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T)K SAINT FRANÇOIS 6 DE SALES ÉVÊQUE ET PRINCE DE GENÈVE OEUVRES COMPLÈTES NOUVELLE ÉDITION Tîevuo et corrigée avec le plus grand soin PAR UNE SOCtÊTÉ Q* B C C LÉS IA STI QUE S TOME HUITIÈME LETTRES (troisième partie (suite) QUATRIÈME ET CINQUIÈME PARTIES) PARIS BERCHE ET TRALIN, ÉDITEURS 69, R ue de R ennes , 69 1898

Œuvres complètes de saint François de Sales (tome 8)

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  • T)K

    SAINT FRANOIS6DE SALES

    VQUE ET PRINCE DE GENVE

    O E U V R E S C O M P L T E S

    NOUVELLE DITIONT e v u o e t c o r r i g e a v e c l e p l u s g r a n d s o i n

    PAR UNE SOCt T Q* B C C LS IA STI QUE S

    TOME H U ITIM E

    LETTRES( tro is i m e p a r t ie (suite) QUATRIME

    ET CINQUIME PARTIES)

    PARIS

    BERCHE ET TRALIN, DITEURS69, R ue de R e n n e s , 69

    1898

  • bsl2012

  • U V R E S COMPLTES

    DE

    SAINT FRANOIS

    DE SALES

    VIII

  • ^ p R l M C R f e

    cp ^ T' Lwei.

  • OEUVRES COMPLTES

    PK

    S A I N T F RAN OI S . DE S A L E S

    LETTRES

    ni

    V III. 1

  • LETTRES

    III' PARTIE- LE FONDATEUR DORDRE.(Suite.)

    C,(|i|NHO

    DCL1V.

    .S. Franois de Sales, M. de Frouville.

    Le Sainct lo lou do la gnrosit avcc laquelle il a permis h sa Aile cle se faire religieuse.

    9 aoust *620.

    Mo n s ie r , ayant seu avec combien de resolution vous avez consenti la soudaine et inopine retraitte de Madamoiselle de Frouville, vostre fille bien-ayme, je ne me puis retenir de men resjouyr de tout mon cur avec vous, comme dune action en laquelle Dieu aura prins-son bon playsir, et dont les anges et les saincts auront glorifi extraordinairement la divine Providence.

    Car je say bien, Monsieur, que ceste fille vous estoit parfaitement precieuse, et que vous nauriez peu la donner la divine Volont que premirement vous ne vous fussiez abandonn tout fait vous-mesme son obeyssance , qui est le plus excel- lentbon-heur que lon puisse souhaitter.

    Or, j augure de plus que, pour ce sainct sacrifice spirituel que vous avez si franchement fait Dieu, sa souveraine et intime bont vous donnera les mesmes bndictions quelle donna en pareille occasion au grand Abraham. Et ce sont les dsirs que je fay sur vous et sur toute vostre mayson, quen vous bnissant elle vous benisse, establissant vostre postrit en sa grce contre toutes sortes de contradictions ; et vous saluant tres-humblement avec Madamoiselle dInterville vostre compaigne, je demeure, Monsieur, vostre , etc.

  • i LETTRES.

    DCLV.

    S. Franois de Sales, une Suprieure de la Visitation.

    Le Sainct approuve laprattique de coste suprieure, qui, consulte fort souvent par des femmes maryes sur les devoirs de Testt, les renvoyoit toutes Y Introduction la vie dnot,

    1er octobre 4620.

    Je me ressouviens, ma tres-chere fille, que vous mescrivistes une fois que messieurs les confesseurs de ce pays-l vous ren- vovoient les femmes, affrn de les esclaircir, par vostre entremise, des difficultez et scrupules quelles avoient s choses secreltes de leur vocation. Ma tres-chere fille, vous faites bien de les renvoyer YIntroduction, o je desclare suffisamment tout cela, en sorte que si elles le veulent considrer, pour peu quon les ayde, si elles sont si rudes et si simples qu'elles ne lentendent pas, elles le pourront utilement; car vostre vocation et la qualit de fille ne vous permettent pas de leur rendre service en autre faon.

    Je vous envoyeray la copie du bref par lequel noslre Congrgation est establic en tiltre de religion. J ay presch ce soir au couvent des Carmelites de ceste ville. 0 Dieu soit beny, ques- tant toutes filles et servantes de la Mere de Dieu, quoyquelles soient grandes et vous petites, vos curs soient unis par sa saincte dilection, que ceste sacre Mere verse dans le cur de toutes les surs. Soyez tousjours courageuse, ma tres-cherc fille; et vivez toute en celuy pour lequel et par lequel vous estes cree et baptise, et esleve ceste sublime dignit des- pouse de Jesus-Christ. Vostre plus humble, etc.

    DCLVI.

    S. Franois de Sales, la Mere Paule-Hieronyme de Monthouz, suprieure Nevers.

    Le Sainct prescrit & ceste suporieure quelques conditions pour la reception des filles.

    2 novembre 1620.

    Ce nest icy quune lettre dattente, ma tres-chere fille, pour seulement vous dire quau premier jour je respondray par le menu toutes celles que vous mavez fait la consolation de mescrire jusqualors. Vous pourrez cependant respondre Monseigneur lEvesque que ces bonnes filles de Moulins, comme vous aussi, nestes l que pour faire le service de la fondation,

  • LE FONDATEUR D'ORDRE. S

    et que, quand le monastre sera establi, vous pourrez retourner en vos maysons de profession, ou rester, .et que parlant il ne faut rien demander pour ces filles l la mayson de Moulins, qui demeure oblige de les recevoir quand elles retourneront... Il semble quil nest pas bon de presser nostre sur M. Ayme deMerville, ains, queJIe-mesme laisse librement les dix mille francs.' Tenez vostre courage hautement relev, et sainctement humili en Dieu, ma tres-chere fille.

    Certes, ces filles si ineptes ne doivent point estre receues profession ; et quand on les recognoist telles avant la reception lhabit, elles ne doivent point y estre admises. Mais je vous diray cela en destail.

    Vous pourrez employer les surs qui doivent estre domestiques, et qui ne sont point vestues, au service du dehors, par lequel elles meritent tousjours davantage leur reception future lhabit.

    Je vous remercie de vos beaux breviaires, et envoyeray les miens vieux la premiere commodit. Ma tres-chere fille, je suis tres-parfaictement tout fait vostre, et comme ma chere fille,.... et comme ma sur Marie-Ayme.

    DCLVII.

    S. Franois de Sales, Madame de Chantai.

    Sur les Constitutions des religieuses de la Visitation, et sur Madame de Port-Royal, qui desire de se retirer dans une autre religion en laquelle lobservance religieuse soit en vigueur.

    Ce s t tousjours ainsi, ma tres-chere Mere, que je vous escris, sans loysir et sans haleyne; voil que M. de Tellier, gentilhomme de Madame de Mercur, envoye prendre mes lettres ; et faut que je les finisse avant que de les avoir commences. Jay accommod les Constitutions , le plus que j ay sceu, au gr du tres-bonP. Binet et au vostre. Et ne voypas que pour des Constitutions on y puisse guere plus rien adjouster. Reste voir comme on pourra tenir toutes les maysons joinctes ; et certes je ne say pour le present aucun moyen qui ne trayne quant et soy (1) des grandes respugnances ; mais je vous en escrirayplus long aprs que, pendant ces festes, j y auray un peu mieux

    (1) Avec soi.

  • 6 LETTRES.

    pens avec ladvis de Monsieur lAbb dAbondance que nous avons de conversations. Que je seray content si je vous puis voir bien loges ! Lhoste] de M. Zamefhs nest ce me semble que trop beau; nentmoins, faute dun assez beau, i se faudra contenter dun trop beau. Par la premiere occasion, je vous supplie, un peu des nouvelles de Madame la generale des galeres, de M. de Frouville, et de Madame de Villesmin , et de Madame de Montigni, si elle est tousjours malade ou non.

    Helas! il nest nullement Vray que je me sois fasch en la partie suprieure des advis que vous mavez envoyez sur les Constitutions. Mais ayant de prime abord jett les yeux sur celuy de lexclusion des maladives qui est tout fait contre mon esprit et sentiment, je dy par une inconsidre soudainet : Qui laissera gouverner la prudence naturelle, elle gastera la charit, et ne sera jamais fait.

    Descrire present Madame de Port-Royal, ma fille, il ny a nul moyen. Que ne ferois-je pas pour contenter son cur? Voicy mon advis. Puisque elle na jamais peu croire que ce fust la volont de Dieu quelle demeurast eii cest Ordre et que parmy toutes ses actions de vux, de profession, de susception de charge, elle a tousjours except devant Dieu de-se retirer dudit Ordre la premiere bonne occasion , je pense quelle fera donq bien de faire un ossay pour cela, et de faire escrire Rome pour avoir dispense; laquelle, si elle exprime bien son intention ne sera pas, si je ne me trompe, difficile destre obtenue; car, quand elle dira que ce nest pas pour retourner au monde, mais pour se retirer en une religion en laquelle lobservance religieuse est en vigueur, il ny aura rien dire; mais il ne faut pas quelle nomme la religion en laquelle elle se veut retirer; ains seulement quelle die quayant la licence elfe se retirera en un monastere pour faire profession, auquel lobservance est et vigueur. Or, i! suffira que cela sessaye par la voye dun banquier ordinaire, mais auquel par le moyen du commis dun secretaire d'Estat qulle mescrit luv estre grandement affectionn, on en voye une lettre qui puisse obliger M. lAmbassadeur de favoriser laffaire en cas de besoin. Avec cela, et le memorial estafit bien fait, comme il ne peut manquer de l'estre si elle-mesme sexplique bien celuy qui le dressera, je ne doibte poiiit quelle ne soit console dun despeche favorable,, estant une chose assez ordinaire.

    Puis, quant lexecution, il faudra prendre le byais le plus doux et advantageuxquon pourra. Mais, ma tres-chereMere,

  • LE FONDATEUR DORDRE. 7

    voyez une tres-fascheuse rencontre. Car il seroit expedient que ceste fille fust un peu assiste et dresse par vostre amour tout affectionn, et neantmoins voil qu Turin le monastre est accept et le P. D. (4)....

    DCLVIII.

    S. Franois de Sales, la Mere de Monthouz.Suprieure Nevers.

    Les religieuses qui vont faire des fondations doivent y aller sans auoune inquiettudesur leur retour. Advis sur lusage quelles peuvent faire des touiieres, faute de soeurs converses. Lo sentiment des tentations doit estre mespris sil ny a point de consentement. Importance de la clauBure : & quelles conditions on doit recevoir des filles : il ne faut pas communiquer indiscrettement les Constitutions aux seculiers. Respect deu aux evesques. Advis sur la rception des personnes difformes, riches et pauvres ; sur les associes, sur des choses de bienseance. On ne doit pas se haster de recevoir des subjets, ny trop entreprendre, mais agir en tout avec prudence,

    9 novembre 1620.

    Ma tres-chere fille, pour la fondation de Roan (2), il en faut scrire nostre Mere, puisque Roan est au del de Paris et que denvoyer des filles dicy l, il y auroit bien de la peyne.

    Il seroit propos de dire ou faire dire doucement Msr lE- vesque que vous prendrez le P. Lallemant pour faire vos confessions extraordinaires, ce commencement, bien quil suffise pour cela den confrer avec vostre Pere spirituel.

