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Point de vue des femmes sur l'aménagement urbain- Dominique Poggi

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Page 1: Point de vue des femmes sur l'aménagement urbain- Dominique Poggi

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« Point de vue des femmes sur l’aménagement urbain et droit à la ville pour toutes »

Par Dominique POGGI, Sociologue, chercheure indépendante

Résultats d’une recherche action menée avec des habitantes des quartiers populaires de l’Est du Val

d’Oise

Les résultats de la recherche action présentés sont issus de l’ouvrage : « Droit de Cité pour les

Femmes », Christine BULOT, Dominique POGGI, éditions de l’Atelier, Paris, 2004

En ce qui concerne cette recherche action, l’histoire a commencé dans l’Est du Val d’Oise,

parce que des responsables d’associations constataient que la paupérisation touchait

particulièrement les femmes, leurs conditions se détérioraient et en même temps, ni les décideurs

institutionnels, ni les décideurs politiques ne prenaient en compte cette difficulté. Et puis, ils

n’intégraient pas non plus tous les apports que les femmes pouvaient faire dans ces quartiers parce

qu’après tout, c’était grâce à elles, à travers leur activités bénévoles, que le lien social ne s’était pas

complément délité.

Alors, pour remédier à cette invisibilité tant des besoins que des apports, des associations

ont décidé de mener une recherche action sur quatre communes de l’Est du Val d’Oise : Sarcelles,

Villiers-le-Bel, Gonesse et Garges-lès-Gonesse. L’idée de cette recherche action était de produire des

connaissances sociologiques précises, de mobiliser les femmes, et de rendre la question

incontournable pour les décideurs. Bien sûr, les bases philosophiques de ce type de recherche action,

c’est que les habitantes ont une expertise, une expertise d’usage qui est à mettre sur le même plan

et en coopération, en circularité, avec l’expertise des professionnels, des techniciens et des

politiques.

Dans cette recherche action, trois thèmes avaient été retenus : l’emploi, l’avenir des jeunes

filles et la participation des femmes à la vie locale. L’idée de la mobilité des déplacements ne faisait

pas partie des axes de départ.

Alors, quand les responsables associatifs m’ont contactée et m’ont décrit la richesse du tissu

associatif de ces quartiers, j’ai proposé qu’on mette en place une démarche vraiment participative,

c’est-à-dire qu’au lieu de faire la recherche en tant que professionnels avec des spécialistes, on allait

proposer aux actrices locales elles-mêmes, de faire l’enquête. Alors comment a-t-on procédé sur le

plan méthodologique ? On a fait un appel, dans les quatre communes, il y a eu beaucoup de

réponses, on était assez étonnés des réponses massives et on a très facilement pu constituer une

équipe.

C’était une équipe de professionnelles et d’habitantes. Des professionnelles qui travaillaient,

qui parfois habitaient d’ailleurs dans les communes. Et ces femmes sont devenues les animatrices de

la recherche action. Et on a mis en place quatre principes méthodologiques pour ce processus de

recherche action :

1. la formation (cette équipe a bénéficié d’une formation aux méthodes sociologiques – des

méthodes sociologiques simples, facilement appropriables, mais rigoureuses), et donc ce

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temps de formation a favorisé aussi la construction de l’équipe, parce que c’est toute une

aventure une recherche action, ça dure des mois, on n’est jamais sûr de ce qui va se passer,

donc c’était important de construire l’équipe ;

