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8/14/2019 Pomes by Wilde, Oscar, 1854-1900
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POMES
Traduction et Prface
PARALBERT SAVINE
1907
LES POMES D'OSCAR WILDE
Les Pomes ont t publis en 1881, puis rimprims en 1882 aux tats-Unis.
N en 1856, Oscar Wilde venait alors d'achever ses tudes Oxford o il avait pass cinq annes au Magdalencollge, remportant, en 1878, le prix Newdegate pour son pome Ravenne, cho des motions et des souvenirsqu'il avait rapports, l'anne prcdente, de son voyage en Italie et en Grce avec le professeur Mahaffy.
Les Pomes firent grand bruit dans les cercles littraires londoniens. Wilde fut trs discut.
Pour les uns, son oeuvre n'tait que la runion des informes essais d'un collgien sans originalit, rejetant enhte dans la circulation ce qu'il avait pu s'assimiler plus ou moins troitement des ides et de la civilisation desAnciens.
Pour d'autres, les Pomes affectaient la plus fausse, la plus artificielle recherche d'originalit.
On y voyait, les entendre, rgner ce style alambique, contourn, bizarre que fut jadis celui de Lily et desEuphuistes, de Gongora et des Prcieuses, et tout cela russissait mal masquer le vide d'une me incapablede penser par elle-mme.
Pour un troisime groupe enfin, il fallait voir dans les Pomes comme l'Evangile d'un nouveau Credo.
Wilde n'tait-il pas l'aptre et le pontife de l'art pour l'art, l'homme qui faisait bon march du puissant empireaux pieds d'argile, de la petite le dserte par toute chevalerie? Chez lui plus de patriotisme, plus de haineinvtre du Papisme...
... Parmi ses collines (de l'Angleterre), disait un de ses sonnets, s'est tue cette voix quiparlait de libert. Oh! quitte-la, mon me, quitte-la! Tu n'es point faite pour habiter cette vile
demeure de trafiquants o chaque jour
On met en vente publique la sagesse et le respect, o le peuple grossier pousse les crisenrags de l'ignorance contre ce qui est le legs des sicles.
POMES 1
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Cela trouble mon calme. Aussi mon dsir est-il
de m'isoler dans des rves d'artet de suprme culture, sans prendre parti ni pour Dieu ni
pour ses ennemis1.
Note 1: (retour) Thoretikos.
On ne pouvait lui refuser toute attache dans le pass et ce culte des choses d'autrefois qui est une partie dupatrimoine intellectuel de l'artiste. S'il ne voulait prendre parti ni pour Dieu ni pour ses ennemis, son ddain dela bataille vile, des cris enrags de l'ignorance, rigeait une sorte d'autel au pass
Esprit de beaut, reste encore un peu, chantait-il dans son Jardin D'Eros, ils ne sont pastous morts, tes adorateurs de jadis. Il en vit encore un petit nombre de ceux gui le
rayonnement de ton sourire est prfrable des milliers de victoires, dussent les nobles
victimes tombes Waterloo, se redresser furieuses contre eux. Reste encore, il en survit
quelques-uns
Qui pour toi donneraient leur part d'humanit et te consacreraient leur existence. Moi, dumoins, j'ai agi ainsi. J'ai fait de tes lvres ma nourriture de tous les jours et dans tes temples
j'ai trouv un festin somptueux, tel que n'et pu me le donner ce sicle affam, en dpit de ses
doctrines toutes neuves o tant de scepticisme s'offre sous une forme si dogmatique.
L ne coule aucun Cphise, aucun Hissus. L ne se retrouvent point les lois du blancColonos. Jamais sur nos blmes collines ne croit l'olivier, jamais un ptre simple ne fait
gravir son taureau mugissant les hautes marches de marbre et l'on ne voit point par la ville
les rieuses jeunes filles t'apporter la robe brode de crocus...
Peut-tre cet amour de l'antiquit, ce ddain du mercantilisme moderne, on et pu de l'autre ct de la Mancheles pardonner Oscar Wilde s'il avait accept de suivre la foule dans quelques-unes de ses rues contre ce
qu'elle hassait. Mais l encore l'abme s'ouvrait entre Wilde et ses contemporains.
Il a depuis exprim ce regret que son pre l'et empch alors de se faire catholique, seul contrepoids auxdviations qui allaient faire drailler son me sur les chemins de la vie.
La dmonstration de cette tendance une conversion catholique n'est pas inscrite dans ses Pomes mais deleur lecture il rsulte nettement que Wilde avait rapport d'Italie le respect et le regret des ges passs de laPapaut. Il appartenait cette petite lite protestante d'artistes et de musiciens qui il parut, aprs 1870, qu'il yavait quelque chose de rompu dans l'esthtique romaine et qu'avec son Pontife-Roi Rome avait perdu un deses plus beaux fleurons.
Pour moi, dit Wilde, plerin des mers du Nord, quelle joie de me mettre tout seul larecherche du temple merveilleux et du trne de celui qui tient les cls redoutables.
Alors que tout brillants de pourpre et d'or, dfilent et prtres et saints cardinaux et que port
au-dessus de toutes les ttes arrive le doux pasteur du troupeau.
Quelle joie de voir, avant que je meure, ce seul roi qui soit oint par Dieu et d'entendre les
trompettes d'argent sonner triomphalement sur son passage.
Ou lorsqu' l'autel du sanctuaire, il lve le signe du mystrieux sacrifice et montre aux yeux
mortels un Dieu sous le voile du pain et du vin.
Poemes
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Aussi chez le pote, quelle dsillusion lorsqu'il voit dans l cit couronne par Dieu, dcouronne parl'homme, flotter l'odieux drapeau rouge, bleu et vert.
Ce n'est pas qu'il ait abjur le culte de la libert, mais il n'a jamais aim celle-ci pour elle-mme. Il n'est quesur certains points avec ces Christs qui meurent sur les barricades. Il n'aime gure les enfants de la Libertdont les yeux mornes ne voient rien si ce n'est leur misre sans noblesse, dont les esprits ne connaissent rien,
n'ont souci de rien connatra. En somme,
Malgr cette dmangeaison moderne de libert,
je prfre le gouvernement d'un seul, auquel tous
obissent, celui de ces dmocrates braillards qui
trahissent notre indpendance par les baisers
qu'ils donnent l'anarchie!
Ce qui lit vibrer son coeur, c'est que
...Le grondement de les dmocraties.
Les rgnes de la Terreur, les grandes anarchies,
refltent pareilles la mer mes passions les plus
fougueuses et donnent ma rage un frein. Libert!
pour cela uniquement tes cris discordants
Enchantent mon me jusqu'en ses profondeurs.
Sans cela tous les rois pourraient, au moyen du
knout ensanglant et des traitreuses mitraillades,
dpouiller les nations de leurs droits inviolables,
Que je resterais sans m'mouvoir...
C'tait un irrductible aristocrate, de cet heureux petit nombre qui concentre autour de soi la joie de vivre.
Et voil pourquoi le monde, se vengeant, lui fut si cruel!
Albert Savine.
HLAS
tre entran la drive de toute passion jusqu'
ce que mon me devienne un luth aux cordes
tendues dont peuvent jouer tous les vents, c'est pour
cela que j'ai renonc mon antique sagesse, l'austre
Poemes
HLAS 3
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matrise de moi-mme.
A ce qu'il me semble, ma vie est un parchemin
sur lequel on aurait crit deux fois, o en quelque
jour de vacances, une main enfantine aurait griffonn
de vaines chansons pour la flte ou le virelai,
sans autre effet que de profaner tout le mystre.
Srement il fut un temps o j'aurais pu fouler
les hauteurs ensoleilles, o parmi les dissonances
de la vie, j'aurais pu faire vibrer une corde assez
sonore pour monter jusqu' l'oreille de Dieu!
Ce temps-l est-il mort? Hlas! faut-il que pour
avoir seulemeut effleur d'une baguette lgre le
miel de la romance, je perde tout le patrimoine d
une me.
LE JARDIN D'ROS
Nous voici en plein printemps, au coeur de juin;
pas encore les travailleurs hls ne se htent sur les
prairies des hauteurs, o l'opulent automne, saison
usurire, ne vient que trop tt offrir aux arbres l'or
qu'il a mis de ct, trsor qu'il verra disperser par
la folle prodigalit de la brise.
Il est bien tt, vraiment! l'asphodle, enfant
Poemes
LE JARDIN D'ROS 4
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chrie du Printemps, s'attarde pour piquer la jalousie
de la rose; la campanule, elle aussi, tient
dploy son pavillon d'azur. Et, pareil un ftard
gar, perdu, que ses frres ont laiss l, pour
s'enfuir des bosquets, d'o les a chasss la grive,
messagre de juin,
seul, un ple narcisse reste l, tout apeur, tapi
dans un coin d'ombre, o des violettes, presque inquites
de leur propre beaut, se refusent regarder
face face l'or du soleil, par effroi d'une trop forte
splendeur. Ah! c'est bien l, ce me semble,
que viendraient se poser les pieds de Persphon,
quand elle est lasse des prairies sans fleurs
de Pluton,l que danseraient les adolescents
arcadiens, l qu'un homme pourrait trouver le mystre
secret de l'ternelle volupt, ce secret que les
Grecs ont connu. Ah! vous et moi, nous pourrions
le dcouvrir ici, pour peu que l'Amour et le sommeil
y consentent.
Ce sont l les fleurs qu'Hraklsen deuiisema sur
la tombe d'Hylas, l'ancolie, avec toutes ses blanches
colombes agites d'un frisson, quand la brise les a
froisses d'un baiser trop rude, la mignonne chlidoine
qui, dans son jupon jaune, chante le crpuscule
du soir, et le lilas en robe de grande dame,mais
laissons-les fleurir l'cart, laissons
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LE JARDIN D'ROS 5
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l-bas, les spirales de la rose trmire, aux rouges
dentelures, agiter sans bruit leurs clochettes, sans
quoi l'abeille, son petit carillonneur, irait chercher
plus loin quelque autre divertissement; l'anmone
qui pleure ds l'aube, comme une jolie fillette devant
son galant, et ne laisse, qu' grand'peine les
papillons ouvrir toutes grandes, auprs d'elle,
leurs ailes bigarres, laissons-la languir dans la
ple virginit, La neige hivernale lui plaira mieux
que des lvres comme les tiennes, dont la brlure
ne saurait que la fltrir. Va-t-en plutt cueillir cette
fleur amoureuse qui s'panouit solitaire, et que le
vent, entremetteur, poudre de baisers savoureux
qui ne sont pas de lui.