    Je ne pense pas quon puisse rien demander pour les surs qui vous ont ccompaigne de Moulins, pour la rayson que je vous ay escrite lautre jour que je respondis cest article. Il ny a nul mal de demander aux novices comment elles se portent : mais quand elles marquent des maux de nulle consquence, il ne faut pas les attendrir, ains seulement leur dire : Vous serez bientostguerie, Dieu aydant; puisqu la vrit le sexe est merveilleusement enclin se plaindre ou desirer destre plaint, et cest la vrit que ces tendretez prennent leur source de paresse et amour-propre. 0 mon Diei! que S. Bernard dit une choe estrange et remarquable des religieux malades! Mais je vous la diray un jour. Vous avez donc fait grandement bien pour la fille N., trop amye de soy-mesme, de lexercer et occuper extrieurement.

    (1) Il a ici, videmment, une phrase inacheve, et le Sens est que Mm de Chantai devrait quitter Paris pour se rendre Turin ('?}.

    (2) Rouen.

  • 8 LETTRES.

    Ma chere fille, il ne faut pas que vous autres qui fondez des maysons, fassiez ces penses, si vous reviendrez ou non, avant quil en soit tems. Or, il nen est pas tems au commencement de vostre besongne. Escoute, ma fille, et considr, et abbaisse ton aureille, et oublie ta mayson ; et le roy te dsirera, car il est ton Dieu (Ps. 44); cest--diro, il te fera reyne, car il est bon. Faites bien ainsi : bandez tout fait vostre esprit avec fidellit et douceur une magnanimit et force particulire.

    Servez-vous ce commencement des soeurs domestiques de dehors (i), et cependant elles demeureront en leur habit modestement seculier. Nous navons point encore pens sil faudra les garder une anne ainsi; mais nous y penserons bientost.

    Vous avez bien fait touchant ce sentiment, puisqu'il ny avoit nul consentement ny arrest volontaire : cela doit estre nglig et mespris, sinon quil y eust quelque violence tout fait extraordinaire.

    Je treuve bon ladvis donn nostre sur de Lyon, sur la reception dune fille tout fait bonne, et nullement phantasque ny .bigearre, mais dun esprit tout fait grossier. II ne faut pas remplir la mayson de telles filles; mais prenez celle-l, car il se treuve si peu de personnes en ce sexe sans phantaysie et malice et bigearrerie, que quand on en treuve on les doit receuillir.

    Je dy cecy pour ma tres-chere fille N. (2), que j ayme cordialement. Si quelquesfois elle est difficile traitter en ses incommo- ditez corporelles, petit petit cela passera : lesprit humain fait tant de destours sans que nous y pensions, quil ne se peut quil ne fasse des mines; celuy pourtant qui en fait le moins est le meilleur.

    Il ny a nul danger, ains il est expedient de faire dextrement bien concevoir au Pere spirituel limportance de la constitution del clausure, toute tire du sainct Concile de Trente; et de mesme Monseigneur IEvesque. Il ne faut pas donner promesse point de filles de les recevoir, sinon en ceste faon : Nous vous recevons en ce qui nous regarde, mais il faut que Monseigneur lEvesque le treuve bon; et faut tousjours conferer avec le Pere spirituel, car il saura tousjours bien les deffauts, sil y en a.

    Il faut esviter de prester vos Constitutions, en disant qu la premiere impression beaucoup de fautes se sont glisses, pour la haste de ceux qui les ont transcrites, que lon corrige, et que

    (i) C'est--dire les tourires. (2) De Chatelut.

  • LE FONDATEUR DoRDRE. 9

    bientost on les fera imprimer, et qualors vous les communiquerez volontiers. Mais les personnes estant discretles et de condition, en les advertissant de ce deffaut, qui, la vrit, est grand, vous pourrez, selon vostre prudence, lesprester.

    11 ne vous faut pas laisser peindre, si Monseigneur lEvesque ne le demande, ou vostre F'ere spirituel, auquel vous pourrez obeyr en cela, comme s autres choses indiffrentes, cest-- dire, qui ne sont pas contre vostre Institut. Jen dy de mesme des autres surs, auxquelles il faut pourtant bien donner des remedes contre la vanit; de laquelle toutesfois il ny a pas grand subjet destre peint sur de la toile, puisquil ny en doit point avoir destre peints en nostre personne limaige de Dieu.

    Il faut la vrit bien reverer levesque, estbli suprieur en lEglise par le sacrement de son Ordre, cest--dire par le Sainct- Esprit, comme dit S. Paul, et par la Rgl propre, et parles Constitutions : et Dieu bnira vostre obeyssance, qui est lancienne obeyssance des religieux anciens.

    Il ne faut pas dire au Confileor : et beatum Auguslinum; parce que vostre Congrgation est sous le tiltre de Saincte-Marie de la Visitation, quoyque sous la Rgl de S. Augustin.

    Il nest pas ncessaire de donner des Constitutions aux prtendantes , quen les leur expliquant.

    La philosophie des bains de ceste bonne fille est gracieuse. En somme, il ny a rien quun esprit foible ne glose : on ne peut re- medier telles nyaiseries quavec la patience dinculquer la vrit.

    Pour ces filles indisposes estre del Congrgation, il faudra suivre le conseil des sages et spirituels, aprs un peu dessay de correction. En somme, ce sont des choses que le Sainct-Esprit, le conseil et lil vous feront discerner.

    La fille au bras court doit estre receue, si elle na pas la cervelle courte; car ces difformitez extrieures ne sont rien devant Dieu.

    Vostre sentiment est le mien : il ne faut pas recevoir les riches au chur, parce quelles sont riches, mais parce quelles ont le talent dy servir : et si elles ne lont pas , quelles soient des associes, si elles sont foibles, ou vieilles, ou maladives; si elles sont fortes, on les pourra employer au service de la mayson, ou du moins cooprer aux domestiques. Si quelque considration les fait mettre parmy les associes, comme seroit leur delicatesse, ou la bont de leur esprit, cela les tiendroit habiles servir de suprieures, ou aux autres offices, hors celuy dassistante.

  • LETTRES.

    Et les pauvres ne doivent ostre rejettes, puisque Noslre Seigneur a tant aym la pauvret, que de tous les apostres la plus- part estoient pauvres de condition : mais pourtant il faut avoir quelque esgard aux charges de lamayson, autant que la saincte prudence et la grandissime confiance en Dieu le dicteront. En vostre chappelle, vos fenestres doivent estre voiles, affin quon ne vous puisse pas voir distinctement; mais avec cela il faut oyr le sermon le voile de vos faces lev.

    On peut recevoir associes les femmes et filles qui ne sa- vent pas lire ; car tout ce qui est dit de la lecture sentend le celles qui savent lire.

    Vous aurez les indulgences de tout lOrdre de S. Augustin , carie bref de vostre institution vous les donne, vous permettant de les avoir imprimes.

    Ne recevez pas legerement des filles; mais, selon que la prudence vous enseignera, ou de diffrer, ou de haster, faites-le ; et si elles sen vont ailleurs, Dieu les veille conduire, et en soit lo.

    Nentreprenez que doucement, selon la petitesse des moyens que vous verrez vous pouvoir arriver, et pour les choses ncessaires. Dieu ne vous abandonnera point.

    Nostre sur (1) mescrit une lettre toute saincte et dit quelle donnera tout fait les dix mille francs Nevers sans contredit.

    Or. sus, ma tres-chere sur, tenez vos yeux sur Dieu et sur son eternit de recompense, et sur le cur de la tres-saincte Vierge, et marchez tousjours humblement et courageusement; et jamais sans reserve je suis tout vostre, et vostre Pere, et vostre serviteur. Viye Jsus. Saluez Monseigneur lEvesque, vostre Pere spirituel, et le Pere Lallemant.

    DCLIX.

    S. Franois de Sales, Madame de Chantai, Paris.

    Il desplorelapostasie dun jeune homme de ses amys (2). Penses sur les afflictionsot labandon entier Dieu.

    22 dcembre 4020;

    J suis grandement afflig, ma tres-chere Mere, de la perte spirituelle de cest amy qui a tant demeur avec tnov. 0 la vanit de lesprit humain, tandis quil se fie en soy-mesme ! 0 que les

    (1) De MerviUe. Voy. la lettre du 2 novembre.(2) Voy. Lettre CCCXXX, page 147 (Tome VII).

  • LE FONDATEUR DORDRE. 11

    hommes sont vains quand ils se croyent eux-mesmes ! Il est ex- pedient que le scandale arrive, mais mal-heur ceux par qui il arrive (Matlh., 18).

    Ce jeune homme a tousjours repouss le joug trs-doux de Nostre Seigneur : j esperetoutesfois de le voir un jo t* repasser la mer, et venir port. Mais il escrivit luy-mesme sa perte N. avec tant de respect, de sousmission et de courtoysie, que rien plus, ot avec ces termes : Je me scpare de la communion de lEglisu pour me retirer en Angleterre, o Dieu (dit-il) mappelle. Qui ne gemiroit sur ce mot-l : Je me spar de la communion de VEglisel puisque se separer de IEglise cest se separer de Dieu? Laisser lEglise! Dieu, quelle frenesie! Mais la chair et le sang le luy ont persuad. La curiosit , linstabilit, la libert, la prsomption de son esprit, fondes sur le talent naturel de bien et promptement parler, avec la sensualit, lont tout fait perdu. En somme, le jugement est une partie rare, tousjours accompaigne de maturit et dhumilit. Or sus, peut- estre nen savez-vous rien encore? Sil est ainsi, nen saehez donc rien, ma tres-chere Mere, et demeurez en paix.

    Que ds consolations, au contraire, de savoir que nostre petite Congrgation se multiplie en bonnes ames; que ma tousjours plus chere fille du Port-Royal tient soii cur haut eslev en Dieu, que ma chere dame de Montignv souffre en patience sa maladie! Ma Mere, resaluez-la de ma part chrement, et luy faites savoir qu je la chris cordialement, et la croix sur laquelle elle est.

    Je salue tres-parfaictement madame N., laquelle je dy par vostre entremise, nayant nul loysir, que sa retraitte est comme une datte qui enfin produira une belle palme de triomphe; mais peut-estre seulement dicy cent heures, ou cent jours, ou cent sepmaines, ou cent mois ; et les contradictions quelle a eues serviront cela.

    Dieu nous fasse de plus en plus abonder eti la puret et simplicit de sa dilection, et en la fermet et sincrit de celle du prochain. Or sus, il faut que je finisse, en vous asseurant, ma tres-chere Mere, que, par la cheute de ce jene homme , Dieu ma gratifi de nouvelles douceurs, suavitez et lumieres spirituelles , pour me faire tant plus admirer lexcellence de la foy catholique.

    Bonsoir, ma tres-chere Mere : je vous dy courtement quouy ; cest abandonnementen Dieu, parmy les douleurs intrieures et extrieures, est tres-bon ; et est bon de dire aussi vocalement

  • 12 LETTRES.

    les parolles que vous me marquez de tems entems, pour faire savoir au cur qu'il est en Dieu, par le tesmoignage que ces parolles luy rendent.

    Il avoit dit, le grand sainct Etienne : 0 Seigneur Jess! recevez mon esprit... et l'ayant dit, il s'endormit en Nostre Seigneur. Il faut donc dire quelque chose de semblable, et sendormir en Nostre Seigneur, et puis de tems en tems repeter les mesmes parolles, et sendormir. 0 Dieu! que cest une bonne chose de ne vivre quen Dieu, ne travailler quen Dieu, ne se resjouyr quen Dieu! Jesus-Christ soit jamais nostre jour en leternit, et nostre cierge ardent en la vie presente. Amen.

    DCLX.

    S. Franois de Sales, la Mere de Monthouz, Suprieure du monastre de Saincte-Marie de Nevers.

    Tesmoignage de son affection pour elle.

    Lyon, jour de Nol, 1620 (1).

