires à Tiraspol. Mais, comme c’est aussi le cas de l’Ukraine ou de la Moldova, on accuse la Pridniestrovie de tolérer la contrebande des voitures volées en Europe occidentale. Ici, cependant, quiconque peut constater que les autos arrivent directement et légalement par transports d’Europe occidentale, avec une garantie officielle, tous les documents accompagnateurs – le livret d’entrée, etc.. Tout cela, conformément aux standards européens.

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…Compter sur ses propres forces

Devant l’absence de déblocage de la situation depuis maintenant plus de quinze ans, la posture manifestée à tous les échelons de la société pridniestrovienne est : improviser, et tenir, tenir, chaque année encore et encore. C’est devenu un élément d’identité, un motif de fierté, et un atout économique et social. La lointaine Russie a certes permis à la Pridniestrovie de tenir le premier choc, mais elle ne l’a pas reconnue pour autant, pas plus qu’aucun autre État. Et rien ne dit que le Kremlin ne sera pas tenté par une entente directe avec Chişinau, voire avec les grandes puissances occidentales, en échange de concessions sur certaines questions internationales à ses yeux plus importantes ? Vu des bords du Dniestr, on ne peut plus s’empêcher de se poser la question : serons-nous sacrifié sur l’autel d’un grand partage des zones de l’ex-URSS ou d’ailleurs ? Le meilleur moyen d’y faire face est de rendre son existence tellement enracinée et évidente, que personne n’osera la remettre en cause. Dans une situation de blocus politique et économique, la Pridniestrovie a donc dû apprendre par elle-même à joindre les deux bouts, à ne compter que sur elle-même, que sur sa propre ingéniosité… C’est aujourd’hui devenu son principal argument légitimateur. Certes, certains esprits malveillants étaient prêts à proposer à Tiraspol une forme de reconnaissance, en échange de « services » inavouables : devenir par exemple une grande poubelle pour les déchets radioactifs européens. Les mêmes qui aujourd’hui ont obtenu que les dirigeants de Tiraspol acceptent d’ouvrir aux inspecteurs de l’OSCE leurs postes de contrôles frontaliers. Et les mêmes qui ont aussi obtenu que ces dirigeants soient portés sur une liste de personnalités interdites d’accès dans la plupart des États ouest-européens. Doubles standards, dites-vous ?

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Naissance d’un modèle social original ?

Les gens de Tiraspol ont désormais pris l’habitude de savoir dire « non » aux puissants. Observant le vol généralisé et le bradage de la propriété publique soviétique (l’ancienne « propriété de tout le peuple »), les dirigeants élus de Pridniestrovie, au moment du refus manifesté devant les décisions prises par les dignitaires de la nomenklatura de Chişinau et de Moscou, ont vite compris que leur république ne survivrait pas sans la fondation d’un système social permettant à plus d’un demi-million d’habitants de faire corps. À l’époque où sur tout le territoire postsoviétique, on vendait les usines à des acheteurs privés pour des prix souvent inférieurs à ceux de la valeur des clôtures qui les entouraient, on ne pouvait tout simplement pas, quand bien même on l’aurait voulu, appliquer cette méthode envers des personnes qui avaient défendu les armes à la main leurs usines en 1992, et qui voulaient donc en devenir les copropriétaires collectifs. On développa alors la formule des actions indivisibles appartenant aux collectifs des travailleurs. L’appel aux actionnaires extérieurs n’était pas exclu d’emblée, et c’est ce qui semble aujourd’hui causer un clivage social grandissant dans le pays, mais, de toute façon, chaque « ouverture du capital » allait être négociée avec la participation des travailleurs et sous la supervision des pouvoirs publics.

La Pridniestrovie a réussi, c’est sa grande fierté, à contrôler la grande vague de criminalité qui a traversé tous les États postsoviétiques dans les années 1990. Cette criminalité se masquait souvent sous le nom de privatisation. Le président Igor Smirnov résume : « Nous avons liquidé chez nous la spéculation sur la propriété. Car nous savions bien comment cela se passait ailleurs – on menait une entreprise à la banqueroute, pour pouvoir ensuite l’acheter pour presque rien. Et il arrivait même qu’il faille encore en diminuer le prix : pour prendre en compte le taux de risque, en particulier quand il s’agissait du capital étranger. Et partout, on entendait parler des mêmes choses – qu’on tirait ici, qu’on tuait là, qu’il y avait de la contrebande, etc. … C’est cette façon très particulière d’introduire les règles du marché au sein de ce qu’on appelait l’économie étatique qui fut la principale cause des accusations visant la Pridniestrovie » (13). Effectivement, les dirigeants de Tiraspol furent accusés de tous les maux justement parce qu’ils refusaient de céder leurs entreprises à vil prix aux mafieux, ou d’entrer eux-mêmes dans les cercles qui avaient pris le contrôle de pans entiers de l’économie et de l’État en Moldova, en Ukraine, en Russie, avec l’appui fréquent de financiers et « conseillers » occidentaux. Et Smirnov de résumer : « Nous avons mené chez nous la privatisation d’une toute autre manière. C’était une privatisation du capital. Le budget de l’État en profite, et les comités d’usine ont eu le droit d’acheter 25% de leur entreprise, ou de recevoir gratuitement ces 25% après avoir démontré qu’ils ont déjà travaillé pour la valeur de ces parts.» (14)

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Depuis les premières années d’indépendance, néanmoins, aux actionnaires collectifs et publics locaux, se sont ajoutés des acheteurs privés locaux et, pour les plus grands combinats industriels, souvent, des « grands » actionnaires russes. La Pridniestrovie est donc confrontée aujourd’hui au défi de la mondialisation capitaliste, comme le reste du monde. Mais l’histoire dira si son évolution au cours des premières quinze années d’indépendance ne fut qu’un « atterrissage en douceur » comparé aux évolutions qu’ont connu les autres républiques soviétiques ayant subi une « thérapie de choc » fort peu thérapeutique, ou le début de la formation d’une conscience sociale suffisamment spécifique pour empêcher le pays de se fondre dans le « capitalisme sans frontières ». Quoiqu’il en soit, on peut déjà affirmer que les deux dernières décennies ont produit sur les bords du Dniestr une société spécifique qui ne pourra pas réagir de la même façon que ses voisins aux évolutions internationales. Et n’est-ce pas déjà là le signe que la Pridniestrovie constitue définitivement une entité politique distincte ? Et qu’il y a eu formation sur les bords du Dniestr d’une « nation politique » spécifique ? À opposer aux « nations ethniques » que l’on tente de faire émerger dans la région, pour le plus grand profit des financiers supranationaux.

Pour s’imposer sur la scène internationale et pour devenir auprès de ses propres habitants un objet de fierté légitime, la République moldave de Pridniestrovie a dû s’affirmer par différents moyens : par la qualité de ses productions, par le rôle social joué par ses entreprises, par ses politiques sociales, par la promotion de ses citoyens emblématiques, par le sport, par ses produits numismatiques et sa monnaie, par l’état de son droit et de sa législation, par ses institutions culturelles, par la spécificité multinationale de sa vie culturelle, par l’originalité de son identité étatique multiethnique.

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AFFIRMATION PAR LA PRODUCTION

La forge de Rybnitsa

Les établissements métallurgiques dans la ville de Rybnitsa constituent l’héritage de l’époque où ils produisaient pour l’ensemble de l’industrie soviétique. Alors qu’il n’existe pas de mines de fer dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres à la ronde ! La Pridniestrovie, isolée du monde, a donc dû trouver une solution rapide pour éviter leur fermeture. Aujourd’hui, grâce à l’inventivité de ses employés et à l’aide de leur nouvel État, ces établissements transforment la ferraille que l’on trouve dans toute la région. La petite République utilise seulement 5% de la production de la forge, les 95% restant sont exportés vers les marchés des pays émergents. Mais ils doivent être exportés sous le label de la Moldova, qui prend au passage sa dîme. C’était une des conditions du cessez-le-feu de la guerre pour l’indépendance, qui n’est toujours pas terminée.

Fabrique de chaussures

Le marché intérieur peut tout au plus absorber 4 à 5% de la production de l’usine de chaussures Flari, qui dépend totalement de l’exportation et de l’importation. Car elle doit faire venir de l’étranger presque toute la matière première et les composants nécessaires à la production. Aujourd’hui, ces importations arrivent d’Italie, d’Allemagne, de Pologne et de Roumanie. Et Flari exporte aussi bien en Europe occidentale qu’en Europe orientale, sur les marchés italien, allemand, roumain, russe, ukrainien, centre-asiatique.

Ce sont ses propres travailleurs qui ont décidé du succès de la restructuration de l’entreprise après 1990, grâce à la copropriété – qui les a habilités à cogérer l’usine. Ce système explique pourquoi, lorsque ce fut nécessaire, les ouvriers ont accepté d’attendre pour obtenir des augmentations de salaires. Il était alors indispensable de moderniser l’usine pour garantir l’emploi. Boris Kitchouk, le directeur de l’usine de chaussures, rappelle : « Un Conseil de surveillance a alors été formé, au sein duquel entrent des représentants des principaux départements de l’entreprise. Parmi eux, il y a également des représentants de nos retraités – parlant au nom de 346 retraités appartenant à notre société par actions. » (15). La Pridniestrovie encaisse aujourd’hui près de 70 millions de dollars US grâce à l’exportation de ses chaussures, soit 11% de ses exportations. Les salaires de ses travailleurs ont augmenté du quart en 2007. Et Flari est second au classement des entreprises de Tiraspol pour sa contribution aux rentrées fiscales de l’État.

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Une usine textile

Tirotex, c’est la grande usine textile de Tiraspol. C’est la plus grande entreprise de ce type en Europe, et une des plus modernes. Elle a survécu au choc de l’ouverture du marché soviétique à la concurrence internationale, et effectué une modernisation, tout en conservant le même nombre d’employés qu’à l’époque – près de 6 000. La production annuelle est d’environ 12 millions de mètres carrés de tissu, dont plus de la moitié est destinée à l’exportation. Ses collections sont destinées aux pays scandinaves, à la France, à l’Allemagne, aux Etats-Unis, à l’Italie – en fait, elle exporte sur tous les continents. Les travailleurs de Tirotex ont eux-mêmes formé lors de l’attaque des armées de la Moldova en 1992 les détachements de défense volontaire de l’entreprise. Neuf travailleurs de l’entreprise sont alors morts au combat. Un monument en leur honneur est érigé à l’entrée de l’usine. Ils font partie de la conscience collective de l’entreprise. Mais Tirotex a aujourd’hui dû ouvrir son capital au profit d’une banque locale, dont l’actionnaire principal est l’oligopole local Sheriff.

