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Année universitaire 2008-2009 Mémoire Mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Mémoire de fin de quatrième année présenté par Caroline Goulard Séminaire Management des hommes et des organisations Réalisé sous la direction de Lionel Honoré

Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

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Ce travail fait le point sur les stratégies de développement numérique de la presse quotidienne françaiseMémoire réalisé dans le cadre du master Management des médias écrits de l'IEP de Rennes.

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Année universitaire 2008-2009

Mémoire

Mutations des entreprises de presse liées au

développement de leurs activités numériques

Mémoire de fin de quatrième année présenté par Caroline Goulard

Séminaire Management des hommes et des organisations

Réalisé sous la direction de Lionel Honoré

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SYNTHESE

La presse écrite quotidienne ne vit pas seulement une crise économique mais bien une

révolution industrielle. L’apparition de nouveaux supports numériques –Internet, téléphonie

mobile- l’obligent à réinventer son business model comme ses structures organisationnelles et

ses métiers.

Tout d’abord les acteurs traditionnels de la presse sont à la recherche d’un nouveau

modèle d’affaire pour faire face aux transformations de leur environnement économique,

technologique et sociétal. La presse quotidienne française est confrontée depuis plusieurs

années à une crise à la fois conjoncturelle et structurelle. D’un côté, elle fait face à

l’assèchement de ses deux principales sources de revenus : la vente et les recettes

publicitaires. De l’autre, elle affronte cette mauvaise situation avec des handicaps structurels

propres, connus depuis longtemps, mais jamais résolus : coûts de fabrication élevés,

inefficience du système de distribution, sous-capitalisation. De plus, le développement d’offre

d’information en ligne concurrence les supports traditionnels à la fois pour l’accès au lecteur

et pour l’accès aux ressources publicitaires.

Dans ce contexte de baisse de rentabilité de la presse quotidienne papier, Internet

représente de nouvelles opportunités de croissance et de renouvellement des produits. En

effet, via l’explosion d’Internet et du haut débit, la dématérialisation des contenus de presse

s’est traduite par le passage d’une consommation linéaire, déterminée par l’offreur de

contenus, à une consommation interactive, volatile et à la carte, déterminée par le demandeur

de contenus.

Pour répondre à ces nouvelles demandes de contenus informationnels, les titres de presse

quotidienne se sont éloignés de leurs produits-cœurs et ont multiplié les initiatives :

développement de sites d’information, mise en place d’équipe Web, création de studio de

Web-TV, prolifération des partenariats avec les pure players*1, etc. Ils ont ainsi développé de

nouvelles valeurs d’usage pour leurs produits en ligne. L’information, tout d’abord, a changé

de nature en passant du support papier au support numérique. Elle est consommée à l’unité

sur Internet et non plus par « paquet » comme dans un journal, ce qui démode les pratiques

traditionnelles de ventes liées. Son cycle de vie s’est raccourci, les supports numériques

1 Les termes munis d’un astérisque sont définis dans le lexique des termes techniques page 79.

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imposent une remise à jour en continu des dépêches d’actualité, chamboulant ainsi le rythme

traditionnel des rédactions, scandé par l’heure de bouclage et d’impression. Contenus Web et

contenus papier sont désormais pensés en complémentarité. La notion même de journal se

réinvente : sur Internet, les produits de presse deviennent mobiles, multimédias, interactifs,

communautaires, personnalisables. A la fois support de contenus et plate-forme de

communication interpersonnelle, compromis incertain entre portail* de services, édition

multimédia et émetteur de flux d’actualité, l’identité du produit de presse en ligne n’est pas

encore stabilisée, pas plus que son modèle d’affaire.

Si les supports numériques réduisent les coûts de productions, avec la suppression des

coûts d’impression et la réduction des coûts de distribution, ils réduisent également les

possibilités pour les entreprises de presse de s’approprier la valeur économique de leurs

produits. La culture de la gratuité sur Internet, en premier lieu, rend malaisée la vente aux

lecteurs des contenus éditoriaux. Le modèle économique des sites d’information repose donc

majoritairement sur les ressources publicitaires, et appelle donc des stratégies de

maximisation de l’audience. Si les supports numériques captent une portion de plus en plus

importante des dépenses publicitaires, leur part de marché reste néanmoins faible, tout comme

les tarifs publicitaires en ligne.

D’ailleurs, les éditeurs historiques ne sont pas les mieux placés pour s’approprier une part

de la manne publicitaire en ligne. Internet a en effet favorisé le découplage entre les médias

traditionnels et les annonceurs, la publicité trouvant sur le Web de nouveaux supports qui

affichent de meilleures audiences (moteurs de recherche*, portails* généralistes, sites

communautaires*, blogs*…). Internet a aussi distendu les frontières de la concurrence qui

n’est plus régionale –pour la PQR*- ou nationale –pour la PQN*- mais globale, les sites

d’information du Parisien et de Ouest-France se disputant ainsi le même public.

L’information en ligne voit également arriver sur le marché des pure players* bien mieux

équipés que les médias traditionnels pour répondre aux besoins d’information des natifs

numériques.

Puisque la publicité ne suffit pas à bâtir un modèle économique en ligne, les sites

d’information explorent de nouvelles pistes pour monétiser leur audience, depuis les services

pratiques jusqu’au commerce en ligne, en passant par les produits dérivés ou la croissance

externe. Une deuxième piste, encore peu exploitée, consisterait, pour les éditeurs de presse, à

se situer à l’origine du parcours d’information de l’internaute plutôt qu’à la fin, inversant ainsi

leur position dans la chaîne de valeur de la diffusion d’information en ligne. En pratiquant le

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journalisme de lien et en devenant un point de départ des recherches d’information en ligne –

et non plus un point d’arrivée-, les éditeurs maîtriseraient mieux la distribution de leurs

contenus sur Internet, et reprendrait la main face aux moteurs de recherche*, aux agrégateurs*

et aux blogs*.

Malgré leurs tentatives de diversification, les sites d’information des titres de presse

restent majoritairement déficitaires et subventionnés par les versions papier. Grâce à des

stratégies de diversifications, les activités numériques de certains groupes de presse sont à

l’équilibre (groupes Le Figaro, Ouest-France Multimédia), mais aucun modèle d’affaire

pérenne ne se dégage pour les activités éditoriales des titres. Le marché de la presse en ligne

n’a pas atteint sa maturité et tous les acteurs tâtonnent pour créer des sources de profit en

ligne. La dématérialisation des contenus s’est traduite par la remise en cause des modes de

formation de la valeur et des formes de concurrence. L’enjeu pour les entreprises de presse

consiste donc désormais à agglomérer différentes audiences sur différents supports à

différents moments de la journée. Dans cette nouvelle philosophie gestionnaire, le papier

constitue une voie parmi d’autres d’expression d’un titre qui produit des contenus

d’information multi-supports et multi-formats.

En définitive, la révolution numérique et la crise des modèles d’affaire traditionnels

confrontent la presse quotidienne française à la nécessité d’innover en permanence pour

redéfinir ses modes de production, ses produits, son marketing et mais aussi ses métiers-cœurs

et son design organisationnel. Le développement des activités numériques des entreprises de

presse chamboule les statuts socio-professionnels des éditeurs et des journalistes. En effet,

depuis que les sites d’information des marques de presse publient des contenus produits par

les internautes, le rôle d’éditeur de presse se rapproche de celui d’hébergeur. Les journalistes

sont concurrencés sur Internet par la publication de contenus générés par leurs lecteurs et la

personnalisation de l’information, qui détricotent leur travail de hiérarchisation des faits. Le

journalisme en ligne se distingue par de nouveaux outils, de nouvelles valeurs, de nouveaux

rythmes de travail. Le développement des activités numériques des entreprises de presse

transforme les situations de travail et d’emploi des acteurs, sans que de nouvelles formes

professionnelles n’aient encore émergé, plongeant ainsi les acteurs de la presse traditionnelle

dans un flou identitaire.

Tout comme Internet nécessite des pratiques professionnelles renouvelées, il remet en

cause le modèle traditionnel de grandes rédactions segmentées par supports, avec des équipes

Web et papier en parallèle et couvrant les même sujets. Tous les nouveaux modèles d’affaires

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tendent vers la production multi-supports et multi-formats d’information à effectif constant,

donc avec des journalistes issus du papier qui coopèrent à la production des contenus en ligne.

Pour distribuer du contenu indépendamment du canal –numérique ou analogique-, les

entreprises de presse doivent faire évoluer leurs structures organisationnelles : intégration des

rédactions Web et papier chez certaines, coopération entre les supports voire externalisation

des équipes Internet chez d’autres, rapprochement géographique du desk* numérique vers le

centre de décision chez beaucoup. Seule certitude dans ce contexte d’expérimentation

organisationnelle : les journalistes doivent élargir leur savoir-faire et leurs managers doivent

faire naître, par leur leadership, une véritable culture du changement.

Néanmoins, ces évolutions se heurtent au besoin de formation des journalistes et aux

réticences du syndicat SNJ, majoritaire, qui défend la rémunération des droits d’auteurs des

journalistes, ainsi que leur rattachement au support et non à la marque-média. Malgré tout, la

loi Création et Internet, adoptée par le Parlement le 13 mai 2009 fournit désormais un cadre

législatif favorable au développement de rédactions pluri-média, tout en définissant un statut

d’éditeur en ligne.

En conclusion, depuis le développement des supports numériques, les entreprises de

presse évoluent dans un univers particulièrement flou et mouvant : incertitudes sur l’évolution

des pratiques de consommation de l’information, reconstruction mal assurée d’un nouveau

business model, mutation indéterminée des structures organisationnelles, ré-invention

indéfinie des métiers et des compétences-cœurs, etc. Pour conserver leur compétitivité dans

une telle révolution industrielle, les entreprises de presse doivent expérimenter et innover, tant

dans leurs offres de produits de presse, que dans leurs modes de valorisation économique ou

dans leur design organisationnel. Le succès de telles expérimentations réside dans le

rapprochement des journalistes de terrain et des équipes marketing au cœur des nouveaux

projets d’entreprises.

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TABLE DES MATIERES

SYNTHESE................................................................................................. 2

TABLE DES MATIERES................................................................................. 6

TABLE DES ILLUSTRATIONS ........................................................................ 8

TABLE DES ENCADRES................................................................................ 8

REMERCIEMENTS ....................................................................................... 9

INTRODUCTION. UN UNIVERS INDUSTRIEL EN RAPIDE RECOMPOSITION ....... 10

PARTIE 1. CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE .................................. 12

Chapitre 1.1. Projet de recherche ................................................................................ 12

Chapitre 1.2. Cadre théorique : étudier la créativité organisationnelle grâce à deux concepts clés : l’ « identité floue des objets » et l’ « innovation organisationnelle ».. 13

1.2.1. Une démarche généalogique..............................................................................13 1.2.2. La créativité organisationnelle............................................................................13 1.2.3. Changement prescrit vs changement réel ............................................................14 1.2.4. Changement organisationnel simple vs innovation organisationnelle .......................14 1.2.5. Les évolutions de l’environnement : remise en cause de l’identité des objets au cœur des processus industriels de la presse quotidienne.........................................................16 1.2.6. Réception du changement et cadres cognitifs.......................................................17 1.2.7. L’identité professionnelle en jeu .........................................................................18 1.2.8 Synthèse du cadre théorique ..............................................................................20

Chapitre 1.3. Choix méthodologiques .......................................................................... 23

PARTIE 2. ETUDE COMPARATIVE PRESSE QUOTIDIENNE ET REVOLUTION NUMERIQUE : UN NOUVEAU BUSINESS MODEL A INVENTER ........................ 26

Chapitre 2.1. Mutation de l’environnement économique, technologique et sociétal de la presse écrite : une révolution industrielle ................................................................... 26

2.1.1. Environnement économique : la presse quotidienne française fait face à une crise conjoncturelle et structurelle.......................................................................................27 2.1.2. Environnement technologique : la révolution numérique chamboule l’offre de contenus informationnels .........................................................................................................30 2.1.3. Evolution sociétale : d’une logique d’offre à une logique de la demande de contenus d’information ............................................................................................................32

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Chapitre 2.2. Redéfinition des modes de formation de la valeur et des formes de la concurrence sur les médias numériques ...................................................................... 34

2.2.1. Démonétisation de la presse papier face au développement de la presse en ligne.....34 2.2.2. Le modèle d’affaire de la presse en ligne reste flou et incertain ..............................36 2.2.3. Elargissement et renforcement de la concurrence dans la presse en ligne................44 2.2.4. Sur Internet, les éditeurs disputent la maîtrise de la diffusion des contenus.............47

Chapitre 2.3. Stratégies de développement numérique et remise en cause des produits-cœurs des entreprises de presse ................................................................................. 48

2.3.1. Transformation des biens informationnels sur Internet..........................................49 2.3.2. Du journal papier au site multimédia : déstabilisation de l’identité des produits de presse......................................................................................................................52 2.3.3. D’une stratégie de diffusion à une stratégie d’audience .........................................57

Chapitre 2.4. Mutation des structures organisationnelles : vers des rédactions pluri-média........................................................................................................................... 60

2.4.1. Ré-invention des métiers et des compétences-cœurs ............................................61 2.4.2. Le modèle de rédaction pluri-média s’impose par nécessité économique..................63 2.4.3. Les obstacles au développement de rédactions pluri-média ...................................66

Chapitre 2.5. Conclusion de l’étude comparative ......................................................... 68

2.5.1. Un secteur industriel confronté au « capitalisme de l’innovation intensive » .............68 2.5.2. L’élaboration d’un nouveau modèle d’action pour la presse quotidienne...................69 2.5.3. Deux pistes pour valoriser économiquement la production de contenus informationnels sur Internet ..............................................................................................................70

CONCLUSION. REDEFINITION DES MODELES D’ACTION DANS LA PRESSE QUOTIDIENNE ET EXIGENCE D’INNOVATION ............................................... 73

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................... 76

LEXIQUE DU VOCABULAIRE TECHNIQUE ..................................................... 79

INDEX..................................................................................................... 81

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Schéma 1. Schéma de synthèse de la problématique ........................................................22

Graphique 1. Evolution de l’audience du support Internet .....................................................31

Graphique 2. Evolution de la part de marché d’Internet en France .........................................40

Graphique 3. Audience –en visiteurs uniques par mois- selon la catégorie de site ....................41

Tableau 1. Concepts-dimensions-indicateurs....................................................................24

Tableau 2. Offre gratuites et payantes de contenus des sites d’information étudiés ..............39

Tableau 3. Stade de développement des activités numériques des titres étudiés ..................56

Tableau 4. Synthèse de la transformation du modèle d’action collective dans la presse

quotidienne .................................................................................................70

TABLE DES ENCADRES

Encadré 1. Le Parisien/Aujourd’hui en France : une situation économique encore profitable ...29

Encadré 2. Le groupe Le Figaro : un exemple réussi de diversification sur Internet ...............43

Encadré 3. Ouest-France : un journal, deux marques numériques ......................................59

Encadré 4. Libération : une expérimentation infructueuse de la rédaction bi-média...............65

Encadré 5. Le Monde : le choix de la rédaction Web externalisée .......................................65

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REMERCIEMENTS

Je remercie le directeur de ce mémoire, Lionel Honoré, pour ses conseils pertinents.

Je remercie aussi Patrick Le Floch, responsable du master Management des médias écrits,

pour ses éclairages et ses encouragements.

Je remercie également Christelle Macé, chef de produit e-marketing au Parisien, pour son

accueil et son aide précieuse.

Je remercie enfin toutes les personnes qui m'ont accordé un entretien, ainsi que celles qui

ont relu ce mémoire.

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INTRODUCTION.

Un univers industriel en rapide recomposition

Rapports ministériels, articles de presse, ouvrages, blogs*, etc., depuis quelques années se

multiplient les documents s’inquiétant de l’adaptation des entreprises de presse françaises à la

révolution numérique. Intitulé La presse au défi du numérique, le rapport remis par Marc

Tessier au ministère de la Culture et de la Communication avait ouvert la voie en février

2007. Pour favoriser l’essor de la presse sur Internet, l’ancien président de France Télévision

préconisait des rapprochements entre les différents médias et une sécurisation de

l’environnement juridique de l’édition en ligne. La secrétaire nationale de l’UMP Danièle

Giazzi a poursuivi cette réflexion dans son rapport Les médias au défi du numérique, rendu

public en septembre 2008. Elle a été relayée entre octobre et décembre 2008 par un des cinq

groupes de travail des Etats généraux de la presse : professionnels et spécialistes y ont planché

sur la question de la mutation de la presse vers Internet et la téléphonie mobile. Toutes ces

initiatives s’accordent sur un même état des lieux : l’apparition de nouveaux supports

numériques chamboule l’environnement économique, technique, juridique et sociétal de la

presse.

Avec l’explosion du haut débit et la progression constante du nombre d’internautes,

Internet s’est imposé comme nouveau support de presse. Tous les titres traditionnels disposent

aujourd’hui de leur version en ligne. En plus de la difficulté de s’approprier de nouveaux

formats en ligne, les entreprises de presse doivent aussi affronter la transformation des modes

de consommation : fini le journal du matin qui satisfaisait les besoins d’information du plus

grand nombre, désormais l’information se picore à la carte sur Internet, tout au long de la

journée et sous différents formats. La dématérialisation des contenus informationnels ouvre la

porte au bouleversement des modèles économiques de la presse traditionnelle, de ses

structures, de ses contenus, et de ses modes d’organisation. Alors que la presse quotidienne

est déjà confrontée depuis une dizaine d’années au déclin de son modèle économique, rongé

par des handicaps structurels chroniques et par l’effritement du lectorat, comment peut-elle

aborder la conquête de ces nouveaux territoires numériques ?

Face à la reconfiguration de leur secteur industriel, les éditeurs multiplient les initiatives à

la recherche d’un nouveau business model. Ainsi, les annonces ces derniers mois du Parisien,

des Echos et du groupe Test de rapprocher leurs rédactions Web et papier, illustrent ce climat

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de novation, tout comme la mise en place quasi concomitante par les sites lefigaro.fr et

liberation.fr d’une plate-forme communautaire de lecteurs à la fin de l’année 2008, ou encore

l’initiative de trois titres de PQR* - Les Dernières nouvelles d'Alsace, l'Est Républicain et le

Télégramme de Brest – de lancer une émission de télévision, en ligne et sur téléphone

portable, en partenariat avec l’opérateur Orange. Alors que tous les acteurs du secteur misent

sur Internet pour de futurs profits, les modèles économiques ne semblent pas encore stabilisés,

ni assez rentables pour sortir les rédactions de leurs déficits opérationnels et des réductions

d’effectifs. Ces transformations suscitent des craintes et des engouements, et il n’est pas un

acteur qu’elles ne laissent sans question : dans un tel contexte d’incertitude, quelles offres,

quels financements, quelles compétences privilégier pour renouer avec le lectorat et la

rentabilité ? L’essor des nouveaux supports numériques nécessite-t-elle un simple ajustement

des entreprises de presse ou provoquera-t-elle un vrai changement systémique ?

Alors que les pessimistes prédisent la disparition prochaine des journaux, à l’image du

rédacteur en chef de l’Expansion Bernard Poulet dans son ouvrage La fin des journaux et

l’avenir de l’information, publié en février 2009, d’autres appellent à la création d’un cyber-

journalisme inspiré des blogs*, comme le blogueur* Narvic sur novövision.fr. L’apparition de

tels fantasmes témoigne d’abord du statut hors du commun de ce secteur industriel : jugé

essentiel à la diffusion des idées, il joue un rôle social et politique d’information du plus grand

nombre. La presse n’est pas un produit comme un autre car en dépendent de lourds enjeux

démocratiques. Néanmoins, la presse ne pourra faire face aux défis du numérique sans

aborder la question de la redéfinition de son marketing, de ses modes de production, de sa

structure industrielle et de ses stratégies d’innovation, comme n’importe quel secteur

économique confronté à de profonds bouleversements.

Ce mémoire vise à réaliser un bilan documenté des mutations auxquelles sont confrontées

les entreprises de presse sur Internet, de leurs enjeux économiques et de leurs conséquences

organisationnelles. Face à un univers numérique en perpétuelle évolution, ce travail représente

une photographie à un instant donné de la redéfinition de ce secteur industriel.

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Partie 1. CADRE THEORIQUE ET

METHODOLOGIQUE

Chapitre 1.1. Projet de recherche

Ce mémoire porte sur les mutations des entreprises de presse liées au développement de

leurs activités numériques. Il s’intéresse au changement organisationnel dans le cadre d’une

transformation de l’environnement économique, technologique et sociétal. Pour cela, il

mobilise les outils et les approches théoriques des sciences de gestion, et plus précisément de

la gestion du changement et de l’innovation.

Il aborde les mutations des entreprises de presse avec deux objectifs. Dans un premier

temps, ce mémoire vise à caractériser les transformations de l’environnement économique,

technologique et sociétale de la presse quotidienne pour étudier les stratégies des entreprises

de presse face aux nouveaux supports numériques (partie 2). Cette première approche pose la

question d’un nouveau business model pour la presse quotidienne, de ses enjeux et de ses

conséquences organisationnelles. Pour y répondre, ce mémoire s’appuie sur une comparaison

entre les choix stratégiques de cinq entreprises françaises de presse quotidienne : Le Parisien,

Le Monde, Le Figaro, Libération et Ouest-France. Dans un deuxième temps, ce mémoire

analyse les mutations organisationnelles des entreprises de presse dans un tel contexte (partie

3).

De plus, ce mémoire envisage deux formes de transformation des entreprises de presse :

une transformation de leur architecture productive d’une part, une transformation du

positionnement socioprofessionnel de leurs acteurs d’autre part.

Ces différentes dimensions des transformations des entreprises de presse se rejoignent

dans une interrogation sur la nature du changement organisationnel qu’elles expérimentent.

Cette interrogation constitue le point de départ de ce mémoire.

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Chapitre 1.2. Cadre théorique : étudier la créativité organisationnelle

grâce à deux concepts clés : l’ « identité floue des objets » et l’ « innovation

organisationnelle »

1.2.1. Une démarche généalogique

D’un point de vue méthodologique, une démarche généalogique nécessite de porter

attention à la généalogie des modes d’organisation du travail, de l’architecture des activités

productives de l’entreprise, des relations hiérarchiques ou encore des identités

professionnelles, pour estimer comment et pourquoi les mutations organisationnelles les

remettent en cause.

Cette démarche généalogique permet de s’intéresser à la fois aux évolutions de

l’environnement des entreprises de presse et à leur changement organisationnel, sans tomber

dans le piège d’une lecture déterministe, guidée par l’opposition entre changement volontaire

et changement dicté par l’environnement.

1.2.2. La créativité organisationnelle

Le concept de créativité organisationnelle fournit un cadre théorique permettant de

concilier les deux ambitions de ce mémoire : étude du changement de business model de la

presse quotidienne et étude des mutations organisationnelles des entreprises de presse.

