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Pilotage d’une exploration concourante : Le projet de véhicule autonome Renault, Gilloury P., Martel F., Midler C. , 2017 1 Pilotage d’une exploration concourante : Le projet de véhicule autonome Renault Auteurs Pierre GILLOURY Francois MARTEL Christophe MIDLER Master PIC de l’Ecole Polytechnique (Université Paris-Saclay)

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Pilotage d’une exploration concourante : Le projet de véhicule autonome Renault, Gilloury P., Martel F., Midler C., 2017

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Pilotage d’une exploration concourante : Le projet de véhicule autonome Renault

Auteurs

Pierre GILLOURY

Francois MARTEL

Christophe MIDLER

Master PIC de l’Ecole Polytechnique

(Université Paris-Saclay)

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Sommaire

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Introduction à la conduite autonome : contexte, enjeux, marché, perspectives. . . . . . . . . . 11

I. Le mythe de la conduite autonome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

1) Un rêve issu de la science-fiction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

2) Le passage des aides à la conduite (ADAS) à l’AD. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

3) Les niveaux d’autonomie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

II. La triple incertitude autour du véhicule autonome. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

1) Une incertitude d’ordre technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

2) Une incertitude pesant sur le marché. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

3) Une incertitude sur l’écosystème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Monographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

I. Le projet de véhicule autonome Renault : un projet d’innovation aux

nombreuses contraintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

55

1) Renault, en retard, décide de concevoir son propre véhicule autonome. . . 55

2) D’un projet R&D classique à un projet commercialisation . . . . . . . . . . . . 56

3) Une stratégie en deux temps : stratégie de vitesse et stratégie

d’apprentissage/amélioration. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

58

4) Constitution de l’équipe ILIAD et installation dans les bureaux du CEA . . 60

5) Exploration : précision du produit final, de la technologie, du marché, et

du cadre réglementaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

62

6) Avancement au moment où nous avons quitté Renault : des questions sans

réponse, notamment à propos de la commercialisation et du modèle

d’affaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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II. Le lien entre projet et organisation : l’élaboration des roadmaps véhicules

autonomes de Renault. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

71

1) Le constat à notre arrivée : la Direction Programme face à une multitude

de systèmes en cours de conception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

71

2) La difficile équation économique des systèmes d’autonomie . . . . . . . . . . . 75

Note bibliographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

I. Gestion des incertitudes dans un projet d’innovation technologique radicale

validée de manière déterministe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

82

1) Définition des termes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

2) Management des incertitudes en phase amont . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

3) Management des incertitudes en phase de développement de nouveau

produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

94

II. Conséquences réciproques d’une démarche de conception à validation

déterministe sur les modèles d’adoption d’une innovation de rupture. . . . . . .

103

1) Facteurs intrinsèques aux innovations influençant leur diffusion . . . . . . . . 103

2) Le rôle de l’utilisateur dans la conception. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

Focus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

Première partie : pilotage d’une exploration concourante. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

I. Le véhicule autonome de niveau 3 ou plus au sein de l’Alliance Renault-

Nissan : un cas d’école du management des projets d’exploration. . . . . . . . . . . . . .

117

II. Le rôle du projet ILIAD au sein de l’exploration : moteur du sous-espace de

conception dédié aux systèmes d’autonomie de niveaux 3 et 4. . . . . . . . . . . . .

118

III. Le cycle de conception du projet ILIAD : application naturelle des méthodes

liées aux stratégies de vitesse, flexibilité et ingénierie concourante, et

implication des fournisseurs dans le processus de conception. . . . . . . . . . . . . .

122

1) Rupture avec le cycle de conception classique de Renault. . . . . . . . . . . . . . 122

2) Un cycle adoptant les principes de l’ingénierie concourante, flexibilité et

collaboration des métiers, avec une forte implication des fournisseurs. . . .

128

IV. Le projet ILIAD et la Direction Programme : le projet ILIAD n’est pas un

projet autonome au sein de l’Alliance, d’où l’impossibilité d’appliquer les

méthodes classiques de management des projets d’exploration. . . . . . . . . . . .

135

1) Un écosystème combinant des entités d’exploitation et d’exploration,

aboutissant à une ambidextrie plurielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

136

2) Pour le pilotage d’un tel écosystème, une recommandation de la

littérature : les méthodes de pilotage de projets d’exploration . . . . . . . . . .

140

3) Des stratégies peu adaptables au contexte du véhicule autonome, du fait

des contraintes de ressources, de transposition industrielle, de temps, de

compatibilité des systèmes avec les véhicules de la gamme. . . . . . . . . . . . .

142

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V. Le choix d’une méthode d’exploration pragmatique: l’exploration

concourante. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

147

Deuxième partie : élaboration d’une méthode d’estimation de la valeur par représentation

implicite du client et analyse de ses usages. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

152

I. Une implication difficile du client dans la conception. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153

II. Méthodologie déployée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

III. Résultats et discussion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160

Annexes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167

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Introduction

Abstract

Un an. C’est le temps que nous, Pierre Gilloury et François Martel, avons passé en compagnie des

femmes et des hommes qui travaillaient, quand nous étions parmi eux, à l’un des plus grands

bouleversements de leur industrie : le véhicule autonome. Un an pendant lequel nous avons travaillé avec

ces femmes et ces hommes, mais aussi un an pendant lequel nous avons observé ensemble le processus de

conception de cette innovation si attrayante. Ce mémoire, que nous avons tenté de rendre aussi accessible

que possible, vise à transmettre notre compréhension des événements auxquels nous avons assisté, et

auxquels nous avons pris part.

Les concept-cars de véhicules complètement autonomes présentés par Google, Mercedes ou par le

cinéma et les bandes dessinées d’anticipation, n’arriveront pas demain dans les concessions. Car un long

chemin reste à parcourir avant que Monsieur et Madame Toutlemonde se laissent conduire dans une voiture

sans pédales ni volants, dos à la route. Parmi les experts, certains parlent de 2030, voire 2050, d’autres

doutent que cela soit un jour possible, à moins de supprimer tous les véhicules avec un conducteur humain,

et de tous les remplacer par des véhicules autonomes. En revanche, de nombreux systèmes d’autonomie

partiels équipent déjà de nombreuses voitures, et d’autres, toujours plus perfectionnés, continueront

d’équiper les véhicules des années à venir.

Parmi ces systèmes, il en est un que certains employés de Renault se sont promis de mettre au point

et de commercialiser : un système qui, sur certaines voies rapides, conduirait le véhicule sans intervention

du conducteur. Le conducteur pourrait alors travailler, regarder un film, lire un livre, etc., avant de reprendre

les commandes pour finir son parcours. Tout, ou presque, était à apprendre pour atteindre cet objectif.

Cette innovation, en parallèle de nombreuses autres, s’inscrit dans une gamme de produits et

services d’une diversité foisonnante, alors que les ingénieurs auraient voulu avoir carte blanche. Ce projet

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se mêle à une organisation tentaculaire complexe, là où il faudrait de la flexibilité et de l’agilité. Ce système

est développé dans une entreprise positionnée sur le milieu de gamme et l’entrée de gamme, alors que

l’immaturité des technologies d’autonomie amène les composants à être parfois plus chers qu’un véhicule.

Enfin, le produit est développé sur des véhicules destinés à une clientèle Renault globalement peu

technophile, d’un âge moyen supérieur à 55 ans, alors qu’il s’agit d’une innovation radicale tels qu’ont pu

l’être l’aviation commerciale ou le smartphone. Comment, dès lors, piloter une innovation dans un tel cadre,

tout en assurant une convergence des apprentissages, en évitant de développer un produit qui n’a pas de

clientèle, mais, surtout, sans se laisser distancer par la concurrence qui a déjà pris de l’avance ?

Dans ce mémoire, nous tenterons de caractériser et de conceptualiser l’écosystème innovant dans

lequel nous avons évolué, pour en expliquer les contraintes et les enjeux. Nous tâcherons de comprendre si

les méthodes classiques de pilotage des explorations y sont adaptées, et proposerons humblement quelques

recommandations. Enfin, nous décrirons les difficultés de valoriser une telle innovation et de quantifier son

intérêt pour le client final, avant d’expliquer la méthode que nous avons utilisée pour orienter l’exploration

grâce la valeur client.

Contexte – Le Master PIC de l’Ecole Polytechnique (Université Paris-Saclay)

Le Master PIC est une formation en alternance proposée par l’Ecole Polytechnique. Sa vocation :

permettre aux étudiants de vivre l’émergence des innovations dans les grandes entreprises. Pour cela, les

étudiants du Master, seuls ou en binômes, intègrent de grands groupes comme Renault, Thalès, Orange,

RATP, ou de plus petites structures comme Girève, Kyriba, Vianeo, avec le statut d’apprenti, au sein des

équipes en chargent d’innover. Cette formation professionnelle est doublée d’une formation théorique en

sciences de gestion, afin d’avoir les clés de compréhension des réalités de l’entreprise.

Contexte – Les auteurs

Pierre Gilloury a fait le choix du Master PIC pour la dernière année de spécialisation de son cursus

à HEC Paris (Promotion 2017). Après un stage en audit chez Deloitte à Paris, puis une expérience en

marketing stratégique et business development en Inde chez AXA, il a intégré le master PIC pour l’intérêt

des thèmes de recherche et concepts qui y étaient exposés, et surtout pour le sujet du véhicule autonome en

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lui-même, dans un groupe qui devait faire face à un des plus grands bouleversements de son secteur depuis

les débuts de son histoire plus que centenaire.

François Martel a également choisi d’intégrer le Master PIC en dernière année de son cursus à HEC

Paris (Promotion 2017), après une première expérience en marketing digital chez Procter & Gamble à

Genève, puis une autre chez AXA en management de projets d’offshoring en Inde. Très attiré par

l’apprentissage, il a tout de suite cherché à rejoindre le projet de véhicule autonome Renault, séduit par

l’idée de travailler sur ce qui sera sans doute l’une des grandes inventions du vingt-et-unième siècle. Pour

être au plus près de la technologie et des dilemmes de conception (du genre « que choisir entre écraser une

personne âgée ou l’éviter, foncer dans un mur mais tuer le conducteur ? »), il a rejoint, au sein de Renault,

l’équipe d’ingénieurs en charge de concevoir et de commercialiser un véhicule capable de se conduire seul

sur certaines routes, sans que son conducteur n’ait à agir sur les commandes, ni même à regarder la route.

Christophe Midler, professeur à l’Ecole Polytechnique et responsable du Master PIC, est un

chercheur en sciences de gestion. Ayant dirigé de nombreuses recherches chez Renault et PSA, il a une

longue expérience du secteur automobile, et en particulier de la conception et du management de projet

chez les constructeurs français. Il a notamment publié deux ouvrages de référence sur l’innovation dans

l’industrie automobile, L'Auto qui n'existait pas : Management des projets et transformation de l'entreprise,

Dunod, 1993, et Innover à l’envers : Repenser la stratégie et la conception dans un monde frugal, Dunod,

2017. Très impliqué dès le départ sur le projet PIC de Pierre et François, il les a suivis de manière régulière

et a très largement aiguillé leurs réflexions.

Position au sein de Renault

Nous avons intégré Renault en Septembre 2016. Deux positions nous ont été proposées : une au

sein du projet ILIAD, projet d’ingénierie ayant pour but de concevoir et de commercialiser un véhicule

autonome, et une seconde auprès du Directeur de Programme Adjoint véhicule autonome. Pierre a donc

intégré le Programme Véhicule Autonome, et François le projet ILIAD. L’organigramme qui suit cette

introduction montre la place de chacun dans l’organisation. Y sont mis en surbrillance les personnes qui

ont joué un rôle clé tout au long du projet de Master PIC : Laurent Taupin, chef du projet ILIAD, et Karl

Laferté, Directeur de Programme Adjoint Véhicule Autonome. Travaillant en binôme mais séparés

géographiquement, nous avons été en contact quotidien et nous sommes retrouvés régulièrement, de telle

sorte que chacun de nous savait à peu près tout ce que savait l’autre, et réciproquement. Cette double

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exposition stratégie et ingénierie nous a permis de saisir la complexité de la conduite autonome dans son

ensemble, depuis le moindre composant électronique jusqu’aux considérations juridiques ou commerciales.

Nous avons également pu parfois servir de relais de communication entre le projet ILIAD et la Direction

de Programme.

Postes de chacun et objectif

Aucun de nos postes ne correspondait à une fiche de poste détaillée. Nos responsabilités se sont

clarifiées au fil du temps, en cherchant à servir au mieux nos supérieurs hiérarchiques respectifs. François

a joué un rôle d’homme à tout faire auprès de Laurent Taupin, chef de projet ILIAD. Ses tâches sont allées

de la réalisation du logo du projet ou de la décoration murale des bureaux, à la rencontre et la

recommandation de partenaires stratégiques potentiels, en passant par des activités de veille ou encore de

représentation du projet (devant la Direction commerciale France par exemple). Au sein de la Direction de

Programme, Pierre a, entre autres, constitué, analysé et synthétisé des bases de données aidant à estimer la

valeur client des systèmes d’autonomie conçus dans l’Alliance, contribué à une veille autour de la définition

des niveaux d’autonomie et des questions juridiques autour de la responsabilité du conducteur, mené des

études ponctuelles sur les aides à la conduite ou l’impact en termes de sécurité routière du véhicule

autonome. En revanche, nous avions tous deux un objectif commun, dans le cadre de notre projet de

recherche : explorer les problématiques de coût, de valeur client, de modèle d’affaires, pour essayer d’aider

Renault à trouver le bon produit à offrir, au bon client, au bon moment. Ces réflexions, soutenues et

aiguillées par les professeurs Christophe Midler et Rémi Maniak, ont, nous l’espérons, au travers des

différentes présentations que nous avons pu en fai, eu un impact dans quelques prises de décisions.

Remerciements

Nous souhaitons d’abord remercier nos professeurs sans lesquels cette expérience, qui a sans doute

été la plus riche pour nous jusqu’à maintenant, n’aurait pas été possible. Nous souhaitons en premier lieu

remercier bien sûr le Prof. Christophe Midler, responsable et plus grand atout du Master PIC, sans qui, bien

évidemment, nous n’aurions pu travailler sur ce projet et dans ces conditions. Sa simplicité, sa bonne

humeur, la justesse de ses analyses et de ses commentaires, sa rare gentillesse et sa bienveillance à toute

épreuve ont joué un rôle majeur dans notre motivation et dans notre compréhension des enjeux liés à une

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innovation comme le véhicule autonome. Nous souhaitons également adresser nos plus sincères

remerciements au Prof. Rémi Maniak, qui nous a consacré de nombreuses heures de son temps pour nous

aiguiller sur notre projet, en particulier à ses débuts, dans une entreprise dont sa connaissance a été d’une

grande aide. Nous tenons plus généralement à exprimer notre très sincère reconnaissance au corps

professoral du Master PIC, qui, par ses enseignements, nous a donné les mots et les concepts pour

comprendre ce qui s’est joué en entreprise pendant ce projet de Master. Comment ne pas remercier

également Messieurs Karl Laferté et Laurent Taupin, qui ont accepté de nous accueillir, et qui nous ont

offert toutes les opportunités d’apprendre et de comprendre que nous aurions pu souhaiter. Nous souhaitons

tout particulièrement remercier Karl (Vador) Laferté, pas seulement pour ses blagues et anecdotes,

quoiqu’elles aient été nombreuses, mais surtout pour son partage sans relâche de sa passion pour

l’automobile et pour un groupe dont il connaît tous les secrets et rouages, pour son accessibilité et sa volonté

de nous faire progresser un maximum pendant notre séjour à ses côtés. Nous souhaitons de même remercier

chaleureusement Laurent Taupin pour son indéfectible bonne humeur, ses métaphores

abracadabrantesques, son écoute et sa formidable capacité de motivation. Nous avons beaucoup appris

auprès d’eux.

Nous voulons également dire à toutes les personnes de Renault qui ont rendu cette expérience

enthousiasmante et enrichissante combien nous avons apprécié travailler avec eux. A tous les membres du

campus AD, employés Renault et prestataires, un grand merci pour leur accessibilité et pour la bienveillance

qui a été la leur pour nous expliquer, à nous, étudiants business non ingénieurs, le dessous des cartes. A ce

titre nous remercions chaleureusement : Eric, Isabelle, Olivier, Philippe, Marc, Solen, Christophe, Vincent

Valérie, Jérôme, Philippe, Marie-Anne, David, Adnane, Alaeddine, Philippe, Daniel, Bertrand, Yannick,

Yves, Jean-François, Romain, Déborah, Cyrille, Charaf, Sakina, Jérémy, Richard, Marwa, Soufiane,

Stéphanie, Ariane, Pierre-Luc, Omar, Haithem, et Son. A toutes les personnes que nous avons côtoyées au

Technocentre, nous souhaitons dire également un très grand merci : Thierry, Claire, Marie-Laure, Laurent,

Nadia, Marie, Agnès, Jean-François, Dominique et Laurence

.

Nous souhaitons adresser également nos chaleureux remerciements à Madame Marie-Hélène

Delmond, professeur à HEC Paris, qui a encadré notre stage commun en Inde chez AXA, et qui nous a parlé

du Master PIC, et convaincu d’y finir notre cursus à HEC Paris. Nous remercions très amicalement nos

camarades de promotion de Master PIC, qui nous ont donné beaucoup de joie, de rires et de motivation, et

qui nous ont soutenus dans la production de ce mémoire. Enfin, nous souhaitons exprimer notre gratitude à

Angélique, qui a pour nous été un soutien important dans toutes les contraintes administratives que la

poursuite de nos études a pu poser.

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Introduction à la conduite autonome :

Contexte, enjeux, marché, perspectives

Plan :

I. Le mythe de la conduite autonome

1) Un rêve issu de la science-fiction

2) Le passage des aides à la conduite (ADAS) à l’AD

3) Les niveaux d’autonomie

II. La triple incertitude autour du véhicule autonome

4) Une incertitude d’ordre technique

5) Une incertitude pesant sur le marché

6) Une incertitude sur l’écosystème

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I. Le mythe de la conduite autonome

1) Un rêve issu de la science-fiction

« Un effort particulier sera consacré à la conception de véhicules à l’intelligence robotisée, qui

pourront être programmés pour rejoindre une destination particulière puis s’y rendre sans devoir subir les

interférences des gestes lents d’un conducteur humain. Je suspecte qu’une des attractions majeures du salon

de 2014 sera offerte par les promenades dans de petites voitures robotisées manœuvrant à 50 cm au-dessus

du sol, en s’évitant l’une l’autre soigneusement et automatiquement. »1 Ces quelques lignes pourraient, si

leur style n’y révélait pas l’œuvre d’un formidable écrivain, figurer dans n’importe quel magazine

rapportant à ses lecteurs les nouveautés présentées au dernier Mondial de l’Automobile. Leur auteur en est

pourtant Isaac Asimov, qui dans les colonnes du New York Times, se proposait en 1964 d’anticiper le

monde tel qu’il deviendrait 50 ans après. Si une telle anticipation peut sembler particulièrement

prophétique, puisqu’écrite il y a de cela un demi-siècle, le contexte des années 1960, à force d’exploration

de l’espace, des progrès de l’informatique, et d’étalement urbain dans des villes pensées par les urbanistes

et architectes depuis les années 19202 pour la voiture individuelle, est particulièrement propice aux rêves

les plus fous de la science-fiction : si après tout IBM est capable de construire dans 2001 Odyssée de

l’Espace une intelligence artificielle, quoique ce terme soit sans doute anachronique, capable de gérer

l’ensemble des commandes d’un vaisseau spatial, imaginer une voiture capable de se conduire toute seule

n’est sans doute pas hors de propos. Paradoxalement les premiers prototypes de voiture autonome sont à

trouver bien plus tôt qu’à cette période d’avancées dans l’informatique, dans les années 1920, alors que la

maîtrise des ondes radio et le développement de la TSF entraînaient déjà une révolution des

communications. Il s’agissait en fait d’un véhicule pouvant en suivre un autre, conduit par un pilote humain,

uniquement par ondes radios, inventant de fait le concept du platooning, repris aujourd’hui dans les

communications de constructeurs comme Volvo. Le schéma suivant, extrait d’un numéro de l’Usine

Nouvelle consacré aux véhicules autonomes, montre que de nombreux concepts de voitures autonomes ont

en fait jalonné l’histoire de l’automobile au XXe siècle.

1 “Much effort will be put into the designing of vehicles with "Robot-brains"*vehicles that can be set for particular

destinations and that will then proceed there without interference by the slow reflexes of a human driver. I suspect one

of the major attractions of the 2014 fair will be rides on small roboticized cars which will maneuver in crowds at the

two-foot level, neatly and automatically avoiding each other.”

Isaac Asimov, Visit to the World's Fair of 2014, The New York Times, August 16, 1964 2 On se référera notamment en France au Plan Voisin de Le Corbusier, qui se proposait de détruire Paris, à quelques

rares monuments près, pour construire des tours monumentales reliées par un réseau d’autoroutes souterraines,

vision mise en œuvre dans le projet d’aménagement de la Défense quelques décennies plus tard.

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Devant cette multitude de concepts, et sans vouloir dénier à Asimov ses exceptionnelles capacités

d’anticipation, il semble que l’idée d’un véhicule autonome ait toujours existé, s’inscrivant dans une

ambition millénaire de se libérer de tâches ingrates qui constituent une forme de souffrance. Aristote

n’écrivait-il pas : « Si chacun des instruments pouvait, sur un ordre ou bien en pressentant un ordre, remplir

sa fonction, et si, comme faisaient, dit-on, les statues de Dédale, de la même manière, les navettes tissaient

d'elles-mêmes et les plectres jouaient de la cithare, alors les maîtres artisans n'auraient nul besoin de

serviteurs, ni les maîtres, d'esclaves »3 Il s’agit de se demander si ce rêve d’autonomie, de robotique, dont

Aristote promet les bouleversements sociaux afférents, n’a pas en fait servi d’aiguillon à l’histoire de

l’industrie automobile elle-même, comme une forme d’ambition à atteindre : alors que celle-ci est justement

née de la mécanique, et de l’automatisation de la traction animale, elle grandit aujourd’hui dans

l’automatisation de la tâche humaine.

2) Le passage des aides à la conduite (ADAS) à l’AD

3 Aristote, Politique, Livre I 1253b15 - 1255b40

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14

Le rêve – ou donc l’ambition – de la conduite autonome, s’il a été marqué par une succession de

concepts fous, a peu à peu pu devenir une perspective atteignable, au cours du développement d’aides à la

conduite de plus en plus sophistiquées, intervenant toujours davantage dans la conduite des véhicules.

Ce développement s’est effectué sous une double influence :

- La prise de conscience d’une mortalité importante liée aux accidents de la route dans les pays

occidentaux, suite au développement massif de l’automobile. Au début des années 1970, plus de

15 000 personnes meurent tous les ans sur les routes de France, ce qui provoque une réaction de

l’Etat, imposant des limitations de vitesse, des contrôles d’alcoolémie, et rendant obligatoires

certains équipements de sécurité, en premier lieu la ceinture de sécurité4. Le Parlement européen a

également imposé de nombreux équipements de sécurité passive et active, comme l’ABS

(antiblocage des roues) en 2003, l’ESP (correcteur électronique de trajectoire) en 20115 ou encore

l’AEB et le LKA qui seront obligatoires à partir de l’année 20206.

Figure 1 Evolution du nombre de morts sur la route en France entre 1970 et aujourd'hui, et principales évolutions

réglementaires

4 http://www.securite-routiere.gouv.fr/medias/espace-presse/publications-presse/1972-2012-les-francais-et-la-

securite-routiere-40-annees-de-route-commune 5 http://www.cnetfrance.fr/cartech/esp-obligatoire-39765338.htm 6 Nous proposons en annexe 1 une description de ces aides à la conduite et autres équipements de sécurité

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15

- Le développement de nombreux équipements détournant le conducteur des seules tâches de

conduite (comme le GPS, qui enjoint le conducteur à regarder une carte pendant la conduite, alors

qu’il était auparavant obligé de s’arrêter) a rendu nécessaire la mise en place d’aides à la conduite

permettant de corriger ses inattentions : il ne s’agit plus seulement d’aider au freinage d’urgence

(ABS et AFU), ou de protéger les occupants (airbags, ceintures de sécurité…) c’est-à-dire de

fournir une assistance optimale au conducteur pour qu’il garde plus aisément le contrôle de son

véhicule ou de le protéger lorsque l’accident est inévitable, mais bien, par une action sur la direction

ou les freins, de prévenir tout accident provenant d’une situation d’urgence ou d’un manque

d’attention du conducteur.7 C’est ainsi qu’émergèrent les premiers systèmes d’AEB et de LKA au

début des années 2000 (on citera notamment la mise en place du Pre-Collision System sur la Lexus

LS430 en 2003, ou encore le Lane Keeping Support de la Nissan Cima en 2001).

L’émergence de ces nouvelles aides à la conduite, permettant d’intervenir directement sur les freins

ou la direction pour protéger les occupants d’un véhicule, a peu à peu conduit au développement de

systèmes intervenant sur des durées plus longues, permettant au conducteur d’adopter une conduite plus

reposante et confortable, notamment grâce au régulateur de vitesse adaptatif. Dès lors, les voitures mises

sur le marché disposant de ce genre d’équipements étaient capables de freiner en réaction à un obstacle,

d’accélérer, et de tourner : il n’en faut, au premier abord, pas davantage à un conducteur humain pour piloter

son véhicule, ce qui a laissé penser qu’une fois combinés, ces systèmes pourraient devenir autonomes. C’est

ainsi que se sont développés les premières applications de systèmes de conduite semi autonomes de niveau

28, qui sous supervision du conducteur, conduisent entièrement la voiture dans des situations adaptées. On

ne peut donc que constater que le développement du véhicule autonome, s’il a été envisagé comme une

innovation de rupture, comme une succession de « crazy concepts » à l’avenir incertain, est né dans

l’incrémentation d’aides à la conduite successives, et est, dans ses premières applications, le résultat d’une

somme d’équipements déjà présents depuis longtemps dans nos automobiles.

3) Les niveaux d’autonomie

7 A. Motoyuki, P. Green, K. Bengler (2013), Automotive Technology and Human Factors Research: Past, Present

and Future, International Journal of Vehicular Technology 2013, p1-27 8 Voir p. 21

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16

Si comme nous l’avons vu, l’idée d’un véhicule autonome est née dans l’anticipation des avancées

d’un machinisme remplaçant l’homme dans nombre de ses tâches, idée rendue envisageable à moyen terme

par le déploiement d’ADAS9 de plus en plus sophistiqués, la radicalité de l’innovation qu’un tel véhicule

représenterait est amenée à se faire jour de manière progressive, incrémentale, au rythme de la capitalisation

des savoir-faire accumulés sur des objets techniques intermédiaires, partiellement autonomes, prenant en

charge la conduite dans des cas très précis et limités. Pour comprendre ces systèmes intermédiaires qui,

s’ils ne sont déjà commercialisés, le seront dans les mois et années à venir, il nous faut déployer un modèle

d’analyse qui nous permette d’en saisir les performances et les limites. Nous tenons à cette fin à décrire le

plus finement possible le modèle qui dans l’industrie automobile sert de référentiel, de base lexicale

commune, de lingua franca, à la classification des différents systèmes d’autonomie, référentiel qui permet

de dresser automatiquement la liste des caractéristiques d’un système à l’annonce de son « niveau » sans

lequel toute discussion, notamment sur les évolutions du droit nécessaires à la commercialisation des

systèmes concernées, serait paralysée. Ce modèle, établi par la SAE10, distingue 5 « niveaux d’autonomie »,

allant de la simple aide à la conduite au « robocab » (véhicule sans conducteur) principalement en fonction

des critères suivants :

- La DDT (dynamic driving task) : il s’agit de l’ensemble des opérations nécessaires à la conduite

effective du véhicule, incluant notamment le contrôle latéral de la voiture (action sur la direction

visant à se maintenir dans une voie ou à changer de direction) ; son contrôle longitudinal (action

sur l’accélérateur ou le frein visant à faire avancer le véhicule, à maintenir une distance de sécurité

avec le véhicule précédent, à freiner ou à s’arrêter lorsque les conditions de circulation l’exigent ou

lorsque la destination est atteinte) ; la réponse – au-delà de l’identification (cf. OEDR ci-après) à

une modification de l’environnement du véhicule (circulation, objet sur la route, événement

inattendu) ; le signalement aux autres utilisateurs (actionnement des clignotants, des feux de

position, de route etc.)11

- L’OEDR (object and event detection and response) et le DDT Fallback Performance :

9 Advanced Driver Assistance Systems, groupe d’aides à la conduite parmi les plus élaborés. En voir la liste en annexe 1 10 Society of Automotive Engineers, fondée aux Etats-Unis en 1905, est une association professionnelle regroupant des ingénieurs, chercheurs, étudiants etc. visant entre autres à l’élaboration de standards techniques et à la définition de bonnes pratiques dans chacune des industries représentées (http://www.sae.org/about/general/history/) 11 Surface Vehicle Recommended Practice, J3016, Sept. 2016, Taxonomy and Definitions for Terms Related to Driving Automation Systems for On-Road Motor Vehicles, p. 5 “3.8 Dynamic Driving Task (DDT)” Lien vers le document : http://fileopen.ansi.org/encservice/FileStreamer.ashx?TaskID=57119a5b6e4c476796b18e4facc433e7

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17

L’OEDR renvoie à l’ensemble des tâches de reconnaissance de la scène de conduite, de détection

des utilisateurs et objets pouvant s’y trouver et devant être pris en compte ainsi que l’ensemble des

actions (DDT) nécessaires, suite à la reconnaissance de ces objets et situations, à l’exercice d’une

conduite sûre.12

Plus spécifiquement, le DDT Fallback correspond à l’ensemble des manœuvres requises du

conducteur humain ou du système de conduite autonome pour mettre le véhicule en sécurité, dans

un état de risque minimal variant selon les situations, lors d’une défaillance ne permettant plus la

conduite sûre et l’exécution de la DDT (ces défaillances peuvent être d’ordre technique : panne

d’un capteur, crevaison d’un pneu etc. ; ou bien humain : malaise du conducteur) ou en cas

d’atteinte des limites de l’ODD (voir ci-après)13

Si le système autonome est en charge de ce DDT fallback, il doit mener une MRM (Minimum Risk

Manoeuver), manœuvre permettant, en fonction des performances du système, de placer le véhicule

dans une position de risque minimal (comme une bande d’arrêt d’urgence sur l’autoroute)14. Cette

fonctionnalité requiert une « redondance » de certains capteurs et actuateurs de la voiture

permettant au système de mener ce genre de manœuvres en cas de défaillance.

- L’ODD (operational design domain) désigne l’ensemble des conditions nécessaires à l’activation

d’un système de conduite autonome, qui peuvent être d’ordres différents : type de route (autoroute,

voie express à chaussées séparées, nationale, route urbaine…), nature des usagers autorisés à

circuler sur cette route (la route n’est-elle ouverte qu’aux voitures, motos et camions ou bien encore

aux piétons et cyclistes ?), météo sur le parcours et moment de la journée (certains capteurs ne

pouvant fonctionner de manière optimale qu’en l’absence de pluie, neige et autres intempéries et

dans des conditions de luminosité satisfaisantes), vitesse et conditions de circulation. En fonction

du niveau d’autonomie, mais également des prestations offertes par le constructeur ou de

législations à définir, il incombe au conducteur humain ou au système d’identifier ces conditions

et de vérifier qu’elles sont réunies avant toute activation de la conduite autonome.15

Les niveaux d’autonomie fournissent chacun une combinaison de réponses différentes à ces

critères. Il est à noter que les niveaux d’autonomie ne dépendent pas linéairement de la quantité ou de la

12 Ibid., p. 12 ‘’3.15 Object and Event Detection and Response’’ 13 Ibid., p. 6 ‘’3.9 [Dynamic Driving Task (DDT)] Fallback’’ 14 Ibid., p. 6 ‘’3.9 [Dynamic Driving Task (DDT)] Fallback, EXAMPLE 3’’ 15 Ibid., p.12 ‘’3.17 Operational Design Domain’’

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sophistication des capteurs qui forment la DT (définition technique16) du véhicule. Ainsi une caméra

frontale (placée à l’avant du véhicule) peut par exemple servir à fournir un TSR (Trafic Sign Recognition)

qui reproduit certains panneaux de circulation (notamment des limites de vitesse) observés sur la route sur

le tableau de bord, ou bien encore à la réalisation d’un LKA (Lane Keeping Assist), qui corrige par une

action sur la direction la trajectoire d’un véhicule qui aurait franchi une ligne sur la route sans que le

conducteur ait actionné le clignotant. Ces deux systèmes correspondent à des niveaux d’autonomie

différents, car intervenant de manière diverse dans la conduite de la voiture mais sont basés sur le même

capteur. Cependant, lorsque le niveau d’autonomie des systèmes augmente, les capteurs deviennent plus

variés, plus performants, et plus nombreux ; les actuateurs10 deviennent plus sophistiqués, et les calculateurs

deviennent plus puissants, et le software devient plus complexe et plus performant.

16 Ensemble des mécanismes permettant d’actionner électroniquement les freins, la direction etc.

Figure 2 Tableau récapitulatif des niveaux SAE

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- Niveau 0

Il s’agit d’un niveau de référence regroupant les véhicules ne disposant pas d’équipements

de conduite autonome, et donc pas d’aides à la conduite, à l’exception des moins

sophistiquées, qui n’interviennent pas directement dans la conduite du véhicule, c’est-à-dire

qui ne prennent pas de décision face au constat d’une situation, celle-ci étant laissée au

conducteur.

Les aides à la conduite permettant d’avertir le conducteur, sont ainsi classées en niveau 0

d’autonomie, comme le TSR (Trafic Sign Recognition, défini supra), le RCTA (Rear Cross

Trafic Alert, qui permet d’avertir le conducteur de la présence de voitures roulant

perpendiculairement à sa trajectoire lorsqu’il sort d’une place de parking en marche arrière),

ou encore le BSM (Blind Spot Monitoring, qui prévient le conducteur de la présence

d’usagers de la route dans certains angles morts). Le conducteur est ici maître de l’indication

fournie par les systèmes, qui ne sont en aucun cas conçus pour fournir d’eux-mêmes une

réponse à la situation détectée (par une action sur les freins ou la direction par exemple).

Sont aussi considérés comme systèmes de niveau 0 les limiteurs de vitesse et régulateurs de

vitesse non adaptatifs (ne freinant pas de leur propre chef à l’approche d’un autre véhicule),

que le conducteur aura décidé d’activer et auxquels il aura donné une consigne, que les

systèmes doivent exécuter sans la remettre en cause.

- Niveau 1

Il s’agit du niveau minimum d’autonomie, à partir duquel certaines tâches de conduite

sont confiées au véhicule, sous supervision complète du conducteur, qui ne doit ni quitter la

route des yeux ni ôter ses mains du volant, respectant ainsi l’obligation de prudence prévue

à l’article R. 412-6-I du Code de la Route17, adaptation en droit français des dispositions

imposées par la convention de Vienne (que nous serons amenés à présenter en p. 38).

Par opposition au niveau 0 d’autonomie, le niveau 1 introduit des aides à la conduite capables

de prendre le contrôle d’une partie de la DDT. Il existe deux catégories d’aides à la conduite

de niveau 1 : celles prenant exclusivement en charge l’accélération et le freinage (contrôle

longitudinal) d’une part et celles gérant exclusivement la direction (contrôle latéral) d’autre

17 « Tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur. Celui-ci doit, à tout moment, adopter un comportement prudent et respectueux envers les autres usagers des voies ouvertes à la circulation. Il doit notamment faire preuve d'une prudence accrue à l'égard des usagers les plus vulnérables. » (Lien de l’article sur Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=AD30BE0B6FF120E1D19EC35451ADC2B6.tpdila17v_1?idSectionTA=LEGISCTA000006177121&cidTexte=LEGITEXT000006074228&dateTexte=20170816)

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part. Les autres parties de la DDT, respectivement pour les aides longitudinales la direction

et pour les aides latérales l’accélération et le freinage sont confiées au conducteur. Plusieurs

systèmes existent sur le marché, offrant des prestations différentes qu’il convient de détailler.

Nous introduisons ici une distinction entre différents ODD, c’est-à-dire ici entre les différents

types de route et scènes de conduite pour lesquels les systèmes ont ou auront été conçus, que

nous serons amenés à développer tout au long de notre description des différents niveaux

d’autonomie : nous analyserons d’une part des exemples de systèmes conçus pour des voies

à chaussées séparées de type autoroutier, d’autre part les systèmes d’aide au stationnement

et le cas échéant, nous prendrons des exemples fonctionnant sur un ODD tiers. Il est à

souligner que, bien que les systèmes soient conçus pour certains types de route particuliers,

tous ne sont pas contextualisés (i.e. il appartient au conducteur d’identifier que la route ou la

scène de conduite est adaptée à l’activation du système selon les indications qui figurent dans

le manuel d’utilisation de son véhicule ; a contrario, un système contextualisé n’autorise

l’activation que sur des routes définies comme compatibles d’après les informations du

GPS). Dans le cas des aides à la conduite de niveau 1, les systèmes suivants sont dès

aujourd’hui offerts sur le marché :

Scènes de type autoroutier

Les ACC (Adaptive Cruise Control) sont des régulateurs de vitesse qui disposent

d’une fonction de freinage : ces systèmes sont ainsi capables d’accélérer et de

maintenir une vitesse renseignée par le conducteur, mais également de ralentir ou

de freiner si un véhicule plus lent le précédant est détecté. La plupart des ACC

aujourd’hui commercialisés, en particulier ceux ne se basant que sur un radar

frontal, ne détectent pas les cibles fixes, c’est-à-dire les véhicules précédents

arrêtés sur leur voie. L’objectif est d’éviter les « faux positifs », c’est-à-dire la prise

en compte erronée de certains objets (comme des arbres ou des panneaux de

circulation) comme des obstacles devant lesquels le véhicule devrait s’arrêter. A

cet effet, mais également pour permettre d’équiper les véhicules à boîtes de vitesse

manuelles d’ACC, la plupart des systèmes imposent une condition de vitesse

minimale, en dessous de laquelle le système se désactive. D’autres systèmes dits

Stop & Go, notamment ceux qui gèrent les cibles fixes (souvent à l’aide d’une

caméra frontale qui, associée à de la reconnaissance d’image, ne permet de freiner

le véhicule que si l’obstacle identifié a été catégorisé comme une voiture, un

camion ou encore une moto), sont actifs dès 0 km/h. C

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Aides au stationnement

Certains systèmes dénommés Park Assist prennent en charge la direction lors des

manœuvres de stationnement : une fois activé, généralement à faible vitesse (moins

de 20 km/h), le système détecte une place de parking adaptée. Le conducteur est

appelé à gérer le frein et l’accélérateur, ainsi que le contrôle permanent de

l’environnement, seule la direction étant déléguée au véhicule.

Autres aides à la conduite et dispositifs de sécurité

L’AEB (Autonomous Emergency Braking) est une fonction de freinage

automatique (contrôle longitudinal). Lorsque le véhicule équipé détecte

une collision imminente, les freins sont automatiquement appliqués.

Originellement limités par des conditions de vitesse réduites (souvent

moins de 30 km/h) et par une reconnaissance d’objets embryonnaire (pour

éviter les faux positifs), les systèmes les plus récents fonctionnent sur des

plages de vitesse étendues et incluent la reconnaissance des piétons et

cyclistes ainsi que la gestion des intersections18.

Le LKA (Lane Keeping Assist), déjà mentionné en page 17, mène quant à

lui des actions correctives sur la direction du véhicule (contrôle latéral) en

cas de franchissement involontaire d’une ligne séparant deux voies,

détecté par exemple par une absence d’actionnement du clignotant.

Il est à noter que ces deux équipements seront rendus obligatoires sur toutes les

voitures en Europe à horizon 2020.

- Niveau 2

Il s’agit du niveau d’autonomie le plus élevé qui soit aujourd’hui commercialisé. Si

les systèmes de niveau 1 prenaient en charge le contrôle latéral (direction) ou longitudinal

(accélération / freinage) de la DDT, les systèmes de niveau 2 gèrent l’ensemble des actions

latérales et longitudinales nécessaires à la réalisation de l’ensemble de la DDT : ils contrôlent

simultanément la direction, l’accélération et le freinage dans les situations de conduite pour

18 Le pack City Safety de Volvo rassemble sur les modèles S90 et XC90 l’ensemble de ces nouvelles fonctionnalités, dont un descriptif corporate est proposé ici : https://www.media.volvocars.com/fr/fr-fr/media/pressreleases/154717/le-city-safety-de-volvo-cars-un-systme-exceptionnel-de-prvention-des-collisions-en-srie-sur-le-tout

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lesquelles ils sont conçus (ODD). Le rôle du conducteur est cependant prépondérant : il a

pour fonction de contrôler le système à tout instant et doit reprendre en charge, de son propre

chef, l’ensemble des tâches de conduite s’il l’estime nécessaire (comportement erratique de

la voiture une fois le système activé, présence d’usagers vulnérables, etc.). Les systèmes de

niveau 2 imposent donc du conducteur une prudence constante, et par conséquent de garder

à la fois les yeux sur la route et les mains sur le volant (eyes on / hands on). Comme nous

l’expliquons en p. 38, la convention de Vienne a dû être amendée pour donner un cadre

juridique auparavant peu précis à ces systèmes semi-autonomes, qui permettent au

conducteur de se désengager d’une grande partie de ses tâches, en restant cependant, comme

l’y engage son obligation de prudence, responsable de la sécurité de la conduite de son

véhicule. De nombreuses fonctionnalités de niveau 2 existent en effet déjà sur le marché :

Scènes de type autoroutier

Les TJP (Trafic Jam Pilot) sont pensés comme une combinaison de deux

systèmes de niveau 1, à savoir l’ACC et le LKA, rendue possible par un

calculateur suffisamment puissant. Ils permettent, une fois activés par le

conducteur, à un véhicule de rouler de manière autonome, sous

surveillance du conducteur en situation de trafic dense (détection d’un

véhicule devant soi, vitesse maximale de 30 à 60 km/h en fonction des

systèmes) : le véhicule assure à la fois le respect d’une distance de sécurité

suffisante avec le véhicule précédent, et se maintient automatiquement

dans sa voie.19 Les TJP fonctionnent, contrairement à certains ACC,

jusqu’à l’arrêt complet du véhicule, mais ils en conservent certaines

limitations, comme la détection des cibles fixes, qui n’est pas offerte par

tous les modèles du marché. La plupart des TJP sur le marché ont

également un auto-restart limité : si les conditions de trafic exigent du

véhicule qu’il s’arrête, le système ne peut plus se remettre en marche

automatiquement si une certaine durée d’immobilisation est dépassée.

Des systèmes plus sophistiqués, fonctionnant sur des plages de vitesse

étendues, existent également sous des dénominations variant selon les

constructeurs : il s’agit chez Tesla de l’Autosteer, chez Nissan du système

19 Volkswagen donne une explication du Trafic Jam Pilot équipant la Passat dans la vidéo suivante : http://webspecial.volkswagen.de/innovative-technologies/ch/fr/mainpage.htmlaa735e?deep=51667d42-39bf-4d46-a5f9-277003e8fa9b

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ProPilot, ou encore chez Mercedes du Distronic Plus. Ils se différencient

par les fonctionnalités qu’ils offrent (détection des cibles fixes, durée plus

ou moins longue de l’auto-restart, présence ou non d’un assistant de

changement de voie, possibilité d’une mise à jour du système avec une

connexion internet etc.), ainsi que par la qualité de leurs performances

(fiabilité des détections de cibles fixes, qualité du lane centering,

notamment en cas de virages abrupts, finesse du freinage etc.)

Aides au stationnement

D’autres systèmes de niveau 2 constituent une assistance poussée au stationnement,

à l’image des SAPA (semi autonomous parking assist), qui ajoutent aux simples

Park Assist de niveau 1 décrit supra le contrôle de l’accélération et du freinage.

Comme dans tout système de niveau 2, le véhicule analyse son environnement et y

réagit dans son ODD, mais la supervision du conducteur est indispensable, même

si celui-ci peut, dans certains modèles garer son véhicule à distance grâce à son

smartphone, qui permet de s’assurer que le conducteur surveille bien les

manœuvres de son véhicule (la récente Classe E de Mercedes offre ces fonctions

de parking autonome, le smartphone servant à vérifier que le conducteur est à

proximité de la voiture, et qu’il en analyse l’environnement en exigeant de lui qu’il

appuie continuellement sur l’écran de son téléphone pendant la manœuvre ; il en

va de même, quoiqu’avec moins de contraintes pour le conducteur, avec la fonction

« Summon » de Tesla).

- Niveau 3

Le niveau 3 est sans doute celui qui a suscité le plus de débats dans l’industrie depuis

la première catégorisation des niveaux d’autonomie offerte par SAE en 2014. Cette

controverse se cristallise autour des notions de « désengagement cognitif » du conducteur et

des éventuelles manœuvres de sécurité que le véhicule devrait pouvoir effectuer en cas

d’erreur du conducteur humain. Avant d’exposer l’argument de ce débat, dans lequel Renault

a eu sa part20, encore nous faut-il nous attacher à expliquer le niveau 3 tel qu’il est imaginé

dans les documents de la SAE.

20 Nous expliquerons en quoi les hésitations autour de la définition du niveau 3 ont fortement influencé les débats autour de l’élaboration des roadmaps des systèmes d’autonomie du groupe dans notre monographie.

