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Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité LES JOURNÉES DE L’ÉCONOMIE DU 8 AU 10 NOVEMBRE 2012 Économie : comment faire autrement ? Philippe AGHION Patrick ARTUS Alain AYONG LE KAMA Pierre BEZBAKH Jean-Louis BRILLET Gilbert CETTE Bruno DECREUZE David ENCAOUA Ian GAMBINI Roger GUESNERIE ierry MADIÈS André ORLÉAN Katheline SCHUBERT Alain TRANNOY Jean PISANI-FERRY Jean-Marc VITTORI problèmes économiques

Lutter contre les discriminations : comment faire autrement

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Direction de l’information légaleet administrative

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‘‘Trois questions à Pascal Le Merrer

Direction de l’information légale et administrative26, rue Desaix75015 Paris

Directeur de la publicationXavier PatierRédactionPatrice Merlot(Rédacteur en chef)Markus Gabel(Analyste-rédacteur)Stéphanie Gaudron(Analyste-rédacteur)A également collaboré à cenuméro :Marie-Agnès CrosnierTraductionFrançois Boisivon, Rachel Bouyssou, Diana Hochraich, Fabienne Malfait-Duvillier,Julie Marcot, Danielle Renon,Marie-Agnès Schmitt,Catherine  WeinzornÉditionJulie WargonPromotionIsabelle ParveauxSecrétariatMarie-France Raffi ani

29, quai Voltaire75344 Paris cedex 07Tél. : 01 40 15 70 [email protected]://www.ladocumentationfran-caise.fr/revues-collections/problemes-economiques/index.shtmlAbonnez-vous à la newsletter

AvertissementLes opinions exprimées dans les articles reproduits n’engagent que les auteurs

Crédit photo : © JÉCO © Direction de l’information légale et administrative. Paris, 2012

Conception graphique et infographieCélia PetryNicolas Bessemoulin

Imprimé en France par la Dila

Pascal Le Merrer est professeur à l’École normale supérieure de Lyon et responsable des Journées de l’économie.

Problèmes économiques : « Quelles sont les raisons qui ont présidé à la création des Journées de l’économie de Lyon ? »Pascal Le Merrer : Les sujets économiques ont envahi notre quotidien : crise de l’euro, plans de licenciements, augmentation des impôts, baisse du pouvoir d’achat. Autant de phénomènes qui sont pour le moins anxiogènes et conduisent chacun à exprimer des opinions souvent critiques sur les politiques, les riches, les technocrates... Pourtant il suffit que le contexte économique s’améliore pour que l’on oublie la complexité des phénomènes qui conduisent à ce que tous les jours des millions d’individus interfèrent les uns avec les autres. C’est en partageant les analyses des experts et les expériences des acteurs de la vie économique et sociale que l’on peut construire une meilleure compréhension de notre environnement. Contribuer à la vie intellectuelle du citoyen est le premier objectif des Jéco. Pour cela, il me semble indispensable de mettre à la disposition de chacun quelque soit son âge, sa position sociale, sa formation, les informations et les réflexions pertinentes qui permettent de décrypter notre monde.

Problèmes économiques : « La crise économique mondiale a suscité depuis quatre ans par sa gravité de nombreux débats dont certains vont jusqu’à remettre en question le bien-fondé de notre modèle de croissance, ainsi que le rôle des économistes dans la société. Cette année, vous avez choisi comme fil rouge des Journées : « Comment faire autrement ? ». Par rapport à tous les colloques qui ont déjà débattu de cette question, qu’attendez-vous de plus des acteurs économiques qui seront présents à la manifestation ? »Pascal Le Merrer : Je ne suis pas certain que l’ensemble de la société civile ait accès aux débats des spécialistes dans le cadre des colloques. Il est donc utile de proposer un rendez-vous annuel dans un contexte convivial où chacun peut choisir de participer à des rencontres sur les sujets qui retiennent son attention. Le thème général : « Comment faire autrement ? » s’est imposé naturellement. Depuis cinq ans on s’est interrogé sur les causes de la crise financière, puis sur l’ampleur de la crise économique et sur sa durée. Aujourd’hui on voit que les interrogations se multiplient sur les voies de sortie. On sait que le retour de la croissance ne se fera pas en restaurant l’ancien modèle industriel. Le changement n’est pas que technologique, il concerne aussi nos comportements de consommation, les modes de gouvernance au niveau des entreprises comme des administrations, la transformation des institu-tionslocales, nationales, européennes et mondiales, la gestion de l’environnement, la dynamique des territoires, les systèmes de formation, etc.