Dans son introduction au dossier Créativité organisationnelle du numéro 161 de la Revue

française de gestion publiée en 2006, Rodolphe Durand définit la créativité organisationnelle

comme la capacité d’une organisation à se renouveler elle-même pour « accueillir et accepter

la nouveauté ». Elle correspond tout d’abord aux processus par lesquels une entreprise

modifie son architecture pour assurer son avenir et conserver sa compétitivité. Ces processus

de créativité organisationnelle agissent sur la façon dont les membres utilisent les ressources

mises à leur disposition. Au-delà de la capacité d’une entreprise à lancer sur le marché de

nouveaux produits et de nouveaux services, « il existe une aptitude particulière du corps

collectif organisé à se re-designer lui-même » (Durand, 2006), avec comme objectif de

transformer le marché concurrentiel. Ainsi, la créativité organisationnelle devient une aptitude

stratégique pour la survie des entreprises dans un environnement concurrentiel. Pour être

performante à moyen et long terme, pour influencer son marché, une entreprise doit laisser

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évoluer ses ressources et ses aptitudes stratégiques, ses métiers cœurs, préconise Rodolphe

Durand. Elle tire de cette plasticité architecturale un avantage concurrentiel sur ses rivaux.

La notion de créativité organisationnelle engage une vision dynamique des organisations,

ni figées dans des path dependencies (sentier de dépendance), ni déterminées par leur

environnement. Elle permet de questionner les dynamiques à l’œuvre tant dans les

transformations du secteur de la presse et de son environnement, que dans l’évolution du

design organisationnel des entreprises de presse.

1.2.3. Changement prescrit vs changement réel

La recherche en science de gestion s’empare du changement organisationnel à travers

deux oppositions fécondes : l’alternative entre changement prescrit et changement réel,

l’alternative entre changement incrémental et changement radical.

Dans un premier temps, la question du décalage entre changement prescrit et changement

réel, c'est-à-dire entre discours programmatique des gestionnaires et transformation effective

du fonctionnement d’une organisation, pose la question de la dénaturation du projet de

changement au moment de son appropriation par les acteurs de terrain. Etudier la nature du

changement suppose alors d’évaluer l’effet réel des transformations mises en œuvre. Par

exemple, Gilles Jeanot, Antoine Valeyre et Philippe Zarifian dans leur article « Une

transformation organisationnelle à France Télécom » (Jeanot et al., 1999), confrontent les

dispositifs manageriaux appliqués au cours de la restructuration et de la décentralisation des

directions régionales de France Télécom, dans les années quatre-vingt-dix, avec l’architecture

organisationnelle adéquate promue par les décideurs et les modes d’action effectifs des

acteurs de terrain, afin d’expliquer les dysfonctionnements des services décentralisés de

France Télécom.

1.2.4. Changement organisationnel simple vs innovation organisationnelle

Dans un deuxième temps, l’opposition entre changement incrémental et changement

radical structure la réflexion sur la nature du changement organisationnel. Pascal Le Masson,

Benoît Weil et Armand Hatchuel (Le Masson et al., 2006) renouvellent cette approche en la

recadrant autour de l’alternative entre changement organisationnel et innovation

organisationnelle.

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Dans leur ouvrage Les processus d’innovation, conception innovante et croissance des

entreprises, publié en 2006, ces auteurs adoptent une définition constructiviste de

l’innovation. L’usage courant du terme « innovation » renvoie à un jugement ex-post : un

produit ou un service est jugé innovant par des experts du secteur ou des consommateurs.

Pascal Le Masson, Benoît Weil et Armand Hatchuel s’écartent de cette définition pour

considérer l’innovation comme le résultat de l’activité de collectifs, qui déterminent sa forme

et ses conditions d’acceptabilité. L’innovation intervient lorsque que l’action de ces collectifs

remet en cause l’identité d’un objet, qu’il s’agisse d’un nouveau produit, « d’une nouvelle

technique, d’une nouvelle esthétique ou d’une nouvelle organisation du travail » (Le Masson

et al., 2006 p.36). Ainsi, les auteurs définissent l’innovation organisationnelle comme une

remise en cause du modèle d’action de l’organisation en situation d’identité floue des objets.

Il faut donc deux conditions pour qu’un changement organisationnel soit qualifié

d’innovation organisationnelle. D’une part, ce changement doit se dérouler dans un contexte

de remise en cause du sens communément attribué aux objets-clés d’un secteur industriel.

Dans un tel contexte, au moment de la transformation de l’organisation, ne sont déterminés ni

la performance visée par le changement organisationnel, ni la nouvelle architecture de

l’organisation, ni la nature des métiers engagés dans le changement, ni les compétences à

mobiliser, ni les nouveaux modes de définition de la valeur. Dans un deuxième temps, le

changement doit conduire à une remise en cause du « modèle d’action collective » (Le

Masson et al., 2006, p.68).

Pour les auteurs, les techniques de management et de rationalisation de l’organisation du

travail ne traduisent pas seulement des moyens d’action - par exemple le chronométrage et les

tables de gestes élémentaires, dans le cas du taylorisme - mais sont guidées par « un potentiel

d’enjeux matériels et relationnels, qu’elles rendent progressivement crédibles » (Le Masson

et al., 2006, p.69). Ces enjeux peuvent êtres structurés autour de quatre dimensions, qui

forment un « modèle d’action collective » (Le Masson et al., 2006, p.68) :

1/ « Une modélisation de l’activité et du raisonnement » (Le Masson et al., 2006, p.69) : qui

fonctionne comme un langage de base pour penser l’action collective en situation d’identité

floue des objets ; par exemple, pour cette étude de cas, l’expression « rédaction pluri-média »

véhicule des représentations et s’inscrit dans un discours managérial qui associe une nouvelle

organisation du travail, des nouveaux produits à gérer et de nouvelles compétences à acquérir,

qui ne préexistent pas mais se construisent dans l’action, car ces objets ne disposent

préalablement ni d’une identité clairement définie, ni d’un sens partagé ;

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2/ « Un substrat technique » (Le Masson et al., 2006, p.69) : qui regroupe l’ensemble des

techniques et des outils, les moyens de l’action collective ;

3/ « Une logique de performance » (Le Masson et al., 2006, p.69) : qui définit la nature de la

performance à atteindre et ses critères d’évaluation ;

4/ « Une vision simplifiée des relations organisationnelles » (Le Masson et al., 2006, p.69) :

qui décrit les formes d’organisation et les rôles des acteurs.

Cette double définition de l’innovation organisationnelle, par l’ « identité floue des

objets » et par la remise en cause du « modèle d’action collective » (Le Masson et al., 2006)

dirige la méthodologie d’étude du terrain vers deux objets : le contexte du changement

organisationnel dans un premier temps, la réception du changement organisationnel dans un

deuxième temps.

1.2.5. Les évolutions de l’environnement : remise en cause de l’identité des objets au

cœur des processus industriels de la presse quotidienne

Dans un premier temps, le concept d’ « identité floue des objets », utilisé par Pascal Le

Masson, Benoît Weil et Armand Hatchuel (Le Masson et al. 2006) aide à comprendre les

enjeux des bouleversements économiques, technologiques et sociétaux du secteur de la presse

quotidienne. D’après ces auteurs, l’évolution de ce secteur industriel s’inscrit dans une

évolution généralisée des modes de formation de la valeur et des formes de la concurrence

depuis un demi-siècle, selon la description de Pascal Le Masson, Benoît Weil et Armand

Hatchuel (Le Masson et al., 2006). Les processus industriels s’inscrivent désormais au sein du

« capitalisme de l’innovation intensive », dans lequel la compétition passe par l’innovation en

situation d’ « identité floue des objets » (Le Masson et al., 2006). Par exemple, un téléphone

n’est plus seulement un outil pour téléphoner ; au fil des générations de produit, le téléphone

est devenu portable, il sert d’agenda, de console de jeu ou de support pour un journal édité en

version PDF*. Pour être leader sur le marché des téléphones portables, il ne suffit désormais

plus de construire un produit moins cher ou de meilleure qualité mais de ré-inventer à chaque

génération de produit la définition même d’un téléphone et de ses usages.

Cette plasticité identitaire des produits a brouillé les repères de la performance à atteindre

et la liste des métiers à maîtriser pour être compétitif. En effet, au cours des précédentes

phases du capitalisme, les attentes du client étaient basées sur une identité stable des produits,

Page 17: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

17

elles étaient donc mieux connues des industriels qui pouvaient les traduire en fonctionnalités

correspondant à des métiers et à des compétences bien identifiés.

En conséquences, les modes de formation de la valeur sont désormais guidés par une

logique de compétition par l’innovation plus que par la performance. Ainsi, la transformation

des formes de la compétition économique pousse les entreprises à inventer de nouvelles

formes d’organisation de leurs activités de conception.

1.2.6. Réception du changement et cadres cognitifs

Dans un deuxième temps, déterminer si un changement organisationnel constitue une

innovation organisationnelle nécessite de poser la question du sens donné au changement par

les acteurs de terrain, c’est-à-dire de la réception et de la diffusion effective du changement.

La littérature en science de gestion propose plusieurs concepts pour appréhender la réception

du changement.

Cécile Godé-Sanchez étudie par exemple les phénomènes d’apprentissage et

d’appropriation pour comprendre pourquoi les communautés de métier de l’US Navy et de

l’ US Army s’approprient différemment les TIC2. Dans son article paru en décembre 2007 dans

le numéro 90 de la revue Les Annales Des Mines – Gérer Et Comprendre, l’auteur définit

l’appropriation d’un nouvel outil comme son « assimilation » par l’usager qui « intègre le

recours à l’outil dans ses modes opératoires […] de ce fait, l’appropriation se révèle

étroitement dépendante du sens donné [à l’outil] par les membres de la communauté». Ainsi,

chaque communauté s’approprie différemment un nouvel outil, en fonction du sens que

chacune attribue au changement et de sa « trajectoires d’appropriation singulières » (Godé-

Sanchez, 2007, p.38). Dans le cas de l’appropriation des TIC par les communautés de métier

de l’US Navy et de l’US Army, Cécile Godé-Sanchez montre que l’usage de nouvelles

technologies prend forme « au fil d’interactions sociales complexes, et s’avère par nature,

difficile à anticiper » (Godé-Sanchez, 2007, p.41).

Dans son projet d’article d’octobre 2008 pour la revue Les Annales des Mines- Gérer et

Comprendre, « L’ombre portée des outils de GRH : analyse à partir du cas de la mise en place

d’entretiens de progrès dans une entreprise maritime », Lionel Honoré donne des outils

pratiques pour l’étude de la réception du changement. Il définit quatre interrogations pour

2 Technologies de l’information et de la communication.

Page 18: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

18

observer comment les acteurs se représentent le changement et son impact socio-

professionnel: (Honore, 2008, p.7)

1/ « Quel est le processus effectif d’interprétation et comment il se met en œuvre ? »

2/ « Dans quelle mesure ce processus fait appel aux éléments structurants de la relation

d’emploi ? »

3/ « Dans quelle mesure et comment la relation d’emploi est mise en cause par le

changement ? »

4/ « Comment cela impact le positionnement des acteurs vis-à-vis de ce changement ? ».

Dans leur article « Créativité et identité organisationnelle » publié dans la Revue

française de gestion, n°161 en 2006, David Olivier et Johan Roos expliquent que

l’engagement des membres d’une organisation dans un processus de créativité

organisationnelle dépend des « cadres cognitifs négociés au sein de l’organisation » (Olivier,

Johan, 2006, p.139). Ces cadres cognitifs dépassent le niveau des valeurs culturelles ou

professionnelles des acteurs pour les opérationnaliser en actions, d’après la définition qu’en

donne Cécile Godé-Sanchez (Godé-Sanchez, 2007). Ils donnent du sens aux actions.

Ces approches théoriques définissent l’entreprise comme lieu de construction de sens par

des communautés dotées de valeurs. Elles permettent d’analyser le changement vécu par les

acteurs, c’est-à-dire d’analyser le changement selon leurs motivations, leurs interprétations et

leur engagement.

1.2.7. L’identité professionnelle en jeu

Dans l’article de Cécile Godé-Sanchez, dans celui de Gilles Jeanot, Antoine Valeyre et

Philippe Zarifian, comme dans celui de Lionel Honoré, la réception du changement dépend de

l’identité professionnelle des acteurs concernés.

D’après la définition de Cécile Godé-Sanchez (Godé-Sanchez, 2007), l’identité

professionnelle cristallise les contraintes du travail de terrain et l’accumulation des

expériences collectives. Elle détermine la cohésion des communautés de métier au sein de

l’entreprise et la capacité de ses membres à se définir comme un collectif doté de valeurs. Elle

conditionne ainsi la façon dont les acteurs s’approprient un nouvel outil technologique, un

nouvel outil de gestion ou une nouvelle architecture organisationnelle. De même, Lionel

Honoré démontre que l’introduction d’un nouvel outil de ressources humaines au sein d’une

Page 19: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

19

entreprise maritime a été rejetée par les marins qui l’avaient interprétée comme une remise en

cause de leur métier « tant dans ses dimensions d’identité professionnelle que dans ses

dimensions opérationnelles », via la dénaturation de leur relation d’emploi et de leur relation

de travail. (Honoré, 2008, p.8). Ainsi, le sentiment que le changement porte atteinte à

l’identité professionnelle, au positionnement socio-professionnel des acteurs, peut expliquer le

décalage entre l’objectif affiché du changement organisationnel et la réalité de l’évolution des

pratiques, diagnostiquent Gilles Jeanot, Antoine Valeyre et Philippe Zarifian dans leur article

« Une transformation organisationnelle à France Télécom (enquête) » (Jeanot et al., 1999).

Pour Cécile Godé-Sanchez, lorsque le changement organisationnel fragilise le sens

communément donné aux actions par les membres de la communauté, le groupe peut perdre

ses références. Dès lors, il manque le consensus autour du sens de l’action, les règles

relationnelles sont remises en cause, la cohésion est fragilisée et le climat de confiance entre

les membres du groupe se dégrade, ce qui peut mener à une forme d’inertie organisationnelle.

L’auteur précise les liens entre l’identité professionnelle et l’appropriation d’un nouvel outil

ou d’une nouvelle architecture organisationnelle : si l'identité culturelle affecte directement

les trajectoires d'appropriation des nouveaux objets ou nouvelles technologies, les nouvelles

technologies influencent en retour le contexte habituel d'action des individus et peuvent

remettre en cause leur identité. Rodolphe Durand conclut : l’identité professionnelle influence

la créativité organisationnelle en structurant les activités de sensemaking des acteurs.

Cette dimension identitaire de la réception du changement permet à Lionel Honoré

comme à Cécile Godé Sanchez de fonder la distinction entre changement radical et

changement incrémental, ou entre changement organisationnel simple et innovation

organisationnelle. Cécile Godé-Sanchez cherche ainsi à déterminer si les modifications du

contexte de travail induites par un changement organisationnel altèrent le sens collectivement

prêté aux actions et jusqu’à quel point. Un changement par la rupture fragilise les valeurs

fondamentales d’un système, rompt ses repères et touche aux constituants cœurs de l’identité

culturelle. A l’inverse, un changement incrémental constitue une évolution progressive du

contexte habituel de travail, sans confronter les acteurs à une véritable rupture de leurs

repères. Pour Lionel Honoré l’innovation organisationnelle déstabilise le « système d’action »

(Le Masson et al., 2006) en place. Plus précisément, elle renvoie à un changement « dont le

design est a priori mal défini et qui ouvre la voie à une redéfinition ou, a minima, à une mise

en discussion du système d’action en œuvre » (Honoré, 2008, p.14). Cette déstabilisation a

lieu quand les acteurs perçoivent une remise en cause floue de leur positionnement socio-

Page 20: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

20

professionnel, et donc de leur identité professionnelle. En effet, les constituants clés du

positionnement socio-professionnel –gestion des carrières, des compétences et des

connaissances, rémunération et rétribution, rôles productifs et rôles hiérarchiques – sont

déterminés par le modèle d’action collective. Dans le cas d’une innovation organisationnelle,

cette redéfinition de la situation de travail et d’emploi s’opère sans qu’un nouveau modèle

d’action n’ait encore été clairement déterminé ou accepté. A l’inverse, le simple changement

organisationnel ne remet pas en cause l’identité professionnelle des acteurs, ni le modèle

d’action existant. En définitive, la redéfinition du système d’action collective transforme

l’identité professionnelle. En retour l’identité professionnelle conditionne l’appropriation du

changement par les acteurs et donc la mise en place du changement réel, et d’un nouveau

système d’action collectivement négocié.

La conséquence méthodologique de ce cadre théorique conduit ce mémoire à ne pas se

limiter à l’analyse conjointe des nouvelles technologies, de l’environnement économique et

des entreprises de presse, mais à rendre compte des effets de ces évolutions. Pour cela il

s’intéresse aux processus d’appropriation, de réception et d’apprentissage du changement par

les acteurs, pour comprendre comment la mutation organisationnelle transforme

l’organisation et comment les acteurs s’approprient le changement.

1.2.8 Synthèse du cadre théorique

Le cadre théorique et la démarche de recherche peuvent être résumés par le schéma 1 :

- (Fond bleu) La remise en cause du modèle d’action institué par le passé et le contexte

d’identité floue des objets à gérer permettent de qualifier le changement organisationnel

d’innovation organisationnelle. La remise en cause du modèle d’action conduit à une

redéfinition de la relation de travail et d’emploi ainsi qu’à la fragilisation du sens

communément attribué aux objets par les acteurs. Une telle remise en cause du modèle

d’action fragilise l’identité professionnelle instituée (flèches n°1). En retour, l’identité

professionnelle conditionne le design de la mutation organisationnelle et la redéfinition

d’un nouveau « modèle d’action collective » (Le Masson et al., 2006, p.68) en orientant

la façon dont les acteurs vont s’approprier le changement et vont apprendre de nouveaux

rôles (flèches n°2).

- (Fond jaune) Dans leurs activités d’apprentissage et d’appropriation du changement,

les acteurs mettent en œuvre des processus cognitifs déterminés par leur identité

professionnelle. Les théories de la réception permettent donc aussi d’interroger l’écart

Page 21: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

21

entre changement prescrit et changement réel. En effet, l’identité professionnelle joue un

rôle important dans la façon dont des communautés de métier donnent du sens à des

actions et à des outils. Elles conditionnent donc la réception, l’interprétation par les

acteurs des changements dans leur situation de travail et d’emploi (flèche n°3). Mais les

nouvelles procédures, les nouveaux rôles, les nouvelles interactions et la façon dont les

acteurs les interprètent contribuent aussi à faire évoluer l’identité professionnelle (flèche

n°4).

- (Fond orange) Le contexte d’identité floue des objets-clés d’un secteur industriel

inscrit la notion d’innovation organisationnelle dans un référentiel plus large que celui

de l’entreprise. La notion de créativité organisationnelle permet de théoriser ce

référentiel et autorise un lien dynamique entre les mutations de l’environnement de la

presse quotidienne et les mutations des entreprises de presse. En effet, ces

transformations organisationnelles s’inscrivent dans un contexte plus large d’évolution

des modes de formation de la valeur et des formes de la concurrence dans un

« capitalisme de l’innovation intensive » (Le Masson et al., 2006). Il s’agit d’interroger

à la fois comment les transformations de l’environnement concurrentiel, économique,

technologique et sociétal des entreprises de presse peuvent introduire des processus de

transformation d’une entreprise de presse, notamment en rendant flous les objets que

doit gérer une telle organisation (flèche n°5), et en même temps, comment la créativité

organisationnelle d’une entreprise de presse participe à la redéfinition de

l’environnement du secteur de la presse quotidienne (flèche n°6).

Page 22: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

22

Schéma 1. Schéma de synthèse de la problématique

Page 23: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

23

Chapitre 1.3. Choix méthodologiques

Ce mémoire repose sur une étude de terrain complétée d’une étude documentaire. L’étude

de terrain s’est déroulée en deux temps :

1/ Une première phase d’observation participante au Parisien, au moment de

l’officialisation du passage à une rédaction pluri-média, c'est-à-dire au moment de la

signature de l’accord syndical, aux mois d’avril et mai 2008, à l’occasion d’un stage

en journalisme au sein de l’entreprise.

2/ Une deuxième phase exploratoire d’entretiens auprès de sept responsables des

activités numériques de différentes rédactions de presse quotidienne - Le Parisien,

Libération, Le Figaro, Ouest-France, Presse-Océan - :

-Jean-Damien Fresneau, rédacteur en chef adjoint, Presse-Océan, 27/11/08

-Christian Philibert, directeur général de Ouest-France Multimédia, 11/12/08

-Eric Bullet, rédacteur en chef délégué de ouest-france.fr, 11/12/08

-Luc de Barochez, directeur de la rédaction du figaro.fr, 15/12/08 (par

téléphone)

-Christelle Macé, chef de produit e-marketing, le 08/12/08

-Isabelle André, directrice des nouveaux médias et du développement, Le

Parisien, 19/02/09

-Ludovic Blecher , rédacteur en chef de liberation.fr, 19/02/09

La grille d’entretien et la grille d’observation ont été rédigées à partir du tableau 1

« concept-dimension-indicateur ». Ce tableau s’appuie sur le concept de « modèle d’action

collective » développé par Pascal Le Masson, Benoît Weil et Armand Hatchuel dans leur

ouvrage Les processus d’innovation. Conception innovante et croissance des entreprises et

sur le concept d’identité professionnelle, en les déclinant en critères observables

empiriquement.

Page 24: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

24

Tableau 1. Concepts-dimensions-indicateurs

CONCEPT DIMENSION INDICATEUR

Apparition/disparition de tâches ou de procédures

Apparition/disparition de responsabilités

Changement ou maintien de l’entité pertinente de la situation de travail

Discours/représentations/processus interprétation des acteurs sur le changement de leur situation de travail et impact sur leur positionnement Motivation exprimée par les journalistes pour le travail qui leur est demandé

Lieu de travail

Horaires de travail et temps de travail

Sens du travail / socialisation

Relation de travail (implication des acteurs dans le processus productif)

Formation / besoin de formation

Salaire

Discours/représentations/processus interprétation des acteurs sur le changement de leur situation d’emploi et impact sur leur positionnement

Rétributions matérielles (bureaux, équipement)

Rétributions symboliques, reconnaissance

Employabilité

Dispositif RH de conduite du changement

Relation d’emploi (rétribution des acteurs)

Mobilité

Discours des journalistes sur le changement, les nouvelles façons de travailler

Discours des journalistes sur les valeurs constitutives de leur identité professionnelle

Discours des acteurs sur les constituants-cœurs de leur activité

Sens attribué au travail par les journalistes

Discours des managers de première ligne (MPL) = chef de service, sur le changement

Discours des représentants syndicaux sur le changement

Discours des représentants syndicaux sur les valeurs des journalistes

Barrières culturelles face aux nouvelles technologies

Valeurs

Littérature syndicale

Positionnement dans le réseau de pairs et relations entre pairs

Positionnement dans le réseau hiérarchique

Discours des journalistes sur leur rôle

Discours des journalistes sur leurs missions et leur tâches

Discours des MPL sur les missions et tâches des journalistes

Rôles

Discours des leaders sur les missions et tâches des journalistes

Titres et description de poste

Positionnement des journalistes dans l’organigramme de l’entreprise

Discours des journalistes sur leur place dans l’entreprise

Confrontation valeur associées par les journalistes et par les manager au journalisme

Sentiment d’appartenance à l’organisation des journalistes

Identité professionnelle

Place dans l’organisation

Profil des nouveaux embauchés dans l’entreprise

Page 25: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

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CONCEPT DIMENSION INDICATEUR

Modèles conceptuels / concept gestionnaire (journaliste pluri-média)

Modèle de stratégie RH

Strat de modernisation de l’entreprise

Inscription du projet de mutation organisationnelle dans la culture managériale

Discours porté par le changement

Discours des leaders / dirigeants de l’entreprises pour accompagner la production de sens autour du changement et pour légitimer le changement

Valeurs associées au pluri-média par les différents acteurs

Mode de raisonnement mobilisé par les acteurs

Modélisation de l’activité et du raisonnement

Redéfinition des métiers

Procédures de transmission des informations entre hiérarchie et acteurs de terrain

Schémas décisionnels

Procédures de production du contenus pour le site Web par les journalistes

Equipement technique et changement technologique : nouveau système éditorial

Gestion des droits d’auteurs

Management du changement / comment le changement a-t-il été diffusé ?