Les liserons aux fleurs en forme de trompette, et
qu'aiment tant les jeunes filles; la reine des prs,
la teinte de crme, plus blanche que la gorge de
Junon, odorante autant que l'Arabie entire; l'hyacinthe,
que les pieds de Diane chasseresse hsiteraient
fouler, mme la poursuite du plus beau des
daims tachets, la marjolaine en bouton, dont un
seul baiser suffirait embaumer les lvres de la
desse de Cythre, et rendre jaloux Adonis,cela,
c'est pour ton front,et pour te faire une
ceinture,voici ce flexible rameau de clmatite pourpre,
dont la couleur somptueuse efface de son clat le
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roi de Tyr,et ces digitales aux corolles
retombantes,mais pour cet unique narcisse, que
laissa tomber de sa robe la saison printanire, lorsqu'elle
entendit avec effarement, dans les bois o
elle rgnait, rsonner le chant ardent, orageux de
l'oiseau d't.
Ah! qu'il te soit un souvenir subtil de ces jours
charmants de pluie et de soleil, alors qu'avril riait
a travers ses larmes, en voyant la prcoce primevre
quitter d'un pied furtif les racines tortueuses des
chnes, et envahir la fort, au point que malgr ses
feuilles jaunies et froisses, elle se couvrait d'un or
tincelant.
Non, lu peux le cueillir aussi. Il n'a pas mme
la moiti de ton charme, toi l'idole de mon me,
et quand tes pieds seront las, les anchuses tisseront
leurs tapis les plus brillants; pour toi, les chvrefeuilles
oublieront leur orgueil et voileront leur lacis
confus, et tu marcheras sur les penses barioles.
Et je couperai un roseau dans le ruisseau de l-bas,
et je rendrai jaloux les dieux des bois; le vieux
Pan se demandera quel est ce jeune intrus qui
s'enhardit chanter dans ces retraites plus creuses
o jamais homme ne devrait risquer un pied le
soir, par crainte de surprendre Artmis et sa troupe
aux corps de marbre.
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charmante, ceinte de violettes.
Esprit de beaut, reste encore un peu: ils ne sont
pas tous morts, tes adorateurs de jadis; il en vit
encore un petit nombre, de ceux pour qui le rayonnement
de ton sourire est prfrable des milliers
de victoires, dussent les nobles victimes tombes
Waterloo se redresser furieuses contre eux; reste
encore, il en survit quelques-uns,
qui pour toi donneraient leur part d'humanit, et
te consacreraient leur existence. Moi, du moins, j'ai
agi ainsi. J'ai fait de tes lvres ma nourriture de
tous les jours, et dans tes temples j'ai trouv un
festin somptueux, tel que n'et pu me le donner ce
sicle affam, en dpit de ses doctrines toutes
neuves, o tant de scepticisme s'offre sous une
forme si dogmatique.
L, ne coule aucun Cephise, aucun Ilissus; l ne
se retrouvent point les bois du blanc Colonos. Jamais
sur nos blmes collines ne croit l'olivier, jamais
un ptre simple ne fait gravir son taureau
mugissant les hautes marches de marbre; on ne
voit point par la ville les rieuses jeunes filles t'apporter
la robe brode de crocus.
Pourtant, reste encore. Car l'enfant qui t'aima le
mieux, dont le seul nom devrait tre un souvenir
capable de te retenir 2, dort dans un repos silencieux,
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au pied des murs de Rome, et la mlodie
pleure d'avoir perdu sa lyre la plus douce; nul ne
saurait manier le luth d'Adonais, et le chant est
mort sur ses lvres.
Note 2: (retour) Il s'agit de John Keats (1795-1821) dont nous publierons prochainement lesPomes.
Non, la mort de Keats, il restait encore aux
Muses une voix argentine pour chanter sa thrnodie,
mais hlas! nous la perdmes trop tt, en cette nuit
dchire par la foudre, en cette mer rageuse, Pantha
vint rclamer comme son bien celui qui l'avait
chante, et fermer la bouche qui l'avait loue 3;
depuis lors, nous allons dans la solitude, nous
n'avons
plus que ce coeur ardent, cette toile matinale de
l'Angleterre ressuscite, dont le clair regard, derrire
notre trne croulant, et les ruines de la guerre,
vit les grandes formes grecques de la jeune Dmocratie
surgir dans leur puissance comme Hesprus,
et amener la grande Rpublique 4. A lui du
moins tu as enseign le chant.
Note 3: (retour) Shelley.
Note 4: (retour) Swinburne qui, ct des Pomes et Ballades, est l'auteur d'une tragdie,Atalante Calydon, dont nous avons en prparation une traduction.
Et il t'a accompagn en Thessalie, et il a vu la
blanche Atalante, aux pieds lgers, la virginit
impassible et sauvage, chasser le sanglier arm de
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dfenses. Son luth, aussi doux que le miel, a ouvert
la caverne dans la colline creuse, et Vnus rit de
savoir qu'un genou flchira encore devant elle.
Et il a bais les lvres de Proserpine et chant
le requiem du Galilen. Ce front meurtri, tach
de sang et de vin, il l'a dcouronn. Les Dieux de
jadis ont trouv en lui leur dernier, leur plus ardent
adorateur, et le signe nouveau s'efface et plit devant
son vainqueur.
Esprit de Beaut, reste encore avec nous. Elle
n'est point encore teinte, la torche de la posie.
L'toile qui surgit par-dessus les hauteurs de
l'Orient dfend invinciblement ses armoiries argentes,
contre les tnbres qui s'paississent, contre
la fureur des ennemis. Oh! reste encore avec nous,
car, au cours de la nuit longue et monotone,
Morris5, le doux et simple enfant de Chaucer,
l'aimable hritier des pipeaux mlodieux de Spencer,
a souvent charm par ses tendres airs champtres
l'me humaine en ses besoins et ses dtresses,
et des champs de glace, lointains et dnuds, a
rapport assez de belles fleurs pour faire ensemble
un paradis terrestre.
Note 5: (retour) William Morris, pote et ouvrier d'art, auteur du pome L'Histoire de Sigurdle Volsung et La chute des Niebelungen, 1877.
Nous les connaissons tous, Gudrun, la fiance
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tempte, sans avoir en subir les dsastres, car le
chanteur est divin.
Le petit rire que fait entendre l'eau en tombant,
n'est point aussi musical, et l'or liquide qui s'accumule
en piles serres dans la mignonne cit de cire
n'a pas tant de douceur. Les vieux roseaux demi
desschs qui se balanaient en Arcadie, ds que
ses lvres les touchent, exhalent une harmonie toute
nouvelle.
Esprit de beaut, attarde-toi encore un peu, bien
que les marchands trompeurs du commerce profanent
de leurs routes de fer notre le charmante, et
qu'ils rompent les membres de l'Art sur des
roues tournoyantes, hlas! bien que les usines
bondes propagent l'ignorance, ver rongeur qui tue
l'me, oh! reste encore.
Car il est au moins un homme,il tire son
nom de Dante et du sraphin Gabriel, et son double
laurier brle d'une flamme imprissable pour
clairer ton autel. Celui-l t'aime bien, qui vit le
vieux Merlin se prendre au pige de Viviane, et les
anges aux pieds blancs descendre les marches
d'or6.
Note 6: (retour) Gabriel Dante Rosetti.
Il t'aime si bien que l'univers doit se couvrir de
vtements aux couleurs somptueuses, et le Chagrin
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prendre un diadme de pourpre, ou, sans cela, il
cesserait d'tre le Chagrin; et le Dsespoir devrait
dorer ses cornes, et la Douleur, pareille Adon, serait
belle mme dans son excs. Tel est l'empire
qu'exercent les Peintres, tel est l'hritage que
possde notre solennel Esprit, car avec toute sa
piti, son amour, sa lassitude, il est un miroir plus
fidle de son sicle que ne le sont les Peintres dont
le talent ne peut prtendre un but plus haut que
la copie des banalits, incapable qu'il est de reprsenter
l'me avec ses terribles problmes.
Mais ils sont en petit nombre, et tout romanesque
s'est dissip. Les hommes peuvent faire des
prophties au sujet du soleil, des leons sur les taches,
enseigner comment les atomes sans me parcourent
isolment un vide infini, comme de chaque arbre
a fui la nymphe plore, pourquoi nulle naade ne
montre plus sa tte parmi les roseaux d'Angleterre.
A mon gr, ces modernes Actons se vantent
trop tt d'avoir surpris les secrets de la Beaut:
faut-il, parce que nous avons analys l'arc-en-ciel
et dpouill la lune de son mystre le plus ancien,
le plus chaste, que moi, le dernier Endymion, je
perde tout espoir, parce que des yeux impertinents
ont lorgn ma matresse travers un tlescope?
A quoi nous sert-il que ce sicle scientifique ait
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fait irruption par nos portes avec tout son cortge
de miracles modernes? Peut-il apaiser un amant au
coeur bris? Peut-il, en toute sa dure, faire quoi
que ce soit pour rendre une existence plus belle,
la faire plus divine un seul jour? Mais maintenant
le sicle d'argile
reparat, ramen par un cycle horrible: la Terre
a engendr une nouvelle et bruyante progniture
de Titans ignorants, que leur origine impure lance
encore une fois contre l'auguste hirarchie qui sigeait
sur l'Olympe. Ils ont fait appel la Poussire,
et c'est de cet arbitre infcond qu'ils doivent attendre
la sentence. Qu'ils tchent, s'ils en sont capables,
de faire sortir de la lutte naturelle et du hasard
sans raison la nouvelle rgle de l'idal pour
l'homme! Il me semble que ce n'tait point l mon
hritage, car j'avais t nourri d'une faon tout
oppose. Mon me va des hauteurs suprmes de
la vie vers un but plus lev.
Vois, pendant que nous parlions, la Terre a dtourn
du Dieu sa face, et la barque d'Hcate a surgi
avec sa charge argente, jusqu' ce qu'enfin le jour
jaloux en teignt toutes les torches. Je n'ai point
remarqu la fuite des heures; pour les jeunes Endymions,
les doigts paralyss du Temps grnent en
vain son rosaire de soleils.