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A la différence des niveaux d’autonomie précédemment décrits, le niveau 3 introduit

la notion d’un conducteur qui ne serait pas en charge d’observer et d’analyser à tout instant

la scène de conduite et qui ne serait donc plus requis à tout instant de la conduite : le niveau

3 laisse, sur l’ODD adapté, l’entière maîtrise de la DDT et de l’OEDR21 au véhicule. En

d’autres termes, le véhicule doit sur le cas d’usage qui lui est imparti, conduire de manière

autonome, sans que le conducteur n’ait à surveiller ses actions (eyes off). Dans la définition

initiale du SAE, le conducteur est cependant le seul « fallback »22 : à la fin du cas d’usage ou

lors d’une défaillance du système, celui-ci demande au conducteur de reprendre la main s’il

ne le fait pas spontanément, et il n’est pas attendu du véhicule qu’il exécute, de son propre

chef et de sa propre initiative, une manœuvre permettant, en cas d’absence de réponse du

conducteur, d’arrêter le véhicule de manière sûre. Le conducteur doit également reprendre la

main en cas de survenance d’un événement imprévu (fin non prévue du cas d’usage) non

géré par la voiture. Il doit donc garder une position compatible avec la reprise en main, et

rester vigilant, si ce n’est constamment, aux changements intervenant dans l’environnement

de conduite (si le véhicule n’est pas conçu pour gérer une ambulance et / ou lancer une

demande de reprise en main lorsque celle-ci est en approche, le conducteur doit

spontanément reprendre la main) ainsi qu’aux défaillances possibles du système, entraînant

l’absence de demande de reprise en main. Le « eyes-off » fait donc l’objet de certaines

limites, ce qui n’empêche pas de nombreux constructeurs de développer des systèmes de

niveau 3 :

Scènes de type autoroutier

Il s’agit de la seule application commerciale de niveau 3 qui ait fait l’objet d’annonces,

aucun des systèmes de niveau 3 n’ayant à l’heure où nous rendons ce mémoire commencé

leur vie série. Une des annonces les plus significatives émane d’Audi, qui lancera en 2018

un système de niveau 3 à l’ODD restrictive : pour pouvoir être activé, la voiture devra

circuler à une vitesse de moins de 70 km/h, sur l’autoroute, et en condition de trafic dense

(le système nécessitera la présence d’au moins un véhicule précédent dans la voie). Une fois

ces conditions réunies, le conducteur ne sera pas contraint d’analyser la scène de conduite et

pourra se livrer à des activités annexes, en fonction d’évolutions juridiques propres à chaque

21 Voir p. 15-16 22 Voir p. 15-16

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zone géographique, voire à chaque pays23. Le conducteur devra cependant reprendre la main

à la fin du cas d’usage, lorsqu’une des conditions initiales d’activation ne sera plus satisfaite,

sur demande de la voiture voire de sa propre initiative24.

Le lecteur initié pourrait dans cette description déceler une prise de liberté par rapport

à la définition des niveaux fournis par la SAE, en ce qui concerne notamment le rôle de

reprise en main du conducteur25, que nous avons ici étendu à des situations, amenées à

exister, ne provoquant pas de demande du système, et ne constituant pour autant pas une

défaillance du système. Il nous faut ici amorcer l’exposé d’une réflexion autour d’un

deuxième texte, offrant une interprétation des niveaux SAE d’autant plus structurante qu’elle

émane du WP 29, groupe de travail de l’UNECE26, en charge d’organiser les débats menant

à l’adoption de cadres de régulation communs entre les pays membres, sur l’ensemble des

sujets traitant des véhicules à moteur. Ce groupe de travail mène donc en particulier les

discussions sur les évolutions de la Convention de Vienne de 1968, qui sert de base aux codes

de la route nationaux des pays d’Europe signataires (dans le sens où ils ne peuvent inclure

des dispositions allant contre cette convention internationale), évolutions nécessaires à la

commercialisation de systèmes d’autonomie de niveau supérieurs à 3 au sein des pays

signataires27.

Dans ce document de travail, reproduit en annexe 1 bis, si le WP 29 envisage

d’accorder au conducteur d’un système de niveau 3 la possibilité de se livrer à des activités

annexes à la conduite via des systèmes embarqués compatibles avec la reprise en main, il

stipule également que celui-ci doit rester suffisamment prudent, non seulement pour répondre

aux sollicitations de reprise en main du système ou à ce qui pourrait lui sembler constituer

une défaillance de la voiture (comme le changement de comportement de la voiture à cause

d’un pneu crevé, qui, si un tel cas n’est pas prévu par le constructeur, devrait dans ces

conditions faire l’objet d’une reprise en main de la part du conducteur), mais aussi pour

23 Ces considérations juridiques, et notamment le projet de loi allemand visant à permettre l’usage de systèmes de niveaux 3 et 4 seront traitées p. 40 24Article du site spécialisé Net Car Show en date du 11 juillet 2017 : https://www.netcarshow.com/audi/2018-a8/ 25 “The sustained and ODD-specific performance by an Automated Driving System (ADS) of the entire DDT with the expectation that the DDT fallback-ready user is receptive to ADS-issued requests to intervene, as well as to DDT performance relevant system failures in other vehicle systems, and will respond appropriately”, 26 L’UNECE (United Nations Economic Commission for Europe), instituée en 1947 par le Conseil économique et social des Nations Unies, a pour but de « promouvoir l’intégration économique paneuropéenne », au travers d’échanges, de dialogues pouvant aller jusqu’à l’élaboration de conventions communes, établies par 56 pays membres situés en Europe et en Amérique du Nord (http://www.unece.org/fr/mission.html) 27 Se référer à ce sujet à la p. 38

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26

identifier des situations explicitement non gérées par le système car hors de son ODD bien

que survenant sur une route compatible, et qui ne font pour autant pas l’objet d’une demande

de reprise en main, comme par exemple le passage d’un véhicule d’urgence.

Par ailleurs, ce document a apporté une forme de réponse à la controverse, brièvement

mentionnée en introduction de ce paragraphe, autour du « désengagement cognitif » et des

manœuvres de sécurité. De nombreux travaux tendent en effet à prouver que plus une aide à

la conduite est performante et plus elle intervient dans la conduite d’un véhicule, plus le

temps de réaction du conducteur qui l’utilise est élevé. Cela est d’autant plus problématique

dans le cas des systèmes de niveau 3, qui requièrent dans certains cas une reprise en main

rapide du conducteur28. De plus, si le « takeover lead time » (la durée entre la demande de

reprise en main et la survenance d’une situation non gérée par le système), qui doit être

donnée au conducteur pour qu’il puisse se réengager dans la conduite) minimal est estimé

dans la littérature à environ 5 secondes (avec toutefois une variance forte). Le takeover lead

time minimal requis peut cependant être considérablement plus élevé en fonction des

activités secondaires auxquelles se livre le conducteur d’un système de niveau 329. C’est sans

doute la raison pour laquelle le WP 29, dans l’interprétation qu’il livre des niveaux SAE, fixe

des exigences minimales pour les systèmes « eyes-off » de niveau 3, qui sont dans une lecture

stricte des niveaux SAE l’apanage de systèmes de niveau 4. Le WP 29 établit ainsi une sorte

de base sur laquelle tout système se proposant d’offrir aux conducteurs des activités annexes

doit reposer :

L’obligation d’un takeover lead time minimum à définir, offrant cependant

davantage de temps que les demandes de reprise en main existant déjà en

niveau 2 (demande de reprise en main immédiate, notamment en cas de

marquage au sol effacé)30

L’obligation de prévoir la réalisation, ou au moins l’initiation, d’une

manœuvre d’urgence, même si le conducteur demeure officiellement le

fallback (on peut à ce titre parler d’une obligation de moyen : le système

doit mettre en place cette manœuvre ; cette obligation de moyen n’est

28 Eriksson, Alexander & Stanton, Neville (2016) Takeover Time in Highly Automated Vehicles: Noncritical Transitions to and From Manual Control, Human Factors (On pourra notamment se référer à la note introductive) 29 Ibid. 30 Voir document en annexe 1 bis : “System automatically deactivated only after requesting the driver to take-over with a sufficient lead time”

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27

cependant pas assortie d’une obligation de résultat : il incombe au

conducteur de reprendre la main et de gérer la situation)31

- Niveau 4

Une lecture rapide du tableau du tableau récapitulatif des niveaux SAE produit en

figure 1 permettrait de penser que le niveau 4 est un prolongement du niveau 3, où le fallback,

c’est-à-dire la mise en sécurité du véhicule en cas de défaillance du système d’autonomie ou

de tout autre organe technique, serait confiée au système lui-même et non à l’humain.

L’augmentation des exigences imposées au niveau 3 par le WP 29 impacte également le

niveau 4 : certes, le fallback réalisé ici par le système revêt une obligation de moyen et une

obligation de résultat, mais la différence entre niveau 3 et niveau 4 se joue de manière plus

profonde sur une définition plus stricte de l’ODD. Si les systèmes de niveau 3 peuvent en

effet émettre des demandes de reprise en main si une situation non gérée se fait jour sur la

route compatible, le système de niveau 4 doit pouvoir gérer toutes les situations survenant

sur cette route compatible, et aucune action du conducteur n’est donc nécessaire, à

l’exception de la reprise en main finale, lorsque le véhicule s’apprête à quitter la scène de

route compatible. Le WP 29 prend l’exemple des ambulances et des agents de la circulation,

dont les injonctions doivent pouvoir être comprises et respectées par le système. Le rôle du

conducteur se borne à l’activation / la désactivation du système ainsi qu’à la vérification des

conditions, notamment climatiques, permettant l’utilisation, ainsi qu’au respect des

consignes du véhicule quant à la reprise en main finale. Le WP 29 indique sans davantage

de précision que le conducteur pourra se livrer à une large plage d’activités (« wide array of

activities »)32

Scènes de type autoroutier

Il s’agit de la principale application commerciale envisagée par les constructeurs

pour les systèmes de niveau 4, tant l’autoroute constitue une ODD limitant la

variété des situations à gérer. Ces Highway Chauffeurs permettront, une fois

activés sur la route compatible, au conducteur de se livrer à de nombreuses

activités, éventuellement sur des appareils nomades (téléphone portable,

ordinateur, etc. si la sécurité passive du véhicule le permet), en fonction des

31 Voir document en annexe 1 bis : “[System] may − under certain, limited circumstances − transition (at least initiate) to minimal risk condition if the human driver does not take over” 32 Voir annexe 1 bis

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28

prestations prévues dans un habitacle évolutif qui lui permettra par exemple de

reculer son siège, sans qu’il n’ait à intervenir à aucun moment dans la conduite :

le système devra pouvoir gérer toutes les situations qui surviendront dans l’ODD,

ou bien, si la communication avec l’infrastructure et les gestionnaires de réseau le

permet, déclarer par exemple en raison d’un événement particulièrement grave,

que la route compatible, après un nombre de kms suffisant, que la route pourtant

en apparence compatible ne respecte plus les conditions de l’ODD, et dans ce cas

demander une reprise en main finale au conducteur (forecasted end)

Aides au stationnement

Les systèmes de Valet Parking annoncés par certains constructeurs sont une

application de niveau 4 : ils permettront aux conducteurs de descendre de leur

voiture à l’entrée d’un parking compatible (zones interdites aux piétons et

exclusivement réservées aux voitures dotées du système, ou conçues pour

communiquer avec le système, etc.) et d’y abandonner leur véhicule, qui s’y

déplacera seul et y trouvera une place. Des expérimentations sont en cours dans

certains parkings pionniers33.

Autres applications envisagées

Des navettes (campus shuttles) sans conducteur, amenées à se déplacer sur un ODD

très restrictif, voire sur des sites coupés de la circulation ou sur des voies réservées,

font également l’objet d’expérimentations et d’un début d’exploitation

commerciale, à l’instar de la société Navya34.

- Niveau 5

Le niveau 5 correspond enfin à la voiture sans chauffeur, capable de se mouvoir sur

tout type de route, dans toutes les conditions, sans qu’aucune intervention humaine ne soit

nécessaire. Les véhicules de niveau 5 ne requièrent aucun conducteur, et tous ceux qui

montent à son bord sont des passagers. Il s’agit du niveau d’autonomie sur lequel se fondent

les futures applications de robotaxis, dont les expérimentations sont à la fois parmi les plus

médiatiques et les plus nombreuses, tant elles intéressent une variété importante d’acteurs

33 Indigo et Valeo coopèrent notamment avec Cisco autour d’un parking situé à Issy-les-Moulineaux (http://www.valeo.com/fr/valeo-cisco-service-parking-intelligent/) 34 http://navya.tech/?lang=fr

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29

dépassant le monde des constructeurs automobiles, des exemples emblématiques étant

Waymo (ex Google), Uber ou encore Lyft.

II. La triple incertitude entourant le développement des véhicules autonomes

1) Une incertitude d’ordre technique

Même si une grande expérience et un grand savoir-faire ont été accumulés par la plupart des

constructeurs et fournisseurs depuis la conception et la commercialisation des premiers ACC à la fin des

années 1990, de nombreuses incertitudes entourent la conception du véhicule autonome, pour passer aux

niveaux eyes-off (niveau 3) et mind-off (niveau 4). Ces incertitudes se cristallisent autour de 3 questions

majeures :

- Quel hardware et quel software sont nécessaires à la conception d’un véhicule autonome de niveau

3 ou 4 ?

Il existe aujourd’hui deux approches majeures et divergentes dans l’industrie automobile,

quant à la question du développement du véhicule autonome. Dans leur ensemble, les constructeurs

automobiles privilégient une méthode dite « déterministe » : de nombreux capteurs de différents

types (radars, caméras, lidars, ultrasons…) et disposés tout autour du véhicule, ainsi qu’une

redondance accrue (plusieurs capteurs et plusieurs actionneurs jouant le même rôle doivent être

inclus dans la définition technique du véhicule, assurant la persistance du fonctionnement du

véhicule en cas de défaillance d’un des capteurs), doivent assurer le respect d’un concept de sécurité

exigeant et ambitieux, visant à considérablement réduire le nombre d’accidents sur les routes et à

ne connaître de défaillance qu’au bout d’un nombre de l’ordre du milliard de kms, nécessitant dans

la conception de prévoir au préalable la variété des situations auxquelles le véhicule sera confronté,

tout en inscrivant dans son code les réponses qu’il devra apporter à chacune de ces situations une

fois le mode autonome enclenché. C’est notamment l’approche retenue dans le développement des

systèmes de niveau 4 par des constructeurs comme Volvo et Renault.

Une approche plus hétérodoxe a cependant été retenue par le constructeur américain Tesla avec son

système Autopilot. Depuis octobre 2016, Tesla équipe en effet tous les véhicules qu’il produit d’une

série de 8 caméras, ainsi que d’un radar avant et d’une ceinture d’ultrasons. Tesla promet que ces

capteurs dits dans le jargon automobile « vision based », c’est-à-dire se fondant principalement sur

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30

la reconnaissance d’image, associés au puissant processeur également installé, suffira à activer par

mise à jour dite « over the air »35 un système permettant une conduite autonome de niveau 5, c’est-

à-dire sans nécessité d’une présence humaine à bord, quelles que soient les conditions de route, de

circulation et de météo, une fois les validations du software réalisées et les barrières juridiques

levées. C’est sur la connectivité poussée du véhicule permettant les mises à jour over the air que se

fondent d’une part la faisabilité de ces objectifs ambitieux et d’autre part la conception elle-même

du véhicule autonome de Tesla : il s’agit de mettre en place des cycles de conception courts, bien

différents des traditionnels cycles en V qui ont toujours cours dans l’automobile, se fondant sur un

retour d’expérience constant des versions du logiciel de conduite déroulées36. Tesla lance une

version « bêta » de son logiciel, puis grâce au machine learning permis par la remontée de données,

se nourrit des kms de route accumulés par ses conducteurs pour aboutir à une version plus robuste

et plus sophistiquée de son logiciel, qui aura de plus une conduite ressemblant davantage à celle

d’un humain. L’absence de redondance dans la définition technique choisie par Tesla, et notamment

l’absence de Lidar, ne lui permettent pas d’afficher des ambitions de réduction du nombre

d’accidents et de sécurité aussi importantes que les autres constructeurs. Nous ne pouvons

cependant que souligner le savoir-faire important acquis en si peu de temps par ce jeune

constructeur, qui promet que ses prototypes seront capables de se rendre d’un parking de Los

Angeles à un parking de New York d’ici la fin de l’année, sans que son pilote n’ait à toucher le

volant ou les pédales une seule fois, prélude à une mise à jour vers un « full self driving autopilot »

prévue pour 201837. Il est cependant impossible de savoir laquelle de ces deux approches,

l’approche déterministe ou l’approche de Tesla, permettront la mise au point du véhicule autonome

le plus sûr, le plus efficace et de manière générale présentant les prestations les plus abouties en

matière de conduite.

- Quel est le coût des solutions envisagées ?

Il est cependant fort probable que l’absence de redondance et l’utilisation de capteurs déjà

connus et commercialement éprouvés que sont les radars, caméras et ultrasons, permettront à Tesla

de présenter une des définitions techniques les moins coûteuses du marché, quoique l’effort

financier consenti pour équiper dès aujourd’hui avec de nombreux capteurs des véhicules qui n’en

35 Mise à jour téléchargée grâce à une connexion internet dont le véhicule est équipé grâce à une carte SIM appropriée ou par WIFI, à l’image de celles qui sont effectuées sur nos ordinateurs ou téléphones. 36 Une Tesla consommerait autant de données qu’un téléphone streamant de la vidéo constamment. 37 https://electrek.co/2016/10/20/tesla-enhanced-autopilot-full-self-driving-capability/

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font qu’un usage incomplet soit significatif. Il n’en va pas de même pour les Lidar, notamment

ceux amenés à équiper les robotaxis (« Non solid state lidars »), dont le coût est difficile à estimer :

preuve en est que les estimations oscillent entre 90$ et 8000$ à moyen terme, comme en témoigne

ce schéma établi par le BCG38 :

Figure 3 Coûts des différents capteurs estimés par le BCG

A mesure que la production des capteurs augmentera sous le double effet de

l’autonomisation des véhicules mais également d’évolutions réglementaires rendant certaines

ADAS comme l’AEB et le LKA obligatoires, par exemple sur le marché européen en 2020, ces

capteurs sont appelés à être commoditisés et leur coût à être considérablement réduit.

- Comment valider le software du véhicule autonome ?

Prouver les concepts de sécurité ambitieux promis par les constructeurs automobiles par

l’accumulation de roulages (kilomètres parcourus lors de tests en condition réelles) relève de la

38 Mosquet, X., Dauner, T., Lang, N., Rubmann, N., Mei-Pochtler, A., Agrawal, R., & Schmieg, F. (2015). Revolution in the driver’s seat: The road to autonomous vehicles, Boston Consulting Group Perspectives, p. 13

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32

gageure. Nous retranscrivons en donnant ici plus de détails des calculs auxquels s’est livré le

cabinet de conseil « le BIPE »39 :

Aux Etats-Unis, on dénombre 1,09 morts tous les 100 millions de miles, tous types de route

confondus. Pour prouver que les véhicules autonomes sont au moins aussi sûrs que les conducteurs

humains, l’application d’une loi de Poisson requiert qu’on roule 11 milliards de miles. Une flotte

de 100 véhicules autonomes roulant 24h/24, 7j/7 à une vitesse de 30 miles à l’heure (environ 50

km/h) pourrait donc parcourir 100*24*365*30=26 280 000 miles en une année et pour parcourir

11 milliards de miles, il faudrait donc 419 ans…

Il va sans dire que des solutions alternatives sont nécessaires. Une manière efficace de

réduire cette durée serait évidemment d’augmenter la taille de la flotte de tests. C’est en quelque

sorte ce que fait Tesla, en considérant tous ses clients comme des beta-testeurs (un simple calcul

permet d’ailleurs d’affirmer que si les 220 000 Models S et X vendus depuis 2015, bien qu’elles ne

disposent pas toutes du bon hardware, roulaient 24h/24 7j/7, il faudrait à Tesla 2 mois et demi pour

prouver que ses véhicules sont plus sûrs que l’humain). Une manière plus fine serait de réserver les

roulages à des situations particulièrement difficiles à traiter pour un véhicule autonome, sur des

routes présentant des difficultés importantes et particulièrement mortifères, tandis que le reste de

la validation s’effectuerait par simulation numérique, notamment à chaque fois qu’une évolution

du software serait nécessaire face au constat d’une insuffisance. C’est notamment l’approche

retenue par Renault40. Il convient de souligner que ce genre de méthodes n’a sans doute jamais été

mise en œuvre dans l’histoire de l’industrie automobile et que ses résultats ainsi que sa fiabilité,

reposant sur des statistiques, n’ont pour l’instant pas été prouvés. C’est en cela qu’il s’agit d’une

des plus grandes incertitudes qui entourent le véhicule autonome : on ne sait non seulement pas s’il

est possible de réaliser une voiture autonome de niveau 3 et plus, mais on sait sans doute encore

moins comment prouver, une fois réalisé, qu’il est aussi sûr et fiable qu’annoncé dans les ambitions

des constructeurs.

2) Une incertitude pesant sur le marché

A la lecture de nombreux rapports réalisés par de grands cabinets de conseil, le marché des

véhicules autonomes connaîtra une croissance importante au cours des 20 prochaines années. Le BCG

prévoit ainsi que le marché des véhicules autonomes, de niveau 2 et plus, représentera à l’échelle mondiale

39 Le BIPE, World Automotive Powertrain Outlook, 8th season, voir slide en annexe 1 ter 40 Communication officielle du groupe : https://group.renault.com/en/news/blog-renault/physical-virtual-simulation-a-winning-combination-for-autonomous-drive/

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33

42 milliards d’euros en 2025 et 77 milliards en 2035. Les véhicules équipés de systèmes d’autonomie de

niveaux 2 et plus représenteront ainsi 12 à 13% des volumes en 2025 et environ 25% du marché en 2035,

dont 10% de véhicules complètement autonomes41. Il semblerait donc qu’en dépit des prix de

commercialisation élevés déjà annoncés par certains constructeurs, l’analyse des avantages que cette

technologie apporterait permette d’affirmer que les volumes seront importants. Si à n’en pas douter les

systèmes d’autonomie de niveau 5 connaîtront une adoption importante de la part des utilisateurs,

nonobstant les peurs que des voitures sans conducteur pourraient engendrer comme avant elles tout moyen

de transport fondamentalement nouveau42, tant les avantages qu’ils offrent sont manifestes, les systèmes

d’autonomie moins sophistiqués, qui pour la plupart d’entre eux ne sont pas porteurs d’un concept suffisant

pour s’extraire du domaine des aides à la conduite, ne sauraient jouir de la même évidence dans l’estimation

de leurs volumes. Deux grands types d’incertitudes entourent en effet la mise sur le marché de ces

systèmes : la réaction des conducteurs d’une part, peu susceptibles d’adopter en masse les systèmes de

niveau 3 ou 4 du fait, pour nombre d’entre eux, de leur inexpérience des aides à la conduite43 ainsi que des

restrictions d’usage de ces systèmes à l’ODD restrictive ; des incertitudes juridiques d’autre part, tant les

textes ne permettent pas aujourd’hui d’affirmer si, et dans quelles circonstances, les systèmes de niveau 3

et 4 pourront être utilisés.

Les conducteurs sont-ils prêts pour la conduite autonome ?

- Une large inexpérience des aides à la conduite

Tout au long de notre analyse du marché des aides à la conduite et des systèmes

d’autonomie, nous avons pu constater au travers de diverses études le manque d’intérêt, si ce n’est

la méfiance, que la plupart des automobilistes nourrissaient à leur égard.

Comme nous l’avons fait pour les niveaux d’autonomie, il nous semble important, afin de

comprendre les raisons et les manifestations de l’inexpérience des conducteurs en termes d’aides à

41 Mosquet, X., Dauner, T., Lang, N., Rubmann, N., Mei-Pochtler, A., Agrawal, R., & Schmieg, F. (2015). Revolution in the driver’s seat: The road to autonomous vehicles, Boston Consulting Group Perspectives, p. 18 42 Il est intéressant de relire à ce titre les quelques lignes de Victor Hugo qui, horrifié par le train, écrit à sa femme le 22 août 1837 : « Le convoi qui allait à Bruxelles a rencontré le nôtre. Rien d'effrayant comme ces deux rapidités qui se côtoyaient et qui, pour les voyageurs, se multipliaient l'une par l'autre ; on ne voyait passer ni des wagons, ni des hommes, ni des femmes, on voyait passer des formes blanchâtres ou sombres dans un tourbillon » 43 Bien que ce mémoire ne puisse être le lieu d’anecdotes personnelles amenuisant le sérieux du propos, une de nos mères nous a demandé, à l’annonce de notre sujet, si les voitures « à boîte automatique » allaient se développer, dans une touchante confusion !

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la conduite (que nous désignerons dans la suite par leur acronyme anglais, ADAS44), d’établir une

classification fonctionnelle permettant de comparer des études qui n’utilisent pas nécessairement

le même langage, mais dont l’objet d’étude est pourtant le même. Nous distinguerons donc 3 types

majeurs d’aide à la conduite :

o Les avertisseurs regroupent les ADAS qui donnent des informations au conducteur sans

intervenir dans la conduite : ils correspondent au niveau 0 d’autonomie. Il s’agit d’ADAS

de sécurité (BSM ; FCW : Forward Collision Warning, qui avertit le conducteur de

l’imminence d’une collision à l’avant ; Lane Departure Warning, qui à la différence du

LKA ne fait que prévenir le conducteur que son véhicule est en train de se déporter sans

intervenir ; etc.) ou de confort (aides au parking avant ou arrière par exemple)

o Les limiteurs correspondent aux ADAS qui interviennent dans la conduite uniquement pour

empêcher un accident imminent résultant d’un manque de vigilance du conducteur ou d’un

changement brutal dans l’environnement de conduite. Il s’agit essentiellement de l’AEB et

du LKA. Ces ADAS sont de niveau d’autonomie 1

o Les régulateurs sont des ADAS auxquelles le conducteur a volontairement confié une

partie des tâches de conduite, c’est-à-dire le contrôle de la direction, de l’accélération et ou

de la décélération. L’ACC, le Traffic Jam Pilot et le Park Assist, ADAS de niveaux

d’autonomie 1 à 2 en sont des exemples.

De manière générale, les études tendent à montrer que plus l’aide à la conduite est

sophistiquée, moins elle est considérée positivement par les conducteurs, et cela à plusieurs égards :

o Tout d’abord, de nombreuses études tendent à prouver que parmi les aides à la conduite

qui leur sont proposées, les conducteurs ont tendance à plébisciter les avertisseurs, c’est-

à-dire les ADAS qui les épaulent en tant que conducteur sans pour autant intervenir à leur

place. Une première étude réalisée en 2005 aux Pays-Bas, alors certes que les limiteurs et

régulateurs étaient alors réservés aux véhicules premium, a ainsi établi que les aides à la

conduite pour lesquelles les sondés ont manifesté le plus grand besoin étaient l’info trafic

44 Advanced Driver Assistance Systems

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(90% de « greatly needed »), le BSM (82%) et le FCW (70%)45. Plus récemment, le cabinet

de conseil spécialisé SBD, a publié une étude réalisée aux Etats-Unis, où à la question

« when thinking about your current vehicle, what is your top feature or attribute ? That is,

the one thing that you must have on your next vehicle », la réponse la plus fréquemment

citée fut la caméra de recul (7% des sondés), les autres aides à la conduite étant reléguées

bien après nombre d’autres équipements à l’instar de la sono, du badge remplaçant la clé

ou encore de la climatisation.46

o Deuxièmement, il semble que plus les ADAS interviennent dans la conduite, plus les

conducteurs qui les utilisent sont considérés comme des mauvais conducteurs par leurs

pairs. Lors d’une étude menée à Rennes entre 2005 et 2008, il a en effet été demandé à 900

participants de noter des conducteurs présentés dans une vidéo lors de leur utilisation de 3

systèmes correspondant aujourd’hui respectivement au FCW (avertisseur de collision), à

l’AEB (limiteur, freinage automatique d’urgence) et à l’ACC (régulateur de vitesse

adaptatif). Les conducteurs utilisant l’AEB ont été considérés comme les pires conducteurs,

suivis des utilisateurs de l’ACC, alors que les utilisateurs du FCW ont été considérés

comme les meilleurs conducteurs.47 Le fait que l’utilisateur d’AEB soit considéré comme

le pire conducteur peut être justifié par son absence de réaction face à un obstacle, absence

de réaction qui a entraîné le freinage d’urgence automatique. En revanche, il a également

fallu, pour que le FCW s’enclenche, que le conducteur se rapproche trop du véhicule

précédent, alors que l’utilisateur d’ACC se prémunit justement de tels risques en utilisant

cette ADAS. Il semble donc régner une forme d’incompréhension des différents systèmes.

Les résultats sont pires encore lorsqu’a été demandé aux participants quels systèmes ils

utiliseraient pour être jugé comme étant un bon conducteur par leurs amis et collègues :

environ 60% ont répondu qu’ils utiliseraient le FCW, 20% l’AEB et seulement 14%

l’ACC48. On peut non seulement en conclure une méconnaissance de ces systèmes, mais

également et surtout la pression sociale qui interdit l’usage d’aides à la conduite à toute

personne souhaitant être considéré par ses pairs comme un bon conducteur. Ceci est en

45 Van Driel, Cornelie & van Arem, Bart (2005), Investigation of user needs for driver assistance : results of an internet questionnaire, European Journal of Transport and Infrastructure Research N°4, pp. 297-316 46 SBD, Morpace, Gamivation (2016), A consumer-centric journey towards autonomy – Main Report, p. 32 47 R. Lefeuvre & al. (2008), « Sentiment de contrôle et acceptabilité sociale a priori des aides à la conduite », Tableau 2, p. 16, Le travail humain 2008/2 (Vol. 71), p. 97-135 (https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=TH_712_0097) 48 Ibid., Tableau 11, p.30

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particulier vrai pour les aides à la conduite les plus sophistiquées, correspondant aux

niveaux d’autonomie les plus élevés (1 ou 2), ce qui trahit une défiance en la machine, et

un rejet de l’idée que ces systèmes pourraient, en étant utilisés, réduire le nombre

d’accidents. Un tel constat doit cependant être tempéré par la faible pénétration de ces

ADAS sur le marché et le relatif manque d’expérience des conducteurs, dont une grande

majorité ne dispose pas de ce genre d’équipements sur leurs véhicules. Ainsi dans l’Union

Européenne en 2014, l’ACC affichait un taux de monte de 11% et l’AEB de seulement

3%49.

o Enfin, il semble que les conducteurs qui disposent dans leurs véhicules d’ADAS

sophistiquées, présentent pour beaucoup des lacunes importantes et inquiétantes dans leurs

connaissances des prestations que ces systèmes leur offrent ainsi que de leurs nombreuses

limites. Le propos n’est pas ici d’exposer les exploits de certains conducteurs qui utilisent

sciemment les systèmes au-delà de conditions d’utilisation préconisées à la fois par les

constructeurs50 et par le bon sens pour en faire une promotion tapageuse sur les réseaux

sociaux51. Plus éclairants sont en effet les différents sondages réalisés auprès des

conducteurs pour identifier comment ils utilisent et comprennent leurs ADAS. Une étude

réalisée par le cabinet de conseil spécialisé SBD a ainsi démontré que le « knowledge

gap », pourcentage de sondés qui fournissent au moins une mauvaise réponse quand il

s’agit de décrire les prestations de leur système est particulièrement élevé pour certains

systèmes. En 2013, 87% des conducteurs américains interrogés pensaient en effet à tort

que leur ACC ralentissait automatiquement avant un virage en s’adaptant à un rayon de

courbure que les données du GPS auraient permis de renseigner. Plus inquiétant encore

49 SBD (2015), ‘’Europe ADAS forecast’’, Safe Car 50 Quoique certaines publicités puissent prêter à confusion quant à la constante surveillance dont le conducteur doit faire preuve dans les systèmes de niveau 2 : https://www.youtube.com/watch?v=77-O9l0LlAo 51 Nous indiquons cependant quelques exemples édifiants : https://www.youtube.com/watch?v=-okFVuHlxII ; https://www.youtube.com/watch?v=Kv9JYqhFV-M ; https://www.youtube.com/watch?v=WGoeIjSuJzo

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sont les 46% de conducteurs américains

pensant que leur LDW (Lane Departure

Warning) replaçait automatiquement le

véhicule dans sa ligne par une action sur le

volant, alors que le système se limite en fait

à avertir le conducteur que son véhicule se

déporte sur une ligne adjacente. Il en va de

même pour les 53% de conducteurs

allemands qui pensent que leur BSM

(Blind Spot Monitoring) les empêchera de

changer de voie s’ils engagent une telle

manœuvre alors qu’un autre véhicule est

détecté dans l’angle mort, alors que le

système ne fait qu’avertir le conducteur de

la présence d’un véhicule dans l’angle

mort (le BSM est à distinguer du Blind

Spot Intervention, de toute manière peu

répandu en 2013). Ces quelques exemples

peuvent se répéter à foison et éclairent de

manière éloquente le manque de formation des conducteurs à ces nouvelles aides à la

conduite, qui sont pourtant simples au regard des systèmes d’autonomie de niveaux 3 et 4

qui s’apprêtent à envahir le marché, et qui requièrent du conducteur de pertinemment savoir

à tout moment quelles sont ses obligations et quelles sont les activités qui lui sont permises.

La formation ou l’information des conducteurs est dans ce cas d’autant plus importante que

des systèmes de niveau 2, 3 et 4 seront sans doute amenés à cohabiter dans les voitures,

modifiant le niveau de vigilance attendu du conducteur en fonction de l’ODD traversée.

Une interface homme-machine claire est à cet égard essentielle.

Cette triple défiance à l’égard des aides à la conduite, se traduisant par une préférence à la

fois personnelle et sociale pour les ADAS qui ne prennent aucun rôle dans la conduite du

véhicule ainsi que par un désintérêt général entraînant un défaut de connaissance des

systèmes, constitue un risque dans le déploiement massif du véhicule autonome, et

particulièrement des systèmes de niveaux 3 et 4, au-delà d’une population qui est

aujourd’hui intéressée par les ADAS, qui en dispose, et qui sait les utiliser. Comme en

Figure 4 ; Source : SBD, Morpace, Gamivation (2016), A consumer-centric

journey towards autonomy – Main Report, p. 89

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atteste le schéma ci-dessus, il existe en effet un fossé dans les manifestations d’intérêt

suscité par le véhicule autonome entre les populations disposant d’ADAS sophistiqués dans

leur véhicule (seuls environ 30% des conducteurs ne possédant pas d’ADAS se déclarent

intéressés par le véhicule autonome), et celles qui en disposent (intérêt d’environ 80% de

ce groupe pour les voitures autonomes).

- Des restrictions d’usage inhérentes au système rendant leur valeur client incertaine

Pour estimer la taille du marché des systèmes d’autonomie de niveaux 3 et 4, sans encore

parler des véhicules sans conducteurs de niveau 5, il ne suffit sans doute pas d’analyser les taux de

monte actuels des aides à la conduite. Les promesses de ces systèmes, ainsi que l’emballement

médiatique autour du véhicule autonome, contribuent à attirer l’attention d’un public large. L’attrait

occasionné par une nouvelle technologie ne saurait cependant à lui seul prescrire l’achat, comme

la recherche en marketing l’a établi à travers des études nombreuses52. La valeur fonctionnelle, la

valeur d’usage, en d’autres termes la valeur client de l’équipement, de ce qu’il lui apporte

concrètement en termes de sécurité et de confort, doivent également faire l’objet d’une analyse,

difficile à mener tant le prototypage offre ici une vision particulièrement dégradée des prestations

qui seront offertes aux clients de systèmes d’autonomie dans les années à venir. Nous avons donc

dû mener une analyse approfondie des usages des conducteurs pour comprendre à combien d’entre

eux les systèmes d’autonomie, avec leurs restrictions d’usage, pourraient s’adresser, et la valeur

qu’ils permettraient de créer pour les conducteurs les utilisant. L’ODD limitée des systèmes

d’autonomie développés aujourd’hui par les constructeurs entraîne en effet nécessairement des

disparités dans les valeurs d’usage des systèmes : il s’agit essentiellement de Highway Pilots, qui

comme leur nom l’indique, sont avant tout utilisables, si ce n’est exclusivement activables, sur des

scènes autoroutières et leur valeur dépend donc de l’intensité et la fréquence à laquelle le client

potentiel utilise l’autoroute. La découverte des données publiées par les sociétés d’autoroute en

France laisse au premier abord présager d’une taille de marché minuscule : seules 24 461 voitures

en moyenne ont emprunté une des routes du réseau concédé (autoroutes et ouvrages d’art payants

et exploités par une société d’autoroute) chaque jour en 201653, sur un parc total de 32 millions de

voitures particulières circulant en France54. Il existe cependant d’autres routes, publiques et

gratuites, compatibles avec ces systèmes, et ces chiffres ne sauraient restituer la fréquence d’usage

52 Se référer notamment à Sheth, Newman & Gross (1991) dans la note bibliographique 53 http://www.autoroutes.fr/FCKeditor/UserFiles/File/ASFA_cles17.pdf 54Chiffres communiqués par le CCFA (Comité des Constructeurs Français d’Automobiles) en 2016 http://www.ccfa.fr/La-croissance-du-parc-automobile-163114

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importante de certaines catégories de population. Il s’agit donc d’estimer la taille du marché et de

lever une partie de l’incertitude quant à la valeur client différentiée en fonction des utilisateurs et

donc quant aux volumes de vente à attendre. Nous nous sommes proposé de répondre à ces

questions au cours de notre recherche sur le véhicule autonome, comme expliqué dans la dernière

partie de ce mémoire.

Les évolutions du droit nécessaire à l’utilisation des systèmes autonomes à partir du niveau 3

Les incertitudes concernant la maturité des conducteurs pour l’autonomie ne viennent en fait que

s’ajouter à d’autres questions non résolues bien que plus structurantes encore dans la définition des

prestations, et donc de la valeur client, des systèmes d’autonomie, concernant les responsabilités civile et

pénale du conducteur une fois le système d’autonomie activé, et par conséquent le rôle qui lui est confié et

les éventuelles tâches annexes auxquelles il peut se livrer. Si un important objectif du véhicule autonome

est de réduire drastiquement le nombre d’accidents jusqu’au « 0 fatalities », comme s’y engagent des

constructeurs comme Volvo55, il ne peut s’agir que d’un objectif, de la limite d’une suite tendant vers 0

sans jamais l’atteindre, mais en aucun cas cela ne veut dire que ne serait-ce que l’éventualité d’un accident

soit annihilée par la voiture autonome : la voiture autonome, quel que soit son niveau, sera impliquée dans

des accidents de la route. Un des autres objectifs des constructeurs automobiles, et notamment de Renault,

est d’offrir du temps récupéré aux clients des véhicules autonomes, pendant leur parcours, en leur

permettant de travailler, de lire, de se détendre dans leur véhicule. Mais concilier ces deux objectifs d’un

point de vue juridique est difficile : pour qu’un client puisse bénéficier d’un « temps récupéré », il doit

pouvoir être autorisé à détourner complètement son attention de la route, ce qui implique que le véhicule,

et donc son concepteur, soit reconnu comme le seul et unique responsable en cas d’accident ; pour pouvoir

construire une proposition de valeur autour du temps, il faut avoir l’assurance que le conducteur ne soit pas

inquiété si l’accident a lieu en mode autonome, dans des conditions d’utilisation idoines que le conducteur

aura respecté, et qui lui permettaient de quitter la route des yeux. De nombreux obstacles juridiques se

dressent pourtant contre cet objectif (nous traiterons ici essentiellement du cas français) :

- Comme évoqué en page 24, les pays de l’UNECE se sont accordés sur des règles internationales

régissant les codes de la route nationaux. Il s’agit de la Convention de Vienne, signée en 1968 et

régulièrement amendée depuis. La pyramide de Kelsen imposant que les conventions

55 http://www.volvocars.com/intl/about/vision-2020/aiming-for-zero

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internationales priment sur le droit national, constitution ou loi fondamentale mis à part, les codes

de la route nationaux ne peuvent donc pas contenir de dispositions contraires à la Convention de

Vienne, quoi qu’ils puissent parfaitement la compléter et donc contenir des mesures qui n’auraient

pas été prévues par la convention. Ainsi, la Convention de Vienne sert de référence inviolable, pour

tous les signataires, lorsqu’il s’agit de fournir une définition stricte de la nature du rôle d’un

conducteur, notamment à travers les articles 8 et 13 :

Art. 8 § 5 : « Tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule »

Art. 13 § 1 : « Tout conducteur de véhicule doit rester, en toutes circonstances, maître de

son véhicule, de façon à pouvoir se conformer aux exigences de la prudence et à être

constamment en mesure d’effectuer toutes les manœuvres qui lui incombent »

Ces dispositions n’ont cependant pas été jugées suffisamment précises par l’UNECE et les

pays signataires pour offrir un cadre juridique commun, stable et clair aux aides à la conduite les

plus sophistiquées. Comment en effet comprendre la formulation « être constamment en mesure

d’effectuer toutes les manœuvres qui incombent [au conducteur] » dans le cadre de l’utilisation

d’un ACC (niveau 1) ou d’un Traffic Jam Pilot (niveau 2) ? Le simple fait de rester dans sa position

de conduite et de surveiller la route, en gardant les mains sur le volant, suffit-il à satisfaire à ces

exigences ou bien faut-il que le conducteur effectue lui-même, sans rien déléguer à la voiture, toutes

les manœuvres qui lui incombent ? Un amendement à la Convention de Vienne a donc été rédigé

et est entré en vigueur le 23 mars 2016 :

Art. 8 § 5 bis : « Les systèmes embarqués ayant une incidence sur la conduite d’un véhicule

(…) sont réputés conformes au par. 5 du présent article et au premier paragraphe de l’art.

13 pour autant qu’ils puissent être neutralisés ou désactivés par le conducteur »

Cet amendement autorise donc sans détour l’utilisation des systèmes d’autonomie de

niveaux 1 et 2, tant qu’ils sont désactivables par le conducteur, tant que celui-ci en reste maître. Si

les systèmes de niveau 5, où la notion de « conducteur » est appelée à être redéfinie, requièrent sans

ambiguïté un autre texte, il subsiste un doute quant à la compatibilité des systèmes de niveau 3 et

4 avec ce nouvel amendement, tant les constructeurs promettent de rendre ces systèmes aisément

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désactivables par les conducteurs, à la lumière d’un ACC aujourd’hui. Il ne s’agit pourtant en aucun

cas de l’esprit de l’amendement, qui ne fait pas évoluer la notion de « contrôle » du véhicule telle

qu’énoncée dans l’article 8. Car que veut dire, pour un conducteur utilisant un système de niveau

3 ou 4, « constamment avoir le contrôle de son véhicule » ? Est-ce être vigilant à ses sollicitations

comme à ses demandes de reprise en mains, est-ce contrôler en permanence que les conditions

initiales, qui ont permis l’activation du système, se poursuivent (spécifique au niveau 3), ou est-ce

même contrôler en permanence que le système fonctionne convenablement, c’est-à-dire qu’il fait

avancer la voiture de manière sûre ? Pour répondre à ces questions essentielles, la Convention de

Vienne doit de nouveau être amendée, ou faire l’objet d’une simple interprétation unanime de la

part des pays signataires, solution qui présente certes l’avantage de subir un formalisme moindre

et d’être donc plus rapide à adopter, mais qui aurait également moins de force de persuasion auprès

des tribunaux, en particulier en matière pénale, qui est en France d’application stricte.

- Des initiatives isolées de certains pays, désireux d’autoriser rapidement les systèmes de niveau 3

et 4, et notamment les activités annexes qu’ils permettent, commencent à poindre. Le 30 mars 2017,

le Parlement allemand a ainsi voté un texte autorisant au conducteur de « se détourner de la

circulation ou de la conduite du véhicule lors de l’utilisation d’un système hautement ou

complètement automatisé, en restant suffisamment vigilant pour pouvoir remplir ses

obligations »56, obligations qui sont ainsi définies : « Le conducteur doit reprendre en main les

fonctions de conduite immédiatement, lorsque le système hautement ou complètement automatisé

l’en prie ; lorsqu’il constate ou est amené à constater du fait de circonstances manifestes, que les

conditions d’une utilisation conforme des systèmes de conduite hautement ou complètement

automatisés ne sont plus réunies ». Ce texte permet donc la commercialisation et l’utilisation de

systèmes de niveaux 3 et 4 en Allemagne, autorisant les conducteurs à quitter la route des yeux,

tout en leur enjoignant de répondre aux sollicitations du système, qui doit connaître ses limites, et

demander au conducteur de reprendre la main lorsque celles-ci sont atteintes. Le texte ne lève

cependant pas toutes les ambigüités concernant l’éventuelle responsabilité du conducteur au cas,

certes improbable, où un accident surviendrait en mode autonome, dans une situation où la voiture

n’aurait pas demandé au conducteur de reprendre la main, et où celui-ci aurait été par exemple en

train de regarder un film à ce moment : le texte précise en effet que le conducteur doit en

56 „Der Fahrzeugführer darf sich während der Fahrzeugführung mittels hoch- oder vollautomatisierter Fahrfunktionen gemäß § 1a vom Verkehrsgeschehen und der Fahrzeugsteuerung abwenden; dabei muss er derart wahrnehmungsbereit bleiben, dass er seiner Pflicht nach Absatz 2 jederzeit nachkommen kann.“ (traduction non officielle)

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permanence s’assurer que les conditions initiales d’activation soient toujours respectées, mais ces

conditions ne sont pas détaillées. S’agit-il par exemple de reprendre la main s’il entend une

ambulance au loin (niveau 3), ou bien s’il constate qu’un pneu a crevé ? Ou bien faut-il encore qu’il

vérifie que les capteurs fonctionnent correctement, c’est-à-dire qu’ils conduisent la voiture de

manière sûre, comme ils le faisaient lorsqu’il a activé le système et qu’il a commencé ses tâches

annexes. Et surtout, à quelle fréquence doit-il vérifier le bon comportement de la voiture et la

persistance des conditions d’activation initiales ? Le travail en commission n’a pas permis de faire

avancer ces questions, qui n’ont pas empêché l’adoption du texte. Des critiques virulentes ont

émaillé le débat parlementaire, à l’image du député Die Linke (gauche radicale) Herbert Behrens,

qui a affirmé que le texte « fait des automobilistes des souris de laboratoire. Ils doivent deviner par

eux-mêmes quand ils doivent reprendre le contrôle de la voiture et quand la technique se met en

mode off »57.

- Quand bien même un tel texte serait adopté en France, il n’en resterait pas moins que les

responsabilités civile et pénale du conducteur pourrait être mise en cause en cas d’accident se

produisant alors que le véhicule est en mode autonome de niveau 3 ou 4. Les ressorts des deux

régimes de responsabilité en cas d’accident diffèrent fortement.