2. la démultiplication : pour réaliser le diagnostic local, les animatrices sont allées en binôme

sur le terrain, elles ont réuni des groupes de diagnostic composés de femmes et aussi de

jeunes filles, il y a eu 9 groupes de diagnostic, et chaque groupe s’est réuni trois fois, au total

c’étaient 86 femmes et jeunes filles qui étaient concernées. Et dans ces groupes, les

animatrices se sont mises à l’écoute des personnes. Elles avaient trois thèmes de départ,

certes, mais avant, il y a eu un temps avec une consigne très large « je voudrais que vous

nous parliez de la vie des femmes dans ces quartiers, de votre vie à vous », de façon à avoir

la possibilité d’un espace de parole libre. Et cette méthode permet effectivement de laisser la

place à des thèmes auxquels on n’avait pas pensé, et grand bien nous a pris comme vous

allez voir…

3. la validation : tout au long du processus, les animatrices ont réalisé des compte rendus après

chaque réunion et systématiquement à la réunion suivante, les compte rendus étaient

soumis à validation, pour que les femmes puissent vérifier que leur parole avait été bien

entendue et bien prise en compte, et elles n’ont pas manqué de le faire.

4. ce sont les femmes elles-mêmes qui ont réalisé l’analyse et la synthèse du matériel recueilli,

et cela faisait un gros paquet, bien sûr avec le soutien méthodologique que je pouvais

apporter, mais c’est elles qui l’ont fait, et comme ça elles étaient maîtres d’œuvre.

« Des analyses pointues, pertinentes et transversales »

Et à la fin, puisque dans une recherche action on a toujours une présentation publique des

résultats, ce sont les femmes elles-mêmes qui sont montées en tribune au cours des deux journées

de restitution, et qui ont donné les résultats en laissant une large place aux paroles qu’elles avaient

recueillies dans les entretiens, et ça c’était très important, parce que dès qu’on a lancé le débat, la

salle s'est manifestée, les habitantes se reconnaissaient dans les paroles d’autres habitantes, et ça a

légitimé aussi (leurs discours) auprès des politiques. Le processus a duré sept mois. Et les femmes se

sont transformées au cours de ces sept mois.

Les résultats : ce qui nous a le plus frappé quand on a vu les résultats, c’est à quel point les

femmes ont produit des analyses pointues, pertinentes et transversales.

Aux côtés du matériel, le relationnel et le lien social

Il y avait trois thèmes : l’emploi, la place des femmes dans la vie locale, et l’avenir des jeunes

filles. Mais les femmes ont tout de suite élargi le champ. Pour elles, parler de l’emploi, c’est

inévitablement parler : des transports, des modes de garde , c’est parler de l’aménagement urbain,

c’est parler de la non-valorisation, de la non-reconnaissance économique du travail domestique, c’est

parler des rapports hommes-femmes, c’est parler de la question des violences, de religion, tradition,

modernité. En fait les femmes analysent les situations au grand angle, elles ne fragmentent pas la

réalité, elles ne spécialisent pas les domaines. Donc, parler de l’emploi sans parler des transports et

des modes de garde, c’est impossible pour les femmes, c'est un non sens.

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Alors, des thèmes ont donc émergé spontanément. D’abord, l’aménagement urbain. Elles ont

dit, et répété, que l’aménagement urbain ne prenait pas en compte les besoins et les réalités

quotidiennes des femmes. Citation : « On voit que l’urbanisme a été pensé par des hommes. Ne

serait-ce que sur les trottoirs, on ne pense pas aux poussettes… peut-être que s’il y avait un peu plus

de femmes… » Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’en même temps qu’elles parlaient de la structure

de l’aménagement urbain, les femmes parlaient tout de suite du relationnel. En parlant de la ville,

elles parlent du lien social. Elles disaient : « les relations de voisinage, en ce moment, çà se dégrade,

et finalement c’est une source d’isolement et de peur, çà génère un sentiment de mal-être pour les

femmes seules en particulier ». Et donc en même temps qu’elles disaient : « il faudrait qu’on prenne

en compte, dans l’aménagement urbain, les besoins des femmes » (faire attention aux poussettes

etc., et bien d’autres choses), elles disaient aussi : « il faut qu’on crée de nouveaux espaces de

dialogue et d’échange, pour qu’on se rencontre et qu’on crée des liens » et ça c’est quelque chose

qui me paraît vraiment important, tout le temps le lien entre la structure, le matériel, le dur, et puis

le relationnel et le lien social.