Compétence et connaissances mobilisées

Outils utilisés par les acteurs

Mode d’organisation du travail

Organisation géographique des bureaux/ des activités

Signature (non obligatoire) d’un avenant au contrat de W des journalistes et MPL

Entité pertinente de la situation de travail

Dispositifs RH de conduite du changement

Augmentation de salaires, rétributions / intéressement au changement

Embauches et licenciements

Mode et outils de gestion des compétences et connaissances

Substrat technique

Formation aux nouvelles technologies / besoins de formation

Mode d’évaluation de la performance

Implication de la direction générale ds le suivi du changement

Objectifs visé par le changement

Espaces d’évaluation et calendrier de l’évaluation

Critères de la qualité et de l’efficience sur le site Web ?

Logique de performance

Quels acteurs sont rétribués ?

Redéfinition (revalorisation ?) du rôle et de la place de l’ancienne équipe Web

Redéfinition du rôle et de la place des journalistes

Relations entre les webmasters et les journalistes

Rapports de force entre chef du Web et chef des services papiers

Relations entre les journalistes des différents services

Acteurs intéressés au changement

Titres et description de postes

Relations interpersonnelles

Relations hiérarchiques

Modèle d’action collective

Vision simplifiée des relations organisationnelles

Ouverture de nouvelle perspective d’évolution des carrières

Page 26: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

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Partie 2. ETUDE COMPARATIVE

Presse quotidienne et révolution numérique :

un nouveau business model à inventer

La presse écrite quotidienne ne vit pas seulement une crise, mais bien une révolution

industrielle. Cette partie comparative entend démontrer que les nouvelles technologies

numériques entraînent une redéfinition du modèle d’action –au sens de Le Masson, Weil et

Hatchuel (Le Masson et al., 2006) – de la presse écrite et pousse ce secteur industriel à ré-

inventer son business model. Cette évolution du modèle d’action de la presse écrite répond au

bouleversement de son environnement économique, technologique et sociétale (chapitre 2.1).

La remise en cause du modèle d’action de la presse quotidienne suppose une évolution des

modes de formation de la valeur économique et des formes de la concurrence (chapitre 2.2).

Face à ces transformations, les entreprises de presse déploient des stratégies de

renouvellement de leurs produits et de leur architecture organisationnelle. L’examen des

stratégies de développement des nouveaux médias de six entreprises de presse -cinq leaders

de la presse en ligne : Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien, Ouest-France, et un

nouvel entrant sur la toile : Presse-Océan, permet d’étudier comment la mise en œuvre

d’innovations produits (chapitre 2.3.) et d’innovations organisationnelles (chapitre 2.4) a

participé à la re-définition du business model de la presse écrite.

Chapitre 2.1. Mutation de l’environnement économique, technologique et

sociétal de la presse écrite : une révolution industrielle

« C’est un monde qui évolue extrêmement vite, la presse en général et les quotidiens

d’information en particulier, qui traverse une crise extrêmement grave. Une chose est sûre,

c’est que ce monde-là sortira de la crise totalement transformé. Maintenant, transformé dans

quel sens et comment : ce serait bien aventureux de ma part de dire aujourd’hui ce qu’il faut

faire dans cinq ans. La vérité c’est que je n’en sais rien ce qu’il faut faire dans cinq ans. » (Luc

de Barochez, directeur de la rédaction du figaro.fr)

Les propos de Luc de Barochez, directeur de la rédaction du figaro.fr illustrent le

sentiment généralisé des acteurs de la presse écrite de se trouver démunis face à cette

imminente révolution industrielle. D’ailleurs, les chroniqueurs et experts prophétisant la

disparition prochaine de la presse écrite se multiplient, à l’image du rédacteur en chef de

Page 27: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

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L’Expansion, Bernard Poulet, dont le dernier ouvrage, publié en février 2009, s’intitule La fin

des journaux et l’avenir de l’information. Sans prendre partie dans cet exercice de prospective

économique, ce chapitre expose dans quel contexte -économique, technologique et sociétal-

s’inscrit le déclin de la presse écrite, et avec quelles conséquences sur la redéfinition du

modèle d’action de ce secteur.

2.1.1. Environnement économique : la presse quotidienne française fait face à une

crise conjoncturelle et structurelle

La presse quotidienne française est confrontée à une crise tout à la fois conjoncturelle et

structurelle. Dans un premier temps, elle fait face à des défis partagés par tous les journaux

dans les pays occidentaux, avec une chute de ses deux principales sources de revenus : les

revenus provenant de la vente aux lecteurs et les revenus publicitaires.

D’un côté, les quotidiens français enregistrent une baisse continue des ventes depuis les

années soixante-dix. La presse d’information générale est particulièrement touchée : sa

diffusion a diminué de 12% entre 1996 et 2006, selon l’OJD3. Cette baisse tendancielle de la

diffusion payée s’explique par l’évolution des habitudes de consommation de médias : le

lectorat habituel de la presse quotidienne vieillit, les jeunes générations délaissent le papier

pour plébisciter les gratuits et Internet, les consommateurs de presse butinent d’un titre à

l’autre, le temps consacré à la lecture de presse diminue… Ces transformations menacent le

modèle de la presse quotidienne fondé sur la régularité de la consommation. En 2008, seuls

trois titres de presse quotidienne nationale ont vu leur diffusion augmenter dont Aujourd’hui

en France (+1,5%, source OJD), avec Les Echos et France Soir. En comparaison, les

quotidiens régionaux résistent mieux. Ouest-France enregistre même une évolution

légèrement positive de sa diffusion (+0,4%, source OJD). Alors que les gratuits et les sites

d’information en ligne gagnent des lecteurs, la tentation est grande d’attribuer à ces deux

nouveaux formats les difficultés de la presse quotidienne papier. Pourtant, la diffusion et

l’audience des journaux s’érodent depuis plusieurs dizaines d’années, bien avant l’essor de la

presse gratuite et l’arrivée d’Internet. Ces deux nouveaux concurrents fragilisent néanmoins

une presse quotidienne française déjà structurellement faible.

De l’autre côté, les recettes publicitaires de la presse payante s’installent dans une

croissance négative depuis une petite dizaine d’années. La presse est menacée dans sa

3 L’OJD, association professionnelle pour le contrôle de la diffusion des médias, certifie la diffusion, la distribution et le dénombrement des journaux, périodiques et sites Web.

Page 28: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

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position de premier média publicitaire : elle représentait la moitié des investissements

publicitaires il y a dix ans, contre le tiers aujourd’hui. Ce déclin s’explique tout d’abord par la

concurrence entre supports de publicité. La rivalité entre presse, télévision et radio s’est

renforcée depuis 2007, avec la levée de l’interdiction pour ces deux derniers supports de

diffuser de la publicité pour l’édition, le cinéma et la grande distribution. L’arrivée de la

presse quotidienne gratuite, en 2002, a également renforcé la concurrence entre titres de

presse. Néanmoins, bien que les revenus publicitaires des quotidiens gratuits étaient jusqu’à

2009 en très forte croissance, ils n’ont pas forcément pénalisé ceux de la presse payante car la

presse gratuite a attiré des annonceurs qui n’étaient pas présents dans la presse quotidienne

traditionnelle, comme l’industrie des jeux vidéo. De plus, les annonceurs ont tendance à se

retirer des médias traditionnels, au profit d’Internet et des techniques de marketing direct ou

personnalisé tels le mailing, la sponsorisation ou l’événementiel. Enfin, la crise économique et

financière actuelle renforce les difficultés de la presse écrite sur le marché publicitaire. Ce

marché fortement volatile dépend étroitement de l’activité économique, tout comme le

marché des petites annonces, autre source importante de revenus de la presse écrite. Les

annonces classées ont d’ailleurs en grande partie migré vers Internet, ce support offrant une

meilleure réactivité et souvent la gratuité. En définitive, Internet est aujourd’hui le seul

support sur lequel les revenus publicitaires progressent, avec la téléphonie mobile qui s’ouvre

tout juste au marché des annonceurs. Ainsi, les supports numériques concurrencent

doublement la presse traditionnelle : sur le plan du temps de lecture disponible des lecteurs,

mais aussi sur le plan des revenus publicitaires.

Dans un deuxième temps, la presse quotidienne affronte cette mauvaise situation

conjoncturelle avec des handicaps structurels qui lui sont propres, connus depuis longtemps,

mais jamais résolus. Tout d’abord, les coûts de fabrication des journaux français sont plus

élevés que ceux de la plupart des pays européens. L’impression représente ainsi entre 20% et

35% des coûts. Le transport coûte cher également, et la hausse des cours des matières

premières –et donc du papier– augmente encore les charges de production. Ensuite,

l’inefficience du système de distribution nuit à la diffusion des titres, avec, par exemple, le

faible nombre de marchands de journaux ou la tendance à la fermeture des points de ventes.

La sous-capitalisation des groupes de presse a aussi nui au développement de leurs

investissements, leur manque de fonds propres pouvant expliquer leur difficulté à innover et à

se réinventer sur les nouveaux médias numériques. La prodigalité du système français d’aide

à la presse n’a pas non plus incité au changement. Enfin, l’offre éditoriale n’a pas su s’adapter

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aux attentes renouvelées des lecteurs. Dans un contexte conjoncturel de diminution des

recettes, la presse française a donc maintenu des pratiques ne permettant pas d’optimiser les

coûts.

En conséquence, le secteur de l’édition des quotidiens enregistre depuis 2002 des pertes

d’exploitation récurrentes. Certains titres souffrent de déficits chroniques, d’autres sont

menacés de disparition. La baisse de rentabilité de la presse traditionnelle entraîne

logiquement la dislocation du modèle économique de production d’une information

quotidienne de masse sur papier. Dans ce contexte de crise du business model de la presse

quotidienne, Internet apporte de nouvelles menaces et de nouveaux besoins de financement,

mais aussi de nouvelles opportunités de croissance. Pour en profiter, la presse doit investir et

préparer son avenir.

Dès lors, une deuxième conséquence de l’effondrement du business model pourrait être

une plus forte concentration du secteur industriel de la presse écrite. Internet a déjà favorisé

de nouveaux entrants sur le marché de l’information, il pourrait accélérer la disparition ou le

regroupement d’acteurs en place, car les médias traditionnels manquent souvent de moyens

financiers pour investir les supports numériques. Le Rapport pour la direction du

Développement des Médias Audiences et stratégies des acteurs en ligne face aux acteurs

traditionnels du marché de la diffusion des contenus, publié en décembre 2006, suggère ainsi

que la bataille sur les nouveaux supports numériques provoquera des opérations de

consolidation dans le secteur des médias, et des alliances stratégiques entre anciens et

nouveaux acteurs.

Encadré 1. Le Parisien/Aujourd’hui en France : une situation économique encore profitable

• La Snc Le Parisien Libéré appartient au groupe familial Amaury, également propriétaire

de la Snc L’Equipe et des titres Aujourd’hui sport et L’Echo Républicain. Le groupe Amaury

détient aussi des activités de production d’événements sportifs, via Amaury Sport

Organisation, organisateur du Tour de France, de Paris-Roubaix, du Dakar, du Marathon de

Paris ou encore de l’Open de France.

• Les titres Le Parisien et Aujourd’hui en France enregistrent une diffusion payée de

523 000 exemplaires chaque jour (source OJD 2007), pour une audience de 2 269 000 lecteurs

par jour (source EPIQ 2007-2008).

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30

• Le Parisien et Aujourd’hui en France emploient 600 salariés, dont 350 journalistes. Sa

filiale Société de Vente et de Distribution du Parisien (SDVP) compte 1 400 personnes, dont

1 100 pour le portage.

• La Snc Le Parisien Libéré possède son propre réseau de distribution au sein de la SDVP,

grâce auquel, en 2001, elle a créé 2 200 points de ventes supplémentaires dans la région

parisienne par rapport au réseau coopératif des NMPP4. La maîtrise de la distribution a permis

au titre de se trouver au plus près de ses lecteurs, un atout pour enrayer la baisse des ventes,

bien que cet investissement coûteux ait été difficile à rentabiliser.

• Les quotidiens Le Parisien et Aujourd’hui en France ont présenté un résultat financier

positif en 2008. En 2006, Les titres étaient revenus à l’équilibre financier pour la première

fois depuis 2000. Malgré les difficultés du secteur et le tassement des ventes du Parisien, la

diffusion totale Parisien/Aujourd’hui en France a continué de progresser ces dernières années

(+4,7 % entre 2005 et 2008) grâce aux ventes du quotidien national Aujourd’hui en France.

• Ces bons chiffres du Parisien/Aujourd’hui en France s’expliquent d’abord par la volonté

du directeur général Jean Hornain de maintenir des prix bas – 0,95€ pour Le Parisien, 0,80€

pour Aujourd’hui en France –, mais également par une ligne éditoriale pédagogique et proche

des préoccupations quotidiennes de son lectorat.

• Pour pérenniser la bonne situation économique du titre, la Snc Le Parisien mise sur la

réduction des coûts, avec la réorganisation de sa filiale de distribution SDVP, et le non-

remplacement des départs à la retraite.

2.1.2. Environnement technologique : la révolution numérique chamboule l’offre de

contenus informationnels

Grâce à la diffusion du haut débit, 60% de la population française est aujourd’hui

connectée à Internet, et le temps moyen passé en ligne a doublé en trois ans, comme le montre

le graphique 1, issu du rapport Audience et stratégie des acteurs en ligne face aux acteurs

traditionnels du marché de la diffusion des contenus (DDM, 2006). Internet s’impose ainsi

comme un nouveau support de contenus informationnels. En 2007, 45% des français

déclaraient utiliser Internet pour suivre l’actualité (source Sofres) et cette nouvelle source

4 Nouvelles messageries de la presse parisienne, société commerciale de messagerie de presse chargée de la distribution des titres de cinq coopératives de presse, dans le cadre de la loi Bichet du 2 avril 1947.

Page 31: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

31

d’information gagne en crédibilité. Avec un accès facile, instantané et essentiellement gratuit

à des sources multiples, Internet a bouleversé les habitudes de consommation de l’information

et devance désormais la télévision, la radio ou l’imprimé chez les 15-24 ans. Surtout, la

consultation d’informations sur Internet a fait apparaître de nouveaux acteurs pour la

recherche et la sélection des informations : les moteurs de recherche* et portails*

d’informations. La révolution numérique permet également la consommation d’information

en mobilité grâce aux smartphones* connectés à Internet ou autres e-reader*. Bien que la

consommation exclusive d’information sur Internet reste marginale, tout comme le

podcasting* ou l’agrégation de flux RSS*, Internet remet en cause la domination de la presse

papier et de la télévision.

Graphique 1. Evolution de l’audience du support Internet

Pour faire face, les titres de presse quotidienne se sont éloignés de leurs produits de

presse traditionnels et ont développé leur offre de contenus sur Internet. Créés pour la plupart

dans les années quatre-vingt-dix, leurs sites d’information ont d’abord numérisé leurs

contenus habituels dans des « sites compagnons », copie du journal d’origine, avant de

proposer des contenus spécifiques au support Internet – vidéo, sons, contenus participatifs –

alimentés par des équipes Web élargies. Bénéficiant de l’image de marque de leur homologue

papier, les sites d’information des entreprises de presse ont réussi à développer des audiences

significatives : 47 millions de visites par an pour lemonde.fr, 22 millions pour lefigaro.fr ou

12 millions pour liberation.fr (source OJD 2008). Lemonde.fr et lefigaro.fr se classent ainsi

Page 32: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

32

tout en haut des sites d’information les plus consultés, bien avant les agrégateurs* Google

News ou Yahoo ! News.

Déployer la marque média sur Internet représente un relais de croissance essentiel pour

les entreprises de presse. Internet est en effet le seul média dont les revenus publicitaires

progressent. A titre d’exemple, les activités numériques représentaient, en 2007, 13% du

chiffre d’affaire du groupe Le Figaro, qui souhaiterait faire passer ce chiffre à 20% au cours

des prochaines années. Les canaux de diffusion numérique se diversifient, avec la

consultation d’information en ligne sur les téléphones portables, et les expérimentations

prometteuses sur livre électronique (e-book* ou Kindle* d’Amazone). Ces nouveaux supports

permettent de consulter partout et à tout moment une information régulièrement ré-actualisée.

Les sites d’actualité figurent déjà parmi les plus consultés sur téléphone portable, juste après

ceux de météo (source Médiamétrie 2008). Bien que les connexions Internet sur téléphone

portable restent chères, tout comme le prix des e-readers*, ces produits annoncent de

prochaines révolutions numériques, avec de nouveaux cycles d’investissement et de remise en

cause des positions acquises. Le quotidien papier, à la lourde et coûteuse logistique et à

l’information vite périmée, sera de moins en moins concurrentiel face à des supports

numériques ré-actualisés en continue. Dans leur rapport La presse au défi du numérique, Marc

Tessier et Maxime Baffert diagnostiquaient déjà, en février 2007, que la généralisation de

l’Internet nomade inciterait les journaux à s’approprier cette mobilité et à multiplier les

formules interactives. La convergence numérique nécessite ainsi « de nouveaux contenus, de

plus en plus éloignés des articles de presse traditionnels et constamment renouvelés et

actualisés » (Tessier et Baffert, 2007, p.50)

Pour survivre, les entreprises de presse devront se renouveler sur les supports

numériques, même si, pour l’instant, rares sont celles qui gagnent de l’argent sur Internet. Le

seul quotidien ne suffit plus, ses recettes compensent de moins en moins ses coûts élevés. Les

éditeurs n’ont pas d’autre choix que d’investir sur Internet, afin de ne pas prendre de retard

face aux autres médias traditionnels d’information qui eux aussi migrent sur la Toile, et afin

de renouveler leur lectorat en attirant des internautes plus jeunes que les lecteurs du papier.

2.1.3. Evolution sociétale : d’une logique d’offre à une logique de la demande de

contenus d’information

L’explosion d’Internet et du haut débit s’accompagne d’une modification des modes de

consommation de l’information. Les médias numériques permettent de satisfaire de nouvelles

Page 33: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

33

attentes des consommateurs. Grâce à l’accès facile, instantané et gratuit à de multiples sources

d’information, Internet favorise les pratiques de butinage, de nomadisme. L’attachement entre

le lecteur et son journal ne se retrouve pas sur Internet, qui favorise plutôt l’infidélité et la

fragmentation de la consommation. Alors que la population consommait autrefois les

différents médias en séquences séparées, la nouvelle génération consomme plusieurs médias à

la fois, avec une capacité d’attention limitée, d’où l’enjeu pour les sites d’information de

produire des contenus courts et visuels. Ainsi, Internet attire une audience fragmentée, hyper

mobile, en attente de personnalisation et d’interactivité accrue des pages Web.

De plus, Internet transforme le rapport au savoir, à l’information, au divertissement. Les

internautes souhaitent choisir leurs informations, les consommer à toute heure de la journée et

depuis n’importe quel endroit. Les techniques de podcasting* et d’agrégation de flux RSS*

renforcent la tendance à la personnalisation de l’information sur Internet. Les internautes

entendent également participer à l’élaboration des contenus d’information sur des médias

interactifs, et partager l’information grâce aux plate-formes communautaires*. Par ailleurs, les

consommateurs d’information en ligne présentent une faible disponibilité à payer. Sur

Internet, de nombreux sites proposent l’accès gratuit à des brèves d’actualité réactualisées en

temps réel. La mise à disposition d’information gratuite n’est pas propre aux supports

numériques, puisqu’un journal est lu en moyenne par quatre personnes, et puisque les éditeurs

cèdent une partie de leur tirage gratuitement (diffusion « non payée »). Ainsi, Christophe

Cariou et Patrick Le Floch estiment que 80% des lecteurs de presse papier ne sont pas des

acheteurs (Cariou et Le Floch, 2009). Néanmoins, les sites d’information n’ont pas en priorité

appuyé leurs modèles économiques sur l’achat de contenu et l’information est devenue sur

Internet un bien de base, accessible gratuitement. Cette banalisation en ligne du contenu des

quotidiens payants participe à la démonétisation de la valeur de l’information sur Internet. La

dématérialisation de l’information se traduit ainsi par le passage d’une consommation linéaire,

déterminée par l’offreur de contenus, à une consommation interactive et à la carte, déterminée

par le demandeur de contenus.

En définitive, la révolution numérique modifie les conditions de production, de stockage

et de diffusion de l’information, elle change les usages et les attentes des consommateurs, elle

transforme la structure des audiences et des marchés de la presse, elle déstabilise les acteurs

en place et avec l’émergence de géants internationaux de l’Internet tels Google ou Yahoo !.

En fin de compte, elle bouleverse le modèle économique et productif de la presse française.

Pour réussir leur transition vers les nouveaux supports numériques, les médias traditionnels

Page 34: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

34

doivent bien sûr investir sur Internet, mais aussi renouveler la notion même de journal et ré-

inventer leurs produits et leurs métiers-cœurs. Dans cette période incertaine et instable,

marquée par le changement de business model et l’apparition de nouveaux acteurs, le secteur

de la presse doit changer de culture. Dans son rapport La presse au défi du numérique,

l’ancien président de France Télévision Marc Tessier souligne que « l’irruption des

technologies numériques est en passe de bouleverser non seulement l’économie des médias

traditionnels, mais aussi leurs modes d’organisation, leurs structures et leurs contenus »

(Tessier et Baffert, 2007, p.4). La révolution numérique et la crise du modèle économique

traditionnel forcent la presse écrite à renouveler son « modèle d’action collective » (Le

Masson et al., 2006, p.68), à ré-inventer tant ses structures que ses produits et ses métiers,

dans un processus de créativité organisationnelle.

