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arrefours -x éographie de . es o ssrer s POPULATION ET DÉVELOPPEMENT EN INDE Sous la direction de Marie-C. Saglio- Yatzimirsky

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arrefours -x éographiede

.es ossrers

POPULATIONET DÉVELOPPEMENT

EN INDE

Sous la direction de

Marie-C. Saglio-Yatzimirsky

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Carrefours de géographie

Les dossiers

Collection dirigée par G. Wackermann

POPULATION ET DÉVELOPPEMENTEN

lNDESous la direction de

Marie-C. SAGLIO-YATZIMIRSKY

Philippe CADÈNEVéronique DUPONTLoraine KENNEDY

Kamala MARIUS-GNANOUIsabelle MILBERTJacques VÉRON

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Dans la même collection

• Grandes et trèsgrandes oillestm Amérique du Nord, par J. Chevalier• Les enjeux atlantiques, par J. Marcadon• L'eau dans l( Monde arabe, par G. Mutin• Géopolitiqu( du Monde arabe, par G. Mutin• L 'aménagement du territoire tm Europe occidentale, par H. Nonn• Aires culturelleset civilisations traditionnel/es, par ].-R. Trochet• Les métropoles des «Sud JO, par J.-F. Troin

Les dossiers• Montagnes (t civilisations montagnardes, sous la direction de G. Wackermann

Les droits de coordination de ce livre sont versés à Vanasthali,association pour le développement de l'éducation dans lesvillages du Maharashtra.Contact: directeur: Nirmala Purandare, [email protected]

ISBN 2-7298-0904-X

e Ellipses Édition Marketing S.A., 200232, rue Bargue 75740 Paris cedex 15

Le Code de la propriété intellectuelle n'eurorlsam, aux. lennes de J'aniclc L.122-S.2° et 3°a),d'unepan. queles « copies ou reproductions strictement~sen'l!:es à l'usage privé du copisteclnondestintts li uneutilisation collective ». el d'autre pan, que}es analyses el les courtes cira­tiansdans unbuld'exemple et d'îIIuSb'alion.« toute reprbenwionoureproduction intégrale oupartiellefaite sansle ccnsemeeeet del'auteur ou de ses ayants droitouayants cause est illicite»(An. 1..122·4).Cetterepréseatetion ou reproduction, par quelqueprccëëë quecesoitconstituerait unecontrefa­çonsanctionntt parles articlesl... 335·2cl suivants du Codede lapropri~lé intellectuelle,

www.editions-ellipses.com

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PRÉAMBULE

Portant sur un sujet qui figure depuis plusieurs années déjà au programme dubac, ce dossier Ellipses Population et développement en Inde aurait pu arriver plus tôt.Mais c'était rater l'occasion d'actualiser les chiffres grâce au recensement de 2001 ;c'était rater le second souffle de réformes de libéralisation économique inauguré en2000 par un important mouvement de privatisations. C'était rater l'occasion decouvrir une actualité indienne haletante, qui témoigne bien de ce que l'Inde est unpays en transformation: création de trois nouveaux États depuis septembre 2000dans la Fédération qui en compte désormais 28, réformes de décentralisation, etc.Toutes ces mesures s'inscrivent dans Population et développement en Inde. Espéronsque les informations rassemblées dans cet ouvrage ne seront pas trop vite dépassées.Elles ont en tout cas pour ambition de présenter les grandes dynamiques dudéveloppement de l'Inde au seuil du nouveau millénaire.

Mes remerciements vont d'abord à l'éditeur Pierre Morin qui a bien voulucomprendre les dimensions du débat: au-delà des chiffres, ces pages évoquent desenjeux humains considérables qu'il s'agissait de présenter soigneusement. Jeremercie ensuite les participants à cet ouvrage, tous spécialistes en leur domaine,avec lesquels travailler a été un plaisir. Enfin André Bourgey, président del'INALCO (1993-2001) où j'enseigne, m'a le premier parlé de l'intérêt du projetd'un dossier d'Ellipses sur l'Inde; qu'il en soit vivement remercié.

M.-C. Saglio-Yatzimirsky

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Carte 1 - Carte administrative de l'Indeen 2001

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Fléollootlon M. LEGRAND · F. PIROT

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INTRODUCTION

MARIE-C. SAGLIO-YATZIMIRSKY

Le 26 janvier 2001, le tremblement de terre de Bhuj (district de Kutch,Gujarar) a fait plus de 20 000 victimes et un demi-million de sans-abri: un tableaudramatique, aggravé par les constructions immobilières illégales et les infrastructuresde transport et de communication défaillantes limitant les secours. La gravité dubilan témoigne de la précarité du développement indien: elle met en cause lesavancées scientifiques et techniques de l'Inde et la responsabilité du gouvernementdans la négligence des infrastructures fondamentales et l'incompétence des systèmesde décision et de gestion.

Pourtant les critiques de la communauté internationale, souvent mêléesd'incompréhension et de malentendus, témoignent d'une méconnaissance desréalités indiennes, à laquelle cet ouvrage tente de remédier.

Étudier la population et le développement en Inde revient à poser la probléma­tique d'une société et de son développement sur un territoire particulier: troistermes qu'il s'agit au préalable de définir.

- Population: au-delà des chiffres, une société

Depuis l'été 2000, l'Inde a dépassé le milliard d'hommes. Aujourd'hui,30 bébés y naissent chaque minute. C'est d'abord parce que l'Inde est le deuxièmepays le plus peuplé du monde, représentant presque 17 % de la populationmondiale en 2001 - et la Chine 21 %-, qu'elle intéresse au niveau international.Ces chiffres démesurés posent le problème de la maîtrise démographique et de sonrapport au développement.

Cependant, l'appréhension quantitative de la population doit être relayée parune perspective plus qualitative. La société indienne présente deux caractéristiquessingulières: elle est composée d'une extrême diversité de groupes sociaux d'unepart, elle possède une structure sociale unique d'autre part. La mosaïque de groupesethniques et linguistiques et de communautés religieuses que rassemble l'Unionindienne est en effet complexe. Par ailleurs, le système des castes est propre à lasociété hindoue: nous nous demanderons en quoi il influe sur son développement.

- Développement: au-delà de la croissance économique,le développement humain

Le terme de développement demande également à être défini, selon uneperspective non seulement quantitative mais aussi qualitative. Certes, le noyau durdu développement est économique et dépend des choix politiques. En l'occurrence,les 40 ans de socialisme à l'indienne qui ont suivi l'Indépendance, puis la

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6 INTRODUCTION

libéralisation économique depuis les années 1980, ont orienté le développementindien.

Toutefois, celui-ci ne se limite pas seulement à la croissance économique et auPIB/hab. Il inclut le niveau de vie et sa qualité: le développement doit être« social» (associé à une réduction des inégalités, une amélioration des statuts),« humain» (tourné vers la santé et l'éducation des populations) et « durable»(soucieux de la préservation de l'environnement').

Le développement est donc une notion large, non seulement économique maisaussi et surtout sociale, qui met en relation les niveaux d'éducation et d'emploi, lesindicateurs démographiques de fécondité et de santé, le statut de la femme, lephénomène d'urbanisation (etc.), tous interdépendants.

Deuxième caractéristique du développement: il est dynamique. L'Inde, parfoisclassée dans la catégorie des « pays en développement », ne cesse en effet d'évoluer.La question fondamentale est alors: comment mesurer le développement?

Nous apprécierons les progrès accomplis par l'Inde depuis son Indépendance,heure du pari de Nehru qui énonce la tâche de la nouvelle nation, « la fin de lapauvreté, de l'ignorance, de la maladie et des inégalités de chances- ». 50 ans après,l'Inde compte encore 320 millions de pauvres et 35 % d'analphabètes malgré desprogrès considérables que l'on précisera. Les limites du développement mettent encause les choix stratégiques effectués depuis l'Indépendance.

Nous évaluerons également le développement de l'Inde en la comparant avecd'autres pays, par exemple les pays limitrophes d'Asie du Sud ou la Chine:pourquoi les deux nations, parties d'une situation quasi identique dans les années1950, ont aujourd'hui des performances si différentes, en termes d'éducation et desanté? Le critère comparatif, largement utilisé par l'économiste Amartya Sens,éclaire l'importance des choix politiques.

Mesurer le développement est d'autant plus nécessaire que les paradoxes indienssont de plus en plus frappants: à la pointe de la technologie, formant des ingénieursinformaticiens mondialement convoités, l'Inde compte simultanément une femmeillettrée sur deux; avec certaines des plus grosses fortunes mondiales comme celle dePremjis, elle possède 65 millions de personnes souffrant de faim>,

Il s'agira de penser le développement de manière globale, un développementqui intègre toutes les populations et tout le territoire.

- Territoire: un espace à intégrer

L'Inde se caractérise par une grande disparité géographique et les indicateurs dedéveloppement témoignent d'importants écarts interrégionaux. Le Kerala proposepar exemple un niveau général d'éducation et de santé avoisinant celui d'un paysoccidental, alors que le Bihar se classe parmi les régions les moins avancées du

1. Cf. J. Véron (1994), Populationudtv~loppmzmt, PUF,. Que sais-je?", p. 5.2. Trad. pers.• Ending of poverty and ignorance and disease and inequaliry of opporcuniry -, Discours

prononcé par Jawaharlal Nehru le 14 août 1947, jour de l'Indépendance de l'Inde.3. A. Sen est économiste indien, prix Nobel d'économie en 1998. Pour un exemple de son approche compa­

rative, cf. J.Drèze & A. Sen (1995), India, Economie Deuelopmentand Social Opportunity, Delhi, Oxford UniversityPress, 292 p.

4. Azim Ashram Prernji, directeur de Wipro, société informatique basée 11 Bangalore, est la deuxième fortuneboursière mondiale après Bill Gares (Forb~s, février 2000).

5. Selon le 50c National Sarnple Survey (19%-1997).

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Introduction 7

monde. La diversité régionale, géographique, historique et humaine explique pourpartie les inégalités de développement. Or c'est précisément vers l'intégrationterritoriale que tend tout l'effort de développement actuel.

- Plan de l'ouvrage

La première partie porte sur la population dans l'espace indien. Après un rappeldes grands facteurs sociohistoriques de l'organisation du territoire de l'Inde(chap. 1) et de sa géographie singulière, il sera question de la dynamique démogra­phique actuelle (chap. 2). Le développement du monde urbain dans un pays auxtrois quarts rural constitue une dynamique actuelle fondamentale (chap, 3).

La deuxième partie se concentre plus spécifiquement sur les aspects sociaux dudéveloppement. Après une présentation détaillée de la structure sociale indienne- diversité des communautés ethniques, linguistiques et religieuses; singularité dusystème des castes - (chap. 1), les deux chapitres suivants porteront sur les termesdu développement humain: éducation, santé et statut des femmes d'une part(chap, 2) et état de la pauvreté d'autre part (chap. 3).

Enfin, la troisième partie s'intéresse aux aspects économiques du développe­ment: ce sont premièrement les défis du monde rural et de son agriculture(chap. 1) et deuxièmement les tendances du monde industriel et des infrastructures(chap.2).

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Partie 1

DES ESPACES ET DES HOMMES

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Carte 2 - L'Asie du Sud

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LES GRANDES DIVISIONS DU TERRITOIRE INDIEN

PHILIPPE CADÈNE

1- L'UNION INDIENNE ET SON TERRITOIRE

L'Inde tire son nom d'un fleuve, l'Indus, situé au-delà de ses frontières. Cefleuve prend sa source dans les hauteurs de l'Himalaya et coule dans l'État voisin duPakistan. Ce nom fut en effet donné à ce territoire voilà des siècles par les popula­tions qui le découvraient, arrivant de l'ouest. Les frontières actuelles, contempo­raines à la décolonisation, n'existaient bien sûr pas. Ce nom a été adopté par lescolons britanniques et repris au milieu du siècle lors de la création de l'Unionindienne, cette dernière appellation officielle ayant pour but d'exprimer le caractèrefédéral de l'État situé aujourd'hui sur ce territoire.

Cependant, dans le cœur de beaucoup de ses habitants, l'Inde se nommeBbarat, du nom de l'ancêtre des héros d'un des deux grands poèmes épiques de lacivilisation indienne, le Mababbarata. Ce roi de la tribu védique des Kuru aurait,selon la légende, conquis la plaine indo-gangétique et lui aurait donné son proprenom.

L'existence de deux appellations pour un territoire identique exprime laprésence de deux visions différentes et pourtant complémentaires d'un même pays,rassemblant les représentations modernes et anciennes d'une société aux caractèresprofondément originaux. L'Inde contemporaine se présente comme une des plusvastes entités politiques du monde, à l'échelle d'un quasi-continent, dont l'unitérésiste à des tensions issues d'un passé très ancien, aujourd'hui accentuées par desinégalités croissantes de développement, tant au sein des villes et des villagesqu'entre les diverses régions qui organisent le territoire national.

A - Un demi-siècle d'indépendance

L'Union indienne est créée le 15 août 1947 de la partition de l'Empire desIndes britanniques. Né au cours du XIXe siècle, le mouvement de lutte pourl'Indépendance atteint son objectif après plusieurs décennies d'un combat politiqueémaillé de quelques périodes de violence. La victoire n'est cependant pas parfaite carle parti du Congrès, qui réunit la majorité des militants pour l'Indépendance, neparvient pas à empêcher la division de cette vaste part de l'Empire et la création dedeux États, l'Union indienne d'une part, et le Pakistan d'autre part, ce derniercomposé de deux entités, l'une occidentale, l'autre orientale. Ces deux États

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12 PARTIE1- DES ESPACES ET DESHOMMES

nouveaux se partagent l'es sentiel de ce vaste espace, presque à la taille d'uncontinent, dénommé Asie du Sud '.

Carte 3 - Régions, fleuves et villes de l'Inde

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1. L' Asie du Sud com p re nd auj ou rd 'h u i sep t États : le Bangladesh , le Bhoutan, les M ald ives, le Né pal, lePaki st an, le Sri Lan ka, J'U nio n indi en ne.

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1- Les grandes divisions du territoire indien 13

Dans les mois qui entourent l'Indépendance, la création des deux États entraînele déplacement de 10 millions de personnes, accompagné de tueries. La situationcréée par les anciens colons se révèle explosive sur le long terme. Diverses guerresopposeront les deux nouveaux États. Si les deux premiers conflits, en 1947 et 1965ne voient pas de véritables vainqueurs, le troisième, en 1971, se traduit par la divi­sion du Pakistan en deux États, la partie orientale du pays devenant indépendantesous le nom de Bangladesh. En 1%2, l'Union indienne aura également été engagéedans une autre guerre, avec la Chine cette fois, qui se traduira par la perte decertains territoires montagneux, frontaliers de ces deux États.

Ces tensions avec les pays voisins ne provoquent à aucun moment la remise encause de l'unité de l'Union indienne. Cet État, qui hérite de la très large majoritédu territoire de l'Empire des Indes britanniques, traverse le demi-siècle qui noussépare désormais de l'Indépendance sans que jamais les différenciations culturelles,sociales, voire économiques, à l'origine de tensions récurrentes, ne fassent peser unemenace vraiment sérieuse d'éclatement du pays.

B - Un quasi-continent isolé

Les conflits avec les voisins du Nord, le géant chinois ou le frère ennemi pakis­tanais, renforcent une situation d'isolement induite par la configuration physiquedu territoire de l'Union indienne. Celui-ci forme en effet une sorte de vaste losangeorienté nord-sud, auquel vient s'ajouter, à sa pointe est, un triangle de bien pluspetite taille, relié à la partie principale du pays par une mince péninsule.

La pointe septentrionale de ce losange, orientée vers l'ouest, constitue unebarrière presque infranchissable, faite d'un alignement des plus hauts massifsmontagneux du monde, qui séparent la longue plaine inde-gangétique, située ausud du massif, des interminables plateaux tibétains au nord. Les frontières avec lePakistan et la Chine se situent ainsi sur des sommets montagneux très peu ouverts àla circulation.

L'immense cône sud, la partie inférieure du losange, correspond à l'essentiel dupays. Il avance dans l'océan Pacifique, dénommé en conséquence océan Indien.Seules les parties nord de cet espace sont au contact de pays voisins. Au nord-ouest,à l'exception d'une étroite bande de riches terres agricoles correspondant à la partieindienne de la plaine du Penjab, la frontière avec le Pakistan traverse le seul espacedésertique de l'Asie du Sud, le désert rocailleux du Thar. Le passage avec le Pakistanne s'effectue qu'en un seul lieu, la ville d'Amritsar, située dans la plaine fertile etfortement peuplée du Penjab. Au nord-est, la frontière avec le Bangladesh est closeet étroitement surveillée. Le gouvernement indien s'efforce d'éviter l'immigrationde travailleurs venus de l'État voisin et les communications s'effectuent essentielle­ment par les villes frontalières de Benapol (côté bangladais) et Bongaon (côtéindien).

La partie la plus méridionale du cône sud correspond au Deccan, une longueterre triangulaire au profil fortement dissymétrique, comportant, d'ouest en est, uneétroite chaîne montagneuse, les Ghats occidentaux, puis de vastes plateauxfractionnés par quelques hauteurs et enfin une longue plaine littorale plus ou moinsétroite et découpée par l'embouche des cours d'eau coulant des Ghats. Deux d'entreeux, la Krishna et la Kaveri possèdent un vaste bassin versant et structurentfortement cet ensemble territorial qui s'achève au sud par le cap Comorin. Cette

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14 PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

vaste terre est entourée par l'océan et les seules relations possibles avec l'extérieurs'effectuent par la mer.

Au nord-est de cet ensemble, l'Union indienne comprend un autre territoire,formant un triangle de taille bien plus réduite, relié à la partie principale du terri­toire par un étroit passage, entre la Chine, le Bangladesh et le petit royaume indé­pendant du Bhoutan. Il s'agit d'un espace largement montagnard fait de vallées, decollines escarpées et, au nord, du massif himalayen. Aux confins de la Chine et de laBirmanie, séparé de la partie essentielle du pays par le Bangladesh, ce territoiresemble quelque peu à l'écart au sein de l'Union indienne, comme en marge dupays, tout en n'ayant que très peu de relations avec les pays limitrophes.

C'est toutefois l'ensemble de ce vaste espace qui apparaît comme isolé dumonde, entre, d'une part, hauteurs infranchissables et voisins hostiles au nord, et,d'autre part, immensités océanes au sud.

C - Une organisation régionale en mutation

L'isolement du pays s'est longtemps accompagné de profonds clivages internes.Ceux-ci n'étaient pas seulement dus aux très grandes différenciations physiques duterritoire. L'ampleur des distances explique fortement les diversités régionales. Il enest de même de la complexité du peuplement de cette immense péninsule, où, aucours des siècles, des populations différentes, généralement venues par l'ouest, sesont installées.

En 1883, le quasi-continent fait l'objet d'une des premières descriptions effec­tuées par un géographe français, Élisée Reclus, qui découpe l'espace correspondantaujourd'hui à l'Union indienne en douze différentes régions, de tailles variables,puis subdivise chacune d'entre elles en plusieurs espaces régionaux. Les reliefs et lesfleuves, parfois les grands traits des populations président à ce découpage'.

Un autre travail, publié en 1929 par Jules Dion-, s'écarte de cette visioncomplexe du territoire indien pour ne retenir que trois grandes régions seulement.La volonté est désormais de présenter les grandes divisions structurales de l'Asie duSud: les chaînes septentrionales de la bordure de l'Iran jusqu'aux confins birmans,la plaine indo-gangétique de l'Indus et du Gange jusqu'au Brahmapoutre, enincluant le Sind, le Penjab, le désert du Thar à l'ouest et la vallée de l'Assam à l'est,enfin le plateau péninsulaire à partir de l'est du Rajasthan, des collines du centre etde l'Orissa jusqu'à la pointe sud du Deccan. Ce principe de régionalisation estensuite repris avec plus ou moins de détails dans plusieurs travauxê.

1. Cet auteur distingue ainsi l'Himalaya, J'Inde mahométane qui occupe l'actuel Pakistan mais aussi les actuelsÊtars indiens du Penjab, de l'Haryana et les parties occidentales du Rajasthan el du Gujarat, la plus grande part duGujarat avec la péninsule de Kathiavar el les territoires autour des golfes de Kurch et de Cambay, la chaîne desArravali ainsi que l'est du Rajasthan et l'ouest du Madhya Pradesh, le bassin du Gange de Delhi au Brahmapoutre, unvaste espace allant des montagnes de l'Assam jusqu'aux collines de J'Orissa el du sud du Madhya Pradesh, les versantsoccidentaux des plateaux et des Ghars, les provinces centrales et les hautes vallées des fleuves du Deccan, lesbassins dela Godaveri, de la Krishna, les régions sud du Deccan et enfin les diverses Îles de l'océan Indien.

2. Cf. J.Sion, «Asie des Moussons ", in T. IX de P. Vidal de la BJache et L. Gallois (dir.) (I929), Glographùunivm~ll~, A. Colin. Il s'agit de la première Géographie Universelle de l'École Française de Géographie.

3. Pierre Gourou, dans une géographie de l'Asie datant de 1953, présente l'actuel territoire de J'Union indiennedivisé en quatre grandes régions très inégales et différenciées principalement par leurs caractères physiques:l'Himalaya, la plaine du Gange, l'Assam et les terres du Nord-Est, puis J'Inde précambrienne comprenant la roralirédu Deccan. Ce découpage est aussi celui de O.H.K. Spate et A.T A. Learrnonrh dans leur ouvrage de 1967, IndiaandPakistan. Ce texte, qui fait encore référence, présente le territoire indien de manière très détaillée, avec trois niveaux

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I - Les grandes divisions du rerriroire indien 15

Le renouveau de la discipline géographique depuis une trentaine d'années apermis de modifier quelque peu cette vision du territoire indien tout en s'efforçantde conserver le souci de simplification. Désormais, la nature et l'histoire ne sontplus seulement invoquées pour expliquer les divisions régionales. En 1995, FrançoisDurand-Dastès réalise un découpage du territoire de l'Union indienne qui prendlargement en compte les dynamiques urbaines et économiques. Sept régions sontmises en avant. Deux d'entre elles correspondent aux zones d'influence de deuxgrandes métropoles, Bombay et Calcutta. Dans une autre région, au « centre del'Hindoustan», Delhi joue un rôle important. L'Inde du Sud apparaît ensuitecomme un vaste espace cohérent dans lequel Madras, Bangalore et Hyderabadjouent un rôle majeur. Les différents archipels y sont rattachés. Puis trois espacesdifférenciés sont caractérisés par leur marginalisation, le massif de l'Himalaya, lescollines du centre du pays et les territoires du Nord-Est.

Les importantes mutations que l'organisation territoriale indienne au cours desvingt dernières années obligent en effet à prendre en compte des facteurs nouveauxdans toute analyse régionale. Tendances anciennes et changements récents serencontrent pour produire des différenciations territoriales nouvelles. Lesgéographes doivent désormais intégrer dans leurs études l'action des puissantsprocessus d'intégration en cours, liant les espaces entre eux à différents niveauxd'échelle, et aboutissant à profondément ses localités et ses régions dans une dyna­mique nationale et mondiale.

11- LES FACTEURS FONDAMENTAUX DE L'ORGANISATION DU TERRITOIREINDIEN

Les mutations actuelles de l'organisation territoriale de l'Union indiennes'effectuent dans un cadre établi au cours d'une histoire longue de plusieurs millé­naires. Quatre facteurs fondamentaux président à l'organisation du territoire indien,à la permanence d'une certaine unité territoriale mais aussi à d'importantes divi­sions internes. Cités sans ordre d'importance, le premier apparaît lié à la dimensionspatiale du territoire, le second à la culture qui s'y déploie, le troisième au modèlepolitique qui l'organise et le quatrième enfin, au caractère de son économie.

A - L'immensité du pays et de la population

L'immensité du territoire de l'Union indienne est un trait maintes fois évoqué.Avec 3,2 millions de km-, le pays se place loin derrière la Russie, les États-Unis, leCanada, la Chine ou l'Australie. Il n'en est pas moins grand comme six fois laFrance et s'étend sur 3000 km environ du nord au sud et de l'ouest à l'est, soit desdistances correspondant à peu près à celles séparant Stockholm de Séville ou Dublinde Moscou. La forme et le relief du territoire limitent certes cet apparent gigantismepuisque l'Inde peut se résumer en un immense losange dans lequel se concentrel'ensemble de ses populations et de ses activités.

L'Union indienne est également immense par le nombre de ses habitants. Plusd' 1 milliard de personnes vivent sur son territoire, soit près d'un sixième de la

d'échelle emboîtés. Mais quatre grands espaces régionaux seulement SOnt d'abord retenus: les pays montagneux(rim), les plaines indo-gangétiques, la péninsule et les îles.

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16 PARTIE 1- DES ESPACES ETDES HOMMES

population mondiale. L'Inde supporte les densités rurales parmi les plus fortes dumonde. Certaines campagnes concentrent plus de 1 500 hab.Zkmê tandis que plusde la moitié du territoire connaît des densités supérieures à 500 habitants. Lesespaces les plus fortement peuplés sont la plaine indo-gangétique, les littoraux et lapointe sud du Deccan. Les plus faibles densités se trouvent, outre dans la partiehimalayenne, dans une vaste bande de terres située entre la plaine inde-gangétiqueet le Deccan, commençant à l'ouest avec le désert du Thar et s'achevant à l'est dansles collines de l'Orissa, bordant le golfe du Bengale. Ainsi, différents espaces trèsfortement peuplés se trouvent distants de centaines de kilomètres.

Cette inégale répartition spatiale de la population indienne s'accompagne d'unegrande lenteur dans les transports et communications. La situation est certes entrain de changer rapidement dans les secteurs les plus modernes. Il en est ainsi destransports aériens intérieurs où la compagnie aérienne publique, Air Indial, dont letrafic jusqu'au début des années 1990 n'excédait pas celui de la France, voit croîtrele nombre de ses passagers alors qu'elle est désormais soumise à la concurrence deplusieurs compagnies privées. Également au début des années 1990, le téléphone aconnu une véritable révolution avec l'introduction d'un système automatique quipermet de communiquer sans difficulté en presque tout point du territoire et ouvrela possibilité d'utiliser les fax et internet. Sur le plan de la circulation des idées et desinformations, la généralisation de la couverture télévisée vers le milieu des années1980 n'est certainement pas non plus à négliger, par sa capacité à diffuser un savoirhomogène et ouvert sur le monde, de part et d'autre du pays. La route et le railrestent cependant des goulots d'étranglement. En dépit de la multiplication à partirde la fin des années 1980 du nombre d'automobiles et de la mise en place de trainsrapides sur quelques destinations, les transports terrestres restent très lents etgrèvent les capacités d'échanges et le développement de l'économie (cf. partie III,chap.2).

Ces grandes distances d'un point à l'autre du pays, cette inégale répartitiond'importantes masses de population, la faiblesse des transports et communicationsapparaissent comme des facteurs structurels de l'organisation du territoire. Ilscontribuent à perpétuer l'existence de pouvoirs politiques ou économiques et dedifférenciations sociales et culturelles entraînant un ancrage très fort des divisionsrégionales.

B - Unicité de la civilisation et diversité de I"expression culturelle

L'Union indienne rassemble une société réputée d'une extrême diversité, lapopulation se différenciant en d'innombrables castes et tribus, pratiquant diversesreligions et parlant des dizaines de langages différents. Cette situation repose surl'histoire des diverses populations qui, siècle après siècle, sont venues s'installer surce vaste territoire. Les premières sont les populations dravidiennes, qui apportentlangues et culture propres. Les secondes sont les populations aryennes. Cesdernières, constituées de tribus nomades venues du nord-ouest, se répandent danstoute l'Inde gangétique et y imposent leur mode de vie rural, leurs langues indo­européennes dont le sanskrit, et leur système social organisé selon une tripartitionfonctionnelle hiérarchique qui constitue l'amorce du système des castes

1. Les sociétés distinctes qui composaient Air India, Indian Airlines (vols domestiques) et Air India (vols inter­narionaux) ont fusionné en 1994 pour former Air India Lirnited.

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I - Les grandes divisions du territoire indien 17

(cf. partie II, chap. 1). Aujourd'hui, l'Inde est marquée dans la physionomie de sespopulations, leurs langues et leurs cultures, par la division entre une Inde ditearyenne au nord, et une Inde dite dravidienne au sud-. Mais dans les forêts et lesmontagnes vivent également des peuples aborigènes, nommés Adivasi, qui sontprésentés comme les habitants originels de l'Inde. Ils auraient été repoussés dans lesforêts et montagnes par les migrations de peuples venus des bassins de l'Indus et duGange jusque dans l'Inde centrale et méridionale.

La période durant laquelle les Indo-Européens s'installent dans la vallée duGange constitue l'époque védique, celle des cultes fondés sur les Veda, textes sacréstransmettant la révélation. D'autres spiritualités apparaissent au YIe siècle avantl'ère chrétienne, en particulier le bouddhisme et le jaïnisme, qui marquerontprofondément la société du quasi-continent.

L'Inde classique débute avec l'incursion d'Alexandre le Grand (327 av. J.-C)dans les pays de l'Indus et dure plus d'un millénaire. C'est l'époque des grandsempires: empire Maurya (321 av. J.-C-151 av. J.-C) qui repousse l'invasionmacédonienne et s'étend jusqu'aux limites des pays de langue tamoule, empireGupta (Iye et ye siècle), etc. L'ascension de la caste sacerdotale des brahmanes aunord marque profondément cette période: se développe les écritures indiennesactuelles, en particulier le sanskrit, les commentaires religieux et la littérature. Lesrègles de l'idéologie brahmanique sont exprimées dans un texte composé auxenvirons de l'ère chrétienne, les Lois de Manu.

Du Xe au XIIe siècle se multiplient les incursions des musulmans venus dunord-ouest. L'institution du sultanat de Delhi en 1211 indique la première implan­tation stable de ces populations. Celle-ci ouvre une période de confrontation, d'unepart entre les styles d'organisation du pouvoir des musulmans et des hindous, quis'opposent en particulier dans les modalités d'administration des territoires, d'autrepart sur le plan culturel alors que se développe une tendance à l'islamisation de lasociété hindoue. Cette période est aussi celle d'échanges réciproques entre représen­tants de deux civilisations sur les plans religieux, scientifiques et artistiques: forma­tion de l'ourdou, ouverture économique qui développa considérablement l'arti­sanat, essor des mathématiques ... L'apport de la culture musulmane en Inde seconfirmera sous l'Empire moghol, empire arabo-persan qui domine l'Inde pendantdeux siècles (1517-1707) en imposant une administration impériale centralisée.L'éclatement de l'Empire moghol laisse une mosaïque d'États autonomes, musul­mans ou hindous, ceux-là même que découvrent les premiers Européens lorsqu'ilsdébarquent en Inde.

Les Européens interviennent à partir du XVIe siècle. Les Portugais installentleurs premiers comptoirs en 1510, bientôt relayés par les Hollandais, les Anglais, etles Français, tous attirés par les profits du commerce des épices et des textiles. Ladomination britannique s'affirme en deux temps. Pendant un siècle (1757-1857), laCompagnie anglaise des Indes (East India Company) établit progressivement sasuprématie sur des territoires entiers (Bengale, pays marathe, Penjab et Sind) et meten place une administration et un système fiscal coloniaux. Cette période estconsacrée au commerce d'exportation et aux premières avancées industrielles, maiselle a des profondes conséquences culturelles sur la population autochtone,

1. La connaissance de la civilisation dravidienne repose sur la littérature tamoule dite du Sangam (litt. leCollège), ensemble de textes du Ille et Ive siècles. Dans sa forme la plus ancienne, cette société ne connaît pas encorela hiérarchie sociale des varna, cellequ'instituée par les brahmanes.

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influencée par la culture et l'éducation occidentales, et bouleversée par les réformessociales engagées par les colons. Puis, à la suite de la rébellion des Cipayes en 1857,la couronne britannique prend en charge directement l'administration de l'Inde.Cette période sera marquée par la montée d'un sentiment nationaliste au sein de lapopulation indienne et par la lutte pour l'Indépendance.

Cette histoire riche d'influences multiples a donc fondé les bases d'une sociétéd'une extrême diversité. Pourtant, la société indienne semble unifiée par unereligion, l'hindouisme, et organisée en fonction des règles liées au système descastes, lui-même intrinsèque à la pensée hindoue. Ce système de pensée et depratiques est unificateur tout en laissant se développer la diversité des expressions.

Religion de 82 % des citoyens de l'Union indienne, l'hindouisme fonde unevéritable civilisation qui marque profondément la totalité des habitants du paysquelle que soit leur propre appartenance religieuse. Ainsi, tandis que les hindoustendent à fréquenter des lieux de culte appartenant à d'autres religions, leurspratiques rituelles, multiples et complexes, influencent les adeptes de l'ensemble desreligions présentes dans le pays. De même, la division en castes s'étend à la quasi­totalité de la population, au-delà des seuls hindous.

Cette multiplicité des castes et des identités qui leur sont liées illustre et orga­nise la grande pluralité des expressions qu'autorise la religion hindoue, omnipré­sente. Les prêtres ne constituent pas un clergé et n'obéissent à aucun pouvoir unifié.Les conseils de castes ne font respecter que des règles locales et spécifiques. Face àune idéologie qui s'exprime à l'échelle du pays en son entier et face à des expressionslocales extrêmement diversifiées, la place est alors grande pour des niveaux d'organi­sation culturelle intermédiaires. Au-delà des divisions Nord-Sud fondées sur laprésence des deux grandes familles linguistiques, inde-européennes et dravidiennes,les multiples langues parlées par les populations organisent un découpage endiverses régions qui fondent des entités sociales et culturelles, avec leurs propreslittératures et expressions artistiques, et souvent des entités politiques. Au sein deces régions, certaines castes, souvent celles détentrices du pouvoir ou de l'usage desterres, impriment leur caractère à des ensembles de localités, constituant des espacessocialement cohérents.

C - Ancienneté de l'État et organisation des structures fédérales

L'Union indienne est un État fédéral riche de l'héritage d'une très longuetradition administrative construite par un ensemble de pouvoirs politiques se succé­dant sur son territoire depuis presque 5 000 ans. Le quasi-continent est un desberceaux de l'humanité et a connu l'une des toutes premières sociétés urbaines dumonde). Depuis des temps anciens, les royaumes se succèdent tandis que desempires, souvent éphémères, se constituent.

La composition des élites sociales placées à la tête de ces entités politiques orga­nise un système qui marque jusqu'à aujourd'hui le fonctionnement du pouvoir dansl'Union indienne. Tandis que les familles régnantes dans les royaumes, qui consti­tuent une noblesse et appartiennent généralement aux castes dites guerrières dekshatriya, assoient leur pouvoir sur une large clientèle qui intègre les grandes villeset les plus petits villages aussi bien que les hautes et basses castes, le pouvoir repose

1. La civilisation d'Harappa date d'environ 2500 av. J.-c. Elle est connue pour ses villes à J'urbanisme trèssophistiqué, impliquant un niveau de complexité politique rare pour cette période très reculée. Cf. partie J, chap, 3.

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1- Les grandes divisions du territoire indien 19

largement, d'une part, sur la présence d'un groupe de clercs, les brahmanes, quifont fonctionner des administrations tatillonnes, et d'autre part, sur celle desmembres des castes marchandes, les vaishya, dont les réseaux s'étendent en touslieux des royaumes et au-delà, et qui assurent le fonctionnement des économies parla fourniture de prêts et par l'organisation des échanges. La construction d'empiresmusulmans sur une part du quasi-continent à partir du XIe siècle et, davantageencore, l'établissement du pouvoir colonial britannique au XIXe siècle n'ont faitque donner une légitimité nouvelle à ces groupes sociaux dont les pouvoirs, toutparticulièrement dans le cas des brahmanes et des vaishya, se trouvent souventrenforcés.

L'accession à l'indépendance et la création de l'Union indienne perpétuent cesystème de pouvoir et l'organisation administrative déjà en place, qui avait étéconsidérablement améliorée sous l'influence des Britanniques. Partout, des politi­ciens d'origines sociales diverses remplacent désormais la noblesse, déjà très forte­ment affaiblie. Les pouvoirs des clercs et des commerçants restent cependant entiersau sein d'un système administratif et économique d'une complexité rare. Lacomplexité de l'administration est d'ailleurs renforcée par l'établissement de l'orga­nisation du système fédéral, qui décline hiérarchiquement États, Districts, Tehsil etVillages, puis par l'organisation d'un système de représentation démocratique àplusieurs niveaux d'échelle, celui de l'Union, celui de chacun des États fédérés etcelui des différentes administrations locales.

Le territoire de l'Union indienne est ainsi découpé en 28 États, dont la plupartpossèdent une grande cohérence culturelle, un désir d'affirmer leurs particularismeset de défendre leurs intérêts propres au sein de la fédération, ainsi qu'une capacité àorganiser en leur sein le débat politique (cf. partie II, chap. 1). La force de cedécoupage administratif repose sur un choix politique à l'origine de sa création,celui d'une certaine correspondance entre les territoires qu'il dessine et les aireslinguistiques existantes dans le quasi-continent. Ce système sert de cadre aucontrôle de la dynamique économique par l'administration, dans un pays où lestendances dirigistes dominent sans partage jusqu'aux années 1990 et restent fortes.

D - La complexité d'une économie clivée socialementet territorialement

L'économie de l'Union indienne est particulièrement complexe. Cette caracté­ristique réside dans la coexistence et parfois la complémentarité d'un grand nombred'entreprises utilisant des technologies extrêmement diversifiées, des plus archaïquesaux plus récentes, et connaissant en conséquence des taux de productivité fortementdisparates ainsi que des compétences de main-d'œuvre extrêmement inégales.

L'État a joué et joue certainement encore un rôle très important dans cettesituation, en combinant un dirigisme drastique à une économie de marché.L'industrialisation, mais aussi la mécanisation de l'agriculture et la concentration ducommerce, ont connu un développement très lent et se sont effectuées sans fairetable rase des structures de production et d'échange en place (cf. partie III).

Le système des castes a contribué à reproduire certains milieux économiques età conserver certaines fonctions. Ceci est particulièrement sensible pour les entrepre­neurs. Les relations d'affaires perpétuent en effet souvent des pratiques trèsanciennes, largement empreintes de clientélisme, et cela quels que soient la taille etle secteur de leurs activités. C'est également le cas des travailleurs occupant les

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emplois les moins qualifiés qui subissent encore aujourd'hui des jougs fort anciens,et qui d'ailleurs appartiennent souvent aux groupes sociaux les plus dominés, intou­chables et tribaux.

Enfin, le rôle de l'immensité du territoire dans la diversification des activitéséconomiques ne doit pas être négligé. Des hautes vallées de l'Himalaya aux terrestropicales du Deccan en passant par les espaces irrigués de la plaine inde-gangétiqueou par les versants jardinés des moyennes montagnes, tout pousse et se récolte,tandis que l'agriculture et le sous-sol fournissent toutes les matières premièrespossibles à l'industrie.

Au final, l'Union indienne présente un modèle économique original calqué surune société très inégalitaire. La tendance depuis l'Indépendance, qui se renforce àpartir des années 1990 avec la mise en place d'un libéralisme tempéré, consiste àvoir s'étendre un vaste ensemble de couches moyennes aisées alors qu'une fractiontrès large de la population ne bénéficie que marginalement du développement. Aladiversité des capacités d'achat correspond une variété de produits et de producteurs.Un pareil système marque fortement l'organisation des territoires et se traduit par lasuperposition d'aires productrices et de marchés de niveaux d'échelles extrêmementdivers.

Les liens de plus en plus étroits établis par les espaces productifs indiens avecdes places économiques situées dans d'autres pays, qu'il s'agisse de centres de déci­sions ou de lieux de commercialisation, ne font que renforcer la mise en place d'uneéconomie nationale, dans laquelle les biens sont produits et commercialisés en demultiples lieux dans le pays. Ce phénomène s'accompagne de l'émergence dans lesvilles indiennes mais aussi dans les campagnes d'un ensemble très large de couchesmoyennes aisées capables d'acquérir des produits industriels de qualité.Certainement plus du quart de la population totale du pays participe à un modèlede consommation calqué sur l'Occident, incluant un ensemble de produits fabri­qués par de grandes firmes indiennes qui produisent et commercialisent à l'échelledu territoire de l'Union en son entier.

Beaucoup plus nombreux sont toutefois les Indiens qui ne possèdent pas deressources suffisantes pour acheter sur ces marchés et qui acquièrent des produits dequalité moindre. Ces derniers sont alors fabriqués dans des entreprises régionales,situées par exemple dans les États où résident les consommateurs ou dans les ÉtatsVOISInS.

Enfin, il existe aussi de nombreuses familles vivant dans une grande pauvretéqui ne possèdent que très difficilement les moyens d'acquérir des produits indus­trialisés. Les biens qu'ils consomment sont le plus souvent fabriqués par des artisans

. locaux. Il existe ainsi un emboîtement complexe d'espaces d'étendues variables,correspondant à des aires de marchés, dont l'extension est fonction du niveau de viedes consommateurs concernés.

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1- Les grandes divisions du territoire indien

III - LE POIDS DE L'HISTOIRE COLONIALE DANS LES DIVISIONS RÉGIONALES

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Les facteurs très anciens qui fondent à la fois l'unité et la diversité du territoireindien expliquent aussi la manière dont celui-ci fut profondément marqué par lapériode coloniale. Les Britanniques parvinrent à créer en Asie du Sud un vasteempire, à accentuer même son unification, tout en produisant une organisationterritoriale nouvelle qui aboutit à l'émergence de trois grandes régions, centréesautour de trois ports coloniaux, délaissant les marges montagneuses ou désertiquesde cet immense espace.

A - Le modèle des comptoirs et l'organisation régionaleau cours du Xlxe siècle

L'Inde que les Anglais entreprennent de conquérir au cours du XVIIe siècleapparaît comme l'une des économies industrielles et agricoles les plus avancées deson temps. Au début du XIXe siècle, alors que les colons britanniques ont solide­ment assis leur pouvoir sur l'essentiel du quasi-continent, l'habilité des artisans etdes paysans indiens tout autant que l'importante capacité de production du paysémerveillent toujours les voyageurs et attirent de nombreux marchands occiden­taux. En quelques décennies, cette situation est cependant profondémentbouleversée. Une révolution technologique se produit en Europe qu'accompagne ledéveloppement d'une industrie mécanisée. La Grande-Bretagne doit désormais seprocurer des matières premières à bon prix et créer un vaste marché pour écouler sesproduits. Avec sa solide économie agraire, son riche sous-sol et son immense popu­lation, le quasi-continent apparaît répondre parfaitement aux besoins des industrielsanglais. Ces derniers vont donc prendre part à l'entreprise coloniale britannique etla réorganiser à leur profit. Ils parviennent, en peu d'années, à réorienter les flux decapitaux et de marchandises ainsi qu'à établir et développer de nouveaux centresd'échange, parachevant la mise en place d'un nouveau système économique etd'une nouvelle organisation spatiale: le modèle des comptoirs.

Pendant près de deux siècles, l'action des marchands occidentaux avait pourtantconforté le modèle de relation économique qu'ils avaient trouvé à leur arrivée, surlequel reposait l'hégémonie des empereurs moghols. En effet, quand, à la suite desPortugais et avec bien plus d'ampleur, les commerçants hollandais, puis britan­niques, s'implantent sur le marché indien, ces hommes d'affaires avertis compren­nent sans tarder l'intérêt commercial que représentent la qualité des produitsfabriqués par les artisans locaux ainsi que les grandes capacités de production de cesderniers. L'efficacité des réseaux de marchands indiens leur paraît également unatout pour réaliser leur commerce. Les Occidentaux s'intéressent à certains produitsde luxe, comme l'orfèvrerie. Mais ils investissent surtout dans le commerce destissus qui représente bientôt une part très importante des importations britan­niques. Transportés par bateaux le long des côtes ou des fleuves jusqu'aux ports, cestissus viennent rejoindre, dans les soutes des navires européens, les diverses épicesque les marchands occidentaux sont venus chercher. Dans un tout premier temps,l'activité des commerçants européens contribue ainsi à renforcer la richesse desports indiens comme Dacca ou Mursidabad, ainsi que le rayonnement régional descentres politiques et commerciaux comme Delhi, Agra, Surat, Baroda ouHyderabad. Dans le nord-est du pays, la plaine indo-gangétique devient même unegrande aire de production textile où une part importante des populations

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villageoises tire ses revenus du tissage. Soucieux toutefois de préserver une certaineindépendance vis-à-vis des réseaux économiques indiens, les Britanniques fondentdès le XVIIe siècle les trois ports de Calcutta (1690), Bombay (1674) et Madras(1640) 1. Apartir de ces comptoirs, les flux d'exportation se dirigent vers les marchéseuropéens. Mais les marchands occidentaux sont aussi très actifs sur les marchésasiatiques où leurs profits sont importants.

La mise en place du modèle des comptoirs au cours du XIXe siècle renversecomplètement ces flux. Les trois ports fondés par les marchands britanniquesdeviennent en effet très rapidement les centres d'activités de l'Inde coloniale. C'estvers eux que se dirigent les flux de produits agricoles (coton, laine, lin, jute),cultivés au cœur du quasi-continent et utilisés comme matières premières par lesindustriels britanniques. C'est à partir d'eux que se répandent sur un marché aussilarge que possible les productions manufacturées en Angleterre, particulièrement lesfabrications textiles. Pareil commerce implique la création d'un système politico­administratif sur la majeure partie du territoire et d'une monnaie unique, la roupie,ainsi qu'une certaine homogénéisation juridique. Mais c'est surtout la création devoies de communications pénétrant profondément le pays qui semble indispen­sable. Entreprise considérable, le chemin de fer apparaît l'élément clé, tout autantque symbolique, du modèle des comptoirs: plusieurs réseaux ferrés mettent enrelation chacun des ports construits par les Britanniques avec son arrière-pays sansse préoccuper de relier entre elles les diverses régions du sous-continent ou dedesservir les grandes villes précoloniales. Ces dernières périclitent d'ailleurs, àl'exception de Delhi, siège de l'empereur moghol et capitale de l'Inde britannique àpartir de 1911, qui conserve une certaine place dans la nouvelle organisationterritoriale. Beaucoup de petites villes bénéficient par contre de l'augmentation deséchanges de marchandises. Centres de commerce et de services au sein d'un mondevillageois très dense, elles servent de relais aux flux qui proviennent ou aboutissentdans les trois comptoirs britanniques. Les nombreux marchands qui les peuplents'enrichissent tandis que la recrudescence des activités s'accompagne d'unecroissance démographique rapide pour la période.

Alors que le développement du capitalisme industriel enrichit la Grande­Bretagne, en Inde, le modèle des comptoirs réorganise au profit de la puissancecoloniale l'économie et le territoire indien et empêche l'émergence d'une industriemécanisée. Dans les grandes villes indiennes qui auraient pu devenir, dans un autrecontexte politique, les centres d'une révolution technologique et industrielle, ainsique dans les villages de la plaine inde-gangétique, les nombreux artisans travaillantpour l'exportation SOnt réduits au chômage et à la misère. Rares sont les hommesd'affaires entreprenants qui parviennent vers cette période à importer quelquesmachines et à se lancer dans l'industrie du jute ou dans celle du coton.

Soumis aux intérêts britanniques, le territoire de l'Inde se trouve profondémentrestructuré en trois grandes régions qui correspondent aux aires d'influence des troisports coloniaux.

1. Le POrt de Karachi, dans l'actuel Pakistan, eSI également construit dans celle période el pour ces mêmes bUIS.

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B - Calcutta, Bombay et Madras: les trois ports coloniauxet leur région

Les liens sont forts entre les caractéristiques économiques, sociales et politiquesdes trois ports coloniaux britanniques et celles des régions qu'ils contrôlent. C'estsurtout au travers des flux de population, des quantités de matières premièresagricoles pour l'industrie et de la structuration des réseaux de communication quel'organisation du territoire indien par le modèle des comptoirs peut être saisi.

Calcutta est alors la plus grande agglomération et étend manifestement soninfluence sur une très vaste région. L'impact direct de sa fonction politique, celle decentre du pouvoir britannique, dès la période de l'installation du Raj au début duXIXe siècle et jusqu'en 1911, ne doit cependant pas être exagéré en matière deconstruction régionale. La capacité de décision politique ne fait ici que renforcer lepoids des activités économiques.

Calcutta se présente alors comme un puissant port exportateur de produitsagricoles variés, en particulier de jute et de thé. Le jute est cultivé sur la quasi­totalité du territoire du futur Pakistan oriental, ainsi que dans la vallée de l'Assam.Le thé pousse sur les versants montagneux, dans le Darjeeling au Nord et dans leshauteurs les plus orientales, à la frontière avec la Birmanie. Etendue vers l'est, larégion de Calcutta s'étend aussi naturellement vers l'ouest grâce à sa situation àl'embouchure du delta du Gange, à l'extrémité donc de l'immense plaine indo­gangétique. Là, au-delà de la production agricole, s'effectue aussi l'extraction ducharbon et d'autres minerais. Ces matières premières seront utilisées dans unepremière phase d'industrialisation qui sera dynamisée par les ruptures des relationsmaritimes au moment des deux guerres mondiales. La région s'étend encore vers lesud, le long du littoral du golfe du Bengale.

Al'époque coloniale, la région de Calcutta correspond ainsi aux terres du deltadu Gange où se situe l'agglomération, à l'ouest et au nord, aux États contemporainsdu Bengale occidental, du Jharkhand, du Bihar, dans une large part de l'UttarPradesh, à l'est ensuite, à l'actuel territoire du Bangladesh et à l'ensemble des petitsÉtats indiens situés au-delà, enfin, au sud, à l'État de l'Orissa.

Bombay, qui est alors la seconde ville du quasi-continent par la taille de seshabitants, exerce également son influence sur une vaste région. Le volume desexportations n'est pas très éloigné de celui du port de Calcutta, grâce à l'importancede la production cotonnière, mais les importations sont ici non négligeables grâce àla demande générée par le dynamisme des marchands du Gujarat et de la région deBombay qui ont en effet réussi à maintenir leurs activités en dépit de la prise depouvoir des Britanniques sur l'économie du pays et parviennent même à développercertaines productions industrielles. Les colons britanniques sont en effet moinsprésents que dans la région de Calcutta. Grâce au faible coût des cotons du sous­continent, les filatures indiennes s'avèrent compétitives et les industriels de Bombays'établissent solidement sur certains marchés extérieurs, dont en particulier lemarché chinois.

Avec en son centre une ville à l'économie moins extravertie que celle deCalcutta, la région de Bombay s'étend sur les territoires de plusieurs États actuels:la totalité du Maharashtra, le Gujarat où la ville d'Ahmedabad sert de relais avec sesmarchands qui se lancent aussi dans la production de cotonnades en s'appuyantencore davantage que ceux de Bombay sur les réseaux financiers ou commerciaux

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précoloniaux, le Rajasthan et une part du Madhya Pradesh, et enfin jusqu'à unefraction des États du Penjab et de l'Uttar Pradesh, bien plus au nord.

Madras enfin, la troisième ville du pays, n'est pas aussi dynamique que les deuxpremiers ports et ne possède pas une région aussi étendue. Les activités marchandes,principalement liées à l'exportation, sont loin d'égaler le niveau atteint à Calcuttaou Bombay. L'industrie y est même moins développée que celle d'Ahmedabad.Travaillant surtout pour l'exportation, quelques industriels, pour la plupartd'origine britannique, se lancent dans la production de cotonnades, mais restent,durant toute la période, très isolés au sein des milieux d'affaires locaux plus inté­ressés par le commerce que par la production. Cette situation a des conséquencessur la région. D'une part, la population qui émigre se révèle bien supérieure à cellequi immigre. Les pays étrangers comme la Birmanie, la Malaisie, Ceylan, sont desdirections fréquentes, mais aussi l'Assam, dans le nord-est du quasi-continent.D'autre part, la région influencée par Madras se limite aux territoires des Étatsactuels du Tamil Nadu, du Karnataka et de l'Andhra Pradesh. Cependant, il semblequ'une partie des territoires de ces deux derniers États reste un peu à l'écart, ainsid'ailleurs que celui du Kerala qui paraît posséder une relative autonomie à partir dela petite cité portuaire de Cochin.

IV - LES CHANGEMENTS DEPUIS L'INDÉPENDANCE

L'Indépendance modifie l'organisation du territoire indien sans remettreradicalement en cause l'existence des grandes divisions introduites par lacolonisation. Le départ des Britanniques sonne le glas du modèle des comptoirstandis que le pouvoir indien met en place une politique visant à réduire lesinégalités régionales. Les changements sont lents, mais 50 ans plus tard, ilsapparaissent significatifs.

A - Une lutte peu concluante contre les inégalités régionales

L'accession de l'Inde à l'indépendance s'accompagne d'un immense espoir etd'un grand optimisme quant aux capacités de développement du pays. Deux raisonspeuvent expliquer ce sentiment. D'une part, en dépit de la création du Pakistan,vécue comme un déchirement par beaucoup de citoyens de la nouvelle Unionindienne, la jeune nation parvient à fédérer l'essentiel des territoires du quasi­continent. Elle conserve la majeure partie du potentiel économique de l'Indebritannique et hérite de la presque totalité de l'infrastructure industrielle. D'autrepart, depuis les années 1930, une élite dirigeante autochtone, issue du mouvementde lutte pour l'Indépendance, est parvenue à investir les rouages de l'État colonial.Au moment du départ des Britanniques, les Indiens sont prêts à prendre en mainl'avenir de leur pays.

La politique dans laquelle le gouvernement indien s'engage dès la fin des années1940 apparaît ainsi parfaitement mûrie. Aux antipodes de la voie prônée par lesmilitants gandhisres, favorables à une économie rurale basée sur l'organisationsociale villageoise et les technologies traditionnelles, Jawaharlal Nehru et son équipefont une priorité au développement industriel, avec l'idée que ce dernier entraîneraun développement de même ordre dans le secteur agricole. Inspirée du modèlesoviétique, la politique consiste à promouvoir une économie mixte dans laquelle les

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investissements dans la production de biens d'équipement, rémunérés à long terme,sont pris en charge par l'État, tandis que les investissements dans la production debiens de consommation sont laissés aux entrepreneurs privés. Outre d'augmenterrapidement le niveau de vie de la population, le but consiste à donner à l'Inde lesconditions de son autonomie par une politique de substitution des importations etun contrôle très strict des investissements étrangers (cf. partie III, chap. 2).

La dimension territoriale de cette politique est très importante. Le gouverne­ment indépendant veut en effet réduire les inégalités régionales, considérées commedommageables pour le développement du pays dans son ensemble. La nationalisa­tion d'une bonne part de l'industrie et la mise en place de différentes lois oumesures permettent à l'État de contrôler les implantations industrielles et le déve­loppement des activités productrices. La constitution de grands complexesproductifs à proximité des aires d'extraction minière apparaît comme une marquede cette politique. Une politique de soutien à la petite industrie, lui réservant parexemple certains types de production, complète ce dispositif, avec pour but, au-delàdu maintien d'emplois souvent peu qualifiés, le développement de groupesd'industries dans des petites villes.

La croissance industrielle de quelques grandes agglomérations urbaineséloignées des métropoles principales est certainement un de ses succès avec l'appari­tion de zones de petites productions dans des banlieues ou des petites villes. Lesdisparités restent toutefois très fortes entre les espaces les plus développés, où tend àse poursuivre la concentration des activités, et les espaces les plus pauvres. Les grosinvestissements productifs, publics ou privés, s'effectuent à l'occasion de longuesnégociations dans lesquelles les politiciens jouent un grand rôle et se concluentsouvent par le triomphe des plus puissants.

Au début des années 1970, l'engagement à réduire les disparités régionales estalors réaffirmé par la définition de districts considérés comme insuffisamment déve­loppés sur le plan économique et social (backward districts), dans lesquels lesimplantations et le développement des activités, publiques ou privées, sontfavorisés. Les incitations incluent des termes favorables de crédit, des réductionsfiscales et des subventions pour couvrir les coûts de transport plus élevés. Là encore,les politiciens exercent leurs pressions et les districts bénéficiaires de ces mesures semultiplient au cours des années jusqu'à représenter au milieu des années 1980 plusdes deux tiers du territoire. Les résultats sont ainsi mitigés, les districts attirant leplus d'investissements étant contigus aux espaces les plus développés.

Le tournant du millénaire apparaît fondamental sur le plan de l'organisationterritoriale de l'Inde. La volonté de rééquilibrage des disparités régionales quiaccompagnait la politique économique de Nehru disparaît. Une à une, les lois etréglementations qui assuraient le contrôle étatique des investissements et desproductions sont supprimées. Les entreprises peuvent désormais s'installer à leur grésur l'ensemble du territoire national et les capitaux étrangers s'investir à la guise desmilieux d'affaires internationaux. Il s'agit là d'une rupture dont il est encore troptôt pour tirer les conséquences et qui pourraient amener un renforcement desdisparités régionales qui restent considérables.

Les cinquante années passées depuis l'Indépendance n'ont en effet pas permisde remettre en cause la division régionale de l'Union indienne héritée de la coloni­sation. Les trois grandes régions correspondant aux grands ports établis par lesBritanniques structurent toujours le territoire. Par contre, Calcutta cède la primauté

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26 PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

à Bombay qui devient la capitale économique de l'Inde; Delhi devient, en partiegrâce à sa fonction de capitale fédérale, le centre d'une région en plein développe­ment dans le nord-ouest du pays, plusieurs métropoles secondaires émergent etjouent un rôle croissant dans la dynamique territoriale.

Si elle conserve pour l'essentiel la structure territoriale mise en place au cours dela période coloniale, l'Inde indépendante connaît d'importants changements dansl'organisation de son espace.

B - La primauté de la région de Bombay

Le premier changement correspond certainement au basculement de la dyna­mique économique vers la partie ouest du pays, correspondant à l'effacement deCalcutta et à la montée en puissance de Bombay et de l'ensemble de sa région. Laville de Calcutta connaît en effet une crise grave dès les premières années del'Indépendance. Le départ des Anglais provoque la fermeture de beaucoupd'activités sous leur contrôle. La création du Pakistan oriental, devenu ensuite leBangladesh, réduit fortement l'influence régionale de la ville avec la rupture quereprésente la coupure des industries des champs de jute qui leur fournissaient lamatière première, la désorganisation des communications ainsi que les transferts depopulation entraînés par la nouvelle organisation géopolitique. Au contraire,Bombay voit son économie beaucoup moins affectée par la partition de l'Empiredes Indes britanniques: ses entrepreneurs se trouvent enfin libres de développer àleur guise leurs activités tandis que, en dépit de la nouvelle politique de substitutionaux importations, le port reste actif et devient même la première place d'échangesdu pays avec l'étranger. C'est en fait l'ensemble de sa région qui bénéficie de lasituation nouvelle avec la dynamisation de villes comme Ahmedabad et Pune(Poona), mais aussi Baroda, et plus tardivement Surar,

C - Le développement de la région de Delhi

Le développement économique de l'Ouest est dû également à la croissance deDelhi et de sa région. Celle-ci est récente. Longtemps délaissée après la disparitionde l'Empire moghol, Delhi paraissait jusqu'à la fin de la décennie 1970 se résignerau rôle de capitale que l'Indépendance avait confirmé. Sa croissance rapide étaitdavantage liée à l'arrivée des personnes déplacées après la partition des Indesanglaises ou à l'installation de très nombreux fonctionnaires qu'à un véritabledynamisme économique. La logique du pouvoir politique et les effets de réussitespectaculaire de la Révolution Verte au Penjab ont toutefois bouleversé cettesituation. Depuis une vingtaine d'années, les entreprises s'installent, particulière­ment les plus grandes, dans le but de bénéficier de la proximité des ministères etautres centres de décision. Mais aussi, la métropole est devenue la tête de pontd'une vaste région en pleine expansion, celle constituée par les États du Penjab et del'Haryana. La véritable guerre civile qui a opposé sikhs et hindous au Penjab n'a eneffet jamais empêché la poursuite du développement. La croissance de la producti­vité agricole et des investissements industriels s'est poursuivie, la collaboration avecdes firmes étrangères étant importante. Delhi s'est ainsi dotée d'une couronne devilles industrielles tandis que se développaient d'autres agglomérations dans larégion. Celle-ci s'étend sur l'État du Penjab, de l'Haryana, sur la partie est del'Uttar Pradesh et le nord du Rajasthan.

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1- Les grandes divisions du territoire indien 27

D - L'émergence de métropoles secondaires

Un autre phénomène important est celui de l'émergence de métropolessecondaires sur l'ensemble du pays. Au tournant du millénaire, aux côtés des troismétropoles portuaires construites par les Anglais et de Delhi, la capitale, neufagglomérations indiennes dépassent les 2 millions d'habitants. Toutes sontlocalisées à l'intérieur des terres.

Dans le nord du pays, Jaipur, Kanpur, Lucknow sont de grandes aggloméra­tions urbaines au caractère très différent. La première symbolise le faste desroyaumes hindous du Rajasthan, le Pays des Rois, et attire aujourd'hui beaucoup detouristes grâce à la splendeur de ses palais de style indo-musulman et celle de sesrues aux façades roses. Tandis que le commerce de pierres précieuses et d'artisanatsd'art reste important, la proximité de Delhi et son statut de capitale de l'État duRajasthan entraînent la ville dans une rapide croissance économique. Au centre dela plaine inde-gangétique, Kanpur se présente ensuite comme une ville essentielle­ment industrielle dont le développement s'est effectué rapidement à l'écart desgrands centres du pays. Lucknow enfin fut d'abord et reste encore aujourd'hui uncentre culturel important de l'Inde musulmane, mais la ville doit aujourd'hui sacroissance avant tout à sa position au cœur de la partie la plus riche de la plaineindo-gangétique et à son statut de capitale d'un très grand État, l'Uttar Pradesh.

Plus au centre du territoire indien se situent trois agglomérations: Ahmedabad,Surat et Nagpur. Ahmedabad est une grande métropole industrielle située sur laroute de Delhi à Bombay. Elle est la seule agglomération non portuaire qui se soitvéritablement développée dès le XIXe siècle en dépit de la politique coloniale.Grand centre textile, lié depuis toujours à Bombay par ses productions et sesentrepreneurs, elle développe et diversifie ses activités dès l'Indépendance pourrester une des grandes villes industrielles du pays. C'est à sa périphérie qu'a étéconstruite la capitale de l'État du Gujarat, Gandhinagar. Surat doit, elle, saréputation à une très vieille tradition de production et de commerce. La ville estaujourd'hui connue par la multiplication des ateliers de taille du diamant. Nagpur,au cœur du pays, est par contre une grosse ville industrielle récemment développée.

Davantage au sud, deux grandes villes émergent. Pune est située non loin deBombay et inscrit sa croissance dans une relation étroite avec la capitale écono­mique du pays. Il s'agit d'une ancienne capitale marathe devenue un centre deservice supérieur. Hyderabad, isolée au centre de la péninsule, partage avec Delhi lestatut d'ancienne grande capitale moghole. Capitale de l'État de l'Andhra Pradesh,la ville s'est depuis fortement développée grâce à une politique étatique d'implanta­tion d'entreprises publiques. Elle est ainsi devenue un centre important deconstruction mécanique, et depuis peu voit le développement d'activités nouvellesliées aux technologies de l'information.

Dans la pointe méridionale du Deccan, la dernière ville indienne de plus de2 millions d'habitants est Bangalore. Il s'agit également d'un ancien centre poli­tique, aujourd'hui capitale de l'État du Karnataka, qui a bénéficié commeHyderabad de l'implantation d'entreprises publiques. Mais dans son cas, cette poli­tique a commencé dès la période coloniale et n'a fait que s'accentuer dans le cadrede l'Inde indépendante. Bangalore est le centre indien des industries de l'armementet se lance aujourd'hui avec succès dans le secteur des hautes technologies.

Avec l'effacement relatif de Calcutta au profit de Bombay, la montée enpuissance de Delhi et l'émergence de grandes métropoles secondaires, l'organisation

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28 PARTIE 1- DES ESPACES ETDES HOMMES

territoriale de l'Union indienne se trouve considérablement modifiée. Quatregrandes régions divisent désormais l'espace national. La région de Bombay neconnaît pas de grands changements. Les villes et territoires qui la composent sontcertainement plus intégrés à la ville centre du fait de la puissance croissante de cettedernière. La région bénéficie aussi grandement de la présence en son cœur de troisgrandes métropoles secondaires, Ahmedabad, Surat et Pune, tandis que Kanpur,Bangalore ou même Hyderabad, situées à sa périphérie, apparaissent comme dessortes de relais économiques permettant d'établir des relations avec des territoiresplus éloignés. Delhi et sa région semblent dépasser en puissance et en extension larégion de Calcutta, grâce au dynamisme des villes du Penjab, de l'Haryana, duNord Rajasthan et de l'Uttar Pradesh. Outre les métropoles bimillionnaires commeJaipur, Kanpur ou Lucknow, de nombreuses grandes villes comme Amritsar,Ludhiana, Chandigarh ou Agra comptent beaucoup, tandis que les agglomérationsindustrielles de Rohrak, Meerut, Ghaziabad et Faridabad constituent une couronnetrès active autour de Delhi. Dans tout cet espace, les campagnes sont par ailleursparticulièrement dynamiques.

v - LA DYNAMIQUE RÉGIONALE AU TEMPS DE LA MONDIALISATION

Progressivement, sans que les principes de l'organisation du territoire del'Union indienne soient bouleversés, les changements prennent place et induisentun nouveau fonctionnement de l'espace. La dynamique régionale de l'Inde estdésormais marquée par l'introduction des politiques libérales et, à travers elles, parl'insertion du pays dans les réseaux tissés à l'échelle globale par le phénomène demondialisation. Les grands secteurs d'activités et les principales infrastructures decommunication jouent un rôle essentiel au sein de ces processus qui conduisent à lamise en place d'axes et d'aires de développement interrégionales et à une intégrationdes territoires aboutissant à l'accentuation des déséquilibres territoriaux.

A - Les signes d'une intégration des territoires

Au tournant du millénaire, l'image est pertinente d'un territoire structuré parquatre grandes régions, organisées autour de quatre grandes métropoles de poids etde dynamisme variables, avec de vastes portions d'espaces marginalisés, périphériesmontagnardes au nord et à l'est et centre du pays éloigné des influences métropoli­taines. Un phénomène nouveau vient cependant perturber ce modèle, sans toutefoisl'amener à disparaître : de puissants processus tendent à lier localités et régions entreelles, tissant des réseaux de plus en plus vastes et organisant des flux de plus en plusdenses et rapides. Une intégration des territoires s'effectue, à l'échelle de l'Unionindienne mais aussi à l'échelle mondiale. Ces processus sont ceux de la globalisa­tion, qui restructurent les territoires, les recomposent en transformant les règleséconomiques de l'accumulation des hommes, des capitaux, des activités, des biens,des informations.

Les Indiens sont toujours plus nombreux à se déplacer: migrations des popula­tions rurales vers les villes, allers et retours quotidiens entre villes et villages pour letravail, voyages d'affaires entre villes plus ou moins lointaines, visites touristiques,séjours à l'étranger, quelle que soit la raison des déplacements, ceux-ci concernentdes populations de plus en plus nombreuses. L'augmentation des lignes d'autobus,

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1- Les grandes divisions du territoire indien 29

la multiplication du nombre d'automobiles, la pression croissante sur le réseau ferré,le développement des lignes aériennes sont autant d'indicateurs de cette situation.Les flux de capitaux sont également en croissance, accompagnés des implantationsindustrielles et de celles des activités de services. La quantité de biens produits necesse d'augmenter ainsi que celui des échanges extérieurs. Les informations circulenttoujours plus rapidement et leur volume est croissant, qu'il s'agisse des lettres et desconversations téléphoniques privées ou professionnelles, ou encore des relationsutilisant les technologies nouvelles.

Perceptible dans les divers rapports publiés régulièrement par les observatoirespublics ou privés de l'économie indienne, la croissance des flux est importante àpartir du début des années 1980 et s'accentue fortement après 1990. Au-delà deschiffres, c'est la vie quotidienne d'un grand nombre d'Indiens qui se trouve forte­ment modifiée. L'introduction des outils de la communication moderne et laconstruction des infrastructures adaptées à leur usage apparaissent comme lesmarques les plus visibles de la nouvelle étape de développement dans laquelle lepays est engagé. Les automobiles envahissent les villes où la circulation devientsouvent très difficile. Les camions se multiplient sur les routes, formant de lentescolonnes. Les trains se modernisent lentement, mais les projets en cours sontnombreux. Les avions se font désormais concurrence, avec la privatisation dutransport aérien. Les téléphones sont toujours rares dans les maisons, mais un grandnombre de petites boutiques, dans tous les quartiers et jusque dans les villages,permettent l'accès à ce service qui fonctionne parfaitement dans l'Inde entièredepuis le début des années 1990, et auquel elles ajoutent souvent le fax et mêmeinternet. Le téléphone portable se développe, rapidement objet d'un grandengouement. Les banques sont depuis peu connectées entre elles. Les entreprisesaméliorent considérablement le fonctionnement des réseaux économiques danslesquels elles sont insérées. Les produits circulent plus facilement sur le territoire,désormais irrigué par des réseaux de communication efficaces.

Le phénomène est certes inégalement réparti sur le territoire et les infra­structures encore largement insuffisantes ou réservées à des couches socialesprivilégiées, mais il a des effets partout. A des degrés divers, ce sont les localités del'Inde dans son ensemble, les métropoles, les villes mais aussi les villages qui setrouvent intégrés par le développement des processus de la mondialisation.

B - Les éléments du processus d'intégration du territoire

Cette mise en relation des localités à l'échelle de l'Inde entière s'effectue à unmoment où l'économie du pays est en plein développement, obéissant par ailleurschaque jour davantage aux règles de la libre concurrence. L'accroissement des flux,la croissance de la production et celle du niveau moyen des revenus sont évidem­ment liés et se renforcent l'un l'autre. Soumis à des forces nouvelles, l'espace indiense trouve engagé dans une profonde dynamique de changement au gré de l'évolu­tion de quelques secteurs essentiels de l'économie indienne et de leur répartition surle territoire. Trois de ces grands secteurs économiques sont liés à la production desbiens: ce sont l'industrie, l'agriculture et l'artisanat. Deux autres correspondent auxdiverses composantes participant à la mise en place d'infrastructures de communi­cation, organisant les relations interrégionales ou les relations de diverses régionsavec l'extérieur.

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30 PARTIE /- DESESPACES ETDESHOMMES

Les quatre grandes régions liées à la puissance des plus grandes métropoles dupays, ainsi que les trois régions caractérisées par leur éloignement des espaces où seconcentrent les populations, les pouvoirs et les richesses, sont en effet désormaisengagées dans un processus rapide de différenciation. Cette dernière obéit à l'évolu­tion de la répartition spatiale des activités et des investissements au sein desdifférents secteurs.