En ce qui concerne la responsabilité civile du conducteur d’une part, la loi Badinter du 5 juillet

1985 prévoit que l’assureur du véhicule « impliqué » dans l’accident doit automatiquement en

indemniser les victimes, quelle que soit les éventuelles fautes commises par son conducteur : la

Cour de Cassation a retenu dans un arrêt en date du 25 Janvier 199558 l’implication d’un camion

dans l’accident ayant provoqué la mort d’un jeune cycliste qui s’était encastré dans l’arrière de ce

camion, alors que celui-ci était parfaitement et régulièrement garé. Plus tard, la jurisprudence a

même abandonné la condition d’une collision ou a minima d’un rôle perturbateur, quoique régulier

ou non, dans la caractérisation du « véhicule impliqué »59. Dans le cas d’un accident où un véhicule

circulant en mode autonome de niveau 3 ou 4 activé entrerait en collision avec un autre véhicule,

un piéton, un cycliste ou tout autre type d’obstacle, l’éventuelle victime serait donc

57 „Ich habe den Eindruck, die Autofahrer werden zu Versuchskaninchen gemacht. Sie müssten selber herausbekommen, wann das Auto übernommen werden muss und wann sich die Technik ausschaltet“ Issu du compte rendu de séance du Bundestag : https://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2017/kw13-de-automatisiertes-fahren/499928 58 Cour de Cassation, 2ème Chambre civile, du 25 janvier 1995, 92-17.164 (arrêt sur Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007033490) 59 Voir à cet égard Cour de cassation, 2ème Chambre civile, du 4 juillet 2007, 06-14.484 (arrêt sur Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000017907488)

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automatiquement indemnisée par l’assurance du conducteur, quel qu’ait été la responsabilité

effective du véhicule dans l’accident, et sans possibilité de recours contre l’assureur d’un tiers

responsable de l’accident60. Il existe cependant des recours que l’assureur peut exercer pour être

remboursé. Il peut tout d’abord mener une action récursoire contre le conducteur d’un véhicule

impliqué dans l’accident et indemnisé en tant que victime, si celui-ci a commis une faute

intentionnelle et/ou inexcusable61. Ce cas semble au premier abord peu pertinent lorsqu’il s’agit

d’un véhicule roulant en mode autonome de niveau 3 ou 4 : si un client ayant activé le mode AD

est blessé ou meurt au cours d’un accident provoqué par une défaillance du système, il pourrait

difficilement être considéré comme un conducteur, et encore moins comme un conducteur fautif si

celui-ci s’est parfaitement conformé aux exigences du système. La qualité de conducteur, et qui

plus est de conducteur fautif ne devant en ce sens pas être indemnisé, est pourtant attribuée

fréquemment à des personnes n’étant pourtant pas assises derrière le volant. Ainsi a été considéré,

par la jurisprudence, conducteur ayant commis une faute inexcusable un passager ayant appuyé sur

la jambe droite de la personne au volant dans le but d’accélérer le véhicule, provoquant un accident

tuant le passager mentionné, dont les ayant droits n’ont ainsi pas été indemnisés62. Dans un autre

cas, un moniteur d’auto-école a été considéré comme seul conducteur du véhicule co-conduit par

son élève, au motif qu’il pouvait « à tout moment retirer à l'élève la maîtrise du véhicule en

intervenant directement et personnellement dans la conduite »63. Dans un autre cas encore, un

adolescent assis à l’arrière d’un véhicule a été considéré comme son conducteur involontaire : alors

qu’il avait démarré le moteur pour allumer la radio, le véhicule, en prise et le frein à main non

enclenché, avait percuté sa sœur64. Tous ces cas peuvent s’appliquer au conducteur d’un véhicule

autonome dont le mode AD de niveau 3 ou 4 aurait été enclenché : il peut à tout moment reprendre

la main, volontairement à l’instar du moniteur d’auto-école, ou involontairement comme

l’adolescent ayant voulu activer la radio (de nombreux garde-fous étant cependant développés pour

se prémunir d’un reprise en main involontaire : un couple minimum exercé sur le volant ou le frein

est ainsi exigé). Il est donc concevable qu’un assureur refuse à ce titre d’indemniser le conducteur

d’un tel véhicule qui aurait été blessé, ou ses ayant droits en cas de décès. Il est également possible

qu’en cas de procès, ce conducteur, ayant disposé du contrôle de la voiture à tout moment, ne serait-

60 La loi Badinter introduit en effet dans son article 2 l’impossibilité d’opposer aux victimes « la force majeure ou le fait d'un tiers », ce qui constitue une exception à la responsabilité du fait des choses. 61 L’article 4 de la loi Badinter stipulant que « La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis » 62 Cour de Cassation, 2ème Chambre Civile, du 31 mai 2000, 98-21.203 63 Cour de Cassation, 2ème Chambre Civile, du 29 juin 2000, 98-18.847 98-18.848 64 Cour de Cassation, 2ème Chambre Civile, 28 mars 2013, 12-17.548

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ce que potentiellement, soit considéré comme coupable d’une faute inexcusable s’il n’était pas

intervenu pour éviter l’accident, même si son système était conçu pour lui permettre de quitter les

yeux de la route. S’agissant cependant ici de questions d’ordre exclusivement financier, certains

constructeurs se sont déjà engagés à prendre en charge cette indemnisation, au cas où de tels

accidents et de telles situations juridiques se produisaient. C’est notamment le cas de Volvo. Si cela

est sans doute un frein en moins dans l’achat d’un système de niveau 3 ou 4 pour un client, qui

aurait ainsi l’assurance d’être indemnisé en cas d’accident, le risque financier porté par les

constructeurs portant un tel engagement est considérable, et les dotations aux provisions nécessaires

grèveront immanquablement significativement leurs comptes de résultat.

La question de la responsabilité pénale du conducteur est à la fois plus simple et plus problématique,

marquée en droit français par le double principe d’une part de légalité des délits et des peines et

d’autre part de personnalité des peines : on ne peut être considéré coupable d’une faute que si celle-

ci est expressément prévue par la loi, dans le cadre d’une interprétation stricte de celle-ci par le

juge et parallèlement, seul peut être considéré coupable la personne clairement mentionnée par la

loi. Le code de la route faisant sans cesse mention du « conducteur » - notion que ni une

interprétation ou un amendement de la Convention de Vienne dans le sens d’une autorisation des

niveaux 3 et 4, ni l’adoption d’un texte analogue à la loi allemande ne saurait remettre en cause –

à qui la prudence incombe, et qui seul est évoqué comme éventuel fautif ou coupable d’une

infraction, si le véhicule circulant en mode autonome de niveau 3 ou 4 provoque un accident

entraînant des poursuites pénales, ces poursuites s’exercent nécessairement contre le conducteur

personne physique, ou à défaut le titulaire du certificat d’immatriculation. Le conducteur ou le

titulaire du certificat d’immatriculation peut cependant s’exonérer de cette responsabilité en

apportant la preuve qu’il n’était pas le conducteur au moment où les faits ont été commis (mais en

vertu de la personnalité des peines, même si un enregistreur de données permettait d’établir à tout

moment qui du système ou de l’humain était en charge de la conduite, le système ne pourrait sans

doute pas être considéré comme conducteur), ou en apportant la preuve qu’un élément de force

majeure est survenu. La défaillance technique peut s’inscrire dans cet élément de force majeure,

mais dans des cas en pratique extrêmement limités, tant la chambre criminelle de la cour de

cassation retient qu’il est demandé au conducteur de s’assurer du bon entretien et du bon état de

marche de son véhicule. A défaut d’évolutions juridiques supplémentaires, il subsiste donc un

risque que soit considéré comme pénalement responsable le conducteur du véhicule autonome

causant un accident alors que le mode autonome de niveau 3 ou 4 est actif, en rejetant l’argument

d’une défaillance technique, tant il appartient au conducteur de s’assurer du bon fonctionnement

de son véhicule.

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Tous ces éléments font peser un risque important sur le développement du marché du

véhicule autonome, sans même évoquer les problématiques d’homologation et le formalisme nécessaire à

la conduite d’expérimentations sur route ouverte dans les quelques pays qui les autorisent. Il est maintenant

incontestable que les systèmes de niveau 3, amenés à être lancés dans un futur très proche, la future Audi

A8 étant par exemple annoncée pour le début de l’année 2018, ne pourront dans un premier temps

fonctionner que dans un mode dégradé, c’est-à-dire en niveau 2, si tant est que ces évolutions juridiques se

concrétisent un jour.

3) Une incertitude sur l’écosystème

Le déploiement de la voiture autonome ne saurait être analysé qu’à l’aune du contexte stratégique

actuel de l’industrie automobile tant, en dépit des nouveaux champs de business models envisageables qu’il

ouvre et qui permettraient à un constructeur de disrupter le secteur dans une démarche « océan bleu », les

éléments techniques nécessaires à l’émergence de tels nouveaux business models requièrent des

investissements et des savoir-faire massifs, produits des positionnements et des avantages compétitifs

actuels. Notre analyse stratégique se fonde donc sur les rapports de force existants entre les différents

acteurs de l’industrie automobile d’aujourd’hui, et non sur leur potentielle compétitivité dans un contexte

futur de véhicule autonome. Nous nous attacherons cependant à évaluer les forces et faiblesses actuelles

des constructeurs, et en particulier celles de Renault, dans l’émergence du véhicule autonome.65

- Intensité concurrentielle

L’industrie automobile est marquée depuis ses débuts par des vagues ininterrompues de

concentration. Si des centaines de petits constructeurs relevant davantage du garage ou de l’atelier

fleurissaient au début du XXème siècle, 75% de la production mondiale d’automobiles est

aujourd’hui assurée par les 10 plus grands constructeurs internationaux. Ces mouvements de

concentration sont en partie dus à la forte intensité capitalistique de l’industrie automobile :

construire une voiture coûte cher et est de plus en plus complexe (des investissements lourds sont

par exemple requis pour accroître la connectivité des modèles, ou pour suivre les normes de plus

en plus drastiques de dépollution des moteurs). Les barrières à l’entrée n’en sont que plus élevées,

65 Les données citées dans cette analyse stratégique sont pour beaucoup issues de l’étude Xerfi (2015) Carmakers – World, Market Analysis Trends 2015-2020 Corporate Strategies, ainsi que d’informations financières directement issues des sites internet des différents acteurs mentionnés

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mais les points morts pour rentabiliser ces investissements sont très élevés et les constructeurs se

livrent donc une compétition féroce pour conquérir de nouvelles parts de marché :

o C’est particulièrement le cas dans les pays occidentaux, où les ménages présentent des taux

d’équipement importants, et où la croissance du marché (de renouvellement) ne saurait être

suffisante pour que chaque constructeur atteigne ces points morts

o C’est dans une moindre mesure le cas dans les pays émergents, qui ont été une source de

croissance importante pour les constructeurs automobiles dans la dernière décennie mais

dont les ventes ralentissent (le marché chinois, qui représente 25% des ventes mondiales,

n’a crû que d’1,5% en 2015 contre 10% en 2014).

La conquête de nouvelles parts de marché ne s’appuie donc pas uniquement sur l’équipement

des pays émergents mais repose sur l’amélioration des produits : les cycles de vie des véhicules se

sont considérablement raccourcis et les listes d’équipements se sont enrichies. Cette conquête de

parts de marché est donc coûteuse et s’entretient elle-même : plus les investissements sont

importants, plus il faut à un constructeur rentabiliser ses tickets d’entrée sur un nombre important

de véhicules, et plus il doit développer de nouveaux produits pour augmenter ses parts de marché

permettant la rentabilisation de ces mêmes investissements. Un tel cycle rend l’industrie

extrêmement concurrentielle, comme en témoigne les faibles marges que la plupart des

constructeurs génèrent. Le véhicule autonome n’échappe pas à cette inflation d’équipements et de

nouveaux produits. Les constructeurs se disputent cependant la suprématie technique et le privilège

du first mover et de la valeur qui lui est associé (marché chiffré à 500 milliards de dollar par AT

Kearney) davantage que des parts de marché. La concurrence est, pour le véhicule autonome, avant

tout d’ordre technologique, mais seuls les profits réalisés aujourd’hui, sans le véhicule autonome,

permettent de financer les investissements nécessaires à son développement : c’est sur ce dernier

point que se trame l’intensité concurrentielle de l’industrie automobile d’aujourd’hui.

- Clients

Si 80% des clients des constructeurs automobiles sont des particuliers passés par des

concessions, force est de constater que ce modèle s’effrite en conséquence de la servitization de

l’économie. Les social trends que sont le car sharing (Autolib) ou le car pooling (Uber) mettent à

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mal le business model traditionnel de l’automobile et redonnent du pouvoir de négociation aux

clients : la clientèle évolue, elle n’est plus captive, et doit être convaincue à chaque fois qu’elle

utilise un véhicule et non seulement au moment initial d’un achat traditionnel. Comme évoqué

précédemment, les clients peuvent également bénéficier d’un environnement concurrentiel qui leur

est favorable et qui pousse les constructeurs à accélérer les rythmes de remplacement de leurs

gammes pour les séduire en permanence. A cette clientèle versatile et changeante, l’industrie

souhaite offrir des produits compatibles avec à la fois un prix d’achat élevé qui rend nécessaire de

garder les véhicules sur des durées d’amortissement longues et une exigence de modernité du

produit, au travers des mises à jour « over the air » des systèmes embarqués (ordinateur de bord,

tablette, divertissement, GPS, connectivité…). Seul Tesla propose aujourd’hui un tel système de

manière aussi sophistiquée.

- Fournisseurs

Les fournisseurs de l’industrie automobile se structurent en plusieurs rangs, en fonction de

leur position dans la chaîne de valeur : les « tiers 3 suppliers » fournissent la matière première

(notamment l’acier), les « tier 2 » des sous-systèmes (appuie-têtes) et les « tiers 1 » des systèmes

entiers (sièges). Bien que les constructeurs automobiles soient très concentrés, ce qui rend les

fournisseurs vulnérables à la moindre perte d’un contrat, le pouvoir de négociation de certains

d’entre eux est très élevé, tant leurs ressources sont rares et non substituables (VRISA). C’est

notamment le cas de la start up israëlienne Mobileye, qui est à la fois fournisseur de rang 2

(traitement d’images) et de rang 1 (caméras et traitement d’images combinés) et dont l’expérience

significative en machine learning et en traitement d’image la rend indispensable auprès de la

majorité des constructeurs, à qui il manque ces compétences. Le cas de Mobileye n’est qu’un

exemple parmi d’autres de la force de certains fournisseurs, notamment dans les technologies

nécessaires au véhicule autonome, qui trahissent une certaine externalisation de la R&D vers les

fournisseurs, à l’initiative des constructeurs (l’effort de R&D représente ainsi 4% du CA chez

Toyota et 9% chez Valeo ou Denso). Parallèlement, certains fournisseurs autrefois éloignés de

l’industrie automobile émergent, comme Apple et Google, qui se sont rendus indispensables dans

les nouvelles solutions de connectivité voiture – smartphone (Android Auto et Carplay). Forts d’un

pouvoir de négociation d’autant plus important qu’ils sont à la tête d’un duopole et donc d’un

secteur encore plus concentré que celui de l’automobile, ces fournisseurs cherchent à capter

davantage la valeur des constructeurs automobiles en devenant eux-mêmes constructeurs.

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- Nouveaux entrants

En souhaitant acquérir de nouvelles connaissances, notamment en software et en

intelligence artificielle, pour soutenir le développement des véhicules connectés et autonomes, les

constructeurs automobiles entrent en concurrence frontale avec Apple et Google, dont le logiciel

est le cœur de métier. S’il n’est pas sûr que ces deux acteurs deviennent des nouveaux concurrents

en lançant leurs propres véhicules, ils travaillent à l’élaboration de véhicules autonomes et peuvent

alternativement devenir des fournisseurs très puissants. D’autres nouveaux entrants émergent avec

le développement du véhicule autonome en particulier, comme Uber, dont le business serait anéanti

par la présence de véhicules sans chauffeurs dont il n’aurait pas la maîtrise. De manière plus

traditionnelle, le constructeur américain Tesla a axé son développement sur le véhicule électrique

et autonome et représente la menace la plus importante pour des constructeurs tels que Renault : ils

fabriquent déjà des voitures, qui sont de plus équipées de capteurs collectant des milliards de

données sur la conduite et qui permettent, dans une démarche de deep learning, d’apprendre et de

réduire considérablement le time to market des véhicules autonomes.

- Stratégies génériques

Les marges de l’industrie automobile sont globalement basses, même si certains

constructeurs parviennent à appliquer des stratégies génériques (Porter) :

o Différenciation : c’est le cas des constructeurs premium, à l’instar de BMW ou Daimler,

qui offrent à leurs clients une valeur perçue élevée pour un prix élevé, ce qui leur permet

d’afficher des taux de rentabilité bien supérieurs à leurs concurrents dits « généralistes »

(marge opérationnelle de 10% pour BMW entre 2010 et 2014 contre environ 5% pour

Toyota). Cette différenciation se fonde sur la puissance de la marque, résultant elle-même

d’une promesse de sophistication technologique : les clients de ces marques sont habitués

aux aides à la conduite avancées qui leur sont proposées depuis les années 1990 et qui les

forment à laisser, au fur et à mesure qu’ils renouvellent leur véhicule, de plus en plus de

contrôle au véhicule. Dans la perspective de l’émergence du VA, ces constructeurs

semblent donc particulièrement bien placé, tant ils disposent d’une avance technologique

et d’un réservoir de clients qui a appris avec eux.

o Domination par les coûts, qui se subdivise en 2 sous-catégories :

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Le modèle low cost, adopté par Renault sur le marché européen avec le lancement

au début des années 2000 du modèle « Logan ». : il s’agit de proposer aux clients

un modèle qui réponde à ses besoins essentiels, dont la valeur perçue s’axe sur la

simplicité d’utilisation, la robustesse et la rusticité du véhicule, répondant à un prix

faible, qui peut être proposé grâce au target costing et à une implication très

précoce des fournisseurs dans la chaîne de conception. Ces modèles sont

aujourd’hui parmi les plus vendus sur le marché européen (la Dacia Sandero est

ainsi la voiture la plus vendue aux particuliers en France en 2016) et les plus

rentables du constructeur, en particulier grâce à des économies réalisées sur les

coûts de commercialisation. Cette stratégie permet cependant peu au constructeur

de développer des technologies de pointe, qu’il ne pourrait revendre aux clients

qu’à très long terme. Le modèle low cost oblige à être un suiveur technologique,

et semble donc peu propice au développement du VA dans les années à venir.

Le modèle de plateformes qui, dans le cas de l’industrie automobile, fait apparaître

les limites des stratégies génériques de Porter : depuis la fin des années 90, les

constructeurs ont développé des « plateformes » dans le triple objectif de

concentrer les investissements sur une base technique commune à plusieurs

modèles, en permettant ainsi de réduire le PRF unitaire de chaque voiture issue de

cette plateforme par effet volume, de standardiser les composants commandés en

plus grand nombre et à prix plus faibles auprès des fournisseurs, et d’accentuer la

variété de la gamme à faible coût. C’est notamment le choix stratégique de

Volkswagen, qui développe sur la même plateforme des véhicules allant du bas de

gamme (Skoda) au luxe (Bentley). La plateforme est cependant devenue un facteur

clé de succès pour de nombreux constructeurs et dans le cas de l’AD (autonomous

driving), elle devient indispensable, tant les investissements sont importants et les

solutions techniques adaptées à un seul et même modèle (adéquation entre le

hardware, l’architecture électronique et le software, qui voudrait, sans plateforme,

que l’on réinvente l’AD à chaque sortie d’un nouveau modèle)

Cette traditionnelle représentation de l’industrie automobile est cependant, sous l’influence du

développement de la conduite autonome, en train de céder le pas à une chaîne de valeur moins transparente

et linéaire, beaucoup plus complexe et protéiforme, où les fournisseurs et les clients ne sont plus aisément

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identifiables, tant la co-conception est

indispensable et multiple, entraînant de

grandes incertitudes dans le partage de la

valeur : on ignore aujourd’hui quelle

forme organisationnelle et

écosystémique sera la plus efficace dans

le développement du véhicule autonome.

En témoigne l’embrouillamini des

relations entre constructeurs, start-ups,

fournisseurs, services de mobilité, et

autres acteurs étant impliqués de loin ou

de près dans la conception d’un véhicule

autonome, prenant des formes diverses

allant du simple partenariat ponctuel aux

partenariats de grande envergure dont il

est difficile de connaître les termes (la

technologie développée par Nutonomy

se retrouvera-t-elle par exemple un jour

sur les véhicules de PSA ?66), en passant

par les prises de participation

capitalistique les plus variées. De

nombreux cabinets de conseil

fournissent des représentations de cet

écosystème que nous ne saurions nous-

mêmes reproduire de manière aussi

fidèle, et qui pourtant ne semblent pas

évidentes au premier regard, à l’image

du schéma ci-contre qui requiert un certain examen.

Chacun des acteurs de l’écosystème est amené à se positionner de manière variée sur une ou plusieurs des

briques technologiques nécessaires à l’élaboration ou à l’exploitation des véhicules autonomes, telles que

représentées dans le schéma suivant que nous avons pu constituer :

66 http://www.lefigaro.fr/societes/2017/05/03/20005-20170503ARTFIG00006-psa-s-allie-a-la-start-up-nutonomy-pour-developper-la-voiture-sans-chauffeur.php

Figure 5 Tableau de l'écosystème du véhicule autonome et connecté, établi par la société

Ptolemus

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Figure 6 Ensemble des étapes et briques technologiques nécessaires à la conduite autonome

Ces briques technologiques requièrent un savoir-faire technologique particulièrement précis, qui a refroidi

les ardeurs de certains acteurs du numérique comme Google, qui est obligé de compenser son manque de

savoir-faire en termes de construction automobile en s’associant avec FCA. L’exemple de la cartographie

montre la complexité de cet écosystème où les acteurs sont diversement impliqués :

Figure 7 Ecosystème de la cartographie du véhicule autonome

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L’écosystème se développe également autour de la question des usages du véhicule autonome. En

effet, de par la technologie qu’il embarque, notamment caméras et capteurs, mais aussi suivi géo-localisé,

etc. le véhicule autonome devient un contributeur important d’un environnement connecté à l’infrastructure

et aux services de mobilité, faisant entrer ces acteurs dans le voisinage stratégique direct des constructeurs

automobiles. Entrant dans l’économie digitale, le véhicule autonome devient en effet le centre d’un marché

multiface au sens de Tirole : plus le véhicule autonome est utilisé, plus le besoin en infrastructures adaptées

et intégrées se fait ressentir et vice versa.

Une des questions centrales de ces écosystèmes est, comme mentionné précédemment, celle du

partage de la valeur entre les différents acteurs. La valeur apportée par chacun des acteurs est en effet

difficilement identifiable tant elle est intrinsèquement liée à celle des autres acteurs : l’intelligence

artificielle la plus avancée du monde n’a aucune valeur si elle ne trouve pas d’objet sur lequel se greffer, si

par exemple les actionneurs électronique et mécanique de chacun des organes du véhicule ne fonctionnaient

pas. Des plateformes nommées « marketplaces » où la donnée constitue une forme de monnaie d’échange,

ont cependant été introduites pour répondre à cette question, à l’image du consortium allemand BMW-

VAG-Daimler-Here (voir schéma page suivante).

Figure 8 Exemples d'infrastructures potentiellement impactées le véhicule autonome et pouvant le nourrir en données

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Figure 9 Marketplace mise en place par Here

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Monographie

Plan de la monographie :

I. Le projet de véhicule autonome Renault : un projet d’innovation aux nombreuses

contraintes

7) Renault, en retard, décide de concevoir son propre véhicule autonome

8) D’un projet R&D classique à un projet commercialisation

9) Une stratégie en deux temps : stratégie de vitesse et stratégie

d’apprentissage/amélioration

10) Constitution de l’équipe ILIAD et installation dans les bureaux du CEA

11) Exploration : précision du produit final, de la technologie, du marché, et du cadre

réglementaire

12) Avancement au moment où nous avons quitté Renault : des questions sans réponse,

notamment à propos de la commercialisation et du modèle d’affaire

II. Le lien entre projet et organisation : l’élaboration des roadmaps véhicules autonomes

de Renault

1) Le constat à notre arrivée : la Direction Programme face à une multitude de

systèmes en cours de conception

2) La difficile équation économique des systèmes d’autonomie

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I. Le projet de véhicule autonome Renault : un projet d’innovation aux nombreuses

contraintes

1) Renault, en retard, décide de concevoir son propre véhicule autonome

Comme expliqué dans la première partie abordant le développement des technologies d’autonomie

et l’environnement concurrentiel, l’Alliance Renault-Nissan s’est lancée sur le sujet du véhicule autonome

à travers les aides à la conduite et la conduite automatisée. Les technologies et les usages de ces systèmes

sont connus depuis plusieurs années, même si l’équilibre coût-valeur de certaines options n’est pas certain.

Le fait que l’environnement concurrentiel avance vers la conduite autonome a poussé Renault à

faire de même. Cependant, là où les aides à la conduite sont presque disponibles sur étagères chez les

fournisseurs de rang 1 en 2014, avec une bonne visibilité sur les options en développement, ce n’est pas le

cas de l’autonomie. Aucun fournisseur ne peut fournir en 2014, ni aujourd’hui, un système autonome prêt

à intégrer.

Cette situation a incité l’Alliance Renault-Nissan à s’organiser pour préparer le développement de

la voiture autonome. Comme beaucoup de concurrents, Renault s’est positionné comme intégrateur, en

traitant directement avec des fournisseurs qui, habituellement, sont des fournisseurs de rang 2, 3 ou même

plus : fournisseurs de technologies de détection, fournisseurs d’électronique et de microélectronique, etc.

En s’alliant avec un fournisseur prototypiste allemand, habitué à intégrer des systèmes nouveaux dans des

véhicules existants, les ingénieurs Renault ont commencé à faire « eux-mêmes » un véhicule autonome.

Cependant, ce travail a commencé tardivement par rapport aux concurrents, et avec des moyens

parfois bien inférieurs. Ce retard est notamment visible par rapport aux constructeurs premium (Mercedes,

BMW, Tesla, …). Certes, ces constructeurs ne sont pas les concurrents directs de Renault et Nissan, à

l’inverse de groupes comme PSA, Toyota ou Ford. Mais aujourd’hui, les systèmes de conduite autonome

développés par Renault et par Nissan ont atteint un niveau de performance environ équivalent à celui du

système Autopilot commercialisé sur les Tesla Modèle S en 2014. Soit un retard, pour Renault, de 3 ans au

moins, puisque ces systèmes ne sont pas encore commercialisés, à l’été 2017 (Nissan a lancé au Japon en

2016 le modèle Serena, doté du ProPilot, équivalent à l’Autopilot de Tesla). Le chef de projet véhicule

autonome Renault, Laurent Taupin, estime que le retard de Renault sur la voiture autonome est de 5 ans par

rapport aux leaders.

Renault a également pris du retard par rapport à Nissan. La culture d’entreprise de Nissan, très

portée sur l’innovation technologique, parfois sans qu’il n’y ait de marché correspondant, contraste avec

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celle de Renault sur un sujet comme l’autonomie. Renault a aujourd’hui des capacités reconnues pour faire

des systèmes équivalents ou presque, en termes de performance, à ses concurrents, mais moins chers. C’est

par exemple la raison pour laquelle Daimler, qui n’arrivait pas à obtenir un niveau de rentabilité suffisant

sur sa Smart, a décidé de faire appel à Renault pour en concevoir le dernier modèle, partageant sa plateforme

avec la nouvelle Twingo. De manière plus générale, Renault est un groupe reconnu pour savoir proposer

les bons attributs aux bons clients, et au bon prix. L’innovation technologique de pointe, en dépit d’un

savoir-faire certain par exemple sur les moteurs ou la propulsion électrique est alors souvent assurée par les

fournisseurs de rang 1. Mais cette culture d’entreprise tirée par la valeur cause de facto un retard de Renault

sur le véhicule autonome, innovation qu’aucun rang 1 ne peut proposer sur étagère. Ainsi, les premiers

systèmes de conduite automatisée qui doivent sortir en 2018 sur la gamme Renault ont été développés à

partir de technologies Nissan, adaptées pour le marché de Renault.

2) D’un projet R&D classique à un projet commercialisation, avec un objectif mal

défini initialement

En 2015, un projet de recherche et développement est donc lancé en interne Renault. Son but :

construire une micro-flotte de prototypes autonomes de niveau 4. L’objectif était double : obtenir un support

de communication interne et externe sur le sujet du véhicule autonome, et défricher toutes les contraintes

liées à cette innovation (technologiques, sécuritaires, …). Concrètement, il devait être possible, grâce à ces

prototypes, d’emmener des journalistes faire des essais comme passagers sur les routes autour du site de

Renault à Guyancourt, ou Boulogne, sans que le conducteur – un ingénieur Renault – n’ait besoin de faire

quoi que ce soit. L’objectif était donc simplement exprimé en termes de performance technologique :

l’équipe n’avait pas à imaginer de modèle d’affaire ni de méthode de commercialisation. Ce projet, en

référence à la guerre de Troie, se nomme TRAJAM, un nom révélateur des ambitions stratégiques du groupe

Renault.

Le projet a été positionné, dans l’organisation, dans une direction Alliance (c’est-à-dire Renault-

Nissan), dépendant de la Direction ingénierie Alliance des systèmes. A sa tête, Monsieur A. Corjon, de

Renault. Cette Direction est elle-même dépendante de la Direction du Développement de Technologies

Alliance. A sa tête, Monsieur T. Yamaguchi, de Nissan.

Pour atteindre l’objectif d’un prototype autonome de niveau 4, le chef de projet TRAJAM,

Monsieur E. Debernard, s’est entouré d’experts de différents métiers, notamment perception, dynamique

du véhicule, et sécurité des systèmes. Le projet a aussi constitué un partenariat avec un prototypeur

allemand, dont le rôle était d’intégrer les technologies choisies par les ingénieurs du projet TRAJAM. C’est

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également eux qui devaient faire les modifications de software en fonction des remarques des testeurs

Renault (exemple : « la voiture a confondu la glissière centrale avec un camion a plusieurs reprises, il faut

revoir l’algorithme d’identification des obstacles »). Le schéma suivant est une tentative d’explication du

fonctionnement du projet :

Figure 10 Fonctionnement du partenariat du projet TRAJAM

En 2016, le projet TRAJAM en est donc à sa deuxième année. Déjà, 5 voitures roulent presque en

permanence depuis plusieurs mois – quand elles ne sont pas mises à jour ou en débuggage67 – et accumulent

des données de roulage. La voiture choisie pour porter la technologie a été l’Espace V, nouveau-né de la

marque, tourné vers des clients premium, susceptibles d’être prêts à payer pour un système d’autonomie

relativement cher. Autre avantage, la hauteur du toit permet aux capteurs installés sur le véhicule de

percevoir les obstacles à une distance légèrement plus grande. Les zones de roulage sont situées entre

Guyancourt, en banlieue sud-ouest de Paris, et l’Allemagne. Au premier trimestre 2017, le volume de

données collectées était de 250,000 km de roulage.

67 Le débuggage correspond à l’amélioration du code, une fois écrit, selon un processus cyclique en deux phases : dans un premier temps, une phase de test qui permet de faire remonter les problèmes (bugs), puis une phase de modification du code pour les résoudre, puis à nouveau une phase de tests, etc., jusqu’à atteindre le niveau de performance souhaité.

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3) Une stratégie en deux temps : stratégie de vitesse et stratégie

d’apprentissage/amélioration

Au-delà de ce projet de R&D est venu se greffer un projet dont l’objectif est de commercialiser les

premiers véhicules autonomes. Son nom : ILIAD, pour Innovation for Life In Autonomous Driving. Le nom

est justifié par la conviction intime du chef de Projet, Monsieur L. Taupin, que la valeur du véhicule

autonome pour le client réside dans la capacité à faire autre chose pendant son trajet. D’où l’ambition de

proposer un système de conduite autonome qui soit suffisamment fiable pour que le client puisse regarder

un film pendant que la voiture se conduit toute seule. Le projet ILIAD s’est nourri des avancées du projet

TRAJAM, qui a passé son dernier jalon en juillet 2017 (chez Renault, les étapes d’un projet sont appelées

jalons ; les jalons correspondent à des réunions de suivi du projet, faisant parfois l’objet de go/no-go, sur le

projet en lui-même, ou sur un sujet abordé par le projet ; le dernier jalon d’un projet est donc celui dans

lequel est évalué le succès ou l’échec du projet). Le projet ILIAD a ainsi récupéré la technologie développée

par le projet TRAJAM, ainsi que les ingénieurs qui y travaillaient.

Ce projet est cependant très différent du projet TRAJAM pour plusieurs raisons. Tout d’abord,

l’objectif est de commercialiser des véhicules en production de masse, même si cela doit être sur des

volumes restreints. En d’autres termes, on ne parle plus d’un prototype. Deuxièmement, ces véhicules

doivent faire partie des « 10 véhicules Renault-Nissan autopilotées dans la rue en 2020 » annoncés par

Carlos Ghosn, PFG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. Ensuite, le niveau d’autonomie demandé est

le niveau 4 SAE. Pour rappel, cela signifie que sur un domaine d’opérabilité précis (exemple : le boulevard

périphérique parisien, à moins de 50 km/h), le véhicule fonctionne de manière totalement autonome : le

conducteur n’a plus à toucher les commandes, il peut faire autre chose que surveiller la route, et la voiture

gère toutes les situations, même le passage des véhicules d’intervention d’urgence ; en cas de problème, la

voiture met le conducteur en sécurité. Le projet ILIAD doit fournir un système compatible avec le plus

possible de véhicules de la gamme Renault-Nissan, et non simplement un ou deux véhicules Renault. Et le

projet ILIAD doit aussi faire la preuve d’une équation économique équilibrée : des coûts maîtrisés, une

valeur client identifiée et quantifiée, et un mode de commercialisation approprié. Ces contraintes le

rapprochent à bien des égards du projet de véhicule électrique ayant abouti à la Zoé.

Afin de maximiser l’apprentissage, tout en répondant aux contraintes de vitesse de

commercialisation, Monsieur L. Taupin a choisi une double stratégie : un sous-projet nommé Fast Track,

et un sous-projet nommé Smart Lane. Fast Track avait pour objectif d’avancer le plus vite possible d’un

point de vue technique. En d’autres termes, il devait aboutir à un véhicule autonome performant de niveau

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4, sans pour autant que celui-ci soit rentable ou même vendable. Les fournisseurs sont très impliqués,

parfois sans réel contrôle des technologies embarquées. Smart Lane était une stratégie d’amélioration.

Concrètement, il s’agit d’apprendre des difficultés rencontrées par Fast Track, de s’en nourrir, et de trouver

des solutions mieux adaptées. Les objectifs étaient les suivants : reprendre la maîtrise de la technologie,

améliorer encore la performance, trouver des solutions pour diminuer et maîtriser les coûts, construire des

partenariats, définir un modèle d’affaires. Une fois ces solutions trouvées, les apprentissages seront partagés

avec Fast Track pour améliorer les véhicules conçus. Les deux sous-projets ne sont pas séquentiels mais

parallèles : on a travaillé en même temps sur les deux.

En parallèle de ces deux projets, l’équipe s’organise également par rapport au véhicule support,

c’est-à-dire au véhicule amené à accueillir le système d’autonomie. Le projet ILIAD a mis en place un

planning avec quatre phases de conception de véhicules, en plus des prototypes. Chaque phase de véhicule

a un but précis. Ainsi, après les prototypes, les trois premières phases seront des phases de flottes. Une

flotte correspond à une certaine quantité limitée de véhicules, avec des caractéristiques bien définies,

produite pour tester un attribut déterminé. Ainsi, dans le cadre du projet ILIAD, la première flotte comptera

quelques dizaines de véhicules et visera à valider les performances de sécurité du véhicule, c’est-à-dire

qu’il devra se montrer dix fois plus sûr qu’un conducteur humain. Elle sera conduite par des experts Renault.

La deuxième flotte sera une flotte pour tester l’acceptabilité du système par les clients et la valeur qu’ils

donnent à ce système. Elle sera conduite par des personnes qui ne sont pas des experts de l’automobile pour

correspondre à des clients lambda. La troisième flotte sera une pré-série, confiée à des personnes choisies

par l’équipe du projet ILIAD. Enfin viendra la commercialisation, et le début des grands volumes. Le

planning détaillé de ces flottes est expliqué sur la figure ci-dessous.

Figure 11 Planning du projet ILIAD

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4) Constitution de l’équipe ILIAD et installation dans les bureaux du CEA

Les contraintes que nous avons mentionnées sont contrebalancées par certaines libertés. Monsieur

L. Taupin, chef de projet ILIAD, est l’ancien chef de projet Eolab, la voiture quasi-commercialisable

consommant un litre au cent kilomètres. Fort de son expérience de chef de projet, il a demandé que l’équipe

du projet ILIAD ait son propre « plateau », c’est-à-dire un espace de bureaux dédiés au projet. Et, pour

s’isoler du reste du bureau d’études de Guyancourt, et de la lourdeur de ses processus, il a demandé et

obtenu de délocaliser son projet dans les locaux du CEA de Saclay, à 20 minutes en voiture de Guyancourt.

L’objectif de ce rassemblement en un même lieu de toute l’équipe, avec des compétences très diverses

(recherche, ingénierie, prestation, valeur client, …) était également d’accélérer les apprentissages en

favorisant l’intelligence collective et la communication. Cela afin d’anticiper les problèmes et les résoudre

le plus tôt possible. En revanche, Monsieur L. Taupin était bien conscient que ce genre d’organisation, sans

processus très détaillés, sans fiches de postes très précises, ne permettrait pas de sortir efficacement

plusieurs dizaines de milliers de voitures. Mais le volume ciblé par l’équipe-projet était suffisamment faible

pour que cela ne soit pas un problème.

L’équipe du projet ILIAD (Fast Track + Smart Lane) a donc été voulue la plus éclectique possible.

L’équipe regroupe des profils issus de différents métiers, et notamment : architecture électronique,

architecture des systèmes, architecture véhicule, composants, connectivité, IHM (interface homme-

machine), localisation, partenariats, planning, perception, prestation/essais, réglementation, sécurité de

fonctionnement, validation, valeur client (ce dernier métier ayant essentiellement été alimenté par nos

réflexions, sur lesquelles nous reviendront plus tard). Ayant commencé avec seulement 2 employés de

Renault (Monsieur L. Taupin et son bras-droit), le projet comptait 37 personnes impliquées directement,

dont 16 prestataires, en Août 2017. Les prestataires travaillent essentiellement sur les métiers liés à la

programmation informatique, les capteurs et la localisation : perception, conception logicielle, … L’équipe

devrait s’agrandir de 40 personnes issues de la branche R&D d’Intel à Sophia Antipolis, rachetée par

Renault en Mai 2017. Hormis les prestataires qui sont dédiés le plus souvent à 100% au projet ILIAD, les

employés Renault impliqués dans le projet ne le sont que rarement. Tous conservent un lien hiérarchique

direct avec leur métier. Et environ 90% d’entre eux ont d’autres responsabilités que le véhicule autonome

du projet ILIAD.

L’installation du projet ILIAD à Saclay dans les locaux du CEA s’est faite en Septembre 2016.

Monsieur L. Taupin et son bras-droit ont visité plusieurs bureaux, avant de choisir ceux du CEA, pour leurs

atouts d’infrastructures, mais aussi pour l’écosystème environnant (entreprises de simulation informatique,

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d’objets connectés, etc.). Ils ont choisi eux-mêmes l’ameublement, la disposition des salles et la décoration.

Ils ont notamment pris des bureaux environ deux fois moins larges que ceux du bureau d’étude de

Guyancourt, afin que les gens soient plus proches les uns des autres. De même, les chaises dans les salles

de réunion, ou dans les salles pour téléphoner, ont été choisies relativement peu confortables, de manière à

ce que les membres du projet ne s’y installent pas pour travailler. Tout cela, évidemment, dans le but de

favoriser les interactions. Ce mode de fonctionnement a séduit un autre projet, visant à concevoir une

nouvelle architecture électronique, qui est venu s’installer à côté, dans le même bloc de bureaux.

Une fois installé, le chef de projet ILIAD a dû convaincre ses futurs collaborateurs de venir

travailler sur ce qui s’appelait dès lors le « campus AD » (AD pour Autonomous Driving). Pour cela,

Monsieur L. Taupin a dû batailler avec les RH pour que le site soit reconnu comme un lieu de travail

Renault, au même titre que le site de Guyancourt, ou que le siège à Boulogne. Dès lors, les employés venant

y travailler étaient assurés comme s’ils venaient sur leur lieu de travail habituel, et n’avaient donc plus

besoin de faire des avis de mission. Ensuite, tout a été fait pour améliorer les conditions de travail, en

comparaison du bureau d’étude de Guyancourt : proximité du parking souterrain (30 secondes entre sa

voiture et son bureau, contre parfois 10 minutes sur le site de Guyancourt), machine à café en libre-service,

décoration murale inspirée de l’univers de Tintin, etc. Enfin, tous les vendredis matins, un « Café campus »

a été instauré. A l’origine, il s’agissait de faire un point en équipe sur l’avancement du projet autour de la

machine à café, de manière très informelle. Et chaque fois, un membre de l’équipe amenait le petit-déjeuner

pour tout le monde, ce qui a très rapidement séduit. Le vendredi est devenu le jour avec le plus de

fréquentation sur le campus AD. Puis, un vendredi, le bras droit de Monsieur L. Taupin, Madame I. Paulin-

Jardel, responsable des partenariats, a décidé d’inviter un collègue et de le faire intervenir sur un sujet

indirectement lié à l’autonomie. Cette micro-conférence a eu un franc succès, et depuis, tous les vendredis

matin, un expert, non-membre du projet ILIAD, est venu parler d’un sujet comme l’intelligence artificielle,

les livraisons en France, le coût réel des capteurs, etc. Est ainsi né une instance de partage de connaissances

très appréciée qui a contribué à faire connaitre le projet en interne.

En revanche, le campus AD a souffert de quelques problèmes récurrents de réseau : pendant

presque un an, les membres de l’équipe n’avaient pas de réseau téléphonique mobile, seulement une ligne

fixe. Ensuite, le réseau internet du CEA s’est révélé très instable dans les premiers mois après l’installation

du projet. Il était récurrent que le réseau Wifi saute pendant plusieurs dizaines de minutes, interrompant

parfois les membres du projet en pleine visio-conférence.

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Figure 12 Localisation du Campus AD par rapport au siège de Boulogne et du bureau d'études de Guyancourt

5) Exploration : précision du produit final, de la technologie, du marché, et du cadre

réglementaire

Les prototypes au cœur de l’apprentissage technique :

Le projet ILIAD s’est nourri du travail du projet TRAJAM, et a accompagné son développement.

Lorsque le projet ILIAD a été lancé, le projet TRAJAM avait déjà cinq prototypes, des Espaces V. Ces

« mulets » comme on les appelle chez Renault, alternaient entre des phases de préparation chez le

prototypeur partenaire allemand, des phases de roulage, des événements de communication internes et

externes, et du débuggage. Un mulet supplémentaire, dédié exclusivement à la localisation (assurer le

positionnement du véhicule dans sa voie de la manière la plus précise possible) a été ajouté aux cinq

premiers par les ingénieurs du métier localisation. Chacun des cinq prototypes avait roulé environ 50 000

km en Juillet 2017. Sur les cinq, deux sont souvent en préparation/debuggage, et un est souvent immobilisé

pour des réparations (capteurs défaillants, …). En moyenne, c’est donc deux voitures seulement qui étaient

à disposition pour des roulages, sachant qu’elles étaient souvent réquisitionnées pour des événements de

communication. Ainsi, les principaux directeurs de l’ingénierie Renault-Nissan ont été conduits dans l’un

des prototypes, tout comme plusieurs journalistes, et quelques bloggeurs et autres influenceurs.

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Ces prototypes présentent de nombreuses contraintes. Tout d’abord, la conception en tant que telle

est laborieuse : quels capteurs choisir, comment les implanter, comment les régler pour que les données

soient utilisables, comment concevoir le logiciel du système, comment le modifier, et comment savoir s’il

est prêt à rouler sur route ouverte ? Ensuite, chaque prototype remonte des quantités astronomiques de

données qu’il faut savoir traiter (environ 10 GB par minute de roulage). La technologie pose également

problème, puisqu’elle subit les lois de l’électronique : rapide obsolescence, des capteurs, des calculateurs,

et même des algorithmes. Comme on l’a dit, un prototype demande également une maintenance qui

correspond environ à trois heures de tests et de vérification en moyenne pour une heure de roulage, ainsi

que la réparation des pièces défaillantes. Et chaque prototype monopolise ainsi des ressources financières

et humaines très importantes : plusieurs centaines de milliers d’euros pour un mulet. Enfin, l’aspect

réglementaire a également été un problème. Il a en effet été laborieux pour les ingénieurs de convaincre les

autorités de leur donner une autorisation pour faire rouler un véhicule autonome en développement sur des

routes ouvertes, au milieu d’autres usagers. Les autorisations accordées ont impliqué quatre directions

ministérielles, après un délai de trois mois, et un dossier de cinquante pages constitué par les membres du

projet TRAJAM. C’est ce qui a permis aux ingénieurs de faire rouler les prototypes sur certaines routes

pour lesquelles ils en avaient l’autorisation. En revanche, l’autorisation stipulait que le véhicule ne pouvait

être conduit que par un ingénieur Renault et qu’il devait en permanence avoir les mains à proximité

immédiate du volant, prêt à intervenir.

Les prototypes ont permis d’apprendre à connaître les briques techniques utilisées pour un véhicule

autonome : caméras, lidars, radars, ultrasons. Surtout, ils ont permis d’en mesurer la performance. En effet,

les ingénieurs ont toujours trouvé des différences entre les promesses des fournisseurs (« ma caméra

identifie un piéton dans le brouillard à 100 m ») et ce qui a été mesuré une fois les capteurs sur les

prototypes. Pour un véhicule autonome de niveau 4, qui roule à des vitesses élevées, l’un des principaux

facteurs de succès est de « voir » loin, c’est-à-dire de percevoir l’environnement et les obstacles à une

distance suffisamment grande pour pouvoir anticiper et prévoir à l’avance la manœuvre la plus appropriée.

Pour arrêter une voiture qui roule à 100 km/h, lorsque des véhicules accidentés bloquent la chaussée, il faut

« voir » les véhicules accidentés à une distance égale à la somme de la distance parcourue pendant la

perception et l’identification des obstacles, et la distance de freinage. Et l’identification des obstacles s’est

avérée très compliquée à partir de 100 mètres de distance. Par exemple, un piéton vu par un lidar (un scanner

laser qui envoie des rayons lumineux) à 200 mètres n’est visible que par ses mollets, ce qui rend son

identification difficile (voir figure ci-dessous) :

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Figure 13 Nuage de points généré par la perception d'un piéton par un capteur lidar à 200m

L’apprentissage technologique a donc été favorisé par l’accès aux données brutes de la plupart des capteurs.