A propos des transports publics, le diagnostic montre à quel point, dans ces régions de l’Est

du Val d’Oise, les transports sont complètement inadaptés et constituent de réels freins. Pourtant

les femmes ont dit « on a vraiment envie de se déplacer, on en a besoin (…) pour des tâches

quotidiennes, pour le travail, pour la recherche d’emploi, pour suivre une formation, et aussi pour

avoir une vie sociale et citoyenne, pour participer à des associations, pour aller voir des amis, pour

sortir le soir etc. Or, ce qu’elles ont décrit, ce sont tous les freins qu’elles rencontrent. Les quartiers

sont éloignés les uns des autres et sont mal reliés. Les banlieues sont très mal reliées. Se déplacer à

pied, pour les femmes de l’Est du Val d’Oise, ça relève parfois du tour de force, surtout si elles sont

accompagnées des enfants, ce qui est la réalité quotidienne de la plupart d’entre elles. Elles disent :

« Circuler avec une poussette, c’est difficile. Les voitures se garent sur les trottoirs. On est obligées

de les contourner en descendant sur la rue. Quand je suis avec une poussette et deux autres enfants

qui se tiennent de chaque côté, mais c’est dangereux, on descend du trottoir, les voitures arrivent

très vite ». « Et puis il y a aussi des arbres en plein milieu des trottoirs avec des racines qui dépassent,

moi j’ai cassé trois poussettes ».

Côté transport collectifs, le nombre des bus et les horaires sont inadaptés. Les temps de

trajet sont particulièrement longs, et les liaisons inter-quartiers impraticables. Et que dire des liaisons

entre les communes, entre Villiers-le-Bel et d’autres communes, il y avait une femme qui habitait à

l’hôpital de Garges, elle habitait à Sarcelles, et bien pour aller de l’un à l’autre il fallait qu’elle prenne

trois bus pour aller travailler, et cela prenait deux heures, et c’est à dix kilomètres, mais les liaisons

sont mal faites. Et puis, ce qu’elles ont dit aussi, c’est que, outre l’inadéquation des horaires, dès qu’il

fait nuit, le manque d’éclairage les met mal à l’aise. Elles ont peur d’attendre le bus longtemps quand

il fait nuit, disaient-elles. Et puis aussi : « quand on se déplace, il y a des endroits où c’est très mal

éclairé dans la rue, c’est même pas éclairé du tout, on ne se sent pas bien. »

Un groupe d’expertes

Elles ont parlé aussi de l’aménagement et du mobilier urbain lié au transport, par exemple,

les abribus, et aussi, dans les gares, les systèmes d’escalators. Exemple, l’une dit : « à la gare de

Garges-Sarcelles, l’escalator ne fonctionne que dans un sens, alors qu’il n’y a pas non plus

d’ascenceur, donc avec une poussette… Les abris aussi sont mal conçus, je me suis trouvée plusieurs

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fois à attendre le bus et j’avais l’impression d’être perdue dans la nature. Il y a une borne qui indique

un arrêt de bus mais il n’y a pas d’abri, c’est à même la route. On voit les voitures défiler à grande

vitesse, avec les enfants c’est un problème. » Bref, elles étaient vraiment dans le concret, dans le

pragmatique. Et tout ça pour elles, cela complique considérablement l’accès aux services, aux

crèches, souvent éloignées du domicile, (comme c'est le cas en zone rurale, ) au lieu de travail, au

lieu de formation. Le manque ou l’inadaptation des moyens de transport, c’est un frein majeur à

l’emploi dans les banlieues et un frein majeur à la citoyenneté, également. Et, bien sûr, c’est un

handicap dans toutes les démarches qu’il y a à faire au quotidien. Résultat : les femmes ont décrit

une sorte d’enfermement dans le quartier, elles se sentent assignées à rester dans ce quartier. Cela

dit, au delà des analyses critiques, les femmes ont formulé des propositions très concrètes, elles ont

dit : « il faut revoir les plans de déplacement urbains ». Elles ont parlé de mise en place de modes de