Chapitre 2.2. Redéfinition des modes de formation de la valeur et des

formes de la concurrence sur les médias numériques

Cette révolution industrielle se déroule en situation d’identité floue du futur business

model de la presse écrite car elle remet en cause les modes de formation de la valeur

économique comme les formes de la concurrence dans le secteur industriel de la presse

quotidienne. Les nouveaux produits de presse en ligne, en démonétisant l’information sur

support papier, poussent à réfléchir aux nouvelles valorisations de la production de

l’information.

2.2.1. Démonétisation de la presse papier face au développement de la presse en

ligne

Le développement des sites d’information concurrence les supports de presse

traditionnels à la fois pour l’accès aux lecteurs et pour l’accès aux ressources publicitaires.

D’un côté, les supports numériques d’information proposent énormément de contenus

gratuits, satisfaisant les besoins de nombreux lecteurs qui perçoivent alors le journal papier

comme trop cher pour peu de contenus exclusifs. De l’autre, les sites Internet emportent une

part de plus en plus grande du marché des annonceurs. De plus, des adresses comme Meetic,

Monster ou eBay se sont adjugé presque la moitié du marché des petites annonces, auparavant

acquis à la presse. Grâce à l’actualisation permanente, les enchères, les envois de CV en ligne

ou autres visites virtuelles, Internet se révèle en effet comme un média bien plus puissant que

Page 35: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

35

le papier pour les annonces classées. En conséquence, Internet conduit à une destruction de

valeur pour la presse écrite.

Cette concurrence entre support papier et support numérique a placé les entreprises de

presse en situation de schizophrénie, en proposant gratuitement sur Internet des contenus qui

auparavant n’étaient accessibles qu’en achetant le journal, tout en continuant à proposer des

journaux papier. Les acteurs de la presse écrite se sont demandé si leurs propres sites ne

cannibalisaient pas leurs ventes au numéro. Bien que l’apparition de nouveaux médias -

radiophoniques ou télévisuels- n’ait jamais entraîné la disparition des autres, elle a toujours

remis en cause leurs positions acquises et les équilibres économiques fondant leur croissance.

Cet impact d’Internet pourrait être d’autant plus violent qu’il propose tout ce que les autres

médias offrent déjà –écrit, image, vidéo, son-, avec l’interactivité et l’immédiateté en plus.

Néanmoins, les études statistiques montrent au contraire que le taux de duplication de

l’audience entre les deux supports s’étale entre 10% et 25%, selon les titres. Au Parisien,

l’audience du site Internet ne progresse pas les jours où une grève bloque la sortie en kiosque.

Le lectorat traditionnel recoupe peu celui des sites d’information, ces deux réservoirs

d’audience présentant des profils sociologiques distincts, avec des internautes en moyenne

plus jeunes que les lecteurs du papier.

Cette crainte de cannibalisation révèle cependant la nécessité de réfléchir sur les contenus

appropriés à chaque support, pour minimiser la concurrence frontale entre Internet et le

papier, mais aussi pour répondre aux attentes spécifiques de chaque lectorat. Ainsi, au

Parisien et à Ouest-France, moins de 10% du journal papier est accessible gratuitement sur le

site. De même à Presse-Océan, où le mix-média papier-Internet doit attirer sur le site des

lecteurs plus jeunes, avec en ligne uniquement des articles aux thèmes fédérateurs. Le Monde

et Libération ont adopté des mix-média basés sur la temporalité : les articles du Monde papier

sont accessibles gratuitement sur le site pendant vingt-quatre heures seulement, et sur

liberation.fr les articles du journal ne sont mis en ligne qu’à partir de 17h00, après l’essentiel

de la vente en kiosque. Ces sites contiennent donc majoritairement des contenus spécifiques

pour Internet.

Bien qu’en partie infondée, la crainte de la cannibalisation témoigne de l’inquiétude des

acteurs traditionnels de la presse papier face à la démonétisation des quotidiens. Le bon mix-

média permettant la viabilité du journal papier à côté des activités numériques n’a, pour le

moment, par été trouvé, mais tous les acteurs sont persuadés que l’innovation et la qualité

restent les deux objectifs majeurs. En conséquence, les principaux acteurs de la presse

Page 36: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

36

traditionnelle investissent et se développent sur Internet, en espérant assurer ainsi l’avenir de

leur titre.

2.2.2. Le modèle d’affaire de la presse en ligne reste flou et incertain

Si les entreprises de presse s’interrogent sur la façon de maintenir leur production de

journaux, elles cherchent avant tout un modèle d’affaires rentable pour leurs supports

numériques : comment donner de la valeur aux biens informationnels sur Internet, et comment

s’approprier une partie de cette valeur ? Il s’agit pour elles de redéfinir leur modèle

économique de charges et de revenus, mais également de réinventer leurs modèles de

production et d’organisation.

Dans un premier temps, les supports numériques permettent une réduction des coûts de

production par rapport aux activités traditionnelles de la presse écrite. Un projet sur le Web

nécessite bien sûr des investissements techniques et des investissements de personnel, il

suppose des frais de maintenance des sites et des frais de marketing pour assurer leur

visibilité, mais ces coûts restent largement inférieurs à ceux nécessaires à la production d’un

quotidien papier. Avec la dématérialisation de l’information disparaissent ainsi les coûts de

matière première, d’impression et de distribution. Plus de papier, plus d’imprimeries, plus

d’invendus, plus de transport des exemplaires, plus de points de vente, mais une diffusion

instantanée et un accès direct aux internautes. Internet induit ainsi un modèle économique de

coûts fixes, où les coûts marginaux sont presque nuls, ce qui conduit à abaisser le seuil

d’efficience des activités numériques, c’est-à-dire le seuil à partir duquel ces activités sont

rentables. En conséquence, les supports Internet promettent des marges opérationnelles bien

plus importantes que sur le papier, une fois le seuil de rentabilité atteint.

Dans un deuxième temps, les activités numériques des entreprises de presse doivent, pour

atteindre leur seuil de rentabilité, compenser les coûts par des recettes qui peuvent provenir de

la vente de contenus éditoriaux, de la publicité, des petites annonces, d’offres de service ou de

revenus commerciaux.

Tout d’abord, la culture dominante de la gratuité sur Internet ne facilite pas la vente des

contenus éditoriaux aux lecteurs. La dématérialisation de l’information y rend facile sa

reproduction donc difficile sa tarification. Les internautes sont donc peu disposés à payer pour

des biens informationnels alors qu’existent en ligne des contenus substituables et gratuits.

Dans le secteur économique de l’information sur Internet, la profusion a remplacé la rareté qui

seule permet de faire payer pour un bien. Les supports numériques provoquent donc une

Page 37: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

37

destruction de valeur économique, car il est difficile d’y vendre ce qui avait un prix dans le

monde physique. En conséquence, rares sont les sites d’information des marques de presse

écrite à proposer une offre majoritairement payante. Seule la presse spécialisée se le permet, à

l’image des Echos ou du Financial Times dont les informations économiques sont trop

confidentielles pour les agrégateurs* et les pure players*. En dehors de ce segment très

spécialisé, les sites d’information issus de la presse écrite tâtonnent dans leur quête de

rentabilité et différents business models cohabitent actuellement, certains fondés sur la

gratuité totale des articles en ligne, d’autres sur une part de contenus payants.

D’un côté, la plupart des sites d’information proposent un accès libre à l’intégralité leurs

pages, à l’image de liberation.fr, lefigaro.fr, leparisien.fr, ouest-france.fr ou presse-ocean.fr.

Leur modèle repose majoritairement sur les ressources publicitaires et donc sur la

maximisation d’une audience de masse. Ce choix de la gratuité fait le pari de la croissance des

revenus publicitaires sur les supports numériques. Ces deux dernières années, ce modèle

économique s’est diffusé à l’échelle mondiale auprès des sites d’information. Le Parisien, El

Pais et le New York Times, par exemple, ont supprimé en 2007 leurs zones payantes. Pour

leurs dirigeants, la gratuité allait doper l’audience des sites et donc les ressources

publicitaires, compensant largement la disparition des abonnements. Néanmoins, le modèle

du « tout-gratuit » dépend fortement du marché publicitaire, très volatile. La crise économique

actuelle pourrait remettre ce choix en cause. Le président du groupe de médias News

Corporation Rupert Murdoch, propriétaire du Wall Street Journal, du New York Post, du

Times britannique ou du Sun a ainsi annoncé en mai 2009 qu’il rendrait payante la

consultation en ligne, jusque-là gratuite, de certains de ses titres.

De l’autre, certains sites d’information comme Le Monde ou Les Echos ont mis en place

des systèmes mixtes, avec une zone gratuite et une zone sur abonnement. Ce modèle

économique repose sur la différenciation de différents segments du lectorat par leur

disponibilité à payer. Ces marques mettent en ligne gratuitement l’information la moins

différenciée, la partie factuelle de l’actualité quotidienne déjà en concurrence avec d’autres

supports comme la radio, les chaînes d’information en continu ou les portails* d’information

des moteurs de recherche*. Par contre, les contenus qui créent la différence sont payants. Le

Monde Interactif5 recense ainsi 95 000 abonnés prêts à payer 6 ou 15 euros mensuels pour lire

les analyses, et les archives, accéder aux dossiers ainsi qu’aux newsletters* thématiques, créer

5 Le Monde Interactif est la filiale Web du groupe Le Monde. Elle détient l’exclusivité de l’exploitation de la marque « Le Monde » sur les supports numériques.

Page 38: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

38

des blogs*, publier des commentaires (offre standard) ou recevoir en plus le journal

électronique (offre premium). Si un tiers des revenus du Monde Interactif provient des

abonnements, le site atteint l’équilibre économique grâce aux revenus publicitaires. Le

modèle mixte permet en effet de vendre plus cher les espaces publicitaires car la zone

premium garantie une audience qualifiée et des durées de consultation plus longues.

Néanmoins, la capacité d’un site à faire payer ses contenus reste proportionnelle à la notoriété

de sa marque. En limitant l’accès aux contenus, les sites payants sont en effet moins bien

référencés dans les moteurs de recherche*. Or, le trafic des sites provient de plus en plus des

« infomédiaires » -moteurs de recherche*, agrégateurs*, blogueurs* ou réseaux sociaux*-.

Les sites payants ont donc plus de difficultés à accroître leur audience. Seule une marque

aussi réputée que Le Monde peut ainsi appuyer ses activités numériques sur un modèle payant

sans perdre l’argent. Ainsi, ni le modèle gratuit ni le modèle mixte n’ont réellement démontré

sa rentabilité à terme.

Dans les faits, la distinction entre modèle gratuit et modèle payant s’estompe car tous les

sites d’information proposent des versions payantes de leur contenus, sous forme de

newsletters*, d’archives ou de version PDF* du journal papier, comme le montre le tableau 2

présentant les offres gratuites et payantes d’information des cinq titres étudiés. Les sites

Internet des quotidiens régionaux ne publient sur leurs pages gratuites que peu d’information

locale, qu’ils réservent à la version PDF* et payante du quotidien. Ces sites sont conscients de

la valeur économique de ces contenus issus de leurs multiples rédactions locales et de leurs

correspondants locaux. Pour le moment, ces contenus sont absents des pure players* et des

agrégateurs* de contenus et cette rareté les rend monnayables. Pour les mêmes raisons, de

nombreux sites d’information de la PQN* et de la presse magazine vendent leurs archives en

ligne. La disponibilité à payer pour des contenus très spécifiques sur Internet est constitutive

du phénomène de long tail (longue traîne) où un grand nombre de biens, chacun de faible

audience, peut trouver sur Internet ses consommateurs, à la différence du commerce habituel

où il n’est pas rentable de proposer certains produtis. Malgré ces théorisations économiques,

la vente de contenus aux internautes par les journaux en ligne (commerce BtoC) reste minime

et ne progresse pas. Elle ne peut donc pas soutenir le nouveau modèle d’affaire des sites

d’information en ligne. Les éditeurs ont également la possibilité de vendre leurs contenus

éditoriaux à d’autres sites (commerce BtoB), comme les bases de données Factiva ou Lexis

Nexis. Bien que la syndication ne constitue qu’une faible part du chiffre d’affaire des sites –

10% au monde.fr et 5% à ouest-france.fr-, tous les éditeurs misent sur cette source de revenus.

Page 39: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

39

Tableau 2. Offre gratuites et payantes de contenus des sites d’information étudiés

Fréquentation

44,6 millions visites

mensuelles (OJD mars

2009)

5,1 millions visites mensuelles (OJD mars

2009)

6,8 millions visites

mensuelles (OJD mars

2009)

22,4 millions visites mensuelles (OJD mars 2009)

13,2 millions visites mensuelles (OJD mars 2009)

0,2 millions de visites

mensuelles (Source :

rédaction en chef)

% du quotidien papier mis en ligne

100%, pendant

24H 5% 10% 100% 100% mis en

ligne vers 17/18h < 10%

Sites Internet de diversification du groupe

-leposte.fr -talent.fr

-maville.com -infolocale.fr -ouestfrance-immo.com -ouestfrance-auto.com -ouestfrance-emploi.com -ouestfrance-affaires.com -vacancesalouest.com -ouestbateau.com -ouestmarches.com

parisjob.com

-sport24.com -evene.fr -jdf.com -cadremploi.fr -kelformation.com -eplorimmoneuf.com -explorimmo.com -proprietesdefrance.com -lasolitaire.com -bertrandvacances.com -tvmag.com -residences-secondaires.com -tickeTac.com -bellesmaisonalouer.com -bazarchic.com

-libebordeaux.fr -libemarseille.fr -libelyon.fr -liberennes.fr -libelille.fr -libestrasbourg.fr -libetoulouse.fr -libeorleans.fr

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A cause de la faiblesse des ventes de contenus sur Internet, la majeure partie des revenus

des sites de presse provient de la publicité. Les sites d’information en ligne bénéficient ainsi

d’un two sided market (marché à double versant) sur lequel les annonceurs achètent d’autant

plus d’espaces publicitaires que le trafic du site est élevé. Grâce à son audience croissante,

Internet capte une part de plus en plus significative des dépenses publicitaires (2 milliards

d’euros net en 2008), même si sa part de marché reste faible, comme le montre le graphique 2,

issus du rapport La presse au défi du numérique (Tessier et Baffert, 2007)

Page 40: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

40

Graphique 2. Evolution de la part de marché publicitaire d’Internet en France

Internet est le support avec la plus forte croissance de revenus publicitaires, soit une

croissance de 23% sur un an en 2008 (source Syndicat des Régies Internet et Capgemini

Consulting). Les annonceurs plébiscitent ce nouveau support pour sa grande efficacité et pour

ses possibilités uniques de mesurer l’impact d’une campagne de publicité. Le taux de clic

donne par exemple une mesure simple du nombre d’internautes ayant consulté une offre

commerciale. Aucun autre support de communication n’offre un accès aussi direct et

personnalisé au futur client. L’interactivité et l’inventivité d’Internet démultiplient en effet les

moyens de toucher différentes cibles. L’actuelle crise économique pourrait d’ailleurs

accentuer le transfert des ressources publicitaires sur Internet : 41% des annonceurs prévoient

d’augmenter leurs investissements numériques en 2009, alors même que les dépenses totales

de communication sont prévues à la baisse (source baromètre Digitas-Publicis).

Malgré ce dynamisme, les prix déjà très bas des encarts publicitaires sur les supports

numériques n’augmentent pas, à cause de la concurrence très forte entre sites d’information et

d’une offre pléthorique d’espaces publicitaires. Les annonceurs sont plus exigeants sur

Internet car les internautes sont réputés moins attentifs que les lecteurs traditionnels.

« Dans le journal, les gens n’ont jamais été sur ce qu’on appelle de la performance, du

rendement, alors que sur Internet, comme c’est un média sur lequel on peut tout suivre, c’est

devenu le prisme systématique. Or ce n’est pas du tout de cette manière qu’on se positionne

puisque on a un site éditorial, qu’on revendique un comportement de l’internaute différent

quand il est chez nous» (Isabelle André, directrice des nouveaux médias au Parisien)

Les outils de mesure de la performance sur Internet incitent les annonceurs à privilégier les

données quantitatives, comme le nombre de visiteurs uniques (VU), et les placements

garantissant un retour sur investissement immédiat, ce qui accentue encore la tension sur les

Page 41: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

41

prix. Aujourd’hui, un lecteur en ligne rapporte en publicité dix fois moins qu’un lecteur sur

papier, et les revenus publicitaires sur Internet ne représentent que 10% à 20% du chiffre

d’affaire de la publicité sur le papier. Le phénomène est similaire pour les petites annonces,

dont la valeur est aussi divisée par dix sur Internet.

D’autant plus que les éditeurs historiques ne sont pas les mieux placés pour s’approprier

une part de la manne publicitaire en ligne. Internet a favorisé le découplage entre les médias

traditionnels et les annonceurs. La publicité trouve sur le Web de nombreux supports autres

que les sites d’informations, comme par exemple les jeux en ligne, les portails* généralistes,

les moteurs de recherche*, les blogs*, les réseaux sociaux*, qui affichent de meilleures

audiences que les sites d’information des entreprises de presse. Ainsi, les sites d’informations

se situent en 14e place pour le nombre de visiteurs uniques par mois, derrière les moteurs de

recherche*, les portails* généralistes, les sites de gestion du courrier électronique, et les sites

communautaires comme le montre le graphique 3, extrait du post de Frédéric Filloux « The

alchemy of users stickiness » sur son site mondaynote.com.

29,628,8

2624,3

23,2 23,09 2321,7 21 20,6 20,3 20,2 20 19,9 19,8 19,3

0

5

10

15

20

25

30

35

Mot

eurs

de

rech

erch

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Por

tails

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ciel

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E-m

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Site

s d'

info

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ion

Ann

aire

s

Pet

ites

anno

nces

et

ench

ères

VU/mois. Source Médiamétrie/Netratings Nov 2008

Graphique 3 : Audience –en visiteurs uniques par mois- selon la catégorie de site

En conséquence, les revenus publicitaires sur Internet ne compensent pas le déclin des

ressources publicitaires des titres papier. Ils ne couvrent pas les coûts de fabrication des sites

d’information qui restent pour l’instant subventionnées par la version papier. Même si les

éditeurs développent des offres d’espaces publicitaires bi-média –couplant le papier et le

Web- pour renforcer leur attractivité face aux pure players*, les gains d’internautes peinent à

Page 42: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

42

compenser les pertes de lecteurs papier. La politique commerciale qui consiste à décliner une

marque média sur plusieurs supports n’a pas, pour l’instant, trouvé de modèle économique

rentable. Sur le plan de la publicité aussi, Internet a entraîné une importante destruction de

valeur.

Le modèle économique de la presse en ligne est d’autant plus flou que la qualification de

l’audience sur Internet ne fait pas consensus. Les sites se disputent sur la question du choix

d’un outil site-centric ou user-centric. La mesure site-centric rend compte des volumes de

trafic, en nombre de visites et en pages vues, en dénombrant les connexions au site par

ordinateur connecté. L’OJD utilise cette méthode. La mesure user-centric se base sur l’étude

des navigations d’un panel représentatif. Le panel Médiamétrie Net Ratings est ainsi

considéré comme une référence par le marché publicitaire français. Ces deux méthodes

donnent des résultats très différents et contestables car ils ne prennent pas en compte les

podcasts* ni les flux RSS*. Une qualification consensuelle de l’audience permettrait aux

entreprises de la valoriser et de la maximiser, afin de se positionner dans leur environnement

concurrentiel et de définir leur stratégie de développement. Le flou entourant la mesure de

l’audience des sites d’information en complique donc la valorisation sur le marché

publicitaire. De plus, les indicateurs actuels ciblent le nombre de visiteurs ou de pages vues au

détriment d’aspects plus qualitatifs comme le temps passé sur une page ou la fidélité, ils

privilégient ainsi l’audience des agrégateurs* de contenus sur celle des sites d’information

issus des marques de presse traditionnelle.

Puisque la publicité ne suffit pas pour bâtir un modèle économique, les sites

d’information explorent donc de nouvelles pistes pour monétiser leur audience, de la vente de

services au commerce en ligne en passant par les produits dérivés ou la croissance externe.

Une des solutions, pour les entreprises de presse, consiste à racheter des pure players*

profitables ou à nouer avec eux des partenariats afin de diversifier leurs activités en ligne dans

l’offre de service. Certains groupes de presse ont ainsi développé une offre de petites

annonces en ligne. Spir Communication, filiale du groupe Ouest-France détient par exemple

caradisiac.com, leader sur le marché des annonces classées automobile. D’autres se sont

appuyés sur leur marque pour développer des solutions d’e-commerce ou d’e-tourisme.

Depuis l’automne 2008, liberation.fr a ainsi conclu des accords avec des sites d’e-commerce

pour proposer du commerce éthique, des réservations d’hôtels de charme ou une billetterie

pour les concerts. Le groupe Le Figaro s’est diversifié aussi bien dans le commerce en ligne,

que dans les webzines* ou les petites annonces sur Internet, comme l’explique l’encadré 4. Le

Page 43: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

43

produit-cœur des entreprises de presse traditionnelle, l’information, devient ainsi un des

éléments d’un vaste ensemble de services en ligne. En sortant ainsi de leurs activités

traditionnelles, les entreprises de presse élargissent leur audience et augmentent leur volume

de contenus. Ces diversifications participent à la re-définition des activités-cœurs de

l’entreprise de presse et de ses produits.

Encadré 2. Le groupe Le Figaro : un exemple réussi de diversification sur Internet

• Depuis 2005, le groupe Le Figaro mène une politique volontariste de développement sur

Internet. Le groupe a misé sur la croissance externe, en rachetant des pure players* rentables

pour développer un vaste réseau de sites d’information et de services.

• Les sites du groupe proposent, tout d’abord, une offre éditoriale très diversifiée. A partir

du portail commun lefigaro.fr, l’internaute peut accéder à différents webzines* : Madame

Figaro, Le Journal des Finances, Le Patrimoine, Le Figaroscope (city guide parisien), TV

magazine. Ces différents univers d’information permettent d’attirer une audience qualifiée et

de la valoriser pour vendre des espaces publicitaires.

• Le groupe a également acquis des pure players*, dont l’audience n’est pas agrégée à celle

du figaro.fr mais à partir desquels il est facile de mener les visiteurs vers lefigaro.fr. L’offre

de service du groupe s’est ainsi diversifiée tant dans la météo (MetoConsult), que la culture

(Evene), le sport (Sport24), les annonces classées (Aden Classifields), la billetterie

(TickeTack) ou le commerce en ligne (Bazarchic et Alapage). Cette stratégie de croissance

externe porte ses fruits, puisque les petites annonces constituent la part la plus importe des

revenus Web du groupe, soit 60%, alors que la publicité n’en représente que 15%.