En revanche, les prototypes ne correspondant pas du tout aux véhicules qui seront commercialisés,

leur usage pour des tests clients a été très limité, sinon impossible. Tout d’abord, l’intégration du système

dans la voiture ne correspondait pas à ce qui peut être effectué en série : le coffre, notamment, était

quasiment complètement rempli d’ordinateurs, de batteries, etc. De plus, aucun testeur ne pouvait conduire

le prototype, à cause des autorisations ministérielles très restrictives. Les testeurs extérieurs à l’équipe

TRAJAM ne pouvaient qu’être seulement passagers. Cela a posé problème pour tester l’acceptation du

système par les clients. Enfin, la technologie avance tellement rapidement sur cette innovation qu’il

paraissait peu utile de faire tester à un client un produit qui sera totalement différent lorsqu’il sera

commercialisé.

Le produit final : une définition qui s’est précisée et simplifiée

Les objectifs du projet, définis par la Direction Produit, étaient à l’origine fondés sur trois attentes

clients : une conduite qui ne soit pas ennuyeuse, pas stressante, et une possibilité de récupérer le temps

dédié à la conduite pour d’autres activités. Pour répondre à ces exigences, deux systèmes ont été envisagés

par la Direction produit. Un premier système de conduite autonome de niveau 4 qui serait capable de

conduire le véhicule dans des zones de trafic dense sur voie rapide. Et un deuxième système de niveau 4

également, qui serait capable de conduire le véhicule de manière autonome sur des voies rapides sans limite

de vitesse, avec changements de voies si nécessaire. Autrement dit, des systèmes pour multivoies rapides,

un pour les embouteillages, un pour toutes les conditions de circulation. Ainsi, sur un trajet, d’un point A à

un point B, le véhicule ne se conduirait pas tout seul sur la totalité du trajet mais sur des tronçons seulement.

Chaussée

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En revanche, comme c’est un système de niveau 4, le conducteur pourrait faire autre chose pendant les

temps de délégation. Les voies rapides ont été choisies pour leur simplicité supposée : faible diversité

d’obstacles (voitures, camions et motos, contre voitures, camions, vélos, piétons, animaux de compagnie,

… en ville) et faible diversité des possibilités de trajectoire des véhicules (accélérer, freiner, changer de

voie, sortir, s’insérer, contre une myriade de possibilités pour le trafic en ville).

Pour répondre à cette exigence, les acteurs du projet ILIAD ont distingué deux systèmes, nommés

AD1.1 et AD2.1 (« AD » pour autonomous driving, 1 pour du monovoie et 2 pour du multivoies, « .1 »

pour montrer la différence avec les systèmes de conduite supervisée développés en parallèle par d’autres

équipes et nommés AD1 et AD2). Après plusieurs semaines, les caractéristiques de ces systèmes ont été

clarifiées par l’équipe ILIAD. AD1.1, pour les embouteillages, sera un système de niveau 4 disponible

jusqu’à 90 km/h (au-delà, le trafic n’est plus dense), en monovoie (pour éviter les problèmes de négociations

avec les autres usagers, complexes à faible vitesse), sur des 2 x 2 voies à accès réglementé (pour éviter le

plus possible les piétons, les cyclomoteurs et les cyclistes). AD2.1 sera un système disponible jusqu’à 110

km/h puis seulement 130 km/h (plus on roule vite plus il faut que le système voie les obstacles loin, et les

identifier au-delà de 110 km/h est difficile compte tenu des capacités de perception actuelles des capteurs),

multivoies (le système saura gérer des manœuvres de dépassement tout seul), sur 2x2 voies à chaussées

séparées également. Les deux systèmes seront de niveau 4 : pas d’action requise du conducteur, jusqu’à la

fin de la zone de délégation, sauf situation d’urgence (ex : un avion qui doit se poser sur une autoroute).

Cette définition du produit final du projet a ensuite évolué. Pensé a priori comme plus simple que

l’AD2.1, l’AD1.1 s’est révélé presque aussi complexe à réaliser. En effet, la complexité provient

essentiellement de deux facteurs : la cohabitation entre le véhicule autonome et les autres véhicules, et la

détection de l’environnement. Pour ce qui est de la cohabitation, le trafic fluide ne pose que peu de

problèmes : la voiture peut attendre quelques secondes que la voie à sa gauche soit pleinement libre pour

dépasser si besoin. De même, gérer un véhicule qui s’insère sur l’autoroute est aisé en trafic fluide,

lorsqu’on sait gérer le gérer en trafic dense, voire très dense, comme sur le périphérique parisien où le

véhicule qui s’insère a la priorité. Et pour ce qui est de la détection des obstacles, la détection à 90 km/h ou

à 110 km/h pose les mêmes problèmes de capacité d’anticipation. Ainsi, après quelques mois, l’équipe

projet, en accord avec le Produit, a décidé d’abandonner la dénomination AD1.1 et de ne faire qu’un

système AD2.1, qui gère le trafic dense et fluide, et à toutes les vitesses jusqu’à 110 km/h.

Une fois le domaine d’utilisation de la technologie précisé (certaines routes), il restait à déterminer

la performance ciblée du système. Cette question s’est posée de manière très problématique : conçoit-on un

système qui ne tue pas son conducteur ? Qui ne tue aucun usager ? Qui ne blesse pas son conducteur ? Qui

n’a aucun accident ? Qui n’a aucun accident responsable ? Ce que les membres du projet, et notamment

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Monsieur L. Taupin, ont bien compris, c’est qu’en cas d’accident d’un système de niveau 4, c’est leur

responsabilité qui était en jeu, puisque le conducteur se repose entièrement sur le système qui est censé être

autonome. Sauf bien évidemment en cas de force majeure, imprévisible, insurmontable et indépendant de

la volonté des ingénieurs. Au-delà, c’est la responsabilité de Renault qui, en fonction des évolutions

juridiques, pourrait également être en jeu. C’est pour ces raisons que la réponse apportée par le projet ILIAD

a été la suivante : le véhicule n’aura aucun accident responsable. Et pour les accidents non-responsables, il

en aura dix fois moins qu’un conducteur normal. On peut donc dire que le système de conduite autonome

de niveau 4 est globalement dix fois plus sûr qu’un conducteur humain.

La technologie : le coût et le problème des données

Un des apprentissages au niveau de la technologie a été celui du coût unitaire d’un système

autonome de niveau 4. La technologie choisie par les acteurs du projet ILIAD pour faire un véhicule

autonome est relativement classique. Pour les capteurs, des caméras, des radars, des lidars et des ultrasons.

Pour l’électronique, des calculateurs d’une puissance bien supérieure à ceux utilisés sur le reste de la

gamme. Parmi ces capteurs, et l’électronique qui va avec, certains sont très onéreux. Par exemple, les lidars

sur le toit des Google Cars coûtent aujourd’hui autour de $ 70,000. Et les contraintes d’un système

autonome de niveau 4, qui ne permet pas de se reposer sur le conducteur en cas de problème, exige une

redondance à presque tous les niveaux. Par exemple, il faut un système capable de prendre le relais des

caméras lorsqu’il fait nuit et que les phares s’arrêtent de fonctionner (les caméras sont incapables de détecter

précisément les lignes dans le noir). De même, il faut prévoir une redondance pour la direction si jamais

elle venait à être défaillante, car le conducteur n’est pas censé intervenir. Ainsi, le coût final du système est

effectivement très élevé. En appliquant les méthodes de calcul de prix de vente classiques de Renault, le

prix de vente estimé du système est d’au moins 6 000 €, ce qui pose un problème de vendabilité. Sur un

Espace V équipé toutes-options au plus haut niveau de finition par exemple, le prix du système

représenterait plus de 10% du prix de vente du véhicule. Pour trouver des solutions à ce problème de coût,

une piste exploratoire a été lancée en parallèle par quelques membres de l’équipe projet, en discussion avec

une société de concession autoroutière, sur la possibilité d’exporter les capteurs du véhicule vers

l’infrastructure, notamment les autoroutes. La perception de l’environnement serait faite par des capteurs

sur les bas-côtés de la route, et des calculateurs transmettraient par réseau sans fil leur trajectoire aux

véhicules. Le taux d’utilisation du système serait ainsi bien plus élevé (tous les véhicules disposant d’une

connexion sans fil pourraient en bénéficier), ce qui devrait baisser le prix par véhicule.

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Un deuxième apprentissage sur la technologie a été celui des enjeux de données. Ces données sont

générées à hauteur d’environ 10 GB par minute de roulage. Hors la capacité de traitement des données est

primordiale pour comprendre ce qui ne marche pas et pourquoi, afin d’améliorer le système, mais également

afin de comprendre un crash par exemple. Face à ces volumes considérables, l’équipe projet a d’abord

commencé par se doter d’ordinateurs de bureau plus puissants que ceux prévus initialement. Ensuite,

l’équipe ILIAD a dû négocier en interne des capacités de stockage correspondant à ses besoins dans le cloud

proposé par le partenaire de Renault, Microsoft. Ensuite, il a fallu que l’équipe projet embauche des

personnes compétentes pour passer du temps sur les données, comprendre comment elles sont collectées,

comment elles sont retravaillées, et comment les exploiter. Toute cette partie avait clairement été sous-

estimée au début du projet, puisque seulement une personne s’occupait de regarder les données remontées

par le software autonome du partenaire prototypeur allemand lorsque nous sommes arrivés. Il s’était

d’ailleurs rendu compte que le software en question ne prenait pas en compte les informations de tous les

capteurs du véhicule pour fonctionner, et que certains étaient volontairement oubliés, ce qui n’était pas du

tout prévu, ni demandé par Renault. Une partie des ex-employés du département de R&D d’Intel à Sophia

Antipolis, racheté par Renault en mai 2017, qui vient renforcer l’équipe ILIAD, va apporter des

compétences clés sur ces sujets de conception logicielle et de traitement des données.

La validation : apprentissage de la preuve de la performance d’un système engageant la vie de son

utilisateur

Comment prouver qu’un véhicule est fiable ? Habituellement, pour valider un essieu par exemple,

on fait plusieurs simulations qui consistent à faire rouler une voiture dotée de l’essieu en question sur des

rouleaux. On soumet l’essieu à des contraintes très importantes, comparées aux conditions habituelles de

conduite, S’il résiste à ces tests, il est validé. L’équipe du projet ILIAD s’est vite rendu compte que cette

méthode ne pouvait pas être appliquée à un système de conduite autonome. Car on ne peut pas valider un

tel système en le testant sur des pistes d’essais qui simuleraient des situations de conduite. On ne validerait

qu’une infime partie des situations que le véhicule peut rencontrer, certaines n’étant même pas connues. Il

faut donc faire rouler le véhicule en situation réelle pour garantir une validation fiable. Mais les

constructeurs s’accordent à dire qu’il faudrait rouler plusieurs milliards de kilomètres pour valider un

système autonome de niveau 4, afin de pouvoir dire qu’on a rencontré toutes les situations possibles, sauf

évidemment les plus extrêmes, et qu’on a su les gérer. Mais même Google, qui avait parcouru près de 3

millions de kilomètres en conduite autonome fin 2016, est bien loin de valider la voiture en question ! Le

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responsable de la validation du projet ILIAD a donc cherché un modèle statistique permettant de valider

une performance correspondant à l’objectif du projet, c’est-à-dire un système autonome dix fois plus sûr

qu’un conducteur humain, sans passer des dizaines d’années à faire des tests. La solution trouvée est la

suivante : en caractérisant toutes les routes possibles, avec des critères telles que la largeur de la voie, la

pente, les conditions météorologiques, le trafic, l’état du marquage au sol, l’état du macadam, la présence

d’animaux sur les voies, etc., on peut choisir de rouler uniquement sur les routes les plus complexes, de

manière répétée pour mettre à l’épreuve le système en vérifiant qu’on rencontre bien toutes ces situations

qui posent problème (exemple : rouler en hiver, la nuit, sur une route souvent verglacée, proche d’une forêt,

et donc avec des traversées régulières d’animaux sauvages, vallonnée, et avec des virages très serrés). On

retrouve alors le principe du test en conditions extrêmes utilisé pour les pièces des véhicules. En supposant

que les situations de conduite sur les routes plus simples à gérer sont inclues dans les situations rencontrées

sur les routes très complexes, on peut dire que le système est validé partout, sur toutes les routes.

Cependant, ce plan de validation requiert une connaissance parfait du réseau routier. Et c’est le

sujet du deuxième apprentissage important du projet ILIAD sur la validation. Au début du projet ILIAD, le

réseau routier français était très mal connu. Certains exemples, tirés notamment de l’étude faite sur les

routes grâce à Google Maps, ont montré qu’on rencontrait très souvent des situations curieuses. Par

exemple, une autoroute qui passe à une voie sur un tronçon, comme l’A85. Ou encore des 2x2 voies à accès

réglementé sur lesquels les engins agricoles sont autorisés. L’équipe du projet ILIAD ne comptait pas

d’expert en réseau routier. De même, l’équipe ne comportait pas d’expert du code de la route, ce qui posait

problème dans plusieurs situations, et a généré des argumentations sur ce que peuvent faire ou ne pas faire

les automobilistes pendant les réunions.

Les partenariats : une chaîne de valeur bouleversée qui rend les alliances fragiles

Dans un écosystème aussi incertain que celui des technologies de la voiture autonome, trouver les

bons partenaires n’a pas été chose simple. L’enjeu est pourtant énorme, puisqu’il engage l’entreprise sur un

des trois sujets stratégiques (véhicule autonome, véhicule électrique, véhicule connecté). Le premier besoin

a été de trouver un prototypeur pour le projet TRAJAM. C’est une entreprise allemande qui a été choisie.

Cependant, pour mettre en place une relation de confiance, gagnant-gagnant, c’est sous la forme d’un

partenariat que le contrat s’est construit. Le partenaire allemand a cependant, d’après les avis entendus sur

le campus AD du projet ILIAD, sous-estimé les effectifs requis par le projet, et choisi un responsable projet

peu compétent de leur côté. Rapidement, les relations se sont tendues entre le partenaire et le projet

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TRAJAM. Les conflits portaient sur des informations non-partagées par les Allemands, des prototypes

retenus en Allemagne pour des raisons peu claires, des livrables non fournis, etc. Ces conflits ont entraîné

des sanctions sous forme de retards de paiement de la part de Renault, ce qui n’a pas contribué à la sérénité

de la relation.

Devant ces difficultés, et devant l’incapacité du partenaire allemand de prendre de l’ampleur en

termes de volumes, le projet ILIAD, qui a commencé avec le même partenaire, a décidé de faire appel à un

fournisseur de rang 1 pour assembler ses systèmes autonomes. Ayant des objectifs de commercialisation,

le projet ILIAD avait en effet besoin d’un partenaire capable de le suivre dans ces ambitions, ce qu’un

prototypeur ne pouvait plus faire. L’idée était par contre de continuer de travailler sur le modèle d’un

partenariat.

Mais comment sélectionner ce fournisseur de rang 1 ? Dans la chaîne de valeur de l’autonomie, de

très nombreuses alliances se sont formées, entre constructeurs et fournisseurs, entre fournisseurs, entre

constructeurs et villes, etc. Pour garantir la compatibilité du fournisseur de rang 1 choisi par le projet avec

les fournisseurs déjà sélectionnés pour d’autres tâches, mais aussi avec ceux avec lesquels les membres du

projet souhaitaient tisser des liens forts dans un avenir proche, l’équipe ILIAD a raisonné par élimination.

Ont d’abord été éliminés ceux qui sont dédiés à un constructeur en particulier, comme Denso pour Toyota

et Autoliv pour Volvo. Ensuite, ceux avec lesquels Renault a eu des expériences conflictuelles. Enfin, parmi

ceux qui restaient ont été éliminés ceux qui n’étaient pas prêt à suivre l’effort du projet avec suffisamment

de ressources humaines et financières. Une fois tous les candidats possibles ainsi rassemblés, la réflexion

sur la compatibilité a permis de faire un nouveau tri, et une recommandation a été transmise par l’équipe

projet ILIAD à la direction de l’ingénierie responsable des partenariats de cette envergure, pour une prise

de décision. Décision qui n’était pas prise quand nous sommes partis.

Pour ce qui est des partenaires de plus petite taille, comme les fournisseurs de capteurs, ou les

fournisseurs de technologie de géolocalisation, leur taille variait grandement. Ainsi, certains étaient des

startups avec une équipe réduite aux deux fondateurs. D’autres ont déjà l’habitude de travailler avec des

constructeurs, comme la plupart des fabricants de capteurs – qui, pour beaucoup, sont d’ailleurs détenus en

partie par des constructeurs (Ford détient une partie de Velodyne, un fournisseur de lidars par exemple).

Les membres du projet ont dû s’adapter à ces contraintes, notamment en termes de planning. Par exemple,

il a fallu 32 semaines d’attente pour recevoir les lidars commandés à Velodyne. De même les plus petites

structures, qui sont sollicitées par de très nombreux acteurs, ont du mal à respecter leurs engagements. C’est

le cas par exemple d’u-blox, une ETI de localisation, qui, en plus de son partenariat avec Renault, et de ses

autres engagements avec NXP ou Commsigma, vient encore en Août 2017 de signer un accord avec Bosch,

Geo++ et Mitsubishi Electric. Or leur taille (836 employés) ne semble pas permettre de répondre aux

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volumes demandés par tous leurs clients. L’attractivité de ces acteurs positionnés en amont de la chaîne de

valeur, et qui possèdent un savoir-faire ou des technologies clés pour l’autonomie, a parfois rendu

compliquée leur accessibilité et leur réactivité aux acteurs du projet ILIAD.

6) Avancement au moment où nous avons quitté Renault : des questions sans

réponses, notamment à propos de la commercialisation et du modèle d’affaires

Au moment de notre départ, la performance technique atteinte par les prototypes n’était pas encore

satisfaisante. Ce qui est normal puisque ces véhicules doivent sortir en 2023. La fréquence des reprises en

mains inattendues, causées par des incapacités du système, était de quatre par heure en moyenne. Ce qui

est encore loin des objectifs, mais qui constitue une avancée décisive étant donné le point de départ.

L’aspect purement technique mis de côté, de grandes questions subsistaient encore. La première

tournait autour de la capacité de l’équipe à mettre dans la rue un système qui soit tout de suite de niveau 4.

Faudrait-il commercialiser le système en mode dégradé, comme un système de niveau 3, ou même 2, afin

de l’améliorer, et une fois la performance améliorée, le convertir en système de niveau 4 par une mise à

jour via internet ? Rien n’était encore tranché sur ce sujet au moment de notre départ, mais une telle question

est révélatrice de l’immense complexité liée à la commercialisation d’un système de niveau 4.

Une autre grande question était celle de la commercialisation : équation économique et vente.

Comment faire baisser encore les coûts, et comment déterminer un prix de vente pour un système de niveau

4, quand aucun étalon n’existe sur le marché ? Comment adapter le modèle d’affaire à l’usage lié au temps :

facturation à la minute, forfait mensuel, annuel, ou achat comptant au moment de l’achat du véhicule ?

Combien les clients seront-ils prêts à payer pour un tel système ? Comment former les acteurs du réseau de

distribution pour que le système soit expliqué aux clients comme il se doit, sans les effrayer, ni leur faire

des promesses que le système ne pourra pas tenir ?

L’aspect réglementaire était également un autre facteur d’incertitude. Les utilisateurs pourront-ils

vraiment faire autre chose que conduire, ou leur qualité de conducteur les forcera-t-elle à faire leur devoir

de vigilance et d’attention ? Le code de la route acceptera-t-il les appareils nomades à bord (téléphones,

ordinateurs, …) ? La valeur client d’un système de conduite autonome est évidemment très liée à ces

questions.

Ainsi sont nés et ont progressé les projets TRAJAM et ILIAD. Mais ces deux projets font corps

avec une organisation matricielle complexe, et nous allons maintenant en décrire les interactions.

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II. Le lien entre projet et organisation : l’élaboration des roadmaps véhicules autonomes

de Renault

Si l’Alliance Renault-Nissan existe depuis 1999, et malgré les transferts de compétences, de

technologie, les projets communs, etc, la véritable « convergence » ou fusion de certaines équipes au sein

d’une même entité, n’a commencé qu’en 2014 avec 4 fonctions clés : Ingénierie, Achats, Ressources

Humaines, Fabrication et Logistique (Toshifumi Unno, Mémoire Renault PIC 2016).

Bien que dépendant donc d’une fonction ingénierie convergée, et même de la même direction

R&AE (Rsearch & Advanced Engineering) au sein de l’Alliance, les équipes de Renault et de Nissan ne

travaillent pas sur les mêmes systèmes d’autonomie. Capitalisant sur une longue tradition de développement

d’aides à la conduite, les équipes de Nissan ont une approche horizontale dans la mise au point de leur

système d’autonomie : il s’agit d’étendre petit à petit le champ des situations de conduite prises en charge

par la voiture, depuis l’autoroute jusqu’aux scènes urbaines les plus complexes. L’ambition de Nissan est

avant tout de relever un défi technique. Les équipes de Renault, en revanche, ont une approche verticale du

développement de la conduite autonome : il s’agit, pour répondre à des objectifs de sécurité et de valeur

client – celle du temps récupéré – de proposer sur des zones restreintes une conduite en mode « eyes off »,

entièrement prise en charge par le système. L’ambition de Renault est avant tout d’être utile au client.

Ces cultures d’entreprise différentes ont eu un impact considérable dans l’élaboration des roadmaps

des 2 groupes, qui, devant la lourdeur des investissements et les faibles indices de profitabilité des systèmes

d’autonomie, sont contraints de travailler davantage ensemble. Il semblerait donc que les objectifs des

programmes de chacun des deux groupes, dont nous expliquerons le rôle ci-dessous, soient en fait davantage

alignés que ceux de l’ingénierie, pourtant convergée.

1) Le constat à notre arrivée : la Direction Programme face à une multitude de

systèmes en cours de conception

Propos liminaire : le rôle majeur de la Direction de Programme

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Avant d’entrer dans le détail des roadmaps68 des différents systèmes d’autonomie qui doivent être

mis sur le marché par Renault dans les années à venir, en spécifiant leurs fonctionnalités, les véhicules qui

les recevront, sur quelle architecture électronique ou sur quelle plateforme, et dans quelles régions, il est

nécessaire de décrire les acteurs qui décident de ces roadmaps. Le rôle central est tenu par la Direction de

Programme, dont le rôle est d’assurer la rentabilité de l’ensemble de la gamme de systèmes de conduite

autonome, sur un périmètre mondial : il s’agit de trouver un équilibre coût / valeur optimal, en confrontant

les promesses et exigences de la Direction du Produit, de la Direction de l’Ingénierie et des Régions. D’une

part, la Direction du Produit doit définir un cahier des charges précis spécifiant un niveau de prestations à

atteindre, et une liste d’équipements à inclure dans le produit final pour faire face à la concurrence, donnant

ainsi naissance à une gamme de véhicules et produits cohérente avec l’image de marque véhiculée par le

groupe. La Direction de l’Ingénierie, d’autre part, a pour rôle au travers de différents métiers, de trouver la

meilleure réponse technique à ce cahier des charges. Les Régions (Europe, Eurasie, Amérique, Asie-

Pacifique, Africa-Middle East-India), quant à elles, font part de leurs objectifs de vente et remontent des

besoins dont elles ont connaissance grâce à leur proximité avec leurs marchés et avec leurs clients. Il s’agit

donc de s’assurer que les demandes des régions, combinées aux exigences de prestation du produit, une fois

leur valeur évaluée et leur faisabilité technique et industrielle établie, permettent de dépasser un ratio Valeur

Client / Prix de revient final de 2, seuil de rentabilité que Renault fixe pour nombre de ses projets. C’est

donc au sein de la Direction de Programme Véhicule Autonome et Connecté, et en particulier sous

l’impulsion du Directeur de Programme Adjoint Véhicule Autonome, et de son homologue chez Nissan,

que se sont au fur et à mesure des mois mis en branle les différentes roadmaps liées aux nombreux systèmes

d’autonomie développés par l’Alliance, selon des modalités que nous nous proposons d’expliquer dans le

présent propos.

Une multitude de systèmes prévus

Comme déjà mentionné, de nombreux systèmes d’autonomie, correspondant à des niveaux

différents et à des prestations différentes, sont en cours de développement ou de déploiement au sein de

l’Alliance69. À notre arrivée, ces systèmes se structuraient comme suit :

68 Calendrier de lancement des produits développés par le groupe, qu’il s’agisse de véhicules, d’équipements, de plateformes, d’architectures électroniques etc. 69 On pourra se référer à l’annexe 2 pour avoir le détail des différentes roadmaps.

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AD1.0, système de niveau 2 (eyes-on / hands on), permettant le maintien du véhicule dans sa voie

de 0 à 160 km/h, sans condition de trafic, jusqu’à l’arrêt complet du véhicule. Destiné à l’autoroute

mais non contextualisé (le client peut l’activer où il le souhaite, même si la route n’est pas

préconisée), le système ne gère pas davantage les cibles fixes et son auto-restart est limité à 3

secondes. Le déploiement d’AD1.0 a commencé sous le nom de ProPilot dans la gamme Nissan au

Japon (Nissan Serena à la fin 2016) et en Europe (Nissan Qashqai en 2018). Chez Renault, le

premier modèle équipé sera commercialisé sur les marchés européen, chinois et coréen en 2019 sur

BJA (Clio) et JFC (Espace). A bien des égards pourtant, le choix des véhicules cibles n’optimise

pas la profitabilité globale des systèmes AD, puisqu’AD1.0 sera, à ses débuts, disponible sur deux

architectures électroniques différentes, ainsi que sur des plateformes différentes. Renault et Nissan

ont également fait le choix de fournisseurs différents pour leurs capteurs et n’ont globalement pas

partagé le ticket d’entrée du système. Cette problématique se retrouve sur les autres systèmes

décrits ci-après70. La plupart des marchés doit encore faire l’objet de validations importantes, par

des roulages sur l’ensemble des réseaux autoroutiers des pays concernés, et il n’est pas acquis que

Renault puisse profiter de l’avancée de Nissan en la matière. Les moindres volumes de Renault sur

certains de ces marchés et les coûts importants de ces validations plaident cependant pour un

partage de ces coûts et une approche économique rationnelle.

Une évolution ultérieure d’AD1.0, dénommée AD1.0 evo ou enhancement, est prévue.

Davantage de capteurs permettraient d’augmenter les performances du système et de prendre en

charge les cibles fixes, ainsi que de proposer une contextualisation et un auto-restart à l’infini. Une

aide au changement de voie (il suffirait d’actionner un clignotant pour que la voiture, après avoir

fait les contrôles nécessaires, gère d’elle-même le dépassement) est également à l’étude. L’AD1.0

enhancement se rapprocherait ainsi de la première génération d’Autopilot proposée par Tesla.

AD2.0, système de niveau 2, ajoutera à AD1.0 enhancement le changement de voie autonome sur

autoroute, à l’initiative du conducteur. Le système sera cependant « hands off », et le conducteur

devra continuer à regarder la route, ce qui sera vérifié par un driver monitoring important et

contraignant. Il est toutefois prévu que le système puisse initier voire effectuer une MRM71 en cas

d’absence de réaction du conducteur à un rappel à l’ordre du système (le conducteur étant supposé

garder les yeux sur la route, il ne s’agit pas à proprement parler ici question d’une « demande de

reprise en main ») ou de panne. Cette version d’AD2.0 sera proposée uniquement par Nissan, à

70 On pourra à cet égard consulter l’annexe 3, qui donne une synthèse des différentes architectures électroniques et plateformes en fonction des systèmes développés et d’une timeline allant d’aujourd’hui à 2023. 71 Minimum Risk Manoeuver, voir p. 25 et suivantes

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partir de 2018 au Japon, Renault n’ayant initialement pas trouvé de valeur dans un système dit

« eyes on – hands off », que certains experts de la direction de l’ingénierie considèrent par ailleurs

dangereux, compte tenu du « désengagement cognitif » qu’il implique. Un AD2.0 enhancement,

version « eyes-off » d’AD2.0, c’est-à-dire de niveau 3 (nous l’appellerons donc AD2.0 L3 dans la

suite de l’exposé), est cependant aujourd’hui envisagée par Nissan, version que Renault pourrait

inclure dans ses roadmaps à la condition expresse que celle-ci puisse effectuer une MRM

sophistiquée, avec changement de voie. L’ajout d’un Lidar à la liste de capteurs d’AD2.0 est ainsi

prévu, ce qui permettrait d’accroître le « takeover lead time » requis pour passer au niveau 3.

L’objectif de ce système est double : développer un système acceptable pour les 2 membres de

l’Alliance, à la fois suffisamment sûr et présentant suffisamment de valeur pour convaincre Renault

de l’inclure dans ses roadmaps, cette implication de Renault et de Nissan permettant de partager le

ticket d’entrée et de dégager des synergies, et d’autre part de s’adapter au contexte concurrentiel,

les annonces de lancements de systèmes de niveau 3 étant aujourd’hui pléthoriques dans l’industrie,

notamment du fait d’évolutions juridiques favorables72. Cette décision constitue une évolution

importante dans la progression de la question du véhicule autonome dans le groupe, bien qu’elle

fragilise grandement le développement de l’AD2.1 (voir ci-dessous).

Renault se concentrait en effet jusqu’à récemment sur le développement de l’AD2.1, système de

niveau 4 « mind off », dont les bases ont été jetées en R&AE par le projet Trajam, qui promettait

une moindre occurrence de demandes de reprises en main, ainsi qu’un « take over lead time » plus

important, permettant au conducteur de se livrer à des tâches annexes sur des périodes longues,

dans un habitacle reconfiguré pour l’usage d’appareils nomades. Ce système doit être mis sur le

marché dès 2021 dans une série limitée à une centaine d’exemplaires (« captive fleet »), auprès

d’une clientèle choisie, servant à valider les hypothèses de valeur client, puis en 2023 pour son

lancement commercial définitif sur des véhicules cibles à définir. La décision de développer un

système de niveau 3 en extension de l’AD2.0 par Nissan a cependant été à l’origine de nombreuses

hésitations autour de la pertinence de ce système, que nous détaillerons ci-dessous.

Enfin, un AD3.0 City, développé par Nissan, capable de gérer une conduite urbaine, et notamment

les intersections, les feux rouges, rond points etc. sous supervision du conducteur, sera proposé au

Japon en 2020. Il devrait se greffer sur l’AD2.0 L3, et fonctionner avec les mêmes capteurs. AD3.0

sera donc probablement de niveau 2 (« eyes-on ») en ville et de niveau 3 (« eyes-off ») sur un

72 Voir p. 38 et la description du texte de loi adopté en mars 2017 en Allemagne

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ensemble plus restreint de routes compatibles, voire de niveau 4 (« mind off ») s’il est associé à

AD2.1.

Le schéma suivant reprend de manière synthétique l’ensemble des roadmaps des différents

systèmes, de leur conception jusqu’à leur commercialisation sur un premier véhicule :

Figure 14 Roadmaps des systèmes d'AD chez Renault

2) La difficile équation économique des systèmes d’autonomie

Des coûts importants

Si la plupart des coûts d’AD1.0 sont déjà embarqués dans les véhicules (des caméras et des radars

sont aujourd’hui nécessaires pour pouvoir permettre aux ADAS les plus sophistiqués, comme les AEB ou

l’ACC de fonctionner), à la notable exception de calculateurs plus puissants, les capteurs et actuateurs

nécessaires à l’exécution des prestations promises par AD2.0, AD2.1 et AD3.0 entraînent une augmentation

importante du prix de revient (PRF) des systèmes. Il subsiste de plus une grande incertitude concernant le

coût de certains composants (comme les Lidars), bien que la direction du coût des ventes soit capable de

fournir certains coûts projetés de ces différents capteurs, en fonction de leurs évolutions technologiques

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ainsi que de leur demande globale au sein de l’industrie. Le tableau suivant permet d’estimer le rythme de

la baisse des coûts suscitée par la généralisation des équipements de sécurité dans les gammes des

constructeurs, provoquée par une réglementation plus poussée.

Figure 15 Coûts projetés de l’ensemble des systèmes développés dans l'Alliance

Le coût d’AD1.0 connaîtrait par exemple une chute de 42% entre 2016 et 2020. Ce tableau révèle

également la cherté des systèmes de niveaux 4, qui représentent un PRF, à terme, 3 fois plus élevé qu’un

système de niveau 3.

Une valeur client incertaine

En plus de coûts supérieurs, les prestations de l’AD2.1 apparaissent, tout du moins dans un premier

temps, n’apporter que peu d’avantages comparé à AD2.0 L3, si ce n’est des reprises en mains moins

fréquentes, et offrant plus de temps au conducteur pour s’y préparer. La valeur de la vie à bord et du temps

récupéré qui faisaient la spécificité et la richesse du système AD2.1 sont en effet pour une bonne part

incluses dans les activités annexes permises par un système de niveau 3 comme l’est l’AD2.0 L3.

Pour formuler une opinion objective et factuelle sur la valeur respective de ces systèmes, Renault

dispose au sein de la Direction du Produit d’une Direction de la Valeur Client, chargée d’évaluer la

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Willingness to Pay des différents produits proposés, c’est-à-dire de la valeur apportée par le système au

client, qui ne saurait complètement correspondre à un prix de vente, qui dépend également d’autres

paramètres comme l’image de marque, l’offre existante etc. La méthode de la Valeur Client en ce qui

concerne l’estimation de la valeur des ADAS, est traditionnellement centrée sur une analyse de la

concurrence : les prix de vente annoncés par différents constructeurs sont retraités : décote de 10% par an

pour les équipements de sécurité, dont l’obsolescence est importante et qui ont peu d’impact sur la valeur

résiduelle d’un véhicule, bien que les mises à jour constantes des systèmes d’autonomie à partir du niveau

3 leur permette de déroger à cette règle ; décote de 40% par rapport aux équipements d’un constructeur

premium. Cette valeur est ensuite ajustée aux prestations spécifiques au produit de Renault. Tesla étant le

seul constructeur à avoir à la fois développé un des systèmes les plus performants du marché et fait

l’annonce détaillée des tarifs de tous ses systèmes jusqu’à la complète autonomie, il est naturel qu’il soit

utilisé pour benchmark dans l’analyse de la valeur client :

- AD 1.0 enhancement offre des prestations similaires à la première version de l’Autopilot

commercialisé sur les premières générations de Model S (2014)

- AD 2.0 L3 et AD 2.1 correspondent à l’Enhanced Autopilot, dont le déploiement est en cours

- AD 3.0 correspond davantage au Full Autopilot prévu pour 2018

Un indice de profitabilité basique a ensuite été calculé pour chacun de ces systèmes lors des comités

exécutifs où ces sujets ont été traités, comme reproduit dans la figure ci-dessous. Le critère de rentabilité

adopté par Renault pour adopter un projet stipule que la valeur client doit être égale à au moins deux fois

le PRF. Il est tout d’abord frappant de constater que tous les systèmes, à l’exception notable de l’AD1.0 et

de l’AD3.1 ne franchissent pas l’indice de profitabilité minimal : le niveau 2 est rentable, un système

d’autonomie conduisant la voiture sur tout type de route avec des degrés de délégation variant en fonction

de l’environnement rencontré est rentable, mais tous les systèmes intermédiaires présentent un équilibre

coût – valeur défavorable.

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Figure 16 Positionnement Valeur / PRF des systèmes d'autonomie développés par l'Alliance Renault-Nissan

Un deuxième constat immédiat est le meilleur équilibre coût / valeur de l’AD 2.0 L3 par rapport à

l’AD2.1, qui pâtit énormément de ses coûts importants, pour une valeur client jugée peu supérieure, ce qui

a engendré une double contestation de la part notamment des équipes du Campus AD du plateau de Saclay,

travaillant sur AD2.1 :

- Une discussion sur la définition du niveau 3, autour du document du WP 29 a d’une part été tenue73.

Les niveaux d’exigences du niveau 3 et du niveau 4 ont en fait été relevés, et les interprétations

précédentes ne pouvaient plus avoir cours : si auparavant il subsistait un doute sur la présence

(obligatoire) de MRM dans les systèmes de niveau 3, ce qui avait conduit à l’interprétation

répandue que la MRM était le marqueur faisant passer un système du niveau 3 vers le niveau 4, ce

document l’avalisait. Car le niveau 4 devenait une forme de niveau 5 limitée dans son usage à

l’autoroute, c’est-à-dire un système capable de gérer ambulances, zones de travaux, agents de la

circulation, etc. en d’autres termes l’ensemble des situations pouvant se présenter sur une autoroute

ou une voie à accès réglementé. Dès lors le système de niveau 4 de Renault ne peut plus que

difficilement comprendre des « quick ends » (takeover requests laissant 10 secondes au conducteur

pour reprendre la main avant de lancer une MRM), sous peine de devenir un système de niveau 3.

Et ce même s’il offre un concept de sécurité bien plus performant et des demandes de reprises en

main laissant beaucoup plus de temps pour réagir à un conducteur que l’immédiateté du takeover

dans un système de niveau 3 de base. Eradiquer ces quick ends demanderait cependant de savoir

gérer des situations qui, s’il était prévu qu’elles soient identifiées, ne devaient pas être gérées par

73 Voir p. 24 et annexe 1 bis

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le mode AD de la voiture, ajoutant ainsi une complexité technique supplémentaire importante à un

produit déjà grevé d’incertitudes. Une autre possibilité consisterait à développer une

communication avec l’infrastructure efficace et fiable. Mais cela ajouterait cette fois-ci une

complexité organisationnelle semblant insurmontable, puisqu’il faudrait passer des accords avec

tous les concessionnaires autoroutiers de chaque pays où la commercialisation est prévue. La

solution pour développer un véritable système de niveau 4 fera sans doute appel à une augmentation

des performances intrinsèques du software ainsi qu’à une connectivité VtoX74 accrue, mais cela

risque de prendre du temps. Pour ces raisons, mais également pour permettre d’assurer un time to

market réduit, il fallait de toute manière, et impérativement, sortir le système en niveau 2, voire en

niveau 3 pour ensuite, une fois les validations requises effectuées, le mettre à jour en niveau 4.

- Une demande d’explication puis une remise en cause du calcul de la valeur client ensuite, dont le

benchmark n’est pas considéré comme satisfaisant : le concept de sécurité de Tesla est, force est de

le constater, bien moins exigeant que celui proposé par Renault dans le développement du système

AD2.1. Bien qu’il soit naturel et prudent d’appliquer au calcul d’un chiffre aussi important une

méthode efficace, qui a fait ses preuves, pour la conduite d’un tel projet, la difficulté consiste en

effet ici à trouver un benchmark de qualité, un système développé par un concurrent dont on

connaîtrait les caractéristiques, qui aurait déjà été mis sur le marché, et qui offrirait des prestations

en tout point semblables au produit développé. S’agissant cependant d’une innovation amorçant

une rupture dans l’industrie automobile, ce benchmark idéal est ici rare voire inexistant : de par sa

méthode de développement iconoclaste, le produit de Tesla ne saurait offrir les mêmes promesses

ni les mêmes bénéfices au client actuel ou futur. Il en va de même pour d’autres constructeurs, dont

on ne connaît, pour la plupart d’entre eux, pas les produits, à l’exception notable des équivalents

de l’AD1.0, pour la bonne raison qu’ils n’ont pas encore été mis sur le marché. De plus, chaque

constructeur ayant pu forger son propre concept de sécurité, sa propre promesse de valeur au client,

certains désirant offrir dès que possible à leurs clients une conduite « eyes-off », d’autres

privilégiant l’extension des scènes de conduite compatibles, fût-ce au prix d’une nécessaire

supervision du conducteur, chaque constructeur interprétant de manière différente des niveaux

d’autonomie dont les spécificités peuvent changer, il semble illusoire de trouver un tel benchmark

chez quelque constructeur que ce soit. Une analyse repartant de la définition même de la valeur

client, c’est-à-dire des avantages, estimés en euros, que la conduite autonome apporte concrètement

au client, est donc nécessaire. Cette analyse a d’ailleurs été amorcée par la direction de la Valeur

74 Vehicle to X ou communication avec X, X pouvant représenter l’infrastructure (VtoI), ou un autre véhicule (V2V) par exemple

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Client, qui envisageait d’estimer la valeur de la quantité de temps récupéré par un client ayant activé

le mode eyes-off par des multiples de comparables : un exemple de valorisation mettait sur le même

pied la willingness to pay pour 1h d’AD2.1 et pour 1h de personnel de ménage (il s’agit, après tout,

de se libérer du temps dans les tâches ingrates). Au-delà de cette ébauche, de nombreuses questions

restaient cependant ouvertes : qui seraient les clients d’une telle voiture (la valeur client dépendant,

à notre sens, du profil sociologique de l’acheteur et de sa propension à l’innovation), du cadre dans

lequel cadre il utiliserait le mode autonome (si 1h de parcours en mode AD pour se rendre au travail

permet de commencer sa journée, par exemple en traitant ses mails, a sans doute une valeur

s’approchant du salaire horaire de l’employé, 1h de parcours en mode AD pour se rendre en

vacances est moins productive et sans doute moins aisément valorisable) et surtout, combien de

temps passeraient-ils en mode autonome et quelle serait la qualité de ce temps (serait-il entrecoupé

de reprises en main fréquentes ou non ?) C’est pour répondre à ces questions que nous avons

développé une méthodologie trouvant ses origines dans le retex des recherches sur le VE, faisant

intervenir indirectement l’utilisateur dans le calcul de la valeur client, par l’analyse de ses usages

quotidiens et occasionnels, que nous détaillerons dans notre analyse.

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Note bibliographique

Plan de la Note Bibliographique :

III. Gestion des incertitudes dans un projet d’innovation technologique radicale validée

de manière déterministe

1) Définition des termes

2) Management des incertitudes en phase amont

3) Management des incertitudes en phase de développement de nouveau produit

IV. Conséquences réciproques d’une démarche de conception à validation déterministe

sur les modèles d’adoption d’une innovation de rupture

1) Facteurs intrinsèques aux innovations influençant leur diffusion

2) Le rôle de l’utilisateur dans la conception

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Cette note a pour but de recenser les références majeures des sujets traités dans le cadre de notre

mémoire. Elle ne couvre pas la totalité des références de ce mémoire, mais nous avons tâché de détailler

dans le reste de ce document ce qui n’était pas expliqué ici.

Cette note s’articule autour de deux sujets majeurs : dans un premier temps, la gestion des incertitudes

dans un projet d’innovation radicale technologique validée de manière déterministe ; dans un second temps,

les dynamiques de conception et d’adoption.

I. Gestion des incertitudes dans un projet d’innovation technologique radicale validée

de manière déterministe

1) Définition des termes

Innovation radicale :

Le terme d’innovation radicale fait écho à un article de C. Christensen de 1955, Disruptive

Technologies : Catching the Wave. La définition la plus précise donnée par C. Christensen lui-même vient

de son ouvrage de 1997, The innovator's dilemma: when new technologies cause great firms to fail :

"Generally, disruptive innovations were technologically straightforward, consisting

of off-the-shelf components put together in a product architecture that was often simpler

than prior approaches. They offered less of what customers in established markets wanted

and so could rarely be initially employed there. They offered a different package of

attributes valued only in emerging markets remote from, and unimportant to, the

mainstream."

C. Christensen fait la différence entre « low-end disruption » qui cible des clients qui n’ont pas

besoin de l’intégralité des attributs d’un produit dédié aux segments supérieurs du marché (exemple :

compagnies aériennes low-cost), et « new-market disruption », qui cible les clients dont les besoins ne

peuvent pas être satisfaits par les produits existants. Les innovations radicales « low-end », lorsqu’elles sont

des succès, suivent, selon C. Christensen, une trajectoire de repositionnement comme illustrée sur la figure

suivante :

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Figure 17 La trajectoire des low-end disruptions au cours du temps

Incertitude :

L’incertitude est l’impossibilité pour une personne, ou une organisation, de connaître ou de prévoir

un fait, un événement qui la concerne; ainsi que le sentiment de précarité qui en résulte. Dans le cadre du

management de projet, l’incertitude est couramment classifiée sur la base du travail de C. Loch entre

variation, known-knowns, known-unknowns, and unknowns-unknowns. Mais nous aborderons dans cette

note une répartition plus fine, afin de mieux comprendre la complexité de la validation déterministe.

La notion de validation déterministe est liée à la charge de la preuve. En validation déterministe,

l’entreprise qui développe le produit doit prouver qu’elle a fait tous les efforts nécessaires pour valider un

niveau d’exigence requis avant de lancer son produit sur le marché. L’exemple le plus parlant est sans doute

le nucléaire : on ne peut mettre en service une centrale sans avoir étudié tous les scénarii possibles, et avoir

préparé une parade pour chacun d’eux, en amont. A l’inverse, une application mobile peut être lancée en

version bêta et améliorée au cours du temps, après son lancement. La validation déterministe se caractérise

donc, pour le développement d’innovations radicales technologiques, par un processus de validation pré-

lancement très lourd, car le plus exhaustif possible, comme dans l’industrie pharmaceutique.

Uncertainty continuum :

Pour faire face à ces exigences de preuve en amont du lancement, une classification de l’incertitude

sur la base du degré de prévisibilité a été proposée par Schlensinger, Kiefer, & Brown (Just Start: Take

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Action, Embrace Uncertainty, Create the Future, 2012). Elle se prête bien aux incertitudes liées aux

situations rencontrées par un véhicule autonome :

- Completely predictable : caractérise une situation dont l’évolution est tout à fait prévisible en

fonction des lois de la physique (exemple : la distance de freinage d’un véhicule autonome, tous

les paramètres étant connus, sur une piste d’essai, sans aucun obstacle)

- Predictable through probability : caractérise une situation dont l’évolution peut être prédite grâce

à des statistiques, avec un niveau de précision connu ; des scenarii extrêmes non représentés dans

les analyses statistiques peuvent cependant survenir (exemple : le nombre de voiture arrivant à un

péage en fonction d’une heure de la journée, sur le modèle d’une loi de Poisson)

- Predictable through other analythic methods : caractérise une situation dont l’évolution peut être

prédite grâce à d’autres méthodes (théorie du chaos, simulation informatique, …). La prédiction

est en générale plus imprécise et le niveau de précision est souvent inconnu (exemple : la possibilité

pour les capteurs d’un véhicule autonome de ne pas percevoir un obstacle sur la route en fonction

du contexte, par simulation : luminosité, météo, inclinaison de la route, taille de l’obstacle, couleur

de l’obstacle…)

- Predictable through pattern recognition, experience and the like : caractérise une situation dont

l’évolution peut être prédite grâce à l’expérience, ou par analogie avec d’autres modèles

(l’identification d’un obstacle par un véhicule autonome, basée sur l’apprentissage effectué sur le

traitement des données collectées par les capteurs)

- Not predictable but you can say what can’t happen : caractérise une situation dont l’évolution ne

peut être prédite mais certains cas peuvent être éliminés avec un fort degré de certitude (exemple :

lorsqu’un véhicule autonome s’engage sur l’autoroute, il est très peu probable qu’il ne rencontre

pas certains types de véhicules : engins agricoles, avions privés, …)

- Completely unpredictable : caractérise une situation dont l’évolution ne peut-être

prédite, (exemple : un trou qui se forme sur la route suite à l’explosion d’une conduite d’eau ou

d’une poche de gaz sous la chaussée)

Cette compréhension de l’incertitude ne mentionne pas directement les unknows-unknowns. En

effet, dans le cadre d’une validation déterministe, seuls les known-unknowns peuvent être pris en compte,

puisqu’il s’agit de prévoir une solution a priori aux problèmes que l’on sait que l’on peut rencontrer.

