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LA « FIN DU POLITIQUE » ET LE DÉFI DU POPULISME DE DROITE Chantal Mouffe La Découverte | Revue du MAUSS 2002/2 - no 20 pages 178 à 194 ISSN 1247-4819 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2002-2-page-178.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Mouffe Chantal, « La « fin du politique » et le défi du populisme de droite », Revue du MAUSS, 2002/2 no 20, p. 178-194. DOI : 10.3917/rdm.020.0178 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.46.223.37 - 09/01/2014 18h41. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.46.223.37 - 09/01/2014 18h41. © La Découverte

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LA « FIN DU POLITIQUE » ET LE DÉFI DU POPULISME DE DROITE Chantal Mouffe La Découverte | Revue du MAUSS 2002/2 - no 20pages 178 à 194

ISSN 1247-4819

Article disponible en ligne à l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2002-2-page-178.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Mouffe Chantal, « La « fin du politique » et le défi du populisme de droite », Revue du MAUSS, 2002/2 no 20, p. 178-194. DOI : 10.3917/rdm.020.0178--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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LA « FIN DU POLITIQUE » ET LE DÉFI DU POPULISME DE DROITE

par Chantal Mouffe1

Soudainement la question du populisme s’est retrouvée sur le devant de lascène en Europe. L’accession inattendue de Jean-Marie Le Pen au second tourdes élections présidentielles en France en mai 2002 et les excellents résultatsde la liste Pim Fortuyn arrivée en deuxième position des élections législativesaux Pays-Bas le 15 mai – après le meurtre de leur leader – ont créé un choc quia forcé les démocraties occidentales à prendre finalement au sérieux l’expan-sion du populisme de droite. Assurément de tels partis ont déjà fait parler d’euxà l’occasion, mais ils étaient considérés comme marginaux; et quand leur pré-sence se faisait plus forte, comme en Autriche, on l’expliquait par des idiosyn-crasies nationales, ce qui permettait de les considérer comme des fantômes dupassé qui allaient bientôt être balayés par les progrès de la « modernisation ».

Or les succès croissants des partis populistes de droite dans la plupart despays européens et la séduction qu’ils exercent rendent bien difficile le maintiend’une telle thèse. Si bien que ces partis ne sont plus tant présentés maintenantcomme une exception que comme la menace principale qui pèse sur nos insti-tutions démocratiques. Mais le fait qu’ils soient désormais placés au cœur desdébats ne signifie pas qu’on ait effectivement avancé dans leur compréhension.La raison en est que le cadre théorique qui préside à la plus grande part de lapensée politique de la démocratie interdit justement de saisir les racines poli-tiques du populisme. D’où le désarroi de ceux qui proclamaient la fin des anta-gonismes politiques. Après avoir annoncé la naissance d’un politique consensuel« au-delà de la droite et de la gauche » (beyond left and right), ils se retrouventsoudain confrontés à l’émergence d’une nouvelle frontière politique qui repré-sente un vrai défi pour leur vision post-politique. En construisant une opposi-tion entre « le peuple » et l’establishment, le populisme de droite ne se bornepas à ébranler la pensée du consensus; il met également en lumière la superfi-cialité de la perspective théorique dominante. En fait, s’il est vrai, comme nousle soutiendrons, que l’attrait du discours populiste de droite est justement laconséquence de la croyance en la « fin du politique » qui prévaut aujourd’hui,l’incapacité de la plupart des théoriciens à expliquer ce qui se passe actuellementne doit pas surprendre.

La thèse que je veux défendre est que le populisme de droite ne doit pasêtre vu comme l’effet d’un retour de l’archaïsme et des forces irrationnelles,comme un anachronisme qu’il conviendrait de combattre en ces temps d’iden-tités « post-conventionnelles » par toujours plus de modernisation et de politique

1. Je veux remercier Marcus Klein, qui a été mon assistant de recherche pendant plusieursannées, pour l’aide inestimable qu’il m’a apportée en rassemblant une documentation très complètesur la montée du populisme de droite en Europe.

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de la « troisième voie », mais qu’il est au contraire la résultante du consensuspost-politique. C’est en réalité l’absence d’un débat démocratique effectif surdes alternatives possibles qui dans de nombreux pays a contribué au succès despartis politiques qui se présentent comme « la voix du peuple ».

LES FAIBLESSES DE LA CONCEPTION LIBÉRALE

Une bonne part de mon argumentaire sera d’ordre théorique, car je suisconvaincue que pour comprendre la séduction exercée par le discours populistede droite, il est nécessaire de mettre en question les fondements rationalistes etindividualistes des courants dominants de la théorie politique de la démocratie.Le refus de reconnaître la dimension d’antagonisme propre au politique et ladifficulté concomitante à saisir le rôle des passions dans la constitution des iden-tités politiques sont selon moi à la racine de l’incapacité de la théorie politiqueà comprendre le phénomène populiste.

Quoiqu’elles ne soient en rien nouvelles, bien entendu, ces limites de la théo-rie ont été renforcées par l’évolution récente des sociétés démocratiques libé-rales et par les effets du cadre idéologique dominant. Ce dernier présente deuxcomposantes : la valorisation du marché libre d’une part, celle des droits del’homme de l’autre. Ce qui est frappant, c’est que toute référence à la souve-raineté populaire – qui constitue la colonne vertébrale de l’idéal démocratique –a à peu près disparu dans les définitions actuelles de la démocratie libérale. Lasouveraineté du peuple est désormais perçue, le plus souvent, comme une idéeobsolète et comme un obstacle à la réalisation des droits de l’homme.

Ce à quoi nous assistons, en fait, c’est au triomphe d’une interprétation pure-ment libérale de la nature de la démocratie moderne. Pour beaucoup de libé-raux, la démocratie est secondaire par rapport aux principes du libéralisme.Charles Larmore écrit par exemple [1990, p. 359] : « Le libéralisme et la démo-cratie sont des valeurs différentes dont la relation, selon moi, a pour principaleffet de faire du gouvernement démocratique le meilleur moyen de défendreles principes d’un ordre politique libéral. » Quoique d’accord avec Larmore surl’idée que démocratie et libéralisme représentent des valeurs différentes, je necrois pas, à la différence de nombre de libéraux, que la relation entre eux soitde nature instrumentale, une relation de moyen à fin. Même si les droits del’homme sont en effet constitutifs de la démocratie et cruciaux pour elle, ils nepeuvent pas fournir le seul critère à partir duquel juger la démocratie politique.Sans participation démocratique effective à la prise de décision sur ce qui faitla vie commune, il ne peut pas y avoir de démocratie.