garde, en particulier à horaires décalés, parce qu’il y a beaucoup de ces femmes qui pourraient

travailler à Roissy, mais comme femme de ménage, entre 5 heures et 7 heures du matin, il leur

faudrait avoir des halte garderies, des crèches à horaires décalés. Elles ont parlé aussi, comme en

zone rurale, du développement et de l’organisation du covoiturage. Elles ont invoqué la création de

modes de transport souples, l’une disait (elle était d’origine antillaise) « mais aux Antilles, il existe

des taxis collectifs, si on pouvait imaginer des modes de transport à taille humaine ». Après, quelques

fois, elles ont fait preuve d’humour en disant « moi, ce que je pense, c’est qu’on devrait organiser

des stages pour les conducteurs de bus, stages poussette, il faudrait leur demander de monter et de

descendre d’un bus bondé en moins de trente secondes ». Car pour les femmes c' est difficile, étant

donné que les conducteurs sont pressés. Elles ont essayé d’aller au niveau le plus concret possible.

Alors par la suite, ce groupe de femmes, après avoir présenté les résultats, est devenu une

espèce de groupe-ressource, de groupes d’expertes. Il fallait les voir, avec la carte des quatre

communes, et des réseaux de bus, en disant : « cet arrêt-là, cela ne va pas du tout, il faut le changer,

cet horaire-là, cela ne va pas du tout ». Exemple : il y avait un bus qui s’arrêtait en bas d’une rue

particulièrement pentue, les femmes qui habitaient en haut de la rue devaient remonter la rue avec

des poussettes, des gamins…Elles ont dit : « pourquoi est-ce qu’on ne met pas un arrêt de bus en

haut ? », elles ont proposé des modifications des horaires, elles sont allées dans d’autres villes d’Ile-

de-France voir comment d’autres groupes s’étaient organisés, ce que d’autres groupes avaient créé

comme solution alternative, et elles ont réfléchi aussi à des moyens de faire financer des permis de

conduire (…) et puis elles sont devenues un groupe référent, c’est-à-dire que les maires, par exemple,

quand ils devaient négocier avec le STIF (Syndicat des Transports en Ile-de-France) , s’appuyaient sur

l’expertise des habitantes, cela leur donnait une légitimité.

« Il est tard, rentre chez toi ! »

Je voudrais dire aussi quelques mots sur un autre thème qui a émergé spontanément dans

cette recherche action, qui n’était pas prévu au départ, c’est la question des violences dans les

espaces publics, en particulier envers les jeunes filles et les jeunes femmes. Ce qui a été décrit, c’est

que l’accès à la ville, aux rues, au dehors, était, non pas interdit mais fortement contrôlé et soumis à

conditions. D’abord, les jeunes filles disaient, « souvent on est retenues à la maison parce qu’il faut

s’occuper des enfants, faire les tâches ménagères ». Et surtout, elles sont confrontées – elles peuvent

quand même sortir, en tout cas pendant la journée – à toutes sortes d’interdits : interdits

vestimentaires, façon de se maquiller et d’autres choses. Et puis bien souvent, elles peuvent sortir

dans la journée, mais la nuit, elles subissent des remarques.

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« Les trois quarts des agressions se sont produites dans un lieu très fréquenté »

L’une disait : « des fois, je suis dehors, il fait nuit, je croise un garçon, je le connais à peine, il

me dit à peine bonjour et il me dit « allez, il fait nuit, il se fait tard, rentre chez toi ! Alors c’est

embêtant parce qu’en hiver il fait nuit à cinq heures » Elles décrivent comme ça toute une série

d’interdits, et on était assez étonnés quand on a découvert ça parce que le mouvement « Ni putes ni

soumises » n’avait pas encore émergé et on était assez surprises d’avoir ces récits. On a vu ensuite

qu’il y avait d’autres études qui aboutissaient au même résultat, par exemple la sociologue Hélène

Orain parle d’un espace public dominé par les garçons et décrit toutes les stratégies de

contournement que les femmes, jeunes femmes, jeunes filles doivent faire pour éviter de passer,

dans certaines rues, devant certains cafés, à certaines places, devant certaines centres sociaux, où les

garçons sont là, agglutinés, et les interrogent : « pourquoi t’es là ? ».

