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Jérôme Giusti Thomas Thévenoud Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la coopérative ! RAPPORT 01 2020 EDITIONS

Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la

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– Jérôme Giusti – Thomas Thévenoud

Pour travaillerà l’âge du numérique,défendonsla coopérative !

RAPPORT

01 – 2020

EDITIONS

« Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de

toutes parts, c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il

soit ; c’est de ne pas se rebuter du détail minutieux ou monotone ; c’est

de devenir, autant que l’on peut, un technicien accompli ; c’est

d’accepter et de comprendre cette loi de la spécialisation du travail

qui est la condition de l’action utile, et cependant de ménager à son

regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des

perspectives plus étendues. Le courage, c’est d’être tout ensemble et

quel que soit le métier, un praticien et un philosophe. »

Jean Jaurès, « Discours à la jeunesse », Albi, 30 juillet 1903

Jérôme Giusti est avocat au barreau de Paris. Spécialiste en droit dunumérique, il accompagne des entrepreneurs, de grandes entreprises etdes collectivités publiques dans leurs innovations et leur transformationnumérique. Président de l’association Droits d’urgence, il est aussicodirecteur de l’observatoire Justice de la Fondation Jean-Jaurès.

Thomas Thévenoud est consultant, spécialiste des questions de mobilitéurbaine. Ancien député et ancien ministre, il est l’auteur de la loi de 2014relative aux taxis et aux VTC.

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Avant-propos

« Allez à Stains expliquer aux jeunes qui font chauffeurs Uber de manière volon-taire qu’il vaut mieux tenir les murs ou dealer. » Ainsi s’exprimait le candidatEmmanuel Macron dans une interview en 20161. Le débat est clairement posé :pour faire diminuer le chômage, faut-il malmener notre droit du travail et notresystème de protection sociale ? La révolution numérique transforme nos usages, nos modes de vie, nos habitudes.Pour le meilleur comme pour le pire. Elle modifie notre rapport au travail. C’estparticulièrement vrai dans le domaine des transports et de la mobilité, où l’arrivéed’Uber a tout changé. Le législateur, souvent empêché par la lenteur desprocédures de délibération collective et contraint par la volonté de l’exécutif,tente d’encadrer a posteriori des usages et des pratiques déjà acquis. Les entre-prises, particulièrement rompues à l’exercice du lobbying dans le secteur destransports, imposent leurs vues en jouant des contradictions politiques. Lestravailleurs s’organisent. Les juges requalifient. Les juristes prennent parti.La révolution numérique doit elle aussi changer notre droit ? Que voulons-nousvraiment ? Un numérique qui libère ou un numérique qui aliène ? À travers lecas des travailleurs de plateformes, c’est notre relation au travail et à la citoyen-neté que nous interrogeons à l’âge du numérique. Si tout est économique, alorstout est politique.

1. Interview à Mediapart, 3 novembre 2016.

Travis Kalanick n’est pas Travis Bickle. Le fondateurd’Uber a beau porter le même prénom que lechauffeur de taxi le plus célèbre du cinéma, celuide Taxi Driver, il déteste cette profession. Lalégende veut que l’idée de créer Uber lui soit venueà Paris en 2008, lors de sa participation au salonLeWeb, une rencontre des entreprises dunumérique au sortir de laquelle il n’aurait pas trouvéde taxi disponible.

À la même époque, Nicolas Sarkozy cherche àlibérer la croissance française. Pour ce faire, leprésident de la République crée une commission adhoc et en confie la présidence à Jacques Attali. Unjeune inspecteur des finances en devient lerapporteur général adjoint : il s’appelle EmmanuelMacron. Parmi les propositions de la commission,l’une d’entre elles retient l’attention : créer unnouveau service consacré au transport de personnes.Les taxis manifestent contre la remise en cause deleur monopole. Un an plus tard, la loi crée lesvoitures de tourisme avec chauffeur. Un nouvelacronyme est né : VTC.

De retour à San Francisco, Travis Kalanick décide dese lancer et créer un service de taxis amélioré. C’estde là que vient le nom. Uber n’est qu’un diminutifd’« UberCab », autrement dit « Super taxi ». Dès ledébut, le succès est foudroyant. Sur la côte ouest, enplein cœur de l’Amérique 2.0, les clients se ruentsur la nouvelle application. Les levées de fondss’enchaînent, toujours plus importantes : 32 millionsde dollars en 2012, 800 millions en 2013, 1,2 milliarden juin 2014 et 1,2 milliard à nouveau en décembre20141. Les nouveaux actionnaires s’appellent GoldmanSachs, Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, ou encoreGoogle. À cette époque, le patron d’Uber, Travis

Kalanick, déclare doubler le chiffre d’affaires tousles six mois.

Aujourd’hui, le bilan est plus mitigé. Certes, lacroissance du chiffre d’affaires d’Uber resteexcellente (+43 % au titre de l’année 2018) etl’entreprise américaine a pu revendiquer en 2018plus de 90 millions d’utilisateurs réguliers dans lemonde, pour un total de presque 6 milliards devoyages annuels2. Mais Travis Kalanick a dû quitterl’entreprise en 2017 à la suite de plusieurs scandaleset en raison de ses méthodes de management.Malgré son développement, la société californiennecontinue à perdre de l’argent et son action a chutéde plus de 35 % depuis son entrée à la Bourse deNew York en 2019. En décembre 2019, Uber a étécontraint de reconnaître qu’il y avait un problèmede sécurité dans ses véhicules. L’entreprise aconstaté près de 6 000 agressions sexuelles en deuxans aux États-Unis3.

Malgré ces difficultés, Uber a réussi là où beaucoupavaient échoué. Et, en dépit des conflits incessantsavec les acteurs traditionnels que sont les taxis etde l’intervention du juge, du régulateur ou dulégislateur, la marque est connue dans le mondeentier, devenant même un nom commun. Lenéologisme « ubérisation », d’abord utilisé de façonpositive, aujourd’hui de plus en plus de manièrepéjorative, est entré dans le dictionnaire en 2016.Selon Le Robert, ubériser revient à « déstabiliser ettransformer avec un modèle économique innovanten tirant parti des nouvelles technologies ». Pas unjour sans qu’on ne parle de l’ubérisation de la sociétécomme le symbole de la révolution numériqueen cours. Fin du salariat, développement del’auto-entreprise, Uber a fait des petits dans tous les

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1. « Uber, service mobile de chauffeur, lève 32M de dollars et arrive à Paris », French Web, 7 décembre 2011.2. Adrien Lelièvre, « Les dix chiffres fous d’Uber », Les Échos, 13 avril 2019.3. Uber’s US Safety Report, 5 décembre 2019.

Introduction

Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la coopérative !

secteurs de l’économie et interroge notre relationau travail.

En 1956, dans Le Travail en miettes4, le sociologueGeorges Friedmann avait ouvert le débat sur la pertede sens du travail provoquée par la division extrêmedes tâches. Dans cet ouvrage devenu un classique,écrit lors d’une période plutôt encline à l’apologiede la machine, Georges Friedmann portait un regardcritique sur les effets du travail à la chaîne, sanspour autant verser dans la technophobie.

Aujourd’hui, il nous manque un Georges Friedmannpour décrire les évolutions en cours : l’émiettementsemble devoir concerner non plus seulement lestâches, mais les travailleurs eux-mêmes, de plus enplus transformés en autoentrepreneurs appelés àramasser des miettes d’activité micro-rémunérées làoù ils pourront en trouver. Comme l’a résuméRobert Reich, professeur à l’université de Berkeleyet ancien secrétaire d’État au travail de Bill Clinton,l’« économie de partage » est un euphémisme, ilconviendrait plutôt de parler d’« économie departage des restes5 ».