Uncertainty Framework :

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Un autre modèle a été développé par H. MacManus et D. Hastings, sur les types d’incertitudes ainsi

que les risques qui y sont associés, les manières de les approcher, et les bénéfices qu’une approche

d’anticipation peut apporter au produit développé (A framework for understanding muncertainty and its

mitigation and exploitation in complex systems, 2005).

Le modèle est donc construit sur les notions suivantes :

- Uncertainties are things that are not known, or not precisely.

- Risks are pathologies created by the uncertainties that are specific to the program in question

- Mitigations are technical approaches to risk minimization.

- Outcomes are attributes to the system that the user may find valuable, specifically those which

quantify, or at least characterize, its interaction with uncertainties

Dans ce modèle, les incertitudes sont différenciées entre :

- Le manque de connaissance : Facts that are not known, or are known only imprecisely, that are

needed to complete the system architecture in a rational way.

- Le manque de définition : Things about the system in question that have not been defined or

specified

- Les variables caractérisées par des statistiques : Things that cannot always be known precisely but

which can be statistically characterized, or at least bounded

- Les known-unknowns

- Les unknown-unknowns

Une autre manière d’envisager les incertitudes est celle de Leifer et al. (Radical Innovations : How

Mature Companies Can Outsmart Upstarts, 2000). Dans son étude du cas DuPont Biomax, Leifer et al.

mettent en avant les difficultés que peut rencontrer un projet d’innovation radicale :

“The abundance of project discontinuities […] makes this project life cycle appear

like chaos punctuated occasionally with periods of manageable, routine uncertainty.

Discontinuities influenced the project’s funding, staffing, tasks, management

requirements, and relationship to the larger organization. For example, one of the most

promising agricultural application disappeared because of an internal squabble within

the lead customer’s organization. As a result, the project went from a full-time project to

a skeleton crew working part-time. The project team struggled to find the next market

opportunity and barely survived on the minimal, life-support-level funding”

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De cette expérience, Leifer et al. concluent qu’il existe quatre dimensions d’incertitude, qui sont

les suivantes :

- Incertitude technologique (“This included issues related to degradability, biodegradability,

formulation to achieve appropriate degradation characteristics, and manufacturability of the

material and end products”),

- Incertitude de marché (“The market was inundated by market uncertainties related to a number of

applications, the actions of potential internal and external customers, and decisions by government

agencies about environmental regulations”),

- Incertitude organisationnelle (“The project had three distinctly different homes and passed through

the hands of a changing cast of laboratory scientists, technicians and project champions”),

- Incertitude de ressources (“Financial support, provided by a variety of internal sources, fluctuated

throughout the project”)

Pour cette note bibliographique, nous retiendrons donc, comme synthèse des trois modèles

présentés précédemment, sur la base du modèle de C. Loch, la classification de Leifer et al. pour les

incertitudes qui concernent les projets d’innovations technologiques radicales de manière générale. Pour

l’incertitude technologique, au cœur de notre sujet, nous utiliserons les niveaux d’incertitude suivants, qui

sont une synthèse des modèles de Schlensinger, Kiefer, & Brown et de H. MacManus et D. Hastings :

Known-

unknowns

Prévisible avec exactitude

Variables caractérisées par des lois

mathématiques/physiques

Prévisible avec une précision

connue Variables caractérisées par des lois statistiques

Prévisible avec une précision

inconnue mais estimable Variables caractérisées par des lois probabilistes

Prévisible avec une précision inconnue, non estimable, et sans pouvoir exclure des

configurations ou évolutions possibles de la situation

Unknown-

unknowns

Scenarii non définis ou non abordés

Manque de définition (pouvant devenir des

known-unknowns)

Scenarii imprévisibles

Table 1 Les différents types d'incertitude

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Risque technique :

Le risque technique est l’impact que peut avoir un changement lié à une solution technique qui ne

fonctionne pas comme prévu sur un projet, un système ou une infrastructure.

Le risque technique est un facteur récurrent de dépenses excessives et de retards sur un projet.

Théoriquement, le risque technique doit être mesuré avant la décision d’investir ou non dans un projet, pour

concentrer les efforts sur les technologies les plus risquées. Pour mesurer le risque technique, il faut

envisager les briques techniques de manière indépendantes, mais aussi l’intégration de ces briques entre

elles, l’interaction entre le produit et son environnement (infrastructure, …), et la manière de produire à un

coût raisonnable.

Le risque technique global d’un produit dépend donc du degré de maturité des briques techniques.

La maturité technique se mesure sur une échelle inventée, à l’origine, par la NASA, comme indiquée sur le

schéma suivant :

Figure 18 Technology readiness levels (TRLs) as defined by the NASA

2) Management des incertitudes en phase amont

Processus de développement des innovations radicales technologiques

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L’incertitude, dans un projet, peut être appréhendée et gérée depuis l’idée de départ jusqu’à la

commercialisation. Nous nous concentrons dans cette partie sur la phase amont. Nous tenterons d’associer

plusieurs modèles existant dans la littérature pour mettre en avant les méthodes de management des

incertitudes dans cette phase amont qui sont aujourd’hui à disposition des décisionnaires sur les innovations

radicales.

Ce que nous appelons ici phase amont d’un projet correspond aux deux premières étapes du modèle

de processus de développement des innovations radicales de Meristö et al, ce qu’il appelle foresight et

concept development R&D (Managing the Uncertainty of the Future in the Business-Driven Innovation

Process, 2006). Cela représente à la fois l’étape où le processus d’innovation se met en route (soit parce

que le marché exprime des demandes non satisfaites ou du fait d’innovations concurrentes, soit par l’arrivée

de nouvelles technologies, soit par l’évolution des législations, ou tout simplement sur idée des

collaborateurs), mais aussi l’étape de génération du concept de produit/service innovant. Viennent ensuite

les étapes de développement de produit, puis de commercialisation (Voir figure 3).

Figure 19 Framework of development process for radical innovations

La phase amont regroupe les étapes clés qui permettent de trier les projets, tout en prenant en

compte le fait que la recherche et la stratégie marketing ne travaillent pas sur des horizons de temps

similaires. Cet écart en termes d’horizon temporel est d’autant plus important qu’on parle d’innovation

radicale, par opposition aux innovations incrémentales. L’idée de Meristö et al était donc de développer un

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modèle de guidage de l’innovation pour aider les entreprises à investir sur les bons projets d’innovation

radicale tout en limitant les incertitudes.

D’après Meristö, les incertitudes pouvant devenir des facteurs d’échec pour une innovation radicale

doivent être identifiés et, dans la mesure du possible, pendant cette phase amont, avant même le

développement du nouveau produit.

Meristö n’identifie pas d’autres dimensions d’incertitudes que celles mises en avant par Leifer et

al. Pour traiter ces incertitudes et aboutir à un concept de produit innovant intéressant pour le client et pour

l’entreprise, Leifer et al. proposent d’utiliser les processus classiques de sélection de projets en entreprise.

Il identifie trois étapes méthodologiques : i) la génération d’idée, qui n’aboutit souvent pas pour cause de

mauvaise communication des idées (idées solitaires qui n’essaiment pas), ii) la reconnaissance des

opportunités, c’est-à-dire du potentiel de création de valeur, qui requiert d’impliquer des personnes qui

viennent de l’extérieur du cercle de chercheurs ou d’ingénieurs travaillant sur le sujet, iii) et l’évaluation

initiale, c’est-à-dire le processus par lequel une entreprise va décider d’investir ou non sur le projet, en

faisant des hypothèses sur l’évolution de la technologie, du marché, et de l’organisation, en pointant du

doigt que l’incertitude de marché élevée pour les innovations radicales rend cette dernière étape

particulièrement difficile.

Modèle NCD

Comprenant les difficultés des projets d’innovations radicales à passer ces trois étapes classiques,

Koen et al. ont proposé un modèle de réflexion itératif appelé New Concept Development (NCD) model. Il

est construit en cinq phases (Voir figure 4). Les flèches représentent les deux entrées possibles pour un

projet. Koen et al. recommandent de commencer par l’identification de l’opportunité, et non par la

génération d’idée, sur un modèle plus proche du design thinking. Cela doit permettre de réduire l’incertitude

de marché, en ne sélectionnant pas des opportunités sans marché, mais également l’incertitude

technologique, organisationnelle, et de ressources, en ne sélectionnant pas des idées irréalisables sur ces

différents points. L’itération s’arrête lorsque le concept défini permet de lancer un nouveau produit (NPD

= New product development), sur la base de l’analyse d’opportunité et de la sélection d’idée, ou en

TechStageGate (Voir la deuxième sous-partie)

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Figure 20 The New Concept Development (NCD) model

Modèle NCD amélioré :

Sur la base de ce modèle NDC, J. Paasi et al. (Managing Uncertainty in the Front End of Radical

Innovation Development, 2007) ont développé des outils pour préciser les étapes du modèle NCD et limiter

encore les incertitudes de marché, technologiques, et les incertitudes liées aux ressources et à l’organisation.

Voici donc le modèle auquel ils aboutissent : Voir figure 5

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Figure 21 Modèle NCD amélioré

Le premier outil, nommé Opportunity Balance Matrix est un outil d’identification et d’analyse des

opportunités pour révéler les incertitudes de marché (comprenant l’environnement réglementaire et social)

et technologiques. L’objectif est de lister les caractéristiques de chaque opportunité selon les critères

suivants : environnement technologique, évaluation spécifiques des technologies, environnement marché,

besoins marché, concurrence, groupes d’influence, environnement politique, environnement social et

sociétal, écologie. Pour chaque thème, l’entreprise doit faire l’effort de lister entre trois et dix facteurs de

décisions, et les évaluer sur une échelle de 1 à 5 en fonction des différents scénarii futurs possibles (pire

scénario, scénario le plus plausible, meilleur scénario possible), en accordant à chaque scénario un poids

correspondant à sa probabilité. Le niveau de risque doit aussi être pris en compte pour chaque scénario. Un

début d’exemple est donné dans le tableau suivant : Voir table 2.

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Table 2 Exemple d'Opportunity Balance Matrix (OBM)

Un deuxième outil est également proposé pour identifier et gérer les incertitudes liées aux réseaux

(partenaires, fournisseurs, …). Il permet d’évaluer les différents collaborateurs potentiels sur des critères

identiques pour évaluer leurs forces et faiblesses. Le format doit bien sûr être adapté aux contraintes du

projet : Voir Table 3.

Table 3 Exemple de tableau d'évaluation du réseau de partenaires, fournisseurs, etc.

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Enfin, un troisième outil est conçu pour la sélection d’idées dans le cas d’innovations

technologiques radicales, orienté vers les incertitudes organisationnelles et de ressources. Cette étape doit

permettre de décider si l’innovation considérée va aboutir au développement d’un nouveau produit, ou s’il

faut envisager un Tech stage gate pour cette technologie, ou s’il faut plutôt l’abandonner. L’outil est

construit en deux parties qui correspondent à deux étapes de la réflexion. La première phase est qualitative

et porte sur les avantages du produit, l’attrait pour le marché et les retours financiers par rapport aux risques.

La deuxième phase est qualitative également et vise à assurer l’alignement du projet avec la stratégie de

l’entreprise, ses compétences, ses ressources humaines, en prenant en compte la faisabilité technique, afin

d’identifier les incertitudes organisationnelles et les incertitudes de ressource :

Table 4 Exemple de table de décision pour la sélection d'idées d'innovations technologiques radicales

Toujours dans le cadre de la sélection d’idées, R. Macgrath & I. MacMillan ont conçu une

méthodologie pour décider si une idée mérite d’être développée, sur la base du real options reasoning.

Dans leur article Assessing Technology Projects Using Real Options Reasoning (2000), la valeur

potentielle d’une technologie est estimée qualitativement en comparant les risques et les opportunités de

commercialisation et de production. Chacun de ces deux aspects est fragmenté en de nombreux critères et

sous-critères, comme expliqué en figure 6. Pour qualifier chacun des sous-critères, les auteurs

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recommandent de sélectionner une équipe diverses (en termes de métiers et de compétences notamment),

et de donner une note de 1 à 7 à chaque sous-critère. Le manager fait ensuite la moyenne des notes et peut

déterminer si l’idée doit être sélectionnée ou non, en comparant la note moyenne du potentiel commercial

de l’idée et de son coût de commercialisation. La liste complète des sous-critères à évaluer sur une échelle

de 1 à 7 est disponible en annexe 1. Cette méthodologie est nommée STAR pour Strategic Technology

Assessment Review.

Figure 22 Critères d'évaluation d'une technologie

3) Management des incertitudes en phase de développement de nouveau produit

Management de l’incertitude dans le cadre d’une technologie non suffisamment mature pour le

développement d’un nouveau produit

Technology Stage Gate :

Le modèle NCD apporte une nuance par rapport au modèle de Meristö sur l’issue de la phase amont.

Là où Meristö envisage soit le développement d’un nouveau produit, soit l’arrêt du processus, le modèle

NCD envisage une autre option : le Technology Stage Gate (TSG). Le TSG est une méthodologie décrite

initialement par Eldred & Shapiro (Technology Management, 1996) et Eldred and McGrath

(Commercializing New Technology—I., Research Technology Management, 1997), pour gérer par la

planification le développement d’une technologie sans freiner la créativité nécessaire à l’évolution de la

technologie vers un produit ou un service. Le TSG est donc un concept qui se situe entre la fin de la phase

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amont et le développement d’un nouveau produit, afin d’amener une technologie à un niveau de maturité

suffisant pour lancer un produit. Contrairement aux processus classiques de management de la technologie,

dans la méthodologie TSG, on part du principe qu’on ne sait pas où va mener la technologie, et on raisonne

par jalons successifs. A chaque jalon, de nouveaux objectifs sont définis pour les jalons à venir.

Le TSG est un processus qui comporte six éléments, comme représenté en figure 6 : (a)une charte

pour le projet, (b) un procédé de suivi de la technologie, (c) un comité de pilotage de la technologie, (d)

un planning structuré, (e) une équipe de développement, (f) et un chef de projet.

Figure 23 Les éléments du Technology Stage Gate (TSG)

La charte définit les objectifs et l’ampleur du projet et garantit par un document écrit l’alignement

entre la stratégie de l’entreprise et le projet. C’est un moyen simple mais très efficace pour réduire les

incertitudes organisationnelles. Elle est idéalement écrite par le chef de projet, des membres de la direction

stratégique, des membres du comité de pilotage de la technologie et les membres clés de l’équipe de

développement. Elle stipule les objectifs technologiques, les hypothèses et les risques techniques,

marketing, et de régulations associés aux efforts de développement les ressources allouées et le temps dont

dispose le projet avant le premier jalon (technology review 0, TR0). La charte doit être écrite avant le début

de toute activité de développement de la technologie, et c’est à cette condition qu’elle permet d’économiser

le temps et les efforts de l’équipe projet. Une structure de charte est disponible en Annexe 5.

(a)

(c) (b)

(d) (e)

(f)

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Le comité de pilotage de la technologie doit compter des personnes ayant une expérience business,

mais est en majorité constitué d’une équipe d’ingénieurs centrée sur la technologie. Idéalement, le

marketing, la stratégie, la R&D ainsi que des experts externes sont représentés dans ce groupe qui est

responsable des décisions de go/no-go à chaque jalon. Pour s’assurer que l’équipe de développement du

projet s’attaque aux problèmes ardus, la revue de l’avancée technologique par les pairs à chaque passage

de jalon est très efficace, selon les auteurs. C’est pour cela qu’ils recommandent également de faire appel

à des experts externes pour faire part du comité de pilotage de la technologie (TRC).

Au niveau des réunions de décisions (go/no-go), la méthode TSG propose un planning pour une

revue technologique typique : Voir figure 8.

Figure 24 Planning typique pour une revue technologique

La technology review (première partie) a pour but de déterminer l’avancée de l’équipe de

développement en termes de qualité scientifique. La business review (seconde partie) a pour but d’exposer

à tous les dernières informations sur le marché et l’environnement. A la fin de chaque revue technologique

du TRC, une décision doit être prise, soit d’investir plus, soit de rediriger le projet, soit d’arrêter

l’investissement.

Le procédé de suivi de la technologie est tourné vers l’anticipation des prochains jalons : sur la base

de l’évolution actuelle de la technologie, quels efforts faut-il faire et quels objectifs faut-il viser pour

correspondre à la charte ? A ce sujet, chaque membre de l’équipe de développement est invité à faire une

estimation du nombre de jalons nécessaires pour arriver à l’objectif de la charte. Les auteurs identifient trois

facteurs qui pourraient mener à l’arrêt du projet dans le cadre du suivi de la technologie, et inciter

l’entreprise à se concentrer sur un autre projet à risque, auxquel il est sans doute possible d’en ajouter un

quatrième (en italique) :

- Si, au bout de 6 mois, l’équipe de développement n’a pas trouvé une réponse à un problème critique

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- Si toutes les possibilités envisagées (ayant fait l’objet d’un accord à une précédente revue

technologique) pour tenter de résoudre un problème précis n’ont pas abouti, et qu’aucune autre

piste ne se dégage

- Si la probabilité de succès chute fortement suite aux apprentissages effectués jusqu’ici dans le

projet, ou à cause de facteurs liés à la sécurité ou au coût

- Si, la probabilité de succès chute fortement à cause de facteurs extérieurs (régulation, etc.)

Pour le suivi de la technologie, les auteurs proposent d’appliquer la méthode STAR mentionnée

plus haut, à chaque jalon. A la fin du processus TSG, la dernière revue technologique TRN a pour but

d’assurer le transfert de la technologie en phase de développement d’un nouveau produit. Dans les cas où

l’innovation en question s’inscrit dans un écosystème de partenaires, le travail sur le transfert au

développement produit commence plus en amont.

Enfin, pour suivre l’avancée du projet de manière générale, les auteurs recommandent que le chef

de projet ou le TRC construisent et communiquent régulièrement sur une matrice développement/potentiel,

comme illustré sur la figure 9.

Figure 25 Exemple de matrice Développement/Potentiel

Management de l’incertitude en développement d’un nouveau produit

Dans cette sous-partie, nous nous plaçons maintenant à la phase de développement du nouveau

produit, c’est-à-dire en sortie de phase amont ou en sortie de TSG. C’est pendant cette phase que le projet

est réellement lancé. Le développement du produit doit aboutir à la commercialisation. Lors de cette phase,

toutes les différentes catégories d’incertitude persistent : incertitude technologique, incertitude de marché,

incertitude de ressources et incertitude organisationnelle. Idéalement, pour cette phase, les incertitudes

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organisationnelles et de ressources ne devraient plus exister : une fois que le projet d’innovation radicale a

été soigneusement sélectionné pour son potentiel, il devrait bénéficier de l’investissement et des ressources

requis. Cependant, de nombreux projets sont lancés en phase de développement de produit sans que le

travail d’analyse ait été fait, pour toutes sortes de raisons. Dans leur article, R. Macgrath & I. MacMillan

estiment que les entreprises investissent actuellement dans un trop grand nombre de projets, bon nombre

d’entre eux n’ayant pas lieu d’être. Il nous faut donc de nouveau explorer les méthodes de gestion des

incertitudes des quatre types pendant cette étape de développement d’un nouveau produit.

Mr Optimizer vs Mr Skeptic :

Dans le cadre de projet d’innovations, Klein & Meckling (Application of OR to development

decisions, 1958) opposent deux paradigmes de méthodes de management. Le premier paradigme,

personnifié par le manager Mr. Optimizer dans l’ouvrage de Klein & Meckling, requiert une analyse

préalable de l’environnement actuel, une analyse systématique de toutes les options possibles, la

comparaison de ces options, et ensuite le choix de la meilleure option en prenant en compte les risques du

projet, notamment techniques. Vient ensuite la planification pour atteindre l’objectif, typiquement sur un

modèle PERT (Program Evaluation Review Technique)

Face à ce premier paradigme, Klein & Meckling en proposent un second, celui de Mr. Skeptic.

L’importance n’est plus donnée à l’analyse en amont mais l’expérimentation : Mr. Skeptic veut savoir ce

qui marche, et ce qui ne marche pas :

“Under this stage, he has little confidence in his estimates of the possible cost of

producing the various types of bombers that might be developed. He is more immediately

concerned with the cost of getting some development under way that will give him better

information on these matters”

“In brief, Mr Skeptic’s strategy reflects a deliberate effort to keep his program

flexible in the early stages of development, so that he can take advantage of what he has

learned […] He tries to keep the various subprograms nonspecialized so that each will

be compatible with a wide range of others.”

Klein & Meckling comparent ensuite ces deux approches en fonction des incertitudes qui peuvent

planer sur un projet d’innovation technologique. Pour montrer que l’approche de Mr. Skeptic est plus

adaptée que celle de Mr. Optimizer à ce genre de projet, ils donnent l’exemple d’un jeu où tous deux auraient

pour but de développer une certaine capacité et une certaine performance avant une date fixe, avec les

résultats suivants :

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Résultat de l’analyse de Mr. Optimizer Conséquence et vainqueur

Mr. Optimizer ne se trompe pas dans son analyse

a priori

Mr. Optimizer est capable de produire 25% moins

cher que Mr. Skpetic

Mr. Optimizer se trompe dans son analyse a priori Mr. Optimizer produit finalement à un coût 2 fois

plus élevé que Mr. Skeptic

La mauvaise performance de Mr. Optimizer lorsqu’il se trompe dans son analyse initiale se justifie

d’après Klein & Meckling par le fait que le changement de stratégie est en général très coûteux pour une

entreprise, à la fois en temps et en ressources financières et humaines, dans son paradigme déterministe.

Pour ce jeu, il faut que Mr. Optimizer ne se trompe dans son analyse a priori qu’une fois sur quatre au

maximum, sinon il est moins efficace que Mr. Skeptic. Or, selon les auteurs, qui étudient dans leur article

la conception du bombardier B-52, la probabilité que Mr. Optimizer doive changer de conception pendant

son projet est tellement forte, sur ce genre de projet d’innovation, qu’il est presque certain que la conception

lui coûtera beaucoup plus cher que Mr. Skeptic, ou qu’il n’arrivera pas à un résultat aussi satisfaisant que

lui.

Par cette analyse, Klein & Meckling, dès 1958, poussent donc les managers de projets d’exploration

travaillant sur des innovations technologiques radicales à adopter des démarches développées plus tard dans

la littérature : les stratégies parallèles, et la conception modulaire.

Méthode de management des incertitudes, Loch et al :

Dans leur livre Managing the Unknown: A new approach to managing high uncertainty and risk

in project (2006), Loch et al. développent un outil de management pour aider les chefs de projets à trouver

les bonnes méthodes de gestion des incertitudes, en fonction des types d’incertitude auxquelles ils font face,

et du niveau de complexité de leur projet : Voir figure 10.

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Figure 26 Modèle des méthodes de management des incertitudes à choisir en fonction du type d'incertitude et de la complexité

Déterminer le degré de complexité

Pour ce qui est de mesurer la complexité, Loch et al. conseillent d’évaluer les interactions au sein

du projet. La complexité est ensuite calculée en multipliant le nombre d’éléments dans le projet par le

nombre d’interactions. Loch et al. définissent trois domaines d’interactions (exemples tirés du livre):

- Le domaine système, dans lequel les composants interagissent (exemple : un composant fournit de

l’électricité à un autre),

- Le domaine des tâches, dans lequel les activités interagissent (exemples : deux tâches impactent le

même système de composants de manière différentes et ne peuvent donc fonctionner

simultanément),

- Le domaine de l’organisation, dans lequel les équipes et les décisionnaires interagissent (exemple :

incompatibilité des objectifs entre deux groupes qui veulent, l’un, de meilleures performance,

l’autre, des coûts plus bas).

Pour chaque domaine, une matrice DSM (Design Structure Matrix) doit être construite. Du fait des

interactions logiques entre systèmes, tâches et organisation, les matrices DSM sont souvent similaires. Sur

l’exemple suivant donné par les auteurs, qui porte sur les interactions dans un projet de système de contrôle

de la température, la première matrice DSM montre les interactions pour les composants des 16 sous-

systèmes. La deuxième montre les interactions entre les tâches, qui sont bien plus nombreuses que celles

pour les composants, et la troisième les interactions entre les groupes et les équipes. Certains membres

d’équipes différentes travaillaient sur des composants identiques, d’où les chevauchements. Une «équipe a

travaillé sur l’intégration de tous les sous-systèmes, d’où les interactions de cette équipe avec toutes les

autres, en simultané. Voir figure 11.

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Figure 27 Exemple des trois matrices DSM identifiant les interactions sur les trois domaines : systèmes, tâches, organisation

Dans l’ouvrage de Loch et al, on ne trouve pas d’exemple de niveaux de complexité.

Déterminer les types d’incertitude

Loch et al. proposent également une méthode d’identification des incertitude non prévisibles : les

unknown-unknowns. Cette méthode demande à l’équipe projet de réfléchir à ce qui est connu et ce qui est

encore inconnu, et de mettre en évidence les manques de connaissances. Car c’est sur les domaines où il y

a des manques de connaissances que sont susceptibles d’apparaître les unknown-unknowns. La méthode

comprend cinq étapes :

1. Identifier la structure du problème : « Comprenons-nous l’objectif global du projet tel qu’il est

défini ? Qui sont les acteurs qui feront que le projet sera un succès ou un échec ? Comprenons-nous

les relations de cause à effet inhérentes au projet ? »

2. Décomposer le problème : Au lieu d’un problème de type « Comment vendre assez ? »,

décomposer en « Quels modules requièrent une attention particulière ? Qui sont les acteurs ayant

un rôle déterminant ? Qui doit être impliqué dans l’organisation ? »

3. Pour chaque sous-problème, identifier les risques : déterminer l’impact des variations de budget,

de planning, de performance, etc sur le projet, et identifier les risques qui doivent être une priorité.

Tout en continuant de chercher les manques de connaissance.

4. Estimer la complexité de chaque brique du projet et celle du projet global

5. Gérer les briques du projet en parallèle en fonction du modèle de méthodes de management des

incertitudes

Cette méthode est résumée en figure 12 :

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102

Figure 28 Méthode pour identifier les unknown-unknowns

Deux approches : sélection and apprentissage

Pour traiter les unknown-unknowns, Loch et al. proposent deux alternatives, et leur combinaison :

la sélection et l’apprentissage. Le choix de stratégie se fait en fonction du niveau de complexité et du degré

d’imprévisibilité sur les incertitudes techniques. La sélection consiste à lancer plusieurs pistes de solutions

techniques et sélectionner celle qui s’avère la plus efficace. Cela peut être réalisé sur un composant d’un

système (tester plusieurs composants), sur un fournisseur ou un partenaire, sur les technologies de

production, sur les caractéristiques des produits qui sont testées (essayer plusieurs combinaisons), sur le

segment de clients ciblé, etc. L’apprentissage a pour but de faire face aux changements de manière agile. Il

requiert de lancer des cycles courts d’expérimentation sur le modèle suivant : construction d’un

prototype/d’une maquette, test client, revue de performance, adaptation, construction d’un autre prototype,

etc. Il est recommandé de changer le positionnement du produit entre les cycles, de changer les niveaux de

performance des technologies et de changer les fournisseurs.

Loch et al. définissent ainsi une méthode pour gérer des incertitudes de tous niveaux de

prévisibilité, en fonction de la complexité du projet.

Forte

complexité

Planning et

Contrôle (Réaction rapide pour

prévenir les

dispersions)

Contrôle et

réaction rapide

Sélection (Expérimentations

parallèles, une fois

que les unknown-

unknowns ont été

identifiés

Apprentissage et

Sélection (Meilleure solution

définie après que les

unknown-unknowns

aient été identifiés)

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Faible

complexité

Planning (avec de la marge

pour s’adapter aux

variations)

Project Risk

Management (Identifier les risques,

prioriser les risques,

gérer les risques)

Project Risk

Management et

planning (avec marges)

Apprentissage par

tests et erreurs (Flexibilité pour

redéfinir le business

plan)

Variations Evénements

prévisibles

Peu d’unknown-

unknowns

Beaucoup

d’unknown-

unknowns

Table 5 Méthode de management des incertitudes prévisibles et imprévisibles

Finalement, Loch et al. concordent avec les recommandations d’Abernathy et Rosenbloom

(Parallel Strategies in Development Projects, 1969), qui définissaient l’approche parallèle comme : “The

simultaneous pursuit of two or more distinct approaches to a single task, when successful completion of

any one would satisfy the task requirements”. Les avantages alors identifies étaient également similaires :

en suivant plusieurs pistes, les managers évitent les risques de se tromper dans une analyse a priori des

différentes pistes pour choisir la meilleure. Le coût de changement est alors plus faible, et la motivation au

sein du projet est également sans doute poussée par un certain esprit de compétition entre les différentes

équipes. Au niveau de l’organisation, l’apprentissage est également plus important. Cette stratégie s’oppose

à l’approche séquentielle, qui choisit une piste, la suit jusqu’à ce qu’on puisse déterminer si c’est la bonne,

et seulement si ce n’est pas le cas, envisage d’autres options. Abernathy & Rosenbloom rejoingnent donc

Klein & Meckling (1958).

II. Conséquences réciproques d’une démarche de conception à validation déterministe sur

les modèles d’adoption d’une innovation de rupture

1) Facteurs intrinsèques aux innovations influençant leur diffusion

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104

Les variables déterminant la vitesse d’adoption chez Rogers75

Dans les parutions successives de Diffusion of Innovations, Rogers fait le constat que le taux et la

vitesse d’adoption des innovations, qu’il définit de manière large en s’appuyant sur la notion de

« nouveauté » comme « an idea, practice, or object that is perceived as new by an individual or other unit

of adoption », présentaient des valeurs variées en fonction des produits, des époques et des système sociaux

concernés. Rogers s’étonne ainsi du formidable succès des calculatrices au milieu des années 70, qui ont

en quelques années fait l’objet d’une diffusion76 massive dans la société, tandis que seuls 3% des foyers

étaient équipés de magnétoscope 8 ans après leur mise sur le marché. Rogers se propose d’établir une base

d’attributs universelle permettant de caractériser et de comparer toutes les innovations, i.e. tout ce qui relève

d’une nouvelle idée, d’une nouvelle pratique, d’un nouvel objet, attributs dont l’analyse permettrait de

prédire la vitesse et le taux final d’adoption à l’aune de la perception, du jugement que les utilisateurs en

formeront. Rogers identifie ainsi cinq « attributes of innovation » fournissant non seulement une grille

d’analyse et de comparaison commune à toutes les innovations et influençant leur vitesse d’adoption :

- Relative advantage, que Rogers définit comme « the degree to which an innovation is perceived as

being better than the idea it supersedes » est corrélé positivement au taux d’adoption. Le relative

advantage d’une innovation correspond au delta d’amélioration qu’elle apporte par rapport à une

situation antérieure, que cette amélioration soit intrinsèque ou extrinsèque, liée par exemple à

certains effets d’incitation77. Rogers caractérise ce « better » par différents agrégats :

o Economic profitability : Bien que Rogers juge sévèrement le courant de l’Ecole de

Chicago, et notamment Griliches, affirmant en 1957 dans une étude sur le taux d’adoption

des semences hybrides que l’acceptation du progrès technologique n’est soumise à long

terme qu’à la profitabilité économique78, il souligne l’évidence qu’une innovation dispose

d’un relative advantage quand elle permet à son adopter de réduire ses coûts à

isoperformance. Rogers inscrit donc certes les adopters dans leur nature d’agents

économiques, mais cherche également à mettre en exergue leur nature d’agents sociaux.

75 ROGERS, Everett, 2003, The Diffusion of Innovations, Chap. 6 “Attributes of Innovations and Their Rate of Adoption”. Fifth Edition. The Free Press, New York 76 “Diffusion is the process by which an innovation is communicated through certain channels over time among the members of a social system”, ibid. 77 “Many change agencies award incentives or subsidies to clients in order to speed the rate of adoption of innovations.(…) Incentives are direct or indirect payments of cash or in kind that are given to an individual or a system in order to encourage some overt behavioral change. Often, the change entails the adoption of an innovation”, ibid. 78 “If Dr. Griliches had ever personally interviewed one of the Midwestern farmers whose adoption of hybrid corn he was trying to understand (instead of just statistically analyzing their aggregated behavior from secondary data sources), he would have understood that farmers are not 100 percent economic men”, ibid.

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105

o Status aspects : Rogers assoit en effet également le relative advantage d’une innovation sur

le statut social qu’il permet d’acquérir aux yeux de l’adopter. Il prend notamment

l’exemple de l’industrie de la mode, dont les adopters fondent leur décision d’achat sur leur

volonté d’appartenance à un groupe social auquel ils prêtent de la valeur, au détriment de

critères utilitaristes (prix et qualité du vêtement). Le relative advantage social d’une

innovation n’est donc pas lié à ses qualités intrinsèques mais au positionnement que

l’innovation permet à son adopter d’afficher.

- Compatibility, que Rogers introduit comme « the degree to which an innovation is perceived as

consistent with the existing values, past experiences, and needs of potential adopters », implique

que plus l’innovation s’inscrit dans un référentiel de valeurs, d’offres et de besoins immédiatement

identifiable par le client qui en est familier, plus le taux d’adoption est important (ou plus

exactement moins la probabilité de non adoption est élevée). Rogers propose une segmentation des

différentes compatibilités propices à la diffusion des innovations :

o la Compatibility with Values and Beliefs, que Rogers agrémente de nombreux exemples

d’innovations dont l’adoption a échoué ou ralentie tant elle ne reposait pas soit sur une

compréhension fine du système de valeurs dans lequel elle était introduite soit parce qu’elle

remettait en cause sciemment ce système de valeur, évoquant l’exemple cher à ses

recherches des agriculteurs américains qu’il affuble d’une culture du rendement qui

freinerait l’adoption de semences protectrices des sols

o la Compatibility with Previously Introduced Ideas, transposition de la compatibility with

values à une échelle plus historique et moins sociologique

o la Compatibility with Needs, qui traduit l’exigence de fit de l’innovation avec un marché

potentiel, c’est-à-dire à un besoin, exprimé et préexistant ou tacite et à susciter

o le push de l’innovation dans un Technology Cluster, c’est-à-dire au sein d’une offre globale

incluant des éléments connus ou aux performances prouvées permettant de légitimer

l’innovation et de l’inscrire dans un référentiel compatible habituel

o le Naming et le Positionning de l’innovation permettent quant à eux de l’inscrire dans des

catégories identifiables et comprises par les cibles.

- Complexity : Rogers met en évidence les recherches de Kivlin79 qui dans le contexte d’un produit

innovant commercialisé auprès d’agriculteurs, émet l’hypothèse que la facilité à comprendre

l’innovation et ses caractéristiques, fortement corrélée à la notion de compatibility qui permet

d’inscrire l’innovation dans un référentiel établi, est tout aussi fondamentale que les relative

79 Kivlin, Joseph E. (1960), Characteristics of Farm Practices Associated with Rate of Adoption, Ph.D. Thesis, University Park, Pennsylvania State University

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advantages du produit, qui ne peuvent logiquement pas apparaître aux clients s’ils ne les

comprennent pas.

- Trialability : Rogers affirme que la vitesse d’adoption d’un produit est plus grande si l’innovation

peut être testée de manière concrète, particulièrement dans les premières phases de la diffusion,

auprès des populations d’early adopters qui ne disposent pas de l’expérience et de la réputation

acquise par un produit au cours de son cycle de diffusion, à mesure qu’il aura été testé à plus grande

ampleur au sein de la population.

- Observability : Parallèlement à la trialability, Rogers explique qu’une innovation se diffuse

d’autant plus rapidement que ses résultats lui suffisent à elle-même, c’est-à-dire que le relative

advantage matériel (produit) ou immatériel (idée) qu’elle engendre s’offre aux yeux de tous de

manière manifeste.

Au-delà de la notion « d’attributes of innovation », Rogers mentionne quatre autres variables dont

dépend la vitesse d’adoption, résumées en figure 13 :

- Type of innovation decision : la vitesse d’adoption d’une innovation ne dépend pas uniquement de

ses attributs mais également des personnes impliquées dans la décision d’achat. Prenant l’exemple

de l’adoption de la purification de l’eau au fluor aux Etats-Unis, Rogers explique qu’il a été prouvé

que les communes soumettant la question à l’avis de leur population par référendum présentaient

un retard dans la mise en place du dispositif par rapport aux communes où la décision avait été

prise de manière monolithique par le maire ou le conseil municipal. Plus le nombre de personnes

impliquées dans la décision d’adoption est important, moins la vitesse d’adoption est donc rapide,

ce qui s’explique de manière évidente par les discussions et négociations qu’une décision collective

nécessite immanquablement.

- Communication Channels : Il s’agit là d’un élément de mix marketing, qui a une influence sur la

vitesse d’adoption, même si le choix du canal de communication peut être contraint par la catégorie

de produit (« compatibility ») dans laquelle l’innovation s’inscrit. Ainsi un clip publicitaire à une

heure de grande écoute sur une grande chaîne de télévision semble tout à fait adapté à

l’augmentation de la vitesse d’adoption d’un produit de grande consommation mais certaines

innovations, plus engageantes de part leur prix, leur complexité ou la radicalité du changement

qu’elles apportent, nécessitent des moyens plus humains et directs pour connaître une accélération

de leur diffusion.

- Nature of the social system : Une innovation n’est pas hors sol, elle se commercialise ou se diffuse

dans un contexte culturel et social spécifique, à des échelles locale ou régionale, qu’il s’agit de

mieux comprendre pour augmenter le « diffusion effect ».

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- Extent of Change Agents' Promotion Efforts : Dans son modèle de diffusion de l’innovation, Rogers

affirme qu’un point d’inflexion fondamental est atteint quand les leaders d’opinion et prescripteurs

traditionnels d’achat commencent à adopter l’innovation et la rendent manifeste publiquement. Une

mobilisation d’ampleur des leaders d’opinion peut avoir un impact considérable sur la vitesse

d’adoption de l’innovation

Figure 13 Ensemble de facteurs influençant la vitesse d'adoption d'une innovation chez Rogers

Les modèles multidimensionnels de valeur client dans la littérature

Parallèlement aux travaux de Rogers sur les attributs influençant la diffusion d’une innovation, de

nombreux auteurs ont développé des modèles généraux, non centrés sur les problématiques d’innovation,

identifiant les dimensions de valeur présidant aux décisions d’achat des clients. Si jusqu’au début des

années 90, la littérature ne recense que des modèles unidimensionnels de valeur, où la seule performance

utilitaire d’un produit présiderait à son adoption par un client, des modèles multidimensionnels de valeur

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proposant des grilles d’analyse plus complexes des critères d’adoption ont été avancées dans la littérature80.

Le constat dressé par certains chercheurs prolonge la prise en compte, bien que limitée, par Rogers de

facteurs exogènes à la performance du bien tels que le statut social conféré par l’innovation dans la

compréhension du « relative advantage » que celle-ci apporte. Comme l’expliquent Sánchez-Fernández et

Iniesta-Bonillo en citant Holbrook81, « shopping trips are not evaluated exclusively on the merits of the

goods or services that are acquired; rather, there are numerous intangible and emotional costs/benefits that

must be allowed for in attempting to understand the activity of consumption ».

En 1991, Sheth, Newman & Gross82 mettent ainsi en avant 5 dimensions de valeur pouvant à des

degrés divers intervenir a priori dans le processus de décision d’achat - transposé au cas d’une innovation,

dans le processus d’adoption – et a posteriori dans l’expérience d’usage du produit, représentées en figure

14 :

- Functional : la dimension de valeur « fonctionnelle » émane des performances intrinsèques du bien

considéré, de son utilité, de ses caractéristiques et capacités

- Emotional : cette dimension regroupe les sentiments engendrés par le bien ou dont la possession

permet la perception. Un produit d’assurance par exemple engendre un sentiment de « peace of

mind » qui dans certains contextes l’emporte sur les réelles performances du produit, qui ne peuvent

qu’être devinées puisque non consommées immédiatement83.

- Social : telle qu’introduite par Sheth, Newman & Gross, cette dimension dépasse, tout en l’incluant,

le « relative advantage derived from status » de Rogers présenté précédemment. La « social

dimension » fait non seulement référence au contexte social dans lequel le produit inscrit l’acheteur,

ou dans lequel ce dernier perçoit être placé, mais également les interactions sociales qui ont amené

un client à prendre une décision d’achat84.

- Epistemic : l’ « epistemic value dimension » fait référence au sentiment de nouveauté généré par

le produit, et, en complément de la « social dimension », au positionnement social que cette

nouveauté confère, i.e. au degré d’acceptation et d’affirmation de la nouveauté que le produit

permet au client de ressentir ou d’afficher.

80 Sánchez-Fernandez R, Iniesta-Bonillo MA. 2007. The concept of perceived value: a systematic review of the research. Marketing Theory 7(4): 427–451 81 Holbrook, M.B. (1986) ‘Emotion in the Consumption Experience: Toward a New Model of the Human Consumer’, in R.A. Peterson (ed.) The Role of Affect in Consumer Behavior: Emerging Theories and Applications, pp. 17–52. Lexington, MA: Lexington Books 82 Sheth JN, Newman BI, Gross BL. 1991. Why we buy what we buy: a theory of consumption values, Journal of Business Research 22(2): 159–170 83 Giesbert L., Steiner S. (2015), Client Perceptions of the Value of Microinsurance : Evidence from Southern Ghana, Journal of International Development, Dev. 27, 15-35 84 Ibid.

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- Conditional : la dimension de valeur « conditional » correspond aux facteurs liés au contexte

d’achat et d’utilisation du produit, ainsi qu’aux éléments spécifiques à certains marchés et certaines

industries qui ne transparaissent pas nécessairement dans les autres dimensions introduites de

manière générique à tous les produits.

Figure 14 Multi dimensionnal Value Perception Model by Sheth, Newman & Gross

Si cette cartographie des éléments dont la perception par le client motive la décision d’achat permet,

en complément de la conceptualisation de la diffusion chez Rogers, de comprendre les facteurs gouvernant

l’adoption des innovations ainsi que l’étendue et la vitesse de leur propagation, ou tout du moins d’en

donner une représentation fonctionnelle et générale, ils semblent cependant présenter certains écueils :

- L’effort de conceptualisation et de généralisation de ces facteurs à toute forme d’innovation ou de

produit permet certes de parvenir à une base de comparaison pour toutes les innovations et tous les

processus d’adoption, mais néglige la spécificité de chaque industrie et de chaque marché, dont les

mécanismes d’adoption ne sont pas nécessairement des combinaisons linéaires des différents

facteurs d’adoption cités mais peuvent faire émerger d’autres vecteurs, d’autres facteurs essentiels

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inclassables ou mal représentés. La dimension « conditional » plébiscitée par Sheth, Newman &

Gross en atteste, puisqu’il s’agit en fait d’une sorte de « pot pourri » de toutes les dimensions

spécifiques à la situation qui auraient été omises par le modèle.

- L’adopter est considéré comme un agent passif, même s’il intervient, pour les innovators et early

adopters, dans le processus de diffusion : on lui soumet une innovation sur laquelle il est certes

amené à se prononcer, à émettre un jugement en fonction de son évaluation des différentes

dimensions de valeur qu’il perçoit, mais la possibilité qu’il intervienne directement dans le

processus de conception ou que l’innovation elle-même puisse subir des modifications à mesure

qu’elle est utilisée n’est pas évoquée.

- Plus généralement, les dynamiques tissant des liens entre d’une part la conception d’une innovation

et d’autre part les facteurs de son adoption ne sont pas investiguées : il s’agit davantage d’analyser

de manière statique, à iso-produit, les mécanismes, les dos and don’ts qui permettent,

lorsqu’implémentés dans un cahier des charges ou une politique de communication, que

l’innovation touche son marché le plus efficacement possible. La possibilité d’aller-retours, au

cours de la conception, entre une innovation et son marché, ainsi que l’évolution correspondante

des dimensions de valeur les plus significatives au cours de la conception, de la diffusion et du

cycle de vie du produit, ne sont pas mentionnées.

2) Le rôle de l’utilisateur dans la conception

Les différents types d’utilisateurs chez Madeleine Akrich

Nous souhaitons ici instruire la question de l’influence de l’utilisateur dans la conception d’une

innovation et dans la capitalisation sur les facteurs accélérant leur adoption et diffusion. Le rôle de

l’utilisateur dans la mise en place d’une innovation dépend à la fois de la place que l’organisation, la

fonction de conception, lui donne ainsi que de son intérêt personnel à développer ces solutions. Madeleine

Akrich85 identifie plusieurs types d’utilisateurs présentant des des positions dans la chaîne de création de

l’innovation et des caractéristiques « d’adopters » différentes :

- L’utilisateur représenté : Akrich explique que l’utilisateur jouit contrairement à une idée reçue

d’une large représentation dans les activités de conception. Comme dans un système politique

85 AKRICH, Madeleine, CALLON, Michel, LATOUR, Bruno (2006) Les utilisateurs, acteurs de l’innovation, Sociologie de la traduction : Textes fondateurs. Paris : Presses des Mines, p. 253-265

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représentatif le citoyen ne vote pas directement les lois, l’utilisateur représenté ne conçoit pas son

propre produit et n’est affublé d’aucun pouvoir décisionnel, mais, dans un processus de conception

qu’il ne maîtrise pas, ses avis sont testés pris en compte et ses réactions sont analysées. Akrich

scinde les modes de représentation de l’utilisateur en deux groupes :

o Les techniques implicites impliquent que les utilisateurs soient indirectement représentés

par les membres de l’équipe du projet concevant l’innovation, qui prendraient appui sur

leur propre expérience de consommateur ou de client potentiel du produit conçu pour

légitimer leurs positions et faire entendre une « voix du client ». Ces équipes peuvent

également faire appel à des experts (sociologues, anthropologues, etc.) connaissant les

populations d’utilisateurs potentiels, et les représentant, en soulignant les difficultés de

« compatibilité » au sens de Rogers auxquelles le produit pourrait être confronté.

o Les techniques explicites au rebours, permettent une représentation plus directe des

utilisateurs potentiels, en sélectionnant un panel, en répertoriant ses attentes, ses réactions

et en recensant ses doléances, en suivant des modus operandi plus ou moins formalisés.

