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L'ANALYSE CLINIQAE D',UNE GESTION PAR Paul MAYER Chargé de recherches ou C.JV.R.S. Les sociologues des organisations, les théoriciens des organisations en général ont montré les limites de la rationalité administrative, dans toutes les formes instituées d'entreprises collectives productrices de biens ou de services (administration publique, entreprises privées, associations, etc.). Rationalité limitée pour de multiples raisons techniques, touchant au manque de temps, au caractère insatisfaisant de I'information... ou par le manque de motivations des individus I ; rationalité limitée par les stra- tégies des hommes sur les systèmesd'action 2. Leurs sentiments et attitudes à l'égard de leurs partenaires de travail apparaissent alors comme signifi- catifs de ces stratégies dans un < jeu > de relation guand elles ne renvoient pas à des valeurs propres aux origines ou appaltenances sociales ou culturelles de chacun d'entre eux 3. Je voudrais montrer ici les limites d'un tel modèle à loaide doun cas de clinique institutionnelle. On y voit des agents institutionnels divisés par une gestion guoils vont jusqu'à soutenir à I'occasion en dépit d'eux- mêmes, plus précisément d'une part d'eux-mêmes inconsciente dans la quotidienneté des relations de travail. Cette part d'eux.mêmes est sacrifiée à I'entreprise. Elle n'est pas pour autant annulée. Elle est littéralement mauditeo envoyée au diable, attribuée par erreur à un bouc émissaire qui est celui-là même gui pourrait lui donner droit de cité. Cette attitude n'est rationnelle ni par rapport aux buts de I'entrepriseo l. J.C. March et H.A. Simon, Les organisations, Dunod, Paris, 1971. 2. M. Crozier, E. Friedberg, -L'Acteur et le Système, Le'Seuil,'Paris, 1977. 3, L'Acteur et Ie Système, op, cité, notamment Annexe, Section 2.

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  • L'ANALYSE CLINIQAE D',UNE GESTION

    PAR

    Paul MAYER

    Charg de recherches ou C.JV.R.S.

    Les sociologues des organisations, les thoriciens des organisations engnral ont montr les limites de la rationalit administrative, dans toutesles formes institues d'entreprises collectives productrices de biens ou deservices (administration publique, entreprises prives, associations, etc.).Rationalit limite pour de multiples raisons techniques, touchant aumanque de temps, au caractre insatisfaisant de I'information... ou parle manque de motivations des individus I ; rationalit limite par les stra-tgies des hommes sur les systmes d'action 2. Leurs sentiments et attitudes l'gard de leurs partenaires de travail apparaissent alors comme signifi-catifs de ces stratgies dans un < jeu > de relation guand elles ne renvoientpas des valeurs propres aux origines ou appaltenances sociales ouculturelles de chacun d'entre eux 3.

    Je voudrais montrer ici les limites d'un tel modle loaide doun casde clinique institutionnelle. On y voit des agents institutionnels divisspar une gestion guoils vont jusqu' soutenir I'occasion en dpit d'eux-mmes, plus prcisment d'une part d'eux-mmes inconsciente dans laquotidiennet des relations de travail. Cette part d'eux.mmes est sacrifie I'entreprise. Elle n'est pas pour autant annule. Elle est littralementmauditeo envoye au diable, attribue par erreur un bouc missaire quiest celui-l mme gui pourrait lui donner droit de cit.

    Cette attitude n'est rationnelle ni par rapport aux buts de I'entrepriseo

    l. J.C. March et H.A. Simon, Les organisations, Dunod, Paris, 1971.2. M. Crozier, E. Friedberg,

    -L'Acteur et le Systme, Le'Seuil,'Paris, 1977.

    3, L'Acteur et Ie Systme, op, cit, notamment Annexe, Section 2.

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    ni par rapport aux stratgies d'action de I'acteur institutionnel. Elle relved'une autre logique, celle d'une inconscience. Elle ne peut tre considrecomme le prix automatique payer pour participer au systme d'action 4.

