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1 Fin juin. Le dernier jour de lycée vient juste de se terminer. Depuis deux ou trois jours, les élèves ne travaillaient déjà plus, mais il fallait tout de même faire acte de présence. Au moins, au lycée, ils étaient entre eux pour parler de projets pour l'été. Cette fois, ça-y-est, et la date officielle des vacances d'été est appréciée par tous dans cette petite ville d'une banlieue parisienne. Pourtant, ils sont six de la même classe qui ne se quitteront pas en juillet car dès le lendemain ce sera le départ en colonie de vacances. Cette année sera la dernière colonie qu'ils feront. L'an prochain ce sera terminé. Les trois garçons et les trois filles, car il s'agit d'eux, se sentent proches. Ils ne se considèrent plus comme

Maitresse

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Fin juin. Le dernier jour de lycée vient juste de se terminer. Depuis deux ou trois jours, les élèves ne travaillaient déjà plus, mais il fallait tout de même faire acte de présence. Au moins, au lycée, ils étaient entre eux pour parler de projets pour l'été.

Cette fois, ça-y-est, et la date officielle des vacances d'été est appréciée par tous dans cette petite ville d'une banlieue parisienne.

Pourtant, ils sont six de la même classe qui ne se quitteront pas en juillet car dès le lendemain ce sera le départ en colonie de vacances.

Cette année sera la dernière colonie qu'ils feront. L'an prochain ce sera terminé. Les trois garçons et les trois filles, car il s'agit d'eux, se sentent proches. Ils ne se considèrent plus comme copains de lycée. Non, c'est bien plus simple que cela. Le mot amis convient bien davantage, et c'est tous les six ensemble qu'ils franchissent pour la dernière fois le portail du lycée.

Dès qu'ils se retrouvent dans la rue, Audrey, la plus âgée des filles, elle a quinze ans, comme les trois garçons, questionne.

--Dites, vous croyez que ce sera bien, à la montagne, cette année, notre dernière colo ?

Les trois garçons, Thomas, Vivien et Denis se regardent un peu surpris, ils ne s'étaient pas posé la question

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puisque de toute façon tous les six seraient encore ensemble une fois de plus. Denis répond tout de même ce qu'il pense.

--Nous n'aurons pas la mer, c'est certain, mais pour une dernière fois, autant voir ce que ça donne dans les Alpes.

Audrey reprend alors.--En somme, aucun de nous ne s'est préoccupé de

savoir si cette dernière fois serait intéressante ou pas.Sabrina, la plus jeune de toute la bande, elle a eu ses

quatorze ans au cours du mois de mai, rejette en arrière sa longue chevelure noire avant de dire.

--Si Audrey, mais à l'époque où j'avais soulevé le problème, votre réponse à tous les cinq avait été : nous n'y sommes pas encore, on verra bien pour s'arranger comme les autres fois. Et le problème en question était que le chalet des filles serait loin du chalet des garçons. Maintenant, il est un peu tard pour trouver une solution. D'habitude, nous partions avec des moniteurs que nous connaissions et qui nous faisaient confiance, cette fois, ce sera du nouveau pour tout le monde.

Marion, quatorze ans et demi, des yeux bleus, l'air un peu délurée, et des cheveux châtains coupés courts, indique alors pour rassurer son amie.

--D'après papa nous serons trente. Il y aura cinq chalets pour nous tous et un pour les moniteurs. Tu penses bien, Sabrina, qu'avant d'accepter, je me suis « rencardée » d'abord.

Thomas conseille.--Marion, là-bas, évite de parler argot. Il est

préférable de ne pas nous faire remarquer dès le début.Vivien attaque.--Le principal n'est pas la façon de parler de Marion,

après tout, c'est sa manière et personne n'y changera rien. Non, moi, je crains un peu comme Sabrina que vous trois et nous trois, nous soyons dans des chalets vraiment distants l'un de l'autre, car nous serons de toute façon dans deux chalets. La mixité, ça m'étonnerait que les moniteurs soient pour. Ce que je crains le plus, c'est que ça ne marche pas comme nous le pensions.

Audrey fait savoir.

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--Vivien, toi et moi, on ira voir le chef du camp. Je crois, moi, qu'en « jouant bien », contrairement à ton pessimisme, on peut essayer d'occuper tous les six un seul chalet.

Marion reconnaît.--Ce serait l'idéal pour nous, mais, moi, j'ai des doutes

quant à la réponse qui vous sera donnée, et pourtant, avec nous six, ils seraient tranquilles. Et puis, les lycées sont bien mixtes. Audrey, il faudra appuyer là-dessus.

Les cinq autres sont du même avis. Thomas tranche.--On verra bien demain soir. Vivien et moi sommes

presque arrivés chez nous et je n'ai pas encore terminé mon bagage.

Effectivement, les deux garçons habitent dans le même immeuble et, avant de rentrer, font, comme chaque jour depuis des années à présent, la bise aux trois filles avant de les quitter. Denis sera le dernier à arriver chez lui mais il n'en a quand même pas pour beaucoup de temps.

Thomas, une fois chez lui, regarde de nouveau la liste qu'il avait faite depuis quelques jours. Il a barré certaines choses. Cela signifie qu'elles sont déjà dans la valise. Il lui faut peu de temps pour que ce qui manquait à son avis, s'y trouve également. Au fond du bagage, il a caché une hachette qu'il emmène chaque année. Elle ne bougera sans doute pas de la valise, mais c'est ainsi, il l'emmène par habitude et superstition.

Marion, chez ses parents, fait exactement comme les autres, c'est à dire qu'elle regarde si elle n'a rien oublié. Sa mère lui a fait une remarque en voyant deux maillots de bain dans le bagage.

--Tu sais, Marion, cela m'étonnerait que tu t'en serves un jour. La montagne n'a rien à voir avec la mer, et même s'il y a une rivière près du camp, cela me surprendrait que tu te baignes car l'eau sera très froide.

--Tu as sans doute raison, maman, mais les slips sèchent plus vite que mes culottes de tous les jours, et puis ce sera pratique si Audrey, Sabrina et moi voulons bronzer avec Denis Thomas et Vivien.

--D'accord, fais comme tu veux.La fille indique.--C'est bien ce que je comptais faire, maman

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--Chérie, là-bas, ne réponds pas de la sorte, tu ne seras plus avec nous mais avec des moniteurs.

--C'est pas ma première colo. Je ne vois pas pourquoi je changerais mes habitudes.

Son père lui fait savoir.--Tu es une drôle de tête de mule, toi !--Faut croire que je tiens de l'un de vous deux, sinon, il y

aurait un sérieux problème.Sabrina, elle, est un peu nerveuse, tout comme Audrey qui

craint fort que ses amies et elle ne soient trop éloignées du chalet de leurs trois copains.

Les filles passent une mauvaise nuit, ce qui surprend Marion qui confie à ses parents lorsqu'elle prend son petit-déjeuner.

--Je ne sais pas pourquoi, mais je la sens mal, cette colo.Son père explique.--C'est sans doute parce que vous allez avoir des moniteurs

que tu ne connais pas, pas comme les autres années. La fille ne répond pas, mais elle n'est pas convaincue des

paroles de son père. Non, elle ressent autre chose, mais elle ne saurait dire si ce sera bon ou mauvais.

Un peu plus tard, lorsque Sabrina, Marion et Denis arrivent au point de rendez-vous à la gare, c'est pour voir Audrey et Vivien en grande conversation avec l'homme qui paraît être le chef des moniteurs. Vivien s'arrête un instant et lance.

--Denis, Thomas a réservé nos places, allez le rejoindre, on se dira bonjour plus tard.

Les places en question sont vite trouvées, car Thomas faisait de grands gestes à la portière du wagon du train corail. Le garçon déjà présent, aide les deux filles à monter les bagages et, voyant une monitrice, présente.

--Sandra, voici Marion, Sabrina et Denis. Vous autres, voici Sandra. Elle paraît super-sympa.

--Merci, Thomas. Bonjour, vous autres.Le trio nouvellement arrivé tend la main à la jeune

monitrice.Thomas et Denis ont juste le temps de placer les bagages

dans les emplacements au-dessus de leurs sièges avant le retour d'Audrey et Vivien. Ce dernier avoue en embrassant Sabrina et Marion.

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--Je ne savais pas Audrey si tenace. Jacques, le patron des monos a eu beau lui expliquer son point de vue, c'est à dire que la mixité des chalets était impossible, Audrey lui a fait alors une démonstration telle que monsieur Lambert, notre prof de maths en aurait été lui-même soufflé. C'est bien simple, je l'écoutais parler.

Thomas questionne.--Et alors, finalement ?--Nous aurons un chalet pour nous six, nous resterons

entre nous, puisqu'il y a deux chambres de trois lits par chalet.Denis lance à Audrey.--Tu mériterais une double bise, toi.

La fille rétorque en souriant.--Nous deux ça ne marcherait pas, Denis. Attends

d'être sur place pour trouver une fille avec qui tu pourras flirter, car, excuse-moi, mon cher, mais depuis la sixième nous sommes tous les six ensemble, et je sais très bien ce que veut dire de ta part une double bise.

Le train s'ébranle, ce qui met un terme à la conversation entre Audrey et Denis.

Outre Sandra, deux autres monitrices filles sont présentes. Ce sont Valérie et Nicole. Côté hommes, à part Jacques, il y a Gérard et Philippe.

Thomas interroge.--Audrey, comment as-tu réussi pour que nous soyons tous

ensemble dans le même chalet ?--C'est bien simple, je lui ai dit que cela faisait des années

que nous nous connaissions, et que jamais il n'y a eu le moindre problème entre nous. Je lui ai fait remarquer qu'avec nous il aurait un chalet de moins à surveiller, étant donné que nous sommes amis. Je lui ai proposé de nous faire confiance, et s'il voit que ça ne va pas, il pourra nous changer de chalet et que nous ne dirons rien. Il a eu ma parole.

--Il t'a crue !--Oui, Marion, car ce sera ce qui se passera. Lorsque je dis

quelque chose, je ne reviens jamais dessus, tu le sais.--Oui, justement, comment as-tu pu donner ta parole à un

inconnu ?--Je n'avais pas vraiment le choix si nous voulions rester

ensemble. Les garçons auront leur chambre, nous, la nôtre, et

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nous passerons cette dernière colonie en nous amusant même davantage que les autres années, puisque nous devions nous séparer chaque soir. Nous pourrons rester quelques fois à discuter entre nous.

--Rien à dire, c'est bien joué.La réponse de Sabrina fait sourire les trois garçons.Au passage de Sandra, Marion l'interpelle.--Dis, Sandra, comment ça va se passer, là-bas ?--Chaque moniteur sera en charge d'un chalet. Au fait, j'ai

appris que vous aviez réussi à avoir un chalet pour vous six. Audrey, à mon avis, tu es très forte pour avoir fait céder Jacques, d'autant qu'en principe il n'avait pas le droit d'accepter ta proposition.

Vivien blague l'amie dont il est question.--Nous, on lui a toujours dit qu'elle devrait faire des études

de droit pour devenir avocate plus tard.--Audrey, Vivien n'a peut-être pas tort, mais d'ici là il se

passera encore quelques années. En attendant, nous allons tous en colonie de vacances. A tout à l'heure, tous les six.

--A bientôt, Sandra.La suite du voyage se déroule normalement et ils

atteignent le campement de la colonie après avoir pris un autocar qui les attendait à la gare. Le minibus sera à la disposition de la colonie durant tout le séjour de juillet.

Lorsqu'ils remettent les pieds sur terre près des chalets, Marion consulte sa montre. Il va être dix-sept heures.

Les moniteurs commandent.--Faites déjà vos lits. Après, repos une heure, et ensuite

dîner à sept heures. Après dîner, vous irez défaire vos bagages.Jacques ajoute ce que savent déjà les six amis.--Il faut un responsable par chalet et... Oui, Audrey, que

veux-tu dire ?--Excuse-moi, Jacques, nous six, on voudrait bien Sandra

pour notre chalet.La jeune femme est surprise. Thomas supplie.--Sandra, accepte, s'il te plaît.--D'accord, Thomas, mais, pourquoi moi spécialement ?Marion déclare sérieusement.

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--Le coup de foudre, Sandra, ça existe, et, tu vois, Sabrina, Audrey, Thomas, Vivien, Denis et moi sommes tous du même avis, donc tu ne peux pas refuser.

--Je sais aussi être sévère, je vous préviens.Sabrina de dire à son tour.--Pas grave, on fera avec.Les cinq autres explosent de rire. Jacques commente.--Ma chère Sandra, pour ta première colonie, tu as hérité

de drôles de phénomènes, avec ces six là.--Je leur fais confiance.Les adolescents se dispersent dans les chalets une fois que

le moniteur responsable a été désigné pour chaque chalet.Toute la petite équipe de copains se retrouve et les lits des

filles sont rapidement faits, car, Audrey, Marion et Sabrina se mettaient toutes les trois pour faire chaque lit de leur chambre.

En fait, le chalet comporte non seulement deux chambres mais aussi une sorte de salon donnant sur la porte extérieure et une salle de bains ainsi que des toilettes. Dans le salon, se trouvent une table rectangulaire et six chaises.

Sabrina, sortant la dernière de la chambre, s'enquiert auprès de ses deux amies.

--On va voir où en sont les garçons ?Audrey déconseille.--Non, ils pourraient se vexer tous les trois, et puis, on ne

sait jamais, s'ils se changeaient quand nous rentrions, nous aurions l'air fines, nous autres.

Marion inspecte le salon qui comporte une fenêtre du côté opposé de la porte. La fille aux cheveux courts, car ceux d'Audrey tombent jusqu'aux épaules et sont blonds, regarde par la fenêtre qu'elle vient d'ouvrir et commente.

--C'est impressionnant de voir tous ces sapins au-dessus de nous. L'hiver, je ne serais pas à l'aise, ici, moi !

Audrey réplique à son amie de classe.--L'hiver, tout doit être couvert de neige, et je ne sais

même pas s'il serait possible de monter jusqu'ici. En ce qui me concerne, je reconnais que l'éventualité d'un avalanche me ferait peur comme à toi.

--C'est exactement ce que je pensais, à une avalanche qui emporterait tout sur son passage et qui ne s'arrêterait qu'une fois dans la vallée.

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Sabrina qui écoutait ses deux compagnes, rappelle tout de même avec un sourire moqueur.

--Nous sommes le 1er juillet, alors, comme il n'y a pas de neige, nous n'avons pas d'avalanche à craindre. Si les garçons vous entendaient, je vous assure qu'ils ne se priveraient pas de rire et ils auraient raison.

A peine cinq minutes passent avant le retour de leur chambre de Vivien, Thomas et Denis. Vivien questionne.

--Bon, il est six heures moins dix. Que fait-on ?Audrey est la première à donner son avis.--On reste ici. Moi je me sens fatiguée de toute cette

journée, d'autant que la nuit passée j'avais assez mal dormi. Je me demandais si nous pourrions rester tous ensemble et je n'en étais pas certaine. A la gare, à Paris, j'y ai été au culot avec Jacques, je vous le dis franchement.

--Ton culot a marché en tout cas.Après la réplique de Denis, Thomas décide.--Dans ce cas, puisque nous ne bougeons pas, je vais me

changer pour être plus à l'aise pour le dîner.Marion et Sabrina se consultent du regard et la première

indique.--Audrey, on te laisse seule avec Denis et Vivien, nous, on

va imiter Thomas.Pour la première nuit, ce n'est pas le grand sommeil, sans

doute à cause du changement de lieux pour les six adolescents, mais, dès le lendemain, ils reprennent leur dynamisme habituel.

Les premiers jours qui suivent se passent en promenade et découverte de la montagne. C'est ainsi qu'ils ont vu dès le second jour la rivière qui descend de la montagne, ce qui avait fait dire à Denis.

--Cette eau ne doit pas être bien chaude.--Elle est sûrement glaciale, tu veux dire, surtout à

l'altitude où nous sommes. D'accord, nous ne sommes pas au sommet d'un pic quelconque, mais quand même !

--Sabrina, ce que nous voyons là-bas, c'est quand même le Mont-Blanc, le plus haut sommet d'Europe.

--C'est bien ce que je disais, l'eau de cette rivière est glaciale, Vivien, tu ne me feras pas m'y baigner.

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Un autre adolescent voyant une grotte fermée par des morceaux de bois avait demandé.

--Cette grotte est vraiment dangereuse pour l'avoir fermée ainsi ?

Jacques avait répondu.--C'est dangereux, sans plus. Non pas pour la profondeur,

mais, de nuit, on ne sait jamais, et puis, il pourrait y avoir parmi vous des petits malins qui voudraient jouer aux spéléologues, c'est pourquoi elle est fermée. D'autant qu'elle se trouve pratiquement dans le camp.

Thomas avait murmuré à Vivien près de lui.--Comme par hasard notre chalet se trouve dans l'axe de la

grotte et il est aussi le plus éloigné de celui des moniteurs que les autres.

L'autre garçon avait souri avant de répliquer.--A mon avis, il faudrait une drôle de tornade ou je ne sais

quoi d'autre pour bouger notre chalet. Thomas, je crois que nous pouvons nous laisser vivre sans problème. Moi, je trouve que c'est plutôt joli, par ici.

--Je n'ai pas dit le contraire. Remarque, après l'année passée au lycée, pouvoir se laisser vivre n'est pas une si mauvaise chose. C'est aussi bien ainsi. Les filles ont l'air ravies.

--Exact, sauf Marion, mais je ne sais pas pourquoi.--Elle a peut-être ses problèmes, et dans ce cas, je la

comprends tout à fait.Les premier jours se passent tout à fait

tranquillement. La petite équipe s'est fondue parmi les autres adolescents en vacances et il règne une bonne ambiance.

Chaque matin et chaque soir, Sandra passe les voir tous les six au chalet, et elle est à chaque fois reçue chaleureusement, si bien qu'ils ont fini par tous lui faire la bise à chacune de ses visites.

La fin de journée du 6 juillet est nuageuse, et alors que Sandra passe voir son petit monde après le dîner pris en commun, l'orage gronde. En montagne, le bruit s'amplifie. Marion et Sabrina avouent à celle qu'ils considèrent tous comme leur grande amie.

--Sandra, ce soir on aimerait bien que tu dormes au chalet. L'orage nous fait un peu peur.

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La monitrice comprend et déclare.--D'accord. Je vais chercher mon duvet et je reviens. Je

dormirai dans le salon, ça vous ira ?Sabrina n'hésite pas à lui faire la bise la première alors que

Marion et Audrey se sentent soulagées.Vivien fait savoir à la jeune monitrice.--Thomas et moi allons t'aider à ramener ce que tu as

besoin pour la nuit. Ainsi, demain matin, tu pourras même te doucher chez nous.

Sandra est agréablement surprise mais ne le fait pas remarquer.

--Merci, Vivien, j'accepte votre offre. Allons-y. Denis, attends notre retour pour te coucher. Reste dans le salon avec Audrey, Marion et Sabrina, de la sorte elles se sentiront plus rassurées.

--D'accord, Sandra, d'autant que dormir avec ce vent et ce tonnerre, je ne crois pas que l'un de nous le pourrait en ce moment.

Sabrina émet pour les trois qui vont sortir.--Revenez vite quand même.--Nous ferons juste l'aller et retour, Sabrina, ne t'inquiète

pas.La monitrice, suivie de Thomas et Vivien, quitte le petit

refuge au moment où un éclair traverse le ciel et illumine un instant les sapins de la montagne au-dessus du chalet. Sandra renseigne le duo qui l'accompagne.

--C'est cela aussi, la montagne, il y a parfois des orages mais ils ne durent jamais très longtemps. C'est vrai, au début, c'est impressionnant. Après, on s'habitue. Une tempête en mer est bien plus dangereuse, je vous assure.

Les deux jeunes garçons se regardent en marchant, chacun ayant une torche électrique. Ils ne sont pas du tout certains des propos de Sandra. Qui veut-elle rassurer le plus, eux ou elle ?

Thomas crie presque pour se faire entendre.--Tu donneras ton point de vue à Marion et Sabrina, elles

seront heureuses de l'entendre, j'en suis sûr.Les quatre-vingts mètres de descente pour gagner le chalet

des moniteurs sont vite parcourus et Sandra prend ce dont elle a besoin pour la nuit.

Thomas, avant qu'ils ne sortent du chalet, conseille.

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--Tu ferais mieux de prendre ton bagage en entier. Vivien et moi, nous porterons ce que tu en avais sorti.

--Oui, tu as raison. Jacques, je passe la nuit avec ma petite équipe, les filles ne sont pas très rassurées.

L'homme que Sandra a interpellé donne son avis.--Tu as raison, cela nous évitera de sortir cette nuit pour

aller voir là-haut si tout va bien. Merci, Sandra.La jeune monitrice précise.--L'idée n'est pas de moi mais elle est bonne, au moins je

serai sur place. En plus, tous les six sont supers-sympas. Il est possible que l'on veillera un peu ce soir, le temps que le tonnerre se calme, ne vous en faites pas.

--Pas de problème. Tu devrais même, à ton retour, allumer des bougies et faire couper le courant. Ce serait plus prudent. J'imagine que Sabrina ne doit pas être bien fière.

--Marion et Audrey non plus, mais les garçons sont imperturbables. Bon, à demain, je me doucherai également chez eux.

--Entendu. Dès votre départ à tous les trois, on ira rendre visite aux cinq autres chalets, mais on reviendra dormir ici. Tu pourras dire à Audrey que dès demain, je vais me moquer d'elle d'avoir eu peur, elle qui sait si bien parler !

Vivien fait savoir.--N'empêche qu'elle a eu raison, séparés, nous nous

serions à coup sûr inquiétés les uns des autres.Sandra acquiesce de la tête à la réponse de Jacques avant

de rouvrir la porte et le trio repart, mais cette fois il faut monter une pente sous les grondements de plus en plus forts du tonnerre, et, à présent, sous une pluie torrentielle. Pourtant, malgré la charge qu'ils ont tous les trois, ils ne traînent pas et sont vite de retour au chalet où les filles et Denis étaient restés. Thomas a juste le temps de refermer la porte après lui, une fois entré le dernier, qu'un éclair gigantesque se fait voir par la fenêtre de la pièce où ils se trouvent tous désormais. Marion, Audrey et Sabrina poussent ensemble un cri. Sandra ordonne.

--Denis, va prendre les bougies qui sont sur le dessus de la cheminée. Pas question de faire du feu, nous n'avons pas de bois sous la main. Il vaudra mieux également couper l'électricité dès qu'une bougie sera allumée.

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Denis est un garçon aux cheveux bruns et aux yeux verts. Il aime bien blaguer avec ses deux copains, mais, là, il ne se fait pas prier deux fois et, installant trois grandes bougies sur la table qui se trouve dans la pièce, les allume peu après à l'aide d'une petite boîte d'allumettes qui se trouvait tout naturellement près des bougies. Il constate après avoir coupé l'électricité comme demandé par la monitrice.

--Sandra, Vivien et Thomas, vous êtes tous les trois trempés. Il faudrait vous changer, sinon, demain, vous serez malades, et ce ne serait pas drôle pour la suite des vacances.

Marion réagit la première pour dire à la jeune monitrice.--Sandra, tu peux utiliser notre chambre, puisque tu as de

quoi te changer.Audrey précise à son tour.--Je te conduis avec une bougie et je te laisse ensuite

passer des vêtements secs.La jeune monitrice apprécie cette sollicitude.--Merci, les filles, j'accepte volontiers, ce ne sera pas

superflu. Vivien, Thomas, vous devriez faire comme moi.Thomas pour blaguer un peu dans une atmosphère assez

pesante qui règne au chalet, suggère.--Si tu veux, Sandra, Vivien et moi pourrions aller dans la

même chambre que toi pour nous changer. Tu n'es pas d'accord ?

La monitrice fait la bise au garçon qui vient de parler et réplique.

--Mon cher, tu mériterais que je te prenne au mot, je ne sais pas lequel de nous deux serait le plus gêné. Non, nous avons trois bougies, une restera ici, une autre pour vous deux et une pour moi. Remarque, je reconnais que ton idée vient probablement d'un bon sentiment, mais je m'arrangerai seule. Allez, à tout à l'heure.

Audrey conduit la jeune monitrice à la chambre qu'elle partage avec Marion et Sabrina puis la laisse seule en ayant soin de refermer la porte après être ressortie. Sandra avait emmené avec elle son bagage.

Dans la chambre d'en face, Vivien et Thomas se changent, car, comme Denis l'avait remarqué, ils sont tous les deux trempés de la tête aux pieds.

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Les deux garçons s'essuient mutuellement avant de pouvoir enfiler des vêtements secs. Vivien constate.

--La nuit risque d'être longue, si tu veux mon avis, car l'orage n'est pas prêt de se terminer.

Son compagnon se doit d'avouer ce qu'il pense.--C'est aussi ce que je me disais en rentrant dans le chalet

avec Sandra et toi tout à l'heure. Moi, ce qui m'inquiète un peu, ce sont les arbres au-dessus de nous. Ils sont à peine à cent mètres. D'accord, même si la foudre tombait et en cassait, nous ne serions pas en danger pour autant, mais, quand même, un tronc sectionné pourrait très bien venir heurter le chalet.

Vivien, dans la pénombre, conseille à son copain.--Thomas, il est préférable de ne pas faire part de ton idée

aux filles. Denis doit probablement penser comme nous mais il se tait, et c'est bien plus sage de sa part. Sabrina et Marion sont assez émotives. Elles auraient vraiment peur et Audrey devrait renoncer à dormir cette nuit.

Thomas regarde longuement son compagnon qui finit de se changer, avant de dire ce qu'il pense depuis le début de l'orage.

--Vivien, sois réaliste, si nous avons autant de tonnerre, d'éclairs et de pluie toute la nuit, personne ne dormira, que ce soient les filles ou nous autres, pas plus que Sandra, et tu le sais aussi bien que moi.

Son compagnon convient que son ami a raison.--Pour Sandra, cette nuit va être intenable.En finissant de s'habiller à son tour, Thomas rétorque.--Je crois qu'elle le sait déjà. Rejoignons les autres, sinon

ils vont se demander ce que nous faisons.Ce qu'ils font deux minutes plus tard. C'est Vivien qui

tient la bougie dans une main alors que Thomas referme la porte de la chambre après en être sorti le dernier.

Une fois avec leurs trois amies et Denis, Vivien éteint la bougie dont il s'était servi avec Thomas en expliquant.

--Il est préférable de la garder pour plus tard. Une seule bougie allumée dans cette pièce suffira.

Sandra, dans la chambre des trois adolescentes a dû, elle aussi se changer entièrement et elle pense : «  j'espère que les garçons vont tenir le coup, car, moi non plus, je ne me sens pas très rassurée. J'ai rarement vu un orage aussi violent. Je vais

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me dépêcher pour les rejoindre ensuite, je crains que Sabrina et Marion finissent par propager la panique aux quatre autres ».

En sortant de la chambre, la jeune monitrice a entendu les paroles de Vivien et approuve.

--Tout à fait d'accord, Vivien, mais, rassurez-vous, nous n'en manquerons pas, j'en ai deux dans mon sac de voyage que Thomas a eu la bonne idée de me faire ramener ici. Nous aurons de quoi passer la nuit s'il le faut. Je suppose que vous ne désirez pas vous coucher maintenant, je me trompe ?

La plus jeune du groupe avoue.--Non, c'est vrai. Heureusement que Denis, Audrey et

Marion étaient là quand Vivien et Thomas sont partis avec toi, sinon j'aurais eu très peur. Je n'étais déjà pas à mon aise avec Denis et Audrey, mais seule, je suis sûre que je ne serais pas restée au chalet.

Vivien lui fait remarquer.--Pourtant, je me souviens, en plusieurs circonstances tu as

montré ton courage, ne me dis pas que c'est un simple orage qui pourrait te faire peur, pas à toi !

Marion se demande ce qu'a Vivien et pense en regardant le garçon qui fait face à Sabrina : «  il est plutôt gonflé, ce soir, lui, ou alors il ne se rend pas vraiment compte de la force de cet orage ».

Sabrina fixe, dans la pénombre faite par la seule bougie allumée, le visage du garçon qui vient de lui parler et réplique vivement.

--Vivien, ce soir, tes compliments ne marchent pas. Je ne suis pas plus courageuse qu'une autre, et en plus, tu le sais parfaitement, j'ai toujours eu horreur des orages.

Audrey, Denis et Thomas ne disent rien. Voyant cela, Sandra intervient pour proposer.

--Poussons la table contre la cheminée et les chaises également, et asseyons-nous en rond sur le sol autour de la bougie. Ainsi, ensuite, nous discuterons de n'importe quoi pour oublier cet orage qui nous embête et nous empêche tous de dormir.

A peine la jeune monitrice a-t-elle terminé de parler qu'un craquement sinistre se fait entendre plus haut dans la montagne. Pourtant, les garçons et la jeune femme poussent tout de même la table et les chaises comme prévu. La

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monitrice commente en s'asseyant sur le sol les jambes croisées.

--C'est notre premier orage de l'été. Il faudra nous attendre à en avoir d'autres, mais, au matin, je vous parie que le ciel sera clair.

Thomas trouve la jeune femme optimiste mais ne réplique rien. Marion reconnaît en voulant paraître assez calme et sereine.

--Tu sais, Sandra, nous autres, nous nous serions bien passé de cet orage, je t'assure. Heureusement que le chalet est solide et que nous n'avons rien à craindre. Il n'empêche, le bruit dans la montagne, en plus des éclairs, du tonnerre et de la pluie que nous entendons tomber, et du vent, est impressionnant. Je sais, les garçons vont encore se moquer de moi, mais, tant pis. Je préfère dire la vérité.

Denis blague son amie.--Le professeur de français serait présent, tu aurais une

excellente note. Je crois même qu'il se demanderait ce qui arrive.

Vivien ne dit rien, par contre, Thomas émet.--Pourquoi nous moquerions-nous de toi, Marion ? Il faut

bien reconnaître, cette nuit n'est pas ordinaire.La fille donne sa réponse à Denis.--N'empêche, si le prof de français était ici, je serais

davantage rassurée. Pardon, Sandra, mais c'est vrai.--Je te comprends, Marion, mais cela voudrait dire que tu

n'es pas en vacances mais en cours, et à ce que j'ai pu comprendre, ce n'est pas celui que tu préfères.

Audrey suggère à ses amis de lycée.--On pourrait parler d'autre chose ?Marion reprend tout de même.--La vérité, si Sandra n'était pas venue dormir au chalet,

j'aurais proposé que les garçons et nous, amenions nos matelas ici pour dormir côte à côte tous les six, même s'il avait fallu que je mette mon pyjama ici, en leur présence, je n'aurais pas hésité.

Des craquements de branches se font de nouveau entendre dans la montagne.

Denis, sérieux, cette fois, prédit.

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--Tant que durera l'orage, il nous sera impossible de dormir. Sandra, tu nous racontes une histoire de vampires, pour rester dans le ton ?

--Sûrement pas. D'abord je n'en connais aucune. Par contre, vous ne savez pas grand chose sur moi, ni moi sur vous. Je commence donc, puisque j'ai la parole. Je suis née à la campagne et je ne suis venue en ville qu'à partir de quinze ans. Franchement, au début, j'ai eu du mal à m'habituer, je vous assure.

Audrey questionne la jeune monitrice qui parlait.--Et maintenant, tu préfères la ville ou la campagne ?--La campagne, tiens, la vie y est différente, on se sent

plus libre, du moins, c'est ce que je ressentais, moi. A Paris ou en banlieue, il faut toujours se dépêcher. Au début, je me disais que les gens étaient fous de courir tout le temps, et puis, j'ai fini par faire, moi aussi comme tout le monde. A la campagne, on peut prendre son temps bien qu'il y ait du travail à faire. Ce n'est pas du tout la même vie, elle y est plus agréable. Je me rappelle, mes parents n'ont jamais pris de vacances parce qu'ils tiennent une ferme, et que l'on ne peut pas partir et laisser les animaux sans les nourrir, sans traire les vaches deux fois par jour. C'est vrai, il existe des contraintes que le citadins ne connaissent pas, mais franchement, l'air y est bien meilleur.

Tout en parlant, Sandra se dit que son idée de parler d'elle est excellente. Pour preuve, Audrey a posé la première question, c'est bon signe.

La pluie tombe à torrent contre les murs en bois du chalet et contre les vitres des fenêtres. Sandra a été obligée de hausser la voix pour se faire entendre des six adolescents.

Sabrina et Marion, après avoir jeté un coup d’œil sur les carreaux de la seule fenêtre de la pièce, se regardent tout de même assez inquiètes. Pour Marion, c'est décidé, elle ne reviendra jamais en montagne l'été, ou alors, il faudra qu'elle soit assurée du beau temps et qu'elle loge dans une maison en pierres.

Denis a vu ses amies et attaque rapidement.--Sandra, je peux être indiscret ?--Tout dépend de la question que tu désires me poser.

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--Rassure-toi, tu ne répondras que si tu le veux bien, ce ne sera en aucune manière une obligation. Est-ce que tu as un fiancé ?

La jeune femme sourit et reconnaît.--Là, je peux te répondre. J'ai un ami de cœur, mais nous

ne sommes pas encore fiancés. Au cas où vous ne le sauriez pas, je n'ai pas tout à fait dix-neuf ans. Ce sera pour début août, et vous serez repartis. Et toi, tu as une petite amie, Denis ?

--Pas comme tu l'entends, moi, mes amies sont ici. Nous avons été d'abord des copains, mais à présent, Vivien et Thomas ne me contrediront pas, Audrey, Marion et Sabrina sont nos amies. Pourtant, ne te méprends pas. Tous les six, nous sommes amis depuis la sixième, mais en aucun cas il ne faudrait que tu penses que nous flirtons ensemble car ce serait faux. Et puis, Jacques, dans ces conditions, n'aurait jamais accepté la demande de Vivien et Audrey.

--Je crois effectivement qu'Audrey a su persuader Jacques.C'est Vivien qui vient d'avouer que leur amie en avait fait

plus que lui dans cette affaire.Thomas ajoute à la suite des propos de Denis.--Si nous avions flirté, les moniteurs s'en seraient rendus-

compte, à un moment ou un autre, certains de nous se seraient trahis. Et puis, sincèrement, à mon avis, si cela s'était produit, nous ne serions pas proches comme nous le sommes.

La jeune femme assure.--J'ai compris. D'ailleurs, Thomas, tu as raison, depuis le

début du séjour à la colo vous êtes pratiquement inséparables. Quand l'un de vous veut faire une activité, les cinq autres sont forcément d'accord. Vous savez, je ne devrais pas vous le dire, mais dans un sens je vous admire, vous êtes solidaires. Audrey avec ses cheveux blonds tombant jusqu'aux épaules, Marion qui est châtain mais à la garçonne, ce qui va parfaitement avec son caractère, et Sabrina avec ses superbes cheveux noirs qui tombent dans le dos quand elle ne se fait pas une queue de cheval, vous êtes toutes différentes. Les garçons aussi sont très différents, et pourtant, cela se voit à l’œil nu, complémentaires. Moi c'est ma première colonie avec vous, mais, comme je le disais tout à l'heure en présence de Vivien et Thomas lorsque

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je prenais mes affaires dans le chalet des moniteurs, vous êtes réellement supers-sympas, tous les six.

Sabrina avance car elle veut en avoir le cœur net.--Sandra, tes cheveux blonds, c'est comme Audrey, leur

couleur naturelle ?--Non, Sabrina, je suis plutôt châtain-clair, mais je préfère

le blond, et mon petit copain aussi.Marion questionne à son tour.--Avec la longueur qu'ils ont, tu n'as pas trop de mal à les

peigner ? Tu disais que Sabrina avait de longs cheveux, mais les tiens aussi.

--Marion, je m'y suis habituée, alors je ne vois plus la difficulté pour me coiffer.

--Moi, je ne pourrais jamais, ça m'énerverait.Sabrina donne son opinion juste pour parler.--Déjà, les miens, pour les laver, c'est la « galère », comme

dirait Marion, mais aussi longs que les tiens, je me demande comment je ferais. Ici, il me faudrait l'aide de Marion ou Audrey pour les laver.

Un violent coup de tonnerre fait taire tout le monde, car il paraissait proche. Sandra indique pour décrisper les six adolescents qu'elle sent de plus en plus mal à l'aise.

--Je crois que je vais être la plus tranquille des monos. Vos camarades ne doivent pas être très fiers, et les autres monos devront à coup sûr se rendre souvent dans les chalets, à moins qu'ils n'aient finalement décidé de faire comme moi, ce qui serait encore plus sage, si vous voulez que je vous donne mon avis. Sinon ils vont être trempés en moins de deux minutes à chaque fois qu'ils voudront mettre le « nez dehors », s'ils veulent passer la nuit dans le chalet des moniteurs.

Thomas remarque juste que Sandra était venue chez eux en survêtement et depuis qu'elle s'est changée, elle porte un short et un pull léger. Le garçon, après cette observation personnelle, risque pour la jeune femme qui est parmi eux pour cette nuit.

--Sandra, pourquoi tu nous aimes bien, nous six ?La jeune fille veut détromper le garçon.--Non, Thomas, pas seulement vous six. Mon métier pour

l'été est d'être monitrice dans cette colonie de vacances. Je ne dois pas faire de différence entre vous et les autres, mais je

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suis bien obligée de reconnaître que vous êtes des adolescents raisonnables et plutôt agréables de compagnie. Oui, je suis bien contente de m'occuper de vous. Je n'ai jamais eu le moindre reproche à vous faire jusqu'à présent, contrairement à ce que craignait Jacques le premier jour. Il m'avait dit, je peux vous l'avouer ce soir : « ma pauvre Sandra, je ne connais pas encore cette fine équipe, mais les garçons vont te faire souffrir, ne serait-ce que pour faire rire les trois filles. Je te plains par avance. Je me demande si tu as bien fait d'accepter d'être leur monitrice ». Voilà, vous savez ce que Jacques pensait de vous à votre arrivée ici. Et puis, Thomas, franchement, je te soupçonne, durant le voyage nous amenant ici, d'avoir proposé à tes complices de toujours, que je sois votre monitrice de chalet. Mais là, tu vois, si tu veux mon avis, tu as bien fait et je ne t'en ferai sûrement pas le reproche.

Thomas montre un large sourire avant d'expliquer lors d'une pause dans le bruit environnant.

--C'est juste, Sandra, mais je n'ai pas eu de mal à convaincre « mes complices », comme tu dis, car tu avais l'air plutôt assez sympa.

Denis ajoute pour défendre son copain.--Sans oublier que tu es jeune et jolie. Pour Vivien et moi,

ça comptait aussi.Sandra n'a pas le temps de répliquer qu'Audrey remarque.--Tu dis que tu ne dois pas faire de différence, mais, à

nous, à présent, matin et soir, tu nous fais la bise.La jeune monitrice proteste en souriant.--C'est pas juste, vous êtes six contre moi.Les garçons montrent un sourire alors que Marion déclare

avec sa franchise habituelle.--C'est vrai, tu as été notre « mono » préférée depuis notre

installation dans le train à Paris, alors tu penses, une fois ici, on ne voulait pas te lâcher. D'où l'intervention rapide d'Audrey à notre arrivée au camp. Et elle a bien fait.

--Comme je l'ai déjà dit, j'en suis ravie, Marion.Des éclairs, le tonnerre, les craquements dans les arbres

plus haut dans la montagne, empêchent les adolescents de répondre. Marion reprend pourtant.

--Là, j'ai un peu peur. Vous autres, je vous avais dit que la montagne ne nous donnerait rien de bon, et, comme

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d'habitude, personne n'a voulu m'écouter. Sandra, tu es sûre que nous ne craignons rien ?

Denis fait remarquer à la fille qui vient de parler.--Tu as un toupet monstre, Marion, si nous sommes ici,

c'est un peu à cause de ton père qui a persuadé nos parents que nous devrions changer pour la dernière année de « colo ».

--Ouais, ben, dans ma prochaine lettre, je vais lui dire que ses idées ne sont pas toujours les meilleures.

Sandra veut rassurer toute son équipe.--Ce chalet n'est pas bâti depuis hier, Marion, il en a vu

d'autres, non, personne n'a à craindre quoi que ce soit. L'eau va s'écouler dans la rivière. Moi, je vous conseillerais d'essayer de dormir, il va être minuit et notre première bougie n'en a plus pour longtemps.

Vivien rappelle.--J'en ai une autre sous la main, celle que Thomas et moi

avions allumée pour aller nous changer tout à l'heure.Un claquement sec venant du dehors, se fait entendre.Sabrina questionne d'une drôle de voix.--Qu'est-ce que c'est que ça ?Thomas annonce ce qu'il croit.--Le fil électrique qui reliait le chalet a probablement cassé

sous le vent, en aucun cas nous n'avons intérêt à sortir, surtout la nuit.

Marion marmonne pour dire ce qu'elle pense.--Je la sens de plus en plus mal, cette colo.A peine a-t-elle fini de parler que Denis émet, car le chalet

semble bouger.--Dites, si en plus on se « paie » un tremblement de terre,

cette fois, c'est la « totale » !Thomas renseigne son copain bien avant Sandra.--Non, Denis, il n'y a pas le moindre tremblement de terre,

j'ai plutôt l'impression que le chalet glisse sur la pente. Que personne ne bouge. Vivien, ne lâche pas ta bougie.

Sandra ne dit rien, car elle pense comme Thomas, et il serait mal venu qu'elle dise que ce n'est rien, une fois de plus. Oui, Thomas a raison.

Denis, resté calme, conseille.--Allongeons-nous tous sur le parquet. Les filles, pas de

panique, nous sommes ensemble, il ne peut rien nous arriver

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d'important. Ce que je crois, c'est que l'eau et la terre détrempée poussent le chalet, et en plus, même pas vers la rivière.

Personne ne répond à Denis mais tout le monde lui obéit, s'allongeant à même le sol du chalet. Les adolescents et Sandra se tiennent par les mains. Pour Vivien, avec sa bougie, l'exercice est plus délicat.

Rapidement, des chambres, parviennent le bruit de chute des meubles. La bougie que Vivien tenait à peine s'éteint. Denis, dans le noir, prévient.

--J'ai des allumettes, mais attendons que le chalet s'arrête de glisser.

Audrey n'en peut plus et crie alors.--On va tous mourir, c'est sûr !La voix de Thomas se fait entendre.--Arrête de divaguer, toi.--Thomas, réfléchis, le chalet va se fracasser dans la grotte

interdite contre les rochers, c'est certain.Vivien s'est repris et ordonne à son tour.--Que personne ne tente de sortir. Il nous faut rester tous

ensemble.Intérieurement, Marion en veut à son père, aux autres

parents et même à cette terre sur laquelle le chalet glisse. Sabrina et Audrey prient en silence. Denis, Thomas et Vivien se disent qu'il ne leur est jamais rien arrivé chaque fois qu'ils étaient tous ensemble, et que cette fois encore ils s'en sortiront. Sandra revoit le visage de ses parents puis se revoit à la ferme quand elle était plus jeune. Elle n'ose plus penser. Audrey n'a peut-être pas tort, et ce n'est pas elle qui disputera le fille de quinze ans d'avoir peur.

Le temps paraît d'une longueur peu commune. Dans la pièce, c'est à présent le silence, mais la petite maison de bois glisse de plus en plus vite. Les chaises et la table restent collées contre la paroi et l'âtre de la cheminée puis ils ressentent de violentes secousses. Un bruit sourd se fait entendre brusquement.

Sabrina commente malgré sa peur.--La cheminée qui était sur le toit a été emportée.La benjamine du groupe ne sait même pas si ses amis ont

entendu ce qu'elle disait à cause du bruit. D'un seul coup, un

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mur du chalet est arraché sur presque toute sa longueur, juste après la porte, mais, curieusement, il ne pleut plus. Ils n'entendent plus le tonnerre et ne voient plus le moindre éclair. C'est le noir total. Le chalet vient de s'immobiliser. Vivien et Denis en profitent pour allumer la seconde bougie. Sandra questionne.

--Personne n'est blessé ?La voix d'Audrey se fait entendre. La fille est calme.--Non, mais le mur extérieur de la chambre des garçons du

côté de la porte ne doit plus exister.--C'est secondaire, ça, pour le moment.

La réponse de Sandra a fusé, comme un soulagement de la monitrice qui craignait vraiment le pire.

Marion questionne à son tour pour couper le silence.--Mais comment le mur a-t-il pu être arraché ?Thomas lui répond.--Demande à Audrey. La grotte dont elle parlait est

énorme, mais pas assez haute ni large pour laisser passer un chalet en entier. Je suis sûr que notre toit a disparu également, et pas seulement la cheminée. Il ne doit rester que le plafond.

--Tu crois, Thomas ?A la question de Sandra, Vivien doit admettre.--Oui, Sandra, Thomas a raison. En fait, nous avons eu

beaucoup de chance que le chalet ne glisse pas par le travers. Je propose que nous tentions de dormir, nous sommes tous fatigués.

--Comment les conduites d'eau ont-elles pu être si vite arrachées ? Vous le savez, vous !

--Non, Marion, il n'y a aucune conduite d'eau au chalet. Nous ne sommes pas en ville. Chaque jour, je te rappelle que nous prenions l'eau dans la rivière pour remplir le réservoir des toilettes ainsi que pour le chauffe-bain, le ballon de réserve, si tu préfères.

Les explications techniques de Vivien n'intéressent que fort peu les autres. Sandra déclare.

--En ce qui me concerne, je ne pourrai pas dormir maintenant, mais que ceux qui peuvent, le fassent, n'hésitez pas, je ne vous en voudrai pas. Nous attendrons le jour, et ensuite les autres viendront nous tirer de cette mauvaise situation.

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Denis s'est mis debout et va vers la fenêtre restée intacte, côté montagne, en principe. Il reste stupéfait, se frotte les yeux, regarde autour de lui puis fixe de nouveau ce qu'il avait vu. Là, dans le ciel, il voit des étoiles scintiller. Il questionne.

--Sandra, est-il possible d'avoir des hallucinations ?--Non, pourquoi tu me demandes ça ?--Je vois le ciel et les étoiles qui brillent.--Tu quoi !Le garçon, debout face à la fenêtre, reprend.--Je répète. Je vois en ce moment des étoiles dans le ciel

sans le moindre nuage. Nous avons dû éviter la grotte et l'orage s'est arrêté brusquement.

Audrey, à présent assise sur le plancher, indique.--C'est impossible, autrement le chalet se serait écrasé

contre les rochers autour. Nous, nous devrions être morts. Donc, nous sommes bien dans la grotte.

A son tour intrigué par les paroles de son ami, Thomas se relève sur ses pieds et déclare.

--De l'air rentre par le mur arraché. Le reste du chalet paraît stable, et, effectivement, Denis a raison, il n'y a plus la moindre pluie ni le moindre tonnerre. En gros, l'orage a disparu. Je ne suis pas curieux, mais j'aimerais bien qu'on m'explique ce phénomène. Moi aussi, je vois les étoiles.

Sandra s'assied à son tour alors que Sabrina et Marion se font la bise puis déclarent ensemble.

--Nous sommes sauvés, c'est le principal. Gardez vos étoiles pour demain, maintenant on va pouvoir dormir.

Et de fait, elles se couchent sur le parquet et s'endorment aussitôt sous le regard surpris de Vivien qui commente.

--Elles ont de la chance de pouvoir dormir aussi rapidement.

Audrey propose car la peur est passée.--Les garçons, votre chambre est inutilisable, venez dans

la nôtre, l'air commence à se faire sentir, et il ne fait pas chaud. Pour une fois, Sandra ne dira rien, d'autant que nous dormirons tout habillés.

La seule fille qui ne dort pas encore, se relève à son tour et avance pour gagner sa chambre, mais, après qu'elle a fait trois ou quatre pas, le chalet perd l'équilibre. Audrey doit revenir au plus vite où elle se trouvait avec les autres.

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Avec sa bougie, Vivien essaie de voir vers les chambres. Là, un peu avant le couloir allant aux deux chambres, le plancher est défoncé et un morceau de rocher qui l'a traversé se fait voir.

Les deux autres garçons et Sandra l'ont aperçu également et c'est Denis qui décide le premier.

--Avant de bouger, il est préférable d'attendre le jour. Nous savons juste une chose, nous pouvons aller jusque la fenêtre sans danger.

Thomas confirme pour ce qu'il sait.--Pareil pour aller vers la porte extérieure. Autrement nous

sommes dans l'incertitude la plus absolue.Vivien propose à tous ceux qui sont restés éveillés avec

lui.--Nous devrions économiser notre bougie. On s'allonge

comme Marion et Sabrina et on essaie de dormir. On verra plus clair quand il fera jour. A la lueur de cette bougie, nous risquons de provoquer une catastrophe si nous bougeons là où il ne faut pas. Qu'en pensez-vous ?

Sandra acquiesce de la tête. Thomas, Denis et Audrey se rallongent sur le sol et le garçon souffle la bougie qu'il tenait, une fois lui aussi allongé à même le parquet.

Pourtant, à part Marion et Sabrina, personne ne dort malgré l'obscurité revenue dans la pièce.

Sandra, en short, sent l'air frais et elle a même un peu froid aux jambes. La monitrice ne parle pas pour ne pas gêner les quatre adolescents restés éveillés, mais, comme Thomas, elle aussi elle aimerait bien comprendre cette histoire de ciel étoilé alors que quelques minutes auparavant à peine, le tonnerre couvrait les voix et que la pluie redoublait contre les vitres et les murs en bois du chalet. Les six jeunes vacanciers comptent sur elle et c'est pourquoi Sabrina et Marion se sont si vite endormies, mais, en fait, elle n'est pas plus rassurée qu'eux. Thomas et Denis n'ont pas menti, non, en de pareilles circonstances ce serait impossible de leur part, et puis, Thomas était étonné des propos de Denis et s'était levé pour voir lui-même. Au moins, lui, il porte bien son prénom, mais en l'occurrence, n'importe qui aurait agi de même.

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Il semble qu'elle est la dernière à rester éveillée et ne s'endort qu'une heure ou deux après que Vivien ait éteint la bougie.

Cependant, peu avant l'aube, un bruit d'une rare violence les réveille tous en sursaut.

La voix de Marion s'inquiète.--Qu'est-ce que c'est encore que ça ?Sandra doit reconnaître.--Je n'en sais rien du tout, Marion. Ce bruit nous a juste

fait mal aux tympans, rien de plus. Ne bougeons pas avant l'arrivée du jour.

Denis, dans la pénombre, commente.--A mon avis c'est un rocher qui s'est détaché de je ne sais

où. Nous avons eu de la chance qu'il ne tombe pas sur le chalet, car vu l'intensité du bruit, il doit être énorme, et si nous l'avions reçu nous serions tous morts.

Thomas ne dit rien mais pense que ce rocher pourrait très bien leur boucher l'accès à la sortie. Non, ils ne sont pas dans la grotte, puisque le ciel était étoilé cette nuit, avant qu'ils ne s'endorment, Denis et lui.

Instinctivement, le garçon regarde vers la fenêtre, et cette fois il ne voit plus rien. Pas la peine d'alarmer les filles et Sandra. De l'air passe toujours, donc il n'ont aucune crainte d'un asphyxie.

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Eveillés, ils attendent l'arrivée du jour, et, malgré la présence de Sandra, les trois filles ne sont pas du tout rassurées.

La jeune femme, quant à elle, se dit qu'avec un pareil bruit, tout le camp de la colonie a dû être réveillé également. En plus, si Jacques, Nicole, Valérie, Philippe et Gérard se sont aperçus que le chalet avait glissé, ils auront alerté les secours dès qu'il aura été possible, après la fin de l'orage. De nuit, faire des recherches est inutile, donc, ils font comme toi et ces six gamins plutôt courageux, ils attendent le jour. Il ne fait aucun doute que les planches qui obstruaient la grotte ont volé en morceaux pour laisser passer la chalet qui glissait sur la pente. Ils auraient pu s'écraser contre les rochers s'ils n'étaient pas entrés dans la grotte.

Pourtant quelque chose n'est pas bien clair. Comment, si le chalet s'est engouffré dans la grotte, Denis et Thomas ont-ils pu apercevoir le ciel qui était, paraît-il , totalement dégagé au point qu'ils voyaient les étoiles ?

La fenêtre donne du côté montagne, donc, ils ne peuvent pas se trouver à présent dans la grotte. Ma pauvre Sandra, tu as voulu travailler cet été pour te faire un peu d'argent de poche. Là, tu vois, tu n'as vraiment pas de chance. Les secours vont te rapatrier avec les gamins et la « colo » sera déjà finie pour toi.

La monitrice cesse de penser. Il faut qu'elle se repose encore un peu. Dès le jour levé, les trois filles dont elle a la charge et les garçons qui l'ont bien aidée durant cette nuit d'enfer, devront encore faire des efforts, tout en sachant que le chalet se trouve en équilibre instable.

Enfin, le jour se fait voir doucement. La nuit se retire peu à peu et les garçons sont les premiers relevés et se dirigent vers le côté du chalet où le mur s'est trouvé arraché. Le trio regarde vers l'extérieur avec surprise. En face d'eux, à deux mètres en dessous, commence une plaine superbe, mais totalement vide. Personne, pas même un cultivateur, pas une seule bête, rien. Ils semblent seuls. Mais à une heure aussi matinale, c'est un peu logique.

Thomas résume la situation pour les filles.

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--Nous sommes en équilibre sur un rocher à deux mètres environ au-dessus du sol. Nous avons devant nous une grande plaine qui descend légèrement, mais aussi, continuellement. Le plus sage serait d'y aller, car, à un moment ou un autre, je crains que le chalet ne se casse en deux, et la chute serait sévère quand même.

--Comment faire ?Le garçon reprend.--Tout ira bien, Sandra. D'ailleurs, Denis et Vivien ont

compris ce qu'il nous fallait faire. Nous allons ôter la porte extérieure et la poser pour qu'elle touche le sol, et chacun glissera en douceur jusque dans l'herbe qui se trouve dessous.

Sandra aide les trois garçons à installer la porte comme un toboggan et Vivien ordonne.

--Audrey, tu y vas la première. Après, Sabrina et Marion te suivront.

--Entendu, mais,vous autres, pas d'imprudence.Sandra promet à la fille.--Je crois qu'en l'occurrence, personne n'a envie de faire la

moindre imprudence. Une fois que nous serons tous dans l'herbe, il nous suffira d'attendre les secours.

Denis ne répond pas. Pour lui, les secours devront venir en hélicoptère, et puis, il ne connaît pas cette grande prairie, et pourtant, depuis le début du mois, ils ont fait de nombreuses promenades. Les alentours de la colo, pas de problème, il les connaît, mais là, il ne reconnaît absolument rien.

Audrey s'assied sur le rebord de la porte, bien au milieu, et se laisse glisser. Elle roule dans l'herbe et signale.

--La partie opposée du chalet est dans une grotte. Denis, Thomas, vous aviez eu des visions, il vous était impossible de voir le ciel par la fenêtre. Bon, Sabrina, à ton tour.

Alors que Sabrina rejoint Audrey, Denis et Thomas se regardent. Eux, ils sont sûrs de ce qu'ils avaient vu la nuit précédente, avant qu'ils ne s'endorment. Pourtant, ils conviennent des yeux de ne pas parler tant qu'ils ne seront pas tous en sûreté.

Une fois les trois filles dans l'herbe, Marion propose.--Sandra, fais glisser ton bagage.La monitrice obéit sans la moindre objection.

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Dans le chalet à demi détruit, en rampant, Vivien est parvenu à la chambre des filles et arrive à récupérer tant bien que mal les sacs de voyage de leurs amies à tous. Il conseille à Thomas.

--Laisse-les là pour le moment, je vais voir ce que l'on peut retrouver dans notre chambre.

-- « Fais gaffe », cette nuit le chalet a failli se couper en deux.

--Je sais, je tenais la bougie.Le garçon se met debout. Il ne se fait entendre aucun

craquement. Il comprend vite lorsqu'il entre dans ce qui reste de la chambre qu'il partageait avec Denis et Thomas. Vivien rassemble le plus tranquillement qu'il peut, toutes les affaires de ses copains et les siennes, puis annonce la porte à nouveau ouverte.

--Denis, tu n'as plus de lit. Un rocher l'a brisé.--Un rocher !--Oui, mon vieux, et il est méga, je t'assure. C'est sans

doute le bruit que nous avons entendu ce matin avant qu'il ne fasse jour. On ne craint plus rien.

Devant la grotte, Sabrina regarde les alentours. Quelque chose ne va pas. Non seulement, elle n'a jamais vu cette prairie, mais il y a quelque chose de différent, quelque chose qui manque ce serait plus exact. Pourtant, elle ne dira rien tant que les garçons et Sandra ne seront pas avec Marion, Audrey et elle.

Dans le chalet, les deux autres garçons aident Vivien et tous les bagages sont récupérés. Ils les font glisser sur la porte qui touche le sol et où les trois filles les portent un peu plus loin pour empêcher de gêner. Denis décide alors.

--Sandra, à toi, on te suit.De fait, il ne faut que peu de temps pour que tous soient de

nouveau réunis sur le sol parmi l'herbe et les fleurs. Thomas regarde autour de lui et questionne.

--Et la forêt en montagne, au-dessus, où est-elle ?C'est vrai, il y a bien quelques arbres, mais rien à voir avec

la forêt qui surplombait le campement de la colonie le veille encore.

Sabrina se veut moqueuse à l'encontre de Thomas.

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--Tu es très observateur, Thomas. J'avais remarqué également, mais, moi, il y a quelque chose de plus qui me gêne.

Sandra et les cinq copains de Sabrina regardent la fille qui vient de parler. Elle reprend assez souriante.

--Ben oui, je me demande qui a bien pu nous voler notre Mont-Blanc. Je me rappelle qu'il était bien visible de la colonie. Là, excusez-moi, mais si vous pouviez me dire où il est, franchement, ça me ferait plaisir.

Les paroles de Sabrina ont fait sensation.Sandra essaie d'expliquer à la fille aux cheveux noirs.--Il doit être caché par les montagnes que nous voyons.

Nous ne sommes pas du même côté qu'à la colonie, voilà tout.Le petit groupe accepte cette raison faute d'une explication

plus plausible.Denis avoue, pour ses amis et Sandra.--Ce silence est impressionnant. Tout à l'heure, nous

ramènerons, Thomas, Vivien et moi, les matelas et tout ce qui peut servir en attendant que les secours nous retrouvent.

Sandra prévient les trois copains.--Pas sans moi, les garçons. C'est moi qui suis chargée de

veiller sur vous tous.Vivien fait remarquer avec justesse.--D'ici un heure ou deux, on commencera à avoir faim. Il

faudrait essayer de trouver de quoi manger un peu en attendant que les autres de la colonie n'arrivent jusqu'ici. Sandra, tu t'y connais un peu en fruits sauvages ?

--Oui, quand même, mais nous irons tous ensemble. Il n'est pas question de se séparer, je m'y oppose. Je me ferais disputer si quelqu'un l'apprenait un jour.

Pendant qu'elle parlait, Thomas avait examiné les restes du chalet et il annonce peu après.

--Nous avons traversé la grotte, mais, le problème, c'est qu'elle s'est refermée après nous lorsque le rocher qui a en partie détruit notre chambre est tombé. Nous avons vraiment eu beaucoup de chance qu'aucun de nous n'ait été blessé et que nous ne dormions ni les uns ni les autres dans les chambres.

Marion reste perplexe. Déjà, la veille du départ en « colo », elle avait mal dormi en pensant qu'il arriverait quelque chose. Est-ce que par hasard, à présent, elle aurait des

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intuitions ? Et puis, l'explication de Sandra pour le Mont-Blanc ne tient pas debout, mais ce n'est pas le moment de le lui dire.

Denis, après un rapide regard vers le chalet, revient à ce qui le surprend.

--Thomas, ce qui m'étonne, c'est que cette nuit, toi et moi avions pu voir le ciel étoilé alors que la fenêtre se trouve à présent côté grotte, et cette prairie qui nous est totalement inconnue. C'est comme si nous étions arrivés dans un lieu différent des alentours de la « colo ». Car, Sabrina a raison, on ne voit plus le Mont-Blanc, c'est à n'y rien comprendre.

Audrey qui n'avait pas parlé depuis que les garçons et Sandra étaient arrivés à leur tour dans la prairie, confirme les dires de Denis.

--Nous sommes dans un autre lieu qui nous est tout ce qu'il y a de mystérieux, ça, c'est certain. Si Denis et Thomas ont bien vu des étoiles dans le ciel dès que la pluie et l'orage ont cessé cette nuit, ce ne pouvait pas être ici, puisque, comme ce cher Denis l'a dit lui-même, la fenêtre se trouve du côté du fond de la grotte. Donc, en toute logique, ils ne pouvaient pas voir le ciel, sans parler des étoiles. Sandra, il s'est passé quelque chose en même temps que la chute du rocher sur la chambre des garçons, et à mon avis, il va falloir nous débrouiller seuls pendant un certain temps.

La jeune femme fixe l'adolescente. Les trois garçons n'ont pas paru étonnés des paroles d'Audrey. Cette dernière reprend pour expliquer après s'être assise dans l'herbe devant la grotte.

--Nous avions tous vu la grotte interdite. Des rochers la surmontaient, et même, dès le premier jour nous avions vu qu'elle s'enfonçait dans la montagne parmi les sapins. Derrière, sortait la rivière. Moi, je veux bien accepter tout ce que vous voudrez, mais, comment, nous, dans ce cas là, sommes-nous actuellement dans cette prairie qui descend en pente douce sur une grande longueur. Sandra, essaie de me répondre, mais quelque chose de plausible. Et, dis-moi où est passée la rivière d'où nous tirions l'eau. Je ne parle pas des sommets environnants et du Mont-Blanc, on essaiera de comprendre ça plus tard.

La jeune femme admet.

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--Je ne peux pas te répondre, Audrey. Nous avons eu de la chance, c'est vrai. Et puis, franchement, moi non plus, je ne connais pas cette vallée.

Vivien donne son opinion.--Si tu veux mon avis, il ne doit pas y avoir grand monde

qui connaisse cette vallée.Marion commente alors.--Si j'ai bien compris, aucun de nous n'a jamais vu cette

prairie ni cette montagne au-dessus de nous. Conclusion, nous sommes autre part, mais sans savoir où exactement.

Thomas ne répond rien. Lui, il fouille dans son bagage et en sort une petite hache de camping puis déclare.

--Finalement, peut-être que cette hachette va servir. Je ne m'en sépare jamais. Je l'emmène dans chaque « colo », comme un fétiche.

Sandra rappelle.--Mais tu n'avais pas le droit ! C'est une arme !Denis serre la main de son copain qui reçoit ensuite la bise

des trois filles venues vers lui. Denis précise.--Je crois que cette fois, Thomas, tu as bien fait de la

prendre.Sandra semble un peu dépassée, ce dont se rend compte

Marion qui, elle, s'est bien reprise après l'étonnement du début. La fille décide d'un seul coup.

--Le mieux serait de trouver de quoi manger, et, pour que cette prairie soit si verte, il doit y avoir de l'eau dans les environs. Laissons ici sacs et bagages. Personne ne viendra nous les voler. Thomas, tu emmènes ta hache. Personne n'a de couteau ?

Vivien et Denis font savoir qu'ils en possèdent un chacun mais ils questionnent tout de même.

--Pourquoi, Marion ?--Ils peuvent nous servir également. Allez, Audrey et

Sabrina, nous, on emporte les gourdes pour le cas où on trouverait de l'eau.

Audrey acquiesce en rappelant.--De l'eau, nous en avons eu assez cette nuit, ma chère

Marion, mais il est vrai aussi qu'il nous faudra bien boire aujourd'hui.

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Marion questionne la jeune monitrice qui est près d'elle.

--Sandra, tu nous accompagnes ?La seule adulte fait savoir.

--Vous n'irez nulle part sans moi, alors, évidemment que je vous accompagne. Il nous faut essayer de trouver des fruits, et là, je crois m'y connaître un peu plus que vous.

Les garçons ne répondent pas. Sandra est bien gentille, mais depuis le lever du jour, ce sont eux qui ont pris les plus importantes décisions.

Le petit groupe s'éloigne vers un bosquet, car les petits arbres qui s'y trouvent semblent avoir des fruits bien rouges. Seulement , il faut savoir à présent s'ils sont comestibles. Là, c'est autre chose.

Tranquillement la petite troupe marche dans l'herbe.Sabrina coupe le silence qui s'était instauré entre les

adolescents et la monitrice pour indiquer.--Ce qui est étrange, ici, c'est le silence. On n'entend

même pas les oiseaux chanter.Denis reconnaît.--Je trouvais quelque chose de bizarre mais je

n'arrivais pas à savoir quoi. C'est le silence impressionnant, Sabrina raison. On dirait que toute vie s'est arrêtée depuis que nous sommes là.

Dans le bosquet, à environ deux-cents mètres de la grotte, ils trouvent des framboisiers sauvages et ne se privent pas de se servir. Audrey prévient pourtant.

--N'en mangez pas trop d'un coup, car après, si nous avons la colique, nous serons tous bien embêtés.

Vivien rétorque en souriant.--Moi, j'aurais utilisé un autre mot, Audrey.Sabrina répond à la fille aux cheveux blonds.--Sois tranquille, on en ramasse pour plus tard. J'ai

pris un récipient pour les garder, mais il faut bien que nous mangions quelque chose.

Denis reste en arrêt et commande.--Chut, taisez-vous, on dirait un bruit d'eau.Cette fois, oui, ils entendent tous et découvrent une

petite rivière en se guidant vers la direction d'où venait le bruit. Sandra goûte cette eau la première avant de confirmer.

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--Elle est bonne, remplissez les gourdes.Marion dit son idée.--Si on pouvait se laver, ce serait bien aussi.--Elle est trop froide, Marion.--Je m'en doute, Sandra, mais on ne peut pas rester

sales jusqu'à ce que les secours arrivent.Thomas propose très vite à ses compagnes.--Les filles, vous irez les premières, Vivien, Denis et

moi irons ensuite nous laver une fois que vous serez séchées et habillées de nouveau. Nous, pendant ce temps, on va essayer de faire une cabane. Je ne tiens pas à dormir dans un chalet à moitié détruit à deux mètres au-dessus su sol, sans savoir si nous ne risquons rien.

Sandra ne suit plus. Denis en profite pour dire.--C'est juste, mais, Thomas, pour la cabane, on pourra

quand même utiliser du bois du chalet.--D'accord, Denis. Les filles, où voulez-vous que l'on

construise notre cabane ?Sabrina donne son avis.--Ce serait bien à mi-chemin de la grotte et de la

rivière. Là-bas, il y a quelques arbres dont nous pourrions nous servir, moi, je trouve que ce serait l'endroit le mieux placé.

Audrey semble tout à fait de l'avis de la benjamine et elle suggère à son tour.

--Marion, Sabrina, allons chercher nos maillots de bain, nous serons mieux qu'en pantalons une fois de nouveau propres.

--Et on pourra faire notre lessive.Sandra réagit aux propos de la plus jeune du groupe.--Sabrina, nous n'allons rester ici que quelques heures

tout au plus, je ne crois pas que ce soit la peine de faire une lessive ce matin. Les vêtements ne seraient jamais secs à l'arrivée des secours.

Sabrina fixe leur monitrice qui vient de lui répondre. La fille réplique aussitôt d'un air serein.

--Dans ce cas, pourquoi les garçons voudraient-ils faire une cabane ? S'il pensait comme toi, Thomas n'aurait jamais envisagé de faire une cabane pour dormir la nuit prochaine. Non, Sandra, personne ici n'est naïf à part toi, à moins que tu ne veuilles pas accepter la réalité. Moi, je te dis,

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nous risquons, et je parle au nom des autres aussi, de rester dans cette vallée plusieurs jours. Je vais te dire, je préfère encore la terre ferme à un chalet qui glisse sur une pente sans savoir où il va s'arrêter.

Même les garçons s'étonnent de la réflexion de leur jeune amie et Vivien lui demande.

--Tu n'as pas peur ?--Non, Vivien, et puis, si je me rappelle bien, il me

semble que cette nuit tu avais dit que j'étais courageuse. Nous sommes sept. Sandra dirigera tout le monde, mais il faut que chacun prenne conscience que notre séjour ici peut durer longtemps. Réfléchissez donc un instant. Nous n'avons pas pu traverser toute une montagne, même si le temps où le chalet glissait nous paraissait très long. Conclusion, ce lieu est inconnu de qui que ce soit. De plus, le rocher qui a en partie détruit les chambres bloque la grotte. Personnellement, je crois que pour les « monos » de la colonie nous avons disparu ou même nous sommes morts. A nous de nous débrouiller seuls. Je me rappelle en outre que le pic le plus haut des Alpes n'est plus visible, donc, nous n'avons aucun point de repère, je voulais parler du Mont-Blanc.

Puis, après une brève pause, la fille reprend.--Ce qui est normal, puisque ce n'est pas la même

grotte et que nous ne sommes pas à proximité de la colonie.Denis fait remarquer à sa jeune amie.--Tu es bien bavarde, Sabrina, ce matin !--Oui, car je n'ai plus peur du tout. Je sais que nous

nous en sortirons tous ensemble. Il fallait que quelqu'un dise ce que les autres pensaient mais n'osaient pas avouer. En ce qui me concerne, les secours, je n'y crois pas, pour la raison que je vous ai expliquée tout à l'heure et sur laquelle je ne reviendrai pas. Bon, ceci dit, vous autres, allez commencer la cabane. Après, nous viendrons vous aider.

Les filles et Sandra, une fois revenues de la grotte avec des serviettes et les maillots de bain dans les mains, passent auprès des garçons qui commencent à tracer les limites de la cabane, puis elles se dirigent vers la rivière un peu plus bas, de manière à ce que les garçons ne puissent pas les voir se laver.

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Quand elles ont fini de se vêtir en sortant de l'eau, Marion et Sabrina sont les premières auprès des trois garçons pour leur annoncer.

--Cet après-midi nous ferons une lessive, alors si vous avez des affaires à laver, vous pourrez nous les donner. Il faut que nous nous aidions tous.

Vivien s'étonne quand même.--Vous ne blaguez pas, toutes les deux !Marion confirme ce que Sabrina et elle ont dit.--Non, Vivien, on se servira de nos savons pour laver

et j'ai même des pinces à linge. Vous attacherez un bout de ficelle entre deux arbres, et ça fera l'affaire. Avec ce soleil, tout sera sec ce soir.

Denis propose à ses amies de lycée.--Je m'en chargerai.Sandra et Audrey arrivent à leur tour et ce sont les

garçons qui vont se laver.Quand Thomas descend le premier dans la petite

rivière, il pousse un cri de surprise. Les deux autres, encore sur la berge, interrogent.

--Que t'arrive-t-il ?--L'eau est glaciale. Je comprends que les filles n'y

soient pas restées longtemps.Les deux autres, prévenus, descendent dans le lit de la

rivière avec précautions. C'est vrai que la différence de température est énorme, et, bien que Thomas les ait avertis, ils ressentent le froid de l'eau.

Une fois qu'ils se sont lavés et séchés à leur tour, ils reviennent vers leurs amies et Sandra qui discutaient près de la grotte. Thomas fait remarquer.

--Vous auriez pu nous dire que l'eau était glaciale.Audrey sourit pour la première fois de la journée et

rétorque tout naturellement.--Thomas, nous nous en sommes rendues compte les

premières, mais avec ce soleil, tu vas vite te réchauffer, je te fais confiance. Au fait, pendant ce temps, nous avons trouvé des fruits pour ce midi et ce soir.

Vivien fait la bise à Sandra puis aux trois filles amies de longue date et s'explique.

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--Si Sabrina dit vrai que nous sommes réellement seuls, on pourrait poser des collets pour prendre des lapins. Il doit bien y en avoir dans les environs.

--A cette altitude !--Oui, Marion, je crois que Vivien a raison.Denis admet après les paroles de Sandra.--Sûrement, mais, pour la pêche, inutile d'y compter,

l'eau est trop limpide et il ne peut pas y avoir des poissons à cette hauteur, de plus, l'eau doit probablement sortir de terre juste un peu plus haut.

Thomas émet malgré lui.--Dommage, nous avions nos cannes à pêche.Sandra intervient vite auprès des six amis pour leur

faire savoir.--Eh, là ! Vous ne comptez tout de même pas rester

ici toute votre vie, tous les six !Les adolescents esquissent un sourire. Non, c'est sûr,

mais il faut bien qu'ils s'organisent, et c'est ce qu'ils pensent. Vivien, lui, prend une main de Sandra dans l'une des siennes et avoue.

--Ecoute, Sandra, nous ne savons absolument pas combien de temps nous resterons ici, alors, autant essayer de nous organiser un peu pour le temps qu'il nous faudra passer ici. D'ailleurs, la cabane aura trois pièces, comme le chalet, mais la chambre des filles sera plus grande que la nôtre, puisque vous serez quatre à y dormir. Pendant que Marion et Sabrina feront la lessive tout à l'heure, nous autres, nous devrons aménager notre cabane, et elle sera plus solide que le chalet, je te le promets.

Thomas et Denis acquiescent de la tête. Ils semblent tous déterminés, si bien que la jeune monitrice ne peut que répondre.