La représentation directe et explicite de l’utilisateur sert souvent d’aide à la décision sur

des phases aussi multiples que localisées du processus de conception, ou encore à infirmer

ou confirmer des hypothèses qui auraient été formulées par des membres de l’équipe projet

- L’utilisateur actif qui est amené à agir sur un produit ou un dispositif déjà existant, en en faisant un

usage non traditionnel ou en l’amendant physiquement. Akrich distingue quatre types d’action post

adoption sur le produit :

o Le déplacement, qui consiste en l’utilisation d’un produit d’une manière non explicitement

anticipée par le concepteur, sans pour autant apporter de modification technique à l’objet.

Akrich donne l’exemple du sèche-cheveux, utilisé non seulement pour sa fonction première

mais également pour réaliser une multitude d’autres taches dont le nombre n’est limité que

par l’imagination de leur utilisateur, par exemple pour faire sécher un vernis ou raviver un

feu. Ces usages non prévus par le concepteur sont parfois, si identifiés et sans solution de

substitution apparente, rétrofittés dans la génération suivante du produit, en améliorant ses

performances en vue de l’usage nouveau, comme en atteste l’exemple des fabricants de

bâtons de ski qui ont su aménager leurs objets pour les rendre plus fonctionnels pour les

randonneurs, qui les avaient déjà adoptés au détriment de bâtons de marche plus classiques

mais qui, bien que leur étant spécialement destinés, répondaient moins bien à leurs besoins

(notamment en termes de poids)

o L’adaptation consiste quant à elle à modifier les caractéristiques techniques du produit pour

faire en sorte qu’il remplisse son office et donc l’usage prévu dans un contexte spécifique,

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que cette modification soit effectuée par l’utilisateur ou bien par le concepteur lui-même

s’il avait estimé que le contexte d’utilisation en question était trop marginal pour qu’une

solution industrielle y soit apportée. Akrich donne l’exemple des kits d’éclairage par

panneaux solaires en Afrique subsaharienne, initialement prévus pour électrifier les foyers,

mais qui ont été adoptés par d’autres utilisateurs, comme des mosquées, en allongeant les

câbles.

o L’extension n’implique pas de modification technique du produit ou de développement de

nouveaux usages mais repose sur l’utilisation d’objets périphériques simplifiant ou

étendant un cas d’usage prévu. Akrich donne l’exemple des poussettes d’enfant que les

parents agrémentent de cartons pour rehausser l’assise ou parent de sacs de course pour les

rendre plus pratiques au quotidien. Comme dans le cas du déplacement, certains fabricants

ont su observer ces usages improvisés et ont proposé des solutions techniques y répondant

plus spécifiquement (mise en place de poignées permettant d’accrocher son sac sur les

landaus)

o Le détournement, dont Akrich situe l’origine dans l’art contemporain, est bien plus radical

que les 3 autres types d’actions d’utilisateurs précédemment expliqués : il consiste, pour

un utilisateur, à utiliser un objet dans un but complètement différent de ce qui avait été

prévu par son concepteur, en oubliant sa fonction première (contrairement au

déplacement), et parfois même en le modifiant techniquement. L’exemple le plus explicite

et patent développé par Akrich est celui des fûts de pétrole découpés puis utilisés comme

tambours par certains musiciens des Caraïbes dans les années 30.

La matrice présentée en figure 15 permet de comprendre que « l’utilisateur actif » dispose de deux

dimensions d’actions, comme cela transparaît dans l’exposé d’Akrich : la modification technique, physique

du produit ou du dispositif, et la modification des usages initialement imaginés par le concepteur.

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Figure 15 Champs d'intervention de l'utilisateur actif chez Akrich

- L’utilisateur innovateur, qu’Akrich inscrit dans une dimension différente des utilisateurs représenté

et actif, qui certes, de par l’observation que les concepteurs en font, participent à une forme

d’innovation incrémentale au fur et à mesure du renouvellement des produits, mais qui ne sont

aucunement à l’origine ou impliqués de manière poussée dans la conception du produit. Akrich

identifie deux types d’utilisateurs innovateurs, où une identification, une bijection se produit entre

le concepteur et l’utilisateur :

o Le premier type correspond aux usagers ayant à la fois des besoins extrêmement

spécifiques dans un contexte où ils sont seuls à pouvoir développer l’innovation tant elle

est liée à une forme de connaissance dont ils sont les seuls détenteurs. C’est le cas des

scientifiques décrits par Von Hippel86, qui doivent expliquer et concevoir avec des

fabricants certains de leurs instruments les plus poussés

o Le second type correspond à des utilisateurs ne disposant pas du niveau d’expertise poussée

des utilisateurs du premier type, mais ayant des besoins à la fois très spécifiques et pointus

et requérant la mise en œuvre de moyens importants pour être satisfaits, qu’ils doivent

accompagner chaque phase du processus de conception.

86

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114

Lien avec la problématique du véhicule autonome

La question du rôle de l’utilisateur dans la conception du véhicule autonome se pose de manière

d’autant plus insistante qu’elle constitue une ligne de démarcation fondamentale dans la gestion de

l’incertitude technique des différentes situations que le futur véhicule sera amené à rencontrer87. La

démarche de conception développée par les constructeurs traditionnels repose en effet sur des utilisateurs

représentés de manière implicite ou explicite au sens d’Akrich : les utilisateurs sont représentés par des

ingénieurs prestation ou des spécialistes de la market & customer intelligence se revendiquant d’une

certaine « voix du client », ou bien par des panels d’utilisateurs, qui testent les véhicules pour les calibrer

ou pour renseigner les équipes sur les usages qu’ils feront du temps que le véhicule autonome leur permettra

de dégager, mais qui ne sont aucunement impliqués dans la conception de l’essentiel du produit, qui reste

l’apanage des équipes d’ingénierie. La raison avancée semble évidente : les enjeux de sécurité sont

tellement importants que les processus de validation doivent être maîtrisés et connus : non seulement la

perspective d’un utilisateur ayant un rôle accru dans la conception du véhicule est-elle rejetée mais elle est

même vigoureusement combattu dans la conception même des systèmes, qui doivent savoir empêcher les

usages déviants des utilisateurs88, c’est-à-dire les adaptations, extensions, déplacements et autres

détournements décrits par Akrich et dont les réseaux sociaux se font l’écho89.

A rebours, certains constructeurs comme Tesla ont décidé d’impliquer de manière plus poussée

leurs clients dans la conception du véhicule autonome. Il ne s’agit pas d’utilisateurs innovateurs, tant les

clients n’ont guère plus de besoins que ceux d’autres constructeurs et ne disposent pour la plupart d’aucun

savoir-faire technique leur permettant de prétendre à la programmation concrète des fonctions du véhicule.

Mais, par leurs déplacements quotidiens, ils participent à l’édification progressive du système, qui apprend

grâce au deep learning de manière incrémentale.

Parallèlement, ces deux démarches différentes d’implication des utilisateurs dans la conception des

dispositifs d’autonomie supposent au premier abord des modèles de diffusion différents. Si au sens de

Sheth, Newman & Gross, les innovators de Tesla ne peuvent que percevoir la valeur fonctionnelle de

« l’Autopilot » tant qu’il n’a pas été activé, ils font par contre sans doute preuve d’une valorisation extrême

de la dimension « epistemic » de leur achat, qui se traduit par un certain enthousiasme à participer au

développement de la technologie. Les innovators des constructeurs traditionnels, s’ils pourront faire acte

87 https://medium.com/twentybn/germany-asleep-at-the-wheel-d800445d6da2 88 Le « driver monitoring » et la « contextualization » permettant de n’activer les systèmes d’autonomie que dans des conditions précises, font partie des briques technologiques que le législateur envisage pour autoriser des systèmes plus sophistiqués de conduite automatisée. 89 https://www.youtube.com/watch?v=pJ4-2d7C6gg

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d’une affirmation sociale forte en devenant les premiers conducteurs de véhicules autonomes, achèteront

immanquablement leur véhicule en insistant sur des dimensions de valeur différentes : la performance du

système, sa qualité intrinsèque et bien évidemment le temps qu’il leur permettra de gagner. Se pose

également la question, au-delà de la simple adoption par des innovators au faîte de toutes les évolutions

technologiques, de la diffusion de l’innovation. Une étude90 menée au début des années 2000 auprès

d’habitants de Rennes portant sur les degrés d’acceptation des aides à la conduite (ADAS) au sein de la

société, a mis en évidence que les conducteurs utilisant les ADAS les plus sophistiquées, qui intervenaient

directement dans la conduite du véhicule (régulateur de vitesse adaptatif) étaient non seulement considérés

par leurs pairs comme plus dangereux que ceux qui utilisaient des systèmes ne faisant que les avertir de

situations à risques sur leur route mais estimaient eux-mêmes qu’ils seraient considérés comme des

conducteurs plus dangereux, dans des proportions encore plus importantes qu’en réalité. Les deux méthodes

de développement du véhicule autonome exposées brièvement ici mettant en œuvre des méthodes de

validation de comportement du véhicule différentes, il est sans doute à attendre qu’ils seront jugés

différemment par les autres usagers de la route, et potentiels adopters plus tardifs du véhicule autonome, en

fonction à la fois des méthodes d’implication des utilisateurs dans la conception du véhicule mais des

utilisateurs eux-mêmes, et partant des dimensions de valeur que ceux-ci estiment être les plus importantes

dans leur comportement précurseur.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons discuter non seulement de la place laissée à

l’utilisateur dans une conception faisant part à une gestion déterministe de l’incertitude, mais encore

analyser les impacts potentiels de cette méthode de conception sur la diffusion de l’innovation radicale que

constitue le véhicule autonome.

90 R. Lefeuvre et al., « Sentiment de contrôle et acceptabilité sociale a priori des aides à la conduite », Le travail humain 2008/2 (Vol. 71), p. 97-135

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Focus

Première partie : pilotage d’une exploration concourante

Plan

I. Le véhicule autonome de niveau 3 ou plus au sein de l’Alliance Renault-Nissan : un

cas d’école du management des projets d’exploration

II. Le rôle du projet ILIAD au sein de l’exploration : moteur du sous-espace de

conception dédié aux systèmes d’autonomie de niveaux 3 et 4

III. Le cycle de conception du projet ILIAD : application naturelle des méthodes liées

aux stratégies de vitesse, flexibilité et ingénierie concourante, et implication des

fournisseurs dans le processus de conception

1) Rupture avec le cycle de conception classique de Renault

2) Un cycle adoptant les principes de l’ingénierie concourante, flexibilité et

collaboration des métiers, avec une forte implication des fournisseurs

IV. Le projet ILIAD et la Direction Programme : le projet ILIAD n’est pas un projet

autonome au sein de l’Alliance, d’où l’impossibilité d’appliquer les méthodes

classiques de management des projets d’exploration

1) Un écosystème combinant des entités d’exploitation et d’exploration, aboutissant à

une ambidextrie plurielle

2) Pour le pilotage d’un tel écosystème, une recommandation de la littérature : les

méthodes de pilotage de projets d’exploration

3) Des stratégies peu adaptables au contexte du véhicule autonome, du fait des

contraintes de ressources, de transposition industrielle, de temps, de compatibilité

des systèmes avec les véhicules de la gamme

V. Le choix d’une méthode d’exploration pragmatique: l’exploration concourante

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I. Le véhicule autonome de niveau 3 ou plus au sein de l’Alliance Renault-Nissan : un

cas d’école du management des projets d’exploration

Lorsque Renault décide de se lancer dans les systèmes d’autonomie de niveau 3 ou plus, tout est à

apprendre. Cette situation est caractéristique des projets d’exploration. L’exploration est définie par Lenfle

(2004)91 selon cinq critères, qui interdisent l’application des méthodes de management de projet

classiques à un projet d’exploration:

Une stratégie émergente et ambiguë : « Dans les projets innovation, un tel cadrage stratégique a

priori est difficile, tout simplement parce qu’il n’existe pas un vocabulaire, une compréhension

partagée des phénomènes et des causalités qui sont nécessaires à un énoncé stratégique stable et

consistant »

Un client non-identifié : les acteurs d’un projet comme celui visant à concevoir un véhicule

autonome de niveau 4 ne peuvent pas connaître a priori leur client final, puisqu’ils ne connaissent

pas le coût de leur système, l’usage auquel il pourra correspondre en toute sécurité, etc. Et ce débat

continue d’ailleurs aujourd’hui dans le secteur, malgré toutes les avancées. Comme l’expliquent

Christensen & Bower (2006)92, cela pose un réel problème pour obtenir des ressources en interne,

puisqu’on ne peut pas expliquer à ses supérieurs qui achètera le système, combien, et combien cela

rapportera, ce qui peut nuire au financement du projet. Cela pose également un problème de

conception pour le projet : quel concept de produit viser lorsqu’on n’en connaît pas le client ?

La difficulté à définir le résultat du projet : Cette difficulté découle immédiatement de la deuxième.

Faut-il évaluer un projet tel que le projet ILIAD sur sa capacité à commercialiser un système de

niveau 4 dans un objectif de rentabilité, ou plutôt sur sa capacité à initier un volume

d’apprentissages suffisamment important sur les niveaux élevés d’autonomie pour générer une

lignée de produits et services relatifs à l’autonomie par la suite ?

L’obligation d’explorer de nouvelles poches de connaissances : Allusion directe à la théorie C-K

(Hatchuel et Weil, 2002)93, cette formulation signifie qu’une équipe travaillant sur une innovation

telle que le véhicule autonome de niveau 4 doit apprendre à découvrir et à comprendre des

91 Lenfle S., Peut-on gérer l’innovation par projet ?, Définir et piloter l’avant-projet, chapitre 2, 2004

92 Bower J.L. and Christensen, C.M., Customer Power, Strategic Investment, and the Failure of Leading Firms. Strategic Management Journal 17 (March), 1996 93 Hatchuel, A; B. Weil, La théorie C-K : Fondements et usages d'une théorie unifiée de la conception. Colloque Sciences de la conception, 2002

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technologies jusque-là peu ou pas utilisées par l’entreprise, ce qui introduit une incertitude

technique

L’urgence masquée : Lenfle94 utilise cette formulation pour caractériser la contingence de l’horizon

temporel d’un projet d’exploration. Il faut en effet ancrer le plus rapidement possible l’innovation

dans les roadmaps produits déjà définies pour avoir une base de travail stable (dans le cadre de

l’autonomie, cela correspond à choisir un véhicule de la gamme pour porter le système de conduite

autonome), tout en n’ayant aucune idée réelle du temps qu’il faudra pour développer l’innovation,

à cause du manque de connaissances. Et l’urgence du court-terme est renforcée, dans le cas de

l’autonomie, par le buzz médiatique, l’attente – bien que sans compréhension réelle du produit et

de ses usages – de la part des clients, et les avancées des concurrents, qui semblent tous les jours

plus près d’atteindre le graal, sans jamais y parvenir vraiment.

Ces cinq critères recoupent presque parfaitement les trois incertitudes définies dans la partie

précédente. Les projets de véhicules autonomes de niveaux 3 et plus peuvent donc être définis comme des

projets d’exploration. Notre travail de recherche étant essentiellement tourné autour du rôle du projet ILIAD

et de la Direction Programme dans cette exploration de l’autonomie, il convient d’abord d’analyser le rôle

de ces deux entités, et leur mode de fonctionnement.

II. Le rôle du projet ILIAD au sein de l’exploration : moteur du sous-espace de

conception dédié aux systèmes d’autonomie de niveaux 3 et 4

Le projet ILIAD présenté précédemment ne rentre pas dans la classification habituelle des projets de

Renault. Il est donc important dans un premier temps d’en comprendre les particularités. Tout d’abord, ce

projet de conception d’un véhicule autonome ne peut être apparenté à un projet de développement, ni à un

projet de recherche. Les chercheurs du Centre de gestion scientifique se sont attachés à définir précisément

94 Lenfle S., Peut-on gérer l’innovation par projet ?, Définir et piloter l’avant-projet, chapitre 2, 2004

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ce qu’il convient – selon eux – d’appeler le développement, la recherche, et l’innovation (Chapel, 199795 ;

Le Masson, 200196 ; Le Masson, Hatchuel et Weil, 200197).

Un projet de développement a pour objectif de concevoir, produire et commercialiser un

produit/service correspondant à un cahier des charges précis, dans un délai déterminé, avec des ressources

déterminées, et en respectant un objectif de coût déterminé. Les facteurs de succès d’un projet de

développement sont liés aux méthodes de management de projet (coordination, planning, …).

Un projet de recherche a un enjeu tout autre. Il vise à accumuler des connaissances sur un sujet

défini par une vision interne ou des contraintes externes. Les facteurs de succès sont alors liés à la gestion

des ressources, des informations, et finalement le management d’un tel projet se rapproche, comme

l’explique Lenfle (2004), de celui d’une équipe de consultants travaillant pour des tierces parties.

Le projet de véhicule autonome de Renault se distingue d’un projet de développement parce qu’il

ne dispose pas d’un cahier des charges précis, d’un objectif de coût déterminé. Il a seulement un objectif

de temps, et cet objectif est autant celui que les acteurs du projet se sont fixés pour garantir leur crédibilité

vis-à-vis du reste de l’entreprise, qu’un délai fixé par l’organisation. Comme on l’a vu dans la deuxième

partie qui explique l’histoire du projet, la demande produit faite aux acteurs du projet était relativement peu

claire, pour tout un tas de raisons (immaturité globale du marché sur le concept d’autonomie, pas de système

sur lequel prendre modèle chez les concurrents, méconnaissance des usages, etc). Tout d’abord, cette

demande produit parlait d’autonomie de manière très générale, sans fixer de niveau de performance, ni de

domaine d’opérabilité, ni de véhicule cible, ni de gamme de prix, etc. Elle correspondait seulement à un

usage défini négativement, celui d’une conduite sans stress, non fatigante et non ennuyante. L’équipe projet

ILIAD ne savait donc pas vraiment ce que devrait être le produit de leur travail. Ensuite, aucun n’objectif

de coût n’était spécifié. Il était simplement sous-entendu que le produit/service développé devait pouvoir

être vendu sur des véhicules de la gamme Renault, c’est-à-dire des véhicules allant d’environ 10 000 € à

50 000 €. En revanche, le projet ILIAD se rapproche d’un projet de développement au sens où il sera évalué

sur sa capacité à commercialiser un produit/service, et à définir un couple produit/processus qui permette

de générer une activité rentable. Ainsi, l’absence d’objectifs précis et quantifiés distingue le projet ILIAD

d’un projet de développement.

95 Chapel V., La croissance par l'innovation intensive : de la dynamique d'apprentissage a la révélation d'un modèle industriel le cas Tefal, 1997 96 LeMasson P., De la R&D à la R-I-D : Modélisation des fonctions de conception et nouvelles organisations de la R&D. Paris, Ecole des mines de Paris, 2001 97 Hatchuel A., Le Masson P., Weil B., De la R&D a la R-I-D, la construction des fonctions « innovation » dans les entreprises, 2001

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En revanche, le projet ILIAD se rapproche d’un projet de développement au sens où son but est

d’aboutir à la commercialisation de systèmes de série, avec des objectifs de rentabilité.

Le projet ILIAD se distingue également de la recherche car l’objectif n’est pas seulement de générer

de la connaissance sur un sujet. En effet, si le projet ILIAD s’est nourri du projet TRAJAM – qui, lui, était

un pur projet de recherche – les acteurs du projet ILIAD sont également responsables d’enjeux de

rentabilité, et notamment de la définition d’une stratégie de commercialisation qui ne rentre habituellement

pas dans les projets de recherche technologiques de Renault. L’ampleur des sujets abordés par le projet

ILIAD est également marquante, puisqu’on pourrait identifier en son sein des dizaines de sous-projets de

recherches : la détection des obstacles, la localisation du véhicule, la gestion de la trajectoire du véhicule,

la cohabitation avec les véhicules non-autonomes, la communication du système avec l’utilisateur, la

classification des systèmes d’autonomie, la responsabilité du conducteur en conduite autonome, les usages

de l’autonomie, l’apprentissage du client des technologies de conduite autonome, etc. Ces sujets couvrent

la technologie, mais aussi les sciences cognitives humaines, la législation, le marketing, etc.

En revanche, un tel projet se rapproche d’un projet de recherche par la criticité des enjeux de

communication des connaissances existantes et générées entre les différents métiers, afin d’éviter un

fonctionnement en silos, et des apprentissages exclusifs.

Dans leur papier de 200198, Le Masson et al. définissent l’innovation comme la clé de voûte de l’aller-

retour permanent entre recherche et développement. Ainsi, l’innovation nourrit la recherche de ses

questions, en échange d’apprentissages et de connaissances. L’innovation nourrit également le

développement avec ses propres connaissances, en échange de concepts et de valeurs. Le projet ILIAD

correspond-il donc à cette définition ? Selon nous, il englobe les problématiques d’innovation ainsi définies,

mais il partage également certaines caractéristiques avec des projets de développement et de recherche. En

effet, si l’on caricature les objectifs du projet ILIAD, il s’agit à la fois de questionner, comme une cellule

d’innovation, de générer des connaissances en tous genres comme un centre de recherche, et de générer des

concepts et des valeurs comme une cellule de développement. En deux mots : apprendre ce que doit être un

véhicule autonome, en apprendre les usages, apprendre comment le produire, apprendre comment

l’homologuer, et apprendre comment le vendre. Pour reprendre la représentation de Le Masson et al. de

l’interaction entre développement, recherche, et innovation, on pourrait décrire le projet ILIAD comme le

moteur de ces interactions :

98 Le Masson P., Mcmahon C., Hatchuel A. et Weil B., La théorie C-K, un fondement formel aux théories de l’innovation. Les grands auteurs du management de l’innovation et de la créativité, In Quarto - Editions Management et Société, pp.588-613, 2016

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Figure 29 Les interactions recherche/innovation/développement (d’après Le Masson et al.)

Ainsi, la meilleur manière de définir cette entité curieuse qu’est le projet ILIAD, autrement qu’en

cédant nous aussi aux charmes de la définition par la négation, en disant ce qu’il n’est pas, est d’invoquer

le concept d’espace de conception développé par Hatchuel (2002)99. Selon Hatchuel, un espace de

conception se définit ainsi : « pour le processus de conception, un espace qui permet d’apprendre ce sur

quoi il faut apprendre ». Pour paraphraser Hatchuel, il était donc aussi important pour Renault d’identifier

les cibles à atteindre, que de les atteindre. Dès lors, les dirigeants de Renault ont dû mettre en place un

espace de conception sur le sujet de l’autonomie. Cet espace de conception, regroupant implicitement

l’ensemble des directions de l’entreprise (Recherche, Produit, Programme, Marketing, Communication,

Finance, Ingénierie, etc.), a lui-même été divisé en plusieurs sous-espaces de conception : celui dédié aux

niveaux 1 et 2 d’autonomie, celui dédié aux niveaux 3 et 4, et celui dédié au niveau 5. Une fois définis ces

sous-espaces de conception, le projet ILIAD peut-être défini comme le moteur du sous-espace dédié aux

niveaux d’autonomie 3 et 4. De même, le projet robotaxi est le moteur de l’espace de conception du sous-

espace dédié au niveau 5 d’autonomie. Ainsi, on pourrait inscrire le projet ILIAD dans le schéma suivant :

99 Hatchuel, A; B. Weil, La théorie C-K : Fondements et usages d'une théorie unifiée de la conception. Colloque Sciences de la conception, 2002

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Figure 30 Représentation de l'espace de conception du véhicule autonome au sein de Renault, et position/rôle du projet ILIAD

III. Le cycle de conception du projet ILIAD : application naturelle des méthodes liées

aux stratégies de vitesse, flexibilité et ingénierie concourante, et implication des

fournisseurs dans le processus de conception

1) Rupture avec le cycle de conception classique de Renault

Maintenant que nous avons identifié l’objet théorique auquel peut être rattaché le projet ILIAD,

nous allons montrer en quoi une telle cellule est en rupture avec les processus classiques de conception de

Renault.

Tout d’abord, il nous paraît bon de rappeler que les choix relatifs au projet ILIAD, ses origines, ses

caractéristiques, etc., résultent très majoritairement de l’expérience des hommes et des femmes qui en sont

les instigateurs, ainsi que d’une culture d’entreprise qui donne la part belle aux projets. Cette entité n’est

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pas l’aboutissement de réflexions théoriques sur les sciences de gestion. Cependant, le projet ILIAD est

clairement en rupture avec les modes de conception habituels de Renault.

Le cycle de conception classique de Renault est un cycle séquentiel qui se décompose en quatre

phases : une première phase de recherche, une deuxième phase d’avant-projet, suivie d’une phase de

développement, et enfin une phase de cycle de vie produit. Chaque phase comporte plusieurs jalons

intermédiaires et un jalon final, qui valide le passage à la phase suivante.

Figure 31 Cycle de conception séquentiel classique de Renault

Parcourons ce cycle avec un exemple pour bien en saisir le fonctionnement : le système des quatre

roues directrices (les quatre roues du véhicules tournent, et non seulement les deux roues du train avant).

Pour commencer, la recherche se voit confier un budget pour étudier comment peut être réalisé un

système qui permette aux quatre roues de tourner en garantissant un confort optimal au passager,

et de manière à améliorer significativement les performances de maniabilité des véhicules de type

berline et monospace de la gamme Renault. Les ingénieurs chercheurs construisent une définition

technique d’un système capable d’effectuer de telles tâches : modification de la colonne de

direction, ajout d’actionneurs au niveau des roues arrière, définition de règles de rotation des roues

(rotation en sens inverse à faible vitesse, rotation dans le même sens à vitesse moyenne et élevée),

configuration d’un calculateur capable de gérer le nouveau système, etc. Une fois cette définition

technique déterminée, un prototype est réalisé. Ce prototype a deux objectifs : valider la

technologie en montrant notamment que les risques liés à un tel système ont été identifiés, et

résolus, et qu’une valeur client existe. Dans le cadre du système quatre roues directrices, le bénéfice

a très vite été immédiat : l’ajout d’un tel système à des voitures comme la Talisman ou l’Espace V

augmente significativement la mobilité à faible vitesse, notamment en zone de parking, et à vitesse

moyenne et élevée, notamment en conduite sportive. Le projet de recherche se termine sur un jalon

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final au cours duquel il est jugé sur ces deux démonstrations, risques et valeur, qui permettent de

déterminer un coût approximatif du système, et une valeur approximative.

Une fois le projet de recherche terminé, une nouvelle équipe prend le projet quatre roues directrices

en charge : c’est l’équipe avant-projet. Elle doit transformer un système prototype en un système

de série. Son rôle est donc de préparer l’intégration du système développé dans les véhicules de la

gamme Renault, et d’y apporter les modifications nécessaires. En l’occurrence, le système a dû être

adapté à plusieurs niveaux, pour correspondre aux différents véhicules de la gamme. Ensuite, il a

fallu adapter la programmation du système pour qu’il puisse être géré par le calculateur des

véhicules cibles, sans avoir à remplacer le calculateur déjà prévu. L’intégration du système avec

les autres systèmes du véhicule a donc dû, plus généralement, être étudiée, afin de trouver une

solution. Enfin, la définition technique est précisée : pour chaque brique technologique ou

technique sont identifiés des fournisseurs capables de fournir les pièces, etc. L’équipe avant-projet

aboutit donc à une étude de rentabilité qui permet d’anticiper la rentabilité réelle d’un tel système,

en définissant un objectif de coût et de prix de vente.

L’équipe de développement prend ensuite le relai. Elle doit préparer la fabrication et la

commercialisation. Cela passe d’abord par la sélection des fournisseurs et la négociation des

contrats, pour coller aux objectifs de coûts de production. Ensuite, il faut préparer la fabrication.

Pour le système quatre roues directrices, il a fallu adapter les chaînes de montage pour installer le

système dans les véhicules. Enfin, la commercialisation doit être anticipée. Cela couvre la

communication, mais aussi la logistique de distribution, et la formation des concessionnaires. La

phase de développement se termine avec le début de la production série et les premières

commandes.

Enfin la phase de cycle de vie produit a pour rôle de gérer toutes les problématiques qui concernent

le système après sa commercialisation. Par exemple, le système quatre roues directrices était une

nouveauté pour les garagistes, qui devaient en comprendre le fonctionnement. L’équipe de cycle

de vie produit va également suivre des indicateurs clés tels que le taux de monte de l’option, la

satisfaction client, et, ensuite, lancer des améliorations du système si besoin.

L’avantage premier d’un tel cycle de conception, c’est sa mécanique très bien huilée. Il est extrêmement

performant chez Renault pour sortir des produits, ou services, sur des milliers de véhicules, à faible coût de

fabrication, et de qualité uniforme. Ou même des milliers de nouveaux véhicules. En effet, correspondant

à l’organisation scientifique du travail de Taylor – c’est-à-dire la compréhension par l’observation des

problématiques liées à chaque étape d’un processus, et l’utilisation des outils les plus appropriés pour

optimiser la productivité de ces tâches – chaque étape de ce cycle est réalisée par des équipes qui ont une

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réelle expertise dans leur domaine, comme l’équipe des achats, par exemple. Ainsi, des processus

standardisés adaptés à chaque innovation permettent d’atteindre des volumes de fabrication importants avec

un coût et une qualité maîtrisés.

Le deuxième avantage de ce cycle est de limiter très vite les incertitudes liées au produit/service conçu.

Les incertitudes principales que sont les incertitudes technologiques et de marché sont ainsi levées dès la

fin de la première phase de recherche : la définition technique n’évolue ensuite que très peu en aval, même

si les fournisseurs changent souvent. De même les incertitudes de compatibilité du système conçu avec les

véhicules de la gamme sont levées en phase d’avant-projet : une fois la définition technique figée, il est aisé

de l’adapter légèrement pour coller aux cycles de conception et de fabrication des véhicules qui, eux, sont

déterminés en avance.

Le système de jalon offre également une excellente visibilité sur l’avancement de la conception, et des

occasions d’arrêter les projets tôt si nécessaire : les objectifs étant très bien définis pour chaque phase, il est

aisé d’identifier les écarts par rapport aux objectifs.

En revanche, un tel modèle de conception peut donner lieu à des interrogations sur la rapidité

d’apprentissage. En effet, puisque chaque étape est prise en charge par une équipe différente, cela génère

parfois un manque d’anticipation des problèmes en aval. Comme l’équipe responsable d’une phase a une

liste claire d’objectifs à atteindre, avant de passer le relai à une autre, la découverte des problèmes est parfois

très tardive et demande de remonter le cycle de conception pour effectuer des modifications en amont. Par

exemple, Renault a conçu de nouvelles portières plus légères sur l’Espace V. Mais, pour des contraintes de

fabrication et de commercialisation, il a fallu alourdir ensuite artificiellement ces portières avec du lest.

Certains collègues nous ont expliqué qu’à chaque phase, les équipes ne sont donc pas vraiment encouragées

à anticiper tous les problèmes qui pourraient survenir en aval. Evidemment, chaque retour à des étapes

antérieures de conception pour résoudre un problème non-anticipé (par exemple : le fait que le calculateur

choisi par l’équipe avant-projet pour le système quatre roues directrices ne permettait pas de faire

fonctionner simultanément les quatre roues directrices et certaines aides à la conduite) génère des retards

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et des surcoûts de conception (Midler, 1993100 ; Clark & Fujimoto, 1991101, Nakhla & Sardas, 1999102 ;

Capul, 2000103).

Ce modèle pourrait aussi être un frein à la continuité des apprentissages et des concepts. En effet,

chaque étape est prise en charge par une équipe différente. A chaque étape, donc, une période

d’appropriation du produit ou du service conçu est nécessaire pour la nouvelle équipe. Et on peut envisager

qu’une partie des connaissances est perdue lors de la transition entre une phase et la suivante, lors du

passage de témoin. Les témoignages de plusieurs membres du projet ILIAD, par rapport à leur propre

expérience, allaient dans ce sens.

Le cycle de conception choisi par le projet ILIAD est très différent de ce cycle séquentiel à bien des

égards. Tout d’abord, les quatre phases sont simultanées, ou quasiment simultanées, au lieu d’être

séquentielles :

Figure 32 Cycle de conception du projet ILIAD

100 Midler C., L'auto qui n'existait pas, management des projets et transformation de l'entreprise, InterEditions, Paris, 1993 101 Clark K. B. et Fujimoto T., Product Development Performance ; strategy, organization, and management in the world auto industry, Harvard Business School Press, 1991 102 Nakhla M. et Sardas J.-C. (Eds.), Intégration produit-process dans les projets : de l'ingé- nierie concourante à l'ingénierie intégrée. Le cas des Unités de conception plurimétiers, Renault, 1999 103 Capul J.Y., Les enjeux économiques de l’ingénierie concourante, Revue Française de Gestion, Mars-Avril-Mai, pp. 28-43, 2000

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Tout d’abord, ce modèle a la particularité, comme on l’a vu dans la partie précédente, de rassembler

en un même lieu et dans une même équipe l’ensemble des compétences liées habituellement à la conception

chez Renault : recherche, avant-projet, développement, et cycle de vie produit. L’idée était d’abord de

donner aux personnes travaillant sur ce projet un réel sentiment d’appartenance à quelque chose qui n’a

rien à voir avec ce que l’entreprise a l’habitude de faire, dans un but de motivation et d’implication. Dans

la même lignée, le fait de rendre l’équipe, et donc tout le monde, responsable du succès final du projet avait

pour but de responsabiliser les membres du projet sur l’ensemble des problèmes potentiels. A l’inverse de

ce qu’implique implicitement le modèle séquentiel habituel : les problèmes de recherche pour les ingénieurs

chercheurs, les problèmes de commercialisation pour le développement, etc.

La deuxième particularité de ce modèle réside dans la quasi-simultanéité des tâches de conception :

l’équipe avant-projet n’attend pas que la recherche ait fixé une définition technique pour commencer à

travailler, ni l’équipe développement. L’équipe cycle de vie produit est même impliquée avant le début de

la commercialisation. Selon Monsieur L. Taupin, chef de projet ILIAD qui a fait le choix de ce modèle,

cela permet d’augmenter significativement les interactions entre les personnes et entre les métiers.

L’objectif est simple : favoriser la communication des apprentissages. Autrement dit, éviter le plus possible

les remontées en amont du cycle de conception dues à des émergences de problèmes en aval : si tout le

monde réfléchit au même problème en même temps, les problèmes des uns forcent les autres à trouver dès

le début des solutions, sans attendre. Un exemple de cette anticipation des problèmes est la collaboration

entre les équipes de recherche sur la vie à bord, et les équipes avant-projet d’intégration dans les véhicules.

En effet, l’équipe travaillant sur la vie à bord cherchait à proposer différentes positions au conducteur, pour

que la conduite autonome soit la plus relaxante possible. Ils ont donc travaillé sur plusieurs positions du

siège avec des hauteurs et des inclinaisons différentes. Mais la collaboration avec l’équipe d’intégration du

système dans le véhicule a très rapidement soulevé un problème qui aurait pu coûter cher en termes de

retard s’il avait été identifié plus tardivement : le véhicule cible pour l’intégration du système ILIAD est un

véhicule électrique, et les batteries placées sous le siège empêchent toute modification de la hauteur de ce

siège. Cela a poussé les équipes de vie à bord à repenser leurs solutions pour tenir compte de cette

contrainte. Enfin, un tel fonctionnement simultané renforce également l’implication de chacun, et la

solidarité des équipes des différentes phases. En théorie, selon la classification des problèmes de conception

établie par Franck Aggeri et Blanche Segrestin (2002)104, ce type de cycle doit permettre d’éviter les

modifications de type 4 avec un délai de latence long et un délai de traitement long, tel le problème des

ouvrants sur la Laguna II. Ces modifications de type 4 sont les plus menaçantes pour les délais du projet.

104 Aggeri F., Segrestin B., Comment concilier innovation et réduction des délais ? Quelques leçons tirées du développement de la Laguna II, Gérer et comprendre, Mars 2002

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Figure 33 Typologie des modifications (Source Aggeri et al. 2002)

2) Un cycle adoptant les principes de l’ingénierie concourante, flexibilité et

collaboration des métiers, avec une forte implication des fournisseurs

Ce cycle de conception est typique de ce qui est appelé dans littérature « l’ingénierie concourante »,

ou « ingénierie simultanée », un concept développé dès la fin des années 1980 (Winner et al. 1988)105 pour

minimiser les retours en arrière et maximiser l’anticipation. En pratique, dans le cadre du projet ILIAD,

cela a en effet maximisé l’anticipation mais pas le délai de temps de résolution, du fait de la complexité des

problèmes émergents. Cela a même parfois donné lieu à un phénomène mal représenté dans la typologie

d’Aggeri & Segrestin, qui questionne la cause d’un délai de latence avant traitement : un problème de type

4, avec un délai de latence avant traitement long, non pas parce que le temps de détection du problème a

été long, au contraire, mais parce que le temps entre la détection et le début du traitement a lui été très long.

Pour une raison simple : les membres du projet ne savaient quelle modification effectuer pour résoudre le

problème. Combinés avec une complexité très importante demandant une expertise inexistante, ces

problèmes avaient en plus, dans le cas du projet ILIAD, des boucles de résolutions longues, ou même très

longues.

C’est le cas de l’horizon de perception du véhicule autonome développé par ILIAD. En effet, les

membres de l’équipe prestations client ont rapidement conclu qu’un système autonome sur autoroute doit

pouvoir rouler à des vitesses élevées, 90 km.h-1 étant un prérequis pour pouvoir vendre le système, 110

105 Winner, Robert I., Pennell, James P., Bertrand, Harold E., and Slusarczuk, Marko M. G. (1991). "The Role of Concurrent Engineering in Weapons System Acquisition", Institute for Defense Analyses Report R-338, December 1988

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kmh-1 un minimum d’acceptabilité pour le client, et 130 km.h-1 le scénario idéal. En effet, lors d’un trajet

Paris – Lyon par exemple, un système ne roulant qu’à 90 km.h-1 ferait perdre plus d’une heure à son

propriétaire par rapport à un système roulant à 130 km.h-1, sans parler d’une potentielle dangerosité sur

autoroute d’une vitesse si faible. Or ces contraintes de vitesse posent un réel problème de distance de

détection des obstacles. Pour bien comprendre cela, prenons un exemple : une voiture autonome roule à

110 km.h-1 sur une autoroute (soit 30 m.s-1 environ). Elle est, bien sûr, toujours prête à effectuer un freinage

d’urgence si besoin. Pour arrêter un véhicule à 110 km.h-1 avec une intensité de freinage de 5,5 m.s-2

(décélération minimale définie par la législation pour les voitures particulières), il faut 82 mètres sur une

route sèche, ou 136 mètres sur route mouillée. Cela signifie qu’un véhicule autonome doit voir à au moins

136 mètres, avec une précision quasi-parfaite, lorsque la route est mouillée, s’il veut pouvoir s’arrêter en

cas de besoin. Si son horizon de perception est inférieur, il n’aura pas le temps de s’arrêter, et percutera

l’obstacle. En augmentant l’intensité du freinage, on peut réduire la distance d’arrêt de 136 mètres jusqu’à

75 mètres, en prenant en compte le temps de perception et d’identification de l’obstacle par le système,

mais le niveau de freinage est alors d’un inconfort extrême pour le client, sans compter qu’il aura sans doute

vu l’obstacle avant que le véhicule ne déclenche le freinage (une telle situation lui ôterait sans doute toute

confiance dans le système). Or, sur certains tronçons autoroutiers, même avec les capteurs les plus

puissants, la visibilité est limitée par l’infrastructure ou les conditions (virage serré, arrivée en haut d’une

bosse, conditions météorologiques, etc.), et même avec les meilleurs capteurs, le système ne peut parfois

pas voir à une distance suffisante pour atteindre 110 kmm.h-1 en toute sécurité. L’équipe projet ILIAD a

donc très vite réalisé qu’il allait falloir trouver une solution pour « voir plus loin », une solution autre que

des capteurs embarqués sur le véhicule. Cette solution n’était pas trouvée, au moment où nous avons quitté

Renault, même si des pistes étaient évoquées (capteurs débarqués sur l’infrastructure et communication

véhicule – infrastructure, etc.). Mais comme il est déjà extrêmement compliqué d’avoir un véhicule qui

fonctionne jusqu’à 90 km.h-1, les acteurs du projet ILIAD se sont pour l’instant concentrés sur cette

problématique moins contraignante, d’autant plus que personne parmi les concurrents ne semble avoir

trouvé une manière de résoudre le problème de l’horizon de perception. On aboutit donc à un problème

détecté, mais avec une forte latence avant le début de traitement, et qui devrait en plus être très long à traiter.

Et ce problème peut remettre en cause fortement la capacité de l’entreprise à vendre un tel système.

D’autres problèmes de type 4 ont émergé rapidement mais ont été traités tardivement, ou pas traités.

C’est le cas de la question du modèle d’affaire du véhicule autonome. La définition technique du système

nécessaire pour réaliser un système autonome de niveau 4 a rapidement fait comprendre aux membres du

projet que le coût unitaire allait s’élever à environ 2 000 euros, en faisant de gros efforts de réduction des

coûts. Or chez Renault, un système doit pouvoir être vendu à un prix égal à deux fois son coût, en moyenne,

soit 4 000 euros au minimum. Le véhicule électrique bénéficie d’une dérogation à la règle, car le système

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de location de batteries permet d’équilibrer l’équation économique tout en maintenant le prix de vente du

véhicule en concession relativement faible. Le projet ILIAD doit donc casser ses coûts, ou trouver un

modèle d’affaire similaire à celui de la Zoé. Des réflexions ont été lancées sur le sujet (facturation en service

à la minute ou via un forfait mensuel, etc.) mais l’immaturité du produit conçu, et le flou juridique qui

l’entoure, font pour l’instant obstacle à toute solution définitive.

En revanche, ce modèle de l’ingénierie concourante choisi par le chef de projet ILIAD a pour

avantage de maintenir une grande flexibilité pendant des périodes beaucoup plus longues que ce que permet

le cycle séquentiel : le concept du produit n’est pas figé au moment où les équipes commencent à travailler,

les définitions techniques sont figées bien plus tard, le véhicule cible change en cours de projet, etc. Cela

correspond à la gestion des degrés de liberté dans les projets (Midler). En mode séquentiel, les degrés de

libertés diminuent par sauts successifs, au fur et à mesure que le projet avance, à la fin de chaque phase,

puisque chaque équipe successive a pour rôle de résoudre une série de problèmes spécifiques en imposant

une ou plusieurs solutions. On aboutit à un schéma similaire à la figure suivante :

Figure 34 Réduction des degrés de liberté en cycle de conception séquentiel

Cette réduction des degrés de liberté va de pair avec la résolution des incertitudes, ce qui confère

au modèle séquentiel une réelle force de conviction en interne. Dans le cadre du modèle d’ingénierie

concourante mis en place par le projet ILIAD, les décisions étant retardées, les degrés de libertés diminuent

plus tard, mais également plus brutalement, ce qui correspond au schéma suivant :

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Figure 35 Réduction des degrés de liberté en cycle de conception d'ingénierie concourante

Dans le cadre du projet ILIAD, cette flexibilité était nécessaire pour laisser au projet le temps

d’apprendre. Lorsque nous sommes arrivés sur le projet, le concept n’était pas pleinement figé, et lorsque

nous sommes partis, ce n’était toujours pas le cas. Cependant, il était bien plus précis qu’au départ. Pour

preuve, la note de cadrage du projet, qui recense entre autres les apprentissages effectués par ses membres

et les méthodes de conception choisies de manière synthétique, est passée de 19 pages en octobre 2016 à

64 pages en juillet 2017, et de 13 parties à 18. C’est l’un des intérêts de l’ingénierie concourante : augmenter

la vitesse d’apprentissage. Dans un cycle de conception séquentiel classique, le manque de coordination

entre les différentes équipes retarde l’apprentissage sur les sujets en aval, tandis que la fixation de définition

technique en amont rend parfois difficile leur traitement. Dans un cycle d’ingénierie concourante, la

réflexion sur tous les sujets ou presque, de manière simultanée, combinée au report de la fixation du concept,

des définitions techniques, des méthodes de fabrication, etc, permet d’anticiper les problèmes et de

maximiser l’apprentissage par rapport au temps.

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Figure 36 Vitesses comparées des apprentissages en cycle séquentiel et en cycle concourant

Pour accélérer encore les apprentissages, les acteurs du projet ILIAD ont impliqué les fournisseurs

le plus possibles dans le processus de conception, sur un modèle proche de celui de la conception de la

Kwid en Inde, comme en parle Midler dans son ouvrage Innover à l'envers — repenser la stratégie et la

conception dans un monde frugal106. Un bon exemple de cette implication réside dans le pari du projet

ILIAD sur les lidars. L’idée de ce pari est relativement simple : là où une caméra, en effectuant de la

reconnaissance d’images, analyse des pixels, le lidar analyse des distances. Quelle différence cela fait-il ?

Prenons l’exemple d’un tunnel dont le plafond est percé de puits de lumière et d’aérations, sur l’A86 au

niveau de Versailles par exemple, comme sur la photo suivante :

106 Midler C., Jullien B. et Lung Y., Innover à l'envers — repenser la stratégie et la conception dans un monde frugal, Dunod, Janvier 2017

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Figure 37 Tunnel ajouré de l'A86 au niveau de Versailles (Source : Google street view)

Lorsque le soleil est haut dans le ciel et n’est pas masqué par les nuages, comme c’est

malheureusement le cas sur la photo, les ombres des panneaux de béton qui constituent le plafond de ce

tunnel dessinent sur la route un damier irrégulier, produisant une alternance de zones d’ombres et de zones

de vive lumière, avec un très fort contraste. Ce type de situation est un enfer pour les véhicules autonomes

se reposant surtout sur des caméras. Tout d’abord, la lecture des lignes devient très difficile, et les caméras

embarquées sur le prototype ILIAD avaient même tendance à confondre les zones claires avec des lignes.

