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Colloque organisé en partenariat avec le Comité économique et social européen Section Union économique et monétaire, cohésion économique et sociale le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables l’Association française des avocats conseils d’entreprises l’Union des avocats européens COLLOQUE du 12 JUIN 2003 NOS PETITES ENTREPRISES AU SEUIL DU XXI E SIÈCLE DE NOUVELLES RÉPONSES JURIDIQUES AUX DÉFIS SOCIO-ÉCONOMIQUES ? Colloque organisé sous le haut patronage de M. Renaud DUTREIL Secrétaire d’État aux PME, au Commerce, à l’Artisanat, aux Professions libérales et à la Consommation avec la participation de M. Jacques DERMAGNE Président du Conseil économique et social sous la présidence de M. Claude CHAMPAUD Président honoraire de l’Université de Rennes, Ancien membre du Conseil d’État Ancien Président du Conseil économique et social de la Région de Bretagne Les actes de ce colloque ont fait l’objet d’une publication dans la GAZETTE DU PALAIS Cahier de droit de la concurrence interne et communautaire (n° 313 à 314 du 9-10 novembre 2003) Ce document provient du site internet du CREDA, http://www.creda.ccip.fr . Les droits de reproduction sont réservés et strictement limités.

NOS PETITES ENTREPRISES AU SEUIL DU XXIE SIÈCLE · NOS PETITES ENTREPRISES AU SEUIL DU XXIE SIÈCLE DE NOUVELLES RÉPONSES JURIDIQUES AUX DÉFIS SOCIO-ÉCONOMIQUES ? Colloque organisé

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Page 1: NOS PETITES ENTREPRISES AU SEUIL DU XXIE SIÈCLE · NOS PETITES ENTREPRISES AU SEUIL DU XXIE SIÈCLE DE NOUVELLES RÉPONSES JURIDIQUES AUX DÉFIS SOCIO-ÉCONOMIQUES ? Colloque organisé

Col loque organisé en partenariat avec

le Comité économique et social européen Sect ion Union économique et monétaire, cohésion économique et sociale

le Consei l supérieur de l ’Ordre des experts-comptables l ’Associat ion française des avocats consei ls d’entreprises

l ’Union des avocats européens

COLLOQUE du 12 JUIN 2003

NOS PETITES ENTREPRISES AU SEUIL DU XXIE SIÈCLE

DE NOUVELLES RÉPONSES JURIDIQUES AUX DÉFIS SOCIO-ÉCONOMIQUES ?

Colloque organisé sous le haut patronage de

M. Renaud DUTREIL Secrétaire d’État aux PME, au Commerce, à l’Artisanat,

aux Professions libérales et à la Consommation

avec la participation de M. Jacques DERMAGNE

Président du Conseil économique et social

sous la présidence de M. Claude CHAMPAUD

Président honoraire de l’Université de Rennes, Ancien membre du Conseil d’État Ancien Président du Conseil économique et social de la Région de Bretagne

Les actes de ce co l loque ont fa i t l ’ob jet d ’une publ icat ion

dans la GAZETTE DU PALAIS Cahier de dro i t de la concurrence in terne et communauta i re

(n° 313 à 314 du 9-10 novembre 2003)

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

Nos petites entreprises au seuil du XXIE siècle

sommaire

ALLOCUTION D’OUVERTURE M. Michel Franck, Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ....................... 4

EXPOSÉ INTRODUCTIF GÉNÉRAL M. Claude CHAMPAUD, Président honoraire de l’Université de Rennes, Ancien Membre du Conseil d’État, Ancien Président du Comité économique et social de la Région de Bretagne ....... 6

QUELS ENJEUX POUR LES PME DU XXIE SIÈCLE ?

QUELLES STRATÉGIES DE DÉVELOPPEMENT ? M. Olivier BASSO, Professeur à l’ESCP-EAP............................................................................... 14

QUELLES PERSPECTIVES EUROPÉENNES ? M. Henri MALOSSE, Président de la Section Union économique et monétaire, cohésion économique et sociale du Comité économique et social européen ................................................ 18

LES PME, MOTEUR DE LA SOCIÉTÉ CIVILE M. Jacques DERMAGNE, Président du Conseil économique et social ......................................... 20

QUELS CADRES JURIDIQUES ?

QUELLES STRUCTURES ADAPTÉES AU DÉVELOPPEMENT DES PME DANS LE MARCHÉ EUROPÉEN ?

M. Christian STEINBERGER, Directeur du pôle juridique de la Verband Deutscher Maschinen-und Anlagenbau (VDMA) : Fédération allemande de la construction mécanique........................... 24 M. Christian ROTH, Avocat, Rechtsanwalt, Président d’honneur de l’Union des avocats européens ...................................................................................................................................... 28

QUELLES STRUCTURES ADAPTÉES À LA CRÉATION ET À LA TRANSMISSION DES PME FRANÇAISES ?

M. Jean PAILLUSSEAU, Professeur émérite à l’Université de Rennes I, Directeur honoraire du Centre de droit des affaires, Avocat au Barreau de Paris............................................................... 38

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

REGARDS PROSPECTIFS CROISÉS : QUELLES PISTES POUR DE NOUVELLES SOLUTIONS ?

TABLE RONDE animée par le Président Claude Champaud............................. 53 M. Jacques BARTHÉLÉMY, Avocat honoraire, Ancien Membre du Conseil économique et social M. Alain BENON, Directeur général de la Banque de développement des PME Mme Eugènia BIETO CAUBET, Professeur à l'ESADE (Escuela Superior de Administración y Dirección de Empresa - Barcelone), Directeur du Centre d'études entrepreneuriales M. Maurice-Antoine LAFORTUNE, Avocat général à la Cour de cassation, Chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université Paris V Me Bernard MONASSIER, Notaire, Président du Groupe Monassier-France M. William NAHUM, Président du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables M. Patrick SERLOOTEN, Professeur à l’Université des Sciences Sociales Toulouse I

OBSERVATIONS CONCLUSIVES M. Yves CHAPUT, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)..................................................................................................................... 86

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

ALLOCUTION D’OUVERTURE

M. Michel Franck, Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris

Mesdames, Messieurs,

À l’occasion des deux cents ans de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, c’est pour moi une joie singulière de vous accueillir aujourd’hui pour ce colloque conjointement organisé par le CREDA – notre Centre de recherche sur le droit des affaires – et l’ESCP-EAP.

Il s’agit d’une des manifestations phares parmi toutes celles qui se sont déroulées jusqu’ici et se dérouleront encore d’ici au 23 juin 2003, journée de clôture officielle, au Palais des Congrès de Paris, du bicentenaire de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris.

Ce colloque se tient après la date anniversaire officielle de notre création, que nous avons célébrée le 25 février, en présence du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Sa participation à notre Assemblée Générale Exceptionnelle, avec le Secrétaire d’État aux PME, au Commerce, à l’Artisanat, aux Professions libérales et à la Consommation, Renaud Dutreil, est à la fois un signe fort de reconnaissance de l’action menée par notre Chambre, et d’encouragement pour l’avenir.

Le Premier ministre a souligné la place des PME dans la création d’emplois et de richesses, et le rôle des CCI dans l’accompagnement des entreprises et la dynamisation du tissu économique local. Alors qu’est engagée une politique de relance de la création d’entreprise et de la transmission, adossée à la baisse des charges et à la simplification des procédures, les attentes envers le réseau consulaire sont fortes : il nous appartient d’y répondre.

C’est donc avec la volonté de se tourner vers l’avenir que la CCIP a placé son bicentenaire sous la bannière de « l’énergie d’entreprendre ». Il s’agit du meilleur fédérateur de toutes nos actions depuis deux cents ans. Mais, surtout, c’est aujourd’hui un impératif incontournable : dans une conjoncture difficile, la relance de la croissance, la création d’emplois, la revitalisation du tissu urbain, nécessitent plus que jamais d’encourager cet esprit d’entreprendre, ce goût du risque et cette volonté de réalisation personnelle qui sont ceux des entrepreneurs et des porteurs de projets. Diffuser cette énergie auprès des entreprises et des territoires de notre circonscription, est au cœur des métiers de la CCIP : nous agissons pour améliorer l’environnement des entreprises, nous les accompagnons, nous formons dans nos écoles, entrepreneurs, futurs cadres et dirigeants tout en insufflant cette énergie d’entreprendre, nous aménageons salons et congrès pour renforcer l’attractivité de la région capitale.

Cette « énergie d’entreprendre », nos délégations, nos directions, nos établissements d’enseignement la vivent tous les jours au contact des entreprises. C’est pourquoi, dans le cadre de la célébration de ce bicentenaire, le CREDA et l’ESCP-EAP ont conjugué leurs efforts pour organiser ce colloque au titre annonciateur de réflexions porteuses d’avenir : « NOS PETITES ENTREPRISES AU SEUIL DU XXIE SIÈCLE – Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ? ».

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

* * *

Si ce thème s’inscrit donc parfaitement dans ce qui est au cœur de l’action de la CCIP, de surcroît, il ne doit rien au hasard. La manifestation qui nous réunit cet après-midi constitue, en effet, le prolongement scientifique – mais, il est vrai, de façon substantiellement élargie – de la dernière, et toute récente publication du CREDA.

À l’heure où le projet de loi pour l’initiative économique est en discussion au Parlement, le CREDA vient de publier une étude consacrée aux structures juridiques de la petite entreprise et, plus particulièrement, à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée : « L’EURL – Droit, pratique et perspectives » ( )1 .

Cette étude – dont je ne saurais trop vous recommander la lecture… – procède à une évaluation aussi précise et objective que possible du dispositif législatif existant et de son fonctionnement. À cette fin, le CREDA, selon sa méthodologie habituelle, a mené une série d’investigations originales destinées à prendre la mesure d’une quinzaine d’années de pratique de l’EURL.

Ainsi, ont été réunies un ensemble important de données statistiques inédites permettant d’instructives comparaisons entre les diverses structures juridiques disponibles.

Ce bilan chiffré a été complété par une enquête par entretiens effectuée auprès de dirigeants d’entreprises, qui vise à mieux cerner les motivations ayant conduit au choix de l’EURL, et à déterminer les avantages et inconvénients que ses utilisateurs peuvent y trouver.

Sur ces bases notamment, le CREDA, conformément à sa démarche prospective, formule plusieurs propositions concrètes d’amélioration de ce dispositif, qui tendent, tout particulièrement, à rendre plus attractive la forme unipersonnelle. Car, ainsi que le projet de loi l’indique, « aujourd'hui encore, 55 % des entreprises sont créées sous forme d'entreprise individuelle, même si la proportion de celles qui prennent la forme sociétale (EURL, SARL, SAS, SA) augmente régulièrement ».

Les réflexions, analyses et suggestions du CREDA rejoignent ainsi un des axes forts du texte en discussion dont le Titre 1er vise à simplifier la création d’entreprises, et auquel – dois-je le rappeler ? – la Chambre de commerce et d’industrie de Paris a apporté tout son soutien ( )2 .

* * *

Mais, pour importante qu’elle soit, la question des structures juridiques de la petite ou moyenne entreprise ne saurait être la seule dont il sera débattu cet après-midi.

L’ambition de ce colloque est de permettre à des spécialistes français et étrangers, représentant une large diversité de disciplines (droit, mais également fiscalité, gestion,

(1) CREDA, L’EURL – Droit, pratique et perspectives (sous la dir. de Y. Chaput et A. Lévi), Litec, 2003. (2) Texte adopté le 1er août 2003: Loi n° 2003-721 pour l’initiative économique, JO 5 août 2003, p. 13 449.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

finances, comptabilité) de présenter leurs réflexions prospectives sur les PME, tant au plan national qu’au plan européen.

Les différents intervenants qui vont se succéder à cette tribune sont, en la matière, des experts reconnus, à l’origine de travaux, de projets ou de rapports officiels réalisés à la demande des pouvoirs publics de notre pays ou des instances communautaires. Et je pense bien sûr, tout particulièrement, à Monsieur Claude Champaud, qui nous fait l’honneur d’introduire et de présider cette manifestation.

Je veux dire à chacun d’entre eux – et plus spécialement à nos amis venus de l’étranger – toute notre reconnaissance pour avoir obligeamment accepté de prêter leur concours à ce colloque.

Je souhaite également remercier les responsables des institutions prestigieuses qui ont bien voulu apporter leur partenariat à cette manifestation organisée sous le haut patronage du Secrétaire d’État aux PME, au Commerce, à l’Artisanat, aux Professions libérales et à la Consommation, et que M. Jacques Dermagne, Président du Conseil économique et social, va dans quelques instants honorer de sa participation.

* * *

« NOS PETITES ENTREPRISES AU SEUIL DU XXI E SIÈCLE… ». Le titre de ce colloque résonne comme celui d’une chanson qui vantait les mérites d’une « PETITE ENTREPRISE »… qui ne connaissait pas la crise.

Nul doute que les échanges qui vont suivre seront annonciateurs de lendemains qui chantent pour « NOS PETITES ENTREPRISES ! ». Et, sans plus attendre, je cède la parole à M. le Président Claude Champaud qui, de toute son autorité, va piloter nos débats.

EXPOSÉ INTRODUCTIF GÉNÉRAL

M. Claude CHAMPAUD, Président honoraire de l’Université de Rennes, Ancien Membre du Conseil d’État, Ancien Président du Comité économique et social de la Région de Bretagne

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je suis particulièrement heureux que vous m’ayez demandé de présider cette réunion et d’en introduire le sujet. En effet, comme pour beaucoup d’autres qui sont ici, et notamment le CREDA, la petite et moyenne entreprise – la petite entreprise plus particulièrement, puisque tel est le thème de ce colloque – ont été constamment l’objet de mes préoccupations doctrinales ; encore que j’aie commencé ma « carrière littéraire juridique », si je puis dire, en écrivant une thèse sur la concentration des entreprises… !

Monsieur le Président, vous m’avez quelque peu coupé mes effets d’introduction, en suggérant que l’intitulé de ce colloque était manifestement inspiré du titre d’une chanson. Nous avons les mêmes références, les mêmes auteurs. Toutefois, le fait que vous ayez mis le titre du

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

colloque au pluriel traduit pour le moins trois des caractères de ce que sont les petites entreprises.

En premier lieu, le pluriel de l’intitulé souligne la pluralité du concept. Vous n’avez pas parlé de « ma » petite entreprise mais de « nos » petites entreprises. Ce qui caractérise leur univers c’est la pluralité foisonnante, presque fourmillante, du microcosme économique et sociétaire que représentent les petites et moyennes entreprises. On peut même dire que, plus encore qu’un microcosme économique et social, les petites et moyennes entreprises forment, au sens où on l’entend maintenant, un microcosme sociétal. L’étudier n’est pas seulement mettre en relief des règles juridiques et des problèmes économiques. C’est aussi se référer à une culture et à des éthiques spécifiques. Quand on cherche un critère de ce qu’est la petite ou moyenne entreprise, et dès lors qu’on propose un critère substantiel, on aboutit à des définitions qui relèvent plus du culturel et du mental que de l’économie.

Le second caractère me paraît procéder d’une sorte de tendresse sociétale que l’on porte aux PME. On ne trouve jamais dans les analyses sur les groupes de sociétés, sur les grandes sociétés ou sur les multinationales le moindre signe de tendresse. On peut trouver de l’admiration pour ceux qui les ont fait. On peut éprouver de la crainte pour ce qu’ils vont faire, mais jamais de sentiment de tendresse. Tandis que, quand on parle des PME, c’est toujours avec des trémolos dans la voix. Avec sentiment, en tout cas, parce que la petite entreprise est un être véritable, plus propre à inspirer des passions que des analyses froidement scientifiques.

Le troisième caractère de la petite entreprise est également révélé par le titre que vous avez choisi. Il a trait au rôle qu’y joue la possession. « Nos petites entreprises » avez-vous écrit. « NOS » : possessif. Possessif individuel, certes, notamment par le biais de la propriété patrimoniale de l’entreprise. Quelles que soient les apparences engendrées par le jeu subtil des formes sociétaires. Il y a un lien de possession, au sens juridique du terme, qui unit l’entrepreneur à « sa » petite entreprise, que ce lien relève de la propriété ou du contrôle. Mais il existe aussi, et peut-être surtout, une sorte de possession charnelle de l’entreprise par l’entrepreneur. On épouse une entreprise. On la crée, on la procrée même, et on fait corps avec elle toute la vie. S’il est finalement difficile d’abandonner l’entreprise que l’on a créée, c’est à cause de ce lien charnel. Les problèmes de transmission d’entreprise sont toujours traités sous l’angle fiscal, juridique et financier alors qu’en réalité, ceux qui, comme un certain nombre d’entre nous, ont vécu des affaires difficiles de transmission d’entreprise, savent très bien que ce ne sont pas les problèmes juridiques, même pas les problèmes fiscaux ou financiers, qui ont primé en cas d’échec. Ce sont bien d’autres problèmes qui relèvent plus souvent de la psychanalyse que des sciences juridiques ou manageriales.

La nature extra-juridique des données fondamentales qui gouvernent la création, la vie et la pérennité des petites entreprises explique ce sentiment d’impuissance que peuvent éprouver le législateur, les docteurs et les praticiens devant l’échec relatif mais récurrent des solutions qu’ils imaginent pour favoriser la naissance, la gestion et la transmission de ces cellules socio-économiques qui forment le socle des corps sociétaux à notre époque.

Ce casse-tête juridique a mille facettes. C’est l’objet même du présent colloque organisé par le CREDA qui s’est particulièrement voué à porter ce rocher de Sisyphe du Droit contemporain. Toutefois, comme il n’est pas question de faire un tour exhaustif de cette problématique complexe, nous bornerons notre « Introduction » à l’évocation de quatre thèmes fondamentaux respectivement voués à l’essence juridique du concept de PME ; à la place

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

déterminante mais perturbatrice que tient la notion de « patron » dans cette problématique ; au rôle lancinant que jouent les règles de la responsabilité entrepreneuriale et les mécanismes de sa limitation dans le droit applicable aux petites entreprises et, enfin, aux responsabilités sociétales de nature politique (au sens grec du terme) que le corps social assigne collectivement et individuellement à cette immense « armée des ombres » médiatique dont la santé conditionne celle de la Nation, celles de nos régions et souvent celles d’humbles cités.

Sacrifiant aux lois du dressage agrégatif qu’un demi-siècle n’a pas effacées, je traiterai de ces quatre thèmes en deux parties : la première intitulée « Du statut de la petite entreprise et de son patron » ; la seconde, « Des responsabilités propres à la petite entreprise et à son entrepreneur ».

I - Du statut de la petite entreprise et de son patron

A) De l’essence juridique de la petite entreprise

Depuis des décennies, les juristes sont à la recherche d’un type juridique et de formes particulières propres aux PME. Or, les types socio-économiques de PME se sont multipliés, ne serait-ce que, par exemple, par l’arrivée de la franchise, de la concession et de toutes les formes d’intégration commerciale qui ont marqué l’évolution de l’Économie depuis une trentaine d’années. Légitimement, on peut se demander si le Droit a répondu à cette multiplication et à cette différenciation économiques et sociétales. La question qui se pose, effectivement, est de savoir si toutes ces entreprises, si différentes au plan économique, ressortissent aux mêmes organisations juridiques ou si elles relèvent de structures juridiques diversifiées. Le problème est ancien. Je me souviens avoir rencontré, en 1971, en Argentine, des collègues dont toute la vie doctrinale avait été consacrée à la définition d’une « société anonyme pour les petites entreprises ». Ils proposaient de diviser les sociétés anonymes en deux catégories fondées sur leur dimension économique. C’est une question que l’on peut se poser : est-ce qu’il faut créer une forme juridique spéciale pour les petites entreprises ? Si l’on crée une forme juridique spéciale pour les petites entreprises, est-ce qu’il faut obliger les petites entreprises à revêtir cette forme ? ou, au contraire, l’intérêt des petites entreprises n’est-il pas de pouvoir recourir à toutes les formes sociétaires existantes au vu de leur seul intérêt et à raison des circonstances ? Un arsenal juridique varié, celui que nous connaissons, est porteur d’imagination juridique et d’effets multiplicateurs d’efficience et d’efficacité économiques. La question reste ouverte, mais soulignons que, sagement, notre législateur n’a pas cru devoir rendre obligatoire le recours à l’EURL ou à la SAS. Le « Big Bang » du droit des sociétés n’a fait qu’étendre les opportunités du choix.

En m’entendant parler de « Big Bang » vous avez tous compris qui je visais. Je n’ai pas besoin de mettre une note sub-paginale à mon texte pour préciser que cette allusion est un hommage rendu à mon ami Jean Paillusseau. Ce « Big Bang » du droit des sociétés, se traduisant par l’explosion du droit sociétaire sur le plan sociétal et par le foisonnement des techniques juridiques sociétaires, a-t-il contribué à régler les problèmes managériaux et humains spécifiques de la petite entreprise ou, au contraire, n’a-t-il pas multiplié et complexifié les données des problèmes ? Telle est l’une des questions cruciales que pose aujourd’hui le problème du statut juridique de la petite entreprise.

Je me contente de poser ces questions. Ce sont ceux qui interviendront après moi qui ne manqueront pas d’y répondre. L’univers des petites entreprises est un kaléidoscope qui exclut

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

l’uniformité de leur organisation juridique. Elle nous paraît même exclure la détermination de formes juridiques propres à l’être sociétal et au rôle économique qui caractérisent telle ou telle d’entre elles.

Ce n’est pas la seule difficulté préalable voire « préjudicielle » à laquelle se heurte toute réflexion sur l’essence juridique de la petite entreprise. La seconde est également déconcertante. Elle résulte d’une sorte d’incompatibilité entre le concept sociétal d’entreprise et les caractères psycho-sociologiques de la notion de patron.

B) L’entreprise et le concept de patron

La sociétarisation du droit de l’entreprise (excusez ce néologisme) ou, plus exactement, le fait que le phénomène sociétaire se soit développé dans le domaine des petites entreprises personnelles, s’est faite sur le thème d’une dissociation juridique et patrimoniale opérée entre l’entreprise et l’entrepreneur. Ceux qui ont prôné cette dissociation (beaucoup d’entre nous qui sont ici l’ont fait), mettaient en avant ses effets bénéfiques. Au plan économique ce fut un succès qui a marqué l’époque. Au terme de ces quatre ou cinq décennies, le temps est venu de se poser la question de savoir si notre Ordre juridique actuel permet de concilier parfaitement la patrimonialité entrepreneuriale des petites entreprises et la paternité économique et sociale qui caractérisent la condition patronale et qui relèvent de l’essence même de la condition patronale de la petite entreprise. Dans son sens plein, le terme de « paternité » désigne le fait de procréer, de donner la vie et, en même temps, celui de nourrir l’enfant. Or, si le père n’est pas, avec certitude, le géniteur, il est celui qui nourrit l’enfant. Peut-on être pleinement le « patron » d’une entreprise qu’on n’a pas créée ? Le lien psychologique que nos sociétés entretiennent généralement entre procréation et paternité n’est-il pas un frein à la transmission des petites entreprises ? N’est-il pas à la source de ce casse-tête législatif récurrent que constitue la « transmission de l’entreprise » ?

La deuxième question qui relève de cette problématique est peut-être une des plus difficiles à résoudre sur le plan humain. C’en est une, en tout cas, sur laquelle j’ai beaucoup changé d’avis en 25 ans, parce que les entreprises que j’avais vu se créer il y a quarante ans, que j’avais, que nous avions (je dis nous parce que Jean Paillusseau et moi-même étions en complicité dans la création et le suivi de la plupart de ces entreprises) vu se créer il y a une quarantaine d’années et/ou que nous avons suivies, ont connu naturellement la nécessité d’une transmission. Or, nous avons constaté que ces transmissions ne se faisaient pas très bien et cela même lorsqu’elles avaient été mûrement préparées. En ce qui me concerne, j’ai été amené à beaucoup réfléchir sur ces ratés de la transmission d’entreprises. Personnellement, j’ai pu conduire cette réflexion sur un panel important d’entrepreneurs de la région à laquelle j’appartiens, et sur quelques autres extérieurs à la Bretagne. Finalement, quand on creuse la question, on s’aperçoit que le problème crucial, au sens fort du terme, est celui de l’écartèlement du patron. Au terme de la réussite d’une vie entrepreneuriale, celui-ci doit faire un choix entre la transmission de l’entreprise avec tout ce que comporte une vraie transmission de nature « successorale » et la cession patrimoniale d’actifs de l’entreprise. Bien peu d’hommes peuvent faire clairement ce choix. Ils voudraient effectivement que leur entreprise survive après eux parce que c’est leur « enfant ». Encore ne sont-ils pas tous et toujours sincères. Certains disent qu’ils le voudraient, mais le « sur-moi » de leur subconscient désire faire reconnaître que personne n’est capable de faire ce qu’ils ont fait. En cela ils ne sont pas différents de beaucoup d’entre nous, faibles hommes, indignés à la seule idée que le Monde puisse se passer de nous. Ce problème dépasse de beaucoup celui de l’entreprise et du

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

monde patronal. Le choix patronal entre « je transmets ou je vends » dégénère en une schizophrénie entrepreneuriale qui n’est qu’une variété d’un complexe d’œdipe inversé. Il se révèle chaque fois qu’il y a lieu de transmettre le pouvoir que l’on a exercé. En tant qu’universitaire, je l’ai vu se manifester chez des collègues. J’ai vu de grands professeurs se choisir des successeurs médiocres de façon à ce que l’on puisse considérer, quand ils seraient partis, que personne n’avait pu les remplacer. J’ai vu, plus souvent encore, de grands hommes politiques faire le vide autour d’eux pour établir le caractère irremplaçable de leur aura. À la fin de sa vie professionnelle, le patron va être tiraillé entre le désir de consacrer définitivement son œuvre dans le temps et la crainte de se dire que si « d’autres peuvent faire ce que j’ai fait, c’est ce que je ne suis pas l’être d’exception que je croyais être ».

Enfin, un autre choix crucial, lié à des considérations d’un tout autre ordre mais non moins puissantes, vient contrarier les efforts doctrinaux ou législatifs et ceux des praticiens déployés en vue de favoriser une transmission harmonieuse et dynamique de PME florissantes ou, à tout le moins, viables et rentables. Selon la terminologie « gattazienne », ce genre d’entreprises est généralement « patrimoniale ». Or, les faveurs fiscales, les montages juridiques, les aides financières mises en œuvre et, encore plus, celles, toujours plus considérables, réclamées en vue d’assurer une quasi-gratuité économique de la transmission, vont se traduire mécaniquement par une charge collective, publique et/ou privée (dans le cas où le cédant est « payé sur la bête »).

Quelle que soit l’ingéniosité du système réducteur des coûts de transmission, les charges sont ainsi transférées et supportées par des personnes juridiques tierces. En revanche, elles se traduisent, toutes choses égales par ailleurs, par une augmentation appréciable du capital net d’impôts que le cédant, c’est-à-dire l’entrepreneur-transmetteur, retire de l’opération. C’est au demeurant le but, incitatif, mis en œuvre par les mesures en cause.

Que celui qui a immobilisé durant toute une vie l’essentiel de ses actifs patrimoniaux dans un appareil producteur de richesses et d’emplois, au surplus générateur de ressources collectives sociales et fiscales, récupère l’intégralité de son capital quand il se retire de l’entrepreneuriat n’a absolument rien de choquant à mes yeux. En revanche, pour légitime qu’elle soit, cette démarche capitaliste conduit le patron qui cesse d’exercer la fonction entrepreneuriale à choisir le « plus offrant » financièrement et non pas le « mieux disant » au regard d’une réelle et sincère pérennité de l’entreprise. Ce choix peut être crucifiant.

Il crée souvent une bien grande distance entre le discours patronal sur les modes de transmission salvateurs de l’être entrepreneurial et les comportements ordinaires. Pour avoir participé activement aux tentatives de création législative de fiducies entrepreneuriales, ce « trust à la française », et pour être intervenu sur ce sujet devant de très nombreux auditoires patronaux, j’ai pu observer que l’intérêt, voire le véritable engouement marqués, à ce moment, par les milieux économiques et politiques pour la fiducie, s’étiolaient rapidement lorsqu’une fois les mécanismes juridiques et fiscaux démontés devant l’assistance, il devenait clair que la fiducie assurait bien la pérennité de l’entreprise mais plutôt mal, voire très mal, la récupération du capital entrepreneurial. Adieu Seychelles, au revoir fiducie… incapable de procurer le beurre et l’argent du beurre !

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

II - Responsabilités propres aux petites entreprises et à leurs patrons

Deux types de responsabilités marquent l’activité entrepreneuriale. La première est commerciale. Elle concerne les dettes contractées par l’entreprise dans l’exercice de ses activités économiques ou de leur fait. La seconde est sociétale. Elle résulte du rôle joué par l’entreprise dans le fonctionnement d’une organisation collective industrielle technoscientifique et urbaine qui, en économie de marché, fait de l’entreprise une cellule sociétale de base.

A) La responsabilité commerciale du patron de la PME

Chassez le naturel, il revient au galop ! Ni le développement théorique de la « dissociation homme/entreprise », ni l’autonomie patrimoniale de l’entreprise recherchée par la « mise en société » n’ont réussi, en un demi-siècle, à modifier diamétralement le problème de la responsabilité des dettes de l’entreprise assumée personnellement par l’entrepreneur.

Le problème de la limitation de responsabilité aux dettes de l’entreprise est trop vaste pour être traité dans ce cadre. Je me contenterai de formuler quelques affirmations dont le caractère provocateur de telle ou telle d’entre elles est destiné à lancer la réflexion sur ce sujet.

Au XXe siècle, c’est au nom de la limitation de responsabilité de l’entrepreneur que les juristes et les comptables ont « vendu » la « mise en société » des entreprises individuelles. Tout le monde a concouru à la généralisation de ce phénomène : les spécialistes du droit fiscal un peu plus que les autres, peut-être, mais aussi les spécialistes du droit social et, non moins qu’eux, les comptables. Les « commercialistes » les ont suivis hardiment en formulant les bases théoriques du phénomène sociétaire. Si la dissociation de l’entreprise et de l’entrepreneur ne se réduisait pas à la limitation de responsabilité commerciale, celle-ci apparaissait cependant comme une sorte d’EPO juridique capable de doper les performances économiques des entrepreneurs. Cette fuite en avant a conduit à perdre de vue les fondements éthiques et sociétaux de la responsabilité commerciale.

Les dérives et les perversions d’une généralisation de l’irresponsabilité patronale nous apparaissent désormais. Peut-on avoir des entreprises dans une économie de marché avec des entrepreneurs qui ne courraient aucun risque financier ? Est-ce que le système d’économie de marché n’est pas, par essence, un système de prise de risques ? Telles sont deux des questions que l’actualité nous pose quotidiennement.

Elles conduisent à s’interroger sur la portée économique du non-risque. Est-ce que les gens qui ne risquent rien vont prendre les mesures aussi rapidement que ceux qui risquent quelque chose ? Est-ce qu’ils vont être aussi drastiques ? Ne vont-ils pas faire passer leurs intérêts et même leurs phantasmes avant la bonne santé voire la pérennité de l’entreprise ? À cet égard, les affaires de « parachutes dorés », tout autant que les grèves des cheminots, ne peuvent pas sociétalement demeurer sans réponse si l’on veut rester dans l’économie de marché.

Dans ces deux cas de figure topiques mais également riches d’enseignements, il est sans doute illusoire de vouloir réduire ces déviances comportementales à une question d’éthique. Leur impact économique et l’ampleur de leurs effets démoralisants en font des problèmes de Société liés à la faiblesse des « pouvoirs » dans nos sociétés médiacratiques. Au demeurant, c’est sans doute une illusion de croire qu’on peut limiter la responsabilité entrepreneuriale.

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Notre époque a été marquée par une limitation permanente des limites de cette responsabilité. Les évolutions parallèles du concept et du statut des dirigeants sociaux illustrent bien le caractère illusoire de l’assimilation des entrepreneurs à des salariés du point de vue social et fiscal. Jamais ces pseudo-employés n’ont échappé réellement à la responsabilité des défaillances entrepreneuriales. Mais surtout, c’est cette tendance à la limitation des responsabilités qui a amené la « pénalisation » du droit des sociétés. Du moment qu’on avait limité la responsabilité civile, le corps social et les juges, qui traduisent les aspirations du corps social, ont ressuscité une responsabilité parfois très artificielle, au travers de l’application de règles pénales qui sont venues se substituer aux règles de la responsabilité commerciale.

Enfin, faut-il le dire ? Ce que le législateur et les juges n’ont pas osé faire, les banques l’ont accompli. Dire que la responsabilité des entrepreneurs, des petits entrepreneurs, des dirigeants de petites entreprises sociétaires est limitée, c’est oublier que la première chose que demande le banquier à son client, chef d’entreprise, c’est son cautionnement personnel des dettes bancaires. Pour faire bonne mesure, il demande, en outre, celle du conjoint, du père, de la mère, des cousins, des amis, etc., de telle sorte que cela finit par engendrer de facto une responsabilité plus large sur le plan commercial que celle qui procédait du statut traditionnel de commerçant. Chassez le naturel, il revient au galop ! Un jour, peut-être, verra-t-on les dirigeants sociaux demander qu’on leur applique la faillite de façon à échapper aux autres modes de contribution aux dettes sociales… !

B) Responsabilités sociétales des petites entreprises.

Les évolutions du droit des sociétés, du droit des affaires, plus généralement, et du droit économique ont été déterminées essentiellement par le rôle sociétal pris par les entreprises dans l’expansion économique du XXe siècle. À cet égard, les PME ont rempli une fonction de terreau social et économique du développement sociétal. Celui-ci n’eût pas été général sans cette armée grandissante de petites et moyennes entreprises dont certaines sont devenues des grandes ou des grandes moyennes générant un système cohérent et solidaire qui fut le terreau de la croissance généralisée. Comment supporterait-on la disparition naturelle, navrante isolément mais globalement féconde, d’un certain nombre d’entreprises s’il n’y en avait pas toujours de nouvelles pour recréer le tissu économique ? On a rarement vu une grande entreprise se créer ex nihilo. Quand je dis rarement, c’est sans doute jamais !