--Je vous aiderai avec Audrey, les garçons.La fille dont le nom vient d'être cité, fait savoir.--C'était prévu ainsi, Sandra, il n'était pas question

que les garçons fassent la cabane seuls, ce n'aurait pas été logique.

Marion indique en un murmure que seul Thomas entend.

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--Si seulement on savait où on est, ce serait déjà pas si mal.

Le garçon sourit à son amie de lycée. Lui, n'en sait pas davantage que Marion, à part que Sabrina a dit la vérité, ils ne sont sûrement pas auprès de la colonie.

Le déjeuner du petit groupe est simple puisque composé seulement de fruits sauvages. Aussitôt après le repas, les deux filles volontaires pour la lessive emportent à la rivière tout ce qui doit être lavé. C'est à dire les vêtements de la veille et de la nuit passée. Marion n'a pas oublié le savon.

Durant ce temps, Thomas et Vivien sont remontés dans ce qui reste du chalet et font glisser sur la porte toujours au même endroit que le matin, tout ce qu'ils jugent utile. Il ne reste que les chaises intactes dans les chambres. Les matelas de la chambre des filles sont descendus également, et Denis de décider.

--Les matelas seront pour les filles, ce sera plus confortable. Vivien, Thomas et moi, nous nous arrangerons autrement, par exemple avec de la fougère ou autre chose.

Comme Sandra s'apprête à protester, Vivien lance du bord du chalet en surplomb.

--Denis a tout à fait raison, Sandra, je vais aider Thomas à ramener un matelas intact de notre chambre, il sera pour toi. Et cette fois, bien que tu sois notre « mono », tu ne commanderas pas.

La jeune femme renonce et réplique seulement.--Bon, j'ai compris. Vous deux, là-haut, faites bien

attention à vous. Vivien, que fait Thomas ?Le garçon répond à la question que Sandra vient de

lui poser.--Il démonte les lits intacts. Le bois nous servira. Les

deux commodes, elles, n'ont rien, c'est une chance. On les fera glisser aussi, mais on vous préviendra avant pour que vous vous écartiez.

Denis lance pour empêcher ses copains de faire une bêtise.

--Non, surtout pas. Nous, nous essaierons de les freiner. Il faut les réceptionner afin de pouvoir les utiliser, donc, intactes. Vivien, tu veux que je monte ?

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--C'est pas une mauvaise idée, je vais faire une pause. Thomas en veut. Avec sa hache, ça y va, mais il ne touche pas aux murs extérieurs. Il a une idée géniale. Il veut démonter les cloisons intérieures lorsque tout le mobilier sera en bas.

Denis n'attendait que l'accord de son copain.--J'arrive. Toi, descends te reposer. Je vais retirer les

tiroirs des commodes, déjà elles seront moins lourdes. Audrey, tant pis si je vois vos sous-vêtements.

La fille réplique.--Les autres années nous étions souvent en maillots

de bain, je ne vois pas vraiment où est la différence, et puis, je te rappelle, mon cher Denis, que Marion et Sabrina ont emmené des slips à vous à laver. En ce moment, je suis en maillot de bain et je ne regrette pas de l'avoir enfilé après le bain de ce matin, le soleil est assez fort.

Denis est déjà sur le plancher de ce qui reste du chalet.

Sandra demande auprès des trois garçons.--Et moi, à quoi je sers ?Arrivé sur l'herbe, Vivien, très souriant, la regarde et

réplique.--Pour le moment, à nous tenir compagnie, c'est déjà

pas si mal, je trouve, moi.La jeune femme constate.--Vous avez le moral, on dirait !Audrey explique avant Vivien.--C'est vrai, Sandra, car nous sommes en vie. Aucun

de nous n'a été blessé alors que le chalet s'est en partie fracassé en passant dans la grotte, et puis, tu es là, et c'est surtout ce qui nous redonne confiance. Tu peux demander aux garçons, tu verras.

--Mais, jusqu'ici je n'ai été d'aucune utilité !--C'est toi qui le dis. Nous, te voir, nous donne le

moral, justement.Après les paroles de Vivien, Thomas se montre dans

le salon du chalet et, près de la porte qui descend jusqu'au sol, sa hachette à la main, lance en direction de la jeune monitrice.

--On avait oublié de te dire, tous les six nous sommes bien ensemble, alors, tu penses, quand on peut se retrouver

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seuls, c'est encore mieux. Toi, maintenant, tu fais partie du groupe. C'est mérité pour ta gentillesse.

Puis le garçon rentre de nouveau dans le chalet pour recommencer à travailler.

A quinze heures, à la montre de Sandra, Marion et Sabrina reviennent de la rivière. Elles ont étendu tout le linge au soleil. Sabrina fait savoir dès son retour.

--Qui donc avait dit qu'il n'y avait aucun poisson par ici, à cause de l'altitude et de la limpidité de l'eau ? Parce que c'est faux, nous, nous en avons vu de belles tailles.

Marion elle, regarde vers la cabane. Elle prend tournure au détriment du chalet. Thomas a laissé sa place pour faire une pause, et les deux plus jeunes, nouvellement arrivées, voient Denis sur le plancher du chalet, annoncer.

--Ce sera impossible de ramener le parquet des chambres, ce serait trop dangereux pour maintenir le chalet en équilibre. Il est préférable de ne pas risquer le pire. Vivien démonte la fenêtre de la chambre des filles, et après, j'en ferai autant avec celle qui se trouve au salon.

--La fenêtre !--Oui, Thomas. D'ailleurs on va avoir besoin de toi.--J'arrive. Je vais vous aider.Puis, se tournant vers leur monitrice à tous .--Sandra, viens, si tu peux remonter, car elle doit être

lourde.Audrey décide à son tour.--J'y vais, moi. Sandra devra être en bas pour la

recevoir une fois qu'elle aura glissé sur la porte.Marion et Sabrina promettent toutes les deux à la

monitrice qui est là.--Nous t'aiderons, Sandra, tu verras.Dans la chambre des filles, à environ deux mètres au-

dessus du sol, Vivien, Thomas et Denis parviennent à ôter la fenêtre dans son encadrement, du logement où elle se trouvait. La ramener jusqu'au salon s'avère délicat, mais les trois garçons y parviennent après avoir démonté les deux portes des chambres se faisant face. Audrey apporte son aide. Denis prévient.

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--Audrey, fais attention à ne pas prendre d'écharde. Tu es en maillot de bain, et il ne faudrait pas que la chance tourne. Nous avons encore besoin de toi pour plus tard.

--Merci de veiller sur moi, Denis, mais je fais attention. Une fois la fenêtre près de la porte qui va au sol, je descendrai aider Sandra, Marion et Sabrina.

Thomas conseille à la fille aux cheveux blonds.--Vas-y dès maintenant, le plus dur est fait, pour

nous.La fille redescend juste avant que les trois garçons

posent la fenêtre dans son encadrement sur le rebord de la porte servant de toboggan. Ils font glisser la pièce de bois fermée avec douceur, en essayant de la retenir quelque peu de manière à ce que le jeune femme et les trois amies qui sont en bas puissent la recevoir sans se faire mal.

Déjà, Denis est en bas, et, aidé de Sandra et Audrey, la première fenêtre est mise de côté, à l'abri de tout choc possible. Thomas, en haut, s'attaque à la seconde et dernière fenêtre restée intacte. Il fait savoir à Vivien encore près de lui.

--Va avec Denis et les filles, et posez la fenêtre sur un côté de notre cabane. Ce serait bien qu'elle soit du côté extérieur de la chambre des filles.

Vivien a compris et se retrouve rapidement sur l'herbe. Il indique une fois près de Denis et Sandra.

--Thomas n'a pas besoin de nous pour l'instant. Nous allons donc mettre la première fenêtre à notre cabane, et là, il faudra la force de tout le monde, puisque Thomas a du travail au chalet.

Audrey regarde d'où elle se trouve, à l'entée de la grotte, la cabane commencée un peu plus bas dans la plaine et déclare.

--Je ne suis pas très d'accord pour mettre une fenêtre sur les chambres, ce n'est pas une bonne idée.

--Pourquoi, Audrey ?La réponse ne tarde pas.--Parce que, mon cher Vivien, au matin nous serions

toutes et tous réveillés par la lumière du jour.--Pourtant, Thomas croyait que ça vous plairait.Denis ajoute aussitôt après Vivien.

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--On ne peut pourtant pas en disposer sur le côté sud et à l'ouest, car, avec les vitres, notre cabane, une fois le bois sec, pourrait prendre feu. Tu l'as dit toi-même, il fait chaud en journée malgré l'altitude.

Sabrina s'en mêle. Elle prend le parti d'Audrey.--Vous me faites rire, avec votre altitude, nous ne

sommes pas au sommet d'une montagne, sinon cette plaine n'existerait pas. Nous ne sommes pas plus hauts que nous étions à la colonie. Cela dit, Audrey a quand même raison, ce n'est pas une bonne idée de mettre une fenêtre sur l'extérieur des chambres. Je sais, Thomas pensait que les chambres seraient plus claires, mais son idée a davantage d'inconvénients que d'avantages.

Marion fait savoir.--Enfin ! Sabrina, je croyais que tu n'allais rien dire.

Je suis tout à fait de votre avis à Audrey et toi. Et, comme c'est nous qui occuperons la chambre, pas de fenêtre sur l'extérieur.

Il semble que se pose un problème, et Vivien de prévenir le dernier du groupe.

--Thomas, arrête tout, les filles ne veulent pas de fenêtre pour leur chambre.

Le garçon rejoint ses amis et Denis le met au courant du problème posé. Thomas indique pour les filles, et en premier pour Audrey en forme d'excuse, car c'était bien la première fois qu'il avait décidé pour les filles sans les consulter d'abord.

--Moi je pensais à votre confort mais puisque c'est une mauvaise idée, je ne vois qu'un solution. La fenêtre qui est là servira de porte à la cabane. Je reconnais, en y pensant à présent qu'au matin, en appliquant ce que j'avais pensé à priori, le jour rentrerait vite dans votre chambre, et puis, en y réfléchissant bien, vous auriez eu moins d'intimité.

Marion est contente. Elle propose alors aux autres.--Et si, avec la seconde fenêtre, nous faisions une

porte desservant les deux chambres, puisque nous avons une sorte de salon ?

Audrey, souriante, ne voit plus aucune objection et l'unanimité se fait sur le projet de la fille aux cheveux courts. De ce fait, la première fenêtre arrivée près de la cabane va selon l'idée de Marion.

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Les garçons, pour cela, ont creusé un peu le sol pour y placer le bas de l'encadrement. L'ouverture se faisant en venant des chambres. Ceci fait, Denis, Vivien et Thomas repartent au chalet tous les trois pour ôter la dernière fenêtre s'y trouvant encore, et qui, elle, servira de porte d'entrée à la petite maison fabriquée par les adolescents et leur monitrice.

Les parois intérieures du chalet que Vivien et Thomas avaient pu retirer, servent à garnir les côtés, si bien qu'il ne faut que peu de branchages pour terminer la cabane puisque le plafond est également celui qui se trouvait dans le chalet. Denis et Vivien avaient réussi à l'extraire en deux fois. A présent, il sert de toit à la cabane.

Pourtant, les filles posent des branchages et du feuillage au-dessus, et il est loin d'être nuit lorsque les six adolescents et Sandra peuvent enfin entrer dans leur petite maison. Cette fois il n'y a plus rien à redire.

Sabrina, la plus jeune mais non la moins efficace en cette journée, remarque alors.

--Nous quatre, nous avons des matelas, pas les garçons. Il serait normal que nous, les filles, nous nous occupions d'aller chercher des fougères pour leur chambre. Ils ne vont pas dormir à même le sol, quand même !

Sandra fait savoir.--Moi, je leur laisse mon sac de couchage.Audrey et Marion se regardent un instant et l'aînée

des deux déclare à son tour.--Marion et moi aussi, mais cela n'empêche pas les

fougères pour autant.--Non, les filles, pas besoin de fougères, dans ce cas.

Merci à toutes les trois. Dès demain, à part la nourriture qui sera primordiale à chercher, nous essaierons de trouver de petits sièges, car les chaises récupérées ne feront pas l'affaire, c'est pourquoi elles sont restées dans la grotte. Par contre, la table sera celle du chalet, on lui coupera les pieds. Nous aurons ainsi une table basse.

C'est Thomas qui vient de parler. Il ajoute alors ensuite.

--Maintenant, je me sens fatigué. Je ne travaille plus aujourd'hui, je vous préviens.

Sandra admet pour le garçon qui vient de parler.

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--C'est vrai que tu as fait un travail considérable avec Denis et Vivien. Nous ne te demanderons plus rien pour ce soir, et puis, nous avons un abri pour la nuit, en attendant que les secours nous localisent pour venir ensuite nous chercher.

Marion pense très fort : Sandra déraille totalement. Il n'y aura pas le moindre secours. Je me demande qui elle veut convaincre, elle ou nous ? Si c'est nous, elle se fatigue pour rien, les garçons, Audrey, Sabrina et moi savons très bien que nous devrons seulement compter sur nous. Si c'est elle, c'est autre chose, et là, nous avons du souci à nous faire.

Audrey propose à Thomas.--Installe-toi sur mon matelas, tu l'as bien mérité.

Nous autres, sortons pour trouver ce que l'on pourrait bien manger ce soir en plus des fruits.

A peine Thomas est-il assis sur le matelas désigné par Audrey, que Sabrina lui ôte ses baskets. Le garçon lui fait la bise avant de reconnaître.

--Je crois que sans toi, je me serais couché sans me déchausser. Pourquoi es-tu aux petits soins avec moi ?

La fille explique à son copain de classe.--Thomas, sans ta hache, nous n'aurions pas pu faire

de cabane aussi confortable. Dors un peu. Depuis ce matin, tu ne t'arrêtes pas. Au fait, tous les vêtements que Marion et moi avions lavés sont secs, mais il ne sont pas repassés. Marion a tout rangé dans les deux commodes tout à l'heure. Elle en a profité pour faire du tri. Nous disposons d'un tiroir chacun, sauf Sandra, mais, on s'arrangera dès demain pour lui laisser un peu de place.

Thomas s'allonge sur le matelas et s'endort quasiment aussitôt. Sabrina rejoint les autres restés dans le petit salon de la maison et tous sortent en faisant le moins de bruit possible.

Dehors, Sandra décide.--Pour ce soir, nous nous contenterons de fruits car je

crois que nous sommes tous aussi fatigués que Thomas.Audrey reconnaît.--C'est vrai que depuis hier soir, nous n'avons pas eu

vraiment une vie des plus calmes. D'habitude, on se laisse vivre, là, depuis hier, ce n'est plus le cas, mais Thomas a vraiment travaillé comme un forcené. Je comprends qu'il soit épuisé ce soir, on le serait à moins. Pourtant, Sandra, nous

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risquons d'avoir faim cette nuit si nous ne mangeons que des fruits. Je sais, nous avons été trop occupés aujourd'hui pour penser à autre chose et en particulier à trouver de la nourriture, alors on fera avec ce que nous avons.

Marion souffle à Sabrina.--On leur dit ?L'autre fille acquiesce en souriant.--Oui. Demain on verra, et puis, il faut bien faire avec

comme on dirait « les moyens du bord ». C'est ton idée, vas-y.Marion fait asseoir tout le monde dans l'herbe à

quelques mètres de leur nouveau refuge et annonce avec un grand sourire.

--Voilà, Sabrina et moi avons quatre paquets de gâteaux chacune. Nous sommes gourmandes et nous avions fait des réserves, elles serviront donc pour notre repas de ce soir, et après on ira se coucher. Audrey, tu avais raison, juste des fruits, nous aurions eu faim. Au lycée, j'aurais dit « la dalle », et quand on a faim on ne peut pas dormir. Voilà, vous savez notre secret. Ce sera toujours ça de plus pour ce soir.

Plus sage, Vivien propose.--Il serait peut-être préférable de garder quatre

paquets pour demain. Nous aurons faim en nous levant.Denis ajoute à la suite de son copain.--Pour le petit-déjeuner, deux paquets devront suffire,

même si nous avons encore faim. Mais je crois que nous pouvons embrasser Marion et Sabrina et les remercier d'être gourmandes. Moi, j'ai vérifié, mes deux tablettes de chocolat au lait sont intactes. On les partagera demain matin avec les gâteaux.

La benjamine du groupe remarque.--Diviser deux tablettes en sept, ça ne sera pas très

facile.Marion est bien du même avis, mais Vivien est plus

optimiste.--Mais si, c'est faisable, en divisant les tablettes en

carrés.Audrey avoue.

--Ce soir, je renonce à réfléchir.Sandra fait la bise aux cinq adolescents qui sont près

d'elle et se justifie ensuite.

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--Vous êtes géniaux, toutes et tous. Sincèrement, je suis contente d'être avec vous.

Les trois filles se demandent si Sandra pense vraiment ce qu'elle vient de dire.

Denis regarde aux alentours. C'est vrai qu'ils sont seuls dans cette prairie, mais, sur trois côtés, des sommets assez impressionnants se font voir. Pourtant, derrière la grotte, existe comme un passage. Non, pas un passage, mais la montagne est moins haute. Mais, où iraient-ils, de ce côté, à supposer qu'ils puissent franchir le col ? Le garçon n'en a aucune idée.

Après le repas rapide du soir, tout le monde se couche avec le soleil. Denis se charge de fermer les fenêtres devenues des portes. Ainsi, ils n'auront rien à craindre pour la nuit.

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3

Au matin, Thomas ouvre le premier la porte qui communique avec la « salle à manger » ou le « salon », au choix de ce qui sera décidé finalement dans la journée. La veille, au cours du dîner, les filles optaient pour le « salon » en expliquant avec raison qu'ils ne mangeront jamais à l'intérieur de la petite maison alors que la plaine où ils se trouvent est si vaste.

Dehors, par les carreaux de leur nouvelle porte, le garçon peut voir le ciel tout bleu et il sort pour aller se laver, mais, le bruit qu'il a fait, bien que faible, a alerté un lapin qui s'est enfui dans les herbes, donc, il faudra poser des collets au sortir des terriers que Denis, Vivien et lui chercheront, car ce lapin ne peut pas être seul, c'est impossible.

A la différence de la veille, il entend les oiseaux chanter, et, franchement, il préfère. Le silence de la veille était vraiment pesant et l'avait personnellement mis mal à l'aise.

Maintenant, le garçon se souvient également que Sabrina et Marion avaient soutenu avoir vu des poissons, et justement, ses deux copains et lui ont des cannes à pêche. Ce

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serait bien le malheur que ni Denis, ni Vivien ou lui, n'arrive à prendre le moindre poisson. Les gâteaux, c'était bien pour hier soir, mais ils ne vont pas durer. Dès ce matin il n'en restera plus, et ensuite ils n'auront plus rien à part les fruits sauvages.

Le garçon bien reposé ce matin, se dirige tranquillement vers la rivière. Sur la berge, il se déshabille et se met ensuite à l'eau, mais bon sang, ce que cette rivière peut être froide ! Sabrina et Marion n'ont cependant rien dit quand elles ont fait la lessive, et pourtant, elles avaient les mains continuellement dans cette eau glaciale.

Heureusement que le soleil est déjà présent, sinon il ne tiendrait pas. D'ailleurs, il n'y reste pas longtemps. En se séchant, il regarde la plaine dans laquelle a été bâtie la cabane. La veille, il l'avait à peine aperçue, trop occupé qu'il était à vouloir un abri solide pour le soir. Sincèrement, l'idée de dormir une seconde nuit sur le parquet du chalet lui déplaisait et il avait eu peur d'une catastrophe pour l'ensemble du petit groupe.

La plaine est belle, assez large, calme, entourée de montagnes dont certains sommets assez hauts portent encore de la neige. Sabrina a raison, on ne voit plus le Mont-Blanc, et ça, c'est quand même assez surprenant. Seul le côté où la plaine descend est accessible, c'est la seule trouée. Il faudrait tenter de voir où ils arriveraient en suivant la rivière. Cet après-midi, il proposera son idée aux autres. Ne plus décider pour eux. Hier, Audrey avait fait remarquer avec raison que toutes ses idées n'étaient pas bonnes.

L'avantage de leur petite maison bâtie en un seul après-midi, c'est un record pour sa grandeur et les matériaux employés, c'est qu'en cas d'orage ou de pluie abondante, elle ne se trouverait pas sur la coulée d'eau venant des montagnes environnantes. Il est vrai qu'elle serait entourée de petites rivières, mais les adolescents n'auraient rien à craindre. Cependant, pour plus de sécurité, s'ils en avaient le temps, ils iraient quand même se réfugier dans la grotte.

Sandra le sort de ses pensées.--Tu es là ! Je me demandais où tu étais passé. La

prochaine fois que tu désires un peu de solitude, préviens-nous lorsque tu partiras de la cabane.

Encore en slip de bain, Thomas rétorque.

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--Je n'allais tout de même pas réveiller tout le monde parce que je voulais sortir. Au fait, bonjour, Sandra. Tu as bien dormi ? Car moi, je me sens parfaitement bien, ce matin.

La jeune femme répond seulement.--J'ai dormi. Bonjour, Thomas.Le garçon conseille à la jeune femme.--Tu devrais prendre une serviette et venir te laver, je

dirais aux autres de ne pas te déranger. Rassure-toi, tu peux nous faire confiance. Nous ne sommes ni des voyous ni des voyeurs.

La jeune femme fait une bise au garçon. Dans le fond, il ne pensait pas mal faire en s'éloignant seul. Elle lui réplique avec un sourire.

--Tu sais, moi, ça ne me dérange pas de me laver en même temps qu'Audrey, Marion ou Sabrina. Après tout, ce sont aussi des filles. Et puis, mon cher, j'ai effectivement confiance en Denis, Vivien et toi pour ne pas profiter de la situation. Je vous connais mieux depuis avant-hier soir.

--Oui, c'est juste. Nous sommes ensemble et il faut que nous restions soudés. Pour les trois filles, Denis et Vivien c'était déjà normal avant, mais, avec toi il faut que nous te fassions comprendre que nous te considérons comme l'une des nôtres. Quand tu es arrivée, je regardais tout autour, car hier, je n'ai pas eu beaucoup de temps pour le faire. J'étais souvent dans l'ancien chalet en train non pas de démolir, mais récupérer en le démontant, ce qui nous serait utile. Sandra, Audrey a été super-gentille de me prêter son matelas avant le dîner d'hier soir, et Sabrina un vrai chou de me déchausser. Sincèrement, j'étais complètement « vidé ».

--Thomas, il me semble que tu voulais dire autre chose avant de parler d'Audrey et Sabrina.

--Plus tard, ça peut attendre, une nouvelle journée nous attend.

Sandra a compris que le garçon n'était pas décidé à parler de ce qu'il pensait. Pour le décontracter, elle fait celle qui a tout oublié et réplique.

--Tu as travaillé comme un chef, mais Denis, Vivien et même les filles ont été bien plus à la hauteur que moi. Je me sentais dépassée par ce qui était arrivé et je ne...

Thomas la stoppe pour confier.

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--Arrête, sans toi, je l'avoue, je n'aurais pas été du tout rassuré et les cinq autres te diront exactement la même chose que moi si tu leur poses la question. Sandra, si j'ai travaillé autant, c'était pour éviter que l'on s'aperçoive de mon trouble et, je le dis franchement, de « la trouille » que j'avais. Donc, il fallait que je m'occupe d'une façon ou d'une autre. Celle-là était la meilleure, puisqu'il nous fallait un abri pour la nuit. Marion et Sabrina ont fait une lessive pour quelle raison, d'après toi ? Il nous restait à tous du linge, mais il fallait qu'elles s'occupent, elles aussi. Heureusement que nous t'avions, car tu es toujours restée calme.

--Bon, d'accord, j'ai été formidable sans m'en rendre compte moi-même. Maintenant, viens, Audrey et Marion préparent le petit-déjeuner.

En riant, le garçon fait savoir.--Pour moi, ce sera chocolat au lait bien chaud avec

des tartines beurrées. Tu vois, je ne demande même pas de confiture.

Sabrina survient et signale d'un air sérieux.--Vous deux, arrivez, sinon, Marion a dit que vous

seriez privés de gâteaux et de chocolat.Thomas fixe la benjamine. Sandra conseille.--Je crois que nous devrions y aller, sinon, Marion

serait bien capable de mettre ses menaces à exécution.Sabrina fait savoir à son ami de lycée.--Toi, pour passer à table, tu enfiles une chemisette et

un short, ce sera plus correct envers les filles. Nous ne vivons pas comme des sauvages, même si nous ne savons pas où nous sommes.

Thomas questionne leur monitrice.--Elle est comme ça depuis qu'elle est réveillée ? Elle

ne sait même plus dire bonjour ?La fille va à son compagnon et lui fait la bise sur la

joue non sans avoir reproché tout de même.--Tu t'es lavé, tu as fait fuir les poissons. Bonjour,

Thomas, ça va mieux qu'hier soir ? --Bonjour Sabrina. Oui, je me suis reposé, merci. Je

n'ose pas demander comment tu vas, toi, car ce n'est pas la peine, tu as l'air décidée.

La fille sourit et réplique.

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--N'empêche, si tu n'étais pas là, ce serait dommage, même si tu fais fuir les poissons et que tu es en slip de bain de bon matin.

Sandra commente toute souriante.--Thomas, ce n'est pas tous les jours que Sabrina doit

faire des compliments, il te faudra te souvenir de celui-là.La fille s'étonne.--Tu me connais si bien que ça, Sandra !--Je crois que depuis quelques jours, je peux dire oui.

Mais j'aime bien ce genre de caractère, au moins, tu dis ce que tu penses.

Le trio rejoint les autres devant leur « maison » et ils partagent ce qu'ils appellent le petit-déjeuner. Juste après, les filles vont se laver. Les trois garçons, eux, retournent vers la grotte où se trouvent encore le plancher du chalet, les trois chaises et la table. Le mobilier est intact. D'en bas, Vivien examine la grotte minutieusement et avoue.

--Il ne reste rien comme passage. Des rochers bouchent le passage, et non pas un seul. A la « colo », ce doit être la panique totale, et il est impossible de faire sauter ces rochers à la dynamite, il pourrait se produire des éboulements de la montagne qui se trouve au-dessus du camp.

Après un court silence, il reprend.--Il resterait bien une solution, mais je ne sais pas si

elle serait possible. Ce serait que nous franchissions le col que nous voyons au-dessus de cette grotte, peut-être nous conduirait-il près de la colonie.

Thomas observe pour son copain qui vient de parler.--J'y ai pensé hier, mais ce serait un travail énorme et

il nous faudrait redescendre à chaque demi-journée à notre cabane. Nous n'avons que ma petite hache et nous devrions abattre quelques arbres pour y parvenir. Si nous, nous avons eu cette idée, Jacques, les autres moniteurs et les sauveteurs qui ont dû être appelés, l'auront eue aussi, et eux, pourront demander en ville du matériel en conséquence. Il nous suffit de les attendre.

Denis, assis dans l'herbe devant la grotte, lance.--Pas d'accord, Thomas.

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Le garçon regarde Denis qui a fait savoir qu'il pensait d'une façon différente de ses deux amis. Vivien, intéressé et surpris à la fois, demande au copain qui n'est pas de leur avis.

--Pourquoi n'es-tu pas de l'avis de Thomas ? C'est pourtant la logique même, il me semble.

Denis se relève de terre pour s'asseoir sur le bord de la porte posée en toboggan la veille pour faire descendre les vacanciers, leurs bagages et tout ce qui a pu être récupéré, puis reprend alors.

--Il me semble, à moi, que la nuit vous a fait oublier le principal. Je rappelle donc les faits. Lorsque le chalet s'est mis à glisser avant-hier soir, la toiture a été arrachée parce qu'il entrait dans la grotte interdite. Vous devez tout de même vous rappeler qu'il y avait un violent orage, d'accord ?

--Ben évidemment, sinon, nous ne serions pas ici en ce moment !

--Exact. Bien, ensuite, lorsque le chalet s'est arrêté de glisser et que je me suis relevé, j'ai vu par la fenêtre des étoiles dans un ciel dégagé. Thomas, tu as vu également, je me trompe ?

--Non, c'est vrai, et alors ?--Thomas, tu le fais exprès, ou quoi ?Vivien le calme et fait.--Vas-y, continue, pour voir où tu veux en venir.--Où je veux en venir, mon cher Vivien, c'est simple.

L'orage ne peut pas se stopper d'un seul coup, aussi brutalement, et le ciel être dégagé en deux ou trois minutes maximum.

--C'est juste, faut reconnaître. Quelle est ton idée, à toi ?

Denis reprend pour être tout à fait sincère envers ses deux amis.

--Je crois sincèrement que nous allons avoir d'énormes surprises, si vous voulez mon avis, et bien plus grandes que vous ne pensez. D'ailleurs, dès hier, Sabrina nous avait alerté en faisant remarquer que l'on ne voyait plus le Mont-Blanc.

--Ce qui veut dire ?

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--Thomas, à supposer que l'on puisse tracer un chemin et franchir le col au-dessus de cette grotte, nous ne retrouverions pas pour autant la colonie, c'est impossible.

--Que l'on ne tombe pas sur la colonie, d'accord, ce serait un coup de chance, mais, on trouverait quand même des gens pour alerter la vallée. Ce n'est pas parce que nous ne voyons pas le Mont-Blanc que nous en sommes éloignés.

Denis reste calme.--Ecoutez, hier, tous, nous avons constaté que les

sommets qui nous entourent sont différents de ceux que nous étions habitués à voir depuis début juillet. L'ensemble de la montagne est différente, la forêt que nous voyons n'est pas non plus disposée de la même façon que celle que nous avions au-dessus de notre chalet. Nous devrions également connaître cette grande plaine que nous voyons devant nous, or ce n'est pas le cas. Conclusion, nous sommes ailleurs.

--Pardon !--Oui, Vivien. Et en plus, moi, je pense que nous

avons changé de temps. Hier, nous n'étions plus le 7 juillet de notre année, mais le 7 juillet d'une année que je crois bien plus ancienne.

Thomas lance à Denis.--Toi, tu lis trop de romans de science-fiction ou tu

regardes trop la télévision, c'est certain. Denis, c'est absolument impossible.

--Parfait, Thomas, dans ce cas, explique-moi comment, hier matin, lorsque nous sommes arrivés dans cette herbe que nous foulons encore, elle n'était pas mouillée. Il y avait eu la rosée du matin, mais elle n'était pas trempée comme elle aurait dû l'être après l'orage mémorable que nous avions subi l'autre soirée et une partie de la nuit. Tu crois que c'est possible, toi, après un orage comme nous avons eu ?

Vivien et Thomas se regardent. Là, Denis marque un point. Il est exact que l'herbe n'était pas mouillée comme elle l'aurait dû l'être après un orage, et la terre n'était nullement détrempée. Vivien avoue à ses deux copains.

--Sincèrement, je ne sais pas comment annoncer cette nouvelle aux filles et à Sandra.

Denis suggère à ses deux amis.

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--Le mieux serait de ne rien dire, en plus, elles ne nous croiraient pas, et puis, à part les sommets environnants et l'herbe qui n'était pas trempée, je n'ai aucune preuve. Cet après-midi, je propose que nous descendions le long de la rivière. On verra bien où elle nous mènera. Il sera temps ensuite de leur dire.

Thomas fait remarquer pour les deux autres.--Jusqu'ici, nous avons toujours tout dit aux filles. Ce

serait moche de leur cacher ce que tu penses, Denis.Vivien intervient pour dire à son tour.--Denis a émis une supposition dont nous ne sommes

pas sûrs. Thomas, il vaut mieux ne rien dire tant que rien n'est certain. Moi, Denis m'a convaincu par ses preuves, et je suis également de son avis de taire ce qu'il pense pour le moment. Maintenant, allons chercher la table, les filles vont arriver, se poser des questions et nous en poser aussi si nous restons à discuter. Elles voudront savoir de quoi nous parlions. Cet après-midi, on descendra le lit de la rivière tout en pêchant. De la sorte, rien ne paraîtra suspect et ce serait bien le diable si nous n'arrivions pas dans un village ou auprès d'une maison.

Thomas et Denis se rangent finalement à l'avis de Vivien et le duo monte sur le plancher de ce qui était il y a encore deux jours un joli chalet. Thomas, une fois la table près de Vivien à deux mètres en dessous, redescend avec Denis et commence à couper les pieds du meuble alors que les quatre filles sont à présent près d'eux. C'est Marion qui questionne brusquement.

--Pourquoi restiez-vous devant les restes du chalet ? On vous voyait discuter, et comme dirait Audrey, vous ne sembliez pas tout à fait d'accord entre vous. Nous, on aimerait bien savoir.

Vivien est le plus vif à répondre.--On regardait l'étendue des dégâts.Puis, après un court silence, le garçon reprend.--Denis, viens, à notre tour enfin d'aller nous laver.

Thomas, n'essaie pas de ramener la table avant notre retour, elle est lourde. A tout à l'heure, nous n'en aurons pas pour longtemps.

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--D'accord, en attendant, dès que j'aurai fini de couper les pieds, j'irai poser des collets. J'ai vu un lapin, ce matin, dans les herbes, donc il doit y en avoir d'autres.

Denis, en partant, lance.--Bonne idée. Cet après-midi nous essaierons de

pêcher pour varier le menu.Sandra questionne le trio.--Dites, les garçons, vous comptez rester dans cette

plaine plusieurs jours ?Denis réplique aussitôt.--Si tu as une autre idée, Sandra, fais-nous la savoir,

ce pourrait être intéressant pour nous tous.N'ayant plus que Thomas près d'elle, Sandra demande

au garçon qui s'apprêtait à s'attaquer à un autre pied de table.--Qu'a voulu dire Denis ?Thomas ne veut rien brusquer et indique.--Regarde, la grotte est totalement bouchée de ce

côté-ci. Les sauveteurs ne vont sûrement pas employer des explosifs pour faire sauter une partie de la montagne. Ils ne savent pas si nous sommes réellement morts ou vivants, mais la première solution est celle qu'ils doivent envisager. Pour eux, avec ces rochers, nous allons manquer d'air si nous ne sommes pas morts écrasés. Et puis, une explosion pourrait provoquer des avalanches de pierres et d'autres rochers qui entraîneraient des arbres avec eux. Non, ce serait bien trop dangereux, même pour eux.

Marion a écouté Thomas et riposte.--Dis, tu pourrais quand même arrêter de nous

prendre pour des « cloches » ? Tu racontes ces bêtises pour qui au juste ?

Le garçon est surpris des propos de Marion et il la fixe dans les yeux. Oui, cette fois, elle croit avoir compris, mais elle joue le jeu.

--De toute façon, les sauveteurs pourraient faire sauter toutes les montagnes qu'ils voudraient, jamais ils ne nous retrouveraient, puisque ce n'est pas la même montagne. Là-bas, au-dessus du campement de la colonie, dans la montagne il y avait une véritable forêt telle que nous la connaissions. Depuis hier, je le pense, je vais donc le dire, nous ne sommes pas dans les mêmes lieux. Prenez-moi pour

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une folle si vous voulez, mais c'est mon avis, et Sabrina le sait comme moi.

Audrey rappelle à la fille qui n'avait pas mâché ses mots envers Thomas.

--Marion, le chalet n'a que traversé la grotte, ça a duré cinq minutes au plus.

La fille aux cheveux coupés courts, rétorque.--Allons, Audrey, toi-même, hier, tu ne connaissais

pas cette plaine. Ne me dis pas que tu as changé d'avis. Je vais te prouver que tu as tort. D'abord, on ne pouvait pas traverser la grotte interdite, à moins que les rochers ne s'ouvrent devant le chalet, ce que je ne crois pas, mais, de toute façon, pour moi ce n'est pas la même montagne qui est là, derrière la grotte, c'est impossible.

Sabrina, très sereine, questionne à son tour.--Bien, maintenant que Marion a démontré que de

toute manière on ne pourra pas regagner la colonie, moi, je pose une question très simple et parfaitement claire. Qu'allons-nous faire ?Parce que cet hiver, tout ce que nous voyons sera recouvert de neige, même cette plaine.

Thomas sourit. Le garçon fait remarquer à la plus jeune du groupe.

--Sabrina, nous sommes en juillet, nous avons quand même le temps de voir venir.

La benjamine, toujours très calme, attend que Thomas ait terminé de couper le dernier pied de la table pour lui répondre.

--Je sais, mais, quel est le programme que Denis, Vivien et toi avez déjà probablement envisagé ?

Thomas ne peut se dérober.--On va d'abord trouver à manger, que ce soient des

lapins ou des poissons. Donc, cet après-midi, on descendra un peu la rivière pour pêcher, puisque Marion et toi avez dit qu'il y avait des poissons.

Sandra questionne le seul garçon présent.--Et qui attendra les secours ?Cette fois, Marion veut être bien claire et répond

brusquement mais naturellement à la jeune femme.--Personne, car il ne viendra aucun secours.

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Thomas n'ose pas parler et prépare ses collets. Il est suivi de ses amies et de Sandra. Après un silence impressionnant, et alors que Thomas a trouvé une entrée de terrier, la monitrice regarde l'adolescente qui reprend pour expliquer.

--Les hélicoptères existent. Ils auraient pu en utiliser pour passer la montagne et nous chercher dans la plaine en pente douce où nous sommes, si nous étions vraiment près de la colonie. C'est sans doute ce qu'ils ont fait, je n'en doute pas, mais, le problème c'est que nous ne sommes pas là où ils nous cherchent, et, attendez, je me demande même si nous ne sommes pas à une autre date que celle que nous croyons. Comme je connais ce cher Denis, il a dû raisonner comme moi. Thomas, qu'a dit Denis, tout à l'heure, quand vous discutiez dans la grotte ?

--Tu lui demanderas. Tu ne vois pas que je suis occupé à poser des collets près des terriers ! Et puis, vous devriez être bien plus silencieuses.

--Ouais, la bonne excuse pour éviter de me répondre, on en reparlera plus tard, tu ne perds rien pour attendre, mon petit vieux. Ceci dit, Thomas, nous allons t'aider. Avec quoi tu fais tes collets ?

Le garçon, un peu soulagé, répond à Marion.--Des lacets de chaussures et de baskets. J'espère que

ça marchera. Je n'ai rien trouvé de plus solide.Thomas a placé six collets au retour de Vivien et

Denis et il se sent nettement mieux à la vue de ses copains. Enfin, il ne sera plus seul face aux filles et leurs questions.

Sandra annonce toute souriante aux deux arrivants.--Marion est en plein délire.Vivien fixe la fille qu'il connaît depuis quelques

années et donne son avis.--Je n'en ai pas l'impression, enfin, à première vue, on

ne dirait pas. Sandra, pourquoi dis-tu que Marion est en plein délire ?

La jeune femme s'amuse en indiquant.--Il paraît qu'en traversant la grotte, nous aurions

changé de montagne au-dessus de nous, et, en plus, même, nous ne serions même plus le 8 juillet, aujourd'hui.

Marion se défend.

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--Pardon, Sandra, je n'ai jamais parlé du 8 juillet. Après tout, il est possible que nous soyons un 8 juillet, mais pas celui de la même année, c'est exactement ce que j'ai voulu dire, rien d'autre. J'avoue que je pense également que nous avons réellement changé de lieu.

Vivien s'adressant à Thomas.--Toi, tu devais être content de notre retour.Denis a souri des propos de Marion, mais, pas pour se

moquer, et la benjamine sait ce que ce sourire signifie. Denis aurait-il eu la même idée ? Après tout ce n'est pas impossible, si bien qu'elle déclare tout à fait naturelle.

--Après tout, qu'est-ce que ça pourrait faire ? Nous venons de la ville. Si Marion pense juste, fini la télé. Il faudra nous habituer à vivre autrement. Moi, personnellement, les tours de douze à quinze étages, je trouve que c'est laid. Sandra, laisse penser Marion ce qu'elle veut. Si c'était vrai, ce serait presque un rêve. N'empêche, elle a de toute façon raison sur un point, la montagne environnante est différente de celle que nous pouvions voir de la colonie. C'est vrai, il faut avouer, rien n'est pareil.

Sandra tente d'expliquer comme elle peut.--C'est un effet d'optique, Sabrina, car nous la voyons

sous un autre angle, c'est tout.Audrey arrête la monitrice.--Sandra, il ne faut plus te voiler les yeux. Marion et

Denis ont raison, ce n'est plus la même montagne, et pour un peu, je serais tentée de croire que nous ne sommes plus non plus dans les Alpes mais dans une autre chaîne montagneuse. Peut-être même hors de France.

Denis reproche à Audrey.--Pourquoi tu me mets dans le coup avec Marion ? Je

viens juste d'arriver de la rivière, moi !Audrey, se tournant vers le garçon, réplique.--Toi, comme tu dis, on te connaît. Thomas n'a rien

voulu nous dire, mais c'est sûr, tu as dit la même chose à Vivien et Thomas. Ose donc prétendre le contraire !

Vivien éclate de rire puis précise.--Tu n'y pourras rien mon cher Denis, ta réputation

n'est plus à faire, tout le monde ici te connaît. Sandra, pas

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encore, mais nous autres, oui. Audrey, pour te répondre, oui, c'est exact, il nous a démontré que nous avions changé de lieu.

La blonde Audrey est satisfaite.--Je le savais d'avance. Tu vois, Denis, c'était inutile

de nous mentir. Je l'ai su quand on vous a vus en pleine discussion dans la grotte qui n'a rien à voir avec celle qui se trouvait près du camp de la colonie.

Marion annonce pour faire savoir ce qu'elle croit.--Nous avons changé de lieu et peut-être d'espace

temps.Sandra avoue à sa petite équipe.--Vous allez me rendre folle, tous les six.

Heureusement que je connais la complicité qui vous unit, sinon, je me poserais des tas de questions, moi !

Vivien, redevenu sérieux, stoppe la jeune femme qui recommençait à marcher en direction de la cabane construite la veille.

--Sandra, je suis désolé, mais note amitié n'a rien à voir dans tout cela. C'est vrai, j'aime beaucoup Sabrina, Marion et Audrey, et je trouve Thomas et Denis de supers-amis, mais nous ne te monterions pas une blague aussi énorme pour autant. Sandra, ce qu'ont dit Marion et Denis n'est pas une blague du tout. Sois un peu objective, s'il te plaît, rien de ce qui nous est arrivé n'est naturel, reconnais-le.

L'adulte du groupe veut faire comprendre.--Vivien, je suis responsable de vous auprès de vos

parents. J'ai été engagée pour vous encadrer et vous protéger en cas de besoin. Il faut que nous trouvions un moyen de regagner la colonie. Jacques va me dire, au retour, que je n'ai pas fait mon travail de monitrice.

Les six adolescents se regardent. Il semble que Sandra ne veuille pas comprendre la situation. Comment la faire réagir et lui montrer la vérité ? C'est la question qu'ils se posent tous intérieurement.

Thomas se fâche un peu.--Sandra, sois gentille, essaie de revenir sur terre.

Nous savons qu'une « mono » est responsable des « ados » dont elle a la charge à la « colo », et, si nous pouvions, nous t'aiderions de toutes nos forces, mais il nous est impossible de franchir des blocs de rochers ni de passer par le col que nous

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apercevons. Ce n'est pas en tennis ou en baskets que ce serait possible. D'abord, pour y accéder, il nous faudrait faire de l'alpinisme, et puis, ça fait haut. Je n'y connais rien en escalade, Audrey, Marion et Sabrina non plus, pas plus, à ma connaissance, que Vivien et Denis. Je te rappelle, pour le cas où tu ne t'en souviendrais plus, que c'est notre première colonie en montagne.

Marion promet en coupant la parole à Thomas.--Ce sera également la dernière, je vous le dis, on ne

m'y reprendra plus, c'est fini.Thomas foudroie son amie du regard. Elle a compris

et le laisse parler de nouveau. Il reprend plus calmement.--Sandra, je t'en prie, ne reste pas obnubilée sur une

chose. Nous te disons : il s'est passé quelque chose d'étrange durant cet orage. Le chalet est bien rentré dans la grotte interdite, mais il n'y est plus et nous sommes face à une grotte qui ne lui ressemble en rien. Nous n'allons pas nous lamenter pour autant, puisque nous n'y sommes pour rien et que de toute façon cela ne servirait à rien. Ai-je été assez clair ? Denis, Marion, Sabrina, Audrey et Vivien ont raison et tu n'y changeras rien ni nous non plus. Bon, ceci dit, on ramène la table. Nous trouverons bien par la suite de quoi faire sept sièges.

Pour consoler le garçon qui vient de parler, Sabrina lui signale.

--En supposant que nous ayons pu atteindre le col, à quoi cela nous aurait servi ? A rien du tout, il aurait fallu redescendre ou aller dans une autre vallée que nous n'aurions pas davantage connu. Dans ce cas, inutile de se fatiguer pour rien en risquant en plus un accident grave.

Sandra réagit quand même.--Et ça ne vous gêne pas, vous, que nous soyons seuls

dans cette plaine, livrés à nous-mêmes ?Sabrina reprend, pour faire savoir ce qu'elle pense à

la jeune femme.--C'est plus marrant que la « colo ». Logiquement,

nous devrions tous être morts. Nous sommes en vie, c'est déjà pas si mal, je trouve.

Audrey rappelle à la jeune femme.

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--La grotte qui était visible du campement de la colonie n'avait aucune ouverture intérieure, et nous, nous sommes passés au travers avant que les rochers ne la referment sur nous et ne la transforment. Sabrina a raison, nous avons eu une drôle de chance !

Denis rectifie les propos de l'aînée de ses compagnes.--Non, Audrey, puisque nous sommes ailleurs. La

grotte ne s'est pas ouverte pour nous comme la mer rouge. Nous sommes bien entrés dans cette grotte, c'est juste, mais il s'est passé quelque chose que nous ne savons pas. Voilà la vérité, sinon, les hélicoptères de sauvetage auraient franchi les sommets alentours et nous les aurions au-moins entendus hier matin. Or, hier matin, à notre arrivée ici, tout était d'un silence impressionnant, je m'en étais rendu compte et vous autres aussi.

Marion questionne le garçon.--Denis, tu as pensé que nous pourrions avoir changé

aussi d'espace temps ?--De lieu, c'est certain, et c'est déjà pas mal. D'espace

temps, cela m'étonnerait quand même.--Et je peux savoir pourquoi cela t'étonnerait ?--Parce que cela n'arrangerait pas nos affaires,

Marion, et que nous serions passés dans la quatrième dimension, celle qui n'existe pas. Là, ce serait vraiment de la science-fiction et Sandra ne serait pas très contente, ce en quoi je la comprendrais.

Audrey, un peu curieuse, questionne.--Que se passerait-il, si c'était le cas, Denis ? --Nous serions condamnés à vivre continuellement à

cette époque, jusqu'à la fin de nos jours, tout simplement.Sabrina se doit d'avouer.--Là, tu as raison, Sandra n'aimerait pas du tout.La monitrice sourit et signale.--Dites, les frayeurs fictives, ça suffit comme ça.Denis, qui avait été questionné, change de sujet.--On n'aurait pas cru, mais cette table était quand

même lourde. Heureusement qu'elle est arrivée près de notre petite maison. Par contre, je ne vois pas comment la faire rentrer, à moins d'ôter une partie du toit.

Vivien décide d'un seul coup.

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--On ne touche pas au toit. Sandra, aide-moi.Et le garçon parvient avec la jeune femme, à faire

entrer de biais, la table par la fenêtre qui sert à présent de porte.

Une fois le meuble placé par Denis et Thomas, Sabrina émet du dehors.

--Moi, ce qui me surprend le plus dans toute notre histoire, c'est que nous n'avons encore vu personne. Je ne sais pas, moi, il devrait y avoir des moutons, des chèvres ou des vaches, l'herbe est belle et abondante, d'habitude, d'après ce que j'ai entendu dire, les bergers font monter en alpages les moutons ou les vaches pour deux ou trois mois, sinon davantage. La plaine est vaste et il y aurait de quoi nourrir un troupeau assez important, mais, rien, pas un seul berger, pas un seul mouton dans les environs. Vous ne trouvez pas que c'est plutôt surprenant, vous autres ?

Vivien admet à son tour.--C'est aussi ce que je pensais. En suivant la rivière,

on trouvera bien un hameau ou même un village. D'après la montre de Sandra il est onze heures. Je serais d'avis que nous mangions dès à présent afin de partir plus tôt, d'autant que nous sommes déjà près de notre domicile de fortune.

Audrey proteste très vite.--Vivien, tu exagères, je le trouve très bien, notre

abri. N'oublie pas que nous n'avions que la hache de Thomas et deux couteaux comme outils. Et tout a été fait en un après-midi. D'accord, du matériel venant du chalet a été utilisé, mais il fallait bien que nous ayons cette cabane avant la nuit.

--Toutes mes excuses, Audrey. C'est vrai que nous avons bien travaillé pour la construire. Mais, pour ce qui est de manger maintenant, tu es d'accord ?

La fille sourit en acquiesçant de la tête, d'autant que le repas sera vite avalé puisqu'il consistera en deux paquets de gâteaux. Cette fois, ce sont les derniers, avec quelques fruits sauvages en plus.

Alors que tout le monde vient de finir de manger, Thomas demande.

--Quelqu'un veut un dessert ?Tous les autres le regardent avec surprise. Marion

déclare même.

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--Si c'est une plaisanterie, elle est de mauvais goût. Tu sais bien que nous avons encore un peu faim mais qu'il nous faudra attendre ce soir que vous ayez pêché des poissons ou pris des lapins dans les collets. Si ce n'est pas le cas, moi, je vous dis que nous serons très mal.

Sabrina confirme ce que vient de dire sa copine.--Marion n'a pas tort, sans le moindre poisson ou un

seul lapin, il faudra trouver autre chose à manger. J'espère que d'ici là, nous aurons trouvé un village en descendant la rivière.

Thomas reprend en souriant.--Comme Denis, j'avais fait une réserve de chocolat,

quatre tablettes. Nous en mangerons deux ce midi et je confierai les deux autres à Sandra, pour le cas où nous aurions faim cet après-midi.

Marion, tout sourire, veut se racheter et déclare.--Ces trois là, Sandra, s'ils n'existaient pas, je t'assure,

il faudrait les inventer. C'est pour ça que notre amitié est si forte. Tu vois, eux, ne font pas attention que nous sommes des filles. Ils nous considèrent comme eux. C'est bien pourquoi, hier, Sabrina et moi avons également fait leur lessive. Pour nous, c'était normal.

Les trois garçons sont ravis du compliment de Marion, la fille n'en faisant que très rarement.

Peu après, une fois le chocolat mangé, le petit groupe part comme prévu le long de la rivière avec les cannes à pêche des trois garçons. Ils descendent vers l'est, mais, au soir, ce sera plus difficile pour regagner la cabane, car il faudra tout remonter, même si la pente est légère pour le moment.

Audrey fait pour ses amis.--Il fait chaud et nous avons un ciel tout bleu, c'est

bien agréable tout de même.Les cinq autres adolescents sont bien du même avis.

Pourtant, Sandra réplique sérieusement.--En ce qui me concerne, je suis inquiète, et bien plus

que vous six, il me semble. On dirait que pour vous, il s'agit d'une simple petite aventure. A moi de vous dire de revenir sur terre. Vos parents ont certainement été alertés et ils doivent se faire un souci monstre. Dès que nous le pourrons, où que nous soyons, il faudra téléphoner pour rassurer Jacques et toute la colonie.

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Vivien, serein, de répondre.--Nous saurons nous en sortir, Sandra, tu verras. Non,

nous ne prenons pas ce que nous vivons comme une simple petite aventure. Nous sommes conscients. Le problème majeur est que nous sommes isolés pour le moment, mais, cette rivière est source de vie, et pas seulement pour nous, j'en suis persuadé, puisque personne ne peut vivre sans eau. C'est pourquoi nous espérons trouver quelqu'un en descendant cette rivière. Sandra, pour cet après-midi, un conseil, laisse-toi vivre.

Thomas et Vivien ont commencé à pêcher et, contrairement à ce qu'ils croyaient, les poissons mordent vite aux deux hameçons et chacun ramène une belle truite sur la berge. Vivien, qui avait prévu un récipient ramené du chalet, est tout content et déclare à Sandra.

--Tu vois, notre repas de ce soir va être assuré, si la pêche continue d'être bonne.

Puis, se tournant vers Marion.--Excuse-moi, j'ai pris le petit seau où tu avais prévu

de mettre tes différents cailloux.La fille aux cheveux courts rassure.--Tu as bien fait, il faut faire avec ce que nous avons,

et je vais te confier un secret. Maintenant, la collection de cailloux, c'est comme la montagne, c'est terminé, je te promets.

Audrey fait voir un léger sourire. Son amie agit toujours ainsi, c'est tout ou rien, et elle aura du mal à se remettre de cette aventure en montagne commencée pendant un orage.

Sabrina fait savoir en regardant les deux truites prises.

--Elles sont belles, mais il en faudrait encore cinq comme celles-là pour que nous en ayons une chacun. Remarquez, ce sera toujours mieux que des gâteaux et plus consistant.

Sandra questionne la benjamine.--Dis donc, Sabrina, je me demande quand tu seras

contente des garçons ?Elle ne répond pas, sachant bien qu'elle a exagéré et

que même avec deux truites de plus ce serait suffisant.

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Plus ils avancent, plus ils aperçoivent au loin, une forêt qui semble couper la plaine où ils se trouvent encore, mais, selon Sandra, il s'agit d'un effet d'optique qui, cette fois, est accepté comme tel par les six vacanciers.

Ils marchent doucement. Pour eux, tout est nouveau et à découvrir, et c'est bien ce qu'ils font, mémorisant tout ce qu'ils voient au fur et à mesure qu'ils descendent la plaine.

Un quart d'heure environ après la réflexion de la benjamine du groupe, Denis, dont la canne à pêche n'est plus dans l'eau, pour une fois, et pour cause, il doit remettre un appât, en l'occurrence une sauterelle, interroge la plus jeune.

--Alors, Sabrina, tu vois que ce n'était pas si difficile. Nous avons sept truites. Tu as encore à redire, à présent ?

--Non, Denis, sauf que ce doit être la première fois que je vois une aussi bonne pêche, mais, arrêtez, ce n'est pas la peine de dépeupler la rivière inutilement.

Marion commente à son tour.--Tu n'es jamais contente, Sabrina. C'est vrai que

nous avons notre repas de ce soir, à condition de pouvoir faire cuire les prises des garçons.

Vivien précise quand même.--Il serait intéressant de pouvoir les vider et les

décortiquer ensuite, mais il suffira de faire un peu de feu pour les rendre mangeables.

Audrey donne son avis.--Pour ça, il faudrait du bois sec et fabriquer un genre

de tournebroche.Pour Marion qui ne suit plus la conversation

concernant la préparation du repas du soir, quelque chose ne va pas. Sabrina a raison, c'est la plus belle pêche à laquelle elle a assisté. Pourquoi donc ces truites se laissent-elles prendre aussi facilement, c'est ce qu'elle aimerait bien savoir. Elle entend enfin Thomas répondre à Audrey.

--Faire du feu ne sera pas un problème. Nous ferons cuire les truites dans la braise et on les mangera une fois qu'elles seront redevenues tièdes, car, autrement, attention aux brûlures des mains. Audrey, je suis désolé, mais nous n'avons rien pour fabriquer un tournebroche.

Marion questionne brusquement, pour se mêler à la conversation.

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--Vous êtes certains que c'est vers où nous allons que le soleil s'est levé ce matin ?

Thomas est catégorique.--Oui, à quelques degrés près, c'est l'est. Quand je me

suis levé, le soleil venait de ce côté, et il me semble qu'à l'école on m'a appris que...

Marion le foudroie.--D'accord, n'insiste pas, je n'aurais dû rien dire.Puis elle reprend après un silence très court.--Dans ces conditions, on devrait arriver en Suisse ou

en Italie.Vivien concède.--Ce serait logique. Sandra, t'inquiète pas. Il se peut

que nous nous trompions également.Thomas tranche pour éviter toute discussion sur le

sujet.--Nous verrons bien.Ils font une petite pause dans l'herbe, et les garçons

ne se privent pas de rester torse-nu. Les filles, à part Sandra, n'ont que leur short et le soutien-gorge de maillot de bain. Sandra, elle, a conservé son chemisier, expliquant qu'en cas de rencontre, si elle était comme les vacancières, elle serait plutôt mal à l'aise.

Sabrina fait savoir.--C'est drôlement joli, par ici, et ce calme, qu'est-ce

que ça fait du bien !Audrey veut se moquer de la plus jeune de tous.--En somme Sabrina, le fait que nous restions isolés

deux ou trois jours ne te gênerait pas, je me trompe ?La benjamine reconnaît volontiers.--C'est tout à fait exact, Audrey. Plus de liberté que

nous avons en ce moment, cela n'existera pas, alors, oui, ça me plairait.

Sandra donne une réponse qu'elle croit juste.--Ma pauvre Sabrina, le soleil est trop fort pour toi,

heureusement que nous allons trouver des gens pour nous venir en aide.

Personne ne répond à la monitrice, et surtout pas Marion qui se dit que Sabrina pourrait bien voir son rêve se réaliser au-delà de ses espérances.

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Au milieu de l'après-midi, Vivien qui se trouvait un peu en avant de la troupe, passe une petite colline et reste stupéfait. Un peu plus bas se trouve une maison, enfin, plutôt un refuge, car cette maison est construite en bois et en terre.

Thomas et Denis sont les premiers à rejoindre leur compagnon, et, Denis de reconnaître.

--Sandra va être contente, bien qu'il n'y ait ni le téléphone ni l'électricité. On saura au moins où nous sommes exactement, ce sera déjà ça.

A l'arrivée des filles et de Sandra qui porte à présent le seau avec les truites, Marion fronce les sourcils. Cette maison est bien étonnante pour le vingtième siècle, même en montagne. Cependant, elle ne dit rien de ce qu'elle pense à ses compagnons. Elle se rappelle que Thomas s'est un peu moqué d'elle quand elle a parlé de l'orientation.

Seulement, au fur et à mesure que le petit groupe se rapproche, aucune vie ne se fait voir.

Audrey, très en verve aujourd'hui, dit ce que les autres gardent pour eux.

--Cette maison semble bien abandonnée, et puis, sa construction est étonnante. Les deux fenêtres possèdent de gros volets de bois.

Sandra admet quand même, pour une fois.--Oui, c'est assez curieux.Marion n'en peut plus et se lance.--Moi, je vous dis que nous avons changé de siècle.Denis en déduit.--Si c'est le cas, nous sommes revenus en arrière, vu

l'état de cette maison.Sandra ne peut s'empêcher de dire.--Là, se serait la « tuile ».--Pourquoi, Sandra ?--Suppose que Denis et toi ayez raison, ce dont je

doute quand même, avec nos shorts nous ferions apparence de sorciers et de sorcières, tous les sept.

L'approche finale se fait plus lente. Les garçons ont cessé de pêcher. Personne ne se montre.

Ils arrivent près de la porte que Thomas pousse. La petite maison est propre. Non, elle n'est pas abandonnée. De plus, des vêtements sont disposés dans un coffre dans la pièce

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servant de chambre, puisque s'y trouvent un lit pour deux personnes et deux petits lits de bois.

Sandra, en voyant les lits, prédit.--Les enfants doivent avoir une dizaine d'années,

mais le mobilier est surprenant. Il est plutôt rustique et modeste.

Denis décide pour tout le monde.--Ressortons et attendons devant la porte, les gens qui

vivent ici. Il n'y a presque pas de poussière, donc, quelqu'un était là ce matin.

Le reste de la petite troupe obéit au garçon. De nouveau au soleil, assis près de la petite

maisonnette isolée, Thomas fait savoir.--Les lits ont été faits par les gens qui habitent ici. Le

bois est bien travaillé, mais tout de même. L'homme qui habite ici est habile de ses mains.

--Moi, ce qui m'étonne, c'est l'absence d'animaux, vaches, moutons, chèvres, poules et pas même un chien ou un chat.

Les paroles prononcées par Audrey ne restent pas sans réponse, et Vivien admet.

--Oui, c'est étonnant, avec l'herbe qu'il y a. La rivière ne passe pas très loin, allons pêcher, nous leur donnerons du poisson quand ils reviendront sans doute avant ce soir.

Thomas donne son avis.--Moi, ce qui me surprend le plus, ce sont les

vêtements qui se trouvent dans le coffre. Ils ne ressemblent en rien à ce qui se porte de nos jours. Il fallait que je vous prévienne.

Denis est le premier à interroger.--Et qu'ont-ils de spéciaux, ces vêtements que tu es le

seul à avoir vus ?Thomas lâche.--Ce ne sont pas des vêtements de notre époque.--Pourquoi dis-tu ça, Thomas ?--Simplement, Sandra, parce qu'une femme de nos

jours ne porte pas des tas de jupons et même des culottes qui vont en dessous. Remarque, je dis « des », mais je n'en ai vu qu'une, ça m'a fait penser à un déguisement comme pour jouer une comédie du genre « madame Sans Gêne ».

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--Arrête de blaguer, Thomas, ce n'est pas du tout le moment.

--Mais je te promets que c'est vrai, Sandra ! Au début, je n'ai rien dit car je craignais ta réaction, mais je suis bien obligé de vous prévenir tous.

Sandra essaie de raisonner le garçon.--Tu vois ces gens, loin de tout, s'amuser à se

déguiser, comme tu dis ? Non, ils ont sûrement bien autre chose à faire, crois-moi. Ce ne sont pas des gens riches. Le mobilier de cette demeure le prouve.

Marion fixe Denis qui acquiesce de la tête, et la fille de déclarer.

--Sandra, il est juste que ces gens ne vont pas s'amuser à se déguiser pour jouer la comédie, donc, ce sont leurs vêtements, ce qui voudrait dire que nous sommes dans un nouvel espace temps, deux siècles en arrière. Moi, je ne vois que cette hypothèse.

Cette fois, Sabrina éclate de rire pour dire ensuite.--Là, évidemment, si c'était le cas, il serait inutile de

chercher le moindre téléphone, mais je n'y crois pas, c'est trop énorme. Que nous ayons changé de lieu, oui, c'est certain, mais faut quand même pas exagérer.

Vivien, amusé, émet à son tour.--Nous serions dans la quatrième dimension, ce serait

plutôt marrant.Audrey signale à son copain de lycée.--Je crois que Sandra n'apprécie pas ton humour, mon

cher Vivien, et, en se mettant à sa place, c'est tout à fait compréhensible.

Les adolescents se tournent vers leur monitrice. La jeune femme ne se sent pas très à l'aise et commence même à se poser des questions, d'autant que Denis fait savoir à Sabrina.

--Toi qui étais éprise de liberté, tu vas être gâtée.La fille réagit bien. Ce qui l'inquiète à présent, c'est le

désarroi de Sandra, et, en même temps que Marion, elle va vers la jeune femme pour lui dire.

--T'en fais pas, nous, on est là.--Vous croyez que ce serait possible, les filles ?Audrey reconnaît, tout en essayant de rassurer leur

nouvelle amie.

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--Sandra, en principe, rien n'est du domaine de l'impossible, mais ce serait assez étonnant, c'est de la science-fiction, à mon avis

Pendant ce temps, Thomas a pêché une nouvelle truite qui rejoint les autres dans le seau amené par Vivien.

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4

Trois autres truites sont retirées de la rivière avant de voir arriver un garçon de onze ans environ et sa sœur qui doit avoir, elle, huit ou neuf ans. La fillette attaque.

--Passez votre chemin, nos parents vont arriver et vous chasseront de chez nous.

Son frère la calme. Le jeune garçon porte à la ceinture deux lapins qu'il a tués ou pris dans des collets.

--Doucement, Marie, ces citoyens-là ne me paraissent pas être des mécréants. Par contre, oui, vous portez tous de drôles d'accoutrements. Ce ne sont pas là des habits de chez nous. D'où venez-vous ?

Marion et Denis se regardent. Ils pensent tous les deux la même chose. Ils sont bien deux siècles plus tôt. Pourvu que ce ne soit pas durant la Terreur, car cette fois, ils auraient du souci à se faire.

Sabrina est la première à répondre au garçon qui leur fait face et qui a posé la question.

--Ta sœur et toi avez entendu un grand bruit, l'autre nuit, là-haut, vers la montagne ?

Le garçon confirme.--Oui, nous en avons été réveilles. C'était hier matin

un peu avant l'aube, comme si des rochers se cognaient, mais ici, nous entendons le moindre bruit.

Sabrina de reprendre.--Eh bien nous sommes arrivés à ce moment. Moi, je

me nomme Sabrina. Voici Sandra, Audrey, Marion, Denis, Thomas et Vivien. Tu peux rassurer ta sœur, nous ne sommes pas des bandits. Pour dire vrai, nous ne savons même pas où nous nous trouvons.

Le jeune garçon fait savoir.--Ce sont de drôles de noms que vous portez là, mais

j'ai entendu parler de Saint-Denis et de Saint-Thomas, donc, vous êtes des chrétiens. Moi, je me nomme Bertrand. Sabrina, puisque tel est ton nom, allons à la maison avec tes amis, de

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toute façon, nous ne pourriez rien y voler, même si vous étiez des bandits. Nous ne possédons rien. Et puis il fait trop chaud cette année pour rester en plein soleil.

Sandra questionne les deux enfants.--Où sont vos parents ?Marie semble plus réticente que son frère et ne

répond pas. C'est donc Bertrand qui indique à Sandra.--Notre mère est au village pour vendre des lapins

comme ceux-ci. Notre père est parti avec l'armée du général Bonaparte, en Egypte, mais, ne me demandez pas où se trouve ce pays, car je ne le sais pas.

La jeune femme interroge de nouveau.--En quelle année sommes-nous donc ?Bertrand se dit que cette jeune femme ne sait rien non

plus alors qu'elle est bien plus âgée que lui. Il se fait un plaisir de déclarer.

--Depuis la Révolution et la République, les années ont changé, et je ne sais pas trop, je ne vais guère à l'école.

Vivien indique pour les autres.--Ce doit être 1799, à une année près.Marie dispute son frère.--Bertrand, tu ne te rappelles plus ! Maman nous a

pourtant dit que nous sommes en messidor de l'an VII de la République.

Thomas calcule et avoue.--Vivien a raison, nous sommes en juillet 1799 et

Marie a raison également, cela correspond au mois de messidor de l'an VII, car thermidor doit commencer vers le 20 juillet, mais je ne sais pas le jour exact à un jour ou deux près, alors, pour plus de précision, je vous en prie, on verra plus tard.

Bertrand regarde sa jeune sœur et réplique.--Je ne comprends rien à ce que Thomas vient de dire.

Venez, notre mère ne rentrera que demain dans la journée. D'ici là, je dois veiller sur Marie. Je crains, hélas, que nous ne puissions tous vous nourrir ce soir, nous n'avons guère à manger.

Vivien montre les truites dans le seau et rassure.--Cela devrait suffire pour ce soir, tu ne crois pas ?Le jeune garçon murmure avec admiration.

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--Si je savais pêcher comme vous, la vie serait plus facile pour maman et nous deux.

Sandra n'ose pas parler, ces deux jeunes enfants l'impressionnent par leur maturité. Ils sont si jeunes et déjà livrés à eux-mêmes. Pourtant, ils n'ont pas peur.

Thomas promet dans un élan de générosité dont il est souvent coutumier.

--Je te laisserai ma canne à pêche à notre départ et nous t'apprendrons. Mais, dis-moi, comment se fait-il que vous n'ayez aucune bête alors que l'herbe est abondante ?

Bertrand sourit. Décidément, ces visiteurs ne savent pas grand-chose de la région. Il explique enfin.

--A cause des loups. Nous en avions, mais ils les ont tuées et nos parents n'ont pas d'argent pour en acheter d'autres, et puis, ce serait la même chose. Maman a raison, il est inutile de nourrir les loups de la forêt.

Ils sont encore tous devant la maison et Denis prend Thomas à part et lui souffle.

--Tu ne pourras pas laisser ta canne à pêche. La mère de Bertrand et Marie demanderait d'où il a eu une canne si belle et plutôt moderne pour le siècle où nous sommes depuis hier matin. On lui en fera une ou deux en prenant des branches par ici. Pour le fil, par contre, je n'ai pas d'idée.

Thomas fait savoir à son copain.--J'en ai dans mon sac de voyage avec cinq ou six

hameçons, ce n'est pas le problème. Le problème, et Sandra doit y penser sans arrêt, c'est comment on pourrait revenir à notre siècle et notre année, car, cette fois, je me pose des questions.

Marie intervient pour dire à son frère.--Mon frère, nous pourrions peut-être offrir

l'hospitalité à ces citoyens avec lesquels toi et moi parlons. Nous serions mieux qu'en plein soleil. Par contre, notre maison est petite.

Sandra sourit, cette gamine est géniale, et la monitrice veut la rassurer pour le souci qu'elle a.

--Nous repartirons ce soir. Nous avons réussi à faire une cabane un peu plus haut dans la montagne, là où commence la plaine qui vient jusqu'à votre maison. Nous y retournerons pour dormir.

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La petite fille d'un autre siècle fixe Sandra et réplique d'une manière qui se veut autoritaire.

--Non, citoyenne Sandra, vous êtes nos invités pour la nuit. Personne ne viendra ici. Et puis, vous n'avez aucune chandelle pour repartir, sans compter les loups qui pourraient vous attaquer. Non, c'est décidé, vous dormirez dans notre maison.

Audrey fait la bise à la petite Marie puis déclare.--Nous te remercions, Marie. Nous préparerons notre

repas ensemble, ce soir.Bertrand est ravi car il ajoute.--Et nous ferons une fouée, comme dirait maman,

ainsi il fera plus chaud cette nuit.Thomas a compris car il avait déjà entendu ses

grands-parents parler patois à la campagne et sait donc ce qu'a voulu dire Bertrand. Il traduit pour les autres qui se regardaient.

--Bertrand a dit que nous ferons du feu pour la nuit. De toute façon, il aurait fallu en allumer un pour cuire nos truites. Les filles, entrez avec Marie, nous, nous allons chercher de quoi faire une canne à pêche pour Bertrand. On vous expliquera la raison plus tard.

Une seule n'a pas écouté le garçon, il s'agit encore de Marion. Comme les autres, elle sait que les grands-parents de Thomas sont originaires de Bretagne, et c'est cela qui ne va plus. Un mot de patois de Bretagne utilisé dans les Alpes, c'est quand même curieux. Et la fille interroge donc Marie.

--D'où vient votre maman ?--D'une province loin d'ici, cela s'appelle la Bretagne.

Papa l'a connue là-bas quand il était militaire au temps du dernier roi, c'est tout ce que je sais, Marion.

--Tu es très intelligente, je trouve, moi.Pendant ce temps, Denis, Vivien et Thomas seuls

avec Bertrand lui expliquent.--Tu comprends, personne ne sait que nous sommes

ici, et ta mère ne comprendrait pas que Thomas te laisse sa canne pour pêcher. Aussi, nous allons t'aider à en faire une. Nous ne voulons pas que ta mère pense que nous sommes des démons. Donc, il nous faudra partir avant qu'elle ne revienne. Tu diras à Marie de ne pas parler de notre venue.

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Le jeune garçon a écouté Denis. Il approuve.--Oui, j'ai compris. Moi, il me sera possible de me

rendre vers votre campement, demain après-midi ?Vivien questionne en retour.--Que diras-tu à ta mère ?Bertrand n'est pas pris au dépourvu par la question de

Vivien et il réplique très vite.--Que je vais voir mes collets placés plus haut.--Alors, oui, nous sommes d'accord.Les garçons se taisent à présent et travaillent à faire

une canne à pêche pour le plus jeune d'entre eux. Thomas cède même son fil et son hameçon. De toute façon il en remettra un autre dès le lendemain quand ils rentreront à leur cabane avec les filles.

En une demi-heure, Bertrand possède une canne à pêche et l'essaie immédiatement. Il a écouté les conseils des trois drôles de garçons qui sont avec lui. Ils paraissent bien gentils. Il ne lui faut que quelques minutes pour retirer une truite assez belle de la rivière. Il se tourne vers le trio pour avouer.

--Maintenant, oui, vous êtes des amis. Je pourrai en vendre au village en même temps que les lapins.

Thomas donne un conseil.--A condition de les laisser dans l'eau et que cette eau

ne soit pas au soleil, car, dans l'eau tiède, les poissons mourraient avant que tu puisses les vendre. Il ne te resterait plus qu'à les jeter.

--Et pourquoi ils mourraient ?Thomas se fait un devoir s'expliquer au jeune garçon.--Ils manqueraient d'oxygène. Il faudra donc que tu

fasses attention.--J'ai compris. Ma mère sera contente. Je vous

remercie tous les trois. Mais, d'où donc venez-vous ? Je n'ai jamais vu personne, là-haut !

Denis se frotte le menton et avoue.--Ce serait difficile à t'expliquer. Cette fois tu ne

comprendrais pas, car, nous-mêmes, nous ne savons pas ce que nous allons devenir.

Bertrand fait savoir.

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--Ce n'est guère clair, Denis. Vous savez tout de même d'où vous venez. Ne me le cachez pas. Je tairai votre secret, c'est promis devant Dieu, car, ma mère a continué à nous expliquer la religion, même si elle était interdite voici encore peu d'années. Ma mère nous disait qu'en ville, l'échafaud restait toujours en place et que de nombreux citoyens perdaient la vie. On leur coupait la tête. Depuis la mort de Robespierre à Paris et la mise en place du Directoire, il paraît que c'est mieux. Moi, je ne sais pas, je n'ai jamais quitté notre montagne. Mes parents ne voulaient pas.