Mais dénoncer l’ubérisation de l’économie ne suffitpas. Le monde qui se construit sous nos yeux n’estpeut-être pas celui que nous aurions souhaité.Essayons de l’améliorer. C’est encore possible. Pourcela, il faut le regarder tel qu’il est. Les chauffeursVTC ne sont pas tous favorables à l’idée de devenirsalariés d’Uber, loin de là. Une fois le constat établid’une dépendance excessive des travailleurs auxplateformes et d’un développement de la précaritévia le numérique, rien n’est fait.

Pour nous, la solution passe par la régulation et parle droit. Notre conviction est que le droit n’est pas

un frein à l’innovation. Il peut au contrairepermettre d’entreprendre dans un monde meilleur.

Il ne s’agit pas pour nous de concilier les contrairesou, pour employer une expression désormaisgalvaudée, de pratiquer l’« en même temps » idéolo-gique. Il s’agit de proposer des solutions juridiquesopérationnelles qui concilient innovation numé-rique et protection du travailleur, volonté d’êtreindépendant et modèle social français, ubérisation etsécurité juridique. Cette solution existe. Elle porte lenom de coopérative d’activités et d’emploi (CAE).

Parfois, les meilleures idées viennent de loin. Lecoopérativisme, né du mouvement ouvrier duXIXe siècle, s’est incarné dans le solidarisme agricole.En créant la CAE en 2014, le législateur a faitpreuve d’innovation juridique et d’intuition écono-mique. Il a créé un statut particulièrement adaptéà l’activité des travailleurs de plateformes.

Nous pensons que le coopérativisme peut apporterun cadre protecteur à ceux qui en ont besoin : cesprofessionnels qui vivent dans une dépendanceéconomique excessive à l’égard des plateformesnumériques et pour lesquels la loi doit assurerprotection, droits sociaux et progrès dans leursconditions de travail et de vie.

Le défi des années qui viennent est de redonner aunumérique un sens et des valeurs pour le rendreplus éthique, plus responsable et compatible avecnotre modèle social. C’est à ce prix que nosconcitoyens pourront reprendre confiance, accepterles changements en cours et participer à larévolution numérique.

4. Georges Friedmann, Le Travail en miettes. Spécialisation et loisirs, Paris, Gallimard, 1956.5. Robert Reich, « The sharing economy is hurtling us backwards », Salon, 4 février 2015.

Fin 2018, les « gilets jaunes » envahissent les ronds-points. Parmi leurs revendications, l’annulation del’augmentation de la fiscalité sur les carburants.Quelques années après le mouvement contrel’écotaxe, le sujet des transports et de la mobilité faità nouveau irruption sur la scène politique française.Le gouvernement est pris dans la nasse et doit revoiren catastrophe son avant-projet de loi sur lesmobilités (LOM). On toilette le texte et l’on supprimenotamment l’idée de créer des péages urbains.Inutile d’agiter le chiffon rouge.

C’est à ce moment-là que la Cour de cassationd’abord, avec la jurisprudence Take Eat Easy1, puisla cour d’appel de Paris, avec la décision concernantUber2, plantent le décor d’un nouveau sujetpolitique à haut risque. La requalification jurispru-dentielle en contrats de travail des relationsprofessionnelles des chauffeurs et livreurs avec cesplateformes impose au gouvernement de trouverune solution. Le risque est de remettre en cause lemodèle économique des plateformes. Il y a urgence.Ça tombe bien : la « LOM » arrive au Parlement.

Un objet juridique controverséintroduit dans la loid’orientation des mobilités

• La longue route de la LOM

La loi d’orientation des mobilités, dite LOM, a étédéfinitivement votée le 19 novembre 2019 par leParlement et promulguée le 24 décembre 2019,

amputée toutefois de dispositions importantespar le Conseil Constitutionnel, comme nous allonsle voir.

Exemple presque caricatural de ce que notre payspeut produire de plus abouti en matière deprocessus législatif, cette loi est le résultat de plusde deux années de débats, d’assises et d’allers-retours parlementaires. Annoncée dès le début duquinquennat d’Emmanuel Macron, elle a étéexaminée au Parlement après une phase de concer-tation, appelée « Assises nationales de la mobilité »(l’expression a fait sourire), qui devait permettre derecueillir l’avis des citoyens, experts et acteurs dusecteur des transports.

Votée dans la douleur et au milieu d’une année demobilisation sociale, cette loi pourrait bien resterdans l’histoire comme la première tentatived’élaboration d’une doctrine française en matière destatut des travailleurs indépendants de plateformes.En effet, c’est dans ce texte fourre-tout maisapparemment exclusivement consacré à la mobilitéque l’on trouve un objet juridique surprenant, quise veut une réponse aux arrêts rendus en faveur dela requalification judiciaire des travailleurs deplateformes. Au milieu de dispositions concernantle financement des infrastructures ferroviaires, lescompétences des collectivités locales en matière demobilité ou encore la participation des entreprisesau covoiturage de leurs salariés, le gouvernement acréé la charte de responsabilité sociale desplateformes électroniques. Avec elle, il a tenté dedonner corps à une conception française du statutdes travailleurs de plateformes.

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1. Cour de cassation - Chambre sociale, arrêt n° 1737 du 28 novembre 2018 (17-20.079).2. Cour d’appel de Paris, pôle 6 - ch. 2, arrêt du 10 janvier 2019, M. X. / Uber.

La charte, toute une histoire…

Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la coopérative !

• Le contenu de la charte

Exemple inédit de soft law3 à la française, l’article20 de la LOM, devenu 44 au fil de la renumé-rotation législative, vise à encadrer le statut destravailleurs de plateformes et à écarter le risque derequalification. Il offre à chaque plateforme lapossibilité d’édicter, de façon unilatérale, une chartesociale dont l’objet est de déterminer « les condi-tions et les modalités d’exercice de sa responsabilitésociale » et de définir « ses droits et obligations ainsique ceux des travailleurs avec lesquels elle est enrelation »4. Cette disposition concernerait unique-ment à ce stade les travailleurs de plateformes encharge du transport de personnes et de la livraisonde marchandises.

Rappelons tout d’abord que cette initiative résulted’une première tentative avortée en 2018. AurélienTaché (député LREM du Val-d’Oise) avait tenté decréer une telle charte lors de l’examen du projet deloi pour « la liberté de choisir son avenir profes-sionnel ». À l’époque, son amendement adopté parl’Assemblée avait été censuré par le Conseilconstitutionnel car il constituait un « cavalierlégislatif5 ».