    Elle n'est pas rductible l'conomie d'une vie psychigue qui utiliseraitles relations de travail pour grer ses conflits internes s. Elle doit tremise en rapport dans une optique psycho-sociale largie d'une part auxinstitutions concernes et non plus seulement au systme d'action, etdoautre part la gestion de I'un et de I'autre par les agents institutionnels.Par ce terme de gestion nous voulons indiguer non seulement l'expditiondes affaires courantes et les dcisions plus exceptionnelles les concernant,mais galement leur prise en charge et leur assomption par chaque sujet,par des actes valuer dans le champ, non seulement des pratiques maisgalement du langage. Car ce dont il va tre question c'est d'une crisedes premires qui est en mme temps une crise du second, une crisede la communication, une crise de I'univers symbolique propre untablissement d'une entreprise.

    Je tire mon propos d'une rflexion sur les facteurs humains de lascurit dans une grande entreprise ayant des activits nuclaires. Cetterflexion a t mene sa demande partir de I'exprience des technicienset ingnieurs confronts aux risgues. Elle a conduit mettre en place undispositif poussant ou renouvelant la rflexion par les personnes elles-mmes sur leurs lieux de travail. Cette rflexion a port de faon privi.lgie sur Ia gestion de la scurit des personnes et de la sret desinstallations dans un tablissement. Celui-ci comprend des activits derecherche appligue, de mise au point de procds, de fabrication en petitessries, principalement mais non exclusivement dans le domaine nuclaire.

    - Cette installation est considre comme un des points noirs del'entreprise.

    - Syndicats et experts en scurit de loentreprise soaccordent pourconsidrer que l'tablissement a de trs mauvais rsultats en matire descurit: les agents les plus irradis de I'entreprise se trouvent dansI'installation ; les incidents et accidents sont particulirement frquents.

    - Ces mauvais rsultats sont cependant relativiss par la Directionde I'installation et les chefs de service qui se veulent rassurants. Ils fontremarquer que loinstallation a mis au point des procds nouvearDc dansdes conditions difficiles et gu'il a fallu payer les pots casss. En effetles conditions de travail sont mauvaises, le btiment est vtuste. fl noa past conu pour les installations actuelles. Le manque de place est frguent.Il arrive que deux quipes travaillent dans le mme laboratoire. Desnormes de scurit propres ce type d'installations ne peuvent pas trerespectes. Au demeurant, la plupart des incidents n'auraient pas port consquence: c'taient de fausses alertes dues des appareils de mesure

    4. L'Acteur et le Systme, op. cit.5. Eliot Jacques, a Des. systmes sociaux comme dfenses contre I'anxit

    dpressive et I'anxit de perscution. Contribution l'tude psychanalytique desprcessus sociaux p, in A. Lew, Psychologie sociale 2, Dunod, Pahs, 1%8-.

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    rgls de faon draconienne qui signalaient des incidents qui n'en taientpas. L'installation fait ce que personne ne veut ou ne peut faire et lesrsultats de scurit sont somme toute honorables mme si on peut lesamliorer.

    - Cependant, lorsque je pntre plus avant dans I'installation, jedcouvre un climat inquitant de crise larve. Dans l'tablissement lesincidents sont frquents et I'ambiance reste tendue longtemps aprs lesincidents ; on parle d'un sentiment diffus de culpabilit qui persiste.On note un repli sur soi trs margu I'intrieur di petits groupes qui,suivant les cas, sont circonscrits la communaut de travail d'un labora.toire ou un service regroupant plusieurs laboratoires; une grosseagressivit est alors tourne vers I'extrieur et les dialogues de sourdssont frquents. Il en rsulte un climat de relative inscurit car unebonne ambiance de travail est un facteur de scurit d'autant plus que,icio le travail en gnral ncessite coordination troite des activits etcoopration des comptences. Dans I'installation on remarque en effet gueles incidents les plus frquents ont lieu lors d'oprations mettant en jeudes mem-bres de plusieurs quipes.