Vivien avoue quand même.--Tu ne nous croiras pas. Pourtant, nous aussi

sommes catholiques, mais personne ne pourrait croire ce que nous allons te dire.

Et ce disant, le garçon montre la petite croix en or qu'il porte en permanence autour du cou depuis sa communion.

Bertrand a vu la croix en or et promet.--Je te croirai, tu portes une croix comme maman

porte des fois, mais, la sienne n'est pas aussi belle que la tienne. Vivien, tu peux parler.

Le copain de Thomas et Denis hésite puis se lance.--Nous venons du futur. Deux siècles plus tard que

celui où nous sommes à présent. Et cela, depuis hier matin.Le jeune garçon fixe Vivien et réplique un peu en

colère.--Allons, ce sont sornettes que cela. Tu ne me dis pas

la vérité. Tu me prends pour un garçon bête, mais je sais ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. C'est mal de te moquer de moi ainsi. Denis, toi, dis-moi ce qui est vrai. J'ai le droit de savoir, vous allez dormir à la maison ce soir, car, chez nous, maman a toujours respecté les règles de l'hospitalité, mais je ne peux accepter un tel mensonge.

Denis intervient à son tour.--Mais Vivien ne ment pas, Bertrand. Tout s'est passé au

cours d'un orage. Notre petite maison a été emportée. Nous sommes passés dans une sorte de grotte, et au matin, nous étions dans ton siècle. Réfléchis, Bertrand, jusqu'ici tu n'avais jamais entendu que des gens habitaient plus haut dans la montagne.

Le jeune garçon doit concéder.

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--Il est vrai que personne n'a habité aussi haut que nous. Et j'ai été surpris de vous voir près de chez nous. Pour l'hiver, nous devons descendre dans la vallée car la neige est trop importante ici. Il faudra que vous fassiez de même, vous n'aurez aucune autre solution.

Thomas souhaite à voix haute.--J'espère que ce ne sera pas le cas et que nous serons

repartis d'où nous venons avant l'hiver.Bertrand n'est pas convaincu et fait.--Je demanderai à celle que vous appelez Sandra.

Elle, elle me dira la vérité. En attendant, rejoignons les filles, il faut ouvrir les truites et les préparer si nous voulons manger ce soir.

Dans la maison, pendant ce temps, Sandra questionne la petite Marie.

--Tu es vraiment bien, ici seule dans la montagne avec ton frère et ta maman ? Vous devez avoir du mal pour vivre, je me trompe ?

--Sandra, tu te trompes, je suis très bien, dans la maison de papa et maman. Déjà, quand nous allons au village pour l'hiver, je trouve que c'est long. Et puis, là-bas, je dois porter des culottes. Ici, ce n'est pas utile, personne ne vient nous voir. Personne, sauf vous aujourd'hui.

Audrey questionne à son tour.--Pourquoi il n'y a ni moutons ni vaches, ici ?La petite fille regarde l'adolescente blonde comme

elle et réplique.--Tu les mettrais où, dans la vallée, l'hiver, les vaches

et les moutons ? Et puis, il faut des sous pour en acheter. Non, notre père se louait comme cultivateur dans les fermes, voilà comment nous vivions, mais depuis son départ aux armées, c'est plus difficile.

Marion demande alors.--Il est parti comme volontaire ?--Je ne sais pas.Marion n'insiste pas et change de sujet.--Comment allons-nous dormir, cette nuit ?La petite Marie répond.--Nous verrons bien. Pour les vaches et les moutons,

Bertrand dit que les loups les mangeraient, donc, ça ne

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servirait à rien d'avoir des vaches. Bertrand, il est courageux, mais je serai quand même mieux cette nuit parce que vous serez là. Entendre les hurlements des loups dans la nuit me fait toujours peur, et après, j'ai du mal à me rendormir.

Sabrina fait remarquer à la gamine qui vient de parler.--Marie, nous, depuis hier, nous n'avons entendu

aucun hurlement de loup.La fillette avoue.--Oui, c'est vrai, depuis hier matin, ils n'ont pas hurlé.La blonde Audrey suppose.--Ils ont dû avoir peur du grand bruit, quand nous

sommes arrivés vers la fin de la nuit.--Alors tant mieux !L'exclamation de Marie fait sourire les quatre filles

arrivées du vingtième siècle, car elle est spontanée.La porte s'ouvre sur les quatre garçons qui entrent

dans la maison. Bertrand est un peu gêné et s'adresse à Sandra.--Excuse-moi, Sandra, Vivien et Denis m'ont raconté

une chose qu'il m'est difficile de croire. Je voudrais que tu me dises ce qui est vraiment arrivé avant votre arrivée ici.

La jeune femme sourit et réplique.--Si Denis et Vivien ont dit que tout s'est passé par

une nuit d'orage, c'est vrai. S'ils t'ont dit que notre petite maison a glissé, emmenée par la force de l'eau, et que cette maison est entrée dans une grotte, c'est encore vrai. Que nous avons eu peur, oui. Ensuite, la maison s'est arrêtée d'un seul coup et nous n'avons plus entendu le moindre orage. Nous nous sommes endormis, tous fatigués. Un grand bruit nous a réveillé peu avant le jour. Nous n'avons pas bougé, ne sachant pas où nous étions. Nous avons donc attendu que le jour se lève, mais, cette fois, nous ne dormions plus, je t'assure. Une fois le jour arrivé, nous avons vu que nous étions à deux mètres au-dessus du sol de la grotte qui se trouve là-haut et nous avons trouvé un moyen de descendre. La journée d'hier pour nous, s'est passée à bâtir une cabane, car notre petite maison dans la grotte menaçait de tomber et nous aurions pu être blessés. Nous avons aussi mangé des fruits sauvages. Ce n'est qu'aujourd'hui que nous avons décidé de descendre un peu la rivière et que nous avons aperçu la maison de vos parents, à Marie et toi.

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--Cela, je veux bien, mais les garçons m'ont affirmé sur la croix que porte à son cou Vivien, que vous venez d'un siècle différent. Je veux que tu me dises, toi, ce qu'il en est.

--Bertrand, les garçons n'ont pas menti. Nous venons de ce que vous pourriez appeler votre futur, mais, environ deux-cents ans plus tard. Bertrand, regarde nos vêtements, ils sont différents de ceux que vous portez. Je suis certaine que tu n'en as jamais vu comme les nôtres avant que nous venions.

--Oui, cela est juste. Vivien, Denis et Thomas, bien que ce soit difficile à croire, vous m'aviez dit la vérité. Je vous prie de m'excuser d'avoir mis votre parole en doute. Sandra a dit comme vous sans savoir ce que vous m'aviez raconté. Pardonnez-moi, il fallait que je sache.

Denis doit bien reconnaître à son tour.--Pour nous aussi, c'est difficile à croire. Nous avons

su que nous avions changé de siècle lorsque tu as parlé de l'armée de Bonaparte et du Directoire. N'en parlons plus pour ce soir.

Peu après, Sandra et Bertrand s'occupent de préparer les truites et le garçon se charge en plus de retirer la peau de l'un des lapins qu'il avait ramené. Sur le foyer de fortune, Marie prépare le bois, et il n'est pas encore nuit lorsqu'ils ont fini de manger.

Bertrand allume une chandelle puis va au-dehors pour fermer les volets des deux fenêtres. A son retour, Marie tourne la clé dans la porte. Cette fois, ils sont isolés pour la nuit.

Marion avoue en faisant la bise à Marie et Bertrand.--C'était agréable de manger un repas chaud grâce à

vous. Merci de votre hospitalité.Le garçon est ravi et réplique.--Tu sais, Marion, Marie et moi sommes contents

également. Nous n'avons pas été seuls ce soir, et Sandra a montré comment bien manger. En fait, depuis votre venue, j'ai appris des choses dont une très importante, qui est de savoir faire une canne à pêche, mais maman va me demander d'où je sais cela, et je ne sais pas ce qu'il me faudra lui répondre.

Marie précise à son frère.--Nous ne devons pas parler pour ces jours-ci de nos

nouveaux amis à maman. Donc, pour ce que tu appelles ta canne à pêche, il te faudra mentir. Je sais, ce n'est pas bien,

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mais, en voyant nos amis vêtus de la sorte, notre mère pourrait penser que ce sont des esprits malins. Nos amis ne doivent pas être inquiétés par qui que ce soit, et je ne fais pas du tout confiance aux gens du village à qui notre mère pourrait parler.

Vivien avoue ce qu'il pense.--Marie, tu es la sagesse même, seulement, nous, il va

nous falloir trouver une solution pour retourner d'où nous venons.

Les autres acquiescent en silence. Bertrand, qui est loin d'être sot, essaie d'expliquer ce qu'il en pense.

--Vous êtes arrivés par une nuit d'orage, d'après Denis, Sandra et Vivien. Dites-vous que vous ne pourrez repartir que par une même nuit d'orage, et les orages ne commenceront pas par ici avant vingt ou vingt-cinq jours, c'est notre mère qui nous l'a dit avant de descendre au village. Elle voulait, je pense, de la sorte nous rassurer.

Voyant Sandra assez troublée, Marie veut tempérer.--Bertrand exagère, ce ne sera pas forcément par une

nuit, mais il a raison quand il dit qu'il faudra un orage.La jeune femme venue du vingtième siècle est affolée

des propos des deux gamins. Elle qui voulait se faire un peu d'argent de poche en acceptant le poste de monitrice d'une colonie de vacances tranquille, la voilà à présent deux siècles en arrière avec six « ados » qu'elle devait surveiller.

Marion veut, à la vue de la tête de la monitrice qu'ils avaient choisie déjà dans le train les emmenant dans les Alpes, rassurer.

--La maman de Marie et Bertrand doit savoir ces choses là mieux que nous. Les soirs d'orage, nous retournerons dans la grotte. Déjà, nous serons à l'abri de la pluie. Les garçons, ce n'est pas que je n'ai pas confiance dans notre cabane, mais la grotte en dur est plus sûre.

Elle ne reçoit aucune réponse. Elle questionne alors, car il faut penser au pratique également.

--Bien, pour ce soir, comment allons-nous dormir ?Bertrand s'attendait à la question et il indique tout

naturellement.--Sandra et Audrey dans le lit de nos parents. Marion

et Sabrina, dans nos lits, à Marie et moi.Audrey propose son idée.

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--Sabrina pourrait dormir avec Sandra et moi, et ainsi, Marie pourrait dormir normalement dans son lit. Mais, pour les garçons ?

--Sur le sol. Ce sera un peu dur sur la terre, mais pour une fois, tant pis, et nous devons aussi surveiller que le feu ne s'éteigne pas, car la nuit, en montagne, il fait tout de même froid.

Bertrand vient de répondre à Audrey.La petite sœur du garçon se déplace, va dans la

chambre et en revient avec des couvertures qu'elle pose sur le sol en expliquant.

--Avec ceci, ce sera moins dur.Thomas, Denis et Vivien font la bise à Marie pour la

remercier. La petite devient un peu rouge. Son frère s'en est aperçu et n'hésite pas à la blaguer.

--Eh bien, citoyenne Marie ! Aurais-tu par hasard frotté ton visage avec un bouquet d'orties ?

--Oh, toi tu te moques toujours ! Si je m'écoutais, tu n'aurais aucune couverture et tu dormirais sur la terre de notre maison.

Le grand frère caresse les cheveux d'or de la petite Marie et lui avoue franchement.

--Ne te fâche pas, petite sœur. Je vais te dire ce que je pense depuis que nos amis sont arrivés. Tu es différente, à présent, et, sans me moquer de toi du tout, je me rends compte que tu essaies de remplacer maman à ta façon. Moi, je n'aurais pas pensé aux couvertures.

La petite fixe son frère, puis interroge.--C'est vrai ! Tu es sincère ?Bertrand, en lui embrassant les cheveux, lui réplique.--Oui, Marie, et je ne pourrais pas vivre si tu n'étais

pas là. Je sentirais comme un vide.--Et si je n'étais pas née, tu ne m'aurais pas connue,

donc, ce que tu dis n'est pas possible.Le garçon se doit de reconnaître.--Si tu n'étais pas née, je ne serais pas habitué à toi,

tout simplement, mais je suis content que tu sois ma petite sœur.

Sandra avoue à la fillette.

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--Marie, voilà un beau compliment, et en plus, il est mérité. Bertrand a raison, depuis que nous te connaissons tu as de bonnes idées, tu es plus grande que tu ne crois, je t'assure.

La petite se sent gênée. Marion questionne pour éviter que Marie ne se sente mal à l'aise.

--Comment nous laverons-nous, demain ?Thomas est le premier à répondre.--Comme hier et ce matin, dans la rivière.Marie nie du doigt avant de dire.--L'eau est trop froide. Il y a un baquet, ici nous

ferons chauffer de l'eau, comme Bertrand et moi faisons souvent. Lui, il me lave, et moi je lui frotte le dos.

Denis indique en souriant.--Je crois que Sandra, Audrey, Marion et Sabrina ne

seront pas du tout d'accord que l'un de nous les lave.Bertrand précise très sérieux.--Nous avons un endroit abrité pour nous laver. Pour

Marie et moi, rien ne changera, mais pour vous autres, les filles s'aideront entre elles et les garçons sauront bien se débrouiller.

Sandra tranche.--On verra demain. Ce soir, nous devons dormir.Pour les quatre filles venues du vingtième siècle, le

sommeil ne tarde pas à être trouvé, ce qui est tout de même plus difficile pour les garçons, surtout pour le trio venu de la colonie de vacances.

Au matin, lorsque Thomas se réveille, juste après Bertrand, il a mal au dos et aux reins et doit avouer au jeune garçon déjà debout.

--Malgré la couverture, le sol est tout de même dur.--Oui, ça, c'est sûr. Thomas, il va falloir réveiller

Sandra et les filles de ton âge, qu'elles se lavent les premières, maman sera de retour en fin de matinée et il ne faudrait pas qu'elle vous trouve ici. Tu devrais aller dans la chambre les réveiller, tu les connais davantage que moi.

--Marie les réveillera.--Des fois, elle dort tard. Elle est encore jeune.La porte de la chambre s'ouvre sur Marie en chemise

de nuit et la fillette de conseiller son frère.

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--Tu devrais ouvrir la porte du dehors pour retirer le volet de sur la fenêtre. Après, il faudra aller chercher un peu d'eau pour nous laver tous, mais ce sera Sandra qui se lavera en premier. Moi, pendant ce temps, je vais les réveiller.

Thomas, Denis et Vivien aident Bertrand à ramener de l'eau que le garçon fait chauffer sur le feu qu'il a rallumé. Marie indique à Sandra qui arrive dans la pièce principale.

--Je vais préparer le baquet. Tu iras sous l'abri que tu vois un peu plus haut que la maison. Personne n'ira te déranger, je te le promets.

La jeune femme embrasse la fillette et lui répond.--Je sais que Thomas, Vivien, Denis et ton frère ne

viendront pas. Marion, Sabrina ou toi pourrez vous laver en même temps que moi.

--Sabrina, alors, moi, je me lave toujours avec Bertrand. Aujourd'hui ne changera pas.

Les six adolescents venus du vingtième siècle embrassent la petite et la remercient de l'hospitalité. Bertrand sourit, car il voit que sa sœur ne sait plus quoi dire ni quoi faire.

Deux heures plus tard, le petit groupe quitte les deux enfants. Marie promet.

--J'irai vous voir avec Bertrand cet après-midi. Maman sera fatiguée et aura besoin de dormir.

De nouveau entre eux, Denis remarque.--Bertrand et Marie sont débrouillards et je les trouve

bien sympathiques.Audrey est bien d'accord, mais ajoute.--Oui, mais moi, je me fais du souci pour revenir à

notre siècle, l'année que nous avons quittée, et revoir nos familles.

Sandra, Sabrina et Vivien sont du même avis. Marion et Thomas, eux, n'ont pas l'air vraiment préoccupés par la chose et Thomas d'expliquer.

--Nous avons une hache, ce n'est pas comme si nous avions les mains vides.

Vivien riposte très vite avec justesse.--Oui, mais eux, ils ont encore la guillotine !

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Les deux garçons se taisent, car tout le monde était allé voir les collets. Trois superbes lapins ont été pris. Sabrina déclare sérieusement.

--Heureusement que Bertrand vient nous voir, il va pouvoir nous montrer comment retirer la peau, car hier soir, je n'ai pas regardé comment il avait fait.

Denis propose à son tour.--On lui donnera les peaux, elles doivent se vendre.Marion éclate de rire avant de se moquer.--Oui, et Bertrand expliquera à sa mère que le lapin a

filé après s'être déshabillé pour ne pas rester pris par le collet. Non, Denis, cette femme ne comprendrait pas du tout et Bertrand aurait des problèmes.

Thomas avoue en se tournant vers Denis.--Là, mon cher Denis, Marion n'a pas tort.Pendant ce temps, la mère de Bertrand et Marie

rejoint la petite maison, et les deux enfants se chargent de ranger ce qu'elle a ramené de la petite ville. Elle interroge.

--Tout a bien été, Bertrand ?--Oui, maman, cette nuit non plus, les loups n'ont pas

hurlé.--Je craignais un peu que Marie ait peur, justement. Le jeune garçon défend sa petite sœur.--Maman, contrairement à ce que tu crois, Marie est

très courageuse. Elle m'a beaucoup aidé hier soir pour préparer à manger. Mais, avant que le nuit ne vienne, nous avions fermé les volets et la porte, comme tu nous l'avais demandé.

--C'est bien. Tout à l'heure, après manger, j'irai me reposer un peu. Vous essayerez de ne pas trop faire de bruit.

Marie propose à sa mère.--Maman, j'irai avec Bertrand voir ses collets. Ainsi,

tu pourras dormir comme tu voudras.--N'allez pas vers le bois.--Non, maman, nous irons plutôt vers la montagne, tu

veux bien ?La femme acquiesce de la tête. Bertrand précise.--On remontera un peu la rivière, mais, doucement,

nous aurons tout notre temps. De toute manière, nous serons de retour bien avant la nuit, je te le promets.

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--Je compte sur toi, Bertrand, ta sœur est plus jeune que toi, ne la quitte pas.

--Maman, depuis le départ de papa, je t'ai toujours obéi, ce n'est pas aujourd'hui que je commencerai à te désobéir. Je sais que je suis responsable de Marie, et puis, même si elle est jeune, parfois elle a de bonnes idées.

La fillette fronce les sourcils. Bertrand parle trop. Il faut qu'elle lui fasse comprendre qu'il doit se taire pour ne pas trahir leurs amis venus d'ailleurs, en tout cas, d'un monde qui est différent du leur.

Justement, plus haut dans la plaine, près de la montagne, les six adolescents et Sandra, pour ce midi, mangent simplement des fruits sauvages avec les deux tablettes de chocolat que la monitrice avait en garde depuis la veille. Vivien pronostique.

--Avec ça, on ne tiendra pas « la route » jusque ce soir, je vous le dis.

Personne ne répond à Vivien, puisqu'il vient de dire la vérité.

Thomas qui avait laissé son fil de pêche à Bertrand en replace un autre sur sa canne dès le déjeuner terminé.

Au même moment, en ce début d'après-midi, dans la petite maison, Bertrand et Marie ont tout mis en ordre et préviennent leur mère.

--Nous partons, maman, va dormir, tu dois être fatiguée.

--Oui, c'est ce que je vais faire. Soyez bien sages tous les deux et faites attention où vous allez.

Marie embrasse sa mère et réplique.--Maman, avec Bertrand, je ne crains rien. A tout à

l'heure.La femme se contente de sourire avant d'ouvrir la

porte de l'unique chambre et d'y entrer.Près de leur cabane, les enfants venus du vingtième

siècle et leur monitrice se sont allongés sur des serviettes sorties des bagages et, alors qu'ils sont en maillot de bain, Audrey qui regardait vers le bas de la plaine, signale.

--Je crois que Bertrand et Marie arrivent.Vivien fait remarquer à juste titre.--Ils ne vont pas comprendre de nous voir ainsi.

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Thomas se veut rassurant.--Si, on leur expliquera que nous bronzons.Sandra passe tout de même un short par dessus son

maillot une pièce en indiquant à Thomas.--Je ne crois pas avoir lu durant mes études, que les

gens se mettaient à bronzer au temps du Directoire.Pourtant, les six adolescents restent tels qu'ils sont en

attendant l'arrivée du jeune duo.Marie, de fait, s'étonne.--Vous êtes presque nus !--Non, Marie, nous portons des maillots de bain, c'est

pour aller dans la rivière sans être nus.La réponse de Sabrina n'est pas convaincante pour la

petite Marie qui réplique tout naturellement.--Moi, si je veux me baigner, j'ôte mes habits et je

vais nue. De toute façon, il n'y a que Bertrand et maman qui peuvent me voir.

Sandra répond à la petite fille.--Toi, tu as neuf ans. Tu verras, dans quelques

années, tu ne feras plus comme maintenant.La petite réfléchit en silence puis.--Peut-être que tu as raison, Sandra, mais je n'ai pas

encore neuf ans.Thomas fait savoir au grand frère de la fillette.--Bertrand, nous avons besoin de ton aide. Nous

avons pris trois lapins avec des collets, mais nous ne savons pas retirer la peau. Si tu nous montres comment faire, on te donnera un lapin à ramener chez toi.

--Merci, mais dans ce cas je le « dépiauterai » chez nous. Je vous montrerai tout à l'heure mais il me faudra un couteau.

Denis rassure le garçon qui a onze ans.--J'en ai un dans ma poche de short.Bertrand demande car il ne connaît pas ce mot.--« short », qu'est-ce que c'est ?Vivien est le premier à expliquer.--Un short est un pantalon court, comme porte Sandra

actuellement.--Je ne savais pas ce que c'était.Marion lâche.

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--Normal, c'est un mot anglais qui veut dire pantalon court.

--Un mot anglais ! Vous êtes Anglais !--Non, Bertrand, mais, d'où nous venons, des mots

anglais sont utilisés. Reconnais qu'il est plus simple de dire short que pantalon court.

Le garçon doit admettre.--C'est vrai, mais, chez nous, les Anglais sont nos

ennemis.Sabrina rejette ses longs cheveux noirs en arrière puis

sourit en rétorquant.--Oui, nous savons cela. Bertrand, Marie, asseyez-

vous donc et écoutez. Plus tard, il y aura de nouveau des rois en France, mais ensuite, la République l'emportera pour toujours. Nous, d'où nous venons, nous sommes à la cinquième République.

Les deux jeunes enfants se fixent éberlués et Marie de commenter.

--C'est drôlement bien de savoir l'avenir. Et le général Bonaparte, il va rester général ?

Bertrand hausse les épaules.--Que veux-tu qu'il devienne ? Peut-être maréchal, un

jour, mais bien plus tard. Nous serons grands tous les deux.Sandra n'ose pas répondre au jeune garçon. C'est

Marion qui se lance tout naturellement.--Non, Bertrand, dans cinq ans il va devenir

Empereur des Français. Nous ne pouvons vous en dire plus, vous ne nous croiriez pas.

--Empereur ! Comme Charlemagne !--Oui, Bertrand, mais nous, nous savons tout cela.

Dis, comment sais-tu pour Charlemagne, qui t'en a parlé ?--Notre père, il nous a expliqué avant de partir aux

armées. Papa sait beaucoup de choses, et maman aussi en sait également, mais bien-sûr, pas autant que vous. Le soir, ils nous en parlaient pour nous endormir et pour nous faire oublier la présence et les hurlements des loups.

Sandra rappelle cependant après l'interrogation de Marion.

--Le plus important pour nous, Bertrand, c'est de pouvoir repartir d'où nous venons.

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Le jeune garçon réplique gravement.--Je comprends, Sandra. Votre cabane a l'air solide,

mais s'il pleut, je vous conseille quand même de vous abriter dans la grotte. Au moins, vous serez certains de ne pas être mouillés s'il y a de l'orage.

Marie questionne les filles.--Le soleil ne fait pas de mal à votre peau ?Audrey se veut rassurante.--Non, et c'est bien agréable. Tu vois, nos peaux sont

un peu colorées, grâce à la chaleur du soleil, justement.La gamine fixe son frère. Le garçon sait ce que cela

signifie. Il connaît Marie et, lui donnant une bise sur le front, déclare désolé.

--Non, petite sœur, nous ne pouvons pas faire comme nos amis, maman s'en rendrait compte, nous disputerait, nous poserait des questions aussi, puisque nous ne l'avons jamais fait. Nous pourrions, en plus, trahir la présence de nos amis.

La petite comprend.--Tu as raison. Pourtant, demain matin, près de la

maison, je ne garderai pas ma robe. Je dirai à maman que j'ai trop chaud. Je verrai bien si elle me dispute.

Son frère avoue.--C'est une bonne idée. Moi, j'irai à la pêche sans ma

chemise.Audrey, dont les cheveux blonds tombent un peu

dans le dos, questionne par curiosité.--Comment se fait-il que le village soit si loin, pour

que votre mère n'ait pas pu revenir hier soir et être avec vous ?Bertrand se fait un devoir d'expliquer.--Hier matin, elle est descendue au village. Il doit y

avoir plus de cinq kilomètres, le temps de vendre les lapins, de faire les achats qu'il faut et de passer voir notre tante Roberta qui est sa sœur, la journée est trop avancée, et personne ne remonterait chez nous à l'approche de la nuit à cause des loups. Et, toi tu ne sais pas tout, Audrey, mais toute cette distance à remonter n'est guère facile. Il faut davantage de temps que pour descendre, je t'assure. Une fois, j'y suis allé, là-bas, je sais ce que c'est. Pour l'hiver, c'est différent, nous ne descendons qu'une fois ou ne remontons qu'une fois au printemps. Maman

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nous fait confiance pour rester seuls. En réalité, nous sommes les habitants les plus proches de l'Espagne.

--L’Espagne !Vivien, Denis et Thomas se sont étonnés en même

temps. Bertrand, tout naturel, reprend.--Oui, c'est juste derrière la montagne qui se trouve

de ce côté, derrière vous, vous ne saviez pas !Bertrand avait tendu la main vers le col visible des

adolescents et de leur monitrice, un peu sur la droite de la grotte.

Sandra, que le garçon a troublé, émet.--Tu es sûr de ce que tu dis ?Le jeune garçon est surpris des propos de la jeune

femme. Il voit également le trouble qu'elle vient d'avoir en apprenant qu'ils étaient près de l'Espagne. C'est pourquoi il ne se vexe pas mais réplique juste.

--Oui, quand même. Si vous voulez, je peux vous parler en catalan. Sandra, tu ne sembles pas à ton aise, pourquoi ?

La monitrice donne la raison.--Tu m'aurais dit que l'Italie est de ce côté, j'aurais

encore compris, mais cela veut donc dire que nous sommes dans les Pyrénées, maintenant !

Bertrand ne peut que se moquer.--Bravo, tu as gagné.Vivien essaie de faire comprendre.--Bertrand, avant l'orage, nous étions dans les Alpes,

et où nous étions, nous pouvions voir le sommet du Mont-Blanc. Voilà pourquoi nous sommes tous surpris de nous retrouver dans les Pyrénées.

Le jeune garçon a du mal à accepter ce qu'il entend.--Non, ce n'est pas possible. Je ne connais pas

beaucoup la France, mais les Alpes, d'après papa sont loin d'ici et ce n'est pas...

Audrey coupe pour confirmer.--Ce que Sandra et Vivien ont dit est exact, Bertrand.

Pour quelle raison nous mentirions ? Nous pourrions, nous aussi, dire que ce que tu affirmes n'est pas vrai, et pourtant, nous te croyons, car tu ne savais pas que nous venions des

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Alpes. Donc, lorsque tu as cité l'Espagne, pour toi, c'était naturel alors que pour nous ce ne l'est pas du tout.

Bertrand reste quelques secondes sans parler. Il a bien écouté Audrey. La fille blonde est sincère, il l'a senti dans ses paroles. Enfin il se décide à déclarer.

--Alors, cela signifie qu'il s'est passé une chose incroyable. Vous venez du futur, cela est vrai, puisque vous savez des choses que je ne connais pas et que nos parents ne savent pas non plus, et en plus, vous avez été transportés dans un autre lieu. Cela, je ne peux me l'expliquer.

Thomas doit avouer.--Nous non plus, et je me demande même s'il nous

sera possible de retourner d'où nous venons. Je ne veux alarmer personne, mais je crois que notre avenir sera désormais à l'époque où nous vivons actuellement, c'est à dire l'époque de Bertrand et Marie. Il va falloir nous habituer et trouver un moyen pour vivre.

Denis modère son ami.--Ce n'est pas sûr, Thomas. Si nous avons pu arriver

ici, le contraire peut également se produire.Marion n'est pas du même avis que Denis.--Non, Denis, car, même si nous avons de l'orage, il

ne nous permettra pas de revenir dans les Alpes. Le chalet est détruit, et de plus, la grotte abritée de la pluie, donc, rien ne se passera pour nous.

Vivien, en enfilant son short, fait savoir.--Ne cédons pas à la panique.Marie, toute souriante, remarque.--Je ne suis pas grande, mais je crois que toutes les

grottes, celle-ci comme les autres, sont abritées de la pluie, c'est obligé, sinon, ce ne seraient pas des grottes creusées dans les rochers. Mais moi, ce que je pense, c'est que j'aimerais bien que vous restiez tous avec nous, vous nous apprendriez beaucoup de choses que les autres citoyens ne sauraient pas.

Sabrina fait venir la petite fille près d'elle et lui répond.

--Non, Marie, nous, nous ne voulons pas rester à votre époque actuelle, car, justement, nous savons ce qui va se passer, ce sera difficile, et les garçons devraient partir dans quelques années faire la guerre, et je ne veux pas. Denis,

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Thomas et Vivien sont nos amis, à Audrey, Marion et moi. Nous allons à la même école et nous passons nos vacances de juillet ensemble. Nous sommes amis entre nous. Marie, tu es gentille, mais notre époque est différente de celle-ci. Nous ne pourrions pas nous habituer comme Bertrand et toi ne pourriez pas vous habituer à notre vie à nous. Tout est si différent. Tu peux me comprendre ?

Bertrand devance sa sœur.--Oui, Sabrina, je te comprends, moi. Marie, tu as

entendu parler des rois, papa et maman nous ont raconté. Tu ne voudrais pas qu'ils reviennent, et pourtant, ils reviendront un peu mais après ce sera la République pour toujours. Pour nos amis, c'est pareil, ils ne veulent pas tout recommencer alors qu'ils savent ce qui va se passer. Ils ne peuvent et ne veulent pas vivre dans une vie qui, pour eux, est dépassée. Hier, j'étais étonné lorsque les garçons m'ont avoué qu'ils venaient du futur, à papa, maman, toi et moi. Pourtant il a bien fallu les croire. Les vêtements qu'ils portent sont différents des nôtres. Ils savent, tu as entendu, que le général Bonaparte va devenir Empereur. Si nous disions cela, nous, on rirait de nous, mais, moi, je les crois, petite sœur. Ils connaissent le nom de Bonaparte alors que nous seuls avons pu leur dire, puisqu'ils ne sont ici que depuis deux jours seulement.

Sandra admet pour le frère de Marie.--Tu es un sage, Bertrand, mais cela ne nous avance

pas pour revenir chez nous, dans l'année que nous avons quittée lorsque l'orage a emmené le chalet dans la grotte. Tu comprends, nous, nous avons aussi des parents et ils doivent être inquiets de notre disparition.

Le jeune garçon reste serein et réplique.--Si ce phénomène s'est produit une fois, il peut se

reproduire en sens inverse lors d'un orage, et à ce moment, il faudrait que vous soyez tous ensemble, mais je ne sais pas comment vous aider, sinon, je le ferais, ne serait-ce que pour vous remercier de m'avoir appris à prendre des poissons avec une ligne. Pourtant, moi, je crois que ce jour arrivera.

Sabrina questionne à son tour.--Tu crois vraiment, Bertrand ?--Oui, Sabrina, mais, ce jour-là, je pense que Marie et

moi ne serons pas présents avec vous.

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Les adolescents et Sandra se regardent. Pourquoi donc le garçon croit que ce sera ainsi ? Ils n'osent pas le lui demander. Bertrand est d'une intelligence peu commune, de même que la petite Marie.

Thomas coupe le silence après les paroles de Bertrand.

--On verra le moment venu. Parlons d'autre chose, de ce que nous allons faire ce soir ou demain, par exemple. Bertrand, Marie, vous devez nous parler de la vie à l'époque où nous vivons à présent, cela peut servir, car nous ne savons pas tout.

Le garçon de onze ans s'apprête à parler mais sa sœur le devance.

--Pardon, Thomas, mais si vous venez du futur, comme vous avez dit, moi j'aimerais bien savoir comment ça se passe chez vous. Ici, dans la montagne, nous ne savons pas comment c'est ailleurs en France. Maman a dit que c'est trop souvent la guerre, ce n'est pas beau, à mon avis. Et chez vous, la France est-elle encore en guerre contre les Anglais ?

Audrey fait savoir à la plus jeune.--Non Marie. Il y a des guerres dans d'autres pays,

mais pas en France depuis 1945.--1945 !C'est Marie qui vient de s'exclamer en entendant

Audrey annoncer cette année si extraordinaire pour la fillette. Sandra se doit d'expliquer.--En fait, Marie, aucun de nous sept n'était né à la fin

de cette guerre, mais c'est vrai aussi que nous avons eu des guerres avec de très nombreux morts. Je préfère parler de la vie actuelle chez nous. Dans les villes, nous avons de très nombreuses boutiques très grandes avec beaucoup de choses à vendre. Les transports pour se rendre d'une ville à une autre sont très rapides. Pour vous ce serait incroyable, je le crains.

Marie pose une question qui lui vient en tête.--Est-ce que nous, Bertrand et moi, nous pourrions

vivre à votre époque ?Marion, qui n'avait pas parlé depuis longtemps,

réplique sans la moindre hésitation.--Moi, je crois que oui, sans problème. Et,

franchement, je préfère vivre à mon époque d'où nous venons

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qu'à celle où nous sommes, car il y aura encore des guerres qui feront beaucoup de morts. Moi, je serais même d'avis de vous ramener avec nous si c'était possible.

Bertrand, très sage, une fois encore, explique.--Marion, maman dit que le destin de chacun de nous

est tracé dès sa naissance et que nous ne pourrons rien y faire, même si nous voulons le changer.

Denis, Vivien et Sandra approuvent de la tête. Sabrina questionne alors.

--Mais alors, si ça se trouve, nous, il faudra rester à cette époque-ci tout le temps, si tel est notre destin ?

Bertrand fixe la fille aux longs cheveux noirs et en maillot deux pièces puis décide de lui faire savoir ce qu'il pense.

--Non, Sabrina. Si vous venez de notre futur actuel, c'est parce que vous avez une importance pour vivre dans le temps où vous êtes nés tous les sept, sinon, vous seriez nés avant ou après. Par contre, il est possible que votre venue à notre époque a été voulue pour remplir une tâche précise, si petite soit-elle. Peut-être pour Marie et moi ou pour y faire autre chose que vous seuls pouvez faire.

Sabrina pense que le jeune garçon en est venu aux mêmes conclusions qu'elle, sauf qu'elle n'a osé rien dire à ses compagnons, elle. Bertrand n'a pas hésité une seconde. Mais, que devront-ils faire deux siècles en arrière, tous les sept ? Et puis, pourquoi eux, spécialement ? Elle ne le sait pas et ne sait pas comment aborder le sujet avec ses cinq amis et Sandra qu'elle considère non plus en monitrice, mais comme étant des leurs.

Justement, Sandra ne peut s'empêcher de dire.--Tu raisonnes bien pour un garçon qui n'a pas été à

l'école. Tu es d'une sagesse surprenante. Bertrand, tu es très intelligent. Il te faudrait aller à l'école.

Le jeune garçon est ravi du compliment mais il indique à la jeune femme.

--Nous allons, l'hiver, quand nous redescendons au village, mais je ne sais pas et ne saurai jamais ce que vous tous savez. Ce ne sera jamais possible. Justement parce que vous venez de notre futur à Marie et moi. Ne nous dites pas de quelle année vous venez. Nous savons déjà que c'est bien après

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1945, et moi, je ne peux pas m'imaginer et il ne vaut mieux pas. Je serais tenté de vouloir changer mon destin alors que c'est impossible, et puis, nos parents seraient peinés et nous les aimons beaucoup, comme vous aimez les vôtres.

Marie de déclarer aussitôt.--Là, mon frère, je reconnais que tes paroles sont

sages. Chez nos amis nous serions perdus car nous ne savons rien de ce qu'ils connaissent.

Audrey affirme en parlant de la fillette.--Bertrand n'est pas le seul à être intelligent, Marie

aussi. Je ne comprends pas comment elle peut avoir de tels raisonnements, les enfants de son âge, chez nous, ne raisonnent pas comme elle, ou alors ils sont très doués.

Sabrina fait la bise à Bertrand et Marie avant de faire savoir à ses amis et Sandra.

--En tout cas, moi, à notre retour, je ne pourrai pas vous oublier, tous les deux.

Bertrand rougit un peu, regarde la position du soleil et indique alors.

--Dans une heure, il nous faudra repartir. Au lieu de bavarder sur ce qui ne peut arriver, je vais « dépiauter » l'un des lapins. Vivien, donne un couteau à Marie.

--Pourquoi à Marie ?Le garçon se sent un peu supérieur à Vivien, cette

fois, mais il garde pour lui cette impression. Il répond naturellement.

--Pour qu'elle coupe une petite fourche de bois afin d'y mettre à sécher la peau de lapin. Il faudra la placer dans la grotte, ainsi elle sera sûre d'être au sec.

--Pourquoi une fourche ?Cette fois c'est Marie qui répond à Audrey.--Pour tendre la peau, tout simplement. Tu ne savais

pas !--Non, j'avoue. Nous aussi, nous avons beaucoup à

apprendre auprès de Bertrand et de toi.La petite Marie montre un large sourire et s'en va

couper la fourche en question dans un bosquet peu éloigné. Marion accompagne la fillette et justifie auprès des autres son départ.

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--Je veux voir comment fait Marie. Je ne sais pas si cela nous servira pour plus tard mais tant pis, je veux regarder de quelle manière Marie s'y prend.

Dès les deux filles un peu éloignées, Denis donne son couteau à Bertrand qui se charge d'ôter la peau du lapin. Tout en travaillant, il conseille.

--Il faudrait couper du bois pour cuire votre lapin, et vous n'avez pas de broche, ce sera difficile.

Thomas annonce tout à coup.--Je crois savoir où trouver une tige de fer. Il doit y

avoir ce qu'il faut dans les restes du chalet. Sandra, reste là. Vivien, prends ma hache pour couper deux supports pour notre broche.

Les compagnons du garçon doivent admettre.--Tu es génial, Thomas !--Non, j'apprends avec Bertrand, car c'est lui le plus

intelligent de nous tous avec Marie. Sans eux, nous ne saurions pas nous débrouiller, et je n'ose pas penser de quelle manière nous aurions pu manger ce lapin.

Pendant ce temps, Marie avoue à Marion.--C'est dommage que nous ne pouvons pas parler de

vous à maman. Sans vous, les prochains jours, je vais de nouveau me sentir seule, comme avant. Tu vois, Marion, nous avons presque les mêmes noms, toi et moi, je suis sûre que nous avons également presque les mêmes caractères.

--C'est bien possible, Marie, mais toi tu es toute blonde, comme Audrey et Sandra.

--Et alors, Marion, je vais te dire, j'aimerais vraiment que vous restiez avec nous, et là, je parle seulement pour moi. Je comprends que vous devrez repartir chez vous pour revoir vos parents. Marion ne répond pas mais elle remarque les yeux de la fillette qui coupe avec dextérité une petite fourche en bois comme lui avait demandé son frère.

A quelques mètres, le jeune garçon mis en avant par Thomas, dément.

--Non, Thomas, tu exagères. La différence, c'est que moi je vis toujours par ici. Je ne connais pas la ville, donc, moi, en ville,

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je serais perdu, si j'y allais. Vous, en plus, vous n'avez que peu de choses pour vivre ici, chez nous.

Sandra approuve tout à fait le jeune garçon.--Bertrand a raison, Thomas, mais j'aurais pu tout de

même retirer la peau de ce lapin. Je te rappelle que j'ai vécu quelques années à la campagne.

Marie et Marion sont de retour, et Bertrand, les mains pleines de sang, embrasse le front de sa petite sœur. La fillette sourit et suggère.

--Avec des frondes, ils pourraient tuer des oiseaux !Le grand frère promet.--Nous les aiderons un jour prochain, Marie. Moi, je

finis ça, je me lave les mains et nous rentrons à la maison. Maman sera contente que nous ramenons un lapin. Marion, je te remercie d'être allée avec Marie, c'est ma petite sœur et je l'aime beaucoup, je t'assure.

Marion se sent mal à l'aise. Elle ne s'attendait pas à être remerciée par Bertrand pour ce qu'elle pensait naturel, elle. C'est vrai, le fait de voir Marie couper une petite fourche ne l'intéressait pas du tout, mais elle ne voulait pas que la fillette soit seule, ne serait-ce qu'à quelques mètres de distance. Le jeune garçon lui fait une énorme impression. D'ailleurs, il se tourne vers Sandra et prévient.

--Les loups vont être attirés par l'odeur du sang. Moi, je vous conseille de vous enfermer dans votre cabane, en espérant que demain matin il n'y en ait pas un juste devant votre porte.

Thomas, Vivien et Denis revenus, car Denis était allé avec Vivien couper du bois, ont entendu la phrase de Bertrand. Thomas rassure.

--Je sais assez bien me servir de ma hache, et puis les loups craignent le feu, alors, pour cette nuit, nous veillerons, Denis, Vivien et moi.

Marie fait savoir aux trois garçons.--Non, ce ne sera pas la peine, ils ne s'attaqueront pas

à la cabane, et il est possible que le bruit qui vous a amené ici leur ait fait peur. Depuis, nous ne les avons plus entendus.

Sandra acquiesce aux paroles de la petite fille.

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--Oui, Marie a sûrement raison. Il ne faut pas que nous ayons peur de tout, sinon nous ne pourrons plus vivre normalement.

Peu après, Bertrand et Marie quittent le groupe venu de leur futur et dont les membres, à leur arrivée en début d'après-midi, étaient allongés au soleil en ne portant que de légers habits que le frère et la sœur ne connaissaient pas. Pourtant, les enfants nés au dix-huitième siècle se promettent de revenir dès le lendemain après-midi. Ils ont appris beaucoup de choses par Sandra, les trois garçons et les trois filles, mais sûrement pas encore suffisamment, car, s'ils viennent du futur, ils doivent savoir des quantités de choses que Bertrand et Marie ne peuvent imaginer.

Le duo étant à présent éloigné, Sandra avoue.--Ils sont bien gentils tous les deux, et très

débrouillards.--Pour ça, c'est sûr, ils nous donnent la leçon.La réplique de Denis étonne les filles. Marion et

Audrey n'auraient jamais pensé que leurs compagnons reconnaîtraient leurs lacunes. Sabrina propose alors.

--On pourrait peut-être manger pendant qu'il fait encore jour, et de toute manière je commence à avoir faim.

Les garçons sont tout à fait pour l'idée de leur jeune amie, et le feu une fois allumé, le lapin embroché par Bertrand n'a plus qu'à cuire. C'est Audrey qui se charge de tourner la broche. Marion décide à son tour.

--Allons remplir les gourdes d'eau. Sabrina, tu viens avec moi ?

Vivien devance la benjamine.--Je t'accompagne, Marion. Sabrina reste ici. Le jour

baisse un peu. Désormais, il ne faudra plus qu'aucun de nous n'aille seul quelque part.

Audrey proteste très vite.--T'es drôle, toi ! Il faut bien, pour nos besoins !Le garçon se reprend.--Oui, évidemment, mais pas autrement.Thomas annonce à tous.--Moi, je ne lâche plus ma hache. Vivien et Denis

devront garder leur couteau à portée de main.

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Sandra est tout à fait de l'opinion de Thomas et acquiesce de la tête.

Le dîner a lieu peu après, mais ils doivent manger presque froid pour éviter de se brûler les doigts. C'est la monitrice du groupe qui avait découpé les portions selon l'envie de chacun.

Les adolescents parlent exprès pour éviter que le silence ne soit total. Ils ne sont pas habitués à un calme aussi long. Seuls les oiseaux et le bruit de l'eau sur des cailloux dans la rivière empêcheraient autrement que le silence ne soit oppressant pour les vacanciers et leur monitrice.

La nuit survient rapidement et ils s'enferment dans leur cabane, bien qu'aucun d'eux n'ait sommeil. Ils restent donc un peu assis au salon. Une bougie a été allumée et posée au milieu de la table. Denis signale, histoire de parler.

--Il doit nous rester une centaine d'allumettes. Il faudra faire attention à me pas en gaspiller.

Sabrina n'est pas plus optimiste que Denis.--Les bougies, c'est encore pire. Nous n'en avons plus

que deux et demi.Vivien est bien du même avis.--Sabrina a raison. Allons nous coucher. Les bougies

risquent de nous manquer rapidement.Le garçon reçoit l'accord unanime des six autres et se

charge lui-même d'éteindre la bougie une fois les filles dans leur chambre. Thomas, Denis et lui n'auront pas besoin de lumière.

Dans le noir, Thomas indique à ses deux copains de classe.

--On ne pourra pas durer longtemps comme ça. Il va nous falloir l'aide de Bertrand et Marie.

Denis avoue.--J'y pensais aussi. Dans cinq jours au plus, nous

n'aurons plus la moindre bougie, et, franchement, je me vois mal vivre le reste du temps à l'époque où nous sommes.

Vivien admet à son tour.--Surtout que nous portons des vêtements d'été et que

nous sommes en montagne assez haut, au moins mille-cinq-cents mètres. Même si nous avons des pulls légers dans nos bagages, ce n'est pas l'idéal.

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Thomas donne son opinion.--Pour l'altitude, je ne suis pas certain, mais sans

parler d'elle, nous allons grandir et nos vêtements ne seront pas extensibles. Je nous vois mal nous balader à « poil », Audrey, Marion, Sabrina et nous trois. Sandra est adulte, c'est différent, pour elle.

--Même, Thomas, elle usera forcément ses affaires.La réflexion de Vivien est tout à fait réaliste. Denis

donne à son tour son avis.--Je la plains, Sandra. Elle a un copain et risque de ne

plus le revoir, si nous restons ici.Thomas se veut optimiste.--Pour moi, tout rentrera dans l'ordre avant la fin du

mois.Vivien essaie de blaguer.--Nos parents doivent faire de drôles de têtes. Tous

les six nous avons disparu avec une monitrice. Je vois mal Jacques essayer de leur expliquer que le chalet et ses occupants ont disparu au cours d'un orage sans laisser de traces. Le père de Marion risque de se fâcher sérieusement.

--A mon avis, il doit s'en vouloir de nous avoir proposé cette colonie pour cette année. Maintenant, essayons de dormir. Demain, comme le reste du temps que nous passerons ici, nous devrons chercher de la nourriture.

Après les paroles de Thomas, le silence vient dans la pièce et ils finissent tous par s'endormir.

Marie et Bertrand, à leur retour chez eux, avaient trouvé leur mère au lit, et, s'excusant, elle avait dit à ses deux enfants.

--Je vous laisse préparer le dîner. Ce soir, je ne mangerai pas, je me sens très fatiguée, je vais dormir.

La petite fille avait pourtant demandé à sa mère toujours dans le lit.

--Tu ne veux pas une soupe ?--Non, Marie, mangez tous les deux.Au cours de leur dîner en tête à tête, Marie avait

soufflé à son frère.--Si demain maman est encore fatiguée, il faudra

peut-être demander conseil à Sandra.

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Au matin, Sandra et Audrey sont les premières éveillées et quittent la chambre des filles sans faire de bruit.

Le « salon » est éclairé par la lumière du jour et elles s'asseyent près de la table en attendant le réveil des autres.

Audrey risque pour la jeune monitrice avec qui elle se trouve seule.

--Sandra, tu n'as pas peur que nous restions ici ?--Non, ce serait illogique, selon Bertrand. D'ailleurs,

ce garçon est doué d'une intelligence peu commune que je ne m'explique pas. Mais, en attendant notre retour au vingtième siècle, à nous de nous débrouiller par nous-mêmes, et je compte bien sur vous six pour m'aider.

--Sans Bertrand et Marie, nous, on serait totalement à la dérive. Ils ont encore beaucoup à nous apprendre. Moi, si tu veux mon avis, je les admire.

Audrey vient de dire ce que ses compagnons pensent aussi.

La matinée se passe pour les garçons une fois lavés, à remettre des collets. Les filles, après s'être baignées dans l'eau froide de la rivière, ont fait une petite lessive puis, tous les sept sont allés ensuite cueillir des fruits sauvages.

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5

En tout début d'après-midi, Bertrand arrive seul. Il a l'air paniqué et explique.

--Maman est très malade. Elle a de la fièvre. Sandra, tu ne pourrais pas venir, s'il te plaît ? Tu sauras peut-être quoi faire. Marie est restée pour lui poser un linge froid sur le front, mais ça ne fait aucun effet depuis ce matin. C'est Marie qui m'a conseillé de venir vous chercher. Nous, nous ne savons pas comment on pourrait la soigner.

Alors que les six adolescents et leur monitrice étaient à bronzer, ils se rhabillent. Les garçons évitent même de porter des shorts et enfilent des pantalons sortis des bagages rapidement. Les quatre filles passent des jupes par dessus les slips de maillots de bain et Sandra décrète.

--On prend tout ce que nous avons comme médicaments. Nous ne savons pas encore de quoi souffre la mère de Marie et Bertrand.

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Le jeune garçon est soucieux et il faut que Marion lui dise que Sandra trouvera bien un médicament et que sa maman guérira assez vite, pour que le garçon essaie de sourire à la fille qui vient de lui parler.

Un quart d'heure après l'arrivée de Bertrand, la petite troupe se met en route.

La marche est rapide et il faut peu de temps au petit groupe pour apercevoir la petite maison en bois et terre, car, cette fois, il n'était plus question de pêcher en cours de chemin. Sandra conseille en approchant de la maison.

--Vivien, Denis, Thomas, restez dehors avec Marion et Sabrina. Si j'ai besoin de vous je vous ferai appeler par Audrey. La mère de Marie et Bertrand ne nous connaît pas. Pour elle, nous n'existons pas. Me voir avec Audrey seulement lui donnera moins de crainte que si nous entrons tous ensemble. Bertrand, conduis-nous.

Les trois garçons et les deux filles restent tout de même à proximité de la maison. Thomas remarque, alors que Bertrand vient d'ouvrir la porte pour faire passer avant lui la jeune femme et Audrey.

--Je ne sais pas pourquoi j'ai emmené ma hache et que je l'ai passée à ma ceinture de pantalon. Ici, nous n'en aurons pas besoin.

Marion lui réplique comme pour le justifier.--Dans la précipitation, c'est un peu normal. Bertrand

était tout de même paniqué, ce que je comprends. Et puis, au retour, qui sait s'il ne fera pas déjà nuit.

Pendant ce temps, Sandra, Audrey et Bertrand sont entrés et le garçon prévient sa sœur avant d'entrer dans la chambre.

--Marie, Sandra et Audrey sont là. Comment va maman ? Elle va un peu mieux qu'avant mon départ ?

La fillette nie de la tête avant de répondre.--Elle a beaucoup de fièvre, je ne sais plus quoi faire.Sandra, Audrey et Bertrand sont à présent dans la

chambre et la monitrice examine la jeune femme allongée dans le lit, car cette femme ne doit pas avoir plus de trente à trente-cinq ans. Personne ne parle. La malade est surprise de voir deux inconnues, et la monitrice de colonie de vacances lui

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pose des questions simples avec des mots simples auxquels elle répond. Rapidement, Sandra commande.

--Audrey, sors-moi une boîte de cachets d'aspirine de la trousse de secours. La maman de Marie et Bertrand va en prendre deux d'un seul coup. Marie, trouve un verre d'eau. Toi, Bertrand, ramène tout ce que tu pourras trouver de chaud. Il faut que ta maman transpire beaucoup pour que la fièvre s'en aille. En principe, avec ces deux cachets, dans une heure, elle ira mieux.

La malade, revenue de sa surprise, interroge.-Qui êtes-vous, citoyennes ?Sandra réplique naturellement.--Nous en reparlerons lorsque vous serez guérie,

madame. Faites-nous confiance. Marie et votre fils nous connaissent, mais ce n'est guère le moment de vous expliquer.

La réaction est vive.--Vous êtes royalistes, pour m'appeler madame !Audrey dément très vite.--Non, pas du tout. Ecoutez donc Sandra, je vous en

prie. Nous vous expliquerons tout quand vous irez mieux. Vos enfants ont besoin de vous et ils ne savaient pas quoi faire, c'est pourquoi Marie a demandé à Bertrand de venir nous chercher.

La femme avale les deux comprimés avec un peu d'eau puis se rallonge au moment où Bertrand entre de nouveau dans la pièce avec tout ce qu'il a pu trouver. Il indique.

--J'ai même pris nos couvertures, à Marie et moi.Sandra lui caresse le visage puis conseille.--Merci, Bertrand. A présent, va faire du feu pour

chauffer la maison.Le jeune garçon fait savoir.--C'est qu'il ne reste plus beaucoup de bois coupé,

Sandra, et si on le brûle maintenant, nous n'en n'aurons pas assez pour cette nuit et la maison refroidira.

Sandra fixe Audrey. Elle ne lui parle pas, mais ses yeux, eux, parlent. L'adolescente a compris et entraîne Bertrand hors de la pièce pour lui dire.

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--Thomas possède une hache, dis-lui d'aller couper du bois pour ce soir et cette nuit. Avec Denis et Vivien pour l'aider, ce ne sera pas long.

Le fils de la maison émet en forme d'excuse.--Pardonne-moi, je n'y pensais plus. C'est rare que

maman soit malade.Audrey réplique en rassurant.--Je m'occupe de prévenir les garçons. Toi, ramène le

petit bois qui reste.La fille aux cheveux blonds sort de la maison et

commande.--Les garçons, il faudrait couper du bois pour faire du

feu, c'est un ordre de Sandra.Les trois amis ont compris et coupent d'abord de

petits arbrisseaux puis Thomas questionne.--Il faudrait bien couper un arbre pour avoir des

réserves, mais, est-ce que nous en avons le droit ?Marion rétorque très vite.--Bouge pas, je vais demander à Bertrand.Au même moment, dans la chambre, la mère des

deux plus jeunes enfants indique à sa fille.--Va dire à Bertrand de couper l'arbre auprès de la

rivière, celui qui penche vers la berge, ce sera plus facile. Il sait où est la scie.

La fillette sort aussitôt de la chambre de sa mère, la laissant avec Sandra et Audrey. Elle voit Marion qui demandait à Bertrand si les garçons pouvaient couper un arbre. Marie reprend les propos de sa mère puis elle interroge.

--Vous êtes tous venus ?La fille aux cheveux courts avoue.--Oui, Sandra a préféré.--Alors ça va. Marion, va dire aux garçons qu'ils

peuvent couper l'arbre penché.L'adolescente réplique en souriant.--C'est comme si c'était fait, Marie.La fille rejoint ses trois copains et Sabrina et leur

transmet le message.L'arbre est bientôt attaqué par la hache de Thomas et

le trio se relaie, mais il fait chaud, et les trois garçons se

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retrouvent torse-nu et en slips de bain. Marie ramène la scie en déclarant.

--Ce sera peut-être plus facile pour couper les branches.

Denis sourit puis.--Merci, Marie. Comment va ta maman ?--Sandra lui a donné à avaler de petits comprimés

qu'elle appelle de « l'aspirine ». Vous croyez qu'elle guérira avec ça ?

Sabrina explique à la fillette qui lui fait face.--Oui, parce que ta maman n'est pas habituée à en

prendre et ce sera donc plus efficace.Marie ne comprend pas très bien mais fait tout de

même.--Merci, Sabrina. Je vous ferai la bise à tous tout à

l'heure. Merci à tous. Je retourne dans la chambre, maman est seule avec Sandra et Audrey, et elle doit se demander comment ces filles étranges sont là.

Sabrina questionne de nouveau.--Et Bertrand ?--Il allume le feu avec ce qui restait de bois, mais, un

peu après la nuit, tout sera brûlé et les nuits sont assez fraîches, chez nous.

Denis rassure la fillette.--D'ici là, Marie, il y en aura d'autre, sois tranquille.A quelques mètres de là, dans la maison faite de bois

et de terre, la jeune maman a chaud et avoue.--Je ne sais pas ce que tu m'as fait avaler, citoyenne

Sandra, mais il est vrai que je me sens mieux. Je te remercie.Puis, voyant Marie de retour.--Ton frère va avoir du mal à couper cet arbre. Il est

bien courageux, mais il n'a tout de même que onze ans. Tu lui diras de ne couper que de petites branches. Je verrai plus tard pour le reste.

La fillette sourit, embrasse sa mère, puis se décide enfin à parler.

--Maman, Sandra et Audrey ne sont pas venues seules. Il y a aussi Thomas, Vivien, Denis, Marion et Sabrina.

--Il y a trois hommes près de notre maison !

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--Non, maman, Thomas, Vivien et Denis ont quinze années, comme Audrey. Ne cherche pas à comprendre pour le moment, repose-toi. Bertrand vient d'allumer le feu.

La fillette vient d'achever sa phrase lorsqu'un bruit sourd se fait entendre du dehors. Avant la moindre question de sa mère, la petite Marie signale.

--L'arbre qui était près de la rivière est à terre. Thomas avec sa hache, et Vivien et Denis avec la scie de papa, vont pouvoir couper les branches, à présent. Maman, tu devrais essayer de dormir, il faut guérir. Ne t'inquiète pas pour Bertrand et moi, Sandra est ici.

--Merci « mon chaton ».Audrey conseille à la femme.--Madame, il est inutile de nous appeler « citoyennes

ou citoyens », nos prénoms suffisent.La mère de Marie fait remarquer.--Vos habits sont curieux, Audrey et Sandra. Je ne

sais de quel pays vous venez, mais vous parlez le français, c'est déjà beaucoup.

Audrey renseigne un peu la malade.--Nous sommes Français, mais, loin de cette région.

Nous sommes arrivés ici par hasard. La femme alitée hoche la tête avant de répondre.--Je comprends mieux pour votre accent, alors.

Heureusement que je ne parle pas seulement le catalan, car vous ne m'auriez pas comprise. Je me sens beaucoup mieux. Je vais pouvoir me lever.

Sandra intervient pour donner son avis à la maman des deux plus jeunes.

--Non, madame, pas avant demain. Marie, tu as de la soupe pour ce soir ?

La fillette, paraît ennuyée. Elle reste quelques secondes avant de répondre à Sandra.

--Oui, de la soupe de pain, mais il n'y en aura pas assez pour tout le monde. Moi, j'avais prévu pour maman pour trois jours et nous serons trop nombreux ce soir.

Sa mère dispute.--Marie ! Nous partagerons. Ces gens sont venus me

soigner et ont permis que le fièvre tombe.

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Bertrand, qui ouvrait la porte a entendu. Se voulant serein, il prévient sa mère avant que Sandra et Audrey ne parlent.

--Maman, il reste deux lapins, je vais les préparer, mais, Marie a raison, la soupe sera pour toi.

Marion et Sabrina apparaissent dans l'ouverture de la porte de la chambre et annoncent.

--Bertrand, les garçons demandent où ils doivent mettre le bois coupé.

Le garçon réplique aussitôt.--Près du foyer pour celui qui servira cette nuit. Le

reste, sous l'abri qui se trouve dehors.Bertrand n'a pas voulu se trahir en indiquant que le

bois était mis d'habitude près de l'endroit où Marie et lui prennent leur bain, et, où la veille, toute la petite équipe avait fait de même avant de remonter près de la cabane, plus haut, près de la grotte.

Sabrina, alors que Marion est repartie avertir Thomas, Denis et Vivien, va vers la mère de Marie et Bertrand pour demander.

--Vous allez mieux, madame ?--Oui, merci, comment t'appelles-tu, toi ?--Sabrina, madame.--Tu as de très longs et beaux cheveux, Sabrina.--Merci, madame.Sandra fait savoir à Bertrand.--Ne prépare pas les lapins nous allons partir.

Demain, ta maman ne sera plus malade, donc nous allons vous laisser avant qu'il ne fasse nuit.

Le garçon fixe la jeune femme et réplique d'une voix qui se veut ferme.

--Non, vous ne partirez pas avant demain. Et puis, vous avez de quoi manger, ce soir, là-haut ?

Sandra doit admettre.--Quelques fruits sauvages cueillis ce matin.Marie, qui écoutait, décide à son tour.--Vous resterez tous ici. Sandra, tu es la seule à

pouvoir encore soigner maman s'il y a besoin.La jeune mère reconnaît.

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--Sandra, ma fille a raison. Seulement, ce sera assez difficile pour dormir. Je me nomme Marie-Thérèse, mais tout le monde me connaît et m'appelle sous le nom de Marité. Ce sera de même pour vous tous. Mes enfants vous ont fait confiance, je sais qu'ils sont de bon jugement. Cette maison sera la vôtre pour la nuit.

Sandra sourit et répond.--Je vous remercie, Marité, mais les enfants vous

appelleront madame, par politesse.--Marie, montre à Audrey et Sabrina le grand coffre.

Toutes les trois vous prendrez les peaux nécessaires pour faire des lits dans la grande salle.

Bertrand, qui n'avait pas osé interrompre ni sa mère ni Sandra, prévient enfin.

--Maman, nous avons du bois pour plusieurs jours. Il restera le tronc à découper. Denis, Vivien et Thomas m'aideront demain matin à le scier en morceaux. Au fait, maman, les garçons et Marion peuvent-ils venir te dire bonsoir ?

La malade est souriante pour répliquer.--Oui, mon fils, je vais beaucoup mieux grâce à la

médecine de Sandra.Marion entre la première et promet.--Madame, nous ne ferons pas de bruit, ainsi vous

pourrez vous reposer.--Ainsi, c'est toi, Marion ! Tu as les cheveux coupés

comme un garçon. Je suis contente de te connaître.L'adolescente s'apprête à parler à son tour mais se

ravise. Elle ne sait pas si Marie et Bertrand ont dit qu'ils étaient tous venus l'avant-veille dans la petite maison et qu'ils avaient entendu parler des deux plus jeunes. La fille de quatorze ans et demi se contente donc de sourire en réponse.

Les trois garçons saluent à leur tour la femme alitée puis ressortent tous de la chambre.

Bientôt, Sandra reste seule avec Marié, et la monitrice de colonie de vacances émet.

--Marité, je vais vous raconter notre aventure, mais il est certain que vous ne me croirez pas. Et pourtant, ce sera la vérité, je vous le jure.

La malade rassure tout de suite Sandra.

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--Quelle que soit votre histoire à tous les sept, je vous croirai car vous m'avez aidée et les enfants n'ont pas eu peur. Bertrand est même allé vous chercher pour me soigner. Sandra, tu es jeune, moi, un peu plus vieille que toi, mais je te prie de me tutoyer. Nous ne sommes plus sous la royauté depuis plusieurs années. Ne le saurais-tu pas ?

Sandra s'assied près du lit de Marité et parle alors très sérieusement.

--Si, Marité, je le sais, comme bien d'autre choses que tu ne peux pas deviner. Maintenant, écoute, s'il te plaît, il faut que je parle à quelqu'un d'autre que ces adolescents qui sont bien gentils mais un peu jeunes. C'est bien simple, on dirait que ce qui nous arrive est un jeu pour eux.

Sandra parle et raconte tout. L'autre femme, d'abord surprise, écoute tout de même car Sandra est sincère. Elle le ressent bien dans les paroles de cette toute jeune femme, et, lorsque la monitrice s'arrête enfin, elle avoue.

--Tu es bien jeune, Sandra, pour être responsable de six enfants. Dès demain tu auras toute mon aide, mais, pour aller au village, je te prêterai une robe, car tes habits surprendraient, et on poserait des questions dans la vallée.

--Marité, tu ne crois pas mon histoire, n'est-ce pas ?L'autre femme fixe longuement Sandra. Non, celle

qui l'a soignée n'a pas pu inventer une histoire digne de sorcières. Sandra n'a pourtant pas tout dit, elle a probablement caché des choses, mais peut-être justement parce que ces choses ne pourraient être crues. Déjà, cette jeune femme et les six enfants sont vêtus d'une façon différente de ce qu'elle a vu durant toute sa vie. Marité répond enfin.

--Elle est étonnante, et pourtant je te sentais sincère. Je ne sais pas quoi penser. Venir de Paris jusqu'aux Alpes en moins d'une journée est impossible, mais tu m'as dit que les transports étaient très rapides, alors, je veux bien te croire. Mais, si ce que tu dis est vrai, il faudrait que Bertrand et Marie partent avec vous le jour où vous retournerez à votre époque. Je te les confierais, car tu es bonne.

Sandra fait observer.--Il faudrait demander leur avis. Marité justifie son désir.--Je crains pour Bertrand quand il devra être soldat.

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--Je te comprends d'autant plus que, hélas, il y aura encore de nombreuses guerres, mais il ne voudra pas te laisser seule ici. Je le connais peu mais il est volontaire, je m'en suis rendue compte.

--Je sais. Il faudra le convaincre tout de même. Moi, je resterai ici. Si ce que tu dis est vrai, Sandra, il me serait impossible de m'habituer à une autre vie.

Sandra objecte en retour.--D'avance, je peux te dire que Marie et Bertrand ne

voudront jamais partir sans toi. Tu es leur mère. Maintenant, Marité, je te laisse te reposer. Je vais voir où sont les huit enfants.

La malade réagit alors en entendant Sandra.--Mon Dieu, huit ! Je te plains, petite.La monitrice sourit en quittant la chambre.Dans un coin de la pièce principale, des fourrures

sont entassées, des fourrures de loups que le père des deux plus jeunes avait tués. Sur la table, Bertrand découpe un lapin et, voyant Sandra, lui explique.

--Il sera plus facile à cuire.Sandra s'apprête à répondre au jeune garçon

lorsqu'elle entend un hurlement venant du dehors. Un hurlement de loup. Le premier que la monitrice et les filles venues du vingtième siècle entendent. Marie, qui se trouvait près du foyer, lève la tête et interroge.

--Tout le monde est rentré ?--Non, Thomas, Vivien et Denis sont dehors.A la réponse d'Audrey, Sandra panique un peu.

Bertrand décide.--Je vais leur dire de rentrer, il va faire bientôt nuit.Marion et Sabrina se regardent anxieuses. Dehors, un

cri plaintif de l'animal qui avait hurlé se fait entendre alors.Marie s'étonne car c'est la première fois qu'elle entend

cette sorte de cri.--C'est curieux, il a l'air blessé, ce loup.Denis entre pour annoncer.--Celui-là ne fera plus peur à personne. Il est mort.Bertrand lâche avec surprise.--Il est mort ! Qui l'a tué !

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--Thomas, Bertrand. Je ne le savais pas si adroit avec une hache. Par contre, Sandra, il a peur que tu le disputes.

La jeune femme questionne inquiète.--Il est blessé ?Denis dément très vite.--Non, mais sa chemise et son pantalon sont tachés de

sang. Il a peur de rentrer comme il est. Tu risques de le disputer.

Sandra reste interdite.--Il a peur que je le dispute et il n'a pas eu peur d'un

loup ! Mais c'est dingue, ça !Finalement, Vivien apparaît à son tour pour

demander.--Bertrand, qu'est-ce qu'on fait du loup ?--J'arrive. On va le tirer sous l'abri où vous avez mis

le bois. Demain, on verra. Là, il fait presque nuit.De fait, Bertrand, Denis et Vivien sortent très vite de

la maison, avant même que Sandra n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche.

Dix minutes passent avant le retour des quatre garçons. Bertrand renseigne.

--Thomas s'est lavé le visage et les mains, mais, pour ses vêtements, je ne sais pas comment les détacher.

Sandra se précipite dès que Thomas entre, l'embrasse puis, l'examinant, elle questionne de nouveau.

--Thomas, tu n'as rien, c'est sûr ?Le garçon la rassure.--Non, Sandra, tout va bien. Il ne m'a pas touché, je

lui ai fracassé le crâne en sautant de côté. Je suis vraiment désolé de te créer du souci.

La monitrice, soulagée, commande.--Déshabille-toi, le tueur de loup, et couvre-toi avec

une fourrure. Je m'occupe de tes vêtements.Marie suggère pour la jeune femme.--Avec de l'eau chaude, le sang partira, mais il faut

les laver avant que les taches ne sèchent.Marité ouvre la porte de sa chambre et voit Thomas

en train de retirer chemise et pantalon. Elle demande.--Que s'est-il passé ?Bertrand annonce fièrement.

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--Thomas vient de faire comme papa, il a tué un loup.La jeune mère s'étonne.--Ce n'est pas possible !Marie de répliquer tout naturellement.--Faut bien que le sang vienne de quelque part, et ce

n'est pas du sang de lapin.Audrey conseille à la mère des deux plus jeunes.--Madame, retournez vous coucher. Tout le monde

est à la maison. Nous n'avons plus de crainte à avoir.Bertrand a sorti du coffre où se trouvaient les peaux,

une grande veste de son père et la tend à Thomas en expliquant.

--Tiens, mets ça, tu es presque nu, autrement.--Merci, Bertrand. Au fait, j'ai ramené la hache, je l'ai

laissée près de la porte. Il faudra faire attention à ce que personne ne se blesse cette nuit.

Marion avoue à son copain.--Tu es bavard, Thomas.Puis, après un court silence, elle reprend.--Tu n'as pas eu peur ?Le garçon qui vient de tuer un loup, reconnaît.--Si, mais c'était moi ou Denis et Vivien, alors je suis

allé au devant du loup. Denis et Vivien auraient été blessés, ils n'ont que des couteaux. Moi, avec ma hache, j'avais davantage de chance. Sandra, je te demande pardon pour tout le travail que je te donne.

La réponse vient immédiatement.--Je suis tellement contente que tu ne sois pas blessé

que je n'ai nullement envie de te disputer.Le pantalon et la chemise sont lavés sur le pas de la

porte. Bertrand, Vivien et Denis surveillant les alentours.Une fois les vêtements lavés et Sandra ainsi que les

trois garçons de nouveau dans la maison, la petite Marie indique.

--Devant le feu, les habits de Thomas sécheront plus vite. Après, je ferai la soupe de maman. Nous, nous mangerons un peu plus tard.

Marion demande aux deux plus jeunes.--Le loup, ça ne se mange pas ?

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Bertrand, d'abord surpris de la question, explique à la fille aux yeux bleus et aux cheveux courts.

--La viande est pleine de nerfs, et puis, ici, personne n'oserait en manger, les autres loups seraient capables de se venger, alors, non, nous n'en mangerons pas.

Marion acquiesce de la tête. Elle n'avait pas réfléchi mais Bertrand est tout à fait logique, la viande doit être impossible à avaler à cause des nerfs.

Audrey reste près de Thomas sans parler, puis, après un long moment de silence, lui dit.

--Tu aurais pu être tué, c'est terrible !Le garçon regarde sa compagne. Il est en slip et avec

la grande veste du père de Bertrand et Marie, mais son amie de lycée n'y prête garde. Elle a pensé qu'il aurait pu perdre la vie face à ce loup qui courait vers lui. Thomas prend un bras de sa compagne dans une main et réplique.

--Ce n'est pas le cas, Audrey. Maintenant, je vais te dire une vérité. Je vais sûrement avoir beaucoup de mal pour dormir cette nuit, ça, je t'assure.

L'aînée des adolescentes hoche de la tête sans répondre. Elle comprend son ami de lycée mais ne parlera plus du loup pour ce soir.

Marion, Sabrina et Sandra aident Marie et Bertrand à préparer le repas et mettre la table. Attention, une table bien modeste, il n'y a pas de couverts pour tout le monde, juste pour découper le lapin. Il faudra manger les morceaux avec les mains, comme la veille au soir. Et ce sera ainsi tant qu'ils ne reviendront pas au vingtième siècle. Il y a quatre gobelets en métal qui serviront de verres. Un pour les trois filles, un pour les trois garçons, un pour le frère et la sœur et le dernier pour Sandra, c'est Marie qui en a décidé ainsi.

Après un dîner assez silencieux, tout le monde se couche, et, effectivement, durant la nuit, Thomas ne dort presque pas, mais il n'est pas le seul, ses copains Denis et Vivien non plus. Eux deux, ils avaient vu leur ami aller vers le loup, la hache bien en mains et, lorsque le loup avait sauté pour attaquer Thomas, leur compagnon avait frappé la gueule de l'animal. Thomas avait saisi sa hache avec ses deux mains pour posséder plus de force. Ils avaient assisté à ce spectacle qui n'avait duré que quelques secondes. Ils n'avaient même pas

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eu le temps de pousser le moindre cri. Pourtant, une fois le loup sur le sol et plein de sang, leur ami Thomas avait reconnu avoir eu très peur, mais il n'avait pas eu le choix.

Dans la nuit, ils entendent.--Les garçons, vous ne dormez pas !--Sandra !--Oui, chut, les filles dorment et Bertrand aussi.