L’article 44 de la LOM en reprend les objectifs etprécise que la charte devra définir :

1° les conditions d’exercice de l’activité profes-sionnelle des travailleurs avec lesquels la plateformeest en relation, en particulier les règles selonlesquelles ils sont mis en relation avec ses utilisateursainsi que les règles qui peuvent être mises en œuvrepour réguler le nombre de connexions simultanées detravailleurs afin de répondre, le cas échéant, à unefaible demande de prestations par les utilisateurs. Cesrègles garantissent le caractère non exclusif de larelation entre les travailleurs et la plateforme et laliberté pour les travailleurs d’avoir recours à laplateforme et de se connecter ou se déconnecter, sansque soient imposées des plages horaires d’activité ;2° les modalités visant à permettre aux travailleursd’obtenir un prix décent pour leur prestation deservices ;

3° les modalités de développement des compétencesprofessionnelles et de sécurisation des parcoursprofessionnels ;4° les mesures visant notamment :a) à améliorer les conditions de travail ;b) à prévenir les risques professionnels auxquels lestravailleurs peuvent être exposés en raison de leuractivité ainsi que les dommages causés à des tiers ;5° les modalités de partage d’informations et dedialogue entre la plateforme et les travailleurs sur lesconditions d’exercice de leur activité professionnelle ;6° les modalités selon lesquelles les travailleurs sontinformés de tout changement relatif aux conditionsd’exercice de leur activité professionnelle ;7° la qualité de service attendue, les modalités decontrôle par la plateforme de l’activité et de sa réali-sation et les circonstances qui peuvent conduire à unerupture des relations commerciales entre la plateformeet le travailleur répondant aux exigences de l’article L.442-1 du code de commerce ainsi que les garantiesdont le travailleur bénéficie dans ce cas ;8° le cas échéant, les garanties de protection socialecomplémentaire négociées par la plateforme dont lestravailleurs peuvent bénéficier6.

La conséquence principale que le législateur voulaiten tirer était la suivante : « Lorsqu’elle est homo-loguée, l’établissement de la charte et le respect desengagements pris par la plateforme dans lesmatières énumérées aux 1° à 8° du présent articlene peuvent caractériser l’existence d’un lien desubordination juridique entre la plateforme et lestravailleurs. » S’est invitée depuis dans le débat laquestion nouvelle de la lisibilité de l’algorithme : lacharte devra ainsi indiquer « les règles qui peuventêtre mises en œuvre pour réguler le nombre deconnexions simultanées de travailleurs afin derépondre, le cas échéant, à une faible demande deprestations par les utilisateurs7 ».

Les « modalités de partage d’informations et dedialogue entre la plateforme et les travailleurs surles conditions d’exercice de leur activitéprofessionnelle » amènent par ailleurs le véritablesujet : celui du dialogue social et de la représen-tation collective des travailleurs.

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3. On entend par soft law ou « droit mou » un ensemble de règles dont la juridicité est discutée, des règles de droit non obligatoires.4. Loi d’orientation des mobilités, article 44, extrait, 24 décembre 2019.5. Conseil constitutionnel, 4 septembre 2018, arrêt n° 2018-769 DC. Un « cavalier législatif » est une disposition qui n’a pas sa place dans le textede loi où elle se trouve car elle ne répond pas aux objectifs généraux de cette loi. 6. Loi d’orientation des mobilités (texte définitif), article 44, extrait, 19 novembre 2019.7. Loi d’orientation des mobilités (texte définitif), article 44, extrait, 19 novembre 2019.

La charte, toute une histoire…

Des réactions hostiles face à la volonté du gouvernement

• Les réactions politiques

Lors de l’examen de la LOM en première lecture auSénat, Élisabeth Borne, ministre des Transports, apris soin de rappeler que l’article 20 ne s’appli-querait qu’aux secteurs de la livraison et dutransport public particulier de personnes (T3P),tout en précisant qu’il s’agissait d’une premièreétape et que des négociations étaient en cours pourune réforme globale :

Pour ma part, je souhaite insister sur le fait que cesplateformes offrent à des personnes qui ne souhaitentpas être salariées – il est souhaitable de ne pasinventer des demandes à leur place – la possibilité dedévelopper une activité. Elles contribuent à créer del’emploi, y compris pour des publics qui en sontaujourd’hui éloignés. […]Pour autant, il n’est pas acceptable que, au prétextequ’ils sont indépendants, les travailleurs desplateformes soient dépourvus de protection et dedroits. Il nous faut donc avancer dans un champnouveau, où nous devons réguler sans entraver,répondre aux aspirations de travailleurs attachés àleur indépendance, qui souhaitent organiserlibrement leur travail, et aux attentes des plateformes,qui, pour fonctionner, doivent pouvoir correctementfixer certaines obligations.À ce titre, l’article 20, tel qu’il vous est présenté,constitue une première étape. Il permet auxplateformes de prendre des engagements vis-à-vis destravailleurs qui s’y inscrivent, sans que celles-ci soientdissuadées par le risque d’une requalification encontrat de travail.Oui, il faudra aller plus loin. C’est le sens desdiscussions que nous menons actuellement,notamment dans le secteur des VTC. Peut-être faut-il travailler à des règles interplateformes ou réfléchirà la façon dont les travailleurs peuvent être associésà la définition des chartes8.

Au Sénat, en première lecture, l’ensemble desgroupes politiques s’est exprimé contre l’adoption

de l’article 20, rejetant ainsi la charte. Lesarguments des sénateurs se sont rejoints : la charteest trop défavorable aux travailleurs, le juge ne peutpas être dessaisi, on ne peut traiter d’une questionaussi importante à travers un texte avec si peu deportée normative générale. La charte a donc été ànouveau présentée sous forme d’amendementsparlementaires et gouvernementaux en premièrelecture à l’Assemblée nationale, où le groupe LREMest largement majoritaire. L’article 20 a ainsi étéadopté avec le soutien exclusif des députés LREMet du gouvernement, les autres groupes politiquess’étant opposés à ces amendements.

• Les réactions syndicales

L’introduction de la charte dans la loi a suscité unrejet unanime de la part des principalesorganisations syndicales.

Sans surprise, la CGT a fait part de son oppositionen stigmatisant un projet de loi qui précarise lestravailleurs des plateformes de type Uber etDeliveroo : « Ce recul de la régulation du secteurs’illustre également par l’impossibilité pour les jugesdes prud’hommes de contester les points inclus dansles chartes de bonne conduite des plateformes,portant notamment sur la protection sociale ou“la garantie d’un revenu décent9” ». Pour LaurentDegousée, délégué de Sud Commerces et présent àchaque mouvement social des chauffeurs et deslivreurs, « ces chartes sont en option, élaborées demanière unilatérale. Elles ne constituent pas unaccord collectif au sens légal du terme10. » FO aégalement fait part de son opposition : « Loin desortir les travailleurs de leur zone grise, ce texte lesy enferme. Avec la charte, les plateformes n’auraientpas à requalifier leurs travailleurs en salariés,notamment en cas de relation de travail déguisée[…]. Les travailleurs des plateformes qui le souhaitentdoivent être reconnus comme salariés11. »

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8. Loi d’orientation sur les mobilités, première lecture, Sénat, séance publique, 26 mars 2019. 9. Communiqué de la CGT, « Projet de loi LOM, des reculs en perspective », 15 juillet 2019.10. Laurent Degousée interviewé dans un article de Charlotte Cieslinski, « Ce que les travailleurs ubérisés pensent de la loi Mobilités », L’Obs,18 septembre 2019.11. Béatrice Clicq, « Charte pour les travailleurs de plateformes : la prime au moins-disant social », communiqué de FO, 13 juin 2019.

Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la coopérative !

La CFDT a également exprimé ses réserves à l’idéede chartes unilatérales qui permettraient d’éviter larequalification :

Il n’est pas possible qu’une simple charte unilatéralese substitue à des règles sectorielles d’ordre public (laloi et le règlement) et conventionnelles (des accordssectoriels à construire pour assurer des règles du jeucommunes, l’effectivité des droits et la mutualisationet éventuellement des conventions collectives propresà chaque plateforme). Il s’agit bien de créer, au-delàd’un nécessaire tarif minimum assurant un revenudécent, un véritable mécanisme de représentativitéet d’accords collectifs pour organiser la négociationentre les plateformes et leurs travailleurs sur leséléments de cette responsabilité. En outre, noussommes attachés à ce que la requalification soitpossible pour éviter qu’un employeur n’ouvre un siteinternet pour recruter et échappe au code du travail12.