    Ceste chere damoiselle, qui vous porte ce billet, est digne destre singulirement cherie, parce quelle chrit tres-affection- nement la divine Majest de laquelle nous clbrons aujourdhuy lasaincte naissance; mais oultre cela, ma tres-chere fille, elle vous ayme sainctement, et a dsir que je vous escrivisse par son entremise. Je le fay de tout mon cur, ma tres-chere fille, sans vous dire autre sorte de nouvelles, sinon que nostre chere sur Emmanuelle est toute pleine de ferveur en la reforme du monas- tere de Saincte-Catherine qui se fait Rumilly; car, que vous diray-je de plus, -ma tres-chere fille, puisque ceste bonne et vertueuse ame vous dira tres-amoureusement tout ce qui se passe icy. (Elle) asseure que le pere Suffren, (sil ny a de l'impossibi-, lit,) vous fera la faveur de vous voir (et de vous) dire par lettre et de vive voix... (Je lay remerci de la prose latine quil vous donna... Venez...) cest un personnage tout aymable, et qui a une affection toute sincere pour vous et pour vostre monas- tere. Vivez toute en Dieu, ma tres-chere fille, et pour Dieu, que je supplie vous recevoir dans le sein de sa tres-saincte dilec- tion, avec toute vostre chere compaignie, qui suis sans fin, ma tres-chere fille, vostre, etc.

    (1) On a mis la date 1612, videmment errone; nous mettons 1620, anne o se flt la rforme de Rumilly.

  • LE FONDATEUR DORDRE. 13

    DCLXI.

    S. Franois de Sales, la Mere Fabrc.

    Le Sainct luy envoy une lettre do recommandation pour lcvesque de Clermont, et luy apprend quelques nouvelles de sa Congrgation, de sa famille, et de quelques autres personnes.

    1620.Ma tres-chere fille, voil une lettre pour Monseigneur de Cler

    mont, puisque Vous lavez voulu, et je dy ainsi, parce que nayant pas lhonneur destre cogneu de ce prlat, je ne pense pas que ma lettre puisse adjouster aucun degr de chaleur son sainct zele.

    Je croy que vous pourrez rester encor l quelques mois, ne voyant encor rien de prest Turin, quoyque Monseigneur le Prince persevere dire que tout se fera. Au contraire la signora dona Genovefa, lasse de tant de remises, viendra peut-estre icy commencer son noviciat.

    Vous savez la bonne trouppe qui est proche dicy, o nous avons encor la Sur Peronne Marie, qui est en vrit une tres- excellente fille. Elle partira demain pour retourner Grenoble, do elle avoit amen une rare fille pour faire le nombre ncessaire pour Nevers, Orlans et Paris.

    Je lou Dieu que vostre arrive en ce pays-l a est accueillie avec tant de joye, et j'espere que la suitte sera tousjours correspondante; car les amys de Dieu sont trop plus honnorez.

    Vous avez en ce pays-l le bon PereTheodose, capucin , mon grand amy, qui j escriray au premier jour; et le bon Pere Anselme de Rome, qui mayme incomparablement, et qui demeure Riom, et je masseure quil vous ira voir.

    Nostrebon Monsieur le Premier (1) est presque tout fait remis , et attendons quil nous assigne le tems pour venir icy la rcration, et faire le baptesme du petit Charles Chrestien. Madame nostre Prsidente, ma niepee, est une vraye Sur de la Visitation du dehors.

    J attens la conscration de mon frere pour me prparer au voyage, mais avant mon despart vous aurez une fois de mes nouvelles.

    Tout vous, etc.

    (1) Le prsident Fabre.

  • 14 LETTRES.

    DCLXII.

    5. Franois de Sales, Madame de Chantai.

    Madame de Chantai eut h Taris plusieurs dcsplaysirs, dont lfun fut la ortio de certaines Altos qui formrent des plaintes contre la mayson et sa suprieure : coste lettre regarde une de ces Alls qulestoit sortie et qui ses surs refusoient sa dot. Le Safnct marque un souverain dcBinteressement et une charit parfaicte envers ceste fille ; il no veut point quon en vienne , des procez pour avoir sa dot, ny qu.on fosse aucune avance pour lengager & revenir. Enfin il fait voir que la prudence humaine est une vritable sottise.

    Ma tres-chere Mere, si vous cognoissiez quil liist plus utile que vous demeurassiez l encore quelque tems, quoyque mes sens y respugnent, ne laissez dy demeurer doucement, car je me plays gourmander cest homme extrieur, et j appelle homme exterieur mon esprit mesme, entant qu'il suit ses inclinations naturelles (1).

    Voil que j escris ma tres-chere fille selon mon vritable sentiment. Cest la vrit; on parle perptuellement destre enfant de lEvangile, et personne presque nen a les maximes entirement en lestime quil faut. Nous avons trop de prtentions et de desseins : nous voulons avoir les mrits du Calvaire et les consolations du Thabor tout ensemble ; avoir les faveurs de Dieu et les faveurs du monde. Playder, oh J vrayement, je ne le veux nullement. A celuy qui te veut oster ta robbe, donne-luy encore ta tunique. Que pense-t-elle? Quatre vies des siennes ne suffiraient pas pour terminer son affaire par voye de justice. Quelle meurre de faim et de soif de justice; car bien-heureuse sera-t-elle. Est-il possible que ses surs ne luv veuillent rien donner ? Mais si cela est, est-il possible que les enfans de Dieu veillent avoir tout ce qui leur appartient, leur pere Jesus- Christ nayant rien voulu avoir de ce monde qui luy appartient?

    0 mon Dieu! que je luy souhaitte de bien! mais surtout la suavit de la paix du Saincl-Esprit, et le repos quelle doit avoir en mes sentimens pour elle : car je puis dire que je say quils sont selon Dieu, et non-seulement cela, mais quils sont de Dieu. Quest-il besoin de tant daffaires pour une vie si passagere, et de faire des corniches dores pour une imaige de papier? Je luy dy paternellement mon sentiment; car je layme, certes, incroyablement : mais je le dy devant Nostre Seigneur, qui sayt que je ne me mens point.

    (1) Reproduction du septime alina de la lettre du 7 aot 1620.

  • LE FONDATEUR D ORDRE. 15

    Je voudrais bien regagner son cur; car il me semble qu'elle nen treuvera pas un qui soit plus pour elle que le mien : et il n'est pas bon dabandonner les amitiez que Dieu seul nous avpit donnes. Je me souviens tousjours que ceste fille couroit un jour si vistement la dilection de Dieu et despoillemenl de soy-mesme, et si fortement. 0 plust Dieu que jamais elle ne fust partie dicv! Dieu eust bien treuv dautres moyens de faire ce qu'elle a fait : toutesfois je me reprens, et dy que Dieu a tout bien fait, et a tout bien permis; et j espere que comme sans nous il nous avoit donn ceste fille, sans nous aussi il la nous redonnera, si tel est son bon playsir. Mais linviter venir, il ne le faut pas faire, si Dieu ne nous fait cognoistre expr^ssement quil le veuille : il luy faut laisser faire ce coup purement luy seu l, sa divine providence (i).

    0 ma Mere ! je crains souverainement la prudence naturelle au discernement des choses de la grce; et si la prudence du serpent nest destrempe en la simplicit de la colombe du Sainct- Esprit elle est tout fait veneneuse.

    Que vous diray-je plus? Rien autre, ma tres-chere Mere, sinon que je chris incomparablement vostre cur, et comme le mien propre, si mien et tien se doit dire entre nous, o Dieu aestabli une tres-invariable et indissoluble unit, dont il soit ternellement beny. Amen.

    DCLXIII.

    S. Franois de Sales, une Suprieure de la Visitation.

    Le Sainct. demande grce pour une fille que lon devoit renvoyar dun monastre de cest Ordre. Il explique h la suprieure ce que c'est que Dieu, autant quune creature en est capable.

    Annessy, 2 avril 1621.

    Je ne saurois dterminer, ma trs chere fille, sur la demande que vous me faites de lopinion que j ay, sil est propos quon retienne ou quon renvoye ceste fille, parce que je ne la cognois pas assez : bien croy-je que lon pourroitluy donner encore un peu de tems, comme six sepmaines, et luy dire ouvertement ce que lon requiert en son esprit et en sa conduitte, affin quelle vacquast srieusement lacquerir ; et, si elle se rendoit souple, on la pourroit garder : car vritablement elle a un extreme besoin de demeurer en la vie religieuse, son esprit, ce me semble, ne pouvant que courir fortune de beaucoup de detrac- quemens au monde. Cest pourquoy il faut par charit faire ce qui se pourra bonnement faire pour son salut. Que si de son

    (i) Reproduction du dixime alina de la lettre du 7 aot 1620.

  • LETTRES.

    cosl elle ne coopere pas en s'humiliant, se sousmettant, renonant son esprit, et suivant celuy de l'institut auquel elle aspire, ce sera son dam (1) et sa coulpe seule.

    Quant lautre demande que vous me faites, il est impossible dy responrlre entirement, non-seulement moy, mais aussi aux anges et aux chrubins; car Dieu est au-dessus de toute intelligence : et sil y avoitune intelligence qui peust comprendre ou parfaictement dire ce que Dieu est, il faudroit que ceste intelligence fust Dieu; car il faudroit quelle fust infinie en perfection. Voyez, je vous supplie, les trois premiers chapitres du IIe livre de lAmour de Dieu; mais surtout voyez le premier chapitre, et encore les IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XVe chapitre du III' livre de lAmour de Dieu; car cela vous donnera une suffisante lumiere pour concevoir en quelque sorte ce que cest que Dieu : cest--dire, vous apprendrez, autant quil est requis, ce quil en faut croire ; et voicy ce que pour le present je vous en puis dire.

    Dieu est un esprit infini, qui est la cause et le mouvement de toutes choses, auquel et par lequel tout est, tout subsiste et a son mouvement. Il est par consquent invisible de soy-mesme, ne pouvant estre veu qu'en lhumanit de Nostre Seigneur, quil a unie sa divinit. Il est infini. il est partout, il tient tout par sa puissance : rien ne le tient pour le comprendre; ainsi il comprend et contient tout, sans estre contenu de chose quelconque.

    En somme, ma fille, comme nostre ame est en nostre corps sans que nous la voyions, ainsi Dieu est au monde sans que nous le voyions; comme nostre ame lient en vie tout nostre corps tandis quelle est en iceluy, ainsi Dieu tient en estre tout le monde tandis quil est en iceluy; et si le monde cessoit deslre en Dieu, il cesseroit tout aussitost d'estre; et comme, en certaine faon, nostre ame est tellement en nostre corps quelle ne laisse pas destre hors de nostre corps , nestant pas contenue en iceluy, puisquelle void, elle entend, elle oye, elle fait ses oprations hors de nostre corps et au del de nostre corps, ainsi Dieu est tellement au monde, quil ne laisse pas destre hors du monde, et au del du inonde, et tout ce que nous pouvons penser : et pour fin, Dieu est le souverain Estre, le principe et la cause des choses qui sont bonnes, cest--dire qui ne sont point pch.

    (1) Ce sera son dam. et sa coulpe; c'est--dire : Elle seule aura regret, parce que seule elle sera coupable.

  • LE FONDATEUR nORDRE. 17

    0 ma fille! cest un abysme; cest lesprit qui vivifie tout, qui cause tout, qui conserve tout, duquel toutes choses ont besoin pour estre; et luy na besoin de nulle chose, nayant jamais est que tres-infini en tout ce qui est, et tres-heureux, ne pouvant ny commencer d'estre, ny finir, parce quil est cter- nel, et ne peut nestre pas eternel. A luy seul soit honneur et gloire. Amen.