Marité également, je suppose.La monitrice se lève et vient près du feu. Elle avait

décidé de dormir dans la salle principale en attendant que Marité se rétablisse complètement, et puis, la mère des deux enfants dormait lorsqu'ils avaient terminé leur dîner. Alors, Sandra avait préféré la laisser dormir. Les trois garçons la rejoignent en faisant le moins de bruit possible, et Thomas de murmurer.

--Je suis désolé, Sandra. Tu ne dors pas à cause de moi.

La jeune femme admet en essayant de montrer son sourire.

--C'est vrai, mais tu n'as pas à être désolé. Je sais à présent que vous êtes des hommes, tous les trois.

Thomas pose sa tête contre un bras de Sandra et réplique tout doucement.

--Non, Sandra, pas encore, je peux te l'assurer. Je n'ai que quinze ans, et j'ai eu peur de ce loup.

Vivien chuchote.--N'empêche, Denis et moi t'avons vu. Tu l'as attendu

et tu as frappé avec ta hache que tu tenais de tes deux mains. Nous, Thomas, on ne pourra pas oublier.

Le garçon à qui Vivien s'adressait, réplique en murmurant lui aussi.

--Moi non plus, je n'oublierai pas, et mes prochaines nuits ne seront pas calmes non plus.

Sandra leur caresse les cheveux à tous trois et indique.

--Essayez de dormir, je reste là, avec vous trois.Lorsque le matin arrive, c'est un soulagement pour les

trois garçons venus du vingtième siècle. Marie, assez espiègle et en forme, les regarde, les embrasse puis déclare sûre de ses paroles.

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--Vous trois, vous avez mal dormi. Comme dirait maman : « vous avez de petits yeux ». Cet après-midi vous dormirez au soleil. Bertrand et moi nous veillerons sur vous. Thomas, tes habits sont secs.

La fillette a réussi à faire sourire les trois garçons. Cette petite fille est vraiment extraordinaire.

Bientôt, toute la maisonnée est éveillée et Marité apparaît habillée. Voyant Sandra, elle reconnaît en l'embrassant

--Ton médicament m'a guérie, je te remercie.Bertrand, arrivant du dehors, sourit et signale.--Je suis allé voir le loup. Thomas, il n'avait aucune

chance de la manière dont tu l'as frappé.Marité promet.--Je vais m'en occuper, et ainsi, Thomas, tu pourras

emmener la peau de ce loup.Surpris, le garçon questionne.--Et qu'en ferais-je, moi, de cette peau ? Non,

madame. S'il n'avait pas attaqué, je ne l'aurais pas tué.La maîtresse de maison regarde tous ces enfants.

Désolée, elle fait pour Sandra.--Je ne vais pas pouvoir tous les nourrir ce matin.Bertrand propose à sa mère.--Ce matin, on mangera des fruits sauvages, maman,

et dans la matinée j'irai à la pêche. Tu verras, le poisson est très bon.

Sa mère le questionne.--Et comment pêcheras-tu ?Tout fier, Bertrand explique.--Denis, Vivien et Thomas m'ont fait une canne,

comme ils disent. Ce midi nous aurons du poisson pour tout le monde.

Sandra rappelle pourtant à toute la petite équipe.--Bertrand, Marie, comme vous six, n'oubliez pas de

vous laver d'abord.Marité, se tournant vers Sandra, s'enquiert.--Et où vont-ils se laver ?La monitrice n'est pas prise au dépourvu et répond

tout naturellement.--Dans la rivière.

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Marité reprend avec surprise.--Dans la rivière! Mais l'eau est glacée ! Elle descend

du somment de la montagne !Sandra réplique comme si c'était logique.--Nous avons pris l'habitude, Marité. Ce ne sera pas la

première fois que nous le ferons.Audrey, fixant la monitrice, lui fait savoir.--Je préférerais que l'eau soit un peu tiède, Sandra.

Marie m'a dit que dans l'abri il y a une moitié de tonneau. Sandra, en le remplissant un peu et en rajoutant de l'eau chaude, je serais bien plus contente. Même si les garçons me voyaient nue.

Les garçons en question sont étonnés de la réflexion de leur amie, oui, Audrey aussi a changé, en cette fin de dix-huitième siècle. Denis se reprend le plus vite et suggère.

--Nous, nous porterons des seaux d'eau froide. Marion, Sabrina et Sandra s'occuperont de l'eau chaude. Non Audrey, nous ne te verrons pas nue. Il ne serait pas normal que nous te dérangions pendant que tu te laves, et en plus, nous nous sentirions coupables. Et puis, je te rappelle que Vivien, Thomas et moi avons un travail à finir. Tu es sans doute jolie nue, mais, tu vois, tu es également notre amie, et pour nous trois, c'est ce qui compte le plus. Donc, tu peux être tranquille.

La fille sourit. Elle se doutait bien que la réponse serait celle que Denis vient d'énoncer.

La matinée se passe rapidement. Comme prévu, Bertrand a réussi à prendre quatre truites alors que les trois autres finissaient de couper les branches et le tronc de l'arbre abattu la veille.

De son côté, Audrey a obtenu son bain tiède. Elle s'était baignée avec Marie. La mère de cette dernière et de Bertrand se doit de reconnaître pour Sandra en fin de matinée.

--Si Marie et Bertrand ne devaient plus revoir les enfants que tu dois protéger, Sandra, ce serait terrible pour eux. Je ne me souviens plus d'avoir vu « mon chaton » rire de la sorte. Sandra, Marie n'a que huit ans et demi, il faudra l'emmener avec son frère et les « tiens » à ton époque.

--Marité, je connais un peu tes enfants, jamais ils ne voudront te laisser seule, donc, tu devras venir également,

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sinon, ils n'accepteront pas, tu le sais comme moi. Tu es leur mère et ils t'aiment.

--Je sais bien qu'ils m'aiment comme je les aime, et c'est pourquoi je te demande cela, mais, en ce qui me concerne, tu sais bien que c'est impossible.

--Nous verrons. De toute façon, nous ne savons même pas si nous pourrons retourner un jour à l'époque et à l'année d'où nous venons.

Marité change de sujet et questionne la jeune fille responsable des six enfants.

--Veux-tu venir avec moi au village cet après-midi ?--Pour quoi faire ?--Vendre des peaux de lapins et de loups et acheter

d'autre nourriture. Nous sommes dix à manger.Sage, Sandra réplique.--Demain, Marité. Tu travailles déjà alors qu'hier tu

étais malade. J'irai demain avec toi, en partant dès le matin pour être de retour avant la nuit.

La mère des jeunes enfants donne son avis.--Ce sera difficile de revenir avant la nuit. Mais,

pourquoi demain ?Sandra rétorque en souriant.--Je vais dire à mes trois garçons d'aller chercher les

cannes à pêche. Nous pourrions vendre aussi des truites, cela te ferait un peu plus d'argent en plus pour acheter davantage de nourriture. Cette rivière est très poissonneuse.

Marité admet que Sandra n'a pas tort.--Les gens se poseront des questions, mais ils

achèteront, c'est certain.Le repas du midi est simple mais suffisant pour tous,

et les trois garçons de la colonie, accompagnés de Bertrand, remontent jusqu'au refuge qu'ils avaient construit le premier jour de leur arrivée dans la plaine.

Peu après leur départ, Audrey va vers Sandra et demande timidement en présence de Marité.

--Sandra, on peut s'installer au soleil pour bronzer ?La monitrice n'est pas du tout surprise par une telle

demande, mais recommande.--Oui, à condition de ne pas trop vous éloigner de la

maison. Marité, tu acceptes que Marie fasse comme elles ?

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--Prendre le soleil ! C'est dangereux, non ?Sandra dément très vite.--Non, Marité, pas pour le temps qu'elles resteront

ainsi. Audrey, emmenez Marie avec vous derrière la maison. Si elle a trop chaud, il faudra qu'elle remette sa robe. Tu es responsable avec Marion et Sabrina. Je compte sur vous trois pour veiller sur Marie.

Audrey promet à la jeune femme.--D'accord, tu n'as rien à craindre.Les trois adolescentes et la fillette s'installent près de

la maison pour bronzer, mais de manière à pouvoir rentrer dans la maison rapidement si un loup se faisait voir.

Pendant ce temps, Sandra aide Marité au jardin qui se trouve un peu au-dessus de l'abri. A quelques mètres de là, la peau du loup tué la veille par Thomas est en train de sécher au soleil. Marité l'a attachée afin qu'elle reste tendue en séchant.

Durant ce temps, les quatre garçons parviennent à la cabane et Bertrand propose.

--Il faudrait peut-être ramener vos affaires chez nous, car maman ne laissera pas repartir Sandra si vite. Moi, je trouve qu'elles s'entendent bien, toutes les deux, et depuis que Sandra est là, maman est bien plus gaie.

Le trio venu du vingtième siècle, s'assied près de la porte de la cabane pour souffler un peu, car Bertrand avait marché assez vite pour remonter la pente. Il est vrai que le jeune garçon doit être habitué.

Denis, dont la curiosité reste en éveil, interroge.--Bertrand, je me pose une question. Pourquoi tes

parents ont-ils voulu habiter si loin d'un village alors qu'il y a des loups dans les bois juste au-dessus de votre maison ?

Le garçon devait s'attendre à cette question car la réponse vient assez vite.

--Moi, je suis né dans la plaine. Papa a eu peur quand l'échafaud a été dressé, et puis le tribunal condamnait n'importe qui. Il suffisait que quelqu'un de jaloux accuse un citoyen pour qu'il soit emprisonné tout de suite. Papa disait qu'il n'y avait pas de jugements, enfin, ce n'étaient pas de vrais procès, et c'est pourquoi mes parents sont venus ici. Ils ont essayé d'habiter au village, mais ils n'avaient pas de terre. Mon père a donc décidé de s'installer ici. Voilà la raison, Denis.

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C'est lui qui a fait la maison également. J'étais étonné que jusqu'à présent personne de vous sept ne pose la question à Marie ou à moi.

Denis questionne de nouveau.--Et toi, cette vie te plaît ?--Je ne connais rien d'autre à part le village, Denis,

alors il m'est impossible de te répondre autre chose que oui. C'est dur, mais nous sommes libres.

Vivien se lance à son tour.--Tu ne voudrais pas vivre comme nous, à notre

époque, celle d'où nous venons ?Le jeune garçon n'hésite pas une seconde pour rendre

sa réponse.--Non, Vivien. Maman a dit que notre vie est écrite

dès notre naissance. Si Dieu l'avait voulu, il m'aurait fait naître à votre époque, pas celle-ci, mais je l'avais déjà dit, il me semble.

Les trois garçons qui ont quinze ans sont impressionnés par la sagesse de leur jeune compagnon et ne savent pas quoi répondre. Thomas se relève le premier et annonce.

--Je crois que nous sommes venus ici pour une chose précise. Nous devrions nous en occuper.

Vivien et Denis ont compris qu'il était inutile de continuer sur le sujet précédent et se relèvent de terre à leur tour pour suivre leur copain de classe.

Thomas entre le premier dans la cabane et sort son bagage qu'il a vidé, afin d'y entasser à la place des changes de vêtements pour ses compagnes de lycée et Sandra. Denis, à l'intérieur de l'abri, en fait autant pour Vivien, Thomas et lui. Vivien, lui, se charge des trois cannes à pêche et d'un récipient assez haut.

Sur le retour, ils pêchent de temps en temps, et, lorsqu'ils sont en vue de la maison où habite Bertrand, Marie et leur mère, ils sont contents. Douze truites ont été prises. C'est un record et ils en sont même étonnés. Cette rivière est une richesse.

Audrey a vu de loin les garçons, en fait, elle regardait le plus souvent dans la direction où ils apparaîtraient. Elle prévient ses deux amies.

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--Marion, Sabrina, on remet nos soutiens-gorge de maillots, les garçons vont arriver.

Marie, elle, enfile sa robe, alors que Marion et Audrey font tomber l'herbe d'une couverture que Marie était allée chercher dans la maison. La fillette a des couleurs, et, à l'arrivée de son frère, ce dernier lui fait savoir en riant.

--Tu es bien rouge, citoyenne Marie !--Arrête de te moquer de moi, toi !Son frère, à la surprise des six adolescents présents,

s'excuse presque.--Non, Marie, je plaisantais, mais c'est tout de même

vrai que tu as des couleurs sur le visage.La petite indique au grand frère.--Comme dit Marion, je bronzais avec Audrey,

Sabrina et elle. Je ne savais pas, mais la chaleur du soleil fait du bien sur la peau. Audrey avait raison, l'autre fois.

Bertrand se baisse devant sa petite sœur et questionne normalement.

--Tu avais ôté ta robe ?La gamine baisse les yeux vers le sol et réplique.--Oui. Tu vas le dire à maman ?Le grand frère rassure.--Certainement pas. Moi, après tout, je ne t'ai pas vue,

et puis, si quelqu'un doit le dire à maman, ce sera à toi, sûrement pas à moi. Tu as été assez grande pour décider de t'exposer comme nos amies, tu seras donc aussi assez grande pour le dire à maman si tu le crois utile.

La fillette a compris le message. D'après Bertrand, il serait sage qu'elle dise la vérité à leur mère avant que cette dernière ne s'en aperçoive. Marie, inquiète tout de même, interroge.

--Tu crois qu'elle va me disputer ?Le grand frère lui caresse les cheveux. Il ne sait pas

quoi répondre.--Non, Marie, puisque Sandra lui avait demandé

d'accepter pour toi quand je suis allée la prévenir tout à l'heure que nous allions nous mettre à bronzer. Sandra aura expliqué après que tu ne pouvais pas rester en robe en plein soleil, alors que nous trois aurions retiré des vêtements.

Puis, se tournant vers les trois copains de lycée.

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--Non, pas tous. Je tenais à vous le préciser avant que vous ne vous fassiez des idées.

C'est Audrey qui vient d'intervenir. Bertrand fait la bise à sa petite sœur et rassure.

--Audrey a raison, maman ne pourra pas te disputer si elle a accepté quand Sandra le lui a demandé, et puis, elle sera contente, nous ramenons des truites à vendre demain au village.

Effectivement, lorsque Marie avoue qu'elle avait ôté sa robe, sa mère lui embrasse une pommette et rétorque.

--Je m'en doutais un peu. Déjà, quand tu vas dans la rivière, c'est ce que tu fais. Tu étais bien, avec Audrey, Marion et Sabrina ?

La petite fille est radieuse et n'hésite pas à répliquer.--Oui, maman. C'est dommage qu'un jour nos amis

partiront tous. J'ai encore appris beaucoup de choses cet après-midi.

Les trois adolescentes détournent la tête. Pour elles aussi, le temps des adieux, s'il a lieu un jour, sera difficile.

Marité a remarqué le geste des filles et change aussitôt de sujet pour ne parler que de choses sans importance.

Bertrand a compris et lance.--Nous allons mettre les poissons à l'ombre, dans

l'abri.Les paroles du jeune garçon sont une aubaine pour

Thomas, Vivien et Denis qui commençaient à se sentir mal à l'aise après ce qu'avait dit Marie.

Marité avoue à Sandra.-- « Tes garçons » sont très gentils. Avec les poissons,

nous pourrons acheter davantage, demain, au village.Sandra montre un léger sourire. Elle est contente de

sa petite équipe. Toutes et tous se sont responsabilisés, ce qui était loin d'être certain d'avance. Non, elle n'a pas à se plaindre d'eux.

Un peu avant la nuit, tout le monde rentre à la maison et la soirée se passe agréablement. Marité et Sandra, Bertrand avait vu juste, s'entendent comme si elles étaient sœurs, et une seconde nuit s'apprête à être passée dans la petite maison de la montagne.

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Autour de la table qui paraît bien petite pour tant de monde, lors du repas, Bertrand prend la parole.

--Maman, Vivien m'a demandé cet après-midi, si j'aimerais vivre à leur époque, donc, notre futur.

Sereine, sa mère demande.--Et alors, qu'as-tu répondu ?--Non, c'est maintenant que je vis, et puis tu es là. Je

n'accepterais pas de te laisser ici.Cette fois, Marité devient tout de même anxieuse.

Elle questionne hésitante.--Et si c'était moi qui te demandais de partir avec

Sandra, ta sœur et les six autres enfants ?Le garçon reste stupéfait quelques secondes. Il règne

un silence pesant dans la petite maison. Bertrand a regardé sa jeune sœur. Leur mère a compris et précise.

--Marie n'est pour rien dans ma demande.Le garçon s'étonne alors.--Maman ! Pourquoi voudrais-tu que nous partions

pour toujours en sachant que nous ne pourrions plus te revoir !Marité donne la raison de sa demande.--Je serais plus rassurée, mon fils. Je vous saurais

tous les deux en sécurité.La réaction ne se fait pas attendre.--Il n'en est pas question. C'est toi qui disais que tout

est prévu d'avance. Je vais donc te redire ce que j'ai dit à Vivien, Denis et Thomas. Ma vie est ici. Dieu l'a voulu ainsi, sinon il ne m'aurait pas fait naître. Je sais, les garçons m'ont dit qu'il y aura de nombreuses guerres et que je serai forcément soldat. Mais, si ma vie doit être courte, c'est qu'il en aura été décidé de la sorte par le Bon Dieu.

Marie questionne sa mère.--Maman, tu ne nous aimes plus ?--Oh si ! « mon chaton », mais je veux aussi protéger

vos vies.Bertrand, sage pour ses onze ans, fixe la petite

assemblée puis ses yeux reviennent sur sa mère et il prononce.--Personne ne connaît notre avenir, à Marie, toi et

moi, maman, alors, laissons-le venir normalement. Je sais, les garçons m'ont raconté que les années qui viennent seront pleines de guerres. Eh bien, tant pis. Personne n'a osé défier

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Dieu. Nous ne serons pas les premiers. Sandra, Audrey, Marion, Sabrina, Denis, Vivien et Thomas ne savent pas non plus ce que sera leur avenir, et je ne crois pas que, quel qu'il soit, ils voudraient le modifier, car, si c'était possible, peut-être perdraient-ils au change.

C'est le silence dans la pièce. Le garçon a sûrement réfléchi à tout cela quand il était avec les trois plus grands, c'est pourquoi sa réponse a été nette. Marie, déjà pieds-nus, va embrasser son frère et lui dit.

--Tu as bien parlé. Et puis, si nous partions, au retour de papa, que lui dirais-tu, maman ? Que vos enfants vous ont abandonnés tous les deux ? Non, Bertrand a raison. Tu vois, j'aime beaucoup Audrey, Marion, Sabrina et les trois garçons, j'aime beaucoup Sandra également, mais, maman, tu es notre maman, toi, et personne ne pourra te remplacer. Quand nous avons eu peur, tu étais là pour nous rassurer. Quand nous avons eu froid, tu étais là pour nous réchauffer. Nous avions faim, tu nous nourrissais. Maman, je t'en prie, nous te respectons beaucoup et t'obéissons toujours, mais cette fois, ce ne serait pas possible.

Dès que la fillette se tait, Denis, Thomas et Vivien applaudissent, et le premier de reconnaître.

--Marie, lorsque nous partirons chez nous, si un jour c'est possible, ni Sandra ni nous six ne pourrons t'oublier. Pas plus que nous ne pourrons oublier Bertrand et votre maman.

Le jeune garçon de la maison sourit. Sa petite sœur et lui ont gagné. Leur mère est terriblement émue et elle serre ses deux enfants dans ses bras puis, pour sa fille, prévient.

--Toi, tu dors ce soir avec moi, ça fera davantage de place pour Sandra, tes amis et Bertrand.

La fillette n'est pas du tout d'accord et le fait savoir sans aucune hésitation.

--Non, maman, je serai mieux avec Audrey, Marion et Sabrina. Par contre, Sandra est fatiguée. Elle a mal dormi la nuit passée. Si elle veut, elle dormira avec toi.

D'abord surprise de l'initiative de la gamine, Sandra accepte la proposition de Marie. Elle prévient tout de même.

--Les garçons et Audrey, ne tardez pas à vous coucher. Je vous nomme responsables.

Thomas répond en souriant.

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--Sandra, après cette journée, Vivien, Denis et moi sommes assez las pour ne pas veiller. Je te rappelle que notre journée a commencé avec le sciage des branches de l'arbre abattu hier. Ensuite, nous nous en sommes pris au tronc avec ma hache et la scie. Cet après-midi, nous sommes retournés à notre refuge pour ramener des changes et les cannes à pêche, alors, même si les filles voulaient parler, ce serait sans nous.

Denis ajoute après son copain de lycée.--Une fois le bois mis dans le foyer pour la nuit,

Thomas a raison, nous ne tarderons pas à dormir.Satisfaite de son petit monde, Sandra rejoint Marité

dans la chambre en espérant mieux dormir que la nuit précédente.

Dans la salle principale, tout le monde est rapidement couché et s'apprête à dormir lorsque plusieurs hurlements sinistres se font entendre du dehors. Marion et Sabrina sursautent. Bertrand les rassure.

--Ce sont des loups, mais demain matin ils ne seront plus là. Ils cherchent sans doute à manger. Nous, ici, nous ne craignons rien du tout. La porte et les volets sont bien fermés, j'ai vérifié.

Audrey avoue tout de même.--Avec leurs hurlements, ce ne sera pas facile pour

pouvoir s'endormir.Marie constate calmement.--Vous n'êtes pas habitués, c'est pour ça.Bertrand commente quand même.--Si des lapins ont été pris dans mes collets, demain,

ils n'y seront plus, les loups les auront mangés. C'est à chaque fois la même chose.

Marion déclare un peu étonnée.--Pour vous deux, tout ça paraît naturel, c'est quand

même incroyable ! Le loup tué par Thomas aurait pu le tuer ou tuer Denis et Vivien !

Bertrand reprend pour les trois grandes filles.--Comme Marie vous l'a dit, vous n'êtes pas encore

habitués à vivre en leur compagnie.--A vivre en leur compagnie ! On dirait que tu en

parles comme d'amis ou de quelqu'un de ta famille, Bertrand !

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--C'est un peu ce qui se passe, Sabrina. Nous savons qu'ils sont dangereux mais nous surveillons souvent les bois au-dessus de la maison. Autrement, il leur arrive d'aller près du chemin qui mène au village.

Les enfants se taisent, mais Audrey est la dernière à trouver le sommeil, bien après Marion, Sabrina et Marie. Les garçons se sont endormis les premiers.

Au matin, Marité est levée la première mais ne rallume pas le feu dans l'âtre. Elle explique à Sandra.

--Il faut préserver le bois.Les enfants dorment sur le sol où ont été posées des

peaux. Ils sont un peu dans tous les sens. Sandra, en les voyant, se dit que les filles ont certainement eu un sommeil agité.

Les garçons se réveillent assez vite et Bertrand ouvre la porte. Les loups sont venus très près car les traces de pattes sont encore visibles dans l'herbe fraîche.

Vivien dit ce qu'il pense aux autres.--Avoir la hache de Thomas, c'est bien, mais je vais

quand même faire des arcs pour Denis, Bertrand et moi.Thomas acquiesce.--Oui, d'autant que Sandra accompagne la mère de

Bertrand et Marie ce matin au village.Denis et Vivien ont compris. Leur camarade de lycée

leur a fait ainsi savoir qu'ils suivraient à distance les deux femmes une fois les arcs et les flèches préparés.

Au couteau, Denis découpe une ceinture en plusieurs fines lanières. Le cuir servira à tendre les arcs, ça devrait marcher. Du moins, le garçon l'espère.

Bertrand avoue en regardant Denis travailler.--Je ne sais pas si je pourrai viser une cible avec des

flèches et un arc, je n'ai jamais appris.La réponse de Denis est rapide.--Pourtant, ce serait pratique pour la chasse. Vivien et

moi nous t'apprendrons.--La chasse n'est pas autorisée, à ce qu'il paraît, sauf

pour les lapins, car ils sont trop nombreux et dévastent les jardins même au village.

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Thomas a aidé Vivien à couper du bois assez souple pour faire les arcs alors que Denis, minutieusement, continue ce qu'il avait décidé.

Marion et Sabrina passent près des deux garçons et la première leur annonce.

--Nous, on se lave dans la rivière, mais votre présence ne nous dérange pas, au contraire.

--Vous allez vous laver auprès de nous !Marion confirme au garçon qui s'est étonné.--Oui, Thomas. Depuis l'autre jour, je me sens bien

plus rassurée quand tu es là avec ta hache à portée de mains.Le garçon à qui Marion vient de parler prévient leur

amie.--Sandra va nous disputer, c'est sûr.Sabrina intervient en démêlant ses longs cheveux

noirs.--Je lui ai demandé la permission. Et puis, Thomas,

nous on se connaît depuis quelques années. Les deux garçons renoncent à discuter et travaillent à

chercher des morceaux de branches bien droites. Ils ne font même pas attention à la présence à proximité de leurs deux compagnes.

Il est dix heures et demie heure solaire, car c'est Bertrand qui a indiqué l'heure, lorsque Marité et Sandra quittent la petite maison pour le village. Sandra a fait des recommandations aux garçons dont elle a la charge et à Audrey, mais les garçons sont bien décidés à ne pas rester à attendre le soir le retour des deux jeunes femmes.

Marité et Sandra hors de vue mais très lourdement chargées, Vivien signale.

--Les trois arcs sont prêts. J'ai taillé cinq flèches pour chacun, il faudra faire avec ça.

Audrey a compris le message et prévient.--Marion, Sabrina et Marie, nous accompagnons les

garçons. J'ai prévu des fruits pour notre chemin.La fillette prédit.--Maman ne sera pas contente et Sandra non plus.Audrey riposte aussitôt l'air décidé.

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--Les garçons et moi sommes responsables. Donc, tout le monde y va. Personne ne reste à la maison. Nous devons être ensemble.

Thomas rassure la plus petite.--Marie, si au retour tu es fatiguée, je te porterai sur

mes épaules. Ne crains rien.Un bon kilomètre est parcouru, et à présent il leur

faut traverser la forêt que les adolescents apercevaient de leur cabane près de la grotte. Des bruits étranges se font entendre puis plusieurs hurlements qu'ils reconnaissent. Marie, entre Marion et Audrey, ne peut s'empêcher de déclarer.

--Ce sont des loups.Vivien a compris et lance.--Oui, mais ils ne viennent pas vers nous. Thomas,

reste ici pour protéger les filles. Denis et Bertrand, allons-y. Je crains pour Sandra et Marité.

Les trois garçons courent en avant pour voir deux loups face à Marité et Sandra pétrifiées de terreur. Vivien bande son arc et lâche une flèche qui va se ficher le cou de l'un des loups. Denis s'est rapproché davantage et lâche à son tour sa flèche qui touche et transperce le poitrail du second loup.

Les deux animaux qui s'apprêtaient à bondir sur les deux femmes sont stoppés net. Celui que Vivien a touché saigne abondamment et s'écroule aussitôt sur le côté. Le second loup tente désespérément de casser la flèche. Lui aussi est bien touché et il s'affaisse d'un seul coup en essayant de regagner les fourrés proches. Thomas, arrivé avec les filles, admet pour ses deux amis.

--Jolis coups, vous deux, mais il est préférable de ne pas trop les approcher pour le moment.

Sandra, assise dans l'herbe, à quelques mètres, s'enquiert alors que son visage est blême.

--Ils... Ils sont morts ?Thomas avoue en réponse.--Là, s'ils ne le sont pas, ils jouent bien la comédie et

nous aurions du souci à nous faire malgré ma hache, mais, Sandra, oui, ils sont morts. Bertrand, pour rassurer Sandra et ta mère, envoie une flèche à chacun.

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Le garçon s'exécute. Un seul des deux loups a eu un dernier sursaut avant de s'immobiliser définitivement.

Marie, venue avec les trois autres filles, lance alors.--Maman, Sandra, les garçons avaient raison de

vouloir vous suivre. Sans Vivien et Denis, ces loups vous auraient fait du mal.

Les sept autres enfants sont bien de l'avis de la petite Marie, la benjamine de la petite troupe.

Vivien décide pour tout le monde.--Nous allons tous avec vous au village. Nous vous

aiderons à porter les achats au retour.Bertrand fait savoir ce qu'il pense.--Vos habits vont surprendre les villageois. Je crains

qu'ils ne posent des questions auxquelles nous ne saurons répondre.

Marion est pourtant de l'avis de Vivien.--Vivien a raison, j'ai envie de voir comment est un

village à cette époque. Et puis, nous ne repartirons pas seuls à la maison. Il vaut mieux que nous restions tous ensemble.

Audrey réplique après avoir fixé des yeux les deux loups sur le sol.

--Personne ne nous cherchera querelle, surtout si nous ramenons les loups tués par Vivien et Denis.

Ce dernier annonce.--On s'en charge.Bertrand veut protester mais Thomas explique.--Audrey a raison. Je vais couper deux solides

branches et nous y attacherons les loups pour les porter.Marion et Sabrina sont auprès de Sandra qui

reconnaît.--Je crois que je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma

vie. Sans vous tous, je n'ose penser ce qui serait arrivé.Marion réplique calmement.--Tout était prévu, nous avions décidé de vous suivre

malgré vous, et les garçons ont eu une bonne idée de se fabriquer des arcs et des flèches. Sandra, je commence à croire Bertrand, tout est écrit d'avance.

Pendant ce temps, les quatre garçons ont trouvé deux solides branches qu'ils ont élaguées et ils attachent les deux loups par les pattes.

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Il faut environ dix minutes avant que les huit enfants et les deux femmes ne reprennent leur progression vers le village.

Les garçons ont fière allure à porter d'une part leurs armes, et de l'autre les deux loups. Les filles ont un peu déchargé les deux femmes.

Enfin, au bout d'une heure de marche, des maisons sont aperçues. Et, bien entendu, les six enfants venus du vingtième siècle sont particulièrement bruyants, car ils s'étonnent de ce qu'ils découvrent.

La brune Sabrina ne peut qu'avouer.--Jusqu'ici, je ne me rendais pas compte de la

différence avec notre époque. Maintenant, oui.Pour blaguer, Denis lui donne un conseil.--Tu devrais essayer de trouver une cabine

téléphonique pour prévenir tes parents. J'ai emmené une carte téléphonique.

La fille regarde le garçon qui vient de lui parler et qui montre à présent un large sourire. Elle réplique.

--C'est malin ! Si nous sommes en juillet 1799, et c'est certain, tu sais bien que le téléphone n'existe pas.

Vivien renchérit l'air très sérieux.--Tu te rends compte Sabrina, à Paris il n'y a pas

encore la Tour Eiffel, l'Arc de Triomphe, la colonne Vendôme, le petit Carrousel et j'en passe, comme l'obélisque de la Concorde.

--Ben ça, je m'en doute. Vous êtes « givrés », Denis et toi, ce matin. C'est d'avoir tué un loup chacun qui vous a rendus aussi stupides !

Audrey approuve son amie dans ses propos.--Bravo, Sabrina. Maintenant, taisons-nous, des gens

nous regardent arriver.Ce qui est tout à fait exact.Marité parle à une femme. Elle explique que Denis,

Vivien et Thomas ont tué trois loups en deux jours et que depuis la présence de ces étranges garçons, elle ne craint plus de vivre seule en montagne avec ses enfants.

C'est, du moins, ce qu'ont traduit Bertrand et Marie aux adolescents et à Sandra, car le français utilisé par Marité, est tout ce qu'il y a d'approximatif.

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Marion murmure à Sabrina.--Tu vois, le prof de français aurait du souci à se faire

bien plus qu'avec moi, s'il était ici.Rapidement, les truites sont achetées par plusieurs

villageoises. Le tanneur achète les peaux de lapins et la peau du loup tué par Thomas. Les deux autres loups sont portés jusque devant la petite mairie où se fait un rassemblement d'une bonne partie du village. Un homme ne veut pas croire que des flèches en bois aient pu tuer des loups. Vexé, Bertrand riposte.

--Citoyen, choisis ta cible. Les citoyens Vivien et Denis pourront te prouver leur adresse.

--Très bien, s'ils réussissent, j'achète ces deux loups.La cible proposée n'est pas grande et les villageois ne

donnent aucune chance aux deux garçons. Denis et Vivien sont placés à une bonne vingtaine de mètres. Vivien suggère.

--Denis, vas-y le premier, on va leur faire une petite démonstration. Il ne doit pas y avoir beaucoup de distractions par ici.

L'autre garçon obéit, bande son arc et plante la flèche qu'il vient de lancer en plein centre de la cible, sous l'admiration de la foule présente. Audrey, Marion, Sandra et Sabrina en restent stupéfaites. Elles ne connaissaient pas ce don à Denis, mais elles n'en font rien paraître devant cette population qui continue de s'approcher.

Vivien tire à son tour, et la flèche vient se planter près de la pointe de celle de Denis. Le second archer explique à son ami.

--Je ne voulais pas casser ta flèche. Nous sommes aussi bons tireurs l'un que l'autre.

L'homme qui avait parié, verse plusieurs pièces à Marité en échange des deux loups puis demande.

--Citoyenne, d'où viennent ces jeunes citoyens et citoyennes ainsi que la citoyenne qui t'accompagne ?

--De la montagne, citoyen, mais ne m'en demande pas plus. Rassure-toi, ils sont Français.

--Je les ai entendus parler et je te crois, mais, à part toi et tes enfants, il n'habite personne d'autre dans la montagne, et regarde leurs habits, ils ne sont pas de chez nous. Leur

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langage, bien que français, n'est pas non plus le même que le nôtre.

Thomas réplique pour couper court aux paroles de l'homme.

--Citoyen, je ne connais pas ton nom, et le fait de le savoir ne m'avancerait guère. Nous repartirons un jour comme nous sommes venus. Je t'en prie, ne pose plus de questions. Ici, aucun de vous n'aura à se plaindre de nous si vous nous laissez en paix.

--Tu es bien arrogant, jeune citoyen !--Je m'appelle Thomas, et les archers se comment

Denis et Vivien. Nous ne voulons de mal à personne. Si les loups ne nous avaient pas attaqués, ils seraient encore vivants. Nous vous souhaitons la bonne journée à tous, citoyennes et citoyens.

Sandra intervient auprès de Tomas pour lui dire.--Cela suffit, Thomas, nous avons des achats à faire.Marie déclare aux gens présents.--Ce sont nos amis. Ils ne savent faire que le bien.Marité fend la foule et va au petit marché acheter ce

dont elle a besoin. Les villageois laissent passer les huit enfants et les deux femmes sans parler. Pourtant, Marion entend deux villageoises discuter entre elles en français.

--Si ces garçons ont tué des loups, c'est qu'ils sont bien plus forts qu'ils ne paraissent.

L'autre femme réplique naturellement.--Oui, tu as raison, mais ils ont l'air gentils tous les

six, ainsi que la jeune citoyenne qui est avec eux. Elle doit les diriger, ils lui obéissent tous. C'est étonnant que les garçons se laissent commander par cette citoyenne.

--C'est sans doute vrai, ce que tu dis, mais elle paraît bien jeune aussi, et j'ai regardé, elle était inquiète pour eux. On demandera à la sœur de Marité, Roberta, d'où ils viennent, car ils ont tout de même de curieux habits.

Marion s'empêche de répondre. Ce qui la surprend, elle, c'est que ces gens parlent un français qu'ils parviennent à comprendre malgré l'accent, sauf au tout début, où Bertrand et Marie avaient servi de traducteurs, à l'arrivée de Marité au village. Pour l'adolescente aux yeux bleus et aux cheveux châtains coupés courts, ces gens auraient dû parler en catalan

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puisque Perpignan ne doit pas être bien loin. A moins que Marité ait fait savoir que Sandra et eux six ne comprenaient que le français. Il faudra qu'elle pose la question en rentrant ce soir à Bertrand ou Marité.

Les achats effectués, Marité reconnaît.--Vous aviez raison, toutes seules, Sandra et moi,

nous n'aurions pas pu tout porter. Allons voir ma sœur Roberta. Elle serait fâchée que je ne passe pas la voir alors que je suis au village et que d'habitude je vais passer la nuit chez elle avant de remonter.

Vivien fait remarquer.--Mais, madame, elle va nous poser des questions !--Elle en posera, c'est sûr, mais pas à vous, à moi,

mais je ne saurai pas lui répondre, et puis, quand elle saura que Thomas s'est mesuré à un loup qu'il a tué d'un coup de hache, et que Denis et toi nous avez sauvé la vie, à Sandra et moi, je crois que cela lui suffira, d'autant qu'il nous faudra repartir tôt pour rentrer avant la nuit.

De fait, la sœur de Marité est moins curieuse que ne le pensait Vivien. Elle constate pourtant.

--L'autre jour, quand tu es repartie, tu commençais à avoir de la fièvre et tu n'as plus rien aujourd'hui. Tu es vraiment robuste. Heureusement, car personne ne pourrait vivre là-haut, seule avec deux enfants six jeunes.

Marité réplique en souriant.--Je ne suis plus seule pour le moment. Sandra est

venue me soigner et m'a guérie, ma chère Roberta. Mes enfants si jeunes, comme tu dis, ils ont rencontré Sandra et les six enfants pendant que j'étais ici, et c'est une chance. Ainsi, Marie a fait Bertrand aller les chercher pour me soigner. Mes enfants ne sont pas une charge pour moi, au contraire, ils m'aident beaucoup, depuis le départ de leur père aux armées.

La sœur aînée de Marité change de sujet, ce que remarquent les six adolescents venus du vingtième siècle.

--Marité, je ne pourrai pas faire dormir tout le monde dans ma maison, elle n'est pas grande, et...

Sandra rassure au plus vite.--Ne vous inquiétez pas, Roberta, nous repartirons

dès que nous serons un peu reposés. Marité et moi avons eu assez peur pour venir.

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Et la sœur de Roberta raconte à son aînée de dix ans l'attaque des loups le matin même et l'intervention de Denis et Vivien avec les arcs et les deux flèches pour tuer les deux bêtes féroces.

La femme ne sait que croire mais ne voudrait pas vexer les enfants qui sont avec Marité, car, même la citoyenne Sandra est bien jeune.

Il est quinze heures au soleil, d'après Bertrand, lorsque le chemin de la montagne est repris sous de nombreux regards curieux. Marité est chargée. En effet, elle a acheté trois poules pondeuses qui se font entendre dans leur cage. Les provisions achetées au marché ont été réparties entre les enfants et Sandra. Marité indique en cours de route.

--Avec tout ça, je ne devrais pas avoir besoin de redescendre avant deux semaines au village. La vente des loups a été une excellente affaire sur laquelle je ne comptais pas. De même, les truites prises par les garçons, Sandra, se sont bien vendues également.

Denis dit ce qu'il pense.--Madame, nous ne devons pas être à votre charge,

donc, il nous faut nous débrouiller pour vous aider, car nous sommes dix qu'il faut nourrir tous les jours. Tant que nous serons chez vous, nous ferons tout ce que nous pourrons pour que vous n'ayez pas à regretter notre venue.

La mère de Marie et Bertrand fait savoir.--Tu ne dois pas parler ainsi, Denis. Sans la venue de

Sandra, je ne serais pas guérie, et puis, vous avez coupé du bois pour une bon moment. Je veux que vous sachiez tous que je ne regretterai jamais votre présence. Vous m'aidez tous les jours depuis que vous êtes là.

Sabrina veut modérer les propos de la maman de Bertrand et Marie.

--Cela ne fait pas longtemps. Nous verrons ce que vous direz dans quelques jours si nous sommes toujours à occuper votre maison.

--Non, Sabrina, mon avis ne changera pas. Vous avez beaucoup appris à Marie et Bertrand en peu de temps, ne serait-ce déjà que de pêcher le poisson dans la rivière.

Le jeune garçon donne son avis.

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--Maman, moi, j'ai dit que s'ils sont là, à notre époque, c’est qu'ils ont quelque chose à y faire qu'eux seuls peuvent faire. Vivien, Denis et Thomas ont du mal à me croire. Par contre, Sabrina, je le sens, semble de mon avis, bien qu'elle ne m'ait rien dit du tout.

La fille dont il est question, d'abord surprise, reconnaît.

--Oui, Bertrand, c'est vrai. Je ne sais pas ce que c'est, mais je pense comme toi, et Marion également.

Audrey tranche en montant le chemin qui commence à devenir assez difficile.

--Nous verrons bien si vous avez raison. En attendant, je crois qu'il serait sage de garder nos forces pour parvenir jusque la maison et donc de moins parler.

Il faut trois heures au petit groupe pour gagner de nouveau la petite maison. Plusieurs pauses ont été nécessaires en cours de route.

Thomas, une fois déchargé de ce qu'il portait, propose à ses deux amis de lycée.

--On devrait faire un poulailler dans l'abri où nous avons mis le bois, pour les trois poules.

Audrey questionne, car elle a entendu.--Et avec quoi, Thomas ?--Du bois et des clous. J'ai vu hier des planches et un

marteau dans cet abri.Bertrand annonce aux trois autres garçons.--Il fera nuit dans deux heures.En fait, le jeune garçon exagère un peu, mais quand la

nuit tombe, les loups sortent davantage de la forêt qui surplombe la maison. Vivien, Denis et surtout Thomas en savent quelque chose.

Ce dernier rassure le plus jeune.--Nous ferons du feu pour nous éclairer avec une

torche.Mais Audrey a rassemblé les filles, et les huit enfants

se mettent tous au travail malgré le retour du village qui avait été fatiguant pour tout le monde. De ce fait, le petit poulailler est fini juste avant la nuit.

En rentrant après s'être un peu lavé, le fils de Marité annonce à sa mère.

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--Maman, les poules n'auront rien à craindre cette nuit. Les loups ne pourront pas les manger.

--Tu as l'air bien sûr de toi !--Oui, le poulailler a été posé à l'endroit où papa

entreposait le foin quand j'étais petit.Marité questionne son fils.--Et comment mangeront-elles, là-haut ?--Pour ce soir, elles ont ce qu'il faut. Elles aussi vont

dormir, si les hurlements ne les en empêchent pas. Demain, nous penserons à faire quelque chose de définitif.

Marité confie à Sandra.--Avec les enfants dont tu as la garde, ici, j'ai

confiance. Je ne suis pas bien riche, tu le sais, mais ce matin, j'ai acheté dix chandelles pour le jour où il te faudra retourner avec eux dans votre petite maison qu'ils ont fait là-haut, dans la montagne, près de la grotte.

En fait, les chandelles sont d'énormes bougies et la jeune monitrice montre un grand sourire. Marion lui explique.

--Bertrand et Marie ont su qu'il ne nous restait que deux bougies, celles-ci sont les bienvenues.

La monitrice se doit de reconnaître.--Oui, c'est vrai. Audrey, mets-les de côté. Nous

repartirons dès demain près de la grotte. Marie proteste en suppliant presque.--Déjà ! Non, Sandra, je t'en prie, attends encore

quelques jours. Il n'y aura pas d'orage ces jours prochains.Sandra n'a pas le temps de répondre à la fillette que

Marité approuve sa gamine.--Marie a raison. De toute façon nous saurons bien à

l'avance quand se produira un orage. Sandra, comme je l'ai déjà dit, nous avons pour deux semaines avant d'avoir besoin de redescendre au village, et j'aimerais bien que tu restes avec les enfants à la maison. Nous allons nous arranger pour dormir, car pour les garçons, dormir sur le sol n'a rien d'agréable.

Thomas soutient Marie et sa mère.--Sandra, il nous faut rester encore un peu. Vivien,

Denis, Bertrand et moi n'avons pas fini de faire un poulailler correct, celui de ce soir était provisoire, nous avions peu de

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temps, et puis, ce serait bien que les loups ne viennent plus ennuyer Marie, Bertrand et leur mère.

Sabrina souffle à Marie.--Bon, nous restons, mais juste quelques jours. Il ne

s'agirait pas de rester ici tout le temps. La maison n'est pas assez grande, malgré la gentillesse et l'hospitalité de Marité, il ne faut pas non plus en profiter.

La petite Marie vient embrasser la toute jeune femme, la première. Denis déclare à son tour.

--Demain, Sandra, tu iras avec les filles chercher les duvets à la cabane pour demain soir.

Audrey donne son avis.--Non, Denis, Sandra restera avec Marité. Pardonnez-

moi, madame, mais vous êtes très jeune, alors je me permets de vous appeler par votre prénom, puisque vous nous l'aviez proposé.

Sandra veut reprendre la fille aux cheveux blonds.--Audrey !Marité confirme en souriant.--Non, Sandra, elle a raison, et je veux que ce soit

ainsi pour tous les enfants dont tu es responsable.Sandra abdique.--Je n'insisterai pas, car ce soir je me sens fatiguée.Les adolescentes venues du futur aident la maîtresse

de maison, Sandra et Marie à préparer le dîner.Le repas du soir est rapidement pris, dans un quasi

silence malgré le nombre d'enfants présents dans la pièce. Tous sont assez fatigués de leur journée. Ensuite, alors que les deux femmes et les filles vont dans la chambre pour se coucher, Vivien fait savoir.

--A côté des poules, là-haut, dans l'abri, j'ai aperçu une pelle et une bêche, ça pourrait nous servir.

Bertrand s'étonne un peu et rétorque.--La bêche, je comprends, c'est pour retourner la terre

du jardin, mais la pelle, je ne vois pas.Thomas explique en souriant.--Simplement, mon cher Bertrand, parce que nous

avons décidé, Denis, Vivien et moi, de faire un piège pour les loups qui viendraient rôder autour de la maison. Les pièges

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seront recouverts, mais ta maman, ta sœur et toi, saurez exactement quels chemins utiliser pour les éviter.

Le jeune garçon réplique, sûr de lui.--Les loups ne sont pas sots. Ils sentent les endroits

par lesquels nous passons et ne se feront pas piéger. Je crois qu'il vous faudra trouver autre chose.

Marie, ajoute, avant de rentrer dans la chambre.--De toute façon, ils nous surveillent sans qu'on le

sache. Bertrand a raison, cette fois.Denis décide en fin de compte.--Nous réfléchirons demain. Pour ce soir, j'avoue que

je me sens aussi fatigué que Sandra.Effectivement, peu après, la pièce devient totalement

silencieuse. Le seul bruit qui se fait entendre est le crépitement du feu. Les garçons restés dans la pièce servant de salle à manger, se sont rapidement endormis.

6

Au lever du jour le lendemain, Marité et Sandra sont les premières réveillées et se lèvent pour s'habiller dans le noir avant d'ouvrir la porte de la chambre.

La maîtresse du logis se charge d'ouvrir un volet de la salle à manger, car le feu s'est éteint et Sandra ne sait exactement où dorment les garçons. Le volet extérieur n'avait

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pas été posé la veille au soir, juste celui qui se trouvait à l'intérieur de la pièce.

La lumière du jour fait renaître la pièce à la vie, et la mère de famille annonce en parlant à Sandra.

--Je vais faire un peu de feu pour ce matin. Il fait frais, tu ne trouves pas ?

La jeune femme qui est avec elle, reconnaît.--Si, mais tu vas manquer de bois pour les prochains

soirs, tu l'avais dit toi-même, Marité.--Je crois que j'étais pessimiste. Tes garçons ont

coupé l'arbre près de la rivière, j'ai de quoi brûler, et puis, quand il en manquera, j'irai en couper d'autre, ce ne sont pas les arbres qui manquent aux alentours.

Thomas réplique en s'étirant.--Non, Marité, nous irons, Vivien, Bertrand, Denis et

moi, mais sûrement pas vous. Ce n'est pas un travail de femme. Il suffira que vous nous disiez où aller couper le bois.

Pour la première fois, la femme embrasse le garçon mais prévient.

--La forêt d'où sont sortis les loups hier matin est à mon mari et moi, mais cela fait trop loin pour vous quatre, Thomas. Depuis le départ de mon époux, je ne vais plus là-bas en couper, à cause des loups.

Bertrand, qui vient de se réveiller, remarque.--C'est curieux, les loups n'ont pas hurlé hier soir ni

cette nuit, exactement comme lors de l'arrivée de nos amis. Et cette fois, il n'y a eu aucun grand bruit pour les effrayer.

Marité essaie d'expliquer.--C'est juste, mon fils, mais, peut-être que Vivien,

Denis et Thomas ont tué ceux qui nous faisaient peur.Thomas paraît surpris d'une telle réponse et donne

son avis.--Ce serait étonnant, ils vivent le plus souvent en

meutes, et non pas à deux ou trois seulement.Sandra veut rectifier les dires de Thomas.--Pas toujours, Thomas. Trois ont été tués. Il est

possible que les autres, s'il y en a d'autres, ont commencé à réfléchir et décidé peut-être de partir ailleurs.

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Denis et Vivien se regardent. Sandra sait pourtant qu'ils sont plus nombreux et qu'ils n'étaient donc pas seulement trois. C'est impossible. Denis, en se levant du sol, réplique.

--Allons, Sandra, qui veux-tu abuser de la sorte ? Mais, il est juste que cette nuit, nous avons pu dormir sans entendre le moindre hurlement. A moins que nous n'ayons tous eu un profond sommeil, ce qui serait tout de même assez surprenant.

Marie arrive en chemise de nuit dans la salle principale, et, après avoir embrassé les quatre garçons et les deux femmes présentes, ouvre la porte du dehors. Comme souvent le matin quand elle se lève, elle est encore pieds nus, mais cela n'étonne personne. Seulement, ce qui fait taire l'ensemble de la maisonnée, c'est que la fillette parle près de la porte.

--Eh bien! Qu'est-ce qui t'arrive, toi ? Tu as une patte écorchée ! Tu sais que ce n'est pas en la léchant que tu vas la guérir. En tout cas, tu es très beau, tout blanc. Ne bouge pas, on va te soigner.

Thomas est le premier à sortir la tête par la porte et s'exclame.

--Ben ça, alors ! Si je ne le voyais pas, je ne pourrais pas le croire ! C'est inimaginable !

Sandra, à l'intérieur de la maison, questionne le garçon.

--Quoi donc, Thomas ?Le garçon rentre la tête puis parle plus doucement

pour dire.--Venez voir, mais ne criez pas, c'est tout ce qu'il y a

de fou !Les deux femmes et les garçons sortent sur le pas de

la porte pour voir à quelques mètres, cinq ou six au maximum, Marie agenouillée près d'un jeune loup dont l'une des pattes avant est blessée. Sandra s'apprête à crier, mais Vivien lui plaque ses deux mains sur la bouche.

Denis et Thomas rejoignent la fillette qui continue à caresser le tête du loup blanc et ce dernier lèche le visage de l'enfant en chemise de nuit. Thomas parle à son tour au loup blessé.

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--Toi, tu restes sage, on va te faire une attelle, mais mon pauvre vieux, je me demande ce qu'on va bien pouvoir te donner à manger. Denis, viens avec moi. Toi, Vivien, empêche Sandra et Marité de lui faire peur. Je crois que l'un des trois loups que nous avons tués devait être sa mère.

Logique, Bertrand rectifie.--Dans ce cas, c'était une louve, Thomas, mais nous

n'avons pas fait attention en allant au village. Thomas, je vais avec toi. Denis, tu restes avec Marie. Ce loup lui fait confiance, mais quand même, je ne voudrais pas qu'il blesse ma petite sœur.

Puis s'adressant à cette dernière.--Pourquoi es-tu sortie avant nous, toi ?La petite fille fixe son frère avec étonnement. Elle se

reprend très vite pour expliquer.--Je ne crois pas que maman aurait été contente que je

fasse pipi dans la maison. Maintenant, je vais y aller, juste derrière l'abri.

Et la fillette s'éloigne un peu pour ne plus être aux regards des garçons, de Sandra et de sa mère.

Elle revient ensuite tranquillement toujours les pieds nus.

Marité, affolée, ne sait que faire. Sandra s'est reprise et Vivien a pu retirer ses mains qui couvraient la bouche de leur jeune monitrice. Marie parle au petit loup près de qui elle est de nouveau à présent.

--Ecoute, je t'ai dit que nous allons te soigner. Tu vas avoir un peu mal, c'est sûr, mais il ne faudra pas nous mordre, sinon, tu n'auras plus aucune caresse et les garçons n'hésiteraient pas à te tuer. Avoue que ce serait bête. Les garçons ont raison, si les tiens ne nous avaient pas attaqués, ils ne seraient pas morts. Toi, je t'appellerai Loup-Blanc, ce sera ton nom. N'aie pas peur. Personne ne te veut de mal, et puis, c'est toi qui es venu nous voir pour te faire soigner. Maman, il faudrait un peu d'eau tiède pour laver sa patte écorchée.

Sandra parvient à prononcer.--Il y en a justement sur le feu, elle doit être tiède.Marie, très calme, commande.--C'est bien. Vivien, apportes-en dans la cuvette.

Maman et Sandra risqueraient de trembler et d'en renverser.

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Audrey, Marion et Sabrina habillées à leur tour, arrivent toutes les trois, et Sabrina de dire normalement.

--Il est joli, ce chien, d'où vient-il ?Et la fille aux cheveux noirs n'attend pas la moindre

réponse pour rejoindre Denis et Marie.Cette dernière, toujours en chemise de nuit, parle de

nouveau au jeune loup.--Il faut poser ta patte dans la cuvette. Laisse-moi

faire, je ferai attention. Regarde, tu as des épines, en plus. Je vais être obligée de les retirer une par une, mais ne me mords pas, sinon je serais fâchée et Vivien pourrait te tuer avec son couteau. Tu as bien compris, petit Loup-Blanc ?

Près de Sandra et Marité, Audrey et Marion se demandent ce qui peut bien arriver et si elles ne rêvent pas.

L'animal lève les yeux vers la fillette qui vient de parler et qui, à présent, lave sa patte blessée, puis retire les épines restées dans la chair. Le loup ne bronche pas, posant simplement sa tête sur son autre patte. Il s'est couché sur le côté, à quelques centimètres de Sabrina qui lui caresse le flanc.

Sur le pas de la porte, Marité s'est agenouillée et prie en silence. Marion elle, se trouve à présent près de Marie et parle à son tour à l'animal.

--Tu vois, Loup-Blanc, si tes parents n'avaient pas attaqué les garçons puis Sandra et Marité, ils ne seraient pas morts. Et puis, dis, comment Marité peut-elle vivre alors qu'il est impossible à cause des autres loups de garder des moutons, des poules ou des vaches en vie ! Non, il ne faut pas que les tiens fassent ça, ce n'est pas bien du tout. Ne bouge pas « mon grand », je vais te mettre un peu de pommade. Tu vas voir, tu auras moins mal. Après, Vivien, Thomas et Bertrand te poseront une attelle à ta patte pour que tu guérisses vite. Tu auras même droit à un bandage. Tu as été bien sage, continue encore et nous serons tes amis. Dans la matinée, tu mangeras du poisson, tu verras, c'est bon aussi.

Marie signale à Marion.--Je lui avais déjà dit que ses parents ne seraient pas

morts s'ils ne nous avaient pas attaqués.Denis, amusé, fait savoir.

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--Marion ne savait pas, Marie, mais, on dirait que vous avez toutes les deux le même raisonnement, c'est surprenant.

Audrey signale à son amie de classe.--Marion, tu n'aurais pas dû parler des autres loups.

Regarde, ils sont à deux-cents mètres à nous fixer depuis cinq bonnes minutes.

La fille aux cheveux courts réplique.--Je sais bien, et ils sont tous assis, il me semble. Ils

ne nous attaqueront pas tant que Loup-Blanc ne dira rien. Pourquoi donc penses-tu que je lui parle ? Je les avais vus, moi aussi !

Thomas et Bertrand reviennent avec deux bouts de bois assez droits pour faire une attelle au jeune loup blessé.

Peu après, l'attelle est installée et le bandage pour la maintenir bien effectué. Le jeune loup pousse un cri, mais, différent de ceux entendus jusqu'alors, et les loups qui guettaient en bordure de la forêt se relèvent et disparaissent parmi les arbres.

Marité, près de la porte de sa maison, se signe et murmure.

--C'est un miracle !Vivien, souriant, réplique.--Possible, Marité, mais ce n'est pas du « cinéma »,

cette fois. Sabrina, « ton chien blanc », c'est un jeune loup.La fille de quatorze ans relève sa chevelure noire

avant d'admettre.--J'ai compris après. Il reste deux truites, on pourrait

les lui donner à manger.Thomas se moque de leur amie.--N'oublie pas la fourchette et le couteau à poisson.Sabrina foudroie le garçon.--C'est malin !Seulement, Bertrand, présent, n'a rien perdu de la

conversation et il interroge Vivien sur le mot « cinéma ». Ses cinq amis ont un joyeux sourire, pensant que leur copain aura du mal à donner une explication que Bertrand puisse comprendre, mais le garçon ne se démonte pas et déclare qu'il s'agit d'une expression de leur époque qui signifie qu'il ne s'agit pas d'une comédie, ou pour faire plus simple, de quelque

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chose de faux. Qu'en fait, le départ des loups de l'orée du bois est bien une réalité.

Audrey doit avouer.--Tu t'en es sorti parfaitement bien.Ce qui est aussi l'avis de Marion et Denis.Sabrina revient sur le jeune loup pour affirmer.--Il doit avoir faim.Marie rétorque aussitôt.--Nous aussi.Seulement, lorsque la fillette veut s'éloigner, l'animal

commence à gronder. Pas contente du tout, la petite fille se fâche un peu.

--Ecoute Loup-Blanc, je suis en chemise de nuit. Je dois aller m'habiller. Tu restes sage. Je viendrai dès que j'aurai mis mes habits et que j'aurai un peu mangé, d'accord ?

Le jeune loup donne un grand coup de langue sur le visage de l'enfant pour lui faire savoir qu'il comprend, et il se couche, la tête sur sa patte valide.

Une fois tout le monde de nouveau dans la petite maison, Denis donne son avis à ses compagnons de colonie.

--Personne ne voudra nous croire si nous retournons un jour au vingtième siècle et si nous racontons cette histoire.

Marion assure au garçon qui vient de parler.--De toute façon, Denis, personne ne croira notre

histoire à notre retour, même si nous disons la vérité.Thomas, Vivien, Audrey et Sabrina hochent de la

tête. Leur amie dit vrai. Personne ne pourra les croire, même si Sandra affirme que tout est vrai. Marie, s'asseyant à table, conseille à Vivien qui se trouve être le plus proche de la porte donnant au-dehors.

--Laisse la porte ouverte. Loup-Blanc ne veut pas se sentir seul.

Audrey questionne la jeune femme qui est venue avec eux de la colonie de vacances.

--Sandra, quel âge peut-il avoir ?La monitrice doit avouer.--Je n'y connais pas grand-chose en matière de loups,

mais à mon avis, il doit avoir environ huit à dix mois, donc, il est sevré, c'est certain. Remarque, c'est déjà ça. Par contre, je

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ne comprends pas qu'il n'ait grogné contre aucun de nous. J'avoue, son attitude me dépasse.

Sabrina tente de trouver une réponse.--Il agit comme un jeune chien. Nous ne lui avons fait

aucun mal, Marie et les garçons l'ont soigné, il nous est reconnaissant, c'est ce que je pense, mais Bertrand va me dire que je raisonne d'une façon naïve.

Après qu'Audrey ait expliqué la définition du mot « naïf » à Bertrand, le jeune garçon regarde Sabrina et réplique.

--Ne lui dis jamais qu'il agit comme un jeune chien, cela pourrait lui déplaire. Autrement, je crois que tu as raison. Il est venu vers la maison pour nous demander de l'aide. Tu n'es pas naïve, Sabrina, je suis tout à fait de ton avis. Je pense comme toi.

La fille aux longs cheveux noirs montre un large sourire de contentement. Bertrand ne l'a pas trouvée ridicule.

--C'est un loup intelligent. Bertrand, tu avais raison, hier soir, aucun piège ne pourrait les prendre. En fait, il faut leur montrer que nous sommes aussi forts qu'eux. Dans le fond, en y pensant bien, ils ont le droit de vivre en liberté, eux aussi.

La réflexion de Thomas fait sourire le jeune garçon de onze ans qui admet cependant.

--C'est ce que papa disait également, qu'il fallait montrer que nous n'avions pas peur d'eux, pour qu'ils nous respectent.

Marion donne son opinion.--C'est facile à dire, mais ils ont de drôles de dents.La conversation est interrompue par Sandra qui fait

savoir que les toilettes sont encore à faire.Durant la matinée, après leur toilette, les enfants vont

souvent voir le jeune loup. Les garçons pêchent dans la rivière non loin de la maison et Loup-Blanc semble aimer le goût de la truite ou des autres poissons sortis de l'eau.

La maîtresse de maison rappelle à sa fille.--Tu dois aussi faire le travail à la maison comme les

autres jours. Ce n'est pas l'arrivée de ce loup qui doit t'en empêcher. Audrey, Marion et Sabrina n'ont pas à faire ton travail.

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Audrey, charitable, est prête à dire que toutes les trois pourraient aider Marie, mais elle se retient, ce serait désavouer Marité, ce qu'il faut absolument éviter. D'ailleurs, la fillette répond elle-même.

--Oui, maman, je sais bien, mais ce matin, nous devions aller chercher les espèces de lits de Thomas, Denis et Vivien pour la nuit prochaine.

Audrey approuve la plus petite de tous.--Marité, Marie a raison, nous allons y aller toutes les

quatre dès ce matin. Veuillez m'excuser d'intervenir, mais nous aiderons ensuite Marie à faire son travail, je vous promets.

Denis, encore dans la maison, intervient.--Bertrand ne peut pas dormir sur le sol alors que

nous trois aurions des sacs de couchage, ce ne serait pas normal du tout.

Sandra se range de l'avis du garçon. Vivien, de retour du bord de la rivière, a entendu et trouve la solution.

--Après le repas de midi, Thomas ou Denis viendra avec moi chercher un matelas dans notre cabane.

La jeune monitrice décide finalement à l'arrivée de Thomas.

--Thomas, tu accompagnes les filles ce matin. Il est hors de question qu'elles aillent seules sans la moindre défense possible. Pendant ce temps, je m'occuperai du déjeuner avec Marité. Thomas et Audrey, je vous nomme responsables.

A la sortie des enfants de la maison, le jeune loup est caressé par Marie qui lui dit avec douceur.

--Ne te fais pas de soucis, je vais revenir bientôt. Toi, tu restes sage, c'est compris ?

Le jeune loup blessé donne un coup de langue sur une main de la fillette et se recouche tel qu'il était jusqu'alors.

Les quatre filles et Thomas partis, Vivien et Bertrand retournent à la pêche alors que Denis se porte volontaire pour aider Sandra et Marité dans la maison.

En remontant vers la cabane et la grotte, Thomas fait savoir à ses amies de lycée.

--Je ne sais pas si vous vous en êtes rendues compte, mais nous sommes suivis sur le côté par trois loups, et le mieux, c'est qu'ils n'ont pas l'air agressifs du tout.

Marion, sereine, réplique.

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--Non, je ne savais pas, mais ils ne nous feront aucun mal . Marie est avec nous et ils l'ont vue s'occuper la première de Loup-Blanc. Par contre, nous n'aurions aucun intérêt à disputer Marie, car je crois qu'ils viendraient pour la défendre.

Sabrina pense la même chose que Marion mais ajoute.

--C'est à croire que les loups qui étaient méchants sont morts, je ne vois que ça.

Audrey, après avoir regardé vers les trois loups, donne à son tour son avis, aussi calmement que ses deux amies.

--Pour moi, les parents de Loup-Blanc devaient diriger la meute, et ce sont eux que les garçons ont tués. A présent, tant qu'il n'arrivera rien de mal à Loup-Blanc, ils n'attaqueront personne de la maison de Marie.

Marion remarque avec justesse.--Pourtant, aucun des loups tués n'était blanc, et ce

jeune loup est tout blanc. Gris, oui, mais pas blanc. Là, si vous voulez mon avis, quelque chose m'échappe.

Les autres approuvent en silence les paroles pleines de bon sens de Marion, puis Thomas doit admettre à l'adresse de sa blonde compagne de lycée.

--Audrey, je pensais la même chose que toi, et je ne suis pas le seul, mais nous devons tout de même rester sur nos gardes. J'irai voir en même temps si des lapins ont été pris dans mes collets, car je ne sais pas où Bertrand a disposé les siens.

Par contre, il n'a pas su répondre à Marion.Près de la cabane, le seul garçon de la petite équipe

conseille.--Les filles, rentrez dans notre refuge en attendant

mon retour, là-dedans vous ne craignez rien.Marie reste pourtant dehors alors que Thomas va

relever les collets. A la surprise du garçon, les six collets ont des prises. Six beaux lapins étranglés que Thomas ramène après avoir remis en place ses collets devant d'autres terriers. Ses deux mains sont bien chargées.

Marie le voit arriver de loin et s'étonne.--Les loups ne les ont pas mangés !Le garçon renseigne la fillette.

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--Les loups se sont sûrement servis, car j'ai aperçu des traces de sang dans l'herbe.

Les trois autres filles, en entendant parler leur ami, sortent de la cabane avec les sacs de couchage, mais Thomas leur signale.

--Il serait sage de prendre le reste des vêtements dans les sacs à dos que nous avons.

Audrey fait savoir ce qu'elle pense.--Nous ne pourrons pas, Thomas. Je te rappelle que

Sabrina, Marion et moi avons amené de gros bagages. Trois changes chacun, oui, mais pas davantage, et encore, je parle des sous-vêtements.

Thomas comprend mais fait une nouvelle proposition à son amie toute blonde.

--Je sais, Audrey. Alors voilà, on prend tous les shorts et les sous-vêtements que nous pouvons. Pour le reste, on se débrouillera. Marie, tu pourras porter un sac de couchage ?

La fillette regarde les sacs de couchage puis déclare.--Ces choses sont un peu grosses, mais je crois que je

pourrai en porter une tout de même. C'est comme une grosse couverture. Nous avons juste à descendre, pas comme pour venir ici. Je vais essayer, Thomas.

La petite essaiera donc, et, dix minutes après le retour de Thomas avec les lapins, le petit groupe se remet en marche pour revenir vers la maison de bois et de terre de Marité.

Bien qu'il n'y ait qu'à descendre, la marche n'est pas facile, surtout pour la petite Marie, encombrée avec un sac de couchage dans ses petites mains, et plusieurs pauses sont nécessaires durant le trajet.

Lorsque Sandra les aperçoit par la fenêtre de la chambre, elle demande.

--Denis, va au-devant de Thomas et Audrey. Il semble que Marie soit bien lasse, malgré l'aide de Sabrina, parfois.

Le garçon bondit au-dehors et décharge la plus petite du sac de couchage qu'elle portait assez difficilement. Il questionne en même temps, histoire de parler .

--Vous n'avez pas vu de loups ?

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Marie qui a désormais les mains libres, se charge de répondre en souriant.

--Si, regarde, ces trois-là nous ont escortés pour aller comme pour revenir, mais ils sont quand même restés assez loin. C'est normal, ils sont sauvages.

Marion confirme les dires de la fillette.--Marie dit la vérité. Jamais ils n'ont cherché à nous

attaquer. Ils sont peut-être de la famille de Loup-Blanc, après tout, pourquoi pas ?

Denis regarde Thomas pour être sûr de la réponse.--C'est vrai, Thomas ?--Absolument, Denis, et je vais te dire une chose de

plus surprenante encore. Il y en avait un qui me suivait à cinquante mètres lorsque je suis allé voir mes collets.

La réplique de Denis vient rapidement.--Tu y as été pour rien, c'est sûr.--Erreur, mon cher, regarde, six lapins. Notre repas de

ce soir est largement constitué, déjà.L'autre garçon sourit et renseigne.--Plus les sept truites de Vivien et Bertrand, même

pour demain, ça nous suffira.Enfin, le petit groupe arrive à la maison. Les sacs de

couchage pliés ne tiennent guère de place, mais le matelas ramené par Thomas et Audrey, oui, et il est posé dans la seule chambre de la maison entre les deux petits lits. Denis explique aux deux jeunes femmes qui le regardaient faire avec une certaine surprise.

--Après le dîner de ce soir, on le ramènera dans la grande salle une fois le sol balayé et il ira sous la table.

Les filles, une fois déchargées de ce qu'elles portaient, ressortent aussitôt pour s'asseoir dans l'herbe près de la maison afin de récupérer de leurs efforts.

Marion indique à ses compagnes alors que Marie, à une dizaine de mètres, parle à voix basse au jeune loup dont la patte est blessée.

--Je ne ferai pas ça tous les jours, surtout en étant escortée de loups. Je vais vous dire, heureusement que Thomas et sa hache étaient là. Je ne voulais pas le montrer, mais je n'étais quand même pas rassurée, surtout en allant vers la cabane.

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Sabrina, elle, confie.--Moi j'avais confiance, Marie était avec nous.Audrey avoue à ses deux amies.--Je comptais sur Thomas en cas de problème. Je sais

que c'était idiot, il aurait été seul contre trois loups, il aurait eu du mal, mais je n'y ai pas pensé sur le moment.

Le midi, Thomas et Audrey racontent à ceux qui n'étaient pas avec eux, le comportement des trois loups. Marion ajoutant même.

--On aurait dit qu'ils nous surveillaient et qu'ils étaient envoyés pour nous protéger. Au début, je n'étais pas rassurée, mais après, ça ne me faisait plus rien du tout. Leur présence me paraissait presque normale.

Thomas ajoute, convaincu.--Tant que Loup-Blanc sera avec nous, nous n'aurons

rien à craindre.Bertrand ne comprend pas.--Mais ce n'est pas normal du tout ! Ce sont des bêtes

sauvages et tout le monde en a peur !Sandra devance Marité.--Si, Bertrand, c'est naturel, au contraire. Comme les

humains, ils ont le respect de la famille et ils veillent sur l'un des leurs, c'est tout à fait normal, le loup est un animal intelligent.

Marion entend Marité murmurer.--Plus intelligent que les humains, je dirais, moi, à

voir ce qui se passe depuis quelques années.L'adolescente est bien d'accord. Elle a appris l'histoire

de France de cette époque.Bertrand reprend son idée.--Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi Loup-

Blanc se trouvait près de chez nous et que les autres loups adultes ne l'aient pas ramené avec eux.

Audrey donne son avis sur la question.--Parce qu'il était blessé et qu'ils ne pouvaient pas le

soigner eux-mêmes. Ils ont voulu voir si nous étions méchants ou gentils. Marie les a rassurés. La preuve, une fois Loup-Blanc muni de son attelle, ils sont partis dans la forêt.

Thomas fait savoir à son amie.

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--C'est vrai, Audrey, mais ils nous surveillaient tout de même à l'orée de la forêt.

Sabrina abrège la conversation qui, selon elle, ne mènera à rien de bien nouveau.

--Moi, je ne cherche plus à comprendre.En début d'après-midi, les filles emmènent Loup-

Blanc avec elles derrière la maison et s'installent pour bronzer. Sandra conseille aux garçons.

--Vous avez assez travaillé pour aujourd'hui, allez avec les filles prendre un peu le soleil. Je vais m'occuper des poules, elles doivent avoir faim.

Bertrand rassure la jeune femme.--Je leur ai amené des vers de terre ce matin. Elles

étaient contentes. Elles avaient pondu trois œufs ce matin qui seront pour Marie, Marion et Sabrina.

Sa mère dément très vite.--Mon fils, nous mangerons les œufs quand il y en

aura un pour chacun. Va avec les autres et fais comme eux. Sandra, toi aussi, repose-toi, tu n'es guère avec les enfants dont tu as la garde. Ils ont probablement envie de te parler également. Pendant ce temps, je vais faire une petite sieste sur mon lit.

Tout content, Denis insiste.--Sandra, viens avec nous. Les autres jours, tu

travaillais, toi aussi.Marité approuve ce que vient de dire le garçon.--Denis a raison, Sandra, fais comme tu en as

l'habitude à ton époque, tu me feras plaisir.La monitrice cède.--Tu as gagné, Marité. Je te remercie de ta

compréhension.Marité sourit avant d'entrer dans sa chambre.Les filles sont rejointes par les garçons et Sandra. La

jeune femme lève la tête et indique un peu inquiète.--Des loups sont en bordure de forêt un peu plus haut,

je vois leurs têtes.Marion, déjà en maillot de bain, réplique sans bouger

pour autant.--Oui, depuis que nous sommes ici, mais ils ne

bougent pas. Ils sont sages.

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Audrey, allongée entre Marion et Sabrina, risque.--Les garçons, Sandra, on peut faire du « mono » ?Vivien fait la bise à leur amie à tous qui vient de

parler, et, tout en ôtant sa chemisette, donne sa réponse.--Pour moi, tu fais comme tu veux, mais tu risques de

choquer Bertrand. Lui, il n'a pas notre habitude de la fin du vingtième siècle. Je doute que ce genre de mode soit courant à l'époque où nous vivons en ce moment.

Le jeune garçon demande.--En quoi consiste le « mono » ?Marion explique avant Audrey.--C'est simple, on garderait juste nos slips de bain,

pas ce qui cache nos poitrines.Bertrand a compris et déclare.--Maman va me disputer si elle voit que je vous

regarde, j'en suis certain.Sabrina interroge à son tour.--Et toi, Bertrand, que penserais-tu de nous ?Le garçon rougit un peu puis fait savoir.--Parfois, au village, des femmes portent des

vêtements qui laissent voir un peu les poitrines. Mais, moi, je pense que maman ne sera pas contente après moi. Je ferais mieux d'aller à la pêche ou relever mes collets.