Plusieurs expressions ont été utilisées pour désigner le nouveau type de poli-teia (régime) issu de la révolution démocratique : démocratie libérale, démo-cratie représentative, démocratie parlementaire, démocratie pluraliste. Toutesces expressions soulignent le fait que nous avons affaire à l’articulation dedeux traditions différentes : la tradition libérale (avec la liberté individuelle etle pluralisme) et la tradition démocratique (qui insiste sur la souveraineté

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populaire et l’égalité). Cette articulation s’est formée au XIXe siècle avec l’al-liance entre les forces libérales et démocratiques. Comme C. B. MacPherson[1977] l’a noté, le résultat a été que le libéralisme en a été démocratisé et ladémocratie libéralisée. Le processus s’est déroulé selon des voies différentes,en fonction des rapports de forces existants, si bien que les configurations quien ont résulté ont été également différentes.

Depuis, l’histoire des démocraties libérales a été caractérisée par un conflitparfois violent entre les forces sociales qui visaient à la suprématie d’une tra-dition ou d’une autre. Ce conflit, qui a été le moteur de l’évolution politiquedes sociétés occidentales, a connu des apaisements temporaires sous l’effet del’hégémonie de l’une des forces en présence. Pendant longtemps, cet affronte-ment a été considéré comme légitime, et ce n’est que récemment qu’il a étédéclaré hors de saison. Pour certains, la fin de la confrontation signifie la vic-toire du libéralisme sur son adversaire, tandis que pour d’autres – pour les libé-raux les plus sensibles à la démocratie –, elle représente la résolution d’unantagonisme ancien et la réconciliation entre les principes libéraux et démo-cratiques. Mais les deux groupes perçoivent le consensus actuel comme un grandprogrès pour la démocratie.

Ce que ces libéraux échouent à comprendre, c’est que la tension entre lalogique du libéralisme et la logique de la démocratie est une tension nécessaireet qu’une telle réconciliation finale est impossible. En réalité, proclamer la finde leur affrontement revient à accepter l’hégémonie actuelle du libéralisme età interdire toute possibilité d’envisager une alternative à l’ordre existant.

La conception libérale ne voit pas non plus le rôle symbolique crucial jouépar la conception démocratique de la souveraineté populaire. La légitimité dela démocratie libérale moderne repose sur cette idée de la souveraineté du peuple,et ceux qui croient possible de s’en débarrasser se trompent profondément. Ledéficit démocratique qui se manifeste de multiples manières dans un nombrecroissant de sociétés démocratiques libérales est sans aucun doute le résultatdu fait que les gens sentent bien qu’il n’y a pas vraiment de place pour une par-ticipation significative aux décisions importantes. Dans plusieurs pays, ce défi-cit démocratique a contribué au développement des partis populistes de droitequi prétendent représenter le peuple et défendre ses droits confisqués par lesélites politiques.

LA FIN DU POLITIQUE?

L’effacement du thème de la souveraineté populaire constitue un premier élé-ment important pour comprendre la montée actuelle du populisme de droite, etnous pouvons déjà voir comment il se rapporte à ce consensus libéral qui existeaujourd’hui aussi bien dans la vie que dans la théorie politiques. La convergenceest en fait frappante entre l’absence d’alternatives effectivement offertes auxcitoyens dans les sociétés industrielles avancées et l’absence d’une approche théo-rique adéquate de la relation complexe entre démocratie et libéralisme. Voilà qui

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explique, je crois, pourquoi il est devenu si difficile de contester l’hégémonielibérale actuelle. Il n’y a qu’à voir comment, sous une forme ou sous une autre,la plupart des partis sociaux-démocrates se sont convertis à l’idéologie de la « troi-sième voie ». Aujourd’hui les termes clés du discours politique sont « la bonnegouvernance » et « la démocratie non partisane » (partisan-free democraty).

La dimension conflictuelle du politique est réputée chose du passé et la seuledémocratie qui apparaisse recommandable est une démocratie consensuelle ettotalement dépolitisée. Cette « politique sans adversaire2 » est en phase avec lamanière également consensuelle dont il est fait usage du discours sur les droitsde l’homme. La dimension potentiellement subversive des droits de l’hommeest en réalité neutralisée par leur articulation avec le dogme néolibéral. Ils ensont réduits à fournir le cadre moral nécessaire à cette politique qui prétendreprésenter l’intérêt général par-delà les fractions partisanes.

Du fait de l’hégémonie néolibérale, la plupart des décisions essentiellesconcernant les relations sociales ou économiques ne se prennent plus sur le ter-rain politique. Les partis politiques traditionnels sont devenus incapables d’af-fronter les problèmes sociétaux sur un mode politique et cela explique le rôlecroissant joué par la sphère juridique qui apparaît comme le seul espace où lesconflits sociaux peuvent venir à s’exprimer. Aujourd’hui, en raison de l’absenced’une sphère publique démocratique où les confrontations politiques puissentse dérouler, c’est le système juridique qui devient responsable de la coexis-tence entre les hommes et de la régulation des relations sociales. Ce remplace-ment du politique par le juridique en matière de résolution des conflits a desimplications très négatives pour le fonctionnement de la démocratie. Il est biensûr adapté à la vue dominante selon laquelle il conviendrait de chercher des solu-tions « impartiales » aux conflits sociaux; mais c’est bien là ce qui fait pro-blème. En politique, il n’existe pas de solution impartiale, et c’est cette illusionselon laquelle nous vivrions désormais dans des sociétés d’où l’antagonismepolitique aurait été éradiqué, qui rend justement impossible la canalisation despassions politiques par les partis démocratiques traditionnels.

C’est selon moi l’incapacité de ces derniers à susciter des identificationsdistinctives autour d’alternatives différentes qui a été le terreau sur lequel a fleurile populisme de droite. Car les partis populistes de droite sont souvent les seulsqui tentent de mobiliser les passions et de créer des formes d’identification col-lective. Contrairement à tous ceux qui croient que la politique peut se réduire àdes motivations individuelles et qu’elle est impulsée par le seul intérêt person-nel, ces partis sont pleinement conscients que la politique consiste toujours enla création d’un nous opposé à un eux, et qu’elle passe par la constitution d’iden-tités collectives. Et si leur discours est si attractif, c’est parce qu’il fournit cesformes d’identification collective autour du « peuple ».