    Je nay pas dit cecy pour vous dire ce que cest; mais pour vous faire tant mieux entendre que je ne le puis, ne say dire, et que je ne say que confesser que je suis un vray nant devant luy, que j adore tres-profondement, comme aussi lhunianil de nostre Sauveur laquelle il s'est uny, affin quen icelle nous le puissions aborder et le voir en nos sens et sentimens au ciel, et en nos curs et en nos corps icy en terre au divin sacrement de lEucharistie. Amen.

    DCLXIV.

    La Comtesse de Dalet, la Merc de Chastel, suprieure du monaslere de la Visitation, Grenoble.

    Mie sc plaint de la duret de sa mere pour elle, parce quelle avoit fait vu de fonderun monastere de la Visitation.

    Avant le 25 avril 1621.

    Oy, ma tres-chere Mere! il est vray que j ay eu lhonneur destre battue et flagelle pour ma bien-ayme vocation; mais, certes, de tous les outrages que Nostre Seigneur permit mestre faits par celle qui je dois le plus au monde, et pour laquelle aussi j avois plus de respect, nul na est esgal la honte de mavoir chasse de ma propre mayson coups de pierres et de poings sur ma personne et sur mes pauvres petits enfans. Si vostre charit na jamais veu do ces gueuses qui ont des enfans leur cou et en leurs bras, j estois en cost equipage : mais, ma tres-chere Mere, que nous avons un Dieu plein de misricorde! Il permit bien en ce rencontre que mes sens fissent quelque rvolt cause de mes pauvres petits enfans; neant- moins mon ame estoit en une si grande tranquillit, paix et joye, que nosant chanter extrieurement cause de la bien- seance, je chantois mentalement plusieurs versets des psalmes de David, que Dieu me mettoitau cur, et je faysois des actions de grce tres-ardentes la divine Bont de mavoir donn de si belles occasions de luy tesmoigner mon amour; et je ne me souviens pas davoir jamais eu des sentimens pareils.

    VIII. 2

  • 18 LETTRES.

    Une pauvre paysanne me receut, lorsque ma mre m'eut ainsi chasse, et me presta deux de ses couvrechef, dont je fis des coiffes de nuict pour moy et pour mes pauvres enfans. Elle me quitta son lict, o je couchay mes quatre petits; et quant moy, j avois tant de choses dire mon Dieu , que je ne me couchay point ceste nuict-l.

    DCLXV.

    S. Franois de Sales, la Mere de Chas tel, Grenoble.Ceste lettre est rolative au difforencl qui ses toit eslev outre la comtesse de Dalet e t sa

    rnerc. au subjet de l'entre en religion de la premire, et de quelques discussions dinterest entre la mere. qui estoit peu riche, ot la fllle, qui lestolfc beaucoup.

    25 avril 1621.

    E n somme, ma tres-chere fille, il est vray, ainsi que je luy souvent clit, que la discrtion est une vertu sans laquelle, au rapport de S. Anthoine, nulle vertu nest vertu, non pas mesme la dvotion, si toutesfois la dvotion veritable peut estre sans une veritable discrtion.

    Geste bonne dame, des belles et rares qualitez de laquelle vous mavez la premiere rendu amateur, se plaint admirablement de Madame sa fille, de quoy ayant treuv un essaim dabeilles avec leur miel, elle samuse trop avec elles, et mange trop de ce miel, contre lenseignement du Sage, qui a dit : As-tu treuv du miel, manges-en discrtement (Prov. 25).

    Elle vous aura dit toutes ces raysons en meilleurs termes que je ne saurois vous les prsenter, hormis peut-estre celle-l, que vostre religieuse mayson luy a une tres-grande obligation, ainsi que vous-mesme mavez escrit. Voyez, ma tres-chere fille, de contribuer au contentement de ceste mere ce que vous pourrez auprs de ceste fille, laquelle, la vrit, est oblige de quitter, je ne dy pas un peu, mais beaucoup de ses consolations , pour spirituelles quelles soient, pour en laisser beaucoup sa mere.

    Je confesse que je ne sav comme il se peut faire quune mere de tant desprit, de perfection et de piet, et une fille de grande vertu et de dvotion, ne demeurent tout fait unyes en ce grand Dieu, qui est le Dieu dunyon et de conjonction : mais je say bien pourtant que cela se fait, et que mesme les anges, sans cesser destre anges, ont de contraires volontez sur un mesme subjet, sans pour cela estre en division ny dissension, parce quils sont parfaictement amoureux de la volont de Dieu,

  • LE FONDATEUR DORDRE. 19

    laquelle, soudain quelle paroist, est embrasse et adore de tous. Ah! mon Dieu, ny a-t-il pas moyen que l'on ayde ces deux dames la cognoistre, ceste saincte volont? car jo suis asseur quelle les rangeroit toutes deux son obeyssance.

    Ceste bonne dame qui est mere me parle dun vu de chastet fait par sa fille, et dit que cest prcipitamment. A cela je ne touche point; car il y va bien des considrations pour juger quun vu de chastet puisse ou doive estre dispens ou dispensable, puisquil ny a point destime comparable lame chaste.

    Mais elle parle, ceste mere, dautre chose, qui est quelle aymeroit mieux que sa fille fust religieuse tout fait, puisquen ce cas-l on ne la luy demandera plus pour caution, et que ladministration des biens des enfans lui sera confie. Mais je ne say non plus que dire sur cela, ne sachant pas quelle est la vocation du ciel, et voyant les enfans de ceste bonne dame si petits : ceste seule chose me touche plus que les autres.

    Tout ce de quoy ceste dame se plaint, cest quelle dit que sa fille fait bourse part, parmy tant de peynes et travaux quelle void sa mere, sans la souslager de son assistance. Or cela, ma tres-chere fille, est tout fait contraire mes sentimens. S. Franois ne pouvoit gouster lamas des fourmis : mais il me semble quune fille qui a des moyens ne doit jamais les espargner pour sa mere, je dy mesme pour son repos et juste contentement.

    Je vous escris la teste pleyne daffaires, et entre plusieurs tintamarres ; et de plus je vous escris tastons ; car je say bien que pour bien parler en ceste occasion, il faudroit ouyr bien au long les parties : mais tandis que cela ne se peut, il faut parler pour la mere; il y a tousjours un juste prjug pour elle.

    Au reste, elle ne desire de vous sinon que vous employiez vostre entremise pour moderer le zele que sa bonne fille a ses retraittes, qui est chose qui ne se peut ny doit refuser, la modration estant tousjours bonne en tous les exercices, hormis en celuy de lamour de Dieu, quon ne doit point aymer par mesure. Employez-vous donc bien ceste modration, laquelle il sera bien ays de reduire ceste bonne fille, puisque sa bonne mere luy permet quelle aille jouyr de la dvotion en paix, toutes les grandes festes de lanne, et, oultre cela, de six sepmaines en six sepmaines trois jours, qui est beaucoup.

    Cest assez; je masseure, ma tres-chere fille, quaprs avoir invoqu le Sainct-Esprit, il vous donnera de la clart pour bien faire ou conseiller ceste modration.

    Je suis en Nostre Seigneur parfaictement vostre. Je le supplie

  • 20 LETTRES.

    de rgner lousjours en vostre ame, en vostre chere Congrgation, et quil vous inspire toules de prier souvent pour moy. Amen.

    DCLXVI.

    S. Franois de Sales, Madame la Comtesse de Dalet. Lo Saine t l'oxhorte & secourir sa mere ; en mesme teras luy Inculque que l'amour dos parons

    oxige beaucoup des enfans. Dieu souffre quon les ayme avec luy, pourveu que ce soyt pourluy.

    25 avril 1621.

    Ma d a m e , je serois bien en peyne de vous escrire sur le subjet qui my convie, si je nestois authoris de Madame vostre mere : car quel propos oserois-je mettre la main aux affaires qui se passent entre vous deux, et vous parler de vostre conscience, moy qui scay que vous estes lunique digne fille dune si digne mere, pleyne desprit, de prudence et de piet? Mais puisquil le faut, sous ceste si favorable condition, je vous diray donc, Madame, que Madame vostre mere mescrittout ce quelle vous a dit et fait dire par plusieurs excellens personnages, en com- parayson desquels je ne suis rien, pour vous ranger au dsir quelle a que vous ne labandonniez de vostre assistance liliale en cosle grande presse daffaires temporelles en laquelle les occurrences que vous savez ont pouss sa mayson , quelle ne peut supporter de voir tomber sous le faix, et surtout faute de vostre secours, quelle tient y eslre seule et uniquement ncessaire.

    Elle propose trois partis pour cela : ou que vous vous retiriez tout fait en religion , affin que les cranciers ne vous desirent plus pour caution, et que la disposition des biens de vos enfans luy soit libre, ou que vous vous remaryez avec les ad vantages qui vous sont offerts, ou que vous demeuriez avec elle avec une seule bourse. Elle met dans sa lettre vos excuses pour les deux premiers partis ; car elle dit que vous avez vou Dieu vostre chastet, et que vous avez quatre bien petits enfans, desquels deux sont des filles : mais pour le troisiesme je ne voy rien dans sa lettre.

    Quant au premier, je ne suis pas pour interposer mon jugement, si le vu que vous avez fait vous oblige ne point desirer dispense, bien quelle allgu une si grande prcipitation qui peut prvenir la juste considration; car vritablement la puret de la chastet est de si haut prix, que quiconque la voue est tres-heureux de la garder, et ny a rien preferer que la ncessit de la charit publique.

  • LE FONDATEUR D ORDRK. 21

    Quant au second, je ne say si vous vous pourriez lgitimement descharger du soing que Dieu vous a impos de vos enfans en vous rendant leur mere, et eux estant si petits.

    Mais pour le troisiesme, Madame, je vous dy que vostre bourse doit estre commune Madame vostre mere en cas de si grande ncessit. 0 Dieu! cest la moindre communication qu'on doive aux peres et aux meres. Je cuide bien entrevoir quelque rayson pour laquelle il semble qu'une telle fille charge denfans puisse garder sa bourse; mais je ne say pas si vous lavez; et si, je pense qu'il faut que ceste rayson soit grande et grosse, pour la faire voir et considrer tout fait. Entre les ennemis, lextreme ncessit rend toutes choses communes; mais entre les amys, et de tels amys comme sont les fllles et les meres, il ne faut pas attendre lextreme ncessit, car le commandement de Dieu nous presse trop. Il faut en ce cas relever le cur et les yeux en la providence de Dieu, qui rend abondamment tout ce que lon donne sur sa saincte ordonnance.

    Je dy trop, Madame; car je navois rien . dire sur cela, que de renvoyer vostre chere conscience, pour ce regard, ceux auxquels vous vous en confiez.

    Au reste, pour vos exercices spirituels, Madame vostre mere se-contente que vous les fassiez vostre accoustum, hormys pour vos retraittes Saincte-Marie quelle desire destre limites aux grosses festes de lanne, et cela trois jours sur chaque quarantaine. Vous pouvez aussi vous en contenter, et suppleer, par des retraittes spirituelles dans vostre mayson, la longueur de celles que vous pouvez faire en celle de Saincte-Marie.