Sandra fait savoir ce qu'elle pense au jeune garçon.--Ta maman dort, Bertrand. Elle était fatiguée. Les

filles, faites comme vous voulez, moi je reste en short et soutien-gorge de maillot. Audrey et moi n'avons pas tout à fait le même âge. Quant à toi, Bertrand, je crois inutile que tu ailles à la pêche ou relever tes collets près de la grotte. Tu seras très bien avec nous, je t'assure.

Denis change de sujet.--Comment va Loup-Blanc ?--Regardez, il joue avec nous.La réponse vient de Sabrina qui n'a plus que son slip

de bain sur elle. Thomas, sans prêter attention à la tenue de ses amies de lycée, prédit.

--Ce loup ne pourra plus jamais redevenir sauvage. Marie a su lui parler. Je suis certain qu'une fois guéri, il ne la quittera pas. C'est bien la première fois que je vois un loup aussi gentil.

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Sandra approuve de la tête les propos de Thomas.Après quelques bavardages, les filles s'endorment au

soleil. Jusqu'ici, l'après-midi s'est passé tranquillement. Sandra reste finalement seule éveillée en compagnie de Denis et Bertrand. Ce dernier lui confesse.

--Sandra, Audrey est très belle, mais je ne savais pas que chez vous, les filles avaient le droit de montrer leur poitrine de la sorte. C'est étonnant.

La jeune femme réplique.--Tu ne vois rien elle dort sur le ventre.--C'est juste, mais je l'ai vue avant. C'est dommage

que maman ne veut pas partir avec vous à votre époque, ce serait bien pour Marie et moi si elle venait avec vous tous, mais je la comprends, elle attendra le retour de papa, même si elle doit attendre plusieurs années.

--Aurais-tu changé d'avis depuis deux jours, Bertrand ?

C'est Denis qui vient de parler, et le garçon né avant la Révolution, réplique en baissant la tête.

--Oui, Denis, j'ai réfléchi. Lorsque vous partirez tous, je me retrouverai seul avec Marie et maman. Depuis que vous êtes là, la vie est toute différente. Chaque jour je me réveille tout content, et, regardez donc Marie, elle dort la tête posée sur le flanc d'un loup qui dort également. Ma petite sœur qui n'a pas encore neuf années a dompté ce loup, ou plutôt, a montré qu'elle n'avait pas peur de lui. Avant votre venue, jamais elle n'aurait osé l'approcher. Là, elle l'a fait car elle sait que toi, Denis, comme Vivien, vous savez vous servir d'un arc et que Thomas est très fort avec une hache. Elle a confiance par votre présence, et le mieux, c'est que moi aussi.

Sandra secoue la tête avant de répondre.--Je ne sais pas si votre maman voudra quitter sa

montagne pour venir dans votre futur.Le garçon est triste, mais déclare logiquement à la

jeune femme présente.--Si maman ne vient pas, nous n'irons pas non plus,

Marie et moi.Denis pose la main sur une épaule du jeune garçon

près de qui il se trouve avec Sandra, à l'écart des dormeurs, et fait.

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--Je comprends. Il nous faudra donc convaincre ta maman. Nous essaierons, Bertrand.

Le garçon connaît bien sa mère car il déclare tout net.--Ce sera impossible, elle attendra le retour de papa.

Donc nous resterons ici, Marie et moi. J'ai juste un peu rêvé quelques minutes tout en sachant que ce n'était pas possible, et puis, comme je l'ai déjà dit, ce serait défier la volonté de Dieu, alors, n'en parlons plus.

La petite Marie se réveille en même temps que Sabrina et Audrey. Le jeune loup dort toujours. La fillette prévient son frère. --Je n'abandonnerai pas Loup-Blanc. Il est très gentil et m'a servi d'oreiller.

Son frère, qui s'est bien repris, lui lance.--Citoyenne Marie, une loup ne peut pas devenir un

chien de compagnie. Il pourrait toujours rester dangereux pour nous trois après le départ de Sandra et nos amis.

La jeune femme questionne.--Parce que moi, je ne suis pas ton amie, Bertrand ?Le garçon rougit. Aurait-il blessé sans le vouloir cette

jeune femme si gentille ? Baissant la tête, il réplique.--Si, bien-sûr, Sandra, mais ce n'est pas du tout pareil

qu'avec Marion ou Denis, par exemple.Sandra rassure en lui caressant les cheveux.--J'avais compris, Bertrand.Marie en profite pour se venger des moqueries de son

frère. L'occasion est trop belle.--Le ci-devant citoyen Bertrand se sentirait-il mal à

l'aise en ce moment, par hasard ?Le grand frère convient.--Oui, Marie, un peu, mais ce n'est nullement ton cas,

il me semble. Il suffit de te voir en ce moment.Pas du tout prise au dépourvu, la gamine réplique

naturellement.--C'est vrai, mon frère. J'ai ôté ma robe, mais maman,

en me demandant de venir avec nos amis, savait ce qui se produirait, et puis, avec nos amis, justement, je suis en sécurité. Il est vrai que je ne ferais pas ainsi au village. Bertrand, nous sommes nés en ce siècle, comme dit maman, mais, depuis deux jours à présent, je me demande si nous sommes destinés à vivre à notre époque.

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Sabrina devance Bertrand.--Que veux-tu dire, Marie ?La fillette redresse la tête, fixe Sabrina, puis

commence à parler de nouveau.--Avec vous, je me sens bien. Vous nous apprenez

des tas de choses qu'il nous était impossible d'imaginer. Sabrina, je suis la plus jeune, c'est vrai, mais les garçons n'ont rien dit en me voyant sans ma robe. Pardon, mon frère, de toi, j'aurais trouvé cela normal que tu ne dises rien, mais pas de nos amis. Je veux parler des garçons. Je crois que Denis, Vivien et Thomas me considèrent aussi comme leur petite sœur. Et moi, je me sens la petite sœur de Sabrina, Marion et Audrey. Je sais que tu vas me dire qu'ils ne sont pas de la même famille, ni les uns ni les autres, mais, Bertrand, la famille, pour moi, c'est l'amour que l'on porte au fond de son cœur, alors tu vois, tous, ici, sont de ma famille, même Sandra. Quand ils partiront au vingtième siècle, d'après Sabrina, je vais te dire, maman et toi serez avec moi, mais j'aurai beaucoup de peine et je pleurerai sûrement.

Audrey a détourné la tête pour éviter que quelqu'un puisse apercevoir ses larmes qui perlent au bord de ses yeux, et elle les essuie de la main. La petite fille et Sabrina s'embrassent, et cette dernière reconnaît tristement.

--Ce que tu dis est vrai, nous aussi, nous serons tristes, Marie.

L'adolescente s'interrompt un moment, la gorge serrée.

Sandra est stupéfaite du raisonnement de cette petite fille qui n'a pas encore neuf ans. Comment peut-elle comprendre et analyser tout avec autant de justesse ? Elle ne saurait l'expliquer.

Sabrina s'est reprise et continue ce qu'elle voulait dire.

--C'est vrai, Marie, depuis quelques jours, tu es à toutes et à tous notre petite sœur, comme Bertrand est un peu notre frère. Audrey, Marion, Vivien, Denis, Thomas et moi n'étions que des amis d'école et de jeux. Denis, je ne sais pas pour toi, mais pour moi, à présent, ce n'est plus comme avant. Marie a raison, nous sommes d'une même famille en ayant toutes et tous des parents différents.

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Denis ne peut qu'approuver de la tête.Thomas, Marion et Vivien s'éveillent à leur tour. Ils

ont dormi une heure et demie environ. Le petit loup redresse la tête, et ses oreilles pointent vers le ciel. Marie déclare alors.

--Je dois remettre ma robe. Loup-Blanc semble nous avertir que nous allons avoir de la visite.

--Comment peux-tu savoir ?--Je ne sais rien du tout, Sabrina, mais Loup-Blanc a

dressé ses oreilles. Regarde, il paraît inquiet.Bertrand veut dire à sa sœur qu'il ne verrait pas qui

pourrait venir leur rendre visite en plein après-midi, lorsque des bruits de sabots de chevaux se font entendre. Le garçon est déjà habillé et, debout, conseille.

--Marie, reste avec nos amis, je vais voir.Sandra s'apprête à le suivre une fois son chemisier

reboutonné, mais le garçon reprend.--Non, Sandra, ne te montre pas, surtout avec un

« short », comme vous dites tous.Marité a rejoint son fils devant la porte de la petite

maison pour voir arriver deux gendarmes à cheval. Ils s'arrêtent près de la femme et l'un d'eux donne un billet en demandant.

--Tu sais lire, citoyenne ?--Oui, citoyen gendarme, pourquoi ?--Citoyenne, le citoyen maire nous a mandés pour te

remettre ce billet. Nous te saluons, citoyenne. Il te faudra venir au village dans quelques jours. Tu comprendras en lisant ce billet. Nous retournons, nous avons aperçu des loups au-dessus de ta maison. Fais attention à toi, citoyenne. La République te salue, citoyenne. A bientôt.

Derrière la maison, tout le monde a entendu les paroles du gendarme. Vivien grimace. Denis et Thomas ont compris également. Sandra a peur de deviner ce que contient le billet, et dès que le bruit des chevaux s'éloigne, elle se précipite vers Marité et Bertrand.

Marie, elle, s'étonne.--C'est bien la première fois que deux gendarmes

montent jusqu'ici pour saluer maman !Audrey a fixé quelques secondes Thomas qui semble

acquiescer de la tête. Pourvu qu'ils se trompent tous, c'est ce

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que se dit l'adolescente aux cheveux blonds. Elle n'ose même plus regarder la benjamine du groupe. Marion et Sabrina ne semblent pas avoir compris, elles, ou alors, elles ne le font pas voir, car leur visage reste le même qu'avant l'arrivée des gendarmes.

Devant la maison, Marité a brisé le cachet de cire rouge porté sur le billet pour le fermer. Sandra se précipite dans la maison et en ressort avec une chaise pour faire asseoir la mère de Marie et Bertrand. La femme fixe la jeune monitrice et questionne dans un murmure.

--Tu crois que c'est ce que je pense également ?Sandra est désappointée en regardant le visage de la

jeune mère. Elle voudrait bien lui dire non, mais elle n'a pas le droit de lui mentir sur ce qu'elle pense. Marité attend une réponse qui ne vient pas de la gorge de la monitrice de colonie de vacances qui va avoir seulement dix-neuf ans. Enfin Sandra acquiesce de la tête.

En lisant le message, des larmes coulent des yeux de Marité. Bertrand, loin d'être sot, a compris et se précipite contre Sandra pour émettre en pleurs.

--Marie ne doit pas savoir, ce serait trop dur, et elle est si jeune. Maman, il ne faut pas lui dire que papa est...

Sa mère le rassure.--Non mon fils, pas ces jours prochains. Désormais,

tu devras remplacer ton père. Tu seras l'homme de la famille.Le billet tombe des mains de Marité. Sandra le

ramasse et le lit pour elle-même. Bertrand avait deviné juste. Son père est mort en Egypte de suites de fièvres.

La jeune monitrice demande.--Tu veux aller un peu t'allonger sur ton lit, Marité ?--Non, Sandra. Marie ne doit pas se douter trop tôt.

Prends ce billet, je ne veux plus jamais le voir.La jeune femme obéit et glisse le message dans une

poche de son short. Bertrand est allé se laver les yeux à la rivière et, à présent, retourne à l'arrière de la maison pour lancer aux trois autres garçons.

--Je vais pêcher, venez avec moi.Le trio se lève aussitôt sans poser la moindre

question, d'ailleurs, ce serait inutile, et, reprenant les cannes restées dans l'abri, accompagne le garçon de onze ans.

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Marité s'est mouillé puis essuyé les yeux. Sa fille ne doit rien savoir de la terrible nouvelle, en tout cas, pas maintenant.

Audrey, Marion et Sabrina sont vêtues à nouveau correctement et totalement, et Audrey, très mal à l'aise, de demander à la plus petite du groupe.

--Comment va Loup-Blanc ? Il doit avoir soif, je vais lui chercher un peu d'eau.

Le jeune loup reste près de Marie. Il a posé la tête sur les genoux de la fillette alors que les trois adolescentes rejoignent Sandra dans la maison. Oui, à présent, Audrey en est certaine, elle avait deviné, exactement comme les garçons. Cependant, elle revient tout de même vers Marie et Loup-Blanc avec un grand bol d'eau fraîche. Marion et Sabrina qui ont maintenant compris, sont un peu en arrière.

Soudain, à trois-cents mètres plus haut, les loups sont debout sur leurs pattes et hurlent d'une manière lugubre.

Audrey, Marion et Sabrina en frissonnent. Les deux dernières se regardent. Ce qu'elles savent, les loups le savent aussi, et les hurlements qu'elles entendent ont un son particulier. Marion en reste stupéfaite. Comment des loups peuvent-ils savoir et avoir de la peine de la mort d'un homme qui les combattait, c'est inimaginable. A moins qu'ils ne soient tristes pour celle qu'ils ont décidé de protéger, Marie.

Au bord de la rivière, Bertrand jusqu'alors silencieux, lâche d'un seul coup pour ses compagnons.

--Papa est mort en Egypte. Je ne sais pas comment apprendre cela à Marie. Maman a dit que j'étais à présent l'homme de la maison, c'est donc à moi d'apprendre la vérité à Marie. Pour cela, je vais avoir besoin de vous tous, je le crains.

Thomas avoue le premier.--Nous avons beaucoup de peine pour ta maman et

pour vous deux. Nous saurons être là jusqu'à ce que nous soyons ramenés dans notre siècle. Tu pourras compter sur nous.

Bertrand fixe le garçon qui vient de parler et répond normalement.

--Thomas, c'est dur, c'est sûr, mais nous avions pris l'habitude de vivre seuls avec maman. A présent il ne reviendra

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plus du tout, plus jamais. Pour maman, ce doit être terrible, et je ne sais que faire pour elle. Je vous en prie, aidez-moi.

Vivien signale au jeune garçon.--Bertrand, le prétexte de la pêche n'est pas une bonne

solution. Nous avons assez avec les lapins ramenés par Thomas pour ce soir et demain midi. Par contre, il faut penser qu'un jour nous partirons. Ce n'est pas que nous allons manquer de bois, mais ce serait bien d'aller en couper pour plus tard, qu'il puisse sécher, et puis, nous pourrions parler normalement pour savoir comment apprendre la terrible nouvelle à ta sœur.

Une lueur vient dans les yeux du garçon qui, après avoir fixé Vivien, approuve ce dernier.

--Tu as raison, Vivien. Je vais chercher la scie. Thomas, va prendre ta hache. Denis et toi vous ramènerez les cannes à pêche et nos prises.

Ce qui est fait comme le jeune garçon avait commandé d'une voix calme.

A leur retour, les filles sont devant la maison, et plus précisément près de l'abri. Voyant son frère se saisir de la scie, Marie l'interroge.

--Où vas-tu ?--Couper du bois avec Vivien, Thomas et Denis dans

la forêt de papa et maman.La fillette grimace et donne son avis à son frère.--Je devrais vous accompagner. Avec Loup-Blanc,

vous n'auriez rien à craindre du tout.Prenant sur lui, le grand frère rétorque d'une voix

qu'il voudrait normale.--Loup-Blanc est encore blessé, Marie, et tu ne peux

pas le porter, il est trop lourd pour toi. Les autres loups ne nous attaqueront pas, ils nous ont vus avec Loup-Blanc ce matin et tout à l'heure.

Sandra suggère quand même.--Denis, Vivien et Bertrand, emmenez vos arcs et vos

flèches, on ne sait jamais ce qui se passe dans la tête d'un animal. Moi, je reste avec Marité.

La fillette, caressant le jeune loup blanc assis auprès d'elle près de l'abri, lui confie.

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--Tu sais, Loup-Blanc, je suis sûre que les garçons, maman et Sandra me cachent des choses.

Puis elle se tourne vers Marion et Audrey qui se trouvent à sa droite et leur déclare.

--Vous aussi, vous devez savoir sans qu'on vous le dise, pourquoi les loups ont-ils hurlé de cette manière ? Comme s'ils avaient de la peine. Vous ne m'avez pourtant quittée que pour ramener de l'eau à Loup-Blanc. Je ne comprends pas.

Sabrina, du côté gauche de Marie, n'ose regarder en direction de la petite fille qu'elle aime comme une petite sœur. Une chance que la gamine s'adresse à Audrey et Marion plutôt qu'à elle, car elle ne pourrait conserver son regard sans que Marie ne se doute de quelque chose.

Audrey essaie d'expliquer maladroitement.--Les loups ont hurlé car ils se rendent compte que

Loup-Blanc est davantage blessé qu'ils ne croyaient ce matin.La réponse de la fillette ne se fait pas attendre, elle est

claire et sans la moindre hésitation.--Je n'ai pas été à l'école, Audrey, mais je n'aime pas

être prise pour une sotte. Ce n'est pas la vraie raison, sinon, dès ce matin, les loups auraient hurlé. Non, j'ai vu, c'est depuis le passage des gendarmes, après leur départ, pour être plus juste. Et puis, même Bertrand n'a pas parlé, pardon, ne m'a pas parlé comme il le fait d'habitude.

Marion trouve injuste de laisser Marie dans l'ignorance et, bien que ce ne soit pas son rôle, décide de la préparer à la triste nouvelle. Elle ne regarde que la petite, aucune de ses amies, car elle perdrait le courage qu'elle a en ce moment, puis se lance.

--Marie, ton papa est parti à la guerre loin d'ici et il est possible qu'avec la chaleur qui est bien plus forte là-bas qu'ici, il soit très malade.

La petite fixe l'adolescente qui vient de parler dans les yeux. Marion ne les baisse pas, ce que n'aurait pu faire Audrey toujours présente. Pour la fille aux cheveux courts, il faut absolument qu'elle tienne face à la petite. Cette dernière indique alors.

--Marion, avant, je n'avais pas réfléchi. A présent, oui. Il n'est pas très malade, les gendarmes ne seraient pas

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venus pour annoncer sa maladie à maman. Je crois plutôt qu'il est mort, que je n'ai plus de papa du tout. Maman devait donc être avertie, c'est pourquoi les loups n'ont pas bougé. Ils ont compris avant moi, comment ça se fait ?

Marion se sent soulagée pour répondre.--L'animal sent davantage que nous ce qui se passe, et

les loups sont intelligents. Vous nous l'aviez dit, Bertrand et toi, et puis, depuis ce matin, ils ne cessent de nous surveiller, tu as bien vu ce matin en allant à notre refuge.

Marie a écouté en silence. Marion n'a pas dit non aux propos qu'elle a tenus, donc c'est bien ce qui est arrivé. Elle ne pleure pas mais réplique juste.

--C'est vrai, Marion, ce que tu dis. Je vais aller voir maman, elle doit avoir besoin de moi.

Audrey intervient vite pour l'empêcher de faire à son idée.

--Non, Marie, ce n'est pas une bonne idée. Bertrand, lui, est d'abord parti à la pêche avant d'aller couper du bois. Ta maman doit avoir besoin d'être seule pour le moment, et puis, Sandra est là et nous appellera s'il le faut.

La gamine interroge les trois filles qui sont avec elle.--Pourquoi Bertrand ne m'a rien dit, lui ?Sabrina lâche malgré elle.--Tu crois que c'était facile, pour lui ? C'est aussi son

papa, Marie, et il doit avoir beaucoup de peine. Je pense qu'il ne voulait pas t'en faire à toi. A mon avis, il doit se demander comment t'apprendre cela. Il t'aime beaucoup, ton frère, tout le monde pourra le dire, et il ne veut pas que tu pleures.

La petite ne répond pas à Sabrina mais baisse les yeux et reparle au jeune loup.

--Tu vois, toi, ce matin j'étais contente de t'avoir comme compagnon. Je n'avais plus peur des loups, tes frères ou tes cousins. Quand tu seras guéri, je t'en prie, ne m'abandonne pas. J'aurai encore besoin de toi.

Le loup blanc cale sa tête contre une épaule de la petite fille tout en restant silencieux.

Marie reprend juste pour dire.--Tu auras le droit d'aller chercher à manger dans la

forêt, car maman n'est pas riche et nous ne pourrons pas te

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nourrir, mais il faudra que tu sois là après. Avec toi, je n'aurai plus peur de rien.

Les trois Parisiennes ne savent plus quoi dire et détournent la tête quelques instants.

Près de la forêt, pendant ce temps, Bertrand, en colère, déclare pour les garçons qui sont avec lui.

--Papa n'avait pas à partir et nous laisser tous les trois seuls. Pourquoi a-t-il fait cela ?

Vivien hésite avant de répliquer.--Il n'a sans doute pas eu le choix. Ne sois pas sévère

alors qu'il ne reviendra plus jamais. Bertrand, ta maman et ta sœur vont compter sur toi. Nous, dans la mesure où nous pourrons, nous vous aiderons, mais un jour nous repartirons d'où nous venons.

Le jeune garçon comprend.--Oui, vous devrez repartir. En ce moment, vos

familles sont aussi tristes que moi aujourd'hui. Vos parents seront contents de vous revoir, et personne de chez nous ne vous retiendra, car je viens de me rendre compte.

Le garçon se tait, prend son arc, le bande, et lance une flèche qui atteint une toute petite branche à une dizaine de mètres d'où il se trouve. Il va récupérer la flèche et déclare aux trois autres garçons.

--Il fallait que je le fasse, excusez-moi.Denis émet en guise de réponse.--Je crois que nous n'aurons pas besoin de t'apprendre

à tirer à l'arc, tu sais parfaitement.--Il le faudra, à présent. Bien, mettons-nous au travail.Et, effectivement, les quatre garçons commencent à

abattre un arbre. Les loups sont proches, sans doute à moins de deux-cents mètres, mais ils n'ont aucune agressivité, et ils n'attaqueront pas.

Ce soir là, la maisonnée est silencieuse durant le repas, ce dont profite Marie pour déclarer.

--Maman, Bertrand, les loups m'ont avertie que papa est mort là-bas. Ne dites pas que c'est faux, je le sais. Loup-Blanc a calé sa tête contre mon épaule quand je lui en ai parlé. On aurait dit qu'il avait de la peine, lui aussi. Maman, cette nuit je dormirai avec les garçons dans la salle où nous mangeons, sur le même lit que Bertrand.

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Marité demande instinctivement.--Pourquoi « mon chaton » ?--Parce qu'il est mon grand frère et que j'ai parfois

besoin de lui. Maman, je t'en prie, ne sois pas fâchée.La jeune mère rassure sa fille.--Non, je ne suis pas fâchée, Marie.--Merci, maman, merci beaucoup.Bertrand serre très fort la tête de sa jeune sœur contre

la sienne et lui murmure.--Tu es plus grande que je ne croyais. Moi, j'ai pleuré,

dans la forêt.Elle réplique en retour.--C'est normal, tu l'as connu plus que moi.Les autres adolescents, Sandra et Marité n'osent rien

dire, mais tout le monde est ému.Audrey, Marion et Sabrina ont appris par la même

occasion que la petite ne trahirait aucune d'elles. Elle a tout mis sur le compte des loups, ce qui est un peu exact en ce qui concerne l'origine de ses doutes.

Cette nuit, Loup-Blanc a le droit de dormir au pied du matelas où sont allongés Marie et Bertrand. Dans la pièce à côté, Marité de dire à Sandra.

--Il me faudra aller au village d'ici deux ou trois jours. Ils vont me donner ce qu'il avait sur lui. Je ne veux pas que tu viennes avec les enfants. Je serai de retour dès le soir, maintenant que nous avons moins à craindre des loups.

--Entendu, Marité. Je veillerai sur Marie et Bertrand en plus des six miens, il n'y aura aucun problème.

Dans la grande salle, la nuit est très mouvementée pour Bertrand, et Marie de s'excuser auprès de Vivien qui s'était réveillé.

--Il a fait de mauvais rêves. Je m'en doutais un peu, c'est pour ça que j'ai voulu dormir près de lui. Il ne faudra pas lui en parler au matin. Il prend plus conscience que moi de la mort de papa. Pardon qu'il t'ait réveillé.

--Ce n'est rien, Marie, et je comprends de plus en plus la raison pour laquelle il t'aime autant. Il a eu raison, tout à l'heure, tu es une grande. Lui aussi aura besoin de toi.

Et le garçon venu de Paris embrasse le front de la fillette.

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Au matin, Denis et Thomas sont levés les premiers et ils ouvrent la porte extérieure juste après s'être habillés.

Loup-Blanc ne dormait plus, et, dès la porte ouverte, quitte la pièce avec difficulté mais sans faire de bruit. Thomas, le suivant du regard, le voit même faire ses besoins au-dehors, à quelques mètres de la maison. Denis a vu également le comportement de l'animal et questionne son ami.

--Comment un loup encore sauvage hier matin, peut-il apprendre à être aussi propre si vite ?

Thomas se doit de dire qu'il ne peut pas expliquer ce phénomène.

--Je n'en sais rien Denis. C'est extraordinaire. Ce loup n'est pas comme les autres. Là, c'est certain, il est intelligent. Je ne vois qu'une solution, il a peut-être dû aussi nous observer hier.

Denis dit le fond de sa pensée.--Je vais te dire une vérité. Jamais plus il ne sera

sauvage tant que Marie s'occupera de lui.--C'est bien possible, et comme Marie s'en occupera

toujours, cet animal ne sera plus sauvage, mais c'est quand même surprenant.

Marité et Sandra arrivent dans la pièce. Vivien se réveille et, sans se préoccuper de la présence des deux femmes, ôte son pyjama pour s'habiller comme ses deux compagnons.

Marion débouche juste de la chambre pour dire.--Sandra, on fera une lessive aujourd'hui, ce sera

nécessaire. Audrey m'aidera, cette fois.La monitrice proteste pour faire savoir.--Non, c'est moi qui la ferai.La voix d'Audrey riposte.--Pas question. Tu es notre monitrice, notre amie,

mais sûrement pas notre bonne, Sandra. La réponse d'Audrey qui venait de rentrer à son tour

dans la pièce, fait s'éveiller Bertrand et Marie. Cette dernière, après avoir embrassé sa mère, Sandra puis Bertrand, interroge avec inquiétude.

--Où es Loup-Blanc ?Marion blague la fillette.--Eh bien, Marie ! Loup-blanc passe avant nous !Pas du tout décontenancée, la benjamine réplique.

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--Non, Marion, bien-sûr, mais vous êtes là tous les six, puisque voici Sabrina, et Loup-Blanc, lui, ne l'est pas. Je te demande pardon si je t'ai vexée, mais ce n'était pas volontaire de ma part.

Marion dément bien vite.--Non, Marie, je ne suis absolument pas vexée.Puis elle embrasse la plus petite.Thomas renseigne la fillette.--Dès que Denis et moi avons ouvert la porte, il est

sorti faire ses besoins. Et à présent, viens voir, il regarde la forêt au-dessus de la maison.

Ce qui est vrai. Le jeune loup est sagement assis, le regard en direction de la forêt, mais, dès qu'il entend les petits pieds nus de Marie, il se retourne et va vers la fillette dont il lèche le visage.

Sabrina, amusée, commente.--C'est pour te rappeler de faire ta toilette, Marie.L'enfant s'assied près du loup et questionne.--Alors, toi, tu as bien dormi ? Avoue que c'est mieux

de dormir dans une maison chauffée. Tout à l'heure, Thomas et Denis referont ton pansement, mais, toi, tu ne devras pas essayer de l'arracher, sinon tu vas encore avoir mal. Hier, j'ai dû te gronder plusieurs fois. Je sais que cette attelle te gêne, mais tu aurais pu mourir, Loup-Blanc. Déjà, je n'ai plus de papa, alors, toi, reste avec maman, Bertrand et moi. Nos amis devront partir un jour à leur époque, et toi tu veilleras sur nous, je compte sur toi, moi.

Bertrand a fixé sa mère, mais celle-ci ne cille pas. Pourtant, maintenant, elle n'aurait plus le prétexte d'attendre le retour de papa. Ils pourraient donc, Marie, leur mère et lui, accompagner Sandra et les six autres enfants au vingtième siècle, mais leur mère croit au destin. Il lance alors en ayant une arrière pensée.

--Sandra, pourrais-tu nous apprendre à lire et à écrire, à Marie et moi ? Bien-sûr, pas comme Sabrina, Marion ou Vivien et les autres, mais un peu quand même, ce serait bien, deux heures par jour.

C'est le silence dans la pièce. Les adolescents ressentent comme un malaise. En fait, ils ont honte de leur savoir et de pouvoir apprendre normalement alors que

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Bertrand qu'ils savent intelligent, ne pourra pas avoir les mêmes facilités qu'eux.

Marité regarde Sandra puis son fils, et, hochant la tête affirmativement, déclare.

--Tu ne pourras pas les aider beaucoup, Sandra, mais ce serait une bonne idée, si toi tu es d'accord.

Sandra sourit un peu avant de répondre.--Marité, c'est entendu, mais je crois qu'aujourd'hui

ils auront de bons professeurs avec Audrey et Vivien.Le garçon cité intervient.--Pardon, Sandra, mais je ne saurai pas vraiment. Par

contre, Marion est bien plus patiente et capable que moi.La fille accepte tout de suite de remplacer Vivien.

Cependant, après avoir rapidement réfléchi, elle questionne.--Mais avec quoi ? Il nous faudrait des stylos et du

papier !C'est la question qu'attendait Bertrand. Très sérieux, il

réplique.--C'est vrai, Marion, nous n'avons rien pour écrire.

Maman, si nous partions avec eux dans leur siècle, ce problème ne se poserait plus.

Un nouveau silence vient dans la petite maison de bois et de terre. Le jeune garçon, par un biais qu'il avait su amener, venait d'indiquer son choix, et sa mère se sent mal à l'aise, mais elle est vite sauvée par Marie qui intervient brusquement en posant à son tour la question.

--Et qui s'occuperait de Loup-Blanc ? Je ne veux pas l'abandonner. Il devrait venir avec nous.

Thomas doit avouer à la petite fille.--Il serait malheureux, là où nous vivons. Il n'aurait

pas autant d'espace qu'ici, et pour dire vrai, pas du tout. Marie, il repartira avec les siens quand il sera guéri.

La benjamine n'est pas convaincue et le fait savoir.--C'est possible, mais ce n'est pas certain.Marité coupe la conversation.--Il y a assez d'eau chaude pour que Sabrina et Marie

se lavent dans le baquet sous l'abri. Il est temps d'y aller. Ensuite ce sera au tour de Marion et Audrey.

Sabrina déclare pour son amie aux cheveux courts.

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--Marion vas-y, je me laverai avec Audrey.Les garçons, eux, iront à la rivière, comme chaque

jour. Ils commencent à y être habitués.En partant, Denis conseille à Bertrand.--Ne fais pas de peine à ta mère, elle a assez de

chagrin comme cela. Tu apprendras à lire. Nous, nous avons quelques livres, et on trouvera bien de quoi écrire.

Le jeune garçon rétorque à Denis tout en continuant à marcher vers la rivière.

--Je sais un peu lire, mais je voulais influencer maman pour aller avec vous sept à votre époque. Ici, à présent, plus rien ne la retient, et à mon avis, Marie et moi non plus.

Thomas lui fait remarquer.--Tu n'as pas employé la bonne méthode.Le garçon né dans le siècle où ils se trouvent tous,

admet.--J'ai vu, et maintenant, par ma maladresse, Marie

refusera aussi à cause de Loup-Blanc.Aucun des trois autres ne répond car ils savent bien

que leur jeune compagnon a raison.Vivien trouve quand même à dire.--A chaque jour suffit sa peine. Nous verrons bien de

ce que demain sera fait.Le garçon vient de la sorte interrompre le sujet.De fait, il n'en est plus du tout question pour la fin de

matinée, ni même au cours du déjeuner.L'après-midi, Marité commence à préparer ses

affaires pour le lendemain matin, car elle a décidé de descendre dès le lendemain au village, et elle autorise ses enfants à rester en compagnie des six adolescents venus du futur. Sandra, quant à elle, reste avec la maîtresse de maison.

Derrière la maison, sur une couverture qui a déjà beaucoup servi, les huit enfants se mettent au soleil. Alors que les Parisiennes sont en maillots de bain, Marie, elle, a ôté sa robe et joue avec le jeune loup. Elle s'arrête brusquement et lui dit très sérieusement.

--Nous t'avons soigné, tu as mangé des poissons et des os de lapins. Quand tu seras grand, ne nous oublie pas et ne nous attaque plus avec ceux de ta race. Nous ne voulons

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aucun mal aux loups, tu as bien vu, mais il faut bien nous défendre quand ils attaquent !

L'animal la regarde. Audrey s'étonne.--On dirait qu'il comprend !La fillette réplique à la fille de quinze ans.--Bien-sûr qu'il comprend. Ecoute, Loup-Blanc,

maman descend demain au village, alors, dis aux tiens de ne pas l'attaquer, mais en plus, de la protéger tout le temps. Tu comprends, Bertrand et moi n'avons plus qu'elle dans la vie, et Bertrand, bien que courageux, n'a que onze ans.

Le loup lance quelques petits hurlements puis se tait, et cette fois, se couche près de celle qu'il pourrait tuer d'un coup de patte ou avec les dents acérées qu'il possède déjà.

Audrey, qui regardait vers la forêt au-dessus, pour éviter de montrer son émotion, voit disparaître les deux têtes de loups qui les surveillaient. Des petits cris se font entendre de loin en loin puis plus rien.

La fille est la seule à s'être rendue compte de ce qui se passait, car Bertrand essaie de blaguer sa petite sœur.

--Marie, en vérité, Loup-Blanc se demande par quoi il va commencer à te manger, puisque tu es toute nue auprès de lui.

La riposte ne tarde pas.--Moi, je n'ai pas encore neuf ans, je peux, mais pas

toi, tu serais trop vilain, mon cher Bertrand.Les autres adolescents ne peuvent que sourire.

Pourtant, les oreilles du jeune loup se dressent, et, pour la première fois depuis qu'il côtoie les enfants, il se met à gronder.

Instinctivement, Audrey regarde de nouveau vers la forêt, mais cette fois, les autres font de même pour apercevoir plusieurs loups dressés sur leurs pattes, les oreilles toutes droites pour mieux écouter.

Thomas renseigne les autres.--Nous allons avoir de la visite et une visite que

Loup-Blanc ne semble pas apprécier.Bertrand semble du même avis et commande.--Marie, remets ta robe. Thomas a sûrement raison, et

si on te voyait nue, tu serais traitée de sorcière ou je ne sais quoi d'autre.

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La fillette obéit sans discuter. Audrey, Marion et Sabrina enfilent shorts et chemisiers car il est préférable de ne pas porter de tee-shirts imprimés comme c'est la mode au vingtième siècle.

Il se passe alors quelque chose de surprenant. Lentement, les loups qui veillaient en orée de la forêt, se rapprochent, mais pas pour venir vers la maison ou les enfants, non, ils se dirigent vers le chemin qui mène au village.

Les huit enfants ont quitté la couverture et suivent la progression des loups qui ne prêtent pas attention à eux.

Marion en est stupéfaite.--On dirait qu'ils veulent nous protéger !Les quatre garçons doivent admettre que la fille a

raison, et Thomas d'avouer.--Vu leur nombre, je préfère qu'ils soient avec nous

que contre nous. Même avec nos armes, nous ne pourrions pas faire grand-chose.

Audrey donne son avis.--Ils font ça pour protéger Loup-Blanc, pas pour nous,

ce n'est pas autre chose.Denis n'est pas d'accord.--Non, hier, lors de la venue des gendarmes, ils n'ont

pas bougé, cette fois, si.Les enfants sont au devant de la maison, à présent, et

Vivien prévient Sandra qui se trouvait à l'intérieur.--Nous allons avoir de la visite, d'après Loup-Blanc.

Enfin, si les autres loups laissent passer ceux qui veulent venir voir Marité. Regarde un peu, Sandra, c'est impressionnant.

Le spectacle est effectivement surprenant. Les loups ont rejoint le chemin qui mène au village et se sont assis à regarder dans la direction de ce dernier. Ils forment comme une barrière infranchissable.

Les deux femmes sortent de la maison et constatent la présence de plus d'une dizaine de loups, la tête bien droite, les oreilles dressées et tous tournés vers le bas de la plaine qui touche la forêt où avaient été attaquées Marité et Sandra la dernière fois.

La jeune monitrice rejoint les enfants en compagnie de Vivien et interroge.

--Pourquoi font-ils cela, d'après vous ?

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Denis doit avouer.--Aucune idée de leur raison, ma chère Sandra, mais,

tu peux toujours le leur demander.La jeune femme ne répond pas à la blague de Denis

mais indique.--Mais ce sont des animaux terribles, ! S'ils voulaient,

ils pourraient tuer n'importe qui !Thomas ajoute juste après les paroles de Sandra.--C'est juste, et ils sont grands. Tu vois, Sandra,

aujourd'hui, je préfère les avoir de mon côté que contre moi.Bertrand est bien du même avis.--Thomas a raison. J'ai vu les dents de ceux tués par

Denis, Vivien et Thomas, elles étaient pointues.Marion propose à ses amis.--On va voir ce qui se passe ?Marie saute sur l'occasion.--Oui, ce serait bien. Loup-Blanc est avec nous, nous

n'avons rien à craindre.Audrey rappelle pourtant à ses deux amies.--Et notre lessive, elle se fera toute seule ?Marion concède à contrecœur.--Non, c'est juste. Allons-y, qu'elle sèche ensuite un

peu au soleil avant ce soir.Pourtant, les garçons descendent un peu la prairie.

Deux loups assez imposants se tournent légèrement pour voir qui arrive mais ne font plus ensuite attention aux enfants.

Bertrand se rapproche le plus et distingue trois hommes immobilisés de peur face aux loups toujours assis. Le garçon n'est pas rassuré non plus mais il s'enquiert d'une voix qu'il pense normale.

--Citoyens, que désirez-vous, pour venir ici ?L'un des hommes explique d'une voix forte.--Ta mère nous doit de l'argent. Ton père avait des

dettes qu'il n'a pu nous rembourser, alors nous allons prendre la forêt qu'il avait achetée et la terre sur laquelle se trouve la maison de ta mère.

Bertrand est en colère, mais ne veut pas le montrer. S'il ne tenait qu'à lui, il dirait aux loups de chasser ces trois hommes. Il se calme et questionne.

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--Comment ferons-nous pour nous chauffer, si on ne peut pas couper de bois ?

Le même homme qui avait parlé, reprend.--Ce n'est pas notre problème. Nous vendrons la forêt

et le terrain.Bien qu'il ait peur de la menace, le garçon réplique,

assez calme tout de même.--Je ne crois pas, citoyens, que les loups seront de

votre avis. Vous pouvez toujours leur demander ce qu'ils en pensent, je n'y vois aucun inconvénient.

Un autre homme interroge.--Comment sont-ils là et que tu n'aies pas peur d'eux ?--Citoyens, je ne répondrai pas à votre question, mais

je vous assure qu'il vous sera difficile de couper du bois dans la forêt de ma mère. Vous devriez savoir que les loups ne veulent guère de compagnie sauf pour satisfaire leur appétit.

--Va chercher ta mère.Cette fois, Bertrand se sent de nouveau en colère et il

réplique assez sèchement.--Citoyens, je remplace mon père mort pour notre

patrie dans les armées du général Bonaparte. J'ai appris sa mort hier seulement quand deux citoyens gendarmes sont venus, et vous, vous venez déjà ! Les nouvelles vont vite. Je vous écoute et je transmettrai vos paroles à ma mère, mais vous ne la verrez pas ce tantôt.

--Dans ce cas, dis-lui qu'elle a un mois pour quitter la terre qu'elle occupe.

Bertrand se retourne. Denis, Vivien, Thomas et Marie sont juste derrière lui. Le jeune garçon signale à sa sœur.

--Ces citoyens veulent nous faire partir de chez nous et vendre le bois de la forêt de papa et maman.

La fillette s'avance, passe devant son frère et se place entre deux loups de bonne taille pour déclarer.

--Citoyens, notre mère doit voir le citoyen maire très bientôt, mais vous ne prendrez pas ce que le peuple nous a donné lors de la Révolution. Il n'existe plus de roi dans la France et vous n'agirez pas comme le faisait la noblesse d'avant, car lui, le peuple, il est près de moi. Ce sont ces loups qui habitent la forêt, et vous ne pourrez pas tous les chasser sans que certains ne vous mordent. Retournez d'où vous venez,

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espèce de « vautours ». Notre père, comme vous l'a déjà dit mon frère, nous avons appris sa mort hier, et vous, dès ce jour, vous venez nous prendre notre bien et celui qui lui appartenait. Repartez d'où vous venez. A votre place, j'aurais honte d'agir de la sorte, et ne croyez pas que vous me faites peur.

Et tout en parlant, Marie caressait la tête de l'un des loups d'ailleurs aussi grand qu'elle et près duquel elle se trouvait.

--Tu es une sorcière pour vivre avec les loups. Jamais personne n'a pu en caresser un, et toi, tu le fais. Tu les as envoûtés. Qui es-tu donc pour avoir de tels pouvoirs ?

--Une petite fille de huit années et demi, citoyen, et je ne suis nullement une sorcière, comme tu voudrais qu'il soit. J'ai tout simplement soigné l'un d'eux qui était blessé. Celui qui est blanc, et que tu peux voir à mes côtés. Il porte encore un pansement. Maintenant, partez, espèces de brigands.

--Tu es une sorcière, c'est certain.Certains loups se redressent et grondent. La fillette

les calme de sa petite voix.--Tout doux, vous autres. Les citoyens vont partir de

notre prairie car ils ne désirent pas être dévorés par vous.Puis, s'adressant aux trois hommes qu'elle voit.--Ne m'appelez plus jamais sorcière. Les loups savent

que cela n'est pas vrai, citoyens. Vous avez de la chance de ne pas menacer ces loups avec des armes, car ils se seraient jetés sur vous et je n'aurais pas pu les retenir. Là, vous auriez vu que je n'ai pas le pouvoir de les arrêter.

Bertrand rejoint sa sœur et lui ordonne.--Cela suffit, Marie, il faut te taire.Voyant les trois hommes s'en retourner, la gamine

obtempère et s'agenouille parmi les loups. Cette fois, ils sont bien plus grands que la fillette. Loup-Blanc, encore blessé, n'a pas quitté sa petite maîtresse. La petite fille parle aux animaux.

--Merci de nous aider. De notre côté, nous ferons tout pour soigner Loup-Blanc, mais si je vous appelle un jour, il faudra venir très vite, c'est que nous serons en danger, maman, Sandra, Audrey, Marion, Sabrina, Denis, Vivien, Thomas, mon frère Bertrand et moi. Je veux vous dire autre chose, puisque je peux vous parler comme à Loup-Blanc, soyez gentils, ne mangez pas nos trois poules, nous en avons besoin

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pour avoir des œufs. Maman n'est pas riche, et vivre ici est difficile. Voilà, j'ai terminé pour aujourd'hui. Je vous remercie d'être venus pour nous défendre.

Les loups ne bronchent pas. Ils la regardent juste se remettre debout. La petite Marie, toujours accompagnée de Loup-Blanc qui boîte encore un peu, va à son frère resté en arrière pour lui dire.

--Allons auprès de Thomas, Vivien et Denis. Nous n'avons plus rien à faire ici puisque les citoyens venus du village ont disparu. Nous ne les reverrons plus aujourd'hui.

Sandra avait rejoint les trois garçons venus avec elle de la colonie et elle voit Marie et Bertrand revenir tranquillement. La jeune femme laisse échapper pour la fillette.

--Comment est-ce possible ? Tu as caressé un énorme loup, Marie, et il ne t'a pas mordue ! Je ne comprends pas !

La petite fille réplique à la jeune femme.--Les loups sont plus fidèles que les hommes, à ce

qu'il me semble. Je ne parle pas pour toi et les six enfants venus avec toi, mais, en général. Allons rassurer maman et donner le message de ces trois citoyens. Ensuite, j'aiderai Audrey, Marion et Sabrina à laver et étendre le linge.

Lorsque Marité voit ses enfants revenir vers elle, elle s'agenouille puis leur tend les bras où tous deux vont se réfugier. Leur mère les embrasse et Sandra annonce de loin.

--Nous n'aurons plus aucune crainte à avoir des loups. Marie se trouvait parmi eux, c'était incroyable ! Si je n'avais pas vu, jamais je n'aurais pu le croire. Ils lui obéissaient. Marité, certains étaient aussi grands qu'elle et elle n'a pas eu la moindre crainte, à aucun moment.

Bertrand déclare, une fois que Sandra a fini de parler.--Maman, les trois hommes qui sont venus ont dit que

papa leur devait de l'argent et qu'ils allaient vendre la forêt et le terrain où est la maison que papa a construit. Nous, où irons-nous ?

La jeune mère entre dans une violente colère.--Mais enfin, ton père avait donné à Roberta la

somme nécessaire juste avant de partir aux armées. C'est d'ailleurs pour payer ce que nous devions qu'il s'était engagé, pour pouvoir tout payer au plus vite. Si ma sœur m'a trahie, elle devra tout rembourser.

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Sandra, un peu inquiète, questionne.--Tu as une preuve, Marité ?La réponse fuse aussitôt.--Oui, un papier que mon mari m'a expédié dans une

de ses premières lettres. Roberta reconnaissait avoir reçu l'argent, puisqu'elle a signé ce papier. Je l'ai à la maison.

Bertrand reprend la parole.--Tante Roberta pensait peut-être que papa ne t'avait

pas envoyé ce papier et elle n'a payé personne à la place de papa, je ne vois que cette solution pour expliquer la venue de ces hommes.

Un silence s'installe quelques secondes. Marité, Sandra et les garçons semblent réfléchir à une manière de récupérer cet argent, ce dont s'est bien rendue compte Marie.

La fillette décide.--Demain, nous irons tous chez tante Roberta, mais

pas seulement nous. Il faudra que les loups nous accompagnent.

--Avec les loups ! --Oui, Sandra. Comme dirait Marion, ce sera une

force de persuasion. Je n'ai pas compris ce que cela signifie, sauf que l'on nous écoutera davantage. Si Marion m'a bien expliqué, je crois que ce serait utile, sinon, personne ne te croira, maman. Bon, je vais aider les filles, à présent, ne serait-ce que pour rincer et étendre le linge.

Les garçons, eux, partent relever les collets non loin de la grotte où étaient arrivés Sandra et les jeunes vacanciers du vingtième siècle.

La soirée se passe également à rentrer du bois que la hache de Thomas a fendu et qui avait d'abord été scié par Vivien et Denis.

Les filles, de leur côté, ont profité de la bonté du soleil pour étendre tout le linge lavé, rincé et essoré à la main. Elles ont un peu les mains froides, mais il fallait faire ce travail. Marie avait raconté, tout en travaillant, ce qui s'était passé aux trois plus grandes.

Marion avait répliqué.--J'aurais bien voulu voir ça.Ce à quoi, Marie avait répondu.

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--Tu le verras demain, puisque nous irons au village avec les loups.

--Je ne sais pas si ta mère et Sandra seront d'accord.--Sans doute que non, Audrey, mais les loups, eux, ils

n'écouteront que moi, et ils ont promis de venir dès que nous serons en danger. Donc, ils seront là.

Les trois amies de lycée avaient écouté la fillette en ayant des doutes, mais n'en avaient rien dit pour ne pas la vexer.

Bien que les prises des collets aient été de neuf lapins, au cours du dîner du soir, l'optimisme n'est pas de mise malgré ce qu'a décidé Marie, car personne ne croit que les loups lui obéiront. Il est impossible en effet que des animaux sauvages et féroces puissent venir à l'appel de Marie. Denis annonce pour couper le silence.

--Nous avons neuf lapins en comptant les collets de Bertrand et une dizaine de truites et autres poissons. Demain, les filles, vous ne pourrez pas utiliser le baquet pour vous laver, les poissons sont dedans.

Marion tranche.--On se lavera juste le visage avant de descendre au

village.Bertrand, lui, prévient.--On pourra vendre dix peaux de lapins et peut-être

quatre ou cinq lapins ramenés aujourd'hui.Thomas donne son opinion.--On pourra en vendre cinq, ainsi nous pourrons

acheter du pain.--Du pain !--Oui, Bertrand, et pas seulement cela, mais le reste je

garde le secret pour le moment, on verra si c'est possible. Marité, notre présence est une charge pour vous. Nous partirons très bientôt à notre cabane.

La maîtresse de maison riposte.--Non, il faut rester avec nous trois. Jamais, depuis

votre présence à tous les sept, je n'ai vu mes enfants aussi heureux. Vous leur apprenez des tas de choses qu'ils ne savaient pas, et Sandra est pour moi d'une aide exceptionnelle.

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Thomas se tait. Au fond de lui-même, il pense que le moment des adieux, car il arrivera bien un jour, sera très difficile pour toutes et tous.

Marité reprend très rapidement.--Autre chose, vous avez remarqué, qu'ici, au village,

les citoyens se tutoient. Il faut que vous fassiez de même avec moi, les enfants. Non, ne protestez pas, je vais vous expliquer pourquoi. Le vouvoiement qui était le vôtre jusqu'ici serait mal vu, la noblesse agissait ainsi, donc, bien que je sache que pour vous, ce sera sans doute difficile au début, il faut dès à présent me tutoyer. Voilà ce que j'avais à dire.

Les six adolescents venus du vingtième siècle se regardent avec surprise mais comprennent les raisons de Marité. Ils essaieront, mais il faudra qu'ils se contrôlent pour ne pas se tromper.

Dès le petit repas terminé, tout le monde se couche.La nuit n'est pas sereine pour Marité, bien qu'elle ait

confié à Sandra la preuve que son mari avait donné tout l'argent nécessaire à Roberta afin qu'elle règle ce que son beau-frère devait. Ce sera la jeune monitrice, bien plus instruite que la mère des deux enfants, qui les défendra tous les trois, preuve en mains.

Les enfants, eux aussi, ont du mal à dormir, et Marie dort une fois de plus près de son frère dans la pièce occupée par les garçons. Loup-Blanc s'est endormi le premier près du matelas où se trouve sa jeune maîtresse.

7

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Au matin, dans la grande pièce, les quatre garçons et Marie ont du mal à se lever. Il est vrai que pour les garçons, l'après-midi de la veille, s'était terminé, après le fabuleux épisode des loups plus difficilement en coupant et ramenant du bois, et les muscles, ce matin, sont fatigués et font mal.

Le linge lavé la veille avait fini de sécher durant la nuit près du foyer et Marion se charge elle-même de ranger ce qui appartient à chacun, y compris celui de Sandra.

Après une sorte de petit-déjeuner, toute la maisonnée se prépare à partir. Les toilettes ont été rapidement faites, surtout par les filles qui s'étaient habituées à se baigner dans de l'eau tiède. Cette fois, elles ont dû aller dans la rivière, après les garçons, mais en conservant les maillots de bain.

Loup-Blanc a réussi à défaire le bandage autour de sa patte et il peut à présent, l'utiliser presque normalement, ce qui fait Marie embrasser le museau du jeune loup.

Une fois hors de la maison, la fillette s'adresse à son ami.

--Loup-Blanc, dis à tes frères et tes cousins, les autres loups, de nous accompagner au village, c'est important pour maman, Bertrand et moi.

L'animal pousse deux hurlements d'une sonorité différente des autres fois et, très vite, près de vingt loups se montrent et descendent tranquillement de l'orée de la forêt surplombant la petite maison. Marité se signe. Elle n'a toujours pas confiance en ces animaux qui étaient, il n'y a pas encore si longtemps de véritables ennemis qu'il fallait tuer dès que c'était possible. Cette fois, vu le nombre, elle est très inquiète. Denis, Vivien et Bertrand ont placé chacun leur arc au travers de leur dos. Thomas garde sa hache à sa ceinture de short en jean.

Marie, voyant sa mère si inquiète, lui reproche.--Maman, ne sois pas ainsi. A présent les loups sont

nos amis.--Tu es drôle, toi ! Ton père et moi avons dû les

combattre bien souvent pour pouvoir rester dans notre maison.

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Les Parisiennes qui avaient douté la veille des paroles de Marie ne peuvent que constater que les loups ne sont absolument pas menaçants.

Marion pour parler d'autre chose, prévient.--Sandra, tout le linge était sec, ce matin.La jeune femme s'étonne en voyant les loups

s'approcher de plus en plus de la maison.--Tu penses à nos vêtements lavés, hier, toi !La fille aux yeux bleus et cheveux courts, s'explique.--C'était juste pour que tu saches. Nous autres, on y

va avec nos shorts. Tu as passé une jupe de Marité, toi !--Oui, autrement, les gens du village ne

comprendraient pas. Nous sommes en 1799, il ne faut pas l'oublier.

Sabrina, après avoir compté les loups, déclare en souriant pour la jeune monitrice de colonie de vacances.

--Tu crois, par contre, qu'ils trouveront normal que nous arrivions avec vingt loups à nos côtés ?

Marie s'empresse de rectifier.--Vingt et un avec Loup-Blanc.Sabrina admet pour la fillette qui est près d'elle.--C'est juste, Marie, vingt et un.Les loups sont assis devant la maison en attendant

que la petite troupe comprenant huit enfants, se mette en marche. Les garçons se chargent des lapins à vendre et des poissons. Marité a fait un paquet de peaux qui seront, elles aussi, vendues, car elles doivent être bien sèches pour être vendues au tanneur. La femme questionne un peu inquiète.

--Sandra, tu as le papier que je t'ai donné ?--Oui. Avec ça, ta sœur devra te rembourser, et il me

semble que cela fait beaucoup d'argent. Mais d'abord, il faudra aller voir le maire et quérir deux gendarmes pour qu'ils voient la preuve.

--Quérir !--Oui, Audrey. Nous, nous dirions « aller chercher »,

mais ici, je crois que le mot « quérir » est mieux compris.--Tu est drôlement instruite, dis donc !La jeune femme se contente de sourire. Oui, ces

adolescents sont attachants, et à leur retour au vingtième siècle, elle gardera contact avec eux. Leur aventure aura été

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tellement impensable qu'elle aura besoin de les revoir de temps en temps pour en reparler et ne pas tout garder pour elle. Durant ces derniers jours, elle n'a même pas pensé à son petit ami. En fait, tout allait si vite qu'elle n'en avait pas le temps.

La petite troupe se met en marche. Trois loups marchent en tête, mais tous ont eu droit à une caresse de Marie pour les remercier. Les autres escortent d'une façon tout à fait calme, celles et ceux qu'ils doivent protéger comme Marie le leur a demandé.

Vivien, en cours de chemin, fait savoir à Marion près de qui il se trouve en ce moment.

--C'est dommage que nos appareils photos aient été cassés par les rochers, sinon, tu vois, ce serait la photo du siècle.

La fille sourit à son ami. Ce serait, il a raison, une photo sensationnelle de les voir tous parmi ces loups qui ne paraissent nullement méchants. Marion rétorque à son copain de lycée.

--Ce serai à coup sûr la photo du siècle, mais pas du nôtre, en tout cas. Tu vois, Vivien, il y aurait des gens, même en voyant une telle photo, qui diraient qu'il s'agit d'un montage.

Le garçon acquiesce de la tête. Marion n'a peut-être pas tort.

Ce qui surprend Marité et Sandra, c'est cette attitude des loups qui ne cherchent même pas à essayer de manger les lapins emmenés par les garçons.

Aux abords du village, c'est la panique totale. Les gens rentrent et s'enferment chez eux dès qu'ils aperçoivent toute la troupe et on laisse le passage libre à ce groupe assez singulier jusqu'à la gendarmerie. Ce que Thomas craignait ne se produit pas, car les chevaux des gendarmes sont dans l'écurie. Marité et Sandra entrent seules dans la gendarmerie et Sandra montre le papier signé par la sœur de Marité puis déclare.

--Citoyens gendarmes, la citoyenne ici présente que j'accompagne, a besoin de vous pour réclamer son dû à sa sœur. Vous faites respecter la loi de la République dans notre pays. Faites ce qui est votre devoir, ou alors, que les citoyens

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venus hier importuner la citoyenne Marité, se rendent chez la citoyenne Roberta pour se faire payer.

L'affaire est prise très au sérieux, et lorsque l'un des gendarmes veut sortir pour alerter le maire, il se trouve face aux loups.

Marie, d'une voix autoritaire, commande aux loups qui sont là, assis près de la gamine.

--Laissez passer le citoyen gendarme, il ne vous a rien fait. Bertrand, accompagne-le.

--Où vas-tu, citoyen gendarme ?--Mander le citoyen maire de notre village.Le jeune garçon reprend alors.--C'est bon, je t'accompagne, tu seras plus en sécurité

que tout seul.Marie demande aux loups juste aussitôt après le

départ de son frère et du gendarme.--Venez avec moi autour de la maison de tante

Roberta, de la sorte, elle ne pourra pas s'enfuir avant la venue du citoyen maire, de maman et Sandra. Je crois qu'elle a des explications à donner à maman.

De fait, le maire et plusieurs gendarmes arrivent bientôt avec Marité, Sandra et les autres enfants. En fin de matinée, l'affaire est réglée et Roberta doit bien avouer qu'elle avait conservé l'argent de son beau-frère pour elle. Sa confession a lieu face aux gendarmes, au maire, devant Marité et Sandra ainsi que des huit enfants et des vingt et un loups, car Marie avait fait sortir tout le monde devant la maison de sa tante.

Le maire assure à la mère des deux enfants.--Tu garderas tes terres, citoyenne, de même que la

forêt qui t'appartient. Comme j'ai appris ta présence par le citoyen gendarme que voici et ton fils, j'ai ramené ton dû, la solde que ton mari avait gagnée avant de mourir. Tu vas pouvoir t'acheter une maison au village, car le général Bonaparte a été généreux. Voici ce qui te revient, citoyenne, tu peux recompter, il y a exactement ce que le comptable des armées de la République avait demandé que tu reçoives.

Et l'homme de sortir de sa pelisse une assez grosse bourse de pièces d'or. Puis, se tournant vers Roberta, le maire, très courroucé, lui fait savoir.

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--Tu devras acquitter les dettes du mari de cette femme. Tu voulais voler ta sœur et son époux parti combattre pour la patrie et la République. La maréchaussée ici présente me rendra compte. Il est bien évident que Marie-Thérèse Castelnoux ne sera plus ennuyée par les hommes qui sont venus la menacer hier. Roberta, sois bien contente que cette histoire ne sorte pas du village, car en des temps encore récents, la justice serait passée et t'aurait condamnée à l'échafaud.

Bertrand s'enquiert auprès de sa tante.–Pourquoi as-tu voulu voler maman, tante Roberta ?

Jamais je n'aurais osé penser cela de toi. C'est comme si je volais Marie ou qu'elle me vole. Tu te rends compte !

Pas de réponse de la femme. Marie fait alors.--Peu importe, mon frère, justice sera rendue, car

« mes loups » n'ont pas soif de sang, mais de justice, c'est pourquoi je n'ai pas peur d'eux. Ceci dit, il est vrai que ni toi ni moi n'aurions pu nous voler l'un l'autre.

Sa mère rappelle pour couper la parole à sa fille.--Nous avons des achats à faire, Marie, il suffit. Ne te

montre pas intéressante.A la surprise de tous, Marie répond.--Maman, je te prie de m'excuser, je ne voulais en

aucune manière me montrer intéressante. Si à tes yeux, c'est ce que tu as cru, je te demande de me pardonner.

Les villageois ressortent peu à peu de chez eux, si bien que Marité se débarrasse des lapins, des poissons et des peaux avant de faire ses achats.

La petite troupe, composée des deux femmes, des huit enfants et des vingt et un loups, est de retour à la maison dans le milieu de l'après-midi, et Marie de parler avec douceur aux loups. --Merci de votre aide. Loup-Blanc est guéri, mais j'aimerais bien qu'il reste encore avec nous.

Les autres loups regagnent la forêt en courant alors que la petite fille leur fait un signe d'au-revoir de la main. Marité, entrée dans sa maison, conseille à Sandra.

--Dis aux enfants d'aller au soleil ou à l'ombre, comme ils voudront, mais je vais avoir besoin de toi sans qu'ils n'écoutent.

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--Comme tu voudras. Que vas-tu faire de tout cet argent ?

--Justement, j'ai besoin de toi pour y réfléchir, et les enfants n'ont pas à savoir ce que je déciderai. Thomas m'a demandé s'il pouvait conserver l'argent de la vente des peaux de lapins. Si je n'avais reçu cette bourse du citoyen maire, il n'aurait rien demandé, mais là, j'ai accepté. Ne le dispute pas. Je ne sais pas ce qu'il veut en faire, mais ne lui parle de rien.

Sandra, très en colère, s'étonne de ce qu'a osé faire le garçon.

--Thomas ! Mais pourquoi ?--C'est un brave petit gars. Il a coupé du bois bien

plus que je ne l'aurais fait, et, souviens-toi, il a fait face à un loup pour sauver les vies de Denis et Vivien au péril de la sienne.

Sandra est très contrariée et ne peut pas le cacher.Derrière la maison, le garçon dont il a été question

déclare alors que ses amies et amis sont à bronzer.--J'ai acheté des plumes d'oie, et l'encre et même du

papier. Bertrand, Marie, dès demain, Audrey et Marion pourront vous apprendre à lire et à écrire.

La petite fille vient faire la bise à Thomas alors qu'elle a ôté, comme souvent l'après-midi, sa robe. Bertrand, lui, n'ose pas parler, mais il est visiblement ému.

Les huit enfants se reposent de la longue marche pour aller et revenir du village et Marion s'endort même.

Avant la nuit, et alors que Denis, Vivien et Bertrand sont à la pêche, Sandra retient Thomas.

--J'ai à te parler, reste devant la maison.Le garçon fait observer à la jeune femme.--Tu as l'air toute drôle, Sandra, contrariée, on dirait.

Quelque chose ne va pas comme prévu ?--Oui, toi. Tu as gardé l'argent de la vente des peaux

de lapins. Cet argent appartient à Marité.Très calme, le garçon dément.--Non, celui-là était pour Bertrand et Marie.--Pardon !--Je vois que personne ne t'a rien dit, c'est bien, ainsi

la surprise a joué totalement. C'était le secret que je pensais hier. Voilà, j'ai acheté de quoi écrire pour Marie et Bertrand,

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plumes d'oie, encre et papier. Dès demain, Audrey et Marion leur apprendront. Et en plus, j'ai pu acheter du pain comme promis. Il y a autre chose ?

Sandra, toute surprise, serre le garçon contre elle et lui murmure.

--Tu as un cœur généreux, Thomas. Ils voulaient apprendre à lire et écrire. Toi, tu leur en donnes les moyens. Pardonne-moi, j'ai failli un moment douter de toi.

--C'est bien ce que je pensais. Maintenant que ton doute est levé, il faudrait peut-être essayer de rentrer.

--Et comment, s'il te plaît ?Thomas montre un large sourire avant de répliquer.--Justement, c'est toi notre monitrice, donc, à toi de

réfléchir, car tu vois, lapins et truites aux menus midi et soir, à la fin, ça devient lassant.

Et il éclate de rire, puis, redevenu calme, il assure la jeune femme très sérieusement.

--Nous reviendrons au vingtième siècle. Après tout, c'est encore mieux que la « colo », ici. Tu ne trouves pas, toi ? Allez, Sandra sois vraiment sincère.

Elle reconnaît à voix basse.--Je suis tout à fait de ton avis, Thomas, à condition

que ça ne dure pas non plus tout le temps, mais, ne le dis pas aux autres, ils croiraient que je suis devenue folle.

Le garçon réplique.--Nous serions déjà deux, ça me rassure.Puis le garçon met son doigt sur sa propre bouche

pour affirmer quelques instants plus tard.--Je ne sais déjà plus rien, promis. L'adolescent et la jeune femme se quittent. Sandra

entrant dans la maison de Marité.Thomas reconnaît intérieurement qu'il aurait dû

prévenir Sandra de son initiative de la matinée, mais, il voulait tellement faire plaisir à Bertrand et Marie qu'il n'en avait pas jugé l'utilité.

Audrey, arrivant près de son copain de lycée, questionne.

--Que te voulait Sandra ?--Au début, sûrement me disputer. Je lui ai donné des

explications et elle a été ravie ensuite. Elle croyait que j'avais

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gardé l'argent des peaux de lapins pour moi. Je me demande ce que j'en aurais fait. J'ai rendu le peu qui restait à Marité, mais il ne restait pas grand-chose. En tout cas, nous aurons du pain pendant deux ou trois jours.

La fille avoue.--S'il y avait les commodités pour tout et de quoi

manger normalement, je ne sais pas si je voudrais retourner d'où nous venons.

Thomas la regarde et questionne son amie.--Tu es sincère ? Même en sachant ce qui va se passer

dans quelques années ?Marion et Sabrina ont entendu et ouvrent de grands

yeux. Audrey reprend alors que Marie vient de rejoindre les trois filles et le garçon avec Loup-Blanc.

--Je suis sincère, Thomas. Nous pourrions cultiver cette terre, puisque les loups ne nous attaqueraient pas. Seulement, nous n'appartenons pas à cette époque. Déjà, cela fait plus d'une semaine que notre transfert dans ce monde s'est produit.

La fillette intervient pour faire savoir aux trois filles et à Thomas.

--Avant, maman disait qu'elle resterait pour attendre papa. Maintenant, il est mort, elle pourrait, et Bertrand et moi aussi, vous accompagner dans votre vie. Je n'aurais plus de crainte que mon frère soit soldat un jour, puisque vous n'avez pas de guerre chez vous.

Thomas pronostique avec regret.--Marie, votre maman à Bertrand et toi ne voudra pas,

et de plus, elle serait un peu perdue, le changement serait trop grand avec ce qu'elle connaît des jours actuels.

La petite reprend.--C'est vrai, Bertrand me l'avait déjà expliqué, et puis,

comme ils disent tous les deux, on ne peut pas changer la vie. Si le Bon Dieu a voulu nous voir à cette époque, c'est qu'il y a une raison.

Ils entendent Marité dans la maison.--Sandra, viens voir. J'ai trouvé un billet cacheté avec

de la cire au fond de la bourse.

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Les enfants se regardent avec surprise. Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Ce n'est pas logique, c'est ce que pensent les adolescents venus du vingtième siècle.

Dans la maison, un long silence suit les paroles de Marité puis ils entendent Sandra s'exprimer à voix haute pour la mère des deux plus jeunes enfants.

--Je lirai ce billet, ce soir à table. Heureusement que nous avons des chandelles. Bertrand et Marie doivent savoir de quoi il s'agit, et les « miens » aussi. Maintenant je comprends mieux la raison de cette énorme bourse.

Celles et ceux qui ont entendu se posent des questions mais aucun son de sort des bouches. Ils attendront ce que dira Sandra tout à l'heure.

Le soir, au cours du repas, il n'est nullement question que les adolescents parlent de ce qu'ils ont entendu un peu plus tôt. Ils attendront que Sandra leur annonce ce qu'il doivent savoir.

Juste après le dîner, la monitrice de la colonie de vacances prend la parole alors que Marion et Audrey allaient commencer à débarrasser ce qui restait sur la table.

--Restez tous à table. Marité m'a demandé de vous lire un message trouvé au fond de la bourse. Ce message lui est adressé, mais il est important. J'en ai pris connaissance tout à l'heure et je vais donc avoir l'honneur de vous le lire.

Denis doit avouer pour la jeune femme.--Pour que tu parles de cette manière, il faut que ce

soit très important, Sandra. Nous t'écoutons.La toute jeune femme prend sa respiration et

commence.--Citoyenne, ton soldat de mari n'est pas mort d'une

maladie, comme j'avais demandé qu'il en soit fait mention. Citoyenne, face aux Turcs, ton mari a donné sa vie pour sauver la mienne, et c'est pourquoi je te fais transmettre cette bourse. Tes enfants, citoyenne Marie-Thérèse, pourront être fiers de leur père, et plus tard, ils sauront que leur père a sauvé le général Bonaparte. Citoyenne, reçois mon salut et mon respect les plus sincères. Dès mon retour dans notre patrie, je ferai savoir au Directoire le courage de ton époux et je ferai davantage pour toi et tes enfants.

Sandra cesse de parler puis ajoute.

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--Et c'est signé Napoléon Bonaparte.Bertrand questionne à son tour.--Qu'est-ce que ça veut dire, tout ça ?Vivien est le premier à le renseigner.--Sans votre père, à Marie et toi, l'histoire de la

France n'aurait pas été celle que nous avons tous appris à l'école, puisque Bonaparte serait mort à la place de votre père. Vous devrez garder cela pour vous, mais vous serez fiers de votre père.

Marion réfléchit très vite pour elle seule. Tout se bouscule dans sa tête, et elle se sent un peu rassurée. Il est possible que Bertrand ne soit jamais soldat si Bonaparte tient sa promesse, mais, cela, elle ne le saura jamais.

Sandra fait revenir le silence après les paroles de Vivien.

--Vivien, s'il te plaît, Marité voudrait parler, et ce qu'elle doit annoncer est très important.

La femme dont il est question regarde la petite assemblée. Sandra lui murmure.

--Allez, courage, vas-y, dis-leur ce que tu as décidé toute seule tout à l'heure.

La mère des deux enfants se lève de table alors que le feu dans la cheminée chauffe bien la pièce et qu'une bougie se trouve au centre de la table familiale. Elle annonce doucement.

--Bertrand, Marie, mes enfants chéris, nous allons acheter une maison au village pour passer l'hiver. Pour les beaux jours, au printemps, nous reviendrons ici, car votre père a tellement travaillé pour cette maison qu'il en a laissé sa vie. Vous irez à l'école, car je veux des enfants qui soient plus instruits que moi. Voilà, pour ce soir, c'est tout. Il nous restera encore assez d'argent pour vivre, je vous le promets.

Bertrand paraît heureux et montre son premier sourire depuis qu'il a appris la mort de son père. Marie, par contre, reste imperturbable et pose simplement une question.

--Et les loups, que vont-ils devenir ?Sa mère répond logiquement.--Ils sont libres, « mon chaton ». Ils font ce qu'ils

veulent, et ce sera toujours ainsi. Rien ni personne ne pourra les commander.

--Ceux de la forêt, oui, mais, et Loup-Blanc ?

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Une sorte de malaise envahit la pièce. Marion tente de sauver la situation.

--C'est simple, Marie. Les autres gens ont des chiens de garde, vous trois vous aurez un loup de garde. Il n'est pas méchant et il t'obéit. Pardon, Loup-Blanc, il faudra te considérer comme un chien, même si tu n'en es pas un. Nous, nous savons que tu es un beau loup, mais pour les autres citoyens, tu seras un chien-loup, sinon, tu seras obligé de quitter Marie, Bertrand et leur maman.

Le jeune loup pose sa tête sur les genoux de Marion et ferme les yeux quelques secondes puis se couche ensuite aux pieds de Marie.

Thomas commente pour tout le monde.--Il a compris et accepte. Ce loup est très intelligent et

il comprend tout ce qu'on lui dit.La fillette va faire la bise à Marion avant de

reconnaître.--Maman, l'idée de Marion est encore la meilleure.

Thomas, dès la première fois que je l'ai vu, je savais que Loup-Blanc nous comprendrait, donc, son attitude ne me surprend pas.

Denis déclare alors avec méfiance. C'est vrai, pour lui, tout semble trop parfait.

--A mon avis, tout ça me paraît trop facile. Je ne sais pas pourquoi, mais je crois qu'il va se passer quelque chose que nous n'avons pas prévu. Il doit y avoir une chose à laquelle nous n'avons pas pensé ni les uns ni les autres, ce serait trop simple en cas contraire.

La réflexion de Denis n'est pas relevée, ce dont le garçon s'étonne tout de même.

Thomas questionne la maîtresse de maison.--Marité, il existe une maison libre et comme tu la

désirerais, au village ?La femme reconnaît mais avoue bien vite.--Oui, mais elle coûtera trop cher pour moi, et il faut

penser que je n'ai aucun travail là-bas. Les villageois m'en voudront peut-être d'avoir accusé ma sœur de voleuse. Pourtant, les gendarmes sont témoins de ma bonne foi.

Sandra ajoute comme pour rassurer.--Le citoyen maire également.

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Sabrina revient sur ce qui est le plus important à ses yeux.

--Le problème, c'est le travail.Audrey demande d'un seul coup.--Mais, Marité, tu sais lire parfaitement, il me

semble ?--Oui, naturellement. J'ai appris quand j'étais jeune,

en Bretagne, avant la Révolution de 1789.Audrey reprend aussitôt.--Dans ce cas, pourquoi ne dirais-tu pas au citoyen

maire que tu peux faire l'école au village ?--Il existe déjà un maître d'école, Audrey, et il

apprend aux enfants ce qui s'est passé depuis la Révolution. Moi, je ne saurais pas. Ici, dans la montagne, nous sommes loin de tout, et c'est pour cela que nous sommes venus ici, d'ailleurs.

Cela ne décourage pas Audrey.--Sans doute, mais ce maître ne peut pas apprendre à

tous. Toi, tu pourrais apprendre aux jeunes enfants. Le village est assez grand. Ce matin j'ai vu des enfants et je suis certaine que ceux-là ne savent ni lire, ni écrire.

Sabrina pense en elle-même que ça ne se passe pas si facilement que son amie le croit, mais elle ne veut rien dire qui pourrait décourager Marité, Marie et Bertrand.