Mise en bouteilles du Cognac…

La Pridniestrovie est souvent connue à l’étranger grâce à son Cognac – le seul au monde à pouvoir être comparé aux cognacs français, de l’avis même des Ricard, qui entretiennent des rapports suivis avec l’entreprise Kvint, et qui l’ont visitée à plusieurs reprises. Avec le vin, l’exportation de Cognac (16) rapporte au pays du Dniestr 15 millions de dollars US, soit 2,5% de la valeur de toutes ses exportations. L’usine KVINT a été construite à Tiraspol à la fin du XIXe siècle. Zinaïda Katrouk, l’œnologue de l’entreprise, déclare : « Nous n’avons aucun problème de vente. Nous avons un espace énorme pour l’entreposage, ce qui nous donne une grande surface de conservation des bouteilles en position allongée. » (17) Chaque année, l’entreprise met sur le marché une production nouvelle, mais conserve jalousement les meilleurs spécimens de ses productions anciennes, souvent primées aux concours internationaux. Aujourd’hui, Kvint n’a aucun mal à conquérir les marchés les plus lointains. Seule la Russie a cessé de reconnaître les certificats d’homologation de l’entreprise, et ceux confirmés par les autorités de la Moldova, signe que, à Moscou, on craint la concurrence du Cognac/Brandy du Dniestr. Ou que là-bas, on veut faire pression sur les autorités locales qui ont accepté le rachat de l’entreprise par l’oligopole local Sheriff.

Cette OPA ne semble pourtant pas inquiéter les employés de Kvint. « Sheriff » leur a garanti tous les avantages sociaux hérités de la période soviétique, et les employés comptent de toute façon sur leur savoir-faire inégalé pour empêcher toute remise en cause de leur statut.

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Les caves Kvint

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AFFIRMATION PAR LE RÔLE SOCIAL DES EN-TREPRISES

Un Barrage

La centrale hydroélectrique de Doubossary a été construite sur le Dniestr à l’époque soviétique. Ce « don de Dieu », comme l’appellent ses habitants, est la propriété de tout le peuple. Elle fournit entre autres en électricité la capitale …de la Moldova. Et le courant est vendu aux entreprises et aux particuliers de Pridniestrovie au prix de production de la centrale, sans qu’elle ne fasse de bénéfices.

Conserverie

La ville de Kamenka est pleine d’activités, en grande partie grâce à la conserverie locale, qui appartenait autrefois à l’État, et qui continue à embaucher, malgré la privatisation. Privatisation qui s’est faite par le biais d’une banque locale, à capitaux mixtes. Selon Valentina Malitska, directrice de la filiale de la Gazprombank à Rybnitsa, ce n’est pas la recherche du profit qui fut la principale raison de la privatisation, mais la nécessité d’assurer la croissance de l’entreprise, d’assainir ses finances et celles de toute l’économie locale (les villes comme les campagnes environnantes), et de renoncer aux dotations des pouvoirs publics. Une des conditions de la privatisation était de continuer l’embauche de personnel et d’augmenter les possibilités offertes aux agriculteurs environnants, appauvris par la fin des kolkhozes et des commandes de l’État soviétique.

Vasily Byrka, sous-directeur de l’usine, confirme également que l’entreprise continue à jouer un rôle d’agent de développement social pour toute la municipalité, comme c’était le cas sous le socialisme : « Nous continuons à soutenir la ville, nous la soutenons en lui fournissant l’eau, en entretenant ses égouts, en lui assurant la fourniture d’énergie électrique provenant des transformateurs qui se trouvent dans nos stations. » (18) Avec quelques pertes pour l’entreprise. Tout cela se fait à des tarifs réglementés, sans recherche de bénéfices.

La conserverie de Kamenka est aujourd’hui le plus grand exportateur de haricots en conserve et de maïs de toute la région. Elle exporte vers la Russie et l’Europe occidentale. Bien entendu, comme ailleurs, plus de 90% de sa production doit être étiquetée « made in Moldova ». Mais Vasily Byrka constate : « Cela nous permet d’exporter nos produits, mais cela nous pose un océan de problèmes. Car nous devons nous rendre à Chişinau, la capitale de la Moldova, pour régler chaque problème, et faire là-bas la tournée de toutes les institutions. Chercher, se démener, s’arranger avec les fonctionnaires locaux pour avoir tous les documents. Cela exige beaucoup d’efforts, de démarches et de contournements. Mais il n’y a pas d’autre solution. » (19)

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AFFIRMATION PAR LE SPORT …ET PAR SHERIFF

Le sport

L’expression « En Pridniestrovie, nulle part » est désormais connue. Pour la combattre, cette république a décidé de s’engager dans le sport de haut niveau. Les jeunes pratiquent le kayak et montent souvent sur le podium lors des compétitions internationales – source de reconnaissance pour eux-mêmes et pour leur pays non reconnu. Là aussi, il a fallu improviser, innover. Comme il était difficile d’accéder au matériel sportif professionnel produit à l’étranger, les sportifs ont commencé à produire eux-mêmes des kayaks – aujourd’hui ces kayaks de Tiraspol sont devenus un nouveau produit d’exportation de la Pridniestrovie –, ainsi que des rameurs d’intérieurs.

… et Sheriff

Le club Sheriff Tiraspol, fondé en 1997, est le meilleur club de football de toute la région depuis 2001, lorsqu’il a mis un terme à la longue suprématie du club Zimbru de Chişinau, capitale de la République de Moldova. Sheriff, c’est aussi un immense complexe sportif ultramoderne, avec son stade grandiose, ses équipements et son école de formation des jeunes footballeurs désormais connue dans toute l’ex-URSS. Mais ce club sportif est aussi la devanture « publicitaire » de l’oligopole local Sheriff, propriétaire d’une grande chaîne de supermarchés, des stations d’essence, de stations de télévision et de radio locales ; éditeur, industriel du bâtiment, Sheriff est aussi actionnaire d’une banque qui est, comme nous l’avons vu, actionnaire d’entreprises comme Tirotex et d’autres.

Sheriff affirme fournir 15% du budget de l’État. Il est aussi le concessionnaire local de Mercedes.

Est-ce par hasard que les voitures officielles de la République Moldave de Pridniestrovie ne sont pas des Mercedes ? Constatons que, alors que les autorités de Tiraspol s’acharnent à affirmer la légitimité de l’alphabet cyrillique, y compris pour la langue moldave, et que leur État se heurte à l’ostracisme des puissances occidentales, Etats-Unis en tête, l’appellation Sheriff détonne dans le paysage local, d’autant plus que ce nom figure sur tous les panneaux en alphabet …latin ! Pourtant, on dit que Sheriff appartiendrait à l’un des fils du président de la République (20), mais la structure exacte de la propriété de ce géant du marché local reste confuse.

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Les dirigeants et la population locale semblent divisés à l’égard de cette entreprise. Cela témoigne de l’existence d’une véritable vie sociale, en fonction des grands clivages existant sur les questions économiques et sociales, qu’on retrouve dans toutes les sociétés modernes et démocratiques. On parle à Tiraspol des divergences entre partisans d’une Pridniestrovie à orientation plutôt « sociale », et partisans d’un « Sheriffstan » plus intégré aux réalités « mondialisées ». « Sheriff » éveille la fierté de certains Pridniestroviens, la méfiance d’autres. Certains dénoncent une entreprise créée dit-on à partir de bénéfices tirés du commerce de cigarettes à la fin de l’époque soviétique, et qui pourrait à terme menacer les « acquis sociaux ».

Une station essence Sheriff sur fond... de stade Sheriff

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AFFIRMATION PAR DES CITOYENS EMBLÉMATIQUES

La Pridniestrovie s’est aussi affirmée sur la scène internationale grâce à l’inventivité de certains de ses citoyens, qui semblent motivés dans une égale mesure par leur désir individuel de sortir des limites d’un État enclavé et non reconnu et par leur volonté de servir, à l’image des équipes sportives locales, leur pays en brandissant son drapeau. C’est par exemple le cas de Nicolas Dmitrienko, un peintre local, dont l’ambition explicite est de figurer dans le Livre des records du Guinness.

Le miniaturiste de Bendery

Il vit dans la ville de Bendery, et a décidé de se lancer dans la peinture de micro-paysages miniature sur des pépins de raisin – le raisin étant le fruit symbole des pays moldaves. On ne peut admirer ses œuvres qu’avec un microscope. Le musée de la ville de Bendery s’est engagé dans la promotion internationale de ce citoyen modèle. Comme il le déclare lui-même : « Je suis tombé sur l’idée de peindre un tableau sur un pépin de raisin. Car en fin de compte, la Moldavie, ce sont les raisins, les beaux vergers, et c’est un peu comme le symbole de notre État. …Si je réussis à entrer dans le Guinness, le monde entier l’apprendra. Il va me découvrir, moi, habitant de Bendery, et grâce à cela, Bendery deviendra célèbre. » (21) Peut-on rêver un patriotisme plus grandiose que celui-ci, résumé par une peinture microscopique sur un pépin de raisin ?

Ivan Bistrov, médecin chef du sanatorium « Dniestr ».

Il est parvenu à faire du sanatorium de qualité qu’il dirige un des centres de soin ouverts à la clientèle internationale : Pour 300 dollars US, on peut y bénéficier d’une cure de 18 jours, logement compris. Depuis le milieu du XIXe siècle, Kamenka était célèbre en Europe comme lieu de cure thermale. Les sources d’eau curatives ont poussé les Autrichiens à y construire un sanatorium. Aujourd’hui, ce sanatorium offre la presque totalité des soins thermaux existants – à l’exception du traitement des maladies cardiaques. On y trouve même la chirurgie cosmétique. La qualité des services est garantie par l’équipe médicale, nantie des meilleures qualifications. Tous les traitements sont réalisés dans le cadre du forfait tarifaire pour séjour standard. Il est toutefois difficile de trouver des informations sur ce sanatorium dans les guides spécialisés. Car Kamenka se trouve dans la République moldave de Pridniestrovie. Un État qui n’existe en principe pas. Et ici, la fameuse « main invisible du marché » n’aide en rien, car même le coût du séjour n’est plus un argument.

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Le directeur du département de chirurgie des vaisseaux de l’hôpital de Tiraspol, Boris Chakun

Grâce à ce médecin, cet hôpital est devenu un lieu où l’on pratique les opérations les plus complexes. On lui propose donc régulièrement des postes dans des pays nettement plus riches que la Pridniestrovie, mais il refuse toujours, estimant que sa place est ici. Et pourtant, comme beaucoup d’habitants attachés à cette terre, il n’y est pas né, mais y est arrivé comme le faisaient les Soviétiques à l’époque où il était normal de déménager d’un bout à l’autre de cet immense État multinational. Boris Vladimirovitch Chakun est né en Chine, puis il a habité en Allemagne, avant d‘étudier à Leningrad, et de travailler en Asie centrale, puis à Kiev. Formé à l’Institut de cardiochirurgie Bakoulev à Moscou, il s’est retrouvé en 1986 à Tiraspol, où son père s’était installé pour sa retraite. C’est donc un Pridniestrovien de fraiche date, comme le sont beaucoup d‘autres. Et pourtant, ces gens démontrent chaque jour leur attachement à leur pays d’adoption, malgré toutes les difficultés de la vie quotidienne dans un État non reconnu. S’il fallait une preuve de la formation d’une société pridniestrovienne autonome, autour de valeurs qui n’ont rien à voir avec le nationalisme ethnique ou le « terroir », Boris Chakun en est un exemple lumineux.

Des artistes tisserands Le couple Anaït et Valéry Koulitchenko sont des artistes spécialisés dans le tissage de tapisseries.

