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IDÉES DIRECTRICES POUR UNE PSYCHANALYSE CONTEMPORAINE D'ANDRÉ GREEN Rosine Jozef-Perelberg Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse » 2005/4 Vol. 69 | pages 1247 à 1261 ISSN 0035-2942 ISBN 213055251X Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2005-4-page-1247.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Rosine Jozef-Perelberg, « Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine d'André Green », Revue française de psychanalyse 2005/4 (Vol. 69), p. 1247-1261. DOI 10.3917/rfp.694.1247 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.22.72.168 - 08/12/2015 20h08. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.22.72.168 - 08/12/2015 20h08. © Presses Universitaires de France

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IDÉES DIRECTRICES POUR UNE PSYCHANALYSECONTEMPORAINE D'ANDRÉ GREENRosine Jozef-Perelberg

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

2005/4 Vol. 69 | pages 1247 à 1261 ISSN 0035-2942ISBN 213055251X

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2005-4-page-1247.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Rosine Jozef-Perelberg, « Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine d'André Green », Revue française de psychanalyse 2005/4 (Vol. 69), p. 1247-1261.DOI 10.3917/rfp.694.1247--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Critiques de livres

Idées directrices pour une psychanalyse contemporained’André Green1

Rosine JOZEF-PERELBERG

On peut considérer qu’Idées directrices pour une psychanalyse contemporaineest à l’œuvre d’André Green ce que l’Abrégé de psychanalyse (1938) est à celle deFreud. Cette étude magistrale de la démarche psychanalytique engagée parFreud, que Stratchey qualifiait de « “cours de recyclage” pour étudiants avan-cés » (p. 143), est un voyage dans son œuvre comme Idées directrices pour une psy-chanalyse contemporaine peut l’être dans celle d’André Green – ouvrage impos-sible à résumer car il expose à grands traits la plupart des idées importantes del’auteur. Toute discussion de ses idées impose de se référer à plusieurs de seslivres ; ceux-ci offrent en effet une trame dans laquelle les thèmes et les idées serecoupent, acquérant chaque fois une plus grande portée. Mais cet ouvrage n’estpas simplement un résumé : de nouvelles réflexions viennent s’ajouter à travers lecompte rendu du dialogue magistral et érudit que l’auteur a eu pendant cin-quante ans avec des philosophes, des savants et des anthropologues. Ce n’est pasun hasard qu’un colloque sur l’œuvre d’André Green ait été organisé à Cerisy, enseptembre 2004, où des philosophes, des anthropologues, des historiens et despsychanalystes ont pu se rencontrer autour de l’œuvre de ce penseur importantde la psychanalyse contemporaine. De nombreux germes de pensée jalonnent celivre, des idées qui invitent à continuer de penser – par exemple, la relation entrele plaisir de vivre et le retour du refoulé (p. 239), ou le phénomène de l’irradiation(réverbération rétroactive - annonciation anticipatrice) dans l’écoute analytique(p. 276). Ce livre n’est pas pour quelqu’un qui souhaiterait se faire une idée géné-rale de la pensée d’André Green. Il se réfère à d’autres ouvrages où un bonnombre des idées présentées sont traitées de façon plus approfondie.

Rev. franç. Psychanal., 4/2005

1. A. Green, Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine, Paris, PUF, 2002, 400 p.

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Dans cette critique, je n’évoquerai que quelques thèmes, sans nécessaire-ment suivre l’ordre des chapitres : 1 / le travail psychanalytique ; 2 / transfert etcontre-transfert ; 3 / la sexualité ; 4 / les ruptures épistémologiques opérées parFreud dans les modèles de l’esprit ; 5 / l’intrapsychique et l’intersubjectif enpsychanalyse ; 6 / l’importance particulière accordée au sujet et à l’objet ; 7 / latemporalité ; 8 / le rôle du tiers ; 9 / le travail du négatif.

LE TRAVAIL PSYCHANALYTIQUE

Pour Green, la rencontre thérapeutique a lieu à différents niveaux. Lepatient raconte une histoire : celle de ses origines, de sa famille ou de sesparents. L’analyste est silencieux, dans une attention réceptive, en suspens,accueillant les associations libres du patient. Les nœuds conflictuels peuventavoir été réactivés dans la situation actuelle : les affects, la vie sexuelle, profes-sionnelle, les relations sociales – autant d’aspects qui forment un tout indisso-ciable, comme un morceau de musique dans lequel l’analyste peut repérer lesthèmes, les variations et esquisser les contours d’un Œdipe de l’enfance, voired’une névrose infantile. De son côté, le patient a une attente quant à la façondont le processus analytique va se dérouler, mais il y a en même temps deszones liées à son narcissisme ou masochisme qu’il ne veut pas changer.