La mère des deux enfants réfléchit puis décide.--J'irai voir les citoyens maire et maître d'école pour

savoir ce qu'ils en pensent, mais ils refuseront. Le village ne peut pas se payer deux maîtres d'école, et puis, le Commissaire de la République ne serait sûrement pas d'accord non plus. Nous étions venus ici pour nous faire oublier, ce qui ne serait plus le cas. L'autre idée aurait été de gagner la vallée, mais je ne veux pas abandonner cette maison, ne serait-ce qu'en souvenir de mon époux. Il s'appelait Louis.

Marion intervient pour couper court à une discussion qui n'aboutira pas ce soir.

--La nuit porte conseil. Allons nous coucher, ce sera plus sage pour ce soir. Moi, je suis fatiguée, et je ne suis pas la seule. Regardez donc, Marie dort à moitié.

Pourtant, Bertrand fait savoir à sa mère.

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--Maman, tu sais cultiver la terre, mais ici, à part le jardin, ce n'était guère possible à cause des loups. Si tu achètes une maison au village, tu auras la terre avec.

Marité se sent soulagée.--Bertrand, mon fils, tu es un sage. Ainsi, je n'aurai

rien à demander aux citoyens maire et maître d'école.Le garçon fixe sa mère et lâche.--Tante Roberta ne pourra pas te rembourser l'argent

qu'elle doit sans vendre sa maison, c'est sûr.--Ce qui veut dire, Bertrand ?Voyant sa mère prête à se fâcher, le jeune garçon

réplique simplement.

--Que Marion a raison, allons dormir.Toute la petite assemblée s'est rendue compte que

Bertrand avait failli fâcher sa mère. Marité en veut à sa sœur, mais pas au point de l'obliger à vendre sa maison au village, si elle peut faire autrement. Et puis, la mère des deux enfants, cette fois serait probablement rejetée du village. Il est préférable que ce soient les gendarmes ou le maire qui obligent Roberta à rembourser les créanciers qu'elle n'a pas payés.

La nuit est loin d'être paisible pour les habitants de la petite maison en bois et en terre, et, au matin, comble de malchance, il pleut assez fort lorsque Marité et Sandra se lèvent sans bruit pour s'habiller avant de passer dans la salle principale. Et là, stupeur ! Marie se trouve seule en compagnie de « son » loup. Sandra demande très vite.

--Marie, où sont les garçons ?La petite fille répond calmement.--Dans l'abri. Ils profitent de la pluie pour faire un

poulailler sur le sol. Ainsi, les poules pourront sortir seules et se nourrir elles-mêmes.

Marité fait savoir à sa fille.--Mais les loups vont les manger ! Je ne comprends

pas que ton frère n'ait pas réfléchi.La fillette, sûre d'elle, réplique.--Non, maman, les loups sont nos amis et ils savent

que ces poules sont à nous. Au fait, elles ont pondu, depuis l'autre fois, cela nous fait douze œufs, d'après Denis.

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--Mais pourquoi faire sortir les poules alors qu'il pleut si fort ?

Marie fixe Sandra qui vient de parler et répond en montrant un grand sourire.

--Parce que les vers de terre sortent aussi, Sandra. Eux aussi, ils aiment la pluie. Maman, j'espère que tu as bien caché l'argent de la bourse.

--Oui, « mon chaton », ne t'inquiète pas, et puis, ici, personne ne le volerait, de toute manière. Dis-moi, qui a allumé le feu, ce matin ?

--Vivien, il a pensé que ce serait plus agréable et il a eu raison. Avant, il avait demandé si ce pourrait être de la pluie d'orage, mais Bertrand a dit non.

Marité admet.--Ton frère avait raison, ce n'est pas de la pluie

d'orage, chérie, et puis, ici, on aurait entendu le tonnerre, comme à chaque fois que nous avons de l'orage.

Sandra remarque que les garçons venus avec elle de la colonie, ont plié les sacs de couchage comme chaque matin.

Il se passe un certain laps de temps avant que les trois dernières filles n'apparaissent à leur tout, et Sabrina de commenter en rejetant ses longs cheveux noirs en arrière.

--Je n'aime pas la pluie, cela me rappelle un assez mauvais souvenir.

Audrey, elle, questionne en arrivant dans la grande pièce.

--Et les garçons ?La jeune monitrice la renseigne. L'aînée des filles dit

ce qu'elle pense.--Ceux-là, ils bougent tout le temps. Pourtant,

Bertrand va devoir revenir, Marion et moi devons lui apprendre à mieux lire et écrire qu'il ne sait.

C'est seulement environ vingt minutes plus tard que les garçons sont de retour, bien mouillés. Thomas annonce en entrant.

--Heureusement que nous avons tous de quoi nous changer.

Et sur ces paroles, il commence à se dévêtir. Sandra commande.

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--Allez dans la chambre vous changer tous les quatre. Vous reviendrez ensuite faire sécher devant le feu les vêtements que vous portez. Ils sont, je te l'accorde, Thomas, particulièrement trempés.

Tous quatre obéissent aussitôt.Vers midi, car c'est de l'approximation puisque plus

aucune montre ne fonctionne depuis le second jour de leur transfert dans ce siècle, la pluie diminue puis cesse enfin, mais le ciel reste gris.

La journée est pénible pour les adolescents habitués à rester à l'air libre, mais, peu avant que la nuit ne tombe, Marité annonce.

--Le vent a changé. Demain il fera beau.Audrey, Marion et Sabrina montrent un beau sourire.

Vivien est assez content également mais commande.--Thomas, Denis, Bertrand, venez avec moi, on va

faire rentrer les poules pour la nuit.Ce qui est fait plus rapidement qu'ils ne pensaient

tous, les poules entrant d'elles-mêmes dans le poulailler.Une nouvelle nuit s'installe, et cette fois, tout le

monde dort parfaitement, mais il est vrai qu'ils ont veillé un peu plus tard que les autres soirs à la seule lueur du feu de l'âtre.

Lorsque au matin, Thomas ouvre la porte pour ensuite retirer le volet extérieur de la fenêtre, un soleil radieux se montre et Marie en est réveillée. La fillette ôte sa chemise de nuit sur place pour passer une robe et sortir de la maison. Elle prévient les trois garçons encore dans la pièce où elle a dormi.

--L'herbe est encore mouillée, mais c'est normal. Je vous laisse vous habiller. Je vais jusque l'abri avec Loup-Blanc pour ouvrir le poulailler. Nos poules vont être contentes de sortir et rentrer comme elles veulent.

De fait, les poules chantent et picorent une fois dans l'herbe entre l'abri et la petite maison.

Durant la matinée, Audrey et Marion font travailler Bertrand et la petite Marie, car, l'après-midi, les huit enfants ont décidé d'aller prendre le soleil.

Dès le déjeuner de mi-journée terminé, Thomas annonce naturellement aux deux adultes.

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--Je vais couper du bois pour le mettre dans l'abri à sécher pendant quelques jours.

Denis fait savoir.--Il ne reste que peu de poissons. Je vais à la pêche.Bertrand, lui, conseille à Vivien.--On devrait aller voir les collets, là-haut, près de la

grotte.Sandra devient folle.--Non, mais, ça va pas, vous autres ! Thomas, tu ne

peux aller seul, Denis non plus, d'ailleurs. Mais enfin, qu'est-ce qu'il vous arrive, d'un seul coup, à tous les quatre ?

Les garçons n'ont pas encore eu le temps de répondre, que Marion questionne Thomas.

--Tu me prêtes ta canne à pêche ?--Oui, va avec Denis, il sera moins seul et Sandra sera

contente.Audrey signale au garçon qui vient de donner son

accord à Marion.--Sabrina, Marie et moi allons avec toi, puisque

Sandra ne veut pas que tu ailles seul.--Entendu, mais il faudra faire attention quand je vous

le dirai.Sandra, encore surprise, s'enquiert.--Et moi, je fais quoi ?Les adolescents dont elle a la charge montrent un

large sourire. Marité est un peu amusée de voir la jeune femme totalement dépassée.

C'est Audrey qui réplique la première.

--Tu restes avec Marité au jardin, tu vas avec Marion et Denis à la pêche ou tu accompagnes Vivien et Bertrand voir les collets. Avoue que tu as le choix !

Les huit enfants présents éclatent de rire car Sandra a été stupéfaite de la réponse inattendue d'Audrey.

Marie, avant de partir avec Audrey, Sabrina et Thomas, suggère.

--On devrait prendre les deux cordes qui sont dans l'abri près du poulailler, on ne sait jamais.

Son frère qui l'a entendue, questionne.

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--Tu veux te pendre, citoyenne Marie ? Si c'est le cas, une corde suffirait, je t'assure.

Et le garçon de se moquer de sa petite sœur.La gamine rétorque d'un air sérieux.--Non. Tu riras moins ce soir, citoyen Bertrand, si ce

que je pense se produit.En chemin, Thomas demande à la plus jeune.--Pourquoi ces cordes, Marie ?La petite fille répond tout à fait sérieusement.--C'est mon secret, comme tu avais le tien avant de

partir au village, mais ce que je souhaite peut ne pas réussir.Les trois filles et Thomas vont jusque la forêt où

avaient été attaquées Marité et Sandra, puisque ces bois appartiennent à la mère de Marie et Bertrand. Audrey et Sabrina ont porté les deux cordes voulues par la petite fille née en 1790.

Pendant que le garçon attaque des arbres avec sa hache, les trois filles se tiennent hors de portée de ceux-ci.

Au bout d'une heure, Thomas, torse-nu et en sueur, a abattu trois arbres à présent sur le sol. Marie commande alors.

--C'est suffisant pour aujourd'hui, Thomas. Prends un peu de repos, après il faudra couper des branches, mais pas toutes.

Le garçon, assis sur un tronc, s'étonne.--Comment ça, pas toutes !Marie reprend en s'asseyant près de lui.--Non, il faudrait laisser une grosse branche de

chaque côté de chaque arbre.Audrey et Sabrina se regardent avec surprise. Elles ne

voient pas où veut en venir la benjamine qui conseille.--Thomas, tu devrais remettre quelque chose sur toi,

tu vas te refroidir et tu pourrais être malade comme l'avait été maman. Après, tu boiras, j'ai emmené de l'eau en partant de la maison, ça te fera du bien.

Thomas caresse les cheveux de la petite et lui répond.--Je vais t'obéir, mais j'ai eu chaud pour abattre ces

arbres. Pour l'eau, ce n'est pas de refus. Je ne sais pas ce que tu veux faire exactement mais je sais que demain, il faudra l'aide de Vivien, Denis et ton frère pour ramener les grosses branches coupées. Seul, je n'y arriverai pas.

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Au bout d'un quart d'heure environ, le garçon se remet au travail et coupe les branches comme a demandé Marie, sans même lui demander pour quelle raison. S'il ne tenait qu'à lui, il les couperait toutes. Marie a bien insisté pour qu'il laisse les plus grosses en place. Thomas demande pour être sûr.

--Je fais pareil pour les trois arbres ?--Oui, s'il te plaît.Ce travail terminé, Marie questionne à son tour.--Thomas, tu pourrais attacher chaque corde à la plus

grosse branche de chaque côté du premier arbre, s'il te plaît ? Moi, je n'ai pas la force pour faire des nœuds

Le garçon obéit puis émonde en partie l'arbre en question avant de demander rapidement.

--Et maintenant, que fait-on ?La fillette, toute contente, réplique naturellement.--Nous, rien.Puis, caressant Loup-Blanc, lui parle tranquillement.--Demande aux autres loups de venir. Nous avons

besoin d'eux et je ne peux pas crier assez fort pour qu'ils m'entendent, alors qu'ils entendront tes hurlements.

Après les hurlements du jeune loup, une meute de ses congénères se précipite et s'arrête à deux ou trois mètres au plus de la petite fille, face à elle. La gamine déclare alors.

--Vous autres, prenez cette corde-ci dans votre gueule, mais ne la coupez pas avec vos dents. Vous, ceux qui sont du côté du grand loup gris, allez de l'autre côté et faites pareil avec l'autre corde. Voilà, comme ça, et maintenant, montrez-nous votre force. Il faut ramener cet arbre près de l'abri de notre maison. Maintenant, tirez tous. Audrey, Sabrina, Thomas, poussez par le bas du tronc.

Les trois adolescents qui avaient d'abord eu peur à l'arrivée des loups qui couraient vers eux pour stopper net devant Marie, obéissent sans rien dire. Ils parleront plus tard. Cette petite fille se fait obéir par des animaux parfois plus grands qu'elle.

Thomas ne cherche même plus à comprendre, mais il se dit que personne ne pourrait le croire s'il disait un jour ce qu'il voit en ce moment.

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Il faut moins d'une demi-heure pour que l'arbre soit près de l'abri. Heureuse, Marie caresse les loups un à un en les flattant.

--Vous avez bien travaillé, mais il faut encore remonter les deux autres arbres abattus par Thomas. Vous voulez bien ? Sinon, ce sera pour demain. Je sais que je pourrai compter sur vous tous. Vous comprenez, ce bois, une fois fendu, permettra à maman de chauffer la maison quand il fera encore plus froid que maintenant, et puis, une fois à l'abri, il pourra sécher en attendant d'être brûlé. Les loups lâchent les cordes mais ne bougent pas, et Thomas peut défaire les nœuds faits aux branches. Sabrina et Audrey ont compris et s'emparent des cordes pour repartir, suivies de Thomas, Marie et de la meute entière des loups.

Il se reproduit plusieurs fois le même phénomène, si bien qu'avant la nuit, les trois arbres abattus et les branches coupées ont été tirés près de l'abri. Marie s'agenouille devant les loups qui l'entourent pour leur parler.

--Merci, vous êtes vraiment gentils, mais c'est normal, vous êtes mes amis. Pourtant, je vous assure, si vous mangez nos poules, je serai très fâchée contre vous et je ne pourrai plus vous faire confiance.

A quelques mètres, assis dans l'herbe, Audrey, Sabrina et Thomas n'en reviennent pas de l'assurance de la fillette face à tous ces loups énormes et ils n'osent même pas parler entre eux. Thomas est complètement « fou » d'avoir vu une chose pareille. Sabrina et Audrey regrettent vraiment de ne pas posséder le moindre appareil photo avec elles pour être sûres qu'elles n'ont pas rêvé.

Les loups ont écouté sagement les paroles de la petite fille qui passe au milieu d'eux pour ne plus être entourée.

C'est sans doute le signal qu'ils attendaient, car, en quelques secondes, toute la meute s'éloigne en courant vers la forêt surplombant la maison de Marité et ses enfants.

Sur le pas de la porte, époustouflés, Vivien, Denis, Bertrand, Sandra et Marité ne savent plus quoi dire. Vivien questionne tout de même étonné.

--Qu'est-ce que c'est que ça !Souriant, Thomas lui rétorque.

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--C'est une idée géniale de Marie. Nous, il nous aurait fallu débiter tous ces arbres sur place. Marie s'est servie des loups comme de chiens de traîneaux. Demain, j'aurai besoin de votre aide pour couper les troncs et les branches, mais ce soir, j'en ai assez. Et vous, la pêche et la chasse ?

Denis annonce les prises.--Cinq lapins et huit truites, dont quatre par Marion.

Notre Marion m'a épatée, aujourd'hui.La fille dont il est fait mention a le sourire et réplique.--Quand Denis m'a expliqué comment faire, c'était

plus facile. Demain, pendant que vous couperez les arbres, Audrey, Sabrina et moi, nous irons de nouveau pêcher.

Sandra s'approche suivie de Marité et pose de nouveau la question.

--Thomas, Audrey, Sabrina, c'est vrai que les loups ont tiré les arbres ?

Sabrina devance ses deux amis.--C'est tout ce qu'il y a de vrai, Sandra. Nous trois

nous avons été surpris, et même, il faut bien avouer, un peu effrayés quand ils sont arrivés la première fois, mais Marie parle à ces loups comme à des humains, et ils la comprennent. Les loups tiraient les deux cordes. Nous, on poussait un peu, c'est tout, mais sans les loups, les arbres n'auraient pas pu être bougés, c'est une certitude, en tout cas.

Thomas ajoute après la fille aux cheveux noirs.--C'était impressionnant, certains loups étaient plus

grands que Marie, et s'ils nous avaient attaqués...La fillette se défend.--Moi, sans Loup-Blanc, je n'aurais rien pu faire, c'est

lui qui les a appelés pour qu'ils nous aident. Bon, c'est vrai, je le lui avais demandé, mais je ne pensais pas qu'ils viendraient aussi nombreux.

Marité se baisse devant sa fille et interroge.--Mais, « mon chaton », comment ces animaux qui

sont si féroces peuvent-ils t'obéir ? Tu es petite, et un simple coup de patte de l'un d'eux pourrait te tuer.

--Oui, maman, je sais, mais pourquoi est-ce qu'ils voudraient me tuer ? Je ne leur ai rien fait de mal, n'est-ce pas, Loup-Blanc ?

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Le loup blanc pose sa tête contre une jambe de l'enfant qui le caresse d'une main.

Marité laisse échapper.--Je n'arrive pas à comprendre pourquoi.Les yeux dans ceux de sa mère, la petite fille

réplique.--Moi, si, maman. Je n'ai pas voulu tuer Loup-Blanc.

Je lui ai parlé. Je lui ai donné de quoi manger. J'ai retiré ses épines enfoncées dans sa patte blessée. Il nous a adoptés et je ne le quitterai pas, même pour aller à l'école.

Son frère s'en mêle.--Marie, ce sera impossible. Il va grossir. Il fera peur

aux autres enfants et aux villageois.Les yeux perçants de Marie paraissent en colère, et la

petite fille n'hésite pas à répondre.--Bertrand, Loup-Blanc est mon ami. Il sera là pour

me protéger, que tu sois content ou non.Sandra, voyant que la petite s'entête, décide.--Nous en reparlerons plus tard. Rentrons à la maison.Cette fois, tout le monde obéit sans discuter.Le repas du soir est silencieux à cause de la fatigue

des enfants. Et, de fait, cette nuit là, ils s'endorment très rapidement. Il a même fallu que Bertrand et Denis déshabillent Marie pour lui passer sa chemise de nuit, car la benjamine s'était endormie aussitôt la table quittée et le matelas posé sur le sol de la grande pièce.

Un nouveau matin arrive. Marité a décidé de descendre au village avec Sandra, mais sans qu'aucun des enfants ne soit avec elles deux. Cette annonce ne plaît pas du tout aux garçons ni à Audrey qui déclare.

--Il faudrait que Bertrand et l'un des trois autres aillent avec vous. Moi, je n'ai pas confiance.

Vivien annonce contre l'avis des deux femmes.--Bertrand, prends ton arc et tes flèches, tu viens avec

moi. Nous allons avec ta mère et Sandra. Audrey a souvent raison, et cette fois, je suis bien d'accord avec elle.

Les deux femmes ne peuvent rien dire car elles savent que de toute façon elles ne seraient pas écoutées, les enfants ne voulant pas les laisser aller seules au village.

Thomas murmure à Vivien.

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--On suivra de loin, sans nous montrer, si ce n'est pas nécessaire.

L'autre copain acquiesce légèrement de la tête.Bertrand se sachant du « voyage », déclare à sa mère.--On en profitera pour regarder si une maison n'est

pas vide et que tu pourrais acheter.La femme fait savoir à son fils.--J'y vais pour cela, Bertrand.Aussitôt, le jeune garçon annonce.--Alors, il faut tous y aller.Et sur ce, il fait part de la décision à sa mère,

approuvé qu'il est par les autres enfants. Si bien que c'est encore une fois toute la maisonnée qui descend au village, mais cette fois, Loup-Blanc est le seul loup à les accompagner.

A mi-chemin, Marion fait arrêter tout le monde.--Nous devons revenir à la maison. J'ai repensé à ce

qu'a dit Vivien l'autre jour. Ce serait trop simple. Quelque chose ne va pas. Il est possible que les gendarmes nous attendent à l'entrée du village. Notre venue avec les loups n'a pas été appréciée du tout.

Denis semble du même avis et les deux femmes hésitent un moment, mais les grondements sourds de Loup-Blanc donnent raison à Marion. Il semble qu'on les attende exactement comme le pensait la fille aux cheveux courts, juste avant l'entrée du village. Les gendarmes à cheval viennent vers le petit groupe, mais la présence soudaine des loups à quelques centaines de mètres fait peur aux chevaux qui, pris de panique, désarçonnent les cavaliers.

Thomas se doit d'avouer.--Marion avait raison, demi-tour par la forêt,

personne n'osera nous y suivre, et nous, nous ne craignons rien des loups.

D'ailleurs, durant près d'une heure, les loups escortent le petit groupe et ils s'éloignent uniquement lorsque la petite maison est enfin en vue.

Une fois dans la maison, Vivien déclare en posant son arc.

--C'est plus grave que je ne pensais. Il nous sera à présent impossible de retourner au village. Marité se ferait arrêter et peut-être Sandra aussi.

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Thomas acquiesce de la tête, puis.--Nous pouvons manger avec ce que nous prenons,

lapins et poissons, mais Marité, Bertrand et Marie devront se rendre au village un jour ou l'autre. Il faut nous faire oublier. Après-midi, nous autres, nous nous occuperons des arbres ramenés hier. Les filles, vous irez là-haut, près de notre cabane. Il est préférable que vous ne restiez pas ici.

Audrey et Marion sont tout de suite d'accord, et juste après le repas, les quatre filles remontent vers la cabane bâtie le premier jour de leur transfert dans ce monde assez particulier.

Les quatre garçons s'attaquent, quant à eux, aux trois arbres ramenés par les loups la veille.

Les filles, une fois près de la cabane, et les deux matelas qui restaient, sortis et posés côte à côte sur l'herbe, remarquent le silence qui règne dans le haut de la plaine. Là, c'est certain, personne ne viendra les chercher à cet endroit. Audrey, toute souriante, annonce.

--Tenues libres pour celles qui veulent. Après tout, Marie ne s'occupe pas de nous et fait comme elle a envie depuis plusieurs jours et personne ne dit rien, alors, pourquoi nous ne l'imiterions pas aujourd'hui ?

Sabrina fait savoir à ses amies.--Faites comme vous voulez, moi, je pêche. J'ai

emprunté la canne de Denis. Sur l'un des matelas, l'aînée des quatre questionne peu

après la réplique de Sabrina.--Marion, comment as-tu pu savoir pour ce matin, que

les gendarmes nous attendaient ?--Une intuition, et puis, j'ai vu, lorsque Sandra a

déplié le message de Bonaparte pour le lire. Le cachet n'était pas celui de Bonaparte, et après, la signature non plus. De plus, Vivien paraissait douter que tout se passerait si facilement, c'est pourquoi j'ai dit de ne pas aller plus loin. J'explique, mon père a tous les bouquins possibles sur Bonaparte, et des reproductions y sont insérées. Il ne signait pas ainsi, et ce n'était pas le cachet de l'armée d’Égypte.

Audrey interroge avec de la crainte dans la voix.--Tu en es certaine ?Marion est catégorique.

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--Aussi certaine que nous sommes seules ici en ce moment ma chère Audrey, et j'y ai réfléchi durant tout le trajet avant d'arrêter Marité et Sandra. On a voulu leur tendre un piège.

Sabrina, sans se retourner, donne son avis.--Pour moi, la seule solution pour Marité, Bertrand et

Marie serait de passer en Espagne, sinon, Marité aura toujours les gendarmes à sa poursuite, à cause des loups qui étaient venus avec nous l'autre fois, devant chez Roberta. Je dis la seule solution possible, puisque Marité ne veut absolument pas nous accompagner au vingtième siècle.

Audrey reconnaît que son amie n'a pas tort.--Je n'y avais pas pensé. Il faudra en parler ce soir au

cours du dîner. Les garçons seront à coup sûr de ton avis, Sabrina.

Marion doute pourtant.--Marité n'acceptera jamais de passer en Espagne. Il

ne faut pas oublier que nous sommes au dix-huitième siècle et non pas au vingtième. Les réactions sont donc différentes et on ne passe pas comme à notre époque les frontières. Et même si Marité acceptait, il resterait un important problème, à mon avis. L'argent de Marité ne pourrait pas servir en Espagne, puisque c'est de l'argent français.

--Et hop, en voilà une !Effectivement, Sabrina vient de sortir une belle truite

de la rivière. Marion, qui a vu, d'interroger.--Mais combien y-a-t-il donc de truites dans cette

rivière ? C'est vrai, c'est incroyable, avec tout ce qui a été pêché depuis que nous sommes arrivés, il en reste encore !

Audrey rétorque en riant.--Dieu seul le sait, Marion.Sabrina fait remarquer en décrochant la truite au-

dessus de l'herbe.--N'empêche, le Bon Dieu, en ce moment, il voit vos

fesses à toutes les trois.Marion questionne le fille aux longs cheveux noirs.--Serait-ce une critique de ta part, Sabrina ? Tu es en

désaccord avec l'idée d'Audrey ? La réponse fuse vite.

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--Non, Marion, chacun est libre de faire comme il lui plaît, et c'est grâce à ça que nous sommes amies et que les garçons sont également nos amis, et puis, il me semble que depuis quelques jours, nous avons pris un certain nombre de bains ensemble, alors, je ne vois pas pour quelle raison je devrais vous critiquer, mais, faites tout de même attention au soleil, il est fort.

Au bout d'environ une heure après leur installation, Audrey et Marion passent de nouveau les slips de bain et Marie enfile sa robe. La benjamine des quatre filles annonce tranquillement.

--Maman n'ira pas en Espagne car notre maison est ici et notre pays c'est la France. De toute façon, je n'irais pas, il faudrait laisser Loup-Blanc, et je ne veux pas. Comme j'ai déjà dit à Bertrand, Loup-Blanc est mon ami.

Pour les trois plus grandes c'est l'impasse à la solution proposée par Sabrina. Marie n'est pas prête à céder quoi que ce soit.

Sabrina regarde Marie et le jeune loup puis avoue à la fillette.

--Un jour, il partira tout seul. Un loup n'est pas un chien. Il rejoindra les autres, Marie, et de toute façon, à la venue de l'hiver, il sera impossible à ta maman de rester là, il y a trop de neige. Chaque hiver vous alliez au village, ce sera encore la même chose la prochaine fois.

La petite fille ne s'en laisse pas compter pour autant.--C'est vrai, mais, cette fois, tante Roberta ne voudra

plus. Il faudra que maman trouve une autre maison. En attendant, on devrait rentrer.

Marion se rhabille entièrement la première puis émet.--Audrey, Sabrina, les matelas doivent être ramenés

dans la cabane. Au moins, s'il pleut de nouveau, ils seront à l'abri.

Les quatre filles redescendent tranquillement la plaine qui mène à la petite maison isolée. Sabrina revient avec trois truites, ce dont elle n'est pas peu fière pour son coup d'essai.

Au retour près de la maison, Sabrina demande.--Sandra, où je mets les trois truites que j'ai prises ?Pas étonnée du tout, elle en a vu d'autres depuis sa

venue au dix-huitième siècle, la jeune monitrice réplique.

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--Donne, on les mangera ce soir. Au fait, les loups n'ont pas mangé les poules, mais elles vont dans le jardin et Marité doit les surveiller pour les empêcher de tout picorer.

Audrey entre avec Sandra dans la maison et après s'être assise face à la monitrice, l'adolescente commence.

--Sandra, je crois avoir trouvé un moyen pour éviter des problèmes à Marité et ses enfants quand ils voudront se rendre au village.

--Tu crois avoir trouvé !--Oui, mais je veux ton avis d'abord.--Je t'écoute.--Voilà, l'autre soir tu nous as lu le message de

Bonaparte. Si le maire et les gendarmes en prenaient connaissance, Marité n'aurait plus jamais d'ennuis. Je vois mal des gendarmes ou le maire d'un petit village des Pyrénées s'opposer au général en chef des armées françaises en Égypte

Sandra admet avec des restrictions.--Oui, c'est certain, mais je me rappelle que le

message demande que la vérité ne soit pas connue par quelqu'un d'autre que la famille de Marité, donc ses deux enfants et c'est tout.

Audrey s'attendait à cette réponse de Sandra. Elle riposte.

--Justement, ça, ça ne va pas.--Que veux-tu dire ?Audrey explique volontiers.--Que Bonaparte n'a jamais écrit ce billet. Marion

nous en a fait la démonstration tout à l'heure près de notre cabane. Le cachet n'est pas le bon, et elle dit que Bonaparte n'a pas non plus une pareille signature. De plus, pourquoi donc Bonaparte demanderait-il le secret absolu alors qu'il a écrit qu'il fera tout pour Marité et ses enfants une fois de retour en France ? Marion dit que ce n'est pas logique, et là, tu vois, je ne peux pas la contredire, car le contraire serait tout ce qu'il y a d'illogique. Nous, nous savons l'histoire de France de cette époque. Je ne pense pas que Napoléon ait passé quoi que ce soit sous silence. Je suis entièrement d'accord avec le raisonnement de Marion.

--Comment sait-elle tout cela ?

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--Par son père. Cherche pas plus loin pour le moment. Marion ne dit pas n'importe quoi, tu le sais aussi bien que moi. Sabrina et moi avons été convaincues par les paroles de Marion. Conclusion, ce billet est faux, mais Marité et Bertrand ne doivent jamais le savoir.

Sandra fait remarquer à l'aînée des filles.--Mais, Marie était avec vous !--Oui, c'est juste, mais elle jouait avec Loup-Blanc et

n'a pas entendu Marion. Tu as encore ce message sur toi ?--Non, le billet était adressé à Marité, je te signale, je

le lui ai donc rendu.--C'est logique. Si c'est un faux, ce que Marion,

Sabrina et moi pensons, le maire l'a fait lui-même pour une raison qui nous est inconnue, mais il ne peut le dire à personne, car les gendarmes, qu'il soit maire ou pas, n'hésiteraient pas à le présenter à la justice. Et tu sais ce que signifie la justice à cette époque, elle est plutôt expéditive, depuis la Révolution. Donc, il faut faire comme s'il était authentique. Demain, Marité le prendra avec elle et nous irons au village comme nous aurions dû ce matin. Les gendarmes, eux, nous fouilleront, même Marité et toi, et ils trouveront le message, vrai ou faux, mais pour eux il sera vrai. Crois-moi, avec ça, ils nous laisseront tranquilles ensuite. De toute façon, même si c'est un faux et que le maire le sache, il ne pourra rien dire, ce serait se trahir lui-même.

Sandra réfléchit en silence. Les propos d'Audrey l'ont ébranlée. Elle finit par avouer.

--Ce serait une solution, mais je crains que les loups de Marie n'interviennent pour essayer de nous libérer des gendarmes avant même que nous ayons été tous fouillés.

Les garçons entrant dans la maison alors que Sandra terminait sa phrase, Vivien demande.

--On peut savoir de quoi il s'agit ?Audrey résume son idée en omettant cependant

d'annoncer que le message est probablement faux, puisque Bertrand est là, lui aussi Thomas affirme.

--Les loups empêcheront qui que ce soit de nous approcher. A mon avis, pour éviter un carnage, il vaut mieux renoncer à cette solution. Si les gendarmes ont le malheur de nous toucher, il risque d'y avoir beaucoup de sang, et je

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n'aimerais pas voir des loups en colère, surtout avec le nombre qu'ils sont. En plus, il faut se dire que Marité, Bertrand et Marie seraient accusés d'avoir utilisé les loups pour se défendre contre les gendarmes. Vu les jours que nous vivons, il ne vaut mieux pas chercher à faire fonctionner la guillotine.

Puis le garçon change de sujet.--Qui a pêché les trois truites ?Pour lui, cela signifie que la précédente affaire est

classée et que personne n'y reviendra plus.Audrey renseigne le garçon qui porte toujours sa

hache.--C'est Sabrina, pendant que Marion et moi restions à

bronzer sur les deux matelas que nous avions sortis de la cabane.

Denis s'étonne de la réponse.--Sabrina aussi ! Mais alors, Audrey, tu es la seule à

ne pas avoir pêché !La fille, à qui Denis s'adressait, réplique.--C'est vrai, Denis, mais il est quand même possible

que j'aie besoin de me confesser.--Explique-nous.--Non, plus tard, peut-être. De toute manière, vous

n'avez pas à savoir, cela ne vous concerne pas.Bertrand rassure la fille aux cheveux blonds comme

ceux de sa sœur.--C'est juste, Audrey, nous n'avons pas à savoir, tu as

raison, mais il me semble qu'aujourd'hui, Marion et toi avez oublié de nous donner les cours comme hier.

L'adolescente se sent fautive et propose.--Tu veux maintenant !--Oui, mes mains sont lavées. J'appelle Marie et

Marion.Très rapidement, les « professeurs » et les élèves sont

au travail pendant qu'il fait encore bien jour.Au cours du dîner, Denis s'arrête de manger pour

prévenir.--Nous irons demain au village, et nous irons tous,

c'est à dire avec les loups.--Avec les loups !--Oh oui ! Ce sera bien !

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Marité s'était étonnée de l'idée de Denis, mais la petite fille se trouve encore enthousiasmée par cette idée. Thomas propose.

--Il suffit de voter. Que ceux et celles qui veulent que les loups nous accompagnent lèvent une main.

Tous les enfants lèvent une main, sauf Marie qui lève les deux. Sandra, pas mécontente du tout de ce vote, admet.

--Marité, les loups devront venir avec nous, il semble que la majorité désire la présence des loups, et, sincèrement, je crois que les enfants n'ont pas tort. Marie, Thomas avait dit une seule main, pas les deux.

--C'était pour être plus certaine.--Ce n'était pas la peine, Marie, moi je me doutais du

résultat de ce vote, et Thomas aussi, sinon, comme je le connais, il ne l'aurait pas proposé. Au fait, vous avez de bons professeurs, Bertrand et toi ?

Le garçon, ravi, réplique avant sa sœur.--Oui Sandra, elles ont de la patience et savent nous

expliquer avec des nouveaux mots que je ne connaissais pas, et nous comprenons bien mieux qu'à l'école du village. Mais, dis, pourquoi les mots sont différents de ceux de maintenant ?

Sandra, un peu troublée par la question, demande.--Comme lesquels, Bertrand ?--Ben, par exemple : « fais gaffe à pas renverser

l'encre » ou «  noircir du papier pour rien », et j'en oublie.Sandra fixe les deux apprenties professeurs alors que

les trois garçons et Sabrina ne se privent pas de rire. La monitrice se reprend bien, et, sérieusement, explique.

--Ce sont des mots de notre siècle, donc, à ne pas employer quand vous irez à l'école du village.

Puis, se tournant vers la fille aux cheveux courts, reprend.

--Marion, tu devrais faire attention pour parler.Audrey défend son amie.--Non, Sandra, ce n'est pas Marion mais moi, pour

m'amuser un peu. Je leur ai dit aussi de ne pas utiliser ces expressions car ils ne seraient pas compris du tout.

Vivien s'étonne tout de même.--Toi ! Audrey ! Je n'aurais jamais pensé !La fille réplique sourire aux lèvres.

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--Mon cher, j'ai beaucoup changé, ici.Sabrina avoue tout en pensant à ce qui s'est passé

durant l'après-midi près de la cabane.--Là, c'est vrai, mais je n'ai rien à vous dire de plus.Audrey et Marion se sentent beaucoup mieux. Leur

amie n'a pas parlé davantage. Marie, qui a vu le malaise des deux plus grandes devenues ses amies comme Sabrina, déclare tout net.

--On devrait se coucher, si nous devons nous rendre demain au village. Il est quand même loin et nous serons fatigués pour revenir.

L'idée de la plus petite est adoptée et en moins d'une heure, c'est le silence total dans la maison endormie.

8

Au lever du lendemain matin, il règne un silence inhabituel, et, lorsque Denis ouvre la porte donnant au-dehors afin de retirer ensuite le volet extérieur, Thomas ayant ôté celui qui se trouve à l'intérieur de la maison sur la fenêtre, il annonce tout content.

--Nous pouvions dormir en paix, venez voir.Les trois autres garçons et Marie qui, elle, se trouve

encore en chemise de nuit, rejoignent Denis. Devant eux, à dix mètres de la maison, le dos tourné vers cette dernière, des loups sont assis à quelques mètres les uns des autres en arc de

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cercle, comme pour protéger la petite maison. Seul le côté chambre de Marité n'a pas de loups devant lui. Il est vrai aussi que personne ne pourrait venir de ce côté, puisqu'il est situé vers la montagne.

Thomas prédit malgré tout.--Ils ont sûrement mangé les poules.Marie, pieds-nus, marche dans l'herbe, Loup-Blanc à

son côté. La petite fille caresse un premier loup en disant.--Merci de veiller sur nous, mais ne partez pas très

loin, nous devons aller au village. Tu sais que toi, grand loup gris, tu pourrais me manger avec tes grandes dents, mais au contraire, toi et les tiens, comme dit Audrey, êtes là pour nous protéger. Au fait, pourquoi êtes-vous là ce matin, tu peux me dire ?

Bertrand est rentré dans la maison et se fait discret.Dehors, le loup à qui parle la fillette la regarde puis

ses yeux vont lentement vers le bas de la prairie, juste à côté de la forêt où Thomas avait coupé les trois arbres. Après quoi, l'animal émet un grognement particulier.

Vivien renseigne Thomas et Denis.--Des gens ont voulu approcher de la maison cette

nuit, et les loups sont venus aussitôt pour les empêcher d'approcher davantage. Ces gens ne nous voulaient probablement pas du bien.

--Tu crois ? La gamine, après avoir caressé deux autres loups,

revient vers la maison et approuve.--Oui, Thomas, Vivien a raison. Quelqu'un nous veut

du mal, je crois aussi.Denis de déclarer alors.--Dans ce cas, il est plus que temps d'aller au village.

Mais, bon sang, avec de telles photographies, nous ne passerions pas inaperçus à notre retour.

Bertrand veut en savoir plus.--Qu'est une photographie ?Thomas tente d'expliquer à sa manière au jeune

garçon.--C'est comme un dessin d'une chose à un moment

précis, Bertrand, mais c'est plus compliqué et plus rapide qu'un dessin.

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Le jeune garçon entre de nouveau dans la pièce et revient avec un papier enroulé pour demander.

--Ce serait comme ce que j'ai fait, mais en plus vrai ?Denis, Vivien et Thomas déroulent le papier et restent

stupéfaits. Bertrand, à la plume d'oie et à l'encre, a dessiné plusieurs loups de dos, la forêt en contrebas et sa sœur en train de caresser le grand loup gris à qui elle parlait. Denis questionne.

--Mais quand as-tu fait ce dessin ?--Pendant que vous regardiez tous.Denis est émerveillé et le fait savoir au jeune garçon.--C'est magnifique, Bertrand, tu sais très bien

dessiner. Tu es un artiste. Il faut absolument que tu ailles à l'école.

Peu après, les deux femmes et les trois filles qui dormaient dans la chambre peuvent voir à leur tour le dessin. Admirative, Sabrina avoue en faisant la bise au garçon.

--Il est beau, ce dessin, garde-le toujours, Bertrand.Le frère de Marie rougit un peu. Il n'a pas l'habitude

que les filles venues du futur lui fassent la bise. De la part de Sabrina, ce doit être la seconde fois, pas plus.

Marie s'est bien aperçue mais ne dit rien, se contentant de faire également la bise à son frère. Elle se sent fière de lui. Il a étonné les enfants qui sont plus instruits que lui, et pour la petite fille, c'est une sorte de victoire intérieure.

Le garçon a compris en regardant les yeux brillants de contentement de la petite sœur. Il lui caresse les cheveux en souriant.

Sandra rappelle tout le monde à l'ordre.--Les garçons, allez vous laver, nous devons nous

rendre au village. Audrey, tu prends un bain dans le baquet, ce matin ?

--Oui, avec Marie, et nous serons bien gardées par les loups. Personne ne pourra approcher.

--Comment ça ?--Mais, Sandra, tu n'as pas regardé dehors ?--Non, j'ai juste regardé le dessin de Bertrand. Qu'y-a-

t-il donc à voir de spécial ?Les adolescents restent stupéfaits et c'est Thomas qui

déclare le premier.

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--Sandra, le dessin, Bertrand l'a fait ce matin, après que nous ayons ouvert la porte et quand Marie est sortie.

--Pardon !--Oui, comment aurait-il pu le faire autrement ?La monitrice passe la tête par la porte et voit les loups

regroupés un peu au-dessus de la maison, couchés dans l'herbe, calmement.

Denis doit tout expliquer à Sandra qui a du mal à croire ce qu'elle voit et entend depuis quelques jours.

L'eau a été amenée dans le baquet de l'abri et, alors qu'elle vient juste de rentrer dans l'eau, Audrey en ressort et déclare à Marion et Sabrina qui se trouvaient encore là.

--J'ai trouvé la solution. Vous et moi, nous irons au village à cheval sur trois loups et nous dirons que nous disparaîtrons si les villageois acceptent parmi eux Marité, Marie et Bertrand. Je suis sûre que ça marchera.

Marion rétorque sans avoir écouté.--Audrey, tu sais que tu es nue et que les garçons

pourraient te voir en ce moment ?L'aînée des filles réplique.--Peu importe, Marion. Ecoutez, nous avons été

transportés ici pour une raison. Au début nous ne comprenions pas pourquoi. Maintenant, oui, pour aider Marité et ses enfants, et nous devons y parvenir. Quand nous allons aller au village, nous promettrons donc à tous ces gens que les loups ne redescendront plus leur faire peur. Il est nécessaire que la faute de l'apparition des loups soit portée sur nous, pas sur Marie, son frère ou sa mère. Bon, maintenant je me sèche et je m'habille.

Sabrina constate pour la fille aux cheveux blonds.--C'est pourtant vrai, que tu as changé, toi !Marion annonce tout naturellement.--Je vais dans l'eau à ta place, tu n'y es pas restée

longtemps. Autant que j'en profite pendant que l'eau est encore un peu chaude.

Audrey se fâche contre ses amies.--Toutes les deux, vous n'avez rien écouté de ce que

je vous disais. Vous avez juste regardé que je restais nue hors du baquet à vous parler. Il faut vous réveiller, vous deux. Marie, je vais t'essuyer à ton tour, sors.

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Ce que fait la fillette, laissant ainsi la place à Marion et Sabrina.

Une demi-heure plus tard, les quatre filles sont de nouveau vêtues et sortent de l'abri pour vider le baquet d'eau à présent presque froide.

En regagnant la maison, Audrey déclare.--Je me moque que les garçons aient pu me voir tout à

l'heure, si cela peut permettre à Marité et ses enfants de vivre en paix au village.

Marie rassure la plus âgée des filles.--Ils étaient à la rivière. A part les loups et nous,

personne d'autre n'a pu te voir, Audrey, et les loups ne parleront pas, eux.

Marion répond à son amie de classe en souriant.--Je crois bien qu'effectivement, cela t'aurait été égal.

Sabrina et moi nous en sommes rendues compte.Au moment où parlait Marion, Audrey aperçoit les

garçons qui reviennent de la rivière et, en s'approchant d'eux, leur explique son projet. Tous écoutent attentivement. Vivien est le premier à reconnaître.

--C'est une solution, mais cela signifie aussi qu'il nous faudra quitter la maison de Marité pour regagner notre cabane. Nous serons liés par notre promesse, Audrey.

La fille admet.--Oui, évidemment. Il nous faudra quitter la maison,

je le sais. Notre cabane n'a pas bougé depuis la pluie et le vent d'avant-hier. J'ai bien regardé en sortant les matelas hier après-midi. Il n'y a aucun problème à ce sujet, elle est solide.

Thomas constate à son tour.--Tu m'as l'air décidée, mais tu as sans doute raison.

De toute manière, un jour ou l'autre, il nous aurait fallu quitter cette maison. Ton idée est le meilleur prétexte qui soit et qui sera aussi accepté par Marité.

Marie et Bertrand se regardent. Un peu triste, le jeune garçon avoue.

--Ce sera dur, lorsque vous ne serez plus là. Mais de toute façon, Thomas a raison, il faudra bien nous quitter un jour pour que vous retourniez dans votre monde. Audrey, je crois que ce serait bien que ce soit toi qui parle à maman, puisque c'est ton idée.

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La fille rassure le grand frère de Marie.--Ce sera moi, Bertrand, je ne me dégage pas de mes

responsabilités. J'ai eu cette idée, je l'expliquerai à ta maman et à Sandra.

De fait, peu après, Marité et Sandra sont mises au courant par Audrey elle-même. Marité reproche un peu.

--Par ta promesse, Audrey, les enfants ne pourront plus vous voir tous les jours. Ils auront de la peine, mais vous me manquerez à moi aussi, je m'étais habituée à vous. Si tu penses que c'est la seule solution, il faut essayer, je verrai bien si tu t'es trompée ou non.

Audrey, grave, affirme à la mère des deux plus jeunes.

--C'est la seule solution, Marité. Sandra, qu'en penses-tu ?

--Je t'approuve, mais les loups n'accepteront jamais de vous servir de montures.

Audrey n'est pas découragée par l'avis de Sandra.--Peu importe. A nous de faire croire aux villageois

que nous partis, les loups ne reviendront plus.Bertrand demande, car il a quand même des doutes.--Et si cela n'est pas, Audrey ?--Bertrand, il faudra que les loups n'approchent plus

du village. N'est-ce pas, Loup-Blanc. Votre domaine est la forêt.

Le jeune loup avait écouté en tournant parfois la tête comme pour mieux comprendre. Il fixait de temps à autre Audrey.

Marité a pris la bourse contenant l'argent remis par le citoyen maire, et c'est très vite que le départ pour le village a lieu. Les six jeunes venus du vingtième siècle sont tous en short et ont obligé Sandra à se changer pour qu'elle en porte un aussi. Ce sera la première fois qu'elle se rendra ainsi au village. Sabrina a laissé ses longs cheveux tomber largement dans son dos. Thomas, lui, a fixé sa hache à sa ceinture grâce au travail fait en cachette par Bertrand. La hache se trouvant dans un fourreau fait en peau de lapin.

La plus grande partie du trajet se fait normalement. Les loups escortent les huit enfants et les deux jeunes femmes.

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Aux abords de la bourgade, Audrey se juche sur le dos d'un loup de bonne taille et qui se laisse faire sans aucun problème. Marion et Sabrina n'osent pas, puis, avec l'aide des garçons, en font tout de même autant.

Audrey s'est portée en tête de la troupe, car les loups sont encore plus nombreux que lors de leur dernière visite. D'après Thomas, ils doivent être une bonne trentaine. Les garçons, les deux femmes et Marie, marchent au milieu de toute cette meute impressionnante.

Le bruit de leur arrivée ne passe pas inaperçu, et, une fois de plus, les chemins se vident dès l'entrée dans le village. Audrey, sur son loup, se sent parfaitement bien et guide l'animal qui mène la troupe jusqu'à la maison du citoyen maire. L'aînée des filles fait stopper son loup face à la maison du citoyen maire puis descend de sa monture. Ses amis ne savent même pas ce qu'elle veut faire. Pourtant, le premier geste de leur compagne de lycée est de caresser la tête du loup qu'elle montait. C'est seulement ensuite qu'elle lance d'une voix forte et assurée.

--Citoyen maire, citoyens villageois Ecoutez-moi, nous avons une proposition à vous soumettre.-moi. Vous devez accepter la citoyenne Marité Castelnoux et ses enfants parmi vous. En échange, nous, les étranges voyageurs, nous disparaîtrons, mais pas seulement nous, les loups également. Ils resteront dans leur domaine qui est la forêt. Si vous ne tentez rien contre eux, ils ne vous attaqueront pas. Mais attention, ils sauront si vous trahissez votre parole envers la citoyenne Marité, et dans ce cas, je n'ose imaginer ce qui pourrait arriver au village. Loup-Blanc restera avec Marie. A présent, nous attendons votre réponse.

Les gens commencent à sortir de chez eux et le citoyen maire apparaît enfin. Marion a rejoint Audrey et descend à son tour du dos du loup sur lequel elle se trouvait assise. Pointant son index de la main droite en direction du maire du village, elle l'interroge brusquement.

--Toi, comment savais-tu que la bourse que tu as remise à la citoyenne ici présente, lui était donnée par le général Napoléon Bonaparte ? N'aurais-tu pas, par hasard, ouvert cette bourse et lu le billet qui s'y trouvait ? Je te soupçonne d'avoir brisé le premier cachet et de l'avoir par la

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suite reconstitué, mais, peu importe. La citoyenne Marie-Thérèse Castelnoux et ses enfants se trouvent, et tu le sais, sous la protection du général Napoléon Bonaparte. Je n'en dirai pas plus, bien que je le pourrais. Bien, nous sommes venus te poser une question. Acceptes-tu que cette femme habite ton village aux conditions exposées par mon amie ?

--Qui es-tu, jeune citoyenne ?--Une Française patriote d'une autre région de notre

République, citoyen maire. Alors, ta réponse ?L'homme hésite un instant puis prononce.--C'est entendu, citoyenne.Les trois copains de classe de Marion ne l'avaient

jamais entendue parler aussi bien et c'est ce qui les surprend, mais ils ne lui diront pas, ce n'est pas le moment. D'autant que Marion reprend avec la même vigueur.

--Attention, mon amie l'a dit, si tu cherches querelle à cette famille après notre départ, les loups sauront comme ils ont su la nuit passée que l'on a voulu nous attaquer durant notre sommeil, et ils viendront ici pour que tu libères Marie-Thérèse Castelnoux et ses enfants. Ces loups nous écoutent. Ils savent qu'ils devront protéger cette femme et ses deux enfants, puisque nous respecterons notre promesse.

Bien qu'il y ait à présent beaucoup de monde sur la place publique, personne ne parle. Thomas, encadré de deux loups a déjà sorti sa hache du fourreau et se dirige vers l'échafaud toujours présent et en gravit les degrés. Les deux loups sont au pied de l'instrument de mort. Le garçon, à la hache, attaque les montants qui supportent la lame d'acier de la guillotine. Le couperet tombe une dernière fois, mais, cette fois, sans faire la moindre victime. Denis et Vivien s'en emparent alors que leur copain fait du menu bois de l'ancien lieu de supplice.

Les deux garçons se dirigent vers la forge. Personne n'ose dire quoi que ce soit. Le forgeron se demande ce qui va encore se passer. La lame d'acier est jetée dans le feu qu'attise à présent Vivien avec le soufflet. Le métal se déforme, et Denis, s'adressant au forgeron, commande.

--Citoyen, casse cette lame en plusieurs morceaux, elle ne doit plus jamais servir.

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Devant les gendarmes et le reste de la populace, l'homme obéit sans le moindre déplaisir.

C'est le moment que choisit Thomas, debout sur la seconde marche de l'échafaud à présent détruit pour parler assez fort pour qu'il soit entendu. Il a détruit toutes les autres marches de bois.

--Citoyens, ne reconstruisez plus jamais cette guillotine qui sème la mort. Il vous faut vivre tous ensemble. Le bois de cet échafaud servira à chauffer un peu cet hiver. Je vous invite, dès à présent à venir en prendre, mais je souhaite que les familles les plus pauvres viennent les premières. Citoyens gendarmes, je compte sur vous pour faire respecter ma demande. Citoyens, nous ne voulons plus voir de terreur dans ce village.

Sabrina rejoint Thomas et lui murmure à voix basse.--Je crois que ça suffit. Arrête, si tu ne veux pas que

Sandra intervienne, mais d'abord, casse les deux dernières marches.

Le garçon acquiesce de la tête et, son travail fini, il voit ses deux compères revenir de la forge avec un morceau de métal qui n'a plus la forme d'une lame. Vivien fait savoir.

--Je le garde en souvenir.Sandra, Marité et ses enfants sont stupéfaits de

l'audace des garçons après qu'Audrey et Marion aient commencé avec leur arrivée au village. Thomas regarde des enfants prendre des morceaux de bois et demande ensuite.

--Citoyenne Marité, tu pourrais nous montrer la maison qui te plairait ?

Marité n'en attendait pas autant et annonce très vite.--Il s'agit d'une maison vide à la sortie du village, près

de l'église.Audrey, pas du tout mécontente du travail de ses

copains de classe, questionne.--Citoyen maire, à qui appartient cette maison ?--A la République, jeune citoyenne, car l'ancien

propriétaire était un traître royaliste. Il a été guillotiné.Très sûre d'elle, Audrey reprend.--Parfait, allons la voir. Viens avec nous, citoyen, tu

seras en sûreté, les loups savent que tu es avec nous et ne te feront donc aucun mal.

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La petite troupe se déplace, accompagnée de deux gendarmes délégués pour protéger le citoyen maire.

Devant la maison en question, seuls, Marité, ses enfants, Sandra, Audrey, Thomas et le maire visitent les lieux. Tous les autres et les loups restent devant la maison. Au sortir de cette dernière, la fille de quinze ans interroge.

--Eh bien ! Citoyen maire ! Dis-nous combien en veut la République.

Un prix est indiqué. Audrey consulte Sandra du regard. La monitrice acquiesce en silence. Elle se rappelle que le contenu de la bourse se monte à une valeur bien supérieure au prix demandé, et l'acte est signé peu après par Marité sous les yeux des adolescents, de Sandra et de deux gendarmes comme témoins. La mère de Bertrand et Marie donne un exemplaire de l'acte signé à conserver par Sandra. Thomas avoue pour ses amis.

--Du travail sera à faire dans cette maison, mais elle est grande, et une fois nettoyée, sera très agréable. Le mobilier est même resté. Marité, tu es contente ?

--Oui, Thomas. Regarde donc les yeux de « mon chaton » et de Bertrand. Ils n'en espéraient pas tant et moi non plus.

Le jeune garçon risque.--Maman, dès le départ de nos amis, nous viendrons

tout nettoyer, n'est-ce pas ?--Oui, mon fils. Les adolescents se rendent compte que la petite Marie

n'est pas très contente, malgré ce qu'en a dit sa mère, et la fillette n'hésite pas à le faire savoir.

--Et la maison de papa ?Marité use de diplomatie envers sa fille.--Nous la garderons, Marie, pour les jours où il fera

chaud, mais je te promets que nous la garderons. Je me rappelle que ton père a beaucoup travaillé pour la construire et la meubler.

La petite fille se détend. Elle est satisfaite.--Très bien, de la sorte, je préfère.Bertrand embrasse sa jeune sœur puis lui indique.--Ainsi, nous aurons deux maisons. L'hiver, nous

habiterons au village, et aux beaux jours, nous pourrons aller

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dans la maison de papa. Marie, moi aussi, je ne pourrais pas rester tout le temps au village. Là-haut, en plus, je peux mettre mes collets et pêcher davantage qu'il me serait possible au village.

Marité sourit, cette fois, Marie est contente des paroles prononcées par son frère. Contente n'est pas tout à fait le mot, rassurée, serait plus exact.

Le retour en montagne se fait calmement. Les enfants parlent beaucoup de la nouvelle maison. Thomas intervient pour déclarer un peu déçu.

--Il est dommage qu'Audrey ait donné notre parole de ne plus revenir au village, car nous ne pourrons pas vous aider à nettoyer votre nouvelle maison.

Marion défend Audrey et fait savoir son point de vue.--Audrey a eu raison, c'était la seule solution pour

éviter des ennuis à Marité, Bertrand et Marie. A présent ils n'auront plus de soucis.

Vivien enchaîne dès que Marion a fini de parler.--Il faut que nous pensions à essayer de rentrer chez

nous, Thomas. Je crois que Sandra y pense souvent sans trop le dire, et je la comprends.

Curieusement, les loups restent autour de la petite troupe, écoutant parfois ce qui se dit.

Sabrina indique aux autres ce qu'elle pense.--C'est vrai, les parents doivent être terriblement

inquiets, et nous n'avons toujours pas trouvé le moyen de revenir dans notre siècle. Le problème, c'est que si nous retournons d'où nous venons, il nous sera impossible de raconter ce qui nous est arrivé, personne ne nous croira.

Marion, Audrey, Denis et Vivien sont bien d'accord avec leur amie. Thomas ne donne pas son sentiment. Sandra, elle, déclare pour clore la conversation sur le sujet.

--Nous verrons bien ce qui se passera si nous pouvons repartir dans notre vingtième siècle. Moi, pour le moment, j'ai encore des doutes.

Bertrand prédit comme s'il savait d'avance.--A mon avis, il va se passer quelque chose dans les

jours qui suivront votre retour près de la grotte et votre cabane.--Dieu t'entende, Bertrand !

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La réponse de Sandra est sortie de sa bouche tout à fait naturellement.

Peu à peu, les loups quittent les deux adultes et les huit enfants. Ces derniers comprennent vite la raison, la petite maison en terre et en bois est en vue. Et, d'un seul coup, les derniers loups regagnent à leur tour la forêt. Seul, Loup-Blanc continue en marchant près de Marie.

Au soir de ce jour, lors du repas autour de la table, Sandra fait venir le silence et annonce.

--Marité, Bertrand et Marie, cette nuit sera la dernière que nous passerons avec vous. Audrey a fait une promesse que j'approuve, et nous devons respecter cette promesse. Et puis, nous avons assez envahi votre gentille maison.

Bertrand baisse la tête. Il s'y attendait, mais, pas si tôt. Marie pleure en silence en caressant Loup-Blanc. Marité promet.

--Audrey, Marion, je continuerai les leçons que vous appreniez à mes enfants. Ils ont voulu savoir lire et écrire grâce à vous. Merci. Je veux dire aussi merci à Thomas, Denis et Vivien. Grâce à vous trois, j'ai du bois pour plusieurs mois. A présent je me tais, car je ne peux plus rien dire. Si, une dernière chose encore, Sandra, tu es jeune, tu as toute ta vie devant toi, mais le jour où les enfants dont tu as la charge partiront, tu te sentiras seule, alors, pense un peu à moi. Merci d'avoir été pour moi à la fois une jeune sœur et une conseillère venue de ton époque. Sandra, tu me manqueras beaucoup.

Sandra va embrasser Marité, mais aucune parole ne peut sortir de sa bouche. Elle est trop émue.

Les enfants sont un peu tristes, mais une parole donnée ne se reprend jamais et ils le savent tous les six.

Intérieurement, Sabrina et Thomas se disent que Marité se trompe, eux, ils ne lâcheront pas Sandra une fois leurs parents retrouvés.

La nuit est difficile. Personne ne dort vraiment malgré la fatigue, et au matin, une fois tout le monde réveillé, les six adolescents fixent les alentours de la petite maison, pour s'imprégner de ce qu'ils voient. Le départ est pour les instants qui vont suivre.

Les six jeunes de la colonie vont embrasser Marité et la petite Marie. Aucun n'est fier, pas un ne parle. Ils en ont trop

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gros sur le cœur, mais une promesse est une promesse. Les sacs de couchage sont pliés et le matelas sorti de la maison. Sandra, sans un mot donne le signal du départ vers la petite cabane. Bertrand les accompagne. Il se charge de porter les cannes à pêche des trois autres garçons. Une fois là-haut, il passera voir ses collets avant de revenir à la maison. Il a la chance de rester un peu plus avec les autres.

Marie a beaucoup pleuré, et les loups se sont mis à hurler d'une manière triste. Par contre, Loup-Blanc n'a pas bougé, restant près de la fillette que sa mère console.

En cours de route, aucune parole n'est échangée. Bertrand décide pour lui-même qu'il ira voir les collets un autre jour.

A l'arrivée près de la cabane, le jeune garçon pose les cannes à pêche, embrasse les filles, Sabrina l'a serré contre elle, il était devenu une sorte de petit frère qui lui manquera. Sandra embrasse aussi le garçon qui serre la main ensuite aux garçons plus âgés que lui puis se sauve en courant. Ses yeux commençaient à devenir humides, à lui aussi.

Denis, regardant le garçon courir vers sa maison, parle le premier.

--Je ne sais pas pourquoi, mais le mieux aurait été qu'ils viennent tous les trois avec nous.

Audrey, débarrassée du sac à dos qui encombrait se épaules, fixe un long moment son copain de lycée. Elle aussi a vu Bertrand s'éloigner rapidement. Revenant à Denis, elle lui lance.

--Tu dis vraiment n'importe quoi. J'ai pensé exactement comme toi, moi aussi, mais je me suis rendue compte avec Marion pendant les cours que nous donnions à Bertrand et Marie, que leurs vies se trouvaient à cette époque, pas au vingtième siècle, car ils auraient été malheureux. Ils ont toujours vécu dans cette montagne. Avancer de deux siècles et se retrouver en ville avec nous, non, ils n'auraient pas accepté. Et puis, ici, ils ont leur maison. Avec nous ils auraient été séparés de nous et auraient vite regretté leur vie actuelle.

Sandra va dans le même sens qu'Audrey.--Désolée, Denis, mais Audrey raisonne juste et je

l'approuve totalement. Moi aussi, j'ai de la peine de les laisser, mais c'est ainsi et nous n'y pouvons rien. Je parle déjà comme

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si nous étions certains de retourner d'où nous venons. L'optimisme de Bertrand m'a contaminée alors que je ne sais pas ce que sera notre avenir.

Vivien tranche pour éviter toute discussion.--Nous verrons bien ce qui arrivera. Pour ma part, je

crois comme Bertrand et d'autres ici, que tout rentrera dans l'ordre. En attendant que cela arrive, nous devons essayer de revivre comme au début, avant que nous ne connaissions Bertrand, Marie et leur mère.

Sabrina, tout sourire pour la première fois de la journée, annonce l'air triomphant.

--Marité m'a donné pour ce midi un lapin cuit et découpé. Qu'en pensez-vous ?

Thomas admet pour la filles aux longs cheveux noirs.--Qu'elle a eu une excellente idée.Le déjeuner se passe dans le calme, chacun pensant à

ce qui s'est passé durant leur séjour dans la petite maison de Marité.

En début d'après-midi, Marion quitte les autres et va vers la grotte qu'elle inspecte du dehors puis revient pour demander.

--Thomas, tu es occupé ?--Non, pas pour le moment, pourquoi ?--Tu ne pourrais pas, s'il te plaît, casser le reste du

plancher de l'ancien chalet, qu'on y voit plus clair, là-haut ?--Si tu veux, ça m'occupera. Denis et Vivien sont

allés poser des collets, histoire de passer le temps.La fille aux cheveux coupés courts, réplique.--Ils auraient mieux fait d'aller à la pêche, car avec le

bruit que tu vas faire, tous les lapins vont s'enfuir. Au fait, tu étais tout seul, où sont passées Sandra, Audrey et Sabrina ?

--Justement, elles sont à la pêche.--Tout le monde cherche à s'occuper, on dirait.--Exactement, Marion.--Je les comprends. Nous étions un peu en famille,

avec Marité et ses enfants. Je vais te dire, à toi, Sandra et nous faisions partie d'une même famille, mais une parole est une parole. Il nous fallait partir. Audrey avait raison.

Thomas fait savoir ce qu'il pense.

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--Audrey a énormément changé depuis le début de notre aventure. Elle prend des initiatives géniales.

Puis le garçon s'empare de sa hache et suit son amie pour commencer à démolir le plancher.

Il s'arrête au bout d'un moment et questionne.--Au fait, comment se fait-il qu'Audrey ait changé

d'un seul coup, hier matin ?--Pas seulement depuis hier, Thomas, mais si je te dis

le reste, tu vas le répéter à Sandra, Vivien et Denis, ce que je ne veux pas.

--Marion, je te promets le secret absolu .--Tu le jures ?--Je le jure.--Fais attention, Thomas, si tu ne tenais pas parole, je

ne serais plus ton amie, tu le sais ?Le garçon connaît bien Marion.--Oui, je le sais, je te connais assez, et je tiens à ton

amitié qui dure depuis pas mal d'années. Ce que tu me diras restera entre nous deux.

--Parfait. Bien, le jour où nous sommes montées ici, pendant qu'avec les autres, tu coupais du bois près de la remise, le fameux bois ramené par les loups de Marie.

--Oui, c'était avant-hier après-midi.--Exact, Audrey a décidé que puisque nous étions

entre filles, nous pouvions prendre la même liberté que Marie. Donc, elle et moi avons imité Marie. N'oublie pas, tu as promis.

Le garçon reste stupéfait.--Audrey était nue !--Chut, tu ne sais plus rien. Thomas, je crois que le

fait que Sandra veuille qu'elle donne des cours à Bertrand et Marie, lui a donné davantage confiance en elle. Elle n'est plus la même.

--C'est certain, elle m'a étonnée, au village, hier, face au maire. On avait l'impression que rien ne pourrait l'arrêter. D'ailleurs, toi aussi et j'en suis ravi, moi. Bon, j'y vais de nouveau.

Le garçon ne ménage pas sa peine et le plancher est coupé en deux. Thomas faisant attention à ce que des épines de bois ne le blessent pas. Avec l'aide de Vivien et Denis arrivés

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en renfort, le plancher du chalet est dégagé. Marion explique son idée.

--Nous serons mieux ici. Regardez, on pourra même faire du feu à l'entrée de la grotte.

Denis questionne le premier.--Tu veux qu'on déménage la cabane ?--Oui, Denis, et maintenant. En plus, le toit sera

naturel avec la voûte de la grotte.Vivien fait remarquer à leur amie.--Thomas est fatigué, et nous, nos bras s'en ressentent

un peu aussi. N'oublie pas que nous avons remonté le matelas et les sacs de couchage ce matin, et qu'hier nous avions été au village qui n'est pas tout à fait à côté.

La seule fille du groupe concède.--D'accord, alors on déménagera demain matin. On se

lavera ensuite dans la rivière.Vivien veut blaguer.--Et on se baignera tous ensemble ?Contrairement à la protestation à laquelle il

s'attendait, le garçon entend.--Si tu veux, et si Sandra n'y met pas d'objection, moi,

je ne vois pas ce qui me gênerait.Denis fixe leur amie commune puis.--Marion, tu t'es entendue parler ?La fille déclare tout net.--Oui, nous sommes tous des idiots, Denis. Tout ça à

cause de nos parents, les garçons d'un côté, les filles de l'autre. Dans cette aventure, il a bien fallu que nous nous aidions les uns les autres sans savoir si c'était un gars ou une fille. Vous n'êtes pas d'accord avec moi, vous autres ?

Thomas est le premier à approuver. Vivien et Denis, d'abord surpris, acquiescent de la tête. Marion reprend.

--Dans la grotte nous ferons une chambre commune pour nous six et une pour Sandra, mais pas plus. Sabrina soutiendra mon projet. Audrey, par contre, je ne sais pas.

Denis donne son opinion.--Audrey a bien changé. Hier, elle m'a étonnée. Elle

était vraiment sûre d'elle.Marion justifie les faits de la fille aux cheveux

blonds.

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--Hier, elle était décidée sur son idée et ne voulait pas perdre la face devant Marité, Bertrand et Marie, c'est différent.

Thomas remarque la tournure de la phrase de Marion et se rend compte qu'elle ne dira rien de plus qui pourrait trahir son amie qui a cinq mois de plus qu'elle.

Ce soir là, le repas est pris devant la cabane. Marion a exposé son idée de tout reporter dans la grotte dès le lendemain, et, comme Sabrina lui en demande la raison, la cadette des filles répond en souriant.

--Notre mission ici est terminée, donc, forcément il va bientôt y avoir un orage pour que nous retournions au vingtième siècle.

Sandra fait remarquer.--Nous sommes dans les Pyrénées, Marion.--Oui, je sais, mais c'est juste un détail, ça.--Un détail !--Mais oui, Sandra, aie confiance. Au fait, demain

après-midi je prendrai la plus totale liberté, quand tout aura été ramené à la grotte. Et peu importe que les garçons soient présents. A notre retour au vingtième siècle, ce ne sera plus possible. Je sens déjà que nous allons être interrogés sans arrêt. Nous n'aurons plus une seconde à nous, c'est pourquoi, cette liberté, je me l'accorderai demain.

--Ce n'est pas sérieux, Marion !--Sandra, je ne te demande pas d'en faire autant, mais

avoue qu'un après-midi de liberté, et encore, pas entier, ce n'est pas beaucoup. Pourtant, je vais t'expliquer pourquoi j'ai pris cette décision. Tu vois, durant ces jours, nous avons dû rester unis et solidaires, nous avons fait face à quelque chose de nouveau et même exceptionnel, un changement temporel. Demain, nous serons seuls et libres, c'est pourquoi j'ai envie de décompresser. A notre retour au vingtième siècle, dans notre année, la solidarité restera la même, mais pas la liberté. Après tout, qu'avons-nous à craindre ? Rien, puisque les loups sont désormais nos amis.

Audrey doit bien admettre.--Marion est logique, je ferai comme elle, nous

sommes entre nous. Et vous, les garçons ?Piégés qu'ils se sentent, Vivien prend les devants.

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--Marion a raison, nous bronzerons en toute tranquillité demain après-midi lorsque le déménagement sera terminé.

Sandra ordonne aux six enfants dont elle a la charge.--Allez dormir, au lieu de dire des bêtises.Très tôt le lendemain matin, les trois filles sont

levées. Elles trouvent au « salon » les trois garçons déjà habillés. Thomas lance.

--On va se laver maintenant ?Marion, après avoir regardé un instant vers Audrey,

réplique.--Non, Thomas, l'eau est trop froide. Tout à l'heure, le

soleil sera plus haut, ça ira mieux, mais oui pour nous laver tous en même temps.

Denis commente à voix haute.--Sandra va nous disputer.Cette fois c'est la plus âgée des trois filles qui

rétorque en souriant.--Qu'est-ce que ça fera ? Ce sera la première fois !Dans la matinée, toute la cabane est démolie et

comme avait proposé Marion, réinstallée dans la grotte. Si bien qu'à mi-journée, Thomas indique.

--Marion, tu as gagné ton pari.Puis, s'adressant à la jeune monitrice, le garçon

possesseur de la hache reprend.--Sandra, ne nous dispute pas, mais nous allons tous

les six nous baigner ensemble.--Et moi, je fais quoi ?Audrey conseille d'un air sérieux.--Tu devrais bronzer, tu manques de couleurs. Tu

nous verras arriver de loin.--Ce qui veut dire, Audrey ?La fille aux cheveux blonds, toute souriante, rétorque.--Que tu peux faire ce que tu veux comme nous

ferons ce que nous voulons après le bain .En allant vers la rivière, plus bas que l'endroit où se

trouvait la cabane, Vivien doit avouer.--Audrey, depuis quelques jours on ne te reconnaît

plus. Tu peux nous dire ce qui se passe ? C'est tout juste si tu n'as pas conseillé à notre gentille Sandra de faire de l'intégral.

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Au début des vacances, et même avant notre arrivée ici, tu n'aurais jamais parlé comme tu viens de le faire.

--Vivien, il n'y a rien à expliquer ou presque. Oui, j'ai changé, et c'est grâce à Marie. Cette gamine a été formidable. Oui, hier matin, en partant de la maison, j'avais envie de pleurer et je suis persuadée que je n'étais pas la seule.

Un silence vient dans la petite troupe. Sabrina avoue.--Tu as encore raison, Audrey. Moi, lorsque Bertrand

m'a dit adieu, c'est comme si je venais de perdre un petit frère. Oui, pour Marie, elle nous a tous coupé le souffle par son courage, et jamais il ne me sera possible de l'oublier de ma vie.

Personne ne répond, et puis, quoi répondre, de toute manière, puisque la benjamine a trouvé et dit les mots que chacun pense intérieurement.

Après s'être baignés un moment, ils remontent sur la berge et se laissent sécher par le soleil tout en discutant le plus naturellement du monde.

Vers dix-sept heures, enfin, d'après ce qu'ils croient, c'est le retour vers la grotte. Ils ont laissé un peu de paix à Sandra. Elle le méritait bien.

Environ une heure après, d'après Denis qui a appris à lire l'heure solaire, ils dînent comme la veille, mais cette fois, un peu en dehors de la grotte.

Le repas est terminé depuis peu, lorsque Sabrina signale.

--Regardez tous ces nuages qui viennent de l'Espagne, c'est dingue !

Les adolescents qui se trouvaient encore en maillots de bain se rhabillent totalement. Vivien et Thomas allument même un feu dans l'entrée de la grotte.

Marion commande pour tous ses amis.--Installez les restes du plancher à l'entrée, au devant

du feu, pour nous protéger.Sandra n'est pas la dernière à aider. Un éclair déchire

soudain le ciel. Audrey de s'exclamer.--Ah non ! Pas encore !Marion, souriante, rétorque à son amie mécontente.--Si, Audrey, nous y aurons droit. Mais un conseil, tu

devrais bien regarder cette plaine qui se trouve devant nous.--Je me demande bien pourquoi !

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Un craquement se fait entendre dans la montagne.Thomas lance à son tour.--C'est curieux, ça me rappelle quelque chose.--Non, pas possible !--Si, Denis, je t'assure.Sabrina se fait entendre en élevant la voix.--L'autre fois nous avions peur, pas cette fois. Au fait,

vous tous, il nous faut oublier tout ce que nous avons dit ou fait cet après-midi. Nous sommes bien d'accord ?

Les cinq autres acquiescent. Sandra doit reconnaître.--Franchement, vous êtes fantastiques, tous les six,

mais, vous pourrez vraiment oublier, toutes et tous ?--Non, mais personne n'en saura rien à part toi et

nous. C'est cela, oublier, Sandra.--J'ai compris, Sabrina.Jusqu'à la nuit, tonnerre et éclairs se multiplient. Le

noir est venu au-dehors, la terre gronde. Les six adolescents et leur monitrice se sont réfugiés dans un recoin de la grotte. Marion déclare en criant presque pour se faire entendre.