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Regardez comme l'iris jaune penche languissamment
sa gorge en arrire, pour appeler le baiser de
son page perfide, la libellule, alors que celle-ci,
pareille une veine bleue sur le poignet blanc d'une
jeune fille, dort sur la primevre neigeuse qui est ne
cette nuit et qui commence s'enflammer du rouge
ardent de la honte, et va mourir en pleine lumire.
Allons-nous-en. Dj se profilent sur le ple bouclier
du ciel dcolor les brillantes fleurs de l'amandier.
Le rle des prs, tapi dans l'herbe encore respecte
de la faux, rpond l'appel de sa compagne;
les courlis rveills en sursaut franchissent d'un vol
irrgulier le ruisseau couvert de brouillards, et
dans son lit de roseaux, l'alouette, joyeuse de voir
poindre le jour,
parpille dans l'herbe les perles de la rose, et
toute tremblante d'extase, va saluer le Soleil, qui
bientt, sous sa complte armure d'or, va sortir de
cette tente couleur orange, que voici dresse l-bas
vers l'Orient en feu. Vois, la frange rouge apparat
sur les hauteurs attentives. Voici le Dieu, et
dans son amour pour lui,
la bruyante alouette est dj hors de vue et
remplit de ses chants cette valle de silence. Ah!
il y a dans le vol de cet oiseau plus d'une chose
qu'on ne saurait apprendre dans une cornue. Mais
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LE JARDIN D'ROS 16
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l'air frachit. Partons, car bientt les bcherons seront
ici. Quelle nuit de juin nous avons vcue!
LA NOUVELLE HLNE
O donc tais-tu, pendant qu'autour des murs
de Troie, les fils des Dieux se battaient en cette
grande emprise? Pourquoi reviens-tu fouler notre
terre nous? As-tu oubli cet adolescent passionn,
et sa galre aux voiles de pourpre, et son quipage
tyrien, et les yeux moqueurs de la perfide
Aphrodite? Car c'est assurment toi qui, pareille
une toile suspendue dans le silence argent de la
nuit, entranas la chevalerie et l'nergie du monde
antique au milieu des clameurs et des torrents de
sang de la guerre.
Ou bien rgnais-tu sur la lune charge de feu?
Ton temple a-t-il t bti dans l'amoureuse Sidon,
au-dessus de la lumire et du rire de la mer? Est-ce
l que, voile par le treillis fait d'carlate aux
mailles d'or, quelque jeune fille aux membres
bruns brodait une tapisserie pendant toute la dure
des heures vides et lourdes du plein jour, jusqu'
ce qu'enfin sa joue s'allumt des flammes de la
Poemes
LA NOUVELLE HLNE 17
8/14/2019 Pomes by Wilde, Oscar, 1854-1900
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passion, et qu'elle se levt pour recevoir, sur ses
lvres sales par l'embrun, le baiser d'un joyeux
matelot cyprien, revenu sain et sauf de Calp et
des falaises d'Hrakls?
Non, tu es bien Hlne elle-mme et non point
une autre; c'est pour toi que mourut le jeune Sarpdon,
et que l'ge viril de Memnon fut fauch
prmaturment. C'est pour toi qu'Hector au cimier
d'or tenta de vaincre le fils de Thtis dans cette
course fatale, dans la dernire anne de la captivit.
Oui, aujourd'hui encore l'clat de ta renomme
flamboie dans ces plaines d'asphodles fltries, o
les grands princes, si bien connus d'Ilion, entrechoquent
des fantmes de boucliers, en t'appelant
par ton nom.
O donc tais-tu? Dans cette terre enchante dont
Calypso la dlaisse connaissait les vallons endormis,
o jamais faucheur ne se lve pour saluer le
jour, mais o l'herbe intacte s'emmlait confusment,
o le berger mlancolique voyait ses hauts
pis rester debout jusqu'au temps o le rouge de
l't faisait place aux teintes grises de la scheresse?
tais-tu tendue l-bas, prs de quelque source
lthenne, tout entire tes souvenirs d'autrefois,
au craquement des lances qui se brisent, l'clair
soudain d'un heaume fracass, au cri de guerre des
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LA NOUVELLE HLNE 18
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Grecs?
Non, tu avais pour retraite cette colline creuse
que tu habitais avec celle dont on a perdu tout souvenir,
cette reine dcouronne que les hommes appellent
l'Erycine, cache si loin que tu ne pouvais
jamais voir la face de celle dont aujourd'hui,
Rome, les nations rvrent en silence les autels
dcrpits, de celle qui l'amour n'apporta nulle
joie, nulle volupt, de celle qui ne connut de
l'amour que l'intolrable souffrance, pour qui ce
fut seulement une pe qui lui fendit le coeur, et
qui n'en eut que la douleur de l'enfantement.
Les feuilles de lotus qui gurissent de la mort,
tu les tiens la main. Oh, sois bonne pour moi,
pendant que je me sais encore l't de ma vie, car
c'est peine si mes lvres tremblantes laissent
passer un souffle capable de faire retentir de ton
loge la trompette d'argent, tant je suis courb devant
ton mystre, tant je suis ploy, bris sur la
terrible roue de l'amour, et je n'ai plus d'espoir,
plus le coeur de chanter. Pourtant je ne me soucie
point quel dsastre le temps peut amener, si tu me
permets de m'agenouiller dans ton temple.
Hlas! tu refuses de t'arrter ici, mais comme
cet oiseau serviteur du soleil, et qui fuit devant le
vent du nord, de mme tu vas fuir loin de notre
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LA NOUVELLE HLNE 19
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terre maudite et morne pour regagner la tour o
jadis tu te plaisais tant, et retrouver les lvres
rouges du jeune Euphorion. Et pour moi, je ne
verrai plus jamais ta face; il me faudra rester en ce
jardin plein de poisons, poser sur mon front la couronne
d'pines de la douleur, jusqu' ce que ma vie
sans amour se soit coule tout entire.
O Hlne, Hlne, Hlne! Encore un peu, encore
un peu de temps! Reste ici jusqu' ce que le
jour vienne, et que les ombres s'enfuient, car dans
la lumire ensoleille de ton rassurant sourire, je
n'ai nulle pense, nulle crainte au sujet du ciel ou
de l'enfer, puisque je ne connais d'autre divinit
que toi, que celui aux pieds duquel les plantes fatigues
se meuvent, entranes dans des filets d'or,
que l'esprit incarn de l'amour spirituel, qui a
fix son sjour de volupt dans ton corps.
Ta naissance ne fut point celle des femmes ordinaires,
mais ceinte de la splendeur argente de
l'cume, tu surgis des abmes des mers azures, et
ta venue, quelque toile immortelle, la chevelure
de flamme, rayonna dans les cieux d'Orient,
et rveilla les ptres de l'le qui fut ta patrie. Tu
ne mourras point. Pas de venimeux aspic d'gypte
pour ramper tes pieds et infecter la puret de
l'air; ta chevelure ne sera, point salie des mornes
Poemes
LA NOUVELLE HLNE 20
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fleurs du pavot, ces hrauts qui, vtus d'carlate,
annoncent l'ternel sommeil.
Lis d'amour, pur, inviol, tour d'ivoire, rose rouge
de feu, tu es venue ici-bas illuminer nos tnbres.
Car pour nous, qu'enserrent de prs les vastes
filets du destin, nous qui sommes las d'attendre
que vienne le dsir des nations, nous errions au
hasard dans l'obscure demeure, nous cherchions
ttons quelque calmant endormeur pour les existences
manques, pour les misres qui s'ternisent
jusqu'au jour o reparut devant nous, sur ton autel
relev, la blanche splendeur de ta beaut.
CHARMIDS
I
C'tait un adolescent grec, et il revenait la
maison, avec des figues pulpeuses et du vin de
Sicile. Il se tenait la proue de la galre, et laissait
inconsciemment l'embrun souffler travers ses
grosses boucles brunes, et avec un ddain d'enfant
pour la vague et le vent, de son sige tout dgouttant
d'eau, il guettait travers la nuit humide et
orageuse.
Poemes
CHARMIDS 21
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Enfin, la lueur de l'aube, il vit une lance polie
se dessiner comme un mince filet d'or sur le ciel,
et il hissa la voile, il tendit les cordages criards,
commanda au pilote de naviguer vivement contre
la forte brise du nord, et pendant tout le jour il
se tint son poste, dirigeant du rythme de ses
chants les mouvements des rameurs.
Et quand du rouge apparut sur les vagues contours
des collines corinthiennes, il mit l'ancre
dans une petite baie fond de sable, posa sur sa
tte une couronne d'olivier frachement coup, puis
il tira du rduit sa tunique de lin et ses sandales
aux semelles d'airain,
et une riche robe teinte du suc des poissons; il
l'avait achete quelque marchand au teint de suie,
sur le quai ensoleill de Syracuse, et elle tait
orne de broderies tyriennes. Puis, il se fraya passage
parmi les marchands curieux, travers les
bois au doux feuillage argent, et quand le jour
fatigu
eut achev son tissu compliqu de nuages cramoisis,
il monta la colline escarpe, et d'un pas
alerte et silencieux, il se glissa vers le temple, inaperu
de la foule des prtres affairs, et l'abri
d'une sombre cachette, il contempla ces jeunes
bergers, ses turbulents camarades de jeux, qui apportaient
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les prmices de leurs petits troupeaux, il
vit le timide berger jeter
sur la flamme le sel crpitant, ou suspendre au
mur du temple sa houlette sculpte, en l'honneur
de celle qui loigne de la ferme et de l'table le
loup perfide, aux dents aiguises par la faim. Puis,
les jeunes filles aux voix claires se mirent chanter
et chacun apporta l'autel quelque pieuse offrande,
une coupe en bois de htre, pleine d'un lait cumant,
une belle toffe o taient ingnieusement
reprsents des chiens en chasse, un rayon de miel
tout dbordant d'or encore liquide que l'abeille
avait peine fini de travailler, ou une outre noire,
pleine d'huile, prpare pour les lutteurs, la dpouille
hrisse, orne de ses dfenses, d'un norme
sanglier,
drobe Artmis, cette vierge jalouse, pour
plaire Athn, et la peau tachete d'un grand
daim, que la flche tait alle atteindre au milieu
d'un bosquet de la montagne. Et alors le hraut
fit un appel, et des colonnes du portique s'avancrent
un un les Grecs joyeux, enchants d'avoir
fait leurs modestes offrandes.