• Le groupe Le Figaro a aussi développé un partenariat avec le pure player*

leconjugueur.com, il commercialise sa publicité dont l’audience est comptabilisée avec celle

du figaro.fr dans l’indicateur Médiamétrie/Nielsen Netratings, ce qui est vivement critiqué par

les concurrents du groupe.

• Grâce à cette stratégie de croissance externe, le groupe Figaro a réussi à doper son

audience et rivalise désormais avec celle du groupe Le Monde pour la première place du

classement. Les activités numériques du groupe contribuent par ailleurs à hauteur de 17% de

son chiffre d’affaire. Si le site lefigaro.fr ne gagne pas d’argent, certains sites affiliés sont déjà

rentables et l’ensemble des activités numériques du groupe est à l’équilibre.

Page 44: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

44

En définitive, aucun modèle d’affaire pérenne ne se dégage et les acteurs de la presse en

ligne tâtonnent pour créer des sources de profit sur Internet, ce qui aggrave le contexte

d’incertitude dans lequel évolue le secteur industriel de la presse quotidienne. Ce marché n’a

pas atteint sa maturité et reste trop instable pour y prévoir des chances de réussites. Le

comportement des internautes, les stratégies éditoriales et les modèles économiques

évolueront encore rapidement dans les prochaines années. Quant au marché émergeant des

contenus pour téléphone mobile, il s’oriente vers un modèle de gratuité financé par la

publicité. Si certains pôles numériques des groupes de presse ont atteint leur équilibre

financier grâce à des stratégies de diversification - le groupe Le Figaro ou la filiale Ouest-

France Multimédia -, la majorité des sites d’information des titres traditionnels perdent de

l’argent sur Internet, à l’exception du monde.fr, et des echos.fr. Un nouveau business model

reste à inventer pour que les activités éditoriales des groupes de presse soient rentables.

2.2.3. Elargissement et renforcement de la concurrence dans la presse en ligne

Paradoxalement, la presse peine à trouver un modèle économique sur Internet, alors

qu’elle y rencontre une audience inconnue auparavant. Internet abat les frontières

géographiques traditionnelles des titres et contribue ainsi à leur redéfinition. Sur le Web, 40%

de l’audience de Ouest-France se situe hors de la zone de diffusion du titre, dont 35% en Île-

de-France. Ces internautes, forcément non lecteurs du titre papier, visitent ouest-france.fr à la

recherche d’actualité nationale ou internationale. Le brouillage identitaire du journal s’est

accentué avec le développement, par le groupe Ouest-France, du réseau de city guides

maville.com, couvrant soixante-treize grandes villes françaises. Les éditeurs de PQR* se sont

d’ailleurs regroupés sur Internet au sein du Web 66 afin d’atteindre la taille critique pour

accéder à la publicité nationale. Si les acteurs de la PQR* s’ouvrent à l’échelle de la France,

les acteurs de la PQN* peuvent aussi devenir locaux, à l’image du quotidien Libération qui

lance les sites libeville (libelille.fr, libemarseille.fr, libelyon.fr, libebordeaux.fr,

libertoulouse.fr, libeorleans.fr, libestrasbourg.fr et liberennes.fr). Ces sites traitent

l’information locale avec le point de vue éditorial du titre, et sont alimentés par ses

correspondants régionaux.

Internet provoque ensuite une ouverture, d’un point de vue éditorial. Ainsi les sites du

Monde, du Figaro ou de Libération, parmi les plus visités en France, drainent des visiteurs

qui ne s’inscrivent pas dans leur lectorat habituel. La couleur politique traditionnelle de ces

titres tend d’ailleurs à disparaître sur Internet.

Page 45: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

45

Si les titres de presse traditionnelle bénéficient d’une meilleure visibilité en ligne, ils

souffrent aussi d’une concurrence plus forte et plus diffuse. La concurrence outrepasse

désormais les frontières régionales ou nationales pour devenir globale. « Nos concurrents sur

Internet ce sont 20 minutes, Le Monde, Le Figaro,» décrit Christian Philibert, directeur

général de Ouest-France Multimédia, la filiale en charge des activités numériques du groupe

Ouest-France. Sur Internet, la presse se trouve aussi concurrencée par les sites des autres

médias, en particulier par ceux de la télévision, qui publient beaucoup de dépêches d’actualité

écrites.

Les titres de la presse écrite se disputent également les lecteurs avec leurs propres sources

et avec leurs propres lecteurs. En effet, Internet a permis aux entreprises, aux administrations

et à de nombreuses sources primaires de s’adresser, via leur site, directement au public.

Internet a également engendré le succès des blogs* grâce auxquels une foule de citoyens,

( parfois) experts publient gratuitement des contenus informationnels. La révolution

numérique a ainsi retiré au journaliste son rôle de médiateur obligé –ou gatekeeper6- entre

l’audience et l’information.

A tout ceci s’ajoute la concurrence des nouveaux entrants –pure players*- sur le marché

de l’information en ligne. Qu’il s’agisse de doctissimo.fr (santé), auFeminin.com (féminin),

streetreporters.net (journalisme participatif) ou dailymotion.com (partage de vidéos), ces

nouveaux acteurs bénéficient d’une large audience, d’un excellent référencement*, de

contenus communautaires produits directement par les utilisateurs et surtout de savoir-faire

spécifiques au support Internet.

Enfin, les éditeurs de presse traditionnelle subissent la concurrence des sites agrégateurs*

de contenus, développés par des moteurs de recherche* (Google News), des fournisseurs

d’accès Internet (Free, AOL ou Orange) ou des portails* de services et d’information pratique

(Yahoo ! News). Ces acteurs ne produisent pas eux-même d’information mais proposent une

large offre de contenus en agrégeant des dépêches provenant d’autres acteurs du Web. La

stratégie économique de ces pure players* repose sur leur capacité à capter une large audience

et à la monétiser sur le marché publicitaire. A la différence des entreprises de presse, les sites

agrégateurs* n’emploient pas de journalistes pour la collecte et la hiérarchisation des

informations. Sur Google News, un algorithme classe les informations selon leur nombre de

6 Le concept de gatekeeper ou garde-barrière a été élaboré par Kurt Lewin dans une étude de 1947 sur les dynamiques des groupes sociaux pour désigner la personne qui a la capacité de décider de ce qui sera diffusé ou non dans la presse.

Page 46: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

46

consultations. Libération, Le Monde, Le Figaro ou Ouest-France ont, par exemple, négocié

des accords avec Google News prévoyant le versement d’une partie des revenus publicitaires

recueillis par Google en échange de la publication d’un aperçu de leurs articles dans

l’agrégateur. Les sommes reversées par Google restent néanmoins minimes face aux coûts de

production de l’information supportés par les éditeurs de presse.

Dans les débats actuels autour de la rentabilité économique de la presse en ligne, le

moteur de recherche* américain est violemment critiqué par les éditeurs de presse

traditionnelle, qui lui reprochent d’accaparer les lecteurs sans produire de contenus tout en

s'octroyant la majeure partie des revenus publicitaires sur Internet. Si Google News permet

effectivement d’orienter les internautes vers les sites d’information en ne reproduisant que les

premières lignes des dépêches publiées sur ces sites, il crée également un premier niveau de

lecture, à l’image du feuilletage, qui suffit à de nombreux internautes. Cette pratique est

d’autant plus problématique que Google commercialise ce premier niveau de lecture via la

vente d’espaces publicitaires et de liens sponsorisés, dépouillant ainsi les éditeurs d’une partie

du potentiel de monétisation de leur audience. Les reproches faits par les éditeurs de presse à

Google ne concernent pas simplement son activité de site d’information (Google News) mais

plus largement sa position dominante sur le marché de la publicité en ligne. Les moteurs de

recherche* s’accaparent ainsi entre la moitié et les trois quarts des ressources publicitaires sur

Internet, et Google est le premier d’entre eux, avec 40% de part de marché, grâce à la

publicité liée aux liens sponsorisés (search) qui permettent une meilleure mesure et un

meilleur ciblage. Voilà pourquoi les éditeurs de presse se sont violemment opposés au projet

de partenariat entre Google et Yahoo ! dans la publicité, annoncé en juin 2008. L’Association

mondiale des journaux avait alors demandé aux autorités chargées de la concurrence en

Europe et aux Etats-Unis d’empêcher un accord qui placerait Google en position de monopole

sur le marché publicitaire en ligne. Voilà également pourquoi les partenariats entre Google et

les acteurs traditionnels n’ont pas empêché les litiges juridiques, à l’image des actions en

justice intentées par un groupement d’éditeurs belges en 2007, ou par l’AFP 2005 pour que

Google cesse de reproduire leurs contenus.

Ces nouvelles formes de concurrence limitent l’appropriation de la valeur économique

des contenus informationnels par les entreprises de presse traditionnelle. Elles participent à

l’extension multiforme de la concurrence sur un support qui remet en cause les frontières

traditionnelles des médias comme des titres.

Page 47: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

47

2.2.4. Sur Internet, les éditeurs disputent la maîtrise de la diffusion des contenus

Sur Internet, les acteurs traditionnels de la presse s’inscrivent tout au bout d’une longue

chaîne de diffusion de contenus qui passe aussi par les moteurs de recherche*, les fournisseurs

d’accès ou encore les réseaux communautaires*. En effet, les statistiques de consultation des

sites d’information montrent que les deux tiers des lecteurs n’arrivent pas au cœur des sites

d’information via leur page d’accueil mais via l’extérieur de ces sites (flux RSS*,

recommandation, agrégation, etc.). Internet a ainsi brisé la relation linéaire traditionnelle entre

publication et distribution. La bataille pour l’appropriation de la valeur rivalise de férocité à

tous les maillons de cette chaîne de diffusion et les sites d’information des entreprises de

presse n’y sont pas les mieux placés. Le moteur de recherche* ou l’agrégateur* de news de

Google peut ainsi tirer beaucoup plus de profits des contenus informationnels que les sites des

marques de presse car il se situe au point de départ des parcours d’information en ligne. Il

offre aux internautes l’ensemble des contenus informationnels et non pas la petite partie

proposée par une marque de presse en particulier. En conséquence, sur Internet, l’information

compte moins pour attirer une forte audience, que les réseaux de liens qui mènent aux pages

d’un site. Ces liens sont tissés non seulement via les moteurs de recherche* et les

agrégateurs* mais également par les blogueurs* et les réseaux sociaux*, qui, par leurs

conversations et leurs recommandations, assurent la propagation des contenus

informationnels.

Dès lors, pour retrouver leur première place dans la chaîne de distribution de

l’information, les éditeurs doivent mettre en place des sites d’information qui soient des

points de passage obligés pour les internautes, et non pas des « cul de sac » du Web. Les

premières versions des sites d’information des marques médias traditionnelles répugnaient en

effet à placer sur leurs pages des liens hypertexte vers l’extérieur, vers la concurrence.

Pourtant, renvoyer les internautes vers l’extérieur est le meilleur moyen de les faire revenir.

Pour élargir leur audience, les sites d’information doivent ainsi adopter un esprit d’ouverture

en multipliant les liens entrant et sortant de leurs pages et en devenant de vrais portails

ouverts sur l’ensemble du Web. Les dernières versions des sites des marques de presse

quotidienne proposent désormais des liens externes dans leurs articles et même des revues de

liens thématiques sur lefigaro.fr et lemonde.fr. En pratiquant un « journalisme de liens », ces

sites d’information jouent ainsi un rôle de recommandation et de re-direction des internautes

en les orientant vers des sites conseillés par les rédactions.

Page 48: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

48

Dans une économie d’abondance, le rôle de sélection et de hiérarchisation de

l’information éparpillée sur les multiples sites d’information devient autant important que

celui de production de contenus informationnels. Le journaliste américain Jeff Jarvis,

blogueur* influent qui a popularisé l’expression « link journalism », préconise ainsi aux

rédactions Web de ne traiter que l’information à laquelle elle peut apporter une véritable

valeur ajoutée, et, pour le reste, de ne publier que des liens vers de bons articles déjà en ligne.

En définitive, le contexte de développement des activités numériques de la presse

quotidienne rend incertains les critères de formation de la valeur économique : la culture de la

gratuité des internautes démode le modèle traditionnel des quotidiens, fondé sur les doubles

ressources des ventes et de la publicité ; l’apparition de nouveaux acteurs et l’abolition des

frontières traditionnelles des titres démultiplient les formes de la concurrence tout en

redéfinissant la place et les contours des entreprises de presse dans la chaîne de production qui

va de l’information au lecteur. Référencement*, diversification dans les services, culture du

flux, etc., la valorisation de l’audience diffère grandement sur Internet et sur le support papier,

conduisant les entreprises de presse à ré-inventer de nouvelles valeurs d’usage pour leurs

produits, et donc de nouvelles identités, dans un contexte où les attentes des utilisateurs

évoluent rapidement. Le business model de la presse en ligne reste caractérisé par de fortes

incertitudes sur les façons de s’approprier la valeur économique des informations produites.

La seule certitude dans cet environnement marqué par le flou est que les entreprises de presse

devront faire preuve d’une grande créativité tant sur les fonctionnalités de leurs produits

numériques que sur l’organisation de leur rédaction.

Chapitre 2.3. Stratégies de développement numérique et remise en cause

des produits-cœurs des entreprises de presse

Les mutations du secteur économique poussent les entreprises de presse à inventer de

nouvelles fonctionnalités et de nouvelles valeurs pour rester concurrentielles. La convergence

des médias sur Internet abolit les frontières traditionnelles et les conduit à proposer sur leur

site d’information, non seulement du texte, mais aussi de la vidéo, des photos et du son. Les

activités numériques bousculent ainsi l’identité des entreprises de presse et de leurs produits-

cœurs.

Page 49: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

49

2.3.1. Transformation des biens informationnels sur Internet

La matière première de l’activité journalistique, l’information, a changé de nature en

passant du support papier au support numérique. Les discussions et commentaires des

internautes ont désormais acquis le statut de contenus, et s’affichent sur les sites

d’information aux côtés d’articles, de vidéos amateurs ou de diaporamas photo. Un nouveau

type de journalisme s’écrit en ligne, où les notions de mise en page et de storytelling* sont

totalement ré-inventées.

« Ce n’est pas le même traitement. Nous, on est sûr de l’instantanéité. On va faire des

papiers plus courts, plus écrits dans l’instant, avec beaucoup de témoignages, de verbatim…

Des fois aussi on peut y aller avec une caméra ou un micro, on fait ça aussi. On rapporte de

l’instantanéité. » (Ludovic Blecher, rédacteur en chef liberation.fr)

Internet abolit les longueurs imposées par les maquettes de la presse papier, incite à écrire des

articles plus courts mais autorise en revanche la publication des textes intégraux d’interviews,

d’infographies interactives, de bases de données ou de documents de travail.

L’écriture en ligne nécessite l’usage de liens hypertextes qui induisent une nouvelle

écriture multimédia détricotant les schémas linéaires de lecture pour privilégier l’inscription

des contenus dans un réseau de liens. L’information en ligne demande non plus de raisonner

en termes de pages, comme dans un journal, mais en termes d’éléments d’information.

L’ergonomie des sites d’information s’inspire d’ailleurs de celle des blogs* en déroulant de

longues pages dans lesquelles s’empilent des dizaines de petits modules d’informations. Les

articles structurés avec un début, un milieu et une fin disparaissent de plus en plus sur Internet

au profit d’une nouvelle forme narrative de flux, formée par la succession des dépêches

d’actualité chaude.

A la différence du journal, vivant au rythme des heures de bouclage et d’impression,

Internet suppose de gérer le cycle de vie de l’information tout au long de la journée. Pour que

l’internaute trouve des éléments nouveaux à chacune de ses visites, les sites d’information

doivent réactualiser leurs contenus plusieurs fois par heure et tout au long de la journée. Cette

stratégie de fidélisation de l’audience est d’autant plus fructueuse que les moteurs de

recherche* référencent mieux les sites produisant des flux continus d’information. Pour

s’adapter à cette demande d’information en temps réel, Le Parisien, Ouest-France et Presse-

Océan ont mis en place des circuits de production de dépêches d’information locale, appelée

« DMA » –pour Dernière Minute d’Actualité- à Ouest-France et « alertes » au Parisien. Les

journalistes de terrain produisent désormais de courts textes au moment où ils reçoivent une

Page 50: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

50

information exclusive et les publient directement sur leur site. Ouest-France édite ainsi une

centaine de DMA par jour. Sur Internet, les éditeurs ré-inventent donc leur métier en

empruntant aux agences de presse, mais aussi à la radio ou à la télévision.

Plus important encore, l’information se consomme à l’unité sur Internet et non plus par

« paquet », comme dans les quotidiens ou les magazines. Les entreprises de presse pratiquent

sur le papier des ventes liées, rassemblant divers produits informationnels, des reportages aux

mots fléchés en passant par la météo et les petites annonces et les vendant dans un même

« paquet » pour un prix unique. Cette pratique du package de contenus informationnels

permettait de subventionner des contenus moins recherchés ou plus chers à produire par des

contenus plus vendeurs, comme l’information pratique ou de divertissement. Internet remet en

cause cet équilibre et menace le financement de l’information à haute valeur ajoutée qui ne

crée pas d’audience de masse.

Les médias en ligne ont d’abord essayé de reconstituer cette offre par « paquet » sur

Internet en construisant leurs sites Web comme un ensemble cohérent de pages chapeauté par

une page d’accueil-une, couvrant l’ensemble de l’actualité. La personnalisation et la

fragmentation de la consommation de l’information sur Internet remettent en cause cette

pratique. En effet, les internautes passent facilement d’un site de presse à un autre. La plupart

du temps, ils arrivent sur les articles des sites d’information non pas via la page d’accueil de

ces sites mais via une recherche par mots clé sur Google, via un lien hypertexte cité par un

blogueur* ou encore via les recommandations émises dans les réseaux sociaux*. Le concept

même de journal perd toute pertinence sur Internet : le support média ne peut plus être

envisagé comme un « tout » packagé.

Les pratiques de consommation de l’information à l’unité posent aussi la question de la

localisation des contenus produits sur Internet par les rédactions : ces contenus doivent-ils

appartenir uniquement aux sites Internet du groupe de presse, à un « paquet », ou sont-ils

destinés à être reproduits, échangés, transférés ailleurs, essaimant ainsi l’image de la marque

auprès des communautés d’internautes ? Cette question a suscité une querelle entre les

rédacteurs en chef des sites de Libération et du Parisien en février 2008, à l’occasion de la

publication par leparisien.fr d’une célèbre vidéo du Président de la République Nicolas

Sarkozy au salon de l’agriculture. Libération avait alors repris la vidéo sur son propre site.

Armelle Thoraval, rédactrice en chef au parisien.fr, s’était offusquée d’une telle pratique au

nom de la défense du travail des journalistes de son équipe.

Page 51: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

51

« Les journalistes qui font des vidéos, qui font des sujets complets, dans mon équipe, ce sont

des journalistes qui travaillent tout à fait normalement, ils partent sur le terrain, ils font des

reportages… Donc on est dans une organisation, qui est au fond assez proche de celle de la

télé, et on ne dit jamais à propos de la télé : ah mais ils devraient lâcher leurs images, ils

devraient les laisser partir partout et on peut les reprendre gratuitement. Je suis dans une

logique très « défense du métier », alors je me suis fait allumer à l’époque […]. C’est vrai que

je défends le travail qu’on produit, parce que c’est un travail professionnel, journalistique qui

demande un certain nombre de contraintes. De temps en temps on se dit : tiens, bon, on y va,

on fait du buzz, on lâche les vidéos sur Internet ; et puis très régulièrement on protège le

travail des journalistes » (Armelle Thoraval, rédactrice en chef du parisien.fr, extrait de

l’émission Masse critique, de Frédéric Martel, diffusée le 28/02/09 sur France culture)

Les droits d’auteurs sont un élément constitutif du statut socio-professionnel des

journalistes. La mise à disposition gratuite des contenus équivaut à une non-reconnaissance de

ces droits, et donc à un déni de la valeur professionnelle du travail des journalistes. La culture

de gratuité et de partage régnant sur Internet se heurte ici aux réflexes de défense de leur

métier. Néanmoins, Armelle Thoraval reconnaît adopter ponctuellement une stratégie

d’ouverture totale, laissant circuler les vidéos du parisien.fr sur Internet afin de faire parler du

site.

Le développement des activités numériques déstabilise non seulement l’identité de

l’information en ligne mais également celle des contenus imprimés. Les entreprises de presse

ont modifié leurs stratégies éditoriales afin de renforcer la complémentarité des supports

papier et Internet. Peu après le lancement de son site d’information en septembre 2007,

Presse-Océan a ainsi remodelé sa maquette papier avec de courtes analyses, des comptes-

rendus des réactions des internautes, ou encore des renvois vers les blogs* de personnalités

locales ou des articles plus approfondis sur le site du titre.

Au-delà de la transformation des contenus, les sites d’information pourraient aussi inciter

les quotidiens à l’hebdomadairisation. Actuellement, presque tous les journaux des pays

développés perdent de l’argent en début de semaine. Les lecteurs consomment l’information

écrite surtout en fin de semaine, et y recherchent des analyses plus que de l’information brute.

Les quotidiens modulent déjà leur pagination, allégée en début de semaine, et renforcée par

des thématiques magazine le vendredi et le week-end. A terme, il est possible que les titres de

presse quotidienne abandonnent l’actualité chaude à leur site Internet pour ne publier sur

papier qu’en fin de semaine leur production d’analyses. Aux Etats Unis, The Christian

Science Monitor a déjà abandonné son édition papier quotidienne au profit de son site Internet

et d’un magazine le week-end. Cette tendance à l’hebdomadairisation, tout comme la

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production de contenus en temps réel pour Internet ébranle l’organisation traditionnelle du

travail autour de l’heure de bouclage et des contraintes de l’imprimerie. Un tel remodelage

des contenus doit donc nécessairement conduire à une réorganisation du travail rédactionnel.

2.3.2. Du journal papier au site multimédia : déstabilisation de l’identité des

produits de presse

En changeant la nature de l’information, Internet transforme aussi la façon de la produire.

Les sites d’information des titres de presse ne peuvent pas se contenter de numériser sur

Internet leur journal papier. Il leur faut ré-inventer de nouveaux produits de presse en ligne.

Sur Internet, le journal devient mobile, multimédia, interactif, communautaire,

personnalisable… Le tableau 3. détaille les offres de contenus des sites d’information étudiés.

Grâce aux supports de lecture comme les PDA*, les smartphones* ou le e-reader* , les

sites d’information se font mobiles pour accompagner le lecteur dans ses moments d’attente

ou de déplacement. Cela implique une stratégie d’offre de services adaptée aux situations de

mobilité : fil de dépêches, météo, jeux, horaires de cinéma, voire même information ultra-

locale avec le développement de la géolocalisation*. Leparisien.fr espère ainsi tisser de

solides liens avec les habitants d’Île-de-France en leur proposant, dans un proche avenir, des

services géolocalisés, de l’information locale et des contenus participatifs issus de

communautés territorialisées.