    Bien que cela n'tait pas perceptible d'emble, une fois familiarisavec I'installation on sent parfois une peur relleo souvent exprime.Ce n'est pas tant la peur de I'accident qui s'exprime comme telle. Certesles techniciens d.isent leur peur de recevoir des irradiations trs focalisesqui chapperaient I'enregistrement de I'appareil de mesure. Mais ce quisoexprime surtout coest la crainte justifie des oprateurs d'tre rendusresponsables des incidents et accidents : ( les rglements r>o disent-ilso(( a ne sert rien si ce n'est I'ingnieur de scurit de se dchargerde sa responsabilit sur nous > ; la peur de I'attentat chez le responsablede I'installation; la peur de loincendie couante chez les ingnieurs.On sent, par ailleurs, sourdre de l'angoisse : < l'infirrnerie, on nouscache quelque chose r> i K rnes enfants sont comme les autres, c'est d,eshistoires ce que l'on raconte sur les petites d,oses >. On constate uneinhibition trs grande aller consulter son dossier mdical. Enfin, desrumeurs trs alarmantes, si elles taient fondeso courent et dans lesentretiens il est fait tat de naissances qui, si elles taient avresodevraient tre prises trs au srieux. Pour finir il faut parler d'une peur,dont on parle moins souvent, c'est celle d'instances de scurit extrieures intervenir dans l'tablissement. De cette peur, il a t, deux reprisesoquestion.

    Est-ce dire que les techniciens et ingnieurs confronts aux risquesont peur de leur travail ? Il faut rpondre non cette guestion. Ceux quiont peur ne restent pas dans les < labos ehauds >. Ce qu'on peut remarquer,c'est que le plus souvent, I'objet de la peur est du ressort d'autrui, ou bienc'est d'une instance non individualisable. Prenons le cas de I'angoissedevant les consquences des faibles doses. Elle est lie une crise deconfiance plus gnrale dans I'installation en l'infirmerie et en la mdecinedu travail. Et il en est de mme en ce qui concerne la peur dotre rendu

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    responsable des incidents. Elle manifeste l aussi une crise de confiancedans la gestion de la scurit de I'installation, et une crise des relationsde travail qui concourent la scurit. C'est ce que nous allons examineren dtail maintenant.

    - Chacun se renaoie Ia balle de la responsabilit d.es mauuais rsultatsile scurit.' la direction voque les accidents en termes de ngligencede manipulations faites par les oprateurs ; les syndicalistes et les techni-ciens mettent en avant les mauvaises conditions de travail et I'inadaptationdu btiment; les ingnieurs responsables de laboratoires font tat descontraintes financires et des dlais qui empchent de faire de la scurit.

    - Cependant tout le mondn tombe d,'accord, pour m,ettre en causel'ingnieur de scurit qui fait l'unanimit contre lui et lait ligure debouc rnissaire. . Les techniciens lui reprochent de venir trop rarement dans leslaboratoires, de n'tre jamais l lorsqu'il y a un ppin, de se dfaussersur eux de ses responsabilits : < .Les rglements de scurit >, disent-ils,>.

    Retenez que, sauf en ce qui concerne la direction, la mise en causede I'ingnieur de scurit va de pair avec celle des rglements de scurit,et des procdures grant la scurit. Cette mise en cause est vhmente.Les agents y tiennent au point de se mprendre sur les faits, perdantcapacits de perception et de rflexion. L'ingnieur de scurit du complexed'installation dans lequel se trouve l'tablissement, qui rappelle dans unecirculaire trs sche I'ordre d'un rglement de scurito est confonduavec l?ingnieur de scurit de l'tablissement. Dans une autre note deservice, un responsable d'un service croit lire qu'on le rend responsabledoun accident alors qu'il est simplement indiqu qu'il est le responsabledu service o a eu lieu I'accident. Des techniciens accusent le service rivalqui partage un mme laboratoire avec eux-mmes ; il leur aurait envoy,aprs un incident, les rgles-constructeur du matriel utilis sans autreforme de procs. Vrification faite, il s'agissait non pas de ce service maisdu service propritaire du matriel. A chaque fois la personne est furieuseet le groupe mani.feste son adhsion en s'identifiant cette raction eten renchrissant.