• Les réactions des plateformes

La réaction des plateformes ne s’est pas faitattendre. Le jour même du vote définitif de laLOM, afin d’anticiper la mise en œuvre de la charte,quinze plateformes, dont Deliveroo et Uber Eats,ont lancé une Association des plateformes desindépendants (API) destinée à avoir une « doublefonction de représentation des plateformes auprèsdes pouvoirs publics et de dialogue social pour faireen sorte que des comportements éthiques etvertueux soient mis sur la table ».

Deliveroo, qui revendique le fait de faire travailler11 000 livreurs dans plus de 300 communes enFrance, a même annoncé son intention de créer un« forum des livreurs », c’est-à-dire une « instance deconsultation réunissant des représentants élus parles livreurs et la direction » pour « échanger autourde sujets stratégiques allant de la sécurité auxavantages sociaux, en passant par le design deséquipements et kits19 ». Cette initiative a immédia-tement entraîné une réaction virulente de la CGT,qui reproche à la plateforme de contourner lesorganisations syndicales et la loi, notamment en nerépondant pas à la problématique de l’indépendance

des représentants – indépendance garantie par uneprotection statutaire. Elle va obliger le gouverne-ment à préciser sa doctrine en matière d’élaborationde la charte et, surtout, de représentativité destravailleurs de plateformes.

Une course de vitesse semble donc engagée poursavoir qui, du gouvernement ou des plateformes,imposera sa vision du dialogue social dans le secteurdu transport de personnes et de la livraison de repas.Selon certaines sources, le gouvernement se donneentre six et huit mois à compter de la promulgationde la loi pour conduire les concertations nécessairesà la rédaction de l’ordonnance qui fixera les critèreset les modalités de représentativité.

• La censure du Conseil constitutionnel

Le 27 novembre 2019, les groupes socialistes del’Assemblée nationale et du Sénat ont déposé unrecours devant le Conseil constitutionnel, enattaquant principalement l’article de la LOMinstaurant la charte.

Dans sa décision du 20 décembre 2019, le Conseila censuré partiellement certaines dispositions de cetarticle. À cette occasion, les « sages » ont rappeléqu’il incombe au législateur d’exercer pleinement lacompétence que lui confie la Constitution, sansreporter sur des personnes privées le soin de fixerdes règles dont la détermination n’a été confiée qu’àla loi. La définition du champ d’application du droitdu travail et, en particulier, les caractéristiquesessentielles du contrat de travail font partie de cesprincipes fondamentaux.

Ainsi, la charte, fixant de manière unilatéralenotamment la « qualité de service attendue, lesmodalités de contrôle par la plateforme de l’activitéet de sa réalisation et les circonstances qui peuventconduire à une rupture des relations commercialesentre la plateforme et le travailleur13 », empiète surle domaine réservé à la loi, en ce qu’elle peut contenirdes indices de nature à caractériser un lien desubordination du travailleur l’égard de la plateforme.

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12. Communiqué de la CFDT, « Projet de loi mobilité : péril sur les travailleurs de plateformes », 17 mai 2019.13. L’Express.fr, 19 novembre 2019.14. Décision du Conseil constitutionnel relative à la loi LOM, 20 décembre 2019.

La charte, toute une histoire…

Autrement dit, des chartes de responsabilitépourront être adoptées par les plateformes, mais lesconseils de prud’hommes ne seront pas tenus pourautant de refuser à un éventuel travailleur unerequalification de sa prestation de travail en contratde travail. C’est la seconde fois, en deux ans, que leConseil constitutionnel se prononce en défaveur del’institution de telles chartes.

En faisant la proposition d’une charte, legouvernement a opéré le choix le moins contrai-gnant pour les plateformes. Il a créé un nouvel objetjuridique dont l’application reste incertaine, enraison de la censure partielle du Conseilconstitutionnel sur la portée de celui-ci.

Compte tenu des orientations politiques généralesprises par ailleurs, qu’il opte pour la requalificationaurait été, il faut le dire, une surprise. Mais il auraitpu prendre une autre option. Promouvoir le collectifplutôt que l’individualisation des droits et leuratomisation. Favoriser la coopération entre indi-vidus. En un mot, inciter les travailleurs à seregrouper en coopératives. Et, parmi tant d’autresschémas possibles de coopératives, il aurait puencourager les travailleurs à recourir au statuthybride et innovant d’entrepreneur salarié associé(ESA) de coopérative d’activités et d’emploi (CAE).

Le statut d’ESA, une innovationsociale majeure mais encoreméconnue

À la fois entrepreneur et salarié

Créé par la loi du 31 juillet 2014 relative àl’économie sociale et solidaire, et précisé par undécret du 27 octobre 2015, le statut d’ESA est entréen vigueur le 1er janvier 2016. Son originalité est qu’ilconstitue une forme hybride entre les deux statuts desalarié et de travailleur indépendant. Il est novateuren ce sens qu’il offre les avantages des deux. L’articleL.7331-2 du code du travail indique ainsi :

Est entrepreneur salarié d’une coopérative d’activités etd’emploi toute personne physique qui :1° crée et développe une activité économique enbénéficiant d’un accompagnement individualisé et deservices mutualisés mis en œuvre par la coopérativeen vue d’en devenir associé ; 2° conclut avec la coopérative un contrat, établi parécrit, comportant :a) les objectifs à atteindre et les obligations d’activitéminimale de l’entrepreneur salarié ;b) les moyens mis en œuvre par la coopérative poursoutenir et contrôler son activité économique ;c) les modalités de calcul de la contribution del’entrepreneur salarié au financement des servicesmutualisés mis en œuvre par la coopérative, dans lesconditions prévues par les statuts de celle-ci ;d) le montant de la part fixe et les modalités de calculde la part variable de la rémunération de l’entrepre-neur salarié, en application de l’article L. 7332-3 ;e) la mention des statuts en vigueur de la coopérative ;f) les conditions dans lesquelles sont garantis àl’entrepreneur salarié ses droits sur la clientèle qu’il aapportée, créée et développée, ainsi que ses droits depropriété intellectuelle.

Du fait de son adossement obligatoire à une CAE,le statut d’ESA « embarque » donc un dispositif demutualisation et de délégation des obligationsadministratives ainsi que d’accompagnement à laconception et à la mise en œuvre du cadre de sonactivité.

La raison sociale d’une CAE étant de mutualiser desservices au profit de ses adhérents et de dégagerceux-ci, surtout lorsqu’ils débutent, du maximumd’obligations administratives, la CAE a vocation àassurer a minima la gestion administrative de sesadhérents, cette fonction incluant, outre le calculet le versement de leurs salaires et cotisationssociales (comme pour une entreprise de portagesalarial), la mise en œuvre de leurs obligationsfiscales, sociales et comptables et la tenue de leurcomptabilité commerciale.

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La coopérative : le sens de l’histoire

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• Une innovation sociale encore confidentielle

Les atouts du statut d’ESA ont été soulignés danstrois rapports récents.

– En janvier 2016, un rapport du Conseil nationaldu numérique, présidé alors par MounirMahjoubi, indiquait que le modèle coopératifétait un élément de réponse aux questionsjuridiques et économiques posées par la multipli-cation des travailleurs indépendants et qu’il étaitparticulièrement adapté à l’univers numérique1.