« L’idée c’est de faire en sorte qu’on soit un vrai portail incontournable sur l’Île-de-France ou

on puisse trouver à la fois de l’information locale, trouver les horaires de ciné en bas de chez

soi, le bon resto, le concert, les horaires de crèches.. avoir toute l’information disponible à

partir d’un même accès » (Denis Carreaux rédacteur en chef du parisien.fr)

L’offre de services sur les sites d’information accompagne celle d’information

multimédia. Les sites d’information présentent, en plus des articles, des vidéos, des prises de

son, des diaporamas, des podcasts*…. Internet abolit les frontières traditionnelles entre

médias - radio, télévision, presse- au profit d’une déclinaison multi-formats des contenus.

Vidéos ou podcasts* permettent en effet de fidéliser les visiteurs d’un site et d'allonger le

temps qu’ils passent en ligne. Ils attirent également des utilisateurs plus jeunes, plus urbains,

plus CSP+ que le lectorat de la presse papier. Pour renforcer leurs contenus vidéo, les

entreprises de presse commencent à former leurs journalistes à la prise d’image, tout en

développant des partenariats avec des acteurs traditionnels des formats vidéo. En octobre

2008, une trentaine de quotidiens régionaux – dont Ouest-France et Le Parisien- ont négocié

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53

un partenariat avec l’Agence France-Presse pour nourrir des plate-formes de vidéos sur leur

site. Depuis la rénovation de son site, il y a un an, l’équipe Web du Parisien mise beaucoup

sur la vidéo, et met déjà en ligne de nombreuses séquences filmées. Lemonde.fr s’est associé

au pure player* Dailymotion pour instaurer un rendez-vous vidéo quotidien d’une minute. Au

Figaro et à Libération, un studio vidéo a été installé à l’intérieur des deux rédactions pour y

tourner de courtes séquences d’interviews, de débats ou de magazines.

A la différence des quotidiens, qui n’ont jamais réservé une grande place au courrier des

lecteurs, les sites de presse ont été bâtis sur l’interactivité et la participation des internautes.

Sur lefigaro.fr, leparisien.fr, liberation.fr ou maville.com, les internautes peuvent publier leurs

commentaires à la fin des articles. Des entreprises sous-traitantes assurent une modération* a

priori de ces contenus, selon une charte définie par chaque titre. « C’est-à-dire, qu’en gros, on

essaie de faire passer le maximum de commentaires, en ne censurant que ce qui tombe sous le

coup de la loi », explicite Luc de Barochez, directeur de la rédaction du figaro.fr. De plus,

tous les sites étudiés font appel aux contributions des internautes en publiant leurs photos des

événements d’actualité ou en affichant le baromètre des articles les plus lus et les plus

commentés. Grâce aux sondages en ligne, utilisés sur 50% des sites d’information de PQN* et

48% de ceux de la PQR* (Tessier et Baffert, 2007), les sites d’information recueillent les

opinions de leurs visiteurs. Ils leur ouvrent aussi des espaces de débat au sein des forums*,

présents sur 75% des sites de la PQN* et sur 48% de ceux de la PQR* (Tessier et Baffert,

2007). La participation des internautes est ainsi valorisée, non seulement parce qu’elle

alimente le site en contenus, mais également parce qu’elle contribue à la fidélisation des

visiteurs. Alors que le papier proposait une consommation d’information linéaire, Internet

permet aux lecteurs de créer leur propres contenus, d’alterner entre les titres, de piocher une

vidéo sur l’un, un article sur l’autre, un commentaire sur le troisième. Le support numérique

bouscule donc l’identité des produits de presse, tout en remettant en cause la relation entre les

journalistes et les lecteurs, désormais fondée sur une plus grande interactivité et une meilleure

réactivité. La question d’un label de qualité attribué aux sites d’information pour les

distinguer des blogs* ou des sites de e-commerce a été évoquée aux cours des travaux du Pôle

IV « Presse et Internet » des Etats généraux de la presse écrite qui se sont tenus entre octobre

et décembre 2008. Une telle préoccupation prouve bien que l’identité d’éditeur de presse a

perdu de son évidence sur Internet avec le développement de stratégies numériques fondées

sur l’interactivité et l’offre de service.

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54

Blogs*, outils communautaires, modules participatifs… Internet offre de nombreux outils

aux éditeurs de presse pour re-créer de l’affect entre une marque de presse et ses lecteurs en

ligne. Les blogs* de personnalités publiés sur les sites d’information fédèrent ainsi des

communautés de visiteurs réguliers qui partagent les mêmes opinions ou les mêmes valeurs.

Les blogs* publiés sur les sites d’information permettent d’accroître la visibilité des marques

de presse en augmentant leur volume de contenus, tout en recrutant de nouveaux lecteurs

grâce à leur ton informel et subjectif. Lemonde.fr agrège ainsi près de 6 000 blogs* créés par

les abonnés du Monde Interactif et par quelques journalistes du titre. Leparisien.fr, lefigaro.fr

et liberation.fr ont eux aussi ouvert des blogs* de journalistes ou de personnalités invitées.

Quant au site de Presse-Océan, il n’accueille pas encore de blog*, mais son rédacteur en chef

a déjà engagé une réflexion sur les avantages de ces espaces personnels en ligne pour faire

raconter l’actualité micro-locale par ses principaux acteurs. « Il y aura des blogs locaux et

thématiques, l’idée c’est de profiter de ces blogs pour faire remonter l’information, comme le

blog du quartier de Sainte-Thérèse à Nantes » explique Jean-Damien Fresneau. Pour les

dirigeants de Presse-Océan comme pour ceux de Ouest-France, l’idée est séduisante de voir

dans les blogueurs* locaux la future génération de correspondants de presse.

Face au succès des sites de réseautage social* (Myspace, Facebook, Twitter), les sites

d’information se sont approprié les outils du Web 2.0.* et ont appris à animer des

communautés d’internautes. Lefigaro.fr, le premier, a lancé à la fin de l’année 2008 une

rubrique « mon figaro » permettant aux internautes de s’inscrire, de gérer les commentaires

qu’ils laissent en bas des articles, de rechercher d’autres commentateurs dont ils apprécient les

remarques, de suivre leurs derniers billets et d’animer ainsi des réseaux sociaux* de lecteurs.

Quelques jours après, liberation.fr ouvrait son espace « libé+ », défini par son rédacteur en

chef comme le « Facebook de l’info » permettant aux « libénautes » de créer leur profil, avec

photo et portrait chinois, de constituer des communautés de lecteurs et de dialoguer avec

d’autres commentateurs du site. Cette stratégie de fidélisation des visiteurs répond pour le

moment davantage à une stratégie d’image qu’à de réels objectifs de monétisation. Si les sites

de PQR* ont peu investi dans les modules communautaires, ils promettent d’en tirer de

nombreux atouts. En effet, la proximité territoriale et éditoriale des titres de PQR* avec leur

lectorat les positionne idéalement pour animer des communautés locales.

« Sur maville.com, on va essayer d’ouvrir des modules communautaires, où les gens vont

pouvoir mettre un peu plus en valeur ce qu’ils sont, ce qu’ils font, et voir s’ils peuvent

échanger entre eux sur des centres d’intérêt. Alors, sur un concept qui est la proximité car

c’est une espèce de grand réseau de voisins qu’on va essayer de faire. A terme, le

Page 55: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

55

positionnement idéal, c’est que maville.com soit fait par des internautes. (Christian Philibert,

directeur général de Ouest-France Multimédia)

Ouest-France Multimédia a ainsi décidé d’exploiter le dynamisme des communautés locales

au sein de son réseau maville.com, non seulement pour fidéliser son audience, mais également

pour nourrir ces city guides en contenus : critiques de restaurants, de films, promotion des

artistes locaux…

Enfin, Internet remet en cause l’offre d’information généraliste des quotidiens en

favorisant l’individualisation de la consommation d’information. Les technologies

numériques offrent de nombreuses possibilités d’individualisation de l’information via les

flux RSS*, les podcasts*, les alertes par mots-clés ou diverses API* qui permettent aux

utilisateurs de recevoir des contenus selon leurs centres d’intérêts. Le site de CNN propose

déjà huit pages d’accueil différentes selon le profil du visiteur, et celui des Echos présente des

modules personnalisables. Au Parisien, les responsables du numérique promettent l’ouverture

dans les prochains mois d’une rubrique cinéma personnalisée en fonction de la localisation de

l’internaute, ou encore un partenariat avec iTunes pour satisfaire les fans de musique. Malgré

tout, les sites Web des quotidiens se sont encore peu emparés des possibilités de

développement promises par la personnalisation des contenus, qu’il s’agisse d’information ou

de service.

En définitive, le développement de leurs activités numériques force les entreprises de

presse à gérer de nouveaux objets : blogs*, forum*, communautés… Alors que le journal

papier présentait une définition stable et consensuelle, celle du site d’information ne cesse

d’évoluer au gré des innovations. A la fois support de contenus et plate-forme de

communication interpersonnelles, entre portail* de services, éditeur multimédia et émetteur

de flux d’actualité, le produit de presse en ligne présente une identité floue. Les acteurs

traditionnels de la presse écrite sont donc contraints à une innovation et à une adaptation

permanente pour définir de nouveaux produits phares sur Internet dans un environnement

ultra-concurrentiel. Dans ce processus de mutation vers de nouvelles activités, les cinq sites

de presse étudiés n’en sont pas tous au même stade, comme le montre le tableau 3. Lefigaro.fr

et liberation.fr y apparaissent en position de leader par la variété de leurs outils multimédias

et par leur fort investissement dans le réseautage social, avec la création, à la fin de l’année

2008, d’espaces communautaires propres. Le site presse-ocean.fr, très récent, montre que les

galeries photos, les vidéos et les forums font désormais parties du kit de départ de tout titre de

presse en ligne.

Page 56: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

56

Tableau 3. Stade de développement des activités numériques des cinq titres étudiés

Application pour téléphone mobile

Oui Oui Oui Oui Non Non

Services pratiques (météo…)

Oui Oui Oui Oui Oui Partagés avec maville.com

Possibilité de commenter les articles

Oui, modération* par un sous-

traitant

Oui, modération* par un sous

traitant

Pour les abonnés du monde.fr

Oui, modération* par un sous

traitant Non Non

Partage sur les réseaux sociaux*

Oui Oui Oui Oui Oui Non

Forum* et/ou chat*

Oui, modération*par un sous-traitant

Oui, modération* par un sous-

traitant

Pour les abonnés du monde.fr

Oui, modération* par un sous-

traitant

Oui, modération* par les

journalistes

Oui, modération* par les

journalistes

Sondage Quotidien Non Non Oui Oui Non

Blogs*

Pour les journalistes et personnalités

invitées

Pour les journalistes et personnalités

invitées

Pour les journalistes et les

abonnés du monde.fr

Pour les journalistes

Un seul blog*, celui de la rédaction

Non

Espace de réseautage social*

Oui Oui Non Non Un profil Ouest-

France sur Facebook

Non

Compte actif sur t witter.com Oui Oui Oui Oui Non Oui

Alertes Gratuites Pour les concerts, gratuites

Oui, gratuit, en partenariat avec Windows Live

Messenger

Non Payantes Non

Newsletter* Gratuite Gratuite Pour les abonnés du monde.fr

Non Gratuite Gratuite

Flux RSS* Oui Oui Oui Oui Oui Non

Galeries photos Avec des photos

des journalistes et des internautes

Avec des photos des journalistes

Avec des photos des journalistes

Avec des photos des journalistes

Avec des photos des journalistes et

des internautes

Avec des photos des journalistes et

des internautes

Podcast* Oui, sur le thème de la santé

Oui Non Non Non Non

Audio Non Web Radio Revue de presse radio

Non Non Non

Vidéo -Studio dans la rédaction -Magazine vidéo

-Partenariat avec Dailymotion -Studio dans la rédaction -Magazine audio

-Partenariat avec Dailymotion

-Reportages vidéos

-Partenariat avec l’AFP

-Partenariat avec la TV locale Nantes7 et avec Dailymotion

Journalisme de lien

Revue du Net quotidienne

Non Sélection de liens pour les abonnés

du monde.fr Non Non Non

Page 57: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

57

2.3.3. D’une stratégie de diffusion à une stratégie d’audience

Les mutations des activités de la presse quotidienne sur Internet transforment non

seulement ses produits-cœurs mais aussi ses logiques de performance. Pour conserver ses

lecteurs, la presse doit adopter une stratégie d’extension de sa marque sur une pluralité de

supports. L’enjeu pour les entreprises de presse consiste à agglomérer différentes audiences à

différents moments de la journée –dans les transports en communs, au bureau pour travailler,

le soir pour se détendre, le week-end pour s’informer…- et sur différents supports –téléphone

mobile, Internet, télé, papier-. Les journaux traditionnels se transforment petit à petit en

groupes pluri-média accompagnant le consommateur d’information vingt quatre heures sur

vingt quatre et sept jours sur sept. Un tel cadrage de la performance des entreprises de presse

sur la déclinaison pluri-média constitue un véritable changement de modèle d’action. Jusque-

là, les sites Web des titres de presse quotidienne avaient été pensés comme une activité

indépendante et à côté des activités « papier » des journaux. Dans la nouvelle philosophie

gestionnaire qui se met en place, le papier constitue une voie d’expression parmi d’autres d’un

titre multimédia qui produit des contenus d’information multi-formats. La distinction entre

papier et numérique est reléguée dans le domaine du support technique et ne participe plus à

la définition de l’identité de l’entreprise de presse.

En conséquence, l’audience acquiert une importance stratégique dans le nouveau modèle

d’action des entreprises de presse. De l’audience, et de sa fidélisation, dépendent en effet les

revenus publicitaires, principale source de financement des sites d’information. Attirer des

visiteurs sur un site ne suffit pas, la performance suppose aussi que les internautes passent le

plus de temps possible au contact d’une marque média, quel que soit le support d’information.

A la logique de trafic doit donc s’ajouter une logique d’audience, déclinée sur une pluralité de

canaux d’information. La philosophie gestionnaire des éditeurs doit donc évoluer d’un modèle

de contenus fixes vers un modèle de flux d’information distribuant de l’actualité en temps

réel.

Sur les supports numériques, l’audience est ainsi devenue un actif stratégique, qu’il

importe de développer. Pour cela les journaux ont recours à différentes stratégies marketing.

Le marketing éditorial intervient en premier lieu, puisque les supports numériques permettent

de mesurer très finement l’audience, et donc de connaître précisément quels internautes

consultent un site, comment ils y arrivent, et comment ils y consomment l’information. Ces

outils de mesure de l’audience facilitent l’évaluation des choix éditoriaux passés et

l’adéquation de l’offre de contenus avec les attentes des internautes. Néanmoins, le premier

Page 58: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

58

objectif de ce marketing éditorial doit rester l’exigence de qualité des contenus, unique façon

de se différencier des concurrents agrégateurs* ou portails* de services. La qualité et

l’originalité de l’information permettent de recréer de la rareté dans l’univers d’abondance

d’Internet et donc de donner une valeur économique aux contenus publiés.

La qualité des contenus informationnels agit également sur le bon référencement* du site

dans les moteurs de recherche*, et conditionne ainsi sa fréquentation et sa visibilité. Le

référencement* permet de capter des internautes qui effectuent une recherche sur un thème

particulier sans avoir en tête une marque de média particulière. Pour faire progresser la place

d’un site dans les moteurs de recherche*, une première stratégie consiste à acheter des mots-

clés pour apparaître tout en haut du classement. Une autre stratégie suppose d’optimiser

certaines caractéristiques du site et des contenus pour en améliorer le référencement* naturel

par les logiciels-robots du moteur de recherche*.

« On est très bien référencé. D’abord la production du desk correspond bien, c’est-à-dire des

trucs assez longs, bien foutus. On a fait un très gros boulot de référencement ici, on a des

gens qui s’en sont spécialisés, on a bossé avec des boîtes à Paris. On fait notre référencement

nous-même, on passe notre vie à organiser nos trucs pour que Google les bouffe le mieux

possible. Le fait d’avoir un desk qui crachait deux infos par heure a aidé. » (Christian Philibert,

directeur général de Ouest-France Multimédia)

Produire des textes longs, faire des répétitions, publier régulièrement de nouveaux contenus

facilite ainsi le référencement* des pages Web.

L’importance stratégique de l’audience suppose non seulement de la capter en

permanence mais également de mieux la connaître. Pour répondre aux besoins d’information

d’une audience de plus en plus fragmentée, il importe de connaître certaines données sur les

internautes, comme leur profil, leurs moyens de communication, leurs centres d’intérêt… et

donc de constituer des bases CRM (Customer Relationship Management ou Gestion de la

Relation Client).

Dans cette quête de l’audience, la marque apparaît comme un actif éminemment

stratégique.

«Je pense qu’on aura réussi le jour où, que ce soit par le mobile, ou Internet sur un poste fixe,

ou demain sur un autre terminal, peu importe, on amènera le lecteur à être en contact et à

apprécier la manière dont Le Parisien traite l’info, et s’il achète un journal, que tant qu’à faire

il achète Le Parisien. Il faut qu’on soit dans son spectre, c’est-à-dire vraiment dans un cercle

vertueux. » (Isabelle André, directrice des nouveaux médias au Parisien)

Page 59: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

59

Puisque l’identité de l’entreprise de presse ne s’articule plus autour du titre papier, la marque-

média fournit désormais une cohérence aux différents supports d’information des éditeurs.

Les entreprises de presse traditionnelle profitent ainsi de la notoriété de leur marque pour

attirer sur leur site Web des lecteurs en quête de fiabilité. Les marques de la presse papier

inspirent confiance et servent de gage de crédibilité dans un univers numérique où se côtoient

informations, rumeurs et contre-vérités. Dans un univers d’abondance, le rôle des entreprises

de presse consiste moins à vendre de l’information qu’à monétiser la crédibilité attachée à une

marque. Cette relation privilégiée entre les acteurs traditionnels de la presse écrite et leurs

lecteurs pourrait expliquer pourquoi les sites Internet du Monde et du Figaro figurent en

première et deuxième place du classement des sites d’information les plus visités, devant les

pure players* comme Google News ou Yahoo ! News, d’autant plus que la notoriété d’une

marque constitue un argument commercial de poids lors des négociations avec les

annonceurs.

Encadré 3. Ouest-France : un journal, deux marques numériques

• La stratégie de développement des activités numériques du groupe Ouest-France

comporte trois axes, autour de deux marques :

- Ouest-France, avec ouest-france.fr, le site Internet du quotidien, qui a attiré 5,1

millions de visites en mars 2009 (source OJD)

- Ma Ville, avec le réseau de city guides maville.com, développé avec six autres

entreprises de PQR* (Le Midi Libre, La Montagne, Nice Matin, la Nouvelle République du

Centre Ouest, Sud Ouest et La Voix du Nord) et couvrant soixante-treize villes françaises.

L’ensemble du réseau Ma Ville a attiré 3,8 millions de visites (source OJD).

- Le pôle Ouest-France Multimédia gère également les sites d’annonces classées

ouestfrance-emploi.com (0,9 million de visites mensuelles), ouestfrance-auto.com (0,6 million

de visites mensuelles) et ouestfrance-immo.com (1,0 million de visites mensuelles) (source

OJD, mars 2009).

• Les premiers sites Ma Ville ont été lancés dans l’ouest de la France en même temps qu’à

Marseille, ce qui empêchait la reprise de la marque Ouest-France. La marque Ma Ville s’est

alors spécialisée dans l’information locale et les services, pendant que le site ouest-france.fr

privilégiait l’information nationale et internationale. « Ca nous permet de jouer ces deux

Page 60: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

60

stratégies, en espérant que les deux soient gagnantes » explique Christian Philibert, directeur

général de Ouest-France Multimédia.

• Ce partage des contenus a été remanié récemment pour permettre à ouest-france.fr de

développer ses contenus d’information locale et pour spécialiser maville.com dans les

contenus participatifs et communautaires.

• Cette stratégie de développement numérique a permis de renforcer la part du Web dans le

chiffre d’affaire du groupe : 8,5% de la performance de la marque Ouest-France sont ainsi

réalisés sur Internet via le réseau Ma Ville et le site ouest-france.fr. L’ensemble des sites du

groupe réalise 9 millions de visites mensuelles (source OJD, mars 2009).

Si les acteurs traditionnels de la presse écrite misent beaucoup sur la puissance de leur

marque pour se développer sur Internet, ils ne doivent cependant pas sous-estimer la

professionnalisation des pure players* et la défiance des internautes envers les marques de

presse établies. Les internautes zappent d’un blog* à un site de journal traditionnel ou à celui

d’un pure player*. Ils recherchent davantage des thématiques que des marques, dont

l’importance est ainsi relativisée. D’ailleurs, un pure player* comme auFéminin.com n’a

jamais vraiment investi dans sa marque, tout en enregistrant un fort trafic.

En définitive, les stratégies de développement numérique adoptées par les entreprises de

presse ré-inventent leurs produits-cœurs en remettant en cause leurs fonctionnalités et leur

identité. Dans un environnement fortement concurrentiel et en constante mutation, les

entreprises de presse font preuve de créativité organisationnelle en laissant évoluer leurs

structures pour rester concurrentielles et influencer leur marché. Une telle adaptation

nécessite, pour ces entreprises, de remettre en cause leur organisation productive et leurs

métiers-cœurs.

Chapitre 2.4. Mutation des structures organisationnelles : vers des

rédactions pluri-média

Le changement de business model ne va pas sans changement organisationnel. Cette

révolution industrielle et numérique se traduit aussi par une transformation des métiers-cœurs

des entreprises de presse et de leur architecture organisationnelle.

Page 61: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

61

2.4.1. Ré-invention des métiers et des compétences-cœurs

« Qu’est-ce qu’une entreprise de presse ? Qui sommes-nous ? Quel est notre statut ?

Qu’est-ce qu’un site de presse ? ». Issues du compte-rendu de la deuxième séance de travail

du pôle « Presse et Internet » des Etats généraux de la presse écrite, ces interrogations

montrent à quel point la révolution industrielle dans ce secteur entraîne une redéfinition floue

des identités de ses acteurs traditionnels. Le développement des activités numériques des

groupes de presse affecte particulièrement deux statuts socio-professionnels : celui d’éditeur

et celui de journaliste-rédacteur.