Si l’on ajoute à cela le fait que, sous la bannière de la « modernisation »,les partis sociaux-démocrates se sont identifiés dans la plupart des pays plus ou

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2. Pour une critique de l’idée de « troisième voie » dans cette perspective, cf. Mouffe [2000,chap. 5].

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moins exclusivement aux classes moyennes et qu’ils ont cessé de représenterles intérêts des couches populaires dont les demandes sont jugées « archaïques »ou « rétrogrades », il ne faut pas s’étonner du sentiment croissant d’aliénationde nombre de groupes sociaux qui se sentent exclus de l’exercice effectif de lacitoyenneté par les élites « éclairées ». Dans un contexte où le discours domi-nant professe qu’il n’existe pas d’alternative à la forme néolibérale actuelle dela mondialisation, qu’il nous faut accepter ses lois et se soumettre à ses diktats,il n’est guère surprenant que de plus en plus de salariés soient disposés à prê-ter l’oreille à ceux qui affirment qu’au contraire, il existe des alternatives etqu’ils rendront au peuple son pouvoir de décision. Quand la politique démo-cratique ne parvient plus à organiser la discussion sur la manière d’organisernotre vie commune et qu’elle se borne à assurer les conditions d’un bon fonc-tionnement du marché, les conditions sont réunies pour que des démagoguestalentueux expriment les frustrations populaires.

L’état actuel des sociétés démocrates libérales est donc particulièrementfavorable à l’expansion du populisme de droite. L’abandon de l’idée de souve-raineté populaire converge avec la certitude qu’il n’existe pas d’alternative àl’ordre actuel et crée un climat antipolitique facilement exploitable pour fomen-ter des réactions populaires hostiles aux élites actuellement au pouvoir. Il fautcomprendre que, dans une large mesure, le succès des partis populistes de droiteest dû au fait qu’ils alimentent l’espoir et la conviction que les choses pourraientêtre différentes. Cet espoir est évidemment illusoire. Il repose sur des pré-misses erronées et sur des mécanismes d’exclusion insupportables dans lesquelsla xénophobie joue habituellement un rôle central. Mais dès lors que ces partissont les seuls à offrir un débouché aux passions politiques, leur prétention àoffrir une alternative devient de plus en plus séduisante. Pour imaginer uneriposte adéquate, il devient urgent de saisir les conditions économiques, socialeset politiques qui expliquent leur émergence. Et cela requiert l’élaborationd’une approche théorique qui ne dénie pas la place de l’antagonisme dans lepolitique.

LE POLITIQUE DANS LE REGISTRE DU MORALISME

Il est également urgent de se rendre compte que ces partis ne peuvent pasêtre combattus par des condamnations morales et que c’est pour cette raison quela plupart des réponses proposées se sont montrées jusqu’à présent totalementinefficaces. Bien sûr, la posture moralisatrice est en parfaite consonance avecla perspective post-politique qui domine aujourd’hui et c’est pourquoi elle nesurprend guère. Mais aussi voilà pourquoi il est nécessaire de l’examiner avecquelque détail; car cet examen nous apporte quelques intuitions importantes surla manière dont les antagonismes politiques se manifestent aujourd’hui.

Comme nous l’avons vu, le discours dominant affirme la fin du modèleconflictuel du politique et l’avènement d’un consensus politique « au-delà dela droite et de la gauche ». Or le politique implique toujours une opposition

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nous/eux. C’est la raison pour laquelle le consensus qu’appellent de leurs vœuxles défenseurs de la « démocratie non partisane » ne peut pas exister sans des-siner une frontière et définir un extérieur, un « eux » qui donne au consensusson identité et assure la cohérence du « nous ». Pour le dire autrement, le consen-sus au centre qui est censé inclure tout le monde dans nos sociétés post-poli-tiques ne peut pas exister sans que soit établie une frontière, car aucun consensus– ou aucune identité commune – ne saurait exister sans cette frontière. Il n’y apas de « nous » sans « eux », et l’identité même d’un groupe dépend de l’exis-tence d’un « extérieur constitutif ». Le « nous les bons démocrates » doit doncêtre garanti par la détermination d’un eux. Aujourd’hui, cet eux est fourni parce qui est désigné comme « l’extrême droite ». Cette appellation est utilisée demanière largement indéterminée pour désigner un amalgame de groupes et departis dont les caractéristiques et les objectifs sont extrêmement divers, et ilrecouvre tout un spectre qui va de la frange des groupes extrémistes, skin-heads et autres néonazis, jusqu’à la droite autoritaire et à toute une variété departis populistes de droite.

Une catégorie aussi hétérogène est bien sûr dépourvue d’utilité pour appré-hender la nature et les causes des formes nouvelles de la politique de droite. Elleest en revanche très utile pour assurer l’identité des « bons démocrates » etpour donner une bonne image du consensus post-politique. Il est clair que, àpartir du moment où le politique est censé être devenu non conflictuel, le « eux »nécessaire pour faire du « nous » de bons démocrates ne peut pas être figurécomme un adversaire politique, si bien que la frontière doit être édifiée dans leregistre moral. L’établissement d’une frontière entre les « bons démocrates » etla « mauvaise extrême droite » est très commode puisqu’il permet de considé-rer le « eux » comme une sorte de maladie morale, qui doit être condamnéemoralement et non pas combattue politiquement. En conséquence, on ne tentepas de comprendre les raisons de son existence, et de toute façon, la compré-hension en est rendue impossible en raison des amalgames sur lesquels la notionmême d’extrême droite repose. En tout état de cause les tentatives d’expliquerle phénomène sont tenues pour suspectes et passent pour le premier pas versl’absolution d’une chose moralement inacceptable. La condamnation morale etl’établissement de cordons sanitaires sont donc devenus les réponses dominantesà l’éclosion des mouvements politiques de droite.