Cinq modèles graphiques représentant le territoire indien sont alors proposés,construits à partir d'une analyse spatiale incorporant statistiques et divers indi­cateurs économiques. Ces modèles illustrent les différences de développement, danschacune des grandes régions de l'Inde, de ces cinq secteurs essentiels dans ladynamique territoriale de l'Inde aujourd'hui.

Dans le modèle représentant la répartition spatiale de l'industrie, ce secteurapparaît particulièrement actif dans les régions de l'Ouest et du Sud organiséesautour des métropoles de Delhi, Mumbai et Chennait. L'industrie est encore active,mais à un moindre degré dans la région de Kolkata. Elle est faible dans la région ducentre, et plus faible encore dans les régions montagneuses du Nord et de l'Est. Larépartition des villes ou celle du secteur des services produiraient un modèle trèsproche de celui-ci.

Le modèle graphique illustrant la répartition spatiale de l'agriculture montre desinégalités régionales très proches des précédentes. Une seule région se différencie,celle de Mumbai dans laquelle le secteur agricole se révèle faible.

Le modèle correspondant au développement de l'artisanat n'est pas, lui nonplus, trop différent. La région du Sud, organisée par Chennai, apparaît la seule oùce secteur est fortement développé. Dans la région de Delhi, l'artisanat se révèleimportant, bien que de moindre ampleur, tout comme dans la région de Kolkata oudans la région du centre. Par contre, dans la région de Mumbai, ce secteur, à ladifférence de l'industrie, n'est que faiblement représenté. Les deux régions monta­gneuses paraissent à nouveau connaître un très faible développement.

Le modèle graphique présentant le développement des infrastructures decommunication interne au pays met l'accent sur la force de la région de Mumbai. Ilindique que les trois autres régions organisées par de grandes métropoles possèdentun bon niveau de développement sur ce plan, qui correspond très largement auxroutes, aux voies ferrées et au trafic aérien national. Comme dans les cas del'industrie et de l'agriculture, les régions du centre et les deux régions montagneusesdu nord et de l'est n'obtiennent que de faibles valeurs.

Enfin, le modèle indiquant le niveau de développement des infrastructures decommunication avec l'extérieur reprend encore une fois l'image du déséquilibreentre les régions de l'ouest et du sud plus développées, celles de Mumbai apparais­sant devant celles de Delhi et de Chennai. La région de Kolkata égale toutefois cesdeux dernières tandis que la région du centre et les deux régions montagneuses sontà l'écart des relations internationales.

1. En 1996. Bombay a été officiellement rebaptisée Mumbai, en 1997. Madras devient Chennai et en 2000.Calcutta devient Kolkara.

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1 - Les grandes divisions du territoire indien 31

Graphique 1 - Répartitions spatiales

Modèle graphique 1:Répartition spatiale de l'industrie

M~le graphique 2 :Rq,artition spatiale del'artisanal

M~le graphique 3 :Répartition spatiale deragriculluIc

M~le graphique 6 : S)'lllhbe

++ Tm forte

+ FOrie

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Tm faibleModèle gIlphique 4 : Rq,artition spatiale M~le graphique 5 : Répartition spatialedes infrastIucluIcs decommunication interne desinfraslIUctuIcs decommunication externe

+ Fortedynamique

- Faibledynamique

© Ph. Cadène, SEDET, 2001.

C - Le développement des nouvelles inégalités régionales

Les cinq modèles graphiques qui illustrent l'inégale répartition des activités desprincipaux secteurs productifs et des infrastructures de communication sur le terri­toire résument la dynamique actuelle de l'organisation du territoire indien. La déessentielle pour la compréhension de cette organisation réside dans la proximité deces différents modèles. Le territoire indien fonctionne en effet sur le principe de lasuperposition: lorsqu'un secteur d'activités est fortement représenté dans unerégion, de grandes chances existent pour que d'autres secteurs soient également trèsdéveloppés dans la même région. La dynamique de développement apparaît ainsicumulative et provoque en conséquence de très fortes inégalités régionales tout enéquilibrant relativement les poids des différentes régions les plus développées.

La région de Mumbai, qui se présente comme la plus puissante sur le planindustriel et sur celui de ses infrastructures de communication, est néanmoins faiblequant à l'agriculture et à l'artisanat. La région de Delhi, grâce à la réussite de laRévolution Verte au Penjab et aux dynamismes des investissements industriels dansles villes périphériques à la capitale indienne, apparaît de plus en plus importante,bénéficiant d'un développement non négligeable des infrastructures de communica­tion. La région du Sud, avec Chennai comme centre mais aussi Bangalore ouHyderabad et quelques autres grandes villes, bénéficie également d'un excellentniveau de développement, bien qu'elle connaisse de très fortes disparités internes.Le dynamisme de Kolkata est réel et les investissements nombreux dans l'espacecontrôlé par cette métropole, cependant cette région ne peut guère rivaliser avec lestrois précédentes. Le massif de l'Himalaya, la région du centre et celle constituée

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32 PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

par les territoires du nord-est sont loin de partager les niveaux de développementque connaissent les régions précédentes. Il s'agit de territoires pauvres, marginalisés,où l'industrie est rare, l'artisanat faiblement présent, l'agriculture peu productive etl'enclavement dommageable à la croissance de l'économie. L'exploitation dutourisme en certains lieux himalayens, les implantations industrielles autour dunouveau port de Visakhapatnam dans l'État de l'Orissa ou la culture du thé dansquelques territoires du Sud-Est ne suffisent pas à constituer des richesses suffisantespour intégrer ces espaces aux dynamiques globales.

Un modèle graphique synthétisant les cinq modèles déjà construits présenteainsi un territoire différencié entre une partie ouest développée, à laquelle estrattachée la pointe sud du Deccan, et un vaste espace comprenant le Nord et l'Estdu pays. En dépit d'un développement se traduisant par une réelle amélioration duniveau de vie d'une large majorité des Indiens, avec l'émergence d'une minoritéfortunée, et par la création d'activités nouvelles sur la quasi-totalité du territoire, lesdisparités au sein de la population restent très fortes tandis que les inégalités inter­régionales paraissent s'accentuer.

L'inégale répartition des activités et des infrastructures sur le territoire sembled'ailleurs conduire à une accentuation des disparités interrégionales avec le dévelop­pement des relations économiques entre les trois grandes régions situées à l'ouest etau sud du pays. La région littorale du centre ouest, axe de développement incluantla puissante métropole de Mumbai concentrant un grand nombre de grandes villestrès dynamiques, tisse, au travers de l'État du Rajasthan, des liens de plus en plusétroits avec la région située immédiatement au nord, centrée sur Delhi et incluant lariche plaine du Penjab. La même région de Mumbai accentue également ses liensavec les diverses localités en développement de la région située au sud du Deccan,qui tire avantage de la diversité des territoires qui la composent.

L'avenir de l'Union indienne au cours des prochaines décennies se joue certai­nement dans l'émergence d'un pareil espace, allant du centre nord au sud du pays,et de sa capacité à poursuivre son développement sans tenir trop éloignées de lacroissance les régions du Nord et de l'Est, tout particulièrement les territoires lesplus pauvres. L'enjeu est essentiel pour l'Inde et son immense population, mais ilest également important pour l'équilibre de l'Asie en son entier alors que lacroissance du Japon est plus lente que dans le passé, que la Chine apparaît de plusen plus comme une grande puissance à l'échelle planétaire et que l'Asie du Sud-Estest plongée dans l'incertitude du fait de graves clivages politiques et économiques.

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1- Les grandes divisions du territoire indien

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DYNAMIQUE DE LA POPULATION

JACQUES VÉRON

Au cours du XXe siècle, l'Inde voit sa population quadrupler. Le gouvernementindien s'est préoccupé, dès le début des années 1950, de la croissance de la popula­tion et a mis alors en place une politique visant à réduire la fécondité; cependant, lerythme de croissance démographique s'est maintenu pendant plusieurs décennies àun niveau supérieur à 2 % par an. Les objectifs des programmes de planificationfamiliale, toujours trop ambitieux, ont dû être fréquemment révisés par les autoritésindiennes.

La transition démographique, tardive dans l'ensemble de son processus, estaujourd'hui largement en cours. La mortalité décline depuis les années 1930. Aprèss'être maintenue stable autour d'une moyenne de 6 enfants par femme, en dépit desprogrammes de limitation des naissances, la fécondité a amorcé une baisse dans lesannées 1970 pour se situer, à la fin des années 1990, à un niveau inférieur à3 enfants par femme (d'après l'enquête NFHS-2).

En 2000, l'Inde franchit le « cap» d'l milliard d'habitants. Une nouvellepolitique de population est alors mise en œuvre ; elle a notamment pour objectifune fécondité assurant le simple remplacement des générations en 2010 et unestabilisation de la population mondiale d'ici une cinquantaine d'années.

1- UNE ACCÉLÉRATION DE LA CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE

A - La population quadruple en 100 ans

De 1901 à 2001, la population de l'Inde s'accroît de 240 millions d'habitants àun peu plus d'l milliard d'habitants: elle quadruple donc en un siècle (tableau 1 etgraphique 2).

Cette multiplication de la population par un facteur 4 en 100 ans ne constitueen soi nullement un record: la population du Mexique, par exemple, est multipliéepar un facteur de 6,5 entre les années 1900 et 1990. Ce qui est singulier, c'est quecette croissance démographique rapide concerne une population déjà nombreuse en1901 : l'Inde comptait alors un nombre d'habitants comparable à la populationactuelle des États-Unis.

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Carte 4 - L'Inde: densité de populationet nombre d'habitants par État en 2001

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LDglol61 ARCIINFO ver.lon 7 .2.1Territoire contrôlé par la Chine et revendiqué par l'Inde

Territo ire du Nord et Azad Cachemire sous contrôle pakistanais

CNRS - SiS - UMR 95114Centra de ecmpëteoee th6 m aUque ·Mo d61I• et len, Anell(M .plltiele. S IG'

Sourae.: rec ltn Mment 2001 - oen.uaof Un Ion Home Mlnll1 ry - Government of IndleSeuros : Base Mondl.e ESRI (DWC) 1993 on eccrdcnnéee géogrephiquM

Réell""o" M.LEGRAND - F.PIROT

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36 PARTIE 1- DESESPACES ETDESHOMMES

Tableau 1 - Croissance de la population indienne

Année Population (millions) Taux de croissance (%)

1901 238,4 0,561911 252,1 -0,031921 251,3 1,051931 279,0 1,341941 318,7 1,261951 361,1 1,981%1 439,2 2,241971 548,2 2,231981 683,3 2,161991 846,3 1,952001 1027,0

Source: Census of Indio. A Handbook of Population Sratistics, et Census oflndia 1981. 1991 et 2001.

Graphique 2 - Croissance de la population indienne(1901-2001)

'200

'000

BOO

600

400

200

1901 1911 1921 1931 1941 1951 1961 11i171 1961 ,Qg, 2001

'"Quatre États -les « BIMARU States» (litt. hindi, « États malades ») (Bihar,

Madhya Pradesh, Rajasthan et Uttar Pradesh) - jouent actuellement un rôleimportant dans la dynamique démographique indienne: en 2001 ils rassemblent àeux seuls plus de 350 millions d'habitants et ce sont des États où la transitiondémographique est moins avancée qu'au sud du pays. Leur potentiel de croissancereste par conséquent très élevé.

D'autres Etats de l'Inde ont un poids démographique très important: leMaharashtra (97 millions d'habitants en 2001), le Bengale occidental (80 millionsd'habitants), l'Andhra Pradesh (76 millions d'habitants), le Tamil Nadu(62 millions d'habitants), le Karnataka (53 millions) et le Gujarat (51 millions).Mais la fécondité est plus faible dans ces États.

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2 - Dynamique de la population

Le casse-tête indien du sixième recensement de la population

[. . .} Jusqu'au 28 ftvrier (2001), 2,4 millions de fonctionnaires, en majorité desenseignants, vont parcourir l'Inde dans tous ses recoins pour tenter d'obtenir d'unepopulation souvent réticente les moindres détails de son existence. Le sixième recensementde l'Inde indépendante a démarré dans ses 5500 villes et 650 000 villages, pour unepopulation qui a dépassé le milliard d'habitants depuis août 1999.

Instauré par le colonisateur britannique en 1871, l'exercice s'est poursuivi, sansinterruption, tous les dix ans. Les vingt-trois questions posées par les agents de recense­ment ont été traduites en plus de seize langues, les agents ont été entraînés à ce travailparticulier et un logiciel a été spécialement développépour le digérer. « Les résultats durecensement ont des effets constitutionnels JJ, commente JK Banthia, le responsablegénéral du recensement, «puisque la Constitution prévoit des quotas de sièges auParlement ftdéral en fonction de la population des États et des emplois publics réservéspour les dalits (<< intouchables ») et les tribaux JJ. Cesdeux dernières catégories, au bas del'échelle sociale indienne, doivent en outre préciser le nom de leur caste ou de leur tribu{...}.

Si les questions sont toujours majoritairement les mêmes, l'évolution de la sociétéimpose quelques ajouts. Dans une Inde qui s'urbanise lentement, le gouvernement veutsavoir combien de temps un salarié metpour se rendre de son lieu de résidence à son lieude travail, et quel moyen de transport il utilise. Tout aussi utile, les bidonvilles qui necessent de se développer autour des grandes cités seront pour la première fois compta­bilisés à part pour qu'enfin les autorités aient une indication de la population qui y vitet dans quelles conditions.

Dans un souci de mieux appréhender les changements de la société, par sexe, dans unpays où leshommes sont plus nombreux que lesfemmes, l'âgeau mariage, de l'homme etnon plus seulement de la femme, a été ajouté au questionnaire. Une des principalesnouvelles questions que les enquêteurs trouvent d'ailleurs difficile à poser est celle de laprésence de personnes handicapées dans lesfamilles. Le recensement distingue cinq sortesde handicaps - visuel, auditif aphasique, moteur et mental. Les sans-logisserontpourleur part comptés la dernière nuit du recensement.

Cet exercice obligatoirepour chaque citoyen a déjà provoqué une violente réaction deseunuques et des prostituées. Les eunuques s'émeuvent d'être obligatoirement compta­bilisésparmi les hommes, alors que les prostituées ne veulent pas être rangées dans lacatégoriedes mendiants. Mais c'est dans les couches lesplus aiséesde la population queles agents rencontrent le plus de difficultés, celles-là craignant une intrusion mal venuede l'État, et donc du fisc. Les informations obtenues lors du recensement sont normale­ment confidentielles et ne peuvent, en aucun cas, être utilisées devant une juridictionquelconque. Soulignant l'importance des informations données, chaque personneinterrogéedoit signer son questionnaire rempli.

Le recensement sera, cette année, entaché par le fait que les opérations entreprisesenavance au Cachemire ont dû être interrompues à cause de la situation politique, maisaussi à cause du récent tremblement de terre au Gujarat. Les régions lesplus atteintespar le séismeontpour l'instant été excluesde l'e;ercice. [. ..}

Françoise Chipaux, Le Monde, 14/2/2001, Extraits.

37

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38 PARTIE 1- DES ESPACES ETDES HOMMES

B - Une croissance annuelle de plus de 2 %pendant plusieurs décennies

La courbe des taux de croissance de la population indienne, au cours de chaquepériode décennale séparant deux recensements, illustre l'accélération de lacroissance qu'a connue l'Inde à partir des années 1920. Entre 1901 et 1911, lacroissance de la population était lente puisqu'elle n'excédait pas 0,6 % par an. Onobserve même une légère diminution du nombre d'habitants entre 1911 et 1921,liée à une remontée de la mortalité due à des famines et à des épidémies dont lagrippe espagnole de 1918-1919.

Le taux de croissance de la population se met ensuite à croître pour atteindre unniveau proche de 2 % par an dans la décennie 1950, puis supérieur à cette valeurjusqu'en 1991. Rappelons qu'avec un taux de croissance annuel de 2 %, unepopulation double en 35 années. Cette accélération de la croissance indienne résulted'une baisse de la mortalité plus rapide que celle de la natalité, conformément auschéma classique de la transition démographique. Au cours de la dernière périodeintercensitaire (1991-2001), le taux de croissance poursuit sa baisse, tout en restantencore très élevé (1,95 %).

La natalité indienne reste forte, puisque le taux de natalité estimé pour l'année1997 est de 270/00, ce qui signifie qu'en Inde, naissent chaque année plus d'unevingtaine de millions d'enfants.

Graphique 3 - Évolution du taux de croissance de la population indienneau cours de chaque période intercensitaire (%)

2,5

1,5

0,5

1901-11 1911-21. 1921·31 1931-41 1941·51 1951-61 1961·71 1971·81 1981-91 1991-2001

-<>.5'---------------------- ....J

P"'lodes Intercenlltalres

La conséquence première du maintien pendant plusieurs décennies d'unecroissance démographique rapide est un très important rajeunissement de lastructure par âge de la population indienne. Du fait de l'inertie démographique,c'est-à-dire de l'élan que prend une population lorsque sa natalité reste forte sur uneassez longue période, la population indienne continuera de croître fortement, même

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2 - Dynamique de la population 39

si la fécondité se réduit dans l'avenir de manière très significative. En effet, unestructure par âge jeune génère mécaniquement un fort potentiel d'accroissementdémographique. Même si chaque Indienne ne mettait, du jour au lendemain, plusau monde qu'une moyenne d'environ 2 enfants, comme les femmes en âge d'avoirdes enfants sont nombreuses, la natalité resterait forte et la croissance sepoursuivrait encore pendant plusieurs décennies. La distinction entre « fécondité»(nombre d'enfants par femme) et « natalité» (nombre de naissances 'rapporté à lapopulation totale) est essentielle dès lors que l'on raisonne en termes de dynamiquedémographique, car l'évolution de la natalité combine celles de la fécondité et de lastructure par âge de la population.

II-LA POLITIQUE DE POPULATION: UN OBJECTIF DE STABILISATION

A - Dès les années 1950, la prise de conscienced'un « problème de population»

Au cours de la décennie 1940, le taux de croissance démographique de l'Indeest inférieur à 1,3 %. Cependant, dès le début des années 1950, le gouvernementindien s'inquiète de la croissance de la population. En avril 1950 il décide de mettreen place un Comité chargé de s'attaquer au « problème démographique» du pays.

Un premier plan quinquennal, présenté au Parlement en décembre 1952,prévoit un programme de limitation des naissances et de contrôle de la population.L'objectif explicite est celui d'une stabilisation de la population du pays, à unniveau conforme aux besoins de l'économie.

De 1950 à 2000, les orientations, les objectifs et les moyens de la politique depopulation indienne varient fortement (tableau 2). Dans un premier temps, lesautorités indiennes postulent l'existence d'une demande de contraceptioninsatisfaite: il devait, considéraient-elles, suffire de mettre à la disposition descouples des moyens contraceptifs pour que la fécondité se mette à baisser. Pourtant,dans les années 1950, non seulement la population continue de croître, mais lacroissance s'accélère même. Le gouvernement amende sa politique et s'efforce, dansla décennie 1960, de promouvoir la norme de la famille réduite et les programmesde planification familiale sont intégrés au programme indien de santé publique. Desefforts sont ensuite menés pour promouvoir la planification familiale et populariserla pilule; l'avortement est libéralisé en 1972. Mais les résultats escomptés sont loind'être atteints.

En 1975, le gouvernement d'Indira Gandhi instaure l'état d'urgence l et entendprendre des mesures draconiennes pour limiter la croissance de la population. Il estainsi prévu que la stérilisation devienne obligatoire pour les couples ayant déjà3 enfants. Dans l'État du Maharashtra, une loi sur la famille précise les conditionsexactes d'application de la loi sur la stérilisation obligatoire: un couple de 3 enfants- sauf si tous les enfants sont du même sexe - doit se faire stériliser; une femmeenceinte de son quatrième enfant au moment de l'entrée en vigueur de la loi doit se

1. En cas d'agression extérieure ou de troubles intérieurs, le Président de la République avec l'accord duParlement peut proclamer l'état d'urgence, qui suspend le fonctionnement démocratique (processus électoral,contrôle de l'action politique par la justice, liberté d'expression et de la presse), L'état d'urgence désigne le régimeautoritaire de 22 mois imposé par le Premier Ministre Indira Gandhi de 1975 à 1977,

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40 PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

faire avorter, etc. Mais la chute du gouvernement d'Indira Gandhi en 1977 marquel'abandon de cette approche coercitive de la planification familiale.

Tableau 2 - Évolution de la politique de population indienne

Plans quinquennaux Objectifs et moyens de la planification familiale

i« Plan (1951-1956) Demande de contraception supposée exister. Accent mis sur l'ouverturede cliniques offrant des services de planification familiale.

2e Plan (1956-1961) Même stratégie qu'au cours du plan précédent. Extension des servicesde planification familiale mis en place dans les cliniques.

3e Plan (1961-1966) Promotion de la norme des familles réduites. Accent mis surl'éducation. Introduction du stérilet en 1965. Choix de la méthodecontraceptive laissé à l'utilisateur.

Période transitoire, Intégration complète de la planification familiale au programme indienentre deux plans de santé publique.(1966-1969)

4e Plan (1969-1974) Promotion de la planification familiale, par le canal de l'éducation etdes médias. Popularisation de la pilule. Fourniture gratuite de

1 préservatifs. Libéralisation de l'avortement.

5e Plan (1974-1979) Intensification des programmes de planification familiale, compte tenude leur succès limité. Discours sur la nécessité d'une Cl attaque frontaledes problèmes de population »,

État d'urgence en 1975 et volonté d'accroître l'efficacité de laplanification familiale (préparation d'une loi interdisant aux couplesd'avoir plus de 3 enfants).Défaite du parti du Congrès 1 en 1977. Programme de Cl planificationfamiliale» lfamily planniny) rebaptisé programme de Cl bien-être fami-liai» lfamily welfare). Accent mis sur la sensibilisation et l'éducation.Promotion de toutes les méthodes de planification familiale. Élévationde l'âge au mariage à 18 ans pour les filles et 21 ans pour les garçons.

6e Plan (1980-1985) Objectif de réduction de la fécondité à 2,3 enfants par femme en 2001.

7e Plan (1985-1990) Objectif d'un taux net de remplacement de 1 entre 2006 et 2011.Incitation à utiliser des méthodes d'espacement des naissances.

Plans annuels 1990-1991

8e Plan (1992-1997) Évolution d'une planification centralisée vers une' planification indica-rive, Accent mis sur l'information, l'éducation et la communication.

ge Plan (1997-2002) Introduction du programme de santé de la reproduction. Objectifd'accroissement de la qualité et de la couverture des services de santé.Nouvelle politique de population en 2000.Objectif immédiat de satisfaction des besoins en contraception, dedéveloppement des infrastructures de soins de santé, etc.Objectifà moyen terme d'une fécondité au niveau du remplacement desgénérations en 2010.Objectif à long terme de stabilisation de la population en 2045, à unniveau compatible avec les exigences du développement durable.

B - Bien-être familial et santé de la reproduction

Au lendemain de l'état d'urgence, la méfiance et même l'hostilité à l'égard detout programme susceptible d'aller contre la volonté des couples conduisent lenouveau gouvernement à rebaptiser le programme de « planification familiale»lfamily planning) programme de « bien-être familial» lfamily welfare). Il s'agit de

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2 - Dynamique de la population 41

marquer une rupture avec les errements du deuxième gouvernement d'IndiraGandhi.

Il n'est donc plus question de contraindre mais seulement d'informer. Lapolitique de population des années 1970 a souffert des campagnes excessives enfaveur des stérilisations : à Ernakulam, au Kerala, où fut installé un camp massif destérilisation, 63 000 interventions furent réalisées au cours du seul mois de juillet1971. En réaction, le gouvernement succédant à celui d'Indira Gandhi entendpromouvoir toutes les méthodes de limitation des naissances et particulièrement lesméthodes contraceptives réversibles.

Ala suite de la Conférence du Caire de 1994, les autorités indiennes modifientà nouveau les orientations de la politique de population: un programme de santéde la reproduction est introduit à l'occasion du ge Plan (1997-2002). La politiquene vise plus seulement la planification familiale mais entend aussi se préoccuper del'état de santé des femmes et des droits en matière de reproduction.

En 2000, le passage par la population indienne de la « barre» d' 1 milliardd'habitants conduit à redéfinir une nouvelle fois les objectifs de la politique depopulation: dans l'immédiat, il s'agit de satisfaire les besoins contraceptifs de lapopulation; à moyen terme - vers 2010 -l'objectif est celui d'une baisse de lafécondité jusqu'au niveau du remplacement et à long terme - vers 2045 - c'est lastabilisation de la population indienne qui est visée.

III - UNE TRANSITION DÉMOGRAPHIQUE BIEN EN COURS

A - Mortalité et natalité en baisse

Les progrès dans la lutte contre la mortalité au cours du XXe siècle sont bienréels puisque l'espérance de vie à la naissance s'élève de moins de 23 ans en 1911 à57 ans en 1991. L'espérance de vie à la naissance est estimée être de 62 ans pour leshommes et de 63 ans pour les femmes dans les années 1996-2001 (tableau 3).

Tableau 3 - Évolution de la mortalité en Inde

Années Espérance de vie à la naissance Mortalité infantile(années) (%0)

1911 22,9 222

1921 20,0 212

1931 26,8 176

1941 31,8 168

1951 32,1 148

1%1 41,3 139

1971 45,6 129

1981 50,5 129

1991 57,3 %19%-2001* 62,4 (hommes) 72**

63,4 (femmes)

* Estimation.*!< Année 1996.Source: Census oflndia, cité par K. Srinivasan, NFHS et Family We/(are Programme in India, Yearbook 1997-1998.

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42 PARTIE 1- DES ESPACES ET DES HOMMES

Carte 5 - L'Inde : mortalité infantileen 1995

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CNRS - SIS - UMR a684Centre de oomlMttenoe th'mat lque ' Mo d61lut io n, Analv-e ap.t iale. SIG'

Souraea,: lndle : Th. Roed ta hum., Development.lndla Develop ment Forum, Parl.lg97,UNDP Document. of Uni1ed N.-t lons Development Prcgrarnme. N.w Delh iSource: Be. Mondiale ESRI (D'NC11993 en coordonrwH. géographique.

R601iaotion M. LEGRAND- F.PIRDT

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2 - Dynamique de la population 43

Malgré une forte baisse au cours du )(Xe siècle, la mortalité infantile(proportion parmi 1 000 enfants nés vivants de ceux qui décèdent avant leurpremier anniversaire) reste encore élevée: 96 %0 en 1991 et 72 %0en 1996. Il s'agittoutefois d'une valeur moyenne, à l'échelle du pays dans son ensemble, qui masquedes contrastes géographiques extrêmes dans l'intensité de la mortalité infantile.Ainsi, en 1997, le taux de mortalité varierait de 12 %0 au Kerala à 96 %0 en Orissa.Il faut toutefois noter que ce taux du Kerala, exceptionnellement bas, est trèsvraisemblablement sous-estimé. Mais même si ce taux est corrigé, la mortalitéinfantile n'en demeure pas moins trois plus élevée en Orissa qu'au Kerala.

Alors que la baisse de la mortalité est ancienne, la natalité et surtout la féconditéne baissent véritablement que bien plus tardivement. Ceci est, comme on l'a dit,conforme au schéma de la transition démographique selon lequel la baisse de lamortalité précède toujours la baisse de la natalité. Il en serait notamment ainsi parceque les couples mettent un certain temps à percevoir la baisse de la mortalité etdonc une plus forte survie des enfants; ils n'ajustent alors leurs comportements defécondité qu'avec retard.

Restée longtemps stable à un niveau un peu inférieur à 6 enfants par femme, àl'exception de la période 1951-1961 où elle est un peu plus élevée, la féconditécommence à baisser dans les années 1970 (tableau 4). Au début de la décennie1990, d'après l'enquête NFHSl, l'indice synthétique de fécondité de l'Inde se situe,avec une valeur moyenne de 3,4 enfants par femme, légèrement au-dessus de lamoyenne mondiale. Selon l'enquête NFHS-2, la fécondité indienne serait, en 1996­1998, de 2,85 enfants par femme; il semblerait toutefois qu'il y ait eu sous­estimation de la fécondité dans certains États.

B - Un calendrier de la fécondité très rajeuni

Pour apprécier l'évolution de la fécondité, en particulier par âge, on dispose endehors des résultats des enquêtes NFHS de données annuelles produites par leSample Registration Systems (SRS). Les données produites par le SRS à la fin de ladécennie 1990 sembleraient indiquer que la fécondité indienne est plus élevée quene le laisse supposer les chiffres de l'enquête NFHS-2. Le SRS donne pour l'année1997 un nombre d'enfants par femme de 3,32. Au-delà de l'âge de 20 ans, lafécondité par âge estimée par le SRS est plus élevée que celle estimée par l'enquêteNFHS-2.

Entre 1970 et la fin des années 1990, le nombre moyen d'enfants par femmediminue donc de moitié; dans le même temps le profil par âge de la fécondité setransforme profondément (graphique 4).

1. Sur le modèle des. Enquêtes démographiques et de santé ", conduites dans un grand nombre de pays endéveloppement, l'Inde a conduit, dans la décennie 1990, deux enquêtes à l'échelle du pays dans son ensemble, dites• National Family and Healrh Survey s : NFHS en 1992-1993 et NFHS-2 en 1998-1999. Réalisées auprès d'unéchantillon de 90 000 femmes mariées dans tous les États de l'Inde, ces enquêtes initiées par le ministère de la Santéet de la Famille renseignent sur la fécondité, la nuptialité, les pratiques de contraception, la nutrition des enfants etleur santé, la rnorraliré infantile. Laseconde enquête a introduit de nouveaux et importants sujers tels que la nutririonde la femme er la violence domestique.

2. Le Sample Registration System (SRS) a été mis en place pour pallier l'absence de système fiable d'enregistre­ment des données d'état civil. Il se fonde sur une double collecte de données, par dénombrement direct et enquête.

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44 PARTIE 1- DES ESPACES ETDES HOMMES

La fécondité diminue à 15-19 ans en raison d'une entrée en union plus tardive,et également à 20-24 ans, mais les changements importants se concentrent sur ladeuxième partie de la vie féconde. A partir des âges de 25-29 ans, les taux defécondité diminuent fortement entre le début des années 1970 et la fin des années1990. Les courbes de fécondité selon l'âge des années 1997 et 1996-1998présentent une courbure radicalement différente de celle du début des années 1970.Ce changement d'allure de la courbe de fécondité, qui, de convexe vers le haut,devient concave, prouve l'existence d'une forte pratique contraceptive, particuliè­rement au-delà de l'âge de 30 ans. On peut noter, comme conséquence de cetteattitude vis-à-vis de la constitution de la famille, un rajeunissement du calendrier dela fécondité: les femmes n'attendent guère plus qu'auparavant pour avoir leursenfants mais tendent à en avoir de moins en moins au-delà de 30 ans. Les famillessont par conséquent constituées plus précocement.

Tableau 4 - Évolution de la fécondité en Inde

Années Indicateur conjoncturel de fécondité(nombre moyen d'enfants par femme)

1881-1891 5,81891-1901 5,71901-1911 5,71911-1921 5,71921-1931 5,81931-1941 5,91941-1951 5,91951-1%1 6,11961-1971 5,91971 5,21981 4,51991* 3,61991** 3,41996-1998** 2,851997* 3,32

* Sample registration System (SRS).**National Fami/y Health Survey : NFHS (1992-1993) et NFHS-2 (1998-1999).Source: données citées par K. Srinlvasan, d'après les chiffres de Mari Bhat et du Sample Registration System(SRS).

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2 - Dynamique de la population 45

Graphique 4 - Taux de fécondité par âged'après les enquêtes NFHS et NFHS-2 et les statistiques du SRS

(nombre d'enfants pour 1 000 femmes, à chaque âge)300

-SRS 1970-72••... SRS 1997

- - - NFHS1996·98

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250

15-19 ans 20-24 ans 25·29 ans 30·34 ana 35·39 ans

Groupe d'Iges

40-44 ans 45-49 ans

IV - LA STÉRILISATION, MODE PRIVILÉGIÉ DE RÉGULATION DES NAISSANCES

A - Une contraception essentiellement d'arrêt

La pratique de la contraception s'est singulièrement développée en Inde, aucours de 30 dernières années (graphique 5) : le taux de prévalence contraceptive(proportion des couples en âge de reproduction ayant recours à une méthodecontraceptive quelle qu'elle soit) a progressé entre 1970-1971 et la fin des années1990, de 10 % à près de 50 %. Non seulement la moitié environ des couples en âgede reproduction utilisent une méthode contraceptive mais c'est pour l'essentiel uneméthode dite moderne (43 % des couples déclarent utiliser une telle méthoded'après l'enquête NFHS-2), Pilule, stérilet et préservatif sont en fait peu utilisés parles couples pour planifier leur famille. La régulation des naissances s'effectue essen­tiellement par la stérilisation. Bien que le gouvernement indien ait tenté à plusieursreprises de favoriser l'utilisation de méthodes contraceptives réversibles (notammentle stérilet), en mettant notamment l'accent sur l'espacement des naissances, lescomportements des couples ont peu changé, même si on constate depuis quelquesannées une place un peu plus importante des méthodes de régulation des naissancesautres que la stérilisation.

La dernière enquête NFHS-2, qui date de 1998-1999, confirme bien la placeprépondérante de la stérilisation dans le dispositif de régulation des naissances:82 % des couples dont l'un des membres s'est fait stériliser déclarent n'avoir utiliséaucune autre méthode contraceptive auparavant. Quant aux couples qui nerecourraient à aucune méthode contraceptive au moment de l'enquête, ilsdéclaraient, pour 65 % d'entre eux, que leur méthode préférée pour l'avenir était lastérilisation, essentiellement la stérilisation féminine.

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Proportion de couples"protégés" par une

stérilisation

46 PARTIE 1- DES ESPACES ET DES HOMMES

Graphique 5 - Taux de prévalence contraceptiveet proportion de couples « protégés» par une stérilisation (%)

50.0

45,0

40,0

35,0

30,0

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Années

B - Des stérilisations hier masculines, aujourd'hui féminines

Très tôt, les autorités indiennes ont mis l'accent sur la stérilisation commemoyen de limiter la taille des familles. Cette méthode présente l'avantage d'êtredéfinitive, même s'il y a une certaine réversibilité.

Dans un premier temps, les mesures adoptées par le gouvernement indienconcernent essentiellement la stérilisation masculine ou vasectomie. Des servicessont mis en place dans certains États avec un système d'incitations pour encouragerles hommes à se faire stériliser. Il est prévu notamment une compensation salarialepour ceux qui ont dû s'absenter de leur travail pour subir une vasectomie. Il existeaussi des mesures financières concernant la personne facilitant une stérilisation(motivator) et le médecin qui la pratique.

De l'ordre de 7 000 en 1956, le nombre annuel de stérilisations progresse pourexcéder 3 millions dans l'année fiscale 1972-1973. Près de 84 % des stérilisationssont alors des vasectomies.

Au-delà des fluctuations des années 1970 -le nombre annuel de stérilisationsest inférieur à 1 million en 1973-1974 et supérieur à 8 millions en 1976-1977 -latendance qui se manifeste très rapidement après la fin de l'état d'urgence est celled'une reprise du nombre des stérilisations jusqu'à une stabilisation de la valeurannuelle autour de 4 millions. Le phénomène majeur est alors la féminisation desstérilisations pratiquées: au cours de l'année fiscale 1996-1997, sur100 stérilisations réalisées plus de 98 sont des tubectomies.

Le comportement reproductif peut se décrire ainsi: un couple se forme parmariage. Aucune forme de contraception n'est pratiquée jusqu'à ce que le nombred'enfants que le couple désire soit atteint. Lorsque la taille souhaitée de la famille estatteinte, la femme se fait stériliser. L'intervention peur, par exemple, avoir lieu justeaprès l'accouchement du premier enfant.

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La distribution de terre

'1)

1. Raju possédait assez de terres cultivables.

2. Un jour, son fils ainé demanda son lor. " Je veuxlabourer moi -même ma terre »,

3. Raju lui donna son lot de terre .

Raju had a bigfamlIy flahall SIXsons.UlI!màwasdlvidèdInlD'IX smaII pleca. FlolWt? Smallandlilt1e incarne.

4. Alor s un autredonna son lor.

demanda son lor. Raju lui

5. Raju avait une ~rande famille. li avait 6 fils.Finalement sa terre fut divisée en six petites portions.Résultat ? Petites portions, maigre revenu.

7. Si seulement je n'avais qu'un ou deux enfants. Celam'aurait permis d'avoir assez de terre et d'argent pourme rendre heur eux.8. Je vais maintenant conseiller à mes fils de ne pasrefaire la même erreur que moi .

6. Raju dit à son ami : je suis devenu trop pauvr e, jene peux même pas acheter des médicaments pour mafemme mal ade.

9. Oui papa, nous devons avoir de petites famille s.C'est dans narre int érêt . La planification fam iliale estla seule solution.

Publicité du Ministère de Id Santéet du Bien-être fam ilial 1994.

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48 PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

De manière incidente, il est intéressant de s'interroger sur la signification decette pratique en termes de statut des femmes: la stérilisation féminine paraîtsimultanément être l'expression d'une liberté individuelle et traduire une contraintenouvelle, plus ou moins intériorisée par les femmes.

Les constats faits à l'échelle de l'Inde entière méritent d'être complétés par uneanalyse des disparités socioculturelles et géographiques, particulièrement marquées.

Graphique 6 - Proportion de stérilisations fémininesdans l'ensemble des stérilisations annuelles (%)

UlQIc'2'E'QI­UlCo

:;:::;ca ......Ul~,_ 0s s-......UlQI

"Co:eoc..e.c..

100,00

90,00

80,00

70,00

60,00

50,00

40,00

30,00

20,00

10,00

0,00

####~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~$~~$~~~~~~~~~

Années

v- D'AMPLES CONTRASTES SOCIOCULTURELS ET GÉOGRAPHIQUES

A - Une forte diversité à l'échelle de l'Inde entière

L'Inde connaît une forte diversité culturelle, sociale, économique, etc.L'urbanisation, l'instruction des femmes et la religion sont ainsi trois variablesmajeures lorsque l'on cherche à comprendre les comportements démographiques.La mortalité infantile est, par exemple, plus faible en ville qu'à la campagne. Elle« dépend» aussi du niveau d'instruction des femmes: elle est ainsi plus élevéelorsqu'une mère est analphabète que dans le cas où elle a poursuivi de longuesétudes. La mortalité varie aussi selon la religion de la mère: chez les hindoues lamortalité infantile est plus élevée que chez les musulmanes et la mortalité infantilelorsque la mère est musulmane est elle-même plus élevée que lorsque la mère est dereligion chrétienne, etc. (tableau 5).

Ces variables sont aussi discriminantes pour la fécondité: la fécondité rurale estsupérieure à la fécondité urbaine. Plus une femme est instruite, moins elle met aumonde d'enfants. La fécondité varie aussi de manière importante en fonction de lareligion des femmes.

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2 - Dynamique de la population

Tableau 5 - Mortalité infantile et féconditéselon diverses caractéristiques des femmes

49

Mortalité infantile Fécondité(décès d'enfants de moins d'l an (nombre d'enfantspour 1 000 naissances vivantes) par femmes)

Degré d'urbanisation

Rural 79,7 2,27

Urbain 49,2 3,07

Instruction des mères

Analphabètes 86,5 3,47Niveau inférieur 58,5 2,64

1

à « middleschool complete»Niveau « middle school complete» 48,1 2,26

Niveau « High school complete 32,8 1,99and aboue

Religion

hindoue 77,1 2,78

musulmane 58,8 3,59chrétienne 49,2 2,44

silffie 53,3 2,26jaïne 46,7 1,90

bouddhiste / néo-bouddhiste 53,6 2,13

Source: NFHS-2.

A cette forte diversité, que révèle la prise en compte du mode d'habitat, duniveau d'instruction et de religion s'ajoute, ou plutôt se combine, une autre, denature géographique, que l'analyse des données par État permet de mettre enévidence.

B - Une forte diversité régionale

L'examen des valeurs de la mortalité infantile, de la fécondité et de la pratiquecontraceptive pour chaque État suffit à montrer l'ampleur, en Inde, des contrastesrégionaux (tableau 6).

La fécondité des femmes est ainsi inférieure à 2 enfants à Goa et au Kerala, alorsqu'elle est toujours proche de 4 enfants en Uttar Pradesh et supérieure à 4,5 enfantsau Meghalaya, dans le Nord-Est de l'Inde.

Si la fécondité dépend du mode d'habitat des populations, de leur niveaud'instruction et de leur religion, peut-on expliquer les disparités géographiques pardes compositions socioculturelles différentes? En d'autres termes, la fécondité est­elle plus élevée dans un État que dans un autre parce que les ruraux y sont relative­ment plus nombreux, parce que cet État est majoritairement musulman ou parceque les niveaux d'instruction des femmes y sont très bas?

Les différences dans les niveaux d'urbanisation, d'éducation ou de compositionreligieuse des États n'expliquent qu'en partie les différentiels géographiques demortalité ou de fécondité. L'analyse menée par K. Srinivasan, à partir de donnéesde la fin des années 1980, fait apparaître, à l'échelle des États de l'Inde, une fortecorrélation entre fécondité et taux d'alphabétisation des femmes de même qu'entrefécondité et urbanisation. Cette corrélation ne traduit pas pour autant une

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50 PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

détermination absolue. Ainsi, la fécondité du Kerala est particulièrement basse alorsque le taux d'urbanisation de cet État est faible (26 %). Notons cependant que ladensité moyenne de la population est, au Kerala, une des plus élevées de l'Inde, cequi joue un rôle particulier dans la perception que la population peut avoir deseffets d'une forte croissance démographique.

Les différences de niveau d'instruction ne coïncident par ailleurs pas avec desdifférences de degré d'urbanisation ou de religion. Ainsi, au début de la décennie1990, les Indiennes qui sont analphabètes ont en moyenne 4 enfants (NFHS).Toutefois, leur fécondité atteint le chiffre de 5 enfants lorsqu'elles sont musul­manes. Leur fécondité est un peu inférieure à 4 enfants lorsqu'elles sont hindoues,elle se situe autour de 3,3-3,4 enfants en moyenne quand elles sont chrétiennes ousikhes. Quant aux femmes dont le niveau d'instruction est élevé, elles ont unefécondité moyenne de l'ordre de 2,1 mais elle mettent au monde 3 enfants quandelles sont musulmanes tandis que la fécondité la plus basse de la catégorie Il femmesles plus instruites» est, avec une valeur de 1,7 enfant, celle des sikhes.

Tableau 6 - Mortalité infantile, fécondité et pratique contraceptivedans les différents États de l'Inde (1996-1998)

États Taux de mortalité Nombre moyen Taux de prévalenceinfantile (%0) d'enfants par femme contraceptive" (%)

Inde entière 67,6 2,85 48,2Andhra Pradesh 65,8 2,25 59,6Arunachal Pradesh 63,1 2,52 35,4Assam 69,5 2,31 43,3Bengale occidental 48,7 2,29 66,6Bihar 72,9 3,49 24,5Delhi 46,8 2,40 63,8Goa 36,7 1,77 47,5Gujarat 62,6 2,72 59,0Haryana 56,8 2,88 62,4Himachal Pradesh 34,4 2,14 67,7Jammu 65,0 2,71 49,1Karnataka 51,5 2,13 58,3Kerala 16,3 1,96 63,7Madhya Pradesh 86,1 3,31 44,3Maharashtra 43,7 2,52 60,9Manipur 37,0· 3,04 38,7Meghalaya 89,0 4,57 20,2Mizoram 37,0 2,89 57,7Nagaland 42,1 3,77 30,3Orissa 81,0 2,46 46,8Penjab 57,1 2,21 66,7Rajasthan 80,4 3,78 40,3Tamil Nadu 48,2 2,19 52,1Uttar Pradesh 86,7 3,99 28,1

* Proportion parmi les couples en âge de reproduction de ceux qui utilisent une méthode contraceptive.Source: NFHS-2.

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2 - Dynamique de la population 51

Il n'est donc pas possible de trouver des déterminants simples de la mortalité oude la fécondité. Les différentes catégories considérées précédemment n'ont pas lamême signification dans tous les États. Être par exemple musulman dans un Étatoù les hindous sont majoritaires, c'est différent d'être musulman dans un Étatmajoritairement musulman.

Mode d'habitat, urbain ou rural, niveau d'instruction des femmes, niveau devie, et dans une certaine mesure religion sont liés, mais de manière complexe etvariable selon le contexte local ou régional. Si, par exemple, à l'échelle de l'Indeentière, la religion peut être considérée comme une variable explicative des compor­tements reproductifs, ce n'est plus vrai à une autre échelle. La première enquêteNFHS montre, par exemple, que la fécondité des musulmanes varie, en 1990-1992,du simple au double - de moins de 2,5 à plus de 5 enfants par femme - selonque les femmes se revendiquant de l'islam habitent au Tamil Nadu où la féconditéest basse, ou en Uttar Pradesh où la fécondité est encore élevée (tableau 7). Il en estde même pour la religion hindoue: la fécondité des hindoues est de 1,7 enfants parfemme au Tamil Nadu et de 4,75 dans l'Uttar Pradesh, en 1990-1992.

Des analyses de corrélation ne suffisent pas à rendre compte des interactionsentre caractéristiques individuelles et contexte social et/ou environnemental. Lespolitiques de population jouent aussi un rôle très variable selon les États. Unemodification du modèle familial, et par là même une baisse de la fécondité, estcertes encouragée et permise par une politique de population (campagne de sensibi­lisation, offre de moyens contraceptifs, etc.) mais à condition seulement que lecontexte économique et social dans lequel vivent les populations change (meilleureinstruction des femmes, développement des emplois urbains, etc.).

Tableau 7 - Fécondité et religionpour les États « Bimaru » et les États du Sud de l'Inde (1990-1992)

Religion musulmane hindoue autre

État

Uttar Pradesh 5,28 4,75 3,39Bihar 5,19 3,78 3,39

1

Madhya Pradesh 4,18 3,92 2,55Rajasthan 4,01 3,66 3,36Andhra Pradesh 2,89 2,59 1,71Karnataka 3,91 2,73 2,25Tamil Nadu 2,48 2,46 2,7Kerala 2,97 1,66 1,78

Source: NFHS.

L'Inde et la Chine, avec plus de 2 milliards d'habitants à elles deux, pèsentlourdement sur l'avenir démographique du monde. Par sa politique de l'enfantunique, la Chine a réussi à réduire de manière spectaculaire sa fécondité. Hormisl'épisode de l'état d'urgence, l'Inde a choisi de mettre en place des politiques depopulation moins coercitives que la Chine, des politiques qui respectent, enprincipe du moins, la liberté des couples. Les programmes mis en place n'ont paspermis aux autorités indiennes de stabiliser la population comme elles lesouhaitaient, pour au moins deux raisons: une forte inertie démographique, unedemande contraceptive des couples limitée.

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52 PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

L'exemple des États du Sud de l'Inde montre que le développement est unecondition de la baisse de la fécondité; il en est en réalité à la fois une cause et uneconséquence. Accroître l'offre de moyens contraceptifs ne provoque aucune baissede la fécondité si les couples restent peu instruits ou continuent de vivre dans dessituations proches de la misère. Mais, lorsqu'une amélioration des conditions de viese dessine, les comportements reproductifs se mettent à changer. Le Keralaparaissait naguère encore une exception. Aujourd'hui les États du Sud de l'Inde secaractérisent avant tout par leurs convergences. Les nouveaux comportements sediffusent sur une base socio-économique et spatiale.

Il n'en reste pas moins que des États importants du point de vue démo­graphique tels que l'Uttar Pradesh ou le Bihar conservent un potentiel de croissancetrès élevé en raison d'une transition démographique jusqu'à récemment encorehésitante. Deux questions peuvent être posées: y aura-t-il convergence des modèlesde fécondité à l'échelle de l'Inde entière, et, dans l'affirmative, à quel horizon?

En 2000, le gouvernement indien a inscrit dans sa nouvelle politique démogra­phique l'objectif d'une stabilisation de la population d'ici une cinquantained'années. Les Nations unies, dans la révision 2000 de leurs perspectives,« prévoient », dans leur variante moyenne, que l'Inde comptera en 2050 plus de1,5 milliard d'habitants et sera alors, par sa population, le premier pays du monde.

La diaspora indienne - A. MOHAMMAD-ARIF

L 'histoire de la diaspora indienne remonte à quelque 2500 ans, lorsque desmissionnaires se rendentenAsie centrale et orientale afin d'ypropager les enseignementsde Bouddha. Ils sont suivispar des marchands qui voyagent en Asie orientale et en Asiedu Sud-Estety développent un commerce maritimeprospère à partir du VIe siècle. Desanciennes dynasties du sud de l'Inde établissent un pouvoir impérialdans certains paysd'Asie du Sud-Est (Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Cambodge). Dès le IIe siècle denotreère, des marchands indiens voyagent également enAfrique.

Mais c'est sous l'Empirebritanniqueque démarre l'émigration indiennede masse.

Celle-ci plonge ses racines dans l'abolition de l'esclavage (J833) qui a pour effetdeprovoquer un manque sévère de main-d'œuvredans les colonies deplantation. Face à lacrise, les Britanniques voientdans les Indiens une solutionde remplacement desesclavesnoirs. Ils sont envoyés comme travailleurs sous contrat (indemure labourers) dans lescolonies britanniques d'abord (Guyane, Trinidad et Tobago, Jamaïque.. .), puis dansles colonies françaises (Réunion, île Maurice, Guadeloupe.. .). Les Britanniquesintroduisent également lesystème indenture dansles colonies où l'esclavage n'existaitpascomme Ceylan ou Fiji. Entre 1834 et 1917 (date d'abolition du système), c'est1,5 million d'indiens qui émigrent ainsi à titrede travailleurs sous contrat.

Quelques milliers d'indiens émigrent aussi de leur propregré au début du siècle,principalement en Afrique orientale (marchands gujaratis et penjabis) et en Amériquedu Nord (paysans penjabis).

Lesdernières décennies ont vu d'importantes modifications, les nationalismes locauxayant éliminé, en Afrique orientale notamment, les minorités marchandes indiennes,

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2 - Dynamique de la population

tandis que dans d'autres pays, les Indiens se sont durablement implantés (Malaisie,Aftique du Sud, île Maurice, Fiji, etc.).

La période contemporaine se caractérise par un courant migratoire continu qui portechaque année vers quelques zones de prédilection plusieurs milliers d'Indiens: l'Europe(surtout la Grande-Bretagne), l'Amérique du Nord, lespays du Golfe, et l'Australiedans une moindre mesure. La diaspora indienne comprend aujourd'hui entre 14 et18 millions d'individus. Si ces chiffres demeurent très baspar rapport à la populationindienne totale, la diaspora indienne n'en constitue pas moins numériquement ladeuxième diaspora la plus importante dans le monde aprèscelle des Chinois.

Bien que les Indiens se soient implantés sur pratiquement l'ensemble de la planète,leur présence est tout particulièrement sensible dans les régions suivantes: Grande­Bretagne, États-Unis et Malaisie (1,5 million), Aftique du Sud (1 million), Sri Lanka(800000), île Maurice (660000), Trinidad (450000), Birmanie (400000),Guyane (380 000), Fiji (340000). Ils sont 2 millions dans lespays du Golfe (mais c'estune migration provisoire) et forment dans des pays comme l'Australie (100 000) descommunautés grandissantes. Enfin, la France compteprès de 50 000 Indiens.

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PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

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LE MONDE DES VILLES

VÉRONIQUE DUPONT

Le monde des villes en Inde pourrait s'ouvrir sur un premier paradoxe - oucontraste -, celui d'un monde minoritaire dans le contexte d'un sous-continent àprédominante rurale, mais produisant des mégapoles pluri-millionnaires. Nousnous interrogerons sur les facteurs d'une urbanisation modérée et questionnerons lemythe d'un exode rural massif. L'analyse de la structure et de l'évolution du réseauurbain nous conduira ensuite à une plongée dans l'histoire avant de prendre lamesure du processus de métropolisation à l'œuvre. Passant du système urbain àl'organisation interne des villes, nous dégagerons les éléments structurants de leurmorphologie actuelle sans céder à l'illusion de l'élaboration d'un modèle unique.Nous terminerons ce chapitre en abordant les nombreux défis du monde urbain, dela question du logement aux problèmes d'infrastructures et de pollution.

1- UNE POPULATION URBAINE MINORITAIRE EN PROGRESSIONRELATIVEMENT MODÉRÉE

A - Une population urbaine de taille absolue remarquable...

Le premier fait remarquable au sujet de la population urbaine de l'Inde, c'est sataille absolue: avec 218 millions d'urbains en 1991, et 285 millions en 2001, l'Indese place au deuxième rang dans le monde après la Chine.

... mais un niveau d'urbanisation assez faible ...

Cependant, pour un pays dont la population totale a récemment dépassé lemilliard, ces chiffres correspondent à un niveau d'urbanisation encore assez faible:24 % en 1981,26 % en 1991 et 28 % en 200l.

Selon ce critère du niveau d'urbanisation, l'Inde se place dans le groupe despays les moins urbanisés de la planète (tableau 8), et ce malgré une définition peuexigeante de la ville en termes de seuil minimum de population (5 000 habitantsagglomérés) - voir encadré.

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56 PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

Graphique 7 - Évolution de la population urbaine (1901-2001)(taille absolue et part relative)

27,8

Part de la population urbainedans la population totale

(en %)

50

250

200

150

100

Population(en millions) _

300

19011911 192119311941195119611971 198119912001Année

Source: voir tableau 1.

Tableau 8 - Évolution de l'urbanisation en Inde (1901-2001)

Année Nombre de villes / Population % de pop. urbaine Taux dede agglomérations urbaine dans la pop. croissance annuel

recensement urbaines (millions) totale (%)

1901 1827 25,855 10,85 -1911 1 815 25,948 10,29 0,041921 1949 28,091 11,18 0,80

1931 2 on 33,463 11,99 1,771941 2250 44,162 13,86 2,81

1951 2843 62,444 17,29 3,521961 2365 78,937 17,97 2,371971 2590 109,114 19,91 3,291981 3378 159,463 23,34 3,87

1991 3768 217,611 25,71 3,162001 n.d." 285,355** 27,78** 2,75**

* n.d. : donnée non disponible.**Résultats provisoires.Source: Census of India, General Population Tables, Pan II-A(i). Office of the Registrar General & CensusCommissionner. Government of India,New Delhi.

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3 - Le monde des villes

Population urbaine

Selon le recensement indien (Census of India, 1991), les zones urbainescomprennent:

-les localités sous l'autorité d'un conseilmunicipal, d'une administration militaire(canronment board), etc. ;

- et leslocalités vérifiant les trois critères suivants:

• une population minimale de 5 000 habitants,

• une proportion minimale de 75 % d'actifs masculins employés hors del'agriculture,

• une densité de population d'au moins 400 personnes au km2.

Tableau 9 - Le niveau d'urbanisationpar grandes régions du monde et dans certains pays (1990)

Entité régionale ou pays Pourcentage de population urbaine

Monde 45Afrique 34Amérique centrale 66Amérique du Sud 75Amérique du Nord 75

i) États Unis 75Asie 34Asie orientale 39

i) Chine 39ii) Japon 77

Asie du Sud-Est 30i) Thaïlande 23

Asie du Sud 27i) Inde 26ii) Bangladesh 18iii) Bhoutan 16iv) Népal 10v) Pakistan 32vi) Sri Lanka 21

Asie Occidentale 63Europe 73Océanie 71

i) Australie 85ii) Nouvelle Zélande 84

Russie (fédération de) 66Source: United Nations, WorldPopulotion Chart, 1990.

57

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58 PARTIE 1- DESESPACES ETDESHOMMES

... et un rythme d'urbanisation modéré

Après une accélération du rythme de l'urbanisation au cours des trois décenniesqui ont suivi l'Indépendance de 1947, le taux d'accroissement de la populationurbaine s'est ralenti: passant de 3,9 % par an en moyenne pendant la décennie1971-1981 à 2,7 % de 1991 à 2001 (tableau 10). De tels taux de croissanceurbaine, qui pourraient paraître élevés en soi, restent relativement modérés si on lesreplace dans le contexte de l'urbanisation des pays en développement. Ainsi, àl'époque où l'Inde enregistre ses plus forts taux de croissance urbaine, on relève en1981 des taux annuels de 4,2 % au Mexique, 4,8 % au Nigeria, 6,5 % auBangladesh. Le mythe de l'explosion urbaine de l'Inde, suscité par l'image desmégapoles pluri-millionnaires, est donc à réviser: la population de l'Inde est à forteprédominante rurale, comme dans les autres pays d'Asie du Sud et du Sud-Est, etelle le demeurera à moyen terme.

B - Les facteurs d'une urbanisation limitée

Le taux de croissance urbaine doit être également comparé au taux decroissance total de la population: 2,2 % par an en moyenne de 1961 à 1991 et1,95 % de 1991 à 2001. Comme le souligne le démographe indien A. Bose (1980),c'est dans le contexte d'une croissance démographique rapide, et d'un surplus detravail à la fois dans les villes et dans les campagnes, que doit être appréhendéel'urbanisation de l'Inde. Ces contraintes démographiques et économiques de baseexpliqueraient ainsi le taux relativement faible des migrations des campagnes versles villes, et ce malgré un niveau de développement industriel appréciable. Ainsil'Inde est-elle parfois qualifiée de pays « sous-urbanisé »,

Parmi les facteurs limitant la capacité d'attraction des villes, citons égalementles difficultés aiguës de logement, tandis que le développement du système detransport a pu encourager la substitution de déplacements quotidiens à unemigration permanente en ville. Le développement des navettes et autres formes demobilités temporaires permet ainsi l'accès aux emplois urbains sans transfertdéfinitif de résidence en ville. Ces facteurs se trouvent associés à des programmesgouvernementaux et internationaux (comme ceux de la Banque Mondiale) quivisent à promouvoir les activités non agricoles en zone rurale, mais aussi à desdimensions socio-anthropologiques qui valorisent encore, dans une certaine mesureet selon des registres variés, la campagne et le village. Les systèmes de parenté, lesprincipes de solidarité familiale et les systèmes d'entraide informelle qui prévalentdans l'organisation socio-économique villageoise fournissent aussi des clés pourmieux comprendre le fort pouvoir de rétention des campagnes en Inde.

C - La contribution des migrations à la croissance urbaine

Loin d'évoquer le spectre d'un exode rural massif, étant donné de fortesdensités de populations rurales (en moyenne 201 hab.Zkm- en 1991) et unepression accrue sur les terres agricoles, on pourrait au contraire s'étonner que lesmigrations des campagnes vers les villes ne soient pas plus intenses. Il convient derappeler ici que les migrants des campagnes vers les villes ne représentaient que18 % de l'ensemble des migrants dans la population de 1991. Les migrations ausein du territoire indien sont d'abord dominées par les mouvements à l'intérieur deszones rurales (65 % de l'ensemble des migrants), en particulier ceux des femmes

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3 - Le monde des villes 59

allant rejoindre le domicile de leur époux après leur mariage. L'attraction de la villepeut aussi apparaître à éclipses, saisonnière en fonction du calendrier des activitésagricoles, ou selon les étapes du cycle de vie. L'emploi instable dans les métropolespermet la survie de couches de la population maintenant des liens très forts avecleur village d'origine: les relations liant les campagnes du Bihar à Kolkata sont à cetitre exemplaire.

De fait, la contribution de la migration nette à la croissance de la populationurbaine n'occupe pas la première place, en outre cette contribution a régressé: ellen'est que de 23 % pendant la décennie 1981-1991, contre 40 % pendant ladécennie précédente (tableau 10). C'est l'accroissement naturel qui explique 60 %de la croissance urbaine, la troisième composante correspondant à la reclassificationde zones rurales urbanisées. En d'autres termes, la grande majorité des nouveauxcitadins provient du solde naturel.

Tableau 10 - Les composantes de la croissance urbaine (1961-1991)

1%1-1971 1971-1981 1981-1991Accroissement de la population 30,18 49,45 56,45urbaine (millions) 100,0 % 100,0 % 100,0 %

Composantes de l'accroissement(millions)

i) accroissement naturel 19,68 20,40 33,8765,2% 41,3 % 60,0%

ii) migration nette 5,91 19,73 12,7619,6% 39,9% 22,6%

iii) reclassification 4,59 9,32 9,8215,2 % 18,8 % 17,4 %

Source: Census ofIndia 199/, Occasional Paper nO 1 of 1993, Emerging trends ofurbanisation in India.(États du Jammu et Cachemire et de "Assam exclus).

11- UN SYSTÈME URBAIN ÉLABORÉMAIS DOMINÉ PAR QUELQUES GRANDES MÉTROPOLES

L'armature urbaine de l'Inde repose sur un système urbain élaboré, qui restecependant dominé par quatre grandes métropoles, ou mégapoles, formant les quatresommets d'un losange: Mumbai (ex-Bombay) avec ses 16,4 millions d'habitants;Kolkata (ex-Calcutta), 13,2 millions; Delhi, 12,8 millions; et Chennai (ex­Madras), 6,4 millions (résultats provisoires du recensement de 2001). Delhi est laseule à être située à l'intérieur des terres, au seuil de la plaine indo-gangétique, etcette position stratégique lui a valu d'être l'ancienne capitale de l'empire Mogholpuis de l'Empire britannique des Indes de 1911 à 1947 avant de devenir celle de laFédération Indienne indépendante. Les trois autres mégapoles sont d'anciensgrands comptoirs de création coloniale, dont le développement a bénéficié desituations géographiques favorables. Qu'il s'agisse de comprendre l'émergence desgrandes métropoles, ou plus généralement l'élaboration du réseau urbain actuelcomme la morphologie des villes, un retour vers l'histoire s'avère indispensable.

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60 PARTIE 1- DESESPACES ETDESHOMMES

A - Une très longue histoire urbaine

L'ancienneté de la ville et des civilisations urbaines en Asie du Sud est àsouligner. Les plus vieux vestiges de centres urbains sont ceux de l'époque Harappa,construits dans la vallée de l'Indus vers 2500 av. ].-c. La plus grande villedécouverte, Mohenjo-Daro, située dans l'actuel Pakistan, s'étendait sur200 hectares pour une population estimée autour de 35 000 habitants. Cettecivilisation urbaine se perpétua jusqu'aux environs de 1500 av. J.-c.

Le Ile millénaire av. J.-c. jusqu'au Ile siècle av. J.-c., est marqué par les migra­tions aryennes en provenance des hauts plateaux iraniens, avec une expansion lelong de la vallée du Gange et la fondation de centres urbains, sièges des monarchies.L'actuelle capitale de l'État du Bihar, Patna, se trouve sur l'emplacement del'ancienne capitale de l'empire Maurya (321-151 av. ].-c.). L'expansion de la civili­sation hindoue affecte peu à peu tout le sous-continent. Dans l'aire dravidienne, desvilles comme Kanchipuram et Madurai (situées aujourd'hui dans l'État du TamilNadu) se développent dans les deux derniers siècles avant notre ère. La dynastie desChola à partir du Ille siècle de notre ère correspond à l'essor des villes-temples,construites selon une géométrie sacrée autour d'un temple principal, suivant unplan en damier. Vijayanagar (actuellement Hampi dans l'Etat du Karnataka), capi­tale du royaume hindou de même nom (règne de 1336 à 1565), en est un exemplecélèbre.

Une autre étape importante pour l'histoire de l'Inde urbaine est la progressionde la domination musulmane, par vague d'invasions en provenance d'Asie centrale,principalement du XIe au XVIe siècle. Le sultanat de Delhi fut ainsi fondé en 1193,et l'empire Moghol au XVIe siècle par l'empereur Babur. Les nouveaux souverains(sultans, empereurs) font construire des villes fortifiées, impressionnantes par leursdimensions, leurs palais et leurs monuments (grandes mosquées, mausolées). C'estsous le règne de l'empereur moghol Shah jahan (1627-1658) que fut construiteShahjahanabad (littéralement la ville de Shah Jahan), la vieille cité fortifiée del'actuelle capitale Delhi. Et c'est à ce même empereur que l'on doit le Taj Mahal,mausolée édifié à la mémoire de son épouse favorite Mumtaz Mahal, qui accueilleaujourd'hui des visiteurs venus des quatre coins du monde.

À partir du XYle siècle, l'Inde est affectée par l'implantation progressive desEuropéens, avec l'établissement de comptoirs commerciaux maritimes. Lespionniers sont les Portugais, installés dès le XVIe siècle sur les côtes occidentales (àGoa en 1510, Surat en 1512, Bombay en 1534, Damman et Diu en 1558 ...), puisles Hollandais établis en 1611 dans le Gujarat (à Surat), La fameuse Compagnieanglaise des Indes Orientales, fondée en 1600, amorce l'arrivée des Britanniques ets'illustre par l'établissement (entre autres) de trois comptoirs devenus mégapoles :Madras (1640), Bombay (1674), Calcutta (1690). Les Français s'installent plustardivement, sur les côtes orientales, en particulier à Pondichéry (en 1674). Lacolonisation britannique a non seulement engendré une rupture dans l'organisationspatiale des villes marquées par son emprise, en introduisant une dualité entre « villeblanche» et « ville noire» (voir section III), mais également dans l'organisation detout le système urbain. L'importance prise par les grands ports coloniaux afréquemment déséquilibré les réseaux régionaux et affecté le réseau existant desvilles moyennes, souvent d'anciennes capitales politiques. T outefois, la consolida­tion du Bristish Rai (le règne britannique dans l'Empire des Indes) au XIXe sièclen'a pas signifié la fin des États princiers indiens, mais plutôt leur domination

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3 - Le monde des villes 61

politique; nombre d'entre eux ont subsisté jusqu'à l'Indépendance, ce qui a favoriséle maintien d'un semis urbain. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, laconstruction d'un réseau de voies ferrées a modifié la hiérarchie des centres urbains:le développement des échanges commerciaux et de l'industrie a été stimulé dans lescentres équipés de gares, l'ensemble contribuant à la prospérité de la ville, tandisque les centres restés à l'écart des réseaux de transports modernes se sont trouvéshandicapés dans leur développement.

L'indépendance de l'Inde en 1947 et la partition de l'ancien Empire britan­nique avec la formation du Pakistan ouvre une nouvelle ère. La structure politiquede l'Union indienne, une fédération comprenant aujourd'hui 28 Etats et7 Territoires de l'Union, a également des conséquences importantes sur l'évolutiondu réseau urbain indien. La dispersion des pouvoirs politiques, avec des capitalesd'État jouissant de certaines prérogatives, a contribué au développement de grandesvilles, à la multiplication des métropoles régionales et à la création de villesnouvelles (Gandhinagar, capitale du Gujarat ; Bhubaneshwar, capitale de l'Orissa;Dipur, capitale de l'Assam; et -la plus célèbre en raison de son urbaniste et archi­tecte Le Corbusier - Chandigarh, capitale des deux États limitrophes de l'Haryanaet du Penjab). L'Inde indépendante, c'est aussi la mise en œuvre d'une économieplanifiée, la priorité donnée à l'industrie lourde à travers l'implantation de groscomplexes industriels installés à proximité de ressources minières, souventaccompagnée de la création de villes nouvelles'. Les politiques industrielles qui ontcherché à promouvoir la diffusion de l'industrie ont aussi eu un impact sur l'évolu­tion du réseau des villes.

Cet « empilement de strates historiques» (selon l'expression de J.-F. Troin,2000) explique la richesse du réseau urbain indien, mais aussi, comme il sera illustrédans une autre section de ce chapitre, la complexité de la morphologie des citésd'aujourd'hui. Plusieurs facteurs clés du développement des villes émergent aucours de cette longue histoire urbaine: la localisation géographique, le poids dupolitique, l'importance des échanges commerciaux et, pour la période moderne, del'industrie, sans oublier pour certaines villes anciennes le rôle des activitésreligieuses.

B - Structure et évolution du réseau des villes

Sous-jacents à la marque de l'histoire et du politique sur l'organisation duréseau urbain indien, se trouvent les éléments structurant le milieu physique (décritsdans le premier chapitre). On retiendra en particulier l'opposition entre les grandsmassifs montagneux du Nord et la plaine du Gange, et celle entre les zones côtièreset les hautes terres péninsulaires. Les densités du peuplement et les systèmesagricoles interviennent également: se dessine ainsi un arc de cercle des régions defortes densités de population, s'expliquant par l'attrait des régions côtières etl'ancienneté de la riziculture dans les plaines et les deltas bien arrosés (cf. partie III,chap. 1). Ces structures fondamentales pourront être utilement superposées à lacarte du réseau des villes (carte 6). Selon le géographe F. Durand-Dasrès (1995), lesrégions économiques qui se sont formées autour des trois premières mégapoles

1. N'oublions pas cependant que c'est sous la dominarion brirannique, en 1908, que la célèbre familled'indusrriels de Bombay, les Tara, fonda l'usine sidérurgique er la ville nouvelle de Jamshedpur, dans 1'.Ërar duBengale occidental, à une centaine de kilomètres au sud de Calcutta.

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62 PARTIE 1- DES ESPACES ET DES HOMMES

surimposen t cependa nt une struc tu re encore plus pui ssante aux trames classiquesd'organisation de l'espace.

Carte 6 - Évolution du réseau des villes (1901-1991)(villes de 50 000 habitants et plus)

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• • 0 .. .. .. 50'.Source : carte reproduite de Philippe Cad ène, « Le réseau des villes », in F. Durand-D astès (dir.), Monde Indien,« Géographie Universe lle », Belin-Reclus, 1995. p. 327.

L'évolution du réseau des villes au cours du )(Xe siècle révèle une den sificationremarqu abl e avec une multiplication du no m bre de vill es sur l'ensemble duterritoi re (carte 6). De larges disparités spatiales se maintien nent toutefois, certa insespaces restant à l'écart de l'urban isation, d' au tres à l'écart du développem ent desgrandes métropoles. En considérant seulement les 20 États de plu s de 5 m illion sd'habitants en 2001, le niveau d 'urbanisation à cette date varie déjà considé rable­m ent, de 10 % dans l'Himach al Pradesh (rég ion mon tagn euse), à 42 % auMah arashtra (l'État dont Mumbai est la capitale) et 44 % au T amil Nadu (l'Éta t duSud do nt C hennai est la capita le). Les zones du territoire indien les plu s forte me nturb anisées sont celles dotées de conditions géographiques favora bles et q ui ont enoutre profité du développement de leurs activités comm erciales et industr ielles.L'urban isation a été intense dans les grandes plaines et les zones côtières, ou encore

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3 - Le monde des villes 63

dans les régions de plateau où les activités non agricoles dominent l'économielocale. Al'inverse, la région de l'Himalaya et les autres régions montagneuses ou decollines affichent un net retard d'urbanisation. La croissance urbaine se révèleparticulièrement dynamique dans les districts situés autour des grandes métropoles,ainsi que dans les zones minières et les ceintures industrielles en expansion.