Le statut d’éditeur de presse a perdu de son évidence depuis que les sites d’information

des marques de presse accueillent, aux côtés de contenus produits par des journalistes, ceux

provenant des internautes (User Generated Contents) à travers des commentaires, des

forums* ou des modules participatifs. Un site de presse relève-t-il d’une activité d’hébergeur

ou d’éditeur ? A qui appartiennent les contenus générés par les utilisateurs ? Qui a le droit de

commercialiser les productions des internautes ? Les réponses ne sont évidentes ni au regard

du droit, ni au regard des mœurs de la profession. Les fonctions traditionnelles des entreprises

de presse sont chamboulées et de nouvelles fonctions apparaissent, rendant ainsi incertaines

l’identité de ces organisations. La frontière incertaine entre hébergeur et éditeur pose d’autant

plus problème qu’elle détermine le régime de la responsabilité juridique pour les contenus mis

en ligne. Actuellement, les hébergeurs ne sont pas tenus responsables des contenus mis en

ligne car ils n’ont pas a priori la maîtrise sur les informations publiées. Leur responsabilité

n’est engagée que s’ils ne procèdent pas rapidement au retrait quand ils ont connaissance des

contenus litigieux. Néanmoins le non-respect de cette obligation n’est pas considéré comme

un délit de presse. En revanche, la responsabilité des éditeurs sur Internet s’apparente au

régime de la presse traditionnelle : un directeur de la publication est obligatoirement nommé,

il sera tenu responsable en cas de délit de presse. Pour lever cette incertitude juridique, les

Etats généraux de la presse écrite ont proposé un statut d’éditeur de presse en ligne qui tienne

compte des spécificités de l’univers numérique. Un tel statut devrait reposer, d’après les

travaux du pôle « Presse et Internet » sur l’exercice d’une mission d’information à l’égard du

public, sur la production de contenus ayant fait l’objet d’un traitement journalistique et sur

l’emploi de journalistes professionnels.

La demande formulée dans le Livre vert (Etats généraux de la presse écrite, 2009) a été

entendue, puisque la question du statut d’éditeur en ligne a été débattue au Parlement en

marge des débats sur le projet de loi Création et Internet, adoptée le 13 mai 2009.

Page 62: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

62

L’amendement 201 de l’article 11 de cette loi définit le statut d’éditeur de presse en ligne et

reprend les recommandations extraites du Livre vert des Etats généraux de la presse écrite.

Le statut socio-professionnel du journaliste suscite aussi le débat. Les frontières

traditionnelles entre journaliste et simple citoyen s’estompent sur les sites d’information avec

la présence de blogs*, de forums*, ou de commentaires de lecteurs. De plus, la

personnalisation de l’information autorisée par les techniques de flux RSS* ou de blog*

détricotent la hiérarchisation de l’information traditionnellement établie par les journalistes.

Ces pratiques déstabilisent la fonction traditionnelle de gatekeeper7 du journaliste entre ses

sources et ses lecteurs, en inversant la relation hiérarchique classique de type top-down pour

une relation de type bottom-up où l’utilisateur détermine les contenus.

De nouveaux critères d’écriture journalistique apparaissent, le rapport du journaliste à ses

lecteurs se modifie, la caméra et le micro s’installent dans les rédactions et le temps de travail

autrefois dominé par l’heure du bouclage se déstructure. Produire des contenus pour les sites

d’information ne se résume pas à transférer en ligne les articles écrits pour le papier. Les

journalistes issus du papier doivent désormais prendre en charge de nouvelles tâches comme

la production de vidéo ou l’animation de forums*.

« La démarche est intéressante car elle incite les journalistes à penser forum, c’est-à-dire :

est-ce que le sujet que je vais traiter peut intéresser si on ouvre un forum, est-ce que ça va

susciter débat ? Ca les incite à chercher des thèmes fédérateurs, et à penser Internet ».

(Jean-Damien Fresneau, rédacteur en chef adjoint à Presse-Océan)

Les journalistes doivent acquérir de nouveaux réflexes pour s’adapter à l’interactivité et à la

réactivité des supports numériques. Les journalistes n’écrivent plus pour un journal, ils

travaillent pour une marque d’information déclinée sur une pluralité de supports. L’entité

pertinente de la situation de travail du journaliste a évolué : de l’article synthétisant un travail

de collecte de nombreuses informations vers l’information à l’unité, déclinable sur tous les

supports et actualisable en permanence. Ces bouleversements du métier s’accompagnent

d’une redéfinition des critères d’employabilité des journalistes.

« Je pense qu’à moyen terme ou à long terme, certainement, les journalistes seront

multicartes. On commence, nous, dans l’encadrement, à regarder de près ceux qui savent

faire ça. Il y en a déjà, qui font de la vidéo, de l’écrit et du Web » (Jean-Damien Fresneau,

rédacteur en chef adjoint à Presse-Océan)

7 Voir page 45

Page 63: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

63

Les nouveaux entrants dans les rédactions des titres papier sont déjà pluridisciplinaires et les

écoles de journalisme ont accompagné ces évolutions en orientant leur formation vers la

maîtrise des différents formats ou en obligeant leurs élèves à tenir un blog*. Les

transformations des entreprises de presse modifient donc les situations de travail et d’emploi

des journalistes sans que de nouvelles formes professionnelles ne se soient encore fixées,

plongeant les acteurs traditionnels de la presse papier dans un flou identitaire.

2.4.2. Le modèle de rédaction pluri-média s’impose par nécessité économique

La re-définition du business model et l’évolution des métiers de la presse conduisent à la

remise en cause des structures organisationnelles. Le modèle jusqu’à présent dominant de

rédaction segmentée selon les supports –une équipe Web en parallèle des équipes papier- a

perdu de sa pertinence. Les éditeurs raisonnent désormais en terme de marque et non de

supports, ils aspirent à devenir complètement pluri-média, distribuant des informations sur

plusieurs canaux. Une telle évolution nécessite une réorganisation des rédactions qui autorise

une plus grande flexibilité et facilite les expérimentations afin de pouvoir produire des

contenus tant pour le papier que pour le site Internet, les téléphones mobiles ou la télévision

numérique. Pour assurer la cohérence de la marque sur cette pluralité de supports, coordonner

la production de contenus aux temporalités différentes et mettre en œuvre des synergies,

beaucoup d’éditeurs misent sur le modèle de rédaction pluri-média. Une telle rédaction

suppose de mutualiser le traitement de l’information au sein d’une unique rédaction intégrée,

organisée par secteur d’information (nationale, international, économie, culture, etc.) plutôt

que par support. Les journalistes y travaillent aussi bien pour le Web que pour le papier, en

réalisant non seulement des articles mais également des vidéos ou des prises de son. Le

modèle de rédaction pluri-média relève également d’un choix de gestion des compétences :

faire produire le site Internet par les équipes du papier revient à faire profiter le Web de

l’expérience des journalistes travaillant sur le terrain depuis longtemps. Outre une gestion

efficiente du workflow (flux d’information), le modèle de rédaction pluri-média présente

également de gros avantages financiers. Les entreprises de presse n’ont pas les moyens de

supporter le coût de deux rédactions : une pour le papier et l’autre pour le Web.

« En local on ne peut pas avoir deux rédactions, c’est impossible parce qu’on a 64 rédactions

sur le terrain, donc là, il faut vraiment qu’on invente un fonctionnement bi-média pour que

économiquement ce soit jouable, parce que sinon, on a cinq cent trente journalistes, il nous en

faudrait huit cents. Donc ce n’est pas possible, dans la conjoncture actuelle, c’est sûr que ce

n’est pas possible ». (Christian Philibert, directeur général de Ouest-France Multimédia)

Page 64: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

64

L’intégration des rédactions s’impose d’autant plus fortement dans la PQR* dont la force

provient de ses nombreuses rédactions locales, travaillant au plus près du terrain. Ce modèle

de rédaction unique a séduit de nombreux éditeurs dans le monde entier : le Wall Street

Journal, le Financial Times, El País ont déjà fusionné leur rédaction Web et papier. En

France, les Echos a annoncé sa volonté de fondre ses équipes Web et papier avant l’été 2009.

Au Parisien, un accord sur la création d’une rédaction pluri-média a été signé entre

partenaires sociaux en mai 2008, même si une équipe Web continue de produire la majorité

des contenus du parisien.fr. Les journalistes de Ouest-France sont désormais « bi-média »

dans leur contrat de travail et ils alimentent le fil de dépêches du site Internet, produisent de

courtes vidéos et animent des forums*, même si le desk* Web produit l’essentiel des contenus

de ouest-france.fr.

Parfois, l’évolution vers une rédaction pluri-média s’accompagne d’une restructuration

géographique des rédactions afin d’améliorer encore les synergies. Le Daily Telegraph, par

exemple, a catalysé la ré-organisation de sa rédaction intégrée en 2007 en déménageant

l’entreprise de Canary Wharf à Victoria, au centre de Londres, dans un immense open space

de 67 000 m² qui facilite la communication entre les acteurs. Auparavant, la rédaction était

dispersée sur quatre étages et fragmentée selon les services. Avec la réorganisation, tout est

rassemblé autour d’un noyau central, centre des décisions éditoriales, sur lequel viennent se

greffer en rayons les différentes rubriques du journal. Les cadres de la rédaction, rassemblés

autour du noyau central, sont sensés communiquer en permanence pour une meilleure

intégration des différents services. Les journalistes, regroupés par spécialité et non par média,

produisent des contenus pour la version papier comme pour la version Web. Ce changement

architectural s’est accompagné d’une nouvelle culture du groupe Telegraph Media, où les

éditions numériques sont aussi importantes que le quotidien, où les cadres sont responsables

de leur rubrique autant sur le Web que dans le quotidien. Les titres, les descriptions de postes

et les horaires de travail ont été remaniés, indiquant aux journalistes qu’ils sont les employés,

non plus d’un journal mais du groupe Telegraph Media qui traite le Web et le papier avec la

même importance. Le cas du Daily Telegraph montre que l’évolution vers de nouvelles

architectures organisationnelles affecte non seulement le modèle de rédaction –séparée ou

pluri-média-, mais aussi l’installation géographique, le mode de gestion des compétences et

les définitions de poste, remettant ainsi en cause le modèle d’action globale de l’entreprise de

presse.

Page 65: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

65

Encadré 4. Libération : une expérimentation infructueuse de la rédaction bi-média

• En octobre 2005, le PDG de Libération Serge July lançait le concept de rédaction « bi-

média » et décidait de rapprocher les rédactions papier et Web du journal. La dizaine de

journalistes de liberation.fr sont alors répartis au sein des services de la rédaction papier pour

former la première rédaction pluri-média en France.

• Cette expérimentation a rapidement pris fin et les équipes Web et papier ont de nouveau

été séparées. La rédaction de liberation.fr compte aujourd’hui une vingtaine de personnes, elle

traite l’actualité chaude ainsi que tous les modules interactifs, et collabore avec les

journalistes du papier afin d’obtenir des articles plus spécialisés pour le site Web.

• D’après le rédacteur en chef de liberation.fr Ludovic Blecher, la rédaction pluri-média a

échoué car les rythmes du papier et d’Internet sont trop différents. Les journalistes actuels ne

sont pas assez réactifs pour à la fois produire de l’actualité chaude pour Internet et finir leurs

articles pour le journal du lendemain, selon Ludovic Blecher. La rédaction pluri-média se

ferait donc aux dépends de la production de contenus actualisés en permanence et interactifs.

Face à ce modèle de rédaction pluri-média, certains acteurs prônent plutôt la séparation

des équipes Web et papier. Le Figaro comprend ainsi trois rédactions autonomes pour le

quotidien, pour les magazines et pour le site Web. L’équipe Web et l’équipe papier

appartiennent à des sociétés différentes (l’agence de presse interactive et la société de gestion

du Figaro) et ont des statuts légèrement différents, ce qui ne les empêche pas de collaborer de

plus en plus. Les dirigeants du Monde, également contre le modèle de rédaction intégré, ont

délocalisé la production des contenus pour lemonde.fr au sein de leur filiale Monde Interactif.

Encadré 5. Le Monde : le choix de la rédaction Web externalisée

• Les contenus du monde.fr sont réalisés par une équipe autonome, à l’exception des articles

du quotidien repris tels quels sur Internet. L’équipe Web comprend une vingtaine de

journalistes. Elle dépend du Monde Interactif, filiale du groupe Le Monde à 66% et du groupe

Lagardère à 34%.

• Les journalistes du monde.fr ne font pas de terrain mais travaillent majoritairement à partir

de dépêches d’agence. Ils gèrent la rédaction de newsletters* et les modules interactifs du site.

Page 66: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

66

• Récemment déménagée du XIXe arrondissement de Paris pour rejoindre le siège du

groupe boulevard Blanqui dans le XIIIe, l’équipe Web ne partage cependant pas les mêmes

locaux que les journalistes du quotidien et les contacts entre les deux rédactions restent très

limités.

• Le choix de séparer les équipes Web et papier s’appuie sur le constat que chaque support

nécessite des savoirs différents : mise en perspective et hiérarchisation pour le papier,

interactivité et réactivité pour Internet. Ces deux formes de journalisme nécessitent des tempo

différents et donc des équipes dédiées. Pour les dirigeants du Monde et du Monde Interactif,

les journalistes du papier n’auraient plus le temps pour la réflexion et l’analyse s’ils devaient

participer aux contenus du site, et ils casseraient le dynamisme de l’équipe Web composée de

jeunes recrues.

Entre l’intégration totale des rédactions Web et papier ou l’externalisation complète de la

rédaction Web, il existe une pluralité d’organisations, selon l’histoire particulière de chaque

rédaction. L’équipe dédiée au Web peut prendre la forme d’une cellule au sein de la rédaction

papier, la collaboration entre journalistes Web et papier peut aussi prendre de multiples

formes : dans les faits, la frontière n’est pas nette entre collaboration et fusion des rédactions

Web et papier. A l’étranger comme en France, aucune organisation n’émerge clairement. La

seule certitude dans ce contexte flou : la transformation du design organisationnel des

rédactions qui oblige les journalistes à un plus grand savoir-faire et exige de leurs managers

un leadership capable de créer une culture du changement.

2.4.3. Les obstacles au développement de rédactions pluri-média

Néanmoins, l’instauration de rédaction pluri-média ne va souvent pas de soi. Le besoin de

formation des journalistes, les réticences du syndicat dominant et le mode de rémunération

des droits d’auteurs freinent la constitution de rédactions capables de produire des contenus

pour une pluralité de supports.

Tout d’abord, un plan de formation des acteurs de terrain et de leurs managers s’impose,

pour favoriser l’intégration des équipes papier et des équipes Web. Face aux évolutions de

leur métier, les journalistes ont besoin de nouvelles compétences de montage, d’écriture

numérique, de vidéo, de prise de son, d’animation de Web-TV, etc.

Page 67: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

67

Ensuite, la redéfinition de l’architecture organisationnelle des rédactions heurte les

positions du SNJ8, le syndicat majoritaire dans toutes les rédactions, excepté celle du

Parisien. Lors des débats du pôle « Presse et Internet » des Etats généraux de la presse écrite,

les représentants du SNJ se sont prononcés pour le rattachement du journaliste à un titre et

non à une entreprise. En s’appuyant sur la Convention collective nationale de travail des

journalistes (CCNTJ) – un élément clé dans la définition du positionnement socio-

professionnel des journalistes-, le SNJ postule qu’un journaliste ne peut pas être contraint à

travailler pour plusieurs titres ou supports. Pour le syndicat, toute nouvelle compétence

acquise doit conduire à la reconnaissance d’un niveau de qualification supérieur. Il défend le

principe « à travail supplémentaire, effectifs supplémentaires ». Surtout, il souhaite garder

pour le Web des méthodes de travail issues des rédactions-papier : seuls des journalistes

peuvent traiter l’information qu’ils doivent valider et enrichir avant sa mise en ligne, les

apports des non-journalistes, clairement séparés de ceux des journalistes, doivent être vérifiés,

hiérarchisés, et ne doivent être utilisés par les journalistes que comme matière brute. Le SNJ

rejette le modèle de rédaction pluri-média au nom des valeurs professionnelles. Il s’oppose à

toute remise en cause de la situation socio-professionnelle des journalistes.

Enfin, l’utilisation d’un même contenu sur différents supports pose le problème de la

rémunération des droits d’auteur. Le développement des activités numériques des entreprises

bouleverse la relation d’emploi des journalistes en mettant en cause la rétribution de leurs

droits de propriété intellectuelle, un élément-clé de l’identité journalistique puisqu’elle

confère aux journalistes le statut d’auteur. Dans l’état actuel des textes, le respect du droit

d’auteur suppose que les journalistes soient rétribués à chaque réutilisation de leur production.

Le développement des supports numériques et la dématérialisation de l’information rendent

ces textes de moins en moins applicables et de plus en plus contestés. D’une part, sur Internet,

les contenus sont accessibles en permanence sur une pluralité de supports (ordinateurs,

smartphone*, e-reader*). D’autre part, la crise économique contraint les groupes de presse à

chercher de nouveaux équilibres économiques en réutilisant les productions des journalistes

sur différents supports (Internet, journal quotidien, magazine). En conséquence, des clauses

spécifiques des contrats de travail ou des accords collectifs d’entreprise ont été conclus dans

la majorité des rédactions entre les éditeurs et les représentants des journalistes pour permettre

la réutilisation des articles moyennant une rémunération complémentaire. Néanmoins, ces

8Le Syndicat National des Journalistes est un syndicat de branche syndiquant exclusivement les journalistes professionnels. Il s’agit du syndicat historique des journalistes, majoritaire dans cette profession.

Page 68: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

68

solutions restent juridiquement fragiles. Une révision des textes s’impose donc afin de

permettre aux éditeurs de développer leur activité sur de nouveaux supports tout en assurant

aux journalistes une rémunération équitable de leur droit de propriété intellectuelle.

Déjà en 2007, le rapport La presse au défi du numérique (Tessier et Baffert, 2007)

pointait la nécessaire sécurisation de l’environnement juridique des éditeurs via l’adoption

d’une nouvelle vision des droits d’auteurs lorsqu’ils s’exercent dans un cadre pluri-média. En

2007 également, les syndicats des journalistes et éditeurs s’étaient mis d’accord dans un Livre

Blanc sur une modernisation des principes de rémunération des droits d’auteur. Ce Livre

Blanc consacre la neutralité du support –numérique ou papier-, il étend ainsi la notion de

publication de presse aux différents supports rassemblés sous la marque de la publication. A

partir de ce principe, il garantit la sécurité juridique de l’éditeur à travers la reconnaissance

d’une cession automatique et exclusive des droits d’auteurs. Un éditeur pourrait donc utiliser

la production d’un journaliste sur tous les supports du titre pour lequel il travaille sans avoir

besoin de lui demander son accord. Cette cession des droits d’auteurs peut s’étendre à d’autres

marques ou titres de l’entreprise de presse s’ils sont en cohérence éditoriale avec le titre

principal et si un accord d’entreprise entre partenaires sociaux existe à ce sujet. Cette cession

ne génère pas de rémunération supplémentaire pour l’utilisation des œuvres des journalistes

pendant une certaine durée, définie selon la périodicité de chaque support. Le versement

d’une rémunération forfaitaire complémentaire aux journalistes pour leurs droits d’auteurs

n’intervient qu’après ces durées d’exploitation première. A l’issue des Etats généraux de la

presse écrite, le pôle « Presse et Internet » a préconisé de faire évoluer le code de la propriété

intellectuelle et le code du travail pour intégrer les dispositions du Livre Blanc. L’occasion a

été fournie par le débat du projet de loi Création et Internet à l’Assemblée Nationale le 3 avril

dernier, au cours duquel a été adopté un amendement (10bis A) du gouvernement qui transcrit

les recommandations des Etats généraux. Depuis l’adoption de la loi le 13 mai 2009, le

modèle de rédaction pluri-média dispose d’un cadre juridique favorable à son développement.

Chapitre 2.5. Conclusion de l’étude comparative

2.5.1. Un secteur industriel confronté au « capitalisme de l’innovation intensive »

Incertitudes sur l’évolution des pratiques de consommation de l’information,

reconstruction mal assurée d’un nouveau business model, réinvention indéfinie des métiers et

des compétences, mutations indéterminées des structures organisationnelles… les entreprises

Page 69: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

69

de presse évoluent dans un univers particulièrement flou et mouvant. Le déclin du modèle

d’affaire traditionnel de la presse quotidienne se conjugue à la diffusion de nouveaux supports

numériques pour forcer les éditeurs à innover tant dans leur offre de produits de presse que

dans leur mode de valorisation économique. Interactif, réactif, multimédia, ludiques : déjà, les

sites d’information des marques de presse ressemblent bien plus aux blogs* ou aux plate-

formes de service et d’actualité des pure players* qu’aux journaux-papier, même s’ils

n’utilisent que timidement les recettes du succès des pure players*.

Cette évolution cruciale se déroule dans un contexte de concurrence accrue, avec

l’effacement sur Internet des frontières traditionnelles entre médias et l’émergence de pure

players* de l’information. L’environnement actuel du secteur économique de la presse

présente toutes les caractéristiques du « capitalisme de l’innovation intensive » décrit par Le

Masson, Weil et Hatchuel (Le Masson et al, 2006) : une transformation de l’environnement

concurrentiel et des modes de formation de la valeur ainsi qu’une situation d’indétermination,

marquée par de nombreuses innovations tant dans les produits que dans les processus de

production.

2.5.2. L’élaboration d’un nouveau modèle d’action pour la presse quotidienne

Pour conserver leur compétitivité dans un tel univers en révolution, les entreprises de

presse doivent laisser évoluer leurs structures et leurs métiers pour définir un nouveau

« modèle d’action collective » (Le Masson et al, 2006, p.68). Dans chaque rédaction, les

initiatives se multiplient pour produire des contenus adaptés aux supports numériques :

développement de sites d’information et de services, mise en place d’équipe Web, création de

studio de Web TV, multiplication de partenariats avec les pure players*, mise en place

d’accords entre partenaires sociaux sur la rémunération des droits d’auteurs, créations de

nouveaux circuits de traitement de l’information pour que les journalistes issus du papier

participent aux contenus Web, etc. Ce faisant, chaque entreprise de presse participe à la

transformation du modèle d’action général de ce secteur économique et influe sur les

décisions des autres acteurs. Comme le montre le tableau 4, reprenant les concepts définis par

Le Masson, Hatchuel et Weil (Le Masson et al., 2006), la philosophie gestionnaire des

entreprises de presse a changé, tout comme les critères de la performance, les outils qui

mènent à cette performance ainsi que le rôle des acteurs. L’enjeu pour les éditeurs consiste

désormais à stabiliser un nouveau modèle d’action collective (Le Masson et al., 2006, p.68)

leur permettant de remporter le défi de la publication multi-supports et multi-formats, c’est-à-

Page 70: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

70

dire de trouver un business model leur permettant d’assurer leur rôle de production et de

diffusion d’une information de qualité, quel que soit son format.