Ils se sont établis en Moldavie, il y a plusieurs années, car cette république soviétique était connue pour la qualité des œuvres de ses artistes tapissiers. Anaït est née en Arménie, Valéry en Ukraine. Aujourd’hui ce sont devenus des artistes Pridniestroviens, ce que l’on peut d’ailleurs constater dans leurs œuvres. Ils ne songent pas à émigrer. Leurs œuvres sont pleines de drames, de cris, difficiles, mémorielles… marquées par la guerre et les tensions. Anaït Koultchenko, déclare : « C’était en 1992 – pendant la guerre – c’est alors qu’est née notre idée de tisser une tapisserie sur le thème ‘Rêve effrayant’… Lorsque l’URSS s’est effondrée, à la perestroïka – ce fut une période très difficile pour tous, et elle représente encore un poids pour les personnes plus âgées. Seuls les jeunes se sont un peu « reconstruits ». C’est alors que beaucoup de nos œuvres sont nées. » (22)

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AFFIRMATION PAR LA MONNAIE

La Pridniestrovie a depuis longtemps son propre système monétaire et sa propre devise nationale, émise par la Banque de la République. La première émission du rouble pridniestrovien a eu lieu en août 1994, lorsque s’est produite la séparation des systèmes financiers des anciennes républiques soviétiques. Car, lorsque les ex-républiques soviétiques ont renoncé au rouble soviétique, on a assisté à leur afflux incontrôlé sur le territoire de la Pridniestrovie. Une telle masse monétaire, sans couverture équivalente en produits, a provoqué un phénomène d’hyperinflation qui a atteint quelques centaines de pourcent par an. Il était en plus tout à fait naturel que Tiraspol décide de posséder sa propre devise nationale, qui constitue un attribut inséparable de la souveraineté d’un État. La création de ce système monétaire indépendant a constitué une des garantie du développement économique de la république, malgré le frein constitué par le blocus des exportations décidé par les deux pays voisins en 2006. Malgré cela, le rythme de développement reste à un niveau élevé. La devise nationale, et notamment ses pièces de monnaie, sont devenues un des éléments de promotion de cette République à l’étranger, là même où elles ne sont pas échangeables, mais où elles sont cependant volontiers achetées... par les collectionneurs.

La banque de la république du Dniestr a commencé à émettre des monnaies commémoratives en argent en l’an 2000. Puis en or, en 2001. Elle a émis jusqu’à présent près de 80 séries de monnaies en argent et en or. Des monnaies célébrant un événement, comme, par exemple, le 15e anniversaire de la République – en or pur de 990 carats. Le poids de cette monnaie-là est de 156,4 g. L’émission de monnaies commémoratives en argent permet de présenter au monde l’histoire du pays, et constitue donc un élément important de promotion de l’État à l’étranger. Les monnaies pridniestroviennes sont très prisées par les numismates étrangers et on les mentionne dans quasiment tous les catalogues importants, où elles figurent sous le nom officiel de l’État. Là au moins, l’obligation d’utiliser le terme « Moldova » n’existe pas.

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AFFIRMATION PAR LA POLITIQUE SOCIALE

Santé publique

À l’époque soviétique, il n’y avait pas en Pridniestrovie de grands centres médicaux où l’on aurait pu procéder à des opérations compliquées. Les grands malades étaient envoyés à Kichinev. Or, 25% des habitants de la Pridniestrovie sont des retraités, ce qui nécessite une politique de soins adaptée.

La situation s‘est suffisamment stabilisée pour que des contacts aient pu être établis avec des cliniques spécialisées d’autres pays. Tiraspol est maintenant parvenue à envoyer ses malades se faire soigner au frais de l‘État en Moldova, en Ukraine ou en Russie, même quand ces opérations sont très coûteuses. La Pridniestrovie est sans doute un des seul État qui règle la totalité des frais de soins de ses malades à l’étranger. Pour ceux qui ne peuvent pas être opérés au pays.

Jeunes et retraités

La Pridniestrovie compte environ 200 000 enfants d’âge scolaire et 130 000 retraités pour 130 000 travailleurs. Presque 80 000 habitants sont des maîtresses de maison ou des personnes n’exerçant aucun travail. Le pays compte donc surtout des jeunes et des enfants, ce qui est aujourd’hui tout à fait exceptionnel dans les anciens pays socialistes, où la natalité s’est partout ailleurs effondrée en raison de la précarité et de la pauvreté massives. Ces jeunes décideront de l’avenir du pays. C’est déjà eux qui décident – car chaque match de football interétatique qu’ils gagnent signifie une victoire pour leur pays, rappelant son existence et son nom. Cette jeunesse constitue sans doute le meilleur atout pour la jeune république, à l’heure où les générations montantes ont massivement émigré de Moldova pour aller chercher des emplois bas de gamme dans presque tous les pays du continent.

Mais le souci pour la jeunesse va de pair avec le respect pour les anciens, qui ont créé les bases du développement économique et culturel des terres du Dniestr. L’État finance des camps de vacances pour les retraités. Près de Bendery, par exemple, on trouve, à deux pas de l’ancienne ligne de front, sur les bords du Dniestr, un de ces centres de vacance où l’on a introduit le gaz et construit une piscine couverte de 50 mètres. Le séjour de chaque pensionnaire est entièrement financé par l’Etat, les gens ne payent rien, pas même le transport pour s’y rendre.

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AFFIRMATION PAR L’ETAT DE DROIT

Les autorités de Tiraspol ont eu dès la proclamation de leur république le souci de créer des institutions politiques et judiciaires exemplaires. Il s’agissait d’obtenir l’appui, la reconnaissance et l’admiration du monde. Il s’agissait aussi d’obtenir un consensus social. Tout en cherchant à préserver le maximum des acquis sociaux et économiques de l’ère soviétique, les nouveaux dirigeants, qui étaient éloignés des grands centres de décision soviétiques, et plus liés au terrain, étaient conscients de la nécessité de rompre avec beaucoup de méthodes soviétiques marquées par l’arbitraire.

Igor Smirnov a été élu Président de la République à la majorité des voix, sans interruption, depuis le début de son existence en 1990, avant de perdre les élections de décembre 2011. Les élections parlementaires de 2007 avaient cependant déjà vu la victoire d’un parti d’opposition, souvent désigné comme appartenant au centre-droit de l’échiquier politique.

Igor Smirnov et le vice-président Alexandre Korolov restent les deux visages « fondateurs » les plus connus de ce pays. Smirnov n’a jamais été un dignitaire du Parti pendant la période soviétique. Son père a au contraire été victime des répressions politiques au cours de la période stalinienne, ce qui a beaucoup handicapé la progression sociale de son fils, né au fin fond de la Sibérie, et ce jusqu’à la perestroïka. Ingénieur de profession, Igor Smirnov, est lui aussi un immigrant récent dans le pays. Il est arrivé en 1987 sur les bords du Dniestr, et il a alors pu être nommé directeur d’une usine de 15 000 employés, à une époque où les descendants d’anciens « ennemis de l’État » n’étaient plus soumis au soupçon systématique du pouvoir. Trois ans plus tard, fort de son absence de lien avec l’appareil de la nomenklatura, il obtenait le soutien populaire pour fonder la République Socialiste Soviétique Moldave de Pridniestrovie, au moment où la nomenklatura ex-communiste de Kichinev versait dans le nationalisme roumain. Lors de l’attaque armée de 1992, Smirnov devint le chef suprême des armées pridniestroviennes. Dans son livre autobiographique, il écrit : « Nous avons été obligés de créer notre propre État ». Depuis, cet État, créé par des hommes de terrain, suit son chemin, sans préjugés idéologiques, mais avec quelques principes sociaux de base chevillés au corps : justice sociale, égalité, efficacité, réalisme, internationalisme, souci du peuple.

Tout un travail juridique a été engagé pour créer les institutions de la république. Des efforts ont été faits pour former des juristes en droit constitutionnel et en droit du travail. La constitution garantit l’égalité des citoyens, et des efforts notables ont été faits pour que les langues moldave et ukrainienne, peu utilisées en fait dans la vie publique, bénéficient désormais d’une promotion au sein des administrations et des assemblées élues.

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Les enfants de l’école d’art plastique de Tiraspol ont aussi été conviés en 2005 à faire des dessins expliquant, dans un langage convenant à l’enfance, les différents droits et devoirs du citoyen pridniestrovien que l’on retrouve dans la constitution de la république. C’est ainsi qu’on veut former dès leur plus jeune âge des citoyens conscients et politiquement actifs. Ils apprennent en particulier grâce à des dessins concrets, sur des thèmes qu’ils ont eux-mêmes choisis, comme la vie à l’air libre, les vacances, les passages cloutés, etc., les notions de liberté individuelle et le fait que celle-ci ne doit être limitée que par le souci de ne pas gêner la liberté de ses concitoyens. Les enfants apprennent à lire en partie à partir des exemplaires de cette « constitution enfantine ».

Siège du Soviet Suprême et du Gouvernement

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AFFIRMATION PAR LA VIE CULTURELLE

Orchestre

La Pridniestrovie pourrait devenir un pays à la mode au vu des efforts qu’elle déploie dans le domaine culturel. Comme souvent dans l’histoire, la « révolte du Dniestr » a coïncidé avec des recherches créatrices de la part des artistes locaux.

Une des meilleures solistes internationales, la Moscovite Svetlana Makarova, lauréate de nombreux concours internationaux, chante à l’orchestre de Tiraspol. C’est elle-même qui a demandé à en faire partie, connaissant son niveau internationalement reconnu. Et il n’y avait aucune raison politique à cela. Mais sans la politique de l’État en matière de culture et sans la conscience populaire qui soutient cette politique d’affirmation culturelle, la vie artistique locale n’existerait tout simplement pas. Chaque concert de l’orchestre symphonique d’État de Pridniestrovie constitue un véritable événement artistique – succès populaire dont ne peuvent pas se féliciter tous les orchestres symphoniques du monde. C’est ce qui explique pourquoi, malgré les difficultés, l’orchestre de musique classique de Tiraspol ne manque ni de candidats, ni de public.

Théâtre

La vie théâtrale de la capitale de la Pridniestrovie s’est aussi beaucoup éveillée grâce à la réouverture du théâtre local. En effet, la période difficile suivant les premières années après la disparition de l’URSS a poussé beaucoup d’acteurs à quitter le pays, car l’opinion régnait alors que la guerre, le blocus économique et les difficultés économiques rendaient impossible la renaissance de la vie culturelle sur les bords du Dniestr. Et reconstituer un ensemble théâtral ne fut pas chose facile. Maria Kyrmyz, directrice du théâtre, se rappelle : « Les gens quittaient le pays pour aller se trouver une place ailleurs. Un problème leur est cependant vite apparu : on n‘attendait pas partout nos artistes. Et tous ne sont pas non plus en état de transplanter leurs racines. Il est difficile de se retrouver ailleurs pour quelqu’un qui est né sur cette terre – avec son tempérament et sa vision du monde. Et après avoir passé un certain temps ailleurs, après s’être confronté à une autre réalité – les artistes sont revenus. Nous avons beaucoup d’acteurs qui sont revenus ici presque comme des cadavres. » (23)

Il a fallu reconstituer les professions d’acteur, de scénographe, de costumier, de metteur en scène, d’opérateur son, etc.. L’effort a été considérable, mais payant. Aujourd’hui, Tiraspol affiche à nouveau des représentations théâtrales régulières, et la qualité de la vie culturelle locale peut être comparée à celles de beaucoup de capitales.