La deuxième question liée à ce rôle sociétal peut paraître secondaire dans cette prestigieuse enceinte de la Chambre de commerce de Paris. Pour ceux qui vivent en province elle ne l’est pas. C’est celle de la fonction d’aménagement du territoire que les petites et moyennes entreprises remplissent. Les régions où s’est développé un vrai maillage territorial de PME sont celles où un véritable aménagement du territoire a permis de fixer les populations. J’étais allé faire une conférence au Faouët, en Bretagne centrale mardi dernier. Certains d’entre vous, beaucoup peut-être, d’autres non, connaissent ce merveilleux lieu d’art et de culture séculaires qu’est le Faouët. Sa chapelle Saint Fiacre est une merveille. Ses halles du XVe siècle comptent parmi les charpentes les plus belles de France. Sa campagne est d’une beauté prenante… Et puis il y a le souvenir de Marion du Faouët qui fut une véritable Bonnie, pire, peut-être, que celle des Américains de Bonnie and Clyde. Comme tous les hauts lieux d’art et d’histoire, le Faouët connut une période de grande prospérité économique. C’était entre le XVe et le XVIIIe siècle. Or maintenant c’est un des déserts de la région Bretagne. À part un grand nombre de retraités dont beaucoup furent parisiens, il n’y a que des cultivateurs qui élèvent des volailles, quelques entreprises, d’équipement des ateliers de volailles industrielles

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et quelques grandes entreprises dont les unes fournissent des aliments et les autres abattent et transforment les volailles avec toutes les retombées environnementales dont vous avez entendu parler. En allant de Rennes au Faouët, j’ai traversé des zones entières de la Bretagne où, partout, dans le moindre bourg, il y avait des petites entreprises souvent pimpantes et apparemment prospères. Or, une fois passé Pontivy, il n’y en a plus. Ces endroits se désertifient, constituant la preuve physique et géographique que là où il n’y a pas de petites entreprises, il n’y a pas de développement économique. Seuls les retraités, maintenant, y ramènent une seconde vie. Mais quelle sera la situation des retraités dans vingt ans !

À cette revue cavalière des problématiques liées à la notion de petites entreprises de notre époque, j’ajouterai simplement une chose : il est très difficile actuellement de défendre la cause de la petite entreprise. Cela le sera aussi longtemps que les Français n’auront pas achevé leur révolution mentale entrepreneuriale. On dit des Français qu’ils se sont « convertis à l’entreprise ». Je ne le crois pas entièrement. Je crois notamment qu’ils ne se sont pas convertis à la petite entreprise. Ils n’acceptent pas que les gens qui risquent leur capital gagnent de l’argent. Ils n’acceptent pas que ceux qui ont développé leur patrimoine personnel dans le cadre d’une entreprise puissent l’en retirer. Or, sans cela, risqueront-ils encore ? Je vois que mon ami Alfandari est parmi nous. J’ai écrit un article provocateur pour ses « Mélanges ». Il s’appelle le « Syndrome de la tante Adèle ». Il se fera un plaisir de vous fournir le texte. L’article traite, tout simplement, sur le mode humoristique, des effets délétères et destructeurs de l’impôt sur la fortune sur les petites entreprises familiales. Je connais personnellement beaucoup de petites entreprises familiales qui ont disparu pour une seule raison. Elles avaient un marché, elles avaient un produit, elles avaient un management, mais il y avait une deuxième génération, et sur les sept ou huit enfants, il y en avait quatre ou cinq qui ne travaillaient pas dans l’entreprise. Lassés de payer l’impôt sur la fortune, ceux-là ont fait des pieds et des mains pour que l’entreprise soit vendue à un grand groupe X ou Y. Et c’est une entreprise qui a disparu. Les équarrisseurs d’entreprises ont fait leur œuvre. On a récupéré le marché, mais on a fermé l’entreprise et nourri, dans les territoires provinciaux les plus sensibles, un processus de désertification économique que ne compenseront jamais la transformation de ces zones en « réserves indiennes » de retraités ex-émigrés et la conversion des agriculteurs en jardiniers écologiques.

La grande entreprise est, par nature, apatride dans une économie mondialisée. Par essence, nos petites entreprises entretiennent un lien univoque, moral et charnel avec le terroir qui les a vu naître. Lorsque ce lien est coupé, ce n’est pas seulement la fleur qui sèche mais, plus sûrement, leur territoire natal qui se dessèche.

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QUELS ENJEUX POUR LES PME DU XXIE SIÈCLE ?

QUELLES STRATÉGIES DE DÉVELOPPEMENT ?

M. Olivier BASSO, Professeur à l’ESCP-EAP

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je vous propose d’articuler mon propos en quatre points. Je voudrais, dans un premier temps, rappeler plusieurs éléments de cadrage factuel pour cerner plus précisément le phénomène des petites entreprises notamment dans l’Espace européen ; dans un deuxième temps, je m’attacherai à identifier quelques difficultés méthodologiques posées par la définition même de la petite et moyenne entreprise – ces interrogations feront écho à celles évoquées précédemment à propos de la possibilité d’une forme juridique spécialement conçue pour les petites entreprises. Dans un troisième temps, j’évoquerai brièvement plusieurs options de développement qui s’offrent aux PME. Enfin, j’achèverai cet exposé par quelques remarques conclusives.

I - Les PME dans l’espace européen

Quelques éléments de cadrage factuel tout d’abord. Je m’appuierai sur un récent rapport de synthèse de l’Observatoire des PME européennes : 93 % des entreprises européennes emploient moins de dix personnes. Or l’Espace économique européen, si on intègre la Suisse, comprend à peu près 20 millions d’entreprises qui emploient 122 millions de personnes. Si l’on cherche à préciser un peu plus la nature de ces entreprises, on se rend compte que 93 % d’entre elles sont en réalité appelées des micro-entreprises (elles comprennent entre 0 et 9 employés), 6 % de ces 20 millions d’entreprises sont dites « petites entreprises » (elles emploient alors entre 10 et 49 personnes) et 1 % de ces entreprises sont qualifiées de moyennes (en employant entre 50 et 249 personnes). Ce qui fait qu’au total, seulement 0,2 % de la population des entreprises sont des grandes entreprises, employant plus de 250 personnes.

Autre point intéressant, on se rend compte qu’en Europe les entreprises sont en moyenne plus petites qu’aux États-Unis et qu’au Japon. En Europe, l’effectif moyen est de 6 personnes contre 10 au Japon et 19 aux États-Unis. Concernant les emplois, les PME assurent 33 % des emplois au Japon, 46 % aux États-Unis et 66 % dans l’Espace européen des 19. C’est là une différence fondamentale qui a trait à l’importance et au poids respectif des PME par rapport au tissu de l’emploi dans l’ensemble des pays concernés.

Autre élément important à prendre en compte et qui a été évoqué précédemment, le profil du nouvel entrepreneur, celui qui va être à l’origine de la création d’une nouvelle entreprise. Il a 35 ans en moyenne. Ce chiffre nous donne une indication sur son parcours puisqu’on se rend compte que la décision de fonder sa propre affaire est souvent prise quelques années après la fin des études et l’acquisition d’un savoir-faire spécifique en tant que salarié ou en tant que dirigeant. Un autre élément concernant ce profil doit être signalé. Les nouveaux entrepreneurs ont un niveau de formation élevé. Ce niveau de formation semble corrélé avec un recours accru

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aux services de soutien de type conseil, par exemple. Enfin, 1 PME sur 5 est dirigée par une femme.

II - Les difficultés méthodologiques concernant la définition de la PME

Au-delà de ces quelques chiffres qui donnent une idée de la diversité des populations considérées, je voudrais revenir précisément sur la définition de l’objet qui nous occupe, à savoir les petites et moyennes entreprises ou la petite entreprise. Ainsi qu’on peut le voir, l’adjectif qui sert à qualifier l’entreprise repose sur la prise en compte de sa taille, sachant qu’on peut avoir des segmentations selon le chiffre d’affaires, selon les effectifs, etc. On se rend compte que, finalement, c’est cette définition de la taille qui joue le rôle de limite, voire de seuil, et qui permet, en quelque sorte, d’esquisser une typologie. L’une des questions majeures est de savoir si nous avons affaire à une typologie de type fixiste ou s’il est possible d’introduire plus de mouvement dans ces catégories.

En d’autres termes, doit-on distinguer deux espèces à l’intérieur d’un même genre ? On pourrait considérer l’entreprise générique en tant que telle et identifier deux grandes catégories. La première serait donc la grande entreprise, dont on a vu qu’elle constituait une composante extrêmement mineure de la population des entreprises. Elle a été assez bien décrite par l’historien Chandler au début des années 30, qui montre comment, du fait de sa taille, la grande entreprise peut peser très fortement sur son environnement – que ce soit son environnement économique, sociétal, etc. – et fonctionner quasiment comme une institution. Je renvoie sur ce point à quelques analyses très pertinentes de mon collègue à l’ESCP-EAP, le sociologue Jean-Michel Saussois, qui montre comment la grande entreprise a, du fait de sa taille et en raison de son rayonnement mondial, un rôle dans la société et dans le jeu institutionnel que ne peut en aucun cas avoir la PME considérée individuellement. Dans la seconde catégorie rentrent les PME dont la taille réduite limite nécessairement l’influence, au moins à titre individuel. Si on pousse encore davantage cette distinction, on peut même soutenir – certains auteurs l’ont fait – que ces deux grandes catégories induisent des « jeux » d’entreprise très différents. D’une certaine façon, on peut même aller jusqu'à dire que la grande entreprise et la PME ne s’affrontent pas exactement sur le même terrain. Non seulement elles ne disposent pas des mêmes armes, mais elles n’ont pas affaire aux mêmes parties prenantes. Elles sont donc, d’une certaine manière, d’essence différente. Peut-on, alors, changer de catégorie ?

Comme le faisait remarquer le Professeur Champaud précédemment, la grande entreprise a commencé par être une petite entreprise. Elle n’est pas née ex nihilo dotée d’une telle taille. Une des questions qui se pose est donc de savoir si on a la possibilité, et sous quelles conditions, d’accomplir un saut à la fois quantitatif, puisque l’on change de taille, mais également qualitatif, puisque ce changement de taille induit manifestement un changement de nature dans l’entreprise considérée. On voit très bien comment on peut, en fait, considérer le phénomène sous deux perspectives totalement différentes. D’une part, une perspective un peu fixiste qui consisterait à estimer qu’il y deux grandes catégories d’entreprises, les PME et les grandes entreprises, avec quelques mécanismes de transferts finalement relativement rares, et puis, d’autre part, sans pour autant obligatoirement opposer les deux perspectives, considérer que l’accroissement de la taille est un phénomène continu et que le tissu des PME doit évoluer sous certaines conditions vers un changement de taille de plus en plus significatif. Toute la problématique de la stratégie de développement se déploie précisément à l’intérieur de ce que l’on pourrait appeler une enveloppe de croissance. Pour une PME, cette enveloppe pourrait être définie – et j’ai évoqué un de ces paramètres – par le taux de croissance, par exemple, qui

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lui serait nécessaire sur une période considérée pour changer radicalement de taille. On se rend compte parfois, qu’étant donné la nature initiale de l’entreprise et sa taille extrêmement petite, une seule génération d’entrepreneurs ne peut suffire à combler ce fossé. Par ailleurs, on voit combien est également important le taux de croissance du secteur. Dans les secteurs de haute technologie, je pense notamment à l’industrie du logiciel, on a pu voir de petites entreprises devenir de grandes entreprises : Microsoft, par exemple, fondé au début des années 80. Tous ces facteurs se conjuguent dans un univers dont chacun sait qu’il est éminemment darwinien ; avec le risque de la disparition, soit par faillite, soit par absorption, et, lorsqu’il y a absorption, c’est souvent le fait d’une grande entreprise.

Ces éléments étant précisés, vous voyez que je tombe sous l’accusation du Professeur Champaud, puisque je vous apporte finalement quelques interrogations supplémentaires plutôt que des éléments de réponses tranchés.

III - Les options de développement ouvertes aux PME

Comment peut-on prendre en compte l’éventail des options possibles de développement pour une PME donnée ?

Au-delà d’une revue quelque peu fastidieuse de la littérature sur ce sujet, j’ai préféré choisir trois angles d’attaque dont vous verrez qu’ils ne rendent certes pas compte de l’exhaustivité des choix possibles pour les acteurs, mais qu’ils peuvent donner plusieurs indications différenciées.

Premièrement, il est intéressant de constater, selon une enquête très récente de la Communauté européenne, qu’un peu plus de 40% des PME interrogées sur un échantillon assez large, déclarent avoir des projets ambitieux. Quels sont ces projets ambitieux ? 29 % de ces PME déclarent que leur priorité principale c’est la croissance : être précisément capable d’aller vers un changement de taille. Ensuite 9 % des PME placent plutôt l’accroissement du profit, donc l’amélioration de la rentabilité, comme leur priorité. Enfin, nous trouvons encore deux types de réponses qui peuvent entrer dans cette catégorie de développement : 7 % des PME déclarent être en recherche d’innovation et encore 7 % d’entre elles déclarent rechercher une amélioration de la qualité des produits et des processus. Toutes les autres entreprises, c’est-à-dire une majorité de ces PME, affirment que leur priorité consiste à lutter pour survivre ou pour consolider leurs affaires. Vous voyez donc qu’avant même d’entrer dans cette stratégie de développement, de penser à l’accroissement du périmètre de leur activité ou à l’amélioration de leurs performances, une majorité des PME essaie avant tout de sécuriser une position. Cette problématique touche 60 % environ des populations concernées.

Quelles sont les options possibles ? Je vais en évoquer brièvement trois.

Le premier enjeu, c’est peut-être de parvenir à passer du statut d’exportateur à celui d’entreprise multi-locale. Il faut savoir que les PME, à l’intérieur de la zone Europe constituée de 19 membres, réalisent seulement 13 % de leur chiffre d’affaires à l’export et on peut se demander si, finalement, cette restriction en matière de marché ne renvoie pas précisément au phénomène de taille. Le système de causalité est double : parce qu’elles sont de petite taille, elles n’intéressent qu’un marché local et parce que seul un marché local est desservi, les marges de progression et les marges de croissance sont beaucoup plus limitées. On peut

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d’ailleurs revenir à l’exemple américain qui était évoqué tout à l’heure. Je suis toujours stupéfait de découvrir des business plans de start-up américaines qui, dès la troisième ou quatrième année de leur programmation d’activité, présentent des chiffres qui, à une échelle européenne, concerneraient plutôt une entreprise âgée d’une dizaine, voire d’une quinzaine d’années. Une première difficulté consiste donc à essayer de changer de taille en ouvrant davantage sur d’autres marchés. Je prendrai un seul exemple pour être un peu plus concret : l’univers – une fois de plus – du logiciel. On sait que pour la plupart des start-up de ce secteur, il s’agit d’entrer rapidement sur le marché américain qui compte environ 60 % de parts de marché au niveau mondial. Vous voyez tout de suite que, pour une PME de taille extrêmement petite, se posent immédiatement des problèmes de stratégie d’entrée, de recrutement d’opérationnels nationaux et de « localisation » des produits.

Deuxième option : la croissance externe. Les problématiques qui lui sont liées, notamment les problèmes de fusion entre égaux – et je serais tenté là aussi, en rebondissant sur les propos de l’orateur précédent, de parler de problèmes d’ego à titre individuel, c’est-à-dire des difficultés à concilier les deux ego des deux patrons de PME –, sont extrêmement forts et constituent, évidemment, un facteur de fragilité important pour ce type d’opération.

Enfin, une troisième option possible de stratégie de développement, qui me semble intéressante parce qu’un certain nombre de PME cherchent maintenant à capitaliser sur ce point, est l’idée de pouvoir se greffer sur des clusters. Qu’est-ce qu’on entend par clusters ? Je vous propose une définition très simple : une concentration géographiquement délimitée d’entreprises inter-dépendantes. On peut avoir deux types de clusters ; soit des clusters régionaux, qu’on découvre à l’horizon d’une région, soit des clusters transfrontaliers.

En France, par exemple, une récente étude de la Communauté identifie notamment deux régions ainsi structurées : le génopole d’Évry, autour des biotechnologies, et la vallée de l’Arve en Haute-Savoie, autour du décolletage et de la mécanique. En Allemagne, l’industrie chimique au nord de la Ruhr, les systèmes d’informations des entreprises en Basse-Saxe et puis un cluster plutôt orienté vers les médias dans le Nordrhein-Wesfalen. Un exemple – pour terminer sur ces clusters – de cluster transfrontalier : la région de Twente, à la frontière néerlando-allemande, rassemble des acteurs dans le secteur des technologies du plastique, le secteur bio-médical et le secteur du travail des matériaux.

Quel est l’intérêt des clusters pour les PME ? Le raccrochement à un cluster pourrait peut-être constituer un axe intéressant de stratégie de développement, dans la mesure où les PME pourraient ainsi bénéficier d’effets de réseaux et avoir accès à des ressources de compétences, d’images, de technologies qui sont, d’habitude, l’apanage des grandes entreprises.

IV - Remarques conclusives

Les stratégies de développement et de positionnement concurrentiel des PME renvoient, vous vous en doutez, à des logiques sectorielles qui se combinent ou non avec les effets de taille. La stratégie de développement d’une entreprise peut s’inspirer d’une volonté de se maintenir sur un marché, de préserver sa compétitivité – et vous avez vu qu’une grande partie des PME était finalement sur une position très défensive – ou, au contraire, être plus offensive et chercher un accroissement des parts de marché.

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Nous pouvons donc distinguer deux attitudes possibles. Soit l’entreprise cherche à répondre à la demande à court terme, soit elle s’efforce d’anticiper les besoins du marché. Dans le premier cas, la flexibilité est la clé de la réussite. Dans le second cas, il s’agira d’élaborer une stratégie de moyen terme. La PME est certainement plus à l’aise dans la première posture. Et sa taille limitée joue un rôle majeur dans la mise en œuvre d’une telle stratégie. Elle lui permet de s’adapter plus facilement à une variation de la demande et d’identifier rapidement les nouveaux besoins de ses clients situés sur le marché local. Le second cas de figure, qui met l’accent sur une démarche stratégique proactive, planifiée dans le temps, soulève plus de difficultés pour les PME dans la mesure où elles subissent la pression du très court terme. Les difficultés d’accès au crédit bancaire, les échéances des créances clients, la gestion de la trésorerie, les contraintes liées à la gestion administrative de l’entreprise et l’accès limité ou difficile aux informations constituent autant de freins importants à la projection de l’entreprise dans le temps long de la stratégie, et entravent ainsi les développements significatifs. C’est pourtant là, comme vous le voyez, que se joue le saut qualitatif qui permettra à quelques PME de devenir un jour de grandes entreprises !

QUELLES PERSPECTIVES EUROPÉENNES ?

M. Henri MALOSSE, Président de la Section Union économique et monétaire, cohésion économique et sociale du Comité économique et social européen

Monsieur le Président du Conseil économique et social, Monsieur le Président de la Chambre de Commerce et d’industrie de Paris, Mesdames et Messieurs,

Je suis très honoré d’avoir été convié à ce colloque qui porte à juste titre sur les petites entreprises. Dans l’Union européenne, elles sont plus de 20 millions, emploient 2/3 des salariés et créent les 4/5 des nouveaux emplois. Et pourtant, les petites entreprises sont les grandes oubliées de la construction européenne. Elles sont en général, d’ailleurs, les grandes oubliées de toutes les politiques publiques : un grand groupe verra se dérouler devant lui un « tapis rouge » s’il veut créer une nouvelle usine (défiscalisation, infrastructures gratuites, aides…) – qu’il fera peut-être fermer dans les cinq ans ; la petite entreprise, créatrice d’emplois permanents et durables, enracinée dans le tissu local, doit batailler ferme auprès de sa banque et ne peut compter finalement… que sur les conseils de sa CCI !

D’où vient ce paradoxe très français et aussi largement très européen ?

I - La question des PME dans l’Union européenne : de l’indifférence à la négligence

Jusqu’au début des années 80, le « marché commun » était considéré comme devoir intéresser seulement les grandes entreprises. Les politiques européennes de concurrence, d’ouverture des marchés publics ou d’harmonisation du droit des sociétés ignoraient superbement la réalité des petites entreprises. Ainsi, quand dans les années 60, on lance l’idée d’un statut européen de société, seul le modèle de la société par actions, la SA entre en ligne de compte.

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C’est grâce à l’étrange trilogie de Margaret Thatcher ( utilisant le concept des PME pour réclamer une simplification des règles européennes, jugées déjà bureaucratiques), du CES européen préconisant une Année européenne des PME (1983) et du Commissaire chargé de la politique des PME en 1986 (l’Espagnol Abel Matutes), que s’opère une prise de conscience de la nécessité de construire un marché intérieur européen dont les PME – quantitativement plus de 95 % des entreprises – ne seraient pas exclues. Une Direction générale PME est instituée et plusieurs projets lancés, dont le seul qui va perdurer est la création d’un réseau d’Euro-Info-Centres, hébergé auprès des structures de type Chambre de commerce et d’industrie, sur une idée qui m’avait été inspirée par le service des Affaires européennes de la CCI de Strasbourg. Le principe en est simple : la Commission délègue à une organisation de proximité, proche des entreprises, une responsabilité d’information et d’animation du tissu local des PME. Aujourd’hui, les 250 Euro-Info-Centres, répartis sur tout le territoire de l’UE et des pays candidats, rendent d’éminents services au quotidien, comme ce fut le cas pour la campagne sur l’euro.

Mais pour le reste, dès le début des années 90, la Commission européenne s’est détournée de ces louables efforts : plus de Commissaire responsable des PME, plus de Direction générale, pratiquement plus de politique.

II - Le retour en force de l’action européenne

C’est en mars 2000, au Sommet européen de Lisbonne, que les Chefs d’État et de gouvernement ont redécouvert les mérites des PME. Confrontés au retard chronique et croissant de l’Europe sur les USA, ils décident une stratégie pour faire de l’UE, « l’économie fondée sur la connaissance la plus compétitive du monde d’ici 2010 ». Et c’est naturellement vers les créateurs d’entreprises et les PME qu’ils se tournent pour relever le défi. Trois mois plus tard, au sommet de Santa Maria de Feira, ils adoptent une charte européenne de la petite entreprise. Des initiatives voient enfin le jour comme, par exemple, une directive pour lutter contre les délais et retards de paiement excessifs ! La Commission européenne publie aussi, au début de l’année 2003, un Livre vert sur l’esprit d’entreprise ( )3 . Enfin, à partir du projet initial élaboré par le Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ( )4 et de l’avis d’initiative dont j’ai été le rapporteur au CES européen ( )5 , la Commission européenne a mis en chantier un projet de statut européen de société destiné aux PME qu’on attend d’ici un an ou deux.

En effet, l’enjeu est bien là : comment rendre l’UE plus compétitive, plus créatrice d’emploi et de croissance, plus attractive ? Comment, ce qui est devenu le premier marché économique du monde, se contente-t-il des seconds rôles et doit toujours attendre que les signaux de croissance viennent d’outre-Atlantique ? D’où vient cette incapacité à une dynamique propre ?

(3) COM (2003) 27 final (non publié au JOCE). (4) V. CREDA, Propositions pour une société fermée européenne (sous la dir. de J. Boucourechliev), Office des

publications officielles des Communautés européennes, 1997 et le Projet de règlement, La société privée européenne, une société de partenaire, CCIP/CNPF, sept. 1998. L’intégralité du projet peut être consultée en français, en anglais et en allemand, sur le site web de la CCIP à l’adresse suivante : www.ccip.fr/cadres/contenu/c-socprive.htm. V. aussi infra, dans les actes du présent colloque, les interventions de Christian Steinberger et de Christian Roth consacrées à la SPE, p. 21 et p. 24.

(5) Avis du Comité économique et social sur « L'accès des PME à un statut de droit européen », 2002/C 125/19 : JOCE 27 mai 2002, C 125/100 à 104.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

D’avoir trop négligé son tissu local de PME et de ne pas avoir mis réellement à leur disposition les atouts du marché unique ?

III - Vers une nouvelle dynamique

Je pense qu’une nouvelle stratégie européenne, sur la base des objectifs dits de Lisbonne, peut être mise en œuvre avec comme axes principaux :

– Des instruments européens positifs en faveur des PME : statut européen de société, préférences sur des marchés publics (par exemple dans le cadre de la future Agence européenne de l’armement) sur le modèle des USA ; soutien renforcé aux actions de recherche-développement…

– Une convergence réelle de la fiscalité et des normes sociales dans la Zone euro. – Une véritable simplification de la réglementation (vérifier d’une manière objective l’impact

réel sur les PME de toute nouvelle loi; refuser des directives inutiles – comme par exemple le projet sur les soldes...).

– Développer des instruments pour favoriser la coopération entre entreprises (avec les nouveaux pays entrants, par exemple, au niveau de la sous-traitance, en accompagnant des investissements de grands groupes).

Mais une telle stratégie ne pourra être mise en œuvre sans acteurs engagés ! La prochaine campagne pour les élections européennes en juin 2004 doit nous conduire à élire des députés prêts à s’engager sur cette voie ! Il faudra aussi demander qu’un poste de Commissaire aux PME soit de nouveau attribué au sein du futur collège de la Commission européenne qui sera nommé fin 2004 !

Il faudra surtout veiller à ce que la question de la PME revienne sur le devant de la scène et du débat public !

Les PME n’apporteront pas seulement une compétitivité retrouvée à l’Europe, elles lui donneront un visage humain, celui de millions de chefs d’entreprises conscients de leur responsabilité au service du tissu économique local et de l’emploi !

LES PME, MOTEUR DE LA SOCIÉTÉ CIVILE M. Jacques DERMAGNE, Président du Conseil économique et social

Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d’Industrie de Paris, Messieurs les Présidents, Messieurs les Professeurs, Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de me trouver aujourd’hui parmi vous à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris à l’occasion de ce très intéressant colloque sur le thème de « Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle ».

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

J’ai d’autant plus de plaisir à participer à cette journée qu’elle s’inscrit dans le cadre des célébrations du Bicentenaire de votre Compagnie… Voilà une excellente manière de souligner d’une part, ce que représente une institution comme la vôtre – car les bicentenaires sont rares dans les systèmes de représentation des démocraties ! – et d’autre part, de souligner votre souci constant de la petite entreprise, plus que jamais moteur de la croissance que nous appelons tous de nos vœux.

Je ne vais pas développer ici le lien personnel qui m’attache au monde de l’entreprise, mon environnement quotidien durant toute ma vie professionnelle, mais sachez bien qu’après vingt ans passés à la tête du Conseil national du commerce, après vingt ans passés à me battre – sans toujours être compris – pour que les grandes entreprises n’oublient jamais qu’elles ne peuvent se développer que sur le terreau que constituent les PME, je suis plus que jamais convaincu que c’est le secteur des petites et moyennes entreprises qui soutient, pour l’essentiel, le développement économique de notre pays et qui stabilise nos sociétés. Que seraient ces grandes machines multinationales si elles n’étaient prolongées sur le terrain, et quotidiennement, par l’omniprésence et la remarquable capillarité des réseaux des petites et moyennes entreprises.

C’est la petite entreprise qui crée les emplois, c’est la petite entreprise qui concourt à la satisfaction de nos besoins, c’est elle qui contribue au développement et à l’aménagement de notre territoire, elle enfin qui préserve notre cohésion sociale.

Car, face à l’accélération parfois vertigineuse et inquiétante des mutations de notre société, qui entraîne souvent, pour nos concitoyens, angoisse, perte de repères, sentiment de solitude malgré la multiplication des contacts virtuels, la petite et moyenne entreprise constitue un lieu d’ancrage fondamental de la vie collective et individuelle… de la vraie vie, celle de tout le monde et de tous les jours.

Nous tous, ici présents, savons quel gigantesque effort d’adaptation les PME ont dû consentir pour faire face aux bouleversements technologiques liés à la révolution de l’information et de la communication, en particulier.

Petit à petit, en effet, nous avons vu robotique et bureautique prendre la place de l’homme dans des gestes pourtant complexes de la vie du travail.

Le résultat a été la disparition de centaines de milliers d’emplois d’ouvriers et d’employés non-qualifiés de l’industrie : mesure-t-on la capacité d’innovation dont ont dû faire preuve les PME, par exemple dans le secteur des services, pour offrir à cette main-d’œuvre en déshérence de nouveaux types de compétences et de carrières ? Le pays en a-t-il, si peu que ce soit, conscience ?

De la même façon, la souplesse et l’adaptabilité des PME ont été mises à l’épreuve au cours des dernières années pour permettre à notre pays de faire face à la profonde mutation d’une économie où beaucoup d’activités peuvent désormais être réalisées dans des localisations variées, éloignées, éclatées. Si les PME n’étaient pas là pour compenser, où en serions-nous ?

Nous le constatons chaque jour, l’emploi n’est plus ce qu’il était : l’emploi à vie, la semaine pleine et régulière, la gestion collective des ressources humaines, les parcours professionnels à l’ancienneté, tout cela est bousculé.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

Il faut désormais développer, à côté de la grande industrie qui reste productrice essentielle et déterminante de valeur ajoutée, un réseau de PME dans les services à haute technologie, les services aux entreprises, les services aux particuliers… comme dans les productions de séries limitées ou de nécessité sectorielle ou territoriale.

Il faut donc accepter souplesse et polyvalence, car le changement devient une donnée de base dans les PME : la nature de l’offre d’emploi se modifie, les formes d’emploi se diversifient, la valeur sociale du travail elle-même évolue et nous travaillons d’ailleurs actuellement, au Conseil économique et social, sur ce concept de la valeur du travail, à la demande du Premier ministre qui a bien compris qu’un certain flottement était perceptible à cet égard dans la société moderne… et qu’il était urgent et capital d’y remédier au risque de devenir une colonie de robots au cœur d’un monde unipolaire.

Oui, ce sont bien les fondations de notre organisation sociale et professionnelle que viennent battre les vagues de la mondialisation. Or il nous faut constater que, dans ce nouvel environnement, dans cette révolution de la globalisation, l’organisation la plus menacée dans son existence, c’est bien l’entreprise…

Elle est menacée tout d’abord par le risque d’obsolescence très rapide des techniques qui nourrissent son activité ; elle est menacée, ensuite, par l’exacerbation de la concurrence internationale ; elle est menacée, enfin, par les aléas du marché, par la mobilité des choix capitalistiques. Bref, pour l’entreprise aussi, la « précarité » est souvent un mode d’existence… et ce n’est pas un hasard si un tiers d’entre elles sont âgées de moins de dix ans.

Il y a donc, pour les pouvoirs publics, une ardente obligation de favoriser la création, la pérennisation et le développement des petites entreprises, et surtout de ne pas ajouter à l’empilement des réglementations de nouvelles règles susceptibles de fragiliser leur existence.

Notre tissu économique a trop souvent vécu, dans le passé récent, à l’heure des malentendus entre les entreprises et la puissance publique ainsi que l’a montré le « pas de clerc » des 35 heures. Il y a de la politique dans l’air, mais il y a aussi une overdose de technostructure.

Or ces faux pas, ces conflits, ces maladresses, souvent inspirés par les meilleurs sentiments du monde, auraient pu être évités par la consultation plus attentive et plus fréquente de la société civile.

Voilà l’utilité et la légitimité du Conseil économique et social, car cette société civile que nous représentons, ce sont tout simplement les citoyens et les organisations qu’ils se donnent dans leurs divers intérêts et sous leurs multiples visages d’entrepreneurs, de salariés, de producteurs, de consommateurs, de contribuables, d’actionnaires, de mutualistes, de parents… et bien d’autres.

Les organisations représentées au Palais d’Iéna ont une pratique ancienne de la concertation et de la négociation. C’est ainsi que nous pouvons tirer parti de la diversité de nos composantes pour favoriser l’émergence de points d’accords permettant d’éclairer le gouvernement.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

Il n’est pas question, pour nous, de nous substituer au pouvoir politique à qui revient le « dernier mot ». Nous souhaitons seulement améliorer la qualité de la décision publique en proposant le « premier mot » de l’expérience et de la quotidienneté.

Je voudrais à cet égard rendre hommage aux représentants des Chambres de commerce et d’industrie au sein du Conseil économique et social mais aussi des Conseils économiques et sociaux régionaux, qui, par leur réalisme, leur pragmatisme, leur expérience du terrain, leur connaissance de la vie économique, contribuent à ce que les petites entreprises soient entendues dans les débats qui les concernent.

Car, sachez le, les patrons du secteur privé, de l’agriculture, des entreprises publiques, de l’artisanat, des professions libérales, disposent à eux seuls, au Palais d’Iéna, en dehors des experts et des personnalités qualifiées, de 81 sièges sur 190.

C’est une force considérable qui doit être déployée au maximum afin de faire passer le message de l’entreprise auprès des partenaires sociaux. L’objectif, c’est bien entendu de les convaincre de la nécessité d’une approche nouvelle de la vie économique et sociale privilégiant le développement de l’entreprise comme garant de la création d’emplois, mais c’est aussi d’essayer de trouver des points d’accords entre partenaires sociaux de telle sorte que le gouvernement puisse s’inspirer de ces propositions non conflictuelles.

Et cette démarche vaut également, et plus que jamais, pour les Conseils économiques et sociaux régionaux, celui d’Île-de-France en tête, puisque l’avant-projet de loi sur la décentralisation qui prévoit, pour le Conseil régional, un rôle de chef de file en matière de développement économique, va mécaniquement renforcer le rôle du CESR.

Vous comprenez, dans ces conditions, combien est impératif pour les Chambres de commerce et d’industrie, comme pour les autres représentants des entreprises, de choisir avec soin leurs porte-parole au sein de nos assemblées.

Car, plus que la position institutionnelle de nos assemblées consultatives, c’est la qualité de nos travaux qui est désormais le gage de notre crédibilité.

Mesdames, Messieurs, vous le voyez, la voix des petites entreprises doit compter désormais au sein de nos assemblées, elle doit concourir à l’expression de l’expertise collective que nous proposons au gouvernement, car plus notre société sera complexe, globale, mobile, plus la décision publique sera délicate et plus nécessaire sera l’association de tous les acteurs économiques à la recherche de l’intérêt général.

Et cette mobilité, cette complexité, la petite entreprise est tout à fait en situation de l’assumer grâce à sa souplesse et à son adaptabilité. Elle apparaît bien, désormais, pour ce qu’elle est : un outil pertinent du développement économique au seuil du XXIe siècle, avec ses valeurs, avec son imagination et ses incessantes initiatives.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

QUELS CADRES JURIDIQUES ?

QUELLES STRUCTURES ADAPTÉES AU DÉVELOPPEMENT DES PME DANS LE MARCHÉ EUROPÉEN ?

M. Christian STEINBERGER, Directeur du pôle juridique de la Verband Deutscher Maschinen-und Anlagenbau (VDMA) : Fédération allemande de la construction mécanique

I - Introduction

La VDMA (Verband Deutscher Maschinen-und Anlagenbau), la Fédération allemande de la construction mécanique, est la plus importante association professionnelle dans cette branche d’activité en Europe. Elle compte plus de 3 000 membres, des entreprises allemandes mais aussi internationales – principalement des PME –, qui emploient plus de 900 000 personnes, et dont la production annuelle représente 120 milliards d’euros. Les deux tiers de cette production sont exportés, dont la moitié, environ, vers des pays membres de l’UE.

Si le Marché intérieur fonctionne bien dans de nombreux domaines en matière de distribution de produits (notamment grâce aux règles découlant de la Directive 98/37/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines), les entreprises rencontrent encore de sérieux problèmes, notamment de coûts, pour constituer des structures juridiques à l’échelle européenne. Les PME, dont les ressources financières et humaines sont limitées, en souffrent particulièrement.

II - Historique

À Lisbonne, les quinze États membres se sont assignés un nouvel objectif : faire de l’Union européenne, d’ici 2010, « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » ( )6 . Ce but ne peut être atteint qu’en améliorant et simplifiant, au niveau européen, le cadre juridique et économique dans lequel évoluent les sociétés. Les obligations administratives pesant sur les sociétés et les coûts qu’elles induisent doivent être réduits par le biais d’une réelle dérégulation au plan européen comme au plan national afin de renforcer la position des entreprises européennes dans un contexte concurrentiel global.

Les instances européennes ont souvent mis l’accent – et à juste titre – sur l’importance des PME pour l’économie européenne. Il est temps, maintenant, de faire des propositions concrètes pour améliorer l’environnement légal et économique des PME.

Avec l’adoption, l’an dernier, de la « Societas Europaea » (SE), une structure à caractère européen a enfin été créée pour les grandes entreprises. L’accord final, entre les États membres, sur ce dossier, a consacré une véritable avancée en droit européen des sociétés et

(6) Le sommet extraordinaire de Lisbonne s’est tenu les 23 et 24 mars 2000. V. COM (2000) 330 final.

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devrait encourager, voire contraindre, les instances européennes ainsi que les milieux concernés, à créer une forme de société européenne qui puisse répondre aux attentes des PME. Pour éviter d’être pénalisées par rapport à des sociétés plus grandes, les PME doivent pouvoir bénéficier de la possibilité d’organiser leurs activités européennes en utilisant une forme sociale européenne. Par ailleurs, le questionnaire de la Commission sur la modernisation du droit des sociétés montre que la Commission a, à juste titre, l’intention de faire évoluer le droit des sociétés en fonction des besoins des entreprises. C’est la bonne approche.

III - Les PME ont besoin d’une Société Privée Européenne

A) Les difficultés actuelles pour créer des filiales

Le rapport de la Commission sur les PME récemment publié arrive à la conclusion que les PME s’internationalisent de plus en plus. Ceci est particulièrement vrai pour les entreprises de l’industrie mécanique, dont le marché est nécessairement européen, voire mondial, compte tenu de la spécificité des produits qui sont très souvent conçus pour répondre à un problème particulier rencontré par le client. Quoi qu’il en soit, l’expérience montre que la constitution d’une filiale à l’étranger est souvent compliquée et onéreuse, et ce, plus encore pour les PME.

Une entreprise moyenne, qui souhaite organiser la distribution de ses produits et de ses services sur l’ensemble du territoire de l’Union se trouve confrontée à 15 (et bientôt 25) droits des sociétés très différents les uns des autres. En conséquence, le recours à des conseils est nécessaire non seulement pour pouvoir constituer une société mais aussi pour se conformer aux dispositions des droits des sociétés étrangers. Cela génère coûts, insécurité et difficultés dans l’organisation d’un réseau de distribution et de services au niveau européen. Ces problèmes ne se limitent pas à la constitution de filiales. Ils se posent aussi en cas de restructuration et dans le cadre de la gestion quotidienne d’une société.

B) L’enquête de la VDMA montre un fort intérêt des PME pour une SPE

À l’occasion de la consultation de la Commission sur la modernisation du droit des sociétés européen, la VDMA a mené une enquête auprès de 75 entreprises sélectionnées. Il apparaît clairement que les entreprises ne se satisfont pas de la situation actuelle en ce qui concerne l’implantation de filiales au sein de l’Union européenne. Il existe donc une réelle demande pour l’adoption d’une société privée européenne ( )7 : 95 % des sociétés interrogées créeraient, si cela était possible, de nouvelles filiales dans les États membres sous forme de SPE. La grande majorité des entreprises (66 %) adopteraient la SPE comme forme juridique pour de nouvelles filiales, même si les dispositions de droit social et fiscal national s’appliquaient. Et 54 % d’entre elles seraient tentées de transformer leurs filiales existantes en SPE.

Les entreprises considèrent que le fait de ne plus avoir à composer avec 15 législations différentes serait un avantage considérable, d’autant que les coûts induits par le nécessaire recours à un conseil pour la constitution de la société et la rédaction des statuts seraient réduits. En outre, les entreprises attendent plus de transparence, notamment en termes de responsabilité de la société et des dirigeants, eu égard aux risques encourus. Au-delà des

(7) Pour une présentation du projet de statut de la SPE, v. infra, l’intervention de Christian Roth, p. 24.

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aspects légaux, les entreprises ont insisté sur l’intérêt de la SPE en termes d’organisation d’un groupe de sociétés, dans la mesure où le fait de pouvoir disposer de plusieurs structures identiques pour chaque entité permet un contrôle plus facile des différentes filiales.

En outre, pour les entreprises interrogées, les aspects suivants revêtent une importance particulière :

– une meilleure sécurité juridique, notamment quant aux modalités de tenue des assemblées générales,

– plus de souplesse dans la constitution et l’immatriculation de la SPE, – simplifier les fusions transfrontalières, – une meilleure transparence des conditions d’investissements, – une uniformisation des modes de financement des sociétés en ce qui concerne la

libération et la transformation des parts sociales.

La constitution de filiales relevant d’une législation mal connue de la société-mère représente une barrière psychologique qu’il convient de ne pas sous-estimer. Ce manque de transparence affecte, négativement, la volonté des PME de prendre des risques. L’accès des PME aux marchés étrangers serait bien plus aisé si elles pouvaient à cette fin utiliser une structure légale qui leur serait familière pour créer leurs filiales.

C) L’élargissement de l’UE démultiplie les avantages de la SPE

La création d’un statut européen de société permettant aux PME de s’affranchir des contraintes administratives et des rigidités de chaque législation nationale constituerait une avancée significative vers plus de dérégulation. Au regard de l’élargissement de l’UE, la création de la SPE devient encore plus importante. Ses avantages seront démultipliés à l’arrivée de chaque nouvel État membre. Plus encore, l’intégration économique des nouveaux membres au sein de l’UE en serait encouragée. L’adoption même de la SE, qui est principalement destinée aux grandes entreprises, amplifie le besoin de créer un statut de société pour les PME afin de leur garantir les mêmes opportunités que celles dont bénéficient les grandes sociétés.

IV - Quelles conditions essentielles doivent être remplies par la SPE ?

Bien que la nécessité de pouvoir disposer d’une SPE soit évidente, les entreprises ne répondront favorablement à la création d’un tel type de société que si un certain nombre de critères élémentaires sont remplis. En particulier, il est essentiel, pour les PME, que le formalisme et les coûts soient réduits. Par conséquent, la constitution d’une SPE doit être aussi simple que possible et ne doit pas engendrer de coûts administratifs excessifs. En outre, la souplesse est un élément fondamental pour les PME.

A) La constitution

Pour un certain nombre de raisons, les structures existantes en droit européen, tels le GEIE ou la SE, ne répondent pas aux besoins des PME qui aspirent à une simplification des procédures de constitution de leurs filiales à l’étranger. Au nombre de ces raisons figurent les conditions très strictes requises pour la constitution d’un GEIE ou d’une SE. Les PME ont

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

besoin d’un instrument qui leur permette d’établir des filiales selon les mêmes règles, quel que soit l’État membre dans lequel cette filiale est immatriculée. Des conditions trop strictes concernant le caractère européen de la SPE sont à proscrire (comme, par exemple, n’admettre des filiales communes que si les sociétés-mères ont leur siège dans au moins deux États membres différents). Il suffit que la société puisse prouver qu’elle exerce son activité dans deux États membres différents.

En outre, les PME n’utiliseront la SPE que si le montant du capital social minimum n’est pas prohibitif. Une solution envisageable et réaliste serait d’appliquer l’article 6 de la 2e Directive sur le droit des sociétés prévoyant un capital minimal de 25 000 €.

B) La liberté contractuelle

Il est important que les PME puissent organiser leur société en fonction de leurs propres besoins. Une telle souplesse ne peut être garantie que si les règles gouvernant la SPE sont fondées sur le principe de la liberté contractuelle. Un type européen de société qui ne répondrait pas à ce souci de flexibilité ne serait pas utilisé par les PME et s’avèrerait, par conséquent, inutile.

C) L’application du droit national à titre subsidiaire

L’enquête de la VDMA a montré que les PME éprouvent des difficultés pour la constitution et la gestion des sociétés à responsabilité limitée au sein de l’Union européenne. Les entreprises attendent de la SPE que ces différences disparaissent et, par voie de conséquence, que les coûts qu’elles induisent diminuent. Cet objectif ne peut être atteint qu’à la seule condition que l’application de dispositions de droit national à titre subsidiaire soit exclue. Il doit être clairement admis que toutes les questions importantes sont d’abord réglées dans les statuts, par les associés. C’est seulement dans un second temps, et uniquement pour un nombre limité de questions élémentaires, que les dispositions de droit européen pourront s’appliquer.

Un statut de SPE qui renverrait à des références croisées aux droits des sociétés nationaux est à proscrire. Un tel mélange des dispositions de droit communautaire et de droit national générerait un besoin accru en conseil plutôt que d’en limiter le recours. Les PME ont besoin d’un statut de SPE comprenant des dispositions claires et exhaustives. Les problèmes d’interprétation doivent être réglés au niveau européen, par la Cour de justice des Communautés européennes.

Bien entendu, les questions relevant du droit civil au sens large (conclusion des contrats, pouvoirs des dirigeants) jouent également un rôle important en droit des sociétés. Mais elles devraient être traitées au regard du droit civil local. Quoi qu’il en soit, ce sont, dans la plupart des cas, des questions complexes de droit des sociétés qui génèrent un accroissement des coûts liés au conseil et à l’information.

* * *

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

M. Christian ROTH *Avocat, Rechtsanwalt, Président d’honneur de l’Union des avocats européens

Propos liminaires

Le rôle déterminant des PME dans l'économie européenne

Personne ne saurait contester aujourd'hui le rôle fondamental que jouent les petites et moyennes entreprises dans le tissu économique européen, dont elles constituent plus de 90 % du parc des entreprises et 2/3 des emplois.

En France, les PME se révèlent particulièrement dynamiques, elles investissent, elles développent de nouveaux marchés. Elles emploient aujourd'hui 10 millions de personnes et créent constamment de l'emploi : ainsi ont-elles offert plus de 2 millions d'emplois nouveaux entre 1991 et 1998 alors que, dans le même temps, les grandes entreprises de plus de 100 salariés en ont détruit 1,2 million ( )8 .

La focalisation traditionnelle des autorités européennes sur les grandes entreprises

Paradoxalement, les autorités européennes se sont toujours intéressées presque exclusivement aux entreprises de taille importante, acteurs reconnus de l'intégration communautaire. En témoigne, notamment, l'effort d'harmonisation des législations entrepris depuis une dizaine d'années qui vise essentiellement les sociétés anonymes alors que le statut des sociétés à responsabilité limitée ou des entreprises individuelles demeure encore très marqué par le droit national de chacun des États membres.

La nécessité pour les PME de se développer à l'échelle européenne

Aussi est-il aujourd'hui crucial de répondre aux projets de croissance et d'organisation communautaires des PME, d'encourager leur activité au niveau européen, de favoriser leur mobilité au sein de l'Union, de faciliter entre elles aussi la coopération inter-entreprises en Europe alors même que les sociétés communes sont proportionnellement plus nombreuses entre PME que dans les rapprochements impliquant des entreprises de plus grande taille ( )9 .

Les obstacles au développement transnational des PME

Or cette dynamique est trop souvent freinée par la multiplication, la lourdeur et la complexité des procédures de constitution et de fonctionnement de filiales dont la structure et l'organisation varient selon chaque État membre. Ce manque d'unité engendre, outre une insécurité juridique importante, des surcoûts particulièrement difficiles à financer pour des entreprises de taille modeste.

* En collaboration avec Violaine Bouquillard, Avocat au Barreau de Paris. (8) Les PME créent de l'emploi, dossier du Secrétariat d'État aux PME, en ligne. (9) CREDA, Propositions pour une société fermée européenne (sous la dir. de J. Boucourechliev), Office des

Publications officielles des Communautés européennes, 1997, p. 11 sq.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

Les réponses possibles

Pour certains, les besoins spécifiques des PME pourraient être satisfaits par l'harmonisation des législations nationales les concernant. Pour d'autres, il conviendrait d'inciter les PME à choisir le tout nouveau statut de société européenne (SE) pour mettre en œuvre leur projet de coopération transfrontalière. La majorité des entreprises et des praticiens concernés privilégient, quant à eux, l'institution d'une forme juridique européenne de "société privée" propre aux PME.

Le projet de société privée européenne

Une initiative émanant des sphères entrepreneuriales plaide avec constance pour la création d'une société européenne fermée, d'inspiration libérale. Soutenu par le Comité économique et social européen ( )10 , ce projet, directement inspiré des travaux du MEDEF et de la CCIP ( )11 , prolongeant l'étude du CREDA ( )12 , propose un nouveau modèle de société, complémentaire de la société européenne.

Dans une communication au Conseil et au Parlement européen du 21 mai 2003 portant sur « la modernisation du droit des sociétés et le renforcement du gouvernement d'entreprise dans l'Union européenne » ( )13 , la Commission a exprimé la volonté qu'une étude de faisabilité soit rapidement initiée afin de mettre en évidence les avantages concrets que présenterait l'institution d'une nouvelle forme juridique communautaire ciblant plus particulièrement les PME et, dans l'hypothèse où cette étude confirmerait la nécessité d'une telle initiative, afin de présenter, à moyen terme, une proposition de statut de SPE.

À l'analyse, ce projet emporte la conviction en ce qu'il répond spécifiquement aux exigences des petites et moyennes entreprises par un statut européen des PME (I), conçu sous le sceau de la liberté contractuelle et de l'innovation fiscale (II).

I - Pour un statut européen des PME…

La société privée européenne, telle qu'elle figure dans ce projet, apparaît en effet comme une structure essentiellement communautaire (B), spécialement pensée pour les PME (A).

A) La SPE, une structure spécialement pensée pour les PME

La mise en place d'un instrument unique, simplifié, complémentaire de la société européenne (SE), qui réponde aux objectifs fondamentaux des PME, constitue la voie la plus efficace pour supprimer les obstacles au développement des PME, favoriser l'esprit d'entreprise, encourager la création d'activités nouvelles et inciter au partenariat transfrontalier au sein du Marché unique.

(10) Avis du Comité économique et social, L'accès des PME à un statut de droit européen, 2002/C 125/19 : JOCE

27 mai 2002, C 125/100 à 104. (11) CCIP-CNPF, La société privée européenne : une société de partenaires, 1998. (12) Propositions pour une société fermée européenne, op. cit. (13) Communication de la Commission, Modernisation de droit des sociétés et renforcement du gouvernement

d'entreprise dans l'Union européenne – Un plan pour avancer : COM (2003) 284 du 21 mai 2003, & 3.5, p. 25.

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1. Les objectifs fondamentaux

La SPE, telle que la présentent aujourd'hui ses concepteurs, s'impose comme la forme sociale la plus aboutie pour soutenir l'essor européen des PME, faciliter leurs échanges, leur permettre de communautariser leurs ressources et leur savoir-faire, impulser à leur échelle une identité européenne forte.

La SPE se caractérise par sa simplicité et sa souplesse de fonctionnement. Elle se révèle modulable, en fonction des souhaits des divers partenaires, et évolutive, en fonction des changements structurels et des transformations de son environnement.

La SPE apparaît également comme une société librement et facilement accessible aux personnes physiques comme aux personnes morales, visant certes prioritairement les PME, sans toutefois prévoir aucun seuil maximum de salariés.

Enfin, la SPE constitue une structure d'entreprise réellement communautaire, s'appuyant sur un corpus de règles propres, excluant tout renvoi aux droits des sociétés nationaux.

Ainsi conçue, la SPE s'avère triplement intéressante : – du point de vue politique, en ce que le développement de la coopération économique

qu'elle permettrait favoriserait l'intégration européenne des PME ; – du point de vue financier, les PME échappant à un grand nombre de surcoûts par

l'existence même d'un statut unique et l'allégement des formalités administratives en découlant ;

– du point de vue économique, en ce que les PME qui opteraient pour ce statut verraient leur compétitivité et leur notoriété renforcées par la mise en avant d'un « label européen » reconnu, un tel statut se révélant également attractif pour les investisseurs étrangers en Europe.

2. La SPE, un instrument unique, simplifié, complémentaire de la SE

Alors que l'ensemble des États membres cherchent à relancer l'activité économique en soutenant le développement des PME par des mesures ciblées, il apparaît illogique qu'au niveau européen, les entreprises de taille modeste, victimes en puissance d'une nouvelle discrimination, ne bénéficient pas d'un statut unique qui leur soit propre.

La société européenne (SE), dont le statut a été définitivement adopté en octobre 2001 ( )14 , se révèle à l'analyse un instrument juridique conçu à l'intention des grandes entreprises ( )15 , dont le modèle demeure la société anonyme pouvant faire appel public à l'épargne. Bien qu'elle constitue une avancée majeure en ce qu'elle permet les fusions transfrontalières ou les transferts de sièges sociaux au sein du Marché unique ( )16 , la SE apparaît, par sa lourdeur et sa complexité, inadaptée aux PME.

(14) Règlement Conseil CE n°2157/2001, 8 octobre 2001 : JOCE 10 nov. 2001, n° L 294, p. 1. (15) N. Huet et A. Lévi, De la SE…à la SPE, Revue LAMY Droit des Affaires – Supplément, n° 48, avril 2002, p. 31

sq. (16) Ch. Roth, La societas europaea : un outil commun de l'Union économique et monétaire, Revue LAMY Droit des

Affaires – Supplément, n° 48, avril 2002, p. 15 sq.

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Aussi la SPE relève-t-elle indiscutablement d'une approche, non pas concurrentielle, mais complémentaire de la SE ( )17 .

La SPE se distingue fondamentalement de la SE : – par sa nature : à la différence de la SE, la SPE constitue une société fermée, ne faisant

pas appel public à l'épargne, dont les actionnaires sont liés par un affectio societatis fort. C'est une société de partenaires ;

– par sa conception : au contraire de la SE très institutionnelle, la SPE repose sur le principe de la liberté contractuelle ; cette liberté vise très largement la définition des organes de gouvernement de la société et de leurs relations réciproques, les droits des actionnaires, éventuellement asymétriques ou spéciaux, ainsi que les modalités d'entrée, de sortie ou d'éviction des actionnaires. Seule la sécurité des tiers est garantie par le règlement ;

– par ses destinataires : le statut de la SPE cible plus particulièrement les petites et moyennes entreprises et doit être accessible aux très petites entreprises ainsi qu'aux sociétés unipersonnelles.

B) La SPE, une structure essentiellement communautaire

Outre qu'elle vise à répondre spécifiquement aux besoins exprimés par les PME, la SPE se veut aussi être une véritable société de droit européen, régie par ses statuts et le règlement, conçue comme un corpus de règles autonomes, identiques dans chacun des États membres. Il s'agit là d'une approche audacieuse, qui se distingue non seulement du processus traditionnel d'harmonisation des législations mais encore de l'esprit de la société européenne (SE) nouvellement instituée.

1. Une approche nouvelle par rapport à l'harmonisation des législations

La SPE relève d'une approche radicalement nouvelle. Il ne s'agit pas, comme certains de ses opposants le souhaiteraient, de communautariser les différentes formes nationales de sociétés privées existant par voie de directives, mais de créer une structure juridique unique à l'échelle de l'Europe.

L'expérience prouve, en effet, qu'il n'est pas réaliste d'espérer une harmonisation rapide des législations nationales : celles-ci connaissent de très grandes disparités, l'élargissement programmé de l'Union accentuant encore ce problème.

En outre, l'harmonisation ne saurait aboutir à l'élaboration d'une société véritablement européenne. Au mieux la mise au point de directives permettrait-elle seulement d'insuffler plus de souplesse aux législations des États membres, renforçant ce faisant leur cohérence entre elles.

(17) A. Outin-Adam et J. Simon, Pour une société privée européenne, Bulletin JOLY Sociétés, mars 1999, & 65,

p. 337 sq.

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2. Un « label européen » ( )18 : une communautarisation renforcée par rapport à la société européenne (SE)

La SPE implique une dimension européenne marquée ( )19 .

Cette forme sociale apparaît tout d'abord destinée aux projets dépassant le cadre d'un seul État, soit qu'il s'agisse d'une coopération entre entreprises ressortissant de deux États membres, soit, plus modestement, qu'il s'agisse de la création ou du développement d'une activité économique à l'échelle non pas nationale mais européenne.

En ce sens, la SPE apparaît comme un instrument juridique fort au service de la liberté d'établissement, trop souvent enfreinte aujourd'hui par des dispositifs nationaux discriminatoires que justifient opportunément des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, la CJCE tolérant pour sa part ces limitations dès lors qu'instituées pour des raisons impérieuses d'intérêt général, elles respectent un principe de proportionnalité entre l'entrave exercée et le but à atteindre ( )20 .

En outre, la SPE se veut être une forme sociale commune à tous les États membres, dotée d'une véritable identité européenne.

À la différence de la SE, qui apparaît comme une société européenne à géométrie nationale variable, le statut de la SPE ne prévoit pas de rattachement aux droits des sociétés nationaux. Le règlement est autonome, uniforme, sui generis. Il s'agit d'une forme sociale supranationale simple, efficace, dont les principales dispositions ont vocation à s'appliquer partout en Europe.

Or cette communautarisation est seule susceptible de réduire significativement le facteur coût, particulièrement décisif dans le contexte difficile de développement des PME. La création d'un statut identique se révèle au demeurant d'autant plus pertinent qu'avec l'adhésion de nouveaux États membres, les avantages potentiels pour les sociétés s'accroissent de manière exponentielle.

Dès lors, la SPE apparaît tout à la fois comme un catalyseur de l'intégration européenne permettant une plus grande mobilité des entreprises au sein du Marché unique, et comme un facteur de sécurité juridique, particulièrement attractif pour les investisseurs étrangers.

Enfin, en termes d'image, la SPE offrirait aux PME un « label européen » porteur de notoriété, de compétitivité et de dynamisme.

II - …Sous le sceau de la liberté contractuelle et de l'innovation fiscale

D'inspiration libérale, le projet de société privée européenne privilégie le contrat à l'institution, tout en garantissant aux associés et aux tiers la clarté et la sécurité nécessaires (A). Ce statut pourrait par ailleurs bénéficier d'un régime fiscal audacieux, la Commission travaillant

(18) Pour une société privée européenne, article préc. (19) De la SE…à la SPE, article préc. (20) Voir, pour des exemples récents : CJCE 5 nov. 2002, C-208/00 ; CJCE 21 nov. 2002, C-436/00.

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en effet sur un projet pilote autorisant les PME actives à l'échelle européenne à asseoir leur imposition sur une assiette consolidée unique (B).

A) La SPE, une structure alliant souplesse de fonctionnement et sécurité juridique

Pour ses concepteurs, la réussite de la SPE implique simplicité et souplesse. S'agissant d'une société fermée, la protection des associés et des tiers y apparaît moins prioritaire ; une grande liberté contractuelle peut donc être conférée aux parties pour tout ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement des organes sociaux. Pour autant, il demeure essentiel que soient assurés le caractère unitaire du statut ainsi que la sécurité juridique de cette forme sociale. Ces impératifs supposent donc une exacte définition du champ des compétences des différentes sources du droit en présence ainsi qu'une rédaction précise du régime juridique de cette forme sociale.

1. Champ de compétences

Les concepteurs de la société privée européenne ont clairement mentionné que dans les matières qu'il régirait, à savoir les modes de constitution, le capital, le siège social, l'immatriculation ou la responsabilité des dirigeants, le règlement devrait être complet et rester indépendant des droits nationaux qui ne pourraient être invoqués, même à titre subsidiaire. Il s'agit pour eux d'assurer le caractère européen du texte ainsi que la clarté et la sécurité que doit apporter cette forme sociale aux associés et aux tiers.

Toutefois, si certains principes doivent être expressément posés dans le règlement, celui-ci n'en doit pas moins préserver la liberté contractuelle des associés dont le champ doit être explicitement défini. Outre qu'il implique une grande adaptabilité exclusive de toute rigidité, ce renvoi aux dispositions statutaires, précisément délimité, se révèle être également une technique efficace pour écarter tout recours aux dispositions impératives et supplétives des droits nationaux.

Pour éviter les risques d'une omission, l'autorité en charge de l'immatriculation devrait seulement vérifier que toutes les stipulations que doivent comporter les statuts y figurent bien.

Enfin, parallèlement au règlement et aux statuts, le projet prévoit que la SPE demeure soumise, à titre exceptionnel, aux dispositions générales des États membres s'agissant du droit pénal, du droit comptable, ou des procédures d'insolvabilité et de cessation des paiements.

En matière sociale, le règlement pourrait contenir de grandes lignes directrices tout en renvoyant pour l'essentiel aux principes du droit du lieu d'exercice de l'activité des salariés.

Dans le domaine fiscal, la SPE pourrait bénéficier d'un régime novateur l'autorisant à consolider son résultat imposable à l'échelle européenne.

2. Régime juridique

Telle qu'elle apparaît aujourd'hui, la SPE se présente comme une société librement accessible, souple et adaptable par son caractère essentiellement contractuel, néanmoins soumise à des règles de responsabilité et de contrôle ainsi qu'à un mécanisme de protection des minoritaires et des tiers. En tous ces points, elle se rapproche de la société par actions simplifiée française.

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La SPE pourrait être constituée par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, ressortissantes ou non d'un État membre.

Le capital minimum pourrait être fixé à 25 000 euros, et être divisé en actions sans exclure d'autres possibilités.

Chaque associé ne s'engagerait qu'à concurrence de son apport.

Il s'agirait donc d'une société fermée à responsabilité limitée, impliquant un élément d'extranéité européen au sens large.

S'agissant plus particulièrement de son ancrage européen, la société privée européenne, à la différence de la SE, devrait en effet pouvoir s'ouvrir à un grand nombre d'acteurs économiques intervenant au sein du Marché unique afin de permettre de multiples combinaisons.

Cet impératif d'ouverture explique également que la société privée européenne réponde en outre à toutes les situations de développement que peut envisager une entreprise : création, filialisation, coopération via une holding ou une filiale communes, transformation, fusion ou scission.

La seule condition tient à la localisation du siège de la société, défini comme le lieu de son administration centrale, qui doit impérativement se situer sur le territoire de l'un des États membres. Celui-ci pourrait toutefois être transféré dans un autre État membre sans dissolution ni création d'une personne morale nouvelle.

Afin de jouir de la plus grande liberté possible, la société devrait pour l'essentiel être régie par ses statuts.

Ainsi le pacte social définirait l'organisation de la société, les modalités de désignation, les pouvoirs et le mode de fonctionnement des organes sociaux ainsi que leurs rapports entre eux.

Les statuts détermineraient également librement les droits pécuniaires et non pécuniaires afférents à chaque catégorie de droits sociaux ; ceux-ci pourraient au demeurant ne pas être proportionnels à la quotité du capital représenté afin, par exemple, de tenir compte de la nature des décisions collectives à prendre.

La cession forcée et le retrait d'un associé seraient possibles et devraient être réglés par les statuts ainsi que le prix de rachat ou de cession des titres.

Des obligations minimales pourraient néanmoins résulter du règlement, comme celle consistant à soumettre à l'unanimité des associés toute modification des statuts.

Le règlement devrait également prévoir que la représentation de la société à l'égard des tiers soit fondée sur des règles conformes à la 1re directive européenne adoptée en matière de droit des sociétés.

La protection nécessaire des minoritaires et des tiers implique par ailleurs que soient systématiquement assujetties à une obligation d'information et de contrôle les conventions conclues entre la société et ses dirigeants ou associés, qui soulèvent un conflit d'intérêts. En

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outre, les associés devraient avoir droit ès qualités à communication des décisions collectives et des principaux documents de gestion.

B) La SPE, une structure ouverte sur une fiscalité audacieuse

Si, aujourd'hui, la proposition de règlement renvoie, de manière assez traditionnelle au demeurant, aux législations nationales des différents États membres pour régler la question fiscale, la SPE pourrait toutefois, à l'avenir, bénéficier d'une fiscalité audacieuse.

1. L'écueil d'un renvoi pur et simple aux législations nationales

Telle que l'ont conçue ses concepteurs, la SPE ne dispose d'aucun régime fiscal particulier. Sans doute l'exclusion de la dimension fiscale est-elle apparue nécessaire à ses inspirateurs pour pouvoir avancer dans la voie d'une reconnaissance future de cette société. L'application corrélative des dispositions fiscales des différents États membres impliqués, sans aucun mécanisme de consolidation du résultat, risque néanmoins de retirer tout intérêt à la SPE.

Cette situation, tout à la fois paradoxale et périlleuse, s'explique certainement par l'opposition réitérée des États membres à doter la société européenne (SE) nouvellement créée d'un statut fiscal communautarisé ( )21 .

Les États ont craint en effet qu'un tel statut ne vienne concurrencer fortement les formes nationales qui, par hypothèse, ne bénéficieraient pas de ce régime. De surcroît, cette tentative d'harmonisation des fiscalités directes, bien que très limitée, leur est apparue comme une première atteinte à leur souveraineté fiscale.

Faute d'un régime fiscal spécifique, la SPE demeure donc, en l'état actuel du projet, simultanément soumise aux législations fiscales de l'État de son siège et du lieu de situation de ses établissements stables. Aussi l'adoption de cette forme sociale ne confère-t-elle aucun avantage par rapport aux autres formes de sociétés que connaissent les États membres.

Tout autant que les autres sociétés, la SPE risque de se heurter aux mêmes obstacles fiscaux qui entravent traditionnellement la mobilité des entreprises en Europe ( )22 : surcoûts générés par la disparité des régimes fiscaux en vigueur dans les différents États, double imposition des flux de revenus transfrontaliers, complexité, lourdeur et insécurité dans la gestion des prix de transfert, déperdition fiscale due à la non-compensation transfrontalière des pertes et des profits, fiscalité pénalisante des opérations transfrontalières de restructuration et de transfert de sièges sociaux.

De surcroît, la SPE, tout comme d'ailleurs la société européenne (SE), reste ignorée des directives mère-filles, fusion, et rassemblement de capitaux, qu'il est urgent d'adopter, la Commission ayant il est vrai proposé aux États membres de réfléchir à l'extension de leur champ d'application à toutes les entités assujetties à l'IS ( )23 .

(21) Th. Schmitt, Les aspects fiscaux de la société européenne, Les Petites Affiches, n° 76, 16 avril 2002, p. 29 sq. (22) V., à ce sujet, la Communication de la Commission, Vers un marché intérieur sans entraves fiscales, COM

(2001) 582, 23 oct. 2001. (23) En ce sens : Rapport des services de la Commission, SEC (2001) 1681 ; Information en ligne de la Commission

en date du 9 oct. 2002.

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2. Le projet pilote de la Commission à l'intention des PME : une assiette consolidée définie selon les règles de l'État du siège

À moyen terme, ces obstacles pourraient néanmoins bien être écartés par la mise en place d'un dispositif fiscal innovant spécialement pensé pour les PME européennes.

Soucieuse d'adopter des mesures concrètes en faveur des petites et moyennes entreprises, consciente des difficultés que celles-ci rencontrent pour se développer, la Commission a récemment lancé l'idée d'un projet pilote expérimental qui permettrait d'appliquer aux PME de l'Union européenne le concept d'imposition selon les règles de l'État de résidence ( )24 .

Ce projet prévoit que les bénéfices d'une entreprise active dans plusieurs États membres soient calculés selon les règles d'un seul régime d'imposition, à savoir celui de l'État du siège.

À ce sujet, il convient de signaler que l'Allemagne et les Pays-Bas négocient actuellement un protocole à leur convention en vertu duquel un établissement stable situé dans une zone industrielle transfrontalière serait imposable uniquement dans l'État de résidence du siège de l'entreprise. Les effets de cet accord en termes budgétaires étant supposés se neutraliser mutuellement des deux côtés de la frontière, aucun mécanisme de répartition ou de compensation n'est prévu.

À l'analyse, ce projet pilote en faveur des PME se révèle potentiellement plus réaliste que d'autres propositions, plus ambitieuses, formulées dans ce domaine et pourrait recueillir, plus facilement peut-être, l'aval des États membres.

L'idée même du projet qui consiste à autoriser les entreprises ayant des activités à l'étranger à y appliquer la législation fiscale de leur État d'origine, c'est-à-dire les règles fiscales qui leur sont familières, permettrait en effet de résoudre d'une manière simple les problèmes spécifiques de mise en conformité (formalités, tenue des livres comptables) et de coûts générés par la disparité des systèmes en vigueur, que doivent aujourd'hui assumer les PME.

La question épineuse de la compensation transfrontalière des pertes et des profits pourrait même être résolue dans la mesure où la législation en vigueur dans l'État de résidence concerné prévoirait une telle compensation entre entités nationales.

Du point de vue des États membres, ce projet, qui s'appuie essentiellement sur le principe de reconnaissance mutuelle inhérent au marché intérieur, devrait être relativement simple à mettre en œuvre. Un accord unanime sur des mesures communautaires ne serait en effet nullement nécessaire et il pourrait être raisonnablement envisagé que seuls quelques États membres acceptent dans un premier temps de le mettre en œuvre. Il s'agirait en quelque sorte d'une coopération renforcée.

Du point de vue pratique, l'imposition selon les règles de l'État de résidence, qui ne nécessite pas l'élaboration de nouvelles lois, pourrait constituer une mesure intermédiaire pragmatique, susceptible d'ouvrir la voie à des approches plus ambitieuses.

(24) V., à ce sujet, le Document de consultation diffusé par la Commission : TAXUD/C/1 DOC 2110, coordination

Rolf Diemer.

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Ce système d'imposition suppose toutefois implicitement que les bases d'imposition des États membres participants soient relativement analogues et que les règles appliquées pour le calcul du revenu imposable soient largement comparables. Cette condition préalable devrait néanmoins être remplie dans la mesure où les réformes fiscales récemment entreprises au sein de l'Union ont toutes suivi une logique similaire visant à élargir la base d'imposition de façon à permettre une réduction des taux d'imposition. Seuls les avantages fiscaux accordés aux PME par certains États membres risquent de remettre en cause l'équilibre du projet, sauf à prévoir de les transformer en crédits d'impôt réduisant le montant de l'impôt exigible.

Enfin, il importe que soit élaborée une procédure convaincante de répartition des recettes fiscales afin que les États membres acceptent ce projet. Il s'agit là d'une question difficile, les États risquant de s'opposer à tout projet impliquant des déperditions budgétaires trop significatives. Trois solutions sont théoriquement envisageables :

– Soit on estime que les pertes potentielles de recettes seront négligeables et l'on n'instaure ni répartition des recettes, ni répartition de la base d'imposition, une forme de compensation automatique des flux s'instaurant entre États ;

– Soit on prévoit que la société européenne déposera ses déclarations et payera ses impôts uniquement dans l'État de résidence de son siège, cet État compensant par un système de péréquation la perte de recettes subie par les autres États membres dans lesquels la société européenne exerce également son activité ;

– Soit on détermine que la société européenne déposera ses déclarations fiscales dans l'État de résidence de son siège, lesquelles couvriront l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé au sein du Marché unique, l'État de résidence communiquant toutefois aux différents États membres concernés le résultat imposable correspondant respectivement aux activités exercées sur leur territoire, ces derniers appliquant à cette base leur taux d'imposition national et procédant à la perception de l'impôt.

À l'analyse, il semblerait rationnel de mettre en œuvre une procédure simplifiée de répartition de la base d'imposition, impliquant une clé de répartition qui soit simple, celle-ci se référant, par exemple, uniquement aux ventes ou aux coûts salariaux, ou encore s'appuyant sur le calcul de la valeur ajoutée. L'entreprise européenne déposerait ainsi une seule déclaration fiscale dans l'État de son siège social et pourrait anticiper facilement la charge fiscale globale, en appliquant les taux nationaux en vigueur aux différentes fractions de son résultat imposable qu'elle déterminerait à partir d'une clé de répartition simplifiée.

Afin d'éviter de trop grandes déperditions budgétaires et d'interdire toute appropriation indirecte et indue de recettes fiscales, les États membres devraient réorganiser les contrôles fiscaux, d'une part en renforçant les échanges d'informations, la coopération mutuelle et la transparence réciproque entre administrations, d'autre part en organisant des contrôles conjoints simultanés au niveau du siège et dans les différents établissements européens de la société. Le contrôle portant sur la détermination de l'assiette de l'impôt conformément aux règles applicables dans l'État du siège de la société, il reviendrait à cet État de mener ces différents contrôles, ce qui en pratique pourrait s'avérer difficile à mettre en place.

Finalement, la réussite de la SPE – tout comme celle de la SE – passe nécessairement par l'adoption d'un statut fiscal communautarisé, permettant une consolidation du résultat imposable. Il faut donc espérer que les États membres acceptent enfin, non pas d'abandonner leur souveraineté fiscale, mais de l'exercer de manière concertée.

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Force est toutefois de constater que ceux-ci privilégient, aujourd'hui encore, une approche purement concurrentielle de la fiscalité directe des entreprises.

Ainsi, le projet de Constitution de l'Union européenne, tel que présenté au Conseil européen de Thessalonique les 19 et 20 juin 2003, maintient-il la règle de l'unanimité alors même que l'instauration de la majorité qualifiée aurait facilité le rapprochement des législations nationales s'agissant de la détermination de l'assiette imposable.

Frits Bolkestein, Commissaire européen chargé du marché intérieur et de la fiscalité, écrit à cet égard de façon fort appropriée « qu'une paralysie à terme en matière de fiscalité affectera non seulement l'acquis communautaire en matière de fiscalité, mais aura aussi un effet sur des domaines connexes ; le développement d'une société européenne n'en étant qu'un exemple évident » ( )25 .

Cette conclusion laisse rêveur quant à la disparité des objectifs communautaires.

M. Claude CHAMPAUD. – Votre conclusion est un peu pessimiste ; mais à chaque fois que l’on aborde le droit fiscal, le pessimisme est de rigueur… et les affaires marchent quand même ! Pour la société européenne, le doyen Houin disait déjà « tant que Rivoli sera Rivoli – le Ministère de l’Économie et des Finances n’était pas à Bercy, à l’époque – la société européenne ne pourra pas fonctionner. C’est un problème de fiscalité, ce n’est pas un problème de droit des sociétés ».

QUELLES STRUCTURES ADAPTÉES À LA CRÉATION ET À LA TRANSMISSION DES PME FRANÇAISES ?

M. Jean PAILLUSSEAU, Professeur émérite à l’Université de Rennes I, Directeur honoraire du Centre de droit des affaires, Avocat au Barreau de Paris

1.- L’objectif du Président de la République est que soient créées 1 000 000 d’entreprises en cinq ans. Dans les années quatre-vingt, le rythme de création était de 200 000, il n’est plus aujourd’hui que de 170 000 ( )26 . La marge est importante. En outre, 500 000 entreprises vont changer de dirigeants dans les dix ans à venir et il faut assurer leur transmission ( )27 .Que faire pour faciliter la création d’entreprises et faciliter leur transmission ?

2.- C’est l’objet de la loi pour l’initiative économique du 1er août 2003 ( )28 . Elle concerne les très petites entreprises (TPE), les entreprises moyennes (PME) et les entreprises ayant un fort potentiel de croissance.

(25) F. Bolkestein, Fiscalité européenne : la Convention fait fausse route, Le Monde, 13 juin 2003, Horizons-Débats,

p. 16. (26) Présentation du projet de loi pour l’initiative économique par M. Francis Mer à l’Assemblée nationale, Document

AN n° 507 rectifié. (27) Ibid. (28) Loi publiée au JO du 5 août 2003, p. 13 449.

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3.- Cette loi apporte-t-elle des bouleversements à l’organisation juridique des entreprises ? Modifie-t-elle leurs structures ?

Comporte-t-elle, par exemple, une nouvelle organisation juridique pour les TPE et les PME : la reconnaissance d’un patrimoine d’affectation par exemple ? Non, elle permet simplement à l’entrepreneur individuel de déclarer insaisissable par ses créanciers les droits qu’il détient sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale.

Comporte-t-elle des modifications importantes du droit des sociétés ? Non, elle supprime simplement l’exigence d’un capital minimum pour les SARL (EURL), qui était de 7 500 €, en décidant que ce sont les associés qui le fixent eux-mêmes librement dans les statuts ( )29 .

Manifestement, le législateur considère que les structures juridiques actuelles sont satisfaisantes.

4.- Les objectifs de la loi sont, notamment : – d’éliminer certaines contraintes administratives et juridiques ; en particulier dans le droit

fiscal et le droit social, comme, par exemple, l’organisation de la transition entre le statut de salarié et celui d’entrepreneur ( )30 ;

– d’organiser une logistique de soutien aux entreprises, notamment dans le domaine du financement par la création de Fonds d’investissement de proximité ( )31 .

5.- Alors ? Doit-on en conclure que les structures juridiques actuelles de l’entreprise conviennent parfaitement ? Pour répondre à cette question, il convient de commencer par poser le problème à l’endroit. Ce qui signifie qu’avant d’examiner l’organisation juridique de l’entreprise, il faut commencer par préciser ce qu’est l’entreprise, même si c’est difficile.

6.- L’entreprise n’est pas fondamentalement – par essence –, contrairement à une idée souvent exprimée par les juristes, un ensemble de biens et de dettes, une sorte de patrimoine à l’intérieur du patrimoine de l’entrepreneur. C’est une vision trop juridique et statique de l’entreprise. Dans son approche des réalités économiques, le juriste est parfois trop influencé par des notions juridiques inadaptées, comme celle de fonds de commerce par exemple.

L’entreprise n’est pas un état, plus ou moins statique, une chose, un bien, comme peut l’être le fonds de commerce. Ce n’est pas une notion juridique. C’est, profondément, par essence, une action dynamique organisée. Elle se développe dans le milieu hostile de la concurrence – une concurrence dominée par l’offre des produits et de services – où les concurrents n’ont qu’un désir : celui de prendre le marché des concurrents pour accroître le leur.

7.- Sans reprendre ici une description que nous avons souvent faite ( )32 , l’entreprise c’est, fondamentalement :

(29) Article 1er modifiant l’article L. 223-2 du Code de commerce. (30) Exposé des motifs et art. 15 sq. de la loi. (31) Exposé des motifs et art. 26 de la loi. (32) Voir, en dernier lieu : Le droit des activités économiques à l’aube du XXIe siècle, D., 2003, Cahier Droit des

affaires, n° 4 du 23 janvier 2003 et n° 5 du 30 janvier 2003.

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– Un concept commercial, marketing, économique, plus ou moins original, développé à partir d’une vision de l’entreprise, de manière inconsciente ou, au contraire, de manière très sophistiquée par l’entrepreneur. Séphora, la Fnac, Virgin, la Brioche dorée, les compagnies aériennes à bas prix, comme Ryanair et Easyjet, sont des exemples de concepts originaux, au moins à leur création. Sous la pression des différenciations concurrentielles qui sont l’essence même de la concurrence, l’entrepreneur doit constamment faire évoluer ce concept s’il veut éviter les risques d’obsolescence de son entreprise et la régression, voire la faillite ( )33 . Cette vision et ce concept donnent généralement lieu à l’établissement d’un business plan ( )34 . Si cet aspect de l’entreprise est essentiel pour les PME et les grandes entreprises, il existe aussi nécessairement pour les TPE, mais le plus souvent sous une forme très sommaire et informelle.

– Une activité économique de production et/ou de transformation et/ou de distribution de biens et/ou de services. Cette notion est par nature dynamique. Elle s’exprime, notamment, par la relation du couple marché-produit, et la recherche permanente d’une différenciation concurrentielle qui est la condition de la survie en milieu concurrentiel.

– C’est l’exercice et la conduite de cette activité économique. Ce qui comprend des aspects très importants comme ceux, par exemple, de la détention du pouvoir, de son organisation et de ses délégations.

– Ce sont les moyens que l’on affecte à l’activité et à sa conduite pour qu’elle se développe : moyens humains (en tenant compte du rôle essentiel des prestations de nature intellectuelle qui permettent la différenciation concurrentielle), moyens matériels et moyens financiers.

– C’est la personne ou les personnes qui créent, qui conduisent l’activité économique directement ou par mandataires, qui en recueillent les profits et qui en subissent les risques.

– C’est une communauté humaine organisée.

C’est à partir de ces données socio-économiques que l’on doit concevoir l’organisation juridique de l’entreprise.

8.- Quelles sont les organisations juridiques que le droit offre aux entrepreneurs ?

C’est en premier lieu l’exercice de l’activité économique en entreprise individuelle. Ce sont ensuite les différentes formes de sociétés que le législateur propose aux entrepreneurs et à ceux qui les accompagnent dans leur entreprise : la société à responsabilité limitée (dont la SARL unipersonnelle : l’EURL), la société par actions simplifiée (dont la SAS unipersonnelle), la société anonyme, les sociétés en commandite, etc.

Il faut ajouter à cette liste les organisations qui ont été imaginées par la pratique et validées par la jurisprudence, comme, par exemple, l’organisation de l’entreprise en plusieurs sociétés : une société immobilière propriétaire des actifs immobiliers et une société d’exploitation pour

(33) Des directeurs de Marks & Spencer, lors de la fermeture des magasins en France, ont attribué les difficultés du

groupe au vieillissement d’un concept qui n’avait pas évolué alors que le marché et la concurrence s’étaient considérablement transformés.

(34) C’est en fonction des données qu’il comporte, de sa qualité et de sa crédibilité, que les comités d’engagement de crédits des banques donnent leurs accords aux financements sollicités par les entrepreneurs.

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l’exercice de l’activité commerciale ; ou, encore, l’utilisation de holdings de reprise pour assurer la transmission des entreprises.

Enfin, depuis l’arrêt Centros de la Cour de justice des Communautés européennes ( )35 , des Français peuvent très légalement constituer leur société dans d’autres pays de l’Union européenne pour exercer leurs activités en France.

Ces structures conviennent-elles ? Que choisir ?

9.- Autrefois, un premier choix entre l’entreprise individuelle et la société pouvait être imposé par le fait que l’entreprise était créée par une seule ou par plusieurs personnes. La société unipersonnelle n’existant pas, le créateur agissant tout seul devait, en principe, obligatoirement choisir la forme de l’entreprise individuelle, il ne pouvait constituer une société. Celle-ci était réservée aux entreprises qui comportaient plusieurs associés. Mais, cette observation est purement théorique, car les sociétés unipersonnelles de fait fleurissaient et constituaient sans doute une part très importante des sociétés existantes. Les entrepreneurs n’hésitaient pas à constituer des sociétés anonymes de fait, dès lors qu’ils trouvaient dans cette organisation des réponses à leurs problèmes. Il suffisait qu’ils prennent quelques actionnaires et administrateurs « de paille » pour que la société existe. Il n’y a pratiquement jamais eu d’annulation de sociétés pour cette raison ; ou elles étaient rares et peu rapportées dans les revues juridiques. Aujourd’hui, la multiplication des sociétés unipersonnelles ouvre un réel choix pour les entrepreneurs ( )36 .

Les choix peuvent être différents selon qu’il s’agit, par exemple, de la création de l’entreprise ou de l’organisation de sa transmission.

10.- S’agissant de la forme juridique à adopter lors de la création de l’entreprise, ce sont souvent les considérations fiscales et sociales qui apparaissent en premier. Bien que les régimes fiscaux et sociaux attachés à chaque forme juridique – autrefois très particuliers – n’ont cessé d’être rapprochés par le législateur pour assurer leur neutralité, leur considération est encore, souvent, le premier élément de choix. C’est sur leur fondement qu’est parfois réalisé le choix entre l’entreprise individuelle et celui de la société ; ou le choix du statut du gérant de SARL (majoritaire ou minoritaire).

Ensuite, viennent les motivations très personnelles des créateurs d’entreprises. Elles commandent des choix plus ou moins arrêtés. Par exemple, la volonté de pouvoir disposer des biens et de l’argent de l’entreprise sans la moindre contrainte les conduira à choisir l’entreprise individuelle de préférence à la société : ce qui est libre et parfaitement légal dans une entreprise individuelle peut constituer des abus de biens sociaux dans certaines sociétés. En revanche, la volonté, en période de crise, de limiter leur responsabilité, ou la perspective d’organiser une entreprise familiale, pourra les conduire à choisir une société. De même, ceux

(35) CJCE., Affaire C-212/97, arrêt du 9 mars 1999 (Cour de justice des Communautés européennes

//europa.eu.int/cj/fr/index.htm). Conclusions de M. l’Avocat général Antonio La Pergola, 16 juill. 1998 (Centros conclusions htm).

(36) Sur les choix que font les entrepreneurs, voir : CREDA, L’EURL – Droit, pratique et perspectives (sous la dir. de Y. Chaput et A. Lévi), Litec, 2003 ; voir également notre article : L'EURL ou des intérêts pratiques et des conséquences théoriques de la société unipersonnelle, JCP éd. E 1986, 14684 ; JCP éd. G 1986, I.3242 ; Les Petites Affiches, n° 57, 13 mai 1987, p. 87 sq.

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qui ont l’ambition de créer une grande entreprise choisiront peut-être la société anonyme avec la perspective d’une cotation future de ses titres sur un marché.

Le mode de financement de l’entreprise peut également être un facteur déterminant dans le choix de la forme juridique. Des créateurs peu argentés choisiront de préférence une forme de société qui leur permettra de détenir le pouvoir et de jouer réellement leur rôle de chef d’entreprise bien que les investisseurs financiers qui les accompagnent « apporteront » à l’entreprise (sous des modalités à définir) l’essentiel des fonds qui lui sont nécessaires. Dans ce cas, ils examineront avec attention les possibilités qu’offre la SAS.

Il n’est guère facile d’établir une typologie des besoins et des objectifs des créateurs d’entreprises tant ils sont personnels à chacun ; comme le sont aussi les situations dans lesquelles ils se trouvent.

11.- Pour faciliter les transmissions, les entrepreneurs choisiront de préférence, à la fois pour des raisons financières et fiscales, une opération de leveraged buyout (LBO) avec reprise de la société cible par une holding de reprise. Mais, là encore, le choix de la forme juridique de la holding sera important ( )37 .

S’agissant de l’organisation juridique des transmissions d’entreprises dans le cadre familial, diverses contraintes, dont les contraintes fiscales, et le particularisme des objectifs et des situations des entrepreneurs les conduisent, le plus souvent, à adopter des montages combinant des sociétés dont il convient de choisir la forme et d’aménager les stipulations statutaires ( )38 .

12.- Dans cette recherche du choix de la forme juridique la plus adaptée aux petites et moyennes entreprises (PME), aux petites et très petites entreprises (TPE), nous envisagerons successivement : l’entreprise individuelle ; la société à responsabilité limitée (SARL) ; la société par actions simplifiée (SAS) ; et la société anonyme (SA) ( )39 .

I – L’entreprise individuelle

13.- L’entreprise individuelle se caractérise par le fait qu’une personne physique exerce personnellement une activité économique. Elle réunit les moyens humains, matériels et financiers nécessaires à l’activité. L’affectation de moyens matériels et financiers à l’activité s’analyse juridiquement en une affectation patrimoniale. Elle recueille les profits et en dispose à son gré, soit pour autofinancer l’entreprise, soit pour son usage personnel. Elle supporte les risques de l’entreprise sur l’ensemble de son patrimoine.

(37) J. Paillusseau, J-J. Caussain, H. Lazarski, P. Peyramaure, Cessions d’entreprise, Dalloz Référence, 4e édition,

1999. (38) H. Le Nabasque, F. Boussier et F. Richen, La transmission de l’entreprise familiale, Dalloz, 1992, Collection

« Réussir en affaires ». B. Monassier et alii, Transmission d’entreprise, Éd. Francis Lefebvre, 1996. (39) Pour une comparaison de ces différentes formes juridiques, voir : J. Paillusseau, A. Outin-Adam, S. Bienvenu,

A. Theimer, A.-M. Reita-Tran, La société par actions simplifiée : une nouvelle structure pour les PME et les personnes physiques, JCP ed. E 2002, n° 11, 458 ; La société par actions simplifiée : une structure de coopération pour les PME, JCP ed. E 2001, n° 3, p. 115 ; Jur. Class. Sociétés, Formulaire, et Notarial Formulaire, Fasc. N-7 et N-8.

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L’entreprise individuelle n’est donc pas en elle-même une forme juridique d’entreprise, mais une absence de forme juridique. Toutefois, comme l’entreprise exploitée sous cette forme est soumise à un ensemble de règles comptables, fiscales, sociales et juridiques, il en résulte un régime juridique qui caractérise cette forme d’exploitation de l’entreprise.

A) Avantages

14.- L’entreprise individuelle est la voie royale de la liberté d’entreprendre. Sous réserve de quelques contraintes, notamment pour l’exercice de certaines activités, il n’y a pas de solution plus facile pour créer une entreprise. Certes, cette création doit être précédée ou s’accompagne de quelques formalités administratives. Mais, précisément pour faciliter la création d’entreprises, la loi pour l’initiative économique les a réduites considérablement.

15.- Les coûts entraînés par cette création sont réduits au minimum. Ainsi, les coûts engendrés pour la création et le fonctionnement d’une société n’existent pas : ceux, par exemple, relatifs à la rédaction des statuts et à la constitution, ou ceux qui résultent des apports (droits d’enregistrement, honoraires d’un commissaire aux apports, etc.). De même, comme il n’y a pas de commissaire aux comptes dans l’entreprise individuelle, l’entrepreneur n’a pas à supporter ses honoraires.

16.- C’est dans cette forme d’entreprise que le chef d’entreprise a le plus de pouvoirs. Il peut les exercer souverainement sans avoir à rendre compte à personne, sous réserve, le cas échéant, de ses obligations à l’égard des représentants du personnel.

17.- Les résultats de l’entreprise sont les siens. Il les utilise à son gré. Il les affecte en totalité ou en partie au développement de l’entreprise ou à son usage personnel. S’ils lui servent à financer une résidence secondaire, il en a parfaitement le droit et personne ne peut le lui reprocher.

18.- Il n’y a pas de responsabilité pénale spécifique comme pour les sociétés. Il n’y a pas de délit d’abus des biens et du crédit de la société ou d’abus de pouvoirs dans l’entreprise individuelle.

19.- S’il veut céder son entreprise à un tiers, il cède le fonds de commerce et le cas échéant les immeubles selon des procédés bien connus avec la protection légale attachée à ces opérations juridiques aussi bien pour le vendeur que pour l’acquéreur. Les coûts engendrés par la cession, même s’ils ont été considérablement réduits ces dernières années, sont néanmoins plus importants que lorsque l’entreprise est en société.

Si ces avantages sont clairs et importants, les inconvénients ne le sont pas moins.

B) Inconvénients

20.- En raison même de cette organisation juridique, la croissance de l’entreprise individuelle est très difficile, si elle n’est illusoire.

La limitation des possibilités de financement tient à la forme de l’entreprise. Ainsi, l’entreprise individuelle ne peut bénéficier de tous les moyens de financement des sociétés. Par exemple, les nouveaux fonds d’investissement de proximité créés par la loi pour l’initiative

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économique ne sont accessibles qu’aux sociétés (Loi du 1er août 2003, art. 26). Les avantages fiscaux accordés sous certaines conditions aux personnes physiques qui souscrivent au capital de sociétés non cotées ne concernent pas les entreprises individuelles (Loi du 1er août 2003, art. 29 et 30).

L’accès au financement, autre que par emprunt, conduit nécessairement à changer la forme juridique de l’entreprise pour adopter celle de la société.

21.- L’entreprise étant par nature individuelle, elle exclut toute forme de partenariat pour l’exploitation de l’entreprise. Il n’est possible qu’à la condition de passer en société.

22.- Le coût fiscal de la cession de l’entreprise (cession du fonds de commerce, des autres actifs et, le cas échéant, de l’immobilier), qui était autrefois très supérieur à celui de la cession des sociétés, a été considérablement réduit par le législateur qui poursuit sa politique de neutralisation des conséquences fiscales attachées aux formes juridiques et aux opérations réalisées.

23.- En cas de « faillite » de l’entreprise, l’entrepreneur est responsable sur l’ensemble de son patrimoine des dettes de l’entreprise.

24.- La transmission de l’entreprise en cas de divorce du chef d’entreprise et surtout en cas de succession du chef d’entreprise, ou le cas échéant de son conjoint, peut poser des problèmes insolubles. Des entreprises ont disparu à cette occasion.

C) Limitation des inconvénients

25.- De nombreuses solutions ont été envisagées pour réduire les inconvénients que présente l’entreprise individuelle ; particulièrement pour résoudre les problèmes résultant de la responsabilité indéfinie de l’entrepreneur.

26.- Partant de la constatation que l’entreprise individuelle bénéficie d’une autonomie patrimoniale relative en droit comptable, en droit fiscal et en droit social, on a proposé de consacrer cette autonomie de manière plus large en reconnaissant le patrimoine d’affectation. C’est une idée chère à Me Jacques Barthélémy et que beaucoup ont soutenue avec lui, notamment lors de travaux antérieurs ( )40 ou concomitants aux discussions du projet de loi sur l’EURL en 1984 et 1985 ( )41 .

27.- En 1977, le gouvernement de M. Raymond Barre avait constitué un groupe de travail présidé par M. Claude Champaud avec pour mission de rechercher la possibilité d’introduire dans notre droit un statut d’entreprise individuelle à responsabilité limitée. Le rapport Champaud fut remis à la Chancellerie en mars 1978. Il proposait de constituer trois masses patrimoniales distinctes à l’intérieur du patrimoine de l’entrepreneur individuel : le patrimoine affecté à l’entreprise, qui aurait constitué le gage des créanciers de l’entreprise ; le patrimoine

(40) Pour une réflexion pionnière en la matière, voir l’étude du CREDA, L’entreprise personnelle – t. 2 : Critique et

prospective (sous la dir. d’A. Sayag), Litec, 1981. (41) Sur ce débat et les références doctrinales, voir notre article : L'EURL ou des intérêts pratiques et des

conséquences théoriques de la société unipersonnelle, JCP éd. E 1986, 14684 ; JCP éd. G 1986, I.3242 ; Les Petites Affiches, n° 57, 13 mai 1987, p. 87 sq.

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personnel, insaisissable et indisponible, qui aurait été réservé à l’usage personnel et familial de l’entrepreneur ; et, entre ces deux masses, le patrimoine non affecté, qui serait demeuré disponible pour l’entreprise. Cette séparation patrimoniale étant subordonnée à « l’organisation d’un système obligé de mutualisation des risques, assurant aux créanciers la sécurité d’une caisse de garantie alimentée par des cotisations obligatoires. » ( )42 .

28.- Ces propositions n’ont pas été adoptées, mais les idées qu’elles exprimaient ont été retenues par le législateur. Ainsi, l’article 8 de la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique, organise la protection de l’entrepreneur individuel par de nouvelles dispositions qui sont insérées dans le code de commerce ( )43 .

29.- Désormais, une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale.

Cette déclaration est publiée au bureau des hypothèques ( )44 . Elle n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant. Lorsque l'immeuble est à usage mixte professionnel et d'habitation, la partie affectée à la résidence principale ne peut faire l'objet de la déclaration que si elle est désignée dans un état descriptif de division (C. com., art. L. 526-1). La déclaration, reçue par notaire sous peine de nullité, contient la description détaillée de l'immeuble et l'indication de son caractère propre, commun ou indivis. L’acte est publié (C. com., art. L. 526-2).

30.- En cas de cession des droits immobiliers désignés dans la déclaration initiale, le prix obtenu demeure insaisissable à l'égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la publication de la déclaration initiale à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant, sous la condition du remploi dans le délai d'un an des sommes à l'acquisition par le déclarant d'un immeuble où est fixée sa résidence principale.

Les droits sur la résidence principale nouvellement acquise restent insaisissables à la hauteur des sommes réemployées à l'égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la publication de la déclaration initiale lorsque l'acte d'acquisition contient une déclaration de remploi des fonds.

31.- La déclaration peut, à tout moment, faire l'objet d'une renonciation soumise aux mêmes conditions de validité et d'opposabilité. Les effets de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque le déclarant est attributaire du bien. Le décès du déclarant emporte révocation de la déclaration (C. com., art. L. 526-3).

Lors de sa demande d'immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou

(42) C. Champaud, L’entreprise personnelle à responsabilité limitée, Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier la

possibilité d’introduire l’E.P.R.L. dans le droit français : RTD com., 1977, p. 579. (43) Le titre II du livre V du Code de commerce est complété par un chapitre VI intitulé : « De la protection de

l'entrepreneur individuel et du conjoint » et comprenant les articles L. 526-1 à L. 526-4 (L. 1er août 2003, art. 8). (44) Au livre foncier dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

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conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l'exercice de sa profession (C. com., art. L. 526-4) ( )45 .

D) Conclusion

32.- Il est évident que l’entreprise individuelle n’est pas une structure de développement de l’entreprise. Elle ne peut être que cantonnée aux petites entreprises, et surtout aux très petites entreprises.

Mais pour ces entreprises, elle peut parfaitement convenir. La loi pour l’initiative économique donne à l’entrepreneur le moyen de bénéficier d’une protection dont il peut user à sa guise, en fonction de ses besoins personnels et de ceux du financement de son entreprise.

Entrepreneur individuel, il jouit de la plus grande liberté. L’argent et les biens de l’entreprise sont son argent et ses biens. Il en est propriétaire et peut en disposer comme il veut, dès lors qu’il ne conduit pas l’entreprise à la « faillite ».

En revanche, ce système est totalement inadapté à tout partenariat et à toute croissance significative. Sans société, rien ne peut être réellement fait. Mais alors, quelle forme de société choisir ? La SARL ?

II – La société à responsabilité limitée (SARL)

33.- Le choix d’une forme de société dotée de la personnalité morale offre, déjà, une grande variété d’organisations juridiques possibles pour l’entreprise, indépendamment même de la forme de la société. La SARL bénéficie, bien sûr, comme toute forme de société de cette variété.

Ainsi, une entreprise peut être créée par une SARL ou, si elle existe déjà, elle peut lui être apportée. L’entrepreneur individuel qui apporte une entreprise en société peut l’apporter uniquement en usufruit, se réservant la nue-propriété, ou en apporter seulement la jouissance. De même, une entreprise individuelle – ou déjà en société – peut être donnée en location-gérance à une SARL soit par l’un de ses associés, qui en est propriétaire, soit par un tiers.

L’entrepreneur individuel peut également apporter l’entreprise en société – sous différentes formes (usufruit, jouissance) – et conserver dans son patrimoine les actifs immobiliers et les louer à la société, ou les apporter à une société immobilière qui les loue à la SARL, ou qui consent sur des terrains, par exemple, un bail à construction ou un bail emphytéotique…

Les combinaisons sont très nombreuses. C’est déjà là un avantage incomparable de la société !

(45) Un décret en Conseil d’État doit préciser en tant que de besoin les modalités d'application de cet article.

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A) Avantages

34.- La SARL peut être constituée par plusieurs personnes. Ou par une seule personne, soit directement, à la constitution de la société pour l’exploitation d’une entreprise à créer, soit par apport d’une entreprise individuelle à la société (avec une neutralité fiscale croissante).

35.- Le coût de constitution n’est guère important, voire négligeable.

Le montant du capital social est fixé librement par les associés dans les statuts. Il n’y a pas de minimum exigé. Il peut donc être symbolique. Mais une absence de fonds propres peut constituer une cause de responsabilité en cas de faillite de la société.

Les apports bénéficient de régimes fiscaux favorables, notamment quand c’est une entreprise individuelle qui est apportée à la société.

Elle n’est tenue d’avoir un commissaire aux comptes (et donc de supporter ses honoraires) que si elle dépasse à la clôture d’un exercice social les chiffres fixés par décret pour deux des critères suivants : montant total du bilan de 1 550 000 €, montant hors taxes du chiffre d’affaires de 3 100 000 €, nombre moyen de salariés au cours d’un exercice de 50.

36.- Les SARL peuvent bénéficier de tous les financements généralement accordés aux entrepreneurs individuels.

Toutefois, il est courant que les banques demandent le cautionnement des dirigeants, voire de certains associés pour garantir les engagements de la société. Mais, contrairement à ce que l’on affirme parfois, ces garanties ne sont pas systématiques. Elles dépendent de l’importance et de la qualité des actifs de la société, de la nature de son activité, risquée ou non, et du pouvoir de négociation de ses dirigeants et associés.

L’article 26 de la loi du 1er août 2003 ( )46 a autorisé la création de fonds d’investissement de proximité. Les SARL vont pouvoir en bénéficier. Ces financements bénéficient d’avantages fiscaux.

37.- Le pouvoir est facile à organiser dans la SARL, qu’elle soit unipersonnelle ou pluripersonnelle.

Ainsi, la SARL peut être gérée par une ou plusieurs personnes physiques (gérants). Les gérants peuvent aussi bien être choisis parmi les associés qu’en dehors d’eux. Ce sont les statuts qui déterminent la durée de leurs fonctions (autrement, ils sont censés être nommés pour la durée de la société). Dans les rapports internes à la société (rapports entre le ou les gérants et la collectivité des associés), leurs pouvoirs peuvent être déterminés par les statuts.

Leur rémunération et les éventuels avantages en nature sont fixés soit par les statuts, soit par la collectivité des associés. Ils peuvent dans certaines conditions cumuler leurs fonctions de gérant avec un contrat de travail.

(46) Qui insère dans le Code monétaire et financier une sous-section 9-1 intitulée « Fonds d'investissement de

proximité », après la sous-section 9 de la section 1 du chapitre IV du titre Ier du livre II.

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38.- Les résultats sont répartis selon les stipulations statutaires ; en principe en fonction de la participation de chaque associé au capital de la société.

39.- La responsabilité des associés est limitée à leurs apports.

Les gérants ne sont en principe responsables envers les tiers que des fautes détachables de leurs fonctions, c’est-à-dire de fautes d’une certaine gravité qui sont étrangères à l’exercice de leurs fonctions de gérant. Autrement, c’est la société qui est responsable, ils ne le sont pas personnellement.

En revanche, les gérants peuvent commettre des fautes qui sont sanctionnées pénalement ; notamment pour abus de biens sociaux ou pour abus des pouvoirs.

40.- L’un des avantages importants de la SARL par rapport à l’entreprise individuelle est que des partenaires peuvent entrer dans la société par le mécanisme très simple d’une cession de parts.

41.- Sous réserve de quelques dispositions de la loi qui restreignent l’agrément aux transmissions de parts dans un cadre familial (notamment en cas de succession ou de liquidation de communauté de biens entre époux), les cessions de parts sont soumises à l’agrément de la société.

42.- Enfin, sous réserve de certaines conditions de fond et de forme, la SARL peut être transformée en société d’une autre forme : la SAS ou la SA par exemple. Il faut toutefois veiller au régime fiscal auquel la SARL est assujettie. La transformation est très facile de ce point de vue quand la SARL est soumise à l’impôt sur les sociétés.

B) Contraintes

43.- Les contraintes qui limitent la liberté de l’entrepreneur dans la SARL sont essentiellement liées à l’existence de la personnalité morale de la société. Dès lors que la société est une personne morale et que les tiers n’ont pour gage que le patrimoine de la société, toute une série de mesures tend à protéger ce patrimoine. De même, la SARL peut comprendre plusieurs associés et, là encore, dans la perspective de leur protection, la loi a prévu de nombreuses mesures qui visent à assurer leur protection.

44.- Ainsi, les conventions conclues entre, d’une part, la société et, d’autre part, des associés ou le ou les gérants doivent être approuvées par l’assemblée des associés.

45.- Les gérants doivent respecter la personnalité morale de la société et son autonomie patrimoniale. S’ils ne le faisaient pas, ils seraient susceptibles de commettre des délits pénaux comme ceux d’abus des biens et du crédit de la société ou d’abus des pouvoirs.

Le droit de la SARL comporte une responsabilité pénale spécifique.

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C) Conclusion

46.- Malgré ses contraintes, la SARL, unipersonnelle ou pluripersonnelle, est un mode d’organisation juridique satisfaisant pour les petites entreprises. C’est la raison pour laquelle le nombre de SARL en France est très important ( )47 .

À cause de nombreux facteurs – dont son image de marque : structure juridique des petites entreprises, entreprises qui sont les championnes des dépôts de bilan… – la SARL ne peut réellement être l’organisation juridique des entreprises importantes ou de celles qui ambitionnent de le devenir. De même, la forme des parts sociales et les modalités de leur transmission ne favorisent pas les cessions et transmissions d’entreprises. D’ailleurs, quand une SARL fait l’objet d’une cession de contrôle, il arrive que les cessionnaires demandent aux cédants de la transformer préalablement à la cession en société anonyme, voire en SAS.

III - La société par actions simplifiée (SAS)

47.- Comme la SARL, la SAS offre une grande variété d’organisations juridiques possibles (voir n° 33). Mais elle a en plus des caractéristiques très particulières qui en font une forme de société très attrayante pour les hommes d’affaires.

A) Avantages

48.- La SAS peut être aussi bien unipersonnelle (SASU) que pluripersonnelle. Mais, comme l’EURL qui n’est qu’une SARL et non pas une autre forme de société, la SASU n’est pas, non plus, une forme de société particulière à côté de la SAS. C’est, tout simplement, une SAS qui ne comporte qu’un seul associé au lieu d’en avoir deux ou plus. Seules quelques règles adaptent le droit de la SAS à cette situation sans en faire une autre société.

49.- Le principal avantage de la SAS, c’est la liberté qui est laissée aux associés d’organiser dans les statuts, en fonction de leurs besoins particuliers, le pouvoir dans la société et les relations entre les associés.

Cette liberté permet incontestablement d’adapter l’organisation de la société, par exemple : à l’entrée de financiers dans l’entreprise pendant une durée aussi bien déterminée qu’indéterminée ; à la transmission d’une entreprise familiale ; à l’association sur un pied d’égalité, ou dans tout autre rapport, d’entrepreneurs ne disposant pas de capitaux avec les associés capitalistes…

50.- Pour organiser le pouvoir dans la SAS, on peut agir sur plusieurs leviers, qui, si on les combine, peuvent donner un grand nombre de solutions pour une organisation juridique très adaptée aux besoins des associés ( )48 .

(47) Voir les éléments statistiques dans l’ouvrage du CREDA, L’EURL – Droit, pratique et perspectives, Litec, 2003,

n° 160 et 161, p. 90 et 91. (48) Voir sur ces solutions, notre article : L’organisation du pouvoir dans la SAS, Droit et Patrimoine, n° 113,

mars 2003, p. 26 ; Revue LAMY Droit des affaires, Supplément au n° 57, fév. 2003, p. 5.

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Une première solution consiste dans la différenciation des droits des associés. Si en général et en principe dans les sociétés, le droit de vote des associés dans les assemblées et leurs droits pécuniaires sont proportionnels à leur participation au capital, on peut parfaitement dans la SAS écarter cette proportionnalité, aussi bien pour les droits de vote que pour la répartition des bénéfices et du boni de liquidation. Ainsi, on peut créer des catégories d’actions ayant un pouvoir de vote différent et des droits aux bénéfices également différents.

Une seconde solution peut être trouvée dans la conception de l’organigramme de la société et des pouvoirs attribués aux différents organes. Si l’on veut transférer le maximum de pouvoirs aux dirigeants, il suffit de limiter au minimum légal les pouvoirs de la collectivité des associés et d’instituer une sorte d’organe du type d’un conseil d’administration renforcé auquel sont attribués tous les autres pouvoirs. Pour une solution inverse, les statuts peuvent prévoir que la collectivité des associés aura le maximum de pouvoirs et que ce sera le président de la société qui en assurera la direction générale avec le minimum de pouvoirs.

De même, la détermination du statut des dirigeants est un élément important de l’organisation du pouvoir dans la SAS. Par exemple, les conditions exigées pour leur nomination, la durée de leurs fonctions, les modalités de leur révocation, sont autant de moyens d’affirmation ou d’affaiblissement de leurs pouvoirs, de leurs fonctions et de leur rôle.

51.- L’organisation du pouvoir peut être combinée et complétée avec des conventions conclues entre les associés (des « pactes d’associés » ou « pactes d’actionnaires »). Ces conventions, sous certaines conditions, sont parfaitement valables et efficaces dans la SAS ; alors que leur validité peut être contestée dans les autres formes de société et que leur efficacité est loin d’être assurée.

Tel est les cas des conventions ayant pour objet : l’inaliénabilité des actions pendant une durée maximale de dix ans ; l’agrément à la cession d’actions ; l’obligation pour l’associé de céder ses actions dans certaines conditions ; et la cession des actions en conséquence de la modification du contrôle d’une société associée.

B) Contraintes

52.- Le coût de la constitution de la SAS est sensiblement supérieur à celui d’une SARL. Le montant minimum du capital social est de 37.000 €.

De plus, quelle que soit son importance, la société doit avoir, en raison même de sa forme, un commissaire aux comptes dont elle doit supporter les honoraires. Mais, dans les sociétés par actions, la présence d’un commissaire aux comptes ne doit pas être considérée comme un coût. Son rôle est important à de multiples égards.

53.- La contrainte principale ou, plus précisément, l’inconvénient majeur de la SAS est qu’il est parfois difficile de déterminer avec certitude les règles juridiques qui lui sont applicables ( )49 . En principe, la SAS est régie par les dispositions légales qui lui sont applicables et, pour le reste, par le droit de la société anonyme.

(49) Voir, sur ce point, notre analyse : La société par actions simplifiée, Éditions de la Compagnie nationale des

commissaires aux comptes et Guide des commissaires aux comptes, 2002, n° 5 sq., p. 7 sq.

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54.- Une autre contrainte résulte de la difficulté qu’il peut y avoir à transformer la SAS en une société d’une autre forme, notamment en société anonyme. En effet, les clauses statutaires relatives aux relations entre les associés ne peuvent être modifiées qu’à l’unanimité des associés ; en conséquence, si la transformation de la SAS conduit à la modification de ces clauses, la décision de transformation doit être prise à l’unanimité.

C) Conclusion

55.- La SAS est incontestablement la meilleure organisation juridique possible pour l’entreprise ; malgré les incertitudes qui demeurent sur les règles juridiques qui lui sont applicables. Sa souplesse lui permet de satisfaire un grand nombre de besoins en organisation juridique des entreprises.

Mais, c’est une société principalement destinée aux hommes d’affaires. Elle peut être dangereuse pour des associés non avertis. Tel peut être le cas, par exemple, pour les héritiers mineurs d’associés personnes physiques lors d’un décès brutal. La liberté contractuelle mal utilisée peut être aussi un moyen extraordinaire de spoliation des associés qui ne détiennent pas le pouvoir, alors qu’ils peuvent être majoritaires en capital.

La société anonyme conserve tous ses attraits. Surtout, si le législateur attentif aux besoins de la pratique décide de simplifier la société anonyme « fermée ».

IV - La société anonyme (SA)

56.- Comme les autres formes de sociétés, la SA offre une grande variété d’organisations juridiques possibles (voir n° 33). Mais elle apparaît immédiatement comme une société relativement compliquée, lourde, rigide et probablement destinée uniquement aux grandes entreprises.

Il faut en effet sept actionnaires pour la constituer. Elle doit être dotée d’un conseil d’administration avec soit un président du conseil d’administration qui est aussi directeur général, soit un président du conseil d’administration et un directeur général. Dans sa forme duale, elle comprend un conseil de surveillance et un directoire.

Comment, dans une telle configuration, pourrait-elle être adoptée par d’autres entreprises que les grandes ou très grandes comportant un actionnariat d’au moins sept réels actionnaires ?

57.- Pourtant ! Depuis plusieurs dizaines d’années, de très nombreuses entreprises ont fait le choix de la société anonyme pour de multiples raisons. Alors même que ces entreprises n’avaient qu’un seul entrepreneur. Combien de sociétés anonymes sont des sociétés unipersonnelles de fait, ou qui l’ont été à leur constitution. Un nombre impressionnant d’entrepreneurs ont voté pour la société anonyme comme organisation juridique de leur entreprise.

58.- L’institution de la SAS est-elle de nature à modifier cette tendance ? Peut-être en partie. Mais certainement pas totalement. La société anonyme présente des avantages que ne présente pas la SAS : la sécurité des règles juridiques applicables ; la protection des intérêts minoritaires ; l’accès aux marchés financiers sans transformation de société, etc.

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59.- La meilleure solution est sans doute de simplifier la société anonyme « fermée » pour l’adapter aux besoins des PME et à ceux des grandes entreprises nationales dont les titres ne sont pas cotés et dont l’actionnariat peut être très réduit.

Il convient, en premier lieu, d’abandonner l’exigence d’un minimum de sept actionnaires et d’adopter la société anonyme unipersonnelle comme l’ont fait certains de nos partenaires dans l’Union européenne ( )50 .

Il faut également simplifier les modes d’administration de la société en créant une forme d’administration générale, optionnelle, sans conseil d’administration, comme l’ont fait, par exemple, les auteurs des textes de l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) ( )51 . Il n’est en effet pas nécessaire de contraindre les entreprises qui ne comportent qu’un seul ou très peu d’actionnaires à constituer un conseil d’administration ou un conseil de surveillance dont l’existence est purement formelle.

Pour notre part, nous avons toujours milité en ce sens ( )52 .

Claude CHAMPAUD.– Il y a une chose qui m’étonne, c’est que l’on ne parle jamais de la société en commandite. S’il est une forme de société qui est faite pour pouvoir transmettre l’entreprise, c’est bien la commandite. Le CREDA a montré, en son temps, l’intérêt d’une telle société ( )53 . Le chef d’entreprise, c’est-à-dire le commandité, va choisir un autre commandité à qui il va céder progressivement des parts de commanditaire (ou ses actions si c’est une commandite par actions) en fonction des disponibilités de son acquéreur. Ce dernier empruntera, en quelque sorte, de l’argent à son vendeur, qui restera encore un peu dans la société, associé pour le plus grand bénéfice de tous.

Si l’on ne recourt pas plus à cette forme sociale, c’est certainement pour des raisons tenant au fait que nous, professeurs de droit des sociétés, nous n’avons pas suffisamment parlé de la société en commandite à nos étudiants. Certains de mes collègues ont même dit dans leurs cours, et écrit, dans leurs articles, que la société en commandite n’avait aucun intérêt et était une forme surannée.

(50) Les derniers en date étant l’Espagne et l’Italie. (51) Dans l’Acte Uniforme sur les sociétés, entré en vigueur le 1er janvier 1998. (52) Voir nos articles : La modernisation du droit des sociétés commerciales - Une reconception du droit des sociétés

commerciales, D. 1996, Chronique, p. 287 sq. La contractualisation de la société anonyme fermée, Gazette du Palais, numéro spécial, 9-10 oct. 1998, n° 282, 283, p. 16 sq. Enfin un statut juridique moderne et adapté pour les PME-PMI, in, La modernisation du droit des sociétés, Ed. Joly, 1997, p. 9 sq.

(53) CREDA, La société en commandite entre son passé et son avenir (sous la dir. de A. Viandier), Litec, 1983.

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REGARDS PROSPECTIFS CROISÉS : QUELLES PISTES POUR DE NOUVELLES SOLUTIONS ?

TABLE RONDE animée par le Président Claude Champaud

M. Claude CHAMPAUD.– J’ai beaucoup de plaisir à me retrouver maintenant aux côtés d’un praticien avec lequel j’ai eu, à un moment de ma vie, une grande complicité intellectuelle. Jacques Barthélémy, vous êtes avocat honoraire et ancien membre du Conseil économique et social. C’est important de le préciser, puisque vous avez été, à ce titre, le rapporteur des textes qui ont donné lieu aux améliorations apportées au droit des sociétés par la loi Madelin ( )54 . Et vous allez maintenant nous livrer quelques « réflexions pour une optimisation du tissu des petites entreprises ».

M. Jacques BARTHÉLÉMY, Avocat honoraire, Ancien Membre du Conseil économique et social

1.- Peu important leur taille modeste et leur forme juridique d’exploitation, les TPE et les PE sont des entreprises, c’est-à-dire des entités économiques. Il est d’autant plus indispensable de souligner, les concernant, la nécessaire distinction de l’entreprise et de l’entrepreneur que, contrairement à ce qui vaut pour une unité plus importante, le dirigeant détient la majorité du capital s’il s’agit d’une société, et qu’il a encore plus tendance à s’identifier à l’entreprise s’il exerce à titre personnel. Cette distinction de l’entreprise et de l’entrepreneur s’impose par souci d’efficacité économique, notamment par souci de pérennisation de l’entreprise. Elle devient encore plus impérieuse si l’on prend en considération que c’est ce tissu là d’entreprises qui est le plus vecteur d’emplois. L’entreprise, y compris la TPE, a donc une mission d’intérêt général, matérialisée par la création de richesses, alors que la finalité de l’activité de l’entrepreneur, personne physique ou personne morale, est le profit.

Ce premier constat invite fortement la doctrine à investir l’idée de personnalisation juridique de l’entreprise. Cette recherche s’impose d’autant plus que s’appuyer, pour donner de la consistance juridique à l’entreprise, sur la société présente deux inconvénients majeurs : celui d’abord de nier la qualité d’entreprise à celle exploitée en nom personnel ; c’est du reste ce que propose le droit fiscal en considérant que s’applique le droit des particuliers. Celui, ensuite, de limiter l’univers de l’entreprise à celui des porteurs de parts sociales lorsqu’est constituée une société, alors qu’il ne s’agit que d’intérêts catégoriels devant se conjuguer, pour définir l’intérêt de l’entreprise, avec d’autres intérêts catégoriels, au premier rang desquels ceux de la collectivité du personnel. Cette dernière devrait du reste aussi être une personne morale, d’autant qu’elle revendique aussi d’être l’entreprise. La personnalisation du comité d’entreprise par la jurisprudence est à cet égard une fiction juridique. Pour admettre que cette institution représentative du personnel est une personne morale, la Cour de cassation s’est en effet appuyée sur l’existence d’intérêts propres à la collectivité, distincts de la somme des intérêts particuliers de ses membres, et d’organes pour exprimer ces intérêts. En bonne logique, cette démonstration eut dû conduire à reconnaître la

(54) J. Barthélémy, L’entreprise individuelle, Rapport présenté devant le Conseil économique et social, CES, Rapport

n° 4118, 27-28 avr. 1993.

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personnalité civile de la collectivité du personnel et non celle du comité d’entreprise qui n’en est, légalement du reste, que l’organe d’expression collective.

Au demeurant, on peut tirer des termes de la loi du 1er mars 1984 et de celle du 25 janvier 1985 une amorce de reconnaissance de la personnalité civile tant de l’entreprise que de la collectivité du personnel. Ceci en raison d’objectifs, tels l’emploi, qui dépassent les intérêts des actionnaires (et conduisent même parfois à les sacrifier) mais aussi de moyens (tels le représentant des salariés ou la présence du comité à l’instance judiciaire) qui contribuent à donner à ces groupements une réelle consistance juridique.

Ces réflexions préliminaires doivent conduire les dirigeants de ces PE et TPE à conduire les affaires de l’entreprise autrement que par l’exercice d’un pouvoir souverain. Non seulement la concertation contribue à l’efficacité du management en permettant d’affirmer les projets grâce à une analyse plus complète et plus objective de la situation, mais encore le pouvoir de direction n’est justifié que par l’intérêt de l’entreprise. Or celui-ci se nourrit essentiellement de compatibilités, voire de compromis, entre intérêts catégoriels des collectivités des détenteurs des moyens de production et de ceux qui leur louent leur force de travail. Il n’est pas inutile de souligner, ce dont les dirigeants des PME n’ont aucune conscience, que le droit du travail a tendance à devenir – notamment grâce à l’introduction, dans le droit légal et du fait de la jurisprudence, du principe de la proportionnalité – un droit de l’équilibre entre les intérêts des employeurs et ceux des salariés.

Le management des hommes doit d’autant moins se construire sur le caractère souverain du pouvoir du dirigeant que l’argument généralement employé pour le justifier, à savoir la responsabilité exclusive en matière économique, est dénué de tout fondement : en cas de nécessité économique de l’entreprise, les salariés perdent leur emploi donc leurs revenus. Les indemnités chômage ne doivent pas servir d’alibi, d’autant que leur taux est inférieur au salaire et que leur durée de versement est limitée.

2.- Distinguer la PE de l’entreprise moyenne et de la grande entreprise par le seul critère des effectifs n’a aucun sens. D’une part, pour un chiffre d’affaires identique, le nombre des salariés est plus faible dans les commerces que dans les industries. Au demeurant, pour définir l’activité principale en matière de droit des conventions collectives, on utilise le critère « effectifs » pour l’industrie et le critère « chiffre d’affaires » pour les commerces. D’autre part, si l’on comptabilise les effectifs par structures juridiques distinctes, on arrive à l’absurde, car cela conduira à qualifier de PME une société ayant des effectifs modestes, même si elle est filiale d’un grand groupe. Si effectifs et chiffre d’affaires sont des indices, ils ne peuvent donc être déterminants, ceci d’autant que, si l’entreprise est une entité économique, elle a besoin du droit pour fonctionner.

Dès lors pour procéder aux classifications, le mode d’organisation du pouvoir est essentiel. Certes, il résulte du système de démocratie interne dont s’est dotée la collectivité des détenteurs du capital. Mais, au-delà, c’est le comportement du dirigeant qui est déterminant. En fait, il y a là un élément culturel que l’on ne saurait négliger sans provoquer une dérive technocratique dans l’analyse juridique des situations. C’est donc d’esprit d’entreprise que doit se nourrir, notamment, la distinction, tant il est vrai que les mandataires sociaux dans les grands groupes ne peuvent pas réagir de la même manière que le patron de TPE : malgré le principe de révocabilité ad nutum, ils bénéficient toujours du filet protecteur du droit du travail, ne serait-ce qu’en raison de la règle jurisprudentielle de suspension du contrat de travail

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pendant l’exécution du mandat qui permet de dépasser, au plan de la protection, la construction d’un cumul du contrat et de mandat, du reste souvent sujet à discussion.

La spécificité de la PME est susceptible de naître d’un autre constat. Malgré l’absence de subordination juridique de principe du travailleur indépendant (sauf fraude à la loi justifiant la requalification en contrat de travail), et malgré la constitution éventuelle d’une personne morale, la relation de la TPE, voire de la PE, avec ses partenaires commerciaux n’est souvent pas équilibrée en raison d’un état de dépendance économique. C’est le cas du fournisseur de la grande distribution ou du sous-traitant de la grande industrie, c’est-à-dire d’un nombre considérable de PME. Il y a même un paradoxe à constater que, tandis que l’autonomie s’installe dans la sphère du contrat de travail en raison des mutations générées par le progrès des techniques de l’information et de la communication, s’implante sournoisement la subordination dans la sphère du contrat de prestation de services : le franchisé, la sous-traitance, les réseaux en sont la manifestation la plus visible.

Pour faire face à cette situation marquée par l’asymétrie dans les rapports contractuels, on emploie des outils dérisoires dont le plus homéopathique est la recherche de codes de bonne conduite laissée à l’initiative individuelle des belligérants : les circulaires de la direction des prix et de la concurrence sont un emplâtre sur une jambe de bois ! Ce qu’il faut, c’est, en se référant au concept de para subordination, inventer des instruments empruntés aux droits collectifs des travailleurs salariés mais adaptés à un déséquilibre contractuel de nature et d’amplitude différentes. L’autonomie du droit du travail repose sur la qualité de « mineur social » du salarié, ce qui limite son ambition à seulement corriger les effets de sa subordination. Pour le « para subordonné », l’équilibre contractuel est susceptible d’être rétabli pour peu qu’on rende substantielles les procédures de conclusion, de révision, de rupture de la relation. La convention collective pourrait y contribuer, à condition que soient adoptées des règles propres à ce type de produits, visant à résoudre les délicates questions de l’application ergonomiques du contrat collectif et de la légitimité de ses négociateurs. Ce n’est pas impossible, surtout si l’on prend en considération que le droit actuel des conventions collectives de travail est le fruit d’une lente maturation d’un concept qui, à l’origine, puisait sa force dans le seul droit civil, dans la théorie des obligations.

La CGPME pourrait alors trouver matière, dans ce qui précède, à se doter d’une légitimité particulière, d’autant que le MEDEF peut aussi revendiquer de représenter les PME eu égard au nombre de petites entreprises qui en sont adhérentes. Comme la Fédération des agents généraux d’assurance, qui a négocié le statut de ses adhérents par le biais d’une authentique convention collective avec la Fédération des sociétés d’assurance – ce qui n’est pas incompatible avec le fait qu’elle négocie par ailleurs avec les syndicats de salariés le statut des personnels des agences –, la CGPME pourrait négocier les accords intéressant les PME en état de dépendance économique avec de grandes entreprises. L’exemple des agents d’assurances est topique : ce sont des professionnels libéraux, et leurs agences, des entreprises. Mais leur indépendance n’exclut pas leur dépendance économique, née d’un mandat, souvent exclusif, avec une compagnie.

Il faut alors souligner l’initiative prise par la CFDT-Cadres de créer une structure pour les « entrepreneurs en solo », c’est-à-dire n’ayant pas de salarié, qui se développent surtout dans le tertiaire bis, à savoir les activités libérales non réglementées (consulting, formation…). Le raisonnement suivi par cette organisation syndicale de salariés a été celui développé ci-

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dessus : le déséquilibre contractuel né de la dépendance économique justifie une protection, mais pas celle du droit du travail qui repose sur la subordination juridique.

3.- Le choix de la structure juridique d’exploitation est trop souvent dicté, dans les PME, par le statut social et fiscal du dirigeant. Cette situation est anormale. Ce qui doit dicter le recours à la technique sociétaire, c’est l’existence ou non d’associés réels, la taille de l’entreprise, sa structure mono ou pluri établissements, le niveau des investissements nécessaires, etc. Il faut d’autant plus militer pour l’harmonisation, tant fiscale que sociale, entre travailleurs salariés et non salariés, que ce différentiel incite à la constitution de sociétés fictives au sein desquelles, malgré l’apparence, il n’y a qu’un seul associé, les autres étant des prête-noms. C’est d’autant plus choquant que cela dérive sur des faux en écritures privées dont n’ont pas conscience les dirigeants : non seulement les parts sont cédées en blanc le jour de la constitution de la société, mais encore, les procès-verbaux de conseils et d’assemblées sont bâtis formellement, sans que les réunions aient lieu. Sans que cela émeuve quiconque, au point que ces documents – considérés comme l’expression du formalisme par ces patrons de PME – sont entièrement informatisés sur la base de modèles que l’on reproduit en complétant simplement les blancs concernant les chiffres. De ce fait, puisqu’il n’y a pas de réelle démocratie interne à la société en raison de la réalité, qui est celle d’un patron unique, tout cet arsenal n’a d’autre effet que d’alourdir de complexité la gestion de l’entreprise.

Sous cet angle, doit être signalé le dispositif de la Loi Madelin du 11 février 1994 qui a exporté, au bénéfice des travailleurs non salariés, le principe de neutralité fiscale sous plafond des contributions destinées à financer les prestations complémentaires de retraite, de prévoyance et même de chômage. Cette règle, le Conseil économique et social l’avait requise dans son avis des 27 et 28 avril 1993 relatif à l’initiative et à l’entreprise individuelle. Ce dispositif est d’autant plus efficace que, d’un côté, l’harmonisation sociale est effective s’agissant des régimes légaux de retraite (sauf pour les professions libérales) et de maladie ; de l’autre, le rendement des régimes complémentaires obligatoires des salariés, principalement celui des cadres a fortement baissé en 2002. Or, on constituait fréquemment une société pour permettre au dirigeant de relever de ce régime. Il est vraisemblable que, aujourd’hui, nombre de mandataires sociaux de PME ont intérêt à relever du régime des non-salariés, qui coûte moins cher, et à s’affilier à un groupement Madelin, authentique préfiguration de ce que sont les fonds de pension. Si, dans certains d’entre eux, l’anti-sélection pour raison médicale est pratiquée, c’est au mépris de l’économie de ce dispositif, et c’est sans doute parce qu’a été créée, par l’industriel de l’assurance fournissant ces produits, une association « faux nez ». L’esprit, sinon la lettre, des textes, c’est la création d’une personne morale rassemblant les adhérents et négociant ensuite avec l’industriel le ou les contrats correspondant à leurs besoins. De tels groupements existent. Ils ne pratiquent pas l’antisélection car ils s’inscrivent bien dans la logique de garanties collectives obligatoires, qui est celle des systèmes en vigueur pour les salariés.

C’est en fonction de ce qui précède qu’est scandaleuse la solution retenue par le Parlement concernant le statut social des dirigeants de SAS. Est contraire à l’économie du concept le fait qu’ils relèvent tous du régime général de sécurité sociale. Puisqu’ici l’organisation du pouvoir est définie, non pas par la loi mais par le pacte statutaire, il eût fallu organiser une différence suivant que le dirigeant se trouve ou non en état de subordination juridique. C’était d’autant plus impératif que la Cour de cassation, depuis un arrêt de principe du 16 novembre 1996, définit de façon identique la subordination, donc le salarié, en matière de droit du travail et de droit de la Sécurité sociale.

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Le choix de faire relever « des patrons » du régime général de sécurité sociale n’est plus celui de rechercher une meilleure protection sociale puisque l’harmonisation est la règle. Il est alors d’autant plus critiquable qu’il est celui d’opter pour l’adhésion à un régime cogéré par les syndicats d’employeurs et de salariés alors que les régimes des « non-non » ne le sont que par les syndicats d’employeurs. Ce paritarisme n’a de sens que si les régimes de sécurité sociale sont professionnels, et il n’a de pertinence que pour gérer les régimes des salariés. Cela est du reste la raison de son appauvrissement, matérialisé, après la loi Juppé, par l’introduction de personnalités qualifiées dans les conseils des caisses, par la soumission de celles-ci à l’autorité des établissements publics administratifs, comme du reste par la fiscalisation partielle (la CSG) du mode de financement des prestations. Cette évolution est inévitable en raison à la fois de l’importance du budget social de la Nation et de l’extension de la protection sociale des seuls travailleurs aux citoyens (notamment par la CMU). Dans l’attente du régime unique pour tous les citoyens, les patrons des PME doivent, contrairement aux cadres supérieurs dirigeant les grandes entreprises, relever de régimes autogérés par leurs seuls représentants.

4.- La nécessité de séparer entreprise et entrepreneur est encore plus grande dans la perspective de la transmission. C’est, quel que soit l’arsenal juridique et financier déployé, en raison du comportement du patron qui ne fait pas cette différence que les décisions utiles à la pérennisation de l’entreprise ne sont pas prises avant qu’il ne soit trop tard. Dans cette perspective, il est important de souligner que la participation – et à un degré moindre le couple intéressement / plan d’épargne – peut contribuer à la matérialisation de cette dissociation. En outre, en raison du blocage de la réserve pendant quelques années et de la provision pour investissement prévue lorsque l’accord est dérogatoire ou facultatif (ce qui est le cas lorsque l’entreprise a moins de 50 salariés), le haut de bilan est nettement amélioré, ce qui contribue à la pérennisation de l’entreprise. Enfin, le contrat de participation, comme celui d’intéressement, est vecteur de transparence. Il est donc facteur d’amélioration du climat social, qui est un ratio économique. Cette question est d’autant plus importante que nombre de salariés choisissent les grandes entreprises en raison du différentiel du statut et peu important le caractère plus familial des relations dans la PME.

Or, rien n’interdit que soient mises en place des rémunérations différées dans les PME : exonération de charges, voire d’impôt sur le revenu, provisions pour investissements et caractère aléatoire des avantages permettent d’assurer l’adéquation entre faire profiter le personnel des résultats économiques favorables et ne pas subir les effets des taux élevés des prélèvements obligatoires et de la rigidité du droit du travail.

Dans le même esprit, épargne salariale et parcours cible de formation peuvent contribuer à la construction d’une solution fiable en matière de transmission. Tout au plus serait-il alors nécessaire de prévoir la déductibilité des revenus de l’exploitation des primes versées à un contrat d’assurances permettant au dirigeant de se constituer une retraite supplémentaire dont le capital constitutif de la rente viendrait alors en diminution du prix de vente dû par le successeur formé durant les 10 années précédant la transmission.

La cohérence d’ensemble de toutes ces propositions dont dépend leur efficacité et la sécurité juridique de chacune repose sur la nécessaire distinction, quelle que soit la forme juridique d’exploitation, de l’entreprise et de l’entrepreneur. L’approche organisationnelle du droit y invite fortement.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

M. Claude CHAMPAUD.– Je vous remercie. Je vais maintenant passer la parole à Monsieur Alain Benon, qui est directeur général de la Banque de développement des PME. On connaît le rôle que joue la BDPME, notamment dans les régions.

M. Alain BENON, Directeur général de la Banque de développement des PME

Merci Monsieur le Président.

Le sujet est très vaste. Je voudrais donc le cibler sur la problématique du risque puisque nous avons parlé, tout à l’heure, du risque auquel s’exposent les dirigeants en fonction de la forme sociale qu’ils choisissent.

Nous, banquiers, sommes au cœur du risque : un banquier qui analyse un projet dans sa complexité, dans ses aléas et qui décide soit de le financer directement, soit de le garantir vis-à-vis d’un autre établissement bancaire, prend une décision d’engagement qui va trouver sa sanction soit dans la consommation de ses fonds propres, soit dans la consommation des fonds publics qui lui sont confiés (alloués par l’État, par l’Union européenne, ou, de plus en plus, par les collectivités territoriales).

Pour autant, il ne faut pas surévaluer – on le fait souvent en France – la question du financement dans les obstacles à la création et au développement des TPE-PME. Le système bancaire français est très diversifié. Certains établissement de crédit, en particulier les mutualistes, sont fortement implantés localement, et ont une tradition, des équipes, un know-how vis-à-vis de cette clientèle. Cette dernière, plus ou moins assimilée aux particuliers parce qu’il y a une relative confusion entre les patrimoines et l’activité professionnelle, bénéficie d’une offre bancaire, d’un tissu de relations et d’un suivi qui fonctionnent, même si le paysage doit être nuancé selon les établissements de crédit. Il est vrai, néanmoins, que la tradition du système bancaire français est plutôt une tradition de financement à court terme et non de financement de projet structurant à moyen et long terme engendrant des modifications d’équilibre financier ; projets qui, d’ailleurs, peuvent parfois présenter des risques pour les PME. Ne surestimons donc pas les problèmes liés au financement : notre système bancaire fonctionne, l’offre de financement existe, et il y a désormais des spécialistes du financement de la PME et de la TPE. Notre rôle à nous, BDPME, est de les conforter avec nos instruments propres.

Mais il est vrai que l’offre est peut-être un peu difficile à mobiliser. Il reste que le problème fondamental est d’ordre culturel. Quel est le rapport risque/récompense attaché à l’acte d’entreprendre dans une société et donc à la prise de risque ? Quelle place relative est faite au statut de l’entrepreneur par rapport aux autres statuts ? Nous touchons là, vraiment, les raisons qui expliquent qu’une société soit plus ou moins entrepreneuriale à un moment ou à un autre.

Pour ce qui est de notre rôle, nous intervenons auprès de 52 000 entreprises par an, à travers les deux instruments que j’ai indiqués, soit en garantissant les banques qui financent des PME lorsque les projets ont un profil de risque particulier, soit en intervenant directement en financement aux côtés des banques. Il s’agit donc toujours d’appliquer la technique du partage du risque. Ceci permet d’avoir un effet de levier sur le système bancaire qui, sans cette garantie ou ce partage de risque, n’interviendrait pas, ou n’interviendrait pas dans les mêmes proportions.

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En fait, l’évolution à laquelle nous assistons conduit à une sorte de mutualisation du risque. Nous intervenons dans le cadre d’une politique qui vise à favoriser l’initiative économique et le développement des projets par une réduction du risque de la banque qui, elle-même, pourra accepter des garanties moindres de l’entrepreneur.

Je rappelle que notre filiale SOFARIS, à sa création en 1982, exigeait déjà d’une banque qui voulait bénéficier de ses interventions, qu’elle ne prenne pas de garantie sur la résidence principale de l’emprunteur et qu’elle limite les cautions personnelles demandées au débiteur. Nous avons été précurseurs dans ce domaine, et les questions sur la dissociation du patrimoine, nous y avions déjà répondu, à l’époque, à travers cette mesure bien connue, qui fonctionne de façon satisfaisante. Aujourd’hui, la problématique est la même : pour développer la prise de risque au niveau individuel, il faut la mutualiser au niveau du système financier et des partenaires publics ; simplement, la raréfaction de la ressource publique nous impose de mener une telle politique en la ciblant davantage.

La cible que nous privilégions, ce sont les créations, les transmissions, l’accompagnement des jeunes entreprises ainsi que les opérations d’investissement ou de croissance qui présentent un profil de risque élevé.

On a parlé de la TPE, tout à l’heure, en disant qu’elle était relativement oubliée ; mais c’est vrai que, numériquement, c’est elle qui compte en réalité. Les chiffres sont écrasants.

Et c’est vers elle que nous portons, en bonne part, nos efforts et nos ressources, grâce aux mécanismes que j’ai décris. Le fait de transiter par les banques est quand même vertueux parce qu’il est bon de maintenir un mécanisme de marché qui aboutit, a priori, à une sélection des bons projets. Il ne s’agit pas de rendre éligibles tous les projets, sinon nous serions vraiment dans un système de dumping de financement qui aurait des effets pervers en solvabilisant des projets qui ne devraient pas l’être. Tous les projets ne sont pas bons à prendre, je crois qu’il faut quand même le souligner.

Voilà pourquoi, aujourd’hui, notre positionnement est assez largement orienté vers ce segment des TPE, à travers la mutualisation des risques qui leur permet d’accéder plus largement aux sources de financement externes.

M. Claude CHAMPAUD.– Je vous remercie. Je voudrais simplement ajouter, après ce que vient de dire Monsieur Benon, que les dispositions de la nouvelle loi (Dutreil) sont quand même de valeur inégale, car celles qui consistent à supprimer l’obligation d’apporter un capital social ne me paraissent pas particulièrement opportunes.

Je vais maintenant donner la parole à Madame Bieto, qui est Professeur à l’ESADE de Barcelone. Mon premier voyage en tant que Directeur de l’IAE de Rennes a été pour votre école, Madame, car nous faisions partie du même réseau. J’ai donc beaucoup de plaisir à retrouver ici un représentant de cette grande école de management.

Mme Eugènia BIETO CAUBET, Professeur à l'ESADE (Escuela Superior de Administración y Dirección de Empresa - Barcelone), Directeur du Centre d'études entrepreneuriales

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs

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En tout premier lieu je voudrais remercier la Chambre de commerce et d’industrie de Paris et le Centre de recherche sur le droit des affaires qui m’ont invitée à participer à ce débat sur l’avenir des petites et moyennes entreprises.

Je vais tout d’abord donner un aperçu général de la situation des petites et moyennes entreprises en Espagne, et j’aborderai ensuite la question qui est sans doute à la base de la construction d’un tissu économique solide et compétitif : comment stimuler l’esprit d’entreprise et comment aider les entrepreneurs ?

I – La situation des PME en Espagne

L’Espagne est un pays de petites et moyennes entreprises qui ont à peu près la même importance relative que dans le reste des pays de l’Europe.

En Espagne il y a 2 518 801 entreprises. Plus de la moitié sont des sociétés n’employant aucun salarié et 95,24 % ont moins de 10 salariés (tableau 1).

Tableau 1 Proportion des entreprises espagnoles selon le nombre de salariés employés

Nombre de salariés Nombre d’entreprises %

0 1 388 116 55,11 de 1 à 9 985 619 39,13 de 10 à 49 125 062 4,97 de 50 à 249 17 178 0,68 plus de 250 2 826 0,11

Si on les compare au reste des petites entreprises européennes (tableau 2), on peut conclure qu’elles sont aussi importantes en nombre, mais que leur part dans le chiffre d’affaires global est moindre. Aussi, selon plusieurs recherches, les petites et moyennes entreprises espagnoles ont une position compétitive et une présence sur les marchés extérieurs plus faibles que leurs voisines européennes.

Tableau 2 Les PME espagnoles et les PME européennes

Espagne Union Européenne % PME / total d’entreprises 99,8 % 99,8 % % micro entreprises (<10 salariés)/total

95 % 93 %

% ventes / total 64 % 70 % % emploi / total 70 % 66 % % exportations/ total 44 % 61 %

En Espagne, les régions où la concentration d’entreprises est la plus forte sont la Catalogne, l’Andalousie, Madrid, la Comunitat Valenciana, régions où l’esprit d’entreprise est historiquement très marqué (spécialement dans le cas de la Catalogne). Des politiques régionales portant sur le développement des infrastructures et l’aide directe aux entreprises

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sous forme de subventions ont fait que ces régions ont connu un développement important en matière de création d’entreprises et de nouveaux investissements. La Comunitat Valenciana est une des régions les plus dynamiques de ces dernières années.

Quant à la répartition sectorielle, 80 % des entreprises appartiennent aux secteurs des services et du commerce, 11 % au BTP et 9 % au secteur de l’industrie, chiffres très semblables à ceux des pays développés. Le secteur du tourisme est un des secteurs les plus créateurs de richesses et d’emplois.

Afin de centraliser les actions pour aider les PME, et suivant les recommandations de la Charte européenne de la petite entreprise, le Ministère de l’Économie a créé, en 1996, la Direction Générale de Politique de la PME, qui a défini cinq grands objectifs :

– encourager la croissance et la compétitivité des petites et moyennes entreprises dans une économie globalisée et basée sur la connaissance,

– encourager l’esprit d’entreprise, – simplifier et améliorer le cadre administratif et régulateur de façon à stimuler la

recherche, l’innovation et la création d’entreprises, – améliorer le contexte financier pour les PME, – faciliter l’accès aux services d’appui et aux réseaux.

Les fonds publics européens sont directement gérés par les différentes administrations publiques espagnoles (les administrations centrales et autonomes ainsi que les municipalités) qui, dans le cadre de ces cinq objectifs, ont articulé des programmes spécifiques dont sont bénéficiaires les entreprises de chaque région.

À la fin de l’année 2002, et avec la participation active des différentes administrations publiques et acteurs de la scène économique (organisations patronales, syndicats, écoles de management), le gouvernement espagnol a approuvé la loi sur la petite et moyenne entreprise et l’entrepreneur. Cette loi contient différentes mesures destinées à créer un contexte favorable à la création et au développement de ces entreprises.

II - Comment stimuler l’esprit d’entreprise ?

Le souci de stimuler l’esprit d’entreprise est présent un peu partout, mais spécialement en Europe où une certaine aversion pour le risque fait que les Européens en général sont peu entrepreneurs.

Selon l’enquête annuelle du GEM ( )55 (Global Entrepreneurship Monitor) sur l’activité entrepreneuriale au niveau mondial, l’Espagne se trouvait en 2002 à la 24e place sur 37 pays, la Thaïlande étant le pays le plus entrepreneur et le Japon, le moins entrepreneur. Au niveau européen (tableau 3), les pays les plus entrepreneurs étaient l’Islande, l’Irlande et la Norvège.

(55) Le GEM est un observatoire créé par Babson College, la London Business School et la Fondation Kauffman.

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Tableau 3 Activité entrepreneuriale en Europe

Classement Pays TEA ( )56

1 Islande 11.3 2 Irlande 9.14 3 Norvège 8.69 4 Suisse 7.61 5 Israël 7.06 6 Hongrie 6.64 7 Danemark 6.53 8 Italie 5.90 9 Royaume Uni 5.37 10 Allemagne 5.16 11 Espagne 4.62 12 Hollande 4.59 13 Finlande 4.56 14 Pologne 4.44 15 Suède 4.00 16 France 3.20 17 Belgique 2.99 Thaïlande 18.9 Inde 17.88 États-Unis 10.51 Japon 1.8 Moyenne mondiale 8.0

Deux grands groupes de pays entrepreneurs se distinguent dans la liste des 37 pays de l’enquête :

– Les pays riches, parmi lesquels se trouvent les États-Unis. Dans ces pays, la raison pour laquelle les gens décident de devenir entrepreneurs est surtout liée à une opportunité de marché. Un désir d’indépendance et certains traits psychologiques sont aussi à l’origine de cette décision. En fait, selon la recherche du GEM, les 2/3 des entreprises qui se créent dans le monde appartiennent à ce groupe.

– Les pays émergents, comme le Brésil, la Thaïlande, l’Inde : dans ce cas, ce sont surtout des raisons de nécessité qui poussent les individus à créer des petites entreprises ; la moitié des nouvelles créations s’explique par cette nécessité de survivre. C’est dans ce cadre que se sont créés les programmes tels que les micro-crédits, qui prêtent de faibles sommes d’argent, à intérêt nul parfois, aux entrepreneurs. Dans les pays développés, certains groupes marginalisés (femmes, minorités, etc.) se trouvent aussi dans cette catégorie.

(56) TEA : % personnes impliquées dans une start-up ou propriétaires d’une entreprise âgée de moins de 42 mois.

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En Europe, le taux moyen des 17 pays objet de l’enquête est de 5,99 %, bien en-dessous de la moyenne mondiale, ce qui explique que le débat sur l’encouragement de l’esprit d’entreprise occupe une place centrale parmi les préoccupations des dirigeants politiques et des responsables économiques européens.

Le problème doit pourtant, à mon avis, être abordé à trois niveaux différents : la société, l’individu, l’entreprise,

A) Au niveau de la société, on peut affirmer qu’une culture qui n’applaudit pas les succès et ne tolère pas les échecs ferme les portes aux personnes qui, après avoir risqué leur argent, et parfois celui de leur famille, pour créer une entreprise, échouent pour des raisons plus ou moins prévisibles (la moitié des entreprises qui se créent disparaissent avant 5 ans). Une culture favorable à l’esprit d’entreprise doit considérer les erreurs comme une opportunité pour apprendre. Les entrepreneurs doivent pouvoir d’ailleurs devenir des modèles à imiter : leurs réussites, et non pas seulement leurs échecs, doivent être davantage médiatisés.

B) Les mesures qui visent l’individu relèvent fondamentalement de la formation. Créer et gérer une entreprise est une profession qui peut et doit s’apprendre comme n’importe quelle autre profession, à travers une formation qui fournisse les connaissances et les outils nécessaires et permette de développer les compétences indispensables pour le succès et la survie de l’entreprise au-delà de la période difficile des 5 premières années. Dans un avenir proche, les tendances, qui vont sans doute se confirmer en Europe en matière de formation, sont celles qui ont aidé les pays les plus entrepreneurs. Elles reposent sur les principes suivants :

– La formation d’entrepreneurs doit être intégrée à tous les niveaux éducatifs, de l’école secondaire à l’université et à la formation professionnelle, et dans toutes les branches, spécialement dans les domaines techniques qui représentent souvent une source importante de nouveaux projets technologiques et innovants.

– Elle doit utiliser des méthodologies orientées vers le travail en équipes multidisciplinaires et la construction de réseaux.

– Elle doit impliquer de vrais entrepreneurs qui transmettent leur expérience aux élèves. – Elle doit transmettre les valeurs qui sont à la base de la responsabilité sociale pour

construire des entreprises citoyennes, fortement impliquées dans le développement économique, humain et social.

– Les écoles et facultés de management doivent créer de forts départements d’entrepreneurship. À titre d’exemple, la promotion de la culture entrepreneuriale est dans la mission même de l’ESADE ; plus de 500 élèves suivent nos cours de création d’entreprise et sont impliqués dans le développement de 150 projets d’entreprise. Actuellement, les élèves qui finissent leur cursus et les MBA décident de plus en plus de créer leurs propres entreprises au lieu de chercher à occuper des postes de direction dans des grandes entreprises ou dans l’administration publique (l’esprit « fonctionnaire » n’est presque plus présent chez nos élèves).

Finalement, il faut tenir compte du fait que l’esprit d’entreprise est indispensable pour gérer aujourd’hui les entreprises. La capacité d’innovation et de renouvellement des entreprises est souvent une condition de réussite dans le contexte concurrentiel actuel.

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C) Le troisième ensemble de mesures doit avoir pour objectif l’entreprise même. Il s’agit ici d’améliorer l’environnement des entreprises de façon à faciliter non seulement la création de nouvelles entreprises grâce à des mesures de simplification administrative ou des avantages fiscaux, mais aussi le rapide développement de petites entreprises pour qu’elles puissent atteindre la taille nécessaire pour accéder à des marchés complexes. Plus concrètement, les petites et moyennes entreprises ont besoin d’un contexte qui facilite l’accès au financement, l’accès à l’information et aux réseaux, les pratiques et l’esprit d’innovation et l’internationalisme.

1. L’accès au financement : les nouvelles entreprises souffrent traditionnellement d’une plus grande difficulté pour accéder au financement extérieur, pour des investissements à long terme comme pour leurs besoins en trésorerie. L’accès au financement pour les nouvelles entreprises innovantes doit s’appuyer sur des instruments différents ; par conséquent, il serait souhaitable de :

– Augmenter les fonds totaux de capital-risque, spécialement le seed capital, destiné aux premières étapes de la vie de l’entreprise. L’insuffisance actuelle du capital-risque se reflète dans les chiffres suivants : les fonds de capital-risque en Espagne représentent 0,18 % du Produit Intérieur Brut (Europe : 0,25 % ; France : 0,22 % ; Angleterre : 0,65 % ; Suède : 0,87 %).

– Faciliter l’entrée en Bourse des entreprises qui ont atteint une certaine taille. En Espagne, l’entrée en Bourse est réservée, en pratique, aux très grandes entreprises.

– Encourager les réseaux de business angels pour financer la première phase des entreprises ; il faut aussi éduquer les entrepreneurs à accepter des investisseurs extérieurs s’ils veulent voir grandir leur entreprise.

– Établir des lignes de financement bancaire plus flexibles quant aux critères d’octroi et aux garanties (en Espagne, l’Institut de Crédit Officiel a établi depuis plusieurs années une ligne spéciale de crédits à un taux d’intérêt plus bas : ICO-Pymes).

2. L’accès à l’information et aux réseaux est un élément clé pour la compétitivité des entreprises dans un monde globalisé. La difficulté pour les petites et moyennes entreprises d’accéder à ces réseaux d’information et de coopération est d’autant plus grande que l’entreprise est petite. L’administration publique et les diverses institutions et associations privées et publiques doivent jouer un rôle central. Aussi, l’adoption des nouvelles technologies, particulièrement Internet, est un point essentiel qui doit pouvoir contribuer à ce que les petites entreprises soient réellement présentes sur les marchés internationaux, non seulement pour vendre, mais aussi pour trouver des partenaires, des fournisseurs et des investisseurs.

3. Les pratiques et l’esprit d’innovation, à travers les développements technologiques, la gestion de la qualité ou les nouvelles formes d’organisation. Les incitations fiscales pour que les petites entreprises dédient une partie de leur budget à la recherche et au développement, de même que la diffusion d’une culture entrepreneuriale dans l’entreprise, sont quelques-unes des mesures qui peuvent encourager l’innovation.

4. L’internationalisation : les petites et moyennes entreprises espagnoles ont traditionnellement des difficultés pour conquérir des marchés extérieurs pour des raisons tenant à la mauvaise maîtrise des langues étrangères et à des lois protectionnistes. Ces dernières années, l’effort des entreprises espagnoles pour s’internationaliser a donné de très bons résultats. L’Administration publique a établi différents instruments d’aide.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

Conclusion

J’ai essayé de décrire la situation de l’Espagne et, plus particulièrement, de la Catalogne, en matière d’esprit d’entreprise. Bien que nos petites et moyennes entreprises soient encore loin d’atteindre les niveaux de compétitivité souhaitables, différentes actions publiques et privées permettent d’entrevoir un futur où l’esprit d’entreprise sera de plus en plus important. La conjonction d’actions à court terme (subventions, création de capital-risque, bureaux d’information et conseil) et d’actions à long terme (formation de base et introduction des valeurs de l’esprit d’entreprise dans la Société) permet de penser que, à l’avenir, entreprendre sera une option choisie par un grand nombre de personnes.

M. Claude CHAMPAUD.– Je vous remercie. Je vais maintenant demander à Monsieur l’avocat général Lafortune de bien vouloir prendre la parole. Il a été le rédacteur des textes qui ont complètement bouleversé le droit des sociétés. J’estime que depuis le 11 juillet 1985, tout débat sur la nature contractuelle ou institutionnelle de la société relève de l’histoire du droit et non du droit actuel. Vous n’étiez pas forcément partisan de la société, Monsieur, mais je crois que votre ministre, assez justement, a estimé que nous n’étions pas encore mûrs pour le patrimoine d’affectation et que tout ce qui aurait pu aller dans le sens de l’introduction de la fiducie en France aurait été susceptible d’engendrer un tremblement de terre, limité géographiquement, mais de grande ampleur, et que nous ne pouvions pas faire injure à Aubry et Rau, ces deux grands juristes républicains qui ont réconcilié la République avec la Société.

M. Maurice-Antoine LAFORTUNE, Avocat général à la Cour de cassation, Chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université Paris V

À l’occasion de ses derniers travaux sur l’EURL, le Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CREDA) a fourni des statistiques, notamment de l’année 2002, sur le nombre d’entreprises en France selon leur forme juridique ( )57 . Elles sont significatives :

– 1 944 947 entreprises individuelles, soit 51,6 % du nombre total des entreprises commerciales, artisanales, libérales y compris les officiers publics et ministériels et les agents commerciaux,

– 805 282 SARL pluripersonnelles, soit 21,4 % du total des entreprises – 87 457 EURL (associé unique personne physique ou personne morale),

soit 2,3 % du total des entreprises – 149 650 SA, soit 4 % du total – 27 437 SAS, soit 0,7 % du total (dont 1492 SASU, soit 0,04 % du nombre

total des entreprises), – 31 679 SNC, soit 0,8 % du total – 1 882 sociétés en commandite et sociétés coopératives, soit 0,05 % du

total.

(57) V. CREDA, L’EURL - Droit, pratique et perspectives (sous la dir. de Y. Chaput et A. Lévi), Litec, 2003, p. 94.

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Le CREDA constate également, à cette occasion, que « l’entreprise individuelle n’est pas une forme juridique, mais une absence de forme, au sens propre du mot ; elle est le choix de ceux qui ne choisissent pas ; autrement dit, elle est la "forme" par défaut... » ( )58 .

Cette énonciation vaut pour le passé, le présent et l’avenir de la vie des petites entreprises et singulièrement de celles qui se présentent « sans forme juridique » et qui se classent comme étant «individuelles» parmi les « petites entreprises » (PE).

En l’état de notre droit, il m’apparaît que les solutions novatrices apportées par la loi du 11 juillet 1985 relative au statut juridique de l’EURL ainsi que les textes subséquents concernant la situation sociale et fiscale de l’associé unique, sont des réponses dans une large mesure, au plan théorique et pratique, aux «exigences» du passé et du présent de la vie des petites entreprises. Mais elles peuvent, à mon avis, aussi servir de référence pour examiner des pistes nouvelles susceptibles de répondre aux attentes des entrepreneurs individuels et au développement harmonieux des petites entreprises dans notre économie au seuil du XXIe siècle.

I - L’EURL, comme réponse moderne aux exigences passées et actuelles de la vie des petites entreprises

Pour prendre en compte les demandes et revendications des petits commerçants et artisans, Michel Crépeau, Ministre du Commerce et de l’Artisanat, s’était engagé à élaborer un ou plusieurs projets de loi leur permettant de bénéficier de structures juridiques susceptibles de limiter leur responsabilité aux biens nécessaires à l’exploitation et au développement de leurs entreprises individuelles.

Cette mission de recherche et de réflexion avait été confiée à la Direction de l’artisanat dirigée par M. Jacques Graindorge, qui a bien voulu m’accorder, en tant que magistrat de l’ordre judiciaire mis à sa disposition puis détaché auprès de lui, non seulement les ressources humaines et matérielles mais aussi une confiance totale et une liberté de proposition et d’expression pour réaliser l’objectif défini.

Il est apparu rapidement que, à la préoccupation des artisans, commerçants et membres des professions libérales d’isoler les biens nécessaires à leur activité et de limiter leur responsabilité professionnelle, s’ajoutait une autre revendication, très énergique, qui était celle de vouloir limiter l’étendue des garanties susceptibles d’être prises par leurs créanciers professionnels aux seuls biens affectés à leur activité artisanale, commerciale ou libérale.

A) La solution non retenue du patrimoine d’affectation

C’est d’ailleurs pour tenir compte de cette revendication qu’avaient été réalisés, auparavant, d’importants travaux sur l’organisation d’un « patrimoine d’affectation » susceptible de permettre, par exception ou par dérogation au principe de «l’unité et de l’indivisibilité du patrimoine» comme de la personnalité elle-même, de séparer, à l’intérieur du patrimoine de l’entrepreneur, ses biens personnels de ceux affectés à l’entreprise.

(58) V. CREDA, L’EURL préc., p. 80, n° 152.

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C’est ainsi que les travaux du président Claude Champaud ont abouti, en 1978, à proposer l’institution de l’EPRL (entreprise personnelle à responsabilité limitée) ( )59 . De même, l’étude du CREDA effectuée sous la direction du professeur Alain Sayag ( )60 a conclu, à partir du fonds de commerce, à la constitution d’un «fonds d’entreprise» qui aurait pour vocation de recueillir l’intégralité des biens destinés à l’exploitation et au développement de l’activité de l’entrepreneur individuel.

C’est aussi le choix du « patrimoine d’affectation » qui avait été fait par M. Jean-Denis Bredin dans un rapport, non publié, déposé à la demande du gouvernement, juste avant l’élaboration du projet de loi qui a abouti à la consécration législative de l’EURL sous la forme sociétaire actuelle.

Plusieurs observations peuvent être présentées à l’examen de ces travaux. Tout d’abord c’est le dogmatisme qui l’a emporté sur le pragmatisme. L’idée du patrimoine d’affectation pouvait être intellectuellement la plus séduisante pour les spécialistes du droit de l’entreprise car elle avait le mérite de respecter l’ordre juridique établi. En apparence elle paraissait aller à l’encontre de la théorie de l’unité du patrimoine. Mais l’article 2092 du Code civil, sur lequel est fondée cette doctrine ou ce dogme, comporte de multiples exceptions légales telles que la séparation des patrimoines du fait de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire d’une succession par l’héritier, la fortune de mer, la fondation ou la constitution d’un bien de famille. Cependant, l’idée du « patrimoine d’affectation » et l’organisation de ce patrimoine présentaient le défaut majeur d’être complexes, formalistes et rigides dans leur application pratique par les entrepreneurs individuels. Par ailleurs, adopter la technique du « patrimoine d’affectation », compte tenu des demandes exprimées par les acteurs de la vie économique, était à contre-courant du pouvoir d’attraction manifesté à l’égard de la technique et de la forme sociétaires, tant pour organiser l’entreprise que pour établir des relations entre les entrepreneurs et l’entreprise, entre ceux-ci et les tiers et entre l’entreprise elle-même et les tiers.

B) La consécration législative de l’EURL

L’existence de sociétés présentées comme étant pluripersonnelles, mais qui étaient en réalité des « sociétés unipersonnelles » couvrant en fait l’activité individuelle du professionnel concerné faute d’un statut d’accueil approprié et moderne, était contraire au droit et malsaine pour la sécurité juridique et la croissance harmonieuse de l’économie.

La technique sociétaire d’organisation du patrimoine affecté à l’activité de l’entrepreneur individuel s’est également imposée en raison de l’évolution importante du droit des sociétés lui-même tant en France que dans les pays européens avoisinants.

La réforme de 1985 est une réponse moderne aux exigences passées et actuelles notamment des petites entreprises.

C’est que l’EURL, comme l’EARL – cette dernière résultant d’un amendement parlementaire adopté au cours des débats concernant la première –, a été conçue, élaborée et

(59) V. C. Champaud, Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier la possibilité d’introduire l’entreprise personnelle à

responsabilité limitée dans le droit français : RTDcom. 1979, p. 579. (60) V. CREDA, L’entreprise personnelle, t. 2 : Critique et prospective (sous la dir. d’A. Sayag), Litec, 1981.

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adoptée dans le cadre d’une réforme marquée par sa cohérence au regard du droit des sociétés.

Cet aspect de la loi du 11 juillet 1985, et la stratégie mise en œuvre pour réaliser la réforme dans ses aspects pratiques et juridiques, ont été rapidement perçus et défendus par certains membres éminents de la doctrine, en particulier par les Professeurs Paillusseau, Daigre et Derruppé. D’autres, qui avaient qualifié cette réforme « d’hérésie juridique », ont fini par s’y rallier au fil du temps.

En réalité, la plus importante réforme, préalable à l’établissement du régime de l’EURL et de l’EARL, a été la modification et la modernisation de la définition de la société en droit français dans cette loi du 11 juillet 1985.

L’introduction de la société unipersonnelle en droit des sociétés n’aurait pas été logique et cohérente s’il s’agissait de faire de ce type de société une exception ou une dérogation au contrat de société tel qu’il était défini par l’article 1832 du Code civil dans sa rédaction ancienne.

Pour le coup, « l’hérésie » aurait été effective et les opposants à la loi du 11 juillet 1985 auraient eu raison de proclamer «l’absurdité» d’une telle réforme.

Michel Crépeau, qui a défendu au Parlement le projet gouvernemental, avait coutume de dire que la nouvelle définition de la société en droit français, dans sa rédaction issue de la loi du 11 juillet 1985, était « la réforme la plus importante intervenue depuis le Code Napoléon ».

Il suffit de relire les travaux préparatoires du Parlement pour se rendre compte qu’effectivement, le législateur a voulu souligner vigoureusement le caractère institutionnel de la société pour mettre sur le même plan, donc en dehors de tout caractère d’exception, « l’institution » de la société par contrat et celle de la société par un acte unilatéral. La société unipersonnelle, instituée par l’acte de volonté d’une seule personne, dans les cas prévus par la loi, n’est pas le substitut ou une formule exceptionnelle de la société instituée par contrat par deux ou plusieurs personnes.

Le législateur a retenu ensuite la forme sociale de la SARL pour créer l’EURL, car ce type de société commerciale était traditionnellement celui qui était le plus utilisé dans le monde des petites et moyennes entreprises.

L’EURL, qui est donc une SARL comportant un associé unique, peut être constituée ab initio par une personne physique ou une personne morale. Mais elle peut aussi apparaître en cours de vie sociale accidentellement en raison de la disparition ou du départ des co-associés d’une SARL pluripersonnelle.

Je me bornerai à vous inciter à la lecture de l’exposé très complet de M. le Professeur émérite, Jean PAILLUSSEAU, qui vient brillamment de nous présenter de manière magistrale une défense et illustration juridiques et pratiques des avantages de l’introduction de l’EURL dans notre droit économique.

Je me contenterai d’ajouter que, tenant leurs promesses faites pendant l’élaboration du projet de loi sur l’EURL et les débats parlementaires, le Gouvernement et le Parlement ont

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effectivement doté l’associé unique personne physique d’un statut social et fiscal adapté, d’ailleurs assez proche, sur le plan social notamment, de celui de l’entrepreneur individuel.

II - L’EURL, comme incitation à la recherche de solutions ou réformes nouvelles pour l’avenir des petites entreprises

La procédure mise en œuvre pour élaborer le statut, aussi pratique que juridique, de l’EURL est une référence incontestable pour des pistes nouvelles de recherches, de solutions et de réformes susceptibles d’améliorer, à l’avenir, la vie des petites entreprises.

La jurisprudence qui s’est développée depuis l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1985 relative à l’EURL n’a pas révélé de dysfonctionnements qui seraient propres au régime de ce type de société à responsabilité limitée.

Cette jurisprudence, dans tous les domaines (commercial, procédures collectives, fiscal ou social), est tout simplement celle de la SARL en général.

En particulier en matière de procédures collectives, l’associé unique d’une EURL n’est pas plus exposé qu’un gérant, associé ou non d’une SARL pluripersonnelle, à une action en comblement de passif ou, soit pour confusion de patrimoines soit pour fictivité de la société, à une action en extension du redressement ou de la liquidation judiciaires initialement ouverte à l’encontre de la personne morale.

Près de 18 ans après le vote par le Parlement de la loi du 11 juillet 1985, les catastrophes annoncées par les opposants à ce texte n’ont pas eu lieu. Au contraire, le législateur est venu sur des points mineurs perfectionner encore le régime de l’EURL.

Ainsi, contrairement à ce qui était prévu initialement, une personne physique peut être l’associée unique de plusieurs EURL.

De même, la loi NRE du 15 mai 2001 (art. 103) a complété l’article 1844-5 du Code civil pour exclure la transmission universelle du patrimoine de la société à l’associé unique lorsque celui-ci est une personne physique.

Le régime de l’EURL retrouve ainsi son unité organisationnelle et «ce patrimoine», affecté selon un mode sociétaire à l’activité de la petite entreprise, est véritablement le gage des créanciers de la personne morale ainsi instituée par l’associé unique.

Un vœu que j’ai toujours exprimé mérite d’être réalisé. Il s’agit d’étendre au conjoint de l’associé unique, gérant de l’EURL, le statut de conjoint collaborateur prévu par la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 sur le statut du conjoint d’artisan et de commerçant.

Une avancée législative a déjà été réalisée en ce sens dans le projet de loi relatif au développement des petites entreprises et de l’artisanat voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 21 février 2002.

Il conviendrait de reprendre les débats parlementaires ou de présenter un nouveau projet de loi afin de réaliser cette réforme qui compléterait utilement le régime social applicable à l’EURL institué par une personne physique.

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* * *

Mais il conviendrait encore de se demander s’il ne serait pas opportun d’introduire dans le droit français de l’entreprise un régime non sociétaire de patrimoine d’affectation par l’institution d’une catégorie juridique intermédiaire entre la personne morale et le patrimoine personnel et unitaire de l’entrepreneur individuel. Des travaux ou études en ce sens pourraient être menés, notamment sur l’utilisation de l’institution qu’est « l’inventaire » comme technique de séparation des biens professionnels et des biens non professionnels d’un entrepreneur individuel afin de lui permettre de créer ou d’instituer, par la voie contractuelle ou dans les cas prévus par la loi, une « entreprise sous bénéfice d’inventaire des biens affectés à son activité artisanale, commerciale ou libérale ».

Une autre piste de réflexion et de travaux pourrait consister en un projet de modification de l’article 2093 du Code civil pour dire que «sauf dans les cas où soit la loi, soit la convention des parties ne le prévoient pas, les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers... (le reste sans changement)», ou tout autre formulation qui permettrait, au plan pratique et juridique, de constituer ou d’instituer un véritable « patrimoine d’affectation à titre professionnel » par la voie contractuelle ou législative. Cette piste de réforme aurait l’avantage de tenir compte du principe d’unité du patrimoine d’une personne tout en permettant, dans les cas où la loi l’a prévu ou lorsque les parties contractantes en conviennent, d’exclure certains biens du gage commun des créanciers du débiteur. Il n’est pas sans intérêt de se référer à un arrêt rendu le 15 février 1972 par la Première Chambre civile de la Cour de cassation ( )61 qui admet la limitation contractuelle apportée au droit de gage général d’un créancier sur le patrimoine d’une caution en contrepartie de la limitation corrélative du droit de celle-ci à la libre disposition des biens désignés comme étant l’assiette précise du gage dont les limites ont été contractuellement définies.

De tels travaux s’inscriraient dans le fil des mesures récentes d’isolement et de protection des biens personnels de l’entrepreneur individuel. En effet, la loi Madelin n° 94-126 du 11 février 1994 permet deux types de dispositions tendant à cantonner les droits des créanciers pour dettes professionnelles d’un entrepreneur individuel sur les biens affectés au développement de son activité professionnelle. Tout d’abord, l’entrepreneur individuel peut opposer « un bénéfice de discussion » lors des poursuites d’exécution sur ses biens personnels par le titulaire d’une créance contractuelle qui prend naissance à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur ( )62 . Ensuite, les biens professionnels de l’entreprise sont appelés en priorité à être grevés à l’occasion des concours financiers accordés par les établissements de crédit afin que les biens destinés à l’usage personnel ou familial de l’entrepreneur individuel ou du tiers garant soient préservés le plus possible. Il peut donc en résulter une limitation contractuelle du gage dont bénéficie le créancier sur les biens de son débiteur.

Mais pour utiles qu’elles soient, ces deux mesures maintiennent toujours le principe de l’unité du patrimoine de l’entrepreneur individuel et donc son engagement sans limitation sur « tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir » ( )63 .

(61) Bull. civ. 1972, I, n° 50 p. 44. (62) Art. 22-1, al. 1er nouveau, de la loi n° 91-950 du 9 juillet 1991, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février

1994. (63) Art. 2092 du Code civil.

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Mais la récente loi pour l’initiative économique confère à l’entrepreneur individuel la faculté de déclarer insaisissable sa résidence principale afin, selon l’exposé des motifs, de « réduire la prise de risque de l’entrepreneur individuel pour lequel aucune distinction n’est établie entre le patrimoine professionnel et le patrimoine privé ». Ce nouveau dispositif, inséré aux articles L 526-1 à L 526-4 du Code du commerce, permettra ainsi à l’entrepreneur individuel de déroger à la règle du droit au gage général des créanciers sur les biens du débiteur prévue aux articles 2092 et 2093 du Code civil.

Il est certain que cette faculté de rendre insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel constitue un grand pas vers la possibilité de constituer un patrimoine d’affectation professionnel pour les petites entreprises.

Ces nouvelles dispositions ont l’avantage, sous réserve d’analyse et d’étude plus approfondies, de clarifier, au plan juridique et pratique, la situation actuelle en apportant pour l’avenir, notamment aux petites entreprises, des solutions et des réponses susceptibles d’une part de favoriser leur création et leur développement et d’autre part de leur permettre de répondre aux défis socio-économiques auxquels elles sont confrontées.

Il s’agit en définitive d’inciter pour l’avenir ceux qui créent une entreprise individuelle de choisir une forme juridique effective parmi des possibilités dans lesquelles l’EURL et l’EARL figurent déjà en très bonne place.

M. Claude CHAMPAUD.– Je vous remercie Monsieur Lafortune et je vais passer la parole à l’intervenant suivant, Maître Monassier, notaire, spécialiste, notamment, des transmissions d’entreprises et qui a beaucoup travaillé sur les LMBO au moment où ces techniques sont apparues.

Me Bernard MONASSIER, Notaire, Président du Groupe Monassier-France

Les petites entreprises sont en grande majorité des entreprises familiales. Elles sont donc concernées au plus haut point par les règles du droit de la famille. Or le droit de l’entreprise individuelle, conçu au XIXe siècle, se révèle peu adapté à la transmission familiale de l’entreprise moderne.

Pour les entreprises sous forme de société, la problématique est différente, car si la forme sociétaire résout de nombreux problèmes, c’est plutôt la gestion de la transmission du pouvoir qui peut poser difficultés : comment choisir son successeur et s’assurer qu’il effectuera correctement son travail tout en maintenant des relations familiales harmonieuses ?

On a beaucoup parlé du gouvernement d’entreprise pour les sociétés cotées ( )64 . Pour les entreprises familiales, notamment de petite taille, la nécessité de gérer les relations familiales au sein de l’entreprise pose la question de leur adaptation aux règles du gouvernement d’entreprise.

(64) A. Couret, La recherche d’un meilleur gouvernement des entreprises cotées : la contribution du rapport du

groupe de travail présidé par Daniel Bouton, Bulletin Joly Sociétés, novembre 2002, §°245 ; A. Couret, Vers un nouvel équilibre des pouvoirs dans les sociétés cotées ? Les Petites Affiches 27 Septembre 1995 ; Routier, De nouvelles pistes pour la gouvernance ? Bulletin Joly Sociétés , juin 2003, § 129.

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I - Le droit de la famille et l’entreprise individuelle : un couple infernal

Malgré toutes les incitations législatives (dont la dernière en date sur la SARL à un euro), il est probable que l’entreprise individuelle continuera d’exister. Ainsi, en 2002, les entreprises individuelles représentaient près de 2 millions d’entreprises ( )65 et 52 % des nouvelles entreprises créées.

Le refus de la forme sociétaire sera d’autant plus important que ces entreprises individuelles auront peu ou pas d’apport, sauf la force de travail, et pas de salarié.

Il est par conséquent très important d’adapter notre droit de la famille à ces tendances lourdes du XXIe siècle.

Pour illustrer les difficultés posées par l’entreprise individuelle, je voudrais examiner deux problèmes majeurs : la faillite de l’entrepreneur individuel (A) et son décès (B).

A) la faillite de l’entrepreneur individuel

La protection de la famille passe par la préservation du patrimoine familial en cas de faillite de l’entrepreneur individuel. Une première étape a été franchie par la déclaration d’insaisissabilité de la résidence principale prévue par le projet de loi Dutreil. Néanmoins, le projet initial était beaucoup plus ambitieux : il prévoyait la création d’un véritable patrimoine d’affectation. Devant la difficulté de la tâche, le gouvernement y a renoncé. Pourtant la création d’un patrimoine d’affectation correspond à un besoin de la société et le législateur se doit d’y répondre. Il ne faut pas s’arrêter à des difficultés techniques.

B) Le décès de l’entrepreneur individuel

En cas de décès du chef d’entreprise, propriétaire à titre individuel de celle-ci, il y a inadéquation entre la réglementation du droit des successions et la nécessaire célérité qui commande le monde des affaires.

Il serait fastidieux d’établir une liste, longue au demeurant, des conséquences du décès de l’entrepreneur individuel. Nous n’examinerons que les cas les plus marquants ( )66 . Le décès de l'entrepreneur individuel a pour conséquence un blocage automatique de ses comptes nominatifs, tant professionnels que personnels. Dans le cadre de l'entreprise individuelle, ce blocage entraînera :

– la révocation des ordres de virement des salaires du personnel, – le non-paiement des effets de commerce venus à échéance, – l'impossibilité de payer créanciers et fournisseurs, – le non-paiement des impôts et taxes à la date prévue.

Il s'agit d'une véritable asphyxie de l'entreprise.

(65) V. CREDA, L’EURL - Droit, pratique et perspectives, Litec, 2003, p. 94. (66) Pour plus de détail, v. B. Monassier et les notaires du Groupe Monassier France, Transmission d’entreprise,

1re éd., Éd. Francis Lefebvre, 1996, n° 23000 sq.

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L'opération de déblocage peut intervenir soit sur signature conjointe de tous les ayants droit, soit sur instruction du notaire mandaté à cet effet, et dans tous les cas après production d'une expédition de l'acte de notoriété.

Ce procédé peut sembler rapide, mais la réunion des pièces nécessaires à établir l'acte de notoriété et sa signature réclame environ 5 semaines. Il s'agit là d'une situation idéale et non conflictuelle.

S’il y a des enfants mineurs, en plus de cette formalité, il y aura lieu d'établir un inventaire notarié, et le juge des tutelles autorisera l'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire et la mise en location-gérance de l'entreprise individuelle. Dans le meilleur des cas, l'opération réclamera de 3 à 4 mois.

De plus, le décès de l’entrepreneur individuel laisse place à l’indivision dont les conséquences sont redoutables et bien connues, même des néophytes ( )67 .

La nécessité de l'unanimité, liée à une mésentente des héritiers, sera source de blocage.

Le principe par lequel nul n'est tenu de rester dans l'indivision sera quant à lui source de précarité : si le partage en nature n’est pas possible, il faudra alors procéder à la vente des actifs.

De plus, l'ensemble du patrimoine du défunt, qu'il soit professionnel ou personnel, répondra des dettes, qu'elles soient professionnelles ou personnelles.

Sur le plan fiscal, la situation n’est guère meilleure. Au contraire du régime qui existe pour les sociétés assujetties à l’IS, le paiement des droits de succession n’entraîne pas purge des plus-values. Fort heureusement, la loi Dutreil sur l’initiative économique va augmenter le seuil d’exonération des plus-values professionnelles pour les petites entreprises et devrait venir atténuer cet inconvénient.

Les exemples pourraient être multipliés et démontrent les risques encourus pour la pérennité de l'entreprise.

La mise en société de l’entreprise individuelle peut solutionner une partie des problèmes mentionnés ci-dessus. Pour autant, malgré l’écran de la personnalité morale, de nombreux problèmes peuvent se poser également pour les sociétés :

– problème pour la nomination du gérant, – clause d’agrément des héritiers dans certaines sociétés, – problème du droit de vote : indivision et droit de vote démembré ne sont pas sans poser

des difficultés.

Par ailleurs, l’organisation du pouvoir au sein de l’entreprise familiale est une question fondamentale pour laquelle les outils juridiques restent encore peu adaptés.

(67) V. notamment B. Monassier et P.-A. Soreau, Transmission d’entreprise et droits du conjoint survivant : un couple

toujours impossible, JCP éd. E 10 avril 2003, n° 583, p. 644.

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II - L’entreprise familiale et le gouvernement d’entreprise

Le pacte de famille n’existe pas en droit français. Il faut donc avoir recours aux dispositions de droit commun pour organiser, au sein de la famille, la transmission et l’organisation du pouvoir des entreprises familiales ( )68 .

Parmi ces outils, le pacte d’associés peut prévoir un certain nombre de dispositions destinées à régir les conditions d’entrée (droit de retrait, clause de sortie conjointe...) et de sortie dans la société (clause d’agrément et de préemption…), l’organisation du pouvoir (obligation de concertation pour les décisions importantes, convention de vote), la définition d’une politique et d’une stratégie d’entreprise…

Le pacte de famille doit cependant respecter certains principes du droit de la famille dont, notamment, la prohibition des successions fidéicommissaires de l’article 896 du Code civil et des pactes sur succession future. Il doit également respecter les contraintes du droit des sociétés. Par ailleurs, le pacte extra-statutaire, s’il est violé, ne donnera lieu qu’à des dommages et intérêts.

C’est pourquoi, l’insertion du pacte de famille dans les statuts de la société peut être extrêmement utile. La SAS est l’outil privilégié de ce pacte.

En modifiant le texte de 1994, la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche a réalisé, selon l’expression consacrée par la doctrine, une « révolution ». La SAS est l’outil approprié pour permettre d’introduire dans l’entreprise familiale le gouvernement d’entreprise. À la différence des autres sociétés commerciales, le principe est la liberté de rédaction des statuts.

Ceux-ci peuvent ainsi prévoir des clauses limitant la possibilité pour les associés de librement céder leurs actions. Il peut s'agir, par exemple, de clauses d'agrément, de clauses de préemption, ou de clauses d'interdiction temporaire de cession. L’insertion de clauses statutaires, qui, dans les autres sociétés, figurent dans des pactes extrastatutaires, a l’avantage de les rendre opposables à tous et de sanctionner leur non-respect par la nullité (article L 227-15 du Code de commerce) et non par l’octroi de dommage et intérêts.

La liberté contractuelle autorise notamment la possibilité de conférer à certains membres de la famille un droit de veto pour les décisions importantes. Il est également possible de prévoir des actions à vote plural permettant à un enfant d’avoir, à capital égal, plus de poids.

Enfin des solutions existent pour sélectionner, au sein de la famille, le meilleur successeur possible. Ce problème, qui constitue une des questions majeures des entreprises familiales, peut être résolu par la création de comités intégrant des personnalités extérieures à la famille et destinés à avoir un regard critique mais aussi à dédramatiser des relations qui peuvent parfois être passionnelles et néfastes à l’entreprise. On pourrait ainsi envisager la création d’un Comité des sages qui serait consulté afin d’émettre un avis conforme pour la nomination et la révocation des postes de dirigeants tant dans la société mère que dans les filiales éventuelles.

Ce Comité des sages pourrait également être sollicité pour les décisions importantes.

(68) V. B. Monassier et les notaires du Groupe Monassier France, Transmission d’entreprise, préc., n° 29600.

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Malheureusement, la SAS est un outil principalement destiné aux grandes et moyennes entreprises. En effet, le montant de son capital social (37 000 €) ainsi que l’obligation d’avoir un commissaire aux comptes la rendent plus difficilement utilisable pour les petites entreprises.

Une SAS pour les petites entreprises familiales reste donc à inventer.

M. Claude CHAMPAUD.– Merci, Maître, pour votre clarté et pour avoir rappelé cette condition absurde et inhumaine, si je puis dire, dans laquelle le droit fiscal, avec l’aide du droit civil, place nos petites entreprises. Je passe maintenant la parole à Monsieur William Nahum, Président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables.

M. William NAHUM, Président du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables

Représentant près de 98 % des 2,4 millions d’entreprises françaises, les PME sont un acteur prépondérant de l’économie nationale. Elles sont notamment le principal employeur du pays puisqu’elles comptent 52,9 % des salariés du régime Unedic, soit 8,3 millions de salariés.

En outre, ces PME évoluent dans un marché offrant de grandes perspectives de développement, grâce à la démultiplication de la puissance de travail offerte par les technologies de l’information et de la communication, au besoin d’autonomie ressenti par la population active et aux métamorphoses de l’organisation des grandes entreprises qui externalisent une partie de leurs fonctions.

Cependant, malgré ces perspectives d’avenir plutôt prometteuses, les PME se trouvent encore confrontées à de nombreux freins dans leur développement, notamment dans les domaines du financement et de la transmission d’entreprise.

Les experts-comptables sont particulièrement concernés par ces deux problématiques, la nature de leur profession les amenant à conseiller leurs clients dans le choix des financements les plus appropriés, à faciliter la phase de la transmission d’entreprise et à noter la nécessité de mettre en œuvre de véritables réformes structurelles pour encourager la marche des PME.

I - La recherche de financements, un frein au développement des PME qui doit être levé

A) L’expert-comptable et la recherche de financements

Toujours sur le terrain, l’expert-comptable exerce une action primordiale dans l’aide au financement de la petite entreprise.

Connaissant parfaitement la situation comptable et financière de l’entreprise, il conseille le dirigeant dans le choix des nombreux moyens de financement qui sont à sa disposition.

D’autre part, bien que l’on pense souvent que la sécurité financière soit essentiellement un problème de sociétés dont les actions sont cotées sur des marchés réglementés, la population des PME a les mêmes obligations de transparence et de sécurité financière que ces grandes entreprises. Les utilisateurs de l’information financière ne sont plus les mêmes dans le cas des PME, mais ils ont des exigences identiques en matière de sécurisation de l’information.

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Cette notion est importante, car les différents créanciers se baseront sur l’information financière délivrée par l’entreprise pour accepter ou pas de lui fournir un moyen de financement.

Les banques, par exemple, doivent disposer d’informations fiables pour prendre leur décision d’octroyer un crédit, puis ultérieurement d’apprécier les risques de non-recouvrement et d’évaluer la provision éventuelle à constituer. Les fournisseurs ont, eux aussi, besoin d’une certaine sécurité financière, afin de s’assurer de la solvabilité d’un éventuel client et de déterminer les encours de crédit acceptables.

B) Un accès aux moyens de financement qui reste difficile

Cependant, bien que l’expert-comptable apporte une aide précieuse au chef d’entreprise dans sa recherche de financements, on peut facilement constater que cet accès aux moyens financiers demeure un frein pour le développement des petites entreprises, malgré certaines évolutions.

En effet, les modalités de financement des PME se trouvent aujourd’hui au début d’une phase de mutation. Les derniers travaux de la Commission européenne sur le sujet montrent que les PME se tournent progressivement du financement par l’emprunt vers d’autres instruments (fonds propres, conversions de créance en participations, crédit-bail, prêts et fonds propres garantis…). Cette tendance s’explique par le retrait de certaines banques de l’activité des prêts à faible marge aux PME, et le développement des marchés financiers qui favorise l’expansion d’autres instruments. Il ne s’agit pas pour autant d’un renversement de situation, la Commission européenne estimant que pendant une décennie, au moins, l’apport de fonds aux entreprises continuera d’être dominé par le prêt bancaire.

Les dernières statistiques françaises établies à ce sujet montrent d’ailleurs que les petites entreprises préfèrent autofinancer leurs investissements si elles en ont la possibilité et que, lorsque les PME ont recours au financement externe, le prêt bancaire classique arrive largement en tête (71 %), devant le crédit-bail (17 %) et le prêt familial (6 %).

Malgré ce début d’évolution, l’accès au financement demeure donc une des contraintes les plus significatives pour le développement de ce type de société. Cette contrainte se trouve exacerbée au stade de la création d’entreprise, puisque moins de 25 % des créateurs bénéficient d’un crédit bancaire au départ.

Frilosité des banquiers, insuffisance des fonds propres mobilisés par le demandeur, absence de garantie, manque de fiabilité des projets présentés… de nombreuses raisons expliquent cette difficulté récurrente dans la vie de la petite entreprise.

C) Une modification des mentalités et des rapports entre les créanciers et les débiteurs est nécessaire

Dans ce cadre, il nous semble opportun de prendre une série de mesures qui permettront de lever les difficultés que les PME peuvent rencontrer dans leurs tentatives de trouver des moyens de financement.

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Tout d’abord, il est nécessaire de créer un système de labellisation uniforme des projets présentés aux organismes financiers, de développer les actions des pouvoirs publics visant à renforcer la structure financière des projets (comme le PCE, prêts aux créateurs d’entreprise, les prêts bonifiés à l’artisanat) et de faciliter l’engagement des banques auprès des petites entreprises (les cas de sinistres sont trop nombreux et le montant moyen des prêts trop faibles pour garantir aux banques la rentabilité de leur engagement). De la même manière, il est important de favoriser l’épargne de proximité en renforçant les incitations fiscales permettant aux particuliers de souscrire directement au capital initial ou en développant des fonds spécifiques pour collecter l’épargne de proximité (FIP), de développer les opérations d’essaimage qui permettent aux salariés de bénéficier de conditions financières plus favorables au développement de leurs projets ou de renforcer l’information des dirigeants sur les possibilités de prévention des difficultés des entreprises.

Afin de poursuivre cet objectif, des Centres d'information sur la prévention (CIP) ont été créés suite à une convention d'action concertée entre la Conférence générale des tribunaux de commerce, le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Ces centres sont des lieux d'accueil destinés à informer les dirigeants d’entreprise sur les enjeux de la prévention et les procédures amiables qui sont à leur disposition, en les incitant à y recourir au plus tôt, notamment dans les cas de transmission d’entreprise, où, là aussi, l’expert-comptable joue un rôle prépondérant.

II - La transmission, une phase du cycle de vie de la PME qui doit être fluidifiée

A) L’expert-comptable et la transmission d’entreprise

Dans ces cas de transmission d’entreprise, les experts-comptables ont un rôle d’accompagnateur généraliste du chef d’entreprise. Ils se chargent notamment de l’évaluation de l’entreprise, de la recherche d’un acquéreur potentiel et de la mise en place d’indicateurs permettant d’apprécier s’il faut franchir une étape quantitative ou vendre l’entreprise.

D’autre part, l’action de l’expert-comptable en matière d’information financière est encore prépondérante dans cette phase du cycle de vie de l’entreprise : il informe de l’état financier de la PME les éventuels acquéreurs qui ont besoin d’être rassurés sur la fiabilité des comptes de la cible, même si ils sont déjà protégés par une clause de garantie du passif. De la même manière, ils renseignent les dirigeants eux-mêmes lorsque ces derniers envisagent de transmettre leur entreprise à leurs héritiers.

B) Un taux d’échec des transmissions de PME qui reste très élevé

Cependant, malgré tous les conseils que les experts-comptables peuvent donner aux dirigeants d’entreprise, la transmission de la PME ne se passe pas toujours dans les meilleures conditions. Les taux d'échec des entreprises reprises sont élevés : sur les quelque 43 000 entreprises reprises chaque année en France, une sur cinq disparaîtra dans les 5 ans et une sur trois dans les 7 ans…

Pourtant, un des phénomènes économiques majeurs des dix prochaines années sera, du fait des tendances démographiques, la montée en puissance de la transmission d'entreprise : à

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ce jour, plus du tiers des chefs d'entreprise en exercice ont plus de 50 ans, ce qui signifie que dans 10 ans, lesdites entreprises auront, pour la plupart d'entre elles, changé de propriétaire.

C) Des mesures variées à mettre en œuvre pour faciliter les transmissions

Afin de ne pas faire de la transmission d’entreprise un frein au développement des PME, il est nécessaire de prendre certaines mesures au niveau institutionnel. Fort de son expérience auprès des chefs d’entreprise, l’Ordre des experts-comptables propose régulièrement aux pouvoirs publics des mesures destinées à favoriser les opérations de transmission.

En décembre 2000, le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables a soumis au Secrétaire d'État aux PME des propositions actées dans un livre blanc sur la transmission d'entreprise, réalisé en liaison avec les principaux acteurs du monde de l’entreprise.

En outre, en janvier 2003, le CSOEC a remis aux pouvoirs publics un rapport contenant 82 propositions sur l’entreprise réparties en 52 suggestions de simplifications dans les domaines fiscal, social, des relations avec l’administration, des obligations déclaratives, et 30 mesures générales en faveur de la vie de l’entreprise, qu’il s’agisse de la création de l’entreprise, de son développement, de la prévention de ses difficultés ou encore de sa transmission.

Parmi les mesures relatives à la transmission d’entreprise, nous pouvons citer, à titre d’exemples, les propositions visant à étendre le dispositif d’exonération des indemnités de cessation du mandat social aux indemnités perçues par les dirigeants de sociétés en cas de transmission de leur entreprise, et les suggestions destinées à permettre au chef d’entreprise d’anticiper la transmission de son entreprise en admettant la déductibilité de ses cotisations de retraite, versées en réemploi du produit de cession.

Conclusion

L’ensemble de cette analyse est bien évidemment à relativiser étant donné la diversité des secteurs d’activité des PME, la diversité de leur structure et de leur taille, et donc la diversité de leurs besoins en matière de financement et de conseils en transmission.

Les différents marchés des PME ne sont pas tous structurés de la même manière et ne disposent pas tous de dispositifs identiques en matière d’aide au financement et de transmission. Dans le cas des petites SSII, par exemple, le financement se fera plutôt par le biais du capital risque ou par des dispositifs de financement étatiques ouverts aux entreprises innovantes, alors que dans le cas de la boucherie charcuterie, le chef d’entreprise se dirigera plutôt vers des systèmes de prêts mis en place par l’ensemble de la profession ; en cas de transmission, ce dernier pourra se référer à certains prix de marché, ce qui ne sera pas réellement possible pour les SSII, les dirigeants de ces entreprises devant souvent faire appel à des cabinets pour qu’ils évaluent leur PME (« due diligence »).

Quoi qu’il en soit, il est de toutes façons nécessaire de renforcer, de manière permanente, l’action des conseils du dirigeant de la PME sur le terrain et de lancer des réformes pragmatiques qui faciliteront le développement des petites entreprises et le passage des étapes cruciales de leur cycle de vie, telles la création, les recherches de financement ou la

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transmission, afin qu’elles demeurent l’un des moteurs de notre économie, qu’il s’agisse de croissance, d’emplois ou de cohésion économique et sociale.

M. Claude CHAMPAUD.– Je vous remercie, Monsieur le Président, et je passe sans attendre la parole à Monsieur Patrick Seerloten, un collègue de l’Université de Toulouse.

M. Patrick SERLOOTEN, Professeur à l’Université des Sciences Sociales Toulouse I

Le droit français actuel utilise, afin de donner une structure juridique aux PME, la technique sociétaire ( )69 . L’entrepreneur individuel a la possibilité, depuis près de vingt ans, de créer une société à responsabilité limitée unipersonnelle (EURL) ou, depuis plus récemment, de créer une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU).

S’agissant de réfléchir de façon prospective à l’adoption de structures mieux adaptées aux PME tant au regard de leur création, de leur développement que de leur transmission, deux voies paraissent ouvertes : celle de la « patrimonialisation » de l’entreprise et celle de sa « personnalisation ».

Actuellement, le droit privé ne connaît que la personnalisation de l’entreprise ; la patrimonialisation serait donc une petite révolution juridique, celle que le législateur n’a pas osée en 1985.

Le droit fiscal, en revanche, est, sur ce point, particulier, puisque d’ores et déjà et depuis longtemps, il connaît les deux techniques.

Dans un souci de réflexion prospective, il convient donc de s’attacher aux améliorations qui pourraient être apportées à cette double reconnaissance actuelle.

En introduisant en droit français la théorie du patrimoine d’affectation, l’amélioration recherchée prendrait la forme d’une patrimonialisation renforcée. Mais par une médecine plus douce, et dont on verra que l’on pourra la juger plus efficace, l’on pourrait peut-être se contenter d’une personnalisation améliorée.

I - La patrimonialisation renforcée

Par l’intermédiaire d’une construction prétorienne, le droit fiscal connaît déjà le patrimoine d’affectation, même si cette reconnaissance est limitée ; elle ne concerne que l’imposition du résultat de l’entreprise.

La question est donc de déterminer l’apport que permettrait une consécration législative et généralisée du patrimoine d’affectation.

(69) La réflexion concernant les PME, l’hypothèse étudiée sera celle où l’associé unique est une personne physique

et non une personne morale.

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S’agissant essentiellement du traitement du résultat de l’entreprise, puisque c’est à son sujet que la construction prétorienne s’est élaborée, la consécration législative du patrimoine d’affectation n’apporterait, à notre avis, rien de plus pour les PME ( )70 .

A) Pas d’apport véritable

Ainsi qu’on l’a rappelé, il existe aujourd’hui un patrimoine d’affectation qui permet d’isoler, dans le patrimoine de l’entrepreneur, les biens professionnels et les autres. Qui plus est, le contenu de ce patrimoine peut être défini librement par le chef d’entreprise puisque c’est par une décision de gestion, c’est-à-dire une décision opposable à l’administration, qu’il décide de faire entrer un élément de son patrimoine dans le patrimoine professionnel (inscription au bilan).

Il faudrait d’ailleurs, en cas de généralisation du patrimoine d’affectation, veiller, sur ce point, à ce que soit maintenue cette liberté de décision et donc cette souplesse de gestion.

Par ailleurs, la construction jurisprudentielle actuelle permet, d’ores et déjà, que se nouent des relations juridiques entre le patrimoine privé et le patrimoine professionnel. C’est la théorie dite du « bail fiscal ».

Appliquant jusqu’à ses conséquences extrêmes le principe de l’autonomie du patrimoine professionnel, la jurisprudence décide que lorsque l’exploitant d’une entreprise individuelle conserve dans son patrimoine privé un bien, notamment un immeuble affecté à l’exploitation, le montant du loyer normal de l’immeuble peut être déduit du résultat de l’entreprise ( )71 .

Il est dès lors logique que l’exploitant soit imposable sur ce loyer dans la catégorie des revenus fonciers. Alors que, jusqu’à présent, la doctrine administrative a toujours refusé la possibilité de la déduction d’un loyer fiscal ( )72 , il est probable qu’elle se rallie à la jurisprudence confortée par le Conseil d’État. Il est vrai que par le biais de l’imposition du loyer dans la catégorie des revenus fonciers, l’assiette globale de l’impôt sur le revenu ne devrait pas se trouver modifiée par la déduction du bénéfice commercial : les revenus fonciers et les revenus mobiliers sont comme les BIC, imposés au taux plein de l’IR.

Le principal intérêt de cette pratique pourrait être, pour le contribuable, la possibilité de compenser le « loyer » du local de l’entreprise avec d’éventuels autres déficits fiscaux. Par ce

(70) En permettant de donner une structure juridique à l’entreprise, la théorie de la fiducie aurait pu justifier également

un examen ; mais, trop étrangère à notre système juridique ses conséquences fiscales ne peuvent être précisées que dans la cadre d’une réforme particulière. Il demeure que le projet de loi de 1991 traitait globalement la fiducie-gestion comme une société transparente : les biens transférés au fiduciaire n’étaient pas fiscalement considérés comme lui ayant été transmis. Donc, pas d’imposition de la plus-value sur les immobilisations transmises, et la cession des biens par retour au constituant était ignorée. Quant aux résultats dégagés par la gestion des actifs fiduciaires, ils étaient réalisés par le constituant lui-même, comme au cas de société transparente (v. J.-P. Le Gall : Premières réflexions sur les dispositions fiscales de l’avant-projet de loi relatif à la fiducie, JCP éd. E 1991, p. 149 sq.).

(71) CE 8° et 9° s. sec. 8 juill. 1998, n° 164457, RJF 1998, n° 8/9, 703 ; Dr. fisc. 1998, n° 42, comm. 896. (72) Doc. adm. 4 A-223, n° 30, 1er mars 1986. Selon l’administration, l’exploitation d’un immeuble conservé par

l’exploitant dans son patrimoine privé doit s’analyser en un apport en jouissance dont la contrepartie est une augmentation du bénéfice commercial revenant à l’exploitant.

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biais, se produirait ainsi une légère compensation entre les BIC et les revenus fonciers. C’est d’ailleurs le caractère cédulaire de l’impôt sur le revenu qui justifie la jurisprudence ( )73 .

Par ailleurs, n’oublions pas que ne pas être imposé dans les BIC ferait perdre le bénéfice de l’adhésion à un centre de gestion agréé (abattement de 20 %).

Certes, l’avantage serait plus grand si l’on pouvait admettre l’existence d’un contrat de travail entre le patrimoine privé et le patrimoine affecté. L’entrepreneur pourrait alors se faire embaucher par son entreprise. Mais le droit fiscal ne paraît pas prêt à faire ce pas. Faute de lien de subordination, il a toujours refusé aux gérants majoritaires de SARL le statut de salarié. Lorsqu’il a voulu leur donner le même régime qu’aux gérants minoritaires, il n’a pas changé leur régime d’imposition, mais il s’est contenté de faire bénéficier leur régime assimilé BIC (CGI, art. 62) des mêmes avantages que les traitements et salaires. Il ne faut donc pas beaucoup espérer sur ce point.

Ainsi, la reconnaissance législative d’un patrimoine d’affectation ne serait pas d’une très grande utilité pour l’entreprise s’agissant de l’imposition de son résultat.

Au contraire, l’utilisation de la technique du patrimoine d’affectation ferait perdre, à l’entreprise qui y aurait renoncé, les avantages de la personnalisation de l’entreprise.

B) Perte des avantages de la personnalité morale

Donner la personnalité morale à l’entreprise individuelle (EURL ou SASU) lui permet l’accès à l’impôt sur les sociétés. Il est, en effet, impensable qu’un patrimoine d’affectation puisse être assujetti à l’IS qui, ne l’oublions pas, est l’impôt sur les personnes morales comme l’IR est celui sur les personnes physiques (IRPP).

La possibilité d’être à l’IS par l’intermédiaire de l’attribution de la personnalité juridique à l’entreprise ne lui apporte pas d’importants avantages, mais on peut tout de même souligner qu’elle augmente en général sa capacité d’autofinancement (le taux du droit proportionnel de l’IS ( )74 est en général inférieur au taux moyen à l’IR, a fortiori au taux marginal, de telle sorte que la part du bénéfice pouvant être investie s’en trouve augmentée).

Par ailleurs, l’IS permet de bénéficier du régime des salariés ou assimilés (imposition sur 72 % du résultat au lieu de 100 % ou au mieux 80 % si l’entreprise individuelle adhère à un centre de gestion agréé).

Si la patrimonialisation de l’entreprise lui ferait perdre les avantages de la société unipersonnelle, elle engendrerait par ailleurs des inconvénients qui n’existent pas actuellement avec la reconnaissance partielle du patrimoine professionnel.

(73) Th. Schmitt : Propos iconoclaste sur le bail fiscal, Dr. fisc. 2002, n° 16, p. 661. (74) En principe, 33,33 % mais peut être 15 %.

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C) Risque d’inconvénients supplémentaires

La consécration législative, et donc généralisée, d’un patrimoine d’affectation présenterait l’inconvénient de permettre des mutations d’un patrimoine à l’autre, mutations qui, bien évidemment, entraîneraient des conséquences fiscales, conséquences désavantageuses qui n’existent pas actuellement puisque la reconnaissance du patrimoine professionnel n’est pas admise en matière de droit de l’enregistrement.

Ces conséquences néfastes se produiraient également en ce qui concerne l’imposition des plus-values.

1. Droits d’enregistrement

Le passage du patrimoine privé au patrimoine affecté devrait emporter la perception de droits de mutation de la même façon qu’en cas de cession à titre onéreux. Certes ces droits ont été aujourd’hui considérablement baissés, mais ils demeurent d’un niveau important, et donc dissuasifs (4,80 %).

Il est vrai que cet inconvénient pourrait être facilement supprimé en reprenant le régime actuel de la mise en société de l’entreprise individuelle. Le droit pourrait n’être qu’un droit fixe et, mieux encore, être exonéré comme c’est le cas aujourd’hui pour les apports en société.

2. Plus-value

Bien que la notion de patrimoine professionnel ait été élaborée, on l’a dit, pour l’imposition du résultat de l’entreprise, actuellement la plus-value réalisée à l’occasion du passage du patrimoine privé au patrimoine professionnel n’est pas imposée ( )75 . Si cette notion était consacrée législativement, toutes les conséquences devraient en être tirées de telle sorte que la plus-value d’apport au patrimoine professionnel serait imposable.

Il est vrai, qu’ici aussi, cet inconvénient pourrait être supprimé ou très largement atténué par le législateur en s'inspirant du régime actuel de la mise en société de l’entreprise individuelle. Il suffirait de prévoir une disposition analogue à celle de l’actuel article 151 octies du CGI qui, globalement, organise un sursis d’imposition jusqu’à la cession de l’immobilisation concernée.

Ainsi, la consécration législative du patrimoine d’affectation n’apporterait rien de positif pour l’entreprise et, au contraire, supposerait que soient gommés les effets négatifs de cette patrimonialisation de l’entreprise.

Il n’en demeure pas moins que, même en s’en tenant à la construction prétorienne du patrimoine professionnel, des mesures ponctuelles pourraient améliorer le statut fiscal des PME. On peut penser, par exemple, au statut du conjoint de l’entrepreneur. Il faudrait abandonner la limitation de la déduction de la rémunération du conjoint du dirigeant qui n’est là

(75) Le passage du patrimoine privé au patrimoine professionnel est tout de même partiellement pris en compte

puisque, lorsque le bien sera cédé par l'entreprise, l'article 151 sexies CGI prévoit une application cumulative du régime des plus-values des particuliers et de celui des plus-values professionnelles en fonction du temps passé dans chacun des deux patrimoines.

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que pour flatter la paresse de l’administration ( )76 . Celle-ci dispose, comme pour les autres salariés, de la théorie de l’acte anormal de gestion pour lutter contre la rémunération excessive du conjoint ( )77 .

La question est donc posée de savoir si plutôt qu’une patrimonialisation renforcée, une personnalisation améliorée ne serait pas préférable.

II - La personnalisation améliorée

L’intérêt de l’attribution de la personnalité morale à l’entreprise, et donc du système actuel, est qu’avec l’option entre l’IR et l’IS ( )78 , il apporte la liberté de choisir la situation fiscale la plus favorable ( )79 .

Par ailleurs, la structure juridique de la société n’entraîne pas de coût fiscal réel (pas de droit d’apport, sursis d’imposition des plus-values).

La personnalisation de l’entreprise permet donc de choisir entre l’IR et l’IS et ainsi, par delà les techniques, de choisir entre le statut de commerçant et celui de salarié. Au contraire, la technique du patrimoine d’affectation n’offre pas un tel choix.

Il demeure, cependant, que le système actuel peut être aménagé ponctuellement afin de tirer des deux branches de l’option tous leurs avantages. Outre l’intérêt des PME, ces mesures satisferaient, par ailleurs, la recherche d’une plus grande neutralité fiscale.

A) Sécurité quant à la perception de la rémunération du dirigeant

L’intérêt essentiel du recours à la structure sociétaire réside dans la possibilité pour l’entrepreneur de percevoir les bénéfices de l’entreprise sous la forme d’un salaire, salaire imposable chez lui selon un régime privilégié et salaire déductible du bénéfice social.

Cependant, comme pour tout salarié, la rémunération des dirigeants n’est admise en déduction des résultats que dans la mesure où elle correspond à un travail effectif et n’est pas excessive eu égard à l'importance du service rendu.

(76) V. P. Serlooten, Étude critique du statut fiscal du conjoint du commerçant, in Études offertes au professeur

Colomer, Litec, 1993, p. 443 sq. (77) On peut noter que le projet de loi (n° 3555) relatif au développement des petites entreprises et de l’artisanat, dont

de nombreuses dispositions ont été reprises par le projet sur l’initiative économique, prévoyait la possibilité d’appliquer le statut du conjoint collaborateur au conjoint d’un chef d’entreprise associé unique gérant d’une EURL et n’employant pas plus de dix salariés.

(78) Du moins si l’on a recours à l’EURL et non à la SASU, qui est obligatoirement assujettie à l’IS. (79) Bien que notre réflexion ne concerne que l’associé unique personne physique, on peut signaler le regret de

certains de l’absence d’option pour l’IR lorsque l’associé unique est une personne morale (CREDA, L’EURL – Droit, pratique et perspectives, sous la dir. Y. Chaput et A. Lévi, Litec, 2003, p. 70, n° 134). Une telle option, qui est contraire aux principes du droit fiscal, ne présenterait pas d’utilité pour la société mère dès lors qu’elle pourrait, par le recours à l’intégration fiscale, bénéficier de la même transparence fiscale que celle qui serait susceptible de lui être apportée par l’option de sa filiale unipersonnelle pour l’IR.

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L’absence de proportionnalité de la rémunération au travail effectué ou au service rendu constitue un acte anormal de gestion dont les conséquences sont extrêmement défavorables tant pour l’entreprise (réintégration de la rémunération dans son bénéfice imposable) que pour son dirigeant (changement de qualification : revenus mobiliers et non traitements et salaires).

Or la normalité de la rémunération des dirigeants comme critère de sa déductibilité pour la société fait l’objet d’une abondante jurisprudence difficile à systématiser tant les circonstances d’espèce sont variables. La notion de rémunération excessive ne peut pas être appréciée dans l’absolu, mais seulement de façon relative. Parmi les divers éléments permettant de caractériser une rémunération excessive figurent, notamment, les aptitudes personnelles et professionnelles du dirigeant ainsi que l’étendue de son activité et la réalité du service rendu ( )80 , l’importance des résultats de l’entreprise et le lien entre ceux-ci et l’activité déployée par le dirigeant ( )81 , la politique salariale de la société ( )82 et la rémunération d’emploi identique dans l’entreprise, le mode de rémunération de leurs dirigeants par des entreprises similaires ( )83 …

Ainsi, le chiffrage d’un montant optimum de rémunération du dirigeant est difficile voire impossible.

Face à une telle impossibilité de dégager des critères objectifs fournissant aux dirigeants des repères précis et sûrs, le risque d’un redressement pour acte anormal de gestion apparaît grand et donc encore plus grave. Le risque est d’autant plus grand que les tribunaux voudront lutter contre l’abus de sa politique salariale de la part d’une société unipersonnelle au profit de son dirigeant, associé unique.

Aussi, pour limiter l’incertitude et faute de renseignements précis donnés par la jurisprudence, ne pourrait-on pas prévoir la possibilité de négocier avec l’administration, soit au niveau individuel, soit au niveau d’une branche professionnelle un accord sur la détermination du niveau normal de la rémunération du dirigeant (un petit peu à l’image du rescrit fiscal en matière d’abus de droit) ?

La sécurité y gagnerait, sans pour autant compromettre la liberté de l’entreprise.

B) Neutralité de la cession de l’entreprise

La neutralité fiscale exige que les choix effectués quant à la structure juridique de l’entreprise soient sans conséquence au moment où l’entreprise est cédée : que l’entrepreneur cède des actifs ou des droits sociaux, il doit être soumis au même régime.

Une première disparité, qui est en voie de correction, concerne l’égalité de traitement entre l’entreprise individuelle et l’entreprise en société. Pour cette égalité la cession des parts d’intérêts doit pouvoir bénéficier du même abattement de 23 000 € que les cessions d’actifs

(80) Ex. CAA Nantes 19 avr. 1989, n° 51, Dr. fisc. 1989, n° 30/31, comm. 1511 ; RJF 1989, n° 941. (81) Ex. CE 21 fév. 1990, n° 90 129, Dr. fisc. 1990, n° 42, comm. 1904 ; RJF 1990, n° 396. - CAA Nancy 7 nov. 1989,

n° 178, RJF 1990, n° 395. (82) Ex. augmentation massive de la rémunération : CAA Lyon 22 janv. 1997, n° 95-256, Dr. fisc. 1997, n° 37,

comm. 923. (83) Ex. CE 15 fév. 1989, n° 56 154, RJF 1989, n° 426. - CE 21 fév. 1990, n° 58 482, Dr. fisc. 1990, comm. 1905 ;

RJF 1990, n° 455.

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(cela était prévu par le projet de loi sur l’initiative économique actuellement en discussion devant le Parlement).

Quant à l’égalité entre sociétés unipersonnelles (EURL ou SASU), le droit sur les cessions de titres devrait être unique. Bien sûr, il serait souhaitable qu’il soit le plus réduit possible ( )84 ; cependant, la logique fiscale voudrait que le droit sur les cessions d’actions soit remonté à ce qu’il était à l’origine, soit 4,80 %. Cette proposition est dans la logique fiscale et ne perturberait pas les cessions de titres cotés puisque, les concernant, le droit sur les cessions d’actions est resté un droit d’acte. Elle seule assurerait la neutralité entre les cessions d’actifs et les cessions de droits sociaux ( )85 .

C) Reconnaissance du caractère professionnel des parts d’une société unipersonnelle soumise à l’impôt sur les sociétés

Lorsqu’une société (pluri ou unipersonnelle) relève de l'impôt sur les sociétés, les droits sociaux ne sont pas considérés comme des biens professionnels puisque, compte tenu de l'écran de la personnalité morale, l'associé ne peut être considéré comme exerçant personnellement l'activité sociale.

L'opacité fiscale de ces sociétés empêche que les droits sociaux puissent avoir le caractère d'actif professionnel.

De ce fait les plus-values réalisées sont soumises au régime des plus-values des particuliers alors que, lorsque les droits sociaux sont ceux d’une société soumise à l’IR, le régime applicable est celui des professionnels. Cependant, sur ce point et malgré les apparences, il n’y a, en général, pas de disparité dans la mesure où le taux d’imposition sera identique (26 %), que l’on applique l’article 150-0-A du CGI (plus-value des particuliers) ou qu’il s’agisse d’une plus-value à long terme imposée selon le régime des plus-values professionnelles.

Il existe, en revanche, une disparité plus réelle et plus importante en pratique. Le fait que les droits sociaux soient considérés comme des biens privés relevant donc du patrimoine personnel emporte que les intérêts d'emprunt contracté pour leur acquisition ou leur souscription ne sont pas déductibles. En pratique, pour parvenir à la fiscalisation de leurs charges financières, les associés sont contraints de passer par l'intermédiaire d'un montage complexe en ayant recours à une société holding.

Au contraire, pour les sociétés assujetties à l’IR, l'article 151 nonies du code général des impôts assimile à des éléments d'actif affectés à l'exercice de l'exploitation les droits ou parts des associés dès lors qu’ils exercent leur profession dans le cadre de la société. Grâce à cette assimilation, les associés peuvent déduire des bénéfices sociaux imposables entre leurs mains, les dépenses exposées pour l'acquisition ou la souscription des droits sociaux et notamment les frais et intérêts des emprunts contractés à cet effet.

(84) En ce sens, CREDA, L’EURL - Droit, pratique et perspectives (sous la dir. de Y. Chaput et A. Lévi), Litec, 2003,

p. 74. (85) L’uniformisation à 1 % des droits sur les cessions de l’ensemble des droits sociaux aurait, à l’inverse, l’intérêt

d’être incitative à la mise en société de l’entreprise individuelle.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

Il serait donc souhaitable que la même mesure profite aux membres des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés grâce à une extension, à leur avantage, de l’article 151 nonies.

Une telle mesure législative ne serait d’ailleurs qu’une extension de la jurisprudence dite des cliniques ( )86 . En l’absence de texte, les tribunaux apportent un assouplissement en permettant de considérer comme éléments d’actif professionnel les droits sociaux d’une société de capitaux exploitant une clinique lorsque leur acquisition est une condition nécessaire à l’exercice de la profession. Mais cette jurisprudence applicable aux professions libérales n’a pas été étendue aux professions commerciales.

En conclusion, la patrimonialisation renforcée par l’introduction du patrimoine d’affectation n’offre pas le choix entre le statut de salarié et celui de commerçant. Elle a, au contraire, des inconvénients au regard des mouvements de valeurs entre les deux patrimoines. Ceux-ci, cependant, peuvent être corrigés par des mesures ponctuelles analogues à celles qui existent au cas de mise en société de l’entreprise.

La voie de la personnalisation paraît donc préférable, car elle seule permet à l’entrepreneur de choisir son statut fiscal : salarié plutôt que commerçant. Il faudrait, cependant, renforcer l’intérêt de ce choix en offrant notamment plus de sécurité quant à la détermination de la part du bénéfice pouvant être perçue en qualité de salarié ainsi qu’en reconnaissant aux droits sociaux le caractère de biens professionnels.

M. Claude CHAMPAUD.– Mesdames et Messieurs, je vais maintenant demander au Professeur Chaput de bien vouloir nous rejoindre à la tribune.

OBSERVATIONS CONCLUSIVES

M. Yves CHAPUT, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)

« Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle… Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ? »

La réponse n’est-elle pas l’« énergie d’entreprendre » proclamée par cette jeune bicentenaire qu’est la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ? Le dynamique colloque qui s’achève en est une parfaite illustration.

La tâche, en elle-même agréable, de clore cette journée par des remerciements sincères aux intervenants, s’en trouve facilitée puisqu’une synthèse devient inutile. Pourtant, comment résister à la tentation de poursuivre quelques instants encore une manifestation qui, à voir les réactions des participants, s’achèverait trop tôt ? Cette conclusion ne leur donnera-t-elle pas le sentiment qu’il faut enfin terminer… serait-ce provisoirement ? Telle est peut-être la raison d’être des conclusions des colloques réussis.

(86) CE 22 juin 1988, n° 60 228, RJF 1988, n° 8/9, 979. - CE 21 avr. 1989, n° 60 502, Dr. fisc. 1989, comm. 1670.

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Nos petites entreprises au seuil du XXIe siècle Quelles nouvelles réponses juridiques aux défis socio-économiques ?

« Nos petites entreprises… ». La formule n’est pas un simple refrain de chanson ou le titre d’un film. Elle relève incontestablement des sciences juridiques. De son intégration dans les sources du droit dépendent les prérogatives et obligations des agents économiques : « patrons », fournisseurs, clients, salariés… La conceptualisation de ce qu’est une petite entreprise ne saurait être négligée ni même suspendue dans l’attente de propositions doctrinales faisant l’unanimité ! Une telle définition est d’autant plus nécessaire que les marchés se mondialisent, alors que les catégories juridiques gardent bien des particularités nationales ou régionales, malgré les progrès de l’harmonisation européenne. Chacun d’entre nous est en mesure d’en voir la difficulté ne serait-ce qu’en considérant les spécificités des systèmes de droit écrit et de Common Law.

Dans les systèmes « continentaux » nourris de droit romain, et spécialement en France, l’entreprise, quelle que soit sa taille, se trouve écartelée entre les catégories formelles de « sujets de droit » et de « biens », quand elle n’est pas assimilée à un « nœud de contrats » ! A s’en tenir à des abstractions, le jeu de la qualification – notion/régime juridique – ne serait que fastidieux, mais, en l’espèce, il va même jusqu’à la prestidigitation puisque l’entreprise a disparu. Où est l’entreprise, lorsque apparaît une personne morale, un meuble incorporel… un patrimoine au sens psalmodié d’Aubry et Rau ou au sens des économistes ? Non seulement, elle a disparu, mais ses substituts ont des régimes juridiques incompatibles. Cette multiplicité de concepts n’est pas le reflet « aristotélicien » de la réalité de la petite entreprise que le Président Champaud a su si bien nous faire apercevoir : « … la pluralité foisonnante presque fourmillante, du microsome économique et sociétaire », de sorte qu’« on aboutit à des définitions qui relèvent plus du culturel et du mental que de l’économie ».

En revanche, les « défis socio-économiques » sont des réalités trop présentes pour que les juristes ne cherchent à transcender leurs contradictions anachroniques et à faire passer, à travers leurs normes abstraites, l’« énergie d’entreprendre ».

Si 2003 est l’année du bicentenaire de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, 2004 sera celle du Code civil. Les hasards des calendriers deviennent ainsi des symboles prometteurs. Le premier défi des juristes français, au début du XXIe siècle, n’est-il pas celui de la codification ? On dirait, de nos jours, de la « légistique » ! Or de quoi s’agit-il ? Le Doyen Jean Carbonnier, comme souvent, donne la solution ( )87 . La loi codifiée doit répondre à un postulat de cohérence.

Comment donner des réponses cohérentes à ces défis ? La réponse première est politique : le choix d’orientation économique. Mais quel qu’il soit, sa mise en œuvre n’est envisageable que si les lois qui en découlent sont compréhensibles et harmonieuses. La cohérence est aussi facteur de sécurité et par conséquent de confiance, cette âme du crédit et donc des affaires.

Le Premier Ministre, Monsieur Jean-Pierre Raffarin, dans son plaidoyer « Pour une nouvelle gouvernance », après avoir vanté les mérites des « écoles de projets » ajoute : « on remarquera que le mot entreprise n’y figure pas… » (88). Ainsi sont évités les débats

(87) V. Dictionnaire de philosophie politique (sous la dir. de Ph. Raynaud et S. Rials), coll. Quadrige, PUF 2003,

v°. Codification. (88) J. -P. Raffarin, Pour une nouvelle gouvernance, L’archipel, 2002.

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académiques stériles, de ceux qui disputent de ce qu’ils ne connaissent pas. Le juriste, lui, ne peut en faire l’impasse. Au-delà des mots, des activités naissent et meurent, des clientèles se créent, des valeurs se transmettent et non pas dans un « univers » de non-droit. Au-delà des réalités foisonnantes, des exigences juridiques demeurent, qu’il faut nommer et représenter. Le juriste, c’est son « existentialisme », est sommé de répondre hic et nunc à ces défis socioéconomiques.

Des réponses, des « réponses juridiques », précises, conceptualisées, ce colloque en apporte. Mieux encore, pour qui doit provisoirement conclure, elles s’articulent (spontanément ?) autour de deux idées, l’une normative, l’autre pragmatique. À la nécessaire cohérence du droit des petites entreprises doit correspondre une efficace compréhension des phénomènes juridiques par les entrepreneurs et leurs conseils.

Première réponse : La cohérence du droit des petites entreprises en Europe

En trop bonne méthode théorique, ne conviendrait-il pas de définir, selon le jargon juridique, ce qu’est une petite entreprise ? Non. En pratique, toutes les définitions qui nous ont été proposées (ou même refusées) peuvent être opératoires, selon la finalité du texte applicable. L’exemple des « codes pilotes » et des « codes suiveurs » le fait comprendre. Tantôt le mot doit être univoque, lorsque la réglementation a un objectif précis unique, tantôt il peut être ambivalent lorsque les réglementations ont des finalités distinctes. Il est facile d’en trouver des exemples tirés du droit commercial et du droit du travail. Ce qui est condamnable reste l’ambiguïté : le terme « entreprise » détaché de son contexte.

Le Professeur Olivier Basso nous a mis en garde. Dans la vie d’une entreprise se produisent des effets de seuils ( )89 . Ils se produisent dès la naissance d’une PME, qui peut croître en multinationale et décliner, de restructuration en restructuration, en TPE ! Et l’on comprend que la première approche soit nécessairement quantitative. Monsieur Basso a finement analysé les chiffres publiés par l’observatoire des PME européennes. Si l’on devait n’en retenir qu’un, il intéresserait le tissu social : les PME assurent 33 % des emplois au Japon, 46 % aux États-Unis, 66 % dans l’espace européen des dix-neuf ! Monsieur le Président Henri Malosse n’a pas eu de mal à nous convaincre, chiffres à l’appui, que dans la compétition mondiale « l’enjeu est bien là… ». Il s’agit de savoir « comment rendre l’UE plus compétitive… et d’où vient cette incapacité à une dynamique propre ». Et le Président Malosse de donner la réponse : « D’avoir trop négligé son tissu local de PME et de n’avoir pas mis réellement à leur disposition les atouts du marché unique ». Le diagnostic étant bien posé, le traitement se précise.

Le statut juridique de la petite entreprise doit faciliter et non freiner l’accès au marché européen. Les dispositions nationales et européennes doivent s’harmoniser, non seulement en droit de l’entreprise mais aussi (surtout) avec les disciplines voisines.

A) Le droit positif de la société et du patrimoine d’affectation

Monsieur l’Avocat général Maurice Lafortune nous a opportunément mis en garde contre le risque que le dogmatisme l’emporte sur le pragmatisme. Ce faisant, il a chaleureusement rendu

(89) CREDA, Seuils légaux et dimensions de l’entreprise (sous la dir. de J. Prieur), Litec, 1990.

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hommage aux intuitions réalistes d’Alain Sayag, qui a su anticiper les solutions que nous commençons d’entrevoir, et que le CREDA, en communion avec sa pensée, a poursuivi jusqu’à ce jour.

Certes, le droit classique des sociétés n’est pas condamné, même s’il est en pleine « restructuration » avec les réformes en cours. Le Professeur Jean Paillusseau nous a montré avec clarté les avantages et inconvénients des principales structures juridiques envisageables. Et il a pertinemment montré que le choix de l’exploitation individuelle offrait ce lien « charnel », même si l’un des attributs de la propriété, l’abusus, peut conduire à une jouissance, à laquelle, personnellement, nous trouverions une certaine « perversité ». La clarté de l’exposé, en droit positif, donne heureusement des lignes stables à une discussion qui, grâce à lui, évite les ambiguïtés, à condition de ne pas franchir un pas qui consisterait à fermer le système, à faire du droit des sociétés un univers « clos ». Ce qu’il ne fait pas.

Dès lors, le Président Champaud peut relancer la réflexion en rappelant l’existence de la commandite ( )90 . Quel beau terrain, positif, d’expérimentation à une époque où chacun s’interroge sur la responsabilité des « managers » et des « patrons », et alors que se développe une culture du risque. Des réponses se dessinent de lege ferenda.

En outre, comme l’a rappelé Monsieur l’Avocat général Maurice Lafortune, l’article 2093 du Code civil n’étant pas d’ordre public, les créanciers, d’accord avec leur débiteur, ont la faculté de renoncer à leur droit de gage général pour limiter leur garantie à des biens déterminés. Aussi, et les réponses actuelles sur la protection de l’habitation principale en sont une application, comme celles qui avaient été instituées par la loi « Madelin », ne risque-t-on pas de voir apparaître paradoxalement des stipulations excluant le droit de gage général dans certains contrats ou même audacieusement des prétendues clauses sous-entendues aboutissant à ce même résultat ? N’est-ce pas ainsi qu’au XIXè siècle, d’actes notariés en actes notariés, a été reconnue la limitation de responsabilité des associés de sociétés dites de capitaux ?

Admettre dans notre arsenal juridique le patrimoine d’affectation reviendrait tout simplement, comme le remarque Monsieur Lafortune, à instituer une étape intermédiaire, favorable à la liberté d’entreprendre, entre l’exploitation individuelle et l’exploitation « personnalisée ». Qui plus est, dans la droite ligne des travaux inspirés par Alain Sayag et dont des ouvrages reconnus consacrés à « l’entreprise personnelle » marquent la progression logique ( )91 , le CREDA va publier prochainement une recherche sur la « clientèle appropriée » ( )92 . Dans sa conclusion à cet ouvrage, le Professeur Paul Didier s’interroge sur la reconnaissance d’une forme « matrice », première par rapport à la société ou au fonds de commerce, qui serait une « EURI » (entreprise unipersonnelle à responsabilité illimitée) ( )93 . Par transposition, les droits portant sur les biens servant à l’exploitation seraient reportés sur des parts sociales, les transmissions et restructurations se trouvant facilitées et rationalisées.

L’intérêt de l’entreprise, équivalent de l’intérêt social, l’emporterait sur l’intérêt personnel de l’entrepreneur. Par une démarche analogue, Monsieur Arnaud Reygrobellet a étudié les

(90) CREDA, La société en commandite entre son passé et son avenir (sous la dir. de A. Viandier), Litec, 1983. (91) CREDA, L’entreprise personnelle, t. 1 : Expériences européennes (sous la dir. d’A. Sayag et C. Jauffret-Spinosi),

LITEC, 1978 ; CREDA, L’entreprise personnelle, t. 2 : Critique et prospective (sous la dir. d’A. Sayag), Litec, 1981. (92) CREDA, La clientèle appropriée (sous la dir. d’Y. Chaput), Litec, à paraître. (93) V. P. Didier, Droit commercial, t. 1, L’entreprise individuelle, p. 363 sq., PUF, 1992.

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conséquences de la reconnaissance d’une société en nom collectif unipersonnelle, qui favorise les créanciers de l’entreprise par rapport à ceux de l’entrepreneur ( )94 . Le crédit social s’en trouve renforcé.

À l’opposé, les réformes en cours, en permettant à l’entrepreneur d’exclure certains biens du gage de ses créanciers commerciaux vont inévitablement provoquer des déplacements de sûretés personnelles et réelles vers la famille de celui-ci. Ce que l’on voulait éviter.

Il est donc temps de repenser, pour écarter des montages anarchiques, l’articulation des statuts juridiques de l’entreprise et des responsabilités qui s’y attachent, si l’on veut, en outre, restaurer la confiance envers le droit français. Restauration qui passe nécessairement par une réforme complémentaire du droit des sûretés, car l’ordre légal des créanciers correspond à la hiérarchie des intérêts que le législateur veut protéger.

Quant à l’exploitant qui, égoïstement, tient à ce que l’entreprise soit exclusivement sa chose, ce qu’on ne saurait lui interdire, il serait mal venu à réclamer une « neutralité fiscale », spécialement en matière de droits de mutation, puisqu’il ignore l’intérêt même de l’entreprise et les « droits fonctions ».

Une autre source de complexité apparaît lorsque l’entreprise sort de l’« hexagone ».

B) Les perspectives européennes

Le postulat de cohérence est (même encore plus) justifié dans ce domaine afin d’éviter une concurrence, parfois déloyale, entre États à impositions « d’appel ». Cette concurrence est facilitée par la reconnaissance de l’incorporation, c’est-à-dire par la possible adoption d’un statut social, non pas au lieu de l’activité, mais à celui de l’immatriculation. Il faut donc se réjouir des projets de sociétés européennes.

Certes, la société ouverte est de droit positif et va sous peu devenir réalité. Mais la plus utile ne serait-elle pas la « société fermée européenne » ou « société privée européenne », dont la conception initiale est l’œuvre de Madame Jeanne Boucourechliev ( )95 ?

Comment ne pas être attentif aux réactions positives de professionnels aussi avertis que Monsieur Christian Steinberger, Directeur du pôle juridique de la Verband Deutscher Maschinen-und Anlagenbau ? Des enquêtes de la VDMA, il ressort qu’une telle société paraît une structure parfaitement adaptée aux PME… Dont acte.

Dès lors, les propositions constructives de Me Christian Roth sont susceptibles d’en accroître la dynamique. Il ne s’agit pas de « communautariser » des formes sociales, mais de créer une structure juridique unique, de plein droit européen. Puisse son souhait d’un régime fiscal original être entendu !

(94) V. A. Reygrobellet, Pour une « société en nom collectif...unipersonnelle » : D. 2003, chr., p. 679. (95) CREDA, Propositions pour une société fermée européenne (sous la dir. de J. Boucourechliev), Office des

publications officielles des communautés européennes, 1997.

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Pour être efficace, un droit des sociétés, ou des patrimoines d’affectation, doit être imaginé en parfaite symbiose avec les autres branches du droit.

C) La cohérence des spécialités juridiques

Le « lien charnel » qui unit le patron et son entreprise, s’exprime d’abord en droit de la famille et en droit social (que l’on songe au « paternalisme ! »). Mais ni la finance, ni la fiscalité ne lui sont étrangères.

Maître Bernard Monassier, ange notarial tutélaire du « couple infernal », nous a montré comment les pratiques de bonne gouvernance s’étendaient aux règlements des conflits familiaux. Des « pactes de famille » peuvent être scellés dans les statuts. En outre, l’instauration de comités de sages (transposés des administrateurs indépendants) peut utilement éclairer les héritiers emportés par la passion aux dépens de l’entreprise et les placer face à leurs responsabilités.

Plus grave est la situation où l’exploitation de l’entreprise est individuelle, lorsque survient le décès de l’exploitant. Parce qu’alors l’entreprise n’est pas nettement dégagée de la « gangue » des biens successoraux, Maître Monassier a su, intelligemment, nous inquiéter sur les conséquences brutales qui s’ensuivent pour l’entreprise, des blocages et fermetures de comptes provoqués par le décès du « propriétaire ». L’EURI ne serait-elle pas, à nouveau, la réponse adéquate ?

Mais la sphère de l’entreprise ne s’arrête pas à la limite d’un patrimoine au sens d’Aubry et Rau. Elle intéresse ses partenaires et au premier chef les salariés qui, dans une petite entreprise, ont des visages « humainement individualisés ».

Maître Jacques Barthélémy, avec sa double casquette de praticien et d’auteur, a su faire ressortir comment des intérêts catégoriels pourraient être harmonieusement conjugués, jusqu’à admettre que soit personnalisée la collectivité des salariés, non sans insister pour que les patrons et chefs d’entreprise prennent conscience du rôle équilibrant du droit du travail. Comme paraît obsolète la lutte des classes ! Les catégories anachroniques s’effaçant, Maître Barthélémy a pu poursuivre ses investigations vers la « para subordination » (franchise, sous-traitance…).

Question subtile… Monsieur le Professeur Basso avait insisté sur les avantages des actions concertées entre petites et grandes entreprises, ainsi que sur la possibilité pour les secondes de pénétrer des marchés sur les traces et avec l’aide des premières. Maître Barthélémy, lui, nous a décrit les abus des intégrations. Quel domaine à défricher pour les juristes, partant de la liberté contractuelle, pour trouver des sanctions adaptées à ces comportements ! Le défi n’est pas insurmontable. La réponse passe par l’adaptation des financements.

Dépassant une approche purement descriptive et énumérative des prêts, subventions…, d’origine nationale, européenne ou autres, Monsieur Alain Benon a attiré l’attention sur l’importance de développer la prise de risque au niveau individuel en la mutualisant au niveau du système financier et des partenaires publics. La SOFARIS est, à ce point de vue, un mécanisme original, par une intelligente combinaison des responsabilités, et offre bien des éléments de réponse. Ainsi, pour les entreprises comme pour les juristes, la clé du succès,

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c’est-à-dire l’« énergie d’entreprendre », impose d’innover. La Commission européenne invite les PME – comme les Universités… – à constituer des réseaux et à répondre au 6e plan européen de recherche et développement pour bénéficier de la « manne communautaire ».

Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, puisque de bonnes fées se penchent sur les PME. Mais le dernier mot reste au fiscaliste… qui, heureusement, n’a pas été oublié à la cérémonie…

Le Professeur Patrick Serlooten est lui aussi animé de bonnes intentions. Le droit fiscal en revanche l’est moins. Aussi lui saura-t-on gré d’avoir révélé tous les pièges et les risques s’attachant aux propositions, parfois audacieuses, qui avaient été étudiées.

Ainsi avertis, il nous reste deux voies. La première est la prudence, si l’univers fiscal reste figé en France. Mais alors les entreprises, grâce à des créations sous des cieux fiscalement cléments, ne risquent-elles pas de s’en affranchir ? La seconde consiste à surmonter certains obstacles fiscaux, ponctuels et à court terme, qui sont « contreproductifs » pour le Trésor Public. Les rentrées sont évidemment tributaires du dynamisme d’une économie nationale ! Les propos désabusés du Doyen Houin cités par le Président Champaud seront-ils démentis par le passage d’un siècle à l’autre ?

Quoi qu’il en soit, la seconde réponse utile tient à l’information des entrepreneurs dynamiques.

Deuxième réponse : L’information des entrepreneurs dynamiques

Les choix efficaces supposent que le « décideur » soit parfaitement informé des conditions et des conséquences de ses décisions. Ce n’est donc pas seulement de cohérence ou de transparence qu’il s’agit mais de compréhension. Devant la multiplicité et la complexité des choix, des tris s’imposent.

Or, comme l’avait indiqué le Professeur François Terré, en matière de droit, « … mieux vaut ne pas comprendre – comme en tant d’autres secteurs de la vie – et par conséquent se renseigner, que croire que l’on comprend et se tromper » ( )96 .

A) Les conseils

Le Président William Nahum, par son expérience et son rôle au sein de sa profession, a su faire ressortir les apports essentiels de l’expertise comptable propres aux PME. Aux conseils individuellement prodigués s’ajoute une aide plus institutionnelle grâce aux centres d’information sur la prévention.

De même, on insistera (ce n’est pas pure coïncidence) sur le rôle fondamental des Chambres de commerce et d’industrie pour recueillir toutes les informations utiles et les communiquer aux entreprises. Celles-ci devraient, sans hésitation, savoir auprès de qui s’informer en permanence. C’est la multiplicité anarchique des guichets qui est à craindre,

(96) F. Terré, Introduction générale au droit. Dalloz, 2003, n° 368.

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comme le montre l’utile réforme des formalités administratives en matière de créations d’entreprise, dont les origines historiques ne sont plus un justificatif sérieux à l’époque de l’e-information et de l’e-commerce. Le droit français ne reconnaît-il pas désormais la création en ligne, comme le suggérait le droit européen ?

Autre est la question de la mise en réseau sur le plan européen de ces utiles informations. En revanche, l’information générale et institutionnelle ne saurait se substituer aux conseils personnalisés des experts-comptables, des avocats et des notaires notamment ; une réflexion étant à poursuivre sur l’exercice pluridisciplinaire de leurs missions, y compris à l’échelle européenne. Mais dans une PME les décisions elles-mêmes relèvent, inéluctablement, du patron. Or l’enquête du CREDA sur l’EURL a montré que la « réception » du droit par ses destinataires était, pour le moins, lacunaire.

B) Des entrepreneurs entreprenants

Paraphrasant un discours « volontariste » tenu en 1968, on pourrait conclure en proclamant : que les décideurs décident, que les entrepreneurs entreprennent… Dès la Renaissance, un économiste, Jean Bodin, avait affirmé « il n’est de richesse que d’hommes », et « que de femmes », ajoutera-t-on. D’autant plus opportunément que le mot de la fin sera suscité par Madame le Professeur Eugénia Bieto Caubet, en deux propositions que nous lui emprunterons :

– Les entrepreneurs doivent pouvoir devenir des modèles à imiter : leurs réussites, et non pas seulement leurs échecs, doivent être davantage médiatisés.

– La formation d’entrepreneur doit être intégrée à tous les niveaux éducatifs…

Qu’on se rassure, il ne s’agit pas de prôner une « diplomite » stérilisante, mais « d’utiliser des méthodologies orientées vers le travail en équipes multidisciplinaires et vers la construction de réseaux ». En un « mot », celui de Monsieur Renaud Dutreil, Secrétaire d’État aux PME, au Commerce, à l’Artisanat, aux Professions libérales et à la Consommation : « réconcilier les Français et l’entreprise ». Où l’on retrouve l’« énergie d’entreprendre ».

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