Le réseau urbain indien ne manifeste pas de phénomène de macrocéphalie àl'échelle du territoire national. Par exemple Mumbai ne représente que 6 % de lapopulation urbaine totale, et le rapport entre Mumbai et la deuxième ville du pays,Kolkata, n'est que de 1,2. Ceci n'est sans doute pas étonnant pour un pays de lataille de l'Inde - un quasi sous-continent, d'une superficie égale à 6 fois la France.La péninsule sud présente même un cas assez remarquable de métropoles dyna­miques en compétition: Chennai (6,4 millions d'habitants en 2001) est ainsiconcurrencée par Bangalore (5,7 millions) et Hyderabad (5,5 millions). Enrevanche, à l'échelle des États de l'Union, les armatures urbaines sont parfoisbeaucoup plus déséquilibrées, avec un poids dominant de la capitale par rapportaux villes de rang inférieur.

C - Le processus de métropolisation

S'il n'y a pas de déséquilibre flagrant de l'armature urbaine à l'échelle du pays,on constate toutefois une concentration croissante de la population urbaine et desfonctions économiques dans les plus grandes villes, au sommet de la hiérarchie- ce qu'A. Bose qualifie de « processus de métropolisation », Quelques chiffrespermettront de mieux illustrer ce mouvement. Au début du XXe siècle, l'Indecomptait une seule ville dépassant le million d'habitants (Calcutta, avecl,51 million en 1901) et qui ne représentait que 6 % de la population urbainetotale; en 1951, les villes et/ou agglomérations urbaines millionnaires étaient aunombre de 5, représentant 19 % de la population urbaine totale, pour passer fina­lement à 35 en 2001 avec une part de 38 % de la population urbaine.

L'augmentation du poids démographique relatif des métropoles ne signifie paspour autant une croissance plus rapide de cette catégorie de villes par rapport àcelles de taille inférieure. L'évolution du taux de croissance de chaque métropoleconsidérée individuellement révèle au contraire un ralentissement pour nombred'entre elles au cours de la décennie 1981-1991 par rapport aux décennies précé­dentes. Cette tendance au tassement de la croissance est d'ailleurs un phénomènefréquemment observé dans les métropoles du Tiers-Monde. C'est le cas enparticulier de trois des quatre premières mégapoles indiennes: l'agglomérationurbaine de Kolkata s'est ainsi accrue de 18 % de 1981 à 1991 contre 24 % de 1971à 1981, celle de Delhi de 47 % contre 58 %, et celle de Chennai de 26 % contre34 % au cours des mêmes périodes respectives. Mumbai a certes connu unecroissance remarquable, de 8,2 millions d'habitants en 1981 à 12,6 millions en1991 (soit +54 % contre 37 % de 1981 à 1991), devenant ainsi la plus grande villedu pays en détrônant Kolkata qui avait toujours occupé ce premier rang. Ce bondn'est cependant pas attribuable à un croît migratoire exceptionnel, mais à l'incorpo­ration dans les limites de l'agglomération urbaine du Grand Mumbai! de trois

1. Le concept d'agglomération urbaine, introduit par le recensement indien depuis 1971, repose sur le critère decontinuité spatiale de l'extension urbaine; en conséquence les limites de J'agglomération urbaine ne correspondentpas nécessairement aux limites administratives, et une même agglomérarion urbaine peur englober deux ou plusieursvilles adjacentes.

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64 PARTIE 1- DES ESPACES ETDES HOMMES

villes, dont une était déjà millionnaire. Malgré les effectifs considérables entrant enjeu dans la croissance démographique des grandes métropoles, et les chiffres- frappant l'imagination - de centaines de nouveaux migrants arrivant tous lesjours aux portes de chaque mégapole, il n'y a aucune accélération du mouvement.

Autre indicateur révélateur de la dynamique des villes indiennes: le ratiodémographique femmes/hommes, particulièrement bas dans les grandesmétropoles, signe de migrations à large majorité masculine. En 1991, on compteainsi, en moyenne, seulement 842 femmes pour 1 000 hommes dans les4 mégapoles de tête, 889 dans les métropoles de 1 à 5 millions d'habitants, et 900dans les villes de 100 000 à moins d' 1 million d' habi tants, La grande ville en Inde,en tant que pourvoyeuse d'emplois et d'opportunités économiques, a toujours attirédavantage d'hommes que de femmes, et ce d'autant plus qu'elle est grande. Ceshommes venus travailler en ville en célibataires maintiennent des liens forts avecleur milieu d'origine, et envoient des économies à leur famille restée au village.

Bien qu'impressionnantes par leur taille, les métropoles indiennes sont surtoutdes métropoles au rayonnement national ou même régional. En prenant en comptedes critères d'insertion mondiale, c'est-à-dire la combinaison dans une mêmemétropole d'une série de fonctions (politiques, économiques, financières,culturelles, de communication, erc .) de niveau international, seules Mumbai ,Kolkara, Delhi, Chennai et, dans une certaine mesure, Bangalore peuvent êtreconsidérées comme des métropoles mondiales Q.-F. Troin, 2000).

Photo 1 - Old Delhi: Chandni Chawk

© Manish Swarup

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3 - Le monde des villes 65

A l'échelle de la planète, les mégapoles indiennes occupent une place démogra­phique remarquable parmi l'ensemble des métropoles mondiales. En 1990-1991,sur les 34 plus grandes métropoles mondiales, 4 sont situées en Inde (Mumbai,Kolkata, Delhi, Chennai), et parmi les 12 mégapoles mondiales (de plus de10 millions d'habitants), deux sont indiennes. En outre, selon les projections del'ONU, en 2015 Mumbai sera la deuxième ville du monde par sa taille avec27,4 millions d'habitants.

D - Les villes petites et moyennes (moins de 100000 habitants)

Si les métropoles indiennes inquiètent par leur taille et l'ampleur des problèmesde gestion qu'elles soulèvent, l'analyse fine de l'armature urbaine indienne révèled'autres sujets d'inquiétude pour les planificateurs. Le nombre de petites villes(moins de 20 000 habitants) apparaît insuffisant par rapport au nombre de villages,et leur base économique trop faible. Dans certaines régions, en particulier dans leszones classées comme économiquement arriérées, le semis de petites villes n'est passuffisamment dense pour desservir l'ensemble de la population rurale. La hiérarchiedes centres urbains souffre ainsi d'une base inadéquate, et le lien intermédiaire quedevraient constituer les villes de marché est également jugé insuffisant. Cesdistorsions sont analysées comme un obstacle à un développement économiqueéquilibré. En effet, dans un pays comme l'Inde, caractérisé à la fois par une scèneurbaine dominée par de grandes métropoles et par une population très largementrurale, le développement des villes secondaires ne constitue pas seulement un enjeupour les politiques d'aménagement du territoire et de rééquilibrage des armaturesurbaines, mais d'abord un enjeu pour le développement rural. Les villes petites etmoyennes s'avèrent les mieux placées pour assurer de nombreuses fonctions endirection des populations rurales, telles que: promouvoir le développement del'agriculture par la commercialisation des produits agricoles et l'offre de diversservices spécifiques; mettre à la disposition de la population rurale un certainnombre de services généraux (santé, éducation, transport, communication,administration) ; assurer la distribution des produits manufacturés; servir de baseau développement d'agro-industries ; diffuser les innovations sociales et techniques.En assurant de telles fonctions, les villes petites et moyennes contribueraient aurenforcement des liens entre les campagnes et les villes, à l'établissement d'unehiérarchie urbaine harmonieuse et, en conséquence, à une meilleure intégration del'espace national. Cette double perspective, de rééquilibrage du système urbain et dedéveloppement rural et régional, se retrouve à la base des politiques de dispersion del'industrialisation et de l'urbanisation, lancées par le gouvernement indien dans lesannées 1970 et 1980 (voir ci-dessous section IV).

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III - LA MORPHOLOGIE DES VILLES INDIENNES

PARTIE 1- DESESPACES ETDESHOMMES

Sans même évoquer l'extrême éventail de tailles, la diversité des villes indiennes,en particulier la superposition d'héritages historiques et d'influences culturelles etreligieuses selon des combinaisons originales, interdit de dégager un modèle uniquede ville indienne contemporaine. À ces legs du passé dont le tissu urbain actuelconserve l'empreinte à des degrés variés, s'ajoutent les marques du politique et del'économique, et l'impact plus récent des efforts de planification visant à contrôlerl'expansion urbaine, avec, en contrepoids, la poussée de l'urbanisation informelle.De cet assemblage résulte une grande complexité de la morphologie actuelle desvilles indiennes et des tissus urbains composites, segmentés, voire fragmentés. Onpeut toutefois tenter de dégager quelques éléments majeurs structurant cettemorphologie.

A - Les survivances de la ville « traditionnelle»

Selon le modèle traditionnel de ville asiatique préindustrielle (Sjoberg, 1960), lamorphologie urbaine reflète un modèle socialement stratifié, avec les groupes destatut social élevé résidant dans le centre-ville, près du palais, de la mosquée ou dutemple. À cet avantage de proximité du siège du pouvoir, s'ajoute l'accessibilité auxcommerces et aux échoppes des artisans, également concentrés dans le centre oubazar. A contrario, les groupes sociaux de bas statut se trouvent rejetés vers lesfranges urbaines. De nombreuses études empiriques ont montré comment ce typede structure urbaine avait en partie survécu dans les villes indiennes contempo­raines. La préférence traditionnelle des élites urbaines pour des localisationscentrales est toutefois contrebalancée aujourd'hui par une tendance des famillesaisées à s'installer dans des zones résidentielles périphériques, moins congestionnées,pour bénéficier d'un meilleur cadre de vie. En revanche, les évolutions récentes neremettent pas en cause le modèle classique de décroissance des densités de popula­tion du centre vers les périphéries -les fondements originaux de l'attrait pour deslocalisations centrales pouvant se résumer en trois mots: « protection, prestige etproximité) ». Le bazar est un élément dynamique toujours très présent de nos jours;il se caractérise à la fois par une prolifération d'activités économiques et un habitattrès dense, avec un tissu urbain aux ruelles étroites.

La société indienne traditionnelle de religion et de culture hindoue (82 % de lapopulation en 1991) est fondée sur une structure hiérarchique de castes qui setraduit en termes d'organisation spatiale par une ségrégation résidentielle(cf. partie II, chap. 1). La séparation des castes dans l'espace urbain est ainsipréconisée dans les traités sanskrits d'architecture (vastu shastra). Si ce principe n'apas été strictement respecté partout, en particulier dans les villes du Sud, lesbrahmanes ont cependant toujours bénéficié d'un traitement distinct, tandis qu'àl'autre extrémité de l'échelle sociale, les intouchables étaient relégués à l'écart, dansdes quartiers excentrés. Dans les villes du nord de l'Inde, les quartiers centrauxétaient segmentés en blocs regroupant des habitants membres d'une même commu­nauté ou sous-caste (les moha/las à Delhi, lespals à Ahmedabad). La caste a conservéun rôle important dans l'organisation socio-spatiale des villes indiennes contempo-

1. J.Brush,. The morphology ofindian Cities », in India's Urban Future, Roy Turner (ed.) (1%2), Berkeley &Los Angeles, University of California Press, p. 57-70.

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3 - Le monde des villes 67

raines; les Harijan bastis (quartiers d'intouchables) demeurent une réalité urbainetoujours d'actualité, tandis que d 'autres regroupements résidentiels répondent à desdynamiques économiques et sociales plus complexes, sur lesquelles nousreviendrons.

Photo 2 - Old Delhi: le marché de grains. De nombreux tireursde charrettes à bras et portefaix qui trouvent à s'employer au jour le jour

dans le marché de gros dorment la nuit sur leur charrette ou sur le trottoir

© Manish Swa rup

Photo 3 - Rue principale de Bénarès

© M.-C. Saglio-Yatzimirsky

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68 PARTIE)- DESESPACES ET DESHOMMES

B - La dualité introduite par l'emprise coloniale

L'emprise coloniale sur la ville indienne introduit une dualité dans la structureurbaine dont les marques sont toujours manifestes dans le paysage actuel des villesanciennement dominées par les Européens. L'urbanisation coloniale britanniqueétait fondée sur un principe de ségrégation résidentielle: ville blanche séparée de laville indigène, cantonnement pour les militaires et leurs familles séparé des quartiersrésidentiels pour les civils (civil lines), lotissements distincts selon le statut dans lafonction civile et militaire. La construction de la nouvelle capitale de l'Empirebritannique des Indes, New Delhi, nous en fournit une illustration spectaculaire(voir encadré).

New Delhi: Une urbanisation fondée sur la ségrégation

«La construction de New Delhi par les Britanniques dam les années 1910 et 1920suivit la décision en 1911 de transfërer la capitale de l'Empire des Indes de Calcutta àDelhi. Le site d'implantation jùt choisi nettement au sud de la vieille ville, Dtd Delhi,dans une zone où n existaient que quelques villages.

[. .. } La responsabilité de la planification et de la construction de New Delhi jùtconfiée aux deux architectes-urbanistes anglais, Edwin Luytens et Herbert Baker. Lanouvelle ville jùt conçue comme un établissement britannique juxtaposé à la villeindienne. Plus qu'une simple juxtaposition, il s'agissait de fait d'une ségrégationrecherchéepar les planificateurs britanniques entre Dld Delhi et New Delhi, et laconstruction de la nouvelle capitale a introduit une discontinuité radicaledam l'organi­sation spatiale de l'ensemble de la ville. Au nord, se dresse, compacte, la ville« indigène », la vieille cité fortifiée de Shahjahanabad construite par les Moghols auXVIIe siècle, à l'habitat dense et aux ruelles étroites et sinueuses, dans l'enceinte de sesmurs. Au sud, séparée de la première par une large bande de terrain dégagée etaménagée en espace vert, s'étale la nouvelle ville coloniale, avec sonplan géométrique, sesbungalows et ses larges artères dans une cité jardin aérée, au modèle d'urbanismeimporté, radicalement opposéau modèle traditionnel des villes indiennes. Cette opposi­tion de formes et d'organisation entre Dtd Delhi et New Delhi reste, aujourd'hui encore,un des éléments évidents de la différentiation de lespace urbain de la capitale, etapparaît comme un thème récurrent dans la littérature sur la structure socio-spatialedela capitale indienne.

[. . .] New Delhi avait été conçuecomme le nouveau centre administratifet politique,avec sesquartiers résidentielsattenants. Le schéma résidentieldes différentes catégories defonctionnaires, des hauts cadresaux employés, a donc fortement marqué toute l'organisa­tion spatiale de la capitale. Le plan de New Delhi mettait en évidence la séparationentre la ville britannique et la ville indienne, de même ceplan souligne les distinctionsde classes sociales parmi les Britanniques. Le schéma résidentiel de la nouvelle villereflète la hiérarchie de la fonction publique, avec lesfonctionnaires de haut rang séparésdes employésde rang inférieur, et les Britanniques séparés des Indiens. L'élément le plussignificatifde cette hiérarchie socio-spatiale est représentépar la distance séparant lelogement du siège du pouvoir (lepalais du Vice-Roi, devenu aujourd'hui le RashtrapatiBhavan -palais présidentiel) : lesfonctionnaires de haut rang étaient logés le plus prèsdu palais, lesplus éloignésétant lesemployés indiens de plus bas rang. D'autres symbolessoulignent la hiérarchie sociale et statutaire: élévation du terrain, taille de la parcelle,

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3 - Le monde des villes

style architectural, largeur de l'accès viaire, qualité des services (Euenson, 1989). Dansune certaine mesure, la distribution résidentielle dans New Delhi était semblable à larépartition de la population par caste dam une ville indienne traditionnelle. »

v. Dupont, « Delhi aujourd 'hui: la ville des planifi cat eurs et celle deshabitants », in Hagel stein R. & Servais P. (dir), Perception et organisation de l'espaceurbain: Une confrontation Orient-Occident, Louvain-la-Neuve, Acadernia-Bruylanr(série Rencontre Orient-Occident, n? 3), 200 1.

69

Second principe de planification urbaine coloniale: la séparation des fonctionsdans l'espace. Il en résulte une série de quartiers spé cialisés : lotissements debungalows, quartier militaire, quartier ferrovi aire près des gares pourvu de lotisse­ments pour les agents du chem in de fer, qu artier administratif, centre commercial« moderne », CBD (central business district) dans les métropoles, zone des établisse­ments scolaires ou universit aires, zone de loisir avec le traditionnel terrain de golf,etc. Ce principe de zo nage, repris par les urbanistes de l'Inde indépendantelargement inspirés de l'école angla ise de planification, se trouve à la base dessché m as directeurs d 'urbanisme de s métropoles d 'aujourd'hui . Cette di vision del'espa ce en zone distinctes correspondant à des catégories uni-fonctionnelles d 'us agedu sol s'oppose à l'usage mixte du sol dans la ville indienne traditionn elle, etperpétue un fort contraste entre les zones urbaines planifiées et l'utilisationcomplexe du sol dans les centres anciens.

C - Les éléments structurants de la ville « moderne»

Photo 4 - Extension urbaine récente et planifiéedans le sud-ouest de Delhi

© Manish Swarup

Les effets conjugu és de l'industrialisation et autres forces de changem entséconomiques, les exp an sions urbaines planifi ées ou au contrair e non contrôlées del'après-Indépendance, de nouveaux facteurs de développement urbain (qui ne sont

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pas tous spécifiques aux villes indiennes), ont perturbé le modèle traditionnel de laville sud-asiatique ainsi que la structure dualiste héritée de la colonisation.

Les grands axes de communication routiers et ferroviaires orientent lesextensions urbaines et le développement industriel et tertiaire, tandis que, dans lesgrandes villes, la spécialisation fonctionnelle des espaces s'accentue sous l'impact dela planification et des facteurs d'échelle. Dans les métropoles composites, unestructure poly-centrée est fréquente, avec le développement de centres de commerceet d'affaires secondaires dynamiques en plus du Central BusinessDistrict. Si la locali­sation du CBD est souvent un legs du passé colonial, son sky linea pu radicalementchanger avec la multiplication de tours de bureaux (sur Nariman Point à Mumbai,autour de Connaught Place à Delhi).

La morphologie des grandes villes a aussi évolué, suite aux efforts de planifica­tion urbaine des gouvernements indépendants à travers l'application de schémasdirecteurs d'urbanisme assortis de plans et de coefficients d'occupation des sols(POS et COS) réglementant les fonctions propres à chaque zone (résidentielle,commerciale, institutionnelle, industrielle...) ainsi que la hauteur du bâti. Lespouvoirs publics ont également mis en œuvre des opérations d'aménagement et desprogrammes de logements pour diverses catégories de ménages. Ces interventions sereflètent directement sur la morphologie urbaine, elles influencent en outre lacomposition socio-économique de la population résidant dans différentes localités.

Delhi, en tant que capitale nationale, a fait l'objet d'une attention particulièrede la part des planificateurs, et offre l'exemple d'une large gamme d'opérations despouvoirs publics dans le secteur de l'habitat - autant d'interventions qui ontcontribué à la structuration physique et sociale de l'espace urbain. On peut ainsiciter:

-les rehabilitation colonies, lotissements construits par le gouvernement pourdes populations réfugiées du Pakistan au lendemain de l'Indépendance et de lapartition de l'ancien Empire britannique;

-les logements pour fonctionnaires, concentrés dans New Delhi et sesextensions septentrionales: ils reproduisent le modèle de l'administration colonialebritannique avec des lotissements distincts sur la base du rang et des revenus,générant ainsi un modèle de ségrégation résidentielle qualifié de « salariedapartheid» par Ashok Mitra1 ;

-les immeubles du secteur public comprenant des appartements en vente pourdifférentes catégories de revenus, construits principalement dans des quartiersexcentrés;

- les terrains viabilisés cédées à des sociétés coopératives de logement: leursimmeubles collectifs sont présents à grande échelle dans certains quartiers périphé­riques, et s'adressent à des classes aux revenus moyens et supérieurs;

- les resettlement colonies, lotissements de « réinstallation» destinés auxhabitants des bidonvilles détruits, et implantés dans des zones très périphériques(carte 7).

Ces diverses formes de production de l'espace bâti se lisent facilement dans lepaysage urbain de la capitale.

1. A. Mirra (1970), D~/hi Capital City,New Delhi, Thomson Press.

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3 - Le monde des villes

Carte 7 - Quelques éléments de différentiation de l'espace urbaindans l'agglomération de Delhi: la vieille cité et la nouvelle ville,

les bidonvilles et les lotissements de « réinstallation»

71

• BidofMle-s(Squa.... Sem<ments)

t:. t cusserrentsde rémtallatJOll(Res9 f't.1ea)e nt Colo(li~s)

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Sources ; Censw cl lndia 199' . District Census Han</book.. Delhi.Directcrate ofCenses Operaëoo, DeuuSIum & Jhuggi Jhompri Departrrent. MuniCIpal Co-poranco of Delhi , 1990.Sabir Ali, Siums wit/lln Siums: 8 sJudyof resertfement colonies in De/hi,New Delhi:Coonct lor Social Develoomeru. 1990.

O,g/(JfiSJ liQt1 :UMA ESPACE. MOfltpelher.

V.Ouponl • l CA. Boody - lAD

Les espaces planifiés des métropoles font a contrario se détacher du paysageurbain les an ciens noyaux villageois encerclés par l'étalement de la ville etl'annexion des terres agricoles. On en dénombre plu s d'une centaine à Delhi,enclaves distinctes au sein d'une capitale à l'urbanisme très contrôlé. À Mumbai, cesont les villages de pêcheurs qui « travaillent » la ville. La ville planifiée, légale, loinde pouvoir contrôler la totalité de la croissance urbaine et répondre à une pressiondémographique croi ssante, en particulier à la demande en logements des popula­tions les plus modestes , engendre nécessairement son opposé, la ville informelle,spontanée, définie en négatif « d 'illégale» par les planificateurs. Ces développe­ments urbains non contrôlés correspondent à deux form es et modalitésd'occupation du sol: les lotissements clandestins dan s les périphéries, sur desterrains agricoles urbanisés par des promoteurs privés, sans respect du plan d'urba­nisme ; et les squatters settlements ou invasions de terrain pour les plus pauvres, des

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bidonvilles qui occupent les interstices de l'espace planifié ou les franges de celui-ci(cette question sera développée plus bas - voir aussi carte 7 pour Delhi). Si cesformes d'urbanisation informelle sont classiques dans les grandes villes du Tiers­Monde, elles peuvent atteindre dans les métropoles indiennes une place considé­rable. Ainsi, à Delhi, capitale pourtant très planifiée, la ville informelle, « nonautorisée », abrite près de la moitié de la population.

o - Ségrégation et regroupements communautairesdans la ville actuelle

L'industrialisation et l'urbanisation sont habituellement considérées comme desagents de la modernisation et du changement social. Malgré de profondestransformations, l'urbanisation n'a toutefois pas fait disparaître la hiérarchisation etla segmentation traditionnelles de la société, et la caste reste un facteur significatifde regroupement résidentiel, en particulier aux deux extrêmes de l'échelle sociale.Ainsi les castes d'anciens intouchables restent toujours les plus défavorisées entermes économiques et sociaux, et seront sur-représentées dans les types d'habitatsles plus pauvres (bidonvilles), alors que les hautes castes seront sur-représentées dansles nouveaux quartiers huppés. Les exemples sont nombreux, y compris dans lesmétropoles. Des formes nouvelles de production de l'habitat collectif dans lesgrandes villes -les sociétés coopératives de logement - favorisent une ségrégationrésidentielle sur la base de critères socioprofessionnels: la constitution de cessociétés est en effet fondée sur le regroupement d'acheteurs appartenant à un mêmeréseau social, et partageant souvent la même profession.

La ségrégation résidentielle peut intervenir à une échelle très fine: une certainediversité socio-éconornique de peuplement et de l'habitat au niveau d'une zoneallant de pair avec des phénomènes de ségrégation très marqués au niveau d'espacesbeaucoup plus restreints - comme on l'observe par exemple à Delhi (Dupont,2000). Ce type d'organisation socio-spatiale de l'habitat urbain peut s'expliquer pardeux forces sociétales apparemment contradictoires: la tendance à vouloir résiderdans des zones socialement homogènes, et le souci et le besoin de maintenir desrelations de dépendance'. Le premier principe expliquerait l'existence des concen­trations résidentielles homogènes en termes de composition sociale au niveau local,et le second rendrait compte (dans une certaine mesure) de la proximité entre deslocalités abritant des populations défavorisées et d'autres peuplées de classesmoyennes ou aisées, les habitants des premières vendant leurs services (domestiques,de main-d'œuvre) à ceux des secondes.

Les modalités d'insertion des migrants en ville renforcent les regroupementsrésidentiels sur des bases communautaires. Les nouveaux arrivants ont en effettendance à se regrouper dans des localités où ils peuvent trouver des membres deleur parenté - au mieux -, de leur caste, de leur communauté religieuse, de leurrégion ou groupe linguistique, ou - au moins - d'autres migrants partageant lemême sort économique. Le processus d'immigration s'appuie sur les réseauxfamiliaux et sociaux. Ces réseaux jouent un rôle vital dans l'insertion urbaine desnouveaux arrivants, qu'il s'agisse d'un soutien logistique pour un premier héberge­ment, d'une aide pour trouver un logement ultérieur, d'une introduction ou

J. H. Schenk (1986), Vil'wS on ALkppry : Socio-Historical and Socio-Spatial Perspectives On an Industriel PortTown in Kerala, South India, Amsterdam, University ofAmsterdam.

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3 - Le monde des villes 73

d'informations pour trouver un travail, ou tout simplement d'un soutien psycholo­gique pour faciliter l'adaptation à un nouveau milieu. Même dans les plus grandesmétropoles qui attirent des migrants de toutes les régions de l'Inde, l'urbanisationn'a pas l'effet d'un meltingpot, et la ville se développe selon le principe d'un« collage» plutôt que d'une « fusion» de ses différentes communautés (Landy,2001).

IV - LES DÉFIS DU MONDE URBAIN

Les défis auxquels doivent répondre les villes en Inde, comme ailleurs dans leTiers-Monde, sont nombreux; si ceux des mégapoles sont les plus spectaculaires(en témoignent par exemple les grands bidonvilles aux conditions d'habitatdéplorables, ou encore les autobus et trains de banlieue surchargés), les problèmesdu manque d'infrastructures dans les villes plus petites n'en sont pas moinspréoccupants. Pour mieux comprendre ces défis et les réponses envisagées, unrapide tableau de l'attitude des pouvoirs publics face à la ville apparaît nécessaire.

A - L'attitude des pouvoirs publics

Avant l'Indépendance, le Mahatma Gandhi prônait un développement centrésur une économie villageoise autonome; l'Inde des villages, considérée comme seuleauthentique, était valorisée par opposition à l'Inde des villes, assimilée à unecréation étrangèret, porteuse d'amoralité et de vices. Cette idéologie qui stigmatisel'urbanisation semble avoir eu une influence durable sur les décideurs politiques etles planificateurs. L'attitude qui prévaut jusqu'au début des années 1980, c'est unecrainte face à la ville, surtout la grande, avec le spectre d'un exode rural massif etd'une croissance urbaine incontrôlée. Pour prévenir un tel scénario, les politiquespubliques, en particulier à travers les plans quinquennaux, se sont efforcées derendre les métropoles moins attractives, en bloquant les investissements productifset en négligeant ceux d'infrastructures. Le système des licences industrielles(cf. partie III, chap.2) a pu ainsi servir d'outil pour prohiber l'implantation denouvelles grandes industries dans les métropoles.

Cette approche négative s'est toutefois accompagnée d'un souci d'aménagementdu territoire et de développement régional équilibré entre villes et campagnes, quis'est concrétisé par une politique de dispersion de l'urbanisation et de l'industriali­sation. Un vaste programme destiné à promouvoir le développement des villespetites et moyennes a été lancé en 1979, sous forme d'aides au financement desinfrastructures et des équipements de base. L'objectif était double: permettre à cesvilles de jouer le rôle de pôle de croissance et de centres de services pour leurhinterland rural; et réduire le flux des migrations vers les métropoles. Destinéinitialement aux villes de moins de 100 000 habitants, ce programme a étéreconduit par les plans quinquennaux suivants et élargi progressivement aux villesallant jusqu'à 300 000 puis 500 000 habitants, l'enjeu pour le développement ruralperdant alors sa priorité. Quant aux grandes villes qui ne rentraient pas dans lecadre de ces programmes, elles restaient négligées par les plans quinquennaux, sous-

1. Gandhi vise les villes nées de la colonisation, en ignorant dans sa prise de position l'ancienneté de la civilisa­rion urbaine en Asie du Sud (voir ci-dessus).

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dotées financièrement, et sous-équipées. Seule Delhi, en tant que capitale nationale,a pu bénéficier d'un régime de faveur. Mais toutes se trouvaient « enserréets) dansun strict carcan législatif et réglementaire» : plafonds sur les avoirs fonciers (loi de1976), blocage des loyers, rationnement des matériaux de construction, zonage etcoefficients d'occupation des sols limitatifs, absence de crédit bancaire à laconstruction et à l'achat immobilier (Milbert, 2001).

Le discours officiel sur la ville évolue dans les années 1980 : on commence àreconnaître la contribution décisive des villes à l'économie nationale et le rôlemoteur des métropoles, tandis qu'une Commission Nationale sur l'Urbanisationpropose une série de réformes dans un rapport publié en 1988. La nouvellepolitique de libéralisation de l'économie et d'ouverture au marché international,lancée par le gouvernement indien à partir de 1991, amorce aussi un tournantmajeur pour les politiques urbaines. La nouvelle stratégie s'articule autour desconcepts de décentralisation, déréglementation et privatisation; elle vise à améliorerl'efficacité économique des villes, à promouvoir le développement de leurs infra­structures, et à mieux répondre à la demande en logements. Un amendementconstitutionnel promulgué en 1992 octroie davantage d'autonomie aux munici­palités pour la mise en œuvre de leur planification et pour rechercher des finance­ments privés. Les besoins immenses en infrastructures des mégapoles reçoivent(enfin) une attention particulière, à travers le programme Mega Citylancé en 1993 :le gouvernement central octroie les fonds principaux et encourage à mobiliser desfinancements privés complémentaires. L'objectif est de développer les infra­structures des villes de Mumbai, Chennai, Kolkata, Bangalore et Hyderabad enadoptant un principe de recouvrement des coûts - considéré comme l'élément clefet novateur de ce projet. Le traitement de Delhi reste distinct: la capitale nationalebénéficie des fonds fédéraux de la Delhi Development Authority, organisme centralcréé en 1957, chargé de l'application du plan d'urbanisme de la capitale, et de ceuxalloués au développement de la Région de la Capitale Nationale (dotée d'un officede planification depuis 1985). Plusieurs mesures de déréglementation ont aussiaffecté directement ou indirectement le secteur urbain. Citons en particulier: ladéréglementation du secteur du ciment qui a impulsé le dynamisme du secteur de laconstruction, l'abolition du système des licences pour la plupart des implantationsindustrielles, l'abolition en 1999 de la loi sur les plafonds des avoirs fonciers enville, l'ouverture du secteur de l'automobile aux investissements étrangers. Lapolitique nationale de l'habitat formulée en 1998 met à nouveau l'accent sur lepartenariat public-privé afin de développer durablement l'habitat et les infra­structures urbaines, et confirme le renforcement du rôle du secteur privé.

B - La question du logement

Le premier défi des villes indiennes, en particulier des grandes villes, est derépondre à la demande en logement d'une population croissante. Le déficit enlogement adéquat, décent, pour la majorité de la population indienne peut êtreapproché à travers divers indicateurs qui traduisent la congestion et le manque deconfort des logements occupés.

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3 - Le monde des villes

Tableau 11 - Pourcentage de logements d'une seule piècedans l'ensemble des villes indiennes, et dans les quatre mégapoles

(1981*et 1991**)

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Zone / villes Nb. total de % de logements Nb. moyen de Nb. moyen delogements occupés d'une pièce pièces par logement personne par pièce

Inde 1981 28541 877 45,8 2,1 2,6urbaine 1991 39493450 39,5 - -Mumbai 1981 1 580095 68,9 1,4 3,7

1991 2663015 70,8 - -Kolkata 1981 1 713255 56,3 1,7 3,1

1991 2150290 55,2 - -Delhi 1981 1 116796 55,1 1,9 2,8

1991 1 689166 44,8 - -Chennai 1981 831535 45,7 2,0 2,6

1991 1 080695 41,2 - -* 1981 : ménages institutionnels et sans logis exclus. État de l'Assam exclu dans l'Inde urbaine.** 1991 : ménages institutionnels exclus, État du Jammu et Cachemire exclu dans l'Inde urbaine.Source: Census of India 199l, Tables on Houses and Household Amenities. Part VII. Office of the Registrar General& Cens us Commissionner, Government of lndla, New Delhi.

Comme l'illustre le tableau Il, le surpeuplement des logements est particulière­ment critique dans les rnégapoles. Dans la plus grande, Mumbai, 71 % des ménagesne disposent que d'une seule pièce pour vivre en 1991, sachant que la taillemoyenne d'un ménage est d'environ 5 personnes. En outre, à Mumbai comme àKolkata, on ne note pas d'amélioration nette de la situation en 10 ans. Pourcompléter ce tableau, il faut aussi évoquer la présence de nombreux sans-abri, engénéral sous-dénombrés par les recensements: à Delhi ces exclus du logementétaient estimés entre 100 000 et 200 000 au milieu des années 1990, soit 1 à 2 %de la population urbaine totale.

Si la grande ville véhicule une image de modernité dans les campagnes, elle estloin de pouvoir offrir à tour citadin ou nouvel arrivant en quête de logement desconditions de confort « moderne », en particulier un habitat consolidé et un accèsaux équipements de base - électricité, eau potable, toilettes (tableau 12). Unimmeuble en dur, moderne, ne constitue pas, cependant, une garantie de bonneconstruction. Le tremblement de terre qui a ravagé le Gujarat en janvier 2001 a misà nu la fragilité des constructions les plus récentes et leur non-respect des normes desécurité élémentaire et antisismiques : tous les immeubles qui se sont effondrésavaient été construits au cours des trois dernières années. Dans certains cas, on arelevé l'absence de fondations adéquates, dans un autre cas - exemple édifiant­un immeuble d'une dizaine d'étages avait été construit avec seulement trois mursporteurs, le quatrième mur d'appui était celui de l'immeuble mitoyen! Cesexemples dramatiques illustrent les effets de pratiques malheureusement fréquentesdans le secteur urbain, combinant corruption et course au profit rapide audétriment de la qualité et de la sécurité.

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Tableau 12 - Distribution des ménagespar type d'habitation et par équipement (1991)(villes de plus d'I million et demi d'habitants en 1991)

Villes Type de maison % de ménages ayant accès(%) aux équipements suivants:

Consolidée: Serni- Matériaux Électricité Eau Toilerres** Les troispl1CCI1 pl1CCI1 précaires: kutchl1 potable"

G. Mumbai 91 7 2 90 96 75 72Kolkata 83 14 3 77 92 89 69Delhi 85 5 10 81 96 67 62Chennai 75 9 16 82 60 77 45Hyderabad 80 16 4 88 82 81 65Bangalore 88 8 4 82 81 82 63Ahmedabad 87 10 2 92 73 75 65Pune 81 17 2 87 95 73 69Kanpur 84 12 4 75 89 74 62Lucknow 88 7 5 76 88 73 63Nagpur 59 36 5 82 74 71 54Surar 72 23 5 79 91 70 62Jaipur 90 7 3 83 90 79 70

* « Si le ménage a accès à de l'eau potable distribuée par un robinet, une pompe manuelle ou un puits tubulairesitué dans ou à l'extérieur de l'enceinte du bâtiment, ce ménage est considéré comme ayant accès à une sourced'eau potable ».**Toilettes disponibles dans l'enceinte du bâtiment (donc y compris les toilettes d'usage commun dans lesimmeubles d'habitation collective).Source: Census of India /99/, Occasional Paper nO 5 of 1994, Houses and Amenities. Office of the RegistrarGeneral & Census Commisionner, Government of lndia, New Delhi.

Les bidonvilles et taudis - les slums - demeurent la manifestation la plusévidente des difficultés de logement en ville, surtout dans les mégapoles. Pourapprécier l'ampleur du problème, il convient de s'entendre au préalable sur ce querecouvre ce type d'habitat dans les statistiques et divers documents officiels. Selon laloi d'urbanisme de 1956 sur l'amélioration et l'éradication des slums, sontconsidérés comme slums les secteurs urbains où les immeubles sont « impropres àl'habitation », « souffrant de l'étroitesse des rues », « délabrés, congestionnés, malventilés, manquant de lumière ou dépourvus d'équipements sanitaires ». Cettenotion de taudis, inspirée directement des textes britanniques (autre legs de la colo­nisation), a conduit les urbanistes à qualifier de slums certaines sections des centres­villes anciens (la vieille cité fortifiée de Delhi jusqu'à récemment). Slum désigneaussi les formes d'habitat précaire, des auto-constructions en matériaux de récupé­ration ou non consolidées, des abris de fortune, huttes ou baraques exiguës: lesjhuggis-jompris de Delhi, les jhopads-pattis de Mumbai, les bastis de Kolkata. Lecaractère illégal de l'occupation du terrain est une troisième notion qui intervientsouvent dans cette catégorie d'habitat: il s'agit alors des zones de squats (squattersettlements), terrains envahis et auto-construits sans le consentement du propriétaire(privé ou public). Si précarité physique de l'habitation et précarité du statutd'occupation se conj uguent dans la plupart des zones de squats, en revanche lescentres-villes taudifiés classifiés comme slums sont en général habités par deslocataires ou propriétaires légaux. Ainsi le terme de slum peut recouvrir une très

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3 - Le monde des villes 77

grande diversité de situations d'une ville à l'autre, ou au sein d'une même ville, destaudis anciens aux bidonvilles.

Tableau 13 - Population vivant dans des siumsselon la taille de la ville (1991)

Classesde villes* Nombre Population Population des slums

par taille de totale Millions % de lade population villes (millions) population totale

< 50 000 3052 52,06 9,52 18,3

50 000-99 999 345 23,63 4,72 20,0

100 000-299 999 207 32,51 5,45 16,8

300 000-499 999 39 15,12 2,86 18,9500000-1 000000 31 21,45 4,26 19,8

> 1 million 23 71,00 18,87 26,6

dont Chennai 1 5,42 1,53 28,1Delhi 1 8,42 2,25** 26,1Kolkata 1 11,02 3,63** 32,9Grand Mumbai 1 12,60 4,32 34,3

Total 3697 215,77 45,67 21,2

*Villes de l'État du Jammu et Cachemire exclues.*!< Extrapolation sur la base de la population des slums identifiés en 1981.Source: Central Statistical Organisation, Compendium ofEnvironment Statistics, 1997, Ministry of Planning andProgramme Implementation, Government of India, New Delhi.

Ces réserves étant faites, la proportion de population vivant dans les siums resteindiscutablement un indicateur des mauvaises conditions de logement dans les villesindiennes: un cinquième de la population urbaine est concerné, cette partaugmentant dans les quatre mégapoles de tête (entre un quart et un tiers)(tableau 13). Mumbai s'illustre pour abriter « le plus grand bidonville d'Asie »,

Dharavi, avec une population estimée entre 500 000 et 1 million d'habitants, et quimontre comment les bidonvilles peuvent être de véritables lieux de vie et de socia­bilité, de travail et de production. Dans la réalité multiforme du bidonville, leszones de squats sont sans doute les plus mal loties: aux conditions d'habitatprécaire, de congestion, de manque de services urbains de base (en particulierd'équipements sanitaires), s'ajoutent souvent des localisations dans des sitesinsalubres (marécages, zones inondables dans les lits de rivières, zones de déchetsindustriels ou urbains) ou dangereux (bordures de voies ferrées et de canaux). Defait, les squats s'installent sur tous les terrains vacants et non surveillés de l'espaceurbain (voir carte 7 pour Delhi), mais l'illégalité de l'occupation rend la menaced'éviction constante. Pour essayer de résoudre le problème des taudis et des bidon­villes, les pouvoirs publics ont mis en œuvre différents types d'intervention:destruction avec relocalisation, fournitures de services de base, réhabilitation in situ(cf. partie II, chap. 3).

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78 PARTIE 1- DES ESPACES ET DES HOMMES

Photo 5 - Delhi: au pied des immeubles modernes, un bidonville

Photo 6 - Bidonville dans une région industrielle de Delhi.Approvisionnement en eau à une pompe naturelle.

Au deuxième plan, camion toilettes

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3 - Le monde des villes

C - L'insuffisance des infrastructures urbaines

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1 - Adduction d'eau et réseau d'assainissement!

Dans l'ensemble, la population des villes indiennes a encore un accès faible auxservices urbains tels que: adduction d'eau, réseau d'égouts, enlèvement des ordures.Il subsiste en outre de larges inégalités entre États, entre villes et entre ménagesappartenant à différents groupes de revenus au sein d'une même ville. Les insuffi­sances des infrastructures et des services, et leur distribution inéquitable,s'accompagnent d'une gestion inefficace et d'un mauvais entretien qui entraînentdes déperditions très importantes dans les réseaux de distribution d'eau, et enconséquence des pertes financières.

Si l'approvisionnement en eau potable couvre 90 % de la population urbaineen 1997, la situation se détériore pendant les mois d'été et les coupures d'eau sontdevenues monnaie courante. Le niveau de service va par ailleurs se dégradant dansles villes de taille inférieure. Quant au système d'égout, sur les 3768 villes quecomptait l'Inde en 1991, seules 252 des 300 villes de plus de 100 000 habitants ensont partiellement pourvues, couvrant environ 70 % de leur population. Près destrois quarts du volume d'eau fournie par les municipalités de ces villes sont collectésaprès usage, et près d'un quart des eaux usées est soumis à un traitement avant leurrejet. Pour les déchets solides, la collecte dans les grandes villes couvre 50 à 90 % duvolume généré. Tous sont cependant loin d'êtres traités et leur entassementcontribue directement à la pollution de l'environnement urbain et à la contami­nation des eaux.

2 - Les transports urbains

Le transport est un facteur critique pour rendre viable l'expansion spatiale desgrandes villes et assurer leur efficacité économique. Les métropoles indiennesdisposent d'un véritable réseau de transport public largement utilisé (autobus, trainsde banlieue à Mumbai, métro à Kolkata), mais qui reste insuffisant et sur­encombré. A Delhi, un système de transport de masse rapide est en construction;après de nombreux projets proposés et études de faisabilité s'étalant sur quatredécennies, c'est un métro combinant des sections souterraines et aériennes qui afinalement été retenu.

La régulation du trafic urbain est compliquée par la variété des modes detransport aux vitesses très différentes dans une même ville. Aux véhicules motorisésclassiques (autobus, voitures individuelles, scooters et motos) s'ajoutent, selon descombinaisons variables d'une ville à l'autre ou d'un secteur à l'autre de la ville, desscooter-taxis, des vélo-rickshaws (tricycles pour le transport des passagers ou desmarchandises), des bicyclettes, mais aussi des carrioles à cheval ainsi que descharrettes à bras (pour le transport des marchandises). Enfin, les rickshaws à brascirculent toujours dans les rues de Kolkata, malgré les tentatives de la municipalitépour abolir ce mode de transport peu digne: mais comment résoudre cette questionsans priver de moyens de subsistance des dizaines de milliers de tireurs, essentielle­ment des migrants pauvres venus de campagnes déshéritées (celles du Bihar enparticulier) ? La montée de l'automobile, impulsée par l'ouverture de ce secteur aux

1. Les données relatives à J'adduction d'eau er à J'assainissement sont issues de: Economie SUTVq, 2000-2001,Ministry of Finance, Economie Division, Governmenr ofIndia, New Delhi.

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80 PARTIE 1- DES ESPACES ET DES HOMMES

multinationales, est par ailleurs impressionnante, en particulier à Delhi - ce quin'est pas sans effet néfaste sur l'environnement.

3 - Environnement et pollution

La croissance économique et démographique dans les zones urbaines a entraînéune pression de plus en plus forte sur l'environnement: dégradation de la qualité del'air et de l'eau, problèmes accrus de collecte et de traitement des déchets, empiéte­ment des constructions sur les espaces verts. Les indicateurs de pollution de l'airdans les grandes villes indiennes sont alarmants dans un certain nombre d'entreelles, en particulier à Delhi, classée la quatrième ville la plus polluée du monde.

Photo 7 - Face à la crique de Mahim, Mumbai.Chiffonnier triant les détritus au milieu d'un tas d'ordures

© M.-C. Saglio-Yatzimirsky

L'environnement - M.-C. SAGLIO-YATZIMIRSKY

La dégradation de l'environnement s'accélère, directement liée à l'urbanisation etl'industrialisation. La qualité de l'air et de l'eau se détériorent, avec des conséquencesdirectes sur la santé. Au niveau national, lespolitiques de protection de l'environnementse mettent lentement en place, tandis que les réactions locales et les mouvements écologis­tes se multiplient. Au niveau international, l'Inde est engagée dans les négociations sur lecontrôle de l'efJètde serre qui opposent lespays industrialisés aux pays en développement.

Pollution de l'air

La qualité de l'air des villes indiennes se dégrade .. lesjùmées toxiques provenant desindustries (chimie, textile, ftr et acier, papier, cuir, etc.) et du parc automobile yatteignent un niveau record mettant en danger la santé des habitants et provoquant des

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3 - Le monde des villes

maladies respiratoires (bronchite, asthme, etc.) et cardio-uasculaires. Le critèredes MES(matières en suspension,particules en suspension dans l'air), qui ne devrait pas dépasser200 mg/m3 selon l'OMS, indique l'état critique des grandes mégapoles indiennes: ils'élèue à 460 mg/m3 à Delhi et Kolkata. Une des causes majeuresprovient des émissionsdes moteurs. Or le nombre de véhicules immatriculés ne cesse de croître (J,87 millionsen 1971 et 25,28 millions en 1991). Les campagnes ne sont pas épargnées: lacombustion domestique et le brûlis des chaumes sont également trèspolluants.

Cette pollution firme un nuage qui plane au dessus du sub-continent indien,principalement sur les concentrations urbaines, composé d'aérosols soufrés, d'oxyde decarbone, d'ozone, de suie, qui a des conséquences néfastes sur le climat et l'effet de serre.

Pollution de l'eau

L'eau est un second facteur d'inquiétude. La demande d'eau grandit de manièreexponentielle en Inde en raison des besoins de l'irrigation, de l'énergie et de l'usagedomestique. Cette demande est donc directement liée à la croissance de la population, del'agriculture et de l'industrialisation. À terme, seposera leproblème de la disponibilitéen eaux de surface et de la pérennité des eaux souterraines.

Chaque année des sécheresses importantes (janvier 2000 dans le Saurashtra (régiondu Gujarat), février 2001 au Rajasthan ...) réduisent dramatiquement les récoltes etprovoquent d'importantes disettes. Outre des moussons capricieuses et la baisse desnappes phréatiques, environ 20 % de l'eau est perdu ou gaspillé lors de l'usagedomestique, industriel etpour l'irrigation.

La construction de barrages et le transfert du surplus des eaux du nord de l'Inde,considéré comme le réservoir indien (Himalaya et Brahmapoutre), au sud du payssuscitent de vives critiques. Celles-ci dénoncent les coûts des projets, tant financiersqu 'humains (déplacements de populations) et les importants déséquilibres écologiquesprovoqués par les barrages: submersion des terres agricoles et des firêts, dégradation dela qualité de l'eau, destruction de laflore et de la faune, salinisation dessols, etc.

Des solutions alternatives, locales, moins coûteuses et respectueuses de l'environnementsont envisagées, comme par exemple le recueil d'eau de pluie par les communautésvillageoises, technique traditionnelle au Rajasthan.

La question des ressources en eau et de sa pollution sont intimement liées. Lapollution domestique (matières organiques et contamination bactérienne) et industriellede l'eau (mercure, chrome, plomb, arsenic) est d'autant plus problématique que letraitement des eaux polluées est encore très limité dans les villes. Dans les villages, l'eaude surfaceestsouvent contaminée. L'accès à l'eau potable accusede firtes disparitésentreles régions et entre leszones urbaines et rurales: 90 % de la population des villesauraitaccès à de l'eau potable contre58 % de celle des campagnesseulement. Étonnamment, leKerala est ici à la traîne, avec 39 % de sa population ayant accès à de l'eau potable:l'État dispose de beaucoup de sources d'eau mais non potables. L'eau polluéepar les rejetsdomestiques a des conséquences sur la santé (diarrhée, hépatites, parasites, etc.) etvéhicule selonl'OMS plus de 20 % des maladies transmissibles.

Les chiffres révèlent la faiblesse despolitiques environnementales et des équipementscorrespondants et donc le manque d'accèsaux infrastructures findamentales : systèmed'ëgota, organisation de traitement de l'eau et des déchets, respect des standardspour lesémissionspolluantes dans l'air et l'eau.

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82 PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

Mobilisation locale

Compte tenu de la défaillance des politiques publiques, les mouvements écologistessont principalement le fait des populations locales qui vivent directement du milieunaturel: paysans, pêcheurs, tribaux, etc. Les mouvements pionniers des années 1970­1980 rassemblentlespopulationspauvres contre ce qu'elles considèrent être l'exploitationcapitaliste: ainsi les mouvements tribaux du Jharkhand, le mouvement écologisteChipko contre la déforestation et la préservation de l'environnement au pied del'Himalaya ou lesmanifestations de pêcheurs du Kerala contre la pêche industrielle.

Dans les années 1990, pour faire face aux effetsjugés néfastesde la mondialisation,les mouvements d'opposition grandissent. Par exemple, les décisions de l'OMC- auxquelles doit se conformer l'Inde - qui imposent la levéedes droits de douanes surles huiles alimentaires provoquent une vague importante de suicidesparmi lespaysansdu Karnataka et de l'Andhra Pradesh. En conséquence, les paysans pauvres de cesrégions s'unissent pour se défendre. En 1993, le National Alliance of People'sMouements (NAPM) regroupe 200 organisations; en 1998, le Joint Forum ofIndianPeople Against Globalisation estfondé par 55 syndicatspaysans et ouvriers.

Autre chevalde bataille, celui de l'écologiste Vandana Shiva contre les brevetsdéposéspar les sociétés étrangères accusées de pillage sur les semenceset lesplantes indiennes, etcontre les OGM. Enfin, les mobilisations contre les ba"ages se multiplient, avec despersonnalités médiatiques comme Medha Patkar, «Nobel alternatif», ou l'écrivainArundhati Roy (voir encadrésur les barragesde la Narmada, partie III, chap. 2).

L'Inde dans les négociations internationales sur l'environnement

L'émission de gaz responsable de l'effet de serreprovoque pour la planète des risquesclimatiques et la modification des écosystèmes. Les pays industrialisés, principauxconsommateurs des ressources énergétiques, se sont engagés, lors du Sommet de Rio(J992) et du protocole de Kyoto (J997) à réduire ou limiter leur émission de gaz à effetde serre d'ici 2010. Les pays du Sud n'ont pas pris d'engagement quantitatifcar leurémission est nettement inférieure - un Indien rejette 25fois moins de gaz carboniquequ'un Américain du Nord, un Népalais 500 fois moins - etparce qu'ils sont engagés àcourt terme dans un processus de développement qui nécessite l'utilisation intensived'hydrocarbures.

La gestion internationale de l'environnement passepar des quotas nationaux, le caséchéant échangeables entre États, ainsi que par des mesures complémentaires de co­développement. Dans lespays eux-mêmes, la réduction ou le contrôledes émissionspassepar la réglementation ou des mécanismes économiques tels lespermis négociables et lataxation des émissions. Outre la question éthique - lespermis d'émissions constituent­ils un outil immoralpermettant aux riches d'acheter des droits à polluer? - sepose laquestion de la répartition équitable des quotas entre lespays du Nord et du Sud LInde,à la tête despays du G77 1, défend leprincipe du partage des responsabilités entre Étatsface aux changements climatiques. Anil Agarwal, directeur du Center for Science andEnuironment de Delhi a ainsi proposé lors des négociations internationales de 1998(Buenos Aires) la répartition des quotas par tête sur la basedes émissionspassées, ce quipermettrait de respecter les besoinsactuels despays en développement.

1. Le groupe des 77 fur constitué par les pays en développement qui éraient alors 77 à la fin de la premièreConférence des Nations Unies pour le Commerce er le Développemenr en 1964. Il réunir aujourd'hui environ130 pays en voie de développemenr.

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3 - Le monde des villes 83

L'application de mesures récentes de lutte contre la pollution à Delhi ne vacependant pas sans heurt. Au nom de l'intérêt général, la Cour Suprême a passé unordre, effectif depuis novembre 2000, de fermeture des industries polluantesinstallées dans les zones urbaines de la capitale en vue de leur relocalisation àl'extérieur. Un second ordre fait obligation aux transporteurs publics - autobus,taxis et scooter-taxis - de remplacer essence et diesel par du gaz naturel compressé,à compter d'avril 2001. Ces deux décisions ont provoqué de nombreuses protesta­tions et manifestations, parfois violentes: dans le premier cas ce sont des masses detravailleurs qui de fait se retrouvent au chômage (selon les syndicats, au moins35 000 pour les seules grandes usines) ; dans le second, le coût économique de lareconversion et l'interdiction de circuler pour les véhicules non conformes affectentle plus durement les petits conducteurs. Protection de l'environnement contredroits sociaux des travailleurs? Les mesures antipollution sont-elles pour autant unluxe dans un pays comme l'Inde?

Ces divers déficits en logement et en infrastructures reflètent le manque demoyens financiers des pouvoirs publics face à une pression démographiquecroissante, mais aussi des problèmes de mauvaise gestion et de corruption. Onvoudrait toutefois éviter de dresser un tableau apocalyptique de la situation desvilles indiennes. Les indicateurs de pauvreté révèlent une incidence moindre de lapauvreté en zone urbaine qu'en zone rurale: preuve, s'il en fallait, que les villes sontgénératrices d'emplois et de revenus - et c'est bien évidemment ce qui les rendattrayantes au premier chef pour les populations rurales. Enfin, face à desmégapoles qui pourraient sembler ingérables et invivables d'un certain point de vue,on aimerait presque répliquer « et pourtant, elles tournent» : ces villes géantesfonctionnent. Pour leurs habitants, ce sont des lieux de vie, qui deviennent des lieuxd'invention permanente dans des contextes difficiles, face à des situations inédites.

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PARTIE 1- DESESPACES ETDES HOMMES

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Partie Il

LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

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Carte 8 - L'Inde: langue principale par Étaten 1991

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Territoim contrôlé par la Chine et revendiqué par l'Inde

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MOSAïQUE SOCIALE ET SOCIÉTÉ DE CASTES,UN OBSTACLE AU DÉVELOPPEMENT?

MARIE-C. SAGLIO-YATZIMIRSKY

L'Inde se présente comme une mosaïque de communautés linguistiques et reli­gieuses : des centaines de langues et de dialectes sont répertoriés; les minorités)musulmanes, chrétiennes, sikhes (etc.) se différencient de la majorité hindoue.Cette incroyable diversité représente, sinon un défi, un pari pour la cohésionnationale.

Pourtant plusieurs facteurs contribuent à l'unité de l'Inde, dont le terreau histo­rique commun et le poids de l'hindouisme. L'Inde présente en effet une structuresociale singulière: celle d'une société de castes, qui, même si elle concerne d'abordla majorité hindoue, n'en influence pas moins profondément le reste de sa popula­tion. L'enjeu social de l'Union indienne est d'assurer le développement tout enrespectant les particularismes.

1- LA MOSAïQUE SOCIALE: DIVERSITÉ LINGUISTIQUE ET RELIGIEUSE

A - La diversité linguistique

1 - 18 langues constitutionnelles, des centaines de dialectes

L'Inde frappe par son extraordinaire diversité linguistique. Les langues indo­aryennes dominent en nombre de locuteurs: ce sont les langues issues du sanskrit etparlées au Nord (assamais, bengali, gujarati, hindi, cachemiri, konkani, rnarathi,népalais, oriya, penjabi, sanskrit (très peu parlé et réservé au cadre religieux), sindhi,ourdou (langue des musulmans du Nord)).

Les langues dravidiennes, parlées dans les États du Sud sont le tamoul, letélougou, le kannada, le malayalam. Toutes ces langues sont reconnues officielle­ment par la Constitution.

On compte deux groupes linguistiques minoritaires: les langues austro­asiatiques et les langues tibéto-birrnanes. Parmi les premières, on range les langues

1. Selon l'article 30 de la Constirurion de 1950. tous les non-hindous appartiennent à des minorités. Tourefoisla définirion des minorités demeure très ambiguë: ourre des minorités linguisriques er religieuses. il esr aussi desminorités au regard du code civil hindou. Selon ces dernières. les sikhs, jaïns. bouddhistes er juifs som répertoriésparmi la • majorité hindoue ., randis que les musulmans er les chrétiens, qui onr leur propre code civil, som desle minorités )f.

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88 PARTIE 11- LEDÉVELOPPEMENT HUMAIN

de famille munda, qui semblent avoir été les plus anciennes langues parlées en Inde.Ces langues sont parlées par des tribus, minorités ethniques et culturelles qui ontrésisté à l'hindouisme. Ainsi du santali parlé par les Santal du Bengale. Les languestibéto-birmanes (comme le manipuri, langue constitutionnelle) sont essentiellementparlées dans le Nord-Est de l'Inde, dans les contreforts de l'Himalaya.

Le problème linguistique en Inde est double: se pose d'une part le choix de lalangue officielle de l'Union indienne, d'autre part celui de la place des principaleslangues.

A l'Indépendance, le hindi a été choisi comme langue officielle de l'Inde, etl'ourdou comme celle du Pakistan". Le hindi est parlé par 40 % de la populationindienne, ce qui représente un nombre très important, mais ce qui exclut toute unepartie de la population, en particulier celle du Sud, qui rejette, à travers la langue,l'impérialisme de la culture du Nord. L'anglais a été désigné comme seconde langueofficielle, au départ pour une période transitoire de 15 ans. Pourtant il a étémaintenu d'autant plus facilement que les États dravidiens refusent le hindi.Essentiellement langue de l'administration, il n'est couramment parlé que par unepetite élite, environ 6 % de la population.

Par ailleurs, l'Inde reconnaît 18 langues constitutionnelles, tandis que descentaines de parlers et dialectes particularisent ses régions. Ce tableau favorisel'impression d'un éclatement linguistique. Pourtant celui-ci est plus limité qu'il n'yparaît. Tout d'abord, la diffusion du hindi est assez importante, notamment grâceau cinéma et aux musiques de films populaires. Outre ces rudiments de hindi,chaque Indien maîtrise sa langue maternelle et celle de son État - elles peuventêtre différentes. Enfin, le système éducatif favorise le trilinguisme : langue de l'État,hindi? et anglais. Certes, seuls les jeunes scolarisés et habitant en zone urbainebénéficient effectivement de cette politique.

2 - Identités linguistiques et revendications territoriales

La question linguistique a une dimension politique évidente: les languesmaternelles définissent les territoires et les communautés linguistiques qui lespeuplent veulent être politiquement reconnues. C'est pourquoi la langue a été lecritère de recomposition interne de l'Union indienne après l'Indépendance. Eneffet, l'Inde héritée du colonialisme se présentait en 1947 comme un patchworkd'anciennes provinces britanniques et d'États princiers aux régimes administratifsdisparates. Pour l'Assemblée constituante, le défi a été de trouver un cadre politiquequi permette de gouverner un pays hétérogène sur les plans sociaux, religieux etlinguistiques, en respectant la diversité. La première phase de cette réorganisation aété marquée par l'incorporation des États princiers et leur regroupement. Laseconde phase a été le découpage des frontières des États selon le critère linguis­tique: en 1956, le Sud de la péninsule voit la formation de l'Andhra Pradesh, duTamil Nadu, du Kerala, du Karnataka. Le Maharashtra et le Gujarat sont formés en1960 à partir de la division nord-sud de l'État de Bombay. Suivront d'autres rema­niements dans les années 1960 : les sikhs obtiennent une nouvelle délimitation duPenjab par la création de l'Haryana. Le Nord-Est montagnard est dessiné selon un

1. Le hindi el le ourdou som issus de l'hindusrani, lui-même né du sanskrit, de l'arabe el du persan. Emre (esdeux langues, seule l'écriture change: le devanagari pour le hindi - qui est l'écriture syllabique du sanskrir » elI'écrirure persane pour l'ourdou.

2. Le système éducatif préconise l'apprentissage d'une langue dravidienne dans les régions hindiphones.

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1 - Mosaïque sociale er société de casres, un obsracle au développement ? 89

tracé qui reflète la fragmentation socioculturelle de la région: création du Nagalandde sa séparation d'avec l'Assam, création de l'Arunachal Pradesh, de Manipur,Mizoram, Tripura et du Meghalaya. L'ancien territoire portugais de Goa, annexé en1962, acquiert le statut d'État en 1987. Dans les années 1990, l'Inde possède ainsi25 États de taille et de poids démographique très divers, et 7 Territoires deI'Union '. Mais le mouvement se poursuit: les revendications territoriales ontconduit en 2000 à la création de trois nouveaux États.

3 - La persistance des séparatismes

Cette carte administrative de l'Inde est menacée par des revendications sépara­tistes de trois types: autonomistes, régionalistes, sécessionnistes-.

D'une part, certaines minorités revendiquent un statut propre au sein del'Union, souvent depuis plusieurs décennies. Si pendant 20 ans la carte administra­tive de l'Inde n'a pas été modifiée, le gouvernement de Front Uni'' s'ouvre en 1996à certaines revendications minoritaires et accepte de reconsidérer la structure d'Étatstrop importants. En 2000, trois nouveaux États voient le jour: le Jharkhand (régionsituée au sud du Bihar) caractérisée par son importante population tribale et sesriches réserves minières, l'Uttaranchal, partie himalayenne de l'Uttar Pradesh, etChhattisgarh à l'est du Madhya Pradesh.

Un second type de séparatisme, régionaliste, est perceptible dans le mouvementdravidien, né dans les années 1940, qui revendique la spécificité d'une culturedravidienne. Un même type d'action régionaliste est perceptible en Assam.

Enfin, des mouvements séparatistes ont débouché sur un sécessionisme armé auPenjab et au Cachemire. Ces deux États sont situés à la frontière pakistanaise, etleur population a subi la partition de 1947. Les problèmes politiques, religieux etlinguistiques sont inextricablement liés dans leur histoire mouvementée et violente.

Celle du Cachemire remonte aux difficultés d'intégration en 1947. Cetteancienne principauté à forte majorité musulmane est alors gouvernée par lemaharaja Hari. Elle possède en outre une région hindoue au sud -le Jammu-,et une frange bouddhiste à l'est -le Ladakh. Musulmans et hindous s'opposentsur le sort du Cachemire, tandis que l'Inde et le Pakistan revendiquent chacunl'intégration du Cachemire à leur territoire national. Les cessez-le-feu auxquels ontabouti les conflits indo-pakistanais de 1949, 1965 et 1971 divisent le Cachemireentre le Nord pakistanais (région de l'Azad Cachemire) et le Sud indien (État duJammu et Cachemire), tandis qu'une partie de la population cachemiri revendiquel'autonomie. Le conflit s'enlise avec la montée des actions terroristes des groupesislamiques depuis 1989 ; il a déjà fait 40000 victimes. Deux questions sontparticulièrement d'actualité: obtenir la reconnaissance des lignes de contrôle

1. Les Terriroires de l'Union sonr les anciens comptoirs français (Karikal, Mahé, Yanaon, Pondichéry, excepté

Chandernagor incorporé au Bengale occidenral) qui formenr le Territoire de Pondichéry, les anciennes enclavesportugaises de Daman er Diu, er les anciens territoires portugais de Dadra el Nagar Haveli, les îles Laquedives, les îlesAndaman el Nicobar, la capitale fédérale Delhi el Chandigarh (cf. carle administrative de l'Inde). L'administrationde chaque territoire est confiée à un lieutenant-gouverneur, nommé par le président de la République.

2. Cf. l'analyse de J.-L. Racine (I993), • Rama er les joueurs de dés - Quesrions sur la narion indienne »,

Hérodote. nO 71, p. 5-42.3. On désigne ainsi le gouvernemenr de gauche en place de 1996 à 1998.

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90 PARTIE 11- LEDÉVELOPPEMENT HUMAIN

comme frontières par le Pakistan et l'Inde, redéfinir le statut du Cachemire aprèsconsultation de sa population'.

L'histoire du Penjab renvoie directement à la question sikhe (cf. ci-dessous).

B - Les minorités religieuses

L'Inde est également caractérisée par la diversité de ses communautésreligieuses. Outre la majorité hindoue qui représente 82 % de la population, ellecompte une très importante minorité musulmane (environ 12,5 %) et d'autresminorités dont la faiblesse numérique relative ne correspond pas à leur rôlepolitique ou économique. Parmi elle, la communauté bouddhiste compte environ0,7 % de la population indienne. Apparu au VIe siècle av. ].-c., le bouddhisme aprogressivement disparu de l'Inde pour se diffuser dans le reste de l'Asie. Il demeuretoutefois sur les bordures himalayennes, dans les territoires du Nord-Est. Parailleurs, les néo-bouddhistes regroupent les intouchables convertis au bouddhismepar rejet du système de castes sur l'appel de leur leader B.R. Ambedkar (cf. ci­dessous). Ils sont principalement concentrés au Maharashtra.

Les jaïns représentent moins de 0,5 % de la population indienne. Ils serencontrent au nord-ouest, dans le Rajasthan, le Gujarat, le Maharashtra etoccupent souvent des fonctions élevées dans le commerce. Ils se caractérisent parleur spiritualité qui professe la non-violence et leur strict régime végétarien.

La communauté parsie, aux rites zoroastriens, a fait de l'Inde sa terred'adoption: 65 000 de ses membres sont aujourd'hui concentrés à Mumbai.Remarquable par sa puissance économique, elle compte des familles industriellesrenommées comme les Tata.

L'Inde abrite aussi une petite communauté juive de quelques 4 000 personnes,principalement concentrée à Cochin (Kerala).

Trois minorités ont une influence particulière sur la vie politique indienne: lescommunautés musulmane, sikhe et chrétienne.

1 - Les musulmans

La partition de 1947 a dissocié de l'Inde indépendante les territoires à majoritémusulmane. Il ne reste pas moins une très importante communauté musulmane enInde qui compte environ 140 millions de personnes: plus de la moitié d'entre ellessont concentrées dans le Jammu et Cachemire et la plaine gangétique (UttarPradesh et Bihar).

La présence des musulmans en Inde est ancienne: installation des marchands etnavigateurs arabes sur les côtes indiennes vers le Xe siècle, arrivée d'une deuxièmevague de migrants du nord-ouest au XVe siècle. Cette présence, on l'a dit, a favoriséde fructueux échanges entre les civilisations hindoue et musulmane, non exemptsde conflits. La confrontation s'est toutefois précisée à la fin du XIXe siècle, périodeà laquelle se développe le séparatisme musulman, avivé par les stratégies de divisiondes Britanniques, et qui aboutira à la partition. Celle-ci ampute l'Inde des deux tiersde sa population musulmane.

1. En mai 1999, l'infiltration de combattants islamistes venus du Cachemire pakistanais au Cachemire indien etl'occupation de la région de Kargil déclenche une quasi-guerre entre les deux puissances. L'Inde réplique, sanstoutefois franchir la ligne de contrôle. La. guerre de Kargil • porte un coup au dialogue.

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1 - Mo saïque soc iale et société de castes, un ob stacle au développement ? 91

Carte 9 - L'Inde: distribution des communautés religieusespar État en 1991

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92 PARTIE Il - LEDÉVELOPPEMENT HUMAIN

La question de l'intégration est le point d'achoppement de la communautémusulmane vivant en Inde. Dès les années 1960 en effet, les points de discordes'accumulent: préservation de la langue ourdou dont l'usage et l'enseignementdécroissent, sous-représentation des musulmans dans le système administratif. Cesderniers, la plupart de modestes fermiers et artisans, sont d'un statut socio-écono­mique inférieur à la majorité hindoue. Ainsi, la dénonciation d'une discriminationmusulmane grandit.

Les tensions s'accroissent avec la montée des forces nationalistes hindoues et desviolences communalistes (cf. ci-dessous) à l'encontre des musulmans: l'attaque dessymboles religieux de l'Islam dans les années 19701 culmine avec le dramed'Ayodhya- en décembre 1992. A cette montée du communalisme, une partie desmusulmans réagissent par une réaffirmation politique et religieuse.

2-Les sikhs

S'ils ne représentent que 1,9 % de la population indienne, les sikhs ne consti­tuent pas moins une communauté puissante. Elle est concentrée aux trois quarts auPenjab, État le plus riche de l'Inde par sa production de céréales. Aisémentreconnaissables par leurs signes extérieurs, turban et barbe, les sikhs professent unereligion originale, créée au XVe siècle par le Guru Nanak (1469-1539) et qui mêlela tradition bhakri- et l'influence soufie : elle est fondée sur une foi en un dieuunique, le rejet des distinctions de caste et une organisation communautaire encongrégation. Bientôt la communauté se dote d'une puissante organisation finan­cière et territoriale. Sa confrontation croissante avec les musulmans au cours duXVIIIe siècle l'engage à former une communauté plus martiale.

Après la partition, une partie des sikhs revendique la formation d'un État indé­pendant, le Khalistan. En 1966, l'ancien Penjab est séparé de l'Haryana et del'Himachal Pradesh et sa langue, le penjabi, est officiellement reconnue. Pourtant,les revendications ne cessent pas, et les oppositions entre sikhs et hindous se déve­loppent dans les années 1970 et 1980. L'apogée de la violence conduira à l'inter­vention de l'armée indienne dans le sanctuaire sikh du temple d'Amritsar en 1984,provoquant un traumatisme parmi la communauté sikhe. Depuis 1992, date de lareprise des élections, les violences extrémistes sont plus canalisées. Elles auronttoutefois fait 25 000 victimes en 12 ans.

3 - Leschrétiens

Les chrétiens forment 2,4 % de la population indienne, soit 23 millions depersonnes, dont 15 millions de catholiques et 8 millions de protestants. Ils repré­sentent la troisième communauté indienne, derrière les hindous et les musulmans.Comme ces deux dernières, ils disposent de leur code civil propre. Ils sont principa­lement concentrés dans les États de langue dravidienne et à Goa. Il y a lieu deséparer la vieille souche des chrétiens de Saint Thomas, implantée au Kerala au

I. En 1963, le vol d'une relique du Prophète dans une mosquée de Srinagar, en 1964 l'afflux de réfugiéshindous persécutés au Pakistan oriental el en 1969 le massacre d'Ahmedabad ponctuent de violences la décennie.

2. L'ernplacernenr de la mosquée d'Ayodhya (ville de l'Uttar Pradesh) attribuée au premier empereur mogholBabur eSI revendiquée par les hindous comme le lieu de naissance du dieu Ram. Le conflit, Iargernenr politisé,devient pour les nationalistes hindous un moyen de sceller l'unité nationale. La destruction de la mosquée d'Ayodhyale 6 décembre 1992 a déclenché une vague de violence nationale. Elle s'est achevée avec les sanglants attentats deBombay en mars 1993, interprétés comme des représailles des musulmans.