Et le vieux prtre teignit la flamme languissante,
l'exception de la lampe unique, rubis tremblotant,
qui brillait perptuellement dans la cella. Les sons
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I 23
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perants des lyres s'amoindrirent sous le vent,
mesure que les campagnards s'loignaient en
dansant. Et d'un bras vigoureux, le gardien ferma
les portes de bronze poli.
Charmids resta longtemps immobile, osant
peine respirer, cartant le bruit cadenc que faisaient
en tombant les gouttes de vin elles ptales de roses
qui se dtachaient des guirlandes, pendant que la
brise nocturne errait par le sanctuaire. On et dit
qu'il tait vanoui dans une sorte d'extase, lorsqu'enfin
la pleine lune apparut tout entire par
l'ouverture du toit,
Et inonda de ses flots de lumire le pav de
marbre. Alors l'aventureux adolescent s'lana de
sa cachette, et ouvrant toute grande la porte de
cdre sculpt, il se vit devant une terrible image, au
vtement couleur de safran, en complte armure de
bataille. Le griffon efflanqu brillait au sommet
du vaste casque et la longue lance qui sme le naufrage
et la ruine
semblait une verge rougie au feu. La tte de Gorgone,
faite de pierre et d'acier, ouvrait largement
ses yeux morts, entrelaait sur le bouclier ses
horribles serpents, et restait bouche bante, les
lvres exsangues, glaces dans une impuissante fureur,
pendant que, tout effare, la chouette aux
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la merveille de cette chastet impitoyable. Ah!
certes il tait heureux, car jamais, depuis le jeune
prince-berger de Troie, crature humaine n'avait
eu sous les yeux un spectacle aussi tonnant.
Il restait immobile, prt mourir, mais soudain
l'air devint silencieux, les chevaux cessrent de
hennir; il repoussa en arrire son paisse chevelure;
il rejeta les vtements qui couvraient ses
membres, car quel est celui qu'un tel amour ne forcerait
pas tout oser; et il lui boucha la gorge,
et de ses mains sacrilges
il dfit la cuirasse, et la robe de couleur safran,
et mit nu les seins polis, et enfin le pplos glissa
de la taille et laissa voir le secret mystre, celui
qu' nul amant Athn ne montrera, les grands
flancs froids, le croissant des cuisses, les onduleuses
collines de neige.
Ceux-l qui n'ont jamais commis un pch
d'amoureux, qu'ils ne lisent point mon pome, car
leur oreille n'y percevrait qu'un bruit grle et sans
harmonie, et n'y trouverait aucun charme. Mais
vous, dont les joues fanes gardent encore la trace
d'un sourire, vous qui avez appris ce que c'est
qu'Eros, vous autres, coutez-moi encore un
peu.
Il resta encore un court instant contempler de
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ses yeux avides la statue polie, jusqu' ce qu'
force de regarder de telles splendeurs, sa vision
devnt confuse, et alors ses lvres affames de volupt
se rassasirent sur les lvres de la statue, et
il jeta ses bras autour du cou rond comme une tour,
et ne se soucia plus de mettre un frein la volont
de sa passion.
Jamais, me semble-t-il, amant n'eut un rendez-vous
pareil, car pendant toute la nuit, il murmura
des mots aussi doux que le miel, et il vit les
membres au dessin si pur que nul n'avait touchs,
et sans que rien l'en empcht, il baisa le corps
ple, aux reflets d'argent, et il promena ses mains
sur les seins polis, et appuya son front brlant sur
la froide, la glaciale poitrine.
Il lui semblait que des javelines numides traversaient
coup coup sur son cerveau affol, saisi de vertige.
Ses nerfs frmissaient comme vibrent les cordes
des violons, d'une pulsation exquise, et sa souffrance
tait une angoisse si douce, qu'il ne put dtacher ses
lvres des siennes, qu' l'heure o passa au-dessus
de sa tte l'avertissement de l'alouette.
Qui n'a jamais vu l'aube jeter un regard furtif
dans une chambre assombrie, qui n'a point tir le
rideau, pour se lever, les yeux mornes et las, d'auprs
d'un corps aim, ador, tenez pour certain que
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jamais il ne comprendra ce que je tente de chanter,
combien dura son baiser suprme, combien il se
plut prolonger ses caresses.
La lune se bordait d'un contour de cristal, signe
que les gens de mer tiennent pour un prsage de
la colre cleste. Les toiles plies s'effaaient, et
l'horizon dj clair, tremblotaient d'un lger frmissement
les ailes de l'aurore prte fuir, avant
que de la cella sombre et silencieuse cet amoureux
ft sorti.
Il descendit la roche escarpe d'un pied htif; il
descendit rapidement la pente, le brave jeune
homme. Il atteignit la grotte de Pan, et entendit,
en passant, las ronflements de l'tre aux pieds de
chvre. Il franchit d'un bond un tertre de gazon, et
pareil un jeune paon, il courut vers un bois d'olivier,
qui se trouvait dans une valle ombreuse, non
loin de la cit aux beaux difices.
Et il chercha un petit ruisseau bien connu de
lui, car plus d'une fois, tout enfant, il y avait pourchass
le grbe vert aigrette, ou il y avait attir
dans les mailles d'un filet la truite argente. Il
s'tendit de tout son long parmi les roseaux surpris,
tout haletant, le coeur battant d'un effroi
ml de plaisir, et il attendit le jour,
Il resta couch sur la rive verte, laissant sa main
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distraite plonger dans les remous de l'eau froide et
sombre, et bientt l'haleine du matin vint venter
ses joues brlantes et rougies, ou jouer tourdiment
avec les boucles qui s'emmlaient sur son
front, pendant qu'il regardait dans l'eau avec un
trange, un mystrieux sourire.
Et de bonne heure le berger au manteau de laine
grossire ouvrit avec le crochet de son bton les
barrires de branches entrelaces, et montant du
tas d'ajoncs, une mince guirlande de fume bleue se
droula dans les airs au-dessus des bls mrissants.
Et sur la colline, le chien jaune de la maison aboya,
pendant que le lourd btail se dispersait parmi la
fougre frise et bruissante.
Et quand le faucheur au pied lger se rendit aux
champs par les prairies que voilaient comme une
dentelle les fils de la rose, quand les brebis blrent
sous le brouillard de la lande, quand le rle des
prs se rveilla et s'envola de son nid, des bcherons
aperurent le jeune homme allong prs
du ruisseau, et se demandrent avec grande surprise
comment un adolescent pouvait tre aussi
beau.
Et ils jugrent qu'il n'tait point de la race des
mortels, et l'un d'entre eux dit: C'est le jeune
Hylas, ce vagabond infidle qui, oubliant Hrakls,
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aura voulu coucher avec une Naade; mais
d'autres dirent: Non, c'est Narcisse, pris de
lui-mme. Ce sont bien l ces lvres caressantes,
purpurines, que nulle femme ne peut tenter.
Et quand ils furent plus prs, un troisime
s'cria: C'est le jeune Dionysos, qui aura cach
au bord du ruisseau sa lance et sa peau de faon,
las de chasser avec la Bassaride, et nous agirions
sagement en prenant la fuite: ils ne vivent pas
longtemps, ceux qui viennent pier les dieux immortels.
Ainsi donc, ils s'en allrent, se gardant bien de
tourner la tte, et ils contrent au timide berger
comment ils avaient aperu je ne sais quel dieu de
la fort couch parmi les roseaux, et nul n'osa
traverser l'tendue de la prairie, et en ce jour-l, on
s'abstint d'abattre un seul olivier, ou de couper des
roseaux, et la belle campagne resta dserte,
except lorsque le serviteur du bouvier, avec son
seau bien quilibr sur son dos, vint par bonds
lgers, et se montra sur l'autre bord; il s'arrta
pour jeter un appel, pensant avoir trouv un nouveau
camarade. Mais ne recevant point de rponse,
quelque peu effray, le simple enfant reprit sa
route. Ou bien, descendant du bosquet tranquille
et silencieux,
une fillette rieuse s'chappa de la ferme, ne
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songeant nullement aux mystrieux secrets
d'amour, et quand elle aperut le bras d'une clatante
blancheur, et toute sa virilit, alors d'un
long regard d'envie o la passion jetait un dfi sa
tendre virginit, elle l'pia un instant, puis s'esquiva
songeuse et lasse.
De bien loin il entendait le bourdonnement et
le tumulte de la cit, puis de temps autre des
rires plus perants, venus de l'endroit o les jeunes
garons aux membres bruns, dans leur innocente
passion, se dfiaient la lutte ou la course, ou
bien parfois le tintement grle d'une clochette,
quand le blier guidait les brebis vers la fontaine
couverte de mousse.
travers les saules grisonnants dansait le moucheron
capricieux; du haut de l'arbre, la tourterelle
lanait sa monotone stridulation; le rat d'eau, la
fourrure lustre d'huile, nageait bravement contre
le courant, cherchant dcouvrir le nid du canard
sauvage; de branche en branche sautillait le pinson
craintif, et la massive tortue rampait sur le
limon.
A la brise lgre voltigeaient les graines soyeuses,
lorsque la faux luisante prenait son lan travers
les vagues de gazon; le merle d'eau faisait jaillir
des gouttes en cercle parmi les roseaux, et semait
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de taches d'argent le miroir qui, dans la fort, avait
peine reflt l'image des alentours, lorsque du
fond de l'eau, la tanche sombre faisait un bond
pour atteindre la libellule.
Quant lui, il ne prtait aucune attention, mme
quand l'cureuil s'amusait monter, descendre
sur le tronc du bouleau, quand la linotte avait
commenc chanter pour son compagnon sa plus
douce srnade. Ah! il ne prtait gure d'attention,
car il avait vu les seins de Pallas et la nudit merveilleuse
de la Reine.
Mais quand le berger rappela ses chvres vagabondes,
en sifflant dans son chalumeau, par-dessus
la route pierreuse, quand le lucane sonore, comme
un clairon, bourdonna dans l'obscurit croissante,
des bois, quand la grue attarde passa comme une
ombre pour regagner sa demeure, quand de grosses
gouttes de pluie tombrent lourdement sur les
feuilles des figuiers, il se leva.
Il quitta la sombre fort, longea dans les tnbres
les murs de la ferme et la clture du verger humide
; il arriva enfin un petit quai, fit monter
bord ses matelots, reprit sa place sur la haute poupe,
et gagnant le large, il dtendit la voile ruisselante.