Problèmes économiques : « Quel est l’objectif de ce numéro spécial réalisé en partenariat avec Problèmes économiques ? »Pascal Le Merrer : L’objectif est d’offrir sur neuf sujets une synthèse pédagogique rédigée par les meilleurs spécialistes qui permette d’appréhender les analyses relevant de trois types de problèmes :• Ceux qui concernent les progrès de l’analyse économique avec la capacité des économistes à anticiper les crises (Patrick Artus), à construire des outils de simulation pour évaluer les choix de politique économique (Jean-Louis Brillet, Gibert Cette et Ian Gambini), à développer de nouvelles pistes de recherche (dialogue Roger Guesnerie – André Orléan).• Ceux qui se concentrent sur un domaine où les réflexions des économistes sont au cœur de nos problèmes de société avec la lutte contre les discriminations (Bruno Decreuse et Alain Trannoy), l’environnement (Alain Ayong Le Kama et Katheline Schubert), l’extrémisme politique (Pierre Bezbakh).• Ceux qui analysent les changements à mettre en œuvre pour répondre à la crise de l’euro (Jean-Pisani Ferry), adapter l’intervention de l’État aux nouveaux enjeux de la croissance économique (Philippe Aghion), repenser les règles afin que le système des brevets ne devienne pas un obstacle à l’innovation (David Encaoua et Thierry Madiès).

Retrouvez les conférences des Journées de l’économie sur www.touteconomie.org/bibli

Le meilleur de la presse et des revues pour suivre l’actualité

LES JOURNÉES DE L’ÉCONOMIE DU 8 AU 10 NOVEMBRE 2012

Économie : faire

autrement ?

Philippe AGHIONPatrick ARTUSAlain AYONG LE KAMAPierre BEZBAKHJean-Louis BRILLETGilbert CETTEBruno DECREUZEDavid ENCAOUAIan GAMBINIRoger GUESNERIETh ierry MADIÈSAndré ORLÉANKatheline SCHUBERTAlain TRANNOY Jean PISANI-FERRYJean-Marc VITTORI

problèmeséconomiques

Page 4: Lutter contre les discriminations : comment faire autrement

Sommaire

2 Problèmeséconomiqueséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

Économie :comment faire autrement ?P. 04Les économistes sont-ils capables de prévoir les crises ?PATRICK ARTUS

P. 11 Le système des brevets : idées reçues et critiquesDAVID ENCAOUA ET THIERRY MADIÈS

Page 5: Lutter contre les discriminations : comment faire autrement

3SOMMAIRE

P. 19 L’impact des politiques macroéconomiques : le modèle MACSIMJEAN-LOUIS BRILLET, GILBERT CETTE ET IAN GAMBINI

P. 27 Regards croisés sur la criseENTRETIEN AVEC ROGER GUESNERIE ET ANDRÉ ORLÉAN PAR JEAN-MARC VITTORI

P. 35 Analyse économique et politiques environnementalesALAIN AYONG LE KAMA ET KATHELINE SCHUBERT

P. 43 Crise économique et extrémisme politiquePIERRE BEZBAKH

P. 51 Lutter contre les discriminations : comment faire autrement ?BRUNO DECREUSE ET ALAIN TRANNOY

P. 56 Growth and the Smart StatePHILIPPE AGHION

P. 67 Assurance mutuelle ou fédéralisme : la zone euro entre deux modèlesJEAN PISANI-FERRY

Page 6: Lutter contre les discriminations : comment faire autrement

4 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

Il existe aussi bien sûr des évolutions pro-gressives (par exemple, le changement du modèle économique de la Chine, la réindus-trialisation des États-Unis et la désindustrialisa-tion de plusieurs pays de la zone euro…) qui, aussi importantes soient-elles, ne marquent pas de manière aussi prononcée l’équilibre économique que les crises financières.

Il est donc essentiel d’essayer de prévoir ces dernières ainsi que les anomalies de valorisa-tion du risque qui les annoncent. Toutefois, cela s’avère un exercice difficile, car :

– il s’agit d’équilibres multiples, et la crise correspond à un « saut » de l’économie sur un équilibre défavorable ; si la modélisation théorique des équilibres multiples estfaisable (en se basant, le plus souvent, sur les anticipations autoréalisatrices) et répandue, leur modélisation empirique est complexe ; de plus, la multiplicité d’équilibres peut être liée simplement à la formation des anticipations et non à des grandeurs objectives de l’économie ;

– la notion de « valeur fondamentale d’un actif financier » n’est pas claire et il peut y avoir « équilibre avec taches solaires » : si les investisseurs croient qu’un actif financier dépend fondamentalement du niveau ou de la variabilité de certaines variables, le prix d’équilibre de l’actif va de facto en résulter ;

Les évolutions économiques marquantesse font, surtout depuis les années 1990,non de manière continue mais à la faveur

des crises financières de natures diverses :