La moralisation croissante du discours politique à laquelle nous assistonsva de pair avec la perspective post-politique dominante. Bien loin de constituerune nouvelle étape dans la marche en avant triomphale de la démocratie, ce phé-nomène moralisateur représente un fait très négatif. Qu’on me comprenne bien :je n’entends nullement me faire l’avocate de la Realpolitik et nier que les pré-occupations morales ont leur rôle à jouer en politique; mais il y a une grandedifférence entre la moralité et le moralisme, qui se limite à la dénonciation dumal chez les autres. Or les démocrates d’aujourd’hui sont si persuadés qu’ilsdétiennent la vérité et que leur mission est de l’imposer aux autres qu’ils refu-sent d’engager le débat avec ceux qui ne sont pas d’accord. Il est assurémentplus facile de les présenter comme des ennemis, dont l’immoralité autorise la

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destruction et l’éradication, que d’en faire des adversaires qu’il faut combattresur le terrain politique.

En fait, ce qui se passe est bien différent de ce que les avocats du modèlepost-politique tels qu’Ulrich Beck ou Anthony Giddens voudraient nous fairecroire. Le politique avec ses vieux antagonismes n’a nullement été remplacé pardes préoccupations morales pour les « questions de la vie » (life issues) ou lesdroits de l’homme. Le politique avec sa dimension d’antagonisme est au contrairebien vivant et les conflits politiques sont toujours bien là. La caractéristiqueprincipale de notre âge de la « fin du politique », c’est que le politique se déploiedésormais dans le registre de la moralité et que les antagonismes se disent dansun vocabulaire moral. Loin d’avoir disparu, les frontières entre eux et nous sontsans cesse rétablies mais elles se construisent désormais à partir de catégoriesmorales, entre « le bien » et « le mal », entre « les bons démocrates » qui défen-dent les valeurs universelles de la démocratie libérale et la « mauvaise extrêmedroite », raciste et xénophobe dont on ne peut que souhaiter l’éradication.

Ce que je voudrais suggérer ainsi, c’est que ce qui a été présenté comme ladisparition du conflit n’est en réalité que la généralisation de l’une de ses diversesmanifestations possibles. La rhétorique moralisatrice n’est pas nouvelle,certes. Elle a déjà servi auparavant, et les Américains en sont particulièrementfriands. Souvenons-nous de l’« empire du mal » de Reagan, sans parler de l’ac-tuelle croisade de George W. Bush contre l’« axe du mal ». Mais un tel langageétait habituellement réservé aux relations internationales, alors qu’il envahitmaintenant le champ politique national. Et là, les conséquences en sont bien dif-férentes parce que l’emploi d’une telle rhétorique transforme la manière mêmedont nous envisageons le fonctionnement politique de la démocratie.

Quand le politique se joue dans le registre du moralisme, la démocratie esten danger. Non seulement la moralisation du politique nous interdit d’appré-hender correctement la nature et les causes des conflits présents, mais elle donnenaissance à des antagonismes qui ne peuvent plus être gérés par le processusdémocratique ou redéfinis sur un mode que je propose de qualifier d’« agonis-tique », pour désigner un conflit non pas entre des ennemis mais entre des « adver-saires » qui respectent le droit légitime des opposants à défendre leurs positions3.Il est clair que lorsque l’opposant est défini en termes moraux, il ne peut plusêtre considéré que comme un ennemi et non comme un adversaire. Avec le« mal », aucun débat agonistique n’est concevable. Voilà pourquoi la condam-nation morale prend la place de la lutte politique et pourquoi la stratégie serésume à la construction de « cordons sanitaires » destinés à mettre en quaran-taine les secteurs touchés. Au moins en ce qui concerne les partis populistes dedroite, cette stratégie est généralement contre-productive puisque, commenous l’avons vu, la séduction qu’ils exercent est liée à leur rhétorique anti-esta-blishment, si bien que leur condamnation par les élites au pouvoir ne sert qu’àrenforcer leur image oppositionnelle.

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3. J’ai développé cette distinction entre « agonisme » et antagonisme dans le chapitre 4 de TheDemocratic Paradox.

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Il est urgent de comprendre que c’est l’incapacité à formuler des alternativespolitique plausibles à partir de projets socio-économiques alternatifs qui expliquepourquoi les antagonismes se jouent désormais sur le terrain de la morale. Commeil ne peut pas exister de politique sans cette séparation nous/eux, quand le « eux »ne peut pas être considéré comme un adversaire politique, il est construit sousla forme du « mal », comme un ennemi moral. La floraison des discours poli-tiques moralistes est liée à ce que le modèle politique conflictuel – délégitimépar les théoriciens de la troisième voie – a perdu toute capacité à organiser lesystème politique. L’« extrême droite » est donc providentielle pour jouer le rôledes « mauvais eux » nécessaires à la définition des « bons nous ». Ce n’est pasqu’il n’existe pas quelque chose qu’on puisse à juste titre qualifier d’extrêmedroite; mais il faut insister sur le danger qu’il y a à utiliser cette catégorie pourdiaboliser tous les partis défendant des positions qui apparaissent comme un défià l’establishment centriste bien-pensant.

LE POPULISME DE DROITE EN AUTRICHE

L’examen du cas autrichien me permettra d’examiner deux points centrauxde la thèse que je défends : les conséquences négatives de la politique du consen-sus et l’inadéquation de la réponse moralisatrice au défi lancé par le populismede droite.

Pour saisir les raisons du succès du Freiheiliche Partei Österreichs (FPÖ),il est nécessaire de rappeler la situation politique qui régnait en Autriche depuisles débuts de la IIe République d’Autriche. Après la guerre, les trois partis exis-tants – le Parti socialiste (SPÖ), le Parti du peuple (ÖVP) et le Parti commu-niste (KPÖ) – décidèrent de former une coalition afin d’éviter la situationconflictuelle qui avait prévalu sous la Ire République et avait conduit à la guerrecivile en 1934. Le KPÖ ayant rapidement été écarté en raison des effets de laguerre froide, la coalition se réduisit au SPÖ et à l’ÖVP. Ces partis étaient lesreprésentants des blocs chrétien-conservateur et socialiste autour desquels lasociété autrichienne s’était organisée après la chute de la monarchie des Habsbourg.Ils mirent en place une forme de coopération grâce à laquelle ils prirent le contrôlede la vie du pays dans de nombreux domaines, politiques, économiques, sociauxet culturels. Grâce au système « Proporz », les postes les plus importants dansles banques, les hôpitaux, les écoles et les industries publiques étaient répartisentre leurs élites respectives. Par ailleurs, un partenariat social et économiqueassurait la coopération des organisations d’employeurs et de salariés dans larecherche de compromis acceptables permettant d’éviter les grèves et les conflitsindustriels.