3. Courant de la dévotion hindoue médiévale, ouvert aux plus humbles, qui repose sur une relation d'amourentre le disciple el Dieu.

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1 - Mosaïque sociale et société de castes, un obstacle au développement ? 93

1er siècle et au statut social élevé, des récents convertis par les missionnaireseuropéens. Cette diversité d'origine ainsi que la diversité d'appartenance confes­sionnelle ne favorisent pas leur unité. Beaucoup sont issus de basses castes hindouesconverties, et présentent donc les stigmates d'une communauté défavorisée socio­économiquement. Pourtant, ils ne sont pas reconnus comme Scheduled Castes et àce titre ne peuvent bénéficier de la politique de discrimination positive! (cf. ci­dessous).

C - Les tribus

À titre de minorité, les tribus de l'Inde méritent une mention particulière: leurinteraction avec la population dominante hindoue pose en effet problème. Lesaborigènes représentent environ 7 % de la population indienne, soit 70 millions depersonnes. Certaines sont regroupées en tribus importantes numériquement, dontles Gond (Maharashtra, Madhya Pradesh et Andhra Pradesh), les Bhil (au nord­ouest des précédents), les Santal et les Muria (Bengale, Bihar, Orissa). C'est sanscompter la multitude des ethnies de la zone frontalière nord-est.

Les tribus de l'Inde se caractérisent par un certain nombre de critères qui nesont pas entièrement concluants. Le critère linguistique qui leur attribue le mono­pole des langues austriques et tibéto-birmanes subit des exceptions: il existe en effetdes langues tribales dravidiennes comme le gondi, et une langue tribale indo­aryenne, le bhil. De même, le critère religieux, retenu par les Britanniques, n'est paspertinent: seuls 2 millions de tribaux seraient animistes, la plupart étant convertis àl'islam et au christianisme. Par ailleurs on retrouve de nombreuses formes d'assimi­lation de l'hindouisme dans leurs pratiques magiques et leurs rituels de possession.

Les critères sociaux et économiques semblent être plus à même de souligner leurparticularité: les tribaux ne connaissent pas la hiérarchie hindoue initialementfondée sur les critères du pur et de l'impur, et donc les castes (varna). Enfin, ilsvivent de manière plus ou moins autonome dans des aires géographiques isolées etproposent des modes de subsistance en général éloignés du modèle de l'agriculturesédentarisée (chasseurs-collecteurs des îles Andaman, agriculture itinérante surbrûlis des Santal et des Muria, etc.).

La Constitution a souhaité permettre un rattrapage de ces communautés consi­dérées comme défavorisées: les mesures de discrimination positive attribuent auxScheduled Tribes (litt. « Tribus répertoriées ») réservations et bénéfices spécifiques.Mais l'intégration des tribaux pose actuellement d'énormes problèmes, en parti­culier lorsque leur système d'exploitation des terres et des forêts est remis en cause.

I. Selon le décret présidenriel de 1950, seuls les hindous peuvenr êrre considérés comme membres d'une casrerépertoriée et bénéficier à ce titre de mesures préférenrielles. Deux amendements, en 1956 er 1990, incluenr respecri­vemenr les intouchables converris au sikhisme et les néo-bouddhistes. Mais ni les inrouchables chrétiens, ni lesinrouchables musulmans ne peuvenr être réperroriés comme Schtdtlltd Casus.

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Il - UNE SOCIÉTÉ DE CASTES

PARTIE Il- LEDÉVELOPPEMENT HUMAIN

La structure sociale indienne est traditionnellement fondée sur le système decastes qui attribue à chacun un statut et une fonction dans la société'. Ce systèmehiérarchique et apparemment immobile a pu être considéré comme un obstacle au« développement », Pourtant la réalité de cette structure sociale ne correspond pasau tableau statique qui en a été donné.

En outre, les évolutions économiques et politiques qu'a connu l'Inde depuis lafin du siècle dernier ont bouleversé ce modèle. De nouveaux facteurs de mobilitésociale et économique sont apparus et ont favorisé l'émergence d'une classemoyenne d'environ 300 millions de consommateurs. Parallèlement, les mesuresconstitutionnelles et la politique de discrimination positive mise en place àl'Indépendance ont contribué à la mobilité sociale des groupes défavorisés.

A - Les représentations du système des castes

1 - Au fondement de la hiérarchie, varna et jati

La société indienne se présente comme une « société de castes ». Ce systèmesocial qui existe depuis des millénaires a été plus ou moins bien interprété par lesOccidentaux, qui dès le XVIIe siècle ont cherché à le comprendre, lui attribuantainsi un rôle fondamental. L'ambiguïté du terme de caste, issu du portugais casta(<< ce qui est non mélangé »), vient de ce qu'il traduit deux notions différentes: levarna et la jati.

La première notion se réfère à un découpage religieux théorique et ancien de lasociété hindoue en quatre varna (<< couleur» en sanskrit) c'est-à-dire en classesayantchacune des fonctions, des devoirs et des privilèges dans l'ordre rituel et social-:brahmaneou prêtre, kshatriya ou guerrier et roi, vaishya ou marchand, shudra ouagriculteurs, artisans et gens de service. De ces membres de castes (savarna) sontséparés les hors-castes (a-varna), que les Britanniques appelleront les intouchables.

Dans une perspective religieuse et selon l'anthropologue Louis Dumont, c'est ledegré de pureté et d'impureté rituelle qui fixe le statut de chaque caste, donné dès lanaissance, et la situe sur l'échelle sociale. Le brahmane, pensé comme un médiateurentre Dieu et les hommes, doit se purifier pour officier. L'intouchable assure cettepurification en débarrassant le monde de la pollution. Parce ce que dernier est hors­caste et qu'il n'appartient pas à la société de varna en relation ritualisée avec l'ordredivin, il peut pratiquer les activités polluantes comme la tannerie ou la vidange quile mettent en contact avec les matières impures, c'est-à-dire la chair morte, le sang,les excréments (etc.). La complémentarité des castes assure ainsi l'ordre (dharma) etla cohérence de l'univers.

Il est bien entendu que ce modèle théorique relève d'une idéologie brahma­nique ancienne édictée par une petite élite indienne et qu'il a d'abord une réalitésymbolique. Toutefois, les considérations statutaires ont orienté les représentations

1. Il serait plus JUSte de parler de la société hindoue dans la mesure où le système des castes que nous allonsdécrire est un système soclo-religieux propre à l'hindouisme. Pourtant, la société indienne dans son ensemble ettoutes ses communautés religieuses, dont l'importante communauté musulmane, ont été influencées par ce modèlehiérarchique unique.

2. Le terme de classe n'est pas employé ici dans la conception marxiste de classe sociale, mais au sens de groupesde statut héréditaire, qui correspondent un peu aux ordres de l'Ancien Régime, avec toutefois des règles plus stricteset bien évidemment différentes.

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et les interactions sociales entre les castes. En particulier, les groupes situés en bas del'échelle sociale, les « intouchables », ont subi, des siècles durant, ostracisme etmépris social de la part des hautes castes. Ce système hiérarchique a en effet généréleur exclusion: relégués dans des quartiers en marge du village, les intouchablesn'avaient pas accès aux mêmes puits ou temples que le reste de la société qui évitaitleur contact.

Les intouchables

Être « intouchable» dans le système des castes signifie être tout en bas de l'échellehiérarchique hindoue. D'autres termes comme harijan (litt. «enfants de Vishnou »,

terme utilisépar Gandhi) ou commedalit/ qui se rapporte aux intouchables militantpour leurs droits politiques, ainsi que la catégorie institutionnelle de Scheduled Castes{litt. « Castes répertoriées ») désignent tous cet ensemble de plus de 160 millions depersonnes, soit environ 16 % de lapopulation indienne.

La dimension statutaireexplique l'ostracisme à l'égard des « intouchables» qui duredepuis des siècles: ils ont été relégués aux tâches dites dégradantes, écartés de l'accès auxbienspublics, méprisés. Dans les textes anciens qui décrivent leur impureté, dans lestémoignages des Européens sur le traitement inhumain dont ils font l'objet, dans lalittérature dalit actuelle qui regroupe leurs écrits, ilsconstituentces opprimés humiliés.

Leur lente reconnaissance politique doit particulièrement à B.R. Ambedkar (1892­1956), homme politique mahar (caste d'intouchables du Maharashtra, autrefoisgardiens de village), qui se consacre à leur émancipation. Il les organise dès les années1920 enfédération puis dans le RPI (Republican PartyofIndia) en 1956. Ministre dela Justice sous le gouvernement de j. Nehru, il est le président du comité chargé derédiger la Constitution, dans laquelle les pratiques d'intouchabilité sontprohibées.

Deux éléments récents ont affaibli ces dernières sans toutefois les faire disparaître:l'urbanisation et l'industrialisation d'une part, l'expression politique d'autre part. Lesévolutions économiques permettenten effètune mobilitésocialefondée sur l'éducation, laprofession et le revenu, et réduisent les pratiques d'exclusion liées à la hiérarchie destatut. Par ailleurs, les mesures de discrimination positive (cf ci-dessous) et leur récentereprésentation politiquefavorisent la mobilitésociale des « intouchables ».

Pourtant, la condition des « intouchables» reste pénible, en particulier dans lesvillages et là où ils sont en situation de dépendance économique à l'égarddesgrandspropriétaires terriens. Les discriminations et stigmatisations concernant la tenue vesti­mentaire, l'eau et la nourriture persistentsouvent, qui expliquentmoquerie ou mépris,ou les réflexes depurification de la vaisselle utilisée par un « intouchable »... Ce méprisse transforme en haine lorsque les barrières de caste sont transgressées: les journauxrapportent quotidiennement les violences extrêmes (atrocities) dont sont victimes les« intouchables », Par exemple au Bibar, unefille de brahmanes bhumihar ayant uneliaison avecun homme chamar (caste intouchable des travailleurs du cuir)provoquedes

1. Cet adjectif rnararhi signifie « opprimé -, « bafoué -, « écrasé », S'il est employé quelquefois comme syno­nyme d'Intouchable, le terme de da/it désigne plus précisément le mouvemenr politique d'émancipation socio­culturelle des « intouchables _ et ses partisans.

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vengeances (viol, attaque à l'acide...) et même la mise à mort de la famille chamar parles brahmanes.

Le témoignage de Viramma

Viramma, intouchable d'un village situé près de Pondichéry raconte la vie quoti­dienne à son interlocutrice, une brahmane éduquée:

(( Au céri"aussi, tout change. On se corrige, on se civilise. [. . .)

A la campagneje ne porte pas de corsage. Une paratchi"ne doitpas en porter aprèsavoir eu un enfant, c'est impoli. Mais quandje vais à la ville, chez toi, je ne vais pasrester les épaules nues! [. . .} Les hommes de l'ur" ont l'eau à la bouche quand ils voientnos filles, et on les entend dire: (( Regarde ça ! Est-ce qu'on dirait une Paria? elle estsidécente! » [' .• J

Regardepour l'eau, là aussi ça change, Sinamma! IlY avait seulement un puits à l'uret un puits au céri ! Maintenant legouvernement a mis des robinets ; ilY en a quatre oucinq pour le céri. [' .. J Certains (desgens de l'ur) viennent maintenant chercherde l'eauau céri en cas de besoin, et nous, si nos robinets sont en panne, on va à l'ur [. . .J. C'estqu'il nya plus de pollution. Le gouvernement a réglé cette histoire en installant despuits fermés et des châteaux d'eau. L'eau est distribuée par des robinets ; commentpourrait-on la polluer? On ne plonge plus nos récipients dans lespuits puisqu'ils sontfermés. On tourne le robinet, et l'eau coule dans notrepannelle, ou dans celledes gens del'ur. [. . .} Mais il y a toujours des entêtées qui refusent de venir au céri, et qui préfèrentaller chercher de l'eau très loin, dans lespuits des champs »,

Viramma, Racine ].-L. & ]. (J994), Une vie paria. Le rire des asservis, Plon,p.250-253.

* Glossaire des termes tamouls :Chi: k quartierharijan, à l'écart du villag~ majeur, app~/( ur.Paratchi :fimm~ paria. Par extension, fimm~ du ceri.Ur: k villag~, par opposition au chi, hameau séparé des intouchables. C'estdam l'ur qu~uiuentles brahmanes et les castes possédantes (auec, à leurtêt», les reddiar).

La caste traduit une seconde notion, celle de jati (litt. « espèce »), qui, celle-ci,correspond à une réalité sociologique. Chaque classe (varna) compte plusieurs jati,groupe de naissance héréditaire. Ce groupe, formé par le réseau d'alliances, n'a desens qu'au niveau local. Là encore, les chercheurs ont tenté de définir cette structuresingulière. Les définitions canoniques reconnaissent trois caractères à la jatiindienne: le premier est celui de la séparation qui s'exprime à travers les règlesd'endogamie (c'est-à-dire le mariage à l'intérieur du groupe social) et de cornmen­salité (c'est-à-dire le partage du repas avec des membres de même statut que soi). Lesecond est celui de la division fonctionnelle des castes en professions héréditaires.Enfin le troisième est la hiérarchie, puisque le statut de chaque jati la situe parrapport aux autres.

La société indienne se subdivise donc en des milliers de jati, terme vernaculaireutilisé par les hindous eux-mêmes pour désigner leur propre groupe de naissance.Chacune possède ses particularités locales, se traduisant par des spécificités rituelleset professionnelles.

Même si on perçoit bien la difficulté de ranger les castes (Jat:) comme dessubdivisions des varna (classes hiérarchiques) puisque ces deux catégories neprocèdent pas des mêmes critères de classification, c'est toutefois souvent ainsi

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qu'est présentée la structure sociale indienne: les trois varna supérieurs, brahmanes,kshatriya, vaishya, seraient subdivisés en nombreuses jati qui compteraient pourenviron 20 % de la population, celles des shudra pour 50 % à 60 % et celles deshors-varna ou ex-intouchables pour 20 %1.

Cela dit, la classification de la société indienne en castes est aujourd'hui remiseen question. Le colonialisme a accentué le découpage objectif de la caste et sonimportance en entreprenant de recenser la société indienne dès 1872. Les recense­ments décennaux (1881, 1891, 1901. .. ) ont abouti à la construction de groupes etont concrétisé rangs et privilèges, d'autant plus que les Britanniques se sont référésaux érudits, c'est-à-dire aux brahmanes, qui ont eu tout intérêt à promouvoir unsystème hiérarchique rigide où ils apparaissaient comme supérieurs. Jusqu'au recen­sement de 1931, le système de classement faisait systématiquement correspondre lesgroupes sociaux répertoriés (Jatt) aux classes (varna). Les recensements comptaientcinq catégories statutaires: brahmanes, rajput, castes supérieures (<< good socialposition »), castes inférieures (correspondant ici aux castes de service, c'est-à-dire auxshudra) et la catégorie « non hindou et aborigène »,

Un débat actuel: le recensement 2001 devait-il retenir la variable de caste?

Les recensementsde la période qui a suivi l'Indépendance, menés sous lesauspicesdugouvernement indien, ont évité de répertorier les castes, saufcomme indication pourrecenser les Scheduled Castes et les Scheduled Tribes, catégories auxquelles laConstitution avait réservé des sièges au Parlement et dans l'administration (cf ci­dessous). Les nouvelles réservations pour les Otber Backward Classes en 1990 ontdéclenchédes débats brûlants. Certains États ont désigné des commissions régionales pourconduire des enquêtes sur les casteset leurs caractéristiques. Depuis 1998, la propositionde réintroduire la variable de caste dans le recensement de 2001 a donné lieu à desdébatspassionnés. Deux arguments s'opposent.

Contre, sont ceux qui considèrent qu'introduire la variable de casteperpétuerait unsystème inégalitaire et de division sociale entre les castesavancées (Forward & uppercastes) et les castesarriérées (backward castes). Selon eux, le critère de la classe sociale(revenu + profession) suffit. Pour, sont ceux qui estiment que la caste reste la basede ladiscrimination sociale et de la pauvreté: l'utiliser comme variable dans le recensementpermettrait d'évaluer la corrélation entre caste et classe, de mieux identifier lespopula­tions défavorisées, et de mieux orienter lespolitiques de rattrapage social.

La faisabilité d'un tel recensement est une autre affaire. L'option a pour finir étéabandonnée.

2 - L'organisation sociale et économique traditionnelle des villages

L'explication religieuse du système de castes est concurrencée par une interpré­tation plus politique selon laquelle il serait un système de rangs reliés au degré decontrôle des ressources productives. Ceci expliquerait la corrélation, longtempsvérifiée, entre la position socio-économique et le statut de caste. Les « pauvres»dans la société rurale traditionnelle regroupaient principalement les basses castes deservice et les intouchables. Ces derniers exerçaient les métiers impurs et dévalorisés

1. Voir par exemple, F. Durand-Dastès (1993), L 'Inde, La Documentation Française.

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et constituaient également la grande masse des travailleurs agricoles sans terre.L'échelle des castes traduirait ainsi une hiérarchie de pouvoir.

C'est concrètement dans l'économie du village que s'exprime le mieux le lienentre le statut de chaque caste et son rôle professionnel. Dans une grande partie del'Inde pré-coloniale puis britannique, le système jajmam' organisait les inter­relations socio-économiques des populations rurales et assurait la rétribution ennature des services rendus par différentes castes d'artisans et de travailleurs agricolesaux familles de caste « dominante? », Ces liens formels garantissaient la stabilitééconomique et sociale du village.

La représentation du village indien comme une petite société fermée et figée, àl'harmonie politique idéalisée, a longtemps caractérisé la vision européenne dumode de production asiatique. Le système de castes serait, selon cette vision, unestructure d'intégration sociale.

Pourtant, Marx rend l'immobilité de celui-ci responsable de l'archaïsme desrapports sociaux et de l'impossibilité des progrès éconorniques''. De même queWeber, réfléchissant au village indien centré sur la satisfaction des besoins de laseule communauté, y voit un obstacle au développement du marchés.

Aujourd'hui, il apparaît que les représentations d'un système de castes rigide etd'une organisation villageoise immobile ne correspondent pas à la réalité. Lesvillages étaient traversés de migrations et de mobilités économiques et politiques.Des formes de mobilité sociale ont toujours été historiquement observées dans lasociété de castes, même si le système semblait plus rigide aux extrêmes de lahiérarchie, là où la profession et le statut étaient intimement associés comme dans lecas des intouchables.

Mais c'est depuis les dernières décennies que le système de castes est remis encause.

B - Les facteurs de mobilité sociale et économiqueet l'émergence d'une classe moyenne

1 - La mobilité sociale et économique au sein de la caste

Depuis plus d'un-siècle, la structure de la caste est bouleversée par les évolutionssociale, économique et politique de l'Inde.

L'affaiblissement du système de castes a été favorisé par l'industrialisation etl'urbanisation. Avec l'ouverture de l'économie villageoise et la monétarisation deséchanges, la transmission des métiers de caste entre générations s'est faite moinssystématique, tandis que les opportunités de mobilité spatiale et socio-économiquese multipliaient, souvent animées par des logiques d'élévation statutaire.L'émergence des grands centres urbains s'est faite sur la base du capital manu­facturier et commerçant qui a introduit une nouvelle division du travail, ignorant

1. Ce système spécifiquement nord-indien se retrouve avec des variantes et sous d'autres dénominations dansune grande partie de j'Inde.

2. C'est le grand anthropologue indien M.N. Srinivas qui fut à l'origine de ce concept. « Pour qu'une caste soitdominante, écrit-il, il faut qu'elle possède une partie essentielle de la terre arable de la localité, qu'elle soit numéri­quement importante et qu'elle occupe une place élevée dans la hiérarchie. ", in Social Chang~ in Modern India,Berkeley, University ofCalifornia Press, 1966, p. 10.

3. K. Marx (1862), Ü Capital, r. 1, PUF, «Quadrige", 1993,940 p.4. M. Weber (1971), Ëconomie et socihl, 1918-1920, r. i. Plon, 940 p.

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1 - Mosaïque sociale et société de castes, un obstacle au développement ? 99

les spécialisations de caste. L'évolution économique a donc radicalement ouvert ettransformé les attributions professionnelles.

Avec les migrations, l'urbanisation et l'industrialisation, les formes de mobilitése sont diversifiées et étendues progressivement à toutes les franges de la société,donnant lieu à des exemples de plus en plus discordants par rapport à la hiérarchiereligieuse des castes.

Par ailleurs, l'idéologie qui accompagnait le système de castes tend à devenirmoins prégnante. Dans les faits, de nombreuses pratiques d'intouchabilité semblentavoir disparu, en particulier dans les zones urbaines. La ségrégation dans les lieuxpublics et les règles de commensalité ne peuvent concrètement être respectées enville où différentes populations se mêlent. Mais surtout, la population urbaineactuelle, plus sensible aux valeurs laïques et égalitaires de la démocratie, se reconnaîtmoins dans un système de référence ancien et aux pratiques parfois choquantes.Toutefois, de nombreuses formes d'évitement vis-à-vis des intouchables demeurent,parfois sous des formes subtiles. Par exemple, il n'est pas rare que dans les cantinesd'entreprises, les tablées se reconstituent par castes - avec les membres de bassescastes sur une table à part.

Un modèle de mobilité verticale fondé sur la classe sociale tend à s'imposer:c'est en effet la recherche d'un revenu supérieur ou d'une nouvelle profession quiexplique le plus souvent la mobilité. Dans les années 1%0, le sociologueM.N. Srinivas a qualifié cette dynamique d'occidentalisation (westernization).Pourtant ce paradigme est loin de remplacer complètement les formes de mobilitéstatutaires traditionnelles, il tend plutôt à redéfinir certaines pratiques etaspirations.

Ces bouleversements ont fait prédire à certains la fin de la caste, dont la logiquesemblait devoir être remplacée par celle de la classe sociale, en particulier dans lemonde urbain. Or il n'en est rien. D'une part, dans la sphère économique, la casten'a pas disparu: en particulier les liens de castes ont permis de former des réseauxd'alliances au niveau local ou régional qui sont de puissantes organisations écono­miques. D'autre part, la caste demeure une matrice essentielle de la vie socialeindienne en particulier dans la sphère privée: l'endogamie des jati est une caracté­ristique qui subsiste et qui marque un renforcement de la conscience clanique. Ilsuffit pour cela de lire les annonces matrimoniales dans un quotidien indien,classées selon les préférences de castes. Il est vrai que l'indication « caste no bar»(<< caste indifférente ») est de plus en plus mentionnée.

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Déchiffrer les annonces matrimoniales

PARTIEII-LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

Tous lesgrands quotidiens et magazines indiens disposent de leurspages d'annoncesmatrimoniales. Par exemple leséditions dominicales du Hindustan Times et du Timesof India, grands quotidiens publiés à New Delhi, proposent chacuneplus d'une dizainede pagesd'annonces divisées en deux grandes parties, « brides wantedfor» (« rechercheépouses pour ») et «grooms wanted for» {« recherche époux pour »], puis classées parrubriques: caste, région d'origine, communauté religieuse, situation professionnelle...Celles-ci sont plus d'une cinquantaine et se recoupent souvent: le classement del'annoncesefait selon le critèreprédominantpour le candidat.

La diversité des critèresde classement des rubriques, à la fois « traditionnels» (caste,religion, etc.) et « modernes» (profession, revenu, membre de la diaspora, etc.) estfrappante. Toutefois, les rubriques par caste sont majoritaires et celle-ci demeure lecritère déterminant. Les annonces sont alors classées sous une catégorie large(brahmanes, kshatriya, etc.) ou plus précise (Maratha, Agrawal, Marwaris ...) sachantque la caste (jati) est toujours spécifiée dans le texte. Ainsi malgré la mention éventuelle« caste no bar », la castedemeure un critère d'identitéfondamentaL

Les rubriques pour basses castes ou ex-intouchables se sont récemment multipliées:Vishwakarma-panchal, Sahu-reli (castes d'artisans), Yadav (basse caste de bouviers duBiber) Scheduled Castes / Scheduled Tribes, etc. Cela montre d'une part que le statutreligieuxtraditionnel importe moins que l'appartenance à un groupefier de son identité,d'autre part que l'endogamie fonctionne à tous les niveaux de l'échelle statutaire descastes.

Par ailleurs, l'éducation et la situation professionnelle ont tendance à remplacer lestatut traditionnel, et la réussite socio-économique est de plus enplus valorisée.

Pour exemple, les parents de ce tribal tamoul cherchent à unir leur fils dans « unmariage arrangé» au sein de leur groupe et mettent en avant son revenu et sonéducation: « parents adidravida tamoul recherchent pour leur fils, 29 ans, 1,73 m,75 kg, 250000 Rs, B. tech ITT{B) ({licencié en informatique) alliance de même caste.Envoyerphoto, horoscope... Calcutta ».

Le critèregéographique estaussi un critèrede classementdéterminant (sachant que lacaste, groupe local, suppose une identité régionale) comme en témoignent les rubriquesBengali, Gujarati, Malayali, Mangalik, Nepali, Oriya, Punjabi, Sindhi, etc.Certaines rubriques renseignentsur les nouvelles mobilités géographiques de la diaspora-Americans, NRI-green card (non résident indien-permis de travail américain)­et sont la preuve que les réseaux de caste et de familles persistent entre les lieux de ladiaspora (en particulier États-Unis & Canada) et l'Inde, et que l'endogamie semaintient même parmi les Indiens émigrés.

Le critère de la communauté religieuse et sectaire (chrétien, sikh, vaish / jaïn,bouddhiste, etc.) montre que lesannonces matrimoniales en Inde ne sont pas seulementréservées aux hindous, caractérisés par leur endogamie de caste. Ainsi cepère musulman« Recherche pour fille sunnite, Master (maîtrise) de Sciences, 26ans, 1,75 m, teintclair,fonctionnaire rang 1privilégié. Écrire à. . . Lucknow».

D'autres rubriques sont constituées à partir de critères modernes, en particulier laprofession, surtout mise en valeur lorsqu'elle est le résultat d'une mobilité sociale:

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1 - Mosaïque sociale et société de castes, un obstacle au développement ?

Doctors (Médecins), ingénieurs, gouvernement et défense, MBA-CA, IAS-alliedservice (énarques et fonctionnaires), Computers, Lecturer (universitaire). Dans lacatégoriehybride des Cosmopolitans s'expriment les candidats éduqués ou vivant auxÉtats-Unis et Canada et cherchant des alliances « modernes Il. Enfin les rubriquesréservées aux situations privées particulières - Second mariage ou veufildivorcés­témoignent de l'ouverture des mentalités.

Dans le corps des annonces, il est également remarquable de voir se conjuguer lescritères les plus traditionnels {demande de l'horoscope - élément fondamental dumariage dit « védique », régime végétarien, sansalcool, etc.) et lesplus modernes (niveaud'études ou de revenus). D'autres indications telles que « no dowry Il (pas de dot) endisent long sur lesphénomènes de société.

Voici l'exemple d'une annonce multi-critère, classée dans la rubrique Business:« Recherche pour un bel homme dynamique, Punjabi Arora, ingénieur, 35 ans, 1,73 m,entrepreneur/chefd'entreprise, salaire mensuel 6 chiffres, une très belle[emme, qualifiéeprofessionnellement. Les biodata doivent correspondre. Caste indifférente. »

Enfin les critèresphysiques, plus importants dans les annonces des hommes cherchantune épouse que l'inverse, sontfonction des représentations traditionnelles -le teint claira toujours été un étalon esthétique - mais aussi modernes, souvent influencées par lamode occidentale, comme la minceur. Ainsi de ce brahmane: « Recherche pourBrahmane Maithil de sous-caste sauarn, très beau, MBA de l'Université de Iuey,travaillant comme consultant en stratégie dans une grande multinationale de Boston,une très bellefemme, mince, attentive, éducation anglaise, licenciée, cultivée et de bonnefamille. Mérite, seule considération. Horoscope etphoto {retournée)... Patna lI.

Le succès de ce type d'annonces explique aussi celui des « bureaux de mariage Il

(mariage bureau) fondés sur la caste, auxquels est d'ailleurs réservé une rubrique:« LAWANPHERE, service matrimonial, Spécialisépour lessikhs- Khatri, Arora,fatSikh, Ramgarhia, NRL divorcé/veuf».

Annonces extraites de The Sunday Times, New Delhi, 25 février 2001.

101

2 - L'émergence d'une classe moyenne

Les auteurs de la Constitution indienne appartiennent à une élite cultivée etoccidentalisée). Elle est un embryon de cette « indian middle class » qui s'est consi­dérablement développée depuis l'Indépendance. Par « classe moyenne indienne »,

on entend la classe supérieure qui se définit par son niveau de revenus, sa profession(salariés dans les services, professions libérales) mais aussi par son éducation - ellemaîtrise l'anglais - et son mode de consommation occidentalisé. L'essor de laclasse moyenne urbaine a été favorisé par la politique de libéralisation amorcée dansles années 1980 : celle-ci repose sur la demande de cette classe de consommateurs,aiguillon du système productif. Estimée à 300 millions de personnes aujourd'hui, laclasse moyenne indienne représente en effet un marché important, en particuliercelui des villes internationales que sont Mumbai ou Delhi.

\. Ambedkar constitue un profil à paf[ (cf. encadré).

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102 PARTIE Il - LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

Outre la mobilité économique et sociale de plus en plus répandue dans lasociété indienne, des formes de mobilité politique ont largement bouleversé lesystème des castes et permis aux couches défavorisées de se faire entendre.

Photo 8 - Quartier d'affaires de Mumbai.Déjeuner dans un petit restaurant végétarien, où l'on sert des thali

C - La politique de discriminat ion positive

1 - L'objectif de justice sociale de la Constitution

Dès la fin du siècle dernier, des castes ont formé des associations, interlocuteursde l'administration coloniale. Parmi ces dernières, s'est distingué le mouvement desBackward Castes c'est-à-dire des groupes « arriérés » qui revendiquaient leur placedans la société au même titre que les autres castes.

L'ambition de justice sociale de l'Inde indépendante a permis de donner formeà ses revendications. La Constitution indienne du 26 janvier 1950 prohibe en effetla discrimination sur le critère de la caste (art. 15) et abolit les pratiques d'exclusionsur le critère de lintouchabilir é (art. 17). Elle prévoit la mise en place d'unepolitique de discrimination positive qui réserve des bénéfices et des quotas àcertaines franges de la population considérées comme « en retard », c'est-à-dire lesintouchables désignées comme Scheduled Castes (litt . « castes répertoriées»,abréviation SC) et les tribaux désignés comme Scheduled Tribes (litt. « tribusrépertoriées l' , abréviation ST). Les quotas concernent les admissions et les boursesdans le système éducatif, l'accès et les promotions dans les emplois du secteur publicet la représentation politique - sièges réservés dans les assemblées législatives auniveau national et régional. Ces quotas ont été fixés plus ou moins proportionnel­lement au poids démographique de ces populations dans la société, soit 15 % poutles SC et 7 % pour les ST.

Cette politique de préférence catégorielle a ainsi permis de combler en partie leretard des populations défavorisées en matière d 'éducation. En 1961, 10 % desintouchables étaient alphabétisés; en 1991, ils sont 37 %. L'écart entre eux et lereste de la population se réduit: les pourcentages de la population indienne

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1 - Mosaïque sociale et société de castes, un obstacle au développement ? 103

alphabétisée sont respectivement de 24 % en 1%1 et de 52 % en 19911. Mais leretard des intouchables est encore important: ainsi, ils ne représentent que 7 % desétudiants de l'enseignement supérieur en 1979. Les réservations dans les emploispublics ne touchent qu'une faible proportion de l'immense masse des intouchablessans améliorer le sort de la majorité et ne semblent pas remettre en cause lahiérarchie de castes qui réserve aux plus hautes les meilleurs emplois.

Enfin, il faut distinguer les mesures en faveur des intouchables qui se sontavérées nécessaires à l'amélioration de leur condition, des mesures réservées auxautres classes défavorisées, plus discutables dans leur conception, leur application etleur résultat, comme on va le voir.

2 - La politisation de la caste et les banques de votes

Une mesure va provoquer la politisation radicale de la question de la discrimi­nation positive: par l'adoption du rapport MandaI en mars 1990, les quotas sontélargis à d'autres populations défavorisées, les Otber Backward Classes (litt. « autresclasses défavorisées », abréviation üBC). Le plafond des quotas pour les üBC dansl'éducation et les emplois est fixé à 27 %, chaque État fédéré adaptant ce taux aupoids démographique de ses communautés-. Avec cette mesure, la moitié de lapopulation indienne devient désormais concurrente dans l'obtention de bénéficesaccordés selon des critères de caste, ce qui remet en question l'objectif égalitaire dela Constitution. En effet, cette dernière reconnaît l'égalité en droit de chaquecitoyen, mais paradoxalement, elle lui accorde des droits différentiels en fonction deson appartenance communautaire.

Par ailleurs cette mesure accélère la politisation de la caste, puisque chacune atendance à devenir un groupe fermé concurrent et revendicatif. Le jeu électoralavive la fragmentation sociale, chaque parti essayant de conquérir séparément lescastes comme autant de banques de vote.

Pourtant, si la caste est un moteur de mobilisation politique, elle aura aussiservi d'instrument d'émancipation politique aux intouchables et aux basses castes.En effet, de nombreux partis dalit, comme le Bahujan Samaj Party (litt. « parti de laplèbe », abréviation B5p3) aux dimensions nationales, se sont constitués, etpermettent à ces populations d'être aujourd'hui bien représentées, ce qui est unenouveauté sur la scène politique.

3 - Les menaces antidémocratiques: forces nationalistes hindoues et communalisme

La multiplication des coalitions de caste et des lobbies régionaux défendant desintérêts divergents ne va pas sans poser problème à la démocratie. Le règne du partidu Congrès jusqu'à la fin des années 19704, fondé sur la participation consensuelledes citoyens à la construction de la démocratie indépendante, a été largementbouleversé par la montée des voix divergentes et du multipartisme.

1. Ces statistiques doivent rourefois être balancées dans la mesure où, jusqu'au recensement de 1981, la mesurede l'alphabérisation se rapportait à une population âgée de plus de 5 ans; à partir du recensement de 1991, elle serapporte à une population âgée de plus de 7 ans.

2. La perrinence de ce pourcentage est route relative dans la mesure où les castes, sauf les Scheduled Castes, nesont plus enregistrées dans les recensements depuis 1951 (cf. encadré).

3. Le BSP a été fondé en 1984 par le leader intouchable Kanshi Ram dans l'Uttar Pradesh.4. Le Parti du Congrès a dominé la scène politique indienne de l'Indépendance au début des années 1980, à

travers la dynastie Nehru-Gandhi. 11 développe une idéologie social-démocrate ou • socialiste à J'indienne",empreinte de justice sociale.

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104 PARTIE 11- LEDÉVELOPPEMENT HUMAIN

Depuis la fin des années 1970, la vie politique indienne est caractérisée par lamontée très rapide des forces nationalistes hindoues et du revivalisrne! dans unepartie de la société. Cette montée répond à la naissance d'une « inquiétudeidentitaire » chez les hindous respectueux de la tradition sanskrite, qui voient leurmodèle culturel bouleversé par deux forces: d'une part, les changements sociauxdus à l'émancipation politique des basses castes représentent une menace directepour la hiérarchie sociale traditionnelle; d'autre part, les changements économiquesqui accompagnent l'ouverture du marché et la rencontre avec les valeurs occiden­tales créent un sentiment de malaise et de vulnérabilité. Ce sentiment d'agressionculturelle est intervenu au moment où s'érodaient la suprématie politique du partidu Congrès et ses arguments sécularistess. La société hindoue « intégriste », enparticulier les hautes castes, se retourne alors contre ce qu'elle perçoit comme unemenace, les minorités musulmanes, mais aussi les influences occidenralest, Dans cecontexte, se propage une idéologie agressive qui soutient une conception culturelleet religieuse de l'identité hindoue, par opposition à une identité citoyenne. Cetteidéologie identifie la nation à la culture majoritaire et prône la défense deI'hindouité (hindutva). Elle est à l'origine de la montée des tensions communalistesc'est-à-dire des affrontement entre les communautés religieuses qui secouent l'Indedepuis deux décennies. Les violences entre hindous et musulmans ont culminé avecla destruction de la mosquée d'Ayodhya par des fanatiques hindouistes en 1992 (cf.ci-dessus). Comme les musulmans, les chrétiens sont la cible des violences commu­nalistes, et cela en particulier depuis 1998. Ils sont en effet accusés par lesextrémistes hindouistes d'être les agents de l'impérialisme occidental et d'œuvrer àla désintégration de la Nation - en particulier dans les régions à tendances sépa­ratistes comme le Nord-Est.

La diversité linguistique et religieuse de l'Inde est facteur de tensions que lanouvelle démocratie s'est donnée pour tâche de gérer. Celles-ci ne sont passeulement politiques, elles sont aussi sociales. État séculariste, l'Inde prône uneneutralité bienveillante à l'égard de toutes les communautés linguistiques etreligieuses dont elle favorise l'expression et dont elle assure la protection.

Outre cette pluralité indienne, la caste, institution traditionnelle fondamentalede la société hindoue, est quelquefois perçue comme un obstacle à son progrèséconomique et social. Pourtant, loin de répondre au portrait qu'en ont fait lesBritanniques à l'époque coloniale, la caste (jatt) est une réalité flexible, qui évoluecomme les autres structures sociales, dans la sphère privée comme dans la sphèrepublique. Plus encore, loin d'être une structure immobile, la caste assimile ets'accommode de la modernité, en intégrant des formes de mobilités socio-écono­mique et politique.

1. Nous employons ce terme dans son sens littéral, faire « revivre. l'hindouisme et la dimension religieuse dansles sphères politique et sociale.

2. Un État séculariste se porte garant du respect des minorités religieuses, qui ont le droit de disposer de leurpropres institutions éducatives. Il intervient dans leur protection. Il se différencie en cela de l'État laïc, qui prônel'indépendance de l'État et des fonctions publiques, notamment de l'enseignement public, à l'égard de toute Église ouconfession religieuse.

3. Cf., pour une présentation plus complète de la montée des forces nationalistes, M.J. Zins (1992).

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1 - Mosaïque sociale et société de casees, un obstacle au développement ?

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ÉDUCATION, SANTÉ, STATUT DES FEMMES:DES PROGRÈS LIMITÉS

MARIE-C. SAGLlO-YATZIMIRSKY & KAMALA MARIUS-GNANOU

Dans la politique officielle de l'Inde, la santé et l'éducation ont toujours été despriorités. Selon la Constitution indienne de 1950, l'État a le devoir de garantir ledroit à l'éducation et au travail, et de secourir les situations de chômage, vieillesse,maladie ou handicap (art. 41). L'État doit pouvoir assurer dans un délai de 10 ansl'éducation libre et obligatoire jusqu'à l'âge de 14 ans (art. 45). L'amélioration de lanutrition et du niveau de santé publique sont des objectifs prioritaires (art. 47). LaCommission de Planification est chargée de mettre en application ces principesdirectifs.

Or si l'Inde a accompli des progrès considérables depuis l'Indépendance(l'espérance de vie à la naissance a quasiment doublé, le taux d'alphabétisation desplus de 5 ans a triplé...), force est de constater la médiocrité du développementcomparé aux ambitions de 1950. Selon le classement retenu par le Programme desNations Unies pour le Développement (PNUD) en 2000, l'Inde figure parmi lespays peu développés, placée au 128e rang sur les 174 pays classés. Un aspect immé­diatement visible du retard du développement indien est sa pauvreté (cf. chap.suivant), tandis que les indicateurs de l'éducation et de la santé renseignent enprofondeur sur ce retard.

Au regard des performances d'autres États partis avec les mêmes handicaps quel'Inde, par exemple la Chine, on peut s'interroger sur la politique gouvernementaleet les moyens mis en œuvre. Les importants écarts interrégionaux, les inégalités declasse, de sexe et d'âge révèlent des situations très hétérogènes.

Notre réflexion porte sur les leviers du développement et en particulier sur troisaspects essentiels. Ce sont la politique d'éducation d'une part, la politique sanitaired'autre part et enfin l'amélioration du statut des femmes.

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2 - Éducation, santé, statut des femmes: des progrès limités

L'indicateur de développement humain

L'indicateur de développement humain (IDH), fondé en particulier sur le niveaud'éducation et t'état sanitaire, est un indice beaucoup plus révélateur de la qualité dedéveloppement d'un pays que le seul niveau de richesse (PIB), critère quantitatif Enoutre, il souligne la dimension politique du développement, autrement dit les choixgouvernementaux qui lui président. Cet indicateur a été mis en placepar Amartya Sen,prix Nobel d'économie en 1998, né au Bengale occidental, et aujourd'hui professeuràHarvard. L'IDH est retenupar lePNUD depuis 1990.

Il est une combinaison de trois éléments: t'espérance de vie à la naissance, le niveaud'instruction qui tient compte du taux d'alphabétisation des adultes et du taux descolarisation, le PIB/hab. Avec ces trois critères, un de santé, un d'éducation, un derichesse, on calcule un indice composite de développement humain variant de 0 à 1.Plus le chiffre estproche de 1, plus l'État est considérécomme développé.

Sur les174pays classés par le PNUD en 2000, t1nde seplace au 128e rang.

Tableau 14 - Évolution des indicateurs de développementdepuis l'Indépendance

107

1950-1951 1960-1961 1970-1971 1980-1981 1990-1991 2000-2001Population (million) 361 439 548 683 846 1027Taux d'alphabétisation (%)*Femme 9 15 22 30 39 54Homme 27 40 46 56 64 76Total 18 28 34 43 52 65Taux de natalité (%0) 40 41 37 34 29 26**

Taux de mortalité (0/00) 27 22 15 12 9 8**

Espérance de vie à la naissance 32 41 45 50 58 62**(années)

Taux de fécondité 6 - - 4,5 3,6 3,3**

Taux de mortalité infantile 146 - - 110 80 70**(pour 1 000 naissances)

Taux de mortalité juvénile 57 - - 39 26,5 -(0-4 ans, pour 1 000 enfants)Nb de médecins 0,17 0,2 0,3 0,4 0,47 0,5**pour 10 000 habitantsNb de lits d'hôpitaux 0,3 0,57 0,6 0,8 0,9 0,9**pour 10 000 habitants

Dépense du Gouvernement(Rs/pers.lan, à prix ct de 1981-1982)ÉducationSanté 10,2 29,2 47,6 57,1 115,4 -Défense et police 4,8 11,9 18,5 28,9 49 -

- 45,8 80,8 78,1 137,7 -* Le taux d'alphabétisation des recensements de 1951, 1961 et 1971 est calculé par rapport à la populationâgée de plus de 5 ans; celui des recensements de 198 l, 1991, 2001 par rapport à la population âgée de plus de7 ans. Par principe, la population de 0-4 ans ou de 0-6 ans est considérée comme illettrée.** Chiffres 1998-1999.Sources: A Sen et J. Drèze (1995), India, Economie Developmentand Social Opponunity, Delhi, Oxford UniversityPress, Table IJ, à partir des recensements 1951, 1961, 1971, 198 l, 1991 ; Basic Statistics Re/ating to the IndianEconomy (1994), CMIE; Indian Economie Survey 2000-2001, Ministry of Finance; Provisional Population Toals,Census of India 2001.

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1- LE DÉFI DE L'ÉDUCATION PRIMAIRE

PARTIE Il - LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

Photo 9 - Enfants d'une école coranique

© K. Marius-Gnanou

Les chiffres du recensement de 2001 révèlent les progrès significatifs réalisés parl'Inde en matière d'éducation. Ils marquent un tournant dans la mesure où, pour lapremière fois depuis l'Indépendance, le nombre absolu d'illettrés a baissé au coursde la décennie. Le taux d'alphabétisation est de 65 % pour la population totale,réparti en 76 % pour les hommes et 54 % pour les femmes, ce qui signifie que troisquarts des hommes et plus de la moitié des femmes indiennes âgés de 7 ans et plussavent lire et écrire en 2001. L'amélioration décennale observée est la plus fortedepuis 1951, tandis que l'écart entre hommes et femmes tend à se réduire.

Pourtant, la situation de l'éducation élémentaire en Inde, c'est-à-dire du pri­maire (1er au 5e degré, de 6 à Il ans) et des écoles moyennes (6e au 8e degré, de 12à 14 ans) demeure préoccupante. Or elle est au fondement du développement: cléde la mobilité sociale et économique, l'éducation est un moyen majeur pour trouverun emploi ou des crédits et pour faire valoir ses droits devant la justice. À longterme, elle diffuse ses effets sur le niveau de santé en général, puisque plus d'éduca­tion permet un meilleure maîtrise de la fécondité, une meilleure santé et réduit lesinégalités de caste et de sexe. Pourtant, le niveau général de l'éducation en Inde estfaible et traduit de graves inégalités. L'inadaptation des politiques est à la base de ceretard.

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2 - Éducation, santé , statut des femmes : des progrès limit és 109

Carte 10- L'Inde: taux d'alphabétisationpar État en 200 1

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Territoire du Nord et Azad Cachemire sous contrôla pakistanais

CNRS· SIS - UMR 8684Cen1re de comp6te1"'104 th,,"8tlque 'Mod'lr..tlon, Anelyae .p.tl.... SIG'

Source s: rec enaement 2001 - cen.u. of Union Home Mlnlatry - Govemmem of ~di.

Sourc &: BaH Mondl* ESRJ(DWC119 9 3 ftn co ordonnM s gt\og rl!lphlquea

R6olloatlon M. LEGRAND · F.PIROT

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110 PARTIE 11- LEDÉVELOPPEMENT HUMAIN

A - Un niveau général faible

Pour mesurer les progrès de l'éducation élémentaire, le rapport PROBE (PublicReport on Basic Education in India) de 1998 constitue une référence essentielle'. Sile niveau d'alphabétisation (proportion des plus de 7 ans sachant lire et écrire) atriplé depuis l'Indépendance, passant de 18 % en 1951 à 52 % de la population en1991 et 65 % en 2001, il reste très bas comparé à celui d'autres pays partis avec lesmêmes handicaps. En 1991, ce taux est de 64 % pour les hommes et de 39 % pourles femmes en Inde, alors qu'en Chine il est respectivement de 87 % et de 68 %.

L'éducation élémentaire demeure l'enjeu fondamental. Un tiers des enfantsindiens de 6 à 14 ans sont non scolarisés. Les comparaisons internationales ne sontpas flatteuses, la moyenne de scolarisation d'un enfant est de 2 ans en Inde, de 5 ansen Chine, de 7 ans au Sri Lanka-.

Toutefois les derniers résultats sont encourageants et l'accélération de l'amélio­ration du niveau général d'alphabétisation durant la dernière décennie est la consé­quence de l'effort d'éducation des jeunes générations actuelles.

B - Les inégalités des groupes sociaux

Les chiffres globaux renseignent mal sur les différents aspects de l'éducation.Celle-ci se caractérise par de fortes inégalités entre les groupes sociaux, variant selonle sexe, la classe d'âge, la classe économique, le niveau d'urbanisation -le retarddes zones rurales sur les zones urbaines en matière d'éducation est très important ­et la région.

Les inégalités entre les hommes et les femmes en matière d'éducation sontparticulièrement frappantes. La moitié des femmes sont alphabétisées contre troisquarts des hommes. Le taux d'illettrisme des femmes adultes est supérieur en Inde àcelui de l'Afrique sub-saharienne. La question est donc fortement sexuée en Inde,fait qui s'explique par plusieurs facteurs. D'une part, la femme est traditionnelle­ment vouée aux travaux domestiques et à l'éducation des enfants. D'autre part, lafamille rurale répugne à investir dans une fille qui va partir: le jeune fille qui semarie quitte en effet sa famille maternelle pour rejoindre celle de son époux. Enfin,le modèle traditionnel du mariage, selon lequel elle doit épouser un homme pluséduqué qu'elle et éventuellement de statut supérieur (modèle hypergamique), ainsique l'élargissement de la pratique de la dot dans toutes les couches de la société,retiennent d'éduquer la jeune fille. Ce statut traditionnel de la femme est plus oumoins d'actualité selon les régions. Il perdure en particulier dans les États de lahindi belt (ceinture hindiphone) c'est-à-dire dans les États sanskritisés du nord del'Inde regroupant les quatre États « malades» : Bihar, Uttar Pradesh, MadhyaPradesh et Rajasthan. En revanche, il est moins présent dans les États du sud, où lafemme a plus de droits et de libertés. Ainsi par exemple, le taux d'alphabétisationdes enfants de 10 à 14 ans dans les zones rurales du Rajasthan en 1988 est de 22 %pour les filles et de 72 % pour les garçons. Ce taux est de 98 % pour les fillescomme pour les garçons dans le Kerala rural.

Si l'écart d'alphabétisation entre hommes et femmes tend à se réduire, passantde 25 points de pourcentage en 1991 à 22 points en 2001, il demeure très élevé au

1. Ce rapport esc le résultat d'enquêtes de cerrain sur l'éducation élémentaire menées en 1996 dans les ÉcacsduNord par des universitaires.

2. Rapport PROBE, à partir de l'enquête de 1992-]993.

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2 - Éducation, santé, statut des femmes: des progrès limités III

Rajasthan qui détient le triste record de l'inégalité la plus importante en la matière(32 points de différence), ainsi qu'au Bihar, en Uttar Pradesh, au Madhya Pradeshet en Orissa. L'écart minimum d'alphabétisation entre hommes et femmes se mani­feste au Mizoram, au Meghalaya et au Kerala.

Les taux d'analphabétisme sont plus importants pour les classes d'âge plusélevées. L'abandon compte parmi les plus grands problèmes: très peu d'élèvesaccomplissent l'ensemble des cinq premières années d'école.

Tableau 15 - Taux d'alphabétisation par État (2001)

Taux Taux Taux ÉcartRang États d'alphabétisation d'alphabétisation d'alphabétisation hommes-femmes

(%) des hommes des femmes (en points de %)

1 Kerala 91 94 88 62 Mizoram 88 91 86 53 Goa 82 89 76 134 Maharashrra 77 86 68 185 Himachal Pradesh 77 86 68 186 Tripura 74 81 65 167 Tamil Nadu 73 82 64 188 Utraranchal 72 84 60 249 Gujarat 70 80 59 2110 Penjab 70 76 64 1211 Sikkim 70 77 61 1512 Bengale occidental 69 78 60 1813 Manipur 69 78 60 1814 Haryana 69 79 56 2315 Nagaland 67 72 62 la16 Karnataka 67 76 57 1917 Chharrisgarh 65 78 52 2618 Assam 64 72 56 1619 Madhya Pradesh 64 77 50 2720 Orissa 64 76 51 2521 Meghalaya 63 66 60 622 Andhra Pradesh 61 71 51 2023 Rajasthan 61 76 44 3224 U ttar Pradesh 57 70 43 2725 Arunachal Pradesh 55 64 44 2026 Jammu et Cachemire 54 66 42 2427 Jharkhand 54 68 39 2928 Bihar 48 60 34 26Source: Provisional Population Toals, Census of/ndia 200/.

Une troisième inégalité est fonction de l'appartenance de classes et de castes.Dans les zones rurales, les enfants travaillent plus que dans les zones urbaines. Nonscolarisés, ils appartiennent aux basses castes et aux classes des paysans sans terre.Leur travail apporte un revenu nécessaire à la famille. Moins de 50 % des enfants defamilles pauvres vont à l'école, et parmi eux, seulement 1 sur 5 achève 8 années

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d'études, alors que les enfants de familles aisées, filles comme garçons, sont systéma­tiquement scolarisés et ont un taux d'abandon nettement inférieur.

Enfin, comme on l'a suggéré, les inégalités entre les régions sont très impor­tantes. Même si le gouvernement central finance de grands programmes d'éduca­tion, chaque État possède son budget propre. De fortes variations interrégionaless'observent: en 2001, le taux d'alphabétisation est supérieur à 73 % dans les cinqÉtats du Mizoram, de Goa, du Maharashtra, du Tamil Nadu et de l'HimachalPradesh, ce dernier ayant fait récemment un effort remarquable dans l'éducationprimaire. Le Kerala se place toujours en tête avec un taux d'alphabétisation de plusde 90 %. Ala traîne, sont les Etats du Bihar - dernier classé -, de l'ArunachalPradesh, de l'Uttar Pradesh, du Rajasthan, de l'Andhra Pradesh, du MadhyaPradesh, du Meghalaya et de l'Orissa qui accusent des taux d'alphabétisation sous63 %.

Il est intéressant de remarquer que les progrès les plus importants en terme deréduction du nombre d'illettrés pendant la décennie 1991-2001 ont été réalisés parl'Andhra Pradesh, puis par l'Uttar Pradesh, le Rajasthan, le Madhya Pradesh, et leTamil Nadu. En revanche, le Bihar contribue négativement à la tendance, lenombre d'illettrés ne cessant d'y croître.

Les inégalités ont tendance à se cumuler: la proportion des enfants de 6 à14 ans scolarisés appartenant aux 40 % des foyers aux revenus les plus bas varie de37,8 % au Bihar à 88,7 % au Kerala. Tandis que la proportion des enfantsscolarisés des 20 % des foyers de hauts revenus varie de 84,6 % en Assam à 96,1 %au Kerala. L'écart est donc moindre dans les couches supérieures de revenus. Demême, les inégalités entre garçons et filles se réduisent au fur et à mesure que lerevenu croît.

Pourtant, ce ne sont pas les États les plus pauvres qui ont les performances lesplus basses: par exemple le Tamil Nadu et l'Himachal Pradesh, qui ont des revenuspar tête plus bas que l'Andhra Pradesh, ont de meilleurs résultats. Ceci montrel'importance des choix politiques des États pour le développement humain.

C - Une politique de l'éducation paradoxale

C'est surtout un manque d'action politique qui a freiné le développement del'éducation en Inde. Si la Constitution promet l'éducation libre et obligatoirejusque 14 ans, assurée en théorie par les Etats, cette garantie est loin d'être tenuedans la réalité. Certes, les amendements successifs n'ont cessé de souligner l'impor­tance de l'éducation: celui de 1976 a inclus l'éducation dans la liste concurrente-la liste officielle des domaines pour lesquels le Centre et les États assument uneresponsabilité commune; le 83e amendement de 1997 a fait de l'éducation élémen­taire un droit fondamental. Enfin, le comité sur l'Éducation de 1986 (NationalPoliey on Education) a rappelé les objectifs nationaux: accès universel, scolarisationjusqu'à 14 ans, enseignement de qualité.

Qu'en est-il des moyens mis en œuvre?La part du budget public dans l'éducation est tombée de 4,1 à 3,8 % du PIB

entre 1991 et 19%. Comparativement, ce budget est faible puisqu'il s'élève à 5,5 %du PIB aux États-Unis, 5,8 % au Mexique, 4,5 % en Corée. Mais il est supérieur àl'investissement des pays voisins: le Bangladesh consacre 2,3 % de son PIB àl'éducation, le Sri Lanka 3,2 %.

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2 - Éducation, santé, statut des femmes: des progrès limités 113

Plus encore que le montant, la répartition de ce budget pose problème. La partmoyenne du financement de l'éducation élémentaire se monte à 48,2 %, celle del'éducation secondaire à 32 % et celle de l'éducation universitaire à 12 %. La moitiédu budget seulement est donc consacrée à l'éducation élémentaire, alors que lesbesoins sont estimés aux deux tiers du budget. Le comité sur l'Éducation de 1986recommande en outre d'accroître l'investissement total à 6 % du PIB pourpermettre de scolariser tous les enfants dans un délai de 10 ans. Ce chiffre estconfirmé par la Banque Mondiale en 1998.

Par ailleurs, la charge qui pèse sur les États est trop élevée: elle représente 90 %du total environ, tandis que le Centre fournit seulement Il % des ressources en1996. Or les États ont des politiques et des moyens très variables, et ils ont tousréduit leur budget dans l'éducation depuis 1991, sauf l'Assam et le Kerala. Legouvernement central doit donc participer davantage au financement de l'éducationen aidant particulièrement les États en retard.

Les conditions de travail dans les écoles sont difficiles, le matériel manque, letaux d'absentéisme des instituteurs est élevé, leur formation est médiocre. Du coup,les systèmes informels se multiplient (cours du soir, cours privés, système d'entréetardive ...), révélant les dysfonctionnements du système.

De plus, les politiques sont illogiques: l'accent a été mis sur l'éducationuniversitaire qui concerne donc une élite. Comparativement à d'autres pays commela Chine, une part supérieure du budget lui a été consacrée.

Ces allocations de ressources mal adaptées ont des conséquences graves enterme social. Elles pèsent sur les pauvres et en particulier sur les petites filles desfamilles pauvres qui dépendent plus de la politique publique que celles de famillesaisées.

Un certain nombre de clichés entravent la réflexion sur les mesures à prendre.Parmi ceux-ci, est le soi-disant désintérêt des parents pour l'éducation de leursenfants et la priorité qu'ils donnent à leur travail. Or il y a lieu de différencier lesenfants travaillant dans des ateliers des enfants non salariés qui participent auxtâches domestiques. Une aide devrait permettre à ces derniers de suivre une scolariténormale.

À l'inverse, des facteurs souvent négligés sont à prendre en compte. L'éducationn'est pas gratuite dans la mesure où elle représente un coût pour la famille(investissement, achats de livres et de fournitures, perte du revenu du travail del'enfant). D'autre part, l'accessibilité des écoles est loin d'être complète: leproblème de la distance physique du domicile à l'école peut être rédhibitoire. Celle­ci ne devrait pas être située dans un rayon de plus d'l km par rapport au lieud'habitation.

Les solutions passent par l'amélioration de la qualité et de la quantité de l'édu­cation, de l'offre et de la demande (information des familles, allégement du coût del'éducation... ). Sachant que 58 % de la population indienne appartient aux basrevenus (moins de 20 000 Rs par an en 1999), le coût que représente l'éducationdoit en effet être soulagé. En outre, l'amélioration du recrutement et de la forma­tion des instituteurs et l'adaptation des programmes figurent parmi les priorités.

Ainsi des efforts particuliers ont été faits dans le Tamil Nadu, seul État à avoiradopté une loi sur la scolarisation obligatoire pour lutter contre l'abandon dans leprimaire qui concerne 21 % des enfants. La distribution de déjeuners à l'école pour

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80 % des écoliers ou la distribution gratuite de livres scolaires pour 70 %accompagnent cette politique.

Parmi les innovations institutionnelles, les mesures récentes de décentralisation,qui, en 2000, ont confié la gestion des écoles primaires aux instances locales(panchayati ra;), devraient permettre une action plus efficace.

Enfin, outre l'effort général pour le renforcement des infrastructures en matièred'éducation, le gouvernement doit poursuivre ses actions ponctuelles en faveur desgroupes sociaux désavantagés: femmes, tribaux, ex-intouchables".

11- LE RETARD ALARMANT DE L'ÉTAT DE SANTÉ

Les progrès de l'Inde en matière de santé ont été importants depuisl'Indépendance. Les indicateurs les plus révélateurs comme la maîtrise de la morta­lité infantile ont largement progressé grâce à l'évolution des techniques de soins etau développement économique. Toutefois, l'état général de la santé est encoreproblématique. La cause des décès témoigne du retard des infrastructures. En 1990,640 millions de personnes n'ont pas accès aux réseaux d'assainissement,171 millions n'ont pas accès à l'eau potable, 135 millions ne disposent d'aucuncentre de santé. L'Inde souffre de pandémies mortelles comme le paludisme et lesida, dont l'extension actuelle est très alarmante.

Comme dans le domaine de l'éducation, les inégalités d'accès aux soins enfonction de la classe socio-éconornique et les disparités interrégionales sontpréoccupantes.

Le manque d'ampleur des politiques, la réduction du budget santé et latendance à la privatisation des soins accompagnant la politique de libéralisationdepuis une décennie, limitent les marges de manœuvre.

Tableau 16 - Pourcentage de la populationayant accès à l'eau potable et à des équipements sanitaires

1985 1990 1995 1998

IAcr'" l'eau porable :Population rurale 56,3 73,9 82,8 92,5Population urbaine 72,9 83,8 84,4 90,2Installations sanitaires:Population rurale 0,7 2,4 3,6 8,1Population urbaine 28,4 45,9 49,9 49,3

Source: Ministries of Rural Development and Urban Developmenr, in Indien Economie Survey 2000-2001,Ministry of Finance, p. 208.

A - Retard et manque d'infrastructures

Un certain nombre d'indicateurs de santé révèlent le retard indien en matièrede soins et d'infrastructures. La plupart des sources proviennent des grandesenquêtes démographiques réalisées en 1992-1993 puis en 1998-1999, le NationalFamilyHealth Survey2.

1. Cf. partie II, chap, l, § • La polirique de discrimination positive •.2. Cf. partie 1, chap. 2.

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2 - Éducation, santé, statut des femmes: des progrès limités 115

Les forts taux de mortalité infantile, juvénile et maternelle posent de gravesproblèmes.

La mortalité infantile (enfants qui décèdent avant leur premier anniversaire) estun indicateur essentiel du développement humain en terme social, économique etde santé: elle diminue lorsque le pays s'éduque, s'enrichit ou s'urbanise. Même si cetaux s'est réduit de moitié depuis l'Indépendance et a décliné dans tous les États, ildemeure un des plus élevés du monde et en défaveur des filles. Ce phénomène semanifeste en particulier dans l'Uttar Pradesh, le Rajasthan, l'Haryana, le Penjab etle Bihar, là où le statut de la femme est bas (cf. partie 1, chap. 2, « Dynamique de lapopulation »).

Les inégalités entre les zones urbaines et rurales sont considérables: la mortalitéinfantile est 40 % plus basse dans les zones urbaines. Ainsi en 1994, le taux demortalité infantile dans les zones rurales est en moyenne de 79 0/00, s'échelonnant de16 0/00 au Kerala à 108 0/00 en Orissa. Dans les zones urbaines, le taux est de 51 0/00en moyenne, allant de 14 %0 au Kerala à 71 0/00 en Uttar Pradesh.

De même, la mortalité juvénile, c'est-à-dire des enfants de moins de 5 ans, adécliné depuis 1988, mais les disparités entre filles et garçons sont toujours criantesen particulier dans les pays du Nord hindiphones, où l'on accorde plus d'attentionet de soins aux garçons.

La mortalité maternelle demeure particulièrement élevée, d'environ 453 mortspour 100000 naissances, allant de 87 au Kerala et 738 en Orissa en 1992. Cesmorts sont principalement dues à des anémies, des hémorragies ou des infections.Une femme indienne a 50 fois plus de chance de mourir pour sa grossesse qu'uneOccidentale, où ce taux est environ de 10 pour 100 000. Ce chiffre devrait déclineravec la maîtrise des naissances et la réduction des grossesses à risque (de femmes trèsjeunes ou trop âgées par exemple). Il dépend surtout de l'amélioration des soinsprénataux et de bonnes infrastructures médicales. Les maladies contagieuses et lescomplications lors de l'accouchement comptent pour 12,5 % des causes demortalité chez les femmes de 15 à 50 ans, chiffre 4 fois plus élevé qu'en Chine.

L'espérance de vie a doublé depuis l'Indépendance, passant de 32 ans à 63 ansaujourd'hui. Les mêmes disparités régionales qui placent le Kerala en tête et lesÉtats du Nord à la traîne caractérisent les résultats. Les meilleures performances enzones urbaines s'expliquent par la facilité d'accès aux services de santé et la qualitésupérieure de l'alimentation. Le nombre de médecins et de lits d'hôpitaux, cliniquesou dispensaires ne s'est pas amélioré depuis 1985 : on compte 0,5 médecin pour1 000 habitants et 0,9 lit pour 1 000 habitants en moyenne, avec de grandesdisparités. Ainsi le Kerala dispose de 5,65 lits pour 1 000 habitants.

Les questions de la sécurité alimentaire (cf. partie III, chap. 1) et de la nutritionviennent éclairer ce tableau. Si l'Inde est arrivée à l'autosuffisance en grains (blé etriz) grâce en particulier au succès de la Révolution Verte, elle n'a pas réussi àaméliorer la qualité de son alimentation. La malnutrition, mesurée par les carencesde la consommation (calories et proportion de protéines, sachant que 2 350 calljdont 60 g de protéines constituent les apports journaliers recommandés) et lacroissance (poids et taille des enfants de moins de 4 ans et rapport âge/poids), esttrès étendue: en 1990, 53,4 % des enfants souffrent de malnutrition moyenne,dont 20,6 % de malnutrition sévère. En 1998-1999, la malnutrition affectetoujours 47 % des enfants. Cela représente un enfant sur deux. Les chiffres sontparticulièrement élevés dans les États de l'Orissa, de l'Uttar Pradesh, et du Bihar.

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Malgré les campagnes nationales de vaccination, seulement 35,4 % des enfantsont reçu les vaccins majeurs (DPT, polio, BCG) en 1992-1993. À nouveau, lesdisparités sont énormes entre le Bihar au plus bas et le Tamil Nadu et le Kerala entête.

Parmi les causes de décès, l'importance des maladies infectieuses et parasitaires(maladies diarrhéiques, tuberculose, maladies respiratoires ... ) indique le faibleniveau de développement. Elles sont directement liées à l'état de l'environnement(voir encadré partie l, chap. 3). Ainsi nombre de maladies sont véhiculées par l'eau:diarrhées, hépatites ...

Aujourd'hui l'Inde est aux prises avec 4 grandes pandémies: la tuberculose(2 millions de cas en 1998), les maladies sexuellement transmissibles (environ70 millions de nouveaux cas par an), l'hépatite B et C, et le sida. On estime àenviron 5 millions le nombre de séropositifs fin 1998 et à 100000 celui de maladesdéclarés, chiffre qui double en 2 ou 3 ans. C'est donc la croissance foudroyante del'épidémie qui est la plus alarmante. Les deux causes de propagation majeures sontles pratiques sexuelles à risque (non protégées) et les transfusions de sang conta­miné. Même s'il a d'abord concerné les populations les plus pauvres (travailleursmigrants de l'industrie, travailleurs sexuels), le sida touche désormais tous lesgroupes sociaux et toutes les régions. Il se développe d'autant plus vite que l'Inde vitune période de libéralisation sexuelle parmi les adolescents urbains. Le sida estparticulièrement répandu à Mumbai où 50 % des prostituées seraient infectéesselon les estimations, et dans les régions du nord-est (Manipur) où l'usage de ladrogue est répandu. La croissance exponentielle de l'épidémie suppose un effortnational et international, qui passe par des campagnes d'information et deconscientisation massive. L'Inde n'a pas accès aux médicaments efficaces, beaucouptrop coûteux.

Une autre pandémie est le paludisme, dont la résurgence récente en Inde, due àune combinaison de facteurs écologiques et économiques, pose problème. Àl'Indépendance, le nombre de personnes souffrant de paludisme en Inde est estiméà 75 millions, provoquant 800 000 morts par an. Grâce au National MalariaEradication Programme (NEP), le nombre de malades a été réduit à 100000 dès1965. Il a alors semblé possible d'éradiquer la maladie, le nombre de cas étantstabilisé à environ 3 millions. Mais la mise en irrigation toujours croissante desterres a apporté des moustiques dans de nouvelles zones, par exemple dans lescampagnes sèches du Rajasthan, autrefois non infectées. Or la résistance desmoustiques aux insecticides empêche de lutter efficacement contre la résurgence dela maladie depuis une décennie. En outre les coupures du budget de santé, consé­quence des programmes d'ajustement, ont affaibli le système de prévention et desoins. Le budget contre le paludisme a été réduit de 43 % dans la dernière décennie.La nécessité d'en revenir à des méthodes de soins durables, écologiques et peucoûteuses s'impose. Un récent programme contre le paludisme, lancé en 1997 avecl'aide de la Banque Mondiale et couvrant une population de 62 millions depersonnes, relance l'espoir.

La lutte contre la lèpre a été efficace, permettant à 9 États d'éradiquer lamaladie. Celle-ci touchait 57 personnes sur 10000 en 1981 et 5,2 sur 10 000 vingtans plus tard. Le programme national de lutte contre la lèpre se poursuit avec l'aidede la Banque Mondiale et a pour objectif la réduction des cas déclarés à 1 sur10 000 en 2003.

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2 - Éducation, santé, statut des femmes: des progrès limités

Le débat sur les médicaments génériques en Inde

« En Inde, un laboratoire pour ledroità la santédes défavorisés»

«Deuxième laboratoire pharmaceutique indien, avec un chiffre d'affaires de200 millions de dollars, Cipla [ ..} (a pour PDG) Dr Yussuf Hamied. Aujourd'huiporte-parole leplus actifdu droit des payspauvres à développer desproduitsgénériquespour faciliter l'accès des plus défavorisés aux médecines modernes, le Dr Hamied a faitde Cipla une société en pleine expansion qui manufacture 400 médicaments dans20 centres ultra-modernes à travers l'Indeet qui exporte dans 125pays.

Propriété intellectuelle

Son offre récente à l'organisation humanitaireMédecins SansFrontière (MSF) de luivendre la trithérapie de lutte contre le sida à 350 dollars par patient et par an et à600 dollars pour lesgouvernements - au lieu des 10 000 ou 15 000 dollars pratiquésaux États-Unisou en Europe- ne lui apas valu que des amis. [ ..}

Signataire de l'accord Adpic (accord sur les droits depropriété intellectuelle concludans le cadre de l'OMC), l'Inde a [ . .}jusqu'en 2005 pour mettre enplace un systèmedeprotection des produits. Pour l'instantseul estprotégé leprocédédefabrication. Cettelégislation a permis à l'industriepharmaceutique indienne de se développer considéra­blementà lafois en termes d'infrastructures et de technologie et defaire de l'Inde un despays les moins chers du monde pour les médicaments. L'industrie pharmaceutiqueindienne exporte 3,8 milliards de francs par an. Devant ces succès, les grandslaboratoires indiens comme Cipla, Ranbaxy et Woeckhardt ont commencé à investirdans la recherche et le développementpour laproductionde nouveauxmédicaments.

Coûts de fabrication

En trois ans, Cipla a réduit à cinq reprises les prix de ses médicaments utilisés dans latrithérapie antisida. [ ..} MSF et Cipla ont récemment annoncéque les gouvernementsdes paysen développement pouvaient immédiatementprofiterde l'offrede Ciplapour latrithérapie à un coût de 600 dollars par maladeetpar an, en s'adressant directement aulaboratoire indien. Le communiqué précise que l'offre est valable sans restrictions detemps, de lieu et de quantité.

Pour l'instant, l'offre porte sur trois médicaments - Lamioudine, Stavudine etNévirapine - développés respectivement par GlaxoWellcome, Bristol-Myers Squibb etBoehringer Ingelbeim, mais Cipla estprêt à fournir pour le mêmeprix d'autres droguesdu même type développées par d'autres laboratoires. Le laboratoire fabrique cesmédicaments à une fraction de leur prix originel grâce à des coûts de fabrication- notamment de main-d'œuvre - bien inférieurs à ceuxpratiqués en Europe ou auxÉtats-Unis.