    0 mon Dieu, ma chere dame, quil faut faire de choses pour les peres et meres! et comme il faut supporter amoureusement lexcez, le zele et l'ardeur, peu que je die encore limporlunit de leur amour! Ces meres, elles sont admirables tout fait : elles voudroient, je pense, porter tousjours leurs enfans, surtout lunique, entre leur mammelles. Elles ont souvent de la jalousie; si on s'amuse un peu hors de leur presence, il leur est advis quon ne les ayme jamais assez, et que lamour quon leur doit ne peut estre sans mesure que par le demesurement. Quel remede cela? Il faut avoir patience, et faire au plus prs que lon peut tout ce qui est requis pour y correspondre. Dieu ne requiert que certains jours, que certaines heures, et sa presence veut bien que nous soyons encore presens nos peres et nos meres : mais ceux-ci sont plus passionnez; ils veulent bien plus de jours, plus d'heures, et une presence non divise. H! Dieu

  • 22 LETTRES.

    est si bon que, condescendant cela, il estime les accommode- mens de nostre volont celle de nos meres, comme faits pour la sienne, potirveu que nous ayons son bon playsir pour Gn principale de nos actions.

    Or sus, vous avez l Mose et les prophetes, cest--dire tant dexcellens serviteurs de Dieu : escoutez-les. Et moy, j ay tort de vous entretenir si longuement, mais jay un peu de complay- sance de parler avec une ame pure et chaste, el de laquelle il ny a aucune sorte de plainte que pour lexcez de dvotion; tare (1) si rare et si aymable, que je ne puis naymer pas et nhonnorer pas celle qui en est accuse, et nestre pas jamais, Madame, vostre, elc.

    DCLXVII.

    S. Franois de Sales, Madame la Comtesse de Dalel.

    Le vu de chastet doit estre gard, au prejudice mosme de la conservation do sa postrit. Quelle sorte d'assistance les en fans uni sont maryez et qui ont famille doivent il leurs parens. La retraltte est ncessaire aux personnes devotes pour conserver leur puret, et elle contribue leur unyon avec les personnes du monde qui ne accommodent pas volontiers des exercices de la vie dovotc.

    11 may 1021.

    M a d am e , cest en la presence de Dieu que je vous dois particulirement escrire ceste lettre, puisque cest pour vous dire ce que vous devez faire pour sa plus grande gloire s choses que vous mavez marques. Apres donc avoir invoqu son Sainct- Esprit, je vous dy que je ne voy nulle juste occasion en tout ce que vous me dites, et que Madame vostre mere me dit, pour laquelle vous deviez violer le vu que vous avez fait de vostre chastet Dieu : car la conservation des maysons nest pas considrable, sinon pour les princes, quand leur postrit est requise pour le bien public; et si vous estiez princesse, ou celuy qui vous souhaitte prince, ou vous devroit dire : Contentez-vous de la postrit que vous avez ; et luy : Faites de la postrit dune autre princesse. En somme, le Sainct-Esprit a fait redire clairement quil ny a rien d'estimable en comparayson dune ame continente (Eccli. 26). Demeurez donc l, puisque Dieu vous a inspir de le vouloir, et vous donne la grce de le pouvoir. Ce grand Dieu bnira vostre voeu, vostre ame et vostre corps, consacrez son nom.

    2. Il est tout vray que vous nestes nullement oblige par

    (1) Faute.

  • LE FONDATEUR n ORDRE. 23

    droit do justice dassister de vos moyens la mayson de Monsieur vostre pere, puisque vos moyens et ceux de vos enfans, par lordre establi en la respublique, sont separez et independans de la mayson de Monsieur vostre pere, et quil nest point en ncessit effective, et dautant plus quen effect vous navez rien receude vostre dot, promise seulement, et non paye.

    3. Au contraire, sil est veritable que vous ruyneriez vos efans et ce qui est eux, et que vous vous ruyneriez vous- mesmo, si vous vous chargiez des affaires de vostre mayson paternelle, sans pour cela lempescher de se ruyner, vous estes oblige, du moins par charit, de ne le faire pas, car quel propos ruyner une mayson pour en laisser encore ruyner une autre, et donner des remedes contre un mal irremediable, aux despens de vos enfans? Si donc vous savez que vostre secours sera inutile au souslagement de Monsieur vostre pere, vous estes oblige de ne ly point employer au prejudice des affaires de vos enfans.

    4. Mais, Madame, si vous pouvez layder sans endommager vos enfans, comme il semble apparemment que vous le puissiez faire, puisque vous estes unique, et que tout ce. que vous pourrez empescher destre vendu demeurera enfin vos enfansM onsieur vostre pere et Madame vostre mere ne pouvant avoir dautres hritiers, il mest ad vis que vous le devez faire, car, ce ne seroit quabandonner vos moyens dune main, et les reprendre de lautre.

    5. Et quand mesme vous incommoderiez vos affaires pour contenter Madame vostre mere, poufveu que ce ne fust pas avec trop de perte de vos enfans, encore me sembleroit-il que vous le devriez faire, pour le respect et lamour que vous estes oblige de luy porter.

    6. Et quant au reste, je pense quil seroit plus propos, pour vostre repos et par la suitte de leslection que vous avez faite dune perpetuelle puret, que vous demeurassiez part en vostre petit train, la charge que vous vissiez souvent Madame vostre mere, laquelle, si j entensbien sa lettre, ne seroit point marrye que mesme vous fussiez religieuse, pourveu que vous luy communiquassiez vos moyens pour la retenir en possession des biens de la mayson.

    Et vritablement, ne vous voulant point ranger un second maryagc, ny ne pouvant pas seconder le courage que je voy en ceste dame tenir grand train et portes ouvertes toutes sortes dhonnestes conversations, je ne voy comme ce ne seroit pas

  • 21 LETTRES.

    plus propos que vous demeurassiez part, ny ayant rien des- gal la sparation des sjours pour conserver lunyon des curs entre ceux qui sont de contraires, quoyque bonnes, humeurs et prtentions. Voil mon opinion, Madame, sur la cognoissance que j ay de Testt de vos affaires. Oh! sil eust pieu Dieu que je vous eusse veu Lyon, que de consolation pour moy, et combien plus certainement et plus clairement j eusse peu vous expliquer mon sentiment! Mais puisque cela na pas est, je mattendray recevoir vos respliques, s'il vous semble que j ay manqu comprendre le fait que vous mavez propos, et je messayeray en reparer les manquemens. Et je vous supplie. Madame, de ne point vous mettre en aucune considration qui vous puisse oster la libert de mescrire, puisque je suis et seray dsormais tout fait et sans reserve vostre tres-humble et tres- affectionn serviteur, qui vous souhaitte le comble des grces de Nostre Seigneur, et surtout un progrez continuel en la tres- saincte douceur de charit, et la sacre humilit de la tres-ay- mable simplicit chrestienne; ne me pouvant empescher de vous dire que j ay treuv parfaictement douce la parolle que vous mettez en vostre lettre, disant que vostre mayson est des communes , et rien plus : car cela est cherissable en un aage o les enfans du siecle font de si gros brouas de leurs maysons, de leurs noms et de leurs extractions. Vivez tousjours ainsi, ma tres-chere lle, et ne vous glorifiez quen la croix de Nostre Seigneur, par laquelle le monde vous est crucifi, et vous au monde. Amen. Je me dy derechef de tout mon cur, Madame, vostre, etc.

    DCLXVIII.

    S. Franois de Sales, Madame la Comtesse de Dalet.En qnolie necessit doit pstre une famille pour empescher une personne de prendre le party

    du cloistre. La tentation est dangereuse dans ces circonstances.

    Apres le 11 may 1621.

    Ma tres-chere fille, je vous diray franchement que quant lobligation de vostre conscience, je ne varye nullement, et persevere ce que je vous ay dit il y a long-tems, qui est en un mot, que si la ncessit de la personne de ce bon seigneur est telle que vous soyez requise en presence pour la secourir, vous devez arrester. Si ce nest que la ncessit du meilleur estt des biens, vous ny estes pas voirement oblige; mais pourtant, si ceste ncessit estoit extreme et grande, et quelle ne peust estre

  • LE FONDATEUR DORDRE. 25

    remedie que par vous, c'est--dire, que vous ne peussiez suppler par autruy aux affaires, vous pourriez librement arrester le tems requis cela, que je remets vostre discrtion et prudence, ne pouvant dissimuler avec vous quen ceste occasion je ne voye quelque sorte do tentation.

    Car sans doubte, si vous vous fussiez remarye quelque chevalier du fond de Gascogne ou de Bretaigne, vous eussiez tout abandonn, et on neust rien dit : maintenant que vous navez pas fait beaucoup prez un si grand abandonnement, et que vous avez reserv assez de libert pour avoir un soing modr de vostre mayson et de vos enfans, parce que ce peu de retraitte que vous avez fait est pour Dieu, il se- treuve des gens qui taschenl de le faire estimer mauvais et contre le devoir.

    Ce que je ne dy pas pour ce bon chevalier qui vous souhaitte auprez de soy, car vrayement il a rayson de desirer le bien de vostre conversation , qui ne peut que luy estre aggreable; mais pour ceux qui en parlent par maniere de conscience et de scrupule, qui, mon advis, ne sont pas bien fondez en cela, bien quen la lettre de Monsieur N. je les voye fort doctes et de grand esprit. Mais je reviens vous dire que vostre discrtion vous doit regler, selon ce que je vous en ay dit autresfois, ce que maintenant je rpt.

    Au demeurant, pendant vostre sjour, ces bonnes filles font u mieux quelles peuvent, affin qu vostre retour vous ne trouviez point de decadence en ceste heureuse vie en laquelle Dieu les a mises sous vostre conduitte.

    Je vous souhaitte mille et mille bndictions celestes pour ladvancement de vostre cur au tres-sainct amour du Crucifix, auquel il est vou et consacr ternellement.

    Je suis, comme vous savez, de toute mon ame, ma tres- chere fille, tout parfaictement vostre, en celuy qui, pour nous rendre siens, sest fait tout nostre, Jesus-Christ, qui vit et regne s siecles des siecles. Amen.

    DCLXIX.Franois dp Sales, aux Consuls et Habitons

    de Monlferrand.Le Sainct leur promet do laisser le plus long-tems quil pourra la Mere Fabre dans le

    monastere de Saine to-Marie. nouvellement fond dans leur ville.Annessy, SI mai 1621.

    Me s s i e u r s , je respons vostre lettre, et correspons, autant que je le puis, vos dsirs, vous asseurant que je laisseray, le

  • 26 LETTRES.

    plus long-tems que le service de Dieu me le permcltra, nia sur Marie-Jacqueline Fabre, au monaslere o, par vostre piet, elle se treuve maintenant, et o je suis grandement consol quelle employe les graces que la divine Providence luy despartira. Que si je pouvois vous dire que ce sera pour toute sa vie, je le ferois volontiers, pour contenter vostre zele et celuy de tant dames qui se consolent avec elle; mais vous vous imaginerez bien quelles occasions peuvent se presenter pour la retirer et destiner ailleurs, selon que la gloire de celuy auquel elle est voue le requerra. Je vous le souhaitte tres-uny, propice, et toute vostre honnorable ville, Messieurs; je suis en luy vostre tres-humble, etc.

    DCLXX.

    La Mere de Chaslel, S. Franois de Sales.La More do Cbastel, jugeant que ses infirmitez habituelles'ne luy permettaient pas de sacquitter

    do sa charge de suprieure, demande au Sainct sa dposition.

    Vers le mois de may 1021.

    Mo n s e ig n e u r , linfirmit dont je suis accable mabat de telle sorte, que j en viens quelquesfois jusque dans lennuyet le des- goust de ma vie. Dieu, mayant donn une si grande adversin naturelle pour les charges, me fait assez cognoistre par ce chas-

    tiraent quil ne me les a point destines. Je ne croy plus pouvoir en conscience tenir une place que je ne mrit pas. Cest faire une injustice mes surs, qui sont les espouses de Jesus-Christ, de leur laisser plus long-tems une suprieure incapable de les servir, cause de ses infirmitez, aussi bien que de les instruire, et indigne de les gouverner par son deffaut de conduitte. Ce reproche me ronge continuellement le cur; et ce ver sattachant immdiatement cesle premiere et maistresse partie, tout le reste de mon corps se rend la douleur, et demeure sans force et sans courage, etc.