Green attire l’attention sur les catégories traditionnelles de l’évaluation del’analysabilité d’un individu, par exemple la question de savoir si l’on a affaireà une structure névrotique ou non névrotique, les caractéristiques de lafaiblesse ou force du moi. Il suggère que l’on a aujourd’hui tendance à ana-lyser l’analysabilité du patient, une évaluation hypothétique prédictive(d’après différents éléments tels que la capacité de supporter l’attitude deretrait et d’attente de l’analyste, l’interprétation de la résistance et du trans-fert, la durée limitée des séances, la tolérance aux séparations, l’attitudepar rapport à la réalité, etc.). La question en jeu est celle de la « capacitéd’être seul en présence de l’analyste » (Green fait ici référence à Winnicott etRoussillon). À travers cette solitude artificielle, le patient est invité à mettre enœuvre un fonctionnement mental proche de celui du rêve. Pour André Green,les rêves sont paradigmatiques aussi bien de la séance d’analyse que du tra-vail de l’inconscient.

André Green distingue l’indication de la psychanalyse et celle de la psy-chothérapie, très importante en France. Les critères évalués comprennentl’incapacité de supporter la situation analytique, la fréquence de la répéti-tion compulsive, la tendance à mettre en acte, l’absence de la capacité d’éla-

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boration marquée par une frustration excessive, la structure masochiste dumoi, l’importance de la position destructrice et la profondeur et la ténacité dela régression. Il est important de noter que de très nombreux patients en ana-lyse en Angleterre seraient peut-être considérés comme non analysables enFrance où ils auraient probablement été adressés à un psychothérapeute. EnFrance, l’analyse est principalement indiquée pour les individus névrosés etcertains patients borderline. En Grande-Bretagne, nous connaissons tous bienles patients qui, dès le départ, s’engagent dans un processus continu d’actingout, se servant de l’analyse afin de la dénigrer, ou pour dénigrer l’analyste(l’imago pour cette scène dans le présent pouvant être une scène de matricideou de parricide). Le patient crée dès le début une scène qui a une valeur pré-dictive de ce qu’il est venu analyser ou appartient au registre du non-analysable – le soubassement de son analyse. Green décrit la situation analy-tique comme une association psychanalytique. Le cadre n’a de valeur que celled’une métaphore d’un autre concept (tel que le rêve, le tabou de l’inceste, leparricide, le soin maternel, etc.).

Pour André Green, la règle psychanalytique fondamentale inscrit un tierscomme loi au-dessus des deux parties (cf. le développement de cette idée plusloin). Il est demandé au patient non seulement de dire tout ce qui lui vient àl’esprit, mais aussi de ne rien faire.

Deux éléments caractérisent la situation psychanalytique. Il y a, d’unepart, la matrice active que compose l’association libre du patient, l’attention etl’écoute flottantes, empreintes de la neutralité bienveillante de l’analyste, for-mant un couple dialogique où s’enracine l’analyse, et, d’autre part, l’écrin cons-titué par le nombre et la durée des séances, la périodicité des rencontres, lesmodalités de paiement, etc.

Dans « La position phobique centrale », Green propose un modèled’association libre qui ouvre des horizons sur le fonctionnement mental enséance. Sous-jacente à l’écoute consciente, une écoute d’un autre ordre (précons-ciente) permet de mettre en évidence des mécanismes propres à ce fonctionne-ment mental. L’attitude de l’analyste est celle d’une neutralité bienveillante – cesdeux termes n’étant pas contradictoires pour Green. La bienveillance supposeégalement une réceptivité et une disponibilité à l’égard des produits del’inconscient de l’analyste, nécessaires à la fois pour supporter et pour com-prendre le patient.

Selon André Green, le but du processus psychanalytique n’est pas tantd’amener quelque chose à la conscience que la reconnaissance de l’inconscient.Tout cela se situe dans une conception de la psychanalyse qui reconnaîtl’existence de la pensée clinique (une idée développée dans La pensée clinique,A. Green, 2002).

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TRANSFERT ET CONTRE-TRANSFERT

Le transfert

André Green attire l’attention sur le tournant dans la pensée de Freud, quis’opère en 1920 avec Au-delà du principe de plaisir. Le transfert n’est plus dèslors seulement au service du plaisir, mais répétition du déplaisir. Green suggèreque le changement du modèle topographique de l’esprit au modèle structurelindique le passage d’un mouvement fondé sur le désir à un modèle de déchargedes pulsions dans l’action. L’analyste n’est plus alors seulement confronté auxdésirs inconscients, mais aux pulsions elles-mêmes.

André Green suggère qu’il y a dans certaines écoles de pensée, oùl’analyse se limite à l’interprétation du transfert, une restriction du travailanalytique préjudiciable à la liberté et à la spontanéité du discours, et unretour à la suggestion. L’école anglaise lui semble centrée sur l’interprétationdu transfert alors que l’école française établit une distinction entre interpréta-tion dans le transfert et interprétation de transfert (cf. Donnet, 2001). Pourlui, toutes les interprétations ont lieu dans le cadre du transfert, même quandelles n’y font pas allusion. À cet égard, les points de vue de Green sur letravail entrepris en Angleterre ne me semblent pas représentatifs de toutl’éventail de pensée qu’offrent les analystes britanniques. Les questions del’interprétation dans le transfert seulement par opposition au rôle des inter-prétations en dehors de celui-ci, et des interprétations ici et maintenant seule-ment par opposition aux reconstructions, sont en fait l’objet de débatspassionnés parmi les analystes britanniques.