– En mai 2016, un rapport de l’Inspection desaffaires sociales (IGAS), après avoir démontréque les salariés sont plus présents qu’on nel’imagine dans « l’écosystème des plateformescollaboratives » (comme salariés directs de plate-formes ou comme prestataires salariés d’uneplateforme dont l’employeur est un tiers, entre-prise ou particulier), recommandait de « créer unstatut spécifique d’entreprise porteuse collabo-rative réservée aux contributeurs des plateformescoopératives2 » inspiré des modèles suédois(egenanställning) et britannique (umbrella company).Dans le cadre auquel se réfèrent les auteurs, le« tiers » serait un « porteur collaboratif » quipourrait négocier des accords avec les plate-formes au bénéfice des travailleurs collaboratifset offrir à ces derniers des services, par exemplecomptables et administratifs, sur la base d’unerelation contractuelle entre le salarié et le porteurqui serait « de même nature que celui descontrats d’entrepreneur salarié des coopérativesd’emploi et d’activités (CAE)3 ».

– Lors des Assises nationales de la mobilité tenuesen 2017, le groupe de travail « Modèleséconomiques innovants », chargé d’alimenter deses réflexions l’atelier dédié à l’innovation, aproposé des mesures allant dans le sens dudéveloppement du modèle coopératif. Il asouligné que celui-ci était déjà présent dans lesdomaines du covoiturage, de l’autopartage, de lalivraison courte distance et du transport à lademande. Il notait cependant que le statut d’ESA

n’avait pas encore fait l’objet d’une appropriationpar les acteurs du transport public particulier depersonnes T3P, que seuls les taxis connaissaientbien et pratiquaient le modèle coopératif, en Île-de-France comme en région.

ESA, un statut intéressant pourles travailleurs de plateforme,notamment dans le secteur du T3PLe statut d’entrepreneur-salarié-associé possède denombreux avantages. Un conducteur sous statutd’ESA percevrait un salaire et bénéficierait de lacouverture sociale d’un salarié classique, tout engardant :– la maîtrise des conditions d’organisation de sonactivité, de ses jours et heures de travail, du choixde son véhicule et des modalités de sonacquisition (achat, leasing, location-gérance…),contrairement à la situation dans laquelle il seraitsous statut salarié de droit commun ;

– le contrôle des conditions économiques de sonactivité, qu’il contribuerait à déterminer avec lecollectif des autres conducteurs regroupés dansla structure de mutualisation et de représentationde leurs intérêts – la CAE.

Le refus du modèle coopératif par les VTC estd’autant plus étonnant qu’il est déjà bien connu etlargement mis en œuvre chez les taxis, sous desformes antérieures à la création du statut d’ESA etdes dispositions propres aux CAE. Il existe en effetdeux principaux types de centrales de réservationdans le secteur des taxis.– Dans les centrales classiques, les taxis payent uneadhésion mensuelle ou annuelle. En général, cescentrales ont des contrats avec des entreprises etdes hôtels qui viennent compléter leur clientèleusuelle de passagers privés. Dans cette catégorie,

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1. Conseil national du numérique, Travail, emploi, numérique. Les nouvelles trajectoires, rapport remis à la ministre du Travail et de l’Emploi, janvier2016.2. IGAS, Les Plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale, mai 2016, p. 59.3. Ibid., p. 59.

La coopérative : le sens de l’histoire

peu représentée en province, figure notammentTaxis G7, la plus importante centrale radio-taxide France.

– Les centrales coopératives correspondent à unstatut promu par le code des transports. Il s’agitdu type de centrales le plus répandu puisqu’onen trouve partout en France, le plus souvent sousforme de groupements d’intérêt économique(GIE). Elles associent un nombre plus ou moinsimportant de conducteurs de taxi. Le GIE Gescopest, en région parisienne, le plus important. Maisil en existe également en province comme TaxiNantes, TAXI 13 à Strasbourg, Taxi 33 à Bordeauxou Radio taxis Boulogne.

En milieu rural ou périurbain, ces groupementspeuvent compter moins d’une dizaine d’artisanssouhaitant mettre en commun les fonctions de miseen relation, de réservation et de répartition descourses. Outre la mutualisation de la gestion descommandes et des courses envers leurs clientsparticuliers, ils sont parfois aussi constitués dans lebut de répondre à des appels d’offres émanant decollectivités territoriales (conseils généraux,communes, intercommunalités) pour la fourniturede prestations de transport à la demande (TAD) auprofit de certains publics ou émanant de structuresfinancées par l’assurance maladie (hôpitaux,agences régionales de santé) pour le transportmédical assis de patients (transport assis profes-sionnalisé, TAP).

Les atouts majeurs du statutd’ESA pour l’ensemble desopérateurs du secteur du T3P

De façon générale, le statut d’ESA présente quatreatouts structurants pour le secteur :– il s’appuie sur des dispositions qui existent déjàet sont inscrites dans le code du travail ;

– il offre un cadre de travail innovant pour lesconducteurs car :

. leur indépendance est préservée et ils restentmaîtres de leur activité (temps de travail, horairesdes courses, choix et financement des outils detravail comme la voiture…),. ils s’intègrent dans un collectif de travail qui lesoblige à s’organiser et à adopter des positionscommunes, notamment sur les sujets quidéterminent leur modèle économique,. ils bénéficient d’une rémunération qui estassimilée à un salaire et d’une protection socialecomparable à celle d’un salarié ;

– il n’a pas d’effet contraignant sur la formejuridique des centrales de réservation, qui resteouverte et dont elles gardent la maîtrise (sansdifférence de traitement entre les centrales ayantleur siège à l’étranger et celles établies en France),dès lors qu’elles décident de contractualiser avecune (ou des) CAE les services que cette (ou ces)dernière(s) leur apportent ;

– il rééquilibre le rapport de force entre lescentrales et les conducteurs, et donc le pouvoirde négociation, notamment sur les questions detaux de commission et de tarif minimum.

Pour les conducteurs de VTC

Combiné à la CAE, à laquelle il est obligatoirementassocié, le statut d’ESA présente des avantages cléspour les conducteurs de VTC :– Il leur épargne l’obligation de choisir d’embléeune forme juridique d’exercice de leur activitésusceptible d’engager leur modèle économique àlong terme. C’est une solution simple puisque leconducteur sous ce statut est automatiquement« logé » dans la CAE lorsqu’il débute, sans qu’ilait besoin de créer sa propre société.

– Concernant le droit du travail, ainsi que lesconditions et le temps de travail, le statut d’ESAprésente l’avantage majeur d’offrir des garanties etune protection identiques à celles des salariés sansque le conducteur soit pour autant un « pur »salarié, ni même d’ailleurs « assimilé salarié »,puisqu’il relève, comme on l’a dit plus haut, de lacatégorie hybride décrite à l’article L. 7332-2 ducode du travail :

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Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la coopérative !

La coopérative d’activités et d’emploi est responsablede l’application, au profit des entrepreneurs salariésassociés, des dispositions du livre Ier de la troisièmepartie relatives à la durée du travail, aux repos et auxcongés, ainsi que de celles de la quatrième partierelatives à la santé et à la sécurité au travail lorsqueles conditions de travail, de santé et de sécurité autravail ont été fixées par elle ou soumises à sonaccord. Dans tous les cas, les entrepreneurs salariésassociés bénéficient des avantages légaux accordésaux salariés, notamment en matière de congés payés.