Il traversa la baie, et quand neuf soleils eurent
descendu les degrs de la longue roule d'or, quand
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neuf lunes plies eurent murmur leurs prires
leurs confesseurs, les chastes toiles, ou cont leurs
secrets les plus chers aux papillons velouts qui se
refusent voler au grand jour, alors travers
l'cume et l'embrun orageux,
arriva une grande chouette aux yeux d'un jaune
de soufre. Elle s'abattit sur le vaisseau dont les
charpentes craqurent comme si la vote avait
contenu la charge de trois navires marchands. Elle
battit des ailes, et jeta un cri aigu, et aussitt les
tnbres s'paissirent dans l'espace. L'pe d'Orion
rentra dans son fourreau, et le redoutable Mars lui-mme
descendit en fuyant.
Et la lune se cacha derrire un masque la
teinte de rouille que lui firent des nuages errants.
Et du bord de l'ocan monta l'aigrette rouge, le
vaste beaume cornu, la lance de sept coudes, le
bouclier d'airain, et vtue de toute son armure
brillante et polie, Athn franchit grands pas
l'tendue de la mer effraye et frissonnante.
Aux yeux las du marin, sa chevelure flottante
parut semblable au nuage dchir par la tempte,
et ses pieds ne furent que l'cume qui flotte sur les
brisants cachs. Et voyant les vagues monter de
plus en plus et imprimer au navire un roulis
plus violent, le pilote cria au jeune limonier qui
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tenait la barre de virer du ct d'o venait le
vent.
Mais lui, l'adultre trop audacieux, le charmant
violateur des augustes mystres, en idoltre pris
d'un ardent amour, quand il vit ces grands yeux
impitoyables, il fut pris d'une joie bruyante, et
jetant ce cri: Me voici, il s'lana de la haute
poupe dans le tumulte des vagues glaces.
Alors tomba du haut des cieux une brillante
toile, un danseur se spara du cercle de la Voie
lacte, et sur son char retentissant, dans tout l'orgueil
de la divinit venge, faisant sonner son armure
du bruit aigu de l'acier, la ple desse reprit
le chemin d'Athnes, et quelques bulles montaient
en bouillonnant, l'endroit o tait tomb l'adolescent
qui s'tait pris d'elle.
Et le mt trembla quand la grande chouette le
quitta en jetant des ululements moqueurs, avant
de rejoindre la Reine irrite, et le vieux pilote commanda
l'quipage effray de hisser la grande voile
et conta qu'il avait vu tout prs de la poupe une
vaste et indcise apparition. Et pareille une hirondelle
qui rase l'eau dans son vol, le solide navire
s'lana travers la tempte.
Et nul ne se hasarda parler de Charmids;
on crut qu'il s'tait rendu coupable de quelque
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grande faute. Puis quand les marins parvinrent au
dtroit des Symplgades, ils tirrent leur galre a
sec, et se htrent d'entrer dans la cit par la porte
de la douane et d'exposer au march leurs poteries
peintes en argile brune.
II
Mais un des dieux Tritons, pris de piti, rapporta
sur la terre grecque le corps du jeune noy.
Les sirnes peignrent sa chevelure alourdie par
l'eau, lissrent son front, rouvrirent ses mains crispes.
Plusieurs apportrent de doux parfums de la
lointaine Arabie, et d'autres commandrent l'alcyon
de chanter sa chanson la plus berceuse.
Et quand il fut plus prs de sa vieille demeure
d'Athnes, surgit soudain une vague puissante, et
sur le dos lustr de cette vague se forma une couche
d'cume solide, aux teintes irises d'une trange
fantaisie, et l'enfermant dans son sein de verre, elle
l'emporta vent terre, pareille un talon la
blanche crinire qui poursuit un but aventureux.
Or, du ct o Colonos se tourne vers la mer,
s'tend une longue pelouse bien nivele; le lapin
la connat, et pour elle l'abeille montagnarde abandonne
l'Hymeite. Et le Jaune n'y a point peur, car
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II 35
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en aucune heure de la journe, on n'y entend de
bruit plus terrible que les cris des jeunes bergers
dans leurs jeux.
Mais souvent le chasseur au pas furtif, quand il
sort du labyrinthe pineux, de l'inextricable
fouillis du bois environnant, aperoit le jeune
Hyacinthe lanant le disque poli. Alors il tire son
capuchon sur ses yeux coupables et ne se risque
point sonner de sa corne,ou bien ds les premires
lueurs de l'aube,
arrivent les Dryades, qui lancent la balle de
cuir, le long du rivage sem de roseaux, et entourant
quelque Pan aux oreilles de chvre lui imposent
la tche d'tre leur gardien, si elles craignent
d'tre ravies par l'audacieux Posidon. Elles dlient
leurs ceintures, les yeux pleins de crainte et d'effarement,
comme si ses bras bleus et sa barbe rouge
allaient surgir de la vague.
a et l dans le roc s'ouvre une caverne que le
viorne tapisse de ses clochettes jaunes; la grve est
unie, except o quelque vague du flux a laiss sa
trace lgre empreinte sur le sable, comme si elle
craignait d'tre trop vite oublie du roseau vert,
son compagnon de jeu, et pourtant ce lieu
est si petit que l'inconstant papillon pourrait,
ds avant midi, ravir toutes les fleurs leur trsor
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II 36
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de miel, sans parvenir rassasier son amour trop
avide, et qu'en moins d'une heure, un jeune mousse
dbarqu, pour peu qu'il y mt de l'ardeur, pourrait
y cueillir de quoi orner d'une guirlande la proue
peinte de sa galre,
et laisserait la petite prairie presque entirement
dpouille, car elle n'a point de fleurs somptueuses,
except les rares narcisses qui se dressent
et l, parsemant d'toiles d'argent le gazon jamais
fauch, except quelques asphodles qui
brandissent de mignons cimeterres.
C'est l que vint le dposer le flot, heureux
d'avoir subi un si doux esclavage, et il porta l'adolescent
l o le sol tait vierge de tout contact avec
la mer, sur la marge argente de la grve, et
comme un amant qui s'attarde, il vint plus d'une
fois baiser ces membres ples que nagure brlait
une ardeur intense,
avant que l'eau de la mer et teint cet holocauste,
cette flamme qui se nourrissait d'elle-mme,
cette volupt passionne, avant que la mort chenue,
de son souffle glac et fltrissant, et fan ces
lis blancs et rouges, qui, alors que le jeune homme
errait par la fort, changeaient leurs antiennes et
rpons si charmants.
Et quand, l'aube, les nymphes des bois, se tenant
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par la main, dfilrent dans le vallon bois,
leur satyre aperut le corps de l'phbe tendu sur
le sable. Il redouta une tratrise de Posidon; il
jeta un cri, et pareilles de brillants rayons de soleil
qui se jouent parmi les branches, toutes les
Dryades effarouches cherchrent dans la feuille
une retraite sre,
l'exception d'une blanche jeune fille, qui ne
trouva rien de bien terrible sentir ses seins
presss par la tyrannie amoureuse d'un dieu marin.
Elle et bien voulu prter l'oreille ces charmes
subtils que tissent les amants insidieux quand ils
veulent conqurir une forteresse bien close: elle
s'carta des autres furtivement, et ne crut point que
ce ft une faute
d'abandonner son trsor un tre aussi beau.
Elle s'tendit prs de lui, la gorge dessche par la
soif d'amour. Elle l'appela des noms les plus doux,
joua avec sa chevelure en dsordre, et de ses lvres
brlantes ravagea la bouche du jeune homme, craignant
qu'il ne s'veillt point, et craignant ensuite
qu'il ne s'veillt trop tt, s'loignant, puis,
comme l'amour la rendait infidle elle-mme,
elle reprit ses attaques. Et pendant tout le jour,
elle resta assise ct de lui. Elle rit de son nouveau
jouet, lui prit la main, lui chanta sa chanson
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II 38
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la plus douce, puis frona le sourcil en voyant cet
enfant si peu empress enlacer sa virginit. Elle
ignorait que depuis trois jours ces yeux-l s'taient
rouverts devant Proserpine;
elle ignorait aussi quel sacrilge ces lvres
avaient commis; aussi se dit-elle: Il va s'veiller,
je le sais fort bien, il s'veillera le soir, quand le
soleil suspendra son rouge bouclier sur la citadelle
de Corinthe: ce sommeil n'est qu'un cruel artifice
pour se faire aimer davantage, et dans quelque caverne
Marine,
des profondeurs que jamais n'atteint la ligne
du pcheur, dj quelque norme triton souffle
dans sa conque et avec les branches cristallines qui
flottent dans l'Ocan, il tresse une guirlande pour
orner les piliers d'meraude de notre lit nuptial;
c'est l que, sons une vote faite d'cume argente
et la tte couronne de corail,
nous nous asseoirons tous deux sur un trne
de perles, et une vague bleue nous servira de dais,
et nos pieds les serpents d'eau s'enrouleront sous
leur armure d'amthyste aux mailles de diamant, et
nous suivrons des yeux dans leurs mouvements, autour
du mt d'une barque engloutie par la tempte,
les muges aux nageoires vermillon, aux yeux
qu'on dirait taills dans l'or, et qui ressemblent
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des clats de lumire cramoisie; l'abme profond
ouvrira les portes de verre de son palais, et nous
verrons les dauphins tachets dormir au bercement
des alcyons qui murmurent du haut des rocs, l o
Prote, au bizarre costume vert, fait patre son troupeau
de monstres,
et les anmones tremblantes aux teintes opalines,
qui agitent leurs franges pourpres quand
nous posons le pied sur le sol miroitant, et des
flottes entires de poissons aux taches d'cailles
couleur de feu suivront les cordages flottants de
l'pave fracasse, et des grains d'ambre couleur de
miel orneront nos membres entrelacs.
Mais quand le seigneur de la guerre, le soleil,
passa, du en faisant voltiger son pennon aux
vives couleurs, avant de rentrer dans sa demeure
d'airain, lorsque, une une, les petites toiles
jaunes apparurent parses dans les champs du ciel,
oh alors elle craignit que ses lvres lui refusassent
de se dsaltrer de ses lvres elle,
et cria: Rveille-toi: dj la ple lune verse
son argent sur les arbres, et la vague s'tend de proche
en proche, grise et glace sur cette grve de sable;
les grenouilles croassantes se montrent, et du fond
de la caverne l'engoulevent lance son cri aigu; les
chauves-souris voltent en tous les sens, et la belette
Poemes
II 40
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brune aux lianes creux rampe travers l'ombre
du gazon.