Ensuite, il est compliqué, pour les caméras de distinguer si les zones d’ombres très géométriques sont des

obstacles ou pas (des cartons sur la voie, etc). Le véhicule autonome a donc tendance à « paniquer » dans

ce genre de situation si son système repose sur de la reconnaissance d’images. En revanche, si la perception

est réalisée par fusion des données de caméras et de lidars, le véhicule comprend vite la situation. En effet,

le lidar fonctionne sur un principe similaire au radar (envoi d’ondes, et mesure du temps de retour du signal),

mais avec des rayons lasers au lieu d’ondes radio. Le lidar est donc capable de dire qu’il n’y a aucun obstacle

sur la route : s’il y en avait un, les rayons lasers rebondiraient dessus et reviendraient plus vite. De plus, à

la différence des radars, les lidars permettent de percevoir les lignes, grâce à l’épaisseur de peinture. Dans

une situation comme celle-ci, le lidar permet donc d’éviter la panique, en précisant qu’il n’y a pas

d’obstacle. Mais l’intérêt de cette technologie par rapport à la caméra est d’autant plus grand pour le constat

opposé : il y a un obstacle, je dois freiner. Car un obstacle peut ne pas être vu par une caméra : obstacle

sombre sur une route ombragée, obstacle blanc sur un horizon très ensoleillé comme lors de l’accident

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d’une Tesla où la caméra n’a pas vu un camion blanc sur un ciel blanc107, etc. Là où un système fondé sur

des caméras fait avancer la voiture en supposant qu’il n’y a pas d’obstacle (si je ne vois pas d’obstacle,

j’avance), un système fondé sur des lidars ne fait avancer la voiture que s’il est certain de l’absence

d’obstacle (si le retour du lidar ne présente aucune anomalie, j’avance). En effet, le lidar mesure des

distances réelles entre les objets, là où la caméra interprète des images, qui peuvent ne pas correspondre à

la réalité. La technologie lidar coûte bien plus cher qu’une caméra, mais la conviction de Monsieur L.

Taupin, chef de projet ILIAD, était qu’on ne peut pas atteindre un niveau de performance suffisant pour

produire et commercialiser un système autonome de niveau 4 sans utiliser de lidar. Cette approche est

d’ailleurs proche de celle de Google, qui met les lidars les plus performants et les plus chers du marché sur

ses prototypes.

Conscients que d’autres constructeurs, et notamment Tesla, n’ont pas tous misé autant sur cette

technologie, les membres du projet ILIAD ont décidé d’en faire leur atout de différentiation par rapport à

la concurrence. Ce choix est d’autant plus intéressant que les lidars sont vendus sans l’algorithme de

reconnaissance et d’identification des objets, à l’inverse des caméras Mobileye par exemple, qui fournissent

comme données de sortie les obstacles environnants identifiés dans un repère orthogonal, là où le lidar ne

remonte que des nuages de points non traités. Le lidar force donc les équipes à réaliser elles-mêmes leurs

algorithmes de traitement, permettant ainsi d’avoir une compréhension globale du processus de traitement

de la donnée. Les membres du projet ILIAD ont donc établi un contact aussi régulier et transparent que

possible avec Velodyne, le fournisseur de lidars. Mais surtout, ils ont passé des accords avec des start-ups

spécialisées dans l’analyse de données lidars, et en ont racheté certaines. Dibotics, jeune microentreprise

spécialisée dans ce secteur, travaille par exemple main dans la main avec Renault, qui souhaitait que ce

partenaire augmente rapidement de taille pour supporter des charges de travail correspondant à la

production de masse. Renault a appris à traiter des données lidars en grande partie avec Dibotics.

Le projet ILIAD semble donc avoir adopté une stratégie adaptée aux exigences imposées : trouver

rapidement un moyen de fabriquer et commercialiser un véhicule autonome de niveau 4, à partir de rien,

ou presque. Une stratégie de vitesse, favorisée par l’ingénierie concourante, et l’implication des

fournisseurs, permettant une flexibilité propice à un apprentissage rapide sur plusieurs domaines en même

temps. Cette stratégie hybride serait sans doute un facteur clé de succès si le projet ILIAD était un projet

autonome et isolé du reste de l’organisation. Or ce n’est pas le cas : le projet ILIAD doit se coordonner avec

les projets des autres sous-espaces de conception (niveaux 1 et 2, et niveau 5). Et le projet ILIAD ne

107 Citation : It’s understandable that the camera couldn’t detect the trailer as an obstacle based on Tesla’s explanation of the trailer’s “white color against a brightly lit sky” and the “high ride height”, Understanding the fatal Tesla accident on Autopilot and the NHTSA probe, electrek, 1er Juillet 2016 https://electrek.co/2016/07/01/understanding-fatal-tesla-accident-autopilot-nhtsa-probe/

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comporte pas en son sein tous les décisionnaires : il doit collaborer avec la Direction Programme qui oriente

son avancée, avec la Direction Produit qui lui précise le produit à fournir à travers les concepts d’usages et

de valeur client, avec les Experts leaders de l’ingénierie qui suivent l’avancée du projet et décident du

passage ou non des jalons, avec les projets véhicules, qui définissent le support sur lequel sera greffé le

système, etc. L’exploration serait bien plus aisée, en d’autres termes, si le projet ILIAD était une start-up,

ou si le véhicule support était pensé à partir du système d’autonomie, comme la Zoé a été pensée à partir

du système de propulsion électrique.

La question se pose donc maintenant du pilotage de l’exploration sur le sous-espace de conception

de l’autonomie de niveaux 3 et 4, dont le projet ILIAD peut être perçu comme étant le moteur, en

collaboration avec le pilotage de l’exploration sur l’espace de conception du véhicule autonome dans sa

globalité.

IV. Le projet ILIAD et la Direction Programme : le projet ILIAD n’est pas un projet

autonome au sein de l’Alliance, d’où l’impossibilité d’appliquer les méthodes

classiques de management des projets d’exploration

Tout d’abord, il est important de rappeler que le projet ILIAD n’est en effet pas LE projet de véhicule

autonome Renault. C’est un projet de véhicule autonome, celui des niveaux 3 et 4, dans un écosystème

hybride regroupant des directions travaillant sur les business existants, avec des roadmaps claires et définies

souvent plusieurs années à l’avance, et des cellules plus agiles travaillant sur de nouveaux business, comme

le projet de recherche TRAJAM mentionné dans la partie précédente. On pourrait représenter cet

écosystème comme suit :

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Figure 38 Acteurs impliqués dans l'exploration sur le véhicule autonome Renault, avec focus sur le projet ILIAD

1) Un écosystème combinant des entités d’exploitation et d’exploration, aboutissant à

une ambidextrie plurielle

Les problématiques de cet écosystème sont caractéristiques de l’ambidextrie, c’est-à-dire la capacité

pour une entreprise à trouver un équilibre entre exploitation et exploration. Selon March (1991)108,

« l’essence de l’exploitation est l’amélioration et l’extension des compétences, technologies et paradigmes

existants… L’essence de l’exploration est l’expérimentation avec de nouvelles alternatives ». Cette

nécessité de trouver un équilibre a donné lieu à la littérature sur l’ambidextrie, dont l’enjeu réside dans la

simultanéité de l’exploitation et de l’exploration, à la différence des modèles d’équilibres ponctués qui

suggèrent une séquentialité (l’un puis l’autre)109. Dans le cadre du véhicule autonome de Renault, les projets

ILIAD et TRAJAM correspondent à l’exploration. Les directions impliquées dans l’espace de conception

font à la fois de l’exploration et de l’exploitation. Les différents acteurs qui participent à l’exploration sur

le véhicule autonome n’ont donc pas tous le même horizon.

108 March J. G. (1991), Exploration and exploitation in organizational learning, Organization Science, Vol. 2, pp. 71–87. 109 Gersick, C. G., Revolutionary change theories: a multilevel exploration of the punctuated equilibrium paradigm, Academy of Management Review, 16, 10-36, 1991

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Dans la littérature, il existe quatre modèles d’ambidextrie : l’ambidextrie structurelle, l’ambidextrie de

réseau, l’ambidextrie contextuelle et l’ambidextrie multiplex. L’ambidextrie structurelle (Tushman &

O’Reilly, 1997)110 consiste à générer un pôle d’exploration et à en confier la responsabilité à une équipe

d’employés. Ce pôle est séparé des autres directions et métiers. Les apprentissages du pôle d’exploration

sont remontés à la Direction générale avant de redescendre les métiers. Cela correspond au schéma suivant :

Figure 39 Schéma explicatif de l'ambidextrie structurelle

Avec ce type de fonctionnement, le cloisonnement entre exploration et exploitation confère une

grande autonomie au pôle d’exploration qui se nourrit de compétences existantes au sein de l’entreprise.

C’est donc un système efficace pour concevoir entièrement des produits innovants indépendants du reste

de la gamme. En revanche, dans le cadre des projets de véhicule autonome, un tel cloisonnement serait un

frein car on parle ici d’un système innovant qui doit pouvoir se greffer sur les véhicules de la gamme.

Le deuxième type d’ambidextrie est l’ambidextrie de réseau (Lavie & Rosenkopf, 2006)111, qui fait

appel à l’innovation ouverte112 (ou open innovation en anglais). Ce modèle consiste à compléter les

connaissances dont dispose la firme en faisant appel à des partenaires, et en les impliquant dans le processus

110 Tushman, M. and O'Reilly C., Winning through Innovation: A Practical Guide to Leading Organizational Change and Renewal. Boston, MA: Harvard Business School Press, 1997 111 Lavie D, Rosenkopf L., Balancing exploration and exploitation in alliance formation. Academy of Management Journal, 2006 112 Le terme 'Open innovation', traduit en français par 'Innovation ouverte' - ou encore, terme que nous préférons 'Innovation Partagée' - a été promu par Henry Chesbrough, Professeur à la célèbre université américaine de Berkeley. Ce terme définit le processus par lequel une entreprise est capable de faire appel à des idées et expertises en dehors de ses propres murs. L'Innovation Partagée permet également à une entreprise de rentabiliser ses idées / brevets en dehors de son propre marché en les proposant à d'autres entreprises, institutions...

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d’innovation. Ce modèle présente des risques en termes de propriété intellectuelle par rapport à

l’ambidextrie structurelle, mais permet un apprentissage plus rapide.

Figure 40 Schéma explicative de l’ambidextrie de réseau

Cependant, le pôle d’exploration de réseau est toujours, dans le cadre de l’ambidextrie de réseau,

cloisonné, ce qui, pour la même raison, ne saurait convenir à un projet de système de conduite autonome.

Le troisième type d’ambidextrie correspond à l’ambidextrie contextuelle (Gibson & Birkinshaw,

2004113 ; Burgelman, 2002114). L’idée de ce modèle est très différente des deux précédents, puisqu’il s’agit

d’intégrer l’exploration dans les directions travaillant sur l’exploitation, dans le but d’assurer un dialogue

constant entre exploitation et exploration. En revanche, ce modèle est construit sur les connaissances

propres de l’entreprise, et ne fait que peu, ou pas, appel à l’innovation ouverte. Cela correspond au schéma

suivant :

113 Gibson CB, Birkinshaw J., The antecedents, consequences, and mediating role of organizational ambidexterity. Academy of Management Journal, 2004 114 Burgelman RA, Strategy as vector and the inertia of coevolutionary lock-in. Administrative Science Quarterly, 2002

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Figure 41 Schéma explicatif de l'ambidextrie contextuelle

Ce troisième modèle correspond bien aux exigences de compatibilité des systèmes de conduite

autonome avec les véhicules de la gamme, mais il repose essentiellement sur les compétences des employés

de l’entreprise, ce qui n’est pas suffisant pour l’autonomie. Car la conception d’un système d’autonomie

demande l’exploration de nouvelles poches de connaissances, dans plusieurs domaines différents.

Combinée avec les exigences de vitesse de commercialisation dues à la pression concurrentielle, cette

problématique oblige les constructeurs comme Renault à aller chercher des compétences à travers

l’innovation ouverte.

Enfin, le dernier type d’ambidextrie correspond à l’ambidextrie multiplex (Jouini & Charue-Duboc,

2008)115. Elle correspond à une combinaison des trois modèles présentés précédemment : mélange de

compétences internes et externes dans un pôle d’exploration séparé des autres directions, mais dont

l’interaction avec les autres directions travaillant sur l’exploitation est rendue possible par la double

appartenance des employés à leur hiérarchie métier (exploitation) et au pôle d’exploration. Cela correspond

au schéma suivant :

115 Jouini S., Charue-Duboc F., Achieving Ambidexterity Across Multiple Levels Of Analysis: The Case Of The Multiplex Form, 2008

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Figure 42 Schéma explicatif de l'ambidextrie multiplex

Ce dernier modèle correspond exactement au projet ILIAD, même si, encore une fois, le choix de

ce mode de fonctionnement de la part du chef de projet ILIAD tient plus de l’expérience et de l’instinct que

d’une démarche de recherche des modes d’organisation les plus adaptés à l’exploration dans un grand

groupe. Le projet TRAJAM, bien plus indépendant du reste de l’organisation et ayant travaillé avec de

nombreux partenaires, correspond typiquement au modèle d’ambidextrie de réseau. Mais au sein des

métiers, et notamment au sein de l’ingénierie, certains sous-projets travaillent aussi sur des projets

d’exploration sur un modèle d’ambidextrie contextuelle, comme le projet du nouvel habitacle pour les futurs

véhicules de la gamme, directement lié à l’autonomie.

La littérature sur l’ambidextrie permet donc de traduire la réalité de l’exploration chez Renault en

concepts. Mais cette littérature, qui explique comment construire ou organiser l’entreprise pour atteindre

un équilibre entre exploration et exploitation ne donne que très peu de recommandations sur le pilotage

d’une exploration qui implique plusieurs structures ambidextres qui se recoupent (TRAJAM et ILIAD,

sous-projets au sein des métiers), et des entités d’exploitation (notamment la Direction Programme et la

Direction Produit), qui ne partagent pas les mêmes objectifs.

2) Pour le pilotage d’un tel écosystème, une recommandation de la littérature : les

méthodes de pilotage de projets d’exploration

Pour le pilotage de ce genre de grands projets d’exploration, on pourrait donc tenter de s’en remettre

aux méthodes usuelles de pilotage des projets d’exploration. Parmi ces méthodes, une partie traite des

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projets d’exploration autonomes, au sens où ils peuvent fonctionner en marge de l’organisation. C’est par

exemple le cas du projet Manhattan de fabrication de la bombe A, aux Etats-Unis, qui a abouti aux

bombardements de Nagasaki et Hiroshima. Les méthodes de pilotage de tels projets d’exploration ont

notamment été théorisées par Sommer & Loch (2004)116, Loch & al. (2006)117 et Lenfle (2010)118, en

complément des recommandations de Klein & Mekling (1958)119, d’Abernathy & Rosenbloom (1969)120.

Le premier principe de management des projets d’exploration correspond aux objectifs de l’ingénierie

concourante : maintenir un maximum de flexibilité pour accélérer les apprentissages en retardant la fixation

des concepts et des technologies. Mais l’ingénierie concourante ne donne pas d’éléments sur le pilotage de

l’apprentissage.

Les travaux de Loch mettent en lumière deux grandes stratégies d’exploration : l’approche try &

learn et la selectionism approach. La première approche est une approche itérative, qui consiste à apprendre

par itération d’un cycle en trois phases : face à un problème de conception, commencer par élaborer un

embryon de solution, faire un test, et identifier tous les nouveaux problèmes générés par ce test, c’est-à-

dire à la fois les problèmes de performance par rapport au problème initial, et tous les autres nouveaux

problèmes inconnus auparavant. La deuxième approche est plus connue sous le nom des stratégies

parallèles. Elle consiste à lancer en parallèle plusieurs pistes visant toutes à résoudre un même problème de

conception, mais par des moyens différents. Le projet Manhattan donne un bon exemple de cette

approche121. Les membres du projet avaient un problème pour faire exploser leur bombe, et un problème

pour produire la matière première radioactive : le concept d’une bombe à explosion était maîtrisé, mais ne

pouvait fonctionner qu’avec de l’uranium 235 pour générer une réaction en chaîne, mais cet uranium 235

était extrêmement difficile à produire ; à l’opposé, un autre concept de bombe au plutonium pouvait être

envisagé, le plutonium étant plus facile à produire, mais une bombe à explosion au plutonium ne permettrait

pas de générer une réaction en chaîne. Les responsables du projet Manhattan ont donc accepté l’idée que la

meilleure manière d’avoir la réponse à ce dilemme était de concevoir deux types de bombes. Ce qu’ils

firent : une bombe à explosion à l’uranium 235, non testée avant son lancement à cause de l’extrême

difficulté à produire de l’uranium, Little Boy, et deux bombes à implosion au plutonium, une pour un test

sur le champ de tir de la base aérienne d'Alamogordo, et une pour le lancement sur Nagasaki, Fat Man.

116 Sommer S. C., Loch C. H., Selectionism and Learning in Projects with Complexity and Unforeseeable Uncertainty, Management Science Vol. 50 Issue 10, 2004 117 De Meyer, A., Loch, C.H. and Pich, M.T., Management of novel projects under conditions of high uncertainty, Working Paper Series, 2006 118 Lenfle, S., Projets Et Conception Innovante. Editions Universitaires Européennes, 2010 119 Voir note bibliographique 120 Voir note bibliographique 121 Lenfle, S., The Manhattan project : an annotated bibliography, 2011

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142

Finalement, les deux stratégies ont abouti à un produit fonctionnel. Mais l’idée de la méthode des stratégies

parallèles est de sélectionner, parmi toutes les stratégies testées simultanément, celle ou celles qui peuvent

constituer une solution viable, et écarter celles qui n’aboutissent pas. On pourrait représenter l’approche try

& learn et la selectionism approach avec le schéma suivant :

Figure 43 Approche earn & try et selectionism approach

3) Des stratégies peu adaptables au contexte du véhicule autonome, du fait des

contraintes de ressources, de transposition industrielle, de temps, de compatibilité

des systèmes avec les véhicules de la gamme

Loch recommande donc de choisir l’une de ces deux approches pour piloter une exploration. Mais

ces deux stratégies sont-elles adaptées à la conception d’un système de conduit autonome ? Posons-nous

tout d’abord cette question à l’échelle du sous-espace de conception dédié à l’autonomie de niveaux 3 et 4,

c’est-à-dire à l’échelle des projets ILIAD et TRAJAM.

Pour ce qui est de la selectionism approach, c’est très peu probable. Très efficace et très rapide,

lorsqu’elle aboutit, son succès dépend cependant de deux facteurs : la disponibilité de ressources

supplémentaires pour tester toutes les pistes simultanément, et l’indépendance entre les pistes de solutions

suivies. Pour ce qui est de la disponibilité des ressources, il est évidemment très onéreux de demander à

une équipe de travailler de front sur plusieurs pistes : il faut la soutenir avec des moyens humains et

financiers très importants, et surtout lui donner une grande autonomie par rapport au reste de l’entreprise

pour qu’elle puisse avancer le plus vite possible (capacité à nouer des partenariats, accès aux capacités de

fabrication, etc.). Sur l’autonomie de niveaux 3 et 4, les projets ILIAD et TRAJAM ne bénéficiaient pas de

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telles ressources, bien au contraire, et la dimension de ces projets était d’ailleurs souvent très inférieure aux

projets équivalents chez les constructeurs concurrents premiums. Si l’industrie pharmaceutique utilise

beaucoup cette méthode des stratégies parallèle – même si cette tendance n’est plus aussi généralisée ces

dernières années, du fait de son coût – c’est que la découverte d’une nouvelle molécule ouvre bien souvent,

un peu à la manière d’un achat de concession d’autoroute, sur plusieurs années d’exploitation, protégée de

la concurrence. Ce n’est pas le cas de l’autonomie. De plus, les incertitudes d’écosystème sont tellement

fortes, ne serait-ce que sur la capacité à homologuer de tels systèmes étant donné le cadre juridique actuel,

qu’on peut comprendre que les dirigeants de Renault soient frileux sur l‘allocation des ressources.

Ensuite, le deuxième facteur de succès des stratégies parallèles réside dans l’indépendance des

stratégies. Par exemple, les pistes de solutions suivies par le projet Manhattan était totalement

indépendantes : la manière de déclencher la réaction en chaîne était différente (implosion VS explosion), et

la matière première était également différente (uranium VS plutonium). Cette importance de l’indépendance

des pistes est quelque peu mathématique. Prenons l’exemple d’un jeu de dé où le premier joueur lance un

dé, puis donne le dé à un second joueur, qui le lance à son tour. Lorsqu’on veut connaitre le nombre de

possibilités pour le premier joueur de battre le second joueur, il est fastidieux de le faire directement. En

revanche, il est bien plus simple de dénombrer les succès en faisant une hypothèse sur le résultat obtenu par

le premier joueur. On peut ainsi diviser l’événement « le premier joueur bat le second » en six événements

indépendants « le premier joueur fait 1 et bat le second joueur », ce qui ne donne aucune possibilité de

succès, « le premier joueur fait 2 et bat le second joueur », ce qui donne une possibilité de succès, si le

second joueur fait 1, etc. jusqu’à « le premier joueur fait 6 et bat le second joueur », ce qui donne cinq

possibilités de succès, soit un total de 15 configurations possibles aboutissant à la conclusion « le premier

joueur bat le second ». Le projet ILIAD a essayé d’initier une réflexion similaire sur le sujet de l’horizon

de perception du véhicule autonome pour répondre à la question « comment résoudre le problème lié au

fait que notre véhicule ne voit pas assez loin ? ». Ainsi s’est dessinée l’arborescence suivante :

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144

Figure 44 Arborescence de la réflexion des membres du projet ILIAD sur le problème de l’horizon de perception du véhicule

autonome

Mais le projet ILIAD n’avait pas les ressources pour s’engager sur ces trois pistes, alors que

d’autres sujets réclamaient des efforts bien plus importants pour l’avancée du projet.

Quant à l’approche try & learn, elle présuppose, pour garantir un apprentissage rapide, des boucles

de tests et d’améliorations courtes. Or, dans le cadre de la conception d’un système d’autonomie, de telles

boucles courtes sont extrêmement difficiles à mettre en place, du fait des contraintes qui pèsent sur un

prototype de véhicule autonome. Le schéma suivant résume ces contraintes122 :

Figure 45 Contraintes pesant sur la conception, la fabrication et l'utilisation d'un prototype de véhicule autonome

122 Voir également p. ?

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145

Face à ces contraintes, les membres des projets TRAJAM et ILIAD ont d’ailleurs dû limiter le

nombre d’itérations et en augmenter le contenu : de nouvelles versions de software étaient ainsi livrées et

testées régulièrement, et chacune d’elle ne s’attachait pas à résoudre un problème particulier mais plusieurs.

Cela a de fait causé des retours en arrière au cours des boucles de résolutions. Pour reprendre l’exemple

donné dans la monographie, les ingénieurs Renault se sont rendu compte que le prototype avait tendance à

confondre la barrière centrale avec un camion, causant une panique du système. Une demande a donc été

faite, parmi d’autres requêtes, de régler ce problème. La version de software qui a suivi ne faisait

effectivement plus cette erreur, cependant, le prototype ne percevait plus les camions dans certaines

situations, et a manqué d’en percuter un lors des tests, ce qui serait arrivé si les testeurs n’avaient pas repris

le contrôle.

Nous pouvons maintenant nous poser la question de l’applicabilité de ces deux stratégies de

pilotage de l’exploration à l’échelle de l’espace de conception du véhicule autonome dans sa globalité,

c’est-à-dire au niveau des directions, Renault et Nissan, impliquées dans cette exploration si difficile que

représente l’innovation de l’autonomie.

Tout d’abord, la séparation de l’espace de conception du véhicule autonome en trois sous-espaces

de conception dédiés aux niveaux 1 et 2, 3 et 4 et 5, pourrait apparaître comme l’application de stratégies

parallèles .En effet, cela correspond à une démarche de division de l’idée globale du véhicule autonome, en

trois grands axes en faisant l’hypothèse du niveau d’autonomie. Les trois grands axes couvrent bien la

totalité des niveaux possibles, et donc théoriquement toutes les solutions possibles, mais ils ne sont en rien

indépendants. Des liens étroits existent entre ces différents axes pour des raisons multiples.

En premier lieu, pour des raisons de coût des équipements et de place disponible, il est impensable

qu’un même véhicule soit doté de plusieurs équipements ayant la même fonction, un pour chaque système

proposé : quatre caméras avant par exemple, une pour l’AEB, une pour le LKA, une pour un système

autonome, une enfin pour une boîte noire. Les équipes de conception de chaque système doivent donc

s’assurer de la convergence de leur définition technique avec celle des autres systèmes. Il semblerait par

exemple, d’après nos informations, qu’il ne soit pas possible de faire fonctionner en même temps le système

quatre roues directrices et l’ADAS line keeping assist (LKA) sur le nouvel Espace V, car le calculateur

n’est pas assez puissant pour supporter les deux en même temps. La Direction Programme a aussi un rôle

à jouer pour éviter les écarts, puisqu’elle coordonne les différents projets avec la Direction Ingénierie. Pour

l’autonomie, les équipes de conception, à défaut de reprendre la définition technique des autres systèmes

de niveaux supérieurs ou inférieurs pour la dégrader ou l’améliorer, doivent concevoir leur système comme

étant capable de fonctionner avec les autres. Prenons l’exemple d’un client qui souhaiterait avoir sur

l’Espace qu’il est sur le point d’acheter, à la fois un système de niveau 4 mind-off sur voies rapides, et un

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146

système de niveau 1 qu’il puisse utiliser lorsque les conditions ne sont pas réunies pour de la conduite mind-

off. Le véhicule ne pouvant pas avoir deux jeux de capteurs, deux jeux d’actionneurs, deux calculateurs,

etc., il faut soit déterminer une définition technique permettant aux deux systèmes de fonctionner, ou alors

prévoir que le système de niveau 4 doit comporter un mode dégradé lui permettant de se convertir en

système de niveau 1.

Si les sous-espaces de conception des différents niveaux ne sont donc pas indépendants, c’est que

les Directions Programme, Ingénierie et Produit qui les coordonnent – principalement – doivent optimiser

simultanément les contraintes d’apprentissages, de coût, de temps et de transposabilité industrielle. En

d’autres termes, il faut avancer le plus vite possible, à moindre coût, sur des technologies pouvant servir un

maximum de produits, et rapidement industrialisables. La Direction Programme a par exemple fait l’effort

de réunir toutes les définitions techniques des différents systèmes d’autonomie en cours de conception chez

Renault et Nissan, y compris les ADAS, avec le coût de chaque composant, pour imposer autant que

possible aux différents projets de travailler sur une base commune, ou du moins similaire. Un obstacle

majeur, dans cette tentative, a été la frilosité de Nissan à communiquer les détails techniques des systèmes.

Cette frilosité a été à la fois un obstacle et une motivation pour les ingénieurs du projet ILIAD, puisque,

sans que ce soit forcément voulu par qui que ce soit, l’équipe ILIAD et son équivalent chez Nissan se sont

retrouvées de fait en concurrence. Chacune promettait un certain niveau de performance, à un certain coût,

en fonction d’une certaine définition technique. Les directions Programme et Ingénierie n’avaient ensuite

plus qu’à choisir la meilleure option. Bien évidemment, cela n’est pas aussi simple, puisque les deux

équipes travaillent finalement sur les mêmes problèmes, puisqu’elles ne communiquent que très peu, ce qui

coûte cher en temps et en ressources. Personne, n’a intérêt en interne à ce genre de guerre de clocher.

La Direction Programme pourrait-elle lancer des explorations indépendantes, conformément aux

stratégies parallèles, comme dans le cadre du projet Manhattan ? Si le projet Manhattan a des contraintes

de temps similaires, il n’a pas vraiment de contrainte de coûts. C’est d’ailleurs cette contrainte de coûts qui

justifie l’intervention du Programme autant en amont du processus de conception, puisqu’il n’intervient

habituellement pas en phase de recherche. Cette contrainte de coûts prohibe la multiplicité de pistes

indépendantes.

Peut-on alors adopter l’approche learn & try, c’est-à-dire avancer par apprentissages rapides et par

pivots ? Là encore, on s’oppose aux mêmes contraintes de temps et de coût : on n’apprend pas sur un

véhicule autonome aussi vite que lorsqu’on conçoit une brosse à dents. La complexité de l’autonomie exige,

nous l’avons vu, des cyles try & learn longs, et donc des pivots qui peuvent être tardifs.

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147

Comment donc piloter cette exploration. Rappelons-le, il s’agit de coordonner en simultané des

entités qui n’ont pas les mêmes objectifs : cellules de recherche, qui visent à produire une technologie avec

un certain TRL (Technology Readiness Level), et projets d’ingénierie, qui visent à convertir ces

technologies en systèmes transposables sur les véhicules de série. Certaines entités, comme le projet ILIAD,

mélangent même les deux. Pour finir, il faut ensuite coordonner ces entités avec les projets véhicules. La

Direction Programme, face à ces problématiques de pilotage, a contribué à effectuer un arbitrage. Cet

arbitrage consistait, au moment où nous étions chez Renault, à prendre les systèmes développés par Nissan,

et à les modifier pour les adapter sur la gamme Renault. Et ce pour les systèmes autonomes de niveau 1, 2

et potentiellement 3. On pourrait se féliciter de cette convergence des définitions techniques des différents

projets sur la base des technologies Nissan. Cependant, cela traduit également une volonté de stopper

l’exploration où elle en est, de remonter les apprentissages d’ingénierie de Nissan – puisque les technologies

sont presque prêtes – et de les transférer en amont à la recherche pour poursuivre son exploration sur cette

nouvelle base. Mais cela a peut-être balayé certains apprentissages des équipes qui se sont vues imposées

les systèmes Nissan. Sans parler de la frustration que nous avons pu mesurer auprès des ingénieurs Renault

à l’idée de faire de la mise au point de technologies Nissan.

D’après ce que nous avons pu observer tout au long de notre apprentissage, il semblerait finalement

que le choix, à la fois des projets ILIAD et TRAJAM et des Directions Programme et Ingénierie, a été de

combiner les deux approches de Loch, sans pourtant assurer un essaimage des apprentissages entre les

projets. Sans prétention aucune, nous essaierons donc, dans la sous-partie qui suit, de proposer un embryon

de méthode de pilotage de l’exploration dans un contexte aussi particulier.

V. L’exploration concourante : le pilotage de l’exploration par un plan d’expérimentation

Le contexte d’exploration du véhicule autonome Renault, collaboration d’entités ambidextres de

différentes natures et de directions regroupant presque tous les métiers impliqués dans la conception, la

fabrication et la vente d’un véhicule, est particulier par son ampleur et sa diversité. Tous ces acteurs

collaborent pour explorer un concept flou, celui de véhicule autonome. Cette collaboration, nous

l’appellerons exploration concourante, en référence à l’ingénierie concourante. Comme l’ingénierie

concourante, elle se caractérise par l’implication simultanée des différents métiers, différentes fonctions,

par opposition à un fonctionnement séquentiel.

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148

La compréhension que nous avons des contraintes de conception des différents niveaux

d’autonomie nous laisse à penser que c’est le passage du niveau 2 d’autonomie aux niveaux 3 et plus,

combiné avec la volonté de rendre les systèmes développés compatibles avec les véhicules de la gamme,

qui génère de la complexité dans le pilotage de l’exploration. Les systèmes d’autonomie semblent pouvoir

être conçus comme des aides à la conduite tant que le conducteur doit garder les yeux sur la route, c’est-à-

dire tant que l’on ne révolutionne pas le produit « voiture particulière ». Cela couvre les niveaux 1 et 2

d’autonomie. En effet, ces systèmes ne modifient que peu l’architecture du véhicule par rapport aux aides

à la conduite (ADAS) que Renault a l’habitude d’intégrer dans ses véhicules : pas de modification du

cockpit, pas de modification du modèle d’affaire, peu de modifications de l’architecture électronique, etc.

A l’inverse, lorsqu’on cherche à atteindre les niveaux 3 et plus, c’est-à-dire à changer partiellement

la fonctionnalité du véhicule – qui devient un lieu de divertissement, de travail, etc, grâce au temps récupéré

sur la conduite – le niveau de performance requis impose aux équipes de développer des systèmes

d’autonomies qui impactent presque l’ensemble des systèmes du véhicule. Et pour proposer des activités à

bord, il faut en plus modifier l’habitacle. Cette problématique est illustrée par le schéma suivant :

Figure 46 Schéma de l'impact d'un système d'autonomie sur le véhicule en fonction de son niveau d'autonomie

Le passage au niveau 5 représente encore une autre rupture, par rapport au niveau 4. Le coût des

systèmes, en fonction de leur niveau d’autonomie, évolue selon une courbe en escalier similaire.

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Au moment d’écrire ce mémoire, nous nous posons la question de savoir si la seule manière de

piloter une exploration sur des systèmes d’autonomie de niveaux 3 et plus, en parallèle de projets de

systèmes de niveaux 1 et 2, est de donner une autonomie totale aux équipes par rapport au produit final,

sans imposer la compatibilité avec les véhicules de la gamme. En d’autres termes, profiter de la radicalité

et de l’ampleur de cette innovation pour concevoir un système d’autonomie et un véhicule autour du

système d’autonomie, plutôt qu’un système qui doit s’imbriquer dans des véhicules existants ou dans des

véhicules futurs dont les caractéristiques sont connues. C’est ce qui a été fait pour le véhicule électrique

Renault, dont on peut aujourd’hui dire qu’il est un succès : la Zoé. Les équipes n’ont pas simplement conçu

un système de propulsion ou de traction électrique, mais aussi le véhicule dont il est la base. Cela correspond

également à l’approche Tesla, qui, une fois effectué son apprentissage en termes de mécanique et de

propulsion électrique, par la conception et la production de roadsters, a conçu un véhicule autour d’une

plateforme électrique, connectée, et autonome.

En revanche, cette approche est une approche à court terme. Elle correspond à une stratégie de

vitesse dont l’objectif serait d’occuper le marché le plus vite possible. Mais l’objectif est différent sur le

moyen et long terme, puisqu’il s’agit de rentabiliser au maximum les apprentissages et les technologies

développées, par l’équipement d’un maximum de véhicules. De plus, l’autonomie comporte de nombreuses

caractéristiques des marchés bifaces : l’effet volume est très important pour conclure des partenariats

stratégiques avec les acteurs de cette nouvelle forme de mobilité, pour imposer des standards ou pour faire

pression sur les pouvoirs législatifs. Comment en effet convaincre par exemple TomTom, un des leaders de

la navigation, de développer une cartographie spéciale pour l’autonomie, si le système final n’est vendu

qu’à quelques milliers d’exemplaires ? Pour atteindre cet objectif, il ne suffit pas de construire un véhicule

autonome, dont le système ne pourrait être adapté à aucun autre véhicule : c’est un peu le problème de la

Zoé, qui demeure pour l’instant le seul véhicule particulier électrique de la gamme, car la motorisation

électrique conçue est peu adaptable à d’autres véhicules. Pour le véhicule autonome, il faudrait dans l’idéal

éviter cet écueil et concevoir un système d’autonomie standard capable de générer une lignée de véhicules

autonomes, c’est-à-dire concevoir une plateforme pour l’autonomie de niveaux 3 et 4. Idéalement cette

plateforme partagerait un maximum de caractéristiques avec les systèmes de niveaux 1 et 2, afin de

bénéficier également d’effets volumes sur ces systèmes. Et, idéalement toujours, cette plateforme devrait

permettre à un système de niveau 3 ou 4 de fonctionner en mode dégradé comme un système de niveau 1

ou 2.

Cependant, ces réflexions ne résolvent pas les problèmes de conception de cette plateforme.

Comment faire pour piloter une exploration dont le but serait d’aboutir à une plateforme commune Renault-

Nissan pour l’autonomie de niveaux 3 et 4 ? Le pilotage de l’exploration dans ce genre d’écosystème

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caractérisée par une ambidextrie plurielle, peut sans doute être effectué en combinant les deux approches,

comme cela a été fait jusqu’à maintenant. L’idée est simple : on ne peut pas se permettre de mettre tous ses

œufs dans le même panier (try & learn), et on ne peut pas non plus s’offrir le luxe d’une approche de type

selectionism avec plusieurs pistes indépendantes. En revanche, certaines modifications pourraient

hypothétiquement être apportées sur la manière de coordonner ces projets.

Tout d’abord, nous avons ressenti qu’il n’y avait que peu de convergence des apprentissages entre

les projets. Par exemple, l’ensemble des projets Renault travaillant sur le sujet du véhicule autonome est

mal connu des équipes. D’ailleurs, pour avoir posé la question, certains membres du projet ILIAD nous ont

confié qu’ils n’avaient aucune vision globale de la conception de véhicules autonomes chez Renault. Une

cartographie des projets travaillant sur l’autonomie semble donc nécessaire, en premier lieu, cartographie

qui devrait être communiquée à chacun des acteurs impliqués. Cette cartographie doit couvrir les projets de

Renault et les projets Nissan, dans les directions de la recherche, de l’ingénierie, du programme, du produit,

etc.

Ensuite, la coordination de ces différents projets, dont ILIAD et TRAJAM font partie, devrait être

prévue dans le cadre d’un grand plan d’exploration, défini ex ante, composé d’une multitude de plans

d’expériences, chaque plan d’expérience correspondant à un sujet sur lequel Renault et Nissan ont besoin

d’apprendre, se traduisant par une étude, confiée à une équipe. Le plan d’exploration permet de remonter

les résultats des différents plans d’expérience, et structure les différents acteurs en fonction de leurs

domaines d’étude. Si un tel plan d’expérience n’existe pas encore, les données d’un tel plan d’exploration

existent sans doute déjà : chaque projet connaît son champ d’étude, ses objectifs, ses moyens, etc. Mais il

semblerait qu’il manque le plan d’exploration, c’est-à-dire, un peu à la manière des murs couverts de

coupures de presse et de photographies par les enquêteurs dans les films, une vision globale. L’intérêt de

ce genre de plan d’exploration est double : d’une part éviter les doublons en s’assurant que deux équipes

ne développent pas une même solution à un même problème, causant ainsi une perte de temps et de

ressources sans générer de nouveaux apprentissages, et d’autre part éviter la dispersion en s’assurant que

toute piste suivie par un projet, si elle n’aboutit pas, génère suffisamment d’apprentissages pour justifier

qu’on s’y lance. Pour mettre en place ce plan d’expérience, la cartographie des projets travaillant sur

l’autonomie est nécessaire. Ensuite, peut-être faut-il commencer par faire remonter de tous les projets

l’ensemble des problèmes auxquels ils font face. Une fois ces problèmes recensés, il faudrait les trier par

domaine (fusion, validation, juridique, électronique, connectivité, sécuritaire, marketing, etc.), puis, pour

chaque domaine, les hiérarchiser en fonction des menaces qu’ils représentent pour le succès global de

l’exploration, c’est-à-dire la création d’une plateforme permettant la commercialisation d’un véhicule

autonome de niveau 3 au minimum. Par exemple, dans le domaine de la fusion, le problème de l’horizon

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de perception d’un véhicule autonome est sans doute l’une des principales menaces, tandis que le problème

de l’identification des animaux est moins prioritaire. Une fois cette vision globale en place, il faudrait

identifier les problèmes connus sur lesquels aucun projet ne travaille activement, et en fonction de leur

criticité, réorienter les efforts de certains pour s’assurer d’un apprentissage sur ces problèmes, à défaut de

trouver une solution viable.

Puisque l’objectif final est de construire une plateforme de l’autonomie, les systèmes autonomes

doivent devenir des design rules, c’est-à-dire des caractéristiques de base du produit, non négociables, que

tout projet interne doit prendre en compte. Les airbags font par exemple pleinement partie des design rules

aujourd’hui, ce qui n’a pas été le cas pendant longtemps, de même que la présence d’un système ABS est

aujourd’hui une contrainte de conception que personne ne discute. Comment cependant imposer

l’autonomie partie intégrante des design rules ? Nous nous posons la question, sans avoir la réponse, de la

nécessité de faire de l’autonomie une entité transversale, au même titre que l’architecture électronique du

véhicule.

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152

Focus

Deuxième partie : élaboration d’une méthode d’estimation

de la valeur par représentation implicite du client et

analyse de ses usages

Plan

IV. Une implication difficile du client dans la conception

V. Méthodologie déployée

VI. Résultats et discussion

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153

I. Une implication difficile du client dans la conception

Comme nous l’avons déjà mentionné, il existe diverses manières d’impliquer l’utilisateur dans la

conception d’une innovation telle que le véhicule autonome. Certaines confinent à des tests de la valeur à

petite échelle, par des expérimentations et un prototypage familier à l’industrie automobile ; d’autres

impliquent la considération du client comme une forme d’utilisateur-innovateur, bien qu’adaptée, décrite

par Akrich123 où le conducteur participe activement, par son usage quotidien, à concevoir le véhicule,

comme tente de le faire aujourd’hui Tesla.

Il semble cependant que ces implications diversement actives du conducteur dans la conception du véhicule

autonome se heurtent à des obstacles insurmontables pour un constructeur automobile comme Renault. Il

est d’une part hors de question pour les équipes de Renault d’aborder la question du véhicule autonome à

la manière de Tesla : une connaissance client fine, développée sur de longues années, assortie à une gamme

présentant un contenu technologique, en termes d’ADAS, permet d’affirmer que la grande majorité des

clients de Renault ne sont pas des innovateurs entichés de technologie et prêts à subir des performances

dégradées, des immuables « beta versions » de systèmes qu’ils se sont offerts. Hors, la méthode de Tesla

ne s’appuie pas sur une communauté restreinte de lead users124, mais bien sur un déploiement massif de

voitures constamment connectées et upgradables dont tous les clients acceptent les limites et promesses.

Un tel déploiement massif, sur des véhicules qui plus est abordables, mettrait en péril l’équilibre financier

des projets développés par Renault. Au-delà de l’impossibilité d’être un second Tesla, le prototypage est

lui-même problématique et ne permet que difficilement d’organiser une analyse de la valeur poussée. Les

obstacles sont en effet multiples :

- Un problème technologique. Les prototypes construits et utilisés par Renault125 aujourd’hui, s’ils

servent à remonter une grande quantité de données et à amorcer la validation du système

d’autonomie développé, ne permettent pas une simulation très fidèle de ce que sera la fonctionnalité

de conduite autonome : la conduite est encore trop erratique et hésitante, les prestations ne sont pas

assez poussées, la fréquence des reprises en main trop importante, le réseau de routes et scènes de

conduite compatibles étant très restreint.

- Un problème de ressources. Chaque prototype coûte cher, plusieurs centaines de milliers d’euros,

notamment à cause de l’utilisation de capteurs performants, non encore produits en des quantités

industrielles. Leur utilisation quotidienne est également un inducteur de coût significatif, 1 heure

123 Voir Note Bibliographique 124 Voir Note Bibliographique 125 Voir Note Bibliographique

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de conduite nécessitant environ 3 heures de vérifications et de maintenance du véhicule. Dans ce

contexte de ressources finies, il est donc difficile d’utiliser un prototype pour d’autres raisons que

pour la validation du logiciel lui-même, et les diverses sollicitations venant de collaborateurs de

l’entreprise pour tester le véhicule sont aujourd’hui soumises à des délais d’attente importants.

- Un problème règlementaire enfin. Les essais sur route ouverte de systèmes de conduite autonome

par des conducteurs non experts n’ont été autorisés pour la première fois en France qu’il y a

quelques mois126 et le dossiers à remettre au ministère des transports sont complexes et

particulièrement longs à monter, bien que Renault soit sur le point d’obtenir ces agréments et de

lancer des tests avec un public non expert, bien que dans des proportions très limitées.

Face à la fois à ce constat, mais également à la difficulté de sélectionner d’éventuels clients testeurs127, s’est

également posée la question de la valeur d’usage du système : la valeur du véhicule autonome de niveau 4

ne réside pas seulement dans la qualité de sa conduite, de sa détection des situations, du sentiment de

sécurité et de confort qu’il confère, et qu’un prototype fonctionnel pourrait effectivement permettre

d’identifier, mais également, si ce n’est davantage, dans l’intérêt que ce système peut revêtir dans les usages

de son conducteur, dans ses habitudes de mobilité, qu’elles soient personnelles ou professionnelles,

quotidiennes ou occasionnelles. Estimer cette valeur ne requiert pas un engagement actif du client dans la

conception du système, tout du moins dans un premier temps : il s’agit de segmenter les différentes

catégories de clients possibles en fonction de leurs usages, d’identifier des cibles de clients prometteurs,

qui auraient un usage intensif de ce genre de systèmes, et d’adapter alors les prestations du véhicule, et

notamment la vie à bord, en fonction de leurs besoins. Nous avons donc cherché à développer une

méthodologie permettant d’estimer finement la quantité de temps que des catégories d’utilisateurs

(commuters effectuant des déplacements domicile travail, professionnels partant en mission, particuliers

partant en vacances etc.) pourraient passer en mode autonome, et d’identifier parmi ces catégories

d’utilisateur des niches de clients pour lesquels un système d’autonomie de niveau 4 aurait une valeur

immédiatement identifiable et importante. En d’autres termes nous avons cherché à savoir combien

d’utilisateurs potentiels récupéraient combien de minutes grâce à un système de conduite autonome et dans

quel cas d’usage.