La CAE qui « loge » les conducteurs VTC sousstatut d’ESA est donc responsable de la bonneapplication des dispositions génériques du code dutravail : congés payés, actions de santé et sécuritéau travail dont durée de travail, etc. Or, cesdernières actions font aujourd’hui gravement défautdans le secteur du T3P, en particulier pour lesconducteurs qui y exercent leur activité sous lestatut d’indépendant.

La notion d’« avantages légaux accordés aux salariés »mentionnée à l’article L.7332-2 s’applique égale-ment aux conducteurs sous statut d’ESA, outre lebénéfice du régime général de sécurité sociale,calculé en l’espèce selon des règles adaptées auxconditions particulières d’exercice de leur activité.

De nombreux conducteurs VTC rencontrentaujourd’hui d’importantes difficultés pour remplirleurs obligations administratives et comptables, etdoivent alors se faire aider par un cabinet comptabledont le coût majore leurs charges d’exploitation,élevées dans leur métier, ce qui contribue à rendrel’équilibre de leur modèle économique incertain.

Le statut d’ESA peut être économiquement plusfavorable que celui d’indépendant si les conduc-teurs s’en emparent et s’organisent en conséquence,au sein d’un nombre limité de CAE. Les bénéficesliés à la forme CAE sont notamment :– la déductibilité des charges au niveau de lasociété coopérative (charges de salaires, fraisd’essence, liés à l’achat et l’entretien desvéhicules, etc.),

– des charges potentiellement plus faibles (l’achatd’un véhicule par la CAE est moins cher que lepaiement d’une redevance de location),

– une (potentielle) capacité de négociationconférée à la CAE à l’égard de la plateforme,

– une possibilité de lissage de la rémunération(selon la trésorerie de la CAE),

– des aides publiques qui peuvent être attribuéesaux CAE dans le secteur T3P,

– une possibilité de conclure un accord departicipation/d’intéressement permettant desexonérations de charges.

Le statut d’ESA est également avantageux parrapport à celui de travailleur indépendant du pointde vue économique :– il est sécurisé en termes de montant de revenuspuisque calculé par référence au smic, leconducteur restant par ailleurs libre d’organiserson activité et de l’exercer à temps plein ou partiel(smic horaire) ;

– le conducteur bénéficie d’un intéressement auxrésultats de la CAE ;

– ce statut offre un meilleur niveau de protectionsociale et induit donc un gain lorsque les risquesnon couverts (tel le chômage) ou moins biencouverts (comme la retraite) par le statut detravailleur indépendant viennent à se réaliser ;

– il permet de mutualiser certaines charges.

Sur ce dernier point, on sait que le modèleéconomique des conducteurs VTC repose sur unéquilibre délicat entre, d’une part, les chargesdécoulant de l’acquisition et de l’exploitation duvéhicule ainsi que de la forme juridique d’exerciceet, d’autre part, les recettes liées le plus souvent àdes choix d’organisation du travail. Dans l’optionESA, le gain pour le conducteur découle en partiede l’écart entre le coût de sa contribution auxdépenses de la CAE (au titre des servicesmutualisés) et le taux de commission prélevéaujourd’hui par les centrales de réservation sur leprix des courses (préalablement fixé par elles).

Il n’est évidemment pas possible de modéliser cetécart, qui dépend de multiples variables relevantd’une analyse au cas par cas en fonction du niveaude mutualisation des services choisi par lesconducteurs regroupés au sein d’une CAE. On saitcependant aujourd’hui que le taux de commission leplus élevé des centrales VTC est de 25 %, taux qu’ilfaudrait pouvoir comparer à ce que pourrait être lemontant de la contribution à la CAE d’un conducteursous statut d’ESA pour le financement des services

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La coopérative : le sens de l’histoire

mutualisés. À titre de comparaison, la contributionqu’un entrepreneur salarié verse à sa CAE estaujourd’hui en moyenne nationale de 10 %.

Dans le modèle sous statut d’ESA qui pourraitprécisément répondre aux besoins des conducteursVTC, ces derniers auraient donc a minima intérêt àchoisir, au-delà des seules fonctions administrativesdéjà évoquées (calcul, recouvrement et paiementdes rémunérations et cotisations), de mutualiser lemaximum de services et prestations techniques etlogistiques susceptibles de permettre des économieset des gains d’échelle sur leurs charges d’exploi-tation. Ces services et prestations pourraient parexemple concerner :– l’acquisition, l’assurance et l’usage du véhicule :location/achat/leasing ; assurance collective ;adaptations techniques pour l’exercice du métier,voire garage/entretien ;

– l’assurance complémentaire santé et AT/MP(accident du travail et maladie professionnelle)des conducteurs ;

– la formation continue, voire initiale desconducteurs ;

– l’intermédiation financière pour le paiement descourses aux conducteurs ;

– voire la fonction de mise en relation entre lesclients/usagers et les conducteurs (incluant ledispatching des courses entre ces derniers).

De manière générale, plus l’éventail des fonctionsmutualisées dans la CAE sera large, plus legroupement de conducteurs qu’elle constitue seraen mesure de négocier le taux de commission descentrales de réservation. Cela suppose donc que lesCAE ne soient pas trop nombreuses et/ou qu’elless’allient pour représenter un nombre de conducteurssuffisamment important en vue de peser dans lesnégociations avec les centrales.

Pour les centrales de réservation

Le statut d’ESA induit des ajustements dans lemodèle économique et opérationnel des centrales deréservation du T3P puisque certaines des activitésqu’elles exercent aujourd’hui (formation profes-sionnelle initiale et continue des conducteurs, aideet accompagnement à l’acquisition du véhicule,

intermédiation financière…) pourraient, si elles enconviennent avec la ou les CAE, être redistribuées.

Ce cadre juridique permettrait en outre à cescentrales de conserver leur forme juridique actuelle,tout en installant entre elles et les conducteurs unestructure intermédiaire, un « écran » légal qui lesmettrait à l’abri du risque de requalification et lesdéchargerait de certaines de leurs obligations. Dansce mécanisme, elles devraient contractualiser leursrelations avec la ou les CAE créée(s) par lesconducteurs.

La structure CAE associée au statut d’ESA présentepour les centrales de réservation au moins troisavantages :– elle leur permet de fidéliser les conducteurs enles intéressant aux résultats de la CAE et, cefaisant, en les professionnalisant, ce qui ne peutque contribuer à fiabiliser le service rendu et àaller dans le sens d’un niveau croissant de qualitéde service ;

– elle leur donne la possibilité de transférer (au-delàdes obligations liées au droit du travail) certainesde leurs obligations réglementaires actuelles sur laCAE – avec les coûts correspondants :. la CAE devient responsable des engagementspris vis-à-vis des tiers dans le cadre de l’activitééconomique développée par l’entrepreneursalarié associé, et doit donc s’assurer enconséquence (comme le font aujourd’hui lescentrales) ;. l’assurance accidents du travail et lacontribution à la formation professionnelle desconducteurs sont également mises à la charge dela CAE ;

– constituée en société coopérative d’intérêtcollectif (SCIC), une CAE bénéficie d’unefiscalité favorable, ce qui contribue à réduire sescoûts d’exploitation et, par ricochet, le montantdu service qu’elle facture à la centrale.

Pour l’État et les collectivités locales,autorités organisatrices de la mobilité

Le statut d’ESA, couplé avec la forme juridique dela CAE, présente aussi des atouts pour les pouvoirspublics, État et collectivités territoriales, exerçantles fonctions d’autorités organisatrices de la mobilité

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Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la coopérative !