Caroline Vaissière dit que le poids des jugements qui sont portés par les groupes de garçons

sur les jeunes filles et les jeunes femmes, aboutit à une partition sexuée de l’espace très étanche. Et

puis une enquête qui a été faite en Seine-Saint-Denis1, montre qu’il y a un réel harcèlement sexiste

de certains groupes de garçons sur certaines jeunes filles et jeunes femmes, et ça les soumet à des

contraintes, ça les oblige à des stratégies d’évitement, ça les oblige à se vêtir différemment de la

manière dont elles aimeraient se vêtir, ça les empêche de fréquenter certains endroits et de sortir à

certaines heures.

Pour autant, il ne faudrait pas penser que ces interdits ne concernent que les jeunes filles et

les jeunes femmes des quartiers en difficulté. On observe la même chose dans les centres ville. Et là

je voudrais juste donner quelques éléments de l’enquête ENVEFF (France : Enquête Nationale sur les

Violences envers les Femmes), qui a donné beaucoup d’information sur les violences conjugales,

mais aussi sur les violences dans les espaces publics.

Cette enquête menée auprès de 7.000 femmes entre 20 et 59 ans, a révélé qu’une femme

sur cinq, 19% exactement, avait subi au moins une violence dans l’espace public au cours des douze

derniers mois. Et dans un tiers des cas ces violences étaient répétées au cours de l’année. Plus

surprenant encore et contrairement aux idées reçues, les agressions n’arrivent pas majoritairement

dans des lieux déserts, où les femmes seraient seules la nuit, pas du tout. Les trois quarts des

agressions se sont produites dans un lieu qui était très fréquenté, et les deux tiers ont eu lieu le

matin et dans la journée. Les espaces en publics en question, ce sont la rue, les transports en

commun, les grands magasins, les clubs de sport, les restaurants, la plage, les jardins publics etc.

« Lever les freins relationnels liés aux interactions dans la ville »

Je pense que par rapport à cette question des violences, l’analyse qui a été faite par l’ENVEFF

est très intéressante à comparer avec le travail de Marylène Lieber, qui a fait sa thèse sur le soi-

disant sentiment d’insécurité des femmes dans les espaces publics – je dis « soi-disant » parce qu’il

n’est pas naturel, il est fabriqué – et sa thèse a donné lieu à un bouquin qui s’appelle « Genre,

1

Enquête sur les comportements sexistes et les violences envers les jeunes filles en Seine-Saint-Denis",

réalisée à la demande du Conseil Général de Seine Saint Denis

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Violence et Espace public – la vulnérabilité des femmes en question » et elle montre que dans tous

les milieux sociaux les femmes peinent à vivre leur droit à la ville, c’est-à-dire que la plupart des

femmes ont recours à des stratégies de protection, d’évitement quand elles savent qu’elles vont

devoir par exemple rentrer tard le soir, elles essayent différentes stratégies, elles ne s’habillent pas

n’importe comment, elles ne passent pas n’importe où, elles essayent de se faire accompagner ou

elles prennent un taxi si elles ont les moyens etc.

Alors ce que je pense c’est que, évidemment pour faciliter la mobilité des femmes et le droit

des femmes à la ville, il y a des freins structurels, on en a beaucoup parlé, et ces freins structurels, on

doit les lever : l’aménagement urbain, les transports, inventer… (…) Ca c’est utile. Mais je me

demande si ça suffit, et je n’en suis pas sûre. Je pense que des réponses qui n’intégreraient que des

améliorations matérielles, si inventives soient-elles, ne suffiraient pas à redonner aux femmes le

droit à la ville. Je pense que la lutte contre les violences dans les espaces publics doit être prise en

compte. On pourra discuter de la manière de le faire. Mais pour permettre une réelle liberté de

circulation, une mobilité équitable pour toutes les femmes, il est important de lever les freins

relationnels et liés aux interactions dans la ville, des interactions qui sont souvent dures à vivre pour

les femmes, et qu’elles vivent comme menaçantes, et parfois à juste titre. Et c’est tout le but des

marches exploratoires pour la tranquilité des femmes. Moi, j’ai eu la chance de pouvoir former des