Non, bien que tu sois un Dieu, ne te montre
point si farouche; car l-bas il est une petite canne
qui redit souvent voix basse comment un jeune
charmeur la sduisit un jour sur l'herbe de la
prairie et quand il se fut donn tout son cruel plaisir,
dploya des ailes d'or toutes bruissantes, et
s'envola vers le soleil.
Ne sois pas si timide; le laurier tremble encore
des baisers du grand Apollon, et le pin, dont
les soeurs groupes couronnent la colline, pourrait
en dire long sur le hardi ravisseur que les hommes
appellent Bore; et j'ai vu les yeux narquois d'Herms
travers le feuillage argent du peuplier.
Mme les jalouses Naades me disent jolie, et
chaque matin un jeune galant au teint hl me fait
la cour, en m'offrant des pommes et des boucles de
cheveux; il cherche vaincre mon ddain virginal,
avec les dons qu'aiment les charmantes nymphes
des bois; hier encore il m'apporta une colombe au
plumage iris,
aux petits pieds de couleur cramoisie, que le
cruel enfant avait drobe au sommet d'un sycomore,
avec sa ponte de sept oeufs tachets, pendant
que le mle amoureux s'tait envol au loin pour
Poemes
II 41
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chercher des baies de genivre, leur nourriture prfre;
la gupe fantasque, la plus htive des vendangeuses,
a qui cueillent les raisins bleus, n'est pas plus tenace
dans sa constance, que ce simple petit berger,
vouloir mes lvres sans clat, tant il est joyeux et
pur. Ses yeux pleins de vie et de soleil feraient oublier
une Dryade le serment fait Artmis, tant
il est beau, et sa lvre est faite pour le baiser.
Son front blanc d'argent, comme une lune qui
surgit sur les collines obscures du rendez-vous, a
la forme d'un croissant. L'ardeur du midi tyrien ne
saurait voquer du bosquet de myrte un poux
plus charmant pour la Cythre. Le premier et
soyeux duvet borde ses joues rougissantes, et ses
jeunes membres sont forts et bruns.
Et il est riche: des troupeaux blants de grasses
brebis aux paisses toisons couvrent ses prairies, et
dans sa demeure, bien des pots d'argile pleins de
caill jauni invitent la mouche voleuse s'battre
et se noyer. La plaine couverte de trfle incarnat,
lui garde son doux trsor, et il sait jouer du chalumeau
d'avoine.
Et pourtant je ne l'aime point. C'tait pour toi
que je gardais mon amour. Je savais que tu viendrais
un jour me dlivrer de cette ple chastet,
toi, la plus belle fleur de la vague qui ne fleurit point,
Poemes
II 42
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de toute la vaste mer ge, la plus brillante des
toiles dans le ciel azur de l'Ocan, o se refltent
les plantes.
Je savais que tu viendrais, car ds que les
branches dessches bourgeonnrent, ds que la
sve du printemps gonfla ma verte et tendre corce,
ou qu'elle jaillit en myriades nombreuses de fleurs
qui raillaient l'heure de minuit par leur forme lunaire,
sans rien craindre de l'aurore, ds que les
chants ravis du sansonnet
ont rveill l'cureuil endormi parmi ses provisions
de grains, ds que les fleurs de coucou bordrent
d'une frange l'troite clairire, travers mes jeunes
feuilles une extase de volupt s'pandit comme un
vin nouveau, et dans toutes mes veines de mousse
battit le pouls agit d'un sang amoureux, et les
vents violents de la passion secourent la virginit
de ma tige svelte.
Les faons vinrent en troupe le soir et posrent
leurs narines fraches et noires sur mes branches les
plus basses, tandis que sur la plus haute, le merle faisait
un petit nid de brins d'herbes pour sa compagne.
Et de temps en temps un roitelet reposait sur une
branche mince, peine capable de porter un poids
si charmant.
Prs de moi, les bergers d'Attique donnaient
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II 43
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des rendez-vous; sous mon ombre se couchait Amaryllis,
et autour de mon tronc Daphnis poursuivait la
fillette craintive jusqu' ce qu'enfin lasse de jouer, elle
sentit sa chevelure dfaite s'agiter sous un souffle
ardent. Alors elle se retournait, regardait et ne cherchait
plus chapper au doux pige.
Aussi viens-t-en en mon embuscade, l o l'entassement
de chvrefeuille sylvestre entrelace une
vote pour les plaisirs de l'amour, o l'ombre frissonnante
des myrtes paphiens semble sanctifier les
rites les plus tendres de la volupt, l-bas dans les
fraches et vertes retraites de ses asiles les plus profonds,
la fort recle un petit lac
hant du merle d'eau, pturage de l'abeille sauvage,
car tout autour de ses bords flottent les grands
lis d'un blanc de crme, retenus comme par des
ancres vertes par leurs larges feuilles. Chaque corolle
est un esquif aux blanches voiles, charg d'or,
avec une libellule place au timon. N'hsite pas
quitter cette ple grve que vient baiser la vague.
Srement cet endroit est destin
des amants comme nous; la desse qui rgne
Chypre vient souvent, le bras enlaant la taille de
son jeune amoureux, s'y garer le soir, et j'ai vu
la lune rejeter son vtement de brouillards devant
les yeux du jeune Endymion. Ne crains rien, Diane
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II 44
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au pas de panthre ne foule jamais cette clairire
inconnue.
Ou, si tu t'y refuses, retournons vers la mer
sale, retournons vers la vague tumultueuse, et
promenons-nous tout le jour sous la vote de cristal
dont les eaux font un portique Neptune et contemplons
les monstres empourprs de l'abme dans
leurs jeux maladroits, voyons bondir de sa retraite
le rus Xiphias.
Car si ma matresse me surprend couche ici,
elle ne montrera nulle hsitation, nulle tendre
piti. Elle dposera l'pieu destin au sanglier, et
de ses doigts svre, inexorable, elle tendra l'arc
de cornouiller, et rapprochant de son sein la fente
empenne de la flche, elle lchera la corde courbe.
Oui, en cet instant mme, elle est ma recherche.
J'entends ses pas qui se htent. Debout, soldat,
dserteur de la bataille amoureuse, fais-moi boire
au moins une longue gorge du vin de la passion,
dsaltre mon tre assoiff de ce dlicieux nectar
qui enivre mme les dieux. Viens, mon amour,
nous avons encore le temps d'atteindre la demeure
bleue.
peine avait-elle fini, que les arbres s'agitrent
d'un frisson. Le feuillage s'entr'ouvrit et l'on sentit
bientt la prsence d'une divinit, et les flots gris
Poemes
II 45
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ramprent reculons. Un long et effrayant rugissement
sortit d'une trompe orne de franges. Un
chien de meute aboya, et pareil une flamme un
roseau empenn traversa la clairire en sifflant,
et l mme o les fleurettes de son sein venaient
d'clore dans leur clat, cet amant meurtrier,
cet hte inattendu, entra, se planta profondment,
se fit un passage invisible, et creusa de sa pointe un
sillon sanglant, se fraya une longue route rouge
et les ailes de mort lui fendirent le coeur.
Exhalant sa vie dans un sanglot, dans un cri de
dsespoir, la jeune Dryade tomba sur le corps de
l'adolescent. Elle sanglotait sur sa virginit reste
infconde, sur les dlices dont elle n'avait point
joui, sur les plaisirs dfunts, de toute la douleur
des choses restes sans rcompense, et les gouttes
brillantes de sa jeunesse coulrent en un filet de
pourpre de son ct palpitant.
Ah! c'tait piti que d'entendre sa plainte, c'tait
grande piti de la voir mourir avant qu'elle et fait
prsent de ses charmes, ou connt la joie de la
passion, ce mystre redoutable, tel que l'ignorer,
c'est ne point vivre, et que pourtant l'on ne saurait
le connatre sans tre pris dans les plus pesantes
chanes de la mort.
Mais par hasard, la Reine de Cythre, qui avait
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II 46
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pass toute la nuit aux cts d'Adonis, dans la hutte
d'un berger arcadien, revenant Paphos, sur son
char en bois dor attel de colombes argentes,
voguait des hauteurs que n'atteint pas l'oeil des
mortels, entre les montagnes et l'toile du matin;
Elle jeta les yeux vers la terre, et aperut le
couple infortun. Elle entendit le faible cri de
dsespoir chapp l'Orade, cri dont les vibrations
condenses semblrent se jouer dans l'air, comme
les sons d'une viole. En toute hte, elle ordonna
ses deux pigeons de fermer leurs ailes tendues avec
effort. Elle fondit sur la terre, atteignit le rivage et
vit leur douloureux destin.
Car, ainsi qu'un jardinier, dtournant la tte
pour saisir au vol les derniers chants de la linotte,
tranche d'une faux insouciante une plate-bande
de fleurs qui se trouvaient trop prs, et coupant net
la frle tige de la rose, jette sur le terreau brun les
charmes disperss de la fleur, ainsi qu'un jeune berger
en son inattention,
tout en menant son petit troupeau par la prairie,
couche sous son pas deux asphodles qui, croissant
cte cte, ont sduit la coccinelle en leurs filets
jaunes, et fait oublier au brillant papillon tout son
orgueil, crase contre terre leurs calices ruisselants
d'or, sous des pieds lgers qui n'taient point faits
Poemes
II 47
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pour des ravages aussi cruels,
ou comme un colier, quand, ennuy de son livre,
il se laisse aller sur le gazon sem de joncs et cueille
dans le ruisseau deux iris, puis se lasse de leurs
beauts, et s'en va, les laissant l'ardeur meurtrire
du soleil,ainsi gisaient les deux amants.
Et Vnus s'cria: C'est l'impitoyable Artmis
dont la main cruelle a commis ce mfait, ou bien
c'est peut-tre l'oeuvre de cette divinit puissante si
soucieuse de prserver sa majest souveraine de
toute profanation sur la colline athnienne;Hlas!
faut-il que des tres capables de tant
d'amour descendent sans avoir aim dans le sjour
de la mort?
Aussi, de ses douces mains, avec tendresse, elle
plaa l'adolescent et la jeune fille dans le chariot
d'or. La gorge blanche, plus blanche qu'un croissant
de perle, et qu' peine rayait le lacis d'une
veine bleue, n'avait pas encore cess de palpiter,
et son sein oscillait encore comme un lis que le
vent agite d'un souffle incertain.