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L’école primaire d’art plastique de Tiraspol

L’école primaire d’art plastique de Tiraspol compte plus de 600 élèves, ce qui est vraiment beaucoup pour une agglomération dépassant à peine 200 000 habitants, en comptant Bendery. Cette école ne vise pas à produire massivement des artistes plasticiens. Sa directrice, Maria Marian, déclare : « Ce qui nous réjouit c’est que les enfants se retrouvent dans l’art, et non pas dans la rue. Beaucoup d’entre eux ne seront jamais des artistes. Ils choisiront d’autres professions qui ne seront peut-être jamais liées à l’art. Mais ce qu’ils recevront ici leur restera pour toute la vie. » (24)

L’enseignement de cette école publique spécialisée est gratuit, ce qui est devenu très rare dans les pays anciennement socialistes. Cela témoigne de la volonté de la société locale de s’affirmer en tant que société développée dans tous les domaines. L’État a trouvé les moyens de cette politique, en s’appuyant sur la demande sociale existante.

Opéra de Tiraspol

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AFFIRMATION PAR UNE IDENTITÉ CULTURELLE MULTIPLE :

Orchestres de musique moldave

Le paradoxe apparent réside dans le fait que la culture moldave fleurisse dans la Pridniestrovie multiethnique, alors que la République de Moldova a subi une roumanisation, et que cet État peine à faire les efforts nécessaires pour permettre le maintien d’une vie culturelle d’un niveau reconnu. La Moldova voulait devenir roumaine et faire partie de la Roumanie. La spécificité moldave ne lui était donc pas nécessaire au départ. En Pridniestrovie – c’est le contraire, il a fallu affirmer tout ce qui représentait une spécificité par rapport à tous les pays voisins. Les Moldaves constituent donc un élément indispensable d’identité pour cette société multiethnique. Cette situation est en particulier nécessaire pour les Ukrainiens et les Russes d’ici, qui doivent eux aussi faire vivre une culture locale qui ne peut pas être seulement le pâle reflet passif, de celle qui se développe à Kiev ou à Moscou. Cela veut-il dire que l’on assistera de plus en plus à une interpénétration réciproque qui produira une culture pridniestrovienne autonome, multiethnique ? C’est en tout cas ce que l’on ambitionne de réaliser sur les bords du Dniestr. Les orchestres de musique populaire moldave qui fonctionnent auprès des maisons de la culture, en particulier dans les localités rurales à majorité moldave, fournissent le fond musical de toutes les célébrations. Même des passants russes rencontrés dans la rue ont déclaré que les chansons moldaves les faisaient pleurer chaque fois qu’ils reviennent au pays, après un séjour à l’étranger.

Le musée de Bendery

Zoïa Dmitrienko, directrice du musée, déclare : « Pour ce qui est de l’introduction de l’écriture sur ce territoire, on a d’abord utilisé l’alphabet slave. On peut par exemple en trouver la preuve dans un manuscrit préservé dans notre musée – une pièce véritablement unique. Le livre remonte au XVIIe siècle et a subi les expertises de l’Académie des sciences de ce qui était encore la RSS de Moldavie. Le caractère original de ce livre a d’ailleurs été confirmé par de nombreuses expertises. Nous avons la preuve qu’il s’agit d’un original. Ce manuscrit a été écrit en utilisant l’alphabet slave – en langue moldave. De même, le premier livre imprimé en moldave l’a aussi été en cyrillique, dans la ville de Iassy, et les caractères ont été envoyés par Frantisek Skoryna, le fameux imprimeur biélorussien. » (25)

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L’orthodoxie

L’orthodoxie domine le paysage sacré de la région, où elle est enracinée depuis plus de deux siècles. 90% des habitants des rives du Dniestr, de différentes nationalités, sont liés à l’orthodoxie… En 1962, sous Khrouchtchev qui fut un athée militant, le monastère de Kitskany, proche de Bendery et de Tiraspol, fut transformé en hôpital psychiatrique. Depuis 1992, il est revenu aux mains de l’Église orthodoxe. L’Église orthodoxe a récupéré ses anciens temples et monastères, et une partie importante des habitants de la Pridniestrovie déclare son attachement à la tradition orthodoxe – quoique souvent sans véritable croyance. Les cloches des églises restées silencieuses pendant presque un siècle sonnent de nouveau, et l’on a construit sur les bords du Dniestr plus de 100 nouvelles églises au cours des dernières années.

La Cathédrale orthodoxe de Tiraspol

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Les fidèles de l’orthodoxie vivent des deux côtés du Dniestr, et presque tous dépendent du patriarcat de Moscou. Seule une petite minorité orthodoxe en Moldova s’est rattachée au patriarcat de Bucarest. L’Église orthodoxe refuse donc d’être partagée par le fleuve frontalier. Elle essaie de remplir sa mission des deux côtés en conflit, et ses dignitaires jouent souvent le rôle d’intermédiaires entre les hommes politiques des deux États ennemis. Le père Paysy, déclare : « Chaque être humain sur terre doit porter sa croix et a sa mission à réaliser, chacun doit la porter jusqu’à la fin de sa vie et ne pas vivre pour lui-même, mais pour la société, pour les proches, pour tout ce qui vit à côté de nous

A l’entrée de la Cathédrale

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– et c’est seulement à ce moment-là que nous remplissons complètement notre mission, notre service. Je souhaite cela à tous les êtres vivants. Ici, dans notre région, en Pridniestrovie, et en Moldova. » (26)Rappelons toutefois que les autres confessions chrétiennes, la religion israélite et l’islam ont touché les bords du Dniestr, et que le marxisme a, lui aussi, marqué ses habitants. Cette diversité a pu être perçue parfois, même très récemment encore, comme un élément négatif ; aujourd’hui, cependant, elle apparaît comme faisant de plus en plus partie d’une mosaïque locale dont on peut être fier, si on la compare à la pauvreté des discours ethno-nationalistes qui se sont répandus dans la région au cours des deux dernières décennies, sans produire beaucoup d’éléments créatifs et durables.

Kamenka

La petite ville de Kamenka porte le témoignage d’une véritable richesse humaine. Elle est née, il y a longtemps, sur une voie commerciale qui traversait la Bessarabie d’alors, et a gardé les traces matérielles de la culture des gens qui ont habité ici, appartenant à presque 40 nationalités différentes – des orthodoxes, des catholiques, des protestants, des fidèles du judaïsme, etc. Ils vivaient ici globalement en bonne entente et dans le respect des différences culturelles et religieuses, des habitudes des uns et des autres. Des temples de différentes confessions s’y côtoient toujours.

Aujourd’hui, il n’y a plus de voies commerciales qui passent par Kamenka, car les ponts sur le Dniestr n’unissent plus, mais divisent les deux rives. Et moins de gens croient en la concorde. L’expérience des années 1990, dont les conséquences les gênent toujours lorsqu’ils veulent passer les frontières, les pousse à se défaire de ce qui leur apparaît comme des illusions.

Sur le territoire de la Pridniestrovie, il n’y a cependant jamais eu dans l’histoire de manifestations ultranationalistes de la part d’aucune des 35 nationalités recensées ici. L’histoire ne connaît pas non plus de pogroms sur les bords du Dniestr, comme il y en a eu dans l’Ukraine voisine ou sur le territoire de l’actuelle Moldova. Peut-être est-ce parce que les habitants des rives du Dniestr se sont assimilés les uns aux autres et forment une unité spécifique dans leur diversité ? Une unité qui a tenu presque deux décennies déjà d’un blocus politique et économique les isolant du monde entier – de ce monde qui ne sait presque rien à son sujet, car on lui a interdit de savoir quoi que ce soit.

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AFFIRMATION PAR L’ÉDUCATION

L’université

En Pridniestrovie, un pays comptant quelques 550 000 habitants, il y a trois écoles supérieures – une université, un institut de droit et une école supérieure de musique. Le pays forme presque 18 000 étudiants. Mais leurs diplômes ne sont pas reconnus hors de ses frontières. Ils doivent faire l’objet d’une procédure d’équivalence et, dans la République de Moldova, on retire aux diplômés leurs diplômes, après quoi il doivent suivre des cours de « mises à niveau » d’un an, puis reçoivent des diplômes de fin d’études des écoles supérieures moldaves, qui ne les ont pas vraiment formés, ce qui permet de gommer les résultats des établissements pridniestroviens. Pour les enseignants de Tiraspol, les procédures de Chişinau sont gênantes, pesantes et humiliantes. A leurs yeux, c’est tout simplement un vol de diplômés.

Ouverture internationale via Internet

Internet est aujourd’hui devenu un autre outil inestimable pour rompre l’isolement de la Pridniestrovie, dans le processus d’enseignement. En particulier pour les écoles secondaires et supérieures. C’est un instrument indispensable dans la lutte pour maintenir le niveau souhaité dans la communication du savoir. Natalia Baka, directrice d’école, déclare : « Le télé-enseignement – c’est une des technologies d’enseignement les plus récentes pour les élèves des lycées, qui permet à ceux qui habitent dans les territoires périphériques, loin des grandes villes possédant des centres d’enseignement, de bénéficier de l’éducation. En l’occurrence, celui de Moscou. Et aussi de prendre part à divers projets scientifiques – par exemple aux olympiades scientifiques auxquelles participent les élèves moscovites – et cela, sans avoir à quitter Tiraspol. » (27)

Cette possibilité a aussi été utilisée par Sergueï Chechnikan, spécialiste des insectes locaux. Ses recherches lui ont permis de gagner un prix à un concours écologique international. Il est aujourd’hui dans sa spécialité un des biologistes les plus connus de Pridniestrovie. Et grâce à lui, on a aussi découvert les coléoptères de Pridniestrovie en Europe et ailleurs. En 2006, il a envoyé les résultats des recherches collectivement menées par son institut à l’adresse qu’il avait découverte via internet – celle du Forum écologique « Planète verte 2006 ». Son travail a été primé parmi ceux de 24 000 participants provenant de 17 pays.

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On dit souvent que la Pridniestrovie est comme un faux-bourdon. Aucun scientifique n’a encore été en état de comprendre comment cet insecte très lourd est en état de se maintenir dans les airs, mais on constate qu’il arrive à se maintenir. L’être humain n’a pas encore découvert tous les secrets de la nature, mais il est capable de faire des miracles à force de conviction. La Pridniestrovie en est un exemple.

Atmosphère générale

La Pridniestrovie est un petit pays de 4 163 km² qui s’étend sur une longue bande de terre de plus de 200 km de long. C’est un pays fortement urbanisé (la capitale Tiraspol compte environ 130 000 habitants, et la ville voisine de Bendery a plus de 100 000 habitants). La Pridniestrovie compte seulement huit villes. La plupart d’entre elles se sont développées le long des voies commerciales qui traversaient le Dniestr.