équipes à l’animation de marches exploratoires en Ile-de-France et autour, ’idée des marches

exploratoires, c’est ces groupes de femmes qui vont se balader dans un quartier, en ayant défini un

itinéraire, et qui disent « voilà ce qui se passe ici, voilà ce qui se passe là », et pendant ce temps on

prend des notes. Le but des marches exploratoires, c’est de réduire les inégalités entre hommes et

femmes dans la manière d’occuper l’espace, et dans la manière d’avoir accès à la ville.

Elles concernent bien sûr les aménagements urbains, mais elles concernent aussi les rapports

sociaux entre hommes et femmes, c’est-à-dire qu’on se pose des questions telles que « qu’est-ce qui

se passe ici, qui est là, où, à quelle heure, que font les femmes à tel endroit, y a-t-il des femmes, n’y

en a-t-il pas, n’y a-t-il que des hommes, pourquoi n’y a-t-il que des femmes, qu’est-ce qui se

passe ? ». Et donc, l’objectif aussi des marches exploratoires, outre d’améliorer l’aménagement

urbain, les éclairages, la beauté des lieux, etc., c’est que les femmes repèrent les comportements

sexistes qui restreignent leur liberté de circuler et qui les empêchent d’utiliser les espaces publics en

tant que femme, en tant que citoyenne, en tant que travailleuse, en tant qu’habitante. Alors, je

voudrais faire part d’un effet qu’on a observé quand on a fait les marches exploratoires, c’est que

l’exercice lui-même, le fait de partir en groupe et de circuler, a contribué à la réappropriation de

l’espace public par les femmes qui faisaient les marches. Elles ont pris conscience en faisant les

marches, que là, elles n’allaient jamais seules dans tel espace. Et à la fin, elles disaient : « mais

comment se fait-il qu’on ait laissé aller les choses en arriver là, qu’on ne se soit pas rendu compte

plus tôt que, devant ce café, on ne passe jamais, qu’on fait un grand détour… Comment se fait-il que

…etc. » Et puis, un autre type d’effet des marches exploratoires, c’est que, à partir des constats et

des analyses qui sont faits, qui sont notés, des propositions sont formulées et sont présentées aux

décideurs, et il y a tout un travail de suivi à faire pour voir comment les choses peuvent avancer.

Pour finir Je voudrais donner un exemple de propositions qui visent à diminuer l’exclusion

des femmes, mais qui, en même temps, améliorent la qualité de vie et la sécurité de tous et toutes

dans les quartiers concernés. En décloisonnant l’espace urbain, c’est l’ensemble des habitants et des

habitantes qui en profitent. Par exemple, quand on a fait les marches exploratoires à Montreuil, on a

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observé qu’il y avait un square qui était squatté par trois hommes, pas par des jeunes mais par des

adultes alcoolisés. Et qui se comportaient de manière telle que le square était déserté, et pas

seulement par les femmes, par tout le monde. Et puis, a contrario, il y avait un square, pas très loin,

qui avait été conçu en concertation avec les habitants, pensé par les habitant/es, la municipalité et

les services et bien ce square était accessible à tout le monde, c’est-à-dire que les femmes avaient

pensé aux enfants, aux personnes âgées, aux personnes handicapées… On retrouve ainsi un peu

cette même chose – évidemment c’est les femmes qui s’occupent des enfants, des personnes âgées

et souvent des personnes handicapées avec lesquelles elles vivent – donc quand les femmes font des

propositions concrètes et transversales, bien souvent ce sont des propositions qui sont inclusives, et

qui profitent à l’ensemble des habitants et des habitantes.