126 http://www.zdnet.fr/actualites/psa-fait-tester-ses-voitures-autonomes-a-monsieur-tout-le-monde-sebastien-

loeb-deprime-39850584.htm 127 Les critères utilisés risquant de biaiser le profil des personnes contactées, et donc l’estimation de la valeur

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II. Méthodologie déployée

Pour mener à bien notre étude, il nous fallait tout d’abord trouver des bases de données permettant

d’apporter une dimension quantitative importante à l’étude. Nous avons, si ce n’est d’emblée, au moins

rapidement, fait le choix de limiter notre étude à la France, premier marché du Groupe Renault128. Nous

avions en effet consulté de nombreux sondages et études sur les habitudes de mobilité des Français, réalisés

notamment par le Credoc, qui, si elles nous permettaient d’obtenir un paysage et une compréhension

globaux sur certaines questions, comme le temps moyen passé dans une voiture pour se rendre au travail

ou la proportion de personnes prenant les transports en commun, ne constituaient que des moyennes, qui

ne pouvaient guère nous satisfaire. Nous souhaitions en effet être en mesure de dire, tout d’abord pour le

cas d’usage des commuters129, de combien de minutes chaque client potentiel disposerait. Il nous fallait

trouver ou construire une base de données permettant d’identifier des trajets types, que nous analyserions,

et une estimation de la population empruntant ce trajet. De manière plus claire, nous cherchions à savoir

combien de personnes habitant à Fontainebleau allaient travailler à Paris, combien d’entre elles effectuaient

ce trajet en voiture, par quelles routes ces personnes voyageaient et donc combien de temps elles passaient

sur une ou des routes compatibles. Après avoir consulté, sur les conseils du Prof. Rémi Maniak, de

nombreuses études publiées par l’Insee sur les habitudes de mobilité des Français130, et à force de recherches

sur le site internet de l’Insee et sur le site d’open data lancé par le gouvernement131, nous avons trouvé un

fichier excel annexe au recensement de la population, au cours duquel est demandé aux sondés non

seulement leur lieu d’habitation mais également leur lieu de travail, référençant pour chaque ville de

domicile l’ensemble des communes de travail qui avaient été indiquées et le nombre de personnes

correspondant. Chaque ligne indiquait donc un lieu de domicile, un lieu de travail et la population faisant

le déplacement tous les jours pour se rendre au travail entre ces deux lieux, ligne que nous nommerons dans

la suite du propos « flux ». Ce fichier ne faisant figurer que les flux de plus de 100 personnes, l’ensemble

de la population active n’était pas représentée. De fait les actifs travaillant dans leur commune de résidence

n’ont pas non plus été pris en compte dans notre analyse : la finesse de la base de données étant au niveau

128 Nous avons également étudié la question de réaliser l’étude décrite dans cette partie sur le marché allemand,

mais Destatis, l’institut fédéral allemand de statistiques, bien que nous l’ayons contacté, n’a pas été en mesure de nous fournir les informations et données requises. 129 Personnes se rendant vers leur lieu habituel de travail tous les jours, réalisant donc deux déplacements

domicile – travail (ou travail – domicile) dans une journée 130 Notamment l’Enquête Globale Transports, réalisée par l’Insee, et dont les tableaux de synthèse de l’édition

2008 sont publiés par le Ministère de l’Ecologie : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/transports/s/transport-voyageurs-deplacements.html 131 https://www.data.gouv.fr/fr/

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de la ville, et non par exemple du quartier, il nous était impossible d’identifier les trajets suivis par les

personnes travaillant et habitant dans la même commune, à l’exception de Paris, Lyon et Marseille, scindées

en arrondissements. Au total, le fichier rassemblait tout de même 7 892 983 personnes habitant et travaillant

dans des communes différentes. Il nous fallait ensuite identifier lesquelles de ces personnes utilisaient leur

voiture pour se rendre au travail. De manière conservatrice, nous avons supposé que les systèmes de niveau

3 ou de niveau 4 ne constituaient pas une innovation si radicale qu’elle convainque certains commuters de

délaisser les transports en commun ou autres solutions alternatives pour la voiture. Nous avons donc

supposé que les personnes se rendant aujourd’hui en travail en voiture continueraient à le faire avec un

système de conduite autonome et que celles qui prenaient d’autres moyens de transport ne changeraient pas

non plus leurs habitudes. Une autre base de données de l’Insee, « Population active de 15 ans ou plus ayant

un emploi par sexe, lieu de travail et moyen de transport »132, toujours issue du recensement de la

population, permet, après retraitement, d’identifier pour chaque commune le nombre d’actifs utilisant leur

voiture pour se rendre au travail. En prenant l’hypothèse que le taux d’utilisation de la voiture pour se rendre

au travail était le même pour les personnes habitant et travaillant dans la même ville et pour celles habitant

et travaillant dans des villes différentes, nous avons retraité nos premiers chiffres pour obtenir des flux de

personnes se rendant tous les jours pour travailler dans une ville différente que celle de leur domicile, qui

plus est en voiture. La base de données que nous avions ainsi constituée représentait 25 920 flux pour une

population totale de 4 953 235 personnes.

Une fois cette base de données élaborée, encore nous fallait-il l’exploiter : étant donné le nombre

considérable de flux, le temps limité dont nous disposions, et l’impossibilité d’automatiser les tâches que

nous exposerons ci-dessous, nous avons opéré à une sélection d’une centaine de flux, soit un échantillon

représentant 5% de l’ensemble de la population active se rendant au travail en voiture dans une ville

différente de sa commune de résidence. En utilisant différents outils de Google Maps, nous avons ensuite

cherché et relevé les informations suivantes sur chacun des flux de cette sélection, qui se présentaient donc

sous la forme d’une ville de domicile, d’une ville de travail et d’une somme de personnes faisant le

déplacement tous les jours entre ces deux villes pour se rendre au travail :

- Nous avons tout d’abord cherché sur Google Maps le parcours le plus rapide entre les centre villes

de la commune de résidence d’une part et de la commune de travail d’autre part. Nous avons utilisé

la fonctionnalité « arriver à » qui permet de préciser une heure et un jour d’arrivée souhaités à la

destination finale. En renseignant une arrivée souhaitée à 9h un mardi du mois de septembre,

132https://www.insee.fr/fr/statistiques/2046666?sommaire=2117382&q=d%C3%A9placements+domicile+travail+v

oiture

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Google nous a alors fourni pour chaque trajet une fourchette de temps de parcours plus ou moins

large, dont nous avons relevé la moyenne. Cela nous a permis de nous extraire de la contingence

de l’heure à laquelle nous travaillions et demandions ces informations sur l’interface de Google

Maps, extraction d’autant plus nécessaire qu’un aller Toulouse – Blagnac prend une 15aine de

minutes le 25 août aux alentours de 14h mais davantage une 30aine de minutes en plein mois de

septembre, aux environs de 8h30…

- Une deuxième étape consistait à identifier les routes définies comme compatibles avec la conduite

autonome sur le parcours ainsi obtenu. Quoique notre étude puisse s’appliquer à de nombreux

systèmes d’autonomie dont l’ODD133 est l’autoroute, nous avons utilisé les spécifications du

système de niveau 4 AD2.1 développé par le projet ILIAD, au sein de Renault : une route est

considérée comme compatible lorsqu’elle est à accès réglementé (pas de piétons, ni de cyclistes, ni

de scooters de faible cylindrée par exemple), et présente au moins 2 voies dans le sens de circulation

où se situe le véhicule autonome, et est séparée physiquement (et non simplement par une ligne) de

l’autre sens de circulation. Nous avons ensuite analysé du début à sa fin chaque parcours

sélectionné, en nous livrant à un double niveau de réflexion. Nous avons tout d’abord repéré les

routes évidemment non compatibles et les routes évidemment compatibles. Les routes évidemment

non compatibles étaient celles passant par les centres-villes, dont le simple plan sur Google Maps

montrait qu’elles s’enchevêtraient dans un nombre important d’intersections. Les routes

évidemment compatibles étaient les autoroutes (c’est-à-dire toutes les routes dont la référence

commence par A), à l’exception de l’A85 qui présente sur une section importante une voie unique

de circulation, ainsi que des zones de péages, d’échangeurs, ou de sorties qui requièrent une reprise

en main de la part du conducteur. Nous avons cependant pu facilement identifier le positionnement

des péages grâce au site Viamichelin et des sorties ou échangeurs grâce aux descriptions

d’itinéraires de Google Maps. Grâce à Google Street View ou Google Earth, nous avons ensuite

vérifié si l’ensemble des routes restantes étaient compatibles ou non compatibles.

- Lors d’une troisième étape, parfois concomitante à la précédente en fonction de la difficulté de

l’itinéraire, nous relevions les temps de parcours de chacun des tronçons, compatibles ou non,

fournis par les prévisions de Google Maps, en ajustant à chaque fois l’heure de départ en fonction

de la durée constatée pour le tronçon précédent (afin ainsi de bien relever des temps de parcours

correspondant à une arrivée à 9h). Le système AD2.1 ne proposant pas d’activation si la durée de

133 Voir p. ?

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parcours prévue sur la route compatible est de moins de 2 minutes, nous n’avons donc pas non plus

retenu comme compatibles les morceaux de parcours effectués dans ces conditions.

Pour résumer, nous disposions ainsi dans chaque ligne de notre tableau :

- D’une commune de résidence

- D’une commune de travail

- D’un flux de population se déplaçant chaque jour en voiture entre ces deux villes (dans le sens

domicile -> travail) pour se rendre au travail

- De la durée de parcours totale pour une arrivée à 9h un jour de semaine

- De la durée de parcours avant de rejoindre la première route compatible

- De la durée de parcours sur chacune des routes compatibles, entrecoupées d’éventuelles reprises

en mains plus ou moins longues (quitte à sortir d’une autoroute pour en rejoindre une autre 5 km

après)

- De la durée de parcours après avoir quitté la dernière route compatible.

Une fois cette méthodologie mise en place, suite à de nombreux essais et à de non moins nombreuses erreurs

à rectifier, nous l’avons appliquée à d’autres cas d’usage du véhicule autonome, à des trajets ayant des

motifs différents du commuting:

- Le cas d’usage des déplacements professionnels à longue distance d’une part, c’est-à-dire vers le

lieu non habituel de travail. Pour constituer notre base de données, nous sommes partis d’un tableau

fourni par l’Enquête Globale Transports134, matrice indiquant le nombre de déplacements de plus

de 80 kms, tous motifs confondus, entre toutes les régions de France métropolitaine (à l’exception

toutefois de la Corse). Nous avons pu en déduire pour chaque région d’origine une répartition du

flux, tous motifs confondus, vers l’ensemble des régions de destination : cela nous permettait par

exemple de savoir que 5% des déplacements en provenance d’Ile de France avaient pour destination

la Picardie etc.135 Nous appellerons dans la suite du propos ces 5% « part de marché » d’une région

de destination dans l’ensemble des déplacements au départ de la région d’origine. Un autre tableau

nous indiquant le nombre de déplacements professionnels au départ de chaque région (sans

toutefois donner directement leur répartition vers des régions de destination) ainsi que la part de

ces déplacements effectués en voiture, nous avons pour chaque région d’origine ventilé ce total de

134 Voir Note ? plus haut. Nous avons notamment utilisé notamment les tableaux 3.4.2.a., 3.4.6, 4.1.8. 135 Ce chiffre n’est utilisé que pour illustrer notre propos et ne provient en aucun cas du tableau en question

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déplacements ayant un motif professionnel effectués en voiture en fonction des « parts de marché »

des différentes régions de destination trouvé dans le tableau précédent. Nous savons dire, à titre

d’exemple, à cette étape, que 10 000 déplacements en voiture pour motif professionnel entre

l’Alsace et la Bretagne sont réalisés chaque année. Nous cherchons cependant à avoir des flux entre

communes pour pouvoir estimer de la manière la plus fidèle possible les itinéraires réalisés et donc

les quantités de temps passées sur des routes compatibles. Pour descendre à une échelle

communale, nous avons donc, en filant notre exemple :

o Ventilé les 10 000 déplacements en fonction de la population active résidant dans les villes

de la région de départ, que nous avons trouvée dans le tableau utilisé dans le cas des

déplacements de commuting. Ainsi, si l’Alsace compte 1 000 000 d’actifs136 dont 100 000,

soit 10%, à Strasbourg, nous considérons que 1 000 déplacements professionnels se font

en voiture chaque année depuis Strasbourg vers la Bretagne.

o Ventilé les 1000 déplacements Strasbourg – Bretagne obtenus en fonction du nombre de

personnes travaillant dans chacune des villes de Bretagne, information se trouvant

également dans le tableau utilisé dans le cas du commuting. Ainsi, si 1 000 000 de

personnes travaillent en Bretagne et 10%, soit 100 000 travaillent à Rennes, on considérera

que le flux de déplacements professionnels réalisés en voiture chaque année entre

Strasbourg et Rennes se monte à 100.

Nous avons ainsi obtenu une base de données fournissant une estimation du nombre annuel de

déplacements professionnels effectués en voiture entre toutes les villes de France, dont nous avons

sélectionné les 100 plus importants dans notre analyse.

- Le cas d’usage des déplacements personnels liés à des motifs de loisir d’autre part (que nous

appellerons par hyperbole « déplacements domicile - vacances » dans la suite du propos).

Contrairement au cas des déplacements professionnels, un des tableaux de l’Enquête Globale

Transports indiquait clairement le nombre de déplacements domicile – vacances réalisés chaque

année entre les différentes régions françaises137. De la même manière que précédemment, nous

avons retraité ces chiffres pour ne prendre en compte que les déplacements réalisés en voiture, dans

une approche conservatrice. A titre d’exemple nous savions donc que 10 000 personnes habitant la

Bourgogne se rendaient chaque année dans le Languedoc pour leurs vacances (ou donc pour tout

136 Et non d’habitants, ce qui permet de ne pas avantager artificiellement d’éventuelles villes où la population

retraitée serait importante. 137 Tableau 5.4.3.a

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160

autre motif personnel lié au loisir) Comme dans le cas précédent, nous souhaitions ensuite

redescendre au niveau communal. Nous avons fait l’hypothèse que les personnes partant en

vacances disposaient d’un revenu suffisant et se rendaient dans des destinations touristiques et

capables de les accueillir.

o Forts de cette hypothèse, nous avons d’abord consulté un tableau138 sur le niveau de départ

en vacances des Français en fonction de leur décile de revenu et du type de destination

choisi : pour chaque décile national de revenu était indiquée la proportion de foyers partant

en vacances dans leur région, dans une région différente de la leur ou à l’étranger (ou en

Outre-Mer). Grâce aux données de revenus sur les villes communiquées par ailleurs par

l’Insee, que nous avons retraitées pour obtenir la distribution de la population des villes

françaises en fonction de leur décile national (et non local) de revenu, et donc in fine le

nombre de personnes qui partaient en vacances dans une région différente de la leur dans

chaque ville. Nous étions ainsi capables de dire, toujours à titre d’exemple, que 10% des

Bourguignons partant en vacances dans une région différente de la leur venaient de Dijon,

et donc que 1000 Dijonais se rendaient dans le Languedoc tous les ans pour leurs vacances.

o Dans un deuxième temps, encore nous fallait-il trouver vers quelles destinations précises

ces Dijonais se rendaient. Nous avons consulté un tableau de l’Insee nommé « Capacités

des communes en hébergement touristique »139, et avons agrégé le nombre de lits dont

disposait la région Languedoc, puis distribué le flux précédent en fonction du pourcentage

de lits que chacune des communes de destination disposait dans la Région. Ainsi, si par

exemple Palavas regroupe 10% des capacités d’hébergement de la région, nous pouvons

évaluer à 100 personnes par an le flux Dijon - Palavas.

III. Résultats et discussion

Nous fournissons en annexe ? l’ensemble des tableaux et slides de synthèse, qui sont les résultats bruts de

notre étude ainsi que les conclusions que nous en avons tirée, qui ont été présentées à divers publics au sein

du Groupe. En voici les principaux aspects :

- Nos résultats ont tout d’abord mis en exergue la problématique des reprises en main liées aux

changements d’autoroute, qui n’avait pas été officiellement identifiée comme un frein à l’achat du

138 Enquête Globale Transport, Tableau 3.2.3.b 139 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2021703

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système. Si certains trajets ménagent en effet des plages de plus de 20 ou 30 minutes sans

interruption de conduite autonome, en particulier dans le cas des déplacements professionnels et

des déplacements domicile vacances, faisant en sorte que la survenance ponctuelle de demandes de

reprises en mains liées à ces changements d’autoroute ne réduise pas considérablement les

prestations offertes par le système, la situation des déplacements domicile travail, où les durées

totales de trajet, et surtout les durées de trajet sur route compatible, sont moins longes et les

changements d’autoroutes non moins fréquents.

- La problématique des reprises en mains est d’autant plus aigüe que le cas d’usage des déplacements

domicile travail quotidiens présente une situation très contrastée. Tout d’abord, il apparaît que 42%

des personnes de notre échantillon empruntent un itinéraire ne passant par aucune route compatible

(sans qu’aucun itinéraire alternatif compétitif en termes de temps et faisant intervenir une route

compatible ne soit envisageable), et 16% ne disposent qu’entre 2 et 5 minutes de route compatible.

32% disposent de 6 à 15 minutes et seuls 5% des commuters disposent d’au moins 16 minutes. Ce

temps passé sur autoroute, si la voiture était en mode autonome, serait qui plus est de piètre qualité :

si en moyenne le commuter qui passe par une route compatible dans son trajet quotidien (c’est-à-

dire l’ensemble des commuters à l’exception des 48% susmentionnés) dispose d’une durée globale

totale de 8 minutes sur route compatible, il s’agit en fait d’en moyenne 2x4 minutes, puisqu’on

constate une moyenne d’une reprise en main sur ces mêmes trajets. Ces 8 minutes ne représentent

en plus qu’une faible part du trajet, soit en moyenne 29% du temps de parcours. Si l’on suppose

que le système n’a de la valeur qu’au dessus d’une durée totale de fonctionnement par trajet de plus

de 5 minutes, qui à elle seule pourrait justifier qu’un client de Renault débourse la somme d’argent

importante qui sera requise, 64%, soit environ les 2/3, des clients Français n’y verraient pas ou peu

d’intérêt.

- La situation est moins problématique pour les déplacements professionnels et vers la destination de

loisir ou de vacances. Les plages d’autonomie sont généralisées (chaque trajet sélectionné contenait

au moins une route compatible), plus longues (en moyenne 253 minutes pour les déplacements

domicile – vacances, et 91 minutes pour les déplacements professionnels), et proposent des

périodes moyennes d’autonomie non interrompue par une demande de reprise en main

respectivement de 43 minutes et de 35 minutes. Les phases de conduite autonome correspondent

de plus à une part importante des trajets, soit 82% pour les trajets domicile-vacances et 72% pour

les déplacements professionnels.

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162

Il semble donc au premier abord que les professionnels soient une catégorie de clients à favoriser dans les

efforts commerciaux et à laquelle particulièrement s’adresser dans chaque étape de la conception du

véhicule : les trajets longue distance qu’ils effectuent passent par des routes autonomes, et la valeur du

système est particulièrement significative à leurs yeux.140. Le cas des déplacements de loisir est plus

problématique : certes les distances parcourues sont longues et les temps d’autonomie potentielle

importants, ce qui rendrait ce système idéal pour les grands départs en vacances, mais il est de la nature des

vacances d’être peu fréquentes et un tel système n’aurait donc qu’une faible fréquence d’utilisation globale

tout au long de l’année. Reste le cas des déplacements domicile travail, qui sont les plus fréquents, mais

également les moins propices au système, qui peine à adresser une grande partie de ces utilisateurs de par

les restrictions de scènes de route (limitation aux scènes autoroutières) et de situations gérées (pas de prise

en compte des changements d’autoroute, ni de certaines situations imprévues qui requièrent une demande

de reprise en main). Il n’en subsiste pas moins l’existence de niches d’utilisateurs à identifier (habitants de

grande banlieue travaillant en centre-ville ou de centre-ville travaillant en grande banlieue, jeunes retraités

compatibles avec la moyenne d’âge des clients de Renault qui voyagent intensément, professions aux

déplacements fréquents et lointains, à l’image des commissaires aux comptes, etc.)

Grâce aux bases de données que nous avons constituées et à leur exploitation sur Google Maps, nous avons

donc été capables, dans ces trois cas d’usage, d’impliquer de manière implicite l’utilisateur, sans toutefois

le connaître précisément. Or, comme nous l’avons précédemment évoqué, la conception du véhicule

autonome tel que Renault l’imagine nécessite une implication bien plus avancée du conducteur, dans une

forme d’entre deux entre d’une part, son implication ponctuelle lors d’essais sur circuit ou sur route ouverte,

qui ne sont pas suffisants pour identifier ses besoins et collecter suffisamment de données pour tout

simplement pouvoir faire rouler un jour un véhicule autonome, et d’autre part son implication en tant

qu’innovateur-concepteur au sens de Tesla, que l’histoire et la culture du groupe, la constante recherche de

sûreté de la part de ses ingénieurs, et une clientèle différente, rendent impossible. Dans ses « captive fleet »

d’une centaine de véhicules que Renault souhaite lancer pour résoudre ce paradoxe entre recherche de

sécurité dans le développement et nécessité de la donnée, Renault a cependant besoin d’utilisateurs ayant

un usage particulièrement actif des systèmes. Nos résultats ont pu contribuer à identifier ces utilisateurs

140 Nous ne développerons pas ici le calcul de la valeur différencié des systèmes de niveau 3 et 4 en fonction du cas d’usage. Il s’agit d’un travail que nous avons cependant mené, en nous appuyant sur le rapport Boiteux, qui propose une valorisation du temps en pourcentage de salaire horaire brut pour chacun des cas d’usage que nous avons traités : 1 heure de trajet de déplacement professionnel est valorisée 85% du salaire horaire brut, 1 heure de trajet domicile – travail quotidien 77% et 1 heure de trajet lié aux loisirs 42% M. Boiteux (2001) Transports : choix des investissements et coût des nuisances, Commissariat Général du Plan, p. 40

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potentiels : ayant montré que seule une faible proportion des commuters serait intéressé par le système,

encore nous fallait-il dire quelles niches de personnes se rendant tous les jours au travail en voiture et faisant

des dizaines de kms sur les autoroutes existaient ; inversement, ayant identifié les déplacements

professionnels comme un gisement de valeur plus important, encore nous fallait-il préciser quelles

catégories de professions seraient les plus susceptibles d’être intéressées par notre produit, et comment faire

en sorte que nous adaptions, en collaboration avec elles, ce produit. Ces travaux sont toujours en cours.

Il n’aurait cependant pas été possible d’identifier ces lead users sans avoir auparavant effectué ce travail de

connaissance des conducteurs, servant non seulement à estimer la valeur client, mais aidant également, par

itérations, à impliquer les bons clients au bon moment. Le paradoxe est qu’ici, alors que le Groupe Renault

dispose d’un département de Market Intelligence très actif et efficace, ne disposait pas de cette

connaissance, parce qu’elle a peu d’intérêt en dehors du contexte du véhicule autonome. Pourtant, concevoir

un véhicule autonome porteur de valeur ne nécessite pas seulement de savoir le réaliser d’un point de vue

technique mais également de connaître les habitudes des clients pour faire en sorte que la technique réponde,

à court, moyen ou long terme à ses besoins, tout en apprenant suffisamment pour un jour, être capable de

mettre sur le marché un système où ces considérations n’auront que peu de poids face à une révolution

annoncée : celle du véhicule sans chauffeur.

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Pilotage d’une exploration concourante : Le projet de véhicule autonome Renault, Gilloury P., Martel F., Midler C., 2017

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166

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Annexes

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Annexes de l’Introduction à la conduite autonome

Annexe 1 :

Tableau récapitulatif des ADAS

ACC – Adaptive Cruise Control

Régulateur de vitesse qui adapte automatiquement la vitesse pour

maintenir une certaine distance de sécurité avec le véhicule

précédent.

AFLS – Adaptive Front

Lighting System

Système qui oriente automatiquement le faisceau lumineux des

phares vers la droite ou la gauche dans les virages, pour s’adapter à

la direction du véhicule.

AHBC – Adaptive High Beam

Control

ALC – Adaptive Light Control

Système qui ajuste automatiquement la hauteur des phares en

fonction du trafic arrivant en sens inverse.

ANV – Automotive Night

Vision

NVA – Night View Assist

Système qui, à l’aide de caméras infrarouges ou thermiques, affiche

à l’écran les images qui permettent au conducteur d’avoir une

meilleure perception de la route devant lui dans l’obscurité.

AEB – Automatic Emergency

Braking, Autonomous

Emergency Braking

Systèmes surveillant la présence d’obstacles (véhicules, piétons,

etc.) devant le véhicule, détecte les situations où une collision est

imminente, et enclenche un freinage d’urgence automatiquement

pour éviter la collision ou en diminuer les conséquences.

Notamment utilisé pour les piétons qui traversent devant un

véhicule.

APS – Automatic Parking

System

IPAS – Intelligent Parking

Assist System

PA – Parking Assistance

Système conçu pour aider le conducteur à garer son véhicule.

Certains gèrent l’intégralité de la manœuvre, d’autres donnent

simplement des conseils au conducteur sur la trajectoire à suivre où

l’endroit où s’arrêter.

BSD – Blind Spot Detection

BSM – Blind Spot Monitoring

BSW – Blind Spot Warning

Système qui détecte la présence d’obstacles (voiture, motard,

cycliste) dans les angles morts du véhicules. Certains systèmes

alertent le conducteur, d’autres lui montrent grâce à des caméras

l’obstacle en question.

BOP – Back-Over Protection,

Back-Over Prevention

« Radar de recul » qui combine des ultrasons et/ou une caméra pour

avertir le conducteur de la proximité d’obstacles lors d’une marche

arrière (piéton, mur, véhicule, etc.).

CIB – Crash Imminent Braking,

Collision Imminent Braking

Système qui déclenche automatiquement un freinage d’urgence

lorsque le conducteur ne répond pas aux alertes des autres systèmes

d’aide à la conduite.

CDW – Collision Detection

Warning

CAS – Collision Avoidance

System

Système qui utilise divers capteurs pour déterminer si le véhicule

est sur le point d’entrer en collision avec un obstacle (véhicule,

piéton, mur, etc.). Lorsque le système détermine que le véhicule est

dans une situation pouvant mener à une collision, il avertit le

conducteur et dans certains cas, enclenche des actions préventives,

comme la pré-charge des freins, la tension de la ceinture de sécurité,

ou la gestion de la direction.

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169

CMS – Camera Monitor System

SVC – Surround View Camera

Système qui transmet par des écrans la vision de caméras

extérieures montées sur le véhicule au conducteur. Exemple :

caméras de remplacement des rétroviseurs extérieurs, caméra de

recul, etc.

CTA – Cross-Traffic Alert

Système alertant le conducteur lorsqu’une collision avec un

véhicule venant d’une direction perpendiculaire est sur le point de

survenir, grâce à des capteurs avec de grands angles de perception

(caméras). Notamment dans les zones de stationnement (parkings).

DDW – Drowsy Driver Warning

DFW – Driver Fatigue Warning

DDD – Driver Drowsiness

Detection

DMS – Driver Monitoring

System

Système qui détermine si l’attention du conducteur est portée sur la

scène de conduit et l’actionnement des commandes, ou s’il est en

état d’hypovigilance (activités secondaires, somnolence, etc.). La

plupart des systèmes utilisent des caméras pour surveiller la

direction du regard.

EVWS – Electric Vehicle

Warning Sound

Système qui alerte les piétons par signal sonore pour les prévenir de

l’approche du véhicule qui, lorsqu’il est électrique, fait très peu de

bruit.

EDA – Emergency Driver

Assistant

Système qui prend le contrôle du véhicule lorsqu’il détermine que

le conducteur n’est plus en mesure de le faire (malaise, etc.).

FCW – Forward Collision

Warning

FCWS – Forward Collision

Warning System

FCA – Forward Collision

Avoidance

Système qui utilise divers capteurs pour déterminer si le véhicule

est sur le point d’entrer en collision avec un obstacle (véhicule,

piéton, mur, etc.). Lorsque le système détermine que le véhicule est

dans une situation pouvant mener à une collision, il avertit le

conducteur et dans certains cas, enclenche des actions préventives,

comme la pré-charge des freins, la tension de la ceinture de sécurité,

ou la gestion de la direction.

GFHB – Glare-Free High Beam

HLA – Head Lamp Assist

IHBC – Intelligent High Beam

Control

LA – Lighting Automation

Système de détection des véhicules arrivant dans l’autre sens, qui

passe automatiquement de pleins-phares à feux de route, et

inversement, en fonction, pour éviter d’éblouir les conducteurs.

HUD – Head-Up-Display

Un affichage transparent (souvent une lamelle de verre)

communiquant des informations au conducteur au niveau de son

regard (souvent au-dessus du volant ou sur le pare-brise),

permettant au conducteur de garder les yeux sur la route au lieu

d’aller chercher ces informations sur le tableau de bord.

HDC – Hill Descent Control Système qui adapte automatiquement la vitesse engagée pour

profiter au maximum du frein moteur dans les descentes.

ISA – Intelligent Speed

Adaptation, Intelligent Speed

Advice

Système avertissant le conducteur lorsqu’il dépasse la vitesse

autorisée, grâce à la reconnaissance des panneaux et aux données de

cartographie.

LCA – Lane Change Assist

Système qui détecte la présence d’un véhicule à proximité lors

d’une manœuvre de dépassement qui serait alors dangereuse. Le

système alerte le conducteur, souvent grâce à un voyant au niveau

du rétroviseur.

LCA – Lane Centering Assist

LKA – Lane Keeping Assist

Système combinant une caméra de détection des lignes et une

direction électrique permettant de maintenir le véhicule dans sa

voie.

LD – Lane Detection Système détectant les lignes grâce à une caméra.

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LDW – Lane Departure

Warning

LDWS – Lane Departure

Warning System

Système utilisant des caméras de détection de lignes pour avertir le

conducteur lorsque le véhicule est sur le point de quitter sa voie, par

un signal sonore, une alerte visuelle, etc.

MOD – Moving Object

Detection

Système détectant la présence et la trajectoire d’objets mobiles

autour du véhicule, notamment lors des manœuvres de

stationnement, utilisant plusieurs caméras.

OC – Online Calibration

Un système reposant sur des capteurs qui se met à jour

automatiquement, par opposition à un système pour lequel la mise à

jour demande de passer au garage.

OD – Object Detection Algorithme de détection et d’identification des obstacles

environnants : piétons, véhicules, murs, etc.

OSD – Optical Surface Dirt Un système qui détecte lorsque l’objectif d’une caméra doit être

nettoyé, et alerte le conducteur.

PD – Pedestrian Detection

PDS – Pedestrian Detection

System

Système qui détecte les piétons autour du véhicule, le plus souvent

à l’avant et à l’arrière, fonctionnant avec des caméras.

PAEB – Pedestrian Automatic

Emergency Braking

Système qui déclenche un freinage d’urgence lorsqu’un piéton est

détecté devant le véhicule.

PLD – Parking Line Detection

PSMD – Parking Slot Marking

Detection

Un système qui lit le marquage au sol par caméra pour détecter les

places de stationnement.

RCTA – Rear Cross-Traffic

Alert

Système avertissant le conducteur lorsque le véhicule est sur le

point de rentrer en collision avec un véhicule venant en direction

perpendiculaire lors d’une marche arrière. Notamment lors des

manœuvres de stationnement.

RVC – Rear View Camera Caméra qui retransmet la vision depuis l’arrière du véhicule.

SVPA – Surround View Park

Assist

Système qui transmet par des écrans la vision de caméras

extérieures montées sur le véhicule au conducteur lors des

manœuvres de stationnement. Exemple : caméras de remplacement

des rétroviseurs extérieurs, caméra de recul, etc.

TJA/TJP – Traffic Jam

Assist/Pilot

Système qui adapte la vitesse du véhicule, et optionnellement la

trajectoire, pour garder une certaine distance avec le véhicule

précédent en situation de trafic dense, à faible vitesse.

TSR – Traffic Sign Recognition

Système fonctionnant avec des caméras, qui lit les panneaux de

signalisation, notamment les panneaux indiquant la limite de vitesse

autorisée pour avertir le conducteur d’un dépassement.

TLR – Traffic Light

Recognition

Système fonctionnant avec des caméras, qui lit les feux tricolores,

pour avertir le conducteur ou le système de conduite autonome.

TA – Turning Assistant Système surveillant le trafic en sens inverse lors de virages à faibles

vitesse, déclenchant un freinage en cas de situation dangereuse.

UPA – Ultrasonic Park Assist

Système d’assistance aux manœuvres de stationnement utilisant des

capteurs ultrasoniques, qui alerte le conducteur lorsque le véhicule

arrive à proximité d’un obstacle.

WWDW – Wrong-Way Driving

Warning

WWDA – Wrong-Way Driving

Alert

Système qui alerte le conducteur lorsque celui-ci roule en sens

inverse. Utilise notamment la reconnaissance des panneaux de

signalisation et la cartographie.

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Annexe 1 bis

A proposal for the Definitions of Automated Driving under WP.29 and the General Principles

for developing a UN Regulation

○ The following table reflects the general principles for automated driving systems as WP.29. These principles will be treated as guidelines for developing a new regulation related to automated driving systems at WP.29. ・The control systems that intervening in case of emergency (AEB, ESC, Deadman, etc.) are not

included in these definitions of automated driving.

・The control functions that avoid dangers caused by unpredictable traffic conditions (goods/luggage dropping, frozen road, etc.) or other drivers’ illegal driving behaviors are not considered in this table.

○ The regulation on automated driving needs to have new specific performance requirements and verification tests under various conditions depending on each level.

○ In discussing system requirements, it is desirable to organize them by level as well as by road way type (1: parking area; 2: motorway; 3: urban and interurban road).

○ The following table shows the distinguish way of level of automated driving under WP.29 at this present considering the results of discussions so far and the assumed use cases. This table should be reconsidered appropriately in accordance with each concept of automated driving system to be placed on the market in the future.

Object and Event Detection and Response (OEDR) by the driver

The driver may not perform secondary activities

Object and Event Detection and Response (OEDR) by the system

The driver may perform secondary activities

Monitor by Driver

Monitor by

Driver

(a)

Monitor by

Driver

(b)

Monitor by System

(Return to Driver Control

on System Request)

Monitor by System Full Time

under defined use case

Monitor by

System only

Ref. SAE Level (J3016)

1 2

3 4 5

Outline of Classification

System takes care of longitudinal or lateral control.

Monitoring by the driver.

The system takes care of both longitudinal and lateral control.

Monitoring by driver necessary because the system is not able to

The system is able to cope with all dynamic driving tasks within its designed use-case* or will otherwise transition to the

The system is able to cope with any situations in the concerned use case (fallback included).

The system is able to cope with any situations on all road types, speed

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detect all the situations in the use case.

The driver shall be able to intervene at any time.

driver offering sufficient lead time (driver is fallback).

The system drives and monitors (specific to the use-case) the environment.

The system detects system limits and issues a transition demand if these are reached.

*The Level 3 system is e.g. not expected to provide a corridor for emergency vehicle access or to follow hand signals given by traffic enforcement officers. The driver needs to remain sufficiently vigilant as to acknowledge and react on these situations (e. g. when he hears the sirens of an emergency vehicle in close vicinity).

The driver is not necessarily needed during the specific use-case, e. g. Vallet Parking/ Campus Shuttle.

The system may however request a takeover if the use case boundaries are reached (e.g. motorway exit).

ranges and environmental conditions.

No driver necessary.

Vehicle System Tasks

1. Execute either longitudinal (acceleration/braking) or lateral (steering) dynamic driving tasks when activated. The system is not able to detect all the situations in the use case.

1. Execute longitudinal (accelerating, braking) and lateral (steering) dynamic driving tasks when activated. The system is not able to detect all the situations in the use case.

2. System deactivated immediately upon request by the human driver.

1. Execute longitudinal (accelerating/braking) and lateral (steering) portions of the dynamic driving task when activated. Shall monitor the driving environment for operational decisions when activated.

1. Execute longitudinal (accelerating/braking) and lateral (steering) portions of the dynamic driving task when activated. Shall monitor the driving environment for any decisions happening in the use case (for example Emergency

1. Monitor the driving environment

2. Execute longitudinal (accelerating/ braking) and lateral (steering)

3. Execute the OEDR subtasks of the dynamic

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2. System deactivated immediately at the request of the driver

3. No transition demand as such, only warnings.

4-A driver availability recognition function (could be realized, for example, as hands-on detection or monitoring cameras to detect the driver’s head position and eyelid movement etc.) could evaluate the driver’s involvement in the monitoring task and ability to intervene immediately.

2. Permit activation only under conditions for which it was designed. System deactivated immediately at the request of the driver. However the system may momentarily delay deactivation when immediate human takeover could compromise safety

3. System automatically deactivated only after requesting the driver to take-over with a sufficient lead time; may − under certain, limited circumstances − transition (at least initiate) to minimal risk condition if the human driver does not take over. It would be beneficial if the vehicle displays used for the secondary activities were also used to improve the human takeover process.

4. Driver availability recognition shall be used to ensure the driver is in the position to take over when requested by the system. Potential technical

vehicles).

2 Permit activation only under conditions for which it was designed. System deactivated immediately at the request of the driver. However the system may momentarily delay deactivation when immediate human takeover could compromise safety

3. Shall deactivate automatically if design/boundary conditions are no longer met and must be able to transfer the vehicle to a minimal risk condition. May also ask for a transition demand before deactivating.

4. Driver availability recognition shall be used to ensure the driver is in the position to take over when requested by transition demand. This can however be lighter solutions than for level 3 because the system is able to transfer the vehicle to a minimal risk condition in the use case.

5. Emergency braking measures must be

driving task- human controls are not required in an extreme scenario

4. System will transfer the vehicle to a minimal risk condition

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solutions range from detecting the driver’s manual operations to monitoring cameras to detect the driver’s head position and eyelid movement.

5. Emergency braking measures must be accomplished by the system and not expected from the driver (due to secondary activities)

accomplished by the system and not expected from the driver (due to secondary activities)

Driver Tasks 1. Determine when activation or deactivation of assistance system is appropriate

2. Monitor the driving environment. Execute either longitudinal (acceleration/braking) or lateral (steering) dynamic driving task

3. Supervise the dynamic driving task executed by driver assistance system and intervening immediately when required by the environment and the system (warnings)

4. The driver shall not perform secondary activities which will hamper him

1. Determine when activation or deactivation of the system is appropriate.

2. Execute the OEDR by monitoring the driving environment and responding if necessary (e.g. emergency vehicles coming).

3. Constantly supervise the dynamic driving task executed by the system. Although the driver may be disengaged from the physical aspects of driving, he/she must be fully engaged mentally with the driving task and shall immediately intervene when required by the environment or by the system (no transition demand by the system, just warning in case of misuse or failure).

4. The driver shall not perform secondary activities which will

1. Determine when activation or deactivation of the automated driving system is appropriate.

2. Does not need to execute the longitudinal, lateral driving tasks and monitoring of the environment for operational decisions in the use case.

3. Shall remain sufficiently vigilant as to acknowledge the transition demand and, acknowledge vehicle warnings, mechanical failure or emergency vehicles (increase lead time compared to level 2).

4. May turn his attention away

1. Determine when activation/deactivation of the automated driving system is appropriate.

2. Does not need to execute the longitudinal, lateral driving tasks and monitoring of the environment in the use case.

3. May be asked to take over upon request within lead time. However the system does not require the driver to provide fallback performance under the use case.

4. May perform a wide variety of secondary activities in the use case.

1. Activate and deactivate the automated driving system.

2. Does not need to execute the longitudinal, lateral driving tasks and monitoring of the environment during the whole trip.

3. Determine waypoints and destinations

4. May perform a wide variety of secondary activities

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in intervening immediately when required.

hamper him in intervening immediately when required.

from the complete dynamic driving task in the use case but can only perform secondary activities with appropriate reaction times. It would be beneficial if the vehicle displays were used for the secondary activities.

during the whole trip.

Consideration points on development of vehicle regulation

Same as current principle (manner)

1. Consider whether regulatory provision for longitudinal (accelerating, braking) and lateral control (steering) are necessary.

2. Consider regulatory provision to ensure the system is deactivated immediately upon request by the human driver.

3. Consider the warning strategy to be used.

4. Consider the driver availability recognition function to evaluate the driver’s involvement in the monitoring task and ability to intervene immediately. For example, as hands-on detection or monitoring cameras to detect the driver’s head position and eyelid movement etc.

1. Consider which regulatory provision for longitudinal (accelerating, braking) and lateral control (steering) are necessary including the monitoring of the driving environment.

2. Consider regulatory provision to ensure the system:

i) Permits activation only under conditions for which it was designed, and

ii) Deactivates immediately upon request by the driver. However the system may momentarily delay deactivation when immediate driver takeover could compromise safety

1. Consider which regulatory provision for longitudinal (accelerating, braking) and lateral control (steering) are necessary including the monitoring of the driving environment for any decisions happening in the use case (for example Emergency vehicles).

2. Consider regulatory provision to ensure the system:

i) Permits activation only under conditions for which it was designed, and

ii) Deactivates immediately upon request by the driver. However the system may momentarily delay deactivation when immediate driver

Note: Preliminary analysis only- subject further review.

1. Consider which regulatory provision for longitudinal (accelerating, braking) and lateral control (steering) are necessary including the monitoring of the driving environment for any decisions (for example Emergency vehicles).

2. Depending upon the

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3. Consider regulatory provision to ensure the system automatically deactivates only after requesting the driver to take-over with a sufficient lead time; including − under certain, limited circumstances − transition (at least initiate) to minimal risk condition if the driver does not take over. It would be beneficial if the vehicle displays used for the secondary activities were also used to improve the human takeover process.

4. Consider regulatory provision for driver availability recognition is used to ensure the driver is in the position to take over when requested by the system.

5. Consider regulatory provision for emergency braking measures by the system.

takeover could compromise safety

3. Consider regulatory provision to ensure the system automatically transfer the vehicle to a minimal risk condition preferably outside of an active lane of traffic if design/boundary conditions are no longer met.

4. Consider regulatory provision for driver availability recognition is used to ensure the driver is in the position to take over when requested by the system transition demand at the end of the use case.

5. Consider regulatory provision for emergency braking measures by the system.

vehicle configuration, consider regulatory provision to ensure the system:

i) Permits activation only under conditions for which it was designed, and

ii) Deactivates immediately upon request by the driver. However the system may momentarily delay deactivation when immediate driver takeover could compromise safety

3. Consider regulatory provision to ensure the system automatically transfer the vehicle to a minimal risk condition preferably outside of an active lane of traffic.

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4. Consider regulatory provision for emergency braking measures by the system.

Examples of the necessary system performance requirements

Override (e.g. steering, braking, accelerating) function by the driver

Necessary in general Unnecessary when driverless mode. Otherwise necessary in general. However the system may momentarily delay deactivation when immediate human takeover could compromise safety.

Unnecessary

Aspects of arrangement that ensures the driver’s involvement in dynamic driving tasks (driver monitoring, etc.)

Detection of hands- off when Level 1 addresses LKAS

Detection of hands-off as necessary

Detecting the driver availability recog-nition function to evaluate the driver’s involvement in the monitoring task and ability to intervene immediately (e.g. hands off detection, head and/or eye movement and/or input to any control element of the vehicle)

Detection of driver’s availability to take over the driving task upon request or when required:

e.g. seated/unseated,

driver availability recognition system (e.g. head and/or eye movement and/or input to any control element of the vehicle)

Unnecessary when driverless operation/use case.

Necessary when driver is requested to take over at the end of use case. In these circumstances, this can be lighter solutions than for level 3 because the system is able to transfer the vehicle to a minimal risk condition in the use case.

Unnecessary

Aspects of arrangement that ensures the

not applicable Consideration of the methods used to reengage the driver following

Unnecessary when driverless operation/use case but level 3

Unnecessary

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driver’s resumption of dynamic driving tasks (transition periods to the driver, etc.)

Aspect of transition demand procedure.

system request (including minimal risk maneuver and cognitive stimulation- if applicable the vehicle infotainment system showing non-driving relevant content to be deactivated automatically when transition demand is issued).

requirement when the end of the use case is reached.

System reliability

Consideration shall be given to evaluation of the system reliability and redundancy as necessary.

Comprehensive recognition of surrounding environment

(sensing, etc.)

The area to be monitored (depends on the system function).

The area to be monitored necessary for lateral and longitudinal control (depends on the system function, while recognizing it is the task of the driver to perform the Object and Event Detection and Response).

The area to be monitored necessary for lateral and longitudinal control (depends on the system function, while recognizing it is the task of the driver to perform the Object and Event Detection and Response).

Additionally the system may perform OEDR function.

The area to be monitored depends on the system function (Lateral and longitudinal directions).

It is the task of the system to perform the Object and Event Detection and Response (system performance requirements necessary).

Recording of system status (inc.

Unnecessary Unnecessary

The driver’s operations and the system

The driver’s operations and the system status

The system status (incl. system behavior))

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system behavior)

(DSSA-Data Storage System for ACSF, EDR, etc.)

status (incl. system behavior)

(incl. system behavior)

Cyber-Security

Necessary if the information communication in connected vehicles, etc. affects the vehicle control

Compatibility with traffic law (WP.1)

Yes Yes Yes [WP.1-IWG-AD recommends WP.1 to state that the use of these functions remain within the requirements of the Conventions.]

[WP.1-IWG-AD recommends WP.1 to state that the use of these functions remain within the requirements of the Conventions. These are functions whereby a driver is still available at the end of the use-case. Functions that do not require a driver (e.g. campus shuttle) at all (driverless) are still in discussion – except for those that do not interact on/with public roads.]

Further consideration necessary to reflect driverless systems before a conclusion can be made.

Summary of the current conditions and the issues to be discussed (specific use cases)

Parking area Already put into practice:

Parking Assist LKA (draft

standards) ACC (no specific

performance requirements)

ACSF Cat.B1 (Steering Function hands-on)

Automated parking by the driver’s remote control (monitoring) (RCP-Remote Control Parking, CAT. A under ACSF amendment of R79)

Requirements need to be developed

Roads exclusively for motor vehicles with physical separation from oncoming traffic (e.g. motorway)

Under discussion:

Categories [B2], C, D and [E] under ACSF (amendment of R79)

Category B1 in combination with longitudinal control

Under discussion :

Categories B2, B2+E under ACSF (amendment of R79)

Requirements need to be developed

ACC+ACSF (Cat.B1, Cat.C [Basic

[ACSF Cat. B2]

[ACSF Cat.E]

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Lane Change Assist], Cat.D [Smart LCA])

(Continuous Lane Guidance hands-off)

Urban and interurban roads

Category B1 in combination with longitudinal Control

To be discussed by R79 IWG ACSF: Cat. B1 in combination with C, D

Requirements need to be developed

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Annexe 1 ter

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Annexes de la Monographie

Annexe 2 :

Plan de déploiement de l'AD de l'Alliance Renault Nissan. Le level 2 correspond à

AD1.0, le level 3 à AD2.0, le + city à AD3.0 et le level 4 à AD2.1

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Annexe 3 :

Ensemble des plateformes et architectures électroniques en fonction de l'année et

des projets

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Annexes de la Note Bibliographique

Annexe 4 :

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Annexe 5 :

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Annexe du 2e focus

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