    On assiste ainsi une crise de la communication en ce qui concernela gestion de la scurit, une perte du sens des ralits et unereconstitution dlirante de celle-ci, au moins par moments. Une opinionpervertie jusqu'au dlire se constitue, plus forte que les faits. En effet,on a vu que pour les oprateurs et il en est de mme pour I'encadrement

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    de baseo qui lui reproche de lui avoir refus des investissements de scuritpourtant jugs indispensableso I'ingnieur de scurit serait responsablede la sret des installations et de la protection des personnes. Or il noen estrien. Qui est responsable de la scurit dans I'installation ? De faonschmatique, on peut dire gue I'institution de la scurit constitue commeresponsables les directions oprationnelles et la hirarchie subalterne pardlgation jusqu'aux oprateurs. Ces dlgations de responsabilits sontcirconscrites et limites par des rglements. Les oprateurs sont tenusde respecter les rglements de manipulation, les directions les normes descurit des installations, etc. Et en cas de litige judiciaire aprs un acci-dent, les rglements d'entreprise constituent un lment d'apprciationdes responsabilits. Par contreo loingnieur de scurit n'est pas respon.sable de la scurit. Il est conseil pour la scurit et adjoint la directionde I'installation. A ce titre, il doit libeller les rglements spcifiques I'installation.

    La peur manifeste donc une crise dans le registre symbolique, unecrise de la socialit dans loinstallation, et comme on va le voir, une crisede I'ordre symbolique institu pour la scurit. On retrouve donc lesrsultats des travaux sur le sentiment d'inscurit. Mais - et ce n'est pasun paradoxe - ls slise symbolique laisse la place un irnaginaire dlirantnon pas sur l'inscurit mais sur la gestion. De guelle vrit subjectivece dlire est donc porteur ? Qu'est-ce qui se joue dans ces mprises ?Pourquoi I'ingnieur de scurit et les rglements de scurit prennentune valeur motionnelle et institutionnelle si disproportionnes ? Pourguoiles agents tiennent sa mise en cause en dpit des faits ? De quelleinconscience cette vhmence se nourrit-elle ?

    Nous nous plagons donc dans le cadre d'hypothses freudiennes. Maisnous n'allons pas pour autant faire de la psychanalyse applique. En effetce qui est tout de suite sensible des oreilles de psychanalystes, coest que,contrairement ce quoi on pourrait s'attendre dans ce contexte o onverrait bien l'ingnieur de scurit comme un personnage respecto c'estle contraire qui arrive. On lui en veut car il reprsente inconsciemmentodes menaces de dgradation physigue, les dangers. Certeso mais nous avonsconstat que la peur du danger tait pour le moins neutralise, sans doutepar la matrise technique.

    On pourrait faire remarquer que dans le contexte de loinstallationotre en position de conseil n'est pas une position populaire auprs de ceuxqui sont quotidiennement soumis aux dangers ; mais ces explications nerendent pas compte du caractre unanimement ngatif des avis sur I'ing-nieur de scurit que I'on trouve aussi bien chez les techniciens que chezle directeur et I'encadrement. Elles ne rendent pas plus compte de I'identi-fication irruptive 6 des partenaires de travail aux mprises de I'un d'entre

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    _ 6, It s'agit ici d'une identification par le symptme au sens de Freud dansPcychologie-collective et analyse du mi. Cf. P. Myer, * Bouc missaire : trans-fert et in-stitution >, in L'Etrahger, n" 2, crise reprsnttion, Collectif vnementspsychanalyse. Actei de la Rpliqu, Lyoir, 1984.

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    eux. On assiste? en effet, un vcu collectif comme si les agents perdaientleur personnalit propre au profit d'un mme corps collectif de vcucomme dans un mouvement de foule. Elles ne rendent pas non pluscompte du fait que ces ractions ont lieu prcisment lorsgu'il est questionaussi bien de I'ingnieur de scurit gue des rglements de scurit et nonpas lorsqu'il est question plus gnralement des problmes de scurit.Ce qui apparat alors avec cette distinction, c'est que ces ractions mettenten cause des institutions de scurit : ingnieurs de scurit, rglementsde scurit, instances extrieures loinstallation, spcialistes de scurit.