Les relations entre les pouvoirs et la population sont donc souvent des relations directes, d’autant plus qu’une grande partie des salariés travaille dans des grands combinats industriels qui constituent depuis l’époque soviétique des « lieux de vie » sociale, autant que des outils productifs. Et la guerre de 1992 a contribué, comme nous l’avons vu, à renforcer cette forme de lien social. Cela explique aussi pourquoi cette petite république non reconnue internationalement continue non seulement à exister, mais fonctionne réellement sur le plan économique, et jouit d’une vie sociale et culturelle d’un niveau international. Le système politique se veut démocratique et l’ambiance générale est assez libre, les passants rencontrés dans la rue n’hésitant pas à manifester leurs critiques sur tel ou tel aspect de la vie de ce qui est devenu leur pays. Ils trouvent pesante la pression que subit leur république, mais ne semblent dans l’ensemble pas désireux de la voir disparaître, à la fois pour des raisons économiques, et parce que le mode de vie y semble à leurs yeux plus agréable que dans les pays voisins. L’influence des idées dominant le monde actuel (« démocratie de marché », privatisation, etc.) semble cependant bien réelle dans la population et chez les dirigeants. Il n’est donc pas question de considérer cette république comme une quelconque « réserve naturelle », mais de constater une certaines distanciation par rapport aux contraintes mondiales.

Nous avons vu que de nombreux acquis sociaux datant de l’époque soviétique ont été conservés : éducation gratuite d’un niveau qui semble bon, santé gratuite pour les soins minimaux, y compris avec acheminement à l’étranger en cas d’impossibilité de traitement dans le pays, politique d’attribution d’emplois aux jeunes diplômés, vacances organisées par les syndicats pour les travailleurs, politiques collectives de soutien aux retraités, aux jeunes, etc..

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Un supermarché en Pridniestrovie

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Économie

La Pridniestrovie est un pays riche par rapport à ses voisins, c’est même, selon certains, la raison fondamentale de sa séparation d’avec la Moldova dont les capacités productives étaient globalement inférieures. C’est en effet à Tiraspol et le long du Dniestr que furent concentrés pendant toute la période soviétique les grands combinats industriels d’un haut niveau technologique. Les chiffres économiques officiels restent basés sur des modes de calcul assez différents de ceux reconnus dans les pays occidentaux, mais, en observant le fonctionnement des usines et la vitalité des commerces, on ne peut nier que les taux de croissance restent impressionnant depuis le début de l’existence de la république. Et d’ailleurs, les méthodes statistiques imposées par les élites financières occidentales sont de plus en plus fréquemment remises en question dans le monde, par des institutions aussi crédibles que le PNUD par exemple. Il y a croissance ininterrompue sur les bords du Dniestr depuis l’interruption de la guerre en 1992, et cela, malgré la politique de double taxation et de double homologation des productions locales imposée par la Moldova, avec l’assentiment du voisin ukrainien et des États de l’Union Européenne. Ce système grève le budget des entreprises, mais la poursuite envers et contre tout de la croissance économique témoigne de la vitalité de l’économie locale et de l’inventivité de ses travailleurs. Cela témoigne aussi de l’adhésion de la population à un État qui n’aurait pu perdurer sans cet engagement.

Usine ELEKTROMACH

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Le potentiel économique du pays est impressionnant. Depuis l’époque soviétique, cette région était fortement industrialisée (machines-outils, métallurgie, textile, agro-alimentaire) ; sa main d’œuvre est restée très qualifiée et son agriculture intensive, profitant d’un climat favorable et de terres de qualité. La pression extérieure dissuade cependant beaucoup d’investisseurs. Mais cela a en fait contribué à maintenir la cohésion entre les différentes couches sociales, les élites économiques locales n’ayant pour le moment que peu de moyens pour se raccrocher au train de la « mondialisation sans limites », quand bien même elles le voudraient.

Le pays a néanmoins dû accepter certaines formes de privatisation, qui ont, semble-t-il, pu entraîner çà et là des diminutions d’effectifs et des pertes d’emplois. La Pridniestrovie déclarait en 2004 un taux de chômage dépassant 10%. Beaucoup de Pridniestroviens, et en particulier ses dirigeants, semblent fatigués par le poids des sanctions visant leur État. Ils aspirent à la reconnaissance internationale, qui permettrait l’afflux d’investissements et la poursuite de la modernisation de l’appareil productif. Mais on sent aussi dans la population le souci concernant du maintien de relations sociales qui ne devraient pas être aussi « sauvages » que dans les pays voisins, qui ont subi les « thérapies de choc » libérales, ou assisté à l’émergence d’un capitalisme oligarchique, voire mafieux, et dont plusieurs républiques ex-soviétiques ont du mal à se débarrasser sans utiliser des méthodes autoritaires.

Les terres agricoles sont restées propriété d’État. Elles sont louées par bail pour 99 ans maximum, selon un système qui s’apparente en fait à celui existant en Chine. On notera que l’exploitation individuelle domine, mais que certains kolkhozes ont été repris en exploitation commune par des collectifs de travailleurs. Dans l’industrie aussi, les collectifs de travailleurs détiennent très souvent des parts importantes d’actions indivisibles. Au dire des personnes rencontrées, ce système a permis la participation des salariés aux décisions stratégiques des entreprises. Ils ont ainsi pu mieux accepter une politique d’investissements productifs pouvant parfois se faire aux dépens de l’augmentation immédiate des salaires. Dans de nombreuses entreprises, on peut d’ailleurs constater une modernisation constante du parc de machines et des capacités de production. Ce système « mixte » a vu le jour dans la foulée de la guerre de 1992, au cours de laquelle les travailleurs ont été requis pour la défense du pays. Il a perduré depuis, et la situation de blocus international a contribué à l’enraciner. C’est donc plus souvent « à côté » des entreprises traditionnelles que l’on voit émerger de nouvelles entreprises totalement privées, comme c’est en particulier le cas de Sheriff.

On constate néanmoins que, tant pour l’agriculture que pour l’industrie ou les services, le pays est à l’heure actuelle « rattrapé » par la réalité mondiale dominante, qui lui impose désormais des choix stratégiques et sociaux qui pourraient aboutir à mettre à mal la cohésion sociale dont a su faire preuve cette république depuis sa naissance. Il est trop tôt pour dire si des compromis seront trouvés entre ces logiques contradictoires. Pour le moment, cependant, nous avons affaire sur les bords du Dniestr à une réalité sociale enracinée. Et l’héritage de plus de 20 années d’un post-soviétisme très spécifique – comparé aux pays voisins – ne pourra pas être négligé dans les décisions qui seront prises.

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Démocratie et présidentialisme

En dépit du fait que ce petit pays compte déjà une dizaine de formations ou partis politiques légalisés qui s’opposent entre eux sur le maintien ou non de survivances sociales héritées de l’époque soviétique, leur rôle reste semble-t-il secondaire dans la vie quotidienne et dans les prises de décision. Le système politique reste marqué par la culture du consensus issue de l’Union Soviétique post-stalinienne. Cela explique l’incompréhension que l’on rencontre assez généralement dans le pays à l’égard d’éventuels conflits d’intérêts entre groupes sociaux. Cette attitude semble répandue tant dans les cercles dirigeants que dans le reste de la population. L’idée d’un « bon gouvernement » et d’un « bon président » prend le dessus sur la revendication d’un programme socio-économique précis répondant aux intérêts clairement formulés de chaque groupe d’intérêts.

Dire à Tiraspol qu’il existe, comme dans toute société, des clivages sociaux, et donc des programmes politiques différents, semble incongru. Cette évolution démontre d’ailleurs que la société pridniestrovienne n’est pas dans son fonctionnement très éloignée des évolutions plutôt conservatrices que subissent toutes les sociétés depuis les dernières décennies du XXe siècle. C’est aussi ce qui explique la personnalisation du pouvoir, le système présidentiel, et en particulier la longue reconduction du président Smirnov au sommet de l’État jusqu’à la fin 2011.

Le système électoral ne reconnaît d’ailleurs pas les partis politiques en tant que tels, mais privilégie les candidatures « individuelles », selon un système uninominal à un tour. Rappelons toutefois que sur un territoire de 250 Km de long sur 16 Km de large en moyenne, d’un peu plus de 4 100 km² et comptant 550 000 habitants, les liens entre l’habitant moyen et les dirigeants sont souvent directs, ce qui permet de mieux comprendre cette vision de la chose publique. Ici, les gens se connaissent, d’autant plus qu’il n’existe que quelques grandes entreprises qui embauchent la grande majorité de la population. Les gens se sont donc généralement connus en leur sein, et les dirigeants issus de ces combinats sont en contact quasi-direct et constant avec leurs anciens collègues de travail.

De plus, le président Smirnov lui-même, tant qu’il était en exercice, quittait tous les jours son bureau pour se réfugier dans son atelier où il réparait des moteurs de bateaux. Il ne peut vivre, dit-il, sans un contact quotidien avec le travail manuel, la technique et la production. Dans son comportement, il n’a donc rien d’un oligarque post-soviétique ! Et encore moins d’un apprenti-capitaliste « mondialisable ». De son côté, le vice-président de la République nous avait dit : « L’union de notre peuple ne peut pas être défendue, s’il y a une différenciation entre des riches et des pauvres. » L’état de guerre, puisque c’est un cessez-le-feu précaire (28) qui persiste depuis 1992, garantit donc pour le moment un consensus social disparu dans les pays voisins.

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Comme ailleurs en ex-URSS, et de plus en plus souvent dans les pays occidentaux, le parlement (Soviet Suprême) joue un rôle assez limité, chose que reflète la constitution. Les députés sont élus individuellement, sans représenter a priori des partis ou des tendances politiques, même si les candidats ont le droit de profiter de l’appui de ces formations. Les partis politiques existent néanmoins, mais leurs programmes restent souvent vagues en termes de projet social et économique.

Même si la Pridniestrovie est souvent accusée dans les médias occidentaux d’être un reliquat « communiste », notons que les deux partis communistes existant dans la république se trouvent dans l’opposition, et qu’ils n’ont d’ailleurs même pas d’élus au niveau national. Ils soutiennent la recollectivisation des exploitations agricoles et la renationalisation « classique » de l’industrie, que leurs « camarades » de Moldova, au pouvoir, ne mettent pas en pratique. Notons qu’il existe aussi un groupe dynamique de jeunes, « Rupture », qui semble plus proche du pouvoir, se réfère ouvertement à Che Guevara, et n’hésite pas à manifester sa méfiance devant les élites supranationales qui gèrent la mondialisation.

Les autorités semblent très soucieuses de promouvoir un État de droit, avec cour constitutionnelle, médiateur de la république, etc. Toutes ces institutions ont été mises en place qu cours des dernières années.

Députés au Soviet Suprême de la République

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Relations interethniquesLa naissance de la Pridniestrovie fut sans doute en partie la conséquence du fait que les régions

les plus industrialisées de l’ancienne Moldavie soviétique refusaient de se soumettre au pouvoir régional dominé par des dirigeants liés à l’agriculture et à la « nomenklatura kolkhozienne ». En plus de ce facteur socio-économique, c’est le facteur national qui constitue le second élément expliquant la naissance de la Moldavie pridniestrovienne. Les autorités locales soulignent avec force l’impact négatif du développement en Moldavie, dans la foulée de la Perestroïka, d’un nationalisme roumain jugé agressif, et voulant imposer pratiquement du jour au lendemain une langue « moldave » latinisée à des populations qui ne la pratiquaient pas. En effet, en Pridniestrovie, les proportions ethniques sont d’environ 32% de Moldaves, 30% de Russes, 29% d’Ukrainiens, le reste de la populations étant composé d’autres groupes (Bulgares, Gagaouzes, Polonais, Juifs, etc.). Et beaucoup de Moldaves sont restés attachés pour leur langue à l’alphabet cyrillique, plus traditionnel. L’internationalisme constitue en conséquence une des valeurs légitimatrices, fortement affirmée sur les bords du Dniestr. L’attaque brutale mais infructueuse de la Pridniestrovie par la Moldova en 1992 constitue dans ce contexte l’événement fondateur de cette république « autoproclamée ». Le refus de tout communautarisme à base ethnique ou religieuse constitue le fondement légitimateur de la citoyenneté pridniestrovienne, face à une Moldova toujours tentée par la roumanisation.