André Green cite Viderman à propos de la question de savoir si ce qui sepasse dans la cure découle de la répétition d’un vécu ancien, ou se rapporteà quelque chose qui n’a jamais été vécu – un rappel de certains débats enAngleterre où il s’agit de savoir si l’on traite de quelque chose qui manquedans l’esprit du patient, ou de quelque chose qui y a été refoulé.

En 1984, Green a proposé l’idée d’un double transfert, une concep-tion selon laquelle il faut articuler un transfert sur la parole, résultat dela conversion de tous les événements psychiques en discours – dans uneanalyse, tout se passe comme si l’appareil psychique était transformé en appa-reil de langage –, et un transfert sur l’objet, l’idée d’un tel transfert impli-quant que le transfert comporte des dimensions qui ne peuvent être contenuespar le discours.

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Le contre-transfert

Green fait l’histoire du développement du concept de contre-transfert, encommençant avec Paula Heimann qui, en 1950, y voyait le résultat d’un désirinconscient du patient de faire part à l’analyste d’affects qu’il éprouve sanspouvoir les verbaliser. Il retrace le développement du concept chez lesintersubjectivistes en Amérique et en France. Le travail des analystes françaisavec le contre-transfert se rapporte à un champ de conceptualisation différentde celui des Britanniques. L’œuvre de Kristeva constitue une de leurs princi-pales influences.

Green se réfère au concept de chora, « réceptacle maternel nécessaire aurecueil des impressions, sensations, affects, comme autant de préformes concou-rant à l’élaboration de la fonction symbolique ». La chora est « un réceptacleancien, mobile, instable, antérieur à l’UN, le Père, et même la syllabe » (Kristeva,1987 b, p. 5). Elle indique une articulation essentiellement mobile et extrême-ment provisoire que constitue le mouvement, et précède l’évidence, la vraisem-blance et la temporalité. C’est un espace subversif où le sujet est en même tempsmenacé d’anéantissement et produit (Kristeva, 1984).

Alors que le corps maternel fonctionne comme le principe ordonnateur dechora, il n’est pas identifiable comme le corps d’un sujet individuel. Il s’agit plu-tôt d’une « figure fantasmatique ». La chora englobe et transcende à la fois lemasculin et le féminin, comme je l’ai noté (1995, p. 165) : « L’opposition entrele masculin et le féminin n’existe pas dans la pré-œdipalité. » Le maternel estune force perturbatrice et déconstructrice qui sape toutes les identités établies,notamment celles du masculin et du féminin. La chora sémiotique est ainsi liéeau maternel plutôt qu’au féminin et est à la disposition aussi bien des individusde sexe masculin que de ceux de sexe féminin ; elle accompagne et menace tou-jours le symbolique (Edelman, 1992). Le maternel fonctionne comme méta-phore pour le clivage du sujet et la notion même de différence en son sein. Dece fait, le maternel n’est ni sujet ni objet, mais entre les deux. Comme Kristeva(1986) le suggère, il n’est « ni présent, ni absent, mais réel, réel inaccessible ».La mère réelle n’est finalement pas destinée à représenter l’espace de la choramaternelle. Les qualités énigmatiques du maternel n’ont jamais pu soutenirexclusivement un sujet maternel autonome.

Dans le processus analytique, l’analyste est confronté à l’expériencefondamentale de la détresse infantile (Hilflösigkeit) chez le patient. Le contre-transfert de l’analyste est réceptif aux traces laissées par les expériences infan-tiles. En invitant le patient à abandonner les mécanismes de contrôle, la situa-tion analytique peut ranimer la situation traumatique.

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LA SEXUALITÉ

C’est le lien entre sexualité et plaisir qui forme le fondement du sexuel enpsychanalyse. L’idée freudienne du principe de plaisir-déplaisir a été radicaliséedans l’expression de sa polarité négative. Le déplaisir a donné lieu à des formesbeaucoup plus désorganisantes (souffrance physique, menace d’anéantissement,angoisse de la catastrophe).

André Green pense que l’intérêt particulier prêté à la sexualité reconnaît lecorps comme entité érogène. Pour lui, le corps sexuel constitue un « destinsexuel » qui réside au-delà de l’anatomie. Mais, si « le destin sexuel inscrit dansla chair même de la fille et de la femme le désir de porter un enfant » (Green,1972), alors comment pouvons-nous parler du corps maternel sans tomberdans le piège de mettre sur le même pied la biologie et la psychologie ? Alorsque la réalité psychique ignore la réalité extérieure et le fantasme l’anatomie, ledestin sexuel – la capacité de la femme de porter des enfants, et celle del’homme d’inséminer – ne peut être transcendé : en ce sens, l’anatomie met enavant le noyau de réalité autour duquel la réalité psychique et le fantasme seconstruisent (ce qui, bien entendu, n’exclut pas le fantasme que l’on puissechoisir son destin sexuel).