Tableau 4. Transformation du modèle d’action collective dans la presse quotidienne

ANCIEN MODELE D’ACTION NOUVEAU MODELE D’ACTION EN

COURS DE DEFINITION

PRODUITS

-Un journal quotidien papier à

forme fixe

-Différents produits pluri-supports

(sites/application pour téléphones

mobiles/papier) et pluri-médias

(vidéo/photo/son) en constante évolution

MODE DE

CONSOMMATION

-Consommation linéaire et

mono-média

-Consommation de l’information

par « paquet »

-Consommation fragmentée, délinéarisée

-Consommation d’information l’unité

RYTHME

-Rythme déterminé par le

bouclage quotidien et les

imprimeries

-Rythme de l’actualité continue et en

temps réel, 7j/7 et 24h/24

IDENTITE DU

MEDIA

-Relation top-down du

journaliste vers les lecteurs

-Identité fixe du journal

quotidien

-Médias de flux

-Relation bottom-up journaliste -lecteurs

-Interactivité

-Convergence média

VALORISATION

ECONOMIQUE

-Valorisation économique des

contenus informationnels par la

vente aux lecteurs et des tarifs

publicitaires plutôt élevés

-Maîtrise de la diffusion

-Destruction de valeur (culture

gratuité/tarifs publicitaires faibles)

-Perte de la maîtrise de la diffusion

FORMES DE LA

CONCURRENCE

-Concurrence fixe sur un espace

donné et un support donné

-Concurrence protéiforme, entre média,

entre territoires

-Concurrence de nouveaux acteurs

-Remise en jeu des positions acquises

MODELISATION

DE L’ACTIVITE

MODELE

ECONOMIQUE -Economie de biens matériels

-Economie de flux dématérialisés

d’informations sur de multiples supports

SUBSTRAT TECHNIQUE -Rotatives/imprimeries

-Support papier

-Réseaux Internet

-Téléphones portables

LOGIQUE DE PERFORMANCE -Importance de la diffusion

-Importance du titre

-Importance de l’audience

-Importance de la marque média

FORMES D’ORGANISATION

&RÔLES DES ACTEURS

-Grosses rédactions de

journalistes spécialisés par

domaines

-Journaliste mono-média

(papier)

-Rédactions pluri-médias

-Journalistes pluri-médias et polyvalents

-limites floues entre journalistes et

webmasters, et entre éditeurs et

hébergeur

2.5.3. Deux pistes pour valoriser économiquement la production de contenus

informationnels sur Internet

Face à la crise structurelle et conjoncturelle du modèle économique de la presse

quotidienne, Internet a pu apparaître comme un relais prometteur pour assurer la survie des

titres. Néanmoins, la culture de la gratuité sur Internet, la distension des relations entre

annonceurs et marques-média et la domination des moteurs de recherche* sur le marché

Page 71: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

71

publicitaire en ligne hypothèquent la capacité des entreprises de presse à s’approprier une part

de la valeur de l’information qu’elles produisent. Au vu de ces faibles revenus, il serait

aujourd’hui impossible à un site d’information de faire vivre une grande rédaction comme

celles de la presse traditionnelle. Pas plus que sur le papier, la survie d’une offre

d’information diversifiée et produite par des journalistes n’est assurée sur Internet. Malgré ce

panorama peu optimiste, deux voies semblent s’ouvrir aux groupes de presse pour atteindre la

rentabilité de leurs activités numériques.

Tout d’abord, les groupes de presse peuvent se diversifier sur de nouveaux supports et

dans des activités génératrices d’audience et de revenus publicitaires, bien qu’éloignées du

cœur de métier des éditeurs. Le Figaro donne un exemple réussi de cette stratégie, puisqu’il

détient des sites très profitables de e-commerce ou de petites annonces en ligne (Voir encadré

4 p.43).

D’autre part, les groupes de presse peuvent évoluer de la production de contenus vers le

filtrage de contenus en ligne, afin de grimper aux premières places dans la chaîne de valeur de

l’information sur Internet. Pour le moment, les sites d’information arrivent tout au bout du

parcours de l’Internaute, après les fournisseurs d’accès, les moteurs de recherche* et les sites

communautaires*. En effet, Internet a fait disparaître la rareté de l’information en supprimant

les coûts de production. Dans le monde physique, vendre un quotidien engage des coûts de

diffusion et de production, d’où un nécessaire filtrage des contenus publiés, pour être sûr que

ces contenus trouvent des acheteurs. Internet autorise chacun à publier sans pré-sélection une

profusion d’informations. Dans cette masse de contenus, les moteurs de recherche* par

algorithme –type Google- ne suffisent pas à garantir la qualité des contenus. Les éditeurs

pourraient trouver un positionnement porteur en pratiquant sur Internet un journalisme de lien.

En plus de leurs propres contenus de qualité, les sites d’information pourraient aussi proposer

une sélection de liens et renvoyer vers des contenus pré-sélectionnés, hiérarchisés et

éditorialisés par des journalistes, à l’image du Political Browser du Washington Post.

L’objectif pour les sites d’information est de se placer au départ des parcours de recherche des

internautes et non plus à la fin.

Cette dernière voie dénoue encore un peu plus la relation entre journalisme et journal.

Assurer une fonction d’information en ligne s’apparente de moins en moins à produire un

journal, au sens d’espace délimité –un site ou un cahier papier- contenant un nombre arrêté de

contenus produits par une rédaction. D’une part, les évolutions de l’offre d’information en

ligne conduisent les journalistes à produire des informations pour une pluralité de supports,

Page 72: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

72

voire même à laisser circuler leurs productions sur d’autres sites que ceux de leur marque.

D’autre part, le travail des journalistes en ligne pourrait s’éloigner de plus en plus de la

rédaction d’articles au profit de la production de flux d’information sous forme de vidéos, de

courtes dépêches ou même de liens vers d’autres contenus en ligne. La perte d’évidence du

lien entre journal et travail journalistique n’est pas forcément dommageable pour les lecteurs

ou pour leur droit à l’information. En définitive, les citoyens et la démocratie ont besoin

d’information journalistiquement produite, donc de journalisme, pas de journal.

Page 73: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

73

CONCLUSION.

Redéfinition des modèles d’action dans la presse

quotidienne et exigence d’innovation

A l’issu de ce mémoire se pose la question de ce que représente Internet pour la presse

écrite : surtout pas un canal de distribution supplémentaire pour les contenus informationnels

classiques ; encore moins une planche de salut pour un modèle économique traditionnel

déclinant. La popularisation des nouveaux supports numériques dans la diffusion de contenus

informationnels est porteuse d’un changement systémique. Elle remet en cause les modèles

d’action institués des entreprises de presse quotidienne au niveau de leur business model et au

niveau de leur architecture organisationnelle.

Les industries du disque, du cinéma, du livre, du logiciel, du jeu vidéo et de la presse sont

toutes confrontées à la même révolution liée la dématérialisation de leurs produits sur

Internet. Tout comme les consommateurs délaissent l’achat de DVD et de CD au profit du

streaming* ou de l’échange de fichiers en peer-to-peer*, ils se détournent des kiosques pour

composer leurs propres parcours d’information sur Internet. La disparition du support

physique de diffusion des contenus a profondément bouleversé tant les usages de

consommation que la nature des produits et leurs modes de valorisation économique. Sur

Internet les contenus informationnels se consomment à l’unité, ils deviennent fragmentés, en

perpétuelle évolution, interactifs, pluri-formats, personnalisables. Internet permet leur

reproduction sans aucun frein ni coûts supplémentaires, ce qui facilite leur consommation

simultanée par un nombre illimité de personnes formant une audience volatile et rétive à

payer. Quand la valeur économique des produits de presse reposait autrefois sur leur rareté, la

numérisation des contenus instaure le règne de la profusion et renverse la logique de l’offre en

logique de la demande. Dès lors, les biens informationnels en ligne se rapprochent de

l’archétype économique des biens publics purs, répondant au principe de non-rivalité et de

non-exclusion. La presse quotidienne évolue d’une économie de biens matériels à une

économie de flux dématérialisés, complexifiant ainsi les modes d’appropriation de la valeur

économique de ces contenus. Tout d’abord, l’abondance rend difficile la tarification et

assèche la disponibilité à payer des lecteurs. Ensuite, l’essentiel de la valorisation économique

sur Internet se reporte sur les activités de diffusion des informations et non plus sur celle de

production. Moteurs de recherche*, portails* généralistes et réseaux communautaires*

Page 74: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

74

empochent ainsi une part importante des ressources publicitaires en ligne, au détriment des

entreprises de presse, qui ont perdu la main sur leur chaîne de diffusion.

En disloquant les modèles d’affaires traditionnels des industries de contenus et en faisant

apparaître de nouveaux concurrents pure players*, le développement du numérique remet en

cause les positions acquises et fait voler en éclat les anciens avantages comparatifs. Même la

force de prescription des marques traditionnelles n’est plus assurée en ligne. Le secteur

industriel de la presse traverse ainsi un processus schumpeterien de destruction créatrice : les

anciens business models s’effondrent et l’industrie se ré-invente en innovant dans ses

produits, dans ses outils de production et dans ses structures. Ainsi, les sites d’information des

entreprises de presse tâtonnent sur la voie d’un nouveau journalisme en ligne, les éditeurs

s’orientent vers la production de contenus multi-supports et multi-formats et les rédactions

testent l’intégration des équipes Web et papier. Néanmoins les compétences à mobiliser, les

objectifs à atteindre, les architectures organisationnelles efficientes ou les valeurs d’usage des

nouveaux produits restent floues et font l’objet de nombreuses expérimentations. L’identité

même des entreprises de presse est devenue malléable, sujette à des redéfinitions au fil des

innovations. Comme Intel Corporation a évolué de la fabrication de circuits électroniques à la

fabrication de microprocesseurs, les acteurs de la presse écrite pourraient transformer leur

métier-cœur de la production d’articles papier à l’animation de plate-formes d’information en

ligne. Seules cette plasticité et cette créativité permettront aux organisations de presse de tirer

profit des reconfigurations de leur secteur industriel.

Cependant, pour promouvoir cette créativité organisationnelle, les entreprises de presse

quotidienne doivent l’ancrer au plus près des acteurs de terrain, dans les salles de rédaction et

les départements marketing. A l’image de l’adoption d’une rédaction pluri-média au Parisien,

les entreprises de presse doivent étendre leurs stratégies d’innovation à leur design

organisationnel et à leurs métiers. La mise en place de ces innovations organisationnelles

dépend des processus d’appropriation du changement par les acteurs de terrain. Les

journalistes du Parisien ont ainsi témoigné d’un engagement prudent et négocié dans le

changement, moins par conservatisme ou corporatisme que par appréhension face à une

redéfinition de leur identité professionnelle. La production de contenus multi-supports et

multi-formats affecte en effet le positionnement socio-professionnel des journalistes tant d’un

point de vue technique que déontologique. Elle transforme leur situation de travail et

Page 75: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

75

d’emploi, questionne leur statut d’auteur, remet en cause leur rôle social de gatekeeper9 entre

sources d’information et publics, sans qu’un nouveau rôle socio-professionnel ne se dessine

clairement. Les journalistes tout comme les producteurs de contenus musicaux, les éditeurs de

livres ou les auteurs de contenus culturels doivent faire évoluer leur identité professionnelle

pour garder la main sur les nouveaux modes de production et les nouvelles formes de création

en ligne. La stabilisation d’un nouveau « modèle d’action collective » (Le Masson et al., 2006,

p.68) pour cette profession résultera obligatoirement d’une construction collective entre les

différents acteurs de cette industrie.

9 Voir page 45

Page 76: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

76

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X. TERNISIEN, « Les journaux cherchent le moyen de faire payer leur contenu sur Internet », Le Monde, 2009, 24/03/09

X. TERNISIEN, « Les journaux expérimentent des rapprochements entre les rédactions de l’imprimé et d’Internet », Le Monde, 2009, 09/04/09

SITES WEB & BLOGS

ECOLE DE JOURNALISME DE SCIENCE PO, Les états généraux de la presse (pôle 3), sciencespole3.wordpress.com

ECOLE SUPERIEURE DE JOURNALISME DE LILLE, esj-lille.fr

EIDOS MEDIA, eidosmedia.com

ETATS GENERAUX DE LA PRESSE ECRITE, etatsgenerauxdelapresseecrite.fr

F. FILLOUX, Monday Note, mondaynote.com

FO, force-ouvriere.fr

IFRA, ifra-nt.com

J. JARVIS, Buzz Machine, buzzmachine.com

G. NARVIC, Novövision, novovision.fr

B. RAPHAEL, Demain tous journalistes ?, benoit-raphael.blogspot.com

F. PISANI, Transnet, pisani.blog.lemonde.fr

C. SHIRKY, Clay Shirky’s writings about the Internet, shirky.com

SNJ, snj.fr

PROGRAMMES RADIO

F. MARTEL, « Les sites Internet des grands journaux », Masse Critique, France Culture, 28/02/09

C. BROUE & T. BAUMGARTNER, « La PQR et le Web », Place de la toile, France Culture, 10/04/09

Page 79: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

79

LEXIQUE DU VOCABULAIRE TECHNIQUE

1. Agrégateur de contenu : logiciel ou module Web permettant de rassembler des

informations publiées sur différents sites Web (par exemple Google News).

2. API (Application Program Interface) : interface de programmation d’application qui

permet aux développeurs de sites Web de publier sur leurs pages une partie d’un autre site.

3. Blog : site Web constitué de billets agglomérés au fil du temps, permettant à un blogueur

de publier des informations ou de commenter l’actualité, à l’image d’un journal intime.

4. Carte 3G : troisième génération de téléphones mobiles permettant une connexion plus

rapide à Internet.

5. Chat : toute application qui permet à des internautes de dialoguer en direct.

6. Desk : salle de rédaction des équipes Web des titres de presse.

7. E-reader : appareil de lecture portable, muni d’un écran, qui permet d’enregistrer et de

lire des publications en ligne disponibles par téléchargement (par exemple les e-books, les

Kindles)

8. Forum : espace de discussion sur Internet fonctionnant comme une boîte aux lettres

publique, dans laquelle tous les internautes peuvent consulter ou poster des messages.

9. Flux RSS : fichier texte qui contient les titres des derniers articles mis en ligne par un site

Web ainsi que les liens vers ceux-ci. Le contenu de ce fichier texte se génère

automatiquement avec en fonction des modifications du site. Lu par un agrégateur RSS, un

flux RSS permet d’être informé dès qu’un site a été mis à jour.

10. Géolocalisation : procédé technique par lequel il est possible de localiser

géographiquement l’utilisateur d’un téléphone portable ou les visiteurs d’un site Web.

11. Modération : action d’accepter ou refuser la publication d'une information déposée par un

internaute sur un site Web, selon qu’elle respecte ou non la charte déontologique du site.

12. Moteur de recherche : logiciel permettant de trouver des ressources (Page Web, forums,

images, vidéos, etc.) associées à des mots-clés. Un site dont le moteur de recherche est la

principale fonctionnalité est lui-même appelé « moteur de recherche » (par exemple Google).

Page 80: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

80

13. Newsletter : lettre d’information électronique transmise de façon régulière par e-mail à

des abonnés

14. PDA (Personal Digital Assistant) : ordinateur de poche.

15. PDF (Portable Document Format) : langage de description de pages créé par Adobe

Systems dont la spécificité est de préserver la mise en forme.

16. Peer to Peer (PtoP) : mode d’échange de fichiers entre internautes connectés à Internet.

Les fichiers échangés sont stockés sur les ordinateurs individuels et non pas sur un serveur.

17. Podcast : moyen de diffuser des fichiers sur Internet par abonnement aux flux RSS. Le

podcasting permet aux internautes de télécharger automatiquement des émissions audio ou

vidéo.

18. Portail : site Web qui offre une porte d’entrée sur de nombreux services en ligne.

19. PQN /PQR : Presse Quotidienne Nationale / Presse Quotidienne Régionale.

20. Pure player : une entreprise dont l’activité se déroule uniquement sur Internet.

21. Référencement : ensemble de techniques pour optimiser la visibilité d’un site Web dans

les différents outils de recherche disponibles sur Internet –annuaires, moteurs de recherche-.

Par vulgarisation, le référencement désigne l’action d’inscrire un site Web dans les moteurs

de recherche un site Web.

22. Réseautage social / réseaux sociaux / sites communautaires : application qui relie des

personnes entre elles sur Internet en fonction de leurs centres d’intérêt (par exemple,

Facebook).

23. Smartphone : téléphone doté d’un système d’exploitation sophistiqué, d’une connexion à

Internet et d’un écran permettant une consultation confortable de contenus multimédias.

24. Storytelling : art de mettre en fiction la réalité, outils et méthodes pour gérer les récits.

25. Streaming : mode de transmission de données audio et vidéo en flux continu sur Internet.

L’internaute peut lire les données transmises dès que l’internaute sollicite le fichier plutôt

qu’après téléchargement complet de la vidéo ou du son.

26. Web 2.0 : évolution du World Wide Web permettant aux internautes d’interagir avec le

contenu des pages ou entre eux.

27. Webzine : revue éditée uniquement sur Internet.

Page 81: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

81

INDEX

accord, 23, 46, 64, 68

acteurs, 2, 4, 11, 12, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 24, 25, 26, 29, 30, 33, 35, 44, 45, 46, 47, 48, 52, 54, 55, 59, 60, 61, 63, 64, 65, 66, 69, 70, 74, 77

agrégateurs de contenu, 38, 42, 45

alertes, 49, 55

Amazone, 32

annonceurs, 3, 28, 34, 39, 40, 41, 59, 70

appropriation, 3, 14, 17, 19, 20, 46, 47, 73, 74

archives, 37, 38

audience, 3, 8, 27, 29, 31, 33, 35, 37, 38, 39, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 55, 57, 58, 70, 71, 76

aufeminin.com, 45

blogs, 3, 10, 11, 38, 41, 45, 49, 51, 53, 54, 55, 62, 69

blogueurs, 38, 54

cadre théorique, 13, 20

cannibalisation, 35

capitalisme de l’innovation intensive, 16, 21, 68, 69

chaîne de valeur, 71

changement organisationnel, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 20, 60, 76

changement prescrit, 14, 21

changement réel, 14, 20, 21

Christian Philibert, 23, 45, 55, 58, 60, 63

communication, 3, 10, 17, 40, 55, 58, 64, 77

compétences-cœur, 5, 61

compétitivité, 5, 13, 69

complémentarité, 3, 51

concurrence, 2, 3, 4, 16, 21, 26, 28, 34, 35, 37, 40, 44, 45, 46, 47, 48, 69

créativité organisationnelle, 13, 14, 18, 19, 21, 34, 60, 74

crise, 2, 4, 26, 27, 28, 29, 34, 37, 40, 67, 70

Daily Telegraph, 64

DDM, 30, 77

démonétisation, 33, 35

dénaturation, 14, 19

Denis Carreaux, 52

desk, 5, 58, 64

développement numérique, 48, 60

diffusion, 11, 17, 27, 28, 29, 30, 32, 33, 36, 44, 47, 57, 69, 70, 71, 73, 77

diversification, 4, 8, 39, 43, 44, 48

droits d’auteur, 5, 25, 51, 66, 67, 68, 69

Durand, 13, 19

El Pais, 37

équipe Web, 2, 4, 25, 53, 63, 64, 65, 66, 69

e-reader, 31, 32, 52, 67

Eric Bullet, 23

Facebook, 54, 56

Filloux, 41

flux, 3, 31, 33, 42, 47, 48, 49, 55, 57, 62, 70, 72, 73, 79, 80

formation, 4, 5, 16, 17, 21, 24, 25, 26, 34, 48, 63, 66, 69, 76

fréquentation, 58

Giazzi, 10

Godé-Sanchez, 17, 18, 19

Google, 32, 33, 45, 46, 47, 50, 58, 59, 71

groupe de presse, 42, 50

Hatchuel, 14, 15, 16, 23, 26, 69

hébergeur, 4, 61, 70

hiérarchisation de l’information, 4, 48, 62

Honoré, 9, 17, 18, 19

identité floue, 13, 15, 16, 20, 21, 34, 55

identité professionnelle, 18, 19, 20, 23, 24, 74

innovation organisationnelle, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 20, 21

Isabelle André, 23, 40, 58

Jean Damien Fresneau, 23, 54, 62

Jeanot, 14, 18, 19

journalisme de lien, 47, 71

Le Figaro, 4, 8, 12, 23, 26, 32, 42, 43, 44, 46, 65, 71

Le Masson, 14, 15, 16, 19, 20, 21, 23, 26, 34, 69, 75

Le Monde, 8, 12, 26, 35, 37, 46, 65

Le Parisien, 8, 12, 23, 26, 29, 30, 37

leadership, 5, 66

lecteurs, 3, 4, 27, 28, 29, 30, 32, 34, 35, 36, 40, 42, 45, 46, 47, 51, 53, 54, 57, 59, 62, 70, 72, 73

lefigaro.fr, 11, 31, 37, 43, 47, 53, 54

lemonde.fr, 31, 47, 78

Libération, 8, 12, 23, 26, 29, 35, 44, 46, 50, 65

liberation.fr, 23, 31, 37, 42, 49, 53, 54, 65

local, 63

loi Création et Internet, 5

Luc de Barochez, 23, 26, 53

Ludovic Blécher, 23, 49, 65

marketing, 4, 5, 9, 11, 23, 28, 36, 57, 74

Maxime, 32

métier, 17, 18, 21, 50, 51, 62, 66, 71, 74, 76

mix-média, 35

modèle d’action, 8, 15, 16, 20, 23, 26, 27, 34, 57, 64, 69, 70, 75

Page 82: Mémoire mutations des entreprises de presse liées au développement de leurs activités numériques Caroline Goulard

82

moteur de recherche, 46, 47, 58, 79

multimédia, 3, 44, 49, 52, 55, 57, 59, 64, 69

Narvic, 11

négociations, 59

Ouest-France, 3, 4, 8, 12, 23, 26, 27, 35, 42, 44, 45, 46, 49, 52, 54, 55, 56, 58, 59, 60, 63, 64

ouest-france.fr, 23, 37, 38, 44, 59, 64

partenariat, 11, 43, 46, 53, 55, 56

PDF, 16, 38, 39, 80

philosophie gestionnaire, 4, 57, 69

pluri-formats, 73

pluri-supports, 70

portail, 3, 43, 52, 55

Poulet, 11, 27

Presse-Océan, 23, 35, 54

produits-cœur, 2, 48, 57, 60

pure player, 2, 37, 38, 41, 42, 43, 45, 53, 59, 60, 69, 74

réception, 16, 17, 18, 19, 20

rédaction pluri-média, 15, 23, 60, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 74

référencement, 45, 48, 58, 80

réseautage social, 54, 56

réseaux sociaux, 38, 41, 47, 50, 54, 56

ressources publicitaires, 2, 3, 34, 37, 40, 41, 46, 74

révolution numérique, 4, 10, 26, 30, 31, 33, 45

RSS, 31, 33, 42, 47, 55, 56, 62, 79, 80

services pratiques, 3

situation d’emploi, 24

situation de travail, 20, 21, 24, 25, 62, 74

smartphone, 67

SNJ, 5, 67

statut socio-professionnel, 51, 62

structures organisationnelles, 2, 5, 60, 63, 68

syndicat, 5, 66, 67

système éditorial, 25

téléphonie mobile, 2, 10, 28

Tessier, 10, 32, 34, 39, 53, 68

Valeyre, 14, 18, 19

Web TV, 69

Weil, 14, 15, 16, 23, 26, 69

Yahoo, 32, 33, 45, 46, 59

Zarifian, 14, 18, 19