    Notre thse consiste soutenir que ces ractions de masse doivent treconsidres comme un symptme de ces institutions 7 ou de leur gestionpour cette installation. Elles sont porteuses doune vrit inaudible ou pourle moins drangeante dans I'univers relationnel de I'installation. Coest laraison pour laquelle nous avons propos de considrer ces ractions comneIes aoatars d,'une prise erl rnasse d.e l'institution 8 dans une filiation freu-dienne d'analyse des phnomnes de foule, car il s'agit bien ici de phno'mnes de foule, bien qu'on se situe au c@ur d'une organisation. Unepsychologie vritablement analytique nous renvoie ici aux conditionsconcrtes institues pour la scurit et leur gestion. Analytique, nonseulement au sens chimique du terme, mais aussi au sens tymologique, savoir dliante et susceptible de dissoudre le symptme en le rduisant ses tenants et donnant ainsi aux acteurs de l'installation une capacitet une libert nouvelle d'action. Nous allons montrer maintenant que cesractions constituent la crise d'une gestion.

    Revenons la mise en cause de I'ingnieur de scurit. Certes celui'cinoest pas blanc cotr.-e neige et semble-t-il noest pas exempt de brusqueset maladroits rappels I'ordre du rglement. Mais pourquoi lui en remettresur le dos plus qu'il noen fait ?

    Dans l'installation, on dcouvre quoen matire de scurit la dfaussede responsabilit est la rgle. La hirarchie sauf exception ne demandepas de compte, ou pas de compte suffisamment prciso sur la scurit,ou secondairement bien aprs les rsultats scientifiques. Ce qui est rcusdans la mconnaissance, par la mise en cause de I'ingnieur de scuritet des rglements c'est cette part de responsabilit non assume Par ceuxqui portent ces accusations. Et dvaloriser tous les rglements est qui'valent dans la logique de cette inconscience discrditer toute ide deresponsabilit personnelle gue les textes instituent. Cette projection desresponsabilits sur I'ingnieur de scurit est possible dans la mesure ornon seulement la direction ne rappelle pas quelles sont les responsabilits

    7. Le symptme hystrique est aussi le symptme de I'institution, cf. c Boucmissaire: transfert et institution ", op. cit.8, Ce u Bouc missaire : transfrt et institution ", op. cit, et P.

    Mayer, ( Uncas clinique d'vitement institutionnel r, Colloque Champs social et inconscient,C.N.R.S., 1983.

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    des uns et des autres dans le maintien de la scurito mais, en plus, donneraison ses ingnieurs contre I'ingnieur de scurit. Actes de gestionqui laissent libre cours au dveloppement de la fiction d'un ingnieurde scurit responsable de la scurit et ces projections.

    Ce qui se joue galement dans sa mise en cause est pour d'autres lerefoulemento dans le cadre des relations de travail, des confitions danslesguelles la scurit est gre. On I'a vu, les techniciens reprochent I'ingnieur de scurit de n'tre pas venu assez souvent dans les labora-toires. Ils

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    dlirante des instances extrieures vient rcuser cette ralit non assume.Il faut dire que ce dispositif fonctionne ailleurs dans d'autres installa-tions de loentreprise. Dans I'installation donc on ne le critique pas, onl'vite, on le tourne et cet vitement est maquill par la mise en scned'un ingnieur de scurit responsable de la scurit. Cette gestionconstitue une crise larve qui clate en crise ouverte lorsque des instancesextrieures I'installation interviennent ou lorsqu'un rglement est utilispour accuser autrui. Ce gui apparat dans ce contexte comme une provo-cation et un acte de dvoiement des institutions de scurit.