Le Dr Hamied, qui se défend d'être l'ennemi des multinationales, se réjouitd'avoirpar son offre éveillé l'attention des États à la nécessité d'agir en faveur des plusdéfavorisés [ ..}. »

Françoise Chipaux, Le Monde, mercredi 7 mars2001, extraits.

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B - Les inégalités devant la santé

Dans notre exposé, les inégalités devant la santé, sont apparues de manièrecriante. Ce sont des inégalités entre classes socio-éconorniques, entre régions etentre mondes rural et urbain. Ces inégalités se cumulent.

Les bas revenus souffrent plus que les revenus supérieurs de la mortalité infan­tile, juvénile et maternelle, de malnutrition, de la maladie. La tuberculose frappe4,5 fois plus les pauvres que les riches, le paludisme 3,2 fois plus, la lèpre 2,8 foisplus. Les plus pauvres et les plus éloignés des centres urbains sont les plus dépen­dants des infrastructures publiques. Or ce sont eux qui ont le plus de mal à faireface aux dépenses de santé, d'où la nécessité de mener des politiques ciblées sur lesbas revenus.

On retrouve systématiquement cinq États à la traîne, avec un fort taux demortalité infantile, de maladie et une importante malnutrition: le Bihar, leRajasthan, le Madhya Pradesh, l'Orissa et l'Uttar Pradesh. Certes le critère de l'Étatn'est probablement pas tout à fait adéquat: il serait plus probant de définir desrégions en fonction de leurs caractéristiques agro-climatiques ou de leur identitésocioculturelle. Il permet toutefois de repérer les grandes tendances, et met l'accentsur le rôle de la politique menée par chaque État.

Il existe aussi de fortes disparités entre les zones urbaine et rurale. Dans lesannées 1960 et 1970, les dépenses de santé dans les campagnes ont surtout étéréservées à la lutte contre le paludisme et au contrôle des naissances. Un manquechronique d'infrastructures grève aujourd'hui le monde rural.

Tableau 17 - Comparaison internationale d'indicateurs de santé des femmes

Espérance Taux de mortalité Taux de mortalité Taux de mortalitéde vie infamile juvénile maternelle

à la naissance (%0 naissances) (%0 naissances) (%0000 naissances)(1998) (1995-2000) (1990-1997) (1990-1998)

Australie 81,2 5 - -Sri Lanka 75,6 16 20 -Chine 72,3 48 11 65Indonésie 67,5 43 20 450Inde 60,9 72,2 25,3 408Pakistan 65,6 73 10 -Bangladesh 58,7 79 116 440

Éthiopie 44,4 109 - -Source: Indian Economie Survey 2000·200 l, Ministry of Finance, p. 200.

C - Un budget de la santé réduit et mal adapté

Le budget de la santé est mal adapté pour faire face à l'urgence de la situation:il régresse depuis une décennie, il pèse sur les foyers les plus démunis. Les politiquesde santé incluent les infrastructures médicales mais aussi celles de l'eau et dusystème sanitaire, l'accès aux centres de soins, hôpitaux et autres services, lescampagnes de vaccination, d'information et l'éducation, en particulier celle desfemmes qui a une grande incidence sur la réduction de la mortalité infantile.

Les dépenses de santé représentent 6 % du PIB en 1991, dont 75 % (240 Rspar tête) sont à la charge des foyers (part privée) et 22 % (70 Rs par tête) sontpublics, répartis en 15 % à la charge des États et 6 % à la charge du Centre. Les

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2 - Éducation, santé, statut des femmes: des progrès limités 119

trois quarts du financement de la santé sont donc à la charge des foyers, ce quiexplique les inégalités d'accès aux soins: les foyers les plus démunis ne peuventsupporter un tel coût. Par ailleurs, les États les plus pauvres, qui sont aussi les plustouchés par les problèmes de santé, n'ont pas les moyens de lever les fondsnécessaires.

Certes, le système public des hôpitaux est gratuit pour les bas revenus, mais lesdépenses annexes, en particulier l'achat des traitements, est inabordable. Parailleurs, une grande partie de la population indienne, dont tous les travailleurs dusecteur informel (cf. définition partie III, chap. 2) est exclue du système de couver­ture sociale et d'assurance. Ce dernier ne concerne que certains groupes: lesemployés du gouvernement, les salariés du secteur organisé privé. Le GeneralInsurance Corporation (GIC), couverture hospitalière, ne concerne encore que1,8 million de personnes.

La nécessité de généraliser le système de couverture sociale et de multiplier lapart de financement de l'État central s'impose. Or la tendance actuelle à la privati­sation des régimes d'assurance et des soins de santé ne semble pas engager le paysdans cette voie.

En ce qui concerne le développement des infrastructures (accès à l'eau potable,installations sanitaires), de récents programmes ont vu le jour qui tentent deremédier aux défaillances. La privatisation partielle de la distribution de l'eau estenvisagée dans certaines mégapoles, tandis que les systèmes de vidange et detraitement de déchets sont également à l'étude'. Les besoins de financement, dansles zones urbaines et rurales, sont considérables.

Le lien entre l'éducation, la santé, la qualité des infrastructures et le niveau dedéveloppement est visible, comme le lien entre pauvreté, analphabétisme,malnutrition et maladie.

Si les derniers chiffres du recensement de 2001 sont encourageants dans lamesure où ils manifestent des progrès soutenus en matière d'alphabétisation et desanté, une politique sociale d'envergure supposerait des choix budgétaires plusfondamentaux. Or la réforme économique de 1991 ne semble pas avoir fait de cesquestions sociales une priorité. En témoignent la réduction des budgets pour lasanté et l'éducation et le désinvestissement des États au profit des acteurs privés.

11I- LE STATUT DES FEMMES

L'inégalité entre hommes et femmes est l'un des composants essentiels du faibledéveloppement de l'Inde. Si la loi reconnaît l'égalité des sexes, les faits le démententlargement.

Le statut de la femme est en effet problématique dans la société indienne. Lastructure familiale traditionnelle lui prescrit un rôle de fille, d'épouse et de mère quila prive de certains droits et libertés. Cela se traduit par leur position défavorabledans les secteurs de l'éducation, de la santé, du travail, etc. Toutefois la modernisa­tion indienne, les combats féministes et la prise de conscience politique d'unenécessaire participation de la femme à la vie sociale conduisent depuis les dernièresdécennies à une amélioration de ce statut. .

1. Cf. partie J, chap, 3.

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A - Le rôle de la femme dans la famille traditionnelle

1 - Le poids de la tradition familiale

Un des traits fondamentaux du monde indien est incontestablement l'omni­présence de la famille - qu'elle soit élargie et dans une moindre mesurenucléaire -, phénomène difficilement compréhensible pour l'Occidental indivi­dualiste. La famille élargie ou indivise (jointfamily) fonde l'unité même du systèmesocial indien. Dans ce type d'organisation familiale, les fils restent ensemble dans lamaison paternelle avec leurs épouses et enfants'. Ainsi les fils, leurs parents, leursfemmes et enfants partagent une maison, prennent leurs repas ensemble et parti­cipent conjointement aux activités rituelles, sociales et économiques. Autour de cenoyau central peuvent se rajouter d'autres membres tels que des sœurs, des tantesrestées célibataires, des veuves abandonnées, des oncles lointains ainsi que lesemployés de maison, très présents même dans les milieux relativement modestes-,

Certes, si les migrations pour l'emploi vers les centres urbains contribuent deplus en plus à affaiblir l'indivision familiale, elles ne la font pas disparaître,notamment en milieu rural. En effet, quand un fils va travailler en ville, sa femmeet ses enfants continuent à vivre chez ses parents; s'il emmène les siens avec lui, lesliens restent forts avec le village où il essaie de revenir aussi souvent que possible.Comme l'observe Sudhir Kakarê, « l'idéal de la famille élargie est si fort en Indeque, même confrontés à des problèmes économiques apparemment insurmontables,tous les membres de la famille fournissent un effort constant pour préserver"l'association" indienne traditionnelle, tout au moins dans son statut social »,

Ces relations familiales sont gérées sur la base d'un principe hiérarchiqueséculaire. Toute personne doit respect et obéissance au chef de famille qui est géné­ralement le père ou l'homme le plus âgé de la communauté familiale. Les principeshiérarchisants de ce système sont l'âge et le sexe. Les aînés jouissent d'une autoritéincontestée et plus importante que les cadets. Certes, les hommes ont plusd'autorité que les femmes, mais les femmes mariées les plus âgées ont une autoritéimportante au sein de la famille.

Ainsi, quel que soit son statut économique et social, la position d'un homme oud'une femme dans la hiérarchie familiale est définitive: ses obligations envers ses« supérieurs» et ses exigences envers ses « subordonnés» sont immuables. Mais entant que futur chef de famille, le fils aîné jouit d'une position presque aussipuissante que le père, et ses cadets, leurs femmes et enfants lui doivent respect.Ainsi, les neveux et nièces respectent davantage l'oncle aîné que leur père4. Le filsaîné est donc le pivot central de la famille car il assure la vieillesse de ses parents,reprend la terre, perpétue la lignée et surtout accomplit les rites funéraires, d'oùl'obstination des hindous à avoir au moins un fils. Une fille ne peut pas conduire les

1. Il est clair qu'une famille ne peut absorber indéfiniment les différentes générations. ne serait-ce que parmanque d'espace. La communauté familiale éclate alors en plus petites unités. chacune comportant un nouveau chefde famille. Ainsi. les frères peuvent se séparer à la mort du père.

2. Dans la pratique, il existe des variations sur ce modèle. Ainsi. en raison de frictions qui peuvent avoir lieu àpropos de répartitions alimentaires inéquitables, quelques familles préfèrent renoncer à la cuisine commune. Dansd'autres cas, les frères vivent dans des maisons ou appartements adjacents tout en continuant à partager les responsa­bilités domestiques.

3. Sudhir Kakar (1985), Moksha, lemande intérieur,mf/mu et sociétéen Inde; Les Belles Lettres, p. 167.4. D'ailleurs. en fonction de la position hiérarchique. tour membre d'une famille se fait appeler grand frère ou

grande sœur. petite sœUr de maman. grande sœur de maman, petit frère de papa ... Il est impensable d'appeler unepersonne plus âgée que soi par son prénom tant en milieu traditionnel que moderne.

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2 - Éducation, santé, statut des femmes: des progrès limités 121

rituels, ne peut pas hériter selon les traditions - mais elle le peut selon la loi - carla famille lui fournit une dot à son mariage.

2 - La place de la petite fille dans la famille indivise

Ni attendue, ni désirée dans la société rurale traditionnelle, la petite fille estconsidérée dès sa naissance comme un fardeau, en raison de la dot - interdite parla loi - qu'il faut constituer pour son futur mariage. Aussi recense-t-on encore denombreux cas d'infanticides de filles, notamment dans les zones rurales les plusarriérées du Nord-Ouest. Considérée comme une invitée dans sa propre familledans la mesure où elle doit partir une fois mariée, c'est-à-dire le plus tôt possible, lafille ne reçoit pas la même éducation ni les mêmes soins que ses frères. Et dès ledébut de l'adolescence, l'entourage féminin de la jeune fille lui inculque les règles dela parfaite maîtresse de maison, les vertus de la femme idéale qui sont la soumission,la docilité à l'image de la déesse Sita (héroïne de l'épopée du Ramayana), symbolede la dévotion conjugale.

3 - Mariage et dot: le destin de toute fille

En Inde, le mariage n'est pas simplement un acte civil, mais bien l'acte social etreligieux le plus important pour toute femme. Destiné à perpétuer la famille et lacaste, le mariage est avant tout un arrangement conclu entre les parents qui ont ledevoir formel de marier leurs enfants. Si depuis l'Antiquité de nombreuses formesde mariage ont existé, du don au rapt de la très jeune fille, à l'heure actuelle lapratique la plus courante consiste en un accord entre les deux familles de mêmecaste, de même religion et de même rang social si possible. Malgré une législationmoderne interdisant la polygamie pour les hindous (mais pas pour les musulmans)et le mariage avant 18 ans pour les filles et 21 ans pour les garçons, des mariagesd'enfants seraient encore pratiqués dans les régions rurales les plus reculées duTamil Nadu, du Rajasthan ou du Bihar. Si dans le Sud dravidien on se marieencore au sein du même village voire de la même famille, en revanche dans le Nordles familles sont obligées de rechercher les conjoints dans d'autres villages plus oumoins éloignés.

Cependant, au sein de la classe moyenne, la génération des 20-30 ans de plusen plus occidentalisée n'hésite pas à rompre avec les traditions de l'indivisionfamiliale en créant un foyer nucléaire, notamment dans les grandes métropoles.

Plus qu'un arrangement social, le mariage reste une affaire très coûteuse pourles parents de la mariée qui sont obligés de verser une dot considérable à la familledu marié. Abolie par la Constitution indienne en 1961, la pratique de la dot, loinde disparaître, tend au contraire à devenir une véritable plaie sociale. À l'exceptionde quelques jeunes gens des campus universitaires ou de citadins très occidentalisésqui refusent le système en général, cette coutume de la dot (dowry) est répanduedans l'Inde entière, quelles que soient la caste, la classe sociale et la religion(chrétiens et musulmans compris).

Paradoxalement depuis ces dernières années, le « prix » du mari connaît uneinflation sans précédent, spécialement parmi les classes moyennes urbanisées! Plussa caste est élevée et son métier de haut niveau, plus la compensation financière etmatérielle qu'il pourra exiger est conséquente. Le montant peut excéder unecentaine de milliers de roupies, sans compter les bijoux, avec des dons en consé­quence, depuis le scooter jusqu'à la voiture et la maison entièrement meublée et

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équipée! ! Principale cause d'endettement des familles indiennes, cette pratique,malgré le niveau d'éducation des jeunes filles, n'est pas prête de disparaître. CertainsIndiens de la diaspora vivant en Occident réclament eux aussi, sans vergogne, unedot conséquente, comme en témoignent les annonces matrimoniales de la presseassociative à l'étranger.

Traditionnellement, un père qui marie sa fille offre à la belle-famille, outre lesdépenses somptuaires de la cérémonie, des bijoux, de la vaisselle, du mobilier; lesbijoux sont en fait une sorte d'héritage anticipé puisqu'après leur mariage, les fillesn'ont plus de liens matériels avec la maison paternelle et n'ont aucun droit sur laterre. En Inde rurale, la terre cultivable revenait de droit et de fait au(x) fils, commedans toute société patriarcale à l'exception de quelques régions (Kerala etMeghalaya) où perdurent des sociétés matrilinéaires, d'héritage bilatéral (filles ougarçons) et de quelques communautés musulmanes. Aujourd'hui, en dépit du droitlégal des femmes à hériter des terres, seules les femmes du Sud de l'Inde héritent dela terre en raison des mariages endogames (à l'intérieur du village voire de lafamille) ; en revanche dans le Nord où prédominent l'exogamie et quelquefoismême la tradition du purdaJil, la terre reste difficilement accessible aux femmes.Selon certaines études, c'est à peine 1 % des femmes en milieu rural qui posséderaitde la terre!

4 - L'idéal de la parfaite épouse

L'idéal de la parfaite épouse que l'on retrouve dans la mythologie, malgré lesimplications que supposent les progrès de l'éducation, de l'urbanisation et de lamodernisation, se traduit non seulement par un dévouement exclusif au mari etdans une moindre mesure aux parents de celui-ci, mais aussi par le désir de donnernaissance à des enfants mâles. Si, par malheur, l'épouse n'accomplit pas son devoirde mère, son époux pourra se remarier avec le plein assentiment de sa communauté.La stérilité dans les milieux les plus traditionnels est encore une véritable malé­diction, une femme stérile porte même malheur.

Comme elle se marie relativement jeune, notamment en milieu traditionnel,l'épouse entre dans son nouveau foyer pleine d'angoisse et de nostalgie, ignoranttout de sa vie sexuelle future, avec un sentiment ambivalent de respect et de crainteenvers cet époux, complètement étranger dans la majorité des cas, qu'elle doit serviret révérer. Or sa véritable famille est désormais celle de son mari; elle ne pourra pasretourner s'installer chez ses propres parents, sauf en des occasions exceptionnelles,notamment avant l'accouchement. Aussi, à l'inverse du mari qui continue à vivredans la maison de son enfance au milieu de ceux qui l'aiment, la jeune épouse doittrouver sa place au sein du groupe de femmes inconnues, dirigé par une belle-mèrequi règne sans partage sur la maisonnée.

Certes, la situation de la jeune épouse change radicalement quand elle se trouveenceinte. Les aînées veillent sur son bien-être et de nombreuses tâches ingrates luisont épargnées: elle subit moins les sarcasmes et les humiliations de sa belle-mère

1. Si par malheur, la belle-famille n'a pas fini de verser la dot promise, la famille du mari n'hésite pas à assas­siner la nouvelle bru, maquillant le crime en suicide. Des milliers de femmes seraient chaque année victimes d'acci­dents dans leur cuisine. Pendant longtemps, les coupables n'étaient jamais poursuivis, mais devant l'ampleur duphénomène et grâce à la dénonciation de ces crimes par les mouvements féministes, des procès SOnt intentés avecsuccès.

2. Le purdabest le voile destiné à cacher le visage de la femme de manière à ce qu'il ne soit pas vu des hommes.Par extension. la tradition du purdahdésigne le fait de maintenir la femme confinée à fa maison, derrière les murs.

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dont elle reçoit des marques d 'affection, jusque-là si rares. Avant l'accouchement,généralement au septième mois de la grossesse, elle a la grande joie de retrouver sespropres parents, notamment sa mère qui est à ses petits soins".

En fait, l'autorité de la femme dépend du rang de son mari à l'intérieur dugroupe. Traditionnellement, l'épouse du patriarche règne sur les affaires domes­tiques et exerce un pouvoir con sidérable sur les autres femmes de la communauté,notamment sur ses belles-filles. Dans la hiérarchie sociale de sa nouvelle famille, lajeune épouse occupe généralement l'un des rangs les plus bas ; elle doit donc obéis­sance et soumission à toutes ses aînées, particulièrement à sa belle-mère. Mais,toujours selon ce principe de hiérarchie, cette jeune épouse soumise qui a souffertavec sa belle-mère prendra une certaine revanche en se comportant de la mêmemanière avec ses belles-filles, à cond itio n qu'elle ait mis au monde des garçons". Lefait que les femmes puissent prendre tellement de pouvoir en vieillissant, mêmeenvers leurs époux, contribue d'une certaine manière à perpétuer cette indivisionfamiliale et à expliquer la résistance de bon nombre d'Indiennes à tout changementsocial.

Photo 10 - Dans la cuisine, devant le foyer,dans une maison en dur d'u n village du Maharashtra

1. Com me l'observe S. Kakar, « ce n'est que grâce à la maternité qu' elle rentre en possession de son ident ité defemme et qu'elle peut Se faire une pla ce dans la famill e, dans la communauté et dans Je cycle de la vie » (S. Kakar,op.cit., p. 126).

2. Mê me si les fem mes de religion chré tienne ou parsie bénéficient d 'u ne pl us grande libert é , o n retrouvepo urta nt ces croyances et pratiques hindoues plus o u moins dispensées dans toute la société indien ne .

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Par ailleurs, pour beaucoup de femmes qui ne veulent pas se prendre en charge,assumer à la fois les tâches ménagères, l'éducation des enfants et une vie profes­sionnelle, les grandes familles et leurs lois ont finalement un caractère trèssécurisant. Même si elles étouffent au sein de cette famille aux principes rigides quidéterminent et régentent la vie de chacun, elles s'angoissent et hésitent longtempsdevant le changement.

Cependant, dans la presse indienne engagée, il est possible de lire des annoncesmatrimoniales déclarant que ni la caste, ni la dot, ni la couleur de la peau ne serontprises en considération, mais plutôt l'éducation et le caractère. Par ailleurs, tous lesjeunes gens n'acceptent pas ce système de mariages arrangés et a fortiori le systèmede la dot, notamment dans les campus universitaires où l'union libre, les mariagesintercastes et interreligieux ont fait leur apparition depuis les années 1970. Il estvrai qu'en milieu urbain s'impose de plus en plus l'image de la famille nucléairecomprenant le père, la mère et deux enfants au maximum. Grâce à la vie citadinequi permet aux gens de se rencontrer sur le lieu du travail, certains rejettent lemariage traditionnel et lui préfèrent des relations plus intimes et sincères,aboutissent à ce que l'on désigne en Inde par l'expression love marriage (<< mariaged'amour! »).

Cependant, dans les familles traditionnelles, l'arrivée d'une bru instruite etjouissant d'un statut économique peut créer des problèmes car celle-ci défend sespropres idées et se révolte contre l'autorité qui lui est imposée. De ce fait les famillestraditionnelles ont tendance à choisir une future épouse qui n'aura pas eu le tempsde former réellement sa personnalité. Certes, les familles traditionnelles désireusesde pouvoir bénéficier d'une source de revenus supplémentaires encouragent de plusen plus les filles à aller à l'école et à l'université, notamment dans les États du Sud etles grandes villes.

Mais, il y a tout lieu de croire que cette amélioration indéniable ne concernehélas qu'une minorité de femmes aisées des mégapoles. En revanche, il est difficilede percevoir un changement dans les campagnes où le poids des traditions estencore très lourd.

5 - La condition difficile de veuve

Lorsque par malheur, l'épouse de cette famille traditionnelle perd son époux,elle se retrouve dans la condition difficile de veuve: il lui est alors interdit de seremarier comme si elle était responsable du décès de son mari, alors que le code civille lui permet.

Dès la mort de son mari, la tradition veut qu'on lui retire définitivement tousses bijoux et les fleurs de ses cheveux. Elle n'a en principe ni le droit de poudrer enrouge vermillon la raie centrale de ses cheveux, ni d'apposer sur son front le tikkaou poteu, symboles de son statut de femme mariée>, Elle ne se vêt plus que de blanc(couleur du deuil) et ne participe plus activement aux grandes cérémonies familialesoù elle est supposée « porter malheur », Sa seule issue est de pouvoir vivre chez sonfils aîné qui devient le chef de famille. Sans fils, elle mène une vie misérable aux

!. D'ailleurs, nombreuses sont les femmes à poser la question de savoir si on a fait un • mariage arrangé 0 ou un• mariage d'amour o.

2. Le tikkaou Je poteuest un point rouge symbolisant l'œil de la connaissance que tout hindou appose sur sonfront avant d'aller au temple. Aujourd'hui, le tikka désigne avant tout ces pastilles rondes autocollantes de couleursdiverses en harmonie avec la couleur du sari. De plus en plus nombreuses sont les veuves à rejeter ces traditions et àporter le tikka, notamment en milieu urbain.

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crochets de sa belle-famille qui peut la renvoyer dans sa famille; abandonnée detous, elle se réfugie dans des ashrams. La législation coloniale et le code civil desannées 1950 qui autorise le remariage des veuves ne concerne encore que lesmilieux urbains les moins traditionnels. On comprend dans une telle perspective,que des femmes aient pu choisir la sati - immolation des veuves sur le bûcherfunéraire de leur époux. Abolie une première fois par les Anglais à la fin du siècledernier et déclarée illégale par le Code pénal indien, cette pratique fait encore partiede l'imaginaire hindou, dans un contexte d'intégrisme religieux, notamment dansles régions rurales du Rajasthan ou du Bihar.

B - Vers plus d'éducation et de participation des femmes

1 - Les inégalités persistantes des femmes dans la santé, l'éducation et le travail

Les inégalités entre hommes et femmes dans les secteurs de l'éducation et lasanté (cf. ci-dessus) se traduisent par des indicateurs alarmants comme l'espérancede vie à la naissance qui était supérieur pour les hommes jusqu'en 1981 ou commele sex-ratio indien très défavorable aux femmes.

Elles se marient très jeunes (12 ans au Rajasthan) en dépit de la loi interdisantle mariage avant 18 ans pour les filles et 21 ans pour les garçons, meurent facile­ment en couches et font travailler leurs enfants. Dans les États les moins avancés, enparticulier les quatre États « malades », les taux élevés de fécondité, de mortalitéinfantile, le faible recours aux moyens de contraception et un sex-ratio unique aumonde - moins de 900 femmes pour 1 000 hommes dans les territoires de Delhi,Haryana, Chandigarh, Penjab, Sikkim... - sont d'autres indicateurs éloquents. Sil'on ajoute à cela les milliers de cas d'infanticides de nouveau-nés du sexe féminin(Rajasthan et Tamil Nadu) et la mauvaise condition sanitaire des filles en général,on ne s'étonne pas du déclin du ratio entre hommes et femmes: il y avait972 femmes pour 1 000 hommes en 1911, 933 aujourd'hui, soit le ratio le plusdéfavorable du monde pour le sexe féminin. Sur les 1,27 milliards d'habitantsrecensés en 2001, il manquerait donc 35,5 millions de femmes pour obtenir unnombre égal d'hommes et de femmes (531 millions d'hommes contre 496 millionsde femmes). En fait, de nombreuses femmes préfèrent avorter jusqu'à l'arrivée d'unhéritier mâle grâce aux techniques médicales qui facilitent l'élimination des filles.Ainsi, les méthodes dans un pays où naître fille est une malédiction ont connudepuis la ans un développement et un succès sans précédent comme le prouve laprésence des milliers d'officines privées visibles partout, proposant la déterminationdu sexe moyennant une somme modique en comparaison de l'éventuelle dot àpayer. Les autorités, effrayées par l'élimination de 100 000 fœtus féminins chaqueannée, ont interdit l'amniocentèse (prélèvement du liquide amniotique) en 1994,mais l'échographie continue de faire des ravages. Enfin, l'avortement reste unmoyen de contraception largement pratiqué légalement, voire illégalement, en dépitd'une légalisation de l'avortement datant de 1969 : 6 millions d'avortements sontpratiqués chaque année contre la loi, dans des conditions sordides, notamment dansles campagnes profondes, par des « avorteuses traditionnelles! ».

1. Les spécialistesestiment que la multiplication d'établissements pratiquant nVG en toute discrétion - Delhine compre pas moins de 556 centres officieux et 250 établissements autorisés - et le fait que J'intervention soit tout àfait abordable (de 500 à 2 500 Rs = 75 à 375 F) Ont certainement contribué à dédramatiser cet acre auprès desfemmes.

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126 PARTIE Il - LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

Carte Il - L'Inde: sex ratioen 2001

moyenne nationale : 933

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Territoire du Nord et Azad Cachemire sous contrôle pakistanais

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Scureee reeenMment 2001 - oentut of Un ion Home M ln il'try - Government of IndieSource: Sne Mondiale ESRIIDWC) 1993 en ccerdonnéee géographiques

R6olloat.,n M. LEGRAND· F. PIROT

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2 - Éducation, santé , statut des femmes: des progrès limités 127

Les inégalités sont également frappantes dans le travail. Même si les femmesindiennes sont de plus en plus nombreuses à travailler, la majorité d'entre elles, àsavoir les plus pauvres, travaillent parce qu'elles n'ont jamais eu le choix, pour dessalaires nettement inférieurs à ceux des hommes (à l'exception des emplois de lafonction publique) . Les plus pauvres travaillent dans les industries manufacturières,le secteur informel dans des conditions souvent pénibles et peu satisfaisantes. Parailleurs, à peine une femme sur sept travaille dans le secteur organisé (cf. partie III,chap.2).

C'est sans parler du travail des petites filles, particulièrement répandu dans lescampagnes où 10 % des filles de moins de 15 ans travaillent pour des salaires demisère. Elles sont très présentes dans les corderies, dans les ateliers d'encens, dans lafabrication de beedi, l'égrenage du coton, le décorticage de l'arachide, le nettoyagede céréales .. . Nombreuses aussi sont les études qui montrent que toutes les tâchesdu ménage pauvre incombent dans une large mesure aux filles. Elles s'occupent destout-petits, font la cuisine, nettoient, vont chercher et portent de l'eau et toutessortes d'ustensiles ... Les filles plus âgées vont aux champs avec leurs parents pourles aider à semer, transplanter, sarcler, récolter, etc.

Photo 11 - Briqueterie, banlieue de Delhi:travail des femmes et des enfants

2 - L'espoir des États du Sud

Aujourd'hui, les autorités s'accordent avec les spécialistes pour expliquer l'échecde la politique démographique anti-nataliste mise en place dès les années 1950(cf. partie I, chap. 2). En contradiction totale avec le manque d'éducation desfemmes, le conservatisme social et les impératifs économico-religieux, cette poli­tique démographique centrée uniquement sur le contrôle des naissances étaitinéluctablement vouée à l'échec. D'ailleurs, l'analyse des indicateurs démogra­phiques et socio-économiques État par État confirme bien cette thèse.

On peut relativiser cet échec des politiques de développement social car lesÉtats du Sud, notamment le Kerala avec un taux d 'alphabétisation des femmes de

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128 PARTIE Il -LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

plus de 85 % (la différence est minime avec les hommes: 94 % des hommes sontalphabétisés) connaît le taux de mortalité infantile le plus bas de l'Inde - 17 %0contre 80 0/00 dans l'ensemble du pays -, le taux de mortalité féminine le plus bas,et la population n'y augmente que de 1,1 %. Certes, les Keralaises se marientbeaucoup plus tard que les autres Indiennes en général (23 ans contre 19 ans) etutilisent en majorité les moyens contraceptifs, d'où un nombre raisonnabled'enfants par femme (2 en milieu rural). La mortalité maternelle ne touchequ'l femme sur 1 000 contre plus de 11 sur 1 000 en Uttar Pradesh en 1991.L'infanticide des filles et le travail des enfants sont inexistants, on observe donc quele sex-ratio y est favorable au sexe féminin. En effet, le Kerala est presque le seulÉtat de l'Inde où le nombre de femmes est supérieur à celui des hommes (l 058 %0en 2001). Ce cas d'exception en Inde, voire en Asie du Sud, montre à quel pointune politique de limitation des naissances ne peut être dissociée d'un effort soutenuen matière d'alphabétisation. Toutefois, dans le cas de l'Inde, on peut se demandersi les facteurs culturels et religieux ne jouent pas aussi un rôle déterminant dans lescomportements démographiques. Le Kerala, traditionnellement matriarcal puissoumis aux influences chrétiennes depuis saint Thomas, a profité des missions pouréduquer les filles et les populations les plus défavorisées, notamment les basses castesqui se sont converties en masse pendant la période portugaise, puis pendant lapériode britannique. Par la suite, les communistes longtemps au pouvoir ontconsolidé ces acquis en faisant de l'éducation et de la santé des secteurs prioritaires.

Certes, l'émigration de près d' 1 million de Keralais, notamment dans les paysdu Golfe a contribué à limiter les conséquences d'une explosion démographique,d'autant que ces expatriés envoient chaque année à leurs familles restées sur placequelques 100 millions $ (estimation pour 1994).

En revanche, les États à fortes populations islamisées comme l'Uttar Pradesh, leRajasthan et le Bihar connaissent les plus forts taux d'accroissement démographiqueet les taux d'alphabétisation féminine les plus faibles (respectivement 43 %, 43 % et34 % en 2001). Cependant, même le Tamil Nadu qui mène avec succès une poli­tique de développement sanitaire et d'éducation des filles comme en témoignent lahausse du taux d'alphabétisation (64 % en 2001) et corrélativement la baisse dutaux de fécondité, bat des records d'infanticides de bébés du sexe féminin, notam­ment dans ses campagnes. C'est ici le conservatisme hindou qui est à l'origine durejet des filles.

L'expérience du Kerala montre à l'évidence qu'une politique de planificationfamiliale efficace implique non seulement une scolarisation générale des filles et unepromotion de la santé, mais aussi un changement des comportements culturels etl'amélioration de la condition féminine en général. Cette stratégie globale paraîtpeut-être utopique dans un pays où les pesanteurs socioculturelles limitent touteévolution significative En effet, les nombreuses lois sociales sont trop rarementappliquées, notamment dans le Nord, telles celles de la limitation de l'âge dumariage ou celles de la généralisation de l'instruction primaire pour les filles. Cen'est que très récemment que les gouvernants ont compris l'importance du rôle del'éducation.

3 - L'importance des féministes et de l'activisme politique

S'intéresser à la condition et au statut de la femme en Inde n'est pas unenouveauté, comme le prouvent les nombreuses études des chercheuses depuisl'Indépendance. En effet dès l'année 1947, de nombreuses associations de femmes

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militantes issues de l'élite intellectuelle (de haute caste) se sont constituées. Elles onttenté au départ de faire respecter les lois existantes sur l'égalité des sexes et surl'interdiction de la sati et de la dot, et sur la possibilité du remariage des veuves.Elles se sont mobilisées et continuent à se mobiliser pour que ne restent impunis niles assassinats de belles-filles pour dot insuffisante - qui représentent par exemple558 meurtres en 1985 -, ni le fœticide et l'infanticide des filles, ni les viols, ni lesravages de l'alcoolisme. Ces mouvements dénoncent aussi régulièrement les condi­tions de vie épouvantables des prostituées vendues très jeunes par leur famille, et destravailleuses enfants. Ces mouvements féministes qui reconnaissent tous la législa­tion favorable à l'égard des femmes en déplorent la faible application. En effet,malgré la légalisation du divorce par consentement mutuel ou sur la demande d'unconjoint (suite à des sévices physiques, des abandons ...), cette pratique ne concernequ'une très petite minorité de femmes de la classe moyenne urbaine, indépendantessur le plan financier et prêtes à encourir l'opprobre de leur entourage. En revanche,nombreuses sont les femmes prêtes à subir les violences quotidiennes de leurs épouxivrognes plutôt que d'engager une procédure, ne serait-ce que de séparation, quisusciterait une réprobation tant de la part de leur belle-famille que de leur proprefamille.

Cependant, on est loin des revendications traditionnelles des mouvementsféministes occidentaux relatives aux libertés sexuelles qui relèvent en Inde du luxepur et simple. La presse féminine de plus en plus florissante n'hésite pas à aborder,outre les problèmes traditionnels de dots, mariages arrangés, éducation des enfants,relations belle-mère/belle-fille, des problèmes nouveaux et plus intimes de la vieconjugale tels que le divorce ou les liaisons extra-conjugales. Ces mouvements nerencontrent du succès qu'auprès de femmes issues des classes moyennes urbanisées,mais leurs revendications ne restent pas lettre morte.

L'activisme en faveur des femmes ne s'arrête pas aux relations conjugales et à lasphère familiale, mais s'étend à la participation des femmes dans la sphère publique,c'est-à-dire aux mondes professionnel et politique. La question est d'actualité: unepolitique nationale pour l'amélioration de la condition des femmes, le NationalPolicy fOr Empowerment ofWomen, apparaît comme une nouveauté dans le ge Planquinquennal (1997-2002). Elle emprunte deux directions.

Il s'agit tout d'abord de garantir un meilleur accès des femmes à l'éducation,l'emploi, aux services sociaux et à la justice. Cela veut dire une reconnaissance desdroits et de l'égalité des femmes, mais aussi l'élaboration de programmes spécifiquesen faveur des femmes pour leur ouvrir des accès jusque-là fermés. Par exemple,certains programmes d'emplois ruraux mis en place par le gouvernement fonction­nent sur un quota de 30 % pour les femmes, ou des organisations féminines demicro-crédit reçoivent des fonds spécifiques du gouvernement, central ou régional.Les progrès sont plus rapides dans les zones urbaines et éduquées: beaucoup deprofessions se féminisent comme la médecine ou l'enseignement. Des métierscomme ceux de journaliste, chercheur, chef d'entreprise, député ou cinéaste ont étépris d'assaut par les femmes au cours de ces dernières années.

La participation des femmes dans le monde politique est le second cheval debataille. Celui-ci est largement dominé par les hommes toutes tendancesconfondues. Cela dit, l'idée en faveur d'une participation plus importante desfemmes dans la vie politique a fait sont chemin: outre le suffrage universel inscritdans la Constitution, la notion d'égalité s'inscrit désormais au cœur de la dérno-

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130 PARTIE 11- LEDÉVELOPPEMENT HUMAIN

cratie locale ou panchayati ra} (l'organisation par panchayat ou conseil élu) : en1989, un amendement réserve en effet 30 % des sièges des collectivités locales,c'est-à-dire des conseils de villages, de canton et de district, aux femmes. Toutefois,il y a encore des résistances qui empêchent d'étendre ce quota au niveau du parle­ment fédéral et des assemblées régionales, en dépit d'une pression quasi permanentedes lobbies féministes qui luttent pour leur représentation au plus haut niveau dessphères décisionnelles.

Notre réflexion sur le développement social de l'Inde nous a conduit àexaminer les secteurs de l'éducation et de la santé, et le statut des femmes. Outredes tendances profondes - une amélioration nette des indicateurs depuisl'Indépendance, mais un retard systématique se caractérisant par des inégalitésrégionales et de sexe importantes -, on est frappé par l'interdépendance entre les« leviers» du développement: le lien entre niveau d'éducation, de santé, maîtrise dela fécondité et participation sociale est visible.

Malgré les progrès réalisés, une politique d'envergure au niveau national semblefaire défaut et les questions sociales ne semblent pas former l'absolue priorité desdécisions budgétaires actuelles. Or l'éducation et la santé constituent des objectifsen soi et sont des conditions à l'efficacité des réformes économiques. Quant austatut des femmes, négligé dans la société traditionnelle, il doit être souligné,valorisé, encouragé: l'éducation et la participation (empowerment) des femmes sontdes vecteurs considérables de progrès social.

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2 - Éducation, santé, statut des femmes: des progrès limités

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POLITIQUES SOCIALES ET PAUVRETÉ

ISABELLE MILBERT

Aucun quartier, aucun village indien n'est épargné par la pauvreté, au point quece pays a parfois été désigné comme le symbole du dénuement et de la malnutritionpour des dizaines de millions de personnes. Les chiffres officiels, si optimistes sur lacroissance économique, se heurtent donc à la dure réalité du terrain, avec ses scènesdésespérantes de la pauvreté absolue , au quotidien. Là où le regard pourraits'habituer, la parole donnée à ces familles vient apporter tous les détails sur la réalitéde l'exclusion économique, sur des situations où le maigre gagne-pain de la journée,la hutte dans le bidonville, les relations avec quelques voisins, sont autantd'éléments cruciaux d'un équilibre très fragile, et deviennent parfois une questionde vie ou de mort.

Photo 12 - Bidonville de Behrampada, le long de la voie ferrée.Au deuxième plan, buildings du quartier de Bandra, Mumbai

© M.-C. Saglio-Yatzimirsky

La pauvreté reste donc l'une des caractéristiques de l'Inde, quoi qu'en disent lesbrochures destinées à promouvoir les affaires et le tourisme, et elle pose plusieurstypes de problèmes: un problème de mesure, un problème de politiques publiqueset un problème d'éthique et de gouvernance.

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3 - Politiques sociales et pauvreté

1- LA PAUVRETÉ, INCONTOURNABLE RÉALITÉ

133

A - Revenu et patrimoine

Le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant, en dollars constants, a fortementaugmenté au cours des 25 dernières années, puisqu'il a doublé entre 1975(222 $/pers.lan) et 1998 (444 $). Cette croissance des revenus s'est accélérée aucours des années 1990 (voir tableau 18). Néanmoins, ces chiffres, même les plusrécents, restent dramatiquement bas, et placent l'Inde dans le peloton des pays lesplus pauvres, dont le revenu moyen par habitant avoisine 1 $ par personne et parjour. De plus, ces chiffres très globaux ne sont qu'une moyenne, et ils masquent lesénormes disparités existant entre États: ainsi, le revenu moyen d'un habitant duBihar est plus de quatre fois inférieur à celui d'un habitant du Penjab.

Source: Rapport surle Développement Humain 2000, PNUD, New York, 2000.

L'échelle de répartition des revenus est comparable à celle du Vietnam ou del'Indonésie. Dans la moyenne établie par le PNUD pour la période 1987-1998, les20 % les plus pauvres consommaient 8,1 % de la consommation totale, tandis queles 20 % les plus riches consommaient 46,1 % du total. Le rapport entre les 20 %les plus riches et les 20 % les plus pauvres, en ce qui concerne la répartition de laconsommation, s'établit donc à 5,7, ce qui fait de l'Inde un pays assez peu inégali­taire. On est loin du ratio de 22,3 pour l'Afrique du Sud par exemple, ou de 25,5pour le Brésil, deux pays considérés comme plus développés que l'Inde'.Cependant, la libéralisation de l'économie devrait, logiquement, accentuer cesinégalités dans les années à venir, puisque les salaires des cadres d'entreprise ont étédébloqués et sont désormais en augmentation rapide.

B - L'évolution des chiffres d'estimation de la pauvreté

Nul mieux qu'Arnartya Sen n'a décrit la méthode de recensement de la popula­tion pauvre: « La méthode couramment pratiquée pour identifier la pauvretéconsiste à tracer un "seuil de pauvreté" clair et net, représentant le niveau de revenuou le niveau de consommation au-dessous duquel on est considéré comme pauvre. »(Sen, 2000, p.149) La mesure conventionnelle de la pauvreté, qui est utilisée par laCommission du Plan indienne, par la Banque Mondiale et par de nombreuses insti­tutions d'enquête, part de cette définition. L'indice de pauvreté représente alors lepourcentage de la population totale qui se trouve au-dessous de ce seuil considérécomme le minimum vital.

La définition de la ligne de pauvreté fut élaborée pour la première fois, dansune optique très opérationnelle, lorsqu'en 1962 les services de la Commission duPlan préparèrent une stratégie pour que la population ait accès à un minimum derevenu dans un délai de 15 ans, c'est-à-dire d'ici à la fin du 6e Plan en 1975-1976.La ligne de pauvreté fut alors définie comme la dépense nécessaire pour couvrir lesbesoins en nourriture (2 400 cal/jour/pers. en zone rurale, 2 250 calories en ville),

1. PNUD. RapportMondial surÜ Dëoeloppemem Humain 2000, Economica, p. 169-170.

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134 PARTIE 11- LE DÉVaOPPEMENT HUMAIN

plus 20 % des dépenses de nourriture pour couvrir les besoins essentiels (éducation,santé, habitat...). Cette ligne de pauvreté devait donc servir d'une part à définir unminimum vital (20 roupies par mois en zone rurale, 25 roupies en zone urbaine,aux prix courants en 1960-1961), et d'autre part à identifier la proportion depopulation vivant en dessous de ce seuil. Ce revenu minimum a été régulièrementréévalué. Depuis, les estimations concernant la pauvreté sont faites par laCommission du Plan, tous les cinq ans. Une large enquête est alors faite sur la basedes dépenses de consommation, et menée par le NSSQ, le National Sample SurveyOrganisation. En Inde, le « head count ratio» (HCR) mesure donc le pourcentage depopulation qui dépense des sommes en dessous d'un certain niveau, qui est définicomme la ligne de pauvreté. Le revenu direct a rarement été pris comme base pourévaluer le HCR, principalement à cause de l'absence de données fiables sur une baserégulière. Seul le NCAERI a été en mesure de collecter, depuis 1981, sur une baserégulière, des données concernant les revenus en milieu rural. Ces estimationsmontrent une diminution constante, depuis un siècle, du ratio de pauvreté.Cependant, le nombre de personnes en situation de pauvreté absolue demeurestable du fait de l'augmentation régulière de la population.

La dernière enquête officielle en date (<< 55th Round») introduit une difficulté,car les méthodes de mesure de la pauvreté sont légèrement différentes. Les résultats,s'ils s'avèrent comparables, montrent une nette régression de la pauvreté: 26,1 %de la population en 2000-2001, en contraste avec 36 % de la population en 1993­1994, se trouverait en dessous du seuil de pauvreté.

Tableau 19 - Estimation de la pauvreté (% population)

Année Inde Zones rurales Zones urbaines

1973-1974 54,9 56,4 49

1977-1978 51,3 53,1 45,02

1983 44,5 45,7 40,8

1987-1988 38,9 39,1 38,2

1993-1994 36 37,3 32,4

1999-2000 26,10 27,09 23,62

Source: Commission du Plan. New Delhi. 200 1.

La plus grande difficulté porte sur l'interprétation des chiffres des dix dernièresannées, d'autant plus que le débat est très politisé, à la fois sur la scène nationale etau niveau international: en effet, la Banque Mondiale et le Fonds MonétaireInternational sont partie prenante dans le débat, dans la mesure où ils prônentl'ouverture du marché indien à l'extérieur, la suppression des subventions et larigueur budgétaire. Dans cette période de croissance économique soutenue, le débata fait rage sur la question de savoir si la croissance se diffuserait à toutes les couchessociales jusqu'aux plus pauvres selon un effet de répercussion (trickle down), ou si aucontraire la politique de libéralisation aboutirait à une aggravation des inégalités,dans un contexte de vulnérabilité et d'exclusion grandissantes pour « la moitiéoubliée », Bien qu'il soit préférable sur cette question de prendre en considérationles tendances longues, il est très intéressant de constater que, dans les deux ans etdemi qui suivent immédiatement la mise en place de l'ajustement structurel, de

I. National Council for Applied Economie Research, New-Delhi.

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3 - Politiques sociales et pauvreté 135

l'ouverture internationale et de la libéralisation, la pauvreté augmente aussi bien enmilieu rural qu'urbain. Ces statistiques effectuées au niveau macro-économiquecorrespondent également aux résultats des enquêtes effectuées sur le terrain, enmilieu rural en particulier.

Les mesures de stabilisation, une production agricole médiocre (facteurs clima­tiques) et une augmentation des prix des céréales expliquent en bonne partiel'augmentation de la pauvreté dans cette période, d'autant plus que, pour desraisons budgétaires, le gouvernement indien a diminué ses politiques d'aide directe.La légère réduction de la pauvreté enregistrée ensuite a permis de revenir à lasituation antérieure, puis d'améliorer la situation en pourcentage, d'après lesderniers chiffres (tableau 19). Il semble que la croissance ait profité à de nombreuxménages qui se trouvaient à la limite de la ligne de pauvreté. Cependant, lesdisparités régionales sont telles qu'elles n'incitent guère à l'optimisme en ce quiconcerne la possibilité de résorber à court terme les principales poches de misère.60 % des pauvres en milieu rural habitent cinq Etats: Bihar, Uttar Pradesh,Madhya Pradesh, Orissa et Rajasthan.

La répartition du patrimoine apparaît un peu plus équitable qu'en Amériquelatine par exemple. Mais parmi les 20 % les plus pauvres, les familles ne possèdentque quelques ustensiles de cuisine, quelques vêtements, quelques nattes pourdormir, au mieux quelques bijoux (forme traditionnelle de conservation d'uncapital), une bicyclette ou un transistor. 63 % des ménages possèdent de la terre enmilieu rural, mais la taille des parcelles est en diminution constante depuis quaranteans. La taille moyenne de ces propriétés varie de 3 hectares au Penjab à 0,35 hectareau Kerala. 70 % des ménages de religion hindoue possèdent une terre, contre 57 %de musulmans et 47 % des ménages de basses casres". C'est au Penjab et enHaryana, au cœur de la zone agricole la plus prospère, moderne et productive, quese trouve le plus fort investissement en biens de production.

C - Les composantes de la pauvreté

La pauvreté ne peut pas se mesurer seulement en chiffres de revenu, mais doitêtre considérée aussi en fonction de l'accès aux services essentiels et au développe­ment social. A. Sen insiste, dans sa définition de la pauvreté, sur ce qu'il appelle « lemanque de capabilité dû à des moyens économiques inadéquats », Pour lui, « dansl'espace des revenus, le concept pertinent qui définit la pauvreté doit être l'inadé­quation (pour assurer des capabilités minimales acceptables) et non la faiblesse(indépendamment des caractéristiques personnelles). » (Sen, 2000, p. 161) Unepartie de la population indienne concentre donc tous les facteurs de risque, toutesles vulnérabilités telles qu'elles ont été identifiées par le PNUD dans son travail surle développement humain (cf. partie II, chap. 2), ce qui aboutit au classement catas­trophique de l'Inde, en 128e position en 2000, au même niveau que le Ghana ou leZimbabwe: 19 % de la population est encore privée d'accès à l'eau potable(moyenne pondérée 1991-1998).25 % des ménages de l'Inde rurale ont accès à del'eau arrivant par canalisation. 71 % de la population est privée de l'accès à l'assai­nissement (évacuation des eaux usées, ramassage des ordures ménagères dans lesannées 1990). 25 % de la population n'a pas d'accès aux services de santé (1981-

I. De façon surprenante, les ex-intouchables (Schdttl~d Casus) SOnt isolés dans les statistiques par rapport aureste de la population de religion hindoue.

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136 PARTIE Il - LED~ELOPPEMENT HUMAIN

1993). 53 % des enfants de moins de 5 ans présentent une insuffisance pondérale(1990-1998), Le taux d'analphabétisme des adultes s'élève à 35 % lors du recen­sem ent effectué début 2001 : ceci constitue un immense progrès (cf. partie II,chap. 2) , mais l'analphabétisme se concentre en milieu rural, chez les femmes etdans les basses castes de l'Inde du Nord.

Photo 13 - Enfant des rues à Old Delhi

1 - La répartition des dépenses

Les dépenses alimentaires continuent à engloutir la très grande majorité dubudget des ménages: au minimum 57,8 % des dépenses totales au Penjab, etjusqu'à 70,4 % au Bengale occidental. Dans de telles conditions, les dépenses desanté et d'éducation sont rédu ites à la portion congrue: 7,4 % et 3,1 % respective­ment, pour l'ensemble de l'Inde rurale", sans parler de l'habitat qui représente, defaçon constante depuis l'Indépendance, moins de 8 % des dépenses des m énages-.

Les familles les plus pauvres concentrent la très grande partie de leurs dépenseset de leur alimentation sur les céréales, alors qu'au contraire, on a assisté à unerelative diversification de l'alimentation de la population vivant au-dessus du seuilde pauvreté (fruits, légumes, sucre, huiles alimentaires). Donc la disponibilité descéréales sur le marché, avec son incidence sur les prix, joue un rôle important pourles ménages à bas revenu. La consommation de céréales a très légèrement augmentédans les années 1990, et s'est rapprochée plus fréquemment du chiffre symboliquede 500 g/pers.ljour (467 g en zone rurale") . Ce dernier chiffre est légèrement au­dessous de la norme nutritionnelle. Cela peut s'expliquer de plusieurs façons. D 'unepart, dans les ménages les plus pauvres, comme par exemple les travailleursagricoles, les familles nombreuses ou les tribaux, les enquêtes du NCAER révèlentque la consommation de céréales est plus faible pour des raisons évidentes de

1. NCAER , p. 86.2. A titr e de comparaison, les ch iffres couramment admis en Occident (avec des variarions selon les pays et les

régions), admettent des dépenses de "ordre de 10 à 16 % pour "alimenta tion, et de 16 à 33 % pour l'h abitat,3. Indian Economic Survey, 200 1.

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3 - Politiques sociales et pauvreté 137

faiblesse du pouvoir d'achat. D'autre part, la consommation des céréales n'est pastoujours très élastique: par exemple, au Gujarat comme au Kerala, aussi bien leshabitudes culinaires que l'accès au marché favorisent une diversification de l'alimen­tation dès que le revenu augmente. Il existe également de nombreux cas où desfamilles se privent pour pouvoir procéder à un investissement ou à une cérémonie,un mariage par exemple.

Les enquêtes en milieu rural montrent la très grande dépendance des ménagespauvres par rapport aux céréales. Les régions les plus pauvres sont celles où lesménages consacrent le plus aux produits de base, c'est-à-dire les céréales, tandis quedans les États les plus riches, les dépenses d'alimentation sont beaucoup plusdiversifiées: les céréales ne représentent que 15,8 % des dépenses des ménages enmilieu rural au Penjab alors qu'elles en représentent 38,9 % au Bengale occidentalet 42,5 % en Orissa.

2 - L'emploi et le chômage

Le niveau d'emploi constitue l'un des déterminants de la pauvreté, mais ilapparaît particulièrement difficile à mesurer. En effet, les statistiques officielles nepeuvent mesurer avec certitude que l'emploi du secteur organisé, lequel ne constituequ'une très faible proportion de l'emploi: en 1999, 19,4 millions de personnesétaient employées dans le secteur public (dont 14,4 % de femmes) et 8,7 millionsdans le secteur privé (dont 23 % de femmes'). Au-delà de ces chiffres, le reste del'emploi relève du domaine du secteur informel, où travaillent environ dix fois plusde personnes (cf. partie III, chap. 2). Le chômage, au sens où il est entendu enOccident, n'est donc concevable que pour le secteur organisé, pour lequel existentdes bourses du travail et un système d'offres et de demandes d'emploi.

Les bureaux d'embauche du gouvernement qui enregistrent les chercheursd'emplois de moins de 35 ans estiment à 40 millions de nombre de chômeurs à lafin des années 1990 c'est-à-dire environ 12 % de la population active. Depuis20 ans, le taux annuel de création d'emplois est inférieur au taux de croissance de lapopulation active, et l'emploi se dégrade. D'une part, l'emploi dans le secteurorganisé, protégé, stagne. Certains secteurs ont été particulièrement touchés,comme celui de la céramique ou celui du textile. Rappelons par exemple la grève de18 mois qui décima l'emploi dans l'industrie cotonnière de Bombay en 1982: ellemobilisa 240 000 ouvriers et fut à l'origine de 75 000 licenciements. D'autre part,les formes de travail précaire (travail irrégulier et non protégé) se généralisent.(cf. partie II, chap. 3).

1. Indian Economie Survey, 2000-2001, p. $-53.

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Photo 14 - Delhi, bidonville.Chez le coiffeur

Photo 1S - Delhi, bidonville.L'échoppe du vendeur de pan et de cigarettes

© 1. Milbert

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3 - Politiques sociales et pauvreté 139

Pour les ménages vivant au jour le jour dans le secteur informel, le chômage estimpossible car l'absence de revenu familial, si modeste soit-il, implique unedéchéance totale dans de très brefs délais. En revanche, le sous-emploi chronique, àgrande échelle, est certainement l'une des causes principales de la pauvreté, car iltouche la plupart des travailleurs agricoles et même de nombreux ménages enmilieu urbain. Il n'est qu'à voir les ouvriers en quête de travail au coin des rues, oules centaines de rickshaws attendant les clients devant certaines gares de province.Cette masse de demandeurs d'emploi pour lesquels quelques journées de travailpeuvent devenir une question de vie ou de mort explique que les salaires les plus basdemeurent bloqués, quel que soit le niveau de croissance de l'économie. Parexemple, les chiffres officiels montrent que, à l'exception des années 1996-1998, il Ya eu de nombreuses fluctuations aboutissant à une stagnation et parfois mêmerégression (Bihar, Maharashtra) des niveaux de salaires des travailleurs agricolesdepuis 1993-1994 jusqu'à 2000.

Le travail des enfants est prévalent dans les régions où existe la plus extrêmepauvreté. En Inde rurale, environ 4,4 % des enfants de sexe masculin et 3,5 % despetites filles sont engagés dans des activités lucratives sur une base régulière. Legouvernement indien admet officiellement que 11,2 millions d'enfants travaillentlors du recensement de 19911. La participation des enfants au travail, en particuliercelle des filles, tombe dès que la prospérité augmente, et paraît liée au revenu et auniveau d'alphabétisation des adultes. Ces statistiques apparaissent cependantlargement sous-estimées, comme l'affirment de nombreuses ONG, et devraient êtreplus systématiquement rapprochées du nombre d'enfants absents de l'école, car, àde rares exceptions près (maladie), ces derniers entrent alors dans le monde dutravail.

11- LE DÉBAT SUR LA MESURE DE LA PAUVRETÉ

De nombreuses critiques ont été adressées aux méthodes de mesure de lapauvreté: quels indicateurs utiliser, comment les agréger et les pondérer, quellesinterprétations des tendances longues, tous ces éléments font l'objet de controversesen Inde même. Il existe donc une abondante littérature sur la mesure de la pauvreté,sur la politisation et les enjeux représentés par ces chiffres et sur les politiquespubliques. Dandekar et Rath ont publié l'une des premières et plus importantesétudes sur la question en 1971 et le débat s'est poursuivi jusqu'à présent, d'autantplus que des équipes de recherche indépendantes ont vigoureusement contesté leschiffres officiels-, De façon constante, ces derniers sont bien inférieurs aux estima­tions réalisées par les chercheurs et groupes d'experts.

Les principales critiques ont porté sur le caractère schématique de la fameuse« ligne de pauvreté », qui n'établit pas de distinction concernant les différentessituations de pauvreté, et qui ne prend pas en compte l'extrême pauvreté.Rappelons, à nouveau, les travaux pionniers d'Arnartya Sen sur la question:« Mesurer la pauvreté suppose deux opérations distinctes, bien qu'elles soient liées:(1) l'identification des pauvres et (2) l'agrégation des statistiques concernant lespauvres identifiés pour en dériver un indice global de la pauvreté. Lorsqu'on

1. Indian Economie Survey, 2001, p. 192.2. Cf. les travaux de la revue Economie and Political Wuk(y publiée à Mumbai.

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140 PARTIE 11- LEDÉVELOPPEMENT HUMAIN

emploie la méthode traditionnelle de dénombrement, on accomplit l'opérationd'identification en se servant du seuil de pauvreté comme d'un tranchoir; puisl'agrégation est réalisée simplement en comptant le nombre de pauvres et encalculant le pourcentage H (H pour head count ratio, ratio du dénombrement) desgens situés au-dessus du seuil. Les deux opérations sont, dans cette approche,profondément dépendantes d'une vision de l'indigence qui l'assimile au faiblerevenu en soi. Mais, en outre, l'opération d'agrégation effectuée par simple dénom­brement n'accorde aucune attention au fait qu'un individu peut être un peu au­dessous du seuil ou très loin au-dessous, et que la répartition des revenus parmi lespauvres peut ou non être elle-même très inégale »,

Ala suite des travaux d'A. Sen, de nombreuses études pratiques d'évaluation dela pauvreté, en Inde et dans d'autres pays en développement, ont utilisé ce que l'ona baptisé « la mesure de la pauvreté Sen» et des indicateurs voisins, tous sensibles àla question de la répartition. Une «ligne d'extrême pauvreté» (« ultra poverty») aété établie mais n'est que rarement utilisée.

Dans le même temps, la mesure de la pauvreté est restée focalisée sur le revenuet sur la consommation; cela est logique, car il y a beaucoup plus de données statis­tiques disponibles. Il s'est ensuite passé, pour le gouvernement indien aussi bien quepour la Banque Mondiale, exactement ce qu'Amartya Sen avait considéré dans sonouvrage Inequality Reexaminedparu en 1992: « [ ••• ] l'usage traditionnel du ratio dudénombrement comme mesure de la pauvreté peur infléchir la politique anti­pauvreté en occultant la plus grande misère des plus pauvres parmi les pauvres. Enfait, avec le ratio du dénombrement comme mesure de la pauvreté, tout gouverne­ment est soumis à la vive tentation de concentrer ses efforts sur les plus riches despauvres, puisque c'est de cette façon-là que le nombre des pauvres - donc le ratiodu dénombrement, le pourcentage H - peut être le plus aisément réduit. » (Sen,2000, p. 154-155)

Une dernière critique concerne la comparabilité des statistiques concernant lapériode considérée, soit près de 40 ans. Les enquêtes utilisées par la Commission duPlan varient avec des échantillons réduits dans les années ordinaires, et deséchantillons larges une fois tous les cinq ans.

Même le PNUD reconnaît implicitement la marge d'erreur contenue dans lesdifférentes mesures de la pauvreté, puisque son Rapport Mondial sur leDéveloppement Humain présente deux méthodes de mesure qui aboutissent à desrésultats fort différents pour l'Inde: selon le premier, 44,2 % de la population setrouve sous le seuil de pauvreté, et selon le second, 35 % (PNUD, 2000, p. 170).

Aujourd'hui, des méthodes plus simples d'estimations, plus schématiques aussi,apparaissent dans l'air du temps. Ainsi, la Banque Mondiale généralise l'utilisationde la méthode de mesure « 1 $ par personne et par jour », Sur le terrain, le NSSO alancé des enquêtes sur la question très simple: « Tous les membres de la famillemangent-ils deux repas complets par jour? » 93 % des familles rurales répondaientpositivement en 1993, contre 81 % en 1983 et 88 % en 1991 1•

1. India Developmenr Report. 1997. p. GG.

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3 - Politiques sociales et pauvreté

111- LES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

141

À l'opposé d'une attitude passive et résignée qui signerait leur fin, les ménages àbas revenu déploient des trésors d'activité, de dynamisme et d'ingéniosité pour faireface à une situation précaire et à un environnement hostile. Levés à l'aube,travaillant jusqu'à la nuit tombée, les travailleurs du secteur informel et leur famillese battent pour la survie de la cellule familiale: « Tout l'argent nous sert pouracheter le riz », « Tout pour les enfants » sont des phrases que l'on entend souvent,aussi bien dans un village tribal du Bihar que dans la bouche d'une femme dubidonville. Pris dans l'engrenage des urgences pour trouver une solution auxproblèmes quotidiens, les habitants des quartiers pauvres vivent aussi au rythme deleur vie communautaire, en particulier les fêtes religieuses et familiales, mais ilsn'ont guère le temps de se préoccuper d'action collective. L'espoir demeure toujoursque les difficultés vont trouver une solution via le réseau clientéliste et politique,plus que par l'action revendicative.

Photo 16 - Delhi:laver son linge dans le bidonville

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Certes, la survie n'est possible que par l'entraide et les habitants savents'organiser pour intervenir ensemble et intercéder auprès des autorités, de façonponctuelle. Certes, la présence de nombreuses associations et groupes d'actionlocaux a permis de changer la vie quotidienne (voir encadré) , et parfois de faireévoluer des politiques: création d 'écoles, de centres de santé, cours d'alphabétisa­tion, lutte des femmes contre les débits d'alcool. Cependant, pour un village ou unbidonville où existe ce dynamisme, des dizaines d'autres sont isolés, divisés sociale­ment, manipulés par des hommes de main qui exacerbent facilement les clivagesreligieux. Les habitants se trouvent alors pris dans un rapport de force où ilsdeviennent otages à la fois de leurs propres élus et de l'administration. Dans l'incer­titude et l'absence d'information où ils sont volontairement maintenus, ils doiventinvestir temps et argent pour développer au moins deux ou trois stratégies alterna­tives, comme par exemple : il faut courtiser le candidat à l'élection pour obtenir unepompe à eau, une inscription à l'école ou la promesse que cette partie-là du bidon­ville ne sera pas détruite, il faut payer pour obtenir un travail dans le quartier voisin

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mais il faut aussi, en même temps, amadouer l'administration et les intermédiaires,et payer le coûteux droit d'inscription sur une liste d'ayant droits pour l'hypothé­tique obtention d'une parcelle de terrain en lointaine périphérie, en cas d'éviction.Pratiquer les fausses promesses, le chantage au vote, laisser planer le doute et seprésenter comme un puissant recours constitue l'art quotidien de nombreux poli­ticiens dans les quartiers pauvres de leur circonscription, qu'ils soient des éluslocaux ou des députés au Parlement. Après avoir ainsi cassé la solidarité, laconfiance et l'esprit d'initiative de la population, il devient possible sans coup férirde détruire des bidonvilles de plusieurs dizaines de milliers d'habitants (comme celas'est produit en 2000 à New Delhi) ou de chasser des habitants de leur village, aunom du développement et de la croissance, pour construire des immeublesmodernes, ouvrir des mines ou créer des villes nouvelles. Al'inverse, dans les rarescas où une alliance et une collaboration parviennent à s'établir entre groupesd'action locaux et puissance publique, les résultats sont impressionnants, comme l'amontré le cas d'Ahmedabad (Gujarat) au cours des années 1990.

À la reconquête de la dignité: le cas des brodeuses de Lucknow

À Lucknow (Uttar Pradesh), en 1982, les meilleures brodeuses de l'art traditionneldu Il chikan », dont la tradition remonte loin au temps de l'Empire moghol, résidaientdans un sordide bidonville au centre de la cité. Lors de nos premières visites à l'époque,la situation sociale et économique était désespérée, car les commerçants jouant le rôled'intermédiaires Il tenaient» ce quartier, y dictaient leurs conditions financières, etimposaient des salaires qui correspondaient à un cent cinquantième du prix de ventefinal des tissus brodés. Par exemple, un travail d'un mois pour la broderie d'une nappeétait payé l'équivalent de 20francs .français, ce qui, même au cœur d'un bidonville, nepennet pas à une personne de survivre. Les raresfemmes disposant d'un peu d'argent, àl'intérieur même du quartier, étaient devenues des usurières auprèsde leurs voisines.

L 'habitat était composésoit de huttes (certainesde la taille d'une tente de survie, faiteen toile et bouts de bois), soit de maisonnettes, parfois construites en brique, dépassantrarement une surface de plus de 8 à 10 ml. Partout, nous avons vu la boue, la dégra­dation humaine et physique dans les ruelles. Dans cesconditions la plus grande partie dela population était malade (poumons, dermatoses, paralysies). Les habitants dubidonville n'avaientpas suffisamment de revenuspour payer un aller-retour en rickshawjusqu al'hôpital public, pourtant gratuit, car le transport coûtait l'équivalent de deuxjours de travail. En conséquence, nombre d'enfants et de femmes étaient tombésgravement malades à la suite d'infections bénignesmais non soignées.

En 1983, avec l'aide de deux femmes éduquées et dynamiques travaillant l'unecomme enseignante et l'autre comme chargée de projet à l'UNICEF, une trentaine debrodeuses se sont organisées en coopérative. Après avoir poursuivi du travail social dansce bidonville pendant quelques mois, en assurant des transports de personnes malades àla consultation hospitalière par exemple, et aprèsde longues discussions, a été décidée lacréation de la coopérative. Le nom choisi, «SEWA-Lucknow », fait référence auxméthodes de travail de l'association de femmes très connue Il SelfEmployed Women sAssociation », jàndée en 1972 à Ahmedabad (Gujarat) pour organiserlesfemmes danslespetits métiers.

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3 - Politiques sociales et pauvreté

Ses objectifi sesont concentrésautour d'un point majeur: assurer un revenu décent etrégulier aux brodeuses, tout en maintenant la qualité de cet artisanat traditionnel. Lesdifficultés ont été particulièrement nombreuses, du fait de l'opposition féroce des inter­médiaires commerciaux, qui ont tout essayé, même les menaces de mort, le lobbyingpolitique et le trafic d'influence, pour conserver leur emprise sur les brodeuses et leurquartier.

Parties de 31 personnes, elles sont plus de 5000 femmes employées aujourd'hui.Malgré l'absence d'implication des autorités, le bidonville se trouve aujourd'huilargement réhabilitépar les habitants eux-mêmes, du fait que lesfamilles ont bénéficiénon seulement de salairesréguliers, mais également des idéesde la coopérative en matièrede services sociaux (écoles, crèches, centresde santé). Peu à peu, les habitants ont agrandiet solidifié leurs maisons. La prospérité s'est étendue à de nombreux autres quartiers etvillages, car l'emploi fourni par la coopérative SEWA-Lucknow est varié et intéresse detrès nombreux groupes de femmes, qui viennent à la coopérative chercher la matièrepremière puis repartent réaliser le travail chez elles: non seulement broderie, mais aussitissage, teinture, coupe, couture, lavage, repassage.

SEWA-Lucknow est aujourd'hui connue dans l'Inde entière. Ses broderies d'unequalité irréprochable ont été remises à la mode par la classe moyenne qui s'arrachelittéralement des dizaines de milliers d'articles, lors de vastes ventes organisées ad hocdans lesgrandes villes indiennes. Plusieurs centaines de milliers de dollars sont reverséschaque année en salaires. Le secret de ce succès réside sans doute dans l'absenced'intermédiaire, une attitude irréprochableface aux multiples tentatives de corruption etun complet engagement de l'équipe d'origine, qui a su gérersa croissance et diversifier sesactivités, aussi bien dans le domaine de la production que de l'action sociale.

IV - LES POLITIQUES PUBLIQUES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

143

Les objectifs officiels visent depuis l'Indépendance à permettre l'accès de tousaux biens essentiels que sont l'éducation, la santé, l'eau et le logement. De même,l'État indien affiche sa préoccupation pour le statut de la femme, de l'enfant et despersonnes âgées. Tous les documents gouvernementaux soulignent la richesse despolitiques publiques indiennes dans ce domaine", et en effet, la lecture desdocuments de politiques publiques est très impressionnante.

A - L'affichage des politiques anti-pauvreté

La Revue de l'économie indienne (lndian Economie Survey) est publiée en mars dechaque année, au moment de la discussion du budget, et synthétise tous les chiffresde l'économie indienne. Elle constitue donc un excellent révélateur des prioritésofficielles. Les politiques sociales ne sont développées que dans le dixième et dernierchapitre de ce rapport, loin derrière les questions monétaires, l'investissement, lesmarchés financiers, les exportations ou la politique industrielle. La justificationofficielle des politiques sociales peut être résumée de la façon suivante. A la suite desréformes économiques des années 1991-1992, l'Inde a connu une augmentation de

1. India Developmenr Report, 1997, p. 5 et Indian Economie Survey, 2001, p. 189.

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144 PARTIE 11- LED~ELOPPEMENT HUMAIN

son taux de croissance, qui s'élève désormais à 6 ou 7 % par an. Ce taux decroissance permet de réduire la pauvreté mais sans parvenir à combler le retard prisdans le passé. L'accès aux services essentiels et à un revenu adéquat pour les ménagesdémunis ne sera possible que grâce à des taux encore plus élevés de croissanceéconomique.

« L'allégement de la pauvreté demeure un défi majeur auquel est confrontée laNation! », Le gouvernement indien admet donc une responsabilité morale dansl'impératif de lutte contre la pauvreté, et il n'a pas abandonné les principauxservices sociaux au secteur privé, comme cela s'est passé dans bien des pays du Sudplacés sous ajustement structurel. Les autorités reconnaissent que l'éducation, lasanté, les services sociaux, la nutrition, l'assainissement, la fourniture d'eau, lesroutes, l'assurance sociale, constituent les besoins essentiels, et qu'elles devraientêtre le principal fournisseur de ces biens publics. Mais la fourniture de ces services ades coûts, tandis que les améliorations financières apportées par ces services sontsouvent impossibles à mesurer, et donc ils ne peuvent faire l'objet d'un rembour­sement directs. A mots couverts, les autorités reconnaissent donc leur impuissance.

B - La politique de programmes

Pour 2000-2001, le gouvernement concentre ses actions sur 6 grandsprogrammes. Certains de ceux-ci visent à financer les équipements communautairesou les services de base dans les villages: écoles, dispensaires, eau potable, routesrurales et logement. De nombreux programmes tentent d'améliorer l'emploi enmilieu rural, en particulier en apportant des aides à la création de la micro-entre­prise et en « aidant les pauvres en milieu rural à se constituer en groupesd'entraidee ». Un programme d'assistance sociale nationale, financé par le gouver­nement central, vise à fournir une aide financière minimum à des personnes âgées,des orphelins et des femmes enceintes. Rares sont les programmes intégralementfinancés par l'État central. En général, ce dernier exige une participation de 25 % à50 % de la part des États fédérés.