Officiellement, la république est trilingue, avec la langue moldave dans sa version cyrillique aux côtés de l’ukrainien et du russe ; dans les faits, c’est le russe qui domine la vie quotidienne, l’administration et la vie politique, au moins dans les grandes villes, où la proportion de Moldaves est généralement inférieure à celle des campagnes et des petites villes. On ne peut s’empêcher de constater que les Moldaves représentent globalement la couche de la population socialement la moins favorisée. Mais on doit aussi noter que ces derniers semblent très marqués par la langue russe comme vecteur de modernité et de mobilité sociale. Les Moldaves semblent être le groupe ethnique le plus divisé dans ses sensibilités politiques. Nous avons vu plus haut les causes historiques anciennes de ce phénomène, renforcé pendant la période soviétique par une mobilité sociale massive. Certains Moldaves de Pridniestrovie semblent toujours tentés par le nationalisme roumain, mais, dans l’ensemble, on ne ressent aucune tension interethnique majeure entre les différentes composantes de la population.

Il faut encore rappeler que, comme la Pridniestrovie n’est pas reconnue internationalement, pour pouvoir voyager, la plupart de ses citoyens ont recours, souvent en fonction de leurs origines ethniques, à la double citoyenneté, qui leur est accordée par les États post-soviétiques (Moldova, Ukraine, Russie). De même, les diplômes émis par les écoles supérieures pridniestroviennes ne sont pas reconnus à l’extérieur. Beaucoup d’étrangers viennent donc commencer leurs études en Pridniestrovie, attirés par la qualité de l’enseignement local, avant de devoir les terminer dans d’autres États post-soviétiques pour bénéficier de leur homologation. Quant aux étudiants locaux, ils vont souvent étudier dans les universités des pays voisins. Au quotidien, il semble que les rapports entre Pridniestroviens, Moldoviens et Ukrainiens d’Ukraine soient sans tensions majeures.

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Mondialisation, scène post-soviétique et rapports internationaux

Jusqu’à son indépendance, le pays du Dniestr constituait un pôle économique relativement important pour l’URSS, même si la société locale pouvait sembler très « provinciale ». Les nouveaux dirigeants de Tiraspol, souvent issus de l’intelligentsia technique, n’avaient qu’une connaissance très lointaine des grandes problématiques politiques internationales. Et jusqu’à récemment, beaucoup d’entre eux comptaient sur leurs entrées à Moscou pour garantir l’avenir de leur république.

Le jeu diplomatique international exige cependant que Moscou établisse des relations durables avec Chişinau et Kiev, tandis que l’Union Européenne privilégie le point de vue de Bucarest. Depuis ce qu’on appelle la « révolution orange » en Ukraine, Kiev a souscrit aux demandes de Chişinau visant à ne pas accepter les marchandises pridniestroviennes non homologuées à Chişinau, et n’ayant pas, qui plus est, transité par le territoire moldovien. Pour entrer en Ukraine, les marchandises doivent donc d’abord transiter vers l’Ouest, par la Moldova, avant d’être admises à l’Est, en Ukraine. Ce détour augmente considérablement les coûts d’acheminement.

Les relations que Tiraspol a développées avec d’autres entités post-soviétiques non reconnues internationalement (Abkhazie, Karabakh, Ossétie du sud) ne suffisent évidemment pas à désenclaver le pays. Face au point du vue bloqué des dirigeants de l’Union Européenne et aux incohérences des dirigeants de la Russie et de la CEI, les autorités de Tiraspol sont amenées à faire preuve d’imagination et doivent commencer à chercher des partenariats en Asie ou en Amérique latine. Cette évolution est très récente.

Les citoyens pridniestroviens ont eux aussi dû faire preuve, chacun à son niveau, d’inventivité pour développer dans ce contexte précaire des initiatives économiques, sportives ou culturelles. Mais les rumeurs sur les trafics de drogue ou d’armes en provenance de Tiraspol semblent en grande partie farfelues, le pays étant totalement enclavé, et ses frontières totalement contrôlées non seulement par les douaniers pridniestroviens, mais aussi par les douaniers ukrainiens ou moldoviens. L’ancien aérodrome militaire de Tiraspol reste fermé à la navigation, car Chişinau contrôle l’espace aérien de la République « autoproclamée ». Même pour démontrer sa bonne foi, la Pridniestrovie, en raison de sa non-reconnaissance, n’a pas obtenu les autorisations nécessaires pour acheter, dans l’UE ou dans la CEI, les machines nécessaires au contrôle de ses frontières en conformité avec les normes de l’UE. Elle a finalement réussi malgré tout à se les procurer …en Afrique du sud.

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Pour manifester leur existence sur la scène internationale, les Pridniestroviens ont avant tout compté sur leurs productions industrielles, puisqu’elles ont été dès le début planifiées en fonction du marché extérieur, d’abord soviétique, puis, par la force des choses, européen et mondial. Instruments de précision pour oléoducs, produits textiles haut de gamme exportés sur tous les continents ou Cognac/Brandy reconnu partout dans le monde, y compris par la famille Ricard, comme quasi-équivalent en qualité du Cognac français, constituent incontestablement, et malgré la double taxation, la meilleure campagne de promotion pour la « République autoproclamée ». Elle démontre ainsi l’inventivité de sa population, qui serait impossible si l’on avait affaire à une quelconque « État-voyou » ou « État-mafieux » sans légitimité auprès de sa propre population.

Les populations des deux États voisins de la Pridniestrovie ne semblent pas non plus manifester à son égard la hargne ou la jalousie que l’on rencontre au niveau de leurs dirigeants. C’est même plutôt le contraire que l’on constate, en raison du niveau de vie local et du maintien d’un certain nombre de garanties sociales. Demandez à un Russe, un Ukrainien ou un Moldovien rencontré en Pridniestrovie ce qu’il pense de cette « république auto-proclamée », et il parlera de son calme, de l’état de ses rues, de la décontraction de ses habitants, des garanties sociales qu’il y observe et qui ont souvent disparu chez lui. Tout au plus railleront-ils le « provincialisme » local. Mais c’est là une plainte que l’on entend aussi dans la bouche des habitants eux mêmes, preuve de leur désir d’ouverture sur le monde et de leur absence d’égocentrisme national.

Autre exemple d’inventivité, l’école de football ouverte aux enfants de toute la CEI construite par le potentat « Sheriff ».

La philatélie constitue un autre secteur emblématique. L’inventivité de la population locale s’explique par les horreurs que la population soviétique a

dû traverser au cours du XXe siècle, en particulier pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ensuite, le système de planification soviétique centralisé a certes créé les cadres de la modernisation accélérée de la société, et en particulier facilité la construction de puissants combinats industriels le long du Dniestr, mais ses effets pervers ont souvent habitué les Soviétiques à faire preuve à chaque niveau de décision d’une capacité d’improvisation visant à contourner les pesanteurs liées à la bureaucratisation des rapports économiques et sociaux. Contrairement à un cliché répandu en Occident, la période soviétique a été une grande école d’improvisation et d’adaptation. La chance de la Pridniestrovie a été d’avoir concentré sur son territoire une intelligentsia technique habituée à combiner des solutions concrètes sur le terrain dans un rapport de négociations-pressions avec les pouvoirs, sans avoir simultanément abrité, comme les autres États post-soviétiques nouvellement indépendants, le siège central de la nomenklatura du Parti communiste, de plus en plus aliénée par rapport au peuple. Le degré de bureaucratisation, de formalisme et de rigidité était dès le départ incomparablement plus faible à Tiraspol qu’à Chisinau, à Kiev ou à Moscou. Le contact avec la base étant plus étroit, le pouvoir pridniestrovien n’a pas eu tendance à verser, comme dans les pays voisins, du dogmatisme communiste de façade d’avant 1985 au dogmatisme anticommuniste d’après 1991.

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C’est ce pragmatisme, ce contact avec les réalités populaires, mais aussi cette fidélité à certains principes sociaux, démocratiques, internationalistes, par-delà leurs devantures idéologiques originelles, qui explique pourquoi les observateurs étrangers éprouvent a priori à Tiraspol le sentiment de se trouver dans un « Jurassic Park du communisme », en l’absence même d’un parti communiste nécessaire pour justifier cette impression. Mais ce qui apparaît à un observateur occidental conformiste comme un handicap, est plutôt perçu comme un élément de fierté et de dynamisme par un habitant du pays du Dniestr. Nous avons d’ailleurs pu constater à quel point on retrouve aussi ce sentiment chez les visiteurs venant d’autres régions de l’ancienne Union soviétique. Car tout observateur exempt d’œillères idéologiques est bien obligé de constater que l’héritage soviétique ne peut pas être catalogué comme un bloc unilatéralement négatif : mobilité sociale accélérée, échanges interculturels, ouverture sur la culture universelle, structures plus ou moins informelles d’arbitrage social, garanties sociales, création d’outils économiques et scientifiques de pointe, développement des arts, de l’éducation, de la culture, intégration économique intercontinentale, culture sociale égalitaire, principes sociaux collectifs, rupture des rigidités féodales, patriotisme à base territoriale et non-ethnique, sécurité de l’emploi et de la formation, etc., autant d’éléments qui suscitent la fierté de populations passées à l’époque soviétique d’une société féodale pré-moderne à un état comparable à celui des sociétés industrielles.

Mais, pour que les populations de l’ex-URSS puissent revendiquer le droit d’avoir cette opinion, comme c’est en train de se produire, il leur a d’abord fallu passer par la destruction de tous ce qu’elles avaient connues : thérapie de choc libérale, individualisme exacerbé, réseaux opaques ou mafieux, ouverture sans protection sur le marché mondial, émergence des nationalismes ethniques, etc.. La liberté individuelle a été à ce prix. La Pridniestrovie, parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de se « jeter à l’eau » comme les autres États post-soviétiques en 1991, a dû, par la force des choses, trouver des solutions de compromis entre l’ordre ancien vermoulu et le désordre ambiant. Et la guerre de 1992 a forcé cette société à faire preuve d’esprit de corps. Elle a donc conquis sa liberté, qui ne lui a pas été octroyée en échange d’une atomisation sociale.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre pourquoi le drapeau de l’ancienne Moldavie soviétique avec l’étoile rouge, la faucille et le marteau flotte toujours devant la présidence de la république, qui abrite aussi le Soviet Suprême de la « République Moldave de Pridniestrovie », et devant la « Maison des Soviets » de Tiraspol (les conseils régional et municipal).