– explosion de bulles spéculatives sur les prix des actifs (actions en 1997, 2000 ; immobilier et actifs complexes liés à l’immobilier en2007-2008) ; ces explosions de bulles sont révélatrices d’un excès d’endettement, d’où le basculement dans une dynamique dedésendettement ;

– crises de balance des paiements (arrêt brutal du financement d’un pays par les prêteurs non résidents : par exemple 1997 en Corée du Sud et en Thaïlande, 1998 au Brésil, en Russie, 2000-2001 en Turquie, 2009 dans les pays périphériques de la zone euro), d’où une récession et, le cas échéant, un effondrement du taux de change ;

– apparition soudaine de primes derisque sur les dettes publiques qui étaient auparavant considérées comme sans risque (pays périphériques de la zone euro), d’où l’introduction en toute urgence de politiques budgétaires restrictives ;

– crises de liquidité bancaire conduisant au rationnement du crédit bancaire, domestique et à l’exportation, comme après la faillite de la banque Lehman Brothers.

LES ÉCONOMISTESSONT-ILS CAPABLESDE PRÉVOIR LES CRISES ?Patrick ArtusDirecteur de la recherche et des études économiques de Natixis

Page 7: Lutter contre les discriminations : comment faire autrement

DOSSIER 5JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

– les phénomènes de contagion des crises sont complexes ; certains sont dus à des causes objectives (liens commerciaux, financiers), mais d’autres viennent seulement des mouvements des anticipations.

L’incapacité apparente des économistes à prévoir la gravité de certaines crises peut donc tout à fait s’expliquer.

Certaines évolutions économiques sont progressives…

Pour marquantes qu’elles soient, certaines évolutions économiques ne sont ni des rup-tures ni des reprises. Nous en donnerons ci-après quelques exemples.

Le changement du modèle de croissance de la Chine en est le premier. Avec la hausse rapide des salaires (15 à 18 % par an), la compétitivité-coût de la Chine se dégrade rapidement, ce qui affaiblit son industrie bas de gamme et pousse cette dernière à se délocaliser vers d’autres pays émergents à coûts salariaux plus faibles ; à ceci s’ajoute le fléchissement du commerce mondial et des exportations de la Chine qui ne progressent plus que de 5 à 10 % par an, contre 20 à 30 % dans le passé. Dès lors, la Chine est amenée à abandonner le modèle de croissance tirée par l’exportation de produits peu sophistiqués pour se tourner vers un modèle où les princi-paux moteurs sont la demande intérieure et la production de produits plus haut de gamme, avec une transition difficile qui explique le ralentissement de l’activité.

Il est impressionnant de constater que le coût unitaire de production en Chine par rap-port à celui des États-Unis est passé de 40 % en 2002 à 70 % en 2012, et qu’il l’égalera en 2017. Mais il s’agit là de l’évolution progressive d’un modèle, et non d’une crise.

La réindustrialisation des États-Unis est notre deuxième exemple. En témoigne le redresse-ment de la capacité de production manufactu-rière, de la part de marché à l’exportation, de l’investissement productif et de l’emploi manu-facturier. Les États-Unis ont gagné 1  point ½ de part de marché dans le commerce mondial depuis 2008 et, pour la première fois depuis

1996, ont enregistré en 2010 une hausse de l’emploi industriel.

On peut expliquer cette réindustrialisation par la baisse des coûts salariaux, par rapport à ceux que connaissent l’Allemagne, la France et le Japon ; par le prix très bas de l’énergie grâce à la production de gaz de schiste : le prix du gaz naturel y est quatre fois plus faible qu’en Europe et neuf fois plus qu’en Asie.

Cette évolution aura des implications très importantes à long terme, notamment enréduisant progressivement le déficit extérieur des États-Unis, ainsi que, par voie de consé-quence, la création monétaire et l’affaiblisse-ment du dollar.

La désindustrialisation de plusieurs pays de la zone euro est notre dernier exemple ; on sait que le poids de l’industrie manufacturière en Espagne, en Grèce, en France et, à un moindre degré, au Portugal s’est fortement réduit (7 à 13 % du produit intérieur brut contre 20 % en Allemagne).

La désindustrialisation peut être due à de multiples causes : insuffisance de l’innovation et trop forte proportion de la production bas de gamme (France, Espagne, Grèce, Portu-gal), niveau de qualification trop faible de la population active (Espagne, Grèce, Portugal), hausse des coûts de production (Espagne, Grèce, France, Portugal)… Elle fait apparaître des déficits extérieurs structurels (les balances courantes enregistrent des déficits qui, en 2012, vont de 2,5 % du produit intérieur brut en France à 9 % en Grèce), lesquels représen-tent une menace pour l’existence même de la zone euro avec, en l’absence de fédéralisme économique et social à l’échelle de l’Union européenne, une accumulation induite des dettes extérieures.