--Encore une nuit où on ne pourra pas dormir.Le ciel est zébré d'éclairs. Le tonnerre ne laisse aucun

répit, ce que fait remarquer Audrey en parlant très fort.La réponse de Marion fuse.--C'est exactement comme l'autre fois, mais cette

fois-ci, Sandra, Thomas et Vivien n'ont pas à sortir. Par contre, les vitres que nous avons ramenées de la cabane vont finir par éclater.

Denis n'est pas inquiet pour ça .--Peu importe, là où nous sommes, nous n'avons rien

à craindre, même si elles explosent.Sandra questionne les six amis.--J'aimerais savoir d'où vous vient ce moral par une

nuit pareille ? Dehors, au-dessus, les arbres doivent être secoués sérieusement. Il doit être impossible de « mettre le nez dehors ».

Thomas lui répond.--Si tu veux mon avis, des branches sont sûrement

cassées, si ce ne sont des arbres déracinés eux-mêmes. Sandra, ce n'est pas à nous que je pense actuellement, notre abri est le plus solide qui soit, mais à Marité, Bertrand et Marie. Demain,

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ils pourront aller en forêt ramasser les branches cassées. En ce moment, je les imagine tous les trois devant la cheminée. Marie est une petite fille courageuse, mais, cette nuit, ce doit être affreux, là-bas. La maison n'est qu'en bois et en terre. J'ai peur pour eux. Au fait, Marion, merci de ton idée de nous faire déménager. Cette nuit je bénis ton obstination d'hier après-midi et de ce matin.

La fille ne répond pas, se contentant de sourire. S'ils savaient qu'elle n'y est pour rien et que c'est encore une idée de Marie, ils n'en reviendraient pas.

Sabrina avoue juste après les propos de Thomas.--Si j'étais là-bas en ce moment, je ne serais pas du

tout à l'aise non plus. Pourvu qu'ils n'aient pas l'idée de sortir.Vivien fait savoir à sa jeune amie de classe.--Non, Bertrand ne ferait pas ça. Il sait qu'il doit

protéger sa sœur. Il a beaucoup plus de maturité que nous six, bien qu'il n'ait que onze ans. Oui je reconnais, je l'admirais dans ses déductions. C'est un garçon qui marche avec la logique des choses. Le problème pour lui, c'est que la rivière va gonfler et les truites s'en aller.

Dans la petite maison aux deux pièces, justement, Bertrand signale à sa mère et sa sœur.

--Ils ne seront plus là-haut demain. Quand ils étaient venus, ils avaient dit que c'était à la suite d'un orage violent. Ils partiront donc cette nuit. En tout cas, pourvu qu'ils se soient réfugiés dans la grotte dès le début de l'orage.

Marie, assise sur le sol près du feu, une peau de loup sous elle et Loup-Blanc tout à côté de la petite fille, déclare en retour à son frère.

--Ils sont dans la grotte. J'avais conseillé à Marion de quitter la cabane, car elle n'aurait pas tenu par une nuit comme celle-ci. Elle m'avait promis de le dire aux autres, et elle l'aura fait. Regardez, Loup-Blanc reste contre moi. Avec lui j'ai moins peur.

Marité conseille à ses deux enfants qui sont près d'elle devant le foyer où des bûches brûlent.

--Vous devriez aller dans vos lits. Nous laisserons la porte ouverte pour que la chaleur vienne dans la chambre.

Bertrand allait se lever du sol mais se ravise et demande à sa mère.

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--Un instant maman. Que penses-tu de Sandra ? Nous, nous avons parlé, mais, toi, sauf la veille de son départ, tu n'as jamais rien dit. Maintenant que nous ne la reverrons plus, j'aimerais savoir ton avis.

La jeune femme regarde son fils, se place entre ses deux enfants et, leur caressant la tête à chacun, avoue enfin.

--Comme je le lui ai dit l'autre soir, j'aimais beaucoup Sandra. C'était comme un ange venu m'aider, mais je dois dire également que les trois filles et les trois garçons ont été d'une gentillesse peu commune. Ils nous ont apporté beaucoup à tous les trois. Marie, « mon chaton », je savais que tu ôtais ta robe lorsque tu étais avec les trois filles pour faire comme elles, tu paraissais heureuse.

La fillette reprend sa mère.--Non, maman, je ne paraissais pas heureuse, j'étais

heureuse. Marion m'a expliqué la différence, et c'est vrai, maman. Bertrand est mon frère et je l'aime beaucoup, mais elles me parlaient de tellement de choses, avec moi. C'est grâce à leur présence à tous les sept que je n'ai pas eu peur des loups par la suite. Thomas d'abord, et ensuite Denis et Vivien ont montré qu'ils étaient les plus forts en tuant trois grands loups qui étaient méchants. Maman, pourquoi Loup-Blanc est venu vers la maison, lui ?

--Je ne sais pas du tout. C'était écrit, car, tout ce qui arrive est écrit. La venue de Sandra et des six enfants devait se faire. Au début, je ne savais pas pourquoi. Après, j'ai compris, lorsque j'ai su que votre tante Roberta avait voulu garder l'argent de votre père pour elle et non pas pour payer notre terre et notre forêt. Mais, voyez, s'ils retournent dans leur temps, ils ne nous oublieront pas, car Sandra a une preuve qu'ils sont venus ici. Les enfants eux, ne savent pas.

Bertrand fixe sa mère et la questionne.--On peut savoir, maman ?--Le message transmis lorsque les gendarmes sont

venus me prévenir de la mort de votre père, je l'ai laissé lire à Sandra, et je ne voulais plus le voir. Je me rappelle, Sandra l'a plié et l'a mis dans une poche du pantalon court qu'elle portait ce jour-là. Je me souviens, il était tout blanc.

--Tu veux dire un short ?

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--Oui, Bertrand, mais à présent nous ne devons plus employer ce mot, il est anglais. Nous aurions des ennuis, et ce n'est pas la peine.

Marie acquiesce puis déclare.--Moi aussi, j'ai un souvenir de leur venue. Un cadeau

de Marion. Le savon pour sa toilette, car c'est ainsi qu'il faut dire, mais je ne m'en servirai pas, sinon, un jour il ne restera plus rien.

Bertrand n'est pas d'accord avec sa sœur. Il lui explique.

--Si, Marie, il faut t'en servir, comme moi je me servirai de celui de Denis. Les gens d'ici ne comprendraient pas, s'ils les voyaient, voilà pourquoi, maman, toi et moi, nous les utiliserons entièrement.

Marie comprend. Son frère est intelligent, elle doit le reconnaître, mais il le sait, alors, elle ne le lui dira pas. Elle se lève, embrasse sa mère, son frère et Loup-Blanc, puis annonce malgré le tonnerre qui gronde toujours.

--Je vais me coucher. Cet orage s'arrêtera bien.Sur le pas de la porte de la chambre, elle se retourne

vers sa mère et son frère pour dire.--Moi, je crois qu'ils reviendront ici une fois de retour

à leur époque. Nous ne serons plus en vie, c'est sûr, mais ils reviendront, c'est certain.

Le garçon demande à la fillette.--Ils t'ont dit quelque chose à ce sujet ?--Non, mon frère, mais par contre, Audrey m'a

demandé de te dire de faire d'autres dessins, car le premier que tu as fait est très beau, et là, je suis bien de son avis. Bonne nuit maman, bonne nuit, mon frère. Loup-Blanc, viens auprès de mon lit.

Dans la grotte, les garçons ont bloqué le recoin où ils sont tous avec des plaques de bois en provenance du plancher afin que l'air frais ne vienne pas jusqu'à eux.

Ils ont tout de même un espace suffisant mais il a fallu renoncer au feu qui se trouvait près de l'entrée de la porte de la grotte, car la pluie violente l'a éteint.

Vivien propose aux autres.--On devrait s'allonger sur le sol, comme lors de notre

arrivée.

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--Je ne vois pas la raison, ici, nous ne risquons de glisser nulle part.

Thomas répond à la plus jeune du groupe.--On fait comme a dit Vivien, Sabrina. Il faut rester

plus que jamais solidaires. Cette nuit risque d'être longue.Sandra acquiesce mais demande.--Marion, tout à l'heure, tu avais bon moral, on peut

savoir pourquoi ?--Je te dirai plus tard. Pour le moment il y a trop de

bruit, et je ne me sens pas tout à fait à l'aise, cette nuit.Et juste aussitôt, c'est comme si l'enfer se déchaînait,

et Audrey fait une prière, ce dont personne n'oserait se moquer. Le bruit paraît long. Au-dessus et dehors, des arbres sont déracinés et cassés. Le bruit de leur chute est lugubre, et puis, d'un seul coup, plus rien, le silence total.

Pourtant, personne ne bouge, de crainte que tout recommence, et, exténués, tous s'endorment sur place, à même le sol de la grotte.

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9

Sandra est la première réveillée par la lumière du jour mais attend que les adolescents dont elle a la charge s'éveillent également avant d'essayer de sortir de la grotte. Tous ses protégés, filles et garçons ont montré preuve de courage durant une partie de la nuit infernale qu'ils viennent de subir. Dehors, les dégâts doivent être importants. Elle ira voir avec eux, mais pour le moment, elle ne doit pas bouger, qu'ils puissent la voir et n'aient pas à la chercher où que ce soit.

En un quart d'heure, tous sont réveillés, car les rayons du soleil rentrent bien dans la grotte. Sabrina avoue, tout en s'étirant une fois debout à son tour.

--C'était véritablement l'enfer, cette nuit, comme si un cyclone ou une tornade s'était abattu sur le région. Il doit y avoir des dégâts jusque dans la vallée.

Thomas est du même avis.--Oui, on ira voir si la maison de Marité a pu résister.

J'espère que oui. Le village aussi, a dû subir la tempête. Nous devrons y aller, malgré la promesse faite par Audrey, pour aider comme nous pourrons ces gens si tout va bien pour Marité, Bertrand et Marie.

Denis pronostique à son tour sans peur de se tromper.--Les collets posés hier seront vides et je crains que la

rivière n'ait pas gardé les poissons à la hauteur où nous sommes. Nous aurons des difficultés pour trouver de la nourriture.

Marion est plus optimiste et le dit.

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--Le fait de ne manger aucun poisson ni lapin ne me dérange aucunement, je commençais à « saturer ». Nous trouverons bien quelque chose. Moi, j'ai confiance, surtout avec le soleil que nous avons ce matin. Je suis comme Thomas, je pense à Marité, Marie et Bertrand, en ce moment. Nous, nous étions à l'abri des rochers, dans cette grotte, pas eux.

Vivien est le premier à décider.--Au lieu de bavarder comme nous le faisons, nous

devrions agir et sortir de cette grotte pour aller voir ce qu'il en est de la maison de Marité.

Aidé de Sandra, Denis et Thomas, le garçon qui vient de parler dégage les palissades de bois qui les protégeaient. Denis qui s'apprêtait à sortir, s'étonne.

--Mais on a encore changé d'endroit !Audrey et Thomas sont les premiers à le rejoindre, et

la fille fait la bise aux deux garçons surpris qui sont de chaque côté d'elle. Elle se décide enfin à s'expliquer.

--Mes « chéris », nous sommes proches de la colonie, ça, j'en suis certaine !

Le trio qui regardait hors de la grotte entend derrière lui.

--Oui, c'est ce qui était prévu et que je pensais. Regardez, nous sommes à trois-cents mètres au maximum du camp de vacances, donc, dans les Alpes, et on voit de nouveau le Mont-Blanc. La rivière qui coule, là, moi je vous dis qu'elle n'a sûrement pas autant de truites que celle d'hier, enfin, il y a environ deux siècles à quelques années près dans les Pyrénées, et l'endroit où nous sommes actuellement se trouve être le côté opposé de la grotte interdite.

Vivien, pas convaincu par les propos de Marion, émet pour ses amis et Sandra.

--Tout ça est parfaitement logique. J'espère seulement que nous sommes bien revenus au vingtième siècle et qu'en sortant d'ici nous ne verrons aucune légion romaine occuper l'emplacement du camp de vacances. Excuse, Marion, mais, maintenant je vais avoir tendance à me méfier.

Sabrina admet quand même.--Pour le Mont-Blanc, Marion a raison.

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Sandra confirme les propos de Marion et dit ce qu'elle pense.

--Désolée, Vivien, mais Marion est dans le vrai, et tu ne verras pas le moindre Romain. Nous sommes revenus à notre siècle et la même année que début juillet avant notre aventure.

Marion, triomphante, confie alors.--Voilà pourquoi malgré l'orage, j'avais un très bon

moral cette nuit. Je me doutais que ce serait la nuit de notre retour, mais l'orage a quand même été assez violent et je n'étais pas tranquille, je peux vous l'avouer maintenant que tout est fini.

La monitrice embrasse les six adolescents avant de déclarer avec soulagement.

--Je me sens mieux à notre époque, mais Jacques et les autres vont se demander d'où nous venons.

Thomas ne peut s'empêcher de râler.--Avec la chance que nous avons, ils vont dire que

l'orage qui a emporté le chalet s'est produit hier soir. Je ne sais pas pourquoi, mais je le sens mal, notre retour. Au fait, Sandra, pendant que nous sommes encore seuls entre nous, je te préviens, pas question d'hôpital, même s'ils le décident, nous refuserons tous et on partira.

Les cinq autres sont bien du même avis en ce qui concerne les dernières paroles de Thomas.

Ils sont tous assis à regarder devant eux la chaîne des Alpes. A leurs pieds, commence une plaine assez vaste, mais celle-ci, ils la reconnaissent. Ils aperçoivent sur leur droite la rivière qui coule vers la vallée.

Sandra qui a bien entendu Thomas, assure.--Je vous défendrai s'il le faut.Audrey fixe un instant leur monitrice avant de lui

lancer.--Mais ma pauvre Sandra, tu seras dans la même

galère que nous, c'est couru d'avance.Les cinq autres pensent tous comme Audrey.

Pourtant, Marion, elle, prédit avec optimisme.--Tout le monde sera si content de nous revoir qu'il ne

sera pas question d'hôpital, autrement, comme dit Thomas,

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nous menacerons de repartir d'où nous venons ou chez nos parents.

Vivien lâche.--Ma chère Marion, je conviens que nous sommes de

retour dans les Alpes d'où nous étions partis par une certaine nuit d'orage, mais tu es trop optimiste pour notre avenir, à moins que tu ne veuilles t'abuser toi-même, cette fois, à mon avis, ils vont nous « cuisiner ».

Puis, se tournant vers Thomas.--Toi, range ta hache dans ton bagage avec le

fourreau fait par Bertrand. Je ne crois pas que Jacques serait d'accord pour te la laisser s'il la voyait.

--C'est déjà fait, sois tranquille. Sandra, tu ne nous trahis pas, n'est-ce pas ?

La jeune femme fixe Thomas dans les yeux, et, au milieu d'un silence total revenu.

--Pour qui tu me prends, toi ? Tu ne me connais pas encore assez ? Thomas, tu devrais tout de même savoir qu'à présent je suis des vôtres. Je n'oublie pas qu'hier après-midi vous m'avez laissé ma liberté la plus absolue. Alors, maintenant, est-ce bien clair dans l'esprit de chacun ?

Le garçon, propriétaire de la hache, réplique soulagé.--Je ne voulais en aucun cas te faire te fâcher, Sandra,

mais ta parole vaut bien davantage qu'un silence. Merci. Je dois reconnaître que tu as été fantastique avec nous.

Sandra rectifie. Elle répond de la sorte au garçon. --Non, Thomas, erreur de ta part, la seconde ce matin,

ce qui m'étonne de toi. En fait, il fallait nous « serrer les coudes ». C'est ce que nous avons fait. J'ai eu raison de vous faire confiance durant notre aventure et je ne vais certainement pas vous lâcher maintenant. La différence d'âge entre vous et moi n'est pas si grande que vous voudriez me le faire croire. Bon, assez bavardé, vous êtes prêts ? Sabrina confie à ses amis et à Sandra.

--J'ai davantage le trac que le jour où je suis entrée dans le village montée sur un loup.

Denis, ajoute, sûr de lui.--En plus, personne ne nous croira.

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La réflexion du garçon fait se retourner ses amis vers lui. Audrey est la première à admettre ce que tous pensent intérieurement.

--Je crains que tu n'aies raison, Denis.Sandra tente de les convaincre.--Moi, ils seront bien obligés de me croire, je suis

monitrice, et si je mens, je sais qu'il me sera impossible à l'avenir de refaire une colonie. Non, vous vous faites des idées.

Essayant de blaguer, Vivien, pas du tout convaincu par les paroles de Sandra, propose.

--Pour rentrer à la colonie, il faut traverser la rivière, on devrait attendre que le niveau de l'eau baisse pour ne pas trop se mouiller, surtout qu'elle doit être froide.

Sérieuse, la benjamine du groupe admet.--Vivien n'a pas tort. Après tout, nous ne sommes pas

à quelques heures près.Sandra rappelle à sa petite troupe.--Vous savez tous comme moi que le niveau de cette

rivière reste toujours le même en été. A la fin de l'hiver, je veux bien qu'il ait tendance à augmenter avec la fonte des neiges, mais ce n'est nullement le cas en ce moment. Mais, dites, vous autres, auriez-vous vraiment peur ? Là, je ne comprends pas. Vous caressez des loups, ils vous servent de monture, vous vous promenez parmi une meute sans problème, et par contre, le fait de rentrer à la colonie vous donne la frousse. Excusez-moi, mais j'ai du mal à vous comprendre tous les six.

Thomas, piqué au vif, s'approche de la rivière le premier, défait ses chaussures de sport, y introduit ses socquettes, ôte même son short et descend dans le lit de la rivière. L'eau lui arrive à mi-cuisses. Il traverse, pose ses affaires sur l'autre berge, revient et commande.

--Passez-moi tous les sacs, vous viendrez ensuite.Sandra descend dans l'eau pour l'aider.Bientôt, tous ont traversé sauf Sabrina qui déclare,

tout à fait mécontente, de la rive opposée.--Même en restant en slip de bain, je vais avoir les

fesses mouillées.Marion riposte pour son amie.

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--Il me semble que ça s'est déjà produit en d'autres circonstances, et puis, tu pourras te changer sur la berge où nous sommes.

La benjamine aux longs cheveux noirs, finit par céder et franchit également la petite rivière.

Denis remarque, une fois Sabrina remontée sur la berge où se trouve le campement.

--La colonie paraît bien calme. Si ça se trouve, ils sont tous partis !

--Ne te fais pas d'illusions et ne donne pas de faux espoirs. On voit d'ici la voiture de Jacques et le petit bus pour les promenades. Non, Denis, il est encore tôt, c'est tout.

La réflexion de Thomas est approuvée en silence par les autres.

Sandra conseille tout de même son équipe.--Essuyez-vous les jambes et les pieds. L'eau n'est

quand même pas bien chaude.Audrey renchérit juste après la jeune femme.--Elle est glacée, tu veux dire, pire que dans les

Pyrénées.Sabrina, tout en s'essuyant, remarque.--Je ne savais pas qu'une autre grotte existait de

l'autre côté de la rivière.La jeune monitrice rétorque.--Elle n'était pas visible d'où nous étions et personne

n'a jugé bon d'en parler, c'est ce que je crois.Vivien n'est pas de cet avis et il explique.--Non, Sandra. La grotte que nous venons de quitter

ce matin était identique à celle que nous avions trouvée dans les Pyrénées. Moi, ce que je crois, c'est qu'il n'y avait aucune autre grotte ici avant notre retour. Et je vais même te dire, là-bas, il ne doit plus y avoir la moindre grotte. Si Bertrand monte un jour, il constatera la présence d'énormes rochers, mais il n'y aura plus cette grotte. Voilà, moi, ce que je pense.

En juillet 1799, après la nuit terrible où personne n'a pu dormir dans la petite maison de Marité, les deux enfants annoncent à leur mère.

--Maman, il faut que nous allions voir là-haut. Après, ce sera terminé, nous n'irons plus, juste pour remettre des collets. Les lapins, eux, sont restés dans leurs terriers.

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Marité comprend mais déclare.--Je vous accompagne. Nous ferons le travail ensuite,

et j'aurai besoin de vous. Des branches d'arbres de la forêt au-dessus de la maison sont venues jusque près du jardin. Il nous faudra tout retirer.

La mère et les deux enfants vont voir vers le haut de la plaine. Partout, des branches traînent, cassées qu'elles ont été. Là, où se trouvait l'ancienne grotte, il ne reste qu'un rocher imposant.

Marité regarde ses enfants avant de dire.--Bertrand, je crois que tu as raison, ils sont repartis

dans leur siècle cette nuit. Ce rocher ne vient de nulle part. On dirait qu'il est là depuis des centaines d'années.

Marie déclare à son tour.--Il n'empêche que je ne reviens pas sur ce que j'ai dit

hier, ils reviendront pour voir ce qu'est devenu le village et notre maison.

Sa mère questionne.--Pourquoi es-tu si certaine, Marie ?--Nous, nous sommes bien venus ici ce matin !Son frère se voit dans l'obligation de dire.--Marie raisonne comme eux. Maman, nous avons

beaucoup appris, avec eux, mais il fallait qu'ils retournent d'où ils venaient. Comme tu dis souvent, tout est écrit d'avance.

Ils font demi-tour pour rentrer chez eux et il y aura du travail à faire, comme l'avait dit Marité. Pour le trio, une page est tournée, mais il n'oubliera sûrement pas la venue de ces étranges garçons et filles. Jamais Marité, Bertrand et Marie n'auront su de quelle année ils venaient tous, mais, est-ce si important ? Non. L'important était que Sandra et les adolescents soient là pour défendre les droits de Marité et ses enfants.

Dans les Alpes, les six vacanciers et Sandra ont écouté Vivien, mais ils ne sauront jamais si le garçon a ou non raison.

Marion, pour en revenir au présent, se sent très mal à l'aise et fait remarquer sérieusement pour le reste du petit groupe.

--C'est mal poli de réveiller les gens de bonne heure. On devrait attendre.

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Sandra n'écoute pas la fille aux cheveux courts, et, finalement la petite troupe s'avance dans le camp encore endormi.

La jeune femme frappe à la porte du chalet des moniteurs. Au bout de quelques secondes, Jacques vient ouvrir mais Sandra parle avant lui.

--Tu pourrais nous faire du café et du chocolat au lait avec des tartines beurre et confiture ? Nous avons très faim.

--D'où sortez-vous, tous les sept ?--Plus tard, s'il te plaît, Jacques. Après le petit-

déjeuner on dormira encore un peu, mais dans un lit, cette fois. Tu peux les compter, ils sont tous là, et je suis fière d'être leur mono. Ils sont tous sensationnels.

--Oui, oui. Rentrez tous. Je vais aller téléphoner en ville pour prévenir les familles.

Audrey commande assez ferme.--Jacques, tu es gentil, tu ne préviens personne

aujourd'hui, ce sera mieux.Le chef des moniteurs est surpris par l'aplomb de la

fille. Elle n'était pas ainsi au début du séjour. C'était un ordre qu'elle lui donnait tout en y mettant quand même les formes.

Les quatre autres moniteurs arrivent habillés dans la grande pièce où sont Sandra et ses protégés et ils examinent leur collègue et les six autres « revenants ». Marion lance.

--Faut pas vous en faire, nous allons toutes et tous très bien. Personne de nous n'a été blessé.

--Mais, depuis vingt jours, comment ça se fait que...Thomas coupe le moniteur qui parlait et indique à ses

amies et amis.--C'est fou ce que le temps passe vite. Déjà vingt

jours ! Vous vous rendez compte !Audrey assure le moniteur qui avait été interrompu

par Thomas.--C'est trop compliqué, Gérard, plus tard. Tu devrais

écouter Sandra, parfois. Je te jure qu'elle a de bonnes idées.Nicole qui est monitrice mais également la secouriste

la plus chevronnée du groupe, décide.--Après que vous aurez mangé, je vous examinerai.Vivien la regarde, sourit et réplique.

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--Je ne vois pas pourquoi. Personne n'a fait la moindre chute, n'a mal où que ce soit, et dans ce cas, si tu veux mon avis, il n'y a rien à examiner, sinon nous ne serions pas revenus au camp par nos propres moyens, Nicole. Au fait, l'eau de la rivière est un peu froide, le matin.

La monitrice secouriste s'étonne.--Vous êtes allés dans la rivière ce matin !Personne ne répond car Sabrina ôte ses tennis, son

short et regarde dans son sac de voyage. Tous les yeux sont portés sur elle, chacun se demandant ce que l'adolescente est en train de faire. Elle trouve une culotte, la pose sur le dessus du sac qu'elle a laissé ouvert et ôte sur place son slip de bain pour passer la culotte en coton avant de se rhabiller entièrement. Après quoi, elle reconnaît toute souriante.

--Franchement, c'est mieux d'avoir les fesses au sec. Je rincerai mon slip tout à l'heure. Voilà ce que c'est que d'être plus petite que les autres.

Comme tout le monde continue de la regarder, elle questionne tout naturellement.

--Eh bien quoi ! J'ai fait quelque chose de spécial ? Je me suis juste changée, c'est quand même pas si extraordinaire que ça ! Ah oui, les garçons sont là ! Jacques, Nicole, Valérie, Gérard, Philippe, faut pas faire cette tête là. Je me fiche totalement que Thomas, Vivien et Denis aient vu mes fesses. Quant à vous, ce ne sont pas les premières que vous devez voir. Conclusion, je ne vois pas où est le problème. Par contre, oui, Sandra a raison, nous avons faim, ou comme dirait quelqu'un qui se trouve dans cette pièce, on a une sérieuse envie de « grailler ».

C'est la stupeur. Denis souffle à la benjamine du groupe.

--Tu y as été un peu fort, tu trouves pas ?Sabrina réplique à son copain qui vient de parler.--J'ai faim, ce matin, qu'est-ce que tu veux que j'y

fasse ? Après, on ira se laver.Jacques propose au petit groupe.--Vous pourrez vous laver ici si vous voulez.Marion riposte pour répondre au chef des moniteurs.--Tu sais, Jacques, nous on …

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Vivien vient de plaquer sa main sur la bouche de leur amie qui s'apprêtait à dire que l'eau de la rivière serait parfaite et que ce ne serait pas la première fois pour eux. Il lui murmure en insistant.

--Boucle-la, Marion, je t'en prie. Il ne faut créer aucun problème à Sandra, compris ?

Elle acquiesce de la tête, ce qui rend le sourire à Audrey, Thomas et Denis. Il est inutile que qui que ce soit sache que la veille ils se sont tous baignés ensemble. Ils ont promis de tout oublier, ils doivent tenir parole.

Tout le monde passe à table. D'ailleurs, Sabrina s'était assise la première et les sept arrivants mangent avec grand appétit. Thomas avale deux tartines beurrées avant de questionner.

--Vous n'auriez pas une ou deux baguettes de plus, par hasard ?

Gérard s'étonne de la demande du garçon.--Tu as encore faim !Audrey affirme après avoir bu une gorgée de

chocolat au lait.--C'est pourtant vrai que c'est bon de manger du pain

beurré et de la confiture avec du chocolat au lait. J'en reprendrais bien aussi, moi, comme Thomas.

Valérie prévient quand même.--Vous n'aurez plus faim ce midi alors que nous

avons prévu un menu spécial puisque dans deux jours c'est la fin de la colonie. Je serais vous, moi, j'en garderais pour midi.

Thomas demande juste pour savoir ce qu'il en est.--Et c'est quoi, ton menu spécial ?Toute fière d'avoir attiré l'attention, Valérie reprend.--Civet de lapin ou truite, vous aurez le choix, alors ?En entendant cette réponse les six jeunes vacanciers

se regardent. Audrey se fâche même un peu.--Si c'est une plaisanterie, Valérie, elle n'est pas drôle

du tout.--Mais enfin...Et les sept de répliquer ensemble.--Non, merci, on laisse nos parts.La benjamine ajoute alors que le silence s'était

instauré dans la pièce après leur refus.

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--Le lapin et la truite, je n'en mangerai plus avant des années. Pour nous, ça suffit comme ça, on en a une indigestion.

Jacques questionne à son tour.--Et où en avez-vous mangés ?Marion promet entre deux bouchées de pain.--On t'expliquera une fois que nous aurons un peu

dormi.Sandra annonce au chef du camp.--Jacques, je prendrai ta voiture. Nous autres, ce midi,

nous irons manger en ville, si tu permets, et je paierai nos repas de ma poche.

Denis proteste avant que quiconque ait pu reprendre la parole.

--Pourquoi Valérie m'a coupé l'appétit avec son annonce ? Elle n'avait pas le droit. Ce n'est vraiment pas gentil.

Jacques de dire à Sandra.--Toi, il va falloir que tu m'expliques toute votre

histoire, je n'y comprends rien du tout.La jeune femme accepte mais prévient.--D'accord, Jacques, à condition que tu nous laisses

descendre en ville, et ainsi, ils rassureront leurs familles eux-mêmes, mais de toute façon, je te préviens d'avance, tu vas me prendre pour une folle, je m'y attends.

Audrey rappelle à la jeune femme.--Impossible, Sandra. Nous, nous étions avec toi

durant tout ce temps, ne l'oublie pas.Sandra caresse le visage de l'aînée des filles puis

réplique désolée.--C'est juste, Audrey, mais nous n'avons pas la

moindre preuve de notre bonne foi à apporter.Thomas commente pour ses amis.--Sandra n'a pas tort, nous n'avons que notre parole à

donner, et personne, ici ou ailleurs, ne nous croira.Gérard fait savoir au petit groupe ce qui s'est passé

durant leur absence.--Après l'orage, nous avons fait des recherches

partout. Des hélicoptères sont même venus nous aider. Les gendarmes et les chasseurs alpins ont fouillé toute la forêt et nous n'avons trouvé aucune trace où que ce soit, à part un pan

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du chalet et le toit dans la grotte interdite, mais cette grotte est fermée et des spéléologues sont descendus dans le trou qui n'est pas beaucoup plus large que la taille d'un homme, pour rien. C'est comme si vous vous étiez évaporés je ne sais où avec la plus grande partie du chalet. C'est plutôt curieux. Il faut admettre que nous sommes en droit de savoir ce qui s'est vraiment passé après une disparition de vingt jours.

Marion sourit pour dire.--Pour être évaporés, nous étions évaporés, mais si on

vous dit où, Sandra a raison, vous nous prendrez pour des fous tous les sept et vous seriez capables de nous emmener de force à l'hôpital alors que nous aurions dit la pure vérité.

Jacques lance en riant.--Il reste une seule solution, la quatrième dimension.Stupeur pour Sabrina qui, sérieusement, interroge.--Comment as-tu deviné, Jacques ?Les autres moniteurs éclatent de rire, ce qui n'est

évidemment pas le cas de Sandra.Marion est furieuse.--Je t'avais dit, Sabrina, qu'ils ne nous croiraient pas.

Et pourtant !Audrey, Vivien et Denis ne savent pas comment se

tirer de ce mauvais pas. C'est Thomas qui trouve une échappatoire.

--Je dormirais bien encore un peu, moi !Alors que le reste de la colonie se réveille et se

prépare pour une nouvelle journée de vacances, les six adolescents et leur monitrice s'endorment sur les lits des autres moniteurs. Sabrina dormant dans le lit de Sandra avec la jeune femme.

D'ailleurs, la benjamine aux cheveux noirs fait un drôle de rêve. Elle voit Bertrand et Marie en train de parler. Le garçon a pris du papier et une plume d'oie et de l'encre. Sa jeune sœur demandant ce qu'il fait, elle l'entend lui répondre.

--Je fais les portraits de nos amis qui se sont retournés chez eux, pour ne pas oublier leurs visages. Marie, je te les donnerai ensuite à garder, quand on sera grands. Tu les donneras ensuite à tes enfants. Toujours au premier des enfants, n'oublie pas.

--Bertrand, pourquoi pas à tes enfants à toi ?

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--Je ne sais pas et je ne peux pas t'expliquer, c'est comme si Sabrina m'avait fait cette demande quand je l'ai embrassée avant de revenir à la maison, lorsque je les ai quittés.

--Si tu crois que c'est mieux, je ferai comme tu as dit.--Marie, une fois que leurs portraits seront faits, je

ferai les nôtres, ainsi que celui de maman. Tout devra être gardé ensemble. Ecoute, ce sera à toi de juger lequel des enfants est le plus digne d'avoir ces dessins et de comprendre notre secret. Donc, j'avais tort en te disant le premier des enfants. Le plus sageles méritera.

Puis, Sabrina dort tranquillement. Pendant ce temps, la nouvelle fait le tour du campement. « Ils » sont revenus sans la moindre blessure et paraissent n'avoir manqué de rien sauf de pain. Par contre, le chalet reste toujours introuvable.

Les enfants de la colonie restent aux alentours pour cette matinée, ils veulent voir leurs six compagnons et Sandra dès qu'ils seront réveillés pour savoir ce qui leur est arrivé.

Il est onze heures lorsque les garçons ouvrent les yeux. Ils dormaient tous les trois dans la même chambre. Thomas veut enfiler un pantalon à la place du short qu'il portait le matin et, instinctivement, fait un nouvel inventaire de son sac de voyage. Il se met subitement en colère.

--Mon sac a été fouillé. Quelqu'un a pris ma hache et le fourreau en peau de lapin que Bertrand m'avait offert. Ils ne sont plus là.

--Quoi !Denis et Vivien sont surpris. Leur copain reprend.--Oui, regardez tous les deux, je n'ai plus rien !Vivien décide pour les deux autres.--Il faut avertir Sandra immédiatement.Denis est plus calme et propose.--Non, attendez un peu, on va voir nous-mêmes. Il ne

peut s'agir que d'un « mono », donc la hache et le fourreau sont sûrement encore dans le chalet. Au travail.

Thomas s'est repris et déclare.--On va demander, on verra bien.Le trio sort au soleil après s'être lavé le visage, et

Thomas, interceptant Nicole, l'interroge assez brusquement.

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--Tu sais qui a fouillé nos bagages ?--Jacques, pourquoi ?Thomas sent la colère monter.--Il n'avait rien à prendre dans mon sac. De quel droit

se permet-il ? Il est de la police ?La monitrice veut modérer le garçon.--Calme-toi, Thomas, que te manque-t-il ?--Une hache dans un fourreau.Nicole répond au garçon qui lui fait face.--Une hache est interdite, tu devrais le savoir, il te l'a

confisquée, ce qui est normal.Denis n'écoute plus et décide.--Allons voir dans sa chambre.--Denis, vous n'avez pas le droit.Vivien pointe un doigt vers la monitrice pour

répliquer aussitôt.--Lui non plus, n'avait pas le droit de voler la hache

de Thomas. Et on va la récupérer tout de suite.--N'y allez pas.--On va se gêner, tiens !La réponse se Vivien a fusé. C'était comme si le

garçon était lui-même concerné par cette hache que Jacques a confisquée.

Le bruit venant du dehors réveille Sandra et les trois filles qui dormaient encore. La jeune monitrice voit Thomas pénétrer dans le chalet. Le garçon est en colère. Elle questionne tout de même.

--Que se passe-t-il, Thomas ?--Jacques m'a confisqué ma hache et le fourreau fait

par Bertrand. Il a fouillé tous nos sacs pendant que nous dormions.

Audrey, Marion et Sabrina comprennent leur ami, et ce ne sont pas elles qui le retiendraient. D'ailleurs, Vivien est déjà dans la chambre du chef des moniteurs et, aidé de Denis, procède à une fouille en règle de la pièce. Tous les meubles sont ouverts. Sandra veut intervenir.

--Arrêtez, ce n'est pas la bonne solution. Je la lui demanderai et il me la donnera.

Marion lance pour la jeune femme.

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--Tu rêves, Sandra, il me semble. Je n'ai jamais vu qui que ce soit arrêter ces trois là quand ils ont une idée en tête. Et puis, Jacques ne te la rendrait pas plus à toi.

Mais, déjà, sous le lit, Denis sort le fourreau en peau de lapin avec la hache à l'intérieur. Il tend le tout à Thomas. Ce dernier attache alors le fourreau à sa ceinture, sur le côté, et déclare.

--Ainsi, à présent, elle sera visible de tous.Les autres moniteurs alertés par Nicole sont déjà là,

mais, Audrey, Marion et Sabrina se placent devant Thomas. Certains adolescents de la « colo », curieux de savoir ce qui se passe, regardent les trois filles sortir du chalet juste avant Thomas, escorté de Vivien et Denis.

Thomas avance et prévient tout ceux qui sont présents.

--Cette hache nous a permis de survivre, elle ne me quittera pas, quoi que vous en disiez tous. Sinon je pars de la colonie.

Gérard veut en savoir plus.--Que veux-tu dire ?C'est Marion qui devance son copain.--Ce que veut dire Thomas, Gérard, c'est que la

quatrième dimension, comme avait blagué Jacques, elle existe, nous y sommes allés tous les sept une nuit d'orage, et nous y sommes restés vingt jours. A propos, où donc est-il passé, Jacques ?

D'autres adolescents présents renseignent.--En ville, parti chercher les gendarmes.Sandra explose, elle est furieuse.--Le traître ! Il ne pouvait pas attendre notre réveil

pour nous parler ? Il agit en douce ! Qui c'est, ce type qui régente tout sans rien savoir ? Je lui avais promis de parler. Non, lui, il va chez les gendarmes pendant que nous dormons. Aucun de nous n'est un assassin, alors ?

Valérie essaie de faire comprendre.--Vous êtes de retour, son devoir était de prévenir les

familles. Et puis, franchement, Sandra, cette histoire de quatrième dimension, c'est de la blague !

Sandra fixe sa collègue en rétorquant sèchement.

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--Eh bien puisque tu es si forte, dis-moi alors où nous étions durant vingt jours ? Nous serions tous les sept heureux de le savoir à notre tour, puisque tu connais tout.

C'est le silence. Sandra, réputée pour son calme et sa douceur avec les jeunes vacanciers, qui s'emporte brusquement en prenant la défense de Thomas contre tous, c'est nouveau. Il s'est passé quelque chose.

Audrey s'y met à son tour.--Faudra nous dire aussi comment une partie du

mobilier du chalet se trouve depuis ce matin de l'autre côté de la rivière dans la seconde grotte. Si vous avez une explication plausible à me donner, je suis preneuse.

Gérard affirme ce qu'il croit exact.--Il n'existe aucune grotte de l'autre côté de la rivière,

Audrey, tu le sais comme moi.Vivien décide face aux moniteurs les plus proches de

lui.--Philippe, Nicole, venez, je vous conduis, moi, mais

il vous faudra vous mouiller pieds et jambes.Les deux moniteurs suivent le garçon et sont bien

obligés de constater la présence des trois matelas et de la table dont les pieds ont été coupés, ainsi que les deux fenêtres dont le verre est resté intact. Vivien fait face aux deux moniteurs et questionne.

--Alors c'est quoi, ça ?Philippe constate pour sa collègue venue avec Vivien

et lui.--Les pieds de la table ont été coupés à la hache, donc

sûrement celle de Thomas, mais hier, cette grotte n'existait pas. Nicole, je serais tenté de les croire, moi.

La jeune femme acquiesce en précisant.--Tout a été ratissé par l'armée. Il s'est vraiment passé

quelque chose, ils ont raison.Vivien, les mains sur les hanches, de dire.--Quand même !A leur retour à la colonie, Nicole et Philippe font leur

rapport.--Audrey avait raison, il existe bien une autre grotte,

mais hier, elle n'y était pas, et on y a retrouvé du mobilier du chalet.

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Sabrina déclare les deux mains sur les hanches.--A moins que nous ayons creusé cette grotte durant

la nuit avec nos mains et sans faire de bruit. Pour le mobilier, trouvez ce qui aurait pu se passer, mais, par contre, avis à la population, personne ne touchera à la hache de Thomas. Sans elle, Denis et Vivien seraient morts ou gravement blessés, et peut-être Thomas également. Vous ne croirez personne, et pourtant, nous avons vécu une drôle d'aventure. Bon, ceci dit, vu le monde présent, je prends une chambre pour enfiler un maillot de bain.

Et Sabrina de rentrer de nouveau dans le chalet pour se changer. Marion lui promet.

--Je garde la porte, personne ne rentrera avant que tu ne sois prête.

A peine Sabrina est-elle de retour qu'un garçon de la colonie prévient.

--Jacques revient avec les gendarmes.Marion déclare assez fort afin que les autres

moniteurs puissent bien entendre.--Il n'est pas malin du tout, alors. Heureusement que

c'est la toute dernière « colo » que nous faisons.Sandra s'avance au devant de la voiture et stoppe le

chef du camp. Elle va à sa hauteur et déclare alors que le fourgon de gendarmerie se trouve à quelques mètres en arrière.

--Quand j'aurai quelques chose à dire aux autorités, je me rendrai moi-même à la gendarmerie. Messieurs, Jacques vous a dérangés pour rien. Les enfants ne sont pas prêts à être interrogés. Notre retour ne date que de ce matin et nous avons ensuite dormi. Toi, Jacques, qui que tu sois, ce n'est pas une façon de fouiller les bagages pendant notre sommeil. Les enfants sont furieux, et il ne s'agirait pas de t'aviser à prendre de nouveau la hache de Thomas. Pour ta gouverne, cette hache, bien qu'interdite, nous a sauvé la vie. Moi, je lui dis qu'il a le droit de la porter. Autre chose que tu ne savais pas encore, je suis totalement solidaire du groupe que j'ai ramené ce matin.

Jacques sort de sa voiture alors que deux gendarmes en font autant du fourgon dans lequel ils étaient. Le chef des moniteurs est en rage et annonce à Sandra sans aucun ménagement.

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--Tu es virée, toi !Audrey fixe Marion et Sabrina. Thomas, Vivien et

Denis sont encore plus en colère que depuis la disparition de la hache. Les yeux sont froids, mais c'est Marion qui réplique la première.

--Voilà qui tombe bien, nous partons aussi. Mon père fera mener une enquête, Jacques. Tu es un dictateur. On ne vire pas quelqu'un de cette manière. Je vais te dire, tu croyais nous voir te supplier, c'est raté. Messieurs les gendarmes, vous avez bien fait de venir avec un fourgon. Si Sandra est renvoyée, nous n'avons plus rien à faire dans cette colonie. Vous nous reconduisez en ville. Maintenant, tous, écoutez bien. Il a fallu survivre comme nous pouvions dans un lieu incroyable. Sandra nous a aidés dès le début moralement. Ensuite, tout le monde s'y est mis. Nous sommes une équipe soudée. Petit détail, vous ne pouviez pas nous retrouver, c'était impossible, et notre retour ne dépendait pas de nous.

Un gendarme questionne.--Et pourquoi donc, jeune fille ?Jacques annonce d'une voix ferme.--Tous les six, vous ne partirez pas d'ici avant la fin

de la colonie. Je suis responsable de vous.Sabrina répond aussitôt.--Pour le peu de temps que tu nous as vus dans le

mois, parlons-en ! Non, Jacques, Marion a raison, puisque Sandra doit quitter la colonie, nous aussi, et ce ne sera pas toi qui nous en empêcheras. Tu es allé téléphoner à nos familles, pour un peu, tu leur auras dit que c'est grâce à toi que nous sommes de retour, ce qui est totalement faux. La seule à qui nous devons quelque chose, et même beaucoup, d'ailleurs, c'est Sandra. Maintenant, Marion, tu peux répondre à monsieur le gendarme qui t'a posé une question avant que je ne m'énerve contre l'injustice.

La benjamine est embrassée par ses trois copains de lycée et par Audrey. Marion explique alors au gendarme.

--Nous avions été transportés ailleurs et dans un autre temps, par une nuit d'orage, voilà pourquoi notre retour ne dépendait pas de nous, nous ne pouvions revenir que par une même nuit d'orage, ce qui a été le cas cette nuit pour nous. Sandra, on les accompagne, mais, à condition que ce midi,

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puisque vous nous invitez avec tant de gentillesse, on ne mange ni lapin ni truite.

Pour blaguer, un gendarme interroge.--Un hot-dog, ça irait ?Denis acquiesce puis ajoute.--Avec un croque-monsieur en plus, pas de problème,

monsieur. Sandra, tu viens avec nous, évidemment !La jeune femme approuve.--J'arrive, Denis.Thomas intervient. C'est vrai, ils ne doivent pas partir

les mains vides.--Une minute. On y va, d'accord, mais, vous autres,

allez récupérer vos bagages, moi, j'emmène le mien. Je ne veux plus que l'on fouille dans mes affaires comme quelqu'un l'a fait durant notre sommeil, et puis, je ne vois pas ce que je ferais à présent dans cette colonie. Marion a raison.

Jacques est sur le point « d'exploser ». Il annonce.--Vos parents arriveront demain pour vous ramener

chez vous, et vous ferez sûrement moins les malins qu'ici.Vivien commande alors.--Denis, occupe-toi de mon bagage, j'ai oublié

quelque chose dans la grotte.Audrey, s'adressant à Sabrina, demande en parlant

assez fort pour que tout le monde entende.--Tu crois qu'il pense qu'il ne s'est pas lavé assez les

pieds, Vivien, depuis ce matin ?C'est le sourire sur plusieurs visages, dont celui de

Sandra.Et le garçon dont il est question, en slip de bain,

retraverse la rivière pour la quatrième fois de la matinée. Il revient avec son arc et ses flèches. Les gendarmes se regardent. D'où ce garçon peut-il sortir un arc et des flèches ? Un ordre est donné et l'un des gendarmes traverse la rivière en compagnie de Denis, cette fois, pour constater la présence d'une grotte. L'homme ne fait pas le moindre commentaire devant le garçon et revient en sa compagnie à la colonie.

Avant de monter dans le fourgon de la gendarmerie avec sa valise, Audrey regarde Jacques dans les yeux, en présence de Valérie et Gérard, et lance comme par défi.

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--De toute façon, c'est décidé, en partant d'ici, nous irons tous dans les Pyrénées au mois d'août, avec ou sans les parents, mais sûrement pas sans Sandra. Jacques, le 6 juillet, nous étions six gamins, plus maintenant, c'est tout.

La jeune femme serre l'adolescente contre elle et lui indique avec justesse.

-- « Chérie », tes parents et les parents des cinq autres auront leur mot à dire, tu ne crois pas ?

Marion, qui a entendu, n'hésite pas à répondre.--Sandra, après notre rapport à tous, il est certain

qu'ils seront obligés de te remercier pour ce que tu as fait.Moins de dix minutes s'écoulent avant que les

enfants, Sandra et les trois gendarmes venus, ne quittent la colonie.

En cours de route vers la vallée, l'un des gendarmes qui ne conduit pas, remarque pour Sandra.

--J'ai l'impression, mademoiselle, qu'il vous sera très difficile d'être de nouveau monitrice.

--Aucune importance, monsieur. Quand on a vu ces six là, on ne désire pas en connaître d'autres, je vous assure, ils sont formidables. Moi, je n'ai fait que mon devoir, eux ont fait bien plus que je ne pensais. Il faut les côtoyer pour se rendre compte. Au fait, Audrey, pourquoi as-tu parlé des Pyrénées pour le mois d'août ?

Vivien devance son amie.--Il me semble que c'est logique. Pas toi ?Sandra se tourne vers le garçon qui vient de parler.--Dis donc, toi, pourquoi as-tu ramené cet arc et ces

quatre flèches ?Tout sourire, Vivien fait savoir en réponse.--Comme souvenir, Sandra. Et que la cinquième a été

utilisée, tu le sais bien.Le gendarme qui s'était adressé à Sandra, questionne

Vivien.--Tu sais t'en servir ?Modeste, le garçon répond juste.--Oui, un peu.--On verra tout à l'heure.Sandra risque pour sa petite équipe.

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--Vous voulez aller dans les Pyrénées, mais tout a changé depuis. Vous serez déçus, méfiez-vous, et réfléchissez encore.

A la gendarmerie de la ville, la petite troupe ne passe pas inaperçue. Sandra raconte toute leur histoire. Les gendarmes sont perplexes malgré le rapport du gendarme qui avait accompagné Denis, après que Vivien ait ramené son arc de la grotte. La jeune femme divague, elle dit n'importe quoi, mais, pour quelle raison ? Qu'a-t-elle donc à cacher ?

Voyant le visage des gendarmes, Sabrina se fâche.--Vous non plus, vous ne croyez pas Sandra, c'est

visible dans vos yeux, et pourtant, tout est réel. Tout s'est exactement passé comme elle l'a dit.

Le gendarme qui était allé avec Denis, de défendre.--Mon Commandant, il s'est passé quelque chose tout

de même. J'ai vu les restes du chalet qui avait disparu, ainsi que du mobilier. Je ne sais pas si mademoiselle dit vrai, mais il faut se rendre à l'évidence, jusqu'à ce matin, il n'y avait qu'une seule grotte. Hier, je suis passé près de la colonie et je peux vous affirmer que je n'ai pas vu ce que j'ai constaté ce matin avec Denis. Je comprends un peu que Sabrina se fâche, mais, Sabrina, il nous aurait fallu une preuve.

Sabrina demande pour en finir avec ces doutes, car, c'est sûr, personne ne les croit.

--Mais alors, où étions-nous, d'après vous ?C'est le silence dans la pièce. Audrey enchaîne.--Si vous pouvez nous trouver une explication pour la

seconde grotte qui ne s'y trouvait pas hier, nous vous permettrons de nous traiter de menteurs, surtout que nous avons su que l'armée a tout fouillé les jours qui ont suivi notre disparition.

Certains gendarmes se regardent. Ils ne savent plus quoi penser. Cette fille nommée Audrey paraît sûre d'elle.

Un nouveau silence s'instaure dans la pièce, ce dont profite Vivien.

--Messieurs, regardez mon arc. Dites-moi si l'on trouve le même bois par ici.

Le commandant de gendarmerie doit convenir que c'est assez étonnant et que cette espèce ne pousse pas dans la région.

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Vivien profite du doute obtenu pour reprendre.--L'un de vos hommes m'a demandé si je savais m'en

servir. Je peux essayer, donnez-moi une cible.--Viens en salle de tir.--Non, à l'air libre.Un gendarme remarque pour le garçon qui possède

l'arc.--Pourtant, en salle de tir, il n'y aurait aucun vent et ce

serait donc plus facile pour toi.Marion réplique d'une façon tout à fait logique.--Je ne vois pas pourquoi Vivien se servirait d'un arc

dans une maison ou un appartement. Il est parfois farfelu, mais pas à ce point là.

Audrey et Sabrina ne peuvent que sourire.Dans la cour est installée une cible, et, à vingt mètres,

Vivien la transperce en son centre.Denis prend l'arc à son tour et lâche lui aussi une

flèche qui rejoint la première pour se planter à cinq millimètres de celle de Vivien.

Sabrina revient à la charge.--Messieurs les gendarmes, pourquoi serions-nous

sept à dire exactement la même chose, si cela n'était pas vrai ?Marion attaque de nouveau pour dire ce qu'elle a sur

le cœur.--En tout cas, nous n'avons pas été enlevés pars des

extraterrestres, je peux vous l'affirmer.Thomas qui se posait des questions depuis la fin de la

matinée en regardant ceux de la « colo », interroge soudain.--Quel temps a-t-il fait dans la région depuis la nuit

de l'orage où nous avions disparu ?Le commandant répond lui-même.--Il a plu une bonne dizaine de jours. Les vacanciers

n'ont pas eu de chance, et en plus, là-haut, après, il y a eu beaucoup de brouillard. Vos camarades de la colonie ont dû s'ennuyer. Le beau temps n'est véritablement de retour que depuis cinq à six jours, mais, pourquoi cette question,Thomas ?

Le garçon ne répond pas mais ôte sa chemisette enfilée à son éveil vers onze heures et questionne de nouveau.

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--Alors, expliquez-moi pourquoi mon torse et mon dos sont bronzés de la sorte.

Sandra demande au garçon qui est torse-nu.--D'où te vient cette griffure sur ton torse ?--C'est rien, ça, une branche m'a éraflée en abattant un

arbre à la hache.Audrey se rappelle et confirme à son tour.--Oui, c'est juste, c'est le jour où Marie s'est servie des

loups pour tirer les troncs coupés.Thomas acquiesce en ajoutant.--Fallait pas le dire, Sandra va me disputer, je ne lui

en avais pas parlé.Un gendarme questionne.--Tu as abattu un arbre ?Sabrina précise avant que le garçon ne parle.--Pas seulement un, monsieur, quatre ou cinq, ce

serait plus exact.Pour Thomas, ce n'est pas le nombre qui compte. Il

reproche aux gendarmes présents.--J'ai l'impression que vous n'avez pas écouté Sandra

ni les uns ni les autres. Pourtant, elle a été claire et précise, et c'est pourquoi, les truites et les lapins, c'est fini, je vous jure.

Marion prononce, déçue que personne ne veuille les croire.

--Si seulement nous avions une preuve matérielle à vous montrer, vous nous croiriez peut-être, mais Marité a gardé le message de Bonaparte, général à l'époque.

Sandra embrasse la fille aux cheveux courts, car il vient de lui revenir quelque chose en tête, et elle affirme en souriant.

--Marion, tu es géniale !--A cause de quoi ?--De la preuve. Messieurs, remontons où sont

entreposés nos bagages. Marion, j'en ai une à laquelle je ne pensais plus du tout.

Tout le monde quitte la cour et remonte dans la pièce où se trouvaient les bagages.

A peine quelques minutes plus tard, Sandra commande.

--Denis, ouvre mon sac et sors mon short blanc.

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--Mais ce sont tes affaires, je n'ai pas à fouiller dedans, et puis, il peut y avoir des choses personnelles !

--Sors ce short, je te dis, ainsi, on ne pourra pas dire que j'y ai mis quelque chose maintenant.

Les adolescents se regardent. Thomas, toujours sa hache à sa ceinture, interroge quand même.

--Tu as une preuve, vraiment ?La jeune monitrice affirme.--Oui c'est le seul short qui n'a pas été lavé depuis que

je l'ai mis ce jour-là, heureusement.Sabrina émet en faisant la moue.--Des traces d'herbe, Sandra, je ne voudrais pas te

décevoir, mais ce ne sera pas suffisant.Denis ramène le short pour le donner à la jeune

femme qu'ils aiment bien. Elle s'empresse de fouiller dans sa poche droite et en sort un papier plié en quatre pour le poser sur la table autour de laquelle ils sont tous.

Denis questionne la jeune femme.--Qu'est-ce que c'est ?--Ce que c'est, mon cher Denis, la preuve la plus

absolue de notre histoire durant vingt jours. Je vous prie, messieurs, ouvrez ce document.

Les trois garçons et les trois filles se regardent avec étonnement. Ils se demandent ce que Sandra aurait pu ramener de cette année 1799 où ils s'étaient tous retrouvés par le plus grand des hasards.

Le commandant de gendarmerie s'empare du papier et l'ouvre. D'abord, tout le monde se rend compte qu'il ne s'agit pas de papier normal mais plus épais et granuleux. Le cachet de cire apparaît enfin. L'homme a un recul et questionne rapidement.

--Mademoiselle, d'où vient ce document ?--Lisez, Commandant, vous le saurez.A haute voix, le commandant de gendarmerie

commence.-- «  Citoyenne, ton époux, le soldat Louis Castelnoux

est décédé voici deux jours d'une maladie contractée en Egypte alors qu'il se trouvait au service de la patrie et du général en chef de l'armée d'Egypte, Bonaparte. Reçois tous nos regrets. Ton homme était courageux et a bien servi la République.

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Qu'hommage lui soit rendu » . Au-dessous de ce que je viens de vous lire est apposée la signature du général en chef des armées en Egypte, autrement dit, Bonaparte. Mademoiselle, ce document ne peut être un faux. Le cachet de cire correspond à celui utilisé à l'époque par l'armée de Bonaparte en Egypte en 1799. Je le sais, car, j'ai aimé, étant jeune, étudier cette période de notre histoire.

Les six adolescents se précipitent sur Sandra pour l'embrasser. Le calme revenu, le commandant reprend pour ses hommes présents dans la pièce.

--Messieurs, bien que ce soit impossible, ce qu'ont vécu ces enfants et cette jeune femme est réel. Bien entendu, je vous demande à tous le plus grand secret. Vous êtes militaires. Ce document est considéré à compter de cet instant comme confidentiel-défense. Donc, hors de cette pièce, il n'en sera plus question. Mademoiselle Sandra, je vous restitue ce document à la seule condition que vous le conserviez pour vous seule et de ne le montrer à personne d'autre à partir de ce moment. On pourrait prétendre que vous l'avez dérobé, et je ne vous couvrirais pas à ce sujet. Si je n'obtiens pas votre parole, je me verrai contraint de conserver ce document qui, historiquement, est d'une grande valeur.

Marion proteste.--C'est pas juste. On va nous traiter de menteurs alors

que nous sommes de bonne foi !Le commandant est désolé pour Marion et le lui dit.--Ma petite demoiselle, il existe des fois où le secret

militaire doit l'emporter, et en l'occurrence, c'est le cas aujourd'hui. C'est une chance que personne n'ait vu ce document à votre colonie de vacances. Mais je vous promets en compensation, d'intervenir auprès de vos parents pour que mademoiselle Sandra reste avec vous au mois d'août. En attendant, je crois savoir que vous avez un peu faim. Thomas, tu recevras avant ton départ, un permis de transporter ta hache, sauf au lycée, bien entendu. Nous sommes bien d'accord ?

--Parfaitement, mon Commandant, et je vous en remercie.

Marion revient à la charge.

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--Commandant, nos parents vont nous poser des questions. Si nous reprenons notre véritable histoire, ils ne nous croiront pas, et ça, vous voyez, ça m'ennuie plutôt.

L'homme se veut rassurant.--On fera en sorte qu'ils ne posent de questions à

aucun de vous, y compris à mademoiselle Sandra.Audrey avance dès que le commandant en a fini.--Commandant, le village dont Sandra a parlé existe-

t-il toujours ?L'homme renseigne.--C'est une petite ville souvent fréquentée l'hiver, à

présent, ma chère Audrey, ce n'est plus un village du tout.--C'est une station de sport d'hiver !--Oui. Je te montrerai sur une carte après le déjeuner,

tu verras. D'ailleurs, durant ce déjeuner, j'aimerais bien entendre de chacun de vous le récit vécu de vos aventures.

Sabrina, un peu curieuse, questionne l'homme.--Vous voulez faire un livre ?Le commandant sourit et rassure.--Non, Sabrina, je suis juste un peu curieux.Durant le déjeuner sans le moindre lapin ni une seule

truite au menu, les adolescents parlent beaucoup, mais Sandra est toujours mise en avant, ce qui gêne un peu la jeune femme. Voyant son malaise, Marion déclare en forme d'excuse.

--Nous sommes bien obligés de dire la vérité !Sandra proteste pour tenter de dire ce qu'il en était.--Parfois, vous avez su vous débrouiller sans moi, et

sans les arcs, les flèches et l'adresse de Vivien et Denis, les loups se seraient jetés sur Marité et moi. Je n'oublierai jamais votre sang froid. Au fait, merci de nous avoir désobéi ce jour-là.

Vivien réplique en souriant.--Parce que tu croyais que nous allions t'obéir au

doigt et à l’œil à chaque fois !Thomas enchaîne après son copain de lycée.--Il s'agissait de préserver nos vies avant tout. Nous

savions que les loups n'étaient pas loin, et puis, à ce moment là, personne ne savait si notre retour dans notre siècle serait possible.

--Bon, j'ai compris, je n'aurai pas le dernier mot.

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Les adolescents esquissent de larges sourires. Ensuite, il est question également de la petite Marie et de son courage peu ordinaire pour ses huit ans et demi. Elle qui avait caressé un jeune loup en lui parlant et sans montrer la moindre crainte.

Le commandant de gendarmerie émet.--C'est curieux, comme histoire.Les enfants pensant que l'homme veut parler de la

manière d'agir de Marie ne relèvent pas autrement ses propos. Audrey parle à son tour, mais elle prend bien soin de passer sous silence son idée de liberté quand les filles se trouvaient ensemble près de la cabane, ce que Sabrina ne manque pas de remarquer au fond d'elle-même.

Un gendarme questionne.--Mon Commandant, comment peut-on expliquer ce

qui leur est arrivé, changer de lieu et d'époque ?--Cela ne s'explique pas. La logique veut que ce soit

impossible, et pourtant nous en avons une preuve formelle. Bien, tous les sept, ce soir vous dormirez à la gendarmerie, mais rassurez-vous, pas en cellules. J'enverrai un de mes hommes prévenir la colonie et aussi fermer cette grotte qui ne devrait pas être là. Nous verrons plus tard pour les meubles qui s'y trouvent encore. J'ai appris, Sandra, permettez que je n'utilise que votre prénom, votre renvoi de la colonie de vacances. Je ferai le nécessaire pour que vos gages vous soient réglés, puisque vous avez veillé sur les six enfants dont vous aviez la charge.

--Merci, mon Commandant, mais, je vous assure, ils ont été courageux et attachants. A leur départ, c'est sûr, je les regretterai et je sentirai un grand vide.

--Je n'en doute pas. Ils ont parlé de vous avec beaucoup de chaleur également, et je ne pense pas que ce soit dû à votre présence en ce moment parmi nous. Ils sont sincères. Ces enfants ne pourraient pas inventer une histoire pareille. J'ai observé que ce que vous aviez passé sous silence, de crainte de ne pas être crue, eux, l'ont dit.

A la fin du déjeuner, les adolescents et leur monitrice vont faire un tour en ville.

Sabrina déclare en souriant.

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--Faut quand même reconnaître que ce n'est pas du tout la même chose que là-bas.

Audrey, contrairement à la benjamine du groupe, est un peu triste et s'en explique.

--C'est juste, Sabrina, mais il sera impossible d'oublier Marité, Bertrand et Marie. Ils nous ont reçus comme si nous étions de leur famille et même sans doute mieux. Nous avons vécu une grande partie de juillet avec eux et nous ne savons pas ce qu'ils sont devenus.

Thomas répond un peu triste.--Je crois qu'il est préférable que nous ne le sachions

pas, les guerres napoléoniennes ont tué beaucoup de monde, vous le savez comme moi. Sandra avait raison, tout à l'heure, il vaut mieux garder une belle image d'eux. Pour ma part, je trouvais que Marie était d'une intelligence peu commune.

Marion, quant à elle, fait savoir.--Et Bertrand un excellent dessinateur en plus d'avoir

un raisonnement logique. Pour le dessin, j'ai été vraiment surprise, n'est-ce pas, Audrey, ce dessin des loups gardant la maison et Marie caressant l'un d'eux était superbe. Faire un dessin à la plume d'oie en simplement quelques minutes, c'est fantastique !

--C'est vrai, Marion a raison, avec de l'encre, cela n'a rien d'évident. Nous, à côté, nous sommes de petits amateurs, comme dirait mon père en regardant parfois des matchs de football.

Denis rappelle à tous.--Sans Bertrand pour préparer les lapins au début,

nous aurions été perdus. Il était très débrouillard. Et si nous leur avons appris des choses, eux aussi, nous ont appris pas mal.

Les autres sont bien obligés d'approuver.Vivien déclare après un court silence.--J'ai tout de même envie de savoir ce qu'est devenu

ce que nous appelions le village.Sabrina, Denis et Marion acquiescent tous les trois.Audrey, qui n'avait pas pris position sur la réflexion

de Vivien interroge Sandra.--Qu'en dis-tu, toi ?

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--Je ne sais pas si c'est une bonne idée. Et puis, de toute façon, vos parents n'ont pas donné leur accord et cela me surprendrait qu'ils vous le donnent alors que vous avez été portés disparus durant vingt jours avec moi.

Audrey reprend toute souriante.--Ce qui veut dire oui en ce qui te concerne. Pour le

reste, ne t'en occupe pas, nous, on se charge de nos parents.Les cinq autres sont tout à fait de l'avis de leur amie

de lycée.La promenade se continue plus silencieuse et ils ne

rentrent à la gendarmerie que pour le goûter et se reposer ensuite. Les épouses de certains gendarmes se faisant un plaisir de leur préparer des gâteaux.

10

Pour la nuit, Sandra n'a pas voulu laisser « ses enfants » seuls, elle se sent proche d'eux et ils partagent donc tous les sept le même dortoir d'habitude réservé aux auxiliaires de gendarmerie pour les sports d'hiver, à la période où il vient le plus de vacanciers désireux de faire du ski.

Pour se changer, ils avaient eu la gentillesse de la laisser seule dans la grande chambrée. Ils avaient respecté la gêne qu'aurait pu avoir leur monitrice par leur présence, même

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s'ils avaient tous fermé les yeux. Par contre, quand elle avait été en tenue de nuit, voulant à son tour les laisser entre eux, Marion et Audrey avaient déclaré, soutenues en cela par les garçons et Sabrina.

--On ne voit pas pourquoi tu devrais sortir. Et puis, dans le couloir, tu aurais l'air fine, en pyjama. Nous, ce n'est pas du tout la même chose, nous étions encore habillés. Tu fermeras les yeux si tu veux, mais franchement, nous, ça nous est bien égal. Sandra, tu es des nôtres, ne l'oublie pas.

La jeune femme, sourire aux lèvres, avait répliqué aux adolescents qui lui avaient demandé de rester dans la pièce.

--Dans ce cas, pourquoi êtes-vous sortis, vous, alors, quand il s'agissait de moi, tout à l'heure ?

Thomas trouve vite la réponse.--Mais parce qu'il n'aurait pas été convenable que

nous restions dans la pièce. Nous estimions que tu ne devais pas être gênée à cause de nous. Et puis, ce n'est pas la même chose. Malgré tout, tu es encore notre « mono », même si Jacques t'a renvoyée. Pour nous, ce qu'il a dit ne compte pas.

--Attendez, vous n'êtes plus tout à fait logiques. Si je suis des vôtres, ce que j'accepte volontiers, car cela signifie que nous nous sommes compris et que plus rien ne sera comme avant, ce qu'a dit Thomas ne tient plus.

Retirant sa chemisette, Denis réplique.--Sois gentille, Sandra, « ne nous prends pas la tête »

avec tes questions et tes démonstrations qui n'ont pas lieu d'être. Je t'assure, bien que nous ayons dormi un peu ce matin, la journée n'a pas été des plus reposantes, et je suppose que ce doit être pareil pour toi.

Sandra abdique pour faire plaisir à sa petite troupe.--C'est bon, je ne dis plus rien.Triomphant, Denis reprend pour ses amis.--Franchement, je ne savais pas qu'une « mono »

pouvait être aussi têtue.Plusieurs sourires se font voir.Sandra les surprend tous en répliquant.--Et moi, je n'aurais jamais imaginé début juillet que

vous auriez autant de dynamisme et surtout une solidarité à toute épreuve.

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Sabrina et Marion font savoir après s'être regardées.--Sandra, nous sommes très fatiguées, alors, si tu

veux prouver que tu as gagné, c'est bon, tu as gagné, on accepte.

Thomas s'étonne d'entendre les deux plus jeunes.--Sabrina, Marion, c'est plutôt rare de vous voir

renoncer aussi rapidement !Les deux filles ne répondent rien à leur copain et,

avant de se coucher, sont les premières à venir faire la bise à Sandra qui est chargée d'éteindre la lumière de la chambrée.

A l'étonnement de la jeune femme, les six enfants, car ils sont malgré tout encore des enfants, trouvent rapidement le sommeil.

Sandra, elle, n'est pas comme eux, loin s'en faut. Elle se remémore tout ce qu'ils ont vécu durant cette aventure peu banale et que bien peu de monde serait prêt à croire, à part le commandant de cette gendarmerie où ils sont en ce moment. Il a raison, ce serait peine perdue d'essayer de convaincre qui que ce soit, tellement c'est inimaginable. Et puis, Jacques a agi d'une manière peu délicate, et, pour la première fois depuis très longtemps, elle s'est emportée violemment, ce qui n'est nullement dans son caractère. Oui, ce matin, elle a tout perdu, mais elle ne regrette pas, Thomas et les cinq autres méritaient d'être défendus. Elle leur avait promis, il n'était pas question qu'elle se rétracte au dernier moment. Et de toute façon, elle avait dit ce qu'elle pensait réellement, ce qui l'avait soulagée après toute cette pression qu'elle avait dû subir seule durant vingt jours passés à la fin du dix-huitième siècle, car les jeunes vacanciers dont elle avait la charge avaient été moins soucieux qu'elle.

Enfin, au bout d'un certain temps, la jeune femme parvient à s'endormir à son tour.

Au matin du lendemain, comme dans la grotte la veille, Sandra est la première éveillée mais reste dans son lit. Ils sont tous les six encore endormis et elle attendra comme la veille leur réveil pour se lever. Elle avait choisi la veille de rester parmi eux dans le dortoir alors qu'on lui avait offert une chambre seule. Là-bas, ils avaient su être présents, sans doute à cause d'une moindre prise de conscience, mais ils avaient été

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là, et c'était le principal. Elle leur devait de leur rendre la pareille.

Peu à peu, les yeux s'ouvrent et ils viennent lui dire bonjour un à un, bien qu'ils soient encore pieds-nus. Marion remarque en se levant la toute dernière.

--On entendait quand même moins de bruit là-bas. Vivien concède en lui faisant la bise.--Oui, à part le hurlement des loups, au début que

nous habitions chez Marité.La cadette des filles réplique en souriant.--C'est un détail, ça, mon cher Vivien.Sabrina affirme pour son amie aux cheveux courts.--Ce détail, à moi, il me faisait peur. De toute

manière, il est inutile de parler de ça aux parents, ils ne nous croiraient pas et Sandra aurait des ennuis par notre faute.

Marion approuve ce que vient de dire Sabrina.--Tout à fait d'accord, Sabrina. Il faudra que le

commandant soit assez persuasif pour éviter qu'on nous pose des questions, car les miens sont d'un naturel assez curieux.

Les adolescents s'étaient tournés afin que Sandra puisse s'habiller. La monitrice questionne une fois entièrement vêtue.

--Marion, j'aimerais savoir, comment as-tu su qu'il y aurait un orage avant-hier ? Je voulais déjà avoir une réponse cette nuit là, mais le moment était assez mal choisi, je le reconnais.

La gamine donne vite sa réponse.--C'était logique. Nous avions été expédiés là-bas

pour aider Marité, Bertrand et Marie, mais surtout Marité. A notre départ de chez elle, nous n'avions plus rien à faire là-bas. Je vais même vous dire à tous, nous étions désignés par avance. Je m'explique. D'abord, Audrey, Sabrina, les garçons et moi nous nous connaissons depuis plusieurs années et nous sommes amis depuis aussi longtemps, presque. Ensuite, il fallait la présence de Sandra. Enfin, plutôt, d'une jeune femme pour nous encadrer. Nous, nous avions choisi Sandra pour être notre « mono » de chalet. Pardon, Sandra, mais c'est notre faute si tu es venue avec nous. J'ai réfléchi à tout ça et vous aussi, sans doute, et, comme je vous connais, vous allez me demander, pourquoi spécialement nous. Cette fois, je me

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tourne vers Thomas en disant, parce qu'il était le seul à posséder une hache et que cette hache serait utile là où nous devions nous rendre. Voilà ce que j'ai pensé peu à peu. Savoir que notre retour ici se ferait dans la nuit d'avant-hier à hier, je ne savais pas, mais lorsque j'ai vu les nuages passer les Pyrénées, cette fois, je me suis dite que ce serait probablement pour cette nuit là, et tu vois, Sandra, je ne m'étais pas trompée. Pourtant, je n'osais pas franchement vous le dire à tous, vous auriez ri, j'en suis certaine. En fait, c'est Sabrina qui nous a avertis la première que les nuages arrivaient d'Espagne. Bon, quel est le programme de ce matin, Sandra ?

Vivien prend Denis à témoin et avoue.--Tu sais qu'elle raisonne drôlement bien, notre

nouvelle petite « prof », et je vais vous dire à tous, je crois qu'elle a raison dans ses propos.

Thomas questionne la fille.--Marion si j'ai bien compris, si je n'avais pas eu de

hache dans mon bagage, cette aventure ne nous serait pas arrivée ?

La réponse est affirmative.--C'est exactement ce que je pense, Thomas, oui.Audrey émet à son tour.--Je ne sais pas si Marion a raison ou non, mais en

tout cas, je ne regrette pas notre petit séjour dans les Pyrénées en juillet 1799.

Sandra annonce pour couper court à la conversation.--Nous reparlerons de tout cela plus tard. Marion,

pour répondre à ta question de savoir ce que nous ferons ce matin, je suis désolée, mais nous ne pouvons rien prévoir. Vous devez quand même vous rappeler que vos parents vont arriver aujourd'hui. Donc, allez vous doucher. Vous vous habillerez ensuite. Nous devons être les derniers à nous lever, surtout dans une gendarmerie.

En sortant de la pièce, les six adolescents embrassent la jeune femme.

A leur retour, elle demande.--Il y a autant de douches séparées, à l'étage ?Audrey, très souriante, avoue.--Non, évidemment, mais maintenant ce n'est plus

pareil, et toi tu devrais comprendre.

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Sandra réplique à la fille aussi blonde qu'elle.--Ce que je comprends, Audrey, c'est que vous avez

changé depuis cette fameuse nuit du 6 juillet.Marion de rétorquer tout sourire.--Tu as donc compris le principal.Les garçons montrent un large sourire.Enfin, ils descendent au réfectoire, où leur est servi

un copieux petit-déjeuner, une fois que Sandra s'est douchée et habillée à son tour.