C’est aussi ce respect du passé qui explique pourquoi des statues de Lénine saluent toujours les visiteurs de ces institutions. Le vice-président de la République, Alexandre Korolov, constate : « Nous sommes des démocrates, nous respectons notre histoire, et Lénine en fait partie ». Même son de cloche chez les parlementaires et dans le clergé orthodoxe. Remarquons que pendant un certain temps, ces insignes avaient disparu du drapeau de la République, mais ont été rétablis pour témoigner de la continuité juridique de l’État pridniestrovien. Aux yeux de beaucoup d’Occidentaux, ces symboles sont des marques « d’archaïsme » ; mais chez beaucoup d’ex-Soviétiques, y compris non communistes, ils suscitent respect et parfois nostalgie. En effet, la Moldavie a fait sécession d’avec l’URSS, puis ce fut le tour de l’Ukraine et de la Russie, mais la Pridniestrovie, d’un point de vue légal, est la seule partie de l’URSS à n’avoir jamais fait sécession : elle s’est retrouvée indépendante sans

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même l’avoir proclamé, et sans avoir été reconnue par ses pairs. Son originalité peut aujourd’hui être ressentie comme une marque de courage et de non conformisme, ce qui constitue un atout, y compris pour ceux qui optent en faveur du capitalisme. Car si un capitalisme pridniestrovien devait émerger, ce serait un capitalisme ayant le goût de l’innovation et du risque, un capitalisme ne s’abritant pas derrière de grands protecteurs étatiques, ou des monopoles de fait.

Qu’ils soient considérés comme étant « de gauche » ou « de droite », les députés et représentants officiels de cette république soutiennent cet argumentaire sur les symboles de l’État, ce qui présente le double avantage de permettre un compromis entre les partisans les plus décidés de la défense de l’héritage social communiste et les partisans d’une « plongée dans l’économie de marché globalisée ». Pour combien de temps ? On peut se poser la question.

À cela s’ajoute le respect qu’impose une référence conséquente à l’esprit de « l’État de droit », terme que les dirigeants des pays occidentaux ont toujours à la bouche, ce qui ne les a pas empêchés de souscrire à toutes les mesures illégales prises en Europe de l’Est depuis 1989, dans la mesure où elles contribuaient au démantèlement de n’importe quel élément du passé socialiste.

Statue de Lénine devant le siège du Gouvernement

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Nous ne pouvons nous empêcher cependant de constater également que le « compromis symbolique » existant sur les bords du Dniestr, et que nous venons de décrire, révèle les hésitations, voire les ambiguïtés, d’un pays qui n’a pas encore véritablement tranché concrètement entre différents modèles de société. D’un côté, dans les grands combinats hérités de l’Union soviétique, et qui produisent par exemple des instruments pour le géant pétrolier russe Transneft, ou un « Cognac » (Brandy) mondialement apprécié, les photos des ouvriers méritants figurent à l’entrée de l’usine, comme à l’époque soviétique, sur un tableau d’honneur avec le slogan « Salutation et Gloire au travail ! ». Mais ce mode d’émulation va de pair avec un processus de privatisation qui semble maintenir ici les « collectifs de travailleurs » comme actionnaires incontournables, alors qu’ailleurs, des propriétaires individuels, pour le moment surtout d’origine locale, semblent prendre le dessus. Les banques locales, pour le moment encore partiellement étatiques, comptent aussi parmi les principaux actionnaires, comme ce fut aussi le cas par exemple dans les premières années de la « transition » en Tchécoslovaquie. À terme, des contradictions sociales émergeront sans doute inéluctablement, ce qui témoigne du fait que nous ne sommes pas devant une société bloquée et figée, que ce soit par rapport à « l’héritage soviétique » ou aux « sirènes du libéralisme sans frontières ». Il est encore trop tôt pour savoir quels choix seront faits.

Portraits des ouvriers méritants à l’entrée d’une usine

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La guerre de 1992 a opposé la région la plus prolétarisée et multiethnique (grosso modo 1/3 de Moldaves, 1/3 de Russes, 1/3 d’Ukrainiens) (29) de l’ancienne Moldavie soviétique à une région plus agricole, dotée de centres universitaires et plus ouverte aux courants nationalistes roumains. D’un côté le prolétariat, les ingénieurs, les industries de haute technologie, les facultés techniques, de l’autre, les paysans, les directeurs de kolkhozes, les académies pédagogiques. D’un côté « l’internationalisme », toujours revendiqué aujourd’hui, de l’autre la « renaissance nationale », voire le nationalisme ethnique roumain et/ou « moldave ». Face au discours roumain « rattachiste » qui s’est d’abord imposé à la fin des années 1980, un patriotisme moldave « intermédiaire » s’est réveillé à Chişinau au milieu des années 1990, une fois le mythe d’une Roumanie prospère et « européenne » écorné. C’était cependant trop tard, vu de Tiraspol, que la Moldova a refusé par référendum de se « réunifier » avec la Roumanie. Mais depuis, la Roumanie a adhéré à l’Union Européenne et beaucoup de Moldoviens sont tentés de « rattraper le train du développement » en rejoignant à la fois Bucarest et Bruxelles. Il est peu probable cependant que Bruxelles accepte de voir l’UE s’élargir encore par ce biais. Chişinau devra à nouveau trancher entre privilégier Bucarest ou Moscou. Le fait que ce soit un parti communiste, durablement installé pouvoir à Chişinau, qui ait manifesté ces hésitations prolongées entre « le modèle européen » et la Russie capitaliste de Poutine n’a pas contribué à éclaircir la situation.

La situation des deux partis communistes de Pridniestrovie n’est pas non plus facile, car ils ne peuvent pas souscrire aux « sirènes européennes », et de fait « sociales-démocrates », qui semblent désormais dominer en Moldova, y compris chez leurs « camarades », et qui contribuent parfois à camoufler un nationalisme grand-roumain. Mais ils ne peuvent pas non plus accepter les évolutions sociales que l’on constate dans la plupart des États post-soviétiques, en particulier en Russie.

De leur côté, les jeunes défenseurs de l’indépendance de la Pridniestrovie se sont déclarés « guévaristes », tout en utilisant les méthodes de « happening » qui ont assuré le succès de la « révolution orange » en Ukraine. En aparté, plusieurs dirigeants de Tiraspol évoquent avec intérêt le Venezuela et le Mouvement des non-alignés. L’avenir dépendra largement des choix que fera le Kremlin. Celui-ci semble chercher d’un côté à faire pression sur la Moldova, ses relations avec Tiraspol étant l’un des moyens de cette pression. Cette situation tend à rendre plus précaire encore à terme la position de la Pridniestrovie, ce qui explique sans doute pourquoi les dirigeants de Tiraspol cherchent désormais à développer un maximum de contacts avec un maximum de pays.

La visite à Tiraspol de l’ambassadeur étatsunien en Moldova en juillet 2007, et sa tentative de charmer les jeunes guévaristes de Rupture ne semble pas avoir réussi à dissiper la profonde méfiance éprouvée envers l’hyperpuissance d’outre-atlantique, même si elle manifeste le souci qu’ont certains cercles à Washington de jouer sur le même terrain que le Kremlin. L’évolution de la situation géopolitique ne manquera de toute façon pas d’avoir une incidence sur les politiques suivies à Tiraspol.

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Des ambiguïtés compréhensibles

Que la République du Dniestr ait vu le jour afin de garantir le maintien et d’un niveau de vie supérieur à la moyenne soviétique, et d’une cohabitation interethnique face à la « provinciale » Moldova sensible aux sirènes du nationalisme roumain, qu’une entreprise comme « Sheriff » soit née, comme on le répète, à partir de bénéfices tirés des « petits » trafics de cigarettes qui se sont multipliés à Tiraspol comme ailleurs dans l’ex-URSS, et dont le fils du président Smirnov semble avoir été le premier bénéficiaire, ne peut étonner aucun observateur. A cela, il faut ajouter que le nouveau président élu en décembre 2011, Evguéni Chevtchouk, avocat, ancien officier de la milice, a lui aussi occupé un poste de responsabilité au sein de « Sheriff ». Que les combats pour l’indépendance aient obligé l’ensemble de la population de la vallée du Dniestr à se mobiliser, imposant du même coup l’adoption de compromis entre les différents groupes sociaux correspond sans aucun doute à la réalité. Que ce consensus sans doute fragile à long terme ne puisse s’appuyer ni sur une conception idéologique clairement communiste, ni sur une idéologie franchement libérale répond à une nécessité ponctuelle : le besoin de privilégier ce qui unissait, pour dépasser les clivages sociaux qui commençaient à apparaître avec le démantèlement de l’appareil du Parti Communiste et l’apparition au grand jour des diverses sensibilités qui avaient perduré au sein même de la société soviétique. La « mondialisation » capitaliste est certainement en train de rattraper aujourd’hui le soi-disant « Jurassic Park soviétique » des bords du Dniestr, puisque ses entreprises appartiennent aux chaînes technologiques et aux réseaux commerciaux de l’ex-URSS, eux-mêmes de plus en plus intégrés aux logiques « globales ». De plus, c’est aussi par la Pridniestrovie que passent des conduites et des voies ferrées stratégiques qui ne peuvent manquer d’éveiller les convoitises des oligarques et des grandes compagnies transnationales.

La petite république du Dniestr, enclavée entre une Moldova hostile et une Ukraine pour le moment encore « orangiste » et méfiante, n’a jamais été le théâtre des trafics mafieux dont elle a été accusée (drogues, armes, etc.) par beaucoup de « grands médias ». Ses frontières sont trop surveillées. Et les pays de l’Union Européenne n’acceptent les produits pridniestroviens que lorsqu’ils ont reçu l’homologation « Made in Moldova » (la nuance étant que cette formulation figure en alphabet cyrillique lorsqu’il s’agit de produits pridniestroviens, comme le fameux « Brandy »).

D’ailleurs, les secteurs économiques officiels sont suffisamment puissants pour expliquer la survie de cette république. Son taux de croissance s’est maintenu le plus souvent autour de 7% (à partir de valeurs proches du double avant que l’Ukraine n’impose elle aussi l’homologation moldovienne), son niveau de vie et de chômage réel sont nettement plus supportables que dans les pays voisins. Tout cela prouve l’efficacité des dirigeants et des travailleurs locaux, et leur adhésion à l’entité qu’ils ont défendue les armes à la main en 1992. Une telle enclave, sans reconnaissance internationale, subissant une double taxation de ses produits, sortie d’une guerre, n’aurait jamais pu survivre si elle était aux mains de potentats locaux sans scrupules, et donc sans assise sociale réelle.

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On peut certes critiquer tel ou tel aspect de la vie locale, et les gens rencontrés dans la rue ne se privent pas de le faire, mais on ne peut nier le simple fait que, par sa détermination, sa simplicité et son inventivité, la Pridniestrovie mérite un respect auquel beaucoup d’entités politiques reconnues ne peuvent prétendre. Elle est devenue une réalité qu’il sera de plus en plus difficile de nier. À l’heure où la politique des deux poids et deux mesures de la soi-disant « communauté internationale » rencontre de plus en plus d’opposition sur les cinq continents, Tiraspol n’est plus aussi isolée qu’elle semblait l’être auparavant. La question du Dniestr ne se limite pas à une entité presque deux fois plus grande que le Luxembourg. Tiraspol pose en fait au monde le problème des « doubles standards » encore en vigueur dans les relations internationales, malgré la charte des Nations Unies : le problème de la revendication de droits démocratiques qui ne soient pas que de pure forme et à géométrie variable en fonction des besoins des puissants du moment. Le pays du Dniestr devrait pouvoir compter sur l’appui de toutes les forces qui contestent l’ordonnancement actuel du monde, ou qui estiment qu’il nécessite de profondes réformes. Il ne peut non plus être ignoré par tous les milieux plus réalistes qui mesurent la viabilité d’un État à ses capacités démontrées, et à son potentiel productif. Tiraspol a donc beaucoup d’alliés potentiels, si ses habitants arrivent à lever leur nez du guidon et à voir la route qui s’ouvre devant eux.