    DCLXXI.

    S. Franois de Sale.i, la Mere de Chastel.Responso A la lettre precedente.,

    Vers le mois de may 1621.

    Je le croy bien, ma tres-chere fille, que ce serait vostre ad vis que nous voulussions vous oster la charge et la qualit de Mere, mais ce nest nullement le nostre.

  • LE FONDATEUR DORDRE. 27

    Hclas ! ma chere fille, croyez-vous que Nostre-Dame fust moins la mere de Nostre Seigneur lorsquelle parut oultre de douleur, et qu'estant accable dennuys, et toute submerge daffliction, elle respiroit ceste parolle : Ouy, mon Fils, parce quil vous plaist ainsi, que lorsque, dun accent magnifique et dun cur tressaillant de joye, elle chanta le celeste cantique de son Magnificat? Ne craignez point de mal edifier nos surs. Dieu y pourvoyera. Voslre cur est naf, rond et sincere; vostre chemin est bon, et je ny treuve rien redire, sinon que vous considrez trop scrupuleusement vos pas, par la crainte de tomber. De quoy vous mettez-vous tant en peyne? Dieu est si bon ! ne vous empressez point tant pour luy, car il en reprint Marthe ; ne veillez point estre si parfaicte.

    S. Paul vous advertit quY/ ne faut pas estre plus sage quil ne faut. Nexaminez point tant vostre ame de ses progrez; il vous est utile dignorer vos grces et les richesses que vous avez acquises devant Dieu : souslagez vostre pauvre cur, que je chris paternellement devant Dieu, et Dieu veut que j aye de la consolation le dire. Demeurez donc paysible, ma tres- chere fille; soyez Mere, et bonne Mere, tout autant que Dieu vous lordonnera.

    DCLXXII.

    S. Franois de Sales, une Suprieure de la Visitation.La prudence humaine est fort & craindre dans les choses spirituelles : elle est oppose & la

    charit, h la confiance on Dieu, A lestablissement des maysons religieuses.

    24 juillet \ m .

    0 m a tres-chere fille! quelle pity de considrer les effects de la providence humaine en ces ames dont vous mescrivez, le mien et tien regner dautant plus puissamment s choses spirituelles quil semble estre un mien et tien spirituel; et cependant il estoit tout fait, non-seulement naturel, mais charnel. 0 combien tout cela est esloign de ceste pure charit, qui n'a pas de jalousie ny desmulation, et qiri ne cherche ce qui luy appartient? Ma fille, ceste prudence est oppose ce doux repos que les enfans de Dieu doivent prendre en-la Providence celeste.

    On diroit que lerection des maysons religieuses et la vocation des ames se fait par les artifices de la sagesse naturelle; et je croy que, quant aux murailles et la charpenterie, lartifice en peut estre : mais la vocation, lunyon des ames appelles, la

  • 28 LETTRES.

    multiplication dicelles, ou elle est surnaturelle, ou elle ne vaut rien tout fait. Nous avons trop de considration destat et trop de finesse mondaine en ces choses que Dieu fait par une spciale grce. Tousjours les pauvres rejetiez ont eu la bndiction et la multiplication, comme Lia, Anne et les autres.

    Mais, matres-chere fille, il faut demeurer en paix, en douceur, en humilit, en dilection non feinte, sans se plaindre, sans remuer les levres. 0 si nous pouvons avoir un esprit duno entiere despendance du soing paternel de nostre Dieu en nostre congrgation, nous verrons multiplier avec suavit les fleurs des autres jardins, et en bnirons Dieu, comme si cestoit s nostres. Quimporte-t-il une ame vritablement amante, que le celeste Espoux soit servi par ce moyen ou par un autre? Qui ne cherche que le contentement du Bien-aym, il est content d tout ce qui le contente.

    Croyez-moy, le bien qui est vray bien ne craint point destre diminu par le surcroist dun autre vray bien. Servons bien Dieu, et ne disons point : Que mangerons-nous? que boirons-nous? do nous viendront des surs? C'est au maistre de la mav- son davoir ceste sollicitude, et la dame de nos logis de les meubler; et nos maysons sont Dieu et sa saincto Mere. Dissimulez avec amour toutes ces petites tricheries humaines, ma tres-chere fille. Donnez, tant que vous pourrez, lesprit dune veritable et tres-humble gnrosit nos cheres surs, que je salue de toute mon ame. Vous estes tousjours plus ma tres-chere fille tout fait bien-ayme, et je suis vostre, etc.

    DCLXXII1.

    S. Franois de Sales, une Sur touriere de la Visitation.Il fait Tosloge de son employ, en monstre l'importance, et conclnt

    qu'il ny a rien de petit, au service rto Diou.2 aoust 1621.

    Ma tres-chere fille, je suis grandement consol de savoir que vous estes arreste plus particulirement au service d Nostre Seigneur, en la mayson de sa tres-saincte Mere, en une condition que j estime de grand profict. Jaij choysi destre abject, dit le Prophete, en la mayson de mon Dieu, plus que dhabiter les tabernacles des grans, qui souvent ne sont pas si pieux.

    Vous avez est heureuse davoir jusqu prsent servy Dieu dans la personne dune maistresse de laquelle vous avez eu toutes sortes de subjets de profitter spirituellement; mais vous

  • LE FONDATEUR DORDRE. 29

    esles encore plus heureuse daller servir ce mesme Seigneur en la personne de celles qui, pour le mieux servir, ont quitt toutes choses.

    Cest un grand honneur, ma chere fille, davoir en charge la conservation dune mayson toute compose despouses de Nostre Seigneur : car qui garde les portes, les tours et les parloirs des monasteres, il garde la paix, la tranquillit et la dvotion de la mayson, et de plus peut grandement edifer ceux qui ont besoin daborder lo monastere.

    Il ny a rien de petit au service de Dieu; mais il mest advis que ccste charge du tour est de tres-grande importance, et grandement utile celles qui lexercent avec humilit et considration.

    Je vous remercie de la participation que vous mavez donne de vostre contentement, et vous prie de saluer Mesdames de Lamoignon, et, quand vous la verrez, Madame de Villeneuve. Vostre humble frere et serviteur, etc.

    DCLXXIV.

    5. Franois de Sales, une Suprieure de la Visitation,qui travaillait la fondation d'un monastere.

    Il lexhorte & se bien acquitter de son office, & estre humble et courageuse, et & mettre toute sa confiance en Dieu.

    4 aoust 1621.

    J e vous cognois assez, ma tres-chere sur, ma fille, pour vous chrir de tout mon cur en la dilection de Nostre Seigneur, qui, ayant dispos de vous pour la charge en laquelle vous estes, sest par consquent oblig soy-mesme soy-mesme de vous prester sa tres-saincte main, en toutes les occasions de vostre office, pourveu que vous correspondiez de vostre part, par une saincte et tres-humble, mais tres-courageuse confiance en sa bont. Dieu appelle son service les choses qui ne sont point, comme les choses qui sont, et se sert du rien comme du beaucoup pour la gloire de son nom.

    Demeurez en vostre propre abjection comme dans la chaisne de vostre supriorit, et soyez vaillamment humble et humblement vaillante, en celuy qui fit le grand coup de sa puissance en lhumiliL de sa croix.

    Une fille ou une femme qui estappelle au gouvernement dun monastere, est appelle une grande besongne et de grande importance, surtout quand cest pour fonder etestablir; mais

  • 30 LETTRES.

    Dieu estetici son bras tout-puissant mesure de l'uvre quil donne. Tenez vos yeux en ue grand Sauveur, et il vous deslivrera de la pusillanimit et de lorage.

    Les surs qui sont avec vous sont bien-heureuses de servir l, par leur bon exemple et humble observance, de fondement cest edifice spirituel. Je suis jamais vostre tres-humble, et tres- affectionn serviteur en Nostre Seigneur, etc.

    DCLXXV.S. Franois de Sales, Madame de Chantai.

    Penses sur la grandeur et la providence fie Dion. Il flicite Madame de Chantai de ce qnolle a prins possession de sa nouvelle mayson de la rue Sainct-Antoine, h Paris. Il luy conseille de revenir en Savoyc, dans le dessein de retourner quand Dieu le voudra, mais de ne se pas presser, aiftn de visiter tous les couvens de son Ordre sur la route. Il desplore la sortie dnne fille. Il consent qu'au lieu du capitule, des versets, et de lorayson propre du jour, quon disoit & iOffice de ln Vierge, on die roffice de Nostre-Dame tout entier, aven la mmoire de l'office de chaque jour la fin. Les choses qui sont bonnes en eUos-mesmes nont pas besoin rtestre anthorisos du Sainct-Siege. II envoy un plan du monastere. suivant l-idce de S. Charles, pour servir h toutes les fondations, selon la commodit des lieux. Prcautions pour les grilles du chur et des parloirs.

    24 aoust 1621.

    0 mon Dieu! ma tres-chere Mre, que j ay est ayse cc matin de treuver mon Dieu si .grand que je ne pouvois pas seulement assez imaginer sa grandeur! Mais, puisque je ne le puis magnifier ny aggrandir, je veux bien, Dieu aydant, annoncer partout

    .sa grandeur et son immensit. Cependant, cachons doucement nostre petitesse en ceste grandeur; et, comme un petit poussin, tout couvert des aisles de sa mere, demeure en asseurance tout chaudement, reposons nos curs sous la douce et amoureuse providence de Nostre Seigneur, et abritons-nous chaudement sous sa saincte protection. J ay bien eu daulres bonnes penses, mais plutost par manir descoulement de cur en leternit et en lEternel, que par manir de discours.

    Dieu soit lo de quoy vous estes en vostre mayson. Les difficultez que vous avez eues dy aller y affermiront vostre demeure, selon la methode quil plaist Dieu demployer en son service.

    Je juge quil soit propos que vous reveniez, avec une bonne rsignation, pour retourner l quand le service de Dieu le requerra; car il faut ainsi vivre une vie expose au travail, puisque nous sommes enfans du travail et de la mort de noslre Sauveur. Mais vous ne vous devez point haster ; car, comme vous dites, lhyver ne vous empeschera point vostre voyage,, estant ncessaire que vous vous arrestiez un peu parmy nos filles qui sont en France.

  • LE FONDATEUR D'ORDRE. 31

    Helas! que je desplore affectionnement ceste absolue sparation que ceste grande fille fait de nous, pour demeurer la mercy du monde! or neantmoins je nen puis mais.

    Quant lOffice, on ma dit quon y treuvoit redire de quoy, s festes principales, on mettoit les psalmes de Nostre-Daine avec le chapitre, les versets et lorayson du jour. Mon Dieu! que ceste plainte est delicate! Les Peres de lOratoire font bien plus; et en Italie plusieurs evesques ont compos tout entirement les Offices des saincts de leurs Eglises. Mais il ny a remede : il faut souffrir que chacun parle son gr; et pour adoucir tout, tant que nous pourrons, il faudra donc dire tout fait lOffice de Nostre-Dame, et la fin adjouster une commmoration du jour; car cela on nauroit rien dire.

    On a obtenu Rome la continuation du petit Office encore pour dix ans, aprs les sept escheus que lon avoit desj. Mon solliciteur dit que lon a tort de recourir Rome pour les choses s quelles on sen peut passer; et des cardinaux lont dit aussi : car, disent-ils, il y a des choses qui nont point besoin destre aulhorises, parce quelles sont loysibles, lesquelles quand on veut authoriser, sont examines diversement; et le Pape est bien ayse que la coustume authorise plusieurs choses quil ne veut pas authoriser luy-mesme, cause des consquences. Mais de cela nous en parlerons vostre retour.