Alors les deux pigeons dployrent leurs ailes
d'un blanc de lait, et le char brillant vogua par le
ciel, o pointait l'aube; et l'arienne caravane,
pareille un nuage, passa en silence au-dessus de
l'Ege, jusqu' l'heure o l'air lger ft troubl
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II 48
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par le chant des voix languissantes qui appellent
pendant toute la nuit Thammus ensanglant.
Mais quand les colombes eurent atteint leur but
accoutum, l o le large escalier de marbre aux
marches circulaires plonge sa neige dans la mer,
l'me voletante de la jeune fille agita une dernire
fois ses lvres, ptales tremblants, et s'exhala dans
le vide. Et Vnus vit alors que son cortge comptait
une jolie fille de moins.
Et elle commanda ses serviteurs de sculpter
sur un cercueil en bois de cdre toutes les merveilles
de cette histoire. C'tait dans ce giron odorant
que reposeraient leurs membres, l o les oliviers
adoucissent la teinte bleue du ciel, sur les
petites collines de Paphos, o le faune joue de la
flte en plein midi, o le rossignol chante jusqu'
l'aurore.
Et ils ne faillirent point excuter ses ordres, et
avant que l'abeille matinale et perc l'asphodle
des coups rageurs de son aiguillon tnu, avant que
le dix-cors vigilant, quittant sa repose, et d'un
bond franchi le ruisseau, et fait partir le merle
d'eau, avant que le lzard et grimp sur le roc
chauff par le soleil, leurs corps reposaient sous
le gazon.
Et lorsque parut le jour, dans ce sanctuaire d'argent
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II 49
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o brillent ternellement les flammes des trpieds
vibrants, la Reine Vnus s'agenouilla, implora
Proserpine, pour qu'elle, dont la beaut avait rendu
amoureux le Dieu de la mort, voult bien demander
une faveur son ple poux, et obtenir qu'il
laisst le Dsir franchir avec le terrible Charon le
passage du fleuve glacial.
IIIDans le mlancolique Achron, o ne luit point
de lune, loin de la bonne Terre, loin du jour joyeux,
l o nul printemps ne montre ses bourgeons, o
nul soleil mrissant ne fait ployer les pommiers, o
mai, le mois fleuri, ne parsme point le gazon des
fleurs du chtaignier, o jamais ne chantent les
merles, o ne s'apparient jamais les linottes siffleuses,
l, prs d'une source lthenne aux eaux troubles
et sonores, tait couch le jeune Charmids. D'une
main lasse, il avait cueilli les fleurs de l'asphodle,
et parpillait sur les eaux mornes du ruisseau noir
le petit trsor qu'il avait rcolt, et il regardait disparatre
les toiles blanches, et tout ce qui l'entourait
tait comme un rve,
lorsque, jetant un regard dans le miroir des
eaux, travers le dsordre de sa chevelure frise,
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III 50
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il lui sembla voir passer une ombre sur son image
et une petite main se glissa dans la sienne. De chaudes
lvres effleurrent timidement ses joues ples et
dans un soupir lui murmurrent leur secret.
Alors il tourna en arrire ses yeux las, et il vit.
Et leurs figures se rapprochrent de plus en plus.
Leurs jeunes bouches s'attirrent de si prs qu'on
et dit une rose de flamme, unique et parfaite, et
il sentit son sein palpitant, et son haleine qui s'chauffait,
s'acclrait.
Et il lui donna toutes les caresses qu'il avait
tenues en rserve, et elle lui fit le sacrifice de
toute sa virginit, et membre contre membre, en
une longue et voluptueuse extase, leur passion s'accrut
et se calma. Oh! pourquoi, chalumeau trop
aventureux, te risquer chanter encore l'amour;
c'est assez de dire qu'Eros ait fait rsonner son rire
sur cette prairie sans fleur.
O trop audacieuse posie, pourquoi essayer de
chanter encore la passion? Reploie tes ailes sur le
tmraire Icare, et laisse ton lai dormir sur les
cordes silencieuses de la lyre, jusqu'au jour o tu
auras dcouvert l'antique source de Castalie, ou
cueilli dans les eaux lesbiennes la plume d'or que
laissa tomber Sapho, en se noyant.
C'est assez, c'est assez de dire que l'tre dont la
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III 51
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vie avait t une ardente et coupable pulsation, une
infamie splendide, pt dans le pays sans amour o
rgne Hads, glaner une moisson brlante sur ces
champs de flamme, o la passion erre pieds nus,
sans chaussures et pourtant sans se blesser. Ah!
c'est assez qu'une seule fois leurs lvres aient pu
se rencontrer,
en celle ardente palpitation o des existences entires
semblent se condenser en une seule extase,
et qui meurt dans l'excs de la volupt, dans la
tension d'un plaisir convulsif, avant que Proserpine
les dsignt pour la servir autour du trne d'bne
o sige le ple Dieu qui lui dlia la ceinture dans
les campagnes d'Enna.
PANTHA
Non, allons d'un feu un autre feu, de la souffrance
passionne une volupt plus mortelle.
Je suis trop jeune pour vivre sans dsir, tu es trop
jeune pour perdre cette nuit d't faire ces vaines
questions que depuis longtemps l'homme a poses
au voyant et l'oracle, sans recevoir de rponse.
Car, ma tendre amie, mieux vaut sentir que savoir,
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PANTHA 52
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et la sagesse est un hritage sans enfants. Une
vague de passion, la premire et ardente explosion
de la jeunesse, voil qui vaut bien les proverbes
accumuls par le sage. Ne tourmente point ton
me d'une philosophie morte; n'avons-nous pas
des lvres pour le baiser, des coeurs pour aimer et
des yeux pour voir?
N'entends-tu pas le murmure du rossignol, pareil
de l'eau qui chante au sortir d'une urne
d'argent? Si doux est ce chant qu'il fait plir la
lune de dpit d'tre suspendue une telle hauteur
dans le ciel, et de ne pouvoir entendre cette mlodie
ravissante d'amour.Vois comme elle enguirlande
de brouillards ses deux cornes, la lune attarde
dans sa tche.
Des lis blancs, coupes dans lesquelles rvent les
abeilles d'or, la neige que forment les ptales tombs,
quand la brise parpille les fleurs du chtaignier,
ou l'clat des corps d'phbes reflts par
l'eau,tout cela ne te suffit-il pas? Dsires-tu
quelque chose de plus? Hlas, les Dieux ne donneront
jamais rien de plus de leur ternel trsor.
Car nos grands Dieux ont fini par se lasser, par
s'irriter de tous nos pchs sans fin, de notre vain
effort pour expier par la souffrance, par la prire,
ou par le prtre, le gaspillage des jours de la jeunesse,
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PANTHA 53
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et jamais, jamais ils ne prtent la moindre
attention, soit au bien, soit au mal, mais dans
leur indiffrence, ils font tomber la pluie sur le
juste et l'injuste.
Ils prennent leurs aises, nos dieux. Ils prennent
leurs aises. Ils parsment des ptales de rose leur
vin parfum. Ils dorment, dorment sous les arbres
berceurs o s'entrelacent l'asphodle et le jaune lotus.
Ils regrettent les jours heureux de jadis, o ils
ne savaient pas encore ce qu'on peut rver de mal,
et faire en rvant.
Et bien loin, au-dessous du pav de bronze, ils
voient comme un essaim de mouches la foule des
petits hommes, l'agitation des menues existences,
puis dans leur ennui, ils reviennent leur sjour
parmi les lotus, et se baisent les uns les autres sur
les lvres, et boivent plus longs traits la liqueur
prpare avec les graines du pavot, qui amne le
doux sommeil aux paupires de pourpre.
L, tout le long du jour, le soleil aux vtements
d'or, reste debout, tenant en main sa torche flambante,
et quand le tissu vari des heures de la journe
a t achev par les douze vierges, alors travers
le brouillard cramoisi s'avance la lune, peine
chappe des bras d'Endymion, et les Dieux immortels
se pment dans les transes de passions mortelles.
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PANTHA 54
8/14/2019 Pomes by Wilde, Oscar, 1854-1900
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L-haut la reine Junon se promne parmi la rose
des prs, ses grands pieds blancs tachs par la
poussire safrane des lis agits par le veut, pendant
que le jeune Ganymde s'bat dans le mot
brlant l'cume ambre; et ses boucles voltigent
de tous cts, comme au jour o l'aigle ravit sur
l'Ida l'enfant tout effray, et l'emporta travers le
ciel ionien...
L-haut, dans le fond vert de quelque jardin bien
clos, la reine Vnus, ayant son ct le berger,
prs de son corps doux et chaud, comme la fleur
d'glantine, qui voudrait tre blanche, mais qui
rougit de son orgueil, rit tout bas dans son amour,
si bien que le jaloux Salmacis, piant travers le
feuillage des myrtes, soupire dans la douleur de la
volupt solitaire.
L-haut ne souffle jamais ce terrible vent du Nord
qui laisse nos forts d'Angleterre mornes et nues,
jamais la neige rapide n'y tombe en blanc duvet,
jamais l'clair aux rouges dentelures ne se risque
les rveiller dans la nuit cercle d'argent, alors que
nous pleurons sur quelque douce et triste faute, sur
quelque dlice mort.
Hlas! eux, ils connaissent la lointaine source du
Lth, ils les connaissent bien, les eaux qui se cachent
parmi les violettes, o celui dont les pieds meurtris
Poemes
PANTHA 55
8/14/2019 Pomes by Wilde, Oscar, 1854-1900
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sont las d'errer, peut reprendre courage et marcher,
et boire ces profondeurs l'eau frache et cristalline,
y puiser un baume du sommeil pour les mes que
fuit le sommeil, un engourdissement de la douleur.
Mais nous comprimons nos natures; Dieu, ou le
Destin est notre ennemi. Assez de ce dsespoir qui
accompagne partout le plaisir, assez de tous les
temples que nous avons btis, assez d'avoir fait de
justes prires jamais exauces, car l'homme est
faible, Dieu dort, et le ciel est haut. Un instant
brillamment color, un seul grand amour, et voil
que nous mourons.
Ah! nul batelier, maniant pniblement la gaffe,
ne pousse sa noire chaloupe vers le rivage sans
fleurs. Aucune petite monnaie de bronze ne saurait
porter l'me par-dessus le fleuve de la mort au pays
sans soleil. Victimes, libations, voeux, tout est inutile;
la tombe est scelle; les morts ne se relvent
point.