Incontestablement, ce type de consensus politique a contribué de manièreimportante à la stabilité du système politique; si bien qu’en 1955, après dixannées d’occupation alliée, quand l’Autriche recouvra sa souveraineté et sonindépendance, elle avait retrouvé confiance et prospérité. Mais cette grande coa-lition SPÖ-ÖVP (qui ne s’est interrompue qu’entre 1966 et 1983) conduisit au

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blocage du système politique parce qu’il n’était guère laissé de place à la contes-tation du système lui-même. D’ailleurs, même lorsqu’ils gouvernaient séparé-ment, les deux partis principaux maintenaient d’étroits contacts à travers laSozialpartnerschaft. C’est ce qui créa les conditions qui allaient plus tard per-mettre à un démagogue de talent comme Jörg Haider de donner voix, au nomde la « démocratie » et de la « liberté », aux diverses formes de ressentimentcontre la coalition au pouvoir et sa machine bureaucratique.

Quand Haider prit le contrôle du Parti autrichien de la liberté (FPÖ) en 1986,ce dernier était sur le point de disparaître4. Le FPÖ, qui avait succédé en 1956 àla Ligue des indépendants (VDU) fondée en 1949, était l’héritier de la troisièmecomposante de la structure politique autrichienne, le bloc national-libéral quiavait soutenu le national-socialisme et avait pour cette raison été marginaliséaprès la guerre. Depuis 1960, le FPÖ, dirigé par un ancien SS, Friederich Peter,avait tenté de se redéfinir comme un troisième parti centriste en cultivant l’imaged’un parti libéral et progressiste. Mais il s’était retrouvé affaibli par trois ans departicipation minoritaire à une coalition avec le SPÖ entre 1983 et 1986, et sonpotentiel électoral était estimé à quelque chose comme 1 à 2% des voix5. Lasituation devenait critique et les disputes au sein du parti touchèrent à leur combleen 1986, au congrès d’Innsbruck, avec l’éviction du président du parti NorbertSteger. Les choses changèrent rapidement avec la nouvelle direction de JörgHaider qui modifia radicalement l’orientation du parti. À partir de cette période,le FPÖ allait connaître des succès électoraux spectaculaires. Malgré des reculspassagers, la part des voix obtenues s’accrût continuellement jusqu’au scrutinde novembre 1999 où, avec 27% des voix, le FPÖ devint le deuxième parti dupays, légèrement devant l’ÖVP. Malgré de longues tractations, l’ÖVP et leSPÖ furent incapables de se mettre d’accord pour reconduire leur coalition, eten février 2000 une coalition nouvelle vit le jour entre l’ÖVP et le FPÖ. Ellefut violemment dénoncée en Autriche et à l’étranger, et les autres membres del’Union européenne répliquèrent à cet événement par une série de mesures des-tinées à isoler le nouveau gouvernement. Je reviendrai là-dessus, et j’examine-rai ces réponses aux partis populistes de droite ; mais auparavant il est nécessaired’analyser l’ascension du FPÖ sous Haider.

LA STRATÉGIE DE HAIDER

Dès sa prise de pouvoir, Haider transforma le FPÖ en un parti de protesta-tion contre la « grande coalition ». Il mobilisa énergiquement les thèmes de lasouveraineté populaire et de la liberté de choisir pour donner voix à l’opposi-tion croissante à la manière bureaucratique et autoritaire dont les élites coali-sées dirigeaient le pays. Au départ, ses campagnes furent dirigées contre legouvernement fédéral accusé de corruption et de clientélisme politique et présenté

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4. On trouvera une présentation complète du FPÖ dans Luther [1997].5. Une bonne analyse de cette période est donnée par Anton Pelinka [1993].

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comme responsable de la croissance du chômage. Il plaidait pour la privatisa-tion des entreprises publiques, la diminution des impôts et pour une dérégula-tion générale. C’est à partir des années quatre-vingt-dix, avec le début de lacampagne électorale pour les législatives à Vienne, que le thème de l’immigra-tion commença à jouer un rôle central et que le discours du parti commença àprendre une tournure clairement populiste. C’est à cette époque que le parti, seprésentant lui-même comme la voix de « ceux d’en bas » (du kleiner Mann)contre l’establishment, se mit à en appeler aux électeurs de la classe ouvrièredéçus par le SPÖ6. Un important élément à prendre en considération dans cetransfert d’adhésions est l’impact considérable de l’avènement d’une forme post-fordiste de la régulation capitaliste sur la composition et la forme des organi-sations représentatives de la classe ouvrière. Elle eut pour effet d’éroder les lienstraditionnels entre les salariés et le SPÖ. Les formes antérieures de « quasi-clien-télisme » commencèrent à s’effriter à mesure que les salariés perdaient certainsdes bénéfices inhérents au système de la coalition. Dans la mesure où par ailleursle Parti socialiste, sous la direction de Franz Vranitsky, s’orientait vers le cen-trisme politique – se rebaptisant « social-démocrate » et se tournant davantagevers les classes moyennes –, le terrain était prêt pour la séduction des travailleurspar la rhétorique populiste de Haider [cf. Bishof, Karlhofer, Pelinka, 1999]. Nonseulement le FPÖ représentait un moyen d’exprimer la désaffection croissanteenvers le système politique, mais il offrait aussi un dérivatif aux peurs et àl’anxiété croissante engendrées par le processus de mondialisation. En articu-lant ces diverses formes de ressentiment dans un discours xénophobe, le partipouvait se présenter comme le défenseur des intérêts du « peuple » à la foiscontre les politiciens négligents de l’establishment et contre les étrangers, per-çus comme prenant le travail des « bons Autrichiens travailleurs » et menaçantleur style de vie traditionnel. Le soutien inconditionnel apporté à Haider par letrès populaire quotidien Kronen Zeitung, lu par environ trois millions d’Autrichiens,a sans aucun doute beaucoup contribué à la croissance spectaculaire du FPÖdurant ces années.