Denis, ravi, déclare.--Voilà ce que j'appelle un bon petit-déjeuner.Audrey veut se rassurer.--Tu ne vas quand même pas manger de tout, Denis !--Non, Audrey, heureusement, sinon, mes parents me

trouveraient encore en train de digérer quand ils arriveraient.Thomas rappelle à ses cinq amis.--Nous devons rester soudés comme nous l'avons été

là-bas, ce sera notre seule force. Moi, je me demande bien ce que le commandant va pouvoir dire à nos parents pour les faire fléchir en notre faveur et surtout celle de Sandra, car Jacques n'aura pas hésité à nous « descendre » quand il aura vu les parents. J'ai surtout de la crainte pour Sandra, mais, nous, nous ne devons pas l'abandonner.

La jeune femme baisse les yeux. Les paroles de Thomas lui ont fait chaud au cœur.

Marion renseigne assez vite.--On va bientôt le savoir, ils arrivent, justement.Effectivement, les parents des six adolescents sont là

peu après, mais également ceux de Sandra, accompagnés du commandant de gendarmerie qui signale en présence des enfants.

--Mesdames, messieurs, j'ai donné ordre à vos enfants de ne répondre à aucune question concernant leur disparition durant ces vingt derniers jours. En quelque sort, vous devrez considérer cela comme « confidentiel-défense ». La seule chose qu'ils pourront vous confirmer, c'est le rôle essentiel de leur monitrice qu'ils appellent tous Sandra. A présent, je vous laisse entre vous.

Denis doit admettre en lui-même que le commandant vient de « leur tirer une épine du pied ». Pour un peu, le garçon

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ne se priverait pas de le remercier, mais les autres doivent penser exactement comme lui, y compris Sandra.

L'homme parti, ce sont des embrassades qui s'en suivent avec émotion. Thomas rejoint Sandra et ses parents pour affirmer à ces derniers.

--Madame, monsieur, sans la présence de Sandra parmi nous, nous ne serions probablement pas de retour.

La jeune femme sait que le garçon exagère beaucoup, mais il veut l'aider à sa manière. Elle ne peut cependant s'empêcher de dire.

--Thomas, tais-toi !Le garçon qui possède toujours sa hache, sourit avant

de reprendre en forme d'excuse.--Désolé, Sandra, ce qui est vrai, est vrai. Nous

savions pouvoir compter sur toi. Maintenant, promis, je ne dis plus rien du tout, d'autres sauront s'en charger à ma place.

La jeune femme explique à ses parents.--Papa, maman, Thomas exagère, mais il est comme

les autres, si attachant et tenace que c'est un plaisir de le connaître.

En elle, Sandra se rend compte que le document qu'elle possède ne lui servira à rien et qu'il ne devra jamais être découvert. Elle prévient ses parents.

--Attendez-moi deux minutes, je dois voir le commandant. Après, je serai à vous, promis.

Marion, tout en parlant à ses parents, se fait une remarque assez désagréable : « où est le petit copain de Sandra ? Il devrait être là, lui aussi ! Dis, Marion, occupe-toi de tes affaires et non pas de celles de cœur de Sandra ».

La monitrice retrouve rapidement l'officier et, grave, demande.

--Mon Commandant, avez-vous une photocopieuse quelque part à la gendarmerie ?

--Naturellement, pourquoi ?--Le document que vous avez lu hier sera mieux dans

un musée quelconque. Disons qu'il s'agira d'un don anonyme. Je n'en garderai pour moi qu'une photocopie, en souvenir.

Le militaire admet en serrant la main de la jeune femme.

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--Mademoiselle, je vois que vous avez le sens du devoir, et je vous en remercie.

--C'est que, mon Commandant, ce document resterait toujours dans un tiroir et finirait par être détruit un jour, ce que je ne veux pas. Ce document, c'est l'annonce terrible d'une mort d'un mari à sa femme et d'un père à deux enfants qui étaient véritablement merveilleux, et je ne veux pas qu'ils soient oubliés.

L'homme hoche la tête. Il a compris le désir de cette si jeune femme. Il en sera fait comme elle aura voulu. Ce papier, banal pour l'époque mais d'une richesse historique pour le vingtième siècle, sera exposé dans un musée dès que possible.

Peu après, la photocopie dans une poche de veste, Sandra rejoint les enfants et tous les parents toujours présents dans la même pièce.

Le père de Marion vient vers la jeune femme qui se trouvait de nouveau avec ses parents et parle après s'être excusé.

--Mademoiselle Sandra, nous vous devons beaucoup, aux dires de nos enfants à tous. Vous avez su nous les ramener. Peu importe où vous étiez, nous ne poserons aucune question à ce sujet. La seule question que je vous pose est : comment pourrions-nous vous remercier de nous les avoir ramenés sains et saufs ? Et ne dites pas, je vous en prie, que vous n'avez fait que votre devoir. Vous êtes jeune, mais tous sont unanimes pour dire que sans vous ils auraient paniqué à plusieurs reprises.

Très gênée, Sandra ne peut que répondre.--Monsieur, je n'ai rien fait de spécial. J'étais là pour

les encadrer et leur donner des conseils, parfois, rien de plus. Savez-vous, cher monsieur, que je suis drôlement fière de les avoir eus avec moi ! Jamais ils n'ont été une charge, bien au contraire. Ils ne se sont pas comportés en enfants, mais en de futurs adultes responsables.

--Marion, responsable ! Elle a pourtant un langage parfois assez surprenant.

--Monsieur, j'ai pu compter sur tous dès le début de ce qui nous est arrivé, y compris Marion et Sabrina. Ce n'est

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pas le langage un peu argotique qui enlève la valeur que possède votre fille.

La mère de Thomas s'en prend à son fils.--Je peux savoir pourquoi tu portes cette hache à ta

ceinture de pantalon ? Et où as-tu pu acheter ce fourreau en peau de lapin ? En plus, tu pourrais te blesser.

Denis est le premier à démentir.--Thomas se blesser avec sa hache ! Non, madame, et

permettez, sans divulguer de «secret-défense », cette hache lui a permis de nous sauver la vie à tous trois. Ce n'est pas Vivien qui me contredira.

Sabrina lance furieuse.--Toi, tu es trop bavard. Nous sommes tous en vie

sans la moindre blessure, le reste, c'est du passé.Sandra entend les parents d'Audrey s'adresser à leur

fille.--Ma chérie, tu veux rentrer à Paris et nous te

comprenons. Nous repartirons dès demain matin.L'adolescente riposte car elle n'est pas de l'avis de ses

parents.--Non, vous vous trompez tous les deux. Il est temps

d'y venir. Mesdames, messieurs, écoutez, si votre désir est de nous faire vraiment plaisir, nous avons une suggestion à vous proposer. Je crois que je parle pour les cinq autres également. Nous aimerions tous passer le mois d'août avec Sandra dans les Pyrénées.

C'est le silence dans la pièce. Tout le monde s'est arrêté de parler. Même Sandra a été surprise. Elle ne pensait pas, qu'ils oseraient. Marion profite du silence et n'hésite, pas une seconde.

--Papa, tu peux nous trouver quelque chose, toi, mais pas n'importe où. Bien-sûr, il faut que les parents des six que nous sommes preniez en charge les frais de Sandra, vous lui devez bien ça. Papa, tu lui demandais comment vous pourriez la remercier, moi je vous donne une idée.

Denis fait la bise à son amie de lycée qui vient de parler et ajoute pour les parents de la jeune femme qu'ils aiment bien.

--Madame, monsieur, cela nous ferait tellement plaisir, ne refusez pas, s'il vous plaît.

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Le père de la jeune monitrice signale.--Denis, Sandra est majeure. Nous n'avons rien à dire,

quel que soit son choix. Et puis, nous avons été tellement inquiets durant ces jours, que nous sommes bien contents de vous revoir tous.

Marion parle à l'oreille de son père qui semble approuver, puis l'homme s'entretient avec les autres parents alors que le six adolescents se trouvent près de Sandra. Le père de Vivien annonce quelques minutes après la fin du conciliabule.

--C'est juste, Marion, nous devons beaucoup à Sandra. Mademoiselle, vous serait-il possible encore de les supporter ?

Sandra, très émue, parvient tout de même à répondre.--Oui, monsieur, ils ont toutes et tous été... comment

dire, fantastiques, oui, c'est exactement cela, ils ont été fantastiques.

--Parfait, alors voilà le programme. Dès ce soir nous vous les laisserons pour trois jours ici. Il existe un bon hôtel en ville, vos chambres seront réservées, et ensuite, vous les conduirez dans les Pyrénées, puisqu'il semble que non seulement Audrey, Marion et mon fils, mais également les trois autres, ont le désir d'y aller. Mais au fait, Vivien, pourquoi ?

Audrey qui venait d'embrasser Sandra tellement elle était contente devance Vivien.

--Monsieur, il a beaucoup plu, ici, et nous pensons qu'il fera meilleur dans les Pyrénées, et puis, surtout, on voudrait voir quelque chose.

Son père fait une remarque.--Que vous vouliez voir quelque chose, Audrey, je

veux bien te croire, mais que vous n'ayez pas eu de soleil, j'en doute, il suffit de voir vos visages bien bronzés. Vos camarades de la colonie n'ont pas vos couleurs. Enfin, passons, puisque nous ne saurons rien de ce qui vous est arrivé. Sandra, vous êtes toujours d'accord ?

La jeune monitrice s'assied sur une chaise, très surprise de ce qui lui arrive, et acquiesce de la tête machinalement. Les six enfants ont vu le signe affirmatif et

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viennent lui donner une bise chacun leur tour. Marion arrivée devant elle, Sandra murmure.

--Je rêve ou c'est vrai ?La fille, dont les cheveux ont un peu poussé durant le

mois passé, montre un large sourire pour avouer.--C'est tout ce qu'il y a de vrai, Sandra, et je suis

rudement contente, tu peux pas savoir !--C'est bien ce que je disais, vous êtes fantastiques !Comme Marion est la seule à avoir entendu, elle

réplique naturellement.--Et toi, tu n'as rien fait, sans doute !Les parents restent avec leurs enfants jusqu'au soir et

les conduisent jusque l'hôtel. Hôtel plutôt luxueux, d'ailleurs. Ils y séjourneront deux jours avant de prendre la direction des Pyrénées.

Sandra avait rassuré les parents avant qu'ils ne repartent vers Paris.

--Vous n'avez aucune recommandation à leur faire, je les connais bien et je n'aurai aucun souci avec eux. Merci pour ces vacances avec eux jusqu'à mi-août.

Le père de Thomas avait aussitôt fait savoir.--Ce n'est pas parce que nous serons avec vous à

partir du quinze août que cela changera les choses. Si, nous serons, nous aussi en vacances, autrement, ils pourront aller avec vous autant qu'ils le désireront.

Dès le premier soir, dans la chambre que partagent les garçons, Thomas avait déclaré.

--C'est sûr, c'est confortable, mais pour la chaleur humaine, ça ne vaut pas la maison de Marité, même si nous dormions dans des sacs de couchage à même le sol.

Pas dupes du tout, Denis et Vivien avaient répliqué d'une seule voix.

--A nous aussi, ils nous manquent tous les trois.Puis Denis avait continué.--C'est vrai, Marie et Bertrand resteront toujours

quelque part en nous, même dans quelques années.Et sur cette franchise ils s'étaient couchés tous les

trois.Dans une chambre à côté, Audrey et Marion

partagent la chambre alors que dans celle qui fait face, se

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trouvent Sandra et Sabrina. D'ailleurs, la jeune femme a du mal à dormir et s'excuse auprès de l'adolescente qu'elle doit sûrement gêner.

--Sabrina, tous ces événements, cela fait beaucoup pour moi, essaie de dormir, toi. Tu aurais été mieux dans la chambre de Marion et Audrey.

--Pour que tu restes seule ! Sûrement pas. Sandra, je vais te dire, Audrey et Marion ont joué une partie de poker devant les parents. Elles ont gagné, tant mieux pour nous, nous t'avons encore avec nous, et c'est ce que nous désirions toutes et tous.

--Merci, Sabrina. Allez, maintenant, il nous faut dormir.

Plus un bruit ne se fait entendre dans la pièce, et, de fait, Sabrina s'endort rapidement.

La matinée du lendemain se passe dans les baignoires et le repos total.

Au cours du second jour, après le déjeuner, Vivien était remonté dans la chambre prendre son arc et ses flèches et, dans le hall, le garçon de lancer à Denis et Thomas.

--Vous pariez que je peux toucher le lustre avec une de mes flèches ?

Les deux autres et les filles éclatent de rire, car Sandra commençait à se demander si Vivien ne parlait pas sérieusement. D'autant que le lustre en question est tout simplement en cristal. Elle conseille pour que les réceptionnistes entendent également.

--Ne me joue plus un tour pareil, Vivien, je finirais par avoir une crise cardiaque. Pose donc ton engin à la réception, nous sortons.

Une fois dans la rue, Marion déclare à la jeune femme, tout en marchant.

--Tu exagères, Sandra, tu n'as pas eu de crise cardiaque face aux loups et parmi eux en allant au village, pour un simple lustre de cristal, ça ne vaut pas le coup.

Les cinq autres éclatent de rire. Elle les menace du doigt, mais, intérieurement, elle ne leur en veut pas, elle les aime bien, tous, tels qu'ils sont, et puis, ils doivent avoir envie de décompresser après ce qu'ils ont vécu. Ils s'en rappelleront sûrement tous de leur dernière « colo ». Depuis la veille, en

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fait, depuis leur arrivée à l'hôtel, ils sont redevenus des adolescents se laissant vivre, et çà, ils l'ont bien mérité.

Le lendemain, c'est le départ pour les Pyrénées. La jeune femme les retrouve tous aussi responsables que durant leur aventure. Ils en sont même un peu nerveux.

Leur première étape pour le soir de ce jour sera Perpignan. Les parents des adolescents n'ont pas lésiné sur les dépenses en leur payant des billets d'avion.

A l'aéroport, Thomas avait montré aux policiers l'autorisation donnée par le commandant de la gendarmerie pour le transport de sa hache qui avait été mise dans une valise.

Dans l'avion, en prenant sa place, Denis confie à Thomas.

--Ce serait quand même « moche » que l'avion s'écrase. Les parents nous en voudraient vraiment, cette fois.

Thomas avait souri. Il avait été le seul à entendre la réflexion de Denis.

Audrey, elle, déclare à leur monitrice et amie à présent.

--Tu vois, Sandra, si nous avions parlé d'avions à Bertrand, jamais il ne nous aurait crus.

--C'est évident, pourtant, la montgolfière existait déjà depuis seize ans, mais pas comme maintenant. Je vous montrerai une gravure à notre retour à Paris, si nous pouvons nous revoir un jour.

Sabrina s'étonne quand même.--Et qui nous empêcherait de nous revoir !Sandra avoue en réponse pour la plus jeune du

groupe.--Je ne sais pas, les circonstances, parfois.La réplique de la benjamine fuse.--Heureusement que les garçons ne t'ont pas

entendue, car ils n'auraient pas été contents.La jeune femme se reprend.--Sabrina, moi, j'essaierai de vous revoir tous si vos

parents le permettent, c'est tout ce que je peux te dire.--Alors, dans ce cas, ça va, on se reverra. Le

problème est résolu.La réplique de Sabrina fait rire Audrey et Marion.

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A Perpignan, une fois les bagages récupérés, Sandra décide.

--Nous resterons deux jours entiers ici pour nous reposer encore un peu, et puis, la mer n'est pas loin.

Audrey indique avant de sortir de l'aéroport.--On pourrait rester une semaine si tu veux.La proposition surprend puis fait sourire la jeune

femme qui doit reconnaître.--Moi, je serais pour, mais il faut voter pour savoir si

la majorité est de...Marion coupe.--Nous sommes tous d'accord, Sandra, inutile de

perdre du temps à voter. Nous resterons ici une semaine.Sabrina acquiesce en ajoutant.--C'est vrai, on pourra profiter de la mer. Tu vas voir,

nous serons sages, et puis, ici, Vivien ne trouvera aucun lustre en cristal à casser avec ses flèches, donc tu seras tranquille.

Les garçons approuvent la benjamine du groupe.Emue, l'ancienne monitrice les embrasse tous avant

de constater.--En fait, vous désirez me faire plaisir alors que vous

avez hâte d'aller voir ce qu'est devenu le village.Thomas donne une réponse très sage.--Le village nous attend depuis près de deux siècles, il

pourra nous attendre une semaine de plus. Et puis, c'est bien notre droit de vouloir te faire plaisir. De plus, il me semble que nous te devons bien ça. En outre, ma chère Sandra, cette année était notre première et dernière colonie à la montagne, alors, nous aussi, nous préférons la mer.

Marion ajoute dès que Thomas a fini de parler.--Et vu le calme que nous avons eu au mois de juillet,

je t'assure que je ne retournerai pas en montagne les années à venir.

Sandra a compris et fait.--C'est bon, je n'insiste plus. Les garçons, vous ferez

comme depuis le départ de vos parents, tous les trois dans la même chambre ?

Denis répond le premier.--Je ne vois pas ce qui devrait changer. Par contre,

cette fois, tu préfères peut-être avoir une chambre seule ?

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--Non, Denis, je dormirai dans la même chambre que Sabrina. Marion et Audrey partageront la seconde chambre, comme jusqu'à présent, à moins que Sabrina veuille dormir avec elles.

--Ben pourquoi ! Je ne voudrais pas dire, Sandra, mais les garçons ont un peu raison en disant que tu es parfois têtue.

--Ils disent ça, les garçons !La fille aux cheveux blonds indique en montrant un

large sourire.--Remarque, ils ont juste fait une constatation depuis

notre retour au vingtième siècle.C'est le fou rire chez les adolescents. Sandra sourit en

avouant.--Vous êtes parfois terribles, mais je vous aime bien.

Thomas, merci de m'avoir choisie le premier jour de la colonie. Je me suis moins ennuyée que s'il avait fallu rester au campement tout un mois avec d'autres « ados ».

--Serait-ce un compliment, Sandra ?--Mon cher Thomas, prends ce que je t'ai dit pour ce

que tu crois, je n'en serai pas fâchée le moins du monde.Une fois à l'hôtel, car il a fallu prendre deux taxis, les

bagages sont déposés dans les chambres avant d'aller dîner. Sandra remarque que les enfants qui l'accompagnent sont très calmes et se tiennent parfaitement. Ils sont redevenus sérieux après l'épisode de l'aérogare de Perpignan.

Ils montent dans les chambres dès le dîner terminé et se couchent assez tôt. Pourtant, la jeune femme est la dernière à trouver le sommeil, les nerfs commençant à se relâcher. Depuis la sortie de l'aéroport, les six enfants ont tout fait pour lui éviter des soucis. Ils sont redevenus responsables et ont été merveilleux de gentillesse.

Dès le lendemain, en cours de matinée, ils sont tous à la plage, et là, Sandra ne les reconnaît plus, ou plutôt, elle retrouve les enfants de la colonie de vacances avant la nuit d'orage du début du mois de juillet. De responsables qu'ils avaient su être durant leur aventure jusque la veille, ils redeviennent sur cette plage, des enfants, mais elle ne leur fera aucune remarque de crainte de les blesser. Elle avait pu compter sur eux pendant près d'un mois, ils ont raison de se

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détendre à leur manière, ou alors, c'est un message à son attention.

Les garçons entrant dans l'eau, éclaboussent tout le monde et en rient. Ils sont redevenus comme avant le 6 juillet. Comme Sandra reste au soleil, Audrey vient la chercher en questionnant.

--Tu es fâchée contre nous, que tu ne te baignes pas ?La monitrice en vacances réagit très vite.--Non, pas du tout, je savourais les rayons du soleil,

mais tu as raison, je vais un peu me baigner également.--Nous sommes un peu jeunes, n'est-ce pas ?--Que vas-tu chercher, toi !--Rien, je croyais que...--Eh bien tu te trompais totalement, chérie.Et de fait, elle se baigne avec eux, joue dans l'eau

comme eux, fait une course à la nage avec Vivien pour reconnaître à la fin qu'il est plus fort qu'elle.

Thomas, spectateur, lui reproche à son retour sur la plage.

--Tu n'as pas forcé, Sandra. Je ne dirai rien à Vivien, mais s'il apprenait que tu l'as laissé gagner, il ne serait pas content. Je le connais assez bien pour te dire qu'il ne faudra plus recommencer, ou alors, ne fais plus de course qui n'en est pas une. Chut, pas un mot devant les filles.

La jeune femme comprend parfaitement le message, et, effectivement, si quelqu'un avait fait comme elle alors qu'elle avait l'âge de Vivien, elle n'aurait pas été contente du tout. Conclusion, Sandra, il ne faudra pas tricher avec eux, car il y en aura toujours une ou un pour s'en apercevoir.

Dans l'après-midi du second jour de plage, en revenant de se baigner, Audrey s'assied près de leur « monitrice » et questionne avec gravité.

--Sandra, je peux être indiscrète ?La jeune femme qui était revenue de l'eau un peu

avant Audrey, se relève de sa serviette de plage sur laquelle elle s'était allongée et demande à demi assise.

--A quel sujet ?Audrey se lance.--Voilà, je profite d'être seule avec toi. Tu nous avais

parlé, durant la fameuse nuit d'orage que tu sais, début juillet,

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que tu avais un ami de cœur. Il ne va pas s'inquiéter de ne pas te voir en août ? Dans le fond, nous avons été égoïstes en t'obligeant à nous supporter et nous accompagner ici.

La jeune femme caresse le visage de l'adolescente, et, après un court silence, réplique.

--Chérie, tu es gentille de t'en inquiéter. Mes parents l'ont averti. Il me retrouvera début septembre. Pourtant, tu vois, j'aurai appris quelque chose d'important à votre contact, et cela, je pourrais le répéter devant les autres aussi, c'est que les premiers amours, du moins que l'on croit tels, ne valent pas la fidélité que vous avez tous eue pour moi. Je pensais sincèrement qu'à notre retour, vous me diriez juste au-revoir pour repartir avec vos parents. Non, vous m'avez donné une leçon que j'ai appréciée. Vous avez désiré que je vous accompagne ici, simplement parce que vous avez voulu prouver à vos parents que vous me faisiez confiance. En fait, devant eux, vous m'avez mise davantage à l'honneur que je n'aurais dû. Alors, non, je ne pouvais pas refuser d'être encore avec vous tous ce mois d'août. Quant à mon ami, Audrey, s'il m'aime comme il me le disait au mois de juin, il m'attendra. Sinon, vous aurez permis que j'évite de faire une énorme bêtise. Ma réponse te convient, chère petite complice ?

Audrey reste quelques instants silencieuse. Elle ne s'attendait pas à ce que Sandra lui parle autant, lui parle comme à une amie de son âge, et non pas à une gamine de quinze ans. Enfin, la fille avoue.

--Je ne savais pas que tu nous estimais à ce point. Je ne parlerai pas aux autres de tes confidences, mais je suis flattée pour nous. Je vais te dire, nous, c'était obligé que l'on s'entende bien. Nous sommes, et nous te l'avions dit, des amis depuis plusieurs années, avant même le lycée. Nous étions tous les sept dans « une galère », il était obligé que les uns et les autres, nous nous aidions et nous t'aidions. Pour nous, notre devoir était de te rendre la vie la plus facile qui soit, même si parfois nous t'avons désobéi. Et puis, à quelques kilomètres d'ici, un peu plus haut, tu es devenue des nôtres. Nous, nous ne l'avons pas oublié et nous ne l'oublierons jamais.

Sandra fronce les sourcils avant de répliquer.--Je ne me rappelle pas que vous m'ayez désobéi en

quelque circonstance que ce soit.

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--Si, Sandra, mais tu étais trop occupée autrement, et je te comprends. Il fallait que tu trouves une solution pour que nous revenions. Tu ne pouvais rien faire seule, et c'est cela qui te rendait aveugle. Nous autres, nous avons gardé confiance, au contact de Bertrand et Marie. Voilà la vérité. Tu vois, je vais t'avouer, plus tard, je ne serai jamais monitrice de colonie de vacances.

--Et pourquoi ?--Sans doute par égoïsme. Il faut trop penser aux

autres. --On en reparlera. A mon tour, Audrey, je peux te

poser une question « indiscrète », comme tu dis ?La blonde adolescente réplique automatiquement.--Sans problème, je n'ai absolument rien à te cacher,

tu devrais le savoir depuis un certain temps.Sandra, souriante, déclare à la fille qui est près d'elle.--En fait, c'est justement de cela que je voulais parler.

Je ne suis pas la seule à qui tu n'as rien à cacher.Puis elle précise.--Le soleil aussi, je me trompe ?Audrey rougit un peu en baissant la tête. Elle

questionne avec appréhension .--Comment le sais-tu ? Et, depuis quand ?--Depuis quand, c'est simple. L'après-midi de notre

retour à notre civilisation, et puis, lorsque Sabrina s'est changée sans se cacher des garçon, le matin de notre retour à la colonie. Là, j'ai pensé que...

--Elle n'en faisait pas, Sabrina, elle. En fait, c'est lorsque tu nous avais expédiées avec Marie près de la cabane, un après-midi, que j'ai décidé de faire comme cette petite fille géniale en compagnie de Marion alors que Sabrina, elle, pêchait.

--Personne n'a fait de commentaires ?--Sur mon idée, non, nous étions entre filles. Sabrina

nous a juste prévenues de faire attention au soleil, c'est tout. Et pour l'autre fois, c'est vrai, c'était juste la veille de notre retour, lorsque nous nous sommes baignés en même temps que les garçons. Thomas, Vivien et Denis n'ont rien dit non plus. Tu sais, ils sont vraiment formidables tous les trois.

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--Je m'en suis aperçue, Audrey. Ils ne manquent pas de courage. Dis-moi, quel est le souvenir que tu conserveras le plus ? Pour toi, je parle.

La jeune femme et l'adolescente se sont de nouveau allongées pour converser.

La fille tourne son visage vers la mer qui est en face d'elle puis ses yeux reviennent sur Sandra. Elle explique alors.

--Ils sont nombreux, les souvenirs, Sandra, tous ont été marquants.

--Aucun ne se détache dans ta mémoire !La fille doit concéder.--Si, le jour où je suis entrée au village montée sur un

loup. Je me sentais invincible. Si le maire avait eu un reproche à faire, je peux te l'avouer à présent, je crois que j'aurais été capable de dire aux loups d'envahir le village jusqu'à ce que le maire cède. Le second souvenir important qui m'a beaucoup marquée, c'est lorsque Thomas a détruit l'échafaud avec sa hache. Ce moment restera gravé dans ma mémoire. Thomas, ce jour-là, il a été grandiose. Voir un copain que je connais depuis des années, détruire un échafaud signe de mort, tu ne peux pas comprendre, Sandra, mais en fait, nous étions tous fier de lui. Ce jour-là, je l'aurais volontiers embrassé pour ce qu'il avait fait.

Les autres revenant de la mer à leur tour, Audrey parle de banalités tout en souriant à la jeune femme. Sandra a compris. Non, elle ne trahira pas la confiance de l'adolescente, mais l'aveu d'Audrey se sentant invincible, c'est bien ce qu'elle avait elle-même constaté quand la fille aux cheveux blonds s'était dirigée vers la maison du maire, juchée sur un grand loup.

Le premier commentaire de Sabrina en rejoignant Sandra et Audrey sur les serviettes de plage est d'affirmer.

--L'eau de mer est quand même plus chaude que celle de notre rivière il y a quelques jours.

Sandra avoue à la fille aux longs cheveux noirs.--Si tu m'avais dit le contraire, j'aurais plutôt été

étonnée et je me serais demandée si tu n'étais pas malade, ma chère Sabrina.

Vivien déclare pour son amie de classe.

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--Tu aurais pu dire quelques années, Sabrina, personne n'aurait dit le contraire, puisque c'est la vérité.

Denis murmure, mais de manière à ce que ses amis entendent tout de même.

--Si près de deux siècles cela signifie quelques années, je me demande où on va aller en continuant comme ça.

Ses complices ont le sourire. Marion revient pourtant sur la remarque de Sabrina pour avouer.

--C'est vrai, l'eau est plus chaude, mais nous sommes également moins libres, faut bien reconnaître.

Une estivante leur lance alors.--Vous autres, les jeunes, vous êtes toujours à vous

plaindre. Vous êtes dans une belle époque où rien ne manque. Je vous aurais mal vus durant la guerre, c'était autre chose.

Sabrina s'apprête à répliquer mais Thomas intervient pour prendre une position qu'aucun des autres n'attendait.

--C'est vrai, sans parler de la guerre, plus tard il nous faudra travailler et nous n'aurons qu'un mois de vacances, alors que nous, cet été, nous avons vu la montagne et la mer. Pour une fois, Marion, je suis tout à fait d'accord avec la dame.

La réponse ne se fait pas attendre de la part de la fille que le garçon avait empêché d'intervenir.

--Toi, de toute façon, tu es toujours d'accord avec les plus forts.

Audrey conseille à voix basse.--Sabrina, ne cherche pas trop Thomas, ce n'est ni le

lieu ni le moment, même s'il s'agit d'un jeu entre vous.Marion confirme en un murmure.--Pour une fois, écoute Audrey, sinon, Thomas va

finir par se fâcher vraiment. Tu sais parfaitement que Thomas est pour la justice, et s'il a dit cela, c'est pour calmer cette « mégère » qui croit tout savoir.

Sabrina sourit, puis, s'adressant à la fille aux cheveux coupés courts.

--Tu as peut-être raison, il fait une drôle de tête.Cette fois, parlant plus fort, la fille reprend.--Mon cher Thomas, je te prie d'accepter toutes mes

excuses. Je ne pensais pas ce que j'ai dit.

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En elle, Sandra se demande ce qu'ont pu dire Audrey et Marion à la plus jeune, car, voir Sabrina présenter des excuses à Thomas, elle ne se rappelle pas l'avoir déjà vécu.

Pour plus de sûreté, les adolescents changent de lieu sur la plage, ne donnant aucune explication à Sandra, mais la jeune femme a compris qu'ils désiraient éviter toute altercation avec la vacancière qui s'était un peu avancée dans ses propos.

Les jours qui suivent sont tout à fait calmes, et Sandra constate qu'elle a désormais près d'elle des adolescents comme les autres.

L'avant dernier jour de plage, Marion ne se baigne pas du tout, mais personne ne pose la moindre question. Sandra remarque que le fille aux cheveux courts ne reste jamais seule. Il en reste toujours un ou une pour bavarder avec elle. La jeune femme, qui commençait à s'habituer à côtoyer les adolescents qui étaient redevenus « normaux », est de plus en plus surprise. Comme ses yeux semblent l'avoir trahie, Sabrina lui explique.

--Sandra, la solidarité, c'est bien. Thomas avait encore raison une fois de plus. Ce n'est pas parce que je l'ai chahuté l'autre jour que je n'étais pas de son avis, et Thomas être du côté du plus fort, ça, tu vois, c'est assez rare, c'est bien pourquoi je l'avais blagué là-dessus, mais Audrey et Marion ont bien fait de me dire de stopper, car Thomas aurait été victime d'une injustice de ma part.

La jeune femme ne peut que constater.--Vous êtes terribles, toutes et tous, vous voilà à

deviner mes pensées, ce n'est plus du tout du jeu.Les deux filles présentes, avouent.--Si tu n'étais pas là, ce serait différent, et pourtant

nous serions quand même solidaires.Vivien, survenu, a entendu les deux filles. Il confirme

pour la jeune femme.--Elles ont raison. Nous serions toujours six amis et

complices, mais avec toi, nous sommes sept. Bienvenue au « club », Sandra.

--Je suis très flattée que vous me considériez réellement comme des vôtres. Demain, je ne me baignerai pas, moi, je resterai avec Marion.

La fille veut protester.

Page 277: Maitresse

--Non, tu...--Marion, il paraît que je fais partie du « club ». Donc

il en sera ainsi.--Je n'ai plus rien à dire.Vivien fait une remarque à Marion.--Cela fait deux fois depuis notre retour que Sandra

prend l'avantage sur toi, Marion, ne serais-tu plus aussi combative qu'avant notre aventure ?

--Quand elle a raison, je ne peux pas dire qu'elle a tort, mon cher, je ne suis pas comme certains, moi !

Sabrina commente pour la jeune femme toujours présente.

--Il y avait longtemps qu'ils ne s'étaient pas chamaillés, ces deux-là !

Le lendemain soir, les bagages sont tous refaits, et au matin, un autocar est emprunté pour accéder à l'ancien village devenu une petite ville.

Il n'est pas encore midi lorsqu'ils descendent du car. Sandra annonce.

--J'ai réservé notre hôtel dès nos premiers jours de vacances à Perpignan. Le couchage sera le même. Je ne crois pas que cela gênera l'un ou l'une de vous.

Thomas se doit d'admettre.--C'était une sage initiative, mais, c'est vrai que cela

n'a plus rien à voir avec ce que nous avons connu.Sandra rappelle à mi-voix.--Thomas, fais attention à tes paroles. Si quelqu'un

avait écouté, il se serait posé des questions ou t'aurait pris pour un fou.

Le garçon, confus, bredouille.--Excuse-moi, je saurai m'en souvenir.L'hôtel n'est pas loin et ils s'y installent. Au bout de

quelques minutes, Audrey frappe à la porte de chambre partagée par Sandra et Sabrina et déclare à la jeune femme devenue leur amie à tous.

--Sandra, Marion et moi avons faim, et je crois savoir pour les connaître mieux que toi, que les garçons aussi.

Sandra rassure la fille qui parle au nom des autres.

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--On y va. Sabrina me faisait la même remarque que toi à l'instant. Pour ce midi, une auberge vous conviendrait ? Ou bien...

Marion tranche très vite.--L'auberge sera parfaite, du moment qu'on y mange

bientôt.--Rassure-toi, Marion, nous n'aurons pas beaucoup de

marche à faire pour y aller.--Alors, ça va. Sabrina se charge de prévenir les garçons qui

reconnaissent qu'ils commençaient à avoir sérieusement faim également. De nouveau tous réunis, ils quittent l'hôtel et marchent dans la petite ville en regardant aux alentours. Tout à changé, Sandra avait raison, mais ils voulaient venir. Machinalement, Marion lance à Vivien qui vient de s'arrêter.

--Tu n'as pas faim, toi ? On a le temps de voir le reste les jours prochains et même déjà cet après-midi.

Le garçon riposte.--Tu devrais plutôt lire le nom de l'auberge qui est de

l'autre côté de la place, tu comprendrais mieux.Les autres adolescents regardent l'enseigne de

l'auberge en question et se regardent tous ensuite, ahuris qu'ils sont. Denis est le premier à questionner la jeune femme qui les accompagne.

--Sandra, tu connaissais le nom de cette auberge ?Elle doit reconnaître.--Oui, depuis Perpignan. Je m'étais renseignée auprès

de l'office du tourisme, et j'ai pensé bien faire de vous y emmener. Heureusement qu'à la descente de l'autocar, vous étiez tous occupés à regarder ailleurs et récupérer les bagages, sinon, ma surprise aurait été gâchée.

Thomas s'exclame malgré tout.--LA MAITRESSE DES LOUPS ! Dis, Sandra, ce ne

serait pas en souvenir de Marie, par hasard !--Je ne sais pas, Thomas. Nous pourrons demander le

pourquoi de cette enseigne en mangeant dans cette auberge.Marion conseille à tous ses amis.--Nous ne devons pas nous trahir. On peut poser la

question en étant étonnés par ce nom, mais surtout ne faire

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aucune réflexion qui pourrait faire croire qu'il s'agit de Marie, et que nous connaissons son histoire.

Denis n'hésite pas à railler leur amie.--C'est juste, Marion, on pourrait nous reconnaître, et

là, nous aurions des ennuis à cause des loups qui venaient avec nous au village. Les gendarmes pourraient nous arrêter pour avoir perturbé l'ordre il y a près de deux siècles.

Furieuse, Marion lance en direction de Denis.--C'est malin !Vivien, sérieux, déclare.--De toute façon, Marion, il est impossible que nous

connaissions cette histoire, même si elle est parvenue telle qu'elle a été vécue par Marie, jusqu'ici. Nous venons d'arriver.

--Vivien a raison, mais, moi, ce que j'attends, c'est de voir si l'histoire, s'ils la connaissent, n'a pas été plus ou moins déformée au fil du temps et de la transmission de générations en générations.

Audrey approuve ce que vient de dire Thomas.--C'est aussi ce que je veux savoir, Thomas.Sabrina prévient d'un coup.--Au menu, il y a de la truite et du lapin.Plus personne ne parle du nom de l'auberge. Denis

émet.--Qu'est-ce que tu dis !Les autres complices de la benjamine ont eu la même

réaction. Sabrina éclate de rire. Sandra avoue à son tour.--Durant quelques secondes, tu nous as fait peur,

Sabrina.Marion fait remarquer à ses amis.--Elle a fait comme Valérie l'autre jour, sauf que

Valérie ne pouvait pas deviner que le lapin et la truite, pour nous, c'est fini.

Sandra conseille la petite troupe qui est avec elle.--Soyez un peu sérieux. Bon, vous êtes prêts à

rentrer ?Audrey déclare à la jeune femme.--Sois tranquille, nous ne te ferons pas honte, Sandra.Une fois dans l'auberge, ils trouvent une table de huit

places, ce qui leur convient parfaitement.

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A peine sont-ils assis qu'une femme apparaît et distribue des menus à chacun. Audrey en profite et questionne.

--Pardon, madame, pourquoi donc l'auberge porte-t-elle ce nom ? C'est assez curieux !

--Mademoiselle, tous nos clients nous posent cette question quand il viennent la première fois, mais, d'après le patron, ce n'est nullement un conte. Il paraît que la mère du premier patron de cette auberge se promenait avec les loups, et d'ailleurs, il est dit, mais ça je ne saurais vous l'affirmer avec certitude qu'un loup blanc lui avait servi de chien de garde alors qu'elle n'était qu'une enfant. La ville de l'époque n'était qu'une minuscule bourgade. Le jour où cette femme est morte, elle était assez âgée, elle allait avoir quatre-vingts ans ce qui était exceptionnel au siècle dernier, eh bien, tous les loups de la montagne ont hurlé à la mort pendant toute une journée. Les gens d'ici lui avaient donné le nom de Marie la louve, mais son fils a pensé qu'il serait plus juste de l'appeler la maîtresse des loups. Il a vu, lui, il l'a répété ensuite à ses enfants, que sa mère se faisait obéir des loups. Elle ne les craignait pas du tout, paraît-il, et à sa mort, elle avait encore un loup comme gardien. Ce loup a hurlé dès sa maîtresse décédée puis s'est enfui dans la montagne. Plus personne ne l'a revu par la suite.

Marion admet à voix haute.--C'est une belle histoire, je trouve, moi.La femme conseille le fille qui vient de parler.--Ne dites jamais cela au patron, car il est l'un des

descendants de Marie, la femme qui se promenait avec les loups. Il serait fâché.

Sabrina confie à Marion comme si elle ne savait rien.--Après tout, c'est peut-être vrai.Le patron arrive à la table. Il est ceint d'un tablier de

cuisine et indique une fois son employée repartie.--Ma petite demoiselle, cette histoire est vraie, et vous

le savez parfaitement, Sabrina.Surprise, l'adolescente s'étonne.--Vous savez mon prénom !L'homme réplique avec le sourire.--Depuis que vous êtes entrés ici, oui. Mon aïeule

avait un frère qui savait dessiner à la perfection. J'ai conservé certains de ses dessins.

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Sabrina reprend pour l'homme qui leur parle.--Mais nous venons d'arriver en ville peu avant midi !L'aubergiste se montre très franc.--Ce détail, je ne le connaissais pas, mais vous seriez

tous venus un jour. Je vous attendais, si ce n'avait été cette année, cela aurait été l'an prochain ou celles à venir ensuite, mais vous seriez tous venus.

--Pourquoi ?--Vous, vous êtes mademoiselle Sandra. Mais, vous

êtes ici pour déjeuner. Je vous montrerai ensuite quelque chose qui vous surprendra encore davantage. Bien entendu, les repas sont offerts par la maison.

--Ce n'est pas possible ! Votre aïeule, Marie, est née en...

--Fin 1790, Vivien, et, ce qui m'a surpris, c'est que son frère Bertrand ait pu dessiner des personnages avec des vêtements futuristes pour l'époque mais qui sont bien de cette fin de vingtième siècle. Je me suis dit qu'un jour, peut-être je comprendrai pourquoi, puisque la mode est celle qui était représentée sur les dessins de Bertrand.

Audrey s'étonne à son tour.--Vous voulez dire que Bertrand aurait dessiné

chacune et chacun de nous !L'aubergiste qui s'est assis en bout de table, sur la

dernière chaise qui restait libre, confirme.--C'est exact. Toi, c'est Audrey. J'ai appris les noms

de chacun, je ne saurai vous dire pourquoi, sans doute à cause du même pressentiment que mon aïeule avait eu une nuit de gros orage alors qu'elle n'était qu'une enfant. Elle allait sur ses neuf ans. Au fait, cette nuit là, la petite maison de la montagne a tenu.

Thomas a du mal à accepter ce qu'il entend et le fait savoir.

--Non, c'est impossible, je n'y crois pas.L'homme, posant une main sur l'épaule de Thomas

qui se trouve à sa gauche, questionne.--Dans ce cas, Thomas, d'ailleurs, en ce moment tu

portes bien ton prénom, qu'as-tu fait de ta hache ? As-tu toujours le fourreau en peau de lapin ? Je pourrais te donner

Page 282: Maitresse

des détails de cette époque, mais je crois que ce n'est pas le lieu. Si tu veux, nous pourrons en reparler tout à l'heure.

Le garçon reste stupéfait, puis, sans réfléchir, réplique à l'homme qui lui a posé la question.

--Sandra n'aurait jamais permis que je vienne déjeuner chez vous muni de ma hache, même dans le fourreau.

Marion se doit d'avouer.--J'ai déjà moins faim, d'un seul coup !Audrey veut en savoir davantage et, perdant toute sa

timidité du début, interroge l'aubergiste.--Monsieur, comment savez-vous tout cela ?L'homme de répondre de manière naturelle.--Marie savait écrire. Elle a écrit toute l'histoire

qu'elle avait vécue avec son frère et sa mère quand elle avait huit ans et demi. Moi, je n'ai rien dévoilé à personne avant de vous voir. Les dessins vous représentent, vous, personne d'autre. C'était mon secret. Je dirai même le secret de la famille depuis Marie et Bertrand. Le récit de mon aïeule a été écrit à la fin du règne de Napoléon Bonaparte. Elle l'a écrit elle-même pour éviter qu'il soit déformé, c'est elle qui l'a marqué à la fin de son récit. Bien, à présent, je vous laisse choisir et déjeuner en paix.

Durant le déjeuner, un silence inhabituel règne à la table. Denis murmure à Sandra.

--Ne donne pas ta preuve.--Non, sois tranquille. De toute manière, cette

histoire, personne à part l'aubergiste, ne la connaît, et même, personne ne la croirait, et c'est mieux ainsi.

Après le dessert, l'aubergiste donne des ordres car il doit s'absenter, et, effectivement, il vient à la table de Sandra et des enfants pour dire.

--Si vous voulez m'accompagner chez moi, je vous montrerai ce que j'avançais tout à l'heure.

Sandra n'hésite pas.--Entendu, mais nous devons régler la note pour les

sept repas par ailleurs excellents.--Non, sûrement pas, mademoiselle Sandra.Les six adolescents se demandent encore en se levant

de table si ce n'est pas une farce, mais il y a quand même des faits troublants, et la curiosité l'emporte chez eux également.

Page 283: Maitresse

Une fois hors de l'auberge, ils suivent le patron de cette dernière. A quelques maisons de celle-ci, l'homme ouvre un chalet. Une maison qui leur paraît à tous comme du déjà vu. Thomas et Audrey se regardent. Les autres sont tout aussi étonnés. Voyant leur trouble manifeste, l'aubergiste avoue.

--Oui, vous avez raison, c'est bien la même. La mère de Bertrand et Marie avait acheté cette maison. Evidemment, elle a été restaurée plusieurs fois. Audrey, Thomas, si cette maison est dans la famille, c'est un peu grâce à vous. Marie a tout raconté. Elle avait une fabuleuse mémoire. La mère des deux enfants que vous avez connus a continué à leur apprendre à lire et écrire, et c'est pourquoi tout a été transmis d'une génération à l'autre.

--Comment s'appelait la mère de Marie et Bertrand ?--Allons, Marion, tu le sais très bien, aussi, je ne

répondrai pas à cette question. Par contre, c'est à cause de cette maison que vous avez dû renoncer à rester avec Bertrand, Marie et leur mère. Mais, comme par hasard, le fameux orage dont parle souvent Marie, est arrivé peu après. Mais, tout cela, ma chère Marion, tu le sais comme tes amis et Sandra. Passons donc plutôt aux choses sérieuses.

Les enfants et Sandra n'ont pu rien répondre. Pour eux, tout est si récent dans leur mémoire. Ainsi, Marie a tout écrit de ce qui s'était passé à l'époque.

Peu après, plusieurs dessins jaunis par le temps sont posés sur la table principale. Sur dix dessins, neuf sont ceux des enfants, de Sandra, de Marie et Marité. Le dixième et dernier dessin montre Marie au milieu des loups. C'était à l'époque, le premier dessin effectué par Bertrand et qu'ils avaient vu les premiers. Par contre, le garçon n'a fait aucun portrait de lui.

Denis pose une question à l'aubergiste.--Et le frère de Marie, qu'est-il devenu ?--Il est mort vingt ans avant Marie. C'était juste à

l'arrivée de Napoléon III, je crois.Audrey reconnaît sans pour autant avouer qu'il s'agit

bien d'eux.--C'est vrai que ces dessins nous ressemblent. C'est à

croire que nous avions des sosies déjà à l'époque.

Page 284: Maitresse

L'homme sourit et sort un vieux papier écrit à l'encre et la plume d'oie, papier conservé précieusement pour éviter qu'il ne soit altéré, puis, revenant vers Audrey, lui met sous les yeux en expliquant toujours avec le sourire.

--Audrey, je ne crois pas qu'en 1799, ton sosie aurait pu dire à Bertrand ou Marie : « fais gaffe à pas renverser l'encre ».

Sandra supplie, alors qu'Audrey devient toute rouge de confusion.

--Monsieur, je vous en conjure, ne parlez de ceci à personne, c'est trop grave.

--Vous avez ma parole, Sandra, mais je sais que désormais la quatrième dimension existe. Rassurez-vous, le secret restera gardé. Au fait, mon premier prénom est Bertrand, et le second, Louis. Vous pourrez m'appeler ainsi durant votre séjour.

--Non, les enfants vous doivent le respect.--Comme vous voudrez, Sandra, à présent la boucle

est bouclée, ces dessins resteront cachés et je ne vous causerai aucun ennui. Vous comptez rester quelques jours ?

Thomas explique un peu plus à l'aise.--Oui, jusqu'à la mi-août. Ensuite, les parents

viendront passer une dizaine de jours avec nous, mais nous, nous aurons toujours Sandra. Monsieur, si vous voyez un jour nos parents, promettez-nous de ne rien leur dire. Ils ne nous croiraient pas, ce qui est logique, ou alors seraient vraiment très inquiets pour nous.

--Promis, Thomas.Sabrina demande, car elle veut en savoir plus.--Marie a vraiment tout raconté ?--Oui, depuis le premier jour qu'elle vous a vus près

de la maison.--Y compris quand nous avons été près de la cabane

un après-midi ?--Oui, Sabrina, mais je ne dirai rien de plus.Marion et Audrey se sentent soulagées. Sandra sourit

également.Au sortir de la maison, alors qu'il fait soleil, la jeune

femme et les adolescents quittent l'aubergiste et empruntent une petite route montant vers la forêt.

Page 285: Maitresse

Marion se tourne vers Sandra et la questionne.--Tu crois qu'il sera de parole. Il ne dira rien, d'après

toi ?--Oui, sinon il serait pris pour quelqu'un de dérangé,

et de plus il tient une auberge, ce n'est pas son intérêt de faire fuir les clients alors que l'enseigne tend à les attirer. En fait, si je n'avais pas vu le nom de l'établissement, jamais nous ne serions venus manger ici, et nous ne devons pas être les seuls à agir de la sorte. Comme nous, les gens sont curieux.

La fille aux cheveux blonds avoue franchement.--Moi, à ta place, j'aurais eu la même curiosité. Et

puis même si ce n'avait pas été le cas, nous aurions vu cette auberge durant notre séjour et nous aurions été tentés d'y entrer.

Denis propose d'un coup.--Demain, on revient par ici. J'achèterai une petit

appareil photo jetable dans une boutique à la sortie de l'hôtel.L'idée est reconnue excellente par les autres et il est

bien probable que Denis ne sera pas le seul à faire ce genre d'achat.

Sandra, alors qu'ils continuaient à marcher, les arrête pour questionner.

--Dites, où allons-nous ?Audrey réplique naturellement.--Là-haut, c'était notre projet à tous.Au bout d'une heure de marche, ils traversent la forêt,

et, juste après, Sabrina donne son avis.--Marité serait contente, sa forêt n'a pas été trop

abîmée.Sandra signale pour les six enfants qui sont avec elle.--Il est tard, retournons, nous reviendrons demain.Audrey approuve en ajoutant.--Et nous pique-niquerons là-haut.--Oui, près de la rivière, à côté de l'endroit où se

trouvait la maison de Marité.Sandra prédit un peu inquiète.--Vous autres, vous allez me faire des mauvais rêves,

cette nuit. Marion, pourquoi veux-tu pique-niquer à cet endroit précis ?

--En souvenir, Sandra. Ma réponse te convient ?

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--Oui. Allez, demi-tour.Le retour est bien silencieux et la jeune femme

s'informe de la raison. Audrey indique à son tour.--C'est la nostalgie, Sandra.Marion, elle, précise.--Moi je pensais à Marie, c'est vrai qu'elle était la

maîtresse des loups, et pourtant, elle n'avait que huit ans et demi il y a une quinzaine de jours à peine.

--Tu évites de parler de ce détail si tu ne désires pas te retrouver dans un hôpital, toi !

Sandra hoche la tête avant d'avouer.--Thomas a raison, Marion.La soirée est calme et la nuit très bonne pour toute

l'équipe, contrairement à ce qu'avait pensé Sandra, et, au matin, il est onze heures et demie lorsqu'ils arrivent à peu près à l'endroit où devait se trouver la maison de Marité. Ils regardent autour d'eux tout en mangeant, essayant de trouver un repère possible. Non, ils ne pourront pas oublier ce passage de leur vie.

Après le déjeuner, ils marchent dans l'herbe, mais à part la petite butte qui menait à la grotte, tout le reste a changé. La petite rivière coule toujours avec le même bruit, mais c'est tout.

Finalement ils renoncent à continuer jusque la grotte où ils étaient arrivés et d'où ils étaient repartis, Denis expliquant.

--A quoi ça servirait, puisqu'il n'y a plus de grotte, là-haut. Il doit y avoir un rocher à la place, alors on ne va pas plus loin.

Page 287: Maitresse

11

Le 15 août en journée, plusieurs voitures de la région parisienne s'immobilisent devant l'hôtel. Thomas, à la fenêtre de la chambre, signale à ses deux copains.

--Nos parents viennent d'arriver. Allons les recevoir.--Oui, mais on passe d'abord prévenir les filles.--Evidemment, Denis, autrement, Sandra ne

comprendrait pas et on se ferait disputer ensuite par Audrey, Marion et Sabrina. Nous sommes tous restés à l'hôtel jusque maintenant pour les parents, sinon, les filles seraient déjà sorties en ville.

Page 288: Maitresse

Sandra et les six enfants sont rapidement auprès des voitures. Les parents des adolescents rassurent tout de suite Sandra.

--Ma chère, vous ferez comme si nous n'étions pas là. Nous aussi nous sommes en vacances. Merci de nous avoir donné de leurs nouvelles, car, s'il n'avait fallu compter que sur eux, le courrier aurait été plutôt rare.

Les enfants se sentent un peu coupables, mais Audrey se reprend vite.

--Nous avons beaucoup visité, et, franchement, on n'avait pas le courage d'écrire à notre retour le soir.

Sandra dispute un peu.--Ce n'était pas une raison, Audrey. Moi, j'ai écrit à

mes parents, vous auriez dû faire comme moi.Exprès, Sabrina riposte pour blaguer la jeune femme.--Mais, nous, qu'aurions-nous pu dire à tes parents ?

Nous les avons vus juste qu'une seule fois. Ils n'auraient pas compris non plus, d'ailleurs.

--Toi, ne fais pas l'idiote, d'autant que nous partageons la même chambre. Attends un peu, que faisais-tu ? Je te voyais écrire souvent.

--Je me suis achetée un cahier et j'ai raconté nos vacances et nos promenades, pour plus tard.

La mère de Sabrina annonce.--Chérie, tes lettres faisaient deux ou trois lignes. En

gros je peux te résumer ce que tu écrivais à chaque fois : « vous inquiétez pas, tout va bien pour tout le monde et c'est assez joli par ici. Sandra est géniale pour nous faire découvrir les alentours. Grosses bises, Sabrina ».

La fille se défend.--Ben quoi, maman, je ne disais que la vérité,

pourquoi en mettre des pages quand ce n'est pas utile ?Les parents de la benjamine remarquent pour Sandra.--Vous devez être contente que nous sommes arrivés,

ces jours n'ont sûrement pas été des vacances pour vous. --Mais ils ont tous été très gentils. Je n'ai rien eu à

leur reprocher.Un garçon de dix ans embrasse Thomas et le

questionne.

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--Tu me diras, à moi, ce qui s'était passé au mois de juillet quand j'étais chez papy et mamie ?

--Non, Jérémy, les gendarmes nous ont fait promettre de garder le secret. Tu vas voir, ici, comme l'écrivait Sabrina, c'est très joli. Bien-sûr, toi, tu viendras avec nous.

Puis Thomas reprend pour Sandra.--Je te présente mon petit frère Jérémy. Jérémy, je te

présente Sandra, notre ancienne monitrice de « colo ».--Je parie que c'est toi qui...--Tu te tais, Jérémy, d'accord ?--Là, je crois que je viens de trouver la vérité. Promis,

je ne dis plus rien, « mon grand ».Les autres éclatent de rire. Le petit frère semble bien

connaître Thomas.Les parents s'installent dans leurs chambres et le

déjeuner est pris en commun.Les jours qui suivent, les enfants font visiter les

environs à leurs parents, et Jérémy, qui n'a pas manqué de voir l'enseigne de l'auberge, de s'enquérir auprès de son frère.

--C'est vrai qu'il y avait des loups, par ici, avant ?--Nous avons posé la question le premier jour, à notre

arrivée ici, oui, Jérémy, c'est vrai.--Ben tu vois, je préfère être maintenant qu'en ce

temps là. Je n'aurais pas été rassuré.Thomas se fait un devoir d'expliquer à son petit frère.--A mon avis, les gens étaient habitués. Ils devaient

aussi les chasser.Le petit frère questionne en réponse.--Toi, Thomas, tu aurais aimé vivre à cette époque ?Le garçon ne se trahit pas.--S'il avait fallu, j'aurais fait comme les autres, je les

aurais chassés.Jérémy reste rêveur. Constatant que son grand frère

porte ce jour-là sa hache, il reprend.--Evidemment, avec ta hache tu aurais eu moins de

mal que nous autres, car je te connais, aucun loup n'aurait pu te mordre tant que tu aurais eu ta hache.

--Nous n'en saurons jamais rien, Jérémy, et c'est encore mieux ainsi, crois-moi.

--Pourquoi ?

Page 290: Maitresse

--Je suppose qu'à l'époque il n'y avait pas de télévision, pas de cinéma, de téléphone et le reste.

--Oh, dis, c'est la préhistoire, que tu me racontes, là !--Non, c'était il y a environ deux-cents ans.Le père des deux garçons intervient.--Excuse-moi, Thomas, mais il y en avait encore au

siècle dernier dans cette région.Sandra et les cinq amis de Thomas reconnaissent en

eux que le garçon s'en est bien sorti.Jérémy donne quand même son avis.--N'empêche, ils devaient s'ennuyer, les enfants de

l'époque, sans télévision ni cinéma.Le reste du mois se passe normalement. Sandra a

même droit à une journée de liberté, les enfants restant avec leur parents.

La jeune femme en profite pour retourner manger à l'auberge où elle est bien reçue, et à son retour à l'hôtel, elle cache un paquet dans le fond de son sac de voyage avant le retour des six adolescents. Ils ne poseront ainsi aucune question.

La fin des vacances arrive quelques jours plus tard et la jeune femme est ramenée sur Paris avec les enfants.

Arrivent alors les séparations, le moment tant appréhendé de quitter Sandra. Les garçons eux-mêmes ont les yeux humides, mais ne s'en cachent nullement. La jeune femme, en présence des parents des six adolescents, émet en les embrassant, alors que l'émotion l'a gagnée à son tour.

--Tâchez de ne pas trop vite m'oublier.Vexée, Marion relève la tête et rétorque comme pour

disputer.--Non mais, pour qui tu nous prends ?--Marion !C'est le père de la fille aux cheveux courts qui vient

d'intervenir. Il est choqué d'avoir entendu sa fille répondre pareillement. Thomas, lui, confie à Sandra.

--Tu as d'abord été notre monitrice, mais, Sandra, tu es vite devenue une amie précieuse. Non, aucun de nous ne pourrait t'oublier, même s'il le voulait, seulement, toi, est-ce que tu penseras à nous, parfois ?

Elle sourit et annonce triomphante.

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--Mieux que ça, Thomas. Je peux vous le dire à présent. Tous vos parents sont d'accord, je vous invite à passer le dernier dimanche de septembre dans mon studio. Audrey, je te confie l'adresse, et qu'il n'y ait aucune défection ce jour-là, vous autres, je serais fâchée. Bien-sûr, nous déjeunerons le midi ensemble.

Ils se regardent tous les six tant la surprise est grande. La tristesse de la séparation fait place aux sourires. Marion promet.

--Nous amènerons les photos prises dans les Pyrénées.

Sandra qui a vu que l'effet de sa surprise lui permet de revoir les sourires sur les visages de ses complices, fait savoir.

--Entendu, mais d'ici là, il faudra travailler au lycée. Vous me promettez ?

Vivien est le premier à répondre.--Tu peux nous faire confiance.--Dans ce cas, vous verrez peut-être une autre

surprise dans un mois dans mon studio.Sabrina ne peut que dire.--Tu es une drôle de cachottière, quand même !--J'en ai le droit, Sabrina. Allez, il faut que je parte,

sinon ce sera trop dur ensuite.Denis réplique à la jeune femme qui est à présent une

amie.--Et pour nous, tu crois que c'est facile ?Sandra admet en retour.--Non, je sais.Puis s'adressant aux parents.--Vos enfants ont été merveilleux. Je l'ai déjà dit, il

me semble, mais c'est vrai, et je ne pourrais pas me dire que c'est fini, que je ne les reverrais plus, c'est pourquoi j'ai demandé votre autorisation qu'ils puissent venir un jour chez moi de temps en temps. Avec eux, j'ai appris ce que signifiaient l'amitié et la fidélité, et, croyez-moi, durant deux mois ils m'ont montré ce qu'étaient le courage et le bonheur.

Thomas propose à Sandra.--Tu pourrais en laisser pour plus tard, personne ne

t'en voudrait et ça servirait peut-être.

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Tout le monde éclate de rire puis un silence tombe, cette fois la séparation est très proche. Vivien, arc et flèches en mains, coupe ce silence qu'il sentait pesant.

--Sandra, tu me les gardes pour une autre fois, d'accord ? Maman n'apprécie pas les armes, même en bois.

Sandra est émue du cadeau. Le prétexte de Vivien n'est pas valable, elle le sait, mais le garçon a bien fait. Elle prend arc et flèches, et, après avoir salué les parents et fait une dernière bise à ses jeunes complices, se dépêche de tourner les talons afin de s'éloigner au plus vite.

Audrey la rejoint rapidement pour lui donner un sac en plastique et conseille.

--Mets l'arc et les flèches de Vivien dedans, ce sera plus pratique pour toi. Paris n'est pas encore envahi par les Indiens.

La gorge serrée, la jeune femme répond seulement.--A bientôt, toi. Merci.Audrey s'éloigne le plus vite qu'elle peut. Elle a failli

voir des larmes couler sur les pommettes de Sandra.Quand la jeune femme rentre chez elle, c'est à Marité,

Bertrand et Marie qu'elle pense soudain. Oui, elle le sait, à présent, les six complices qu'elle a eus travailleront au lycée, ce n'était pas la peine de leur dire. Ils se souviendront de Bertrand et Marie, et c'est pour eux qu'ils travailleront.

L'arc trouve bonne place sur l'un de ses murs. Elle disposera les flèches quand ils viendront, et là, fin septembre, elle montrera la surprise. Leurs sept portraits dessinés de mémoire par Bertrand près de deux siècles plus tôt et que l'aubergiste lui a donnés sans même qu'elle les demande, le jour où elle était allée déjeuner seule à l'auberge vers la fin de ce mois d'août. Elle avait obtenu une journée de liberté car les enfants étaient avec leurs parents. D'ailleurs, Marion avait un peu boudé, mais Audrey lui avait expliqué qu'une amitié ne voulait pas dire esclavage.

Thomas, tu pensais que je pourrais vous oublier ! Comment serait-ce possible avec vos portraits chez moi et que je ferai mettre sou verre. Non, toi, le tueur de loup à la hache, le bûcheron que tu as été, et, comme avait dit Audrey à Perpignan, le jour où tu as détruit cet échafaud en place publique, tu étais grandiose. Non, je ne pourrai pas t'oublier,

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pas plus que Vivien et Denis, d'avoir été présents pour tuer les deux loups qui nous faisaient face à Marité et moi. Vivien, en fait, c'est pour cela que tu m'as confié ton arc, et je t'en remercie, car je le verrai chaque jour. Toi, Audrey, il fallait te voir entrer dans ce village assise en short sur ce grand loup, tu avais fière allure, ma grande. Marion, alors toi, tu as très rarement eu « ta langue dans ta poche », et ce jour, avec Audrey, tu t'en es mêlée, une fois de plus, face au maire, mais tu m'as étonnée lors du dernier orage. Tu avais deviné que cette fameuse nuit serait celle de notre retour au vingtième siècle. Sabrina, avec tes longs cheveux noirs, tu étais toujours présente, pas toujours au premier plan, mais utile partout. Deux fois, je me rappelle, tu as oublié ta discrétion. D'abord, pour nous prévenir de l'arrivée des nuages d'Espagne, juste avant l'orage qui nous a ramenés, et à la colonie, tu as fait fureur, te déshabillant sur place pour passer une culotte de coton. Tout le monde se demandait ce qui t'arrivait, sauf tes cinq amis de toujours. Pour eux, il n'y a eu aucune surprise, je les ai regardés à ce moment là. Non, je ne pourrai oublier aucun de vous, mais encore moins Bertrand, qui nous a appris nombre de choses pour ses onze ans, et la petite Marie, une petite fille de huit ans et demi parlant, alors qu'elle était encore en chemise de nuit et les pieds nus, à un jeune loup blessé. Toi, Marie, je t'ai vue caresser des loups plus grands que toi, les commander, leur parler, marcher au milieu d'eux. Oui, Marie, ton fils avait raison, tu étais bien la maîtresse des loups. Marité, tu l'avais déjà deviné à l'époque où nous étions ensemble, sans mes six gamins, je me sens seule.

Les jours passent et la vie reprend normalement pour tout le monde. Arrive enfin le dernier dimanche de septembre. Le temps est maussade, mais pourtant, pour Audrey, Marion, Sabrina et les trois garçons, ce jour-là est l'un des plus beaux. Toutes et tous se sont levés de très bonne humeur. La veille, ils s'étaient revus pour se fixer rendez-vous afin de partir ensemble chez Sandra, et c'est vers onze heures que Sabrina appuie sur la petite sonnette de la porte du studio de leur ancienne monitrice de colonie de vacances, mais, depuis longtemps ils ne la considèrent plus ainsi. Sandra est leur amie, à maintes reprises, ils s'en sont rendus compte.

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Il faut moins d'une minute avant qu'ils ne voient la porte s'ouvrir pour laisser paraître un visage radieux.

Avant qu'ils n'entrent, Thomas annonce.--Nous sommes tous là, comme promis.Sandra se sent revivre et fait.--Entrez, entrez vite.Marion s'étonne de la tenue de la jeune femme.--Tu es encore en robe de chambre ! Nous sommes

venus trop tôt !Sandra la rassure au plus vite.--J'en ai pour une minute, Marion, mais, que cette

robe de chambre ne vous empêche pas de me faire la bise.Ce qu'ils font aussitôt, après que Denis ait refermé la

porte palière derrière lui.En fait, Sandra ôte la robe de chambre sur place pour

paraître dans une superbe robe.Déjà, pourtant, Vivien et Sabrina ont vu les murs du

petit logement et restent sans voix. Sabrina interroge la première.

--D'où sors-tu ces dessins de nous ?Amusée, la jeune femme blague.--Je les ai commandés à un artiste, il s'appelle

Bertrand Castelnoux.Vivien reprend d'un ton assez sérieux.--Tu pourrais nous expliquer ce qu'ils font ici ?Elle s'exécute avec plaisir.--L'aubergiste me les a donnés le jour où vous n'étiez

pas venus avec moi, le seul jour, devrai-je dire. C'était cela, la surprise promise avant que nous ne nous quittions à la fin du mois dernier. J'étais rentrée à l'hôtel avant votre retour à tous pour les cacher et éviter des questions possibles de Sabrina avec qui je partageais la chambre. Il fallait que la surprise reste jusqu'au bout.

--Tu vas tous les conserver sur tes murs ?--Oui, Marion, pourquoi cette question ?--Comme ça, pour savoir. Remarque, là, c'est sûr, de

cette manière, tu ne risques pas ne nous oublier.Audrey ne parle pas. Ses yeux ont fait le tour du petit

studio. Elle n'a vu nulle part la photo du petit copain de

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Sandra. La jeune femme a suivi un instant le regard de la fille aux cheveux blonds et, la prenant par une épaule, reconnaît.

--Oui, Audrey, vous avez aussi permis que j'évite de faire une bêtise. J'ai le temps de penser aux hommes. Toi et moi nous nous comprenons, c'était à Perpignan, il me semble. Tu pourras leur dire ce soir après votre départ.

Denis intervient très vite pour dire.--Sandra, Audrey a reçu des confidences de ta part.

Nous nous doutons un peu de quoi il s'agit. Il n'est pas question qu'Audrey nous en parle. Là-dessus, tu vois, nous sommes tous d'accord.

--Mais pourquoi ?Sabrina explique à la jeune femme.--Ne cherche pas, Sandra, c'est ainsi. A mon tour de

vous confesser quelque chose. A notre retour à la colonie, nous avons dormi car nous étions fatigués, eh bien, dans un rêve que j'ai fait, je voyais Bertrand dire à Marie qu'il ferait le portrait de chacun de nous. Marie lui avait suggéré de faire également son portrait, mais il semble que celui-là, il ne l'a pas fait. Quand l'aubergiste nous a montrés la première fois, je n'étais qu'à peine surprise. Alors, je ne sais pas si c'est un rêve que j'ai fait au retour à la colonie ou si j'ai eu une transmission à travers le temps de ce que se disaient Marie et Bertrand. Voilà, il fallait que je vous le dise un jour, c'est fait. Bien, passons aux choses sérieuses, que nous as-tu préparé de bon pour ce midi ?

Sandra ne revient pas sur le rêve de Sabrina. Elle lui répond seulement.

--Je ne suis pas une excellente cuisinière, alors ce sera du poulet pour tout le monde.

Vivien donne son avis.--C'est parfait. De toute façon, nous ne venions pas

juste pour manger mais surtout et avant tout pour te voir.--Merci, tu es toujours un charmant garçon, toi, mais

tes deux compères sont comme toi, ça, je ne pourrais pas dire le contraire, je mentirais.

Thomas ne veut plus entendre de compliments.--Sandra, arrête « les fleurs », ça ira comme ça. Nous,

nous aimerions bien savoir ce que tu deviens.

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La jeune femme parle beaucoup, surtout pour indiquer que c'est grâce à eux qu'elle a décoré son logis, puis.

--Vivien, j'ai quand même un petit problème. Je ne sais pas où mettre les flèches, tu ne pourrais pas me conseiller, toi ?

--Justement, nous y avons pensé et nous avons ramené un cadeau assez peu banal, un carquois que nous avons fabriqué tous les trois durant le mois passé.

--Vous êtes des anges !Durant tout l'après-midi, il n'est question que de ces

vacances un peu particulières pendant vingt jours assez extraordinaires avec des enfants plus jeunes qu'eux mais ils en conviennent également, plus mûrs qu'eux. Audrey sort une photo qu'elle donne à Sandra en expliquant.

--C'était la maison que Marité avait achetée, autrement dit, le chalet de l'aubergiste. Evidemment, c'est celle de maintenant. Je ne pouvais pas repartir de là-bas sans en faire une photo. Nous en avons tous une, cet exemplaire est pour toi.

--C'est gentil, je la garderai précieusement, merci, Audrey.

Les adolescents ne s'apprêtent à quitter Sandra qu'un peu après dix-huit heures, et, alors que la nostalgie va de nouveau reprendre le dessus, Marion lance.

--Sandra, tu vas nous faire une promesse.Surprise, la jeune femme demande.--A quel propos, Marion ?La fille, très sérieuse, reprend.--Tu n'acceptes aucune invitation pour le réveillon de

Noël.--Mais, pour quelle raison ?Sabrina continue après son amie de lycée.--Simplement, ma chère Sandra, parce que ce jour-là

et pour le lendemain aussi, d'ailleurs, tu seras en notre compagnie. En quelques mots, tu passes le réveillon chez Marion avec nous tous. Son père nous ramènera, Audrey, Marion et moi, le soir même chez toi quand tu voudras rentrer.

Sandra semble tout à fait dépassée par ce qu'elle vient d'entendre.

--De quel doit m'invitez-vous de la sorte, ce n'est...

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Marion ajoute juste après son amie aux cheveux noirs.

--Si, Sandra, tu verras tes parents pour le nouvel an. Nous leur avons demandé leur autorisation et ils ont été d'accord avec notre idée, mais ils ne t'ont rien dit, c'est ce que nous voulions. Il n'était pas question que tu restes seule un soir comme celui-là. De plus, si nous t'invitons, c'est que nous avons eu l'accord de nos parents pour le faire.

--Mais...--Non, d'office, tu viens, voici mon adresse, mais d'ici

là on se reverra à la fin du mois d'octobre et fin novembre aussi.

--Marion tu es sûre que tes parents...--Audrey, dis-lui, elle ne veut pas me croire.Sandra se défend.--Non, Marion, je te crois, mais je suis surprise pas

autant de gentillesse.--Normal, on mange tous ici le jour de Noël.Comme Sandra ne paraît plus, mais est totalement

dépassée par les événements qui se bousculent d'un seul coup, Audrey lui explique.

--Autrement, Marion, Sabrina et moi ne dormirions pas chez toi la nuit de Noël. Le midi, les garçons nous rejoindront ici pour que nous déjeunions tous avec toi. Tu n'auras à faire aucun frais. Nous six, on s'occupera de tout.

En riant, Thomas lance.--Je ramènerai du lapin et Denis et Vivien des truites.Marion se fâche.--Eux, ils ont le don de tout gâcher en peu de temps

comme c'est pas permis.Vivien se veut rassurant.--Non, Sandra, promis, ni lapin ni truites. Tu penses

bien que pour nous ce serait pire que tout. Bon, cette fois il faut y aller. A dans un mois. Et tu verras, nous serons toujours au complet.

Sabrina renseigne en embrassant Sandra pour lui dire au-revoir.

--Nous avons décidé de te revoir le dernier dimanche de chaque mois, c'est un minimum.

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--Voilà une initiative qui me plaît. Vivien, je compte bien, effectivement, que vous serez tous là dans un mois. Remerciez vos parents de ma part pour cette journée ensoleillée pour moi grâce à vos présences.

Audrey, embrassant une dernière fois Sandra, avoue.--Pour nous aussi, cette journée était ensoleillée,

même si dehors il commence à pleuvoir. Jamais personne ne saura ce qui s'est passé à part nous sept, et ça, tu vois, c'est ce qui nous rapproche le plus et qui restera au fond de nos cœurs, quelle que soit notre vie à venir.

Les adolescents descendent les escaliers. Sandra vient de fermer sa porte et fixe tour à tour les six portraits disposés sur les murs de son studio. Non, elle ne pourra pas les oublier, ce n'est pas possible. Seulement, une petite fille de huit ans et demi se doutait déjà la nuit de l'orage qui les avait ramenés au vingtième siècle, qu'ils ne pourraient plus vivre comme avant. Mieux, même, elle se doutait également qu'ils reviendraient voir à leur siècle ce qu'était devenu le village, sinon, elle n'aurait jamais écrit cette histoire et transmis à ses enfants les dessins effectués par Bertrand. Cette petite fille de huit ans et demi, c'était la maîtresse des loups.

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