Nous nous dissolvons dans l'air des hautes rgions;
nous redevenons des choses identiques
celles que nous touchons; chaque rayon cramoisi de
soleil doit son clat au sang de notre coeur: tout
astre qu'meut le printemps doit nos jeunes vies
son dploiement de flamme verte; les bles les plus
sauvages qui battent la broussaille nous sont apparentes;
Poemes
PANTHA 56
8/14/2019 Pomes by Wilde, Oscar, 1854-1900
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toute vie est une et tout est changement.
Un unique battement de systole et de diastole,
effet d'une seule et vaste existence, soulve le coeur
gant de la Terre, et les vagues puissantes de l'tre
unique ondulent depuis le germe sans nerf, jusqu'
l'homme, car nous sommes une parcelle de
tout. Rocher, oiseau, animal ou colline, nous ne
faisons qu'un avec les tres qui nous dvorent, avec
les tres que nous tuons.
Des cellules infrieures o la vie se rveille nous
passons la plnitude de la perfection; ainsi
vieillit l'Univers. Nous qui sommes aujourd'hui
semblables des dieux, nous avons t jadis une
masse de pourpre frissonnante barre de lignes d'or,
insensible la joie et la souffrance, et ballotte
dans les ddales terribles de mers furieuses sous les
coups des vents.
Cette ardente et vigoureuse flamme dont brlent
nos corps, elle fera peut-tre resplendir d'asphodles
quelques prairies, oui, et ces seins d'argent, les
tiens, deviendront perles d'eau. Les terres brunes
que labourent les hommes seront rendues plus fcondes
par nos amours de cette nuit. Rien n'est
perdu dans la nature; toutes choses vivent en dpit
de la Mort.
Le premier baiser de l'adolescent, la premire
Poemes
PANTHA 57
8/14/2019 Pomes by Wilde, Oscar, 1854-1900
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clochette de l'hyacinthe, la dernire passion de
l'homme, la dernire lance rouge qui jaillit hors
du lis, l'asphodle qui ne veut point laisser ses
fleurs s'panouir par effroi de sa trop grande beaut
et par rserve pudique, comme celle qu'prouve la
jeune fiance sous le regard de son amoureux, ce
sont l autant de choses
que consacre un unique sacrement. Nous ne
sommes pas seuls avoir la passion de l'hymne.
La terre aussi l'prouve. Les jaunes boutons d'or,
que le rire secoue, connaissent la pointe du jour
un plaisir aussi rel que nous, quand dans un bois
plein de fraches fleurs, nous respirons le printemps
sur notre coeur, et sentons que la vie est bonne.
Aussi, quand les hommes nous enseveliront sous
l'if, ta bouche pareille une tache pourpre, deviendra
une rose, et tes doux yeux seront des campanules
d'un bleu fonc, obscurcies de rose, et quand le
blanc narcisse jettera tourdiment ses baisers au
vent, son compagnon de jeu, un vague reste de joie
agitera notre poussire, et nous redeviendrons
jeune fille et jeune homme pris.
Et ainsi, sans avoir de la vie la douleur cruelle
qui lui vient de la conscience, en quelque fleur
charmante nous sentirons le soleil, nous chanterons
encore par la gorge de la linotte, et comme
Poemes
PANTHA 58
8/14/2019 Pomes by Wilde, Oscar, 1854-1900
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deux serpents revtus d'une somptueuse cotte de
mailles, nous passerons sur nos tombes, ou bien,
couple de tigres, nous ramperons par la jungle torride,
jusqu' l'endroit o dorment les normes lions
aux yeux jaunes
et nous leur livrerons bataille. Comme mon
coeur bondit la pense de cette grande vie aprs la
mort, de ce passage par la bte, l'oiseau, la fleur,
quand cette coupe contenant trop d'esprit se brise
pour respirer plus l'aise, et avec les feuilles plies
d'automne, l'me, qui fut la premire conqurir
la terre, sera la dernire et noble proie de la
terre.
Oh! songe cela! nous revtirons toutes les
formes capables de vie sensuelle; le Faune aux
pieds de chvre, le Centaure ou les Elfes aux yeux
ptillants de gat, qui laissent des anneaux pour
trace de leurs danses, dans la prairie, afin de taquiner
l'aurore, et ne sont pas plus prs que vous
et moi des mystres de la nature, car nous entendrons
battre le coeur du merle, et crotre les marguerites,
et la perce-neige dfaillante soupirer aprs le
soleil, dans les jours sombres de l'hiver; nous saurons
par qui sont lisss les fils argents de la Vierge,
qui les fritillaires diapres doivent leur peinture,
et qui donne l'aigle de larges ailes pour voler d'un
Poemes
PANTHA 59
8/14/2019 Pomes by Wilde, Oscar, 1854-1900
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pin frissonnant un autre.
Oui, si nous n'avions jamais aim, qui sait si
cette asphodle que voil aurait attir l'abeille en
son sein dor, ou si la rose et jamais suspendu
toutes ses branches ses lampes cramoisies. ce
qu'il me semble, nulle feuille ne devrait jamais
bourgeonner au printemps, sinon pour les lvres
qu'ont les amants pour le baiser, pour les lvres
avec lesquelles chantent les potes.
Le soleil doit-il donc perdre sa lumire, ou cette
lvre faonne par l'art de Ddale est-elle moins
belle, parce que nous hritons de la nature, et ne
faisons qu'un avec chaque battement du pouls vital
qui agite l'air? Que plutt de nouveaux soleils parcourent
le ciel, que la fleur prenne une nouvelle
splendeur, et soit un charme de plus pour la prairie.
Et nous deux qui nous aimons, n'allons point
nous asseoir l'cart pour critiquer la nature, mais
que la mer joyeuse soit notre vtement, et que
l'toile chevelue lance ses flches notre gr! Nous
ferons partie du grandiose ensemble de toutes
choses, et dans toute la succession des ons, nous
nous mlerons, nous nous perdrons dans l'me cosmique,
Nous serons des notes dans cette grande symphonie
dont la cadence allant de cercle en cercle
forme le rythme de toutes les sphres, le coeur de
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l'Univers entier, battant de vie, ne fera qu'un avec
notre coeur. Les annes qui arrivent d'un pas furtif
ont maintenant perdu les terreurs qu'elles nous
causaient: nous ne mourrons point: l'Univers lui-mme
fera notre immortalit.
HUMANITAD
Nous voici au coeur de l'hiver. Les arbres sont
dpouills, except l o les bestiaux se terrent pour
rsister au froid, sous le pin, car celui-ci ne revt
jamais la livre clatante de l'automne, qui son
frre jaloux drobe son or. Pour lui, il garde fidlement
son costume vert; pre est le vent,
comme s'il soufflait de la caverne de Saturne.
Quelques minces poignes de foin adhrent encore
aux haies vivement dessines en noir, la o le
charretier a ramen la charge odorante d'un jour
d't, depuis les prairies d'en bas jusqu' la pente
troite. Sur la neige demi fondue, les blantes
brebis se tassent contre les barrires, et les chiens
domestiques, tout transis,
vont de t'table close au ruisseau gel, et reviennent
l'air dcourag, et regrettent le ptre grondeur
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et le bruyant attelage. Et dans les hauteurs,
dcrivant des cercles sans but, les corbeaux croassants
tournoient autour de la meule blanche de
givre, ou se tiennent en rang serr sur les rameaux
ruisselants, et dans le marcage, les plaques de
glace se fendillent
sous les pas solennels du hron dcharn qui va
par les roseaux, bat des ailes et ramne son cou en
arrire, et pousse un cri railleur la vue de la lune.
travers les prairies s'en va d'un pied boiteux le
pauvre livre effar; qu'on prendrait pour une
petite tache. Et une mouette gare, jetant sa clameur
irrite, volet comme une soudaine tombe
de neige sous le ciel d'un gris morne.
C'est le plein hiver, et le robuste paysan rapporte
de l'table glace sa charge de fagots, frappe du pied
sur le foyer, jette sur le feu languissant les bches
gorges de sve, et rit de voir le jaillissement brusque
de la flamme, effrayer ses enfants dans leurs
jeux. Et pourtant... le printemps est dans l'air.
Dj le grle crocus se fraye passage travers la
neige, et bientt les campagnes blanches vont de
nouveau se fleurir de primevres que viendra faucher
quelque jeune gars, car ds les premiers baisers
d'une chaude pluie, la mlancolie glace de l'hiver
se rsout en larmes. Les bruns sansonnets s'accouplent,
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et le lapin, les yeux brillants, pie
de son terrier obscur de quel ct sont sems les
cnes de sapin. Il crase du pied une perce-neige,
et court sur le tertre moussu. Les merles traversent
de leur vol noire promenade du soir, et les soleils
restent plus longtemps avec nous. Ah! qu'il fait
bon voir le Printemps ceint de gazon, dans toute
la joie que lui donne la vue de cette riante verdure,
franchir les haies en dansant, jusqu'au jour o la
rose prcoce (ce remords charmant de l'pineuse
glantine) fait clater son fourreau d'meraude, et
tale le petit disque frissonnant de flamme dore,
si bien connu des abeilles, car sa suite se montrent
les ples armoises, les oeillets pourprs et les asphodles
en pleine floraison.
Alors le semeur arpente le champ du haut en
bas, pendant que derrire lui le gamin rieur carte
de ses cris aigus la troupe noire et pillarde des
corbeaux. Alors le chtaignier dploie toute sa
gloire, et sur le gazon tombe le flot parfum des
fleurs la nuance de crme; les madrigaux langoureux,
murmurs demi-voix,
s'envolent furtivement du carillon mobile de la
campanule, chaque brise matinale. Puis ce sont
le blanc jasmin, qui toile son propre ciel, et la
linaire qui tire sa langue de feu. L'glantine, vtue
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Cher fianc de la Nature, si bienfaisant Printemps,
toi qui peux multiplier la gnisse la douce
haleine, donner au chevreau ses petites cornes, et
apporter la vigne ses fleurs tendres et soyeuses,
o donc est ce npenths que jadis l'homme tirait
de la racine de pavot et de la mandragore aux baies
luisantes?
Il fut un temps o le plus commun des oiseaux
savait me faire chanter l'unisson avec lui, un
temps o toutes les cordes de la jeunesse vibraient