La stratégie discursive de Haider7 a consisté à construire une frontière entreun « nous » composé de tous les bons Autrichiens, travailleurs et défenseursdes valeurs nationales, et un « eux » qui représentait les partis au pouvoir, lesbureaucrates syndicaux, les artistes de gauche et les intellectuels qui tous, cha-cun à leur manière, contribuaient à l’étouffement du débat politique. Dans sonlivre Die Freiheit die ich meine [1995, p. 16], il déclare : « La classe politiquedirigeante a entre ses mains la formation de l’opinion publique, et l’opiniondes individus est oubliée. Un processus dialectique de nationalisation généralede la société et de socialisation de l’État a aboli la séparation classique de l’Étatet de la société. Les idées et les opinions des citoyens ne peuvent pas s’expri-mer directement et ont été confisquées par les institutions, les groupes d’intérêts

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6. Pour une analyse du premier discours populiste de Haider, cf. Michael Morass et HelmutReichenböck [1987].

7. On en trouvera une bonne analyse dans Reinfeldt [2000].

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et les partis. Entre eux et l’État se joue un jeu de pouvoir qui ne laisse que peude champ à la liberté individuelle et à l’autodétermination. »

Selon lui, une des questions principales qui devrait faire l’objet d’une consul-tation populaire est celle de l’immigration et du multiculturalisme. Il plaideavec fougue pour que le peuple lui-même puisse décider du nombre d’immi-grants qu’il est prêt à accueillir : « La question est de savoir qui doit décider dela voie à prendre. Pour moi, c’est le peuple. Quiconque met en doute le rôle dupeuple comme souverain éminent met en péril l’essence même de la démocra-tie. Les gens ont le droit de ne pas se contenter d’aller voter une fois tous lesquatre ans, et de dire leur mot sur les questions décisives pour l’avenir du pays »[ibid., p. 34].

Le débat a fait rage, en Autriche et ailleurs, sur la nature du FPÖ. Beaucoupconsidèrent qu’il s’agit d’un parti d’extrême droite, voire néonazi [cf. par exemple,Bailer-Galanda, Neugebauern, 1997]. Il ne fait pas de doute qu’une des dimen-sions de la rhétorique du FPÖ était aussi destinée à rallier les nostalgiques duIIIe Reich, et on ne saurait surestimer le poids de la spécificité autrichienne niles relations complexes que nombre d’Autrichiens entretiennent avec leur passé.De surcroît, Haider, originaire d’une famille nazie, a une attitude très ambiguëenvers les crimes du nazisme qu’il a tendance à minimiser8. Mais ce serait unegrave erreur que d’accorder trop de poids à ces éléments et de leur imputer lesuccès du FPÖ. Ces franges nostalgiques ne représentent qu’une très petitepartie de son électorat et, quoique indéniables, les références à l’ère nazie netiennent pas une place importante dans l’idéologie du parti. Affirmer que Haideret son parti sont « néonazis » revient à manquer complètement la spécificité decette nouvelle forme de politique de droite. Cela peut satisfaire la bonne consciencede ceux qui rejettent toute collaboration avec eux, mais n’aide guère à comprendreles raisons de leur succès et la séduction qu’ils exercent sur tant d’ouvriers etsur les jeunes.

En réalité, on peut soutenir que la stratégie de l’Ausgrenzung qui visait àexclure de manière permanente le FPÖ du pouvoir grâce au « cordon sani-taire » mis en place par les principaux partis a grandement contribué à son extra-ordinaire ascension. Le refus par le SPÖ et l’ÖVP, lors des deux dernièreslégislatures, de ne serait-ce qu’envisager la possibilité d’une alliance avec leParti de la liberté, lui a permis de se camper en « victime » de l’establishmentet de renforcer son pouvoir de séduction populiste. Il pouvait en effet appa-raître ainsi comme un David luttant contre Goliath pour défendre le « petitpeuple » contre les élites gouvernementales.

Manifestement, la politique autrichienne se trouvait enfermée dans un cerclevicieux. D’un côté, l’absence de tout débat démocratique sur de possiblesalternatives, inhérente à la politique du consensus, a été à l’origine du succèsdu FPÖ. Mais, de l’autre, ce succès contribuait à la permanence de la coalitiondont la justification principale résidait justement dans le fait d’empêcher Haiderde parvenir au pouvoir. Les effets néfastes de cette situation ont été amplifiés

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8. Cet arrière-plan de Haider est examiné par Christa Zöchling [1999].

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par la tentative du gouvernement d’enrayer la progression du FPÖ en mettanten œuvre certaines des mesures qu’il préconisait, notamment sur le terrain dela sécurité et de l’immigration9.

Il convient de noter que cette stratégie de reconquête des électeurs s’estaccompagnée d’une condamnation morale virulente de la xénophobie de Haideret de sa diabolisation comme « nazi ». Or, bien évidemment, cette hypocrisierendait impossible de s’opposer sérieusement au FPÖ, même si la réponse mora-lisatrice avait aux yeux des partis au pouvoir l’avantage de les dispenser de faireleur autocritique et de confesser leur responsabilité dans son succès.

L’IMPASSE DU MORALISME

Invoquer la morale est toujours bien tentant, mais ne fournit guère de stra-tégie politique et n’aide pas à saper l’attrait des mouvements populistes de droite.De ce point de vue, le cas autrichien est très instructif et nous donne d’impor-tantes leçons sur les erreurs à éviter. Pour ma part, je suis persuadée que les réac-tions de l’Europe à la formation d’un gouvernement de coalition entre l’ÖVPet le FPÖ est l’exemple même de la mauvaise stratégie. Nous avons assisté àune explosion d’indignation morale qui, à l’instigation de la France et de laBelgique – inquiètes de l’éventualité d’alliances comparables chez elles –, aconduit à l’adoption de toute une série de mesures unilatérales prises à l’en-contre du nouveau gouvernement de l’Autriche. Au nom de la défense des valeursde l’Europe et de la lutte contre le racisme et la xénophobie – évidemment tou-jours plus faciles à dénoncer chez les autres qu’à combattre chez soi –, les qua-torze autres gouvernements européens ont ostracisé la nouvelle coalition avantmême qu’elle n’ait eu le temps de faire quoi que ce soit de manifestement répré-hensible. Tous les bons démocrates ont cru de leur devoir de condamner l’ac-cession au pouvoir d’un parti censément « nazi » et de tirer la sonnetted’alarme contre le retour de la « peste brune ».