(AOM) au titre des nouvelles dispositions de laLOM.

Dans un tel schéma, la puissance publique trouved’abord l’avantage de ne plus avoir à se préoccuperde l’équilibre économique des centrales et desconducteurs. La question du modèle économiquedes conducteurs changerait de paradigme puisqu’ellerésulterait d’une négociation commerciale entrechaque centrale de réservation existante et chaqueCAE, cette (ou ces) dernière(s) incarnant un moded’organisation professionnelle nouveau des conduc-teurs leur permettant de peser sur les conditionsd’exercice de leur activité, notamment du fait desrègles de gouvernance et de fonctionnement appli-cables aux CAE.

Pour l’État et l’ordre public social, les atouts dustatut d’ESA s’apprécient en termes :

– d’organisation de la profession dans la mesure oùil permet de réduire l’opacité qui caractérise lesecteur (nombre de chauffeurs par plateforme,temps de travail de ces chauffeurs, partage decomptes entre plusieurs d’entre eux auprès d’uneplateforme et recours à de « faux chauffeurs »,distincts de ceux déclarés auprès de la plate-forme, etc.) ; de mieux identifier les acteurs,c’est-à-dire non seulement les conducteurs dusecteur du T3P mais aussi les organisations qui lesaccueillent. Cela favoriserait à terme une structu-ration du secteur indispensable à sa régulation ;

– de recouvrement des cotisations sociales et desimpôts puisque les entrepreneurs salariésassociés sont soumis aux règles de droit commundans ce domaine (cotisations calculées, déclaréeset versées par la CAE). Les risques d’omission,de négligence, voire de fraude seraient réduits.

Pour les collectivités territoriales qui veulent créerdes services et/ou contribuer à la régulation del’activité du secteur du T3P, le couple ESA/CAEprésente l’avantage important de leur permettred’être présentes et actives dans la gouvernance dela structure, si la CAE est constituée sous la formed'une SCIC (société coopérative d'intérêt collectif).

Structure qui peut en outre bénéficier d’un ancrageterritorial favorable au déploiement de l’ensembledes politiques territoriales de mobilité et d’emploi.

Le statut d’ESA nous semble ainsi particulièrementpertinent pour sortir de l’actuel débat opposantstatut indépendant et statut salarié. Pourtant, lorsde la discussion de la LOM au Parlement, il a ététrès difficile de promouvoir ce statut, et ce, enpremier lieu, auprès des opérateurs du T3P. Lesconducteurs VTC et la plupart de leurs organisa-tions professionnelles ont en effet une vision desconducteurs qui reste fortement marquée parl’opposition traditionnelle entre travailleurs indé-pendants et salariés. Les plateformes de mise enrelation, quant à elles, estiment que la CAE risquede remettre en cause leur modèle opérationnel etéconomique actuel en raison, d’une part, del’importance des mutualisations des fonctions et descharges des conducteurs qu’elle induit possiblementet, d’autre part, de l’incitation à se regrouper et às’organiser qu’elle constitue pour les conducteurs,voire à négocier leurs conditions de travail et le prixde la mise en relation.

Il faut donc faire œuvre de pédagogie. C’estpourquoi, depuis juin 2018 dans le cadre d’un cycled’études intitulé « Le travail à l’ère du numérique »,la Fondation Jean-Jaurès a promu le dialogue, enorganisant des conférences publiques et desséminaires de travail avec des start-up, destravailleurs, des plateformes, des syndicats, descoopératives, des universitaires et des élus, afin deréfléchir à une réforme de nature à protéger et àsécuriser le travail à l’âge du numérique4. Puis, laLOM est venue cristalliser le débat. Persuadés quenous tenions une solution dans le statut de l’ESA,nous avons alors cherché à obtenir que legouvernement et les parlementaires incluent dansla charte une disposition consistant à recommanderle recours par les centrales de réservation à desconducteurs ayant le statut d’ESA. Cela n’a pas étéle choix retenu.

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4. Conférences publiques des 14 juin 2018 et 15 mai 2019 ; séminaire de travail du 17 octobre 2018.

La coopérative : le sens de l’histoire

Ce texte formalise notre proposition, celle de laFondation Jean-Jaurès. Il a vocation à rouvrir laréflexion puisque la question des travailleurs deplateforme dépasse la situation spécifique deschauffeurs et livreurs et que la LOM, avec lacréation de la charte, a échoué à régler le problème.Une proposition de loi visant à rétablir les droitssociaux des travailleurs numériques a d’ailleurs étédéposée par le groupe socialiste au Sénat le 16octobre 2019. Elle sera débattue en janvier 2020.Elle propose de rendre obligatoire l’adhésion à uneCAE pour tout travailleur de plateforme et demodifier dans ce sens le code du travail. Toutefois,et pour reprendre le cas des conducteurs que nousavons particulièrement étudié dans le cadre duprésent rapport, leur imposer le statut d’ESA noussemble juridiquement complexe. Selon nous, celane peut être qu’un choix volontaire de la part desconducteurs indépendants du T3P, dans le respectdu principe de la liberté d’entreprendre et de laliberté contractuelle.

Pour pouvoir imaginer de le rendre obligatoire, ilfaudrait le limiter aux conducteurs qui effectuentun nombre minimum d’heures de connexion auprofit d’une même centrale (par semaine, parexemple). Un autre critère pourrait également êtreretenu comme, par exemple, la réalisation d’unminimum de chiffre d’affaires, lequel serait définipar décret. D’autres arguments tels que la sécuritéroutière, la protection de la santé des travailleurs,l’occupation de la voie publique pourraient en outrefonder la recherche d’un objectif d’intérêt généraljustifiant une atteinte proportionnée à la libertéd’entreprendre et à la liberté contractuelle.

Par ailleurs, afin d’éviter la création de CAE tropnombreuses, ce qui aurait pour conséquence dedisperser les conducteurs et de les empêcher deconstituer la masse critique nécessaire pour garantirla rentabilité de la CAE et son pouvoir denégociation avec les centrales existantes, une telledisposition pourrait prévoir un nombre deconducteurs minimum pour constituer une CAE(nombre exprimé par exemple en proportion deseffectifs de conducteurs exerçant dans la zone decompétence de l’AOM concernée). Plus la taille dela CAE est grande, plus, en effet, elle sera enmesure de négocier les tarifs. De même, les services

mutualisés seront d’autant plus importants etgénéreront d’autant plus de gains au profit destravailleurs que la CAE aura elle-même unecertaine envergure. Une CAE devrait doncregrouper un nombre minimal de travailleurs, sansque ce soit une obligation légale, mais que cela soitplutôt encouragé par des mesures incitatives,comme nous le proposons ci-après.

Le législateur pourrait également envisager unemodélisation des relations contractuelles entre laCAE et les centrales de réservation, par le recoursà un modèle type de contrat. Il serait possible de lecalquer sur le modèle en vigueur pour les chauffeursde taxi. Il pourrait permettre à l’autorité préfectoralede réguler l’activité de transport des plateformes.Mieux qu’une charte octroyée par le gouvernementet proposée unilatéralement par les plateformes, cecontrat serait un instrument pour négocier le tauxde commission avec les centrales, ainsi qu’unsupport juridique à leurs obligations actuelles oufutures envers les conducteurs (telles les obligationsd’information, voire de consultation sur les change-ments opérés dans l’algorithme de l’application).