L’avenir dira si le choix, fait par les électeurs en décembre 2011, de renvoyer dans ses foyers le président « fondateur » Igor Smirnov, au profit d’Evguény Chevtchouk, candidat issu de l’opposition, mais opposé également au favori du Kremlin, permettra à la petite république du Dniestr de maintenir son existence tout en trouvant une formule compatible avec le désir de Moscou de faire de Chişinau un allié. Cette élection manifeste sans conteste un désir de changer, après vingt ans d’indépendance, le personnel dirigeant et d’envisager des compromis économiques permettant de desserrer l’étau extérieur, à un moment où le taux d’inflation a atteint 12% en 2010. Elle témoigne également du soucis de plus de trois électeurs sur quatre d’affirmer la souveraineté de la Pridniestrovie dans la partie diplomatique qui s’ouvre, aussi bien face à Chişinau, Bucarest et Bruxelles que vis à vis du « grand frère » russe. L’enracinement d’une identité politique et territoriale spécifique en Pridniestrovie ne fait plus de doute et devra de toute façon être prise en compte par les négociateurs (Russie, Union Européenne et Roumanie, Moldova, Pridniestrovie). La question étant désormais de savoir comment se fera cette prise en compte, probablement dans le cadre d’une éventuelle confédération ou fédération avec la Moldova – mais la question fondamentale est de savoir si elle se fera au prix des acquis sociaux que la Pridniestrovie a su plus ou moins bien préserver pendant ses vingt premières années d’existence. Alors même que la persistance d’un parti communiste influent en Moldova démontre que, des deux côtés de la ligne de cessez-le-feu, l’héritage soviétique continue à être perçu avec un certain respect. En tout cas, les résultats des élections de fin 2011 ont prouvé que le discours des grands médias occidentaux sur la « dernière dictature soviétique en Europe » (discours d’ailleurs similaire, « en alternance », avec celui tenu par les mêmes médias sur la Biélorussie) était vide de sens, puisque le changement s’est fait dans le cadre d’un processus électoral – changement qui confirme de fait que les élections et référendums organisés dans ce pays depuis 1990 manifestaient eux-aussi réellement l’avis des électeurs. (30) La petite Pridniestrovie aura ainsi donné une leçon d’objectivité au monde.

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NOTES

(1) Les témoignages et documents présentés au musée de la ville de Bendery et à celui de la Milice pridniestrovienne sur les crimes commis alors par les forces de la « République de Moldova » ou leurs supplétifs non identifiés jusqu’à ce jour, semblent difficilement contestables, mais aucune commission d’enquête impartiale n’a pu voir le jour en raison du boycott de la Pridniestrovie par les Etats occidentaux et de l’ambiguïté des positions des pays membres de la CEI sur la question. On comprend dès lors pourquoi la Pridniestrovie constitue aux yeux de ses habitants, comme de beaucoup d’ex-Soviétiques, un exemple des « double standards » appliqués sélectivement en matière de droits de l’homme et de droit international par les États et les institutions supranationales occidentales, tels que l’OTAN, l’UE, etc..

(2) Alors que la position de l’UE et des USA sur le Kosovo, par exemple, entre en totale contradiction avec le droit international et les accords d’Helsinki, les mêmes refusent tout contact, sans parler de reconnaissance, avec Tiraspol dont l’argumentation juridique est incomparablement plus défendable, puisque c’est la Moldova qui s’est séparée de l’URSS et non la Moldavie pridniestrovienne. Et que ce territoire, ukrainien et autonome au sein de l’URSS jusqu’en 1940, n’a jamais fait partie de la Moldavie historique avant d’être rattaché à cette dernière suite aux conséquences du traité germano-soviétique d’août 1939, rendu ensuite caduc en juin 1941 à la suite de l’agression nazie.

(3) Notons que, vu de Tiraspol, ou de Kiev ou Moscou, c’est la « République de Moldova » qui est « au delà du Dniestr », et donc « transdniestrienne ».

(4) En 1990, le territoire de ce qui allait devenir la Pridniestrovie produisait à lui seul 40% du PNB de toute la république soviétique et 90% de son électricité. Ces proportions n’ont pas été notablement modifiées depuis, malgré les facilités accordées par la « communauté internationale » à la Moldova et la politique de boycott et de blocus visant la Pridniestrovie. C’est donc toujours la Pridniestrovie qui alimente en énergie électrique la capitale de la Moldova.

(5) Notons que ce fut alors pour la première fois dans l’histoire qu’il y eut fusion des deux rives du Dniestr au sein d’une même entité. L’Ukraine pourrait beaucoup plus légitimement que la Moldova avoir des prétentions sur le territoire de la rive gauche du Dniestr, ce à quoi elle se refuse. Chişinau, qui a proclamé de son côté sa sortie de l’URSS en remettant en cause les conséquences du traité germano-soviétique de 1939, ne voit en revanche aucune contradiction dans le fait de réclamer le territoire auquel elle fut rattachée à la suite de ce pacte.

(6) Et cela même si la faucille et le marteau furent avant de devenir le symbole de l’État révolutionnaire soviétique, celui de l’insurrection des Maccabées de l’ancien testament qui imposèrent en Palestine le retour de la croyance dans un Dieu unique contre le polythéisme grec.

(7) Transnistria, film produit par Studio N-Art, metteur en scène Borys Hass, Varsovie, 2007.(8) Propos recueillis par l’auteur au musée de la ville de Bendery.

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(9) Notons qu’une catastrophe écologique originaire d’une entreprise ukrainienne située en amont de la Pridniestrovie a grandement détruit la vie naturelle de ce fleuve et que les efforts faits par Tiraspol pour rendre ce fleuve à la vie se heurtent aux conséquences des restrictions internationales.

(10) Transnistria, film … Op. Cit..(11) ibidem.(12) ibidem.(13) ibidem.(14) ibidem.(15) ibidem.(16) Sous le vocable de « Brandy », « Cognac » étant une appellation contrôlée française.(17) Propos recueillis par l’auteur.(18) Transnistria, film … Op. Cit..(19) ibidem.(20) Le « cas Sheriff » constitue un exemple de vitalité économique de la Pridniestrovie et,

même si cet exemple est controversé, il démontre aussi que cette république n’est pas « une affaire de famille », comme c’est souvent le cas ailleurs dans les anciens pays socialistes. En effet, la belle fille du président Smirnov, que l’on dit pourtant très liée à Sheriff, n’est pas parvenue à être élue au parlement, et elle a aussi perdu son procès en appel, lorsqu’elle a contesté ce résultat. Cela montre au moins que l’appareil judiciaire du pays échappe au contrôle du pouvoir exécutif, et/ou que l’exécutif est divisé sur la question de Sheriff et des conséquences de la montée en puissance de potentats privés.

(21) Propos recueillis par l’auteur.(22) Transnistria, Film … Op. Cit..(23) ibidem.(24) ibidem.(25) Propos recueillis par l’auteur.(26) Idem.(27) Transnistria, film … Op. Cit..(28) En principe garanti par la présence d’une armée russe de 1 500 hommes, mais dont tous les

observateurs s’accordent pour dire qu’elle a été réduite à environ 500 hommes. Plusieurs dirigeants pridniestroviens semblent désormais hésitants sur la solidité des garanties russes face à Chişinau.

(29) Rappelons aussi qu’une trentaine d’autres nationalités vit en Pridniestrovie, dont un nombre de Juifs en augmentation, revenant au pays, surtout depuis la défaite israélienne de l’été 2006 au Liban. C’est en particulier le cas de la vieille ville juive de Bendery où l’on a noté comme conséquence de ce phénomène une augmentation notable du prix de l’immobilier au cours de l’année 2007. Beaucoup de Juifs occupent depuis l’époque soviétique des postes importants dans l’administration et la direction des entreprises. L’internationalisme semble pour eux un principe évident et enraciné, et les interlocuteurs d’origine juive que nous avons rencontrés à Tiraspol ont décrit avec condescendance les comportements « missionnaires » de certains Juifs nord-américains ou israéliens visant à éveiller en eux après 1991 une identité juive ethnicisée et à leurs yeux régressive.

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(30) Le premier tour des élections présidentielles du 11 décembre 2011 a vu une participation de 54,5% des électeurs ; le président sortant Igor Smirnov a été battu dès le premier tour, avec 24,66% des voix, contre 38,55% au candidat Evguény Chevtchouk issu du parti « Renouveau » et 26,30% pour Anatoli Kaminski, candidat issu du même parti, mais bénéficiant de l’appui du Kremlin. Au second tour, le 25 décembre 2011, Evguény Chevtchouk remportait les élections avec 76,4% des voix contre 20,2% pour Anatoli Kaminski.

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Table des matières

5 Dis moi comment tu t’appelles et je te dirai qui tu es7 Histoire mouvante et stabilisation russe9 Aux origines russes de la modernisation des terres du Dniestr11 Moldavité et modernité17 Souveraineté populaire, référendum et indépendance17 La guerre de 1992 et ses séquelles toujours blessantes19 Trafics, drogues, mafias20 Méconnaissance internationale21 …Compter sur ses propres forces22 Naissance d’un modèle social original ?24 AFFIRMATION PAR LA PRODUCTION24 La forge de Rybnitsa24 Fabrique de chaussures25 Une usine textile25 Mise en bouteilles du Cognac…27 AFFIRMATION PAR LE RÔLE SOCIAL DES ENTREPRISES27 Un Barrage27 Conserverie28 AFFIRMATION PAR LE SPORT …ET PAR SHERIFF28 Le sport28 … et Sheriff31 AFFIRMATION PAR DES CITOYENS EMBLÉMATIQUES31 Le miniaturiste de Bendery31 Ivan Bistrov, médecin chef du sanatorium « Dniestr ».32 Le directeur du département de chirurgie des vaisseaux de l’hôpital de Tiraspol, Boris Chakun32 Des artistes tisserands33 AFFIRMATION PAR LA MONNAIE34 AFFIRMATION PAR LA POLITIQUE SOCIALE34 Santé publique34 Jeunes et retraités35 AFFIRMATION PAR L’ETAT DE DROIT37 AFFIRMATION PAR LA VIE CULTURELLE37 Orchestre37 Théâtre38 L’école primaire d’art plastique de Tiraspol39 AFFIRMATION PAR UNE IDENTITÉ CULTURELLE MULTIPLE :39 Orchestres de musique moldave39 Le musée de Bendery40 L’orthodoxie42 Kamenka43 AFFIRMATION PAR L’ÉDUCATION43 L’université43 Ouverture internationale via Internet44 Atmosphère générale46 Économie

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48 Démocratie et présidentialisme50 Relations interethniques51 Mondialisation, scène post-soviétique 51 et rapports internationaux57 Des ambiguïtés compréhensibles59 NOTES

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