Je ne nie nullement qu’il y ait eu des raisons de s’inquiéter ni que des mesuresde précaution aient été nécessaires. Mais cela ne justifie pas les cris d’orfraiequasi hystériques qui les ont accompagnées. Les Quatorze auraient parfaitementpu se contenter d’un avertissement solennel à la nouvelle coalition, l’informantqu’elle serait sous sérieuse surveillance et la menaçant de sanctions à la moindreentorse aux normes démocratiques. Aucune tentative ne fut faite d’examiner lanature du FPÖ et les raisons de son succès. Il suffisait apparemment de rappe-ler le passé de l’Autriche et d’affirmer que le problème venait de ce qu’ellen’avait jamais été vraiment « dénazifiée ». Mais c’était oublier le fait que, loinde constituer une spécificité autrichienne, la montée des partis de la droite popu-liste s’observait dans de nombreux autres pays européens : en Belgique, enFrance, en Italie, en Norvège, au Danemark, aux Pays-Bas et en Suisse. Menéepar une presse militante, trop heureuse d’avoir trouvé un nouveau diable à

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9. Cf. sur ce point l’article de Richard Mitten [1994].

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combattre, une incroyable campagne de stigmatisation fut lancée qui inclut bien-tôt tous les Autrichiens, posés comme collectivement responsables de larenaissance du « danger fasciste10 ».

Ce à quoi nous avons assisté à l’occasion de cet épisode, c’est à un castypique « d’idéalisation du moi », i.e. une condamnation des « mauvaisAutrichiens » permettant de construire un « nous les bons démocrates, morale-ment irréprochables ». Le mécanisme en jeu est fort pervers puisqu’il permetd’affirmer sa propre nature vertueuse par un acte de rejet. C’est aussi une manièretrès efficace de mobiliser les passions et de forger une unité entre tous ceux quise sentent bonne conscience par leur exclusion des autres. On trouve ici certai-nement une des raisons de la séduction de l’approche moralisatrice et de la placetoujours plus importante qu’elle occupe en politique.

Quelques mois plus tard, les quatorze gouvernements européens commen-cèrent à s’apercevoir que les « sanctions » étaient contre-productives et qu’illeur fallait sortir de cette impasse sans perdre la face. Toujours incapables deconcevoir une approche politique, ils agirent cette fois sur le terrain juridiqueet décidèrent de demander à trois « sages » d’examiner la nature du Parti de laliberté. Quand leur rapport eut conclu que « en dépit de la présence d’élémentsextrémistes », le parti n’était pas néo-nazi mais « populiste de droite » et qu’ilne contrevenait pas aux normes de la démocratie, les mesures prises furent sus-pendues11. Bien entendu, des deux côtés on cria victoire. Le FPÖ proclama quesa légitimité avait été reconnue, tandis que les Quatorze déclarèrent que, grâceà leur réaction, la nouvelle coalition avait été tenue en échec.

De toute évidence, cette histoire a eu des conséquences négatives pour l’Unioneuropéenne. Par exemple, elle lui valut l’hostilité des Danois qui sentaient qu’untel traitement n’aurait pas été infligé à un pays plus important. Et ils avaientraison, comme en témoigne l’absence de réaction européenne à la coalition beau-coup plus dangereuse formée par Berlusconi en Italie avec la Ligue du Nord deBossi et l’Allianza Nationale de Fini. Qui plus est, cette stratégie de dénoncia-tion morale n’eut pas l’effet escompté de freiner le développement du popu-lisme de droite. Il suffit pour s’en convaincre de constater les bons résultats duParti du progrès en Norvège en septembre 2000 (14,6%), de la liste Pim Fortuynaux Pays-Bas en mai 2002 (26%) sans parler des 18% qui ont permis à Le Pend’arriver au second tour des élections présidentielles en France le 5 mai 2002.

Quant à l’efficacité de la politique du « cordon sanitaire », la forte pro-gression du Vlaams Blok (VB) aux élections belges d’octobre 2000 devrait éga-lement inciter à la reconsidérer. Signalons au passage que des doutes sur ce pointont été exprimés par Patrick Janssens, le président du Parti socialiste flamand,un des rares hommes politiques belges à avoir critiqué les mesures prisescontre le gouvernement autrichien. Dans une interview publiée le 7 février

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10. La presse française s’est considérée comme l’avant-garde de cette « croisade morale », etdes journaux sérieux comme Libération et Le Monde se sont remplis d’articles mal informés attaquantl’Autriche sur un mode qui, en d’autres circonstances, aurait été jugé « raciste ».

11. Pour une analyse détaillée de cet épisode, avec le jugement des sages, on consulteraMargaretha Kopeinig et Christoph Kotanko [2000].

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2000 par le quotidien belge Le Soir, il affirmait que, selon lui, la meilleuremanière de combattre le Vlaams Blok n’était pas de former une « union sacrée »de tous les bons démocrates de la droite à la gauche, mais, au contraire, de fairerevivre l’opposition droite/gauche de manière à offrir aux électeurs de véritablesalternatives, plutôt que d’abandonner aux populistes le monopole de l’oppositionà l’ordre existant.

Notons d’ailleurs qu’il existe des similitudes profondes entre le cas belgeet le cas autrichien. De même qu’en Autriche où la grande coalition SPÖ-ÖVPa permis au FPÖ de faire figure d’unique alternative au « système », de mêmeà Anvers, le centre du pouvoir du VB (il y a atteint 33% des voix à la dernièreélection), une coalition des socialistes et des chrétiens-démocrates y a mono-polisé le pouvoir politique durant plusieurs décennies. L’effet du « cordonsanitaire » a été, bien entendu, de renforcer l’image d’outsider du VB et sonpouvoir de séduction12.