Le Programme d'emploi dans les districts les plus pauvres (EmploymentAssurance Scheme) cherche à créer des opportunités d'emploi complémentaires pourles plus démunis dans les villages les plus pauvres, dans les périodes de sous-emploiou de crise de l'emploi. Le programme considéré comme le plus efficace par lacréation d'emplois est le « Employment Guarantee Scheme» qui existe dans l'État duMaharashtra depuis plusieurs dizaines d'années. Ce programme ne permet pas aubénéficiaires de sortir de la pauvreté, puisque les salaires versés ne permettent mêmepas de passer au-dessus de la barre officielle de la ligne de pauvreté, mais au moinsa-t-il l'avantage d'intéresser les plus pauvres et de réduire « la profondeur de lapauvreté », selon l'expression des experts indiens-.

L'une des politiques publiques cruciales pour l'accès des plus pauvres à l'alimen­tation demeure le programme de commercialisation subventionnée de céréales(Public Distribution System). Le PDS a aujourd'hui un réseau de plus de

I. Indian Economie Survey, 2001, p. 194.2.1ndian Economie Survey, 2001, p. 193-195.3. Ces phrases tirées de J'Indian Economie Survey, prêtent au doute lorsque l'on se souvient de l'échec des poli­

tiques de développement communautaire tentées dans les années 1950 et surtout des clivages et des inégalités àl'intérieur de la société rurale.

4. India Developrnenr Report, p. 6.

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3 - Politiques sociales et pauvreté 145

400 000 magasins à prix subventionnés (Fair Priee Shops) et la très grande majoritéde la population (environ 160 millions de familles) les utilisent, ce qui en fait sansdoute le plus grand réseau de distribution au monde. Ce système vise à assurer lafourniture de céréales et de produits essentiels à des prix de base aux famillespauvres, de façon à les protéger des mouvements spéculatifs (cf. partie III, chap. 2,pour une description du fonctionnement du PDS). Des critiques graves ont étéfaites au programme, en particulier lors de la vague de libéralisation qui a touchél'Inde au début des années 1990. Ces critiques ont été largement relayées par lesexperts du FMI et de la Banque Mondiale, opposés au principe des subventions etqui voyaient dans ce programme une entrave au libre fonctionnement du marché.L'inefficacité de la Food Corporation ofIndia en ce qui concerne le stockage et ladistribution de céréales, et les détournements systématiques de grains sur le terrainavaient jeté le discrédit. Malgré les tentatives de réforme de ce programme à partirde 1992, les scandales liés à la corruption, tels que les fausses cartes ou les faux certi­ficats de travail ont continué, tandis qu'une accusation tout aussi grave se faisaitjour, selon laquelle ce programme ne parvenait pas à toucher les 20 % de lapopulation les plus pauvres. Ce point s'est trouvé souvent empiriquement vérifiédans nos enquêtes en milieu urbain, où, en effet, il est tout à fait aisé pour desfamilles de la classe moyenne ou supérieure d'envoyer leurs domestiques faire laqueue aux magasins (Fair priee Shops) tandis qu'une bonne proportion des habitantsdu bidonville, dépourvus de papiers attestant de leur résidence en ville, n'ont pasaccès à ces boutiques.

En 1996, le gouvernement nouvellement élu (United Front Government) selança dans une opération encore plus risquée: il promit que, à travers les achatspublics de céréales, chaque famille pauvre pourrait acheter 10 kg de céréales àmoitié prix chaque année. Il fut donc annoncé que les allocations de céréales, dansle cadre de ce programme, seraient basées sur les ratios de population pauvre telsque définis par le rapport d'un groupe d'experts (Lakdawala Committee Report). Ladistribution serait confiée aux Etats, qui seraient chargés d'identifier les famillespauvres. Naturellement, cette identification posa d'énormes problèmes. Il a étésuggéré que ce programme soit encore plus décentralisé et que la question de l'iden­tification des familles pauvres soit confiée aux municipalités rurales (panehayat) eturbaines, mais il est fort probable que de telles mesures ne réduiront guère lesdétournements. Nous touchons là à l'une des limites des politiques sociales enInde: les mesures directement destinées aux familles plongées dans la misèreabsolue sont, dans la grande majorité des cas, détournées, dans leur mise en œuvre,par les élites localest.

Les statistiques officielles concernant le système de distribution public decéréales ne présentent pas d'information sur le nombre d'utilisateurs de ceprogramme. Les enquêtes du NCAER sont donc les premières qui aient montré, àl'échelle nationale, l'importance de l'utilisation de ce programme. D'après cesenquêtes, 33 % des ménages en milieu rural ont confirmé qu'ils utilisaient le PDSde façon régulière. Plus important encore, l'enquête a montré que l'utilisation duprogramme dépend directement de la façon dont il est géré. Dans le Sud et l'Ouestde l'Inde, où le programme est géré de façon efficace et transparente, il est utilisépar la quasi-totalité de la population rurale: 82 % de la population au Tamil Nadu,

1. J.-c. Lavigne & I. Milbert (1983). La réhabilitation desbidonvilles d~ Kanpur, Plan Construction.

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78 % au Kerala, 70 % au Karnaraka, 66 % en Andhra Pradesh. Au contraire, enUttar Pradesh, au Bihar et en Orissa, qui sont les États où se concentre la pauvretéet où sont constatés les plus forts taux de malnutrition chez les enfants et chez lesadultes, seulement 5 % de la population rurale a accès à la distribution subven­tionnée de céréales. Dans ces États où les disparités sociales sont extrêmes, la massedes familles les plus démunies ne parvient pas à modifier un rapport de force qui aété jusqu'ici favorable aux propriétaires fonciers, à des politiciens et à des adminis­trateurs corrompus et méprisants.

Politiques urbaines et pauvreté

Il est fort rare que les textes officiels mentionnent les programmes urbains dans lalutte contre lapauvreté, car ils n'ontjamais jàit l'objet d'une priorité explicite. Pourtantles populations des villes sont confrontées à une double vulnérabilité: aux risquestraditionnels (malnutrition, maladies chroniques.. .) viennent s'ajouter les risquesspécifiques de la pauvreté en ville (promiscuité, pollution accrue de l'air et de l'eau,risques sociaux, accidents.. .). Dans les années 1950 et 1960, l'attitude négative desautorités était justifiée par la crainte d'un afflux massifde migrants. La planificationurbaine a systématiquement sous-estimé la croissance des villes et lesprogrammes delogement, trop rares, ont été accaparés par la classe moyenne. Devant la croissance rapidedes bidonvilles, la destruction a longtemps été le réflexe courant des administrationsurbaines. Le casde Delhi est unique au monde: les destructions de quartiers anciens etde bidonvilles ont touché 700 000 personnes en 1976-1977. en plein état d'urgence»,mais la plupart desjàmilles ont été relogées.

La Banque Mondiale a joué un rôle déterminant, au début des années 1980, pourvaloriser l'investissementjàit par l'habitant du bidonville et encouragerla réhabilitationdes quartiers pauvres. En cofinançant de nombreux projets dans les villes indiennes, ellea contribué à modifier la politique gouvernementale, qui s'appuie désormais sur troisprincipaux volets: fourniture de services essentiels (transport, électricité, voirie) àl'ensemble de la ville; construction de quartiers nouveaux, y compris de logements àjàible coût, en périphérie, avec de meilleurespossibilités de crédit et d'accès à lapropriétégrâce à de nouvelles institutions financières (HUDCCJl) ; réhabilitation de bidonvilles,souvent financée par l'aide internationale, visant à l'intégration dans le tissu urbaingrâce à la fourniture des principaux services (y compris écoles et postes de santé), à lacréation d'activités économiques et à la promotion d'actions communautaires.

La décentralisation, depuis le vote des amendements constitutionnels de 1992, donnebeaucoup de responsabilités aux municipalités et rapproche les politiciens de leursélecteurs. Elle pourrait contribuer, dans le futur, à rendreplus efficaces les administra­tions chargées de l'entretien et des travaux dans les quartierspauvres.

l. Cf. note! p. 34.2. HUDCO : Housing and Urban Developmenr Corporation.

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3 - Politiques sociales er pauvreté

Photo 17 - Rue d'un bidonville de Delhi

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C - Les critiques à l'encontre des politiques officielles

L'énumération officielle des programmes lancés par le gouvernement centraldans sa lutte contre la pauvreté peut apparaître à la fois comme trop longue ou tropcourte. Trop longue, car toutes les politiques sociales, sanitaires et éducatives y sontmentionnées, alors qu'elles sont dest inées à l'ensemble de la population(cf. partie II, chap . 2). Trop courte, car de nombreuses politiques publiques sontdirectement facteurs de développement ou d'aggravation de la pauvreté, et ce lienn'est pas établi. Par exemple, la construction d'un quartier neuf est directementenregistrée comme un élément de la croi ssance , mais la destruction du bidonvilleafférente est passée sous silence et n'apparaît dans aucune statistique.

Virtuellement, toute politique publique a un impact sur la perpétuation ou surl'allégement de la pauvreté. Il paraît surprenant que le gouvernement indienn'établisse pas de lien explicite entre des politiques sectorielles dont l'importance estcruciale pour intégrer ou marginaliser une partie de la population dans le dyna­misme économique. Il en est ainsi des mesures concernant l'aménagement urb ain,le prix des pesticides et des engrais. Les lois et règlements régissant le statut de laterre peuvent aussi être considérés comme une cause directe d'aggravation de lapauvreté. Par exemple, le blocage presque complet, par des législations inadaptées,de l'industrie de la construction dans les grandes villes indiennes telles queMumbail, pendant près de quarante ans, a profondément aggravé la crise dulogement et a repoussé une partie de la population en bidonville. Ce blocage a aussigêné la modernisation et la croissance du secteur de la construction, qui est tradi­tionnellement employeur des populations à faible revenu.

Les politiques industrielles, bien que créatrices d 'emploi, apparaissentégalement à l'origine de bien des drames: les villes nouvelles industrielles, toutcomme les grands barrages ou l'ouverture des mines, impliquent des déplacements

1. Il s'ag ir en part icul ier de la loi de blocage des loyers de 1947, et de la loi int rod uisant un plafo nd de propri ér ésur les terrains urbains de 1975 .

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massifs de population. Jusqu'à une période très récente, l'existence de cettepopulation sacrifiée, qui n'avait que très rarement droit à des compensationstoujours sous-évaluées, était soigneusement éludée au nom des exigences du« développement », Les répercussions internationales de la résistance à l'extensiondu barrage de la Narrnada' ont jeté une lumière crue sur ces « personnes affectéespar le projet » qui se comptent en millions à l'échelle de l'Inde, et qui souvent n'ontd'autre alternative que la migration vers les bidonvilles des grandes villes ou lacréation d'une zone marginale en périphérie du projet.

Par ailleurs, le gouvernement indien a visiblement renoncé à agir sur la pauvretéà travers des mesures structurelles, contrairement au passé. En effet, dans les annéesqui ont suivi l'Indépendance, les autorités n'avaient pas hésité à agir via le fisc et laredistribution (exemptions fiscales pour l'ensemble des zones rurales, institutions decrédit rural), via le statut de la terre (réforme agraire, statut spécial des terrestribales) et l'éducation et l'emploi (réservations de postes dans l'enseignementsupérieur et la fonction publique, salaire minimum). Le servage, les taux usuraires,le versement de lourdes dots avaient été interdits et restent officiellement bannismalgré les violations constantes de la loi. Aucune de ces mesures n'a été supprimée,mais leur mise en œuvre est souvent ralentie.

De nombreux travailleurs sociaux ont mis en avant le fait que les politiquespubliques, sur le terrain, apportent souvent plus de difficultés que d'aide auxfamilles les plus démunies. Le caractère tatillon de l'administration a fait l'objet demesures vigoureuses en ce qui concerne la libéralisation économique, mais demeureun élément de blocage majeur en ce qui concerne la population pauvre. Obtenirune carte de résident donnant droit à l'accès aux «fair priee sbops», acheter ouvendre de la terre ou installer une machine à la ferme (telles que réfrigération,fabrique de briques, décorticage de céréales) nécessite de très nombreuses démarchesmenant souvent à l'échec. L'affichage et le financement des politiques publiquescomptent moins, finalement, que la mauvaise volonté d'une partie de la hiérarchieadministrative, qui ne cache pas, en privé, son mépris pour « la racaille ».

L'importance de la volonté politique dans l'accès au développement socialapparaît flagrante à l'analyse des résultats du Kerala, où tous les indices de dévelop­pement humain sont très positifs (cf. partie II, chap. 2.). L'explication du succès duKerala, outre des raisons culturelles (sur le statut de la femme dans le mariage,notamment) réside dans des politiques constamment favorables à l'éducation et à lasanté publique, qui aboutissent à des taux d'alphabétisation impressionnants, ycompris pour les femmes, et à d'excellentes statistiques de santé, en particulier en cequi concerne la protection maternelle et infantile. L'histoire de l'action publique duKerala dans le domaine social remonte loin>, mais elle a été confortée par unevolonté politique sans faille tout au long des années qui ont suivi l'Indépendance.

Tous les chiffres montrent que lorsque l'exclusion sociale se double d'unemarginalisation économique et territoriale, la pauvreté met en danger la vie mêmedes habitants. Ceci est le cas, par exemple, pour les populations tribales, tradition­nellement victimes de spoliation et de négligence dans les politiques publiques. Parexemple, en 1995, en pleine accélération de la croissance économique, et dans l'Étatle plus développé de l'Inde, le Maharashtra, plusieurs centaines de cas de morts de

1. Cf. Partie III. chap. 2. encadré « Une controverse passionnée autour de la Narmada o.

2. Cf. J. Drèze & A. Sen (1995). India, Economie Deuelopment and Social Opportunity, Delhi, OxfordUniversity Press.

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faim ont été signalés parmi les populations tribales, dont environ 500 enfants dansle seul district d'Arnravati. Dans cette zone, le système de redistribution de céréalesn'a pas fonctionné, ni aucune autre forme d'aide publique.

C'est dans la mise en œuvre des politiques, en particulier au nord du pays, queréside le cœur du problème. Le manque de cohérence et la difficulté d'applicationdes politiques anti-pauvretés est sans doute une cause majeure de gaspillage. Parexemple, inscrire un enfant à l'école publique lorsque sa famille habite dans lebidonville est souvent une entreprise extrêmement difficile, alors que, sur le papier,les politiques éducatives apparaissent comme des modèles pour bien des pays envoie de développement. De même, l'Inde a su faire valoir son droit, sur le planinternational, dans un retentissant contentieux avec Union Carbide concernant ledédommagement de la catastrophe environnementale de Bhopal en 1984. Mais ellen'a pas su dédommager les victimes et leurs familles.

D - Quel rôle pour l'aide internationale?

La lutte contre la pauvreté est considérée comme une priorité pour la trèsgrande majorité des organisations internationales et des agences de développementbilatérales. Le gouvernement indien compte officiellement sur cette aide interna­tionale non seulement dans le cas de catastrophes naturelles (cyclone en Orissa,tremblement de terre au Gujarat), mais aussi pour répondre aux besoins essentielsdes populations les plus démunies. Mais, dans la réalité, l'essentiel de l'aide va auxgrands projets industriels et d'infrastructure, comme par exemple la construction decentrales électriques, de ports, ou la modernisation du réseau de chemins de fer. Legouvernement indien est beaucoup plus intéressé par la négociation du financementde ces grands projets industriels et de l'équilibrage de la balance des paiements, aupoint de faire porter le poids de lourds taux d'intérêts supplémentaires auxhabitants des bidonvilles dans les projets urbains de la Banque Mondiale, pour endégager des liquidités en dollars utilisées par le gouvernement central (Lavigne,Milbert, 1983).

Par ailleurs, comme tous les pays en développement, l'Inde a vu les ressourcesde l'aide internationale diminuer rapidement tout au long des années 1990 (voirtableau 20). Cette baisse est très préjudiciable à l'Inde: en effet, même si elle a puêtre considérée comme « favorite» par de nombreuses organisations telles que laBanque Mondiale qui lui a alloué des montants très importants, ces sommes restentnéanmoins très faibles si on les rapporte au nombre d'habitants. Ainsi mesurée,l'aide à l'Inde est dix fois moins élevée que celle apportée au Népal.

Tableau 20 - Aide internationale ($/hab.)

1966 1980 1991 1999Inde 2,39 3,19 3,17 1,49

Népal 1,34 11,25 23,44 14,70

Source: Banque Mondiale. http://Sima-Ext.worldbank.org/query/.

Par ailleurs, le fait que les pauvres soient à la fois « les agents et les victimes de ladégradation environnementale », selon les termes de la Banque Mondiale, les placedans une situation délicate face aux grands projets de développement bénéficiant del'aide internationale. L'exemple très médiatisé du barrage de la Narmada montrebien l'ambiguïté dans laquelle se trouvent aujourd'hui les agences de coopération et

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le gouvernement indien: il est devenu impossible, tout en respectant les normesinternationales, de promouvoir, de concert, la croissance industrielle, la protectionde l'environnement et l'équité sociale. Les zones les plus marginales et les plusfragiles (y compris certaines franges urbaines) sont devenues le théâtre d'une luttebrutale pour l'eau, la terre et l'énergie.

« India means business», titrait la publication du ministère des AffairesExtérieures de l'Inde préparée en 1996 pour commémorer le cinquantenaire del'Indépendance. Nulle trace, dans ce document de 120 pages, des questionssociales: il n'est question que des perspectives brillantes du marché indien, de lacroissance macro-économique, du fait que l'Inde se présente au Se rang mondial enproduit intérieur brut, au coude à coude avec les grands pays d'Europe occidentale.Pour beaucoup d'investisseurs et d'industriels, la pauvreté en Inde est une réalitédésagréable dont il vaut mieux ne pas parler, alors que la faiblesse des salaires, aucontraire, constitue un atout pour la passation de nombreux marchés industriels.L'Inde a voulu bousculer brutalement son image.

La révolution dans l'information, la communication et les loisirs induit uneprise de conscience des ménages pauvres concernant l'aggravation des inégalités et laréalité de leur exclusion. À New Delhi ou à Mumbai, ils coexistent, au quotidien,avec ceux qui s'enrichissent, bénéficient d'une modernisation sans précédent, d'uneintégration à l'économie internationale et du raccordement à tous les grandsréseaux.

Dans la réalité du mode de vie des plus pauvres, la coupure est plus grave quejamais: les enfants du bidonville naissent dans le bidonville, même si l'hôpital offreà proximité des services gratuits. La peur d'une stérilisation effectuée subreptice­ment, la crainte des regards de condescendance, les obligations de « cadeaux»éloignent de ces services les personnes qui en ont le plus besoin. « Nous ne sommespas bien traités» demeure l'expression pudique des habitants du bidonville face àcette réalité.

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3 - Politiques sociales et pauvreté

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- The World Bank Group (2001), A WorldFree ofPovtrty, World Developrnenr Indicarors database,20 mars 2001.

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Partie III

LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

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LES DÉFIS DU MONDE RURAL

KAMALA MARIUS-GNANOU

1- L'INDE AUX 600 000 VILLAGES

A - Des densités rurales élevées

Sept Indiens sur dix vivent dans les quelques 600 000 villages du pays. Lesdensités rurales les plus élevées se trouvent dans la vallée du Gange et son delta et lelong des vallées deltaïques orientales et occidentales de l'Inde pour atteindre leurmaximum sur les étroites plaines littorales du Kerala: soit 750 hab.Zkmê au Keralaavec des villages où la densité rurale dépasse 1 500 hab.lkm2, plus de 500 au TamilNadu, Andhra, Bengale... En fait, les plus grandes concentrations humaines seréalisent dans les zones humides et très humides qui correspondent grosso modoaux régions rizicoles.

Des géographes comme P. Gourou l et F. Durand-Dastès expliquent trèsjustement l'importance traditionnelle de ces densités par une diffusion précoce de lariziculture.

Cene hypoehèse est fondée sur crois constatations de base. En premier lieu, la riziculcure[intensive] est le systeme de production agricole rradirionnel qui fournie la plus force quantité

d'aliments par unité de surface er qui a besoin de la plus grande quantité de travail humainpour ces mêmes unités de surface. La rizicu1cure permee donc de forces densités depopulation et, en même eemps ces forces densités SOntune condicion de son développementet de son maincien [... ]. En second lieu, il existe très probablement des liens entre larizicu1cure et le système des pouvoirs [... ]. En effet, d'une parc, la productivité de lariziculture a pu être suffisante pour permeeere de dégager des surplus qui ont rendu possiblel'apparition de villes, de classes bureaucratiques et militaires, la mise sur pied de forcesarmées, donc finalement d'Éeaes relativement centralisés. Mais d'autre part, la mobilisationde la force de travail et l'organisation d'aménagements lourds, que l'Étae est seul capabled'effectuer, a pu être un facteur de développement de la rizicu1cure [... ]. Enfin, il estprobable que les États organisés, notamment parce qu'ils règlent les conflits à l'intérieur deleurs frontières, et bien qu'ils mènent entre eux des guerres sanglantes, assurent l'existenced'aires de paix favorables au développement démographique [... ].

F. Durand-Dastës (1995), Mondeindien, Géographie Universelle, Belin-Reclus, p. 279.

1. P. Gourou (1984), Riz ~l civilisation, Fayard, p. Il.

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1 - Les défis du monde rural 155

Par ailleurs, comme le précise P. Gourou, cette intime relation entre uneagriculture intensive et irriguée et une population très dense n'a pu se réaliser qu'àl'intérieur d'encadrements solides et contraignants qui ont engendré stabilité etdurée depuis le 1er millénaire avant notre ère. En effet, la pression démographique asans aucun doute favorisé l'innovation technique, notamment dans les deltas duSud, comme le prouvent les aménagements hydrauliques.

En effet, en Inde, l'irrigation fait depuis l'Antiquité la plus reculée partieintégrante des paysages ruraux. Il n'est pas au monde de pays agricole plus étroite­ment dépendant de l'irrigation. Plus que la quantité d'eau, c'est l'irrégularité desprécipitations qui a toujours posé le problème de la soudure saisonnière; aussi lamaîtrise de l'eau et surtout l'irrigation étaient-elles une nécessité.

Dès l'Antiquité, les hindous savaient utiliser l'eau des cours d'eau par descanaux d'inondation, canaux qui, directement reliés à la rivière, ne recevaient l'eau,dès lors, qu'au moment des crues; très nombreux dans l'Inde du Nord, ces canauxsont plutôt exceptionnels dans le Sud où les canaux pérennes sont la règle: ce sontdes canaux qui puisent l'eau dans les réservoirs constitués par les barrages, cela éviteainsi les fluctuations saisonnières du niveau de l'eau dans la rivière.

Plus originaux sont les tanks (angl. tank, « réservoir» ; du portugais tanque,citerne pour se baigner aux Indes), réservoirs distribuant par les canaux l'eau emma­gasinée en saison pluvieuse. Ils sont encore très présents en Inde, notamment dansle pays tamoul qui en compte près de 33 000 (la superficie varie de quelques ares àplus de 200 hectares, ce qui occupe 5,4 % de tout le territoire tamoul', Il est certainque sans la volonté des empereurs, notamment Pallavas (VIe-XIe siècle) et Chola(Xe-XIIIe siècle) de fonder leur prospérité sur une politique d'aménagementhydraulique, le pays tamoul n'aurait sans doute pas acquis une telle avance dans ledomaine de l'irrigation. Le génie de l'hydraulique était fondé, non sur les apportsdes grands fleuves, mais sur des réservoirs qui accumulaient les eaux de ruisselle­ment d'un bassin versant pour les distribuer aux rizières en aval. Mais ces tanks, defaible profondeur (60 à 125 cm), ne peuvent en général fournir de l'eau toute l'an­née et se dessèchent avant le retour des pluies, d'autant qu'ils subissent des pertespar évaporation intense à mesure que les températures s'élèvent et par infiltrationsinégales selon la porosité du sol. Aujourd'hui, en raison d'un mauvais entretien destanks, rares sont les paysans qui peuvent réaliser plus d'une récolte par an.

En revanche, dans les espaces de montagnes parfois très humides (Ghats occi­dentaux, régions humides du nord-est, régions bordières de l'Himalaya) mais diffi­ciles à mettre en valeur, les populations ont adopté un système de culture à longuejachère et de faible intensité ne permettant pas de fortes densités rurales (100­200 hab.Zkm-) ; il s'agit de régions occupées essentiellement par des populationstribales. Cependant, l'intérieur sec du Dekkan arrive à nourrir tant bien que maldes populations dont la densité dépasse encore 100 hab.Zkrn-, et ce grâce auxtechniques d'irrigation. Finalement les espaces aux faibles densités (moins de100 hab.Zkm-) ne regroupent que des zones arides (désert du Thar) et une partie del'Inde centrale où les sols et le climat ont peu attiré les systèmes agricoles intensifstraditionnels. A l'inverse d'autres pays du Sud, les espaces vides sont relativementrares en Inde, comme en témoigne l'existence des 600 000 villages.

1. P. Gourou, op. cit., p. 193.

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B - Des villages groupés

Malgré leur grande variété, les villages présentent des caractères communs. Ilssont généralement groupés au centre du terroir, à l'exception de ceux qui se situentdans des régions de très forte densité de population comme le Kerala. Très boisés,ces villages attirent le regard de loin, notamment en saison sèche. Le banian, arbremajestueux caractérisé par des racines aériennes et consacré aux divinités du village,constitue souvent le centre du village; à son pied viennent se reposer ou discuter lesvillageois. Les cours des maisons sont elles aussi agrémentées d'arbres utiles tels quedes cocotiers ou des manguiers.

La maison constitue la cellule de base de la famille; la famille élargie reste lemodèle dominant, qui voit plusieurs générations et plusieurs frères vivre sous lemême toit. Ces maisons sont pour la plupart très simples, réduites à une ou deuxpièces complétées par des cours à l'arrière et de petites terrasses couvertes à l'avant.Cependant, la diversité des statuts sociaux et économiques se traduit par lescontrastes entre les maisons en dur (en béton) et les constructions plus ou moinssommaires. Dans ce dernier cas, les matériaux employés, notamment dans le Sud,pour la construction sont des nattes de ronier ou de la terre pour les parois, du boisde ronier pour la charpente, des feuilles de cocotier ou du chaume de paille de rizpour la couverture.

Les demeures traditionnelles des gros propriétaires se remarquent par leur bellesportes en bois ouvragé qui, entrouvertes, laissent apercevoir des cours intérieuresencadrées de colonnes également sculptées. Les maisons traditionnelles du Sud secaractérisent par un atrium entouré de plusieurs pièces - réserve, chambres àcoucher ouvertes sur la rue, cuisine. Toutefois, il est de moins en moins rared'observer des maisons de type urbain aux couleurs vives, sortes de cubes à étagesavec un toit en terrasse, construites par des exploitants récemment revenus au paysaprès plusieurs années passées dans le Golfe Persique.

Malgré la hausse du revenu imputable au développement agricole ou à l'émi­gration, on n'assiste pas à un étalage de luxe dans les campagnes; l'aisance se traduitplutôt par la possession d'appareils électroménagers, notamment la télévision, laradio, le réfrigérateur. .. La décoration se limite à quelques représentations dedivinités (Krishna, Shiva, Jésus...) et d'acteurs de cinéma.

Les maisons des paysans moins aisés restent modestes avec leurs toits en tuiles etleurs murs en briques cuites ou en pisé, mais sont fonctionnelles (puits domestique,électricité). Bon nombre de paysans aisés possèdent une vache, ne serait-ce que pourla consommation quotidienne de lait. En raison d'une pression démographiquetrop forte sur les terres, les animaux vivent souvent dans les cours ou non loin deshabitations; ils paissent éventuellement dans les champs aux moments des inter­saisons qui sont souvent de courte durée.

En revanche, les villageois les plus pauvres vivent dans des huttes minuscules (5à 10m2) faites en palmes de cocotiers tressées et protégées dans le meilleur des caspar des toits de chaume ou de paille; dans l'unique pièce en terre battue, tous lesmembres de la famille dorment à même le sol sur une natte et stockent les quelquesgrains de la récolte précédente.

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C - Des paysages ruraux variés

A proximité du village, se trouve le domaine des champs plus ou moins cultivésselon l'alimentation en eau, les conditions pédologiques et topographiques. Maisplus que la pluviométrie, c'est la maîtrise de l'eau qui explique la variété despaysages ruraux. Les vastes plaines alluviales et les grands deltas sont couverts derizières bordées de palmiers. Ces damiers de rizières aux nuances subtiles de verttémoignent de la maîtrise séculaire des techniques culturales des paysans et de leurréceptivité aux techniques modernes de la Révolution Verte.

L'irrigation fondée sur la pratique des tanks, des canaux et plus récemment surles barrages et le forage des puits tubés a permis une intensification agricole hors desdeltas, même en saison sèche, d'où cette impression de voir défiler d'immensespaysages agricoles au milieu desquels apparaissent des tâches de verdure témoignantde la présence des villages. Plus au nord, le blé l'emporte sur le riz, là où le refroidis­sement hivernal le permet. Cette prédominance de la riziculture et de la culture dublé dans le nord masque la diversité des autres cultures; ainsi, une culture spécula­tive comme celle de la canne à sucre a largement bénéficié des techniques moderneset du crédit rural pour se développer dans les systèmes rizicoles; en revanche, lescéréales secondaires, comme les millets (éleusine, sorgho) et les légumineuses quel'on trouve dans les plaines sèches sont de plus en plus délaissées au détriment descultures plus rentables comme l'arachide et le coton, voire la canne à sucre'.

En dehors de ces systèmes agricoles prédominants, il convient de noter la spéci­ficité des hautes terres des Ghats et des montagnes du Nord-Est couvertes deplantations de thé et de café, de cardamomes et d'hévéas qui nous émerveillent: larégion de Darjeeling célèbre dans le monde entier pour son thé, en est un exemple.

Cependant, en dépit d'une modernisation agricole qui est à l'origine d'unehausse globale du revenu en milieu rural, la pression démographique est si fortequ'elle contraint les paysans sans terre, de plus en plus nombreux, à fuir les villagespour s'entasser dans les bidonvilles urbains.

11- DES STRUCTURES AGRAIRES INÉGALES

A - Le système jajmani et la caste dominante

C'est en milieu rural que se révèle un aspect traditionnel- aujourd'hui en voiede disparition - de la caste, largement conceptualisé par les anthropologues telsque M.N. Srinivas ou L. Dumont, à savoir le système jajmani qui désignel'ensemble des prestations et contre-prestations qui caractérisent les relationséconomiques entre castes d'un villages. D'une caste à l'autre, il existe une relationfondamentale, permanente et inaliénable qui lie le jajman, propriétaire foncierrecevant des services et le kamin, artisan qui rend les services et reçoit les rétri­butions en nature ou en argent. Ainsi, le jajman peut avoir besoin du barbier, dudhobi, de l'ouvrier agricole, tandis que le barbier rasera le dhobi qui, en échange, luilavera son linge ... La particularité de ce système, c'est que l'échange des services liehéréditairement les familles et les castes (le kamin est dans l'obligation héréditaire

I. N'oublions pas que l'Inde est le premier producteur de sucre du monde.2. Cf. partie II, chap. r,sB-I.

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158 PARTIE 111- LEDevELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

d'assurer les services) ; mais en contrepartie, le jajman n'a pas la possibilité dedemander les services ailleurs.

Cependant, les jajman ont à leur service des ouvriers agricoles permanents(panneyat) ou temporaires (coolies) hors-castes attachés héréditairement et souventobligés de travailler sans rémunération pour pouvoir rembourser une dette, d'où unétat de quasi-servage. Par conséquent, ce système met bien en évidence la positionde la caste dominante! des propriétaires fonciers autour de laquelle s'articule toutela vie du village. Notons que la caste dominante n'occupe pas nécessairement laposition la plus élevée de la hiérarchie rituelle. Ainsi un statut de caste, même élevé,est insuffisant en milieu rural pour dominer la hiérarchie. Le respect va au vraidétenteur du pouvoir, à savoir les grandes castes de cultivateurs-propriétairescomme les jats dans le Rajasthan, les marathes au Maharashtra, les vellalar ou lesreddiar au Tamil Nadu et non pas au brahmane. Ces castes dominantes contrôlentl'essentiel des terres et constituent donc de véritables lobbies au sein des partispolitiques. Ces relations traditionnelles restent encore très vivantes dans les régionsles moins développées.

B - Les aléas de la réforme agraire

Dès les premières années de l'Indépendance, les planificateurs indiens placentleur priorité dans le développement du secteur industriel. Cependant, le secteuragricole, qui occupe deux tiers du total des actifs et fait vivre près de 5 personnessur 6, ne peut pas être oublié. Les rapports sociaux très hiérarchisés dans les600 000 villages que nous venons de décrire, ainsi que les techniques trèssommaires des activités qui s'y déroulent, font craindre une catastrophe écono­mique et politique. Une politique agricole est donc élaborée, avec deux objectifsmajeurs: une législation agraire éliminant les inégalités flagrantes et une politiqued'aide aux paysans, financière et technique, destinée à promouvoir un développe­ment rural solide.

Les premiers objectifs de cette législation, l'abolition du système foncierzamindari- et la mise en place de clauses relatives aux plafonds fonciers (avecindemnisations pour les expropriés) ne sont que très diversement atteints selon lesrégions. Sur les 3 millions d'hectares de terres récupérées jusqu'en 19863, moins dela moitié a été redistribuée, et parmi ces terres, une bonne partie est impropre à laculture. Détournant la législation, une minorité de riches propriétaires subsiste etpratique tous les abus: falsification du cadastre, utilisation de prête-noms, partagedes terres au nom des différents membres d'une même famille, et même quelquefoisintimidation ou assassinat des métayers. Il est vrai que la clause concernantl'obligation du travail de la terre par celui qui la possède a été supprimée.

La seconde catégorie d'objectifs de la législation agraire concerne l'améliorationdu sort des tenanciers: fixation des loyers de la terre, renforcement des garanties de

1. Cf. définition partie II, chap, r, § B-I.2. Le système zamindari couvrait plus de 50 % de la superficie arable au moment de l'Indépendance. Le

zamindar éisi: l'intermédiaire qui collectait, pour le compte de l'empereur (depuis les Moghols), les revenus fonciersprélevés sur les communautés villageoises. Ces intermédiaires extrayaient au passage des ressources importantes sousforme de rente foncière et par la pratique du prêt usuraire. Ces rentiers absentéistes longtemps soutenus par lepouvoir colonial ne voyaient pas l'intérêt d'investir dans fa modernisation agricole.

3. Chiffre cité par J. Pouchepadass in L 'Inde contemporaine, C. Jaffrelot (dir.) (l9%), Fayard, p. 321.

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tenures, transmission des tenures par héritage. Ces objectifs ne sont eux-mêmes quetrès partiellement atteints.

Cette législation n'a donc pas permis de dégager suffisamment de terres pour lesdistribuer à la masse d'ouvriers agricoles. Plus qu'à l'élimination des grands proprié­taires fonciers, ces réformes agraires auront plutôt contribué à la formation degroupes d'entrepreneurs ruraux propriétaires qui ont su tirer profit des lois.Cependant, subsiste une minorité notable de propriétaires usuriers poursuivantl'exploitation de la masse des micro-exploitants et des paysans sans terre. La faibleapplication de ces lois agraires conjuguée à une pression démographique ruraletoujours forte (l00 millions de ruraux supplémentaires entre 1981 et 1991)implique un besoin de terre croissant (la taille moyenne des exploitations atteint àpeine 1,5 hectare en 1991 contre 2,3 hectares en 1981) et conduit à une inégalitéfoncière patente: moins de 9 % des grosses exploitations supérieures à 4 hectaresreprésentent près de 45 % des terres cultivées et près de 60 % des exploitations sontinférieures à 1 hectare. Or ces micro-exploitants doivent souvent se résoudre àvendre leur lopin, la viabilité économique étant impossible.

C - La création des Panchayat et le développementdu mouvement coopératif

La lenteur de ces réformes agraires ne bloque pas l'innovation des décideurs: ilsoptent pour la mise en place dès les années 1950 d'une politique de développementrural coopératif. D'inspiration gandhienne, le « Community Deuelopment Program »

a pour objectif de stimuler l'esprit d'initiative. Le pivot de la réforme est la mise enplace des « Block Deuelopments» qui regroupent une centaine de villages (chacuncomprenant 50 000 à 100 000 habitants). A leur tête se trouvent les « Blockdeuelopment officers», secondés par des spécialistes de l'agriculture, de l'irrigation, del'industrie rurale, de la planification familiale. Un animateur, nommé « village leueltoorker », est placé dans chaque village. La mise en place de cette organisation a étéachevée à l'échelle de l'Inde entière dès le milieu des années 1960, date à laquelle5 268 « Block Deuelopments » existent dans le pays. Pour renforcer ce système dontl'efficacité se révèle vite insuffisante, des conseils de villages ou « Village Panchayat »,

élus au suffrage universel, sont progressivement instaurés partout dès 1957 etjusqu'en 1974. Leur but consiste à stimuler davantage l'esprit d'initiative et à mobi­liser une paysannerie bien peu armée pour répondre aux sollicitations de l'adminis­tration. Cette structure de décision populaire qui se veut démocratique profite auxnouvelles élites rurales qui dominent ces instances de décision, notamment dans lesrégions où la domination est la plus dure, comme au Bihar ou en Orissa... Pourpallier cela, les « Village Panchayat» sont réorganisés, d'abord en 1989 lorsqu'untiers des sièges est offert aux femmes et un nombre proportionnel à la populationdes villages est attribué aux tribaux et aux basses castes, puis en 1995 quand lesressources financières leur sont directement attribuées par la Commission desfinances de l'État.

Enfin, pour essayer de limiter l'emprise des usuriers et assurer au plus démunisdes denrées de première nécessité à des prix subventionnés, Jawaharlal Nehru lance,dès les années 1950 et à l'échelle de toute l'Inde rurale, un très vaste mouvement decoopératives sous la forme d'organismes de crédit agricole prêtant à des tauxd'intérêt très avantageux. Cette initiative de l'État profite avant tout aux nouvellescouches paysannes aisées et entreprenantes qui émergent avec la réforme agraire. En

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effet, l'insolvabilité de nombreux petits paysans, incapables de renouveler leursprêts, empêche bon nombre de paysans pauvres de participer à cette action, réaliséeapparemment en leur faveur. Ainsi continuent-ils à dépendre des usuriers qui, pourleur part, continuent à leur faire des prêts à des taux prohibitifs.

La politique agricole de Jawaharlal Nehru, pourtant prometteuse, ne permetdonc pas de transformer en profondeur l'économie et la société rurales. Les résultatsrestent très en deçà des objectifs. La mobilisation pour des actions d'intérêt collectifn'a pas été possible à cause de la mauvaise formation des responsables rurauxincapables de résister à la corruption, et à cause des faibles capacités de la massepaysanne à répondre aux propositions qui lui sont faites. Malgré un taux decroissance de la production agricole! légèrement supérieur au taux d'accroissementnaturel, l'Inde ne parvient pas à échapper à la disette qui a lieu en 1957, puis en1964 et en 1965. Le pays se voit obligé d'importer massivement du riz et du blé,puis de recourir à l'aide américaine.

III - L'INÉGAL SUCCÈS DE LA RÉVOLUTION VERTE

A - Une politique d'encadrement rural originale

L'alerte à la famine en Inde au milieu de la décennie 1960 est à l'origine d'uneprise de conscience nationale et internationale en matière de politique agricole. Ellemarque le départ de la fameuse Révolution Verte. Sous la pression de laCommission au Plan qui avait toujours imposé sa loi en matière économique, lenouveau ministre de l'Agriculture, C. Subramaniam, répond aux défis lancés par laRévolution Verte en s'appuyant sur les travaux des experts indiens et américains.Afin d'inciter les paysans à produire davantage sans être victimes d'une concurrencefarouche entraînant une chute des cours, C. Subramaniam met en place dès 1964 la« Food Corporation ofIndia» (FCI) qui a en charge l'achat des produits agricolesafin de maintenir des stocks alimentaires distribuables, et contrôle aussi les importa­tions et les exportations des produits agricoles. En 1965 il met également en placeune Commission des Prix Agricoles (rebaptisée en 1985 Commission des Prix etdes Coûts Agricoles) dont l'objectif est de stimuler l'offre sur le marché tout enconservant des prix bas pour les consommateurs urbains grâce au contrôle ducommerce des grains, évitant ainsi la spéculation. Chaque année, cette commissiondoit définir pour chaque culture un prix minimum garanti (support priee), notam­ment pour les produits agricoles de base, un prix d'achat auquel l'Etat s'engage àacheter les produits qui lui seront proposés par les agriculteurs (proeurementpriee) etun prix de vente subventionné (issue priee) pour le système de distribution publique(PDS2). Ces stocks permettent non seulement de répondre à un accroissementsoudain de la demande, mais aussi de fournir aux plus défavorisés des denréesalimentaires de base à des prix subventionnés.

1. Le taux de croissance de la production agricole (3,2 % de 1950-1951 à 1964-1965) est un peu plus élevé quecelui de la population (2,4 % entre les deux recensements de 1951 et de 1961) (M.J. Zins, Histoirepolitique de l'Ind«indépendante, op. cit., p. 116).

2. Depuis quelques années, les supportprieessont identiques aux procurementpriees, en dépit de la pression desproducteurs agricoles.

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1 - Les défis du monde rural 161

Dès le 4e Plan (1967-1971), le gouvernement, conseillé par les expertsaméricains de la Fondation Ford', décide de rentabiliser rapidement les nouvellestechniques de la Révolution Verte. En fait, ce qu'on appelle Révolution Vertecomme le définit G. Étienne, « constitue un processus rendu complexe par l'inter­dépendance de plusieurs facteurs: l'eau, les semences, les engrais et selon les cas lespesticides, un renouvellement régulier des semences, ce qui suppose un processuscontinu de mise au point de nouvelles variétés et leur multiplication-. »

B - L'irrigation: condition pour la mise en place de la Révolution Verte

C'est grâce avant tout à l'irrigation millénaire - barrage, canaux et puits ­que les surfaces irriguées nettes ont plus que doublé entre 1950 et aujourd'hui(20,85 millions d'hectares en 1950 contre 55,14 millions d'hectares en 1995­1996).

Afin de bénéficier d'une correction temporelle et spatiale maximale, de grandsbarrages-réservoirs ou « temples de l'Inde» comme les appelait Nehru, situés enamont de la plupart des grands cours d'eau, ont été réalisés depuis l'Indépendance(Hirakud sur la Mahanadi, Nagarjunasagar sur la Krishna ...) à l'image du barraged'Assouan en Égypte avec, certes, des conséquences sur le plan écologique plus oumoins graves, mais des progrès agricoles significatifs. Ainsi, le barrage de Metturconstruit sur la Kaveri a permis d'étendre considérablement les terres irriguées quiont largement bénéficié des techniques de la Révolution Verte (variétés à haut ren­dement, engrais chimiques). Il en est de même de l'immense barrage de Bakhra éta­bli là où la Sutlej sort de l'Himalaya par une gorge profonde, à 225 m de haut (plusque le Hoover Dam des États-Unis). Il a permis d'irriguer 2,6 millions d'hectaresinitialement incultes. De 1950 à 1980, plus de 1 500 grands barrages ont été ache­vés. Le problème, c'est que l'on a souvent sous-estimé les coûts sociaux - expulsionde milliers de personnes - et écologiques - pollution des eaux et destruction d'unnombre incalculable d'espèces végétales et animales, retour du paludisme... - detels projets, d'où la résistance à l'heure actuelle des populations concernéesë.

Moins dépendants des facteurs climatiques que les cours d'eau et les tanks, lespuits fournissent en général une correction optimale à l'irrégularité intra-annuelle,mais toujours sur une surface restreinte. Dans sa forme la plus ancienne, l'irrigationpar puits est celle des puits avec puisage par l'énergie humaine ou animale, méthodeaujourd'hui en régression devant les progrès des puits tubés plus profonds (jusqu'à200 rn) équipés de moteurs élecrriques'. Les puits tubés ont connu un tel succès,notamment dans les régions électrifiées (le prix de l'électricité est subventionné),qu'ils en sont arrivés à détrôner, dès les années 1970, les autres systèmes d'irriga­tion. En effet, ils peuvent exploiter des nappes plus profondes, sont souvent moinscoûteux à installer que les puits ouverts, et sont très vite rentabilisés d'autant que

1. Les fondations Ford el Rockefeller ont créé en 1959 J'International Rice Research Institute à Manille,inventeur des premières VHR.

2. G. Ërienne (1987), • La Révolution Verre en Asie: essai de bilan el perspectives ", Revue Tiers-Monde, 1. 28,nO Il, oct.-déc.

3. C( partie Ill, chap. 2, encadré sur les barrages.4. Le PUilS tubé est foré suivant la même technique que le PUilS arlésien: les tuyaux de calibre diflérenr, selon le

niveau de la nappe, ont un diarnèrre calculé de façon que la vitesse de l'eau qui rnonre dans le PUilS ne soit pasinférieure à 1 m3/s. En revanche, les PUilSsubartésiens creusés dans les roches dures à une profondeur de 100 m- pour atteindre les nappes profondes - sont très COÛteUX à installer el nécessitenr en général une pompe mue par unmoteur électrique.

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162 PARnE 111-LED~ELOPPEMENT ECONOMIQUE

l'eau est gratuite, ce qui par ailleurs contribue à expliquer le gaspillage L'irrigationpar puits tubés a été le fer de lance de la Révolution Verte, car une irrigation opti­male - maîtrise de l'utilisation de l'eau dans l'espace et le temps - assurée uni­quement par les puits tubés est la condition fondamentale pour maximiser lesvariétés à haut rendement (VHR). En effet, à la différence des anciennes variétés deriz à période végétative relativement longue (jusqu'à 220 jours pour certaines), hau­tes sur tiges (donc sensibles aux vents et aux pluies violentes), les nouvelles VHRont pour principales caractéristiques d'être naines, d'avoir une maturation courte,d'où la possibilité de pratiquer deux récoltes par an sur la même parcelle avec uneirrigation bien dosée. Cependant, une surexploitation de la nappe au-delà de sarecharge potentielle, notamment lors d'années sèches successives, risque à long ter­me de limiter la capacité d'irrigation et de compromettre les rendements agricoles.

Toutefois, plus vulnérables aux parasites et souvent plus exigeantes en eau queles variétés traditionnelles, ces nouvelles variétés nécessitent non seulement unebonne maîtrise de l'eau, mais aussi un bon usage d'engrais chimiques et detraitements anti-parasitaires. La consommation d'engrais a plus que triplé depuis lesannées 1980 (5,5 millions de tonnes contre 18 millions de tonnes en 1999-2000).En 1998-1999, les paysans utilisent en moyenne 90 kg d'engrais à l'hectare, mais cechiffre cache d'énormes disparités entre zones pluviales et irriguées: en effet lesÉtats dont les superficies sont en majorité irriguées (Penjab, Tamil Nadu, AndhraPradesh, Uttar Pradesh ou Haryana) consomment plus de 150 kg/ha contre moinsde 60 kg/ha pour les zones pluviales (Kerala, Tripura, Assam, Meghalaya...) ou lesÉtats peu réceptifs aux techniques de la Révolution Verte (Orissa, Rajasthan ...).

Tableau 21 - Superficies (S en millions d'ha). productions (P en millions de tonnes)et rendements (R en kg/ha) des principales cultures par État (1998-1999)

États Grains alimentaires RizS % de la S P % de la P R S % de laS P % de la P R

Andhra Pradesh 7,19 5,7 14,4 7,1 2003 4,11 9,2 11,43 13,3 2781Assam 2,67 2,1 3,43 1,7 1288 2,42 5,4 3,25 3,8 1345Bihar 8,96 7,1 12,91 6,4 1441 5,10 11,4 6,63 7,7 1301Gujarat 3,90 3,1 5,57 2,7 1426 0,62 1,4 1,02 1,2 1 63:Haryana 4,49 3,6 12,12 6 270O 1,08 2,4 2,43 2,8 2 23~

Himachal Pradesh 0,84 0,7 1,49 0,7 176O - - - - -~ammu et 0,88 0,7 1,52 0,7 1 728 0,27 0,6 0,59 0,7 2 17~

CachemireKarnataka 7,38 5,9 9,98 4,9 1352 1,43 3,2 3,60 4,2 2529Kerala 0,39 0,3 0,69 0,3 1768 0,35 0,8 0,66 0,8 1 891Madhya Pradesh 17,79 14,2 19,80 9,8 1 113 5,31 11,9 5,37 6,2 1013Maharashtra 13,09 10,4 12,75 6,3 974 1,18 3,3 2,47 2,9 1664Orissa 5,38 4,3 5,81 2,9 108O 4,45 10 5,39 6,3 1212Penjab 6,12 4,9 22,91 11,3 3741 2,25 5,7 7,94 9,2 3152Rajasthan 13,46 10,7 12,93 6,4 961 - - - - -Tamil Nadu 4,45 3,5 10,14 5,0 2278 2,39 5,4 8,22 9,6 3443Uttar Pradesh 20,52 16,4 40,15 19,8 1957 2,93 13,3 Il,62 13,5 1958Bengale occidental 6,54 5,2 14,37 7,1 2198 5,90 13,2 13,32 15,5 2255Others 1,31 1,0 2,07 1 158O 0,34 0,8 2,06 2,4 -IAIl India 125,3 100 203,4 100 162O 44,60 100 85,99 100 1928

Source: Direaorate of statistics : agricu/tural statistics at a glance (1998-1999).

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1 - Les défis du monde rural

Carte 12 - L'Inde: rendements en grains alimentaires(1998-1999)

163

LDgioiel ARClINFO I/er.lon 7 .2.1Territoire contrôlé par la Chine et revendiqué par l'Inde

• 1500 A2000 KGS/HECT

• 2000 A2500 KGSIHECT

• 2500 '4000 KGSIHECT

D données manquantes

Mer

d'Arabie

IO" ()), OO~

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MALDIVES

Océan

Indien

o

CHINE

900 A1000 KGSIHECT

1000' 1500 KGSIHECT

limites des systèmes agricoles

! échelle 1/30 000 000

Territoire du Nord et Azad Cachem ire sous contrOle pakistanais

CNRS - SIS - UMR 8584Centre de oomp6tenoe th6mat lque 'Mod4Wlutlon , Anal'fM apl!!It iale. SIG'

Sources: Dep.nment of Agrioulture &.Co-opet'etlon 1988-99Souroe: 8 ... MondIale ESRI (DWC) 1993 en ecctdcnnéee gitographlquea

R'oIl00ticn M.LEGRAND· F.PIRor

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164 PARTIE III - LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Photo 18 - Tamil Nadu: repiquage du riz.Au premier plan, canal tertiaire

Photo 19 - Tamil Nadu: transport de foin

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1 - Les défis du monde rural 165

Grâce à cette stratégie de développement technico-éconornique, le spectre de lafamine a disparu et les silos du gouvernement sont pleins, ce qui a permis à l'Inded'atteindre l'autosuffisance en matière alimentaire dès 1975. De près de 80 millionsde tonnes dans les années 1960, la production céréalière s'établit autour de209 millions de tonnes en 1999-2000 pour une population qui a doublé dans lemême temps (510 millions à 1 milliard d'habitants). Cependant, en raison de lasécheresse qui a touché les régions de l'Ouest et du Centre de l'Inde, la productionde grains alimentaires a fortement chuté (196 millions de tonnes en 2000-2001).L'Inde est dans l'obligation d'accroître annuellement sa production agricole jusqu'àun taux supérieur à celui de sa croissance démographique afin de limiter lesfluctuations annuelles de disponibilité alimentaire.

C - La prédominance du riz et du blé

La Révolution Verte a été considérée à juste titre comme la révolution du blé, etdans une moindre mesure comme la révolution du riz. La production de blé estpassée de 9,8 millions en 1960-1961 à 75,6 millions de tonnes en 1999-2000 alorsque la production de riz est passée de 34,6 à 89,5 millions de tonnes pendant lamême période. L'effet conjugué de l'irrigation, des VHR et des engrais a permis undoublement des rendements à l'hectare du riz et un triplement des rendements dublé en 40 ans (respectivement 1 000 kg/ha en 1960-1967 contre 2000 kg/ha en1999-2000 pour le riz et 850 kg/ha contre 2 750 kg/ha pour le blé). Ces moyennesmasquent de profondes disparités régionales. En effet, les États rizicoles tels que leTamil Nadu, l'Andhra Pradesh et le Penjab avec une superficie irriguée supérieure à90 % connaissent des rendements en paddy supérieurs à 2 500 kg/ha (jusqu'à3500 kg/ha pour le Tamil Nadu).

Toutefois, selon les potentialités réelles des VHR (en principe 5-6 000 kg/ha),les rendements auraient dû tripler, sachant que les variétés traditionnellespermettaient des rendements maximaux de 2 000 kg/ha. En fait, l'introduction desvariétés à haut rendement de la Révolution Verte a engendré l'apparition d'espècesvégétales indésirables, ainsi que de nombreux parasites et insectes nocifs pour laproductivité, contre lesquels sont utilisés de grandes quantités de pesticides.Nombreux sont les écologistes qui dénoncent depuis la fin des années 1980 lesconséquences d'une utilisation excessive des pesticides, tant sur le plan écologique(turbidité des rivières, destruction de la faune aquatique) qu'humain (présence derésidus dans le corps humain via la chaîne alimentaire, qui entraînent à long termedes cancers). Conscients de cette pollution des eaux et des sols, les paysans utilisentà nouveau des engrais verts en intersaison, tels que l'azolla, ainsi que des pesticidesnaturels, tels que les feuilles de neem, limitant les dégâts écologiques. La RévolutionVerte qui visait d'abord et surtout à accroître la production en paddy et en blésemble avoir tenu son pari. En revanche les millets, aliments essentiels des popula­tions de zones sèches et les légumineuses, apport protéique essentiel des végétarienssont délaissés. En effet, la production des céréales secondaires et des légumineuses amême tendance à régresser depuis les années 1990, sauf dans les zones serni-aridesdu Maharashtra, du Rajasthan et du Karnataka où les paysans se sont mis à cultiverdes VHR.

En revanche, grâce à un développement en matière de recherche agricole et à lamise au point de nouvelles VHR performantes, on assiste depuis la fin des années1980, à une diversification agricole au profit des cultures spéculatives tels que les

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166 PARTIE III - LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

oléagineux et la canne à sucre. Les oléagineux, peu exigeants en soins culturaux,sont très rentables pour les producteurs, particulièrement dans les zones sèches. Laproduction a plus que doublé depuis les années 1980 (9,4 millions de tonnes en1980-1981 contre 24,7 en 1998-1999) et représente en 1998-1999 plus de 15 %de la production agricole totale dans les Etats du Gujarat, du Rajasthan, duMadhya Pradesh.

Faiblement représentée avant les années 1960, la canne à sucre connaît uneexpansion sans précédent depuis les années 1980-1990, grâce aux facilités d'irriga­tion et aux sucreries qui garantissent d'une part des prêts et d'autre part un prixd'achat assez élevé aux producteurs. La production de la canne à sucre a quasimenttriplé depuis les années 1960 (110 millions de tonnes en 1960-1961 contre 300 en1999-2000) notamment dans les États de l'Uttar Pradesh (135 millions de tonnesen 1998-1999) du Tamil Nadu et du Maharashtra (47 millions de tonnes enmoyenne pour chaque État).

Tableau 22 - Autres productions agricoles (1998-1999)(millions de tonnes)

États Blé % Céréales % Légumineuses % Oléagineux % Canne %secondaires à sucre

Andhra Pradesh - - 2,19 7 0,76 5,1 2,26 9 16,58 5,6

Assam - - - - - - 0,15 0,6 1,22 0,4

Bihar 4,18 5,9 1,40 4,5 0,70 4,7 0,16 0,6 5,23 1,8

Gujarat 1,70 2,4 2,21 7 0,63 4,3 3,88 15,4 13,57 4,6

Haryana 8,57 12,1 0,78 2,5 0,35 2,4 0,71 2,8 6,88 2,3

Himachal 0,64 0,9 0,72 2,3 - - - - - -1 Pradesh

Jammu et 0,37 0,5 0,54 1,7 - - - - - -Cachemire

Karnataka - - 5,43 17,3 0,72 4,9 1,81 7,2 28,45 9,6

Madhya Pradesh 8,34 11,8 2,51 8 3,57 24,1 5,62 22,3 1,97 0,7

Maharashrra 1,31 1,9 6,72 21,4 2,25 15,2 2,65 10,5 47,15 15,9

Orissa - - 0,15 0,5 0,26 1,8 0,18 0,7 1,47 0,5

Penjab 14,46 20,4 0,46 1,5 - - 0,21 0,8 6,13 2,1

Rajasthan 6,88 9,7 3,40 10,8 2,44 16,5 3,81 15,1 1,08 0,4

Tamil Nadu 1,45 4,6 0,47 3,2 2,06 8,3 46,67 15,8

Uttar Pradesh 23,17 32,7 3,09 9,8 2,27 15,3 1,14 4,5 116,30 39,3

Bengale 0,78 1,1 0,15 0,5 0,73 0,9 0,38 1,5 2,00 0,7occidental

Source: Directorote ofstatistics : agricu/wral statistics ora glance (1998-1999).

Si les États de la « Green Revolution Belt» (Penjab, Haryana et Uttar Pradesh) etle Tamil Nadu restent le grenier à grains du pays, les régions de l'Est (Bengale occi­dental et Assam), longtemps somnolentes, connaissent une augmentation signifi­cative de leur production en grains alimentaires grâce à l'utilisation de moyensd'irrigation adaptés à ces zones humides (shallow tubewells). Par ailleurs, des Etatslongtemps considérés comme laissés pour compte (<< Backward States»), tels leMadhya Pradesh ou le Rajasthan, connaissent depuis quelques années une réellecroissance de la production des oléagineux. Il est vrai que ces résultats sont en partie

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1 - Les défis du monde rural 167

à mettre au compte des bonnes moussons des années 1995-19981, dont l'impor­tance dans ces dernières régions est évidemment non négligeable. Quant aux Etatsoubliés par la Révolution Verte (ni intrants, ni crédits ... ), certains tels que le Biharou l'Orissa pourraient être les futurs greniers du pays, si l'on améliorait les infra­structures très déficientes et si on luttait contre les structures agraires semi-féodaleset les abus qui en découlent. LeBengale occidental qui a connu ces dernières annéesune augmentation réelle de ses surfaces irriguées (notamment par les puits tubés)grâce à des investissements essentiellement privés, voit enfin sa production agricoleaugmenter. Certes, à l'inverse du Bihar et de l'Orissa, le Bengale occidental tradi­tionnellement communiste a été l'un des rares États à engager de véritables réformesagraires.

D - Essoufflement de la Révolution Verteet révolution doublement verte

En revanche, la mauvaise gestion de l'eau combinée à une fragilité des variétés àhaut rendement et à une réduction des subventions depuis la libéralisation écono­mique de 1991 expliquerait en partie le plafonnement des rendements. Face àl'essoufflement de la Révolution Verte et aux menaces sur l'environnement, lesinstigateurs de la Révolution Verte, notamment M.S. Swaminarhan-, prônentdepuis quelques années le principe d'une Révolution Toujours Verte (EvergreenRevolution) ou Doublement qui doit être durable, équitable et respectueuse del'environnement. Dans cet esprit de préservation de l'environnement, les organisa­tions syndicales paysannes soutenues par le gouvernement refusent de mettre sur lemarché les OGM commercialisées par les grosses multinationales américaines(Monsanto... ) tant que les garanties sur le plan alimentaire et sanitaires ne sont passuffisantes.

Au-delà de la nécessité de préserver l'environnement, les ONG, fondations etautres organismes ont de plus en plus un rôle à jouer dans le développementd'activités alternatives, innovantes et génératrices de revenus. En pays tamoul, laSwaminathan Foundation a su proposer aux femmes dalit sans terre, organisées encoopératives, la culture de champignons, selon une technique de productionoriginale dans des huttes sombres, ou encore la pisciculture dans des étangsinutilisés. L'intérêt de ces cultures, c'est qu'en plus de leur valeur commerciale, ellessont aussi écologiquement neutres et participent par conséquent au développementdurable. Par ailleurs, au sein de ces biovillages, des systèmes ruraux à l'échelle d'unepetite exploitation intégrant la riziculture, la pisciculture, l'élevage, l'horticultureont été mis en place depuis 1993 en utilisant des engrais verts et des biopesticides.Afin de mieux former les paysan(ne)s aux nouvelles technologies ou de se tenir aucourant des derniers cours des produits agricoles ou des programmes récents dedéveloppement rural, la Swaminathan Foundation a installé avec le soutien financierd'organisations internationales des terminaux informatiques. Il est regrettable quece type d'expérience reste localisé dans quelques villages de la région de Pondichéry.

1. L'année 2000 caractérisée par une sécheresse sans précédent a fortement pénalisé les agriculteurs en parti­culier dans les zones sèches. Il est difficile de mesurer pour le moment l'ampleur des dégâts.

2. M.S. Swarninathan, père de la Révolution Verte en Inde, a longtemps dirigé )'International Ria Researcblnstitute de Manille. Depuis son retour en Inde dans les années 1990, il a décidé de développer son concept debiovillage dans les villages de la région de Pondichéry en introduisant des activités innovanres essentiellementdestinées aux femmes, laissées pour compte de la Révolution Verte.

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168 PARTIEIII - LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

E - Une diversification de l'économie rurale nécessaire

En dépit d'une croissance agricole réelle, les limites de l'intensification agricolemettent en évidence la nécessité de diversifier davantage l'économie rurale. Ainsi,grâce à une politique de mise en place de coopératives laitières dans les années1970, l'Inde a réussi sa « révolution blanche» en devenant le premier producteur delait avec 75 millions de tonnes par an en 1998-1999 (211 g/j) contre à peine22 millions dans les années 1970, même si les vaches indiennes, à l'exception desvaches de races croisées, produisent peu. Avec le cheptel le plus important dumonde, l'emploi est assuré pour près de 18 millions de ruraux, soit 5 % de lapopulation active. Une partie des produits du cheptel est exportée, notamment lespeaux', la viande et les carcasses de bœufs. La pêche, autre secteur clé de l'économierurale, joue un rôle important en matière d'emploi et d'exportation (5,2 millions detonnes en 1998-1999 contre 7,5 en 1950-1951).

En dépit de ces performances économiques, seules les régions de la RévolutionVerte ont connu une petite diversification des activités rurales. En revanche, lesrégions agricoles défavorisées restent sur la touche, en dépit de nombreuxprogrammes de développement rural intégré mis en place dans les années 1980.

IV - LIBÉRALISATION ÉCONOMIQUE ET NOUVEAUX ENJEUX

A - La réduction des fonds publics à l'agriculture

La politique de libéralisation dans laquelle l'Inde rurale se trouve engagée àpartir du début des années 1990, après avoir concerné surtout les villes, ne remetpas en cause les orientations de la Révolution Verte. Elle consiste à favoriser lescapacités d'investissements productifs en créant une concurrence entre producteurs,en rendant, par la sélection des bénéficiaires, les investissements privés plusrentables, et en autorisant une hausse des prix agricoles dont bénéficient essentiel­lement les plus gros producteurs. Il est vrai que la politique interventionniste s'étaitrévélée à terme peu favorable aux paysans aisésayant profité de la Révolution Verte.

Cependant, les fonds publics alloués à l'agriculture et à l'irrigation ne repré­sentent plus qu'un quart des investissements, les trois autres quarts provenant defonds privés. En raison des politiques d'ajustement structurel, les interventions del'État en matière agricole sont de moins en moins significatives, en dépit du poidsélectoral que constitue le monde rural, notamment à travers certains lobbiesagricoles et autres organisations populaires.

Avant la libéralisation économique, l'État investissait directement dans lesinfrastructures d'irrigation en subventionnant les intrants nécessaires (eau, électri­cité). Au-delà d'un effort de l'État en matière de maintenance des systèmes d'irriga­tion, le gaspillage de l'eau pourrait être évité si celle-ci était enfin payée au « justeprix ». En effet, une eau payée au juste prix devrait au moins permettre de couvrirles coûts de fonctionnement et de maintenance des programmes d'irrigation, ce quien outre permettrait de limiter les gaspillages liés aux utilisations improductives.

Dans le cadre des politiques d'ajustement structurel, un recouvrement total descoûts de programmes d'irrigation est de plus en plus recherché par le biais d'asso-

1. Cf. partie III. chap, 2, sur l'industrie du cuir.

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1 - Les défis du monde rural 169

ciations de bénéficiaires (<< Water User Associations ») participant à tous les stades duprogramme, de la construction au remboursement, et gérant elles-mêmes lefonctionnement et la maintenance des infrastructures. Cette participation auxprogrammes de développement rural entraîne des économies de fonds publics par letransfert de certains coûts d'investissements, de fonctionnement et de maintenanceaux utilisateurs directs.

Plus que la Révolution Verte, la libéralisation de l'économie favorise l'ascensionde paysans aisés qui constituent très vite, par le biais de leur parentèle et desrelations qu'ils possèdent et qu'ils continuent à tisser dans les villages et les villes,cette couche moyenne dont l'apparition est certainement le fait marquant deschangements de la société rurale indienne à la fin du siècle.

B - L'émergence des classes moyennes rurales

Si l'ensemble de la communauté scientifique reconnaît l'impact positif de laRévolution Verte en matière de croissance agricole, les polémiques existent entre lespropagandistes de la Révolution Verte qui annonçaient que les nouvelles semencesallaient régler tous les problèmes du Tiers-Monde et les détracteurs qui perçoiventles nouvelles technologies comme le maintien d'une domination des propriétairesterriens dans les villages. Ceux-ci, alliés avec les membres de la bureaucratie locale,constitueraient ainsi un groupe de notables ruraux capables d'établir leur contrôlesur les institutions agricoles, de bénéficier des subventions sur les intrants etd'obtenir aisément des crédits.

Les conflits violents opposant les gros propriétaires et les intouchables àl'occasion de la Révolution Verte ont été abusivement perçus par certains auteurscomme les prémisses d'une révolution rouge. Pourtant, ces conflits font partie del'histoire de l'Inde et leur développement ne se déroule pas forcément dans lesespaces où la Révolution Verte est la plus avancée. Ils touchent plutôt des Étatssomnolents comme le Bihar et l'Orissa, ou même des États dans lesquels règne unparti communiste puissant.

Certes, au début de la Révolution Verte, vers les années 1968-1975, la moder­nisation agricole avait surtout profité aux paysans qui avaient les moyens del'entreprendre. Cependant, la Révolution Verte est actuellement dans sa quatrièmedécennie, et il apparaît clairement qu'elle est à l'origine d'un déplacement vers lehaut de l'ensemble de la hiérarchie socio-économique villageoise, mouvement,légèrement amoindri par les effets de la libéralisation économique, notamment pourles petites exploitations. En effet, des exploitations qui étaient à peine viableséconomiquement sont parvenues à l'autosuffisance alimentaire, tandis que depetites exploitations tout juste autosuffisantes sont devenues excédentaires etrejoignent la catégorie des exploitations moyennes.

Mais surtout, la Révolution Verte a favorisé l'émergence d'une couche d'entre­preneurs agricoles au détriment de propriétaires rentiers peu présents directementdans les villages. Les exploitants aisés, ne pouvant plus investir dans l'acquisition deterres à cause du plafond foncier imposé, modernisent au maximum leur exploita­tion. D'ailleurs, la taille de celle-ci n'apparaît plus comme la clé de l'ascensionsociale. C'est désormais la détention d'un puits tubé et l'octroi de crédits ruraux quiont permis à bon nombre d'exploitations à peine viables avant la Révolution Vertede devenir autosuffisantes ou excédentaires (K. Marius-Gnanou, 1992). Cultivanteux-mêmes leur terre en optimisant les nouvelles techniques de la Révolution Verte,

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170 PARTIE 111- LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

ces paysans de castes traditionnellement « non dominantes» (jats, kurmi, yadav,gounder, vokkaliga... ) constituent un groupe puissant dans les campagnes, quis'étend encore au cours de la dernière décennie avec l'irruption de la croissance dela production dans des États restés jusque-là à l'écart du mouvement. Unis au seinde partis paysans (KRPS), ils deviennent une véritable force politique à partir desannées 1980.

Le phénomène le plus important concernant les conséquences de la RévolutionVerte est certainement l'émergence d'un ensemble de couches moyennes au sein dela société rurale. Le nombre de ménages ruraux aux revenus moyens et élevés aquasiment doublé entre 1986 et 1990 (NCAER, 1994). Cependant, à la différencede la situation existante dans les agglomérations urbaines, cette hausse du revenusans précédent ne se traduit pas dans les villages par un étalage de luxe. Comme ilest de tradition dans l'Inde rurale, les fortunes se thésaurisent avant tout dans lesbijoux en or (pour les dots) et s'affichent lors des fêtes familiales (mariages,premières menstruations...).

Si les besoins des ruraux ne sont pas identiques à ceux des urbains, leurs goûtspour les produits manufacturés sont bien proches, tout particulièrement pour lesproduits apportant un confort nouveau ou permettant une ouverture nouvelle sur lemonde. Les appareils électroménagers, en premier lieu le réfrigérateur, semultiplient dans les foyers. Les appareils électroniques, radiocassettes et désormaismassivement téléviseurs et magnétoscopes, voire DVD, deviennent un biencommun. Bicyclettes, mais aussi mobylettes ou motocyclettes, se multiplient dansles villages, où apparaissent aussi quelques tracteurs et automobiles. Ainsi, 50 à70 % des biens de consommation de cette sorte sont détenus par des ménagesruraux (NCAER, 1994).

Certes, à l'inverse du monde urbain, de nombreux éléments de la vie rurale nesont pas modifiés par la montée des classes moyennes. Les relations d'alliance, lesmodes d'habitation et le rapport au sacré se perpétuent. Quel que soit leur statutéconomique, les familles continuent à organiser le mariage de leurs enfants enrespectant les principes du système des castes. Les couples sont toujours formésgrâce aux décisions parentales et au sein des groupes endogames définissant lescastes. La patrilocalité est toujours la règle dans la quasi-totalité des cas.

Plus important encore, avec l'amélioration du statut économique, s'accroîtl'exigence d'éducation et de santé des familles. Dans les villages, des écoles privéesviennent doubler des établissements publics toujours présents mais souventdéfaillants. Dans les petites villes, des écoles secondaires, des collèges techniquespréparant à des diplômes de premier niveau universitaire sont créés, souvent àl'initiative des groupes sociaux dominant l'économie des localités. Enfin, l'isolementdes villages se réduit, non seulement grâce à la multiplication des moyens detransports les plus divers, privés ou publics, mais aussi par l'installation detéléphones, fax, internet et l'omniprésence, jusque dans des endroits reculés, de laradio et de la télévision, sans oublier la presse écrite, dont l'importance sembles'accroître dans les villages.

