Multimedia Dispositifs Maguy Pothier

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Multimedias, dispositifs d'apprentissage et acquisitiondes langues

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  • Multimedias, dispositifs dapprentissage et acquisition

    des langues

    Maguy Pothier

    To cite this version:

    Maguy Pothier. Multimedias, dispositifs dapprentissage et acquisition des langues. FrancoiseDemaizie`re. Ophrys, pp.141, 2003, .

    HAL Id: edutice-00275185

    https://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00275185

    Submitted on 22 Apr 2008

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  • Maguy POTHIER

    MULTIMDIAS, DISPOSITIFS D'APPRENTISSAGE ET

    ACQUISITION DES LANGUES : UNE TRILOGIE D'AVENIR

    Collection Autoformation et Enseignement Multimdia

    Responsable de la collection

    _________________________________

    Franoise Demaizire, universit Paris 7

    OPHRYS

  • 2

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION ................................................................................................. 4

    1. EXTENSION DU DOMAINE DE RECHERCHE ........................................... 8

    1.1. Linguistique, linguistique applique et didactique des langues....................................8

    1.2. Pdagogie et didactique.....................................................................................................15

    1.3. Psychologie et didactique ..................................................................................................17

    1.4. Anthropologie et didactique .............................................................................................22

    1.5. Communication et didactique ..........................................................................................29

    1.6. Les caractristiques de la didactique ..............................................................................32

    1.7. De la transdisciplinarit ....................................................................................................40

    2. ALAO, MULTIMEDIA ET FLE .................................................................... 44

    2.1. Remarques terminologiques.............................................................................................44

    2.2. Et la recherche dans tout a ? ..........................................................................................47

    2.3. Splendeurs et misres du multimdia .............................................................................52

    2.4. Prospectives.........................................................................................................................64

    2.5. Les technologies et l'enseignement des langues.............................................................68

    3. DISPOSITIFS D'APPRENTISSAGE, MODE D'EMPLOI ........................... 81

    3.1. Le livre de la jungle terminologique ...............................................................................82

    3.2. Autonomie, auto-direction et apprentissage des langues.............................................84

    3.3. Enseignement, apprentissage, acquisition......................................................................93

    3.4. Rles de l'enseignant..........................................................................................................96

    3.5. De quelques dispositifs ......................................................................................................99

    3.6. Quelques rflexions sur la question...............................................................................113

    CONCLUSION .................................................................................................. 124

    LISTE DES SIGLES EMPLOYS ......................................................................................126

    REFERENCES .................................................................................................. 130

    TABLE DES MATIERES ................................................................................. 144

  • INTRODUCTION

  • Introduction

    4

    INTRODUCTION

    Cet ouvrage a pour objectif de situer la didactique des langues, et plus

    spcifiquement du Franais Langue trangre (dsormais FLE) dans sa dimension

    historique, en voquant la constitution du champ, les problmes rencontrs au long

    de ce parcours et les possibles volutions entranes par les technologies ainsi que la

    rflexion qui les a accompagnes. Si le concept de didactique des disciplines peut

    sembler une gageure intenable, voire une utopie, eu gard la diversit irrductible

    des matires enseigner (de la mathmatique la gographie en passant par la

    langue), voquer une didactique des langues n'est pas sans fondement. En effet, toute

    une analyse en amont comme en aval peut tre commune aux diffrentes langues, et

    seuls, les contenus, leur organisation et leur problmatique resteront singuliers pour

    chacune d'entre elles.

    Si le cadre du FLE a t choisi, c'est parce que l'auteure de cet ouvrage, par la

    grce de la Linguistique Applique l'enseignement des langues (1e gnration),

    s'est forme dans ce cadre en enseignant le franais comme langue trangre pendant

    des annes, puis en formant des enseignants (franais et trangers) avant de

    s'occuper d'une filire FLE l'universit. Par ailleurs, l'histoire du FLE prsente

    l'intrt d'tre la seule didactique des langues s'tre dveloppe dans un cadre non

    scolaire, mme si elle a subi, videmment, les influences de la didactique des

    langues scolaires. Cela lui confre une certaine originalit et une indpendance qui

    ne sont pas sans intrt.

    Sur la base d'une exprience particulire, la conception pdagogique et

    l'exprimentation d'un cours de franais des affaires sous la forme de cdroms

    multimdias, je voudrais galement apporter un clairage argument sur l'utilisation

    des (nouvelles) Technologies de l'Information et de la Communication pour

    l'ducation (TICE). Ni miraculeuses, ni diaboliques, les TICE ont leur place dans la

    formation en langues et il parat urgent de les positionner sans illusions ni rejet

    systmatique.

  • Introduction

    5

    Mais les TICE ne peuvent pas constituer un apport dconnect et simplement

    ajout une formation : si on les utilise, on devrait le faire en repensant l'ensemble

    de cette formation dans une totalit cohrente. Un des moyens possibles de cette

    intgration est constitu par les dispositifs d'apprentissage : ceux-ci peuvent

    permettre d'tablir un lien fort et congruent avec le multimdia en rentabilisant au

    maximum les potentialits techniques et en les adaptant aux intrts des apprenants

    dans une synergie intelligente et efficace.

    La problmatique sous-jacente ce travail est de lier logiquement et

    pratiquement :

    - une certaine ide du dveloppement de l'individu (impliquant une confiance non

    discute dans les potentialits humaines accompagne d'une conscience aigu des

    problmes possibles) ;

    - la prise en compte de l'importance de la relation ducative (aussi bien pour

    l'apprenant que pour l'enseignant qui elle apporte autant) ;

    - et une volution qualitative et quantitative des outils pratiques et conceptuels

    mettre en uvre dans l'enseignement / apprentissage d'une langue trangre.

    L'objectif global de ce travail est galement d'apporter quelques pierres la

    mise en place d'une recherche en didactique qui n'est malheureusement pas

    plthorique en France jusqu' prsent : puissent ces quelques rflexions aider une

    prise de conscience ainsi qu' une prise de risques. La didactique des langues n'est

    pas en voie de disparition, mais elle a besoin d'tre mieux prise en compte par les

    chercheurs et les praticiens chercheurs.

    Dans une premire partie, je tenterai de faire une analyse du champ de

    recherche qui en montre toute la complexit et qui mette en perspective tous les

    rseaux de savoirs qu'il oblige crer pour atteindre ses objectifs. Une deuxime

    partie s'intressera plus spcifiquement au dveloppement des applications

    technologiques et aux divers problmes qu'elles posent et auxquels nous1

    avons t

    confronts. J'essaierai galement d'analyser les raisons du peu d'impact de ces

    1

    Le "nous" renvoie ici l'quipe de travail du LRL (Laboratoire de Recherche sur le Langage, Universit Blaise Pascal, Clermont 2) qui a conu et ralis deux cdroms de franais, mais dans d'autres cas, pourra renvoyer la communaut des chercheurs. Le "je" fera rfrence un travail ou des points de vues plus personnels et assums comme tels.

  • Introduction

    6

    technologies dans le milieu particulier du FLE et de proposer quelques pistes de

    rflexion et de possible volution. Enfin, une troisime partie s'intressera la

    multiplicit des possibilits que permettent les dispositifs de formation ou

    d'apprentissage et tentera d'analyser le potentiel offert par cette diversification des

    modes de travail.

    Toute la rflexion mene induira un certain nombre de recherches qu'il serait

    bon de mettre en uvre en didactique des langues : qu'il s'agisse de la conception de

    matriels multimdias, de leur exprimentation ou de la mise en place de dispositifs

    d'apprentissage dans des cadres divers, les chantiers sont vastes et attendent des

    volontaires. C'est par la qualit de la recherche mise en place que la didactique

    s'imposera comme une discipline part entire (et non comme un simple sous-

    produit) et que, par ailleurs, elle apportera la socit ce que cette dernire lui

    rclame c'est--dire une meilleure efficacit.

    N.B. Dans la partie "Bibliographie" de la section Rfrences, j'ai choisi

    d'indiquer, contrairement aux usages en vigueur, le prnom complet des auteurs

    (sauf dans les rares cas o il ne figure nulle part), car il ne me semble pas vraiment

    indiffrent qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme. L'uniformisation de la

    pratique classique laisse souvent la place une interprtation neutre, c'est--dire

    masculine, de l'identit des auteurs, ce qui fausse l'approche du champ et de ses

    ralits sociales.

  • CHAPITRE 1

    EXTENSION DU DOMAINE DE

    RECHERCHE

  • Chap. 1

    8

    1. EXTENSION DU DOMAINE DE RECHERCHE

    Il convient tout dabord de cerner le domaine de recherche dans lequel cet

    ouvrage se situe : la didactique du franais langue trangre, et d'indiquer sa place

    par rapport des disciplines qui lui sont proches et aussi indispensables. Celles-ci

    relvent la fois du domaine linguistique, pdagogique, psychologique, culturel,

    social et communicatif ; elles ont, chacune leur manire, et des moments

    diffrents, apport un clairage nouveau et fcond une discipline qui s'est peu peu

    constitue en intgrant ces apports varis.

    1.1. Linguistique, linguistique applique et didactique des langues

    C'est la linguistique, et plus spcifiquement, la linguistique applique qui, la

    premire, a marqu le domaine de l'enseignement des langues qui ne s'appelait pas

    encore didactique des langues. Cela s'explique aisment par l'exigence de lisibilit du

    matriau linguistique qui est la fois l'objet et l'outil de la connaissance pour celui

    qui apprend comme pour celui qui enseigne ou aide apprendre.

    En effet, s'imaginer qu'il suffit de parler une langue pour l'enseigner suppose

    une grande mconnaissance de ce que sont, d'une part, une langue et, d'autre part, la

    pdagogie, qui rservent toutes deux de belles surprises, ce qui n'est pas le moindre

    de leur intrt. C'est donc une problmatique de terrain qui a amen les spcialistes

    interroger la linguistique et, plus prcisment, certaines de ses approches, pour

    conforter et accompagner les choix faits dans la substance de la langue, puis dans

    l'organisation et l'explicitation de cette substance.