    Il rsulte directement de cette gestion des communauts de travaildsocialises qui rigent des cloisonnements psychiques avec les instancesde scurit externes l'installationo et entre elles-mmes. Notarnmententre ceux qui participent aux conseils de l'tablissement (directiono enca-drement) et ceux qui n'y participent pas (techniciens, ingnieurs respon-sables d'quipes). Le repli sur soi que nous avons not en est unemanifestation. Cette gestion favorise un systme de concertation et doactionsans le concours de I'ingnieur de scurit et des instances extrieures loinstallation. Coest ce qu'on constate en gnral : les ingnieurs neprennent pas I'avis de l'ingnieur de scurit pour des oprations sortantde I'ordinaire qui leur incombent tel ou tel niveau hirarchique enfonction de leur montant budgtaire. Loavis de loingnieur de scurit etdes instances externes pourrait retarder, compliquer ou rendre pluscoteuse financirement I'opration, par la mise en place de prcautionssupplmentaires, elle aurait galernent pour consquences de visibiliserles responsabilits. Il en rsulte une dgradation de l'atmosphre detravail, un climat de mfiance, une crise de la communication ; donc unedtrioration des conditions de travail et partant de la scurit, les agentsperdant petit petit conscience des repres institus pour la gestion dela scurit.

    Dans ces confitions ce qui peut faire ici, ce qui peut ordonner - auxdeux sens du terme - la gestion de la scurit, ce ne sont pas les institutionsprvues cet effeto mais les initiatives individuelles qui se laissent entra-ner par la pression des enjeux conomiques, industriels, militaires ouscientifiques, par l'urgence ou I'arbitraire du moment. Pour les techniciensen particulier, ce qui fait acte de gestion de la scurit, ce n'est pas lagestiou effective de la scurit qui, malgr tout, est assume individuelle-ment au niveau de l'encadrement des chelons hirarchiques varis sui-vant les cas, mais I'entretien plus ou moins conscient d'une mise en scnedralisante de cette gestion o les instances de scurit extrieures sontdisqualifies et I'ingnieur de scurito en fait court-circuito apparatcomme le malin gnie de la gestion de la scurit. Si la direction etloencadrement suprieur en sont les metteurs en scne, I'encadrementimmdiat et les techniciens s'en rendent complices en chargeant I'ingnieurde scurit.

    En effeto dans la mesure o Ia direction vite de rappeler le peu detemps dont dispose I'ingnieur de scurit dont elle a circonscrit les tches

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    la gestion des matires fissileso les oprateurs peuvent se laisser pigerpar les apparences et reprocher I'ingnieur de scurit de ne pas tresuffisamment prsent. Dans la mesure o I'ingnieur de scurit estcourt-circuit, il peut apparatre comme le seul de lascurit sur la scne de sa gestion dans l'tablissement. Les oprateurs etles ingnieurs y sont par moment alins au point d'entretenir cette miseen scne par le reproche et les accusations errones envers loingnieurde scurit. Comme Ia direction et la hirarchie ne rappellent pas guellessont les responsabilits de chacun et ne demandent pas de comptes suffi-sants sur la gestion de la scurit leurs subordonns, cette mise en scnetient le coup, le plus souvent. L'ingnieur de scurit la cautionne lui-mme : bien que court-circuit il accepte de reprsenter I'installation auComit d'hygine et de Scurit.

    Mais aprs I'incident et loaccident, des instnces de scurit, externes lotablissement ou au groupe de travail, interviennent pour faire leurtravail d'enqute ou pour tenter de dgager leur responsabilit et ce faisantils rappellent la ralit des dispositions rglementaires institues pourgrer la scurit. La mise en scne que les techniciens entretenaient eux.mmes I'occasion, par leurs accusations et leurs reproches, s'effondre,son caractre de simulacre apparat patent, Avec cet effondrement s'effon-drent des dfenses psychiques et leurs rationalisations. Loentretien de cettemise en scne leur apparat comme une trahison de leur dsir d'amlio-ration de la scurit. Ils ont prt main forte une gestion qui loind'ceuvrer dans cette direction leur faisait violence. Ils sont hors d'eux.