Toutes ces évolutions structurelles (change-ments de modèle de croissance, réindustria-lisation ou désindustrialisation) jouent un rôle majeur, mais elles se déroulent lentement, et sont analysables à partir de grandeurs obser-vables, de mécanismes normaux de l’écono-mie. Il n’en est pas de même pour les crises financières.

Page 8: Lutter contre les discriminations : comment faire autrement

6 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

… à l’inverse de celles marquées par des crises financières

Depuis les années 1990, les économies sont à nouveau confrontées à des crises financières. Celles-ci sont de différents types.

Explosion de bulles spéculativessur les prix des actifs

Ce type de crise a touché les actions en 1997 et 2000, puis l’immobilier et les actifs complexes liés à l’immobilier en 2007-2008 (les spreads de taux d’intérêt sur les produits structurés liés à l’immobilier ont augmenté de 1 200 points de base en 2008-2009).

La chute des prix des actifs a révélé l’ex-cès d’endettement des agents économiques

(essentiellement des entreprises en 2000, puis des ménages en 2008) qui avaient acheté ces actifs, les contraignant à se désendetter, ce qui a entraîné un recul de la demande et la réces-sion. Un point important à souligner est que, dans les périodes de forte hausse de l’endet-tement (1998-2000, 2003-2007), les primes de risque payées par les ménages et par les entre-prises sont très faibles (voir graphiques 1 et 2).

Crise de balance des paiementsCelle-ci se produit quand les prêteurs non

résidents cessent brusquement de financer un pays. Celui-ci ne peut plus dès lors assumer son déficit extérieur ni le service de sa dette extérieure. Ce fut le cas dans des pays ayant jusqu’alors financé sans difficulté un déficit extérieur important, comme la Corée du Sud et la Thaïlande en 1997, le Brésil et la Russie en 1998, la Turquie en 2000-2001, les pays périphériques de la zone euro depuis 2009. Le pays ne pouvant plus s’endetter auprès du reste du monde, il est confronté à des taux d’intérêt qui augmentent rapidement, ce qui n’empêche pas les sorties de capitaux (comme en Thaïlande et au Brésil en 1997 et 1998), et, dans le cas des pays émergents, nécessite de laisser se déprécier fortement le taux de change pour rétablir aussi vite que possible l’équilibre extérieur.

On passe donc brusquement d’un équilibre où le pays accumule sans difficulté de la dette extérieure avec des primes de risque faibles à un équilibre où les prêteurs, doutant de la solvabilité externe du pays, ne veulent plus le financer. Le pays se trouve ainsi contraint à faire disparaître rapidement son besoin de financement extérieur, ce qui entraîne une forte dépréciation du change, et donc une hausse importante du prix des importations, ainsi qu’une récession à court terme due à la dégradation des termes de l’échange.

Crise des dettes souveraines de la zone euro

Jusqu’en 2007, les pays périphériques de la zone euro se sont financés au même taux d’intérêt que l’Allemagne (voir graphique 3), puis des primes de risque très élevées sont apparues sur les dettes publiques, forçant les pays à mettre en place des politiques bud-gétaires restrictives et à rechercher l’aide de

1. Spread de crédit sur les obligations d’entreprises (points de base)

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États-Unis Zone euro Royaume-Uni

Sources : Datasteam, Bloomberg, NATIXIS.

2. Marge de taux d’intérêt sur les crédits aux ménages contre le taux swap (en %)

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États-Unis : crédits à taux fixe contre taux swaps 10 ans Zone euro : crédits à taux fixe contre taux swaps 10 ans Royaume-Uni : crédits à taux variable contre taux swaps 3 mois

Sources : Datasteam, NATIXIS.

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DOSSIER 7JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

prêteurs publics (Fonds monétaire internatio-nal, Union européenne, Fonds européen de stabilité financière pour l’Irlande, la Grèce, le Portugal ; Banque centrale européenne pour l’Espagne et l’Italie). Les politiques budgé-taires restrictives ont déclenché une spirale dépressive dans ces pays, la croissance étant en moyenne négative depuis 2009.

Ce type de crise révèle l’inefficacité de la discipline de marché :• les prêteurs ne demandent pratiquement aucune prime de risque avant la crise, malgré la présence de déficits publics, comme en Grèce et au Portugal (voir graphique 4), ou malgré l’absurdité du modèle de croissance, comme en Espagne, en Grèce et en Irlande (excès d’endettement, bulle immobilière) (voir graphiques 5 et 6) ;• quand soudainement les primes de risque sont exigées, elles sont si importantes qu’elles plongent les pays dans la déflation.

Crise de liquidité bancaire

Le cas le plus