C - Persistance d'une pauvreté rurale et féminisation de la pauvreté

Ces perspectives optimistes sur l'avenir de la société rurale indienne ne doiventpas laisser dans l'oubli les masses pauvres qui subsistent dans les villages. Lapauvreté souvent décrite des bidonvilles des plus grandes métropoles s'accompagne

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en Inde d'une grande misère rurale. Bien sûr, à nouveau, il est nécessaire de prendreen compte l'immensité du territoire indien. Certaines régions rurales sont plustouchées par la pauvreté que d'autres, comme par exemple les régions montagneusesde l'Himalaya (Assam), la partie de la plaine inde-gangétique située dans l'Etat duBihar ou encore les territoires ruraux au cœur de l'Etat de l'Orissa. La pauvreté estfortement liée au rapport à la terre. Aujourd'hui 60 millions de familles ruralesn'ont toujours pas de terres et 25 millions possèdent moins de 2 hectares, qui sontla surface indispensable pour nourrir une famille de 6 personnes. Les États de laRévolution Verte ou socialement avancés (Penjab, Haryana, Kerala, AndhraPradesh) connaissent des taux de pauvreté inférieurs à 10 % en milieu rural.

Les variétés à haut rendement et à cycle court de riz et de blé, grâce à la multi­plication des opérations culturales et à un doublement des rendements, ont crééplus d'opportunités d'emploi pour les femmes que pour les hommes car desopérations comme le repiquage, le désherbage, réservées exclusivement aux femmes,restent manuelles sous la pression de ces dernières, à l'inverse du labour ou dubattage de plus en plus mécanisés. Des spécialistes confirment qu' 1 hectare derizière par exemple requiert 77 % de femmes contre 23 % d'hommes.

Ainsi, en Inde, l'agriculture et dans une moindre mesure, l'élevage, la forêt et lapêche, restent le principal employeur des femmes: parmi les femmes actives engénéral, 35 % d'entre elles sont agricultrices, 43 % ouvrières agricoles et 5 %travaillent dans les secteurs non agricoles (élevage, pêche et forêt). Cette féminisa­tion croissante du travail agricole touche en grande majorité les basses castes etsurtout les dalits. Les salaires en termes réels subissent d'importantes fluctuationsselon les États, d'où une détérioration du pouvoir d'achat des ouvrières agricoles,liée aussi à une pression démographique toujours forte parmi les plus pauvresd'entre elles. Pour l'année 2000-2001 les salaires réels ont peu augmenté àl'exception du Kerala, Tamil Nadu, Rajasthan et Gujarat, qui ont connu uneaugmentation significative des salaires réels (supérieure à 10 %).

La libéralisation économique renforce donc la vulnérabilité du genre féminin,d'autant que les femmes ont une triple charge de travail - soin quotidien desenfants, entretien de la maison et activités de subsistance. En milieu rural, leursituation est rendue plus pénible par leur isolement et par l'absence du soutien duconjoint obligé de migrer vers les villes.

En dépit du développement de nombreuses activités para-agricoles (élevage) etextra-agricoles liées à la croissance agricole dont les bénéficiaires sont surtout deshommes (artisans, petits commerces, rizeries ...), rares sont les ouvrières agricolesqui ont pu améliorer leur sort.

Afin de compléter les revenus familiaux, les femmes qui commencent àtravailler de plus en plus jeunes se retrouvent dans des activités informelles sous­payées (construction, agriculture). Les femmes constituent en Inde rurale plus de lamoitié de la force de travail informel! (90 millions en 1991 contre 40 millions dansles années 1950). Dans les campagnes où le travail informel est massivementdélocalisé, le travail à la pièce dans .les activités non agricoles (couture, corderie,tannerie, construction, etc.) est le moins bien rémunéré.

1. Cf. déf. partie III. chap. 2.

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172 PARTIE III - LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Carte 13 - L'Inde: pauvreté rurale par Étaten 1987-1988

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Ré.. I.... lon M . LEGRAND· F.PIROT

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1 - Les défis du monde rural 173

Carte 14 - L'Inde: pauvreté rurale par Étaten 1997-1998

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Territoim du Nord et Azad Cachemim sous contrôla pakistanais

CNRS· SIS· UMR 86114Centre decomplrt.noa th6m.t.lque 'Mod6Ulatlon- An_v-- .p.t.'''" SIG'

Sources: Merket InformatIon Survey of Hou.ehold. (M~t1l,NCAERSource: Be.e Mondiel. ESRI lDWCl1993 en coordonnéct. g'cgraphlque.

IIHI I.ollon M. LEGRAND - F. PIROT

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174 PARTIE111- LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Certes, cette pauvreté rurale n'est pas la conséquence directe de la RévolutionVerte, car sans celle-ci, la situation de misère rurale aurait sans doute été aggravée.En revanche, les Plans d'ajustement structurel à travers une réduction des dépensessociales n'a fait qu'aggraver la féminisation de la pauvreté: d'après des études duNSS, deux tiers des ouvrières agricoles vivent en dessous du seuil de pauvreté.

D - Contraintes de l'Organisation Mondiale du Commerceet politique alimentaire

Alors que partout désormais en Inde la capacité à nourrir les populations estatteinte, soit par la production de l'agriculture régionale, soit par l'importation deproduits alimentaires en provenance d'autres régions indiennes, de nombreusesfamilles ne possèdent pas les moyens financiers de se nourrir. Le comble duparadoxe, c'est que l'Inde dispose en 2000 de près de 50 millions de tonnes degrains alimentaires en stocks de sécurité], alors que 27 % de personnes vivent endessous du seuil de pauvreré-, La maintenance de ces stocks de sécurité est bien sûrtrès coûteuse: 100 milliards de roupies de capital gelé. En l'an 2001, ces stockspourraient fournir l'équivalent de 70 kg par personne, or, au lieu de remettre surpied une véritable politique alimentaire en faveur des personnes vivant en dessousdu seuil de pauvreté, à travers le PDS et autres programmes (Foodfor work, nourri­ture contre travail dans le but de développer les infrastructures), le gouvernementactuel a déclaré son intention de vendre ses stocks aux marchés étrangers à des prixsubventionnés, sous le prétexte que ces subventions alimentaires accentuent ledéficit budgétaire actuel. Ces subventions alimentaires représentent à peine 0,3 %du PNB, ce qui est peu par rapport à des pays comme le Sri Lanka où les subven­tions alimentaires représentent près de 1,3 % du PNB.

Cependant, la disponibilité alimentaire théorique fluctue autour de 450 g/jourdepuis les années 1980 et risque de s'abaisser considérablement suite à l'actuellecrise agricole liée à une sécheresse sans précédent. De plus, la disponibilité quoti­dienne en légumineuses, source essentielle de protéines pour les végétariens, oscille àpeine entre 35 et 40 g. Certes, des stocks considérables devraient permettre d'assu­rer en principe la distribution des céréales à travers les «jàirpriee shops» (<< magasinsà juste prix », magasins de l'État distribuant les produits subventionnés). Mais, euégard à la déficience d'infrastructures de stockage et de transport, à la corruption dela Food Corporation ofIndia et à la mauvaise identification des bénéficiaires (lesclasses moyennes et aisées des villes et des campagnes peuvent bénéficier de la cartede rationnement donnant droit au PDS), la très large majorité de pauvres, notam­ment dans certains États, comme le Bihar et l'Uttar Pradesh, n'a pas profité duPDS. Certes l'identification des personnes vivant en dessous du seuil de pauvretén'est pas aisée à définir, car bon nombre de pauvres travaillent dans le secteurinformel. Alors que plus de 20 millions de tonnes de grains alimentaires avaient étédistribués à travers le PDS en 1990-1991, c'est moins de 11 millions qui ont étédistribués en 1999-2000, or une récente étude menée par le National Family HealthSurvey (1998-1999) montre que le nombre d'enfants (0-4 ans) mal nourris resteconsidérable, soit 47 %.

!. J. Drèze,« Starving the poor", in Th« Hindu,26 fév. 200!.2. Cf. partie II, chap. 3, tableau 2.

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1 - Lesdéfisdu monde rural 175

Les petits fermiers qui ont su profiter de la Révolution Verte risquent d'êtrepénalisés par la politique actuelle de l'OMC et du gouvernement qui a baissé demanière importante les « proeurement priees». En effet, le producteur était enprincipe assuré, notamment au moment des chutes de cours dans les zones de sur­production, de pouvoir vendre ses produits à un prix garanti par le gouvernement.Or suite à la libéralisation partielle des importations du paddy et à la baisse desprocurementpriees (400-550 Rs/q en 2000-2001 selon les Etats, contre 750-800 Rsl'année précédente), certains producteurs de riz se retrouvent dans la misère.

Ce système de prix subventionnés a pu profiter aux producteurs tant que l'Indea pu imposer des quotas à l'importation de produits agricoles: en effet,2 700 produits agricoles et tarifés ont été visés par ces restrictions. Cependant, avecl'amélioration de la balance des paiements et en tant que membre de l'OMC, l'Indea dû lever les barrières, notamment depuis avril 1998. Toutes les restrictions àl'importation de produits agricoles seront normalement éliminées en principe d'icimars 2003. Pour le moment, l'Inde importe peu de produits agricoles (5,6 % del'ensemble des importations) à l'exception du sucre et des noix de cajou qu'elleproduit encore insuffisamment. En revanche, elle exporte plus qu'elle n'importe,notamment ses célèbres riz basmati et thé, ses produits de la mer (21,6 % del'ensemble des produits agricoles exportés) et dans une moindre mesure,l'anacardier. L'agro-alimentaire est toujours aussi peu représenté en dépit d'uneproduction non négligeable de fruits et de légumes.

Tableau 23 - Exportation et importationdes produits agricoles en valeur (millions $)

Produits exportés 1999-2000 % Produits importés 1999-2000 %Thé 407 7,4 Céréales 133,6 5,1Café 315 5,7 Légumineuses 63,2 2,4Céréales 718 13,1 Lait et crème 22,4 0,9Tabac 229 4,2 Noix de cajou 220,0 8,4Épices 393 7,2 Fruits et noix 84,2 3,2Cajou 566 10,3 Sucre 255,2 9,7Sésame 86 1,6 Oléagineux 3,1 0,1Plante fourragère 189 3,5 Huiles végétales. 1 842,5 70,2Tourteaux 370 6,8 - - -Fruits et légumes 202 3,7 - - -

IJus et dérivés 113 2,1 - - -Viande et dérivés 180 3,3 - - -Produits de la mer 1 180 21,6 - - -Autres 527 9,6 - - -Total 5475 100 total 2624,1 100% des exportations totales 14,6 % de l'importation totale 5,6

Source: Economie Survey. 2000-2001.

Alors que bon nombre de petits producteurs du Karnataka s'étaient enfindécidés à produire des oléagineux grâce aux actions incitatives du gouvernemententamées dans les années 1980 (la production est passée de 10 millions de tonnesen 1980-1981 à 21 millions de tonnes en 1993-1994), l'Inde continue à importermassivement des oléagineux, provoquant ainsi la chute des COutS et la ruine de bonnombre de petits producteurs et de la fermeture de nombreuses raffineries (au

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176 PARTIEI/l- LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Karnataka, il ne reste plus que 10 unités d'extraction en 2001 contre 115 en 1996) !Il en est de même pour l'arec, la noix de coco, l'hévéa, le café - ne bénéficiant plusde quotas à l'importation -, produits essentiellement dans la région du Kerala oùla main-d'œuvre est plus chère qu'ailleurs, d'où des coûts de production largementsupérieurs à ceux des produits importés d'Indonésie... Cette crise agricole sansprécédent, doublée d'une mauvaise mousson serait à l'origine de centaines desuicides de paysans. Cette situation catastrophique met en évidence la nécessité derenforcer les programmes de lutte contre la pauvreté.

E - Les programmes de lutte contre la pauvreté:d'une approche interventionniste à une approche participative

Dès les années 1975, des programmes de crédits spécifiques (attribution debovins, artisanat. .. ) aux sans-terre voient le jour. Pourtant, le caractère interven­tionniste, temporaire et trop dispersé de ces programmes, le manque de suivi et lefaible nombre de bénéficiaires concernés ont conduit cette entreprise à un échec.Les politiques de financement du monde rural étaient largement fondées sur lecrédit agricole distribué via des coopératives agricoles contrôlées par des hommes dela caste dominante. Face au constat d'échec de ces approches, s'est progressivementimposé le concept de développement rural intégré.

Afin d'être plus efficaces, tous les programmes de développement rural sontregroupés en 1979 sous l'appellation officielle de « Integrated Rural Déuelopment»(IRDP), considéré comme le plus vaste programme de développement rural contrela pauvreté jamais mis en place par un gouvernement dans le monde. L'attributionde moyens de production par l'intermédiaire d'un micro-crédit de 5 000 roupiesaux chefs de famille vivant en dessous du seuil de pauvreté devait assurer l'auto­emploi. Les micro-crédits concernent toutes sortes d'activités économiques: élevaged'animaux, salons de coiffure, poulailler, échoppes de thé, studios de photographie,ateliers de couture, boutiques de vélo. Même si les bénéficiaires - en grandemajorité des hommes, car le prêt n'était attribué qu'au chef de famille - ont connuune augmentation de leur revenu, rares sont ceux qui ont pu dépasser le seuil depauvreté (10 %) et bon nombre d'entre eux n'ont jamais pu rembourser le prêt aubout de 5 ans. Au total, attribuer des biens de production à des ruraux pauvres peumotivés et sans aucune formation particulière était un pari perdu d'avance.

L'échec relatif de l'IRDP est attribué à la bureaucratie excessive impliquant desdétournements de fonds ou des retards dans l'attribution des biens de production(plus d'l an), à la mauvaise identification des bénéficiaires - des propriétaires decastes supérieures et aisés auraient bénéficié de ce programme - et à la non-priseen compte de la dimension de genre et de pauvreté. Même si le crédit rural a limitéle rôle néfaste des usuriers, il n'a pas permis de responsabiliser les débiteurs - enmajorité des hommes - qui ont tendance à retarder, voire à ne pas rembourser leurprêt qu'ils considèrent avant tout comme une subvention de l'État. Le faibleremboursement des prêts s'explique aussi par la démagogie de certains politiciensqui n'hésitent pas à annuler toutes les dettes des paysans à la veille des échéancesélectorales. Les conflits d'intérêts, de castes et la discrimination sexuelle, plusprégnants en milieu rural qu'urbain, expliquent en partie ce phénomène.

Conscient des biais des programmes gouvernementaux que nous avons vus ci­dessus, le gouvernement actuel a décidé de regrouper en avril 1999 tous les pro­grammes de développement rural sous l'appellation Swamjayanti Gram Swarozgar

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1 - Les défis du monde rural 177

Yojana (SGSY) en privilégiant le micro-crédit et la prise de pouvoir ou l'habilitationiempou/ermeniï des femmes à travers une approche participative (SelfHelp Group) etnon plus interventionniste comme c'était le cas dans les années 1980.

En effet, créer des groupes de crédit dont les membres sont ensemble responsa­bles des emprunts favorise les remboursements. Habituellement, en milieu rural, lesmembres du groupe sont des voisines, se connaissent bien et décident entre elles del'admission d'un nouveau membre. La situation de l'emprunteur est passée aucrible, d'où des taux de non-remboursement quasi nuls à cause de la pressionexercée par le groupe.

Les pouvoirs publics, conscients de ces succès du micro-crédit, ont constitué en1993, dans le Département du Développement des Femmes et des Enfants, unnouveau fonds public (Rashitra Mahila Kosh (RMK)) et une ONG (WomenEconomie Deuelopment Corporation) qui aujourd'hui soutiennent les projets deplusieurs centaines de milliers de femmes en Inde. En raison du succès incontes­table de cette formule (95 % des prêts sont remboursés), il est prévu de favoriser cesystème de micro-crédit auprès de 200 000 SelfHelp Group (SHG) en 2002-2003.À plus long terme (2008), plus de 25 000 banques rurales 4 000 ONG,2000 fédérations de SHG seront associées pour mettre en place 1 million de SHG.

En dépit de ces progrès en matière de lutte contre la pauvreté, la misère risquede s'aggraver suite à la crise agricole actuelle amplifiée par l'entrée de l'Inde dansl'OMC.

Pour conclure, il est indispensable de noter que ces changements sociauxs'effectuent alors que se modifient considérablement les relations entre villes etcampagnes. En effet, qu'elles aient acquis l'aisance ou qu'elles restent pauvres, lespopulations rurales de l'Inde ne vivent plus dans les seules limites de leurs villagesen ce début de millénaire.

Dans le contexte d'une société indienne marquée par la prédominance de sesorigines rurales et par la force des structures familiales élargies et des réseaux decastes, le village natal reste le centre de gravité de l'espace de vie des migrants,notamment des femmes à l'exception notable des migrations de mariage. Les dépla­cements circulaires, temporaires voire définitifs des individus s'inscrivent souventdans des stratégies de survie de la famille élargie. En envoyant les hommes seuls, lafamille élargie n'est pas trop affectée, dès lors que l'épouse assure une cohésionfamiliale.

Les relations villes-campagnes sont donc fortes et les régions agricoles les plusproductives sont aussi celles où les villes petites et moyennes forment des réseauxdenses au sein de systèmes urbains hiérarchisés. Les migrants conservent ainsi desliens dans leur village, où réside toujours leur famille et qui reste valorisé comme lelieu des origines. Ils entretiennent ainsi des échanges entre villes et campagnes, tantsur le plan économique que social ou politique. Le phénomène est d'autant plusfort que ce ne sont pas seulement les pauvres qui migrent. Les ruraux aisésparticipent pleinement à l'exode rural et ce mouvement contribue à renforcerl'existence des couches moyennes dans les villages.

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178 PARTIEIII-LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

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LES DÉFIS DE L'INDUSTRIE:DE L'ARTISANAT VILLAGEOIS

AUX TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION

LORAINE KENNEDY

L'Inde a réalisé en partie les buts économiques qu'elle s'était donnés àl'Indépendance: en se dotant d'une industrie nationale, elle a pu affirmer sonautonomie tant économique que politique. Peu soucieuse au départ de développerles échanges internationaux, elle opère depuis les années 1980 une réorientation enfaveur de l'ouverture. Aujourd'hui cette stratégie axée sur les exportations seconfirme et s'approfondit. Le pays se lance vers de nouveaux défis en faisant valoirses avantages comparatifs: d'un côté, elle cherche à améliorer sa compétitivité dansles activités manufacturières en s'appuyant, entre autres, sur une main-d'œuvreabondante et bon marché. D'un autre côté, son réservoir important d'ingénieurs etde techniciens, maîtrisant l'anglais, l'amène à viser une spécialisation dans dessecteurs de pointe, dont en premier lieu les technologies de l'information.

Après le rappel des grandes lignes du modèle indien de développement, serontabordées les caractéristiques actuelles de l'industrie indienne. Ensuite serontdiscutées les infrastructures, au fondement du développement industriel et dont lescarences constituent pour l'Inde un des défis majeurs pour l'avenir.

1- LE MODÈLE INDIEN DE DÉVELOPPEMENT

A - L'héritage économique de l'expérience coloniale

Pour comprendre les choix effectués par l'Inde en matière d'industrialisation, labase même de son modèle de développement, il convient de remonter à la périodejuste avant l'Indépendance et d'examiner la lecture que faisaient les dirigeantspolitiques indiens de l'époque de l'expérience coloniale.

Rappelons que le mouvement national pour l'Indépendance, l' Indian NationalCongress (devenu le parti du Congrès) prend son essor pendant les premièresdécennies du siècle. Ses dirigeants, issus pour une large part de l'élite, s'indignent del'état déplorable de l'économie, de l'exploitation des richesses du pays à des finsimpériales et du manque à gagner pour l'Inde, lié à la nature des échanges interna­tionaux. En effet, l'aspect économique le plus remarquable durant l'occupationbritannique est le dynamisme de son commerce extérieur, basé sur le

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180 PARTIE 111- LE DÉVELOPPEMENT tCONOMIQUE

développement d'une agriculture de type commercial. A partir de 1850, lesprincipaux investissements se font en faveur des cultures destinées à l'exportation(coton, indigo, opium, thé, jute). La mise en place des infrastructures et notam­ment la construction d'un réseau ferroviaire dans les années 1860 favorise cetteorientation en permettant une meilleure intégration du territoire. En reliant lesprincipales villes entre elles, le pouvoir colonial jette les bases d'une « économie decomptoirs» qui s'affirme durant cette période autour de quelques grandes citésportuaires: Calcutta, Bombay et Madras (cf. partie l, chap. 1). Les produitsagricoles représentent, entre 1860 et 1914, plus de 70 % des exportations des Indesbritanniques.

En revanche, la position industrielle du pays s'érode pendant la périodecoloniale. Au XVIIIe siècle encore, l'Inde occupait une place de premier rang parl'importance et la diversité des productions de son artisanat manufacturier,notamment des textiles, dont une partie était exportée. Bien qu'une certaine indus­trialisation s'amorce au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, le décollage n'apas lieu et ceci pour plusieurs raisons, dont une faible demande interne.L'application par l'administration anglaise d'un système complexe de taxes inégali­taires pénalise lourdement les productions nationales et en l'absence de protectionsjusqu'aux années 1920, les tentatives d'industrialisation par des capitaux indigènes,notamment dans le secteur textile, se heurtent à la concurrence des produits britan­niques. Ainsi l'Inde reçoit à cette époque 45 % des exportations britanniques decotonnades. En même temps les intérêts britanniques, concentrés sur le secteurexportateur, ont tendance à négliger les investissements industriels à l'exception desactivités de transformation comme celle du jute. Ce n'est qu'au moment de laPremière Guerre mondiale que l'on assiste à un développement industriel plussoutenu - par exemple de la sidérurgie, du ciment et du sucre - profitable auxcapitaux indiens et davantage tourné vers le marché intérieur.

B - Le socialisme à l'indienne

Sans attendre l'Indépendance, les responsables du mouvement nationaldéfinissent des politiques en matière économique et se prononcent en faveur de laplanification. Il s'agit de procéder à une transformation planifiée des institutionssociales et économiques existantes en vue de réduire les inégalités sociales, d'unepart, et de mettre le pays sur une voie de croissance saine, d'autre part. Lechoix dela planification fut l'objet d'un assez large consensus parmi les acteurs économiquesdu pays. Conscients des faiblesses criantes de l'économie, par exemple en infrastruc­tures, ces derniers accueillent la perspective d'une implication publique importante.

L'Indépendance en 1947 donna aux dirigeants indiens l'occasion qu'ilsattendaient pour mettre en œuvre le « socialisme à l'indienne », une troisième voieentre capitalisme et socialisme. Ce modèle singulier de développement, conduitdans le cadre d'une démocratie parlementaire et d'un système fédéral, s'appuie surune économie mixte où l'État central exerce un pouvoir très important. Lesobjectifs majeurs alors affichés sont la croissance économique, la justice sociale etl'autosuffisance nationale (selfreliance).

Dans l'approche volontariste qui est adoptée, la croissance industrielle occupeune place centrale. Les premières politiques industrielles (surtout celle de 1956) etle cadre politique et juridique bâti dans les trois premiers plans quinquennaux(1951-1966) donnent au jeune État indien de puissants moyens pour accélérer la

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageoisaux technologies de l'information 181

croissance industrielle. Certaines activités sont réservées au secteur public(armement, énergie nucléaire, sidérurgie, équipements lourds, mines, télécommuni­cations, etc.) exception faite des installations privées existantes; d'autres sontpartagées entre les secteurs public et privé (machines-outils, industries chimiques etpharmaceutiques, matériel de transport, etc.). Dans les domaines laissés au secteurprivé, lequel reste prépondérant dans l'économie, un assez grand nombre est réservéaux petites entreprises, traduisant en partie la philosophie de Gandhi qui préco­nisait une économie décentralisée dans les villages. La petite industrie est ainsifavorisée car peu intensive en capital et créatrice d'emplois dans le milieu ruralcomme dans les villes secondaires.

A partir du 2e Plan quinquennal (1956-1961), les politiques économiquesvisent l'accélération de la croissance industrielle, l'accent étant mis sur les industriesdites « industrialisantes », autrement dit celles qui servent de moteur à l'économie.Il s'agit d'augmenter les capacités du secteur des biens d'équipements et desindustries de base (chimie, engrais, ciment, acier, etc.), ce qui requiert des investis­sements très importants. Afin d'augmenter le taux d'investissement industriel et des'assurer que les ressources rares ne sont pas « gaspillées» dans une consommationjugée non essentielle, l'État met en place un système complexe d'autorisations et decontrôles. Ce système, baptisé « license raj », régit la création des entreprises privées,leur localisation, leur expansion ainsi que leurs échanges avec l'étranger. Les impor­tations sont étroitement surveillées à partir de 1957 au moyen d'une gestion strictedes devises étrangères et avec des droits de douane élevés, mesures qui ne serontassouplies que dans les années 1980-1990. De manière générale, la politiqueéconomique indienne est très peu orientée vers l'extérieur et la part de ses exporta­tions dans le commerce mondial ne cesse de baisser: de 2 % en 1950 à 0,5 % en1980.

Dans la régulation économique qui se met progressivement en place, l'Étatcommande, mais la stratégie globale repose sur une complémentarité entre lesecteur public qui se charge des industries à forte intensité de capital et le secteurprivé qui s'occupe davantage des biens de consommation. La production en prove­nance des petites entreprises en particulier est jugée souhaitable, et ceci pourplusieurs raisons, tant idéologiques que pragmatiques. Rappelons que, d'un côté,Gandhi et ses disciples favorisaient un modèle décentralisé de développement danslequel les petites industries villageoises jouaient naturellement un rôle clé. D'unautre côté, pour les modernistes, la petite industrie était complémentaire de lagrande industrie: peu consommatrice en capital, elle devait fournir des biens deconsommation à bon marché. De plus, répartie sur tout le territoire, y compris dansles villages où continue la tradition séculaire de manufacture artisanale, la petiteindustrie aide à absorber la main-d'œuvre sous-employée dans les campagnes.

Afin d'encourager la croissance de la petite industrie, le gouvernement déve­loppe un grand nombre de politiques en sa faveur, politiques qui visent sa promo­tion et sa protection. Parmi les mesures de soutien: des subventions directes pourles fonds de roulement, pour l'énergie et l'eau, pour importer les intranrs ou leséquipements, pour moderniser l'appareil productif; des incitations financières pourdévelopper les exportations; des taux d'intérêt réduits sur le crédit bancaire j desexemptions fiscales. Un deuxième volet de mesures vise la protection de la petiteindustrie de la concurrence en provenance de la grande industrie. Trois moyensprincipaux devaient l'assurer: (i) des contrôles sur la capacité productive des

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182 PARTIE/II - LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

grandes entreprises présentes dans les secteurs en concurrence avec la petiteindustrie (notamment biens de consommation), (ii) la notification de certainsproduits pour une production exclusive dans la petite industrie (reservation), (iii) lanotification d'une liste de produits que le gouvernement achèterait exclusivementde la petite industrie (reservedpurchase).

Au fil des années, la tendance générale va vers un renforcement de la protectionde la petite industrie. Ainsi le nombre d'articles réservé à ce seul secteur a connuune augmentation constante: ils étaient 47 articles en 1967, et 200 en 1977. Legouvernement janata (1977-1979), dont le programme s'inspirait fortement dugandhisme, a multiplié par quatre ce chiffre, le portant à 800 ! Cependant le sous­secteur dit « traditionnel» perd du terrain au sein du secteur petite industrie enfaveur de la composante moderne (cf. définitions infra), et dans les années 1980 untournant politique plus libéral tend à diminuer l'étendue des aides publiques mêmesi les mesures de soutien et de protection perdurent.

C - L'objectif d'un développement régional équilibré

Dans le secteur des biens d'équipement surtout, l'État central joue le rôled'entrepreneur et exerce en tant que tel une forte influence sur la distribution terri­toriale de la production industrielle. Naturellement certaines installations sontdictées par les gisements des matières premières (charbon, fer), mais les pouvoirspublics sont également guidés par leur volonté de réaliser un développementéconomique plus équilibré sur le plan spatial, une des justifications mêmes de laplanification. Préoccupés par les impératifs de la construction nationale, ilscherchent à établir des centres économiques dans les capitales des nouveaux États(dont Hyderabad et Bangalore). Comme le montre le tableau suivant, l'État aeffectivement réalisé d'importants investissements dans des États « défavorisés» entermes de revenu par tête, comme le Bihar, le Madhya Pradesh et l'Orissa, même sila présence de gisements minéraux dans les deux premiers contribuent également àexpliquer le niveau élevé d'investissements publics. Il est à noter que les États« riches », comme le Penjab, le Maharashtra, l'Haryana ou le Gujarat, n'ont pas éténégligés pour autant par les investissements publics.

En plus de ses investissements directs sous la forme de l'établissement d'entre­prises publiques, l'État dispose de toute une panoplie de mesures indirectes pourinfluencer la localisation des industries privées. Les investissements publics dans lesinfrastructures constituent sans doute un de ses leviers les plus importants. Desincitations fiscales et le contrôle des prix sont également employés en Inde pourfavoriser le développement industriel des régions périphériques. Le prix de l'acier,par exemple, a longtemps été maintenu identique quelle que soit sa destinationdans le but de ne pas décourager l'activité industrielle dans les régions éloignées descentres sidérurgiques.

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageoisaux technologiesde l'information

Tableau 24 - Répartition des entreprises publiquesdu gouvernement central dans les États indiens (jusqu'en mars 1979*)

183

l II III IVÉtats %de Position de l'État Position de l'État

principaux l'investissement en termes en termes de revenutotal de l'investissement par tête par tête en 1970

Andhra Pradesh 3,3 13 12

Assam 2,4 7 11

Bihar 18,4 1 15Guiarat 4,9 4 4

Haryana 1,4 8 3Karnataka 3,4 10 8Kerala 2,4 11 9Madhya Pradesh 11,8 2 10Maharashtra 6,2 9 2

Orissa 4,5 3 14

Penjab 2,2 5 1

Rajasthan 1,9 14 6Tamil Nadu 3,9 12 7Urrar Pradesh 4,2 15 13Bengale occidental 6,9 6 5Autres États et Territoires 22,2 - -+ Non alloué et al.

* Sont traités seuls les 15plusgrands Ëtats en termes de population.Sources: pour colonnes Il et III, Kennedy et al. (200 1), d'après Kundu, Misra et Meher(1986), Location ofPublicEnterprises and Regional Deve/opment, tab. 1.4, p. 15; pour colonne IV, Nagaraj, Varoudakis et Végansonès(1998), Long-Run Growth Trends and Convergence Across Indian States, Technical Papers, nO 131, OECDDevelopmentCenter, tab, l, p. 15.

Pour canaliser l'investissement privé, nous l'avons vu, le système des autorisa­tions administratives constitue un moyen privilégié, mais dont on peut maintenantmesurer les limites en termes de distribution spatiale. En effet, pour la période1953-1982, plus de 70 % des licences ont été attribuées aux huit États les plusdéveloppés. D'autres forces vont également à l'encontre des objectifs affichés dedéveloppement régional équilibré, notamment la distribution inégale du créditbancaire. Afin de minimiser le risque, les institutions bancaires préfèrent accorderleurs prêts dans des régions développées. De même, en ce qui concerne les transfertspublics envers les États (partage des recettes fiscales, aides pour la planification,etc.), on n'observe pas de tendance nette en faveur des plus défavorisés.

Aussi le bilan de ces divers efforts paraît-il nuancé: de nouveaux centres indus­triels ont été créés, souvent de toute pièce comme le complexe sidérurgique àRourkela en Orissa, mais ces « pôles de croissance» n'ont pas toujours déclenché leseffets multiplicateurs et d'entraînement attendus. De nombreux obstacles ont limitéla portée de ces installations industrielles, notamment par rapport à la valorisationdes ressources locales, humaines et physiques. Des critiques s'élèvent dès la fin desannées 1960 contre l'absence de critères économiques dans les décisions publiquesde localisation industrielle, et contre l'ingérence croissante des considérationspolitiques.

Or d'autres critiques commencent à s'élever à cette même époque et portent surla stratégie du développement dans son ensemble. On déplore par exemple que la

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184 PARTIE111- LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

croissance, gagnée au prix fort, bénéficie à une couche sociale étroite et qu'ellen'entraîne pas d'amélioration sensible du niveau de vie de l'ensemble de la popula­tion. Du point de vue social, une croissance plus équilibrée était compromise par lefait que l'Etat n'avait pas engagé de réformes institutionnelles de fond, notammentdes réformes agraires qui auraient pu atténuer la distribution inégale des moyens deproduction. Dans le même temps, l'agriculture dont dépend la vaste majorité de lapopulation est relativement négligée dans une stratégie de croissance axée surl'industrialisation.

Cependant, cette première phase a atteint au moins partiellement son but: lacroissance industrielle a augmenté de 9 % par an pendant la première moitié desannées 1960. La structure de l'économie a également subi des changements enfaveur d'une importante diversification de l'activité industrielle. Désormais lesecteur des industries lourdes (métallurgie, machines-outils, produits chimiques,etc.) contribue plus à la production nationale que le secteur des biens de consom­mation (textile, produits alimentaires, etc.), ce qui indique pour les économistes lamaturation de l'économie. Malgré ces indicateurs de succès, la performance écono­mique reste en deçà des attentes, une situation qui contribue à éroder la position deforce du parti du Congrès, au pouvoir depuis l'Indépendance. Aux élections de1967, il perd le contrôle de huit des seize grands États, marquant le début d'unenouvelle ère de concurrence politique.

La crise que subit l'Inde au milieu des années 1960 est provoquée par deuxmoussons successives déficitaires, qui l'oblige à importer des céréales, notammentdes États-Unis, et par deux conflits (avec la Chine et le Pakistan) qui augmententles dépenses militaires et réduisent l'aide étrangère. Elle contribue à accentuer lapression sur les ressources nationales et à faire ressentir la vulnérabilité du pays àl'égard de l'aide in ternationale qui finance environ un cinquième des investisse­ments. Cette situation de crise conduit le gouvernement à contrôler plus étroite­ment l'activité industrielle privée et l'accès aux devises (nationalisation des plusgrandes banques en 1969) et elle entraîne de façon générale une réorientation poli­tique, macro-économique et sectorielle. La flambée de l'inflation qui atteint 50 %en 1966-1967 contraint le gouvernement à dévaluer la roupie d'un tiers de savaleur. Une nouvelle stratégie est adoptée à l'égard de l'agriculture, avec notammentdes investissements publics plus importants dans l'irrigation qui dépassent dans le4e Plan (1969-1974) ceux destinés à l'industrie, et l'introduction de variétés à hautrendement.

o - La remise en cause du modèle: stagnation économique,discrédit politique, disparités régionales

La décennie 1970 s'avère mouvementée sur plusieurs plans: en 1971 l'Inde etle Pakistan s'affrontent pour la troisième fois dans la guerre d'Indépendance duBangladesh; le parti du Congrès prend, sous la direction d'Indira Gandhi, unvirage autoritaire et populiste; une période d'instabilité sociale s'instaure sous laforme de grèves et d'autres mouvements populaires et traduit un malaise croissantdans la société. Le point culminant est l'état d'urgence déclaré en juin 1975 quisuspend la démocratie pendant presque deux ans.

Sur le plan économique, la dynamique industrielle de la première périodes'essouffle, et la stagnation de ce secteur clé entre 1965 et 1975 ne manque pasd'ébranler le modèle en vigueur. Les causes, qui font l'objet de débats encore

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 185

aujourd'hui, sont à relier sans doute à la chute de l'investissement public après1965. L'État bute contre les difficultés de financement des plans, situation aggravéepar la baisse de l'aide externe. La performance des entreprises publiques, lespremières bénéficiaires des investissements, est insatisfaisante (retards, problèmes degestion et d'entretien) et compromet leur capacité de créer des ressources et desemplois. Une concurrence entre les secteurs privé et public pour l'accès au capitalrare s'affirme et les critiques croissantes dans le milieu des affaires sur les pesanteursbureaucratiques se font entendre. En même temps, la frustration monte dans lescouches modestes de la population, restées à l'écart des gains de la croissance.Certaines régions connaissent même de fortes instabilités avec des mouvementsagraires violents d'inspiration maoïste.

Dans les années 1970 apparaissent les premières indications que l'Inde chercheà développer ses exportations. Jusqu'alors, et c'est une des critiques majeures faites àl'égard de la stratégie indienne de développement, elle a quelque peu négligé leséchanges. Possédant un marché intérieur important, elle avait préféré le protégerpour ses industries naissantes, et mettre les quelques devises étrangères au servicedes secteurs prioritaires dont l'importation d'équipements. Cette stratégie dite « desubstitution d'importations» semble atteindre ses limites, du moins dans certainssecteurs comme celui des biens de consommation durables (véhicules, électro­ménager, etc.) qui manifeste un excès de capacité et un déficit de la demande.

Entre 1950 et 1980, la croissance du PNB n'était que de 3,5 % par an enmoyenne, par rapport à une croissance démographique de 2,2 % : l'économie neprogresse pas suffisamment pour endiguer la pauvreté. La dégradation de lasituation financière, la dépendance de l'aide extérieure, des goulots d'étranglementdans la production industrielle du fait des infrastructures médiocres et des retardstechnologiques: toutes ces raisons favorisent une ouverture timide de l'économie aumilieu des années 1980. Elle répond au demeurant à une demande croissante de lapart des classes moyennes qui aspirent à une consommation plus variée. Des incita­tions sont développées en faveur des exportations, les investissements étrangers sontfacilités et l'entrée, encore de façon restrictive, de biens de consommation estautorisée. Le rythme est progressif et il n'y a pas encore rupture.

Sur le plan de l'aménagement du territoire, le gouvernement renouvelle lors du4e Plan quinquennal 0969-1974) son engagement à réduire les disparités régio­nales. Il identifie les districts sous-développés (backward districts) du point de vuesocio-économique et entreprend d'y encourager les investissements des entreprisespubliques et privées (termes favorables de crédit, réductions fiscales et subventions,etc.).

En plus des mesures incitatives destinées aux entreprises, l'État s'engagependant cette période à améliorer les capacités de développement économique descollectivités locales, notamment par la création des infrastructures. Dans les années1980, dans le cadre des programmes parrainés par la Banque Mondiale, l'accent estmis davantage sur le renforcement des finances municipales afin de les rendre plusautonomes par rapport à leurs administrations de tutelle. Car même lorsque lesfonds publics ne sont pas détournés de leur destination par une administration deplus en plus discréditée par la corruption et le clientélisme, ils se révèlent tropfaibles et trop éparpillés dans l'espace pour avoir un effet sensible sur le dévelop­pement industriel.

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186 PARnE 111- LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Remarquons au passage que l'Inde abrite de nombreuses villes industriellespetites et moyennes situées un peu partout dans le pays. Ce sont des exemples de« développement spontané», qui repose autant sur des facteurs socioculturels ethistoriques qu'économiques. Une configuration courante parmi les cas les plusdynamiques est une spécialisation traditionnelle des entreprises (textiles, cuir,mécanique, vélos, etc.) qui se mécanisent ou se diversifient, souvent à l'aide d'inves­tissements provenant d'une agriculture productive. Dans la plupart des cas, il s'agitd'une dynamique entrepreneuriale locale ou régionale, de petites entreprises,souvent familiales, qui s'appuient sur une main-d'œuvre « flexible» et peu qualifiée(cf. travail informel, ci-dessous).

E - Les temps de la libéralisation

Le premier virage important dans la stratégie indienne du développements'amorce dans les années 1980, avec un desserrement des contrôles sur le secteurprivé et une plus grande ouverture aux échanges. Rajiv Gandhi, qui succéda à samère au poste du Premier ministre, souhaite donner une image moderne à l'Inde etpréparer son entrée dans le XX]e siècle. La libéralisation des importations et desinvestissements privés étrangers vise en premier lieu une amélioration de la compé­titivité de l'industrie indienne et le renouvellement de l'appareil productif. En dépitde sa timidité et de sa remise en cause à la fin de la décennie, cette réorientation sesolde par un taux de croissance plus soutenu pour la décennie (5,5 % en moyenne).La progression du secteur industriel en particulier s'accélère, tirée par une demandeplus importante pour les biens de consommation (automobiles, électroménager,télévisions). Cependant cette croissance s'accompagne d'une détérioration desgrands équilibres: jusque-là peu endettée, l'Inde voit s'enfoncer son déficit budgé­taire ainsi que sa dette extérieure, et l'inflation monte de manière inquiétante pouratteindre 17 % pendant l'été 1991.

C'est alors qu'advient la vraie rupture dans la politique économique. En juin1991 une crise financière sans précédent, aggravée par la guerre du Golfe, obligel'Inde à recourir à des prêts du FMI et à adopter un programme d'ajustementstructurel. En plus d'une stabilisation macro-économique, une série de réformesvise à effectuer une ouverture du pays vis-à-vis de l'économie mondiale. La nouvellepolitique commerciale définit un régime plus libéral: l'augmentation des exporta­tions est un objectif majeur, et diverses incitations sont élaborées à cet effet. Lesimportations sont également libéralisées et les droits de douane diminuent progres­sivement. Cependant l'interdiction d'importer certains biens de consommation(biens électroniques, textiles, produits alimentaires, etc.) est maintenue afin deprotéger la production nationale. Un changement radical est observé dans l'attitudedu gouvernement à l'égard des investisseurs étrangers: le capital étranger seradésormais admis jusqu'à 51 % pour les entreprises mixtes (joint-ventures) et jusqu'à100 % dans certains secteurs priori taires, comme l'énergie, où sont offertes en susd'importantes réductions fiscales.

La nouvelle politique industrielle aussi exprime de nombreux changements quivisent à encourager et à faciliter la participation des entreprises privées. Le secteurprivé peut intervenir désormais dans la plupart des domaines d'activité autrefoisréservés au secteur public comme les mines, l'exploration du pétrole, la productionde l'énergie, et le transport aérien. Les restrictions imposées aux grandes entreprisessur l'expansion productive sont assouplies et les procédures administratives

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 187

simplifiées. Alors que la réservation de certaines activités aux petites entreprises estmaintenue, les autorités se montrent plus laxistes qu'auparavant.

Prises dans leur ensemble, ces réformes marquent un infléchissement en faveurd'une stratégie de croissance par les échanges et par l'ouverture aux investissementsétrangers. La part du commerce international dans le PIB a augmenté de 14 % en1992 à plus de 20 % en 1998. Jusqu'en 1997, la croissance industrielle est relati­vement forte (plus de 7,5 % pendant trois années successives, 1994-1997) etdépasse les taux des années 1980. Cependant les dernières années ont vu un ralen­tissement lié à la fois à l'instabilité politique à partir de 1996 (absence de majoritéparlementaire) et à la conjoncture internationale défavorable. La croissance desexportations par exemple a sensiblement ralenti après une performance remarquableentre 1991-1996 (16 % en moyenne par an).

Sur le plan spatial, les premiers indices suggèrent que les réformes contribuent àun processus de concentration des activités industrielles. Ce sont les régions les plusdéveloppées, par exemple le Maharashtra et le Gujarat, qui attirent le gros desinvestissements étrangers. A l'intérieur des États, les activités tendent aussi à seconcentrer autour de quelques zones, souvent en marge des grandes villes et le longdes principaux axes de communication. Sans que cela soit explicite dans les poli­tiques, force est de constater que J'État ne donne pas au rééquilibrage spatial lamême importance qu'avant. Remarquons cependant que, quelle que soit sa volonté,l'État a une moindre capacité d'influer sur la localisation industrielle dans unrégime économique libéral. Au demeurant, il faut sans doute nuancer les observa­tions sur la période actuelle compte tenu du bilan médiocre de la période précé­dente: en dépit des efforts et de la volonté affichée par les gouvernements successifsde réduire les inégalités régionales, celles-ci n'ont pas cessé de se creuser au fil desannées. Alors qu'en 1960 le revenu par tête de l'État le plus riche était presque troisfois plus élevé que celui de l'État le plus pauvre, ce rapport est aujourd'hui dequatre. Dans la période 1960-1994, non seulement les Etats les plus riches sontrestés les plus riches, mais encore le taux de croissance du revenu par habitant desÉtats les plus pauvres est en dessous de la moyenne nationale.

Un des effets indirects des réformes économiques est l'augmentation relative dela discrétion des États fédérés en matière de développement économique.Jusqu'alors, comme nous l'avons vu plus haut, toutes les décisions d'investissements'acheminaient par les ministères centraux et le gouvernement central était l'uniquearbitre pour les questions de redistribution entre les États. Naturellement les poli­tiques macro-économiques restent l'affaire de New Delhi, mais les États peuventdésormais définir les conditions d'investissement sur leurs territoires au moyen desréductions fiscales et d'autres primes de localisation. Un des résultats est unemontée de la concurrence entre les différents États pour attirer les capitaux. Eneffet, face à un abaissement des investissements publics, qui étaient un facteurmajeur de croissance dans la période précédant les réformes, les États doivent faireleur possible pour accroître J'investissement privé. Le gouvernement du TamilNadu, par exemple, un État relativement industrialisé du sud du pays, a développéces dernières années de nouveaux parcs industriels à une quarantaine de kilomètresde Chennai pour abriter des sociétés multinationales comme Ford, Hyundai, SaintGobain, etc. Ces parcs bénéficient des mêmes subventions et autres mesures favo­rables que dans les districts défavorisés, alors qu'en principe les installations indus­trielles sont exclues dans un périmètre de 50 km des grandes villes!

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188 PARTIE III - LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMI QUE

Carte 15 - L'Inde: les concentrations industriellesen Inde contemporaine

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CNRS - SIS - UMR S664Centre de compétence th6m at ique ' Mo dé llut lon , Analyse apet iala, S IG'

Souroe: ..Ion G.Heuté in Hletorlena &. G'ograpnea na356Source: Beee Mondleh, ESRIIDWC) 1993 en ecerdonnées g'ogrephique.

Mell.ollon M. LEGRAND - F.PIROT

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2 - Les défis de J'industrie: de J'artisanat villageois aux technologies de J'information

11- LES CARACTÉRISTIQUES ACTUELLES DE L'INDUSTRIE INDIENNE

189

L'Inde n'a pas à rougir de ses performances en matière industrielle. A la diffé­rence de bien des pays en développement, sa gamme de production est trèscomplète allant des biens d'équipement aux biens de consommation. En ce quiconcerne les industries de base en particulier (engrais, ciment, machine-outil, etc.),elle les a construites presque de toute pièce depuis 1950. Symbole autant de sonindépendance politique qu'économique, son industrie aéronautique et spatiale estl'égale de celle des pays développés: ses satellites, lancés à partir de ses propresfusées, produisent des images d'une très grande précision. Sa capacité militaire n'estplus à démontrer, comme en rappellent les récents essais nucléaires (premièresexplosions en 1974). Aujourd'hui elle souhaite s'affirmer dans les secteurs depointe, notamment les technologies de l'information, pour lesquels elle dispose denombreux atouts dont en particulier une main-d'œuvre qualifiée et bon marché.

Afin de mieux cerner l'industrie indienne, il convient d'examiner la placequ'elle occupe dans l'économie du pays et ses principales composantes. De même,nous présenterons les diverses catégories d'entreprises et d'emplois qui prévalentdans ce secteur.

A - L'industrie: une part centrale mais décroissante de l'économie

On sait que la population indienne dans sa majorité continue à vivre en milieurural et de dépendre du secteur agricole pour son gagne-pain. En revanche, lacontribution économique de l'agriculture - sa part dans le PIB du pays - ne pèsepas de manière proportionnelle car elle n'est plus que de 25 % environ. En faitdepuis l'Indépendance, sa part est toujours décroissante, passant de plus de 55 % en1950 à 45 % en 1970 et à 30 % à la fin des années 1980. En cela, l'économieindienne suit l'expérience bien connue des économies industrialisées. Plus intensifsen capital, ce sont les secteurs secondaire et tertiaire qui créent davantage derichesses. Cependant, et c'est là une particularité de la trajectoire économique del'Inde, l'industrie n'a jamais atteint les objectifs escomptés, ni en termes deproduction ni en termes d'emploi. Après une progression initiale, - sa contri­bution au PIB double entre 1950 et 1980 (de 15 % à 30 %) -, elle stagne et puiscommence à diminuer au profit des services. De même, l'emploi dans le secteursecondaire est resté bien en deçà des attentes, ne dépassant guère les 15 % de lapopulation active dans le secteur organisé (cf. définitions ci-dessous).

En effet le secteur tertiaire est le plus dynamique des trois secteurs écono­miques : sa contribution au PIB augmente de plus de 8 % par an dans la décennie1990 et représente en 2000 plus de 47 % du total.

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190 PARTIE III - LE DÉVELOPPEMENT ECONOMIQUE

Graphique 8 - PIS par secteurs (1950,1970, 1980, 1990)

1950 1970

Agriculture

57 %

Agr icu ltu re

3 8 %

Industrie

26 %

Industrie

15 %

1980

Public

8 %

Finance

9%

Comm er ce!

transp ort s

11 %

Public

10 %

Finance

9 %

Comm er ce!tr an sp or ts

11 %

Agriculture

44 %

Industrie

24 %

Agri cu lt ure

31 %

Industrie

30 %

1990

Public

10 %

Finance

8%

Commerce!

tr ansport s

11 %

Publ ic

11%

Finance

10 %

Commerce!

tr an sp orts

1 1%

Sources : gra ph. 1. G . Durand-Dast ès (1993). p. 43 ; graph . 2-4 , K.S. Parikh (1999). p. 282.

Tableau 25 - L'évolution de la production industrielle(millions de tonnes sauf indication)

1950 1980 1990 1995C harbon (brut) 33 11 9 225 271Minerai de fer 3 42 54 53Acier laminé 1 7 14 18Aluminium (tonnes) 4000 199000 451 000 479 800Ciment 3 19 49 62Engrais chi mi q ues Négligeable 3 9 10Tissus (mi lliards de rn) 4 8 15 17Mach ines-outils (millions de Rs) 3 1 692 7 731 10238Machines textil es (m illions de Rs) n.d .* 3 027 9 454 n.d.*

W agons (m illiers) 3 14 25 15Véhi cules (camion s, autobus, autos) (milliers) 16 121 366 505Motocyclettes et scoo ters (m illiers) n.d .* 447 1 843 2 195Pompes électr iques (mi lliers) 35 431 519 513Moteurs électric ues (m illions de ch) 0,1 4 6 7Machines à co udre (mi lliers) 33 335 88 99Bicyclettes (millions) 0,1 4 7 9Sucre raffiné 1 5 12 15Pét role brut 0,3 10 33 32Production électrique (mi lliards de kWh) 7 11 9 289 384

* n.d. : donnée non disponibl e .

Source : G. Ëtienn e (1996). p. 92.

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2 - Les défis de l'industrie ; de l'artisanat villageois aux technologies de l'information

Phot o 20 -Travailleurs dans une industrie sucrière(canne à sucre) au Maharashtra

- - - - - - - - -,

..-.,.

191

Les mêmes tendances sont apparentes en ce qui concerne la participation destrois secteurs à l'emploi, à savoir une diminution constante du secteur agricole, uneaugmentation suivie par une diminution du secteur industriel et un accroissementconstant du secteur tertiaire. Parmi les variations dans la participation des hommeset des femmes aux différents secteurs, remarquons la participation supérieure desfemmes à l'agriculture et leur faible présence dans le secteur tertiaire.

Tableau 26 - L'emploi par secteur*et par sexe (%)

Secteur/Sexe 1972-1973 1977-19 78 1983 1987-1988 1993-1934Populati on active totale

1. Agriculture 74 71 69 65 65

2. Industrie Il 13 14 16 15

3. Services 15 16 18 19 20

Hommes

1. Agriculture 69 66 63 59 58

2. Industrie 13 14 16 17 16

3. Services 18 20 22 24 25

Femmes--

1. Agriculture 84 82 81 78 78

2. Industrie 8 10 10 13 Il

3. Services 8 9 8 10 Il

* Le secteur indust riel comprend les sous-secteurs suivants; activités minières, de construction, fournitureélectricité, gaz et eau, et manufacture. Le commerce et les transports sont inclus dans le secteur des services.Source : adapt é de K.S. Parikh (1999), p. 293, de T.S. Papola et A.N. Sharma (1998), Gender and Employment inIndia .

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192 PARTIE 1/1- LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

B - Les types d'activités et la taille des entreprises

L'industrie indienne revêt des caractéristiques contrastées: elle est constituée àla fois d'un secteur « traditionnel », important par le nombre de personnes qu'ilemploie, et d'un secteur « moderne », voire de pointe, qui participe aux échangesinternationaux. Afin de prendre connaissance des poids relatifs de ces différentssecteurs industriels, mais aussi des entreprises qui les constituent, nous sommesamenés à employer diverses mesures et représentations. En effet de nombreusescatégories sont employées pour analyser l'industrie indienne, catégories qui sechevauchent et se contredisent souvent. Quelques définitions s'imposent.

Les termes « traditionnel» et « moderne» font référence principalement auxtechniques utilisées dans les processus de production. Les activités traditionnellesemploient des techniques intensives en travail, manuelles ou très peu mécanisées, etconsistent souvent en des activités de transformation des matières premières. Àl'inverse, le secteur moderne emploie des techniques plus intensives en capital et secaractérise par les procédés plus complexes de production. Notons que ces termesne désignent donc pas a priori des biens particuliers: les textiles sont fabriquésautant au moyen des métiers manuels dans le secteur traditionnel que par lesmétiers mécanisés ou semi-aurornatiques dans le secteur moderne. Alors que lesactivités dites traditionnelles sont souvent présentes dans les villages et que l'onassocie les activités modernes à la ville, la réalité offre une image plus nuancéecomme la discussion sur le secteur informel ci-dessous le montre.

Le tableau suivant de source gouvernementale, qui reprend ces catégories,esquisse quelques-unes des caractéristiques principales de la petite industrieindienne. II illustre le poids social et économique des petites entreprises indus­trielles, un héritage historique qui s'est renforcé dans les cinquantes dernièresannées.

Tableau 27 - Caractéristiques de la petite industrie en Inde

1 1. II. III.Critère Secteur « moderne» Secteur « traditionnel »

2 Nombre d'unités enregistrées 2 352 000 n.d."Nombre d'unités non enregistrées 662000 n.d."(estimé) (1998-1999)

3 Emploi: nombre de personnes 20500000 35700000(1997-1998)

4 La part dans la production 40 % n.d.manufacturière (1998-1999)

5 La part dans le total des exportations 39 % 26 %(1998-1999)

6

1

Localisation 42 % rural48 % urbain n.d."

i 10 % métropoles

* n.d, : donnée non disponible.

Source: Kennedy. 2001 à partir des données du Gouvernement indien (1999). Smalf Scale Seaor, By You. ForYou, With You, Development Commissioner 551, Dept. of 551. 1999. et de la SIDBI,Annuol Report 1998-/999.

La taille de l'entreprise entre également dans la définition des catégories carseules les entreprises employant au moins 20 ouvriers, ou 10 ouvriers si ellesutilisent une source d'énergie, sont obligées de se déclarer aux autorités. Elles sont

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 193

assimilées alors au secteur organisé, qui regroupe notamment les moyennes etgrandes entreprises des secteurs public et privé et comprend les activités telles queles chemins de fer, ports et aéroports, électricité, mines et sidérurgie, etc. Les entre­prises du secteur organisé sont régies - en principe au moins - par la législation,dont les lois sociales qui offrent aux travailleurs sécurité et protecrionl. Toutefoisces lois sont rigides et coercitives- et sont tenues comme responsables de la faibleproductivité et de la stagnation de l'emploi dans le secteur organisé. Les autresentreprises, celles qui ne sont pas enregistrées auprès du gouvernement, constituentde fàcto le secteur inorganisé (unorganized sector), pour lequel il n'existe pas dedonnées fiables. Or ce secteur, souvent confondu en Inde avec le secteur informel,est loin d'être marginal car il contribue de manière très importante à l'emploi et à laproduction du pays.

Tableau 28 - Emploi et contribution au PNBdans les secteurs organisé et inorganisé en Inde (1981 et 1991)

Emploi 1981 1991 Tx de croissance(l00 000) moyenne annuel

entre 1981-1991

Total 2207 (l00 %) 2 790 (100 %) 2,3Secteur inorganisé 1919 (87 %) 2 522 (90 %) 2,7Secteur organisé 228 (la %) 267 (la %) 1,6Public 155 (7 %) 190 (7 %) 2,1Privé 74 (3 %) 76 (3 %) 0,4

PNB (la millions Rs 1981 1991 Tx de croissance

aux prix de 1980-1981) 1981-1991Toral 110 340 (100 %) 187 876 (l00 %) 5,3Secteur inorganisé 77267 (70 %) 119 656 (64 %) 4,4

Secteur organisé 33 073 (30 %) 63 331 (33,7 %) 6,5Public 19276 (17,5 %) 40 231 (21,4 %) 7,4Privé 13797 (12,5 %) 23 100 (12,3 %) 5,2

Sources: recensements, 1981 et 1991 ; National Accourus Statlstics.

C - Le travail informel- M.-C. SAGLIO-YATZIMIRSKY

Une des caractéristiques de l'économie indienne est l'importance de son secteurinformel, caractéristique qu'elle partage avec les pays en développement. Sous ceterme imprécis, se profile un monde du travail né avec l'industrialisation et del'urbanisation rapide, qui rassemble les petits métiers, les unités familiales, lesminuscules ateliers et les commerces de rue. Alors que les grandes industries et lesecteur public embauchent de moins en moins, le secteur informel n'a cessé degrandir depuis les années 1960, en particulier avec la sous-traitance. Il rassemble àla fois des activités agricoles et non agricoles (construction; industries métalliques,

1. Dans les faits, la législation sur le travail industriel n'est appliquée de façon systématique que dans la fonctionpublique et au sein des grandes entreprises. Les lois sur les salaires minima, par exemple, ne sont guère respectées.

2. Les lois sur le licenciement exigent des autorisations gouvernememales, des préavis et des compensationsimportantes, le système de salaire est sans lien avec les performances individuelles ou de l'entreprise, le système depromotion est basé sur "ancienneté. Ces lois, ainsi qu'une syndicalisation parfois importante, sont citées comme desobstacles à la rationalisation de l'emploi et de la production.

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194 PARTIE III - LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

mécaniques et électriques j textile, habillement et cuir; bois j services - barbiers,cordonniers, petits réparateurs, vendeurs de beignets ou de fruits, portefaix etcharretiers, etc.), qui ne sont pas enregistrées administrativement.

Cette catégorie nébuleuse concerne donc quasiment tous les secteurs d'activitéset propose des formes de travail non salarié (auto-emplois, apprentis, aidesfamiliaux) et salarié informel (travailleurs embauchés sans contrat, payés à la pièce, àla tâche ou au pourcentage). Il s'agi t de petits ateliers souvent familiaux où le droitdu travail ne prévaut pas, où il n'y a pas de comptabilité, pas d'impôt sur lessociétés et où les transactions entre acteurs économiques se font sans contrat àvaleur juridique. Plus que la taille des entreprises, c'est la précarité du travail etl'absence de protection sociale qui sont ses principales caractéristiques.

Le secteur informel se définit donc selon plusieurs critères -la petite taille, lafaible capitalisation, et l'absence de lois du travail - qui , parce qu'ils ne serecoupent pas complètement, rendent son appréhension difficile.

Photo 21 - Travailleur du Bihar dans un atelier informelde fabrication de chaussures à Dharavi, bidonville de Mumbai

© M.-C. Saglio-Yauimirsky

1 - L'explosion du secteur informel à partir des années 1960

Le secteur informel s'est développé intensément en Inde depuis les années1960. Dans un contexte d'industrialisation et d'urbanisation rapides, les migrants,poussés par le sous-emploi rural, ont été attirés par un secteur fortement demandeurde travail, avec peu de barrières à l'entrée. Le secteur formel ou protégé, grandutilisateur de capital, s'est montré incapable d'absorber cette masse de main­d'œuvre. Sur un marché où l'offre de travail est supérieure à la demande, l'emploi

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 195

d'une main-d'œuvre intensive à bas prix se généralise. Le secteur informel n'a donccessé de croître et, loin de constituer le phénomène transitoire qu'on attendait, il agrandi en interdépendance avec le secteur organisé.

Si au départ le secteur informel a pu apparaître comme un signe de dynamismeéconomique et d'esprit d'entreprise, son expansion a rapidement tempéré l'enthou­siasme initial. Elle est en effet le résultat de la démultiplication des petites unités etde formes de sous-traitance. Le développement du secteur informel correspondd'une part à un éclatement des entreprises en une multitude d'ateliers comprenantun faible nombre de travailleurs pour des tâches extrêmement peu mécanisées. Lesentreprises choisissent de ne pas regrouper leurs travailleurs sous un même toit etsous une même entité juridique parce qu'elles y trouvent les avantages de l'absencede conflits sociaux, d'une main-d'œuvre flexible payée à la tâche, d'un coût salarialhoraire limité au strict minimum grâce à un marché du travail surabondant dans lesbidonvilles. Certains ateliers sont des « stoeat shops » (ateliers de la sueur),embauchant des migrants dans des conditions très précaires.

Décadence de l'usine, multiplication des ateliers

Le développement d'un faubourg industrielde Calcutta, Altadiga, estsignificatifdela démultiplication despetits ateliers. Outre les anciennes activités de minoterie et demétallurgie implantées depuis leXIXe siècle, depetitesentreprises travaillantlapierre, lebois, le métal, le verre et le caoutchouc sesontinstallées dans les années 1950, alimentéespar les migrants venusdu Pakistan orientalaprès lapartition de 1947-

Il Lesannées 1965-1975 vont être capitales pour l'avenirdu quartier. Les usines deboisdéroulé vont passer en grandnombre aux mains des marchands venus du Pakistanoriental. Ifs vont réduire la taille des entreprises afin defaire sortirla main-d'œuvreduchampdes contrôles gouvernementaux. Quelques plusgrandes entreprises vont cependantémerger, dans lesquelles uneproportion notable des pluspetits ateliers setrouvera obligéede sous-traiter { . .}. Un flux accru de migrants venus de laplaine gangétique est venucompenser le tarissement de la marée des réfugiés. Les bras disponibles continuent às'accumuler dans les bidonvilles. Deux grandes minoteries vontfermer. Auprèsde leursanciennes installations, se développe un tissu dense de petits ateliers produisant deséléments de batterie au plomb, des produits textiles et des pièces pour l'industrie. Lesbatteries sefabriquent dansde très petits ateliers, hyper-spécialisés, qui sontdominés pardegrandsmarchands ou des entreprises deplusgrande taille. Destravailleurs à domicilefabriquent des composants de ces produits [.. .} »,

Heuzé, G., Pour une nouvelle compréhension des faits et des hommes du secteurnon structuré, Éditionsde l'OR5TOM, 1992, p. 92.

D'autre part, le développement de la sous-traitance s'est accéléré dans les années1960, en particulier dans les grandes villes indiennes, comme Mumbai et Calcutta.La sous-traitance permet aux entreprises d'augmenter leur flexibilité et d'absorberles fluctuations du marché en faisant faire des commandes qui dépassent lescapacités de production. La prolifération des petits ateliers de toute sorte a permis àde grosses entreprises d'externaliser une partie de leur production et de bénéficierainsi de faibles coûts de production sans être employeur direct.

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196 PARTIEIII - LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Sous-traitance avec la grande industrie privée

Exemple d'Ambarnatb, localité située à une cinquantaine de kilomètres de Mumbai,zone industrielle récente où une demi-douzaine d'entreprises publiques et privéesemploientplus d'un millier de salariés.

« Les grandes usines chimiques font sous-traiter quelques opérations, telles quel'empaquetage, dans des moyennes et surtout despetites entreprises [.. .]. Les très grossesentreprisessemblent préférer sous-traiter avec lespetites unités lesplus mal équipées, oùles salairessont très bas, comme si cette sous-traitance était d'abord un moyen d'écono­miser sur les coûts de main-d'œuvre { . .]. Un homme seul manipule des acides dans unecabane de bois pour le compte de M . . . Les grands entrepreneurs seplaignent pourtantdu caractèreerratique desprestations fournies par lespetites entreprises et ils disent êtreprêts à leur donner plus de commandes à condition qu'elle veulent bien s'équiper.

A côté de cette sous-traitance directement liée à la production des usines de chimie,l'ensemble desgrandes entreprisesutilise les services despetites entreprisespour réparer lespièces, assurer le gardiennage, la construction, la manutention, la gestion de la cantine,le nettoyage et l'entretien des abords. Ces "entreprises"se réduisent à un recrutement demain-d'œuvre et son équipe de journaliers. . . »

Heuzë, G., op. cit. p. 82.

Les réflexions sur la segmentation du marché du travail aboutissent ainsi à lathèse dualiste selon laquelle il existerait un secteur protégé où les salariés bénéficientd'une couverture et d'avantages sociaux et où s'applique une législation du salaireminimum et un secteur informel non protégé. Mais ce tableau d'un dualisme del'économie indienne occulte l'interdépendance profonde entre les deux secteurs: lesecteur informel constitue une réserve de main-d'œuvre pour le secteur protégé et ilconstitue une base de production à petite échelle importante pour l'économienationale.

2 - Les mesures de la contribution du secteur informel à l'économie indienne

Pour estimer la contribution à l'emploi, on soustrait du chiffre de la populationactive, obtenu par le recensement, le nombre des employés dans le secteur organisé.En 1993-1994, sur une population active dans le secteur informel totale estimée à364 millions de personnes, 257 millions travailleraient dans l'agriculture,107 millions dans l'industrie et les services, répartis en 38 millions dans les activitésmanufacturières, 26 millions dans le commerce et la restauration, 14 millions dansles services (éducation et santé, tailleur, barbier, coiffeur...), 11 millions dans laconstruction, et 7 millions dans les transports.

Pour la contribution au PNB, la méthode de calcul retenue multiplie le nombrede travailleurs informels par la valeur ajoutée estimée de chaque activité. Là aussi,les limites de ces statistiques résident dans des informations imprécises: rappelonsque les unités du secteur informel ne tiennent pas leur comptabilité. En 1996-1997,la contribution du secteur informel dans le PNB indien est estimée à environ 60 %,ce qui est considérable. Cette proportion varie beaucoup selon les secteursd'activités: le travail informel contribue à 95 % au produit agricole, à 33 % à laproduction manufacturière, à 45 % au secteur de la construction, à 85 % à celui ducommerce et de l'hôtellerie, à 51 % à celui du transport.

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 197

o - Les aides publiques aux petites industries

Comme nous l'avons vu plus haut, le gouvernement développe depuislongtemps des politiques de soutien et de protection à l'égard des petites industries(Small-Scale Industries, 55!). Ce secteur est défini par le montant de l'investissementinitial, dont le plafond est fixé aujourd'hui à 1,6 millions F environ(10 millions Rs). Ce plafond fait l'objet de redéfinitions fréquentes, d'habitude à lahausse, ce qui ouvre les aides aux actifs industriels plus conséquents. Les aides,attribuées uniquement aux entreprises enregistrées auprès du gouvernement,comprennent par exemple des conditions d'emprunt attractives et des coûts réduitspour l'énergie et l'eau. On observe cependant que ces mesures ont des effetspervers: elles contribuent à la prolifération de petites unités puisqu'elles incitent lesgrosses entreprises à se scinder en multiples unités afin de bénéficier de ces aides.Malgré les incitations du gouvernement central pour le passage du secteur informelau statut de 551, le secteur informel ne cesse de se développer. La volontéd'échapper à toute loi sociale resterait donc prépondérante par rapport aux soutiensfinanciers pour investir.

Aujourd'hui, dans un contexte de libéralisation, les mesures de protection àl'égard de la petite industrie sont remises en cause et un autre type d'approches'esquisse, destinée à renforcer la compétitivité des entreprises privées les plusperformantes. Il s'inspire de la notion de « spécialisation flexible» et des modèlesdécentralisés de production revenus à la mode comme les districts industriels, lessystèmes productifs locaux, etc., qui reposent sur un tissu de PMI. Le granddynamisme et surtout la compétitivité dont ces configurations ont fait preuve lesfont apparaître comme un atout important par rapport aux exigences de la mondia­lisation. En effet, plusieurs organismes internationaux (ONUDI, CNUCED)cherchent à appliquer aux pays moins développés les enseignements principaux deces modèles dont les exemples les plus réussis se situent en Europe et en Amériquedu Nord. L'Inde souhaite appuyer ses districts industriels existants et profiter ainsid'une configuration assez courante dans de nombreuses régions (même s'ils neremplissent pas tous les critères du district classique) où elle correspond à desspécialisations manufacturières souvent en rapport avec une tradition artisanale(textiles, chaussures, ingénierie, etc.).

Cependant il apparaît en Inde d'importantes limitations par rapport à cesmodèles: une première est en rapport avec le degré d'équipement technique desentreprises. En effet, la flexibilité dans la production, la possibilité de produire enpetite série, rapidement et en assurant une très bonne qualité, sont des capacités quireposent sur un équipement très performant. Une seconde limitation de taille portesur les conditions du travail en Inde. Les PMI performantes se caractérisent parl'innovation technique constante de la part d'une main-d'œuvre qualifiée. En Indela distance sociale séparant la direction et les ouvriers, un legs de l'histoire sociale,constitue un obstacle parmi d'autres à la mise en place d'une ambiance propice àl'apprentissage et à l'échange des idées au sein de l'entreprise. Enfin, l'hétérogénéitédes entreprises dans des districts indiens en termes de taille, de technologies et demarchés finaux, peut limiter leur potentiel de développement.

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198 PARTIE 111- LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

E - Les exportations: l'importance des produits manufacturés

Ayant radicalement modifié sa stratégie de développement depuis une décennieenviron en faveur d'une ouverture économique, l'Inde cherche désormais à stimulerla croissance par l'augmentation de ses exportations. Or cette stratégie est d'autantplus difficile à réaliser qu'elle a fait le tour de la planète, comme composantecentrale de l'orthodoxie libérale, si bien que la production indienne rencontre unerude concurrence sur les marchés internationaux. Elle rentre en compétition avec laChine et les pays de l'Asie du Sud-Est en particulier sur de nombreux créneauxdont les industries légères où ces pays bénéficient d'avancées considérables.Rappelons que la Chine a adopté dès 1978 une politique de croissance par lesexportations et que les pays comme Taiwan et la Thaïlande propulsent leurséconomies depuis plusieurs décennies déjà avec des recettes de l'exportation.