    Jay fait faire icy un beau plan de monastere que je vous envoyeray au premier jour; et celuy qui la fait est tres-bon maistre, et la fait sur les descriptions que S. Charles a fait faire des monasteres, en saccommodant neantmoins lusage de la Visitation; et je pense quil faudra faire au plus prs quil se pourra, selon la commodit des lieux, tous, les monasteres ainsi; et tousjours les treilles bien serres, et les jalousies de bois esloignes des grilles ; car cest un grand playsir de parler en asseurance s parloirs. Il faudra aussi mettre un balustre derriere la grille du chur, en la mesme faon quau parloir.

    Jattens M. Crichant, que je caresseray de tout mon cur. Dieu vous benisse, ma tres-chere Mere, et vous sanctifie de plus en plus! Je suis pour jamais, ma tres-chere Mere, vostre, comme vous savez.

  • 32 LETTRES.

    DCLXXVI.

    S. Franois de Sales, Madame de Chantai.Le Su lu et la louci de son desinteressement, ot de co quelle ne rebute pas les personnes

    di gracies de la nature.SO septembre 1021.

    Q u e voulons-nous, ma tres-chere More, sinon ce que Difcu veut! Laissons-le conduire noslre ame, qui est sa barque; il Ja fera surgir bon port.

    Je suis bien ayse, ma tres-chere Mere, que vous aymiez los boiteuses, les bossues, les borgnesses, et mesme les aveugles, pourveu quelles veuillent estre droictes dintention : car elles ne laisseront pas destre belles et parfaictes au ciel, et si lon persevere faire la charit celles qui ont ces imperfections corporelles, Dieu en fera venir, contre la prudence humaine, une quantit de belles et aggreables, mesme selon les yeux du monde.

    Voil les Constitutions. En somme, si ces examinateurs et censeurs sans authoril, qui font tant de questions sur toutes choses, se peuvent donner un peu de patience, ils verront que tout est de Dieu.

    Nos surs dicy font tousjours bien ; nous avons de braves et douces novices, que j ay confesses avec les autres, pour lextraordinaire daoust, et je les treuve mon gr.

    Il sembloit bon que lon mist s Constitutions que la suprieure puisse changer les officieres son gr parmy lanne. Faites-le, sil vous plaist, lendroict le plus convenable. Dieu vous remplisse de plus en plus de son tres-sainct amour! Amen.

    DCLXXV1I.

    S. Franois de Sales, une Religieuse de la Visitation.

    Tendresse paternelle du Sainct envers une religieuse de la Visitation, qui gestolt plainte quil ne la regard oit plus comme sa fille, sans doubte parce quil a voit est longtems sans lu y donner de scs nouvelles.

    Annessy, 20 septembre 1621.

    O u y , certes, il est vray, ma tres-chere fille, j ay tort, mais je dy tres-grand tort, si je ne vous chris dune dilection toute particulire. Vostre cur, qui en a une singulire pour le mien, mrit pour le moins bien ce reciproque. Helas! avec cela, ma tres-chere fille, le maistre et le createur de lamour a fait celuy quil ma donn pour vous, dune faon que, le recevant, je le

  • LE FONDATEUR DORDRE. 33

    dois employer de toutes mes forces. Aussi fav-je, certes, ma tres-chere fille; luy-mesme, lautheur, le sayt et le void bien, et je ne doubte point quil nen asseure vostre esprit. Non, non, ma fille, nayez point crainte de me surprendre; j entens tres-hien vostre langage; vos plaintes ne sont point aigres, ce sont des douceurs dun enfant envers son pere : si elles sont apprestes au verjus, ce nest que pour leur donner le haut goust. Faites- en souvent, de ces plaintes, ma tres-chere fille; je proteste de mon cost que vous Testes et le serez jamais invariablement, car j'ay un extreme playsir repeter ceste vrit.

    0 que nostre chere sur Angelique est bien-heureuse destre en ceste vocation avec le bon playsir de Dieu, qui luy donne la clart et la consolation convenable, et propre graver profondement son tres-sainct et pur amour en son esprit !

    M. Floccard, qui vouloit revenir icy cause de sa femme, avoit rayson; car sa femme est digne destre ayme, puisquelle tasche de tout son cur de bien aymer Dieu; et ayant sceu lhonneur que vous faites son mary, qui est en Piedmont ds il y a cinq mois. Or sus, ma tres-chere fiJJe, je suis invariablement et tres-singulierement vostre trs-humble et tres-fidelle serviteur, et vous estes ma tres-chere fille en celuy qui est nostre tout, qui est beny s siecles des siecles.

    DCLXXVIII.

    S. Franois de Sales, Madame de Chantai.A ^Le Sainct Insinue la saincte Mere de soigner sa sant, il luy parle des affaires des monas

    tres , des Constitutions, du deslr do deux monasteres romains de se reduire sous la Rgl de la Visitation, et l'entretient de diffrentes personnes de leur cognoissance mutuelle.

    Le SI septembre 1621.

    Je viens finalement vous, ma tres-chere Mere, pour vous dire que j ay receu trois de vos cheres lettres, et vous rens grces du soing que vous avez de mescrire ainsi souvent; aussi est-ce la plus grande consolation que j aye en ceste espece, car vos lettres sont, en comparayson de toutes les autres, ce que mest vostre chere ame en parangon des autres, selon quil a pieu Dieu de le faire. Vous avez donc est bien malade, puisque vostre cur na pas peu dissimuler qu'il ne pouvoit pas donner assez de force vostre corps pour aller Bourges. Ayez-en soing encore, de ce corps ; car il est Dieu, ma tres-chere Mere. Ce qui ne peut se faire aujourdhuy se fera demain, et ce qui ne se peut faire icy se fera au ciel.

    VIII. 3

  • 34 LETTRES.

    Le porteur, M. Crichant, que j ayme grandement, vous dira en quel estt nous sommes en ce pays; et dans quinze jours ou trois sepmaines nous verrons, comme j espere, clair en nos affaires. Alors, si jo voy quil soit propos, je vous envoyeray un homme pour vous accompaigner. Si moins, je vous laisseray encoro l en paix, quoyquavec quelque sorte dimpatience de vous revoir de de, puisque, comme vous mescrivez, lair de Paris ne vous est pas salutaire.

    Voil les Constitutions ; de savoir si en les faysant reimprimer il faudra les faire derechef appreuver par les docteurs de Paris, cest limprimeur de le savoir. Je pense, quant moy, que non, puisque mesme M. de Damas, qui a appreuv la premiere impression, est docteur de Paris. Il est vray quil ne faut plus recourir Rome, puisquon peut esviter cest iucomparable tracas quon y a en telles matieres. Le pape a ouctroy encore pour dix ans le petit Office, reste de savoir si on fera tirer le des- peche (1), car il coustera encore peut-estre beaucoup.

    Deux maysons de Congrgation de Provence, qui ne sont s terres du Pape, veulent estre reduictes en monasteres de nostre Institut, et en ont escrit Grenoble, affin dy pouvoir envoyer des filles pour faire le noviciat; si cela russit, ce sera par lordre de Rome, et cela affirmera de plus en plus lapprobation, comme aussi un autre monaslere ancien de la val dAouste, qui fera mesme supplication. En somme, si ces examinateurs et censeurs sans authorit, qui font tant do questions sur toutes choses, se peuvent donner un peu de patience, ils verront que tout est de Dieu. Je ne pense pas quil faille pour encore employer vostre argent en des chandeliers. J en diray la rayson M. Crichant, si je men ressouviens tantost quil va partir. M. Jentat ne part pas encor, et je reserveray ce tems-l descrire beaucoup de dames auxquelles il ne m'est pas possible de faire response maintenant. Je receus hyer des lettres de Paris, mais je nay eu loysir encore de les voir, cause de nos troubles qui mentretinrent hyer au soir bien tard avec M le Prsident, pour confrer de plusieurs choses. 0 certes ! il est vray, la mort de M. de Termes ma infiniment tourment le cur; je ne puis mempes- cher que je nen sente de iems en tems des vives atteintes. Mais il est bien heureux destre mort si chrestiennement et pour une si juste cause. Je recommande Dieu M. voslre fils et vostre beau-fils et M. vostre nepveu, et ont ce quoy vostre maternit

    (1) Lcxpcdition.

  • LE FONDATEUR DORDRE. 33

    moblige. Jav grande envie d'escrire nostre Monseigneur l'Ar- chevesque quand il sera dehors de Bourges. Il me semble que Dieu layme bien. Jescriray nos surs An ne-Catherine-Jean ne- Marie et Ilelene-Angelique. Nos surs d'icy sont toutes bien , et nous avons des braves et douces novices que j ay confesses avec les autres pour lextraordinaire daoust, et je les treuve mon gr. Il y a quantit de bonnes et braves postulantes, non en la mayson, car il ny en a plus, mais parmy .ce pays. Quand je sauray ce que je pourray faire pour ma tres-chere fille de Port- Royal, je le feray, mais de quel cur! Cest beaucoup que sa mere soit gaigne. Hyer je receus une lettre de Madame la Pre- mierede Bourgogne, qui mescrit que nos surs seront receues Dijon pour la Sainct-Martin. Si cela est, voyl une nouvelle peyne pour vous. Je nay point veu Madame de Royssiere, ny ne say pas o elle est; bien que, par la lettre de Madame la Pre- miere, il semble quelle ne soit plus Dijon.

    Il sembleroit bon que l'on mist s Constitutions que la suprieure puisse changer les officieres son gr parmy lanne, mais je nay pas eu le loysir de linserer : faites-le, sil vous plaist, lendroictleplus convenable (1). En somme, je me porte bien, mais je confesse que je suis plus acsabl daffaires que jamais. Mon diocese men donne cause de quelques accidens et dune prtention que M. Crichant vous dira. Le bon Pere Binet ne me presse point de vous laisser. Je luy escriray par M. Jan- tat et Madame la marquise de Menelay, qui me sont si cordialement. Nous vivons de rgl quant au manger, et je nescris plus le soir, parce que mes yeux ne le peuvent pas porter, ny certes mon estomach. Il ne tiendra pas moy que je ne sois longuement vieux. Jescriray par M. Jantat Orlans nostre suprieure, et toutes nos suprieures, et la bonne Mere des Carmelites dOrleans, et la sousprieuse. Ceste bonne Mere mest une siparfaictement bonne fille........................... desj il y a vingt ans.Dieu vous conserve, Dieu vous benisse, Dieu vous remplisse de plus en plus de son tres-sainct amour. Amen, ma tres-chere Mere.

    (1) Cette letU*e renferme presque entirement celle du 20.

  • LETTRES.

    DCLXXIX.

    Madame de Chantai, S. Franois de Sales.

    Ello s'intresse auprs du Sainet pour le dessein quavoit la More Angolique Arnauld do passer dans lOrdre de Saincto-Marie, et luy envoy des lettres do sn part, etc.

    Vers le 11 novembre 1621.

    Mon tres-cher Seigneur e t unique Pere, que faites-vous, cl que fait-on dans nostre pauvre petit pays? Jadvou que j en suis bien en peyne, et quelquesfois il men prend destranges esmo- tions. Nostre bon Dieu vous conserve, et reduise ses ennemys sous lobeyssancede sa volont!

    Voil des lettres de ceste chere fille de Port-Royal : vritablement elle est digne de compassion ; car ses dsirs croissent par- my les contradictions, si entirement quil ne se peut dire. Enfin quon luy die ce que lon voudra, et que lon fasse tel jugement quil playra, cela ne sera que de lhuyle jette sur le feu de son ardent dsir; et sil la faut faire despartir de ceste prtention, il ny a que vous seul qui le puissiez faire, car, comme elle mescrit encore, vostre seule parolle elle quittera tout avec une entiere paix; mais tout le monde ensemble ne sauroit faire cela.