Enfin, la promotion du statut d’ESA pourrait passer,dans le secteur du T3P, par l’activation de dispositifsfinanciers. Le potentiel de développement dusecteur du T3P, et singulièrement des VTC, resteimportant, et les besoins en transports urbains de lapopulation devraient, dans les prochaines années,conduire les collectivités territoriales et/ou AOM àfaire appel de façon croissante aux services du T3P,notamment via la délégation à des opérateurs privésde services de transport à la demande, de liaisonsintermodales et de prolongement de services detransports collectifs urbains.

Il existe de nombreuses possibilités de mobilisationde financements publics en faveur des CAE. Lerecours au Programme d’investissements d’avenir(PIA) et/ou à la banque publique d’investissementprésenterait l’avantage, outre le fait que le premierdépend des ministères (dont celui des Transports),de mobiliser des montants de crédits publicspotentiellement élevés, pour les plus gros besoinsde financement initial, en particulier au profit desCAE qui voudraient se créer au niveau national, etcompatibles avec les régimes d’aides d’État. Pour les

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Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la coopérative !

besoins de financement moindres, régionaux,métropolitains ou locaux, on pourrait inciter lescollectivités locales et AOM concernées à :

– participer à des tours de table mobilisantdifférents financeurs publics tels que la Caissedes dépôts et consignations via les directionsrégionales de la Banque des territoiresnouvellement créée ;

– recourir à la forme juridique de la CAE/SCIC aucapital et à la gouvernance de laquelle elles sontautorisées à participer, avec des acteurs privés,voire avec des associations d’usagers. Les collecti-vités territoriales pourraient aussi procéder parappels d’offres (délégation de service public,marché public…) ouverts aux CAE (comme auxautres opérateurs) afin de sélectionner lesprestataires de transport. Ces appels d’offrespouvant en outre prévoir, dans les limitesautorisées par le code des marchés publics, desclauses et/ou critères sociaux, notamment poursoutenir l’emploi local.

Les fonds de soutien de l’économie sociale etsolidaire pourraient également contribuer à des

tours de table, ainsi que des opérateurs publics oudes opérateurs ferroviaires ou privés, tout commedes fonds de capital-risque susceptibles des’intéresser à la mobilité et qui investissent déjàdans les transports.

***

Autant d’occasions manquées nous amènent àespérer que ce débat puisse de nouveau avoir lieulors d’une discussion prochaine et plus globale surle statut des travailleurs de plateformes, au-delà dela situation des chauffeurs et des livreurs. C’est,semble-t-il, la volonté du gouvernement, expriméeclairement par Élisabeth Borne lors de l’ouverturedes discussions sur la LOM au Parlement. Puisqu’ilfaudra, a-t-elle affirmé, « aller plus loin [… et]travailler à des règles inter-plateformes ou réfléchirà la façon dont les travailleurs peuvent être associésà la définition des chartes », préparons-nous et,cette fois-ci, ne manquons pas le coche.

Pourquoi faut-il toujours légiférer ? Il y a commeune malédiction française à vouloir trouver par unenouvelle loi la solution à nos problèmes, comme sirien n’avait été pensé avant. Pour ce qui concernele statut des travailleurs de plateformes, la solutionexiste déjà. Il n’était nullement nécessaire de créerpar la loi un nouvel objet juridique, telle que lacharte.

Issu d’une loi sur l’économie sociale et solidaire, lestatut d’entrepreneur salarié associé porte lescaractéristiques de ce secteur qui, à la croisée desimpératifs économiques et sociaux, réinvente chaquejour l’économie de marché. Hybride et innovant, ilest aussi viable économiquement pour lesconducteurs s’ils s’organisent au sein d’un nombrelimité de coopératives d’activité économique. Ilpermettrait une baisse des charges d’exploitation etsécuriserait les revenus du chauffeur, lui donnerait lapossibilité d’être intéressé aux résultats, le laisseraitlibre d’organiser son activité, à temps plein ou partiel,tout à l’accompagnant lors de son lancement et deson développement.

Les centrales de réservation sont égalementsusceptibles d’être intéressées par ce statut. Cellesexistantes pourraient trouver avantage à ce que desCAE fassent écran entre elles et les conducteurspuisque cela annulerait le risque de requalificationdevenu prégnant depuis une récente décision de laCour de cassation1, contribuerait à fidéliser etprofessionnaliser des conducteurs rassurés par cenouveau modèle économique et social et aideraitces centrales à développer leur offre dans lesterritoires. Quant aux nouvelles centrales,notamment celles qui tentent d’émerger aujourd’huidans les villes de taille intermédiaire, ce statut leur

permettrait notamment d’exercer toutes lesfonctions qu’exercent déjà les centrales actuelles,dans un cadre juridiquement et économiquementsécurisé.

Le recours au statut d’ESA contribuerait à élargir lechamp des possibles pour les décideurs publics. Illeur offrirait une solution systémique, intermédiaireentre le salariat et le travail indépendant, leurpermettant d’être moins sollicités pour arbitrer lesconflits entre centrales et conducteurs, d’améliorerle recouvrement des cotisations sociales ens’appuyant sur les CAE et enfin d’appliquer desrègles plus précises en matière de conditions et detemps de travail, de formation professionnelle, voirede sécurité des usagers et de maintenance desvéhicules.

Les collectivités locales, enfin, pourraient tirerprofit de la souplesse juridique et des règles degouvernance et de fonctionnement propres auxcoopératives pour contribuer à développer une offrede transports dans les territoires et répondre auxbesoins de leurs citoyens.

***

Et si la coopérative, solution pragmatique etinnovante, était aussi une réponse aux besoins demobilité de nombreux Français et d’accès à l’emploide tant d’autres qui veulent vivre et travailler demanière indépendante à l’heure du numérique ?Livreurs à vélo, chauffeurs VTC et autres, lestravailleurs de plateformes nous obligent à repenser

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Conclusion

1. Cour de cassation - Chambre sociale, arrêt n° 1737 du 28 novembre 2018 (17-20.079).

Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la coopérative !

notre rapport au travail et l’avenir de notre modèlesocial. Dénoncer l’ubérisation de l’économie nesuffit pas. Il faut comprendre la révolution en courset inventer par la régulation les nouveaux droits dedemain. Notre conviction est que le droit n’est pasun frein à l’innovation et que des solutionsjuridiques opérationnelles existent. Il suffit de lesutiliser. Elles concilient innovation numérique etprotection sociale, volonté d’être indépendant etsens du collectif, ubérisation et sécurité juridique.Elles nous permettent enfin de retrouver l’idée deprogrès social, réinventer le coopérativisme etrenouer ainsi avec notre histoire, notre traditionassociationniste et coopérativiste, issue du XIXe siècle,qui avait voulu et su, en son temps, réformer lecapitalisme et fonder la « République coopérative ».

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Tabledes matières

01 Avant-propos

03 Introduction

05 La charte, toute une histoire…05 Un objet juridique controversé introduit

dans la loi d’orientation des mobilités07 Des réactions hostiles face à la volonté du gouvernement

11 La coopérative : le sens de l’histoire11 Le statut d’ESA, une innovation sociale majeure

mais encore méconnue12 ESA, un statut intéressant pour les travailleurs de plateforme,

notamment dans le secteur du T3P13 Les atouts majeurs du statut d’ESA pour l’ensemble des opérateurs

du secteur du T3P

19 Conclusion

Collection dirigée par Gilles Finchelsteinet Laurent Cohen

© Éditions Fondation Jean-Jaurès12, Cité Malesherbes - 75009 Paris

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