Certes, l'Inde jouit de certains avantages comparatifs, comme une main­d'œuvre abondante et bon marché, des ressources agricoles et minérales considé­rables, et une tradition entrepreneuriale et commerciale séculaire. En revanche, ellebute sur de nombreux écueils: d'une part, les réformes restent pour le momentpartielles et des obstacles au commerce persistent (tarifs - encore assez élevés parrapport aux normes internationales -, lourdeurs administratives, etc.). D'autrepart, et nous y reviendrons plus loin, les limites des infrastructures, en quantité eten qualité, constituent sans doute le frein le plus important à la croissance et auxexportations. Les entreprises indiennes, grandes et petites, sont pénalisées par lesgoulots d'étranglement à toutes les étapes de la production et de la distribution, cequi entraîne des coûts qui enrayent davantage leur compétitivité. De plus, et endépit d'une certaine normalisation des standards de production et des pratiques degestion véhiculée par la mondialisation, les producteurs indiens continuent àsouffrir d'une réputation de manque de fiabilité dans les affaires. Surtout les petitesentreprises, qui pèsent très lourd dans la production nationale, n'ont pas su semettre à la hauteur des exigences actuelles en matière de qualité et de vitesse dans laréalisation des commandes. En conséquence elles ont du mal à maintenir leurs partsdu marché ou à percer dans certains marchés, a fortiori dans les segments à hautevaleur ajoutée.

Malgré ces difficultés et le ralentissement de la demande mondiale à la fin desannées 1990, les exportations indiennes ont enregistré pendant la dernière décennieune croissance respectable de l'ordre de 13 % par an. Cependant cette stratégie n'enest qu'à ses débuts, et la part de l'Inde dans les échanges mondiaux représentemoins de 1 % du total.

Ses principaux partenaires commerciaux sont les États-Unis, qui achètent à euxseuls environ 20 % du total des exportations indiennes. Cependant, lorsque l'onraisonne en termes de régions et non pas de pays, c'est l'Asie qui est le premierclient et le premier fournisseur de l'Inde (38 % et 49 % du total respectivement en1995). Notons que le pétrole, fourni par les pays du Moyen-Orient, constitueenviron un cinquième des importations. Après l'Asie, l'Union européenne est lepartenaire le plus important de l'Inde (voir tableau 29).

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information

L'Inde dans le commerce international- M.-C. SAGUO-YATZIMIRSKY

L'Inde dans ['OMC

L'Inde est membre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, 1947) etde l'organisation qui lui a succédé après l'Uruguay Round en 1995, l'OMC{Organisation Mondiale du Commerce, en anglais, World Trade Organization(WTO)), dont le but est de faciliter leséchanges entre les 132 pays qui la composent.

Les décisions de l'OMC ont mené l'Inde à démanteler ses barrières non tarifaires, àréduire considérablement ses droits de douanes à 30 % en moyenne et à ouvrir sonmarché aux sociétés étrangères. Le 31 mars 2001, l'Inde a ainsi levé les dernièresrestrictions quantitatives aux importations de produits de consommation courante.

Parmi les enjeux des discussions de l'OMC sont la réduction des subventions àl'agriculture, la réduction des tarifi douaniers industriels et les mesuresanti-dumping.Dans les négociations sur son agriculture, l'Inde se dit avant tout préoccupée de sasécuritéalimentaire et de la protection de sesvariétésagricoles.

La troisième conférence ministérielle de l'OMC qui a eu lieu à Seattle en novembre1999 a révélé d'importants sujets de discorde entre lespays en développement et lespaysindustrialisés. Ces derniers accusent l'Inde de dumping et exigent le respect des normesinternationales sur le travail et l'environnement, considérations que l'Inde refùse demêler aux discussions commerciales, suspectant les États-Unis de protectionnisme larvé.De son côté, l'Inde accuse lespays industrialisés de multiplier les obstacles à l'ouverturede leur marché du textile et du cuir, où ellepossèdeun important avantage comparatif

Si l'Inde subventionne encore largement son agriculture, si elle oppose des entravestechniques (contrôles, permis sanitaires, conformités aux normes indiennes d'étiquetage,etc.) et bureaucratiques aux exportateurs ou firmes étrangères voulant y investir, si lafiscalité demeure élevée, elle n'en est pas moins engagée dans l'ouverture au commerceinternational.

L'Inde dans la SAARC

Par ailleurs, l'Inde est membre de la SMRC (South Asia Association for RegionalCooperation), association régionalede coopération qui rassemble depuis 1985 les 7 paysd'Asie du Sud (Inde, Bangladesh, Pakistan, Maldives, Bhoutan, Sri Lanka, Népal). Sesprogrammes portent sur des projets de développement au sens large qui concernent lemonde rural, les télécommunications et la technologie, les transports et les infra­structures, la santé, l'art et la culture. Par exemple, la SMRC coopère depuis 1987 dansl'organisation de la sécurité alimentaire (SMRC Food Security Reserve), ellea signé uneConvention sur les narcotiques et les drogues en 1990 et elle a proposé en 1991 unecommission de lutte contre la pauvreté. Du point de vue économique stricto sensu, laSMRC a institué un système préférentiel dans le commerce entre ses membres(Prefèrential Trading Arrangement).

Toutefois la SMRC est une organisation qui souffre de limites structurelles: ellerassemblede petits partenaires économiques dominés par l'Inde qui représente les troisquarts de la population et du PNB régional, d'une part; elle est viciéepar lesdifférendspolitiques entre ses membres (Pakistan-Inde, Sri Lanka-Inde), d'autre part.

199

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200 PARTIE III-LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Tableau 29 - Partenaires commerciaux (répartition en %)

Principauxpaysfournisseurs 1950 1980 1995 Principaux paysclients 1950 1980 1995Afrique 13 2 3 Afrique 10 5 2Amérique 23 15 14 Amérique 25 13 21

dont les États-Unis 18 12 10 dont les États-Unis 18 11 19Asie, Océanie 31 46 49 Asie, Océanie 32 35 38

dont Moyen-Orient 10 23 21 dont Moyen-Orient 5 11 9Japon 2 6 7 Japon 2 9 8Australie 5 1 3 Australie 5 1 1

URSS/Russie, Europe de l'Est 1 10 2 URSS/Russie, Europe de l'Est 1 22 4Union européenne 32 20 25 Union européenne 32 21 27

dont Royaume-Uni 21 6 5 dont Royaume-Uni 22 6 6Allemagne 2 6 8 Allemagne 2 6 7France 2 2 2 France 1 2 2

Source: G. Étienne, L'Économie de l'Inde. /996, p. 57.

Mesurés en termes de valeur, les produits manufacturés constituent les troisquarts des exportations. Pour l'année 1997-1998, l'on trouve en tête de liste lespierres taillées (15 %), suivies par la confection et les textiles (environ 10 %chacun), les produits pharmaceutiques (4 %), les métaux, les machines, le cuir,l'artisanat (environ 3 % chacun), et les produits électroniques (2 %). La forteproportion de produits manufacturés par rapport aux produits agricoles (environ20 % du total) et aux minéraux (3 %) témoigne de la maturité industrielle del'économie indienne. Remarquons qu'il s'agit ici du commerce des biens.Aujourd'hui les services, dont le génie logiciel et le tourisme, commencent à peserde plus en plus lourd dans les recettes des exportations. Le tableau suivant montrel'évolution du commerce extérieur indien, de 1965 à 1990.

Tableau 30 - Les grandes lignes de l'évolution du commerce extérieur (%)

Exportations 1965 1990 Importations 1965 1990Produits agricoles 28 14 Produits agricoles et aliments 28 2Minerai de fer 5 3 Machines et biens d'équipement 35 24Produits de l'industrie métallurgique 2 10 Pétrole et produits pétroliers 2 16Produits chimiques 1 7 Fer et acier 7 7Textiles (tissus) 30 6 Produits pharmaceutiques 1 1Confection et cuirs 1 17 Engrais 3 5Pierres taillées 3 20 Produits chimiques 2 6Autres 29 22 Autres 21 39

Source: F. Durand-Dastès (1993), p. 24.

F - Le poids des spécialisations traditionnelles

Les activités manufacturières reposent souvent sur des spécialisations tradi­tionnelles telles que le tissage, l'artisanat ou le cuir. Tiruppur au Tamil Nadu etLudhiana au Penjab sont deux centres de textiles anciens qui ont réussi à moder­niser leur appareil productif et à s'imposer dans des marchés à l'exportation. Enremontant la filière, Ludhiana s'est mis à produire les machines pour l'industrietextile, valorisant ainsi les ressources locales dans les domaines du travail du métal.

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2 - Les défis de l'industrie; de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 201

Le plus souvent la base de ces industries est constituée d'un maillage de petitesunités travaillant en sous-traitance, ce qui donne une grande souplesse à laproduction, souplesse achetée, comme nous l'avons vu plus haut, au prix d'unegrande précarité du travail. Un zoom sur un des premiers centres de l'industrie ducuir, sa trajectoire et son organisation, permet d'illustrer un certain nombre decaractéristiques. Remarquons en particulier le rôle important qu'ont joué lespolitiques publiques dans son développement et sur son organisation.

Les tanneries de la vallée de la Palar

L'industrie indienne du cuir est tournée vers l'exportation depuis son développementau siècle dernier, une orientation que le gouvernement chercheexplicitement à appuyer.Bien que le tannage et la manufacture de chaussures soient des activités réservées auxpetites industries, les grandes entreprises qui exportent la majorité de leur productionsont autorisées à y investir.

Un des premiers centres de production indiens est situé au pays tamoul, à unecentaine de kilomètres à l'ouest de Cbennai (ex-Madras), dans la vallée de la Palar. Lagrande majorité des quelques 800 tanneries sont despetites entreprises. Or en dépit decette configuration décentralisée et même rurale, ellesfabriquent environ 45 % de laproduction totale du cuir de l'Inde. Les tanneries sont géographiquement concentrées, en« grappes JI, dans plusieurs petites villes. Alors que l'on peut difficilement qualifier cestanneries d'usines modernes, elles ne sont pas non plus artisanales. Certaines étapes deproduction sont mécaniséeset le chrome a remplacé les tanins végétaux dans la majoritédes tanneries, ce qui permet un tannage plus rapide et plus régulier. Cette moderni­sation, qui eut lieu avec des capitaux locaux pour la plupart, fut impulsée par lespolitiques publiques.

En 1973 le gouvernement décida d'interdire l'exportation despeaux crueset du cuirsemi-fini, en vue d'augmenter la valeur ajoutée dans le pays. Il développe un grandnombre de mesures incitatives pour promouvoir les exportations du cuir fini et surtoutdes articles de cuir (chaussures, vêtements). Cespolitiques ont largement atteint leur butcomme le montre le tableau: en 20 ans la composition des exportations a radicalementévolué en faveur des articles manufacturés.

Exportations du cuir {1976-1996} (pourcentage dans le total des exportations")

Année Cuir semi-fini Cuirfini Articlesde cuir (chaussures, vêtements, etc.)

1976-1977 47 36 161977-1978 40 40 211978-1979 29 51 201979-1980 20 60 201980-1981 13 57 301981-1982 12 52 371982-1983 14 50 371983-1984 12 45 431984-1985 8 53 401985-1986 7 44 491986-1987 6 43 521987-1988 6 39 541988-1989 3 40 56

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202

Annie

1989-19901990-19911991-19921992-19931993-19941994-19951995-1996

Cuir semi-fini Cuirfini

1 34312322212522

PARTIE III - LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Articles de cuir (chaussures, vêtements, etc.)

6468777780

7579

* Le totalpour chaque annéepeut nepas êtreégalà 100 % carles chiffres ont étéarrondis.Source:calculé à partir desdonnées de la DGCfS, Calcutta MarketResearch Unit, CIE, Cbennai.

Pour augmenter la valeur ajoutée il faut s'équiper, y compris de machines importéesafin de remplir les spécifications des contrats en provenance de l'étranger, et ce ne sontdonc que des grandes firmes, peu nombreuses, qui sont en mesure de le faire. Voici unedes contradictions de cettepolitique visant à augmenter la valeur des exportations dansun secteurd'activité qui estpar ailleurs « protégé » contre la « grande industrie ».

Les tanneries du pays tamoul en particulier furent très durement frappées par cettepolitique car elles se sont spécialisées depuis plus d'un siècledans la fabrication du cuirsemi-fini. Petit à petit, en suivant le modèle de quelques entreprises leaders, l'industries'adapta et apprit lefinissage, beaucoup plus intensifen capital que la transformation debase car il requiert l'usagede machines spécialisées. Certainesentreprises, y compris dansla vallée de la P'alar, se sont intégrées verticalement, c'est-à-dire qu'elles réalisent toutesles étapes de production, de la tannerie jusqu'à la fabrication de chaussures ou devêtements. Ainsi coexistent petites et grandes entreprises au sein de chaque grappe. Lespetites, qui sont en grande majorité, travaillent en sous-traitance pour des plus grossestanneries ou pour des marchands de cuir, du moins une partie du temps. Ellespeuventaussi travailler à leur propre compte, mais cela dépend, entre autres, du marché pour lesmatièrespremières, lespeaux, dont lesprix sont fluctuants et saisonniers.

Dans l'industrie du cuir, tout comme pour les textiles et d'autres activités manufac­turières, les intrants peuvent constituer plus de la moitié du prix final. Or, lespetitesentreprises ont du mal à avoir des crédits bancaires et éprouvent donc des difficultés pours'approvisionner. La tendance est donc que lespetites entreprises, à plus faible pouvoird'achat, se retrouvent avec les dernières qualités de peaux, qui se revendent à des prixproportionnellement moins élevés.

Comme la quasi-totalité des industries en Inde, l'industrie du cuir puise sa compéti­tivité dans une organisation décentralisée de laproduction. La sous-traitance représentedes avantages de souplesse évidents, surtout en ce qui concerne la gestion du travail. Alorsque cette forme d'organisation se caractérise par la dépendance de la part des petitsproducteurs des ordres en provenance d'une entreprise externe, elle regroupe en fait dessituations très diverses. C'est ainsi que pour les petites tanneries de la Palar, on peutparler de dépendance et aussi d'interdépendance. Les petits tanneurs admettent que lasous-traitance leur procure certains avantages, notamment une réduction des risques àdes moments creux de la saison ou lors des fluctuations dans le marché. Leurs 1

connaissances des nouvelles techniques et des conditions du marchéproviennent de leurséchanges avec les entreprises qui sont plus directement en contact avec les clientsinternationaux, ce qui leur permet d'améliorer leur propre baseproductive.

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 203

G - De nouvelles activités industrielles

La taille de pierres précieuses est un exemple d'une activité récente. C'est àpartir des années 1980 seulement que l'industrie du diamant, comme on l'appelle,prit son essor et devint rapidement un des premiers postes de l'exportation.Précisons qu'il s'agit plutôt des réexportations: les pierres précieuses et semi­précieuses, qui sont taillées dans une multitude de petits ateliers, sont en large partieimportées d'autres régions du monde. Concentrée dans l'Ouest du pays autour dela ville de Surat au Gujarat, cette activité nourrit une migration importanteL'émergence de nouvelles spécialisations régionales témoigne de la dynamique decertaines régions et de leur capacité à mobiliser des ressources et des réseaux.

Un autre domaine est en pleine effervescence depuis une dizaine d'annéesseulement: l'industrie automobile. La production (tous véhicules et composants)est passée de 2,8 % du PIB en 1992-1993 à 4,4 % en 1997-1998, à un moment oùle PIB lui-même était en forte croissance. Plus de 600 000 voitures particulières ontété produites en 1999-2000. C'est l'arrivée massive des constructeurs interna­tionaux, autorisée au lendemain de la libéralisation, qui modifie le paysage. Jusque­là le marché pour les automobiles était protégé et la production nationale fortementtaxée car la voiture particulière était considérée comme un bien de luxe. Une seuleentreprise, Maruti, joint-venture entre le gouvernement indien et Suzuki, dominaitle marché (80 % des ventes à la fin des années 1980) et n'arrivait pas à satisfaire lademande.

Tableau 31 - La progression du nombre de véhicules

1950-1951 1980-1981 1992-1993Camions et autobus 116 000 701000 1 980 000Tous les véhicules, y compris motos 306 000 5336 000 25300 000

Source: G. Étienne (1996). p. 109.

A partir de 1993, intéressées surtout par le marché intérieur, 19 sociétésétrangères ont investi en Inde pour environ 3 milliards $ dont Daewoo, GeneralMotors, Mercedes Benz, Ford, Hyundai. De nombreux modèles sont désormaisdisponibles et les ventes augmentent rapidement (plus de 20 % par an entre 1992­1997 par rapport à 13 % entre 1984-1991 et seulement 1,5 % entre 1972-1983).Ceci étant, le risque de surproduction est réel car les voitures particulières restenttrès chères. C'est surtout dans les très grandes villes que les nouveaux modèles ontfait une percée.

L'impact du développement de cette industrie sur l'économie indienne resteambigu: elle crée de nouveaux emplois et ouvre des opportunités pour les PMIindiennes, notamment pour les composants, à condition qu'elles puissent remplirles critères très stricts. En revanche, les assembleurs nationaux semblent en passe deperdre leurs intérêts dans ce secteur: depuis quelques années en effet, on remarqueune tendance à l'absorption du partenaire indien par la société étrangère, uneévolution observée également dans d'autres secteurs de l'économie.

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204 PARTIE111-LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

H - Les sirènes du Software: l'attraction des nouvelles technologiesde J'information

L'Inde ne se contente plus d'axer sa stratégie de développement industriel surles activités classiques, mais aspire à participer à la nouvelle économie. Elle a prisconscience des opportunités ouvertes par la mondialisation et par les nouvellestechnologies de l'information en particulier. Pour les saisir, elle cherche à s'appuyersur ses avantages comparatifs, à commencer par un réservoir d'ingénieurs et descientifiques parmi le plus important du monde. Une main-d'œuvre qualifiée,maîtrisant l'anglais, et beaucoup moins chère qu'en Occident fait de l'Inde une despremières destinations des investissements internationaux dans l'industrie informa­tique, notamment dans les domaines les plus gourmands en compétence pointue,comme le génie logiciel. Désormais tous les grands noms de l'informatique sontprésents en Inde (Microsoft, IBM, ... ). Certains, comme Infosys et Wipro en sontoriginaires. Cette activité croît d'environ 50 % par an et les exportationscommencent même à peser dans le commerce international des services d'ingénierieinformatique, soit 16 % du total en 1999 1•

Bangalore en particulier s'est forgée une réputation à partir des années 1980pour les activités de « back-office» de logiciel (services de télémaintenance, saisieinformatique des données). Avec l'aide du gouvernement indien, cette ville a mis enplace des infrastructures performantes, notamment en télécommunications, indis­pensables pour les services qu'elle propose. Depuis quelques années, elle est concur­rencée par les autres grandes villes de l'Inde du Sud, Hyderabad et Chennai,capitales respectives des États d'Andhra Pradesh et du Tamil Nadu, qui essaient derattraper leur retard dans ce secteur porteur. Ces dernières mettent à l'œuvre degrands efforts pour attirer à leur tour des investissements, une de leurs stratégiesconsistant à proposer des incitations pour provoquer un retour au pays de leursressortissants l'artis à l'étranger. En effet, une part importante des informaticiensindiens aux Etats-Unis sont originaires de ces deux Etats. De manière générale,l'Inde contribue de manière prépondérante à la révolution informatique mondialeau travers des ses expatriés: 55 000 professionnels de l'informatique auraient quittéle pays en 2000. Aussi peut-on penser qu'une spécialisation dans ces secteurs depointe peut avoir comme effet secondaire non seulement de ralentir l'importantefuite des cerveaux, mais de provoquer des retours au pays.

Le rôle économique de la diaspora indienne - A. MOHAMMAD-ARIF

La condition socio-ëconamique actuelle de la diaspora indienne varie considérable­ment d'un pays à l'autre. Relégués au bas de l'échelle sociale dans certaines régions, lesIndiens forment des communautés particulièrement prospères dans d'autres. Ladifférence ne repose pas nécessairement sur le type d'ëmigration, les descendants destravailleurs sous contrat ayant ainsi connu le succès économique dans certains pays (îleMaurice, Réunion, Trinidad), alors que dans d'autres ils jouissent d'une situationéconomiquepeu enviable (Guyane, Fiji, Natal en Afrique du Sud). En Asie du Sud-Estégalement, leur situation socio-économique diffère d'un pays à l'autre: soumis à un

1. Cerces une pan considérable de ces échanges se fair entre les filiales d'un même groupe.

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 205

système de quotas restrictifi en Malaisie, ils sont en revanche plusprospères à Singapouret à HongKong.

Dans les autres zones majeures d'implantation, la situation socio-économique desIndiens peut varier énormément au sein d'un mêmepays: en Grande-Bretagne, uncinquième des Indiensestrelégué au bas de l'échelle sociale maisdeuxfoisplus d'indiensque de Blancs se trouvent dans les professions libérales. Si l'Amérique du Nord etl'Australie connaissent des variations similaires, leurdiaspora indiennen'en a pas moinsconnu une réussite socio-économique exemplaire. Les États-Unis, toutparticulièrement,attirent depuis les années 1960 des populations (comprenant médecins, ingénieurs,informaticiens.. .) qui occupent des positions extrêmement élevées dans l'échelle sociale.Le niveau d'instruction des Indiens aux États-Unis est largement supérieur à celuidesBlancs (ils sont trois foisplus nombreuxque ces derniers à avoir un diplôme équivalentou supérieur à la licence) et ils représentent, avecun pouvoird'achatde 20 milliards $,l'une des minorités ethniques les plus riches. Plusd'un tiers des employés de Microsoft etdes ingénieurs de la NASA se compose d'Indiens. Ces derniers dirigent environ780 compagnies high-tech de la Silicon Valley, produisant un chiffre d'affaires de3.5 milliards $ et employant 16000personnes.

Dans le Golfe, les Indiens occupent pour beaucoup des positions peu élevées dans lahiérarchie sociale mais ilsn'en représentent pas moins une mannefinancière importantepour leurpaysd'origine grâce à leurs devises.

L'inde, consciente de la relative puissance économique de sa diaspora, portepour elleun intérêt grandissant. Le pays, premier exportateur au monde de main-d'œuvrequalifiée, gagne en moyenne 2 milliards $ par an grâce aux fonds envoyés par les Non­Resident Indiens (NRI). Mais l'Inde s'inquiète aussi de lafuite des cerveaux (durant lesdeux dernières décennies, au moins 10 000 des meilleurs étudiants en science et eningénierie ont émigré aux États-Unis) et s'interroge sinon sur les moyens de les retenir,au moins d'incitersa diaspora à contribuer davantage à l'économie indienne (en aidantnotammentà financer laformation des futures élites). L'État a deplus récemment allégéles contraintes administratives qui entravaient les investissements des émigrants.

'" - LES GOULETS D'ÉTRANGLEMENT: DES INFRASTRUCTURES MÉDIOCRES

En s'ouvrant aux capitaux internationaux, les partisans de la libéralisationsouhaitent avant tout gagner un accès aux ressources pour améliorer les infra­structures du pays (énergie, télécommunications, routes, ports, etc.), très largementinsuffisantes et qui agissent de plus en plus comme frein à la croissance. Ainsi lesinfrastructures constituent un des secteurs les plus touchés par la libéralisation. Dès1991 les sociétés ou consortiums étrangers qui investissent dans des domainesdésignés prioritaires, comme l'énergie, peuvent détenir jusqu'à 100 % du capitalinvesti, une nouveauté dans l'histoire de l'Inde indépendante. En tandem, unprocessus de réforme, y compris de privatisation, est en cours ou prévu dans laplupart des services publics dont les télécommunications et l'énergie. Les gouver­nements des États, responsables pour une large part de la dette publique, sontappelés à assainir la gestion des services publics, ce qui implique de difficilesdécisions politiques, notamment dans la réduction des subventions à l'électricité.

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206 PARnE 111-LE DÉVELOPPEMENT~CONOMIQUE

A - L'énergie

L'énergie est une condition nécessaire de la croissance économique, un intrantcentral à la fois dans l'agriculture, l'industrie et les services. Lorsque l'Inde amorçal'ouverture de son économie au début des années 1990, les besoins énergétiquesétaient énormes. Au cours de la décennie précédente, l'offre n'a pas suivi lademande croissante qui accompagnait la croissance économique plus soutenue. Onconsidère en général que pour augmenter de 1 % le PŒ, la production d'électricitédoit croître de 1,5 %.

Depuis l'Indépendance, l'Inde s'acharne à développer le secteur énergétique:entre 1980 et 1997 elle y a consacré environ 30 % du total des dépenses dans lecadre des plans quinquennaux. Cependant elle a eu tendance à privilégier lacroissance de la production et à négliger l'entretien si bien que les installations sesont dégradées et aujourd'hui les centrales thermiques ne fonctionnent qu'à 65 %de leur capacité.

L'Inde possède des sources relativement importantes de charbon, qui constituela source énergétique principale pour la production électrique (environ 60 % dutotal). Ceci étant, le potentiel pour développer cette source est limité pour deuxraisons principales: la qualité inférieure de la plupart des gisements, d'une part, etle fait que les gisements sont concentrés dans quelques régions à l'est et au centre dupays (90 % du total dans quatre États: Bihar, Bengale occidental, Orissa etMadhya Pradesh). Aussi les coûts de transport deviennent-ils un problème dans ungrand pays comme l'Inde. Quant aux autres sources énergétiques, l'Inde couvre sesbesoins en gaz naturel, mais elle est très déficitaire en ce qui concerne le pétrole.Notons que le pétrole représente environ 25 % des importations du pays.

B - La production électrique

En 1998, la capacité nationale de production électrique était de l'ordre de89 166 MW, dont 64 150 MW de sources thermiques (charbon et gaz) ;21 891 MW hydroélectriques; 2225 MW nucléaires; 900 MW éoliennes. Onconsidère que l'hydroélectricité représente une source potentielle importante, maisque l'on n'a pas réussi à exploiter pour diverses raisons dont les conflits inter-États àpropos du partage des eaux fluviales; les difficultés sociales et politiquesqu'implique la réalisation des barrages, notamment le déplacement des populations(voir encadré sur le projet Narrnada) ; enfin, les considérations écologiques et lesrésistances politiques qu'elles mobilisent.

Une controverse passionnée autour du projet Narmada

Lesprojets hydroélectriques sur la rivière Narmada, située principalement dans l'Étatdu Madhya Pradesh, opposent l'État indien et diverses associations populaires etcitoyennes, aux motivations sociales, humanitaires et écologiques. En autorisantrécemment la reprise des travaux, la Cour Suprême, le premier tribunal du pays, a rejetéles arguments apportés par le Narmada Bachao Andolan (NBA, le mouvement poursauver la Narmada), qui représente les intérêts des populations lesplus touchées par ceprojet. Quels sont les enjeux de cette controverse qui déborde désormais lesfrontières del'Inde et alimente le débat international sur le bien-fondé du concept même des « grandsbarrages» (bigdams) ?

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 207

Le projet Narmada, le plus onéreux entrepris à cejour par le gouvernement indien,consisteà construire sur la Narmada de nombreux barrages - 30 grands, 135 moyenset 3 000 petits - en vue de produire de l'électricitë et de fournir de l'eau pour l'irri­gation. Le barrage Sardar Sarovar est leplus gros des barragesplanifiés et c'estautour delui que le débat s'est cristallisé. D'une hauteur proposée de 138 m, il serait capable deproduire 1 450 MW et d'irriguer plus de 1,8 million d'hectares, selon le gouvernement.Les opposants mettent en cause la véracité de ces chiffres et soulignent surtout le coûtsocial et humain élevé du projet, soit le déplacement de 320 000 personnes. Au total, lebarrage et lesprojets associés de canaux toucheraient plus d'un million de personnes, engrande majorité des populations défavorisées, « tribales» (le nom donné en Inde auxpopulations considérées comme autochtones) et appartenant aux castes dites répertoriées(Scheduled Castes, anciens intouchables). Le profil social des « perdants» de ceprojetest un facteur de première importance mis en avant par le NBA, qui insiste sur lanature inéquitable de ceprojet, et d'autres grosprojets de développement comparables. Illui permet également de rappeler le bilan lamentable du gouvernement indien en ce quiconcerne la compensation et la réinsertion des populations déplacées à la suite d'autresgrands projets d'aménagement. Aussi ce projet symbolise-t-il pour les mouvementsd'opposition une lutte pour la justice socialeet pour la défense de l'environnement, deuxobjectifi négligés dans les stratégies des 50 dernières années. Le projet Narmadaincarnerait les erreurs et les défaillances des choix de développement effectuéspar lesgouvernements successifi; choix faits sans la participation despopulations concernées etsans la prise en compte descoûtssociaux et environnementaux réels.

Le NBA a connu une première victoire en 1993 lorsque la Banque Mondiale a retiréson financement du projet Sardar Sarovar (450 millions $) à la suite d'une évaluationindépendante (Commission Morse). Cette dernière affirmait que l'impact du barragen'avait pas été correctement évalué par la Banque, que des impératifi technique etéconomique avaientprévalu sur les considérationshumaines et environnementales. Deuxans plus tard, le NBA a obtenu de la Cour Suprême une suspension de la constructiondu barrage, alors d'une hauteur de 80 m, pour permettre une étude complète du projet.Or, dans son jugement rendu en octobre 2000, la Cour donne raison aux partisans dubarrage et se prononce favorable aux « grands barrages» en général, au nom du« développement ». En dépit de ce reverspour le NBA, son impact en Inde resteénormeen tant que précurseur des mouvements populaires de grande ampleur. L'État saitdésormais qu'avant d'avancer de grands projets d'aménagement, il devra faire face à unepopulation plus mobilisée qu'avant et à des associations citoyennes de plus en plusactives.

Même si la production énergétique reste déficitaire par rapport à la demande,l'Inde a néanmoins réalisé d'importants progrès depuis l'Indépendance: en 199385 % des villages sont électrifiés. L'usage de l'électricité se répartit comme suit:33 % pour l'agriculture; 34 % pour l'industrie; 17 % pour les services; 16 %environ pour l'usage domestique. Ce dernier secteur est celui qui manifeste le tauxde croissance le plus important, environ 9 % par an entre 1992-1996. La part del'industrie dans la consommation totale a diminué en raison des tarifs élevés etsurtout de la fourniture erratique, avec des coupures fréquentes et souventimprévisibles. Les dommages subis par l'industrie sont estimés à 8 milliards $ par

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20S PARTIE 111- LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

an! Pour cette raison, de nombreuses entreprises se rabattent sur des groupesélectrogènes, qui représentent plus de Il 000 MW en 1995.

La consommation de l'électricité par tête a augmenté de manière importantedepuis 1980, comme l'indique le tableau suivant et la demande reste forte etcroissante. Les sources traditionnelles d'énergie comme le bois ou la bouse de vachen'assurent plus qu'environ 20 % de la consommation.

Tableau 32 - L'utilisation de l'énergie:une perspective comparative

Consommation Consommation de Consommationd'électricité/hab. combustibles traditionnels d'énergie

(kWh) (en % du total commerciale/hab.de l'énergie consommée) (en équiv. pétrole) (kg)

1980 1997 1980 1996 1980 1997Inde 173 482 31,5 21,2 352 479Asie du Sud 172 472 - - 370 583(Inde non compris)

OCDE 5762 8008 - - 4248 4643Source: PNUD (2000), Rapport mondial surle développement humain, Tableau 20, p. 229-230.

Côté offre, le taux de croissance de la production d'électricité était de moins de7 % par an pendant le 8e Plan quinquennal (1992-1997), une performancedécevante par rapport aux objectifs. En effet, la capacité n'a augmenté dans cettepériode que de 16422 MW par rapport aux 30538 MW planifiés. Une pénurie defonds pour financer les projets serait la raison principale pour ce déficit. En effet, lesagences publiques chargées de produire et distribuer l'électricité ont des difficultésfinancières très importantes, et leur réforme fait partie des premières priorités pourle gouvernement central. En effet, il sait que l'assainissement de ce secteur est lacondition nécessaire pour attirer des investissements privés, devenus indispensables.

La responsabilité pour la fourniture de l'électricité est partagée entre le gouver­nement central et les Etats fédérés de l'Union. L'État central se charge du gros de laproduction de l'électricité qu'il redistribue aux State Electricity Boards (SEBs) situésdans les États. Au sein de chaque État, c'est le SEB qui est chargé de la distribution.L'organisation et le fonctionnement des SEBs (effectifs, budget de fonctionnement,tarifs, etc.) sont définis par les responsables politiques au niveau de chaque État.Ces derniers ont pris l'habitude depuis plusieurs décennies de subventionnerl'électricité pour différents groupes, par exemple les agriculteurs (l'électricité estmême gratuite pour les agriculteurs dans certains États). Aussi les tarifs ne reflètent­ils pas les coûts. D'autres raisons pour la mauvaise santé financière des SEBs sont lasurabondance des effectifs et des pertes importantes dans la distribution. Pour toutle territoire, on estime que les pertes lors de la transmission, y compris celles duesaux vols de courant, représentent 30 % du total de la production (plus de 50 % enOrissa et à Delhi). Pour financer leurs opérations et couvrir leurs pertes, les SEBsont recours à des prêts et sont ainsi fortement endettés.

La Banque Mondiale, qui avait cessé de prêter aux SEBs pour cause dedéfaillance par rapport à leurs engagements, est revenue sur ses pas depuis quelquesannées. Elle accorde actuellement des aides très importantes à plusieurs États pourréaliser la réforme de leurs SEBs, dont l'Orissa, l'Haryana, l'Uttar Pradesh etl'Andhra Pradesh. Ce dernier s'est vu accorder 1 milliard $ sur les huit ans à venir.

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 209

Dans tous ces États il s'agit de créer des agences séparées pour la production, latransmission et la distribution de l'électricité, dont chacune aura une certaineautonomie de décision par rapport aux responsables politiques. Mais ces réformes,qui entraîneront une hausse sensible des tarifs pour les usagers, ne font pas l'unani­mité. Pour certains, l'aide de la Banque Mondiale et les conditions qu'elle imposereprésentent une ingérence dans les affaires internes indiennes. Pour d'autres, lesréformes actuelles ne sont pas adaptées aux conditions locales, en partie parcequ'elles pénalisent les groupes socio-éconorniques défavorisés, et qu'une solutionalternative consisterait à améliorer le système existant et à entamer une actionjudiciaire contre les vols de courant. Soulignons dans ce contexte que si l'Indepouvait utiliser toute sa capacité productive existante, elle serait en mesure deremplir la demande...

Afin d'augmenter la capacité énergétique, l'Inde a invité le secteur privé et lesbailleurs internationaux à investir dans ce secteur. Les sociétés privées sontautorisées à produire de l'électricité et à la vendre aux SEBs, qui la distribuent auxusagers. La réponse était enthousiaste et de nombreux projets ont été approuvéspour un montant de 19 milliards $ depuis 1991. Or, seulement 1 milliard $ estentré au pays, dont presque tout pour le seul projet Enron (voir encadré). En 1998seulement quatre unités de production privées étaient en opération, pour un totalde 1 346 MW. Pourquoi si peu? Une raison est que la situation financière de laquasi-totalité des SEBs est tellement mauvaise que les investisseurs exigent desgaranties de la part du gouvernement central avant d'y lancer. Ce dernier n'ose pasles accorder parce qu'il craint à son tour que les SEBs manquent à leurs engage­ments, ce qui l'obligerait à payer à leur place.

L'affaire Enron - M.-C. SAGLIO-YATZIMIRSKY

Enron, multinationale américaine, est un des leaders mondiaux de la productiond'énergie. La compagnie a réalisé l'investissement étranger le plus important jamaisopéré en Inde, la centrale électrique « Dabhol Power Co. », joint-venture de3 milliards $. Enron en est l'exploitant et l'actionnaire majoritaire (65 %). Sonprincipal partenaire financier est le Maharashtra State Electricity Board (MSEB) àhauteur de 15 %. L'usine est située à 200 km au sud de Mumbai, le long de la merd'Arabie.

Ce projet est le fruit d'un contrat à l'histoire mouvementée: les négociationscommencent au début des années 1990 entre la firme américaine et l'État duMaharasbtra, au moment de l'ouverture indienne et lorsque le gouvernement décided'attirer des capitaux privés dans le secteurde l'énergie dont il a un besoin criant. Ellesn'aboutissent au contrat définitifqu'en 1996. Aujourd'hui l'affaire semble un désastrefinancier qui risque de conduire le MSEB mais aussi l'État du Maharashtra à lafaillite.

De fait l'électricitéproposée par la centrale de Dabhol est trop chèrepour l'État duMaharashtra. L'unité coûteraiten effet3 fois plus cherque celle provenant d'autres sitesde production} : 7 Rs le kw/h Dabhol, contre2 Rs le kw/h MSEB ou 3 Rs le kw/h TataElectric. Le MSEB met dans Dhabol15 % de ses revenus pour 5 % de ses besoins, ce

1. Pour avoir un ordre d'idées, l'énergie achetée par un industrie! en France varie entre 18 crs et 50 crs le kw/ho

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210 PARTIE III - LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

qui représenteactuellement une perte de 7 milliards Rs/an (soit 0,14 milliard $), pertequi va s'aggraveravec la secondephase du projet. Pour honorer ses dettes, le gouverne­ment doit augmenter ses tarifi et pomper sur ses réserves, ce qui pèsera à terme sur leconsommateur.

L'État du Maharashtra a arrêté de payer lesfactures en mars 2001,. Enron s'estalorstourné vers l'État Central qui s'était engagé lors de la signature du contrat à soutenir legouvernement du Maharashtra en casd'impayé. La situation paraît bloquée.

Que peut faire le gouvernement du Mabarasbtra pour sortir de l'impasse: racheterDhabol; renégocier le contrat, porter à nouveau le casdevant la cour Suprême?

A l'analyse, le projet initial n'était pas viable. Il souffre en effet de trois erreurs. Lapremière est d'avoir adosséleprix de l'unité d'énergieproduite par Dabhol au dollar. Laseconde est d'avoir accepté que la principale hydrocarbure utilisée soit le napbta,dépendante du prix international du pétrole, très volatile. La troisième est l'engagementde l'État du Maharasbtra d'acheter un montant minimum de la production de Dhabolpour payer les coûts fixes. Compte tenu des prix de ce dernier, l'État du Maharashtraachète en priorité à d'autres fournisseurs moins chers, et minimise ses commandes àDabhol: en 2000, celles-ci ne représentent que 20 % des capacités de production deDabhol. La situation a conduit à un véritable engrenage: le prix de l'énergie d'Enronne cesse de croître, tandis que la roupie se dépréciepar rapport au dollar.

Dabhol argue que sesprix sont élevés car les achats de la MSEB sont trop faibles.Mais il est vrai que lesfrais fixes de Dabhol sont de toute façon trop importants pour lescapacitésdepaiement du Mabarasbtra.

La question de l'utilisation du naphta et de la montée desprix internationaux sembledonner raison à la politique indienne traditionnelle, qui a pour habitude de sefourniren charbon national plutôt qu'en hydrocarbure importée - notons l'intérêt de Enrondans le choix du naphta, puisqu'il est un des importants traders mondiaux.

Cette affaire soulèveplusieurs débats, l'un sur l'ouverture économique et sesperdants,l'autre sur l'état du marché de l'énergie en Inde.

D'une part, l'affaire envenime les rapports entre les Indiens et les investisseursétrangers. Une partie des premiers accusent Enron d'avoir monté un contrat qui n'aprofité qu'aux politiciens corrompus et aux compagnies étrangères. Les secondsréagissentmal au scandale qui a des répercussions importantes sur les investissements étrangers enInde: ceux-là ont chuté de 3,6 milliards $ en 1997 à 2 milliards $ en 1999, date àlaquelle la Chine attire 20fois plus de capital.

Le second débat pose la question de l'état du secteur électrique en Inde: inefficace,corrompu, subventionné, il accuse 5 milliards $ de pertes par an. Au Mabarashtra,pourtant l'un des États lesplus industrialisés de l'Inde, un tiers de l'électricité estperduou volé, le montant desfactures impayées représente1 milliard $ et 9 clients sur 10 sontsubventionnés. Il semble qu'un contrat de production entre l'Inde et des investisseursétrangers dans le secteur de l'énergie doive s'accompagner d'une privatisation de ladistribution pour être efficient.

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2 - Les défis de l'industrie: de l'artisanat villageois aux technologies de l'information 211

C - Les transports

La faiblesse des réseaux de communications (routes, chemins de fer, ports, etc.)devant l'augmentation importante du trafic de toutes sortes depuis quinze ans,devient un véritable frein à la croissance économique. Les pouvoirs publicsn'arrivent pas à suivre le rythme ni à assurer l'entretien des infrastructuresexistantes. Il n'y a guère d'autres solutions que de faire appel au secteur privé etnotamment aux entreprises étrangères, même si la contrepartie - les servicespayants - représente un certain risque politique. En effet, la privatisation desservices publics entraîne une aggravation des déséquilibres sociaux et spatiaux,comme l'illustre l'exemple des routes.

Bien que le réseau routier se soit étendu de manière considérable depuiscinquante ans (voir tableau 33), il est de plus en plus saturé compte tenu del'accroissement du parc des véhicules à moteur et de la préférence croissante pourles transports routiers par rapport au chemin de fer. Celui-ci a dominé jusqu'auxannées 1980, mais depuis les transports routiers l'ont dépassé: ils assurent en 1992plus de 60 % du fret marchandise et presque 85 % du transport des passagers.

Tableau 33 - Évolution du réseau routier (km)

Routes en terre Routes en dur Total

1950 240 300 157 000 400 000

1993 1036 000 1 001 000 2 037 000

Source: adapté de G. Étienne (1996), p. 108.

Les routes en Inde sont notoires pour la diversité des véhicules qui y circulent:camions, autobus, voitures, rickshaws motorisés et à pédale, motos, vélos, chars àbœufs, chameaux dans certaines régions, piétons, etc. Le mélange de vitesses sidifférentes contribue à un taux élevé d'accidents, comme aussi le mauvais état deschaussées.

Les routes nationales, seulement 22000 km en 1950, couvrent aujourd'hui49 600 km et absorbent plus de 40 % du trafic routier total. Mais elles sont pourl'essentiel à deux voies et l'un des objectifs immédiats du gouvernement est d'élargirà quatre voies les routes les plus empruntées, à savoir celles qui relient les grandesvilles du pays. Un grand projet actuel sur le « quadrilatère d'or» consiste à réaliserpour 2003 une autoroute de 6 000 km entre les quatre principales mégalopoles(Delhi, Mumbai, Chennai et Kolkata). Ces projets d'élargissement et d'extensiondu réseau butent sur de nombreuses difficultés techniques, juridiques (dontl'acquisition des terrains) et financières. Le gouvernement a annoncé en 1999 unetaxe sur le diesel (1 Rs/l) pour participer à ces investissements et à l'entretien desroutes nationales, mais il est évident que le secteur privé et les sociétés étrangères enparticulier, joueront un rôle majeur dans la réalisation des divers projets. Cela ouvrela question épineuse des péages, qui interdisent l'accès à ces routes pour une largepartie de la population et qui augmentent le coût des transports.

Les transports aériens demandent à être réorganisés. La compagnie nationaliséeen 1952 et ses deux sociétés aujourd'hui réunies, Air India (vols internationaux) etIndian Airlines (vols domestiques) souffrent de graves limites: une flotte réduite(26 avions contre par exemple les 223 appareils d'Air France) et vétuste; un ratioemployés/appareil qui est un des plus élevés du monde (250 employés par avioncontre par exemple 185 pour Lufthansa) et une charge salariale qui avale 25 % du

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212 PARTIE 111- LEDÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

budget de la compagnie. Les pertes sèches cumulées par la compagnie s'élèveraient à1,5 milliard F depuis 5 ans. Le projet de privatisation d'Air India accepté en mai2000 propose un désengagement de l'État à hauteur de 60 % : 40 % seraientréservés à des partenaires stratégiques, dont 26 % à un partenaire étranger. Lesprincipaux candidats au rachat sont Reliance Industries Limited (grand groupeindustriel) et le groupe Tata - allié à Singapour Airlines. La reprise de lacompagnie par un groupe privé entraînera nécessairement des compressions depersonnel et une réorganisation du budget pour mettre fin aux abus et au gaspillage.

D - Les télécommunications

Les télécommunications ont connu depuis une décennie une explosion, c'est lesecteur des infrastructures qui croît le plus vite. Non seulement la plupart desvillages sont désormais reliés aux réseaux téléphoniques mais encore la qualité descommunications s'est beaucoup améliorée. Des petites cabines proposant desservices téléphoniques nationaux et internationaux sont présents même dans lesbourgs.

Le secteur privé est invité à participer au développement de ce secteur depuis1994, mais comme pour le secteur de l'énergie, la plupart des projets approuvésn'ont pas vu le jour. Cependant les'progrës d'infrastructures sont partout apparents,non seulement dans les services de base mais aussi dans la téléphonie mobile etinternet. Ainsi, dans les mégalopoles, les téléphones mobiles et les cybercafés ontfait leur entrée en même temps que dans les pays industrialisés. On compte3 millions d'internautes en 2000 (600 000 en 1999) avec une progression impor­tante prévue dans les prochaines années (I2 millions en 2003).

Certains États ont cherché à saisir les opportunités ouvertes par les nouvellestechnologies, dont l'informatique en premier lieu, pour améliorer le service public.Ainsi le gouvernement actuel de l'Andhra Pradesh s'est engagé à fournir unegouvernance plus transparente à travers l'internet. Sont proposés online diversservices (livraison de certificats, paiements électroniques) ainsi que des informa­tions, des formulaires, etc. Il convient de nuancer l'étendue de la « révolutioninformatique ». A titre d'exemple, seulement 10 % des bureaux de banques sontentièrement informatisés en 2000.

Pour conclure, on peut retenir au sujet des infrastructures deux idées force :d'abord, des progrès très importants ont été réalisés depuis l'Indépendance,notamment l'électrification des villages et leur intégration au territoire régional parl'extension du réseau des routes secondaires. Ensuite, les infrastructures n'ont passuivi l'accélération de la croissance et des insuffisances se font sentir dans denombreux secteurs: énergie, télécommunications, transports routiers. Les besoinsde l'Inde en investissements sont énormes; c'est là un des défis majeurs auxquelsfait face le gouvernement de cette puissance émergente.

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2 - Les défis de l'indus crie : de l'arrisanar villageois aux technologies de l'information

BIBLIOGRAPHIE

213

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GLOSSAIRE

Adivasi : lin .• habitants originels _, membres de tribu.

Bahujan Samaj Party (BSP) : lin .• parti de la plèbe _,

parti dalirfondé en 1984 dans l'Uttar Pradesh.

Banyan (ou banian): grand arbre sacré, dont les

branches poussent vers le sol et forment de nouvelles

racines.

Basti (ou busree) : quartier de bidonvilles à Kolkata,Beedi (ou bidi): petites cigarettes artisanales bon

marché de tabac séché enroulé dans une feuille.

Bharat : terme sanskrit, autre nom pour Inde.BIMARU : litt.• malades _, mot formé avec les initiales

des 4 États les plus pauvres de l'Inde - Bihar, Madhya

Pradesh, Rajasthan et Uttar Pradesh - (auxquels on

rajoute éventuellement l'Orissa), désigne les États• malades ».

Brahmane: membre du varna le plus haut placé dans la

hiérarchie hindoue, il détient le monopole de l'ensei­

gnement des textes sacrés et de certains rituels.

Cantonment: quartier de l'administration militaire àl'époque du Raj britannique.

CBD : Central Business District.

Charnar : castes intouchables de travailleurs du cuir dans

l'Inde gangétique.

ChawI : type d'habitat communautaire populaire àMumbai.

Civil Iines : sous l'occupation britannique, quartiers

résidentiels urbains pour les civils.

CoIony: lotissement construit par le gouvernement

indien réservé à certaines populations.

Congrès (parti du) : principal parti indien, émanation

du mouvement national pour l'Indépendance, auteur de

la Constitution de 1950 et représenté par la dynastie

Nehru-Indira Gandhi-Rajiv Gandhi. Parti dominant

jusqu'en 1977.

Coolie: formé à partir du terme tamoul signifiant

salaire, est le nom générique qui désigne le travailleur,

l'homme de peine.

Crore: terme anglo-indien, 10 millions (un crore de

roupie équivaut à 10 millions de roupies).

DaIit : litt. en mararhi, « opprimé », Terme utilisé par

les ex-intouchables pour se désigner et affirmer leurémancipation politique. Aujourd'hui adopté par les

médias pour désigner les intouchables.

Dharma: dans l'hindouisme, désigne l'ordre, la loi

générale qui régit l'univers.

Dhoti : vêtement traditionnel des hommes, fait d'une

pièce de coton blanc ou coloré nouée à la taille et dont

un pan est passé entre les jambes.

Ghat : versants montagneux abrupts du Deccan. Forme

une longue chaîne montagneuse. Désigne aussi les

marches conduisant à l'eau d'une rivière ou du bassin

d'un temple où le dévot va faire ses ablutions.

Dowry: terme anglais pour dot, remise par la famille de

la mariée à celle de son époux.Harijan: lit.• enfant de Vishnu _. Terme employé par

Gandhi pour désigner les intouchables.

Jajmani : système traditionnel d'échange de biens et de

services enrre castes dans les villages, en particulier dunord de l'Inde.

Jati : litt. • espèce, groupe de naissance -. Traduit parcaste, défini par la position dans la hiérarchie statutaire

hindoue, la profession héréditaire, et les règles d'endo­

gamie et de cornmensaliré qui ordonnent le rapport aux

autres jati.

Jhoppadpatti : lin. en rnarathi, • un corridor de taudis,

bidonville ». Employé pour désigner les bidonvilles àMumbai.

Jhuggi, jhompri : dans les zones hindiphones, par

exemple à Delhi, désigne un bidonville ou un taudis.

Kacca (ou kutcha) : imparfait, inachevé. Signifie par

exemple une maison en matériaux précaires.

Kisan: petit tenancier cultivant personnellement la

terre.

Kshatriya: membre du second varna, traditionnelle­

ment guerrier et possédant le pouvoir politique.

Lok Sabha : Chambre du peuple, parlement de l'Union

indienne.

Licence ra; : litt .• règne des autorisations », Désigne

l'appareil économique directif mis en place par la plani­

fication industrielle pour autoriser les investissements,

les créations d'entreprises et les importations.

Madrasa : école islamique.

Mahar: intouchables qui forment la caste la plus

dégradée au Maharashtra, dont la tâche traditionnelle

était d'être gardien du village et équarrisseur. La majoritédes Mahar a abandonné ses fonctions et s'est convertie

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216

au bouddhisme. Les Mahar forment la majorité des néo­

bouddhistes.

Mohallas : dans les villes du nord de l'Inde, quartiers

centraux segmentés en blocs regroupant des habitants

membres d'une même communauté ou sous-caste.

Nagar : quartier.

Namaskar: salut de respect, où l'on se prosterne aux

pieds que celui qu'on salue, en les effieurant des mains

portées ensuite à la poirrine,

NFHS : National Family and Health Survey, grande

enquête nationale de démographie. L'une a été menées

en 1992-1993, l'autre en 1998-1999.Omer Backward Classes: lice. « Autres Classes défavo­

risées " abrév. OBC, désigne les populations défavo­

risées auxquelles est élargi le système de compensation

caeégoriel en 1990. Se compose majoritairement de

sbudra.Paddy: riz non décortiqué.

Pakka (ou pacca) : parfait, droir. Désigne par exemple

une maison consolidée.

Pan: mixture d'épices, de mélasse et de chaux roulée

dans une feuille de bétel, à chiquer.

Panchayat: conseil de caste, instance traditionnelle du

village, organisant la vie politique. Aujourd'hui, le

conseil élu poree le même nom.

Panchayati Raj : litt. « conseil 1pouvoir " système de

représentation démocratique à divers niveaux d'échelle.

Mode insriturionnel de gestion des territoires

multipliant les pouvoirs poliriques et administratifs au

niveau du village (gram), du canton (black ou tehsil ea

taluk) et du district,

Purdah : le purdah est le voile destiné à cacher le visage

de la femme de manière à ce qu'il ne soit pas vu des

hommes. Par extension, la tradition musulmane du

purdah désigne le fait de maintenir la femme confinée à

la maison, derrière les murs.

Raj : pouvoir étatique.

Rajput : casee royale, dont les familles disposaient de

royaumes dans la région de l'actuel Rajasthan,

Rashtrapati Bhavan : lice.« palais présidentiel '.

Rickshaw: véhicule tiré par un homme sur une

bicyclerte, dans lequel prennent place un ou deux

passagers. Les rickshaws à bras n'existent quasiment plus,

sauf de rares à Kolkara. On voie beaucoup dans les

GLOSSAIRE

mégapoles des auto-rickshaws, petits véhicules à crois

roues, moins chers qu'un eaxi.

Sabha : assemblée.

Sari: habit rradirionnel de la femme hindoue, qui

consiste en une grande pièce de coron ou de soie

enroulée aurour de la caille et dont un pan est générale­

ment passé sur l'épaule.

Scheduled Castes: lice. «casees réperroriées »,

abréviation SC, terme insticueionnel pour désigner les

populations arriérées er regroupant les intouchables, qui

bénéficient des quoeas (l5 %) et des bénéfices mis en

place par la politique de discrimination positive.

Scheduled Tribes: litt. «tribus réperroriées »,

abréviation ST, terme institutionnel pour désigner les

populations arriérées et regroupant les tribaux, qui

bénéficient des quoeas (7 %) et des bénéfices mis en

place par la politique de discriminaeion positive.

SSI: lice. «small scale industries », caeégorie qui

regroupe les industries de petite caille, définies selon les

critères de l'inveseissement inieial et du nombre

d'employés, et qui font l'objet d'une politique

induserielle particulière.

Shudra: membre du quatrième varna, au service des

trois varna supérieurs.

SIum: bidonville, taudis, et formes d'habitats précaires,

auto-constructions en matériaux de récupération ou non

consolidées.

SRS : Sam pie Regisrrarion System, système de collecte

de données par dénombrement direct et enquête.

Tank: réservoirs d'eau de pluie traditionnel et souvent

employés à des fins agricoles.

Thali : plateau de métal où sont diposés riz et galettes, et

petits bols où sont versés légumes, lentilles, yaourt.

Varna: lice.« couleur. en sanskrit: cadre plus théorique

que réel désignant les quaere classes de la société

brahmanique, brahmane, hhatriya, uaishya; sbudra,Vidhan Sabha : assemblée législaeive régionale.

Zamindar : intermédiaire qui collectait, pour le compte

de l'empereur (depuis les Moghols) les revenus fonciers

prélevés sur les communaueés villageoises. Les

Britanniques en firent les propriétaires terriens chargés

de collecter l'impôt pour leur compee. Le système

zamindari désigne le système d'imposition du nord et de

l'est de l'Inde, sous forme de rente foncière qui pesait sur

les paysans pendant le pouvoir colonial.

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SITES IN-rERNET

http://censusindia.net

Le sire officiel du recensement.

http://www.cseindia.org

Center for Science and Environmenr, Delhi.

http://flonnet.com

Accès direct à Frontline, bimensuel d'actualité politique et économique publié à Chennai.

http:"goidirectory.nic.in

Accès au site du gouvernement de l'Inde, annuaire de ministères, organisations, États.

http://indiabudget.nic.in

Accès à l'Economie Suruey.

http://www.khoj.com/

Tout sur l'actualité indienne, de la presse aux recettes de cuisine et aux résultats du derniermatch de cricket.

http://www.mapsofindia.com

Toutes les carres de l'Inde.

http://www.ncaer.com/htmllsocial

Pour des statistiques sur la santé et l'éducation.

http://www.samachar.com/

Presse quotidienne, locale et régionale, en anglais, hindi, bengali, tamoul, etc.

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TABLE DES CARTES, GRAPHIQUES,PHOTOS ET TABLEAUX

IntroductionCarte 1 - Carte administrative de l'Inde ...... 4Partie I, chapitre 1Carte 2 - L'Asie du Sud 10Carte 3 - Régions, fleuves et villes

de l'Inde 12Graphique 1 - Répartitions spatiales 31Chapitre 2Carte 4 - L'Inde: densité de gopulation

et nombre d'habitants par Etat en 2001 35Tableau 1 - Croissance de la population

indienne 36Graphique 2 - Croissance de la population

indienne (1901-2001) 36Graphique 3 - Évolution du taux

de croissance de la populationindienne .au.cours de chaque périodemrercensitaire 38

Tableau 2 - Évolution de la politiquede population indienne 40

Tableau 3 - Évolution de la mortalitéen Inde 41

Carte 5 - L'Inde: mortalité infantileen 1995 42

Tableau 4 - Évolution de la féconditéen Inde 44

Graphique 4 - Taux de fécondité par âged'après les enquêtes NFHS et NFHS-2et les statistiques du SRS 45

Graphique 5 - Taux de prévalencecontraceptive et proportion de couples« protégés" par une stérilisation 46

Graphique 6 - Proportion de stérilisationsféminines dans fensemble .des stérilisations annuelles 48

Tableau 5 - Mortalité infantile et féconditéselon diverses caractéristiquesdes femmes 49

Tableau 6 - Mortalité infantile, féconditéet pratique contraceptivedans les différents États de l'Inde(1996-1998) 50

Tableau 7 - Fécondité et religionpour les États « Bimaru » et les Étatsau Sud de l'Inde (1990-1992) 51

Chapitre 3Graphique 7 - Évolution de la population

urbaine (1901-2001) 56Tableau 8 - Évolution de l'urbanisation

en Inde (1901-2001) 56Tableau 9 - Le niveau d'urbanisation

par grandes régions du mondeet dans certains pays (1990) 57

Tableau 10 - Les composantesde la croissance urbaine (1961-1991) .... 59

Carte 6 - Évolution du réseau des villes(1901-1991) 62

Photo 1 - Old Delhi: Chandni Chawk 64Photo 2 - Old Delhi: le marché

de grains 67Photo 3 - Rue principale de Bénarès 67Photo 4 - Extension urbaine récente

d~~aeï~~~.~~~~.l.~.~.~.~.~~~~.~~ 69Carte 7 - Quelques éléments

de différentiation de l'espace urbaindans l'agglomération de Delhi:la vieille cité et la nouvelle ville,les bidonvilles et les lotissementsde « réinstallation » 71

Tableau Il - Pourcentage de logementsd'une seule pièce dans l'ensembledes villes indiennes, et dans les quatremégapoles (1981 et 1991) 75

Tableau 12 - Distribution des ménagespar type d'habitationet par équipement (1991) 76

Tableau 13 - Population vivantdans des siums selon la taillede la ville (1991) 77

Photo 5 - Delhi: au pied des immeublesmodernes, un bidonville 78

Photo 6 - Bidonville dans une régionindustrielle de Delhi.Approvisionnement en eauà une pompe naturelle.Au deuxième plan, camion toilettes ...... 78

Photo 7 - Face à la crigue de Mahim,Mumbai. Chiffonnier triant les détritusau milieu d'un tas d'ordures 80

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220

Partie II, chapitre 1Carre 8 - L'Inde: langue principale

par Érat en 1991 86Carre 9 - L'Inde: distribution

des communautés religieuses par Étaten 1991 91

Photo 8 - Quartier d'affaires de Mumbai.Déjeuner dans un petit resraurantvégétarien, où l'on sert des thaIi .......... 102

Chapitre 2Tableau 14 - Évolution des indicateurs

de développementdepuis l'Indépendance 107

Photo 9 - Enfants d'une écolecoranique 108

Carte 10 - L'Inde: taux d'alphabétisationpar État en 2001 109

Tableau 15 - Taux d'alphabétisationpar État (2001) 111

Tableau 16 - Pourcentage de la populationayant accès à l'eau potableet à des équipements sanitaires 114

Tableau 17 - Comparaison internationaled'indicareurs de santé des femmes ....... 118

Photo 10 - Dans la cuisine, devant le foyer,dans une maison en dur d'un villagedu Maharashtra 123

Carte 11 - L'Inde: sex ratio en 2001 126Photo Il - Briqueterie, banlieue de Delhi:

rravail des femmes et des enfants 127Chapitre 3Photo 12 - Bidonville de Behrampada,

le long de la voie ferrée.Au deuxième plan, buildingsdu quartier de Bandra, Mumbai 132

Tableau 18 - PIB par habitant 133Tableau 19 - Esrimation de la pauvreté 134Photo 13 - Enfant des rues à Old Delhi .. 136Photo 14 - Delhi, bidonville.

Chez le coiffeur 138Photo 15 - Delhi, bidonville. L'échoppe

du vendeur de pan et de cigarettes ...... 138Photo 16 - Delhi: laver son linge

dans le bidonville 141Photo 17 - Rue d'un bidonville

de Delhi 147Tableau 20 -Aide internationale 149Partie III, chapitre 1Tableau 21 - Superficies, productions

et rendements des principalescultures par État (1998-1999) 162

TABLE DESCARTES, GRAPHIQUES, PHOTOS ETTABLEAUX

Carre 12 - L'Inde: rendements en grainsalimenraires (1998-1999) 163

Photo 18- Tamil Nadu: repiquage du riz.Au premier plan, canal rertiaire 164

Photo 19 - Tamil Nadu: transportde foin 164

Tableau 22 - Autres productions agricoles(1998-1999) 166

Carte 15 - L'Inde: pauvreté ruralepar Etat en 1987-1988 172

Carre 14 - L'Inde: pauvreté ruralepar État en 1997-1998 173

Tableau 23 - Exportation er importationdes produits agricoles en valeur 175

Chapitre 2Tableau 24 - Répartition des entreprises

publiques du gouvernemenr cenrralaans les États Indiens(jusqu'en mars 1979) 183

Carte 15 - L'Inde: les concentrationsindustrielles en Inde contemporaine ... 188

Graphique 8 - PIB par secteurs(1950, 1970, 1980, 1990) 190

Tableau 25 - L'évolution de la productionindustrielle 190

Photo 20 - Travailleurs dans une industriesucrière (canne à sucre)au Maharashtra 191

Tableau 26 - L'emploi par secteuret par sexe 191

Tableau 27 - Caractéristiques de la petiteindustrie en Inde 192

Tableau 28 - Emploi et contributionau PNB dans les secteurs organiséet inorganisé en Inde (1981 et 1991) .. 193

Photo 21 - Travailleur du Bihardans un atelier informel de fabricationde chaussures à Dharavi, bidonvillede Mumbai 194

Tableau 29 - Partenaires commerciaux 200Tableau 30 - Les grandes lignes

de l'évolution du commerceextérieur 200

Tableau 31 - La progression du nombrede véhicules 203

Tableau 32 - L'utilisation de l'énergie:une perspective comparative 208

Tableau 33 - Évolution du réseauroutier 211

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LES AUTEURS

Philippe CADÈNE

Docteur en géographie er professeur à l'Universiré de

Paris VII. Il effecrue ses recherches dans le cadre du

SEDET (CNRS-Paris VII) er du Cenrre d'frudes de

l'Inde er de l'Asie du Sud (EHESS-CNRS). Il a

parricipé à de nombreux ouvrages collectifs, donr avec

Mark Holmsrriim (eds.), Decentralized Production in

India. Industrial Districts, Flexible Specialisation and

Employment, New Delhi, Sage Publicarions, 1998, er

A.S. Bailly et assoc., Les très grandes oilles du monde,

SEDES, 2000. Il travaille aujourd'hui à la réalisarion

d'un arias de l'Inde.

Véronique DUPONT

Docreur en économie polirique (Insrirur d'frudes

Poliriques de Paris), elle esr acruellemenr chargée de

recherche à l'Insrirut de Recherche pour le

Développemenr (IRD) dans l'Unité de Recherche

• Mobilirés et Recomposirions Urbaines '. Membre du

Cenrre d'Études de l'Inde er de l'Asie du Sud (EHESS­

CNRS). Elle a norammenr publié DecentralizedIndustrializatian and Urban Dynamics. The Case of

[etpur in Wm India, New Delhi, Sage Publicarions,

1995, er dirigé avec E. Tarlo et D. Vidal, Dahi. Urban

Space and HU7JUln Destinies, Delhi, Manohar, 2000.

Loraine KENNEDY

Socio-économisre, docreur de l'EHESS (1994). Elle esr

acruellemenr chargée de recherche au CNRS à l'UMR

REGARDS (CNRS/IRD) à Bordeaux er membre

associée du Cenrre d'Études de l'Inde er de l'Asie du

Sud (EHESS-CNRS), Paris. Elle a récemmenr

coordonné un ouvrage collecrif, Dynamiques spatiaks de/'industrialisation. Chine, Inde, Thaïlande, à paraîrre aux

Éditions de l'Unesco.

Kamala MARIUS·GNANOU

Docreur en géographie, rnalrre de conférences en

géographie à l'Universiré Paul Valéry de Monrpellier er

chercheur à l'UMR REGARDS (CNRSIIRD). Elle esr

l'aureur de plusieurs arricles sur l'Inde rurale et d'un

livre L 'Inde (1997) aux édirions Karrhala. Elle mène

acruellemenr des recherches sur les questions de genre

en Inde rurale.

Isabelle MILBERT

Professeur à l'Insrirur Universiraire d'Études du

Développemenr (Genève). Sa thèse de docrorar d'Érat

en droir a porré sur l'Urbanisme er les poliriques

d'habirar en Inde. Ses recherches er ses enseignemenrs

onr pour rhèmes principaux le développemenr social et

économique en Inde, les pouvoirs locaux, la décentrali­

sarion er la gestion des villes. Son dernier ouvrage porre

sur l'aide au secreur urbain: What Future for Urban

Cooperation ?An AssessmentofPost-Habitat II Strato/;i~s,

DOC, Berne, 2000.

Marie-C.SAGLIO-YATZIMIRSKY

Docreur en anrhropologie sociale, agrégée de sciences

sociales er économiques, maître de conférences en

civilisarion de l'Asie du Sud à l'Insrirut Narional des

Langues et des Civilisa rions Orienrales (INALCO,

Paris) er membre du Cenrre d'Études de J'Inde er de

j'Asie du Sud (EHESS-CNRS). Elle a publié plusieurs

arricles sur les villes indiennes, le rravail informel et les

inrouchables et vienr d'achever un ouvrage sur Dbaraui,bidonuill« au cœur d~ Bombay, à paraître aux éd irions du

CNRS.

JacquesVÉRON

DEA d'économie, Diplôme d'Experr démographe, il esr

chargé de recherche à l'INED et Délégué aux Relarions

inrernarionales er Membre de la délégarion française àla Commission de la popularion et du développemenr

des Narions unies (depuis 1992). Il a notamment

publié Arithmetique d« l'Homme (Seuil, 1993) et

Leibniz et les Raisonnements sur la Vi~ Humaine (en

collaborarion, 2001).

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TABLE DES MATIÈRES

PRÉAMBULE - M.-C.Saglio-Yatzimirsky 3

INTRODUCTION - M.-C. Saglio-Yatzimirsky 5

Partie 1- DES ESPACES ET DES HOMMES 9

Chapitre 1- LES GRANDES DIVISIONS DU TERRITOIRE INDIEN - Ph. Cadène Il

1- L'UNION INDIENNE ET SON TERRITOIRE Il

11- LES FACTEURS FONDAMENTAUX DE L'ORGANISATION DU TERRITOIRE INDIEN 15

III - LEPOIDS DE L'HISTOIRE COLONIALE DANS LES DIVISIONS RÉGIONALES 21

IV - LES CHANGEMENTS DEPUIS L'INDÉPENDANCE 24

V - LA DYNAMIQUE RÉGIONALEAU TEMPS DE LA MONDIALISATION 28

BIBLIOGRAPHIE 33

Chapitre 2 - DYNAMIQUE DE LA POPULATION - J.Véron 34

1- UNE ACCÉLÉRATION DE LA CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE 34

11-LA POLITIQUEDE POPULATION: UN OBJECTIF DESTABILISATION 39

111- UNE TRANSITION DÉMOGRAPHIQUE BIEN EN COURS 41

IV - LA STÉRILISATION, MODE PRIVILÉGIÉ DE RÉGULATION DES NAISSANCES 45

V - D'AMPLES CONTRASTES SOCIOCULTURELS ET GÉOGRAPHIQUES 48

BIBLIOGRAPHIE 54

Chapitre 3 - LE MONDE DES VILLES - V. Dupont Y' 55

1- UNE POPULATION URBAINE MINORITAIREEN PROGRESSION RELATIVEMENT MODÉRÉE 55

11-UN SYSTÈME URBAIN ÉLABORÉ MAIS DOMINÉ PARQUELQUES GRANDES MÉTROPOLES 59

111- LA MORPHOLOGIEDES VILLES INDIENNES 66

IV - LES DÉFIS DU MONDE URBAIN 73

BIBLIOGRAPHIE 84

Partie 11- LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN 85

Chapitre 1- MOSAïQUE SOCIALE ET SOCIÉTÉ DE CASTES,UN OBSTACLE AU DÉVELOPPEMENT? - M.-C. Saglio-Yatzimirsky 87

1- LA MOSAïQUE SOCIALE: DIVERSITÉ LINGUISTIQUE ETRELIGIEUSE 87

Il - UNE SOCIÉTÉ DE CASTES 94

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224

BIBLIOGRAPHIE

TABLE DES MATIÈRES

105

Chapitre 2 - ÉDUCATION, SANTÉ, STATUT DES FEMMES:DES PROGRÈS LIMITÉS - M.-C.Saglio-Yatzimirsky & K. Marius-Gnanou 106

1- LE DËFIDE L'ËDUCATION PRIMAIRE 108

11- LE RETARD ALARMANT DE L'ËTAT DE SANTË 114

111-LESTATUT DES FEMMES 119

BIBLIOGRAPHIE 131

Chapitre 3 - POLITIQUES SOCIALES ET PAUVRETÉ - 1. Milbert 132

1- LA PAUVRETË, INCONTOURNABLE RËALlTË 133

11- LE DËBAT SUR LA MESURE DE LA PAUVRETË 139

111-LES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETË 141

IV - LES POLITIQUES PUBLIQUES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETË 143

BIBLIOGRAPHIE 151

Partie Il - LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 153

Chapitre 1- LES DÉFIS DU MONDE RURAL - K. Marius-Gnanou 1S4

1- L'INDE AUX 600 000 VILLAGES 154

1/- DESSTRUCTURES AGRAIRESINËGALES 157

111- L'INËGAL SUCCÈS DE LA RËVOLUTION VERTE 160

IV - L1BËRALISATION ËCONOMIQUE ET NOUVEAUX ENJEUX 168

BIBLIOGRAPHIE 178

Chapitre 2 - LES DÉFIS DE L'INDUSTRIE: DE L'ARTISANAT VILLAGEOISAUX TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION - L Kennedy 179

1- LE MODÈLE INDIEN DE DËVELDPPEMENT 179

11- LES CARACTËRISTIQUES ACTUELLES DE L'INDUSTRIE INDIENNE 189

III - LES GOULETS D'ËTRANGLEMENT : DES INFRASTRUCTURES MËDIOCRES 205

BIBLIOGRAPHIE 213

GLOSSAIRE 215

SITES INTERNET 217

TABLE DES CARTES, GRAPHIQUES, PHOTOS ET TABLEAUX 219

LES AUTEURS 221

Achevé d'imprimer en janvier 2002 par Normandie Roto Impression s.a., 61250 LonraiN° d'impression: 020094 - Dépôt légal: février 2002

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