L’accent mis sur la sexualité, tant qu’il s’agit de rechercher le plaisir, est laquête d’un objet pour atteindre la satisfaction. On parle ici de psychosexualité(p. 91), la complexification de l’organisation psychique destinée à trouverl’objet susceptible de procurer la satisfaction. Green cite Lacan qui suggère quece n’est pas seulement le désir qui est recherché, mais le désir du désir de l’autre.L’enfant se rend compte très tôt que le désir de la mère vise quelque chose au-delà d’elle, et cherche à être le phallus pour la mère, c’est-à-dire à satisfaire ledésir de la mère en s’identifiant au phallus imaginaire.

Green suggère le concept d’une chaîne érotique « qui commence par la pul-sion et ses motions pulsionnelles, se prolonge dans se qui se manifeste sous laforme du plaisir et du déplaisir (...) alimenté par des représentations incons-cientes et conscientes, s’organise sous la forme de fantasmes inconscients ouconscients, se ramifie dans le langage érotique et amoureux des sublima-tions » (p. 93).

Freud commence par la théorie de la séduction, qu’il n’abandonne ensuiteque partiellement. L’important dans la théorie de la séduction était la trans-gression qu’elle impliquait, l’excitation prématurée des zones érogènes, activéespar l’adulte séducteur. Dans toute son œuvre, il retourne à la séduction parl’adulte pendant l’enfance. À la fin, il adopte une position subtile mais précise.

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Dans L’homme Moïse et la religion monothéiste, il parle du rôle traumatique dela séduction. Dans l’Abrégé de psychanalyse, il affirme que la mère est la pre-mière séductrice du nourrisson à travers les soins qu’elle lui prodigue et sonattitude générale à l’égard de l’enfant.

Pour Green, la dimension érotique de la relation mère/enfant a en grandepartie disparu de la littérature psychanalytique contemporaine, en particulierdans le monde anglo-saxon (p. 94) où, sous l’influence de Melanie Klein,l’accent a été mis sur les pulsions destructrices. Green considère qu’il y a eudepuis Fairbairn une tentative de reformuler la théorie freudienne de l’activitépsychique comme recherche de plaisir, visant à proposer peu à peu une autreidée – celle de l’activité psychique comme recherche d’un objet – dans le but dedésexualiser la théorie psychanalytique. L’accent mis sur le Moi, avec sa capa-cité de supporter la frustration, son besoin de sécurité, etc., est devenu prédo-minant dans la littérature américaine. Les psychanalystes ont véritablementrefoulé la théorie des pulsions (p. 95).

Green pense toutefois que les analystes de l’école kleinienne ont étendu lechamp de l’analyse de la névrose à des cas plus graves. Il cite à ce propos le tra-vail de Rosenfeld, Segal, Bion et Betty Joseph qui ont fait entrer la psychana-lyse dans les territoires inconnus des structures psychotiques.

Dans son travail, Green pense que le couple pulsion-objet doit rester pré-sent à tous les stades et qu’il est impossible d’aborder les pulsions ou l’objetséparément, car « la vraie relation relie un ça fait de pulsions et un objet »(1995, p. 875). Il évoque le souci constant de Freud d’articuler le psychique et lesomatique, comme le montre la lettre 52 à Fliess.

LES RUPTURES ÉPISTÉMOLOGIQUES CHEZ FREUD

À partir de 1920, Freud est confronté aux limites de la compréhension psy-chanalytique à travers l’élaboration des concepts de pulsion de mort, de maso-chisme primaire et du reniement de la féminité (Freud, 1920, 1924, 1937). Alorsque le modèle topographique de l’esprit suggérait un lien intrinsèque entre lespulsions et leurs représentations, le modèle structurel et le concept de pulsionde mort postulaient une pulsion qui ne correspondait pas à une représentationmais s’exprimait à travers la compulsion de répétition. Le modèle topogra-phique de l’esprit mettait l’accent sur un monde psychique plein de représenta-tions, alors que le modèle structurel faisait ressortir l’hétérogénéité radicale de lavie psychique (Green, 1998, p. 83). Freud a de plus en plus cherché à com-prendre des phénomènes potentiellement à la limite de la représentation sym-

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bolique, non pas seulement à cause des mécanismes du refoulement, du clivage,du désaveu et de la négation, mais aussi parce qu’ils sont en même temps liés àquelque chose de profondément destructeur dans la sphère psychique qui brisela capacité de l’esprit de les contenir.

Avec L’interprétation des rêves, on voit la naissance de la psychanalyse etdu modèle topographique. Le premier modèle topographique de l’esprit établitla distinction entre le conscient et l’inconscient. L’inconscient est inconnu etl’on n’y accède qu’à travers ses dérivés : les oublis, les lapsus, les rêves, les fan-tasmes, les symptômes, le transfert, etc. On ne peut que déduire l’inconscient,formuler des hypothèses à son propos, mais jamais l’observer. Nous ne pou-vons en parler qu’après coup.

L’inconscient se caractérise par l’inexistence de la négation et de la con-tradiction, l’absence du doute ou de la certitude, l’ignorance du temps, lamobilité des investissements, la condensation et le déplacement. Ces caracté-ristiques, qualifiées ici négativement, permettent de reconnaître le processussecondaire (p. 138).

Le modèle topographique est centré sur la notion de conscience, le facteurcommun qui unie les trois instances (p. 139). Le modèle structurel, dit Green,réévalue l’importance du mouvement et de la force des pulsions car il se fondesur l’existence de structures mentales où les représentations ont disparu des des-criptions théoriques (Green, 2001, 2002 a). Ce modèle, avec les définitions duÇa en fonction des mouvements des pulsions qui tendent à la décharge, mettentl’acting out au centre des modifications qu’il apporte. Pour Green, il y a unchangement de référence paradigmatique de la représentation à la motion pul-sionnelle (p. 141). La découverte de la compulsion de répétition a modifié radi-calement le système freudien.

Des changements radicaux sont également intervenus eu égard au Moidu modèle structurel, dans le sens où une partie du Moi est inconsciente.L’inconscient ne se limite plus aux contenus du refoulé mais devient une struc-ture qui contient. Les pathologies du Moi qui échappent à la représentation,telles que les hallucinations, la somatisation et l’acting out, peuvent désormaisêtre reconnues. Alors que la somatisation implique une décharge vers les pro-fondeurs intérieures les plus inaccessibles, l’acte est une décharge dirigée versl’extérieur (p. 111). Green suggère que les trois formes de débordement– l’hallucinatoire, la somatisation et l’agir – renvoient aux trois formes deségrégation de la vie sociale : l’hôpital psychiatrique, l’hôpital général et la pri-son (p. 113). Il voit l’inconscience du Moi comme le changement le plus impor-tant dans le modèle structurel.

Green examine la notion de clivage chez Freud en rapport avec le nouveauconcept du Moi. Le concept freudien diffère de la notion kleinienne en ceci que,

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chez Klein, le clivage se définit comme une schize, une dissociation, une sépara-tion plus radicale que celle à laquelle le refoulement procède. Pour Freud, le cli-vage comporte toujours une part positive, celle de reconnaissance d’une vérité,contrebalancée par la part correspondante de méconnaissance qui annihiletoute possibilité de faire valoir le Principe de réalité (p. 150). Green attirel’attention sur la dialectique permanente entre méconnaissance et reconnais-sance dans le travail psychique.

Sa principale critique du modèle de Freud porte sur le fait qu’il ne se réfèrepas suffisamment à la réaction de l’objet dans la structuration de l’esprit. Tou-tefois, à la différence d’autres approches, l’unité sur laquelle Green met l’accentn’est pas le seul objet, mais le couple pulsion-objet.

SUJET ET OBJET

Si, comme nous l’avons affirmé plus haut, la principale innovation dumodèle structurel consiste en l’importance particulière accordée à la partinconsciente du Moi, celui-ci, en tant qu’agent double, n’est plus simplementun allié (p. 154).

Green considère que la position freudienne n’accorde qu’une place très res-treinte à l’objet. Dans Deuil et mélancolie, l’objet est unique, indispensable etirremplaçable ; l’objet perdu de la mélancolie ne peut être remplacé par unautre, comme cela se passe à la fin du deuil normal. Le sujet, pour faire face àcette perte, doit obtenir du Moi qu’il se scinde et qu’une partie de lui se sacrifiepour tenir la place de l’objet perdu (p. 154).

Green voit ces idées comme très différentes du concept de Moi autonomedéveloppé par Hartmann. Les travaux de Hartmann, Kris et Lowenstein luisemblent avoir simplifié, schématisé, largement réinterprété, voire déformé lapensée de Freud.

Bien que Lacan ait centré sa théorie sur le sujet, il accorde un rôle impor-tant à l’objet, inventant le concept d’objet a (objet du désir, objet partiel de lapulsion) et opposé au grand Autre, comme lieu de la vérité. Ce qui est remar-quable chez Lacan, c’est le refus d’admettre l’existence d’un objet total commecelui de Melanie Klein, car toute idée de totalisation, qu’il s’agisse du Moi oude l’objet, est, selon lui, trompeuse.

La cellule fondamentale de la théorie doit être constituée par l’objet-pulsion. Le sujet et l’objet doivent être insérés dans le contexte de lignes.Il s’agit de deux courants, à la fois indépendants et interconnectés, où s’arti-culent formations subjectives et formations objectales. En faisant cette sugges-

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tion, Green conçoit la structuration de la vie psychique en fonction des deuxgrandes polarités que Freud a formulées. La psychanalyse post-freudiennes’est beaucoup intéressée à l’objet sans se demander à quoi l’objet était relié.C’est ainsi que l’on a assisté à la genèse du Self ; Hartmann, Édith Jacobsonet même, plus tard, Winnicott ont parlé de concept de Self (I). Racamier y aadjoint la personne (ou la persona, le masque) et Lacan a donné au sujet uneposition centrale dans sa théorie. Plus tard encore, le subjectif revient dans lathéorie intersubjective. Green préfère la notion de lignée subjectale danslaquelle on peut inscrire la plupart des propositions qui ont été faites (Sujet,Je, Self, etc.), en assignant à chacune des définitions qui rendent compte deson champ d’action (p. 157). De cette façon, le Moi freudien garde sa spécifi-cité et ses limites, le Self est conçu comme l’unité phénoménologique de lapersonne, et le Je répond aux définitions qu’en donne Piera Aulignier en rap-port avec l’autre. Avec la lignée subjectale, Green propose un éventail denotions qui s’enracine dans les états du corps et se ramifie dans le déploiementde la pensée (p. 158).

Selon le problème considéré, l’analyste se réfère à différents concepts,sans prétendre à une unification. Green prend l’exemple d’un cas limite à pro-pos duquel on ne peut éviter de mettre en avant la notion de Moi, ses limites,ses défenses, ses choix objectaux, son rapport à la compulsion de répétition.Lorsqu’il s’agit, en revanche, d’un cas névrotique, la référence au sujet sembleplus pertinente.

Green attire également l’attention sur l’impossibilité d’arriver à uneconception unifiée de l’objet et souligne la multiplicité des idées : il y a l’objetdu fantasme, l’objet réel, l’objet du Ça, l’objet du Moi, etc. Dans la pratiquepsychanalytique, c’est dans le transfert que l’objet se trouve principalementexprimé en tant que tel.

Green distingue la fonction objectalisante et la fonction désobjectalisantedont on peut parler en tant que fonction de liaison et de déliaison. On peutconsidérer que Freud donne une illustration de la fonction objectalisante danssa théorie de la mélancolie, où le Moi se divise afin de faire face à la perte del’objet, une part de celui-ci s’identifiant à l’objet perdu. Mais cette fonctionpeut se manifester aussi lors de la sublimation ou dans la production d’objetstransitionnels. L’incorporation et l’introjection sont les modes les plus primitifsde la relation d’objet (accouplés à l’excorporation et l’identification projective(p. 164). La fonction désobjectalisante est associée aux pulsions de mort queGreen lie au narcissisme négatif (p. 166), ainsi qu’aux concepts formulés pard’autres auteurs, tels que les attaques contre l’activité de liaison (Bion) et la for-clusion (Lacan).

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ESPACE(S) ET TEMPS

En 1973, Jean-Luc Donnet et André Green ont proposé une théorie desespaces psychiques, où chaque instance était corrélative d’un espace propre(p. 220). Les caractéristiques d’un objet doivent être mises en relation avecl’espace dont il fait partie. Green pense que la théorie psychanalytique a davan-tage élaboré le concept d’espace que celui de temps. L’espace et le temps sont,selon Kant, les catégories a priori de la connaissance sensible.

Green traite de la complexité des notions freudiennes de temps et de leurappauvrissement depuis la mort de Freud à travers la tendance à « ramener latemporalité à un plus petit dénominateur commun marqué par l’hégémonie dupoint de vue génétique » (p. 225). Pour Green, dans toute analyse, « tout maté-riel comporte des éléments appartenant à différentes couches du passé quis’entremêlent et sont remodelés par une élaboration secondaire au moment oùils font surface dans le matériel » (p. 226).

Une conception freudienne du temps implique une articulation des niveauxde fonctionnement du Ça et du Surmoi. Trois éléments mènent à l’inconscient :le rêve, le mot d’esprit et la pulsion (p. 231). Green indique les nombreusesdimensions du temps dans l’œuvre de Freud : le développement de la libido, lerefoulement, l’après-coup, l’atemporalité de l’inconscient, les fantasmes origi-naires de castration, la séduction et la scène primitive, la répétition (commesubstitut de la remémoration), les forces du destin, les événements non remémo-rables et les vérités historiques, le retour du refoulé. « Tel est le véritable pointde départ, et non l’événement originel inconnu, qui ne peut être conçu qu’aprèscoup » (p. 238). Un processus transférentiel ne peut être entièrement indépen-dant du passé, ni simplement une répétition du passé (p. 239). Il s’agit d’arriver àune approximation de la vérité sur le passé, avec l’accord de l’analysant.

En 1975, Green disait : « L’objet analytique n’est ni intérieur (à l’analysantou l’analyste), ni extérieur (à l’un ou l’autre), mais entre eux deux. » Dans uneséance, l’objet analytique est comme un troisième objet, un produit de la ren-contre de l’analysant et de l’analyste. Il pense toutefois que, depuis Freud,l’accent a été mis sur les relations pré-œdipiennes. C’est Lacan qui a ramené lerôle du père dans le champ des discussions.

S’inspirant de l’œuvre de Peirce, Green note l’importance cruciale du tiersdans la théorie psychanalytique. Il ne s’agit pas ici seulement de la triangula-tion œdipienne, mais aussi d’un dépassement de l’ici-et-maintenant par la réfé-rence toujours implicite de la troisième dimension (l’ailleurs et l’autrefois), tou-jours marquée par l’absence, qu’il s’agisse du présent ou du passé et, bienentendu, de l’avenir (p. 78).

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Green (2000, p. 47) souligne que la notion d’« aire intermédiaire » oud’ « espace potentiel », développée par Winnicott (1991), a amené la transfor-mation de la « psychologie bipartite » attribuée à la scène psychanalytique dansles années 1950. En effet, la notion de troisième espace considère d’autres possi-bilités spatiales qui existent en rapport avec la dialectique entre deux subjectivi-tés. C’est « comme si l’expression du monde intérieur pouvait être transposéedans le champ limité de l’interaction entre sujet et objet et refléter d’autrescaractéristiques que celles habituellement déduites d’une relation entre deuxparties dans le monde extérieur. Comme si quelque chose se déversait del’intérieur vers l’extérieur et donnait naissance à une autre forme d’existenceavant d’être entièrement définie par son extériorité ».

Winnicott (1991, p. 3) propose qu’ « une troisième partie de la vie d’un êtrehumain, une part que nous ne pouvons ignorer, est une aire de vécu intermé-diaire, auquel tant la réalité intérieure que la vie extérieure contribuent ». Ilsuggère que cet espace fonctionne comme une « aire de repos » pour l’individuqui doit assidûment négocier les exigences de la réalité aussi bien intérieurequ’extérieure. C’est pourquoi cet espace d’expérience intermédiaire, jamaisremis en question (et, selon Winnicott, exprimé ultérieurement à travers l’art, lareligion, la philosophie et d’autres formes de créativité) soulage du poids ou dela contrainte de cette tension dialectique entre réalité intérieure et réalité exté-rieure. C’est un « espace hypothétique qui existe (mais ne peut exister) entre lebébé et l’objet », un « paradoxe » que Winnicott (1991, pp. 107-108) « accepteet n’essaie pas de résoudre ». Winnicott était préoccupé « par l’idée de brèches,ces “espaces entre” où il y a de la place pour le jeu de la spéculation ».

Winnicott (1991, p. 51) souligne comment « cet espace de jeu n’est pas uneréalité psychique intérieure. Il se trouve à l’extérieur de l’individu, mais n’estpas le monde extérieur ». Il n’est pas aisé de conceptualiser l’espace potentiel,ou d’écrire sur celui-ci, car il implique une autre scène, située dans les nuanceset les interstices des configurations intra et interpsychiques. C’est un espaceonirique qui perturbe la binarité du Soi et de l’autre, l’ « existence possible »d’un lieu que « les termes d’ “intérieur” et “extérieur” ne peuvent décrire defaçon appropriée » (Winnicott, 1991, p. 106). De plus, cet espace potentiel, oùl’expérience se mêle au tissu de l’imagination, est capable de varier à l’infini.

Ogden (1985) avance l’idée que le concept d’espace potentiel reste énigma-tique et insaisissable du fait de la difficulté rencontrée dès lors que l’on veutdégager la signification du concept du système élégant d’images et de méta-phores dans lequel il est ancré.

Le symbole est défini comme le rassemblement d’un objet divisé. Greenidentifie trois parties, chacune des parties divisées auxquelles s’ajoute la troi-sième composée des deux autres parties. Dans les séances, pense-t-il, l’objet

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analytique est comparable à une troisième partie, le produit de la réunion desdeux parties que constituent l’analyste et l’analysant. Green se réfère non seule-ment au symbolique dans la terminologie de Lacan, mais aussi à l’œuvre deBion en ceci qu’il suggère que, aussi bien que la mère et le bébé, c’est la fonc-tion alpha de la mère qui exprime cette tiercéité présente dans la relation.

Green pense que le moment inaugural de la pensée « est la rencontre del’irreprésentable, de la représentation psychique exprimant la demande corpo-relle, et la cathexis d’une trace mnésique laissée par l’objet. À partir de ce ras-semblement originel, la possibilité d’un travail analytique à travers le transfertest ouvert... La psyché est l’effet de la relation de deux corps, l’un étant absent(p. 126). Évoquant le travail de Peirce, il suggère que le tiers est présent danstous les aspects de tout modèle sur les modèles psychanalytiques (2004, p. 118).

Green pense que les implications pour la psychanalyse sont considérables.Par exemple, on ne pourrait parler de la relation entre un sujet et un objet (rela-tion d’objet). « La relation tripartite est la matrice de l’esprit » (p. 132).

Green parle du complexe d’Œdipe comme d’une structure (à la suite deLacan, qui s’inspira de l’œuvre de Lévi-Strauss) et suggère que l’Œdipe histo-rique et structurel est un modèle dont nous n’avons que des approximations. Ilindique que l’on ne peut jamais avoir accès à toute la portée du complexed’Œdipe, avec ses dimensions d’inceste, de parricide, et la procréation d’enfantsincestueux, que dans une dimension, jamais dans toutes ses dimensions. Il traitedu triangle de cette structure comme étant plutôt ouvert que fermé.

Des trois angles du triangle, la mère est la seule à avoir une relation phy-sique intense avec les deux autres ; Freud avait déjà fait remarquer cela en 1918(Psychologie des foules et analyse du moi) et noté la dynamique de la relationentre désir et identifications. L’autre de l’objet, qui n’est pas le sujet, devient letiers dans la situation œdipienne. C’est une dimension symbolique qui corres-pond à la notion de la métaphore paternelle chez Lacan et qui n’est pas néces-sairement la vraie personne du père. Green affirme que l’on ne peut sous-estimer l’importance du complexe d’Œdipe dans la formation du Surmoi. Lefondement du complexe d’Œdipe réside dans la double différence entre lessexes et les générations qui précèdent la naissance du sujet.

LE TRAVAIL DU NÉGATIF

La négation a été étudiée en France grâce au travail de Lacan. Nulle partailleurs dans le monde, pense Green, le travail du négatif chez Freud n’a étésource de tant de réflexion. Lacan considère la forclusion comme un méca-

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nisme par lequel la chaîne symbolique est rejetée. Il se rapporte, toutefois, nonpas à quelque chose qui a été rejeté, mais à quelque chose qui a été aboli.

Green suit le concept dans l’œuvre de Freud. L’hallucination négative estainsi mentionnée plusieurs fois par Freud dans la période cathartique. Cettenotion s’éclipse ensuite de la théorie et ne réapparaît que de façon secondairedans une note : « Complément métapsychologique à la théorie des rêves ».Deux mentions du négatif sont importantes : la première définit la névrosecomme le négatif de la perversion, la seconde fait référence à la réaction théra-peutique négative.

La propre contribution de Green à une théorie de la pensée réside dans sonétude du négatif. Quand elle tient son nourrisson, la mère laisse l’impression deses bras sur l’enfant ; ainsi se constitue une structure d’encadrement qui, enl’absence de la mère, contient la perte de la perception de l’objet maternel entant qu’hallucination négative de celui-ci. Selon Green, c’est sur ce fond denégativité que des représentations futures de l’objet vont s’inscrire.

De nombreux concepts cruciaux de la psychanalyse sont définis en fonc-tion du négatif : la théorie du refoulement illustre le travail du négatif ; le Çan’est concevable qu’en négativant ce que nous savons du Moi (p. 283) ; le cli-vage et la désaveu qui sont essentiellement la dénégation de perceptions ; la for-clusion, la négation, le clivage, le désaveu.

Green met également en avant le concept de –C de Bion et l’identificationau « côté négatif des relations » de Winnicott. Pour certains patients ayant étéconfrontés à des expériences traumatiques de séparation, seul le négatif est réel.Winnicott conclut que, quand l’expérience de séparation est prolongée au-delàde ce que l’enfant peut supporter, un processus de désinvestissement a lieu etl’objet finit par disparaître de la psyché.

Dans un article majeur, Green met en lumière le rôle de la négationdans la structuration de l’esprit lui-même (Green, à paraître). Freud considèrela négation dans sa fonction alors que les distinctions entre intérieur etextérieur commencent à être faites, quand elle sépare Moi et non-Moi. Lanégation est ainsi présente à l’origine de l’activité de la pensée même et de lacapacité de symbolisation.

Green développe le concept d’hallucination négative en tant que non-perception d’un objet ou d’un phénomène psychique perceptible (p. 289). Ils’agit d’un phénomène d’effacement de ce qui devrait être perçu.

Il développe également l’idée d’une fonction de désobjectalisation liée àl’instinct de mort. Les manifestations cliniques de cette fonction sont lesangoisses catastrophiques, les sentiments de dévitalisation ou de mort psy-chique, l’anorexie, la désorganisation somatique (p. 295).

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CONCLUSION : LA RECONNAISSANCE DE L’INCONSCIENT

Green met l’accent sur l’intérêt croissant que Freud portait aux structuresnon névrotiques à la fin de sa vie. Son travail sur la négation puis sur le clivagedu Moi en témoigne. Le développement de son travail sur le modèle structurelannonce le travail futur avec les structures non névrotiques (p. 300).

Dès le début, Freud s’est intéressé aux manifestations de l’inconscient chezles individus « normaux », qui faisaient eux aussi l’expérience de rêves de fan-tasmes, de lapsus, du transfert, etc. Tous ces éléments indiquaient la disconti-nuité radicale de l’inconscient et du conscient – ce que, pour Green, toutes lesformulations psychanalytiques théoriques ne reprennent pas à leur compte.

À la fin de son ouvrage, Green examine brièvement la relation entre philo-sophie et psychanalyse (se référant à Aristote, Kant, Schopenhauer, Foucault,Wittgenstein, Ricœur, Habermas, Legendre et Castoriadis) et les contributionsfaites à l’interface de la psychanalyse et des neurosciences.

Cet ouvrage, essentiel et dense, offre un panorama de la pensée de l’un desplus importants penseurs psychanalystes de notre temps. On peut voir l’œuvrede Green comme une théorie des gradients, où la théorie dans sa totalité estplus importante que l’une ou l’autre de ses parties (p. 31). Il se peut que chaqueterme représente le tout, mais c’est le tout qu’il faut regarder.

(Traduit de l’anglais par Anne-Lise Hacker.)Rosine Jozef-Perelberg

35 Hodford RoadLondon NW11 8NL

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