RETOUR À LA POLITIQUE

Je dois maintenant rappeler le point central de mon analyse. Tout d’abordil faut insister sur le fait que mon propos n’est pas de fournir une explicationexhaustive du phénomène populiste de droite, mais seulement de mettre l’ac-cent sur un aspect généralement négligé dans la littérature sur le sujet. Ma convic-tion est en effet qu’une des raisons essentielles du succès récent du populismede droite est habituellement ignorée. La raison en est que la plupart des étudess’inspirent d’un cadre théorique rationaliste qui interdit de saisir la spécificitédu politique. Elles ont alors tendance à adopter une approche économiciste oumoraliste qui empêche de reconnaître que l’antagonisme ne peut pas ne pas exis-ter et que les passions sont indissociables de la formation des identités politiquescollectives. Cette dénégation du politique a toujours constitué une des faiblessesmajeures des approches libérales, mais les théories récentes sur la « fin du modèleconflictuel en politique » ont encore aggravé le problème. Dans une conjonc-ture politique où la dérive des anciens partis socialistes vers le centre tend àbrouiller les frontières de la droite et de la gauche, se crée une situation danslaquelle le clivage nous/eux constitutif de la politique démocratique ne peut plustrouver sa place au sein des partis politiques démocratiques traditionnels. Commej’ai tenté de le montrer, cela instaure un vide qu’occupent aujourd’hui les déma-gogues de droite qui, en donnant voix à toute une série de peurs et de ressenti-ments, sont parvenus à forger une nouvelle opposition nous/eux grâce à undiscours populiste dans lequel le « peuple » est constitué sur la base d’une chaîned’équivalences entre tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont présen-tés comme opprimés par le « bloc au pouvoir » formé des élites politiques, dela bureaucratie et des intellectuels progressistes. Ce n’est pas la référence au

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12. Cf. l’excellente analyse de Patrick de Vos dans son article « The sacralization on consensusand the rise of authoritarian populism : the case of the Vlaams Blok » [2002].

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« peuple » qui est problématique. Elle est en fait nécessaire, je l’ai dit, à la réaf-firmation du versant démocratique de la démocratie libérale, et cette réaffirma-tion implique une réactivation de la notion de souveraineté populaire. Le problèmeréside dans la manière dont ce « peuple » est construit. Ce qui rend ce discourspopuliste « de droite », c’est son caractère fortement xénophobe joint au fait queles immigrés sont à tout coup présentés comme une menace pour l’identité du« peuple », tandis que le multiculturalisme est perçu comme imposé par les élitescontre la volonté populaire. Dans la plupart des cas, ce populisme véhiculeégalement une forte dimension anti-européenne, et l’intégration européenneest assimilée à la stratégie autoritaire des élites13.

On ne saurait nier que, depuis plusieurs décennies, d’importants change-ments sont intervenus dans les pays européens sans véritable consultation popu-laire sur les alternatives possibles. Il n’est donc pas surprenant qu’un sentimentde frustration existe chez tous ceux qui n’en ont pas bénéficié ou qui craignentque ces changements ne menacent leur avenir. Aussi longtemps que les partistraditionnels refuseront de s’engager dans ces débats, en se bornant à considé-rer que ces évolutions sont nécessaires et qu’il n’existe pas d’alternative au modèlede la mondialisation néolibérale, il est probable que les partis populistes de droitecontinueront à progresser. Et ce n’est certainement pas une condamnation moralequi les fera disparaître, bien au contraire.

L’évolution de la situation en Autriche, où le gouvernement de coalitionentre le FPÖ et les conservateurs vient d’être dissous, un an avant son termenormal, semble indiquer que la séduction exercée par les partis populistesdiminue lorqu’ils participent au gouvernement, et qu’ils ne peuvent vraimentprospérer que dans l’opposition. En effet, ce qui a conduit Jörg Haider à fairecapoter la coalition qu’il avait lui-même contribué à mettre en place c’est queson parti avait perdu du terrain dans toutes les élections locales depuis qu’il étaitau pouvoir (Styrie en octobre 2000, Burgerland en décembre 2000 et Vienne enmars 2001), et que les sondages lui étaient devenus défavorables. Lorsqu’il étaitdans l’opposition, le FPÖ parvenait – grâce à une rhétorique habile combinantdes thématiques néolibérales et xénophobes – à attirer des groupes aux intérêtsopposés. Mais une fois parvenu au gouvernement, il fut forcé de montrer savraie couleur et de soutenir des politiques qui lui aliénèrent la composanteouvrière de son électorat. Haider voulut alors tenter de reprendre la situation enmain, mais il était déjà trop tard; et il y a beaucoup de chances que son parti nese remette jamais des luttes internes suscitées par son coup de force et du discréditque son comportement irresponsable a jeté sur le parti.

Les perspectives sont certes aujourd’hui bien meilleures pour l’Autrichequ’en 2000, car la progression du FPÖ a enfin été stoppée et le jeu politique estdevenu beaucoup plus ouvert. Mais tout dépend évidemment de la façon dontles partis de gauche vont être capables d’utiliser ces nouvelles possibilités. Il

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13. Cette composante anti-européenne est bien analysée dans le cas danois par Torbe BechDyrberg dans « Racist, nationalist and populist trends in recent Danish politics », Research Paper19/01, Roskilde University, Danemark.

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est clair que sans un changement dans le fonctionnement de la démocratie poli-tique, les problèmes qui ont conduit à l’émergence du populisme demeureront.Il ne faut donc pas se réjouir trop vite car, comme l’exemple du Front nationalen France le prouve, il ne faut jamais s’empresser de délivrer le certificat dedécès d’un parti qui rencontre des difficultés. Ce n’est qu’en s’attaquant réso-lument à résorber le déficit démocratique qui est la cause de l’hégémonie néo-libérale et en luttant contre les inégalités croissantes que cette dernière engendreque l’on pourra vraiment enrayer le développement du populisme de droite.

Mais ne soyons pas trop pessimistes. À l’heure actuelle, si le populisme dedroite est clairement en phase ascensionnelle, il y a aussi quelques signes posi-tifs de changement à gauche. L’évolution récente des mouvements « anti-globalisation » semble indiquer qu’après une phase « négative », limitée à lacritique d’institutions comme le FMI ou l’OMC, des tentatives sérieuses etprometteuses de construire des alternatives à l’ordre néolibéral se font jour. Lesuccès des deux forums sociaux de Porto Alegre montre que ce qui est en jeudans ce mouvement émergent n’est pas, contrairement à ce que pensent certains,le rejet futile d’un processus de mondialisation censément neutre, mais la cri-tique de sa modalité néolibérale et la lutte pour une autre mondialisation, appuyéesur un projet politique différent. C’est en s’engageant pleinement dans un telprojet et en envisageant la possibilité d’un ordre mondial différent, dans lequelles inégalités qui existent tant au niveau national qu’international seraient dras-tiquement réduites, que l’on peut apporter une réponse politique efficace au défidu populisme de droite.

(Traduit par Alain Caillé)

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