    La didactique, ou du moins, ce qu'on appelle ainsi aujourd'hui, a commenc se

    mettre en place dans le courant du XIXe sicle, partir du moment o linguistes et

    enseignants de langues ont constat que les moyens traditionnels d'apprentissage des

    langues mortes n'taient sans doute pas le modle adquat pour apprendre parler les

    langues vivantes.

    C'est en 1829 (Puren, 1988 : p. 45) que parat une ordonnance de Charles X

    instituant un enseignement des langues vivantes dans les "collges royaux" et en

  • Chap. 1

    9

    1838 que cet enseignement devient obligatoire dans tous les collges. Cette

    gnralisation (si l'on peut dire, eu gard au petit nombre de destinataires) de

    l'enseignement des langues vivantes sera l'objet de vives critiques de la part des

    tenants d'une ducation "classique" oriente vers un objectif de formation gnrale et

    fonde sur l'apprentissage des langues anciennes. En dpit de son caractre plus

    "utilitaire", mais sans doute aussi en raison de la prminence et du prestige des

    langues anciennes, l'enseignement des langues vivantes s'est, au dpart, calqu sur la

    mthode dite de "grammaire traduction" en vigueur depuis environ la Renaissance,

    c'est--dire depuis que le latin n'tait plus une langue parle. Les rsultats furent

    videmment fort loigns d'une vritable pratique de la langue.

    Des volutions complexes ont t l'uvre ds le dbut pour rendre

    l'enseignement des langues plus oprationnel : au XVIe sicle, Montaigne avait

    vant la mthode naturelle en rfrence son propre apprentissage du latin, langue

    qui tait la seule parle autour de lui dans sa prime enfance. Mais cette mthode

    naturelle avait le dfaut de manquer d'assises autres qu'empiriques, et il est permis de

    penser que le dveloppement de la phontique dans le courant du XIXe sicle a jou

    un rle dans la mise en place d'une pratique orale de la langue d'apprentissage qui est

    l'une des orientations de la mthode directe.

    1.1.1. Les origines : la mthode directe

    La mthode directe est ne en Allemagne et en France la fin du XIXe sicle et

    des professeurs de phontique comme Vitor (co-fondateur avec Passy et Jones de

    l'API : Alphabet Phontique International) lui apporteront un soutien non

    ngligeable. Cette mthode, ne dans le milieu scolaire, puis systmatise dans les

    coles Berlitz aux tats-Unis, sera prconise en France, dans les Instructions

    Officielles de 1901 et considre comme un vritable coup d'tat pdagogique. En

    effet, elle s'opposait de manire systmatique, d'une part, la mthode de grammaire

    traduction, en refusant l'apprentissage de rgles grammaticales dconnectes d'un

    emploi et de l'autre, la traduction, considre, juste titre pour des dbutants,

    comme un simulacre qui amenait les apprenants parler une langue totalement

    fictive et fortement marque par la prgnance de la langue maternelle. Cette

    suppression de l'utilisation de la langue maternelle explique le terme de mthode

    "directe" (et non "indirecte" comme la mthode traditionnelle qui passait par la

    traduction) et suppose une association directe entre une forme et un sens.

    Les caractristiques essentielles de cette mthode sont connues : importance

    d'un apprentissage oral d'aprs le modle du matre (sous forme de questions-

  • Chap. 1

    10

    rponses notamment), accent mis sur l'activit du matre et de l'lve dbutant qui

    mimaient ce qu'ils disaient et volont affiche de se rapprocher de la mthode

    naturelle (employe par les prcepteurs). L'espce de bain linguistique cr par

    l'enseignant cherchait se rapprocher des conditions de l'acquisition de la langue

    maternelle mais de manire un peu artificielle et surtout trs en de sur le plan de la

    dure et de l'efficacit.

    Les principes qui soutenaient la mthode taient essentiellement de nature

    empirique et ractive : en essayant de recrer la mthode naturelle qui fonctionne

    sans coup frir, les mthodologues se dmarquaient radicalement de la tradition qui

    avait montr son inefficacit pour la matrise relle d'une langue vivante et

    innovaient vraiment sur le plan des pratiques de classe. En dpit de l'implication des

    phonticiens dans cette mthode, elle fait partie de ce qu'on appelle communment

    l're pr-linguistique.

    1.1.2. Naissance de la linguistique applique

    Le lien entre linguistique et didactique est pratiquement contemporain de la

    naissance de la linguistique elle-mme, du moins telle qu'elle a t constitue aprs

    Saussure, par ses successeurs, amricains notamment.

    En effet, le dveloppement de la linguistique au cours du XXe sicle et

    paralllement celui de l'apprentissage des langues trangres a t l'origine du

    terme de linguistique applique2

    ( l'enseignement des langues), n tout d'abord aux

    tats-Unis dans les annes quarante (1940-50). La seconde guerre mondiale et

    l'urgente ncessit d'apprendre les langues de faon fonctionnelle et non savante

    avaient amen les militaires amricains faire appel, non aux professeurs de langues

    trangres (qui utilisaient toujours la mthode traditionnelle de grammaire

    traduction), mais des linguistes reconnus, notamment Bloomfield3

    , pour la mise en

    place d'un apprentissage rapide et efficace. Les linguistes amricains avaient une

    spcificit que n'avaient pas leurs collgues europens : ils taient pour la plupart

    d'anciens enseignants de langues trangres et n'avaient pas reni ces antcdents

    (Girard, 1974 : p. 78). Ils s'appliqurent donc utiliser leur connaissance des langues

    cibles, de la linguistique gnrale et de lenseignement pour imaginer une mthode

    2

    Pour un approfondissement de cette priode, voir Girard, 1972 et 1974.

    3

    Leonard Bloomfield (1887-1949), linguiste amricain l'origine de l'analyse en constituants immdiats. Le dernier chapitre de son ouvrage majeur Language (1933), tait consacr l'enseignement des langues, maternelle et trangres.

  • Chap. 1

    11

    entirement nouvelle, fonde sur une thorie linguistique (le distributionnalisme) et

    une thorie de l'apprentissage (le bhaviorisme). Cet appui thorique tait totalement

    nouveau et justifiait l'appellation de linguistique applique qui fut donne aux

    dveloppements de cette mthode appele New Key ou mthode de l'arme, puis

    mthode audio-orale.

    La linguistique applique (LA), traduction directe du terme amricain "Applied

    Linguistics", traversa l'Atlantique dans l'immdiat aprs-guerre, tout aurole de ses

    rfrences scientifiques et du prestige de ses gniteurs. Cependant, la mthode audio-

    orale, que ce soit le modle de l'arme ou sa traduction scolaire ultrieure, ne fit pas

    vritablement d'mules4

    en France, ni dans le milieu scolaire (o l'on utilisait

    toujours la mthode directe puis une mthode un peu mixte, directe au dbut, plus

    traditionnelle ensuite) ni dans l'enseignement aux adultes qui commenait se

    dvelopper.

    la mme poque, la France, soucieuse de permettre une bonne diffusion du

    franais comme langue trangre, fit galement appel aux linguistes pour poser les

    bases d'un renouvellement des pratiques d'enseignement. Georges Gougenheim fut

    charg de diriger une quipe de linguistes et de pdagogues au sein du "Centre

    d'tudes du franais lmentaire" (1951) qui deviendra le CRDIF5

    en 1959.

    L'objectif tait, sur la base d'une enqute sur le franais parl, de mettre au point

    "une gradation lexicale et grammaticale mthodique qui puisse favoriser la diffusion

    du franais en facilitant son apprentissage" (Puren : 1988, p. 309). La publication de

    deux listes de 1500 mots chacune (Franais fondamental 1 puis 2) permettra par la

    suite aux spcialistes du CRDIF de concevoir une mthodologie nouvelle, trs

    cohrente et trs encadre, la mthode structuro-globale audiovisuelle (SGAV).

    En France, la LA, de 1re ou de 2me gnration (pour reprendre la dnomination

    de Galisson & Coste, 1976), incluait, (pour la 1re), ou non (pour la 2me), la

    mthodologie, cest--dire le "comment enseigner". Cependant, cette dnomination

    et ce qu'elle impliquait ne semblaient pas satisfaire tout le monde. Chomsky (1966 :

    p. 49) dans un article demeur clbre, crivait "je suis, vrai dire, plutt sceptique,

    quant la porte, pour l'enseignement des langues, des vues et des conceptions

    4

    la notable exception du manuel La France en direct (1969) qui se prsentait sous la forme d'un cours audiovisuel d'inspiration bhavioriste et dont les auteurs, Janine et Guy Capelle, avaient sjourn et travaill aux tats-Unis.

    5

    Crdif : Centre de Recherche et d'tudes pour la Diffusion du Franais, rattach l'cole Normale Suprieure de Saint-Cloud et dissous en 1996.

  • Chap. 1

    12

    auxquelles on a abouti en linguistique et en psychologie". Certes, il faut replacer

    cette citation dans son contexte spatial et temporel et noter, de surcrot, que

    Chomsky ne nie en rien l'intrt pour les enseignants de se tenir informs. Il

    prconise l'utilisation de la recherche en linguistique et en psychologie de

    l'apprentissage mais non l'infodation : "C'est au professeur de langues lui-mme

    qu'il appartient de valider ou de rfuter toute proposition spcifique, et il y a bien

    peu de choses en psychologie et en linguistique qu'il puisse accepter aveuglment"

    (op. cit. : p. 52). Cet esprit critique et cette remise en cause continuelle lui

    apparaissent comme un gage de bonne sant scientifique pour toute discipline, quelle

    qu'elle soit.

    1.1.3. mergence de la didactique

    Le terme de didactique (propre instruire, daprs son tymologie) a connu

    divers alas au fil du temps. Il tait, jusqu' peu, moins connu sous sa forme

    nominale que sous sa forme adjectivale et quelque peu pjorative (un expos ou un

    film didactique ont toutes les chances d'tre fort ennuyeux). Le nom a d'abord t

    employ par Comenius comme titre de son ouvrage La grande didactique (1628

    pour la premire version en tchque) qui constituait tout la fois un manifeste

    philosophique, un programme d'enseignement et une mthode progressive et

    rationnelle pour faire acqurir le savoir (on ne saurait avoir plus digne anctre).

    Comenius parlait beaucoup de l'enseignement des langues mais aussi de toutes les

    autres disciplines, et il a regroup l'ensemble de sa rflexion sous le terme de

    didactique. Ce n'est pourtant pas ce mot qui s'est impos dans l'histoire.

    De leur ct, les enseignants, plus particulirement dans les pays francophones,

    trouvaient cette dnomination trop applicationniste et exclusive, considrant qu'ils

    devaient faire appel de multiples disciplines (pdagogie, psychologie, sociologie,

    etc.) en plus de la linguistique, et ils prouvaient le besoin de se dmarquer dune

    science en pleine expansion dans les annes 60-70 (cest la "maladie infantile" de

    toutes les disciplines en voie de constitution). Roulet, dans le cadre de ses travaux au

    Conseil de lEurope pour la construction dun niveau-seuil, proposera dimpliquer la

    linguistique plutt que de lappliquer. Face cette formulation, on peut noter

    diverses ractions, notamment celle de Lehmann (1986 : p. 13) qui conteste : "par-

    del son slogan la mode commode, quest-ce que, concrtement, limplication

    apporte de mieux que lapplication dont on ne veut plus ? quel en est le mode

    demploi ? comment distribue-t-elle lutilisation didactique des divers outils que

    livrent les sciences du langage ?" Ces questions ne sont pas triviales, mais on peut

  • Chap. 1

    13

    aussi comprendre l'implication comme une manire de "mouiller" la linguistique qui

    a tendance rester dans les sphres thres de la thorie, de la confronter au dfi

    d'une utilisation par des apprenants6

    sur le terrain. Mais cela supposerait galement

    une implication des linguistes dans le champ concret de l'enseignement /

    apprentissage, ou, tout le moins, une collaboration entre linguistes et didacticiens

    qui ne pourrait tre que bnfique pour tout le monde. On peut donc regretter que ce

    sillon n'ait pas t creus, mme s'il n'est jamais trop tard

    C'est Denis Girard (1972 : p. 27) qui proposera le terme de didactique des

    langues qu'il reprend lui-mme de Mackey (1961), et Michel Dabne (1972, p. 10),

    alors directeur du CRDIF, le reprendra son compte dans un article du Franais

    dans le monde. En 1976, paratra le Dictionnaire de didactique des langues

    (Galisson & Coste) et la didactique des langues et des cultures fera son entre

    l'Universit en 1983 avec la cration de la mention FLE de la licence et de la

    matrise FLE, 16 ans aprs l'introduction de la linguistique (1967).

    Sans vouloir minimiser les conflits qui ont souvent oppos linguistes et

    didacticiens (la littrature est abondante sur ce thme : Lehmann, 1986 ; Beacco &

    Chevalier, 1988 ; Galisson, 1990, pour ne citer que ceux-l), il me semble que cette

    polmique est la fois non productive et un peu dpasse. La linguistique et la

    didactique nont pas exactement le mme objet, ni les mmes objectifs : la

    linguistique sintresse la langue (ou aux langues) et, suivant les orientations des

    chercheurs, elle va tenter darriver une description fine dune langue particulire

    par le biais d'une thorie scientifique qui rende compte du fonctionnement des

    langues et / ou du langage. Lobjet de la didactique des langues trangres (DLE)

    nest pas la langue en soi, mais la facilitation de sa comprhension et de son

    utilisation par des apprenants dont ce nest pas la langue maternelle. En fonction de

    cette diffrence, on voit bien que si la description intresse directement la DLE, les

    linguistiques formelles, plus adaptes l'informatique qu' l'homme, ne peuvent

    gure favoriser son travail.

    Il est clair cependant quune description fiable et approfondie des langues est

    sans conteste un besoin absolu pour l'enseignant, charge pour lui de la comprendre

    et de l'utiliser sa manire, au mieux et surtout de faon heuristique. Cette

    adaptation ou pour reprendre le terme de Chevallard (1985), cette "transposition

    6

    L'apprenant tranger qui m'a le plus impressionn tait un sud-africain bilingue anglais-afrikaans. Il coutait avec attention les explications grammaticales, puis proposait sciemment, avec un succs qui ne s'est jamais dmenti, l'exemple qui infirmait l'explication

  • Chap. 1

    14

    didactique" de la recherche linguistique est une ncessit pour rpondre aux

    exigences de lenseignement et de l'apprentissage, la manire de la mdecine qui

    s'appuie sur la biologie mais n'en possde ni les objectifs ni les moyens et doit se

    confronter chaque jour la complexit des problmes concrets.

    En effet, il ny a pas de limites au questionnement dapprenants trangers, et

    particulirement des adultes, au sujet de la langue quils tentent dacqurir. Les

    caractristiques de ces questionnements sont de divers ordres : dabord, chacun

    possde une exprience propre directement lie au fonctionnement de sa langue

    maternelle et la connaissance (et la conscience) qu'il en a, ce qui ouvre largement

    le champ des possibles. Ensuite, et cela relve des styles dapprentissage, certains

    auront plus que dautres tendance vouloir comprendre et analyser le

    fonctionnement de la langue, comme le font les linguistes (ces personnes taient

    particulirement frustres par les mthodes SGAV strictes qui imposaient une

    grammaire implicite et une rptition inconditionnelle, avec ou sans comprhension).

    Au total, les questionnements sont permanents et souvent inattendus pour

    lenseignant, car vis--vis de sa langue maternelle, on a tendance fonctionner sur le

    mode de la doxa7

    . Cest pourquoi seules des analyses linguistiques pointues peuvent

    permettre dapporter des lments de rponse ou daccompagner une rflexion de

    type mtalinguistique, quelle soit exploratoire ou comparative.

    Durant les annes quatre-vingt, LANEFLE (Association des Enseignants de

    Franais Langue trangre, cre en 1982) proposait des sminaires anims par des

    linguistes (notamment, Jean-Jacques Franckel ou Denis Paillard) sur des sujets aussi

    varis que les temps du pass ou la valeur et lutilisation de divers connecteurs

    ("car", "comme", "puisque", ou "dailleurs"). On peut regretter la disparition de ce

    type de rencontres qui constiturent, dans leur genre, des formes possibles de

    "linguistique implique", dans la mesure o linguistes thoriciens et enseignants

    praticiens de FLE se rencontraient, confrontaient leurs expriences et leurs

    problmes et cherchaient s'apporter mutuellement des lments de rflexion.

    L'objectif de ces rencontres n'tait pas de penser ensemble une transposition du

    savoir savant en savoir enseignable8

    , mais de voir concrtement ce que les uns

    pouvaient apporter aux autres, sans volont de domination de quiconque.

    7

    Selon Bourdieu, tout ce qui, allant de soi, va sans dire (le sens commun).

    8

    Je suis d'ailleurs assez rserve au sujet des prsupposs inclus dans cette notion de transposition qui semble impliquer une survalorisation de la thorie au dtriment d'une pratique videmment infrieure. Il n'apparat pas que ce soit une bonne manire de poser les problmes des relations thorie/pratique.

  • Chap. 1

    15

    Les problmes abords taient souvent dune redoutable complexit et

    demandaient un travail immdiat de comprhension des thories proposes mais

    surtout un travail ultrieur pour prendre en compte les analyses les plus fines en

    nludant pas la ralit des usages, et en ne les simplifiant pas non plus

    outrageusement. Chacun, linguiste ou didacticien, tait entran sur un terrain qui

    n'tait pas tout fait le sien, ce qui le dotait obligatoirement d'une certaine prudence

    et de modestie.

    1.2. Pdagogie et didactique

    Les deux termes ont une fcheuse tendance se faire concurrence : on a vu

    (infra 1.1.3.) qu'en dpit de son introduction par Comenius au XVIIe sicle, le terme

    de didactique ne s'est pas impos par la suite. Ainsi, dans les coles normales

    primaires de nagure, on appelait pdagogie des disciplines (du franais, des

    mathmatiques, etc.) ce quon aurait justement pu nommer, en termes plus actuels,

    didactique des disciplines.

    Le Petit Robert (2000) les renvoie lun lautre et parle indiffremment de

    didactique ou de pdagogie des langues. La diffrenciation propose par Cornu &

    Vergnioux (1992 : p. 10) claircit un peu la situation : la pdagogie, cest "tout ce

    qui concerne lart de conduire et de faire la classe, ce qui relve de ce quon a pu

    autrefois appeler la discipline, mais aussi lorganisation et la signification du

    travail. Lexercice de cet art et la rflexion sur ses ressources et ses fins sont ici

    associs.

    Les didactiques concernent, elles, lart ou la manire denseigner les notions

    propres chaque discipline9

    , et mme certaines difficults propres un domaine

    dans une discipline".

    De son ct, Michel Develay (1998 : p. 266) crit : "La didactique fait

    l'hypothse que la spcificit des contenus est dterminante dans l'appropriation des

    connaissances, tandis que la pdagogie porte son attention sur les relations entre

    l'enseignant et les lves, et entre les lves eux-mmes". On peut donc synthtiser

    en disant que la pdagogie concerne la relation ducative et les orientations

    gnrales (objectifs et mthodes) de l'ducation, alors que la didactique intervient

    9

    On notera la polysmie du terme discipline, employ dabord, dans la dfinition de pdagogie, dans le sens de rgles de conduite respecter, et ensuite, pour didactique, dans le sens de matire denseignement, ce qui contribue un peu plus brouiller les pistes.

  • Chap. 1

    16

    plus spcifiquement sur les contenus disciplinaires et la manire de les faire acqurir.

    Cependant, une synergie entre les deux est videmment ncessaire pour prendre en

    compte tous les paramtres qui interviennent dans l'acte d'apprendre et d'enseigner.

    La pdagogie, par son tymologie mme, est lie lenfance, la classe et

    lcole comme structure de transmission des connaissances, ainsi que, dans la

    pratique hexagonale, aux Instructions Officielles et aux Programmes prescrits par

    l'ducation Nationale. En effet, le terme d'andragogie, trs utilis au Canada, n'a

    jamais rellement conquis la France mme si la loi sur la formation continue des

    adultes date de 1971. Cependant, cela ne dispense pas les didacticiens d'interroger

    certains concepts, notamment la motivation, la transposition pdagogique et le

    transfert ainsi que la reprsentation et la mtacognition, ces deux derniers concepts

    venant plutt de la psychologie cognitive (ce qui montre bien la porosit des

    frontires disciplinaires). Toute rflexion sur l'enseignement peut difficilement faire

    l'impasse sur les apports de quelques grands pdagogues (de Comenius Freinet en

    passant par Rousseau) et sur les grands types de pdagogie (non directive et

    constructiviste notamment), une formation d'enseignants de langues pouvant

    difficilement faire l'impasse certains points comme les contraintes du travail en

    groupes et les techniques d'animation.

    Mais il est clair que la didactique n'a pas pouss dans le mme terreau que la

    pdagogie : en effet, en France, la didactique du FLE, dont Daniel Coste (1984) date

    la naissance dans l'immdiat aprs-guerre, du fait d'une volont politique de

    diffusion du franais dans le monde, s'est dveloppe la marge de l'institution,

    notamment dans des structures ad hoc comme le CRDIF et le BELC10

    . Ces espaces

    de libert ont t des lieux extraordinairement cratifs et fconds, l'origine de

    nombreuses innovations dans l'enseignement / apprentissage du FLE et dans la

    rflexion qui l'a accompagn. Le public vis au dpart tait un public d'apprenants

    adultes, essentiellement dans le cadre d'une coopration scientifique ou technique

    d'une part, et, d'autre part, un public d'enseignants trangers en formation continue.

    C'est d'ailleurs en direction de ce public que fut cre par le BELC en 1961 la revue

    Le Franais dans le Monde.

    En dpit de ces diffrences, dans la ralit de la pratique de l'enseignement,

    pdagogie et didactique ont au total beaucoup de points de convergences, voire de

    10

    BELC : Bureau d'tudes pour la Langue et la Civilisation, cr en 1960, et intgr au CIEP (Centre International d'tudes Pdagogiques) en 1987.

  • Chap. 1

    17

    recouvrements, et les sparer strictement en disciplines est plus heuristique que

    raliste. En effet, il ne semble pas que l'on puisse rduire l'enseignement /

    apprentissage des problmes de contenus disciplinaires : quels que soient les

    dispositifs de formation proposs, un aspect relationnel, qu'il soit duel ou pluriel,

    entrera en jeu et jouera un rle dans la construction des savoirs (sauf travailler en

    autodidaxie stricte o il n'y a plus d'enseignant). De plus, quel que soit le public vis,

    la question plus philosophique des orientations ducatives ne saurait tre lude,

    toute forme d'changes et de relations entre des personnes ayant, mon sens, une

    dimension qu'on peut qualifier d'ducative et qui fonctionne de faon rciproque.

    Le problme se pose diffremment pour ce qui est de la recherche : en effet,

    dans ce cas-l, la diffrenciation est possible et le didacticien peut se concentrer sur

    le choix, la structuration et la mise en forme des contenus sans s'occuper directement

    du travail de classe qui revient de droit et de fait au pdagogue confront

    l'apprenant ou au groupe.

    La pdagogie, ne dans le giron de la philosophie, mais qui a pris une certaine

    autonomie depuis longtemps, reste toujours un peu suspecte aux yeux de certains

    chercheurs et n'est pas apparue sous ce vocable dans l'universit franaise. Elle s'est

    d'abord appele "Science de l'ducation" (au singulier) lors de son entre la

    Sorbonne en 1883 sous la forme d'un "cours complmentaire" assur par Henri

    Marion, puis elle deviendra une chaire en 1887 et mile Durkheim la transformera

    en chaire de "sociologie et de science de l'ducation" en 1907. Mais celle-ci ne

    survivra pas la premire guerre mondiale et il faudra attendre 1967, l'anne mme

    o y fut introduit la linguistique, pour voir les "Sciences de l'ducation" faire leur

    entre l'universit (cf. Plaisance & Vergnaud, 1993). Le terme mme, dans sa

    pluralit, montre bien que seule la cohorte de sciences d'appui qui l'accompagne est

    susceptible de lui donner une lgitimit universitaire.

    1.3. Psychologie et didactique

    En dpit de l'expression qui fut parfois employe - mais c'tait pour en dnier

    l'existence -, la didactique des langues trangres n'a jamais t une "psychologie

    applique", et l'on peut dire qu'elle a plutt cherch des justifications ou des

    confirmations de ses intuitions et de ses pratiques dans la psychologie de

    l'apprentissage sans jamais vritablement tenter d'en appliquer les dcouvertes.

    La premire question des didacticiens concernait le fait de savoir si l'acquisition

    des langues trangres tait ou non de mme nature que l'acquisition de la langue

  • Chap. 1

    18

    maternelle, et la prise de position ce sujet continue de traverser les mthodes et

    mthodologies successives. On mesure mieux l'heure actuelle ce que les deux

    acquisitions ont de diffrent11

    , notamment, pour la langue maternelle, la dcouverte

    simultane de la langue et du monde, l'imprgnation et l'interaction permanentes,

    ainsi que l'urgente obligation de comprendre et de s'exprimer pour communiquer et

    accder au savoir. Mme si des points communs existent, ces distinctions induisent

    des comportements et des modes d'apprhension assez radicalement diffrents que la

    psychologie du langage ou la psycholinguistique peut aider mieux cerner.

    1.3.1. Le bhaviorisme

    De manire plus prcise, les hypothses concernant la faon dont se met en

    place l'acquisition des langues ont t prsentes en didactique ds les dbuts de la

    mthode directe dans le courant du XIXe et, plus forte raison, lors de la constitution

    de la Linguistique Applique. Le bhaviorisme, alors en pleine expansion, a

    fortement marqu les esprits et les pratiques d'enseignement, surtout outre-

    Atlantique en assimilant l'apprentissage d'une langue n'importe quel type

    d'apprentissage c'est--dire l'acquisition d'habitudes sous la forme du fameux

    schma : stimulus, rponse, renforcement.

    La remarquable adquation entre le bhaviorisme et le distributionnalisme a t

    l'origine de l'exercice structural12

    qui est en quelque sorte le fils naturel de ces deux

    thories. Il a constitu la colonne vertbrale des mthodes audio-orales et il a t

    renforc par le dveloppement des laboratoires de langues dans les annes soixante.

    De faon tout fait remarquable, il est devenu un vritable serpent de mer

    indestructible de la didactique puisqu'on le retrouve dans toutes les mthodes

    successives jusqu' aujourd'hui o le bhaviorisme est pourtant victime de tous les

    ostracismes (ce qu'il ne mrite pas, pas plus qu'il ne mritait la vnration dans

    laquelle on le tenait nagure, cf. Gaonac'h 1988 : p. 84). Si l'exercice structural a

    ainsi perdur, c'est sans doute moins parce que les enseignants et les concepteurs de

    manuels sont rests bhavioristes dans l'me, que du fait que, sauf tre un gnie des

    langues, on ne saurait chapper totalement la rptition dans l'apprentissage. Celle-

    11

    Mme si dans le cadre de la recherche sur le bilinguisme (Matthey, 2001, p. 184) on conteste de plus en plus la notion de langue maternelle "rvlatrice de l'idologie monolingue".

    12

    On pourrait nuancer en disant que ce type d'exploitation des structures de base d'une langue avait eu des prcurseurs ds le XVIIe sicle (cf. Vigner, 1984 : p. 41) mais sa systmaticit est contemporaine de l're linguistique.

  • Chap. 1

    19

    ci s'avre tre un appui pour la mmorisation et la systmatisation, un soulagement

    pour les efforts cognitifs permanents que demande l'exercice d'une langue trangre

    tant qu'elle n'est pas automatise.

    1.3.2. La Gestalt psychologie et le SGAV

    En dpit d'une rputation tenace, entretenue partiellement par nombre de

    didacticiens eux-mmes, le courant SGAV n'a jamais eu d'inspiration bhavioriste et

    Henri Besse (1985 : p. 42) le dit sans ambigut : "Ce que les fondateurs du SGAV

    appellent structuro-global est, en effet, trs diffrent de ce que les

    distributionnalistes amricains appelaient une structure ou un pattern. () La

    notion de structuro-global implique une linguistique de la parole en situation". Elle

    implique galement une structuration par l'apprenant de la matire linguistique dans

    les interactions avec les autres, interactions qui prennent en compte, non seulement

    le verbal, mais aussi le non-verbal et la situation elle-mme.

    En revanche, les fondateurs se rclament de la Gestalt la fois pour sa mise en

    cause du positivisme et pour ce qu'on pourrait appeler sa thorie de la complexit

    que Besse (ibid.) dcrit ainsi : "un phnomne complexe ne doit pas tre considr

    comme une somme d'lments distinguer ou dissquer, mais comme un ou

    plusieurs ensembles ayant leur autonomie et manifestant une solidarit interne telle

    que l'lment ne prexiste pas l'ensemble, mais qu'il est, pour ainsi dire, constitu

    par lui". Cette thorie est videmment aux antipodes de la conception audio-orale

    qui tend considrer que le dcoupage de la langue en units minimales tudies les

    unes aprs les autres permettra l'apprenant de reconstituer la complexit d'une

    langue.

    Il faut reconnatre la dcharge de ceux qui interprtent le structuro-global

    comme une application des thories structuralistes et bhavioristes, que les exercices

    structuraux ont fini par envahir aussi le SGAV, mais, d'une part, plus du fait de

    personnes extrieures au srail, et, d'autre part, sans que ces types d'exercices en

    constituent l'pine dorsale. Tout au plus sont-ils des moyens supplmentaires

    accords l'apprenant dans une priode o la perception collective en faisait un

    passage oblig.

    1.3.3. L'influence du cognitivisme

    Henri Besse (1985 : p. 42) avait prudemment crit au sujet des prsupposs de

    l'approche SGAV qu'ils n'taient "pas incompatibles avec les hypothses d'un J.

    Piaget" ce qui tait un simple rapprochement (peut-tre d au point commun

  • Chap. 1

    20

    "constructiviste") plutt advenu a posteriori. Mais cette rfrence fut reprise, sous

    une forme plus affirmative, au sujet de l'approche communicative13

    , ce qui amne

    Gaonac'h ragir (1988 : p. 84) : "cette rfrence ne peut qu'tonner le psychologue,

    si l'on prend en compte le formalisme du modle piagtien - beaucoup d'gards

    proche de celui de Chomsky - qui intgre bien mal le rle des interactions de

    langage dans le dveloppement de celui-ci".

    Gaonac'h fait aussi remarquer trs justement que, bien souvent, l'application a

    prcd la thorie et plus prcisment que "la prise en compte du caractre global de

    la situation de communication, dans le cadre du courant structuro-global

    audiovisuel par exemple, a largement prcd les laborations thoriques de la

    linguistique textuelle ou de la psychologie cognitive" (ibid.).

    On peut dater les premires manifestations extrieures visibles de l'approche

    communicative du dbut des annes 70 avec la publication des niveaux-seuils par un

    groupe d'experts du Conseil de l'Europe. Ces niveaux-seuils ne comportaient, en fait,

    aucune rfrence des donnes psychologiques ou une quelconque thorie (leur

    orientation tait beaucoup plus sociolinguistique et axe sur les comptences

    culturelle et communicative). Ce n'est que postrieurement qu'est apparue la

    rfrence au cognitivisme que nous tenterons d'expliquer de deux faons. Tout

    d'abord, le fait de trouver dans la littrature scientifique spcialise une confirmation

    de vagues intuitions ou de comportements empiriques conforte et lgitime la

    didactique, ternellement accuse de non-scientificit. Par ailleurs, la lecture des

    psychologues14

    entrane les didacticiens, par un mouvement circulaire

    comprhensible, renforcer et dvelopper les points importants soulevs par la

    psychologie du langage, ce qui n'est qu'une preuve de plus de la fcondit potentielle

    des rapports interdisciplinaires.

    1.3.4. CAMILLE et la psychologie cognitive

    Pour notre part, lors de la conception du logiciel multimdia CAMILLE -

    Travailler en France (voir chap. 2, 1), nous avons cherch intgrer, dans la mesure

    13

    On pourra s'interroger sur les effets de rupture (comme le soulignent certains didacticiens) ou de continuit (selon Besse) qui se sont exercs entre les courants SGAV et communicatif, il n'en demeure pas moins qu'on ne construit pas sur du sable et que c'est toujours en relation avec ce qui prcde que l'on se pose ou s'oppose.

    14

    Nous n'chappons pas ici l'ambigut rsolue par la grammaire gnrative : il s'agit de la lecture des psychologues par les didacticiens

  • Chap. 1

    21

    du possible et des contraintes du support, un certain nombre d'aspects mis en lumire

    par la psychologie cognitive, et notamment, l'importance des connaissances

    antrieures qui taient, dans ce cas, essentiellement d'ordre professionnel (des pr-

    requis linguistiques taient demands, comme le niveau DELF 1e partie), le public

    prvu tant spcialiste. Les rsultats de l'exprimentation (Pothier, 2001) ont

    d'ailleurs tout fait corrobor cette hypothse.

    Le deuxime principe central qui a guid l'laboration de CAMILLE tait la

    ncessit de faire raliser des tches globales et complexes, de type rsolution de

    problmes, de faon contraindre l'apprenant utiliser des stratgies de haut niveau

    et mettre l'accent sur l'utilisation de la langue en situation (connaissances

    conditionnelles) plutt que sur des connaissances dclaratives ou procdurales15

    .

    Cependant, il est apparu que cela a t trs diversement ralis selon les sujets,

    certains entrant de plain-pied dans cette stratgie induite, d'autres, la fois pour des

    raisons de reprsentations de la langue ou de l'apprentissage, de culture et de styles

    cognitifs, restant dans une approche trs traditionnelle de traduction mot mot,

    parfois jusqu' l'absurde (op. cit. : p. 40).

    Dans son livre de 1987, Gaonac'h suggrait aux enseignants de langues de

    s'intresser aux recherches de Bruner (plutt qu' celles de Piaget) et, c'est dans

    l'ouvrage qu'il a dirig en 1990 qu'apparat ( ma connaissance pour la premire fois

    en didactique16

    ) un article consacr Vygotsky17

    (Vera John-Steiner, 1990 : pp. 101-

    114), devenu depuis la rfrence oblige de tout didacticien qui se respecte. La

    notion de Zone de Dveloppement Proximal (Vygotsky, 1985 : pp. 269-227) qui

    correspond parfaitement ce que des enseignants ont pu vivre et observer, pose

    cependant un problme lorsqu'il faut la faire fonctionner face un groupe et non

    dans le cas d'un novice face un expert. Comme la centration sur l'apprenant, credo

    de l'approche communicative (mais quel apprenant au milieu de vingt autres ? ou

    alors une quintessence d'apprenant concocte par l'enseignant ?), enseigner un

    groupe dans la zone proximale constitue une autre forme de quadrature du cercle.

    15

    Nous reprenons ici la diffrenciation propose par Tardif (1992 : pp. 50-54) entre connaissances procdurales, qui sont des savoir-faire applicatifs et connaissances conditionnelles qui permettent le transfert des apprentissages, les connaissances dclaratives correspondant aux connaissances thoriques ou factuelles.

    16

    Jean Janitza faisait brivement allusion l'ouvrage de Vygotsky traduit en anglais (1962) dans Enseignement assist par ordinateur des langues trangres, Hatier, 1985, p. 16.

    17

    Les anglophones crivent Vygotsky et les francophones, Vygotski. Pour ne pas changer sans arrt, j'ai choisi la premire forme puisque la premire rfrence est d'origine anglaise.

  • Chap. 1

    22

    Mais, en revanche, un logiciel reconstitue une forme de relation duelle et aurait

    pu permettre une certaine forme d'tayage et de construction assiste des

    connaissances qui n'a gure t exploite dans CAMILLE. En effet, sauf dans

    quelques cas, les rponses proposes taient du type vrai ou faux et ne prenaient pas

    en compte les ventuels raisonnements (ou perceptions) errons des apprenants.

    Mme si la crativit de chacun est pratiquement sans limites, il aurait t possible

    de prdire un grand nombre d'interprtations posant problme et de les dnouer par

    l'explication.

    Une certaine forme de mtacognition a t propose, en particulier dans la tche

    d'argumentation grce l'analyse de la situation et aux stratgies proposes pour la

    rsoudre. Nous avons t tonns de la conscience qu'avaient certains sujets de leur

    propre fonctionnement cognitif, affirmant que cette mthode tait sans doute

    excellente pour certains mais pas pour eux qui fonctionnaient sur le mode intuitif

    (op. cit. : p. 43) et non analytique. Un autre point nous a amens une certaine

    perplexit : nous avions fait l'hypothse (qui relevait de la doxa didactique) de

    l'activit et de l'implication de l'apprenant adulte et, de plus, professionnel, dans un

    logiciel ax sur des savoir-faire eux aussi professionnels. De fait, nous n'avons pas

    dout un seul instant de cette implication et nous avons dcouvert avec surprise que

    certains apprenants se comportaient comme des lves peu motivs qui finissent

    honntement l'exercice propos mais ne s'intressent en aucune faon ce que cela

    pourrait leur apporter. Cela nous a amens revenir sur la diffrenciation que fait

    Bange (1992 : pp. 53-85) entre les vritables apprenants et ceux qui sont simplement

    des locuteurs non natifs.

    Les donnes nombreuses dues l'exprimentation de CAMILLE et leur caractre

    complexe nous ont conduits regretter le manque de coopration entre psychologues

    et didacticiens que Gaonac'h appelle de ses vux et qui serait sans doute productif

    pour les deux disciplines.

    1.4. Anthropologie et didactique

    Ds la mise en place de la mthode SGAV dans les annes 50-60, les

    mthodologues se sont interrogs sur les places respectives de la langue et de la

    culture dans l'apprentissage d'une langue trangre et dans un premier temps ont

    tranch le dbat en incluant l'une dans l'autre. Certes, il est clair que langue et culture

    ont partie lie, mais deux questions demeurent qui ne sont pas triviales :

  • Chap. 1

    23

    Sur un plan pistmologique, comment acquiert-on un savoir (et non des

    perceptions subjectives) et un savoir-faire sur une culture, fut-ce la sienne ?

    Comment s'y prend-on sur un plan plus mthodologique pour faire acqurir ce

    savoir et / ou ce savoir-faire ?

    C'est tout naturellement que ces questions se posent aux enseignants confronts

    un public tranger vivant en France qui se heurte chaque jour des difficults de

    type culturel, moins lies la mconnaissance de l'Histoire ou de la Culture qu' la

    mconnaissance, voire l'interprtation errone des comportements culturels des

    Franais.

    1.4.1. Les deux cultures

    Tout d'abord, il convient de diffrencier, au minimum, deux sortes de cultures,

    l'une savante qui correspond des savoirs de type encyclopdique touchant la

    littrature, les arts, l'histoire, etc., l'autre, que l'on appelle culture quotidienne ou

    partage, et qui constitue le fonds commun aux personnes vivant au jour le jour dans

    une socit donne.

    La premire, la culture savante (ou de faon plus polmique, la culture cultive),

    au sens que lui donne Finkielkraut (1987), la culture avec la pense, est celle que

    transmet traditionnellement l'universit dans ses formations classiques en langues

    trangres (licences et matrises de Langue et Civilisation trangres), sous la forme

    de cours de langue et civilisation.

    La seconde, parfois appele, de manire peu "politiquement correcte", culture

    populaire, terme rcus au profit de culture quotidienne ou mieux encore, de culture

    partage, est analyse par Galisson (1991 : pp. 116-117) de la manire suivante : elle

    "gouverne la plupart des attitudes (des natifs), de leurs comportements, de leurs

    reprsentations et des coutumes auxquelles ils obissent () elle est une culture

    transversale qui appartient au groupe tout entier () elle chappe au contrle

    conscient de ceux qui la possdent. Elle ne s'exhibe pas. Elle n'est une gloire pour

    personne, puisqu'elle appartient tout le monde. () Elle s'acquiert partout, au

    contact des autres, dans les relations familiales, grgaires, sociales, travers les

    mdias, par exposition, immersion, imprgnation, imitation, inculcation () Ds son

    arrive au monde, l'enfant s'inscrit dans un milieu qui se charge de lui faire

    assimiler progressivement les rgles de conduite et de comportement qui rgissent la

    vie du groupe".

  • Chap. 1

    24

    C'est la manifestation extrieure de ce que Bourdieu a magistralement appel

    habitus, c'est--dire "la grammaire gnratrice de nos comportements" (dfinition

    spcialement adapte pour linguistes !), structures acquises qui modlent nos

    comportements, nos raisons et nos draisons. Il faut noter que Bourdieu parle

    d'habitus de classe, ce qui met l'accent sur les valeurs diffrentes rgissant les

    milieux sociaux, alors que les didacticiens en gnral (Galisson, Porcher, Zarate et

    les autres) mettent plutt l'accent sur la partie commune, le plus petit commun

    dnominateur, qui unit le corps social dans son entier. On peut lgitimement

    s'interroger sur l'effet peau de chagrin l'uvre dans une socit de plus en plus

    multiculturelle, mais nous n'ouvrirons pas ce dbat ici.

    La culture partage, uniquement acquise, jamais enseigne, ne constitue pas un

    savoir rpertori, mais s'exprime dans des ractions et des comportements, jamais

    explicits car "allant de soi" pour ceux qui les manifestent. Le caractre implicite de

    ces connaissances ou de ces reprsentations partages les rend particulirement

    opaques pour des trangers auxquels elles font gnralement dfaut, ce qui place ces

    derniers en porte--faux vis--vis des natifs et les exclut du cercle de connivence

    cr par le partage des mmes rfrences.

    C'est l'ensemble des implicites culturels, qu'ils fassent rfrence l'une ou

    l'autre culture, que j'ai voulu tudier dans ma thse et que j'ai dfinis comme "des

    dits ou des non-dits, jamais explicits, faisant rfrence des faits extra-textuels de

    nature culturelle supposs connus" (Pothier, 1991 : p. 244).

    La division entre deux formes de cultures est videmment rductrice car la

    ralit est beaucoup plus complexe ; il existe une forme de culture universelle qui

    transcende les cultures locales (la connaissance de la muraille de Chine par

    exemple), une culture plus locale que transmet l'cole et qui participe de l'identit

    nationale (avec ses auto-strotypes), une culture mdiatique lie l'actualit

    nationale et internationale (par exemple, savoir minimalement les noms des

    prsidents et / ou premiers ministres des grands pays) et une culture locale du

    quotidien qui consiste par exemple savoir que la Poste est gnralement ferme le

    samedi aprs-midi en France ou considrer comme normal que les enseignants du

    secondaire soient nomms par une instance extrieure qui va imposer une personne

    dans une quipe locale laquelle on n'a jamais demand son avis (cette vision des

    choses est loin d'tre tenue pour acquise dans d'autres cultures). Cette dernire forme

    de culture partage est la plus difficile cerner car elle touche nos habitus et nos

    reprsentations et elle est si bien ancre en nous qu'on a mme du mal la faire

    merger. C'est, de toutes, celle que j'ai eue le plus de difficults cerner dans ma

  • Chap. 1

    25

    thse (mes tentatives y sont bien modestes), car il aurait sans doute fallu un regard

    tranger parallle au mien pour dcoder ce qui nous constitue si intimement.

    Pour prendre quelques exemples dans les dessins de Plantu, on peut verser au

    fonds commun de la culture universelle les savoirs et reprsentations qui permettent

    le dcodage du dessin reprsentant le pape Jean-Paul II en Don Quichotte attaquant

    le moulin vent de l'amour libre (Le Monde, 16 mai 1985) et la culture "nationale"

    franaise, les savoirs qui donnent l'interprtation de celui qui reprsente J-M Le Pen

    au pied de la statue de Jeanne d'Arc Orlans (Plantu, 1985 : p. 77). Celle-ci

    s'adresse au dirigeant de l'extrme droite en ces termes : "Ne comptez pas sur moi

    pour bouter les trangers hors de France". Tous les petits Franais scolariss dans le

    primaire ont entendu et souvent retenu l'expression "bouter les Anglais hors de

    France" et qu'elle soit apocryphe ou non n'est pas important, elle constitue un savoir

    partag implicite qui rassemble (et, de fait, exclut ceux qui ne le partagent pas, mme

    si ce n'est pas dlibr).

    1.4.2. La formation la culture pour les enseignants

    Cette formation concerne les diverses formes de culture, mais ne se pose pas

    dans les mmes termes pour les natifs et les non-natifs, particulirement en ce qui

    concerne la culture partage.

    En ce qui concerne la culture savante, elle se prsente essentiellement sous

    forme de savoirs acqurir qui touchent l'histoire conue comme une anthropologie

    du pass (plutt l'histoire des mentalits prne par Marc Bloch, Lucien Febvre et

    l'cole des Annales qu'une histoire purement vnementielle), l'histoire des arts et

    aussi des techniques, ainsi que des notions de gographie physique, humaine et

    conomique et les aspects politiques contemporains. Les problmes que posent ces

    connaissances sont surtout lis la nature des contenus : que choisir dans la masse

    des possibles et sur quelles disciplines appuyer ces choix ?

    Le choix des contenus peut se faire partir de diffrents critres : types de

    publics, conditions de travail, objectifs de la formation (formation intellectuelle et /

    ou civique, ncessit fonctionnelle, ou autres). Il convient de bien diffrencier la

    fois les publics auxquels on s'adresse et les enseignants concerns : l'universit,

    dans le cadre d'une formation acadmique, les tudiants de langue ont affaire des

    spcialistes qui matrisent un savoir et disposent de rfrences fiables, mme si on

    sait bien la difficult d'interprtation inhrente toutes les sciences humaines. Dans

    le cadre d'une classe de langue, que ce soit dans l'institution scolaire ou dans des

  • Chap. 1

    26

    instituts spcialiss, les enseignants sont des gnralistes qui doivent tout traiter par

    eux-mmes et c'est ici qu'intervient, de faon cruciale, la ncessit d'une formation

    l'anthropologie.

    Nous n'entrerons pas dans le dbat sur les mrites compars de l'ethnologie et de

    la sociologie, la seconde tant plus axe sur le prsent de sa propre socit et sur les

    chiffres et les statistiques (mais la sociologie est aussi qualitative), la premire plus

    oriente sur les autres cultures, lointaines et diffrentes. Cependant si leurs histoires

    diffrent, leurs objets et leurs mthodes ont de plus en plus tendance se rapprocher

    et c'est peut-tre pour ne pas trancher entre les deux que le terme d'anthropologie, le

    plus englobant (qui se rapporte l'tre humain), a t choisi. Bourdieu (1992 : p.

    124) est trs clair sur ces distinctions byzantines quand il dit :

    "Je n'ai pas cess de lutter contre les frontires arbitraires qui sont le pur

    produit de la reproduction scolaire et n'ont aucun fondement pistmologique, entre

    la sociologie et l'ethnologie, la sociologie et l'histoire, la sociologie et la

    linguistique."

    Ce que l'anthropologie peut et doit apporter l'enseignant de langue (natif ou

    non natif), c'est un regard distanci sur sa propre culture et un regard empathique et

    ouvert sur la culture des autres, l'un et l'autre regard n'tant en rien "naturels", mais

    ncessitant un vrai travail d'explicitation qui se mne sur le long terme. Apprendre

    apprhender une culture l'aide des outils d'objectivation des sciences sociales va

    obligatoirement entraner une interrogation de sa propre perception toujours

    socialement marque et relativiser la perception des autres cultures (pour le moins de

    toutes celles avec lesquelles on entretient des rapports).

    Sinon, si l'on n'y prend garde, c'est le vcu et sa perception au premier degr

    ainsi que le sentiment de sa propre normalit qui reviennent massivement au galop

    sous la forme de l'ethnocentrisme et du strotype rassurant sur l'Autre. La

    connaissance de faits culturels passs et prsents peut encourager une meilleure

    perception de la culture (propre ou trangre) mais ne garantit en rien la disparition

    de l'ethnocentrisme, car le plus souvent les savoirs savants, acquis de manire trs

    extrieure, ne modifient pas l'individu de l'intrieur et, en tout cas, n'entament gure

    ses croyances et ses convictions.

    1.4.3. Faire acqurir une comptence culturelle

    Si l'on retient l'ide que la culture partage est la cl d'un certain nombre de

    comportements sociaux collectifs et individuels, une comptence culturelle plus axe

  • Chap. 1

    27

    sur cette culture partage devient incontournable pour l'apprenant tranger (appel

    vivre dans le pays cible ou tre en contact avec des natifs), s'il veut vritablement

    comprendre et tre compris sans malentendus interculturels.

    La sensibilisation la culture devrait intervenir ds le dbut de l'apprentissage,

    c'est--dire ds le niveau lmentaire ou moyen, ce qui peut donc difficilement se

    passer sous forme de cours classique et magistral, d'abord pour des raisons de langue

    (sauf faire ces cours en langue maternelle, mais on spare alors ce qui est

    difficilement sparable : langue et culture, cette dernire devenant quelque chose

    d'extrieur), ensuite pour des raisons lies la nature de la culture partage. En effet,

    celle-ci n'est pas unifie, elle revt des formes et des significations varies dans les

    diffrents milieux sociaux, et comme l'habitus, si elle a un fonds social commun, elle

    prsente beaucoup de manifestations individuelles diffrentes. Par ailleurs, toute

    tentative de constituer ces savoirs partags en noncs crits les fige dans des formes

    de strotypes nouveaux et soulve des leves de boucliers somme toute assez

    justifies (mme si les intentions des concepteurs sont pures, ce qui n'est pas en

    cause). En effet, l'anthropologie cherche dglobaliser alors que toutes ces tentatives

    globalisent obligatoirement et retombent dans le travers dj montr du doigt et qui

    consiste dire : les Franais font, disent, pensent que18

    , mme quand les auteurs

    prennent la prcaution de modaliser leurs informations l'aide de chiffres.

    La culture partage ne saurait donc constituer un savoir, mais devrait tre un

    savoir-faire, une prise de conscience des grilles interprtatives (Porcher, 1987 : pp.

    20-21) qui entranent les ractions des natifs d'une culture, une comptence les

    dcoder et aussi une facult interprtative car il n'existe pas de grille unique.

    Intervient alors la question : comment faire acqurir une comptence culturelle des

    apprenants trangers ? Cette question est infiniment plus cruciale dans ce cas que par

    rapport des savoirs, et elle revient de droit dans le cadre de la didactique, qui,

    informe par l'anthropologie, doit ensuite trouver des rponses adaptes la fois aux

    exigences du terrain et aux sciences de rfrence. Les quelques exemples que j'avais

    dvelopps dans ma thse permettaient la fois pour les apprenants de mieux cerner

    cette culture partage, de la replacer dans le cadre de leurs savoirs et de se doter de

    quelques techniques de reconnaissance et de dcodage, en particulier par rapport

    18

    "Les Franais aiment tre considrs comme des tres particulirement spirituels. Ce serait en quelque sorte une spcificit culturelle" (Mauchamp, 1995 : p. 35). On apprciera encore plus diversement la phrase suivante : "Les comiques Coluche et Pierre Desproges ont excell dans le comique gras, grivois, grossier" (op. cit. : p. 36).

  • Chap. 1

    28

    l'image. Ce travail tait essentiellement fond sur le dessin humoristique, c'est--dire

    sur un objet extrieur que les trangers s'efforaient de s'approprier.

    Un projet comme Cultura que Gilberte Furstenberg (2001) dfinit comme "une

    approche comparative interculturelle qui permet des tudiants franais et

    amricains, d'laborer progressivement et collaborativement leur connaissance et

    leur comprhension des valeurs, attitudes et croyances inhrentes l'autre culture,

    en un processus dynamique et interactif de construction rciproque" (Cultura, 1999)

    possde un degr d'implication personnelle extrmement intressant et novateur qui

    renouvelle les approches interculturelles. Dans un premier temps, les tudiants,

    franais d'un ct, amricains de l'autre, doivent ragir, dans leur langue maternelle,

    des situations (une mre gifle son enfant au supermarch), continuer des phrases

    (un bon ami, c'est), ou oprer des associations d'ides ( individualisme = ?). Ils

    prennent ensuite connaissance des ractions des uns et des autres sur un forum conu

    cet usage, puis, s'interrogent mutuellement sur leurs rponses et construisent ainsi

    une vritable comptence interculturelle avec l'aide des enseignants qui leur

    apportent des complments d'information (sous forme de textes, d'articles, de

    sondages, de films, etc.) et animent leur rflexion.

    Russir faire prendre conscience des Franais et des Amricains de la

    diversit et en mme temps des points communs de leurs reprsentations

    "nationales" et de l'cart avec celles des tudiants de l'autre pays constitue une

    formation culturelle et civique ainsi qu'une remarquable formation la tolrance et

    la relativit. Les outils que se forgent les tudiants dans ces changes seront

    oprationnels dans de nombreuses situations et l'inverse de ce qui se passe avec

    certains savoirs (qu'on apprend et qu'on s'empresse d'oublier), ils resteront ancrs

    dans leur vcu et dans leur rflexion. C'est, nous semble-t-il, un bon exemple de ce

    qui peut tre fait pour dvelopper une comptence interculturelle avec une utilisation

    trs oprationnelle des nouvelles technologies et spcifiquement du courrier

    lectronique.

    Pour conclure, nous citerons la finalit que Jean-Claude Beacco19

    (2000 : p.

    165) donne l'enseignement de culture-civilisation, qui, si elle n'a pas le mrite de la

    19

    Nous remarquons que, sur la mme page, Beacco relativise son apport la didactique de la culture-civilisation, notamment pour ce qui est du choix de certains documents sociaux de Tours de France (Beacco & Lieutaud, 1985). En effet, il remarque que "bien peu filtre de la France travers une page de l'annuaire du tlphone, d'un catalogue de vente par correspondance ou de la carte mto du jour. L'information culturelle est alors faible, trop pauvre pour donner prise l'interprtation des

  • Chap. 1

    29

    simplicit a au moins celui de faire le point sur l'tat de la question aujourd'hui :

    "Faire passer les apprenants (et, selon moi, avant eux, les enseignants) de leurs

    reprsentations initiales, fermes ou spontanment affectivises (compactes,

    rarfies et brutes) une prise de conscience de la complexit des cultures-

    civilisations par la mise en place d'une comptence de reprage dans un milieu

    tranger non familier, au moyen de pratiques d'observation et de dcouverte,

    prenant appui sur des documents issus des diffrentes formes discursives du savoir

    social, sollicits en classe en fonction de leurs caractristiques cognitives et

    linguistiques".

    Beacco parle de "documents sollicits en classe", ce qui appelle deux

    remarques de ma part. Tout d'abord, ne sont pas envisages ici les potentialits des

    TIC (Technologies de l'Information et de la Communication) que Furstenberg utilise

    remarquablement, non pas pour tre la pointe du progrs, mais pour servir un

    projet mrement labor ; ensuite, Beacco, ici l'instar de Furstenberg, donne une

    place importante l'enseignant plutt conu comme un animateur et un facilitateur

    qui va accompagner la rflexion des apprenants. Ainsi, il a toutes les chances d'en

    apprendre presque autant qu'eux et avec eux, ce qui contribue la modification des

    rapports entre enseignants et apprenants et une autre conception du mtier

    d'enseignant, jusqu', peut-tre, rendre caduc le terme lui-mme.

    1.5. Communication et didactique

    l'intrieur de ce que Yves Winkin (1996) tente d'unifier sous le terme

    d'anthropologie de la communication, apparaissent divers champs de recherche,

    pratiquement tous ns dans les annes soixante aux tats-Unis et qui ont pour point

    commun un intrt marqu pour une forme de communication sociale et non

    purement individuelle comme le prsuppose le circuit de la parole de Saussure ou le

    schma des ingnieurs (Shannon & Weaver, 1949) qui a tant inspir les linguistes.

    Ce n'est sans doute pas un hasard si cette conception sociale de la communication est

    ne aux tats-Unis, o l'anthropologie et la linguistique ont fait ensemble leurs

    premiers pas travers l'tude des langues et des socits amrindiennes et o les

    intuitions et les prises de position de Boas, Sapir, Whorf et autres n'ont pas manqu

    d'influer sur les rflexions ultrieures.

    apprenants." Il diffrencie par ailleurs les documents et discours sociaux de faon fine et opratoire (2000 : pp. 163-164).

  • Chap. 1

    30

    Diverses orientations ont marqu la didactique des langues dans la conception

    des modles et des contenus d'apprentissage, ainsi que dans l'analyse de son discours

    interne.

    1.5.1. Communication et contenus d'enseignement apprentissage

    La langue de rfrence propose aux apprenants d'une langue trangre a

    longtemps t, dans la grande tradition classique de formation d'une lite, une langue

    littraire directement puise dans les uvres des meilleurs auteurs. Lorsqu'on

    s'aperut que cela manquait de logique, les apprenants en question ne possdant pas

    le bagage minimum ncessaire pour en apprcier la saveur et ne sachant mme pas

    se servir de la langue pour un usage quotidien, on passa des contenus plus triviaux.

    C'tait l'poque de la mthode directe o l'on dcrivait tout ce que l'on voyait et ce

    que l'on faisait. Cette langue, terriblement descriptive, enseignait sans doute des

    choses utiles, mais ne correspondait en rien l'usage qui en est fait dans la ralit.

    Avec des dialogues en situation, la mthode SGAV semblait se rapprocher d'une

    communication authentique, mais, les observer de prs, les dialogues manquaient

    beaucoup de naturel : en effet, comment imaginer qu'on puisse interroger sa voisine

    pour savoir par le menu comment elle va occuper sa journe ou questionner

    longuement un homme qui rentre tardivement chez lui aprs ses heures

    supplmentaires ainsi que le proposait le manuel Voix et images de France, le tout

    l'intrieur d'un change bien huil au cours duquel ne se produisait aucun

    malentendu.

    Cette conception irnique de la communication fut battue en brche par les

    tudes de corpus conversationnels rels qui firent apparatre diverses sortes

    d'implicites : linguistiques, culturels, comportementaux qui peuvent se manifester

    sous des formes verbales, intonatives ou gestuelles et leur corollaire : un certain

    nombre de rats de la communication. Il est donc ce moment-l apparu important

    de fournir d'autres modles et de dvelopper des savoir-faire pour reprer et corriger

    les malentendus potentiels que l'tranget de la langue d'apprentissage rendait quasi

    invitables.

    1.5.2. La comptence de communication

    C'est Dell Hymes (1966 pour les premiers textes, 1973 pour la publication en

    franais) que l'on doit la notion de comptence de communication qui a exerc une

    profonde influence sur la didactique des langues. La nouvelle discipline qu'il tente de

    crer, l'ethnographie de la communication, l'intersection de la linguistique et de

  • Chap. 1

    31

    l'anthropologie, s'intresse moins la structuration du langage (proccupation

    centrale des linguistes dans la ligne de Saussure et d'une linguistique de la langue)

    qu' la manire dont on l'utilise (linguistique de la parole en situation).

    Partant de la comptence chomskyenne nettement linguistique, et beaucoup trop

    restreinte ses yeux, Hymes dfinit la comptence de communication qui ne prend

    pas seulement en compte les aspects linguistiques (connaissance et appropriation des

    rgles grammaticales d'une langue) mais aussi la comptence plus sociale qui permet

    de savoir ce qu'il convient de dire, qui, et dans quelles circonstances il convient

    aussi de se taire. Pour son crateur, la comptence de communication est englobante

    (c'est pourquoi Hymes a parfois voulu l'appeler simplement comptence linguistique

    pour signifier que les dimensions sociologique et culturelle ne sauraient tre

    dissocies des aspects linguistiques) mais un certain nombre de chercheurs (Canale

    & Swain, 1981, Moirand, 1982, Kerbrat-Orecchioni, 1986) ont dclin cette notion

    en sous-ensembles repris par la didactique : comptences linguistique, socio-

    culturelle, encyclopdique (connaissance des objets du monde), rhtorique ou

    discursive (connaissance des types de discours) et stratgique (utilisation de

    stratgies pour compenser diverses lacunes).

    L'objectif de dveloppement d'une vritable comptence de communication est

    ce qui unit les diffrentes approches dites communicatives et clectiques ; il faut

    cependant reconnatre qu'il s'agit d'un but trs ambitieux qu'il serait sans doute bon

    de dployer d'abord en langue maternelle si l'on veut avoir quelque chance de se

    l'approprier en langue trangre. En effet, cette comptence de communication est

    trs ingale d'une personne l'autre et l'on sait bien qu'il est particulirement difficile

    d'acqurir en langue trangre des concepts ou des savoir-faire qu'on ne possde pas

    dans sa langue maternelle.

    1.5.3. L'interaction dans la classe de langue

    Certains sociologues issus du grand mouvement de rflexion des annes

    soixante se sont rclam de l'ethnomthodologie, terme forg par Garfinkel (cf.

    Coulon, 1987 : p. 15), qui prend comme objet d'tude l'ensemble des implicites

    sociaux dans l'interaction. Un courant de ce domaine de recherche, galement inspir

    par la pragmatique et l'nonciation, et particulirement fcond en France, s'est

    intress l'analyse des conversations et des discours, y compris les discours de la

    classe de langue. Ceux-ci ont fait apparatre l'aspect interactif particulier des

    changes dans la classe ainsi que leur caractre autonymique. En effet, l'enseignant

    sert de relais entre les apprenants qui interagissent rarement de faon directe et trs

  • Chap. 1

    32

    majoritairement sur des problmes de code et d'explicitation du code (Cicurel, 1985,

    1994) ce qui n'a rien d'extravagant, eu gard la vocation de la classe de langue

    (Coste, 1984 b).

    L'approche communicative, qui avait, comme son nom l'indique, essay de

    transformer la classe en un lieu de communication et d'interactions (horizontales et

    non exclusivement verticales) dcouvrait qu'elle se payait un peu de mots. Mais, en

    retournant contre elle-mme les outils de l'analyse, la didactique tentait de mieux

    comprendre son propre fonctionnement et, dans une certaine mesure, de le faire

    voluer. Cette prise de conscience et cette interrogation continuelle sont une des

    dimensions de la formation des enseignants de langues trangres, dimension trs

    importante si l'on veut arriver des pratiques volutives. L'enseignement est un des

    nombreux mtiers de la communication qui ncessite une certaine capacit pour

    communiquer et faire communiquer les autres ainsi que des outils d'analyse pour

    mieux comprendre ce qui se passe (ou ne se passe pas). C'est une fuse trois tages

    qu'il convient de mettre en place : l'enseignant doit savoir communiquer (des savoirs,

    des savoir-faire, l'envie d'changer et d'apprendre), doit savoir grer les interactions

    (ou les faire grer), ce qui doit, terme, permettre la communication et l'change

    hors de la classe. Mais les deux premiers tages n'ont de raison d'tre que pour lancer

    le troisime qui est l'objectif ultime.

    Si l'on a parl trs tt de communication, assign comme but l'apprentissage

    des langues, ce n'est que dans la dernire partie du XXe sicle que ce souci s'est

    concrtis par des objectifs affichs et distincts de ceux qui touchaient la langue et

    la culture. Il est bien vident que les trois aspects sont difficilement sparables : il

    est ncessaire de matriser des formes linguistiques mais aussi des rgles culturelles

    pour que la communication ait quelques chances d'aboutir.

    On se retrouve une fois de plus sur des frontires mouvantes, aux confins de la

    pragmatique linguistique et des techniques de communication, dans une inter ou une

    transdisciplinarit invitable.

    1.6. Les caractristiques de la didactique

    1.6.1. La didactique des langues et des cultures : une premire approche

    Dans la mesure o la didactique des langues et des cultures trangres a fait

    l'objet de multiples dfinitions et caractrisations, nous allons partir de quelques-

    unes d'entre elles pour en approfondir certains aspects.

  • Chap. 1

    33

    Richterich (1988 : p. 175) "La didactique des langues a pour objet la relation

    entre les actions d'enseignement et celles d'apprentissage et la transformation des

    premires en secondes."

    Bailly20

    (1998 : p. 31) : "La didactique des langues se dfinit comme un va-et-

    vient entre les ralits du terrain pdagogique (la classe de langue) et les apports de

    la rflexion thorique dans les domaines scientifiques concerns."

    Puren (2001 : p. 21) "Discipline d'observation et d'intervention sur le processus

    conjoint d'enseignement et d'apprentissage des langues-cultures."

    Chiss (2001 : p. 163) "La double vocation rflexive et interventionniste de cette

    discipline doit tre maintenue."

    Ldi (2001 : p. 302) "Discipline carrefour qui se caractrise par sa finalit

    pratique, qui rpond la demande sociale d'optimiser les effets du travail sur les

    apprentissages."

    Nous pourrions multiplier les citations, mais contentons-nous de gloser celles-

    ci. Trois points semblant se dgager de manire forte, nous allons les examiner et

    dvelopper certains aspects d'entre eux.

    Premier point : le lien entre enseignement et apprentissage.

    La trace de l'enseignement dans l'apprentissage est notoirement infidle, mais la

    persistance de l'illusion isomorphique reste ancre dans l'imaginaire et les

    reprsentations des enseignants. La ncessit d'une liaison efficace entre le savoir

    dispens et l'apprenant est le b, a, ba de la didactique, mais ne saurait se rduire des

    recettes ou des applications de thories diverses. Cela ncessite, paralllement

    une certaine rigueur organisationnelle, de la crativit, de la souplesse et une

    adaptation continuelle une ralit mouvante, ce qui fait sans doute le charme mais

    aussi la redoutable complexit du travail21

    .

    Depuis une bonne vingtaine d'annes, le paradigme d'apprentissage tend

    nettement se substituer au paradigme d'enseignement, au moins au niveau des

    intentions et des rflexions thoriques. Cependant, la classe de langue, objet

    privilgi par les enseignants de FLE en particulier, n'est pas obligatoirement le lieu

    20

    Citant la dfinition de l'ACEDLE (Association des Chercheurs et Enseignants Didacticiens des Langues trangres), 1989.

    21

    Louis Porcher citait dans ses cours "l'ordre des raisons" oppos "l'ordre des occasions".

  • Chap. 1

    34

    idal d'observation de l'apprentissage, celui-ci tant par essence individuel et la

    classe, par essence collective, voire collectiviste, sauf pratiquer une pdagogie

    diffrencie ou individuelle, ce qui pose d'autres problmes (de mise en uvre

    pratique et d'effet d'accentuation des diffrences). C'est peut-tre une des raisons qui

    font que la Recherche en Acquisition des Langues (RAL) s'est focalise, non sur la

    classe mais sur l'tranger dans la socit qui acquiert la langue par interactions non

    programmes. La troisime manire d'apprendre, l'auto-apprentissage ou

    apprentissage auto-dirig (on ngligera l'autodidaxie totale) est certainement celle

    qui a t le moins tudie, non pas dans ses prsupposs thoriques et sa mise en

    uvre (cf. tout le travail du CRAPEL), mais dans ses processus et ses rsultats

    langagiers.

    Deuxime point : discipline d'observation, de rflexion et d'intervention.

    On pourrait dcliner ces aspects sur la base du paradigme prcdent, ainsi on

    peut observer l'enseignant dans ses uvres ou l'apprenant dans son effort de

    comprhension et d'appropriation de la langue. Les buts ne seront videmment pas

    les mmes : dans le premier cas (observation de l'enseignant) l'objectif sera soit la

    formation initiale soit une volont de perfectionnement et d'volution qui devrait tre

    (est ?) le but de la formation continue. Dans le cas de l'observation de

    l'apprentissage, cela ressortit une volont de meilleure comprhension des

    processus et des blocages de l'acquisition.

    La rflexion peut s'articuler sur l'observation, en relation avec des recherches

    effectues par les sciences de rfrence, se faire individuellement ou en groupe et

    prendre la forme canonique d'crits acadmiques (articles, ouvrages) de comptes-

    rendus internes ou de simples changes verbaux entre les protagonistes.

    L'intervention est d'abord celle de l'enseignant dans la classe de langue, mais

    peut tre aussi celle des formateurs, des didacticiens, des concepteurs de manuels,

    des dcideurs et autres responsables de programmes et d'valuations ou

    certifications. Pour des raisons videntes, l'intervention est plutt du domaine du

    praticien, l'observation du domaine du chercheur, tant il est vrai qu'il est difficile

    d'tre la fois observateur et observ. Il serait cependant fcond pour les enseignants

    de s'observer les uns les autres et d'changer leurs perceptions et analyses des

    situations d'enseignement apprentissage.

    L'interaction continue entre rflexion et intervention mise en relief par Bailly

    apparat comme une dimension incontournable et potentiellement fconde, source de

    questionnements et de renouvellements qui attestent du dynamisme de la didactique.

  • Chap. 1

    35

    Troisime point : la demande sociale.

    Comme toute discipline d'intervention qui s'adresse directement un public non

    prslectionn, la didactique est tenue de rpondre une demande sociale22

    . Celle-ci

    peut aussi bien venir des parents et de l'opinion publique dans le cas des scolaires

    que d'un public adulte et volontaire dans son apprentissage, sans oublier la demande

    institutionnelle (ministre ou patronat demandeur de formation).

    Tout le monde connat le triangle pdagogique : savoir / enseignant / apprenant,

    triangle que Legendre (1993 : p. 1168) inclut dans un cercle reprsentant le milieu. Il

    parat vident qu'on n'enseigne pas de Sirius, mais il est difficile de mesurer

    vritablement l'importance du milieu ambiant : peut-on vraiment le limiter, comme

    le propose Legendre, au "milieu ducationnel" ? Ce dernier comprend les acteurs de

    premier plan (dcideurs, enseignants, apprenants, parents), mais ce milieu n'est pas

    isol du monde et subit aussi des influences sociales plus diffuses (mdias, courants

    de pense, etc.).

    Cela pose la question en amont de l'indpendance de la didactique au niveau de

    ses orientations mthodologiques, voire de ses choix de recherche, et en aval de la

    rception de ses options par un public non spcialis (comprhension ou non,

    acceptation ou non des options choisies ?). Cela pose aussi la question de son

    influence possible sur ce public : dans quelle mesure les options et les volutions de

    la didactique ont-elles marqu la conscience collective ? Y a-t-il modification dans

    les reprsentations de l'apprentissage d'une la