    Ce que nous venons de montrer, c'est que I'acteur du systme d'actionn'est pas tout entier dans la stratgie qu'il adopte. Non seulement du faitqu'il a doautres intrts que ses intrts professionnels mais bien galementparce que cette stratgie ne tient pas le coup ou peut ne pas tenir le coupvis--vis de lui-mme dans toutes les circonstances du travail. Et cela dufait mme du maquillage de la gestion effective de la scurit.

    Prenons le cas de techniciens. Par < ralisme > ils sont contraints departiciper au systme d'action qui court-circuite les dispositions de scurit.Mais leur dsir d'amlioration de la scurit reste vivace et fait qu'ilssont assujettis d'une faon ou d'un autre aux dispositions institues pourla scurit et aux relations qui s'ensuivent, qui sont pour eux malgr toutune garantie d'une meilleure scurit. Cet assujettissement provoque chezeux un surinvestissement ractif de leur stratgie dans un forage iden-tificatoire celle-ci. Ils s'y cramponnent en en rajoutant sur le rglementet sur I'ingnieur de scurit. Ils mconnaissent par l leur dsir d'am-lioration de la scurit ainsi sacrifie. Mais cette raction qui a lieu enma ptsence, est l'occasion pour eux de lever cette mconnaissance quiest donc le pendant d'une autre mconnaissance, celle de la gestioneffective de la scurit. Cela a t le cas plusieurs fois.

    Egalement pour I'ingnieur de scurit responsable d'un laboratoiredont j'ai dj parl. C'est un ancien technicien devenu ingnieur aprsune thse remarque. Ses perspectives sont donc diffrentes de celles des

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    techniciens. Si comme eux, il tait la dupe de la comdie que la hirar-chie se joue parfois elle-mme, I'intention des techniciens et ingnieurs,tant il est vrai qu'elle en vient elle aussi perdre par moment la cons-cience de cette gestion, il a en plus des perspectives de carrire et derenouvellement de I'intrt de son travail qui lui conviennent. Sa capacitd'action individuelle sur le systme est suprieure celle des technicienset son dsir doamliorer la scurit est attest par sa participation trsimportante nos entretiens gui s'talaient parfois tout le long d'unejourne de travail. De pluso il a imagin des propositions prcises faitespour amliorer la gestion de la scurit au niveau de I'entreprise elle-mme. S'il est li par la ncessit du partage des comptences sessuprieurs hirarchiques immdiatso il les a dpasss sur tel ou tel pointde sa thse. Les liens affectifs qui ont pu ainsi se crer sont contrebalancspar le dveloppement de sa carrire au sein de I'installation. Il peut ainsiapprcier de faon plus nuance la personne gui auparavant occupait sesfonctions. C'est lui qui a reconnu petit petit la difficult de la positioninstitutionnelle de I'ingnieur de scurit. J'ai pu constater qu'aprs uneinspection, il avait d'emble collabor activement avec un spcialiste descurit nomm en renfort auprs de la direction de l'installation.

    A quelles conditions et I'aide de quelles rgles une telle analyseest-elle possible ? Nous ne donnerons ici pour conclure que guelques l-ments. La question est loin d'tre simple dans la mesure o ces rglesdoivent tre adaptes aux problmes de gestion en cause d'une parto etd'autre parto doit pouvoir saisir et accueillir les qrmptmes de la gestionconsidre. Mais, dans la mesure o cette analyse est indissociable deI'analyse d'identits institutionnelles qui vont dans certains cas jusqu'la constitution de vritables personnalits institutionnelles, elle requiertdes garanties protgeant les personnes. Visibilit des objectifs et rglesde I'intervention, anonymat des personnes, coute sensible aux aspectsde dcompensation pouvant rsulter ventuellement doun tel travail. C'estainsi que le portrait de I'ingnieur 1[ue nous avons rapidement brossrsulte de la composition de plusieurs ingnieurs travaillant dans dessituations institutionnellement comparables. Il faut qo'il y ait une relledemande, une volont et des moyens disponibles de la part des personneset instances responsables en droit et en fait de la gestion des problmesen cause, et que l'intervenant reoive une investiture valable de ceux-ciou de leurs reprsentants, par uu contrat avec I'entreprise.