    Elle me dit encore que, pour je ne say quoy au del de tout ce qu'elle peut penser, elle sent que Dieu lappelle la Visitation. Jay ce mesme sentiment; mais, pour Dieu, mon vray Pere, dites-moy franchement si cest le vostre; car, pourveu que vous nous parliez bien clair, comme ayant seul authorit de le faire , puisque sans reserve elle sest remise vous, j espere quon amenera tous les autres l. Dites-moy seulement si vous pensra que ce soit la volont de Dieu quelle sorte de l; car, pour les difficultez, je nen fay point destat. Lon asseure, et Monseigneur d e Nantes me disoit encore hyer, que ses vux sont h u I s ; elle peut donc en sortir en conscience. 11 ne reste savoir sinon sil sera plus utile la gloire de Dieu quelle demeure l, contre tous ses sentimens et attraicts intrieurs, et la croyance ferme quelle a de la ncessit du secours de lobeyssance (qui est ce que je treuve de plus important pour elle, et de plus considrable), ou quelle vienne icy, o il y a mille apparences de pro- fict particulier pour elle. Je ne me saurois tenir dadjouster que. Dieu luy ayant donn si fort lesprit de cest institut, je croy que cest pour en tirer sa gloire au service de tout linstitut : mesme il a fallu contenter mon cur vous dire mon sentiment encore

  • LE FONDATEUR DORDRE.

    ceste fois, et je vous supplie, mon vray Pere, que le plus tost quil vous sera possible, lon ayt de vos nouvelles l-dessus.

    Le tres-bon Monseigneur de Nantes ayme cest institut parfaic- tement ; mais de vous je noserois escrire ce quil en dit : cest sa douceur et ses delices que de parler de vous et de vous considrer; mais il le fait avec admiration. Il me tesmoigna un desplay- sir de sen aller sans vous avoir veu, et de navoir profitt du tems quand vous estiez icy la derniere fois ; mais en tout cela il n'y a que de sa faute et manquement de se dterminer : cest une ame saincto et innocente.

    Ceste ville est tousjours grandement afflige par les continuelles pertes qui arrivent tous les jours des meilleures, des plus braves et. des plus gens de bien quelle eust, et de toute condition. On ne void que deuil. Les craintes quon ne brusle la ville continuent aussi ; mais pour cela Messieurs de la ville mettent le meilleur ordre quils peuvent, et lon fait garde generale et continuelle en tous les quatiers ; et pour cela lon fait force prieres partout; et j espere que Dieu destournera ce malheur.

    Je vous escris si empressement que je nay pas le loysir de penser ce que j avois vous dire : il me vient seulement en memoire de vous demander si vous entendez que lon se serve de cuillers dargent la communaut, ou si cest seulement pour les malades; car je le comprens ainsi, que ce nest que pour linfirmerie.

    Mon unique Pere, Dieu comble voslre chere ame et la mienne de son tres-sainctamour! H mon Dieu! quil y a long-temsqu vous ne mavez rien dit de ceste chere ame! Je men vay la sep- maine prochaine revoir (1) celle que vous avez icy. Noslre Seigneur en ayt pity, et me donne lumiere et force pour le servir plus fidellement et utilement !

    Je salu tres-humblement Monseigneur de Chalcedoine, nos bonnes amyes que vous cognoissez partout, et nos pauvres surs. Mon tres-cher Seigneur, vous savez que je suis vous- mesme, par la grce de Dieu, qui soit ternellement beny. Amen.

    (1) En retraite.

  • 38 LETTRES

    DCLXXX.

    5. Franois de Sales, au Pere Etienne Binel, de la Compaignie de Jsus,

    Suprieur de la ma y son professe de Sainct-Louis de Paris.

    Il Iny raconte que Madame Anglique Arnauld. abbesse de Port-Royal, voulant m retirer de son Ordre pour passer dans ccluy dp la Visitation, le sollicitoit avec empressement; mais, bien loin dy consentir, il la renvoye au Pape.

    Annessy, 11 novembre 1G21.

    Mon reverend Pere, avec mille actions de grces de la peyne quavez prinse mescrire, je vous diray pour response questant Paris je ne vouleus jamais acquiescer au dsir que Madame de Port-Royal ma tesmoign de se retirer de lOrdre auquel elle avoit si utilement vescu jusqu lheure, et vritablement je napportay en ce pays non pas mesme une cogitation de cela, mais coup sur coup je receus par lettres force bonnes remonstrances, par lesquelles elle mcxcitoit treuver bonnes ses penses , et appreuver ses souhaicts.

    Je gauchis tant que je peus, et je ne me tesmoignay pas seulement froid, mais tout fait contraire ses dispositions, jusqu ce quaprs dix-huit mois, une personne de grande considration mescrivit, en sorte que je jugeay convenable de ne point faire le juge souverain en cesto occasion, ains de laisser la dcision finale levenement. Je m'abstins donc de la conseiller, et'luy escrivis que puisque son cur ne trouvoitpas de repos en tout ce que je luy avois dit, elle pourroil faire faire la sollicitation de ce quelle desiroit; que si Sa Sainctet en faysoit la concession, il y auroit une tres-probable apparence que son dsir est la volont de Dieu, attendu que, la chose estant de soy- mesme difficile, elle ne pourroit ressir sans un spcial concours de la faveur divine; que si au contraire Sa Sainctet lescondui- soit, il ny auroit plus aucune occasion de faire autre chose que de s'humilier et abbaisser son cur.

    Voyl, mon Reverend, jusquo j ay pass. Je vovoisbien que ceste prtention estoit extraordinaire, mais je voyois aussi un cur extraordinaire. Je voyois bien l'inclination de ce cur-l commander; mais je voyois que cestoit pour vaincre ceste inclination qu'elle vouloit se lyer lobeyssance. Je voyois bien que cestoit une fille, mais je voyois qu'elle avoit est plus que fille commander et gouverner, et quelle le pouvoit bien estre bien obeyr.

    Pour linterest de la Visitation, certes, mon Reverend Pere, je proteste devant Dieu et devant Vostre Reverence que je ny

  • LE FONDATEUR n ORDRE. 39

    pensay nullement; ou si j y pensay, ce fut si peu que je nen ay nulle memoire. Je confesse bien que j ay une particulire dilec- tion pour linstitut de la Visitation ; mais Madame de Chantai, vostre chere fille et la mienne, vous dira que pour cela je ne voudrais pas avoir fourvoy la plus excellente creature du monde, et la plus accrdite, de sa juste vocation, encore quelle deust devenir saincte canonise en la Visitation. Je me resjouv quand Dieu y tire de bons subjels; mais je nemployeray jamais ny parolle ny artifice, pour sainct quil fust, pour en attirer aucune, sinon quelques foibles prieres devantDieu. Linconstance des filles est craindre; mais on ne peut pas deviner, et la constance en celle-cy est esgalement, ains avantageusement, bien esperer.

    Mon Dieu! mon Pere, que nostre ancienne amiti me fait extraordinairement apprinvoiser et espancher mon ame avec la vostre ! Cest trop, je me laisse aller lad vis dutruy, je men re- mettray aussi volontiers ladvis de ceux qui prendront la peyne dexaminer ceste affaire, mais surtout au vostre, lequel donc j attendray Ires-afTectionnement, et recevray trs-chrement; estant jamais, mon Reverend Pere, vostre tres-humble, etc.

    DCLXXXI.

    5. Franois de Sales, Madame de Chantai. /Il la rnsseure contre les craintes dune guerre entre la Savoye et Gencve, et1 luy parle

    de plusieurs affaires.m i .

    E n f i n , ma tres-chere Mere, M. Crichant est donc arriv, puisque, comme je voy par vostre derniere lettre, vous avez receu celle que je vous envoyois par luy; mais je suis marry de lalarme que vous avez prinse pour lestat de nos affaires de de, qui, grces Dieu, jusqu present, na rien dextraordinaire, sinon que ceux de Geneve s'estant mis en extreme deffiance, font contenance de se prparer la guerre; mais on ne croit pas pourtant quils veillent commencer, puisque, sils lentreprennent sans le commandement du roy, ils seraient tout fait ruynez, et lon ne peut se persuader que Sa Majest les veuille porter ce dessein, de sorte que nous dormons les nuicts entieres et fort doucement sous la protection de Dieu.

    Nous avons veu Madame de Royssieu, qui neut loysir de demeurer icy que deux jours : elle nous a dit tout ce qui sest pass Dijon, o il sera propos que vous arrestiez deux ou

  • 40 LETTRES.

    trois mois pour appayser ces messieurs du party contraire, quil faut combattre et abattre par la douceur et humilit, encore qu mon advis nous ayons ladvantage, puisque M. le duc et Madame la duchesse de Bellegarde,Madame de Termes et la pluspart du Parlement est pour nous, et particulirement Monseigneur lEvesque de Langres qui a le zele, la prudence et lauthorit apostoliqup en ce pays-l, et quoultre cela nous aurons lassistance de Monseigneur nostre bon Archevesque.

    Madame de Royssieu ma dit que M. le premier Prsident avoit quelque amertume contre moy, rayson de ce qui sest pass de la part de M. de Sauzea, en quoy, sil est vray, il a un tort tres-grand, car non-seulement je nenvoyois pas M. de Sauzea au Puys-dOrbe, mais, avec toute la dexterit qui me fut possible, je messayay de divertir la poursuitte que lon faysoit pour ly attirer, comme sachant bien que son courage estoit trop fort et trop verd pour la conduitte dune telle mayson, que je voyois devoir estre conduitte doucement et avec respect; mais, ma tres-chere Mere, je vous supplie de ne point parler de cecy, si vous ne voyez tout fait quil en soit tems, et je croy que son cur se laissera gaignerpar la vrit, puisque mesme, comme masseure Madame de Royssieu, Madame la premiere Prsidente est toute porte nous favoriser, comme aussi elle me la tes- moign par une sienne lettre, et que la bont et sincrit de son cur me le fait croire fermement.

    Nos surs de Grenoble, avec leur pere spirituel, M. dAoste, qui est un grand serviteur de Dieu, desirent que lon fasse imprimer le Formulaire de la reception des prtendantes au noviciat, et des novices la profession, avec les Rgls et les Constitutions; mais je croy pourtant que cela doit estre en deux petits volumes, et que le Formulaire des rceptions soit en lettres assez grosses pour estre leues aysement.

    Jay grandement regrett la mort du bon M. le comte de Fiesque, que j honnorois certes avec amour, ds il y a tantost vingt ans que j eus le bien de le voir Paris, quoy il mavoit mesme oblig, ce dernier voyage quil me fit la faveur de me voir de si bon cur chez les PP. de lOratoire ; mais je me res- jouy de quoy ayant vescu si devotement, on ne peut doubter quil ne soit trespass sainctement entre les bras de la misricorde de Dieu, ny mesme quil a expos sa vie pour une si juste et digne cause. Je me suis imagin en ceste occasion l les douleurs du cur de Madame la comtesse, sa chere femme, et nay peu contenir le mien den recevoir de la tendret, bien que j ay

  • LE FONDATEUR D ORDRE. 41

    eu confiance en Dieu, qui elle est, quil la tiendroit de sa main paternelle, en la tranquillit et rsignation quil a accoustum de donner ses enfans bien aymez quand ils sont affligez. Je ne me ressouviens pas davoir jamais veu ceste dame quune fois chez Madame de Guise, o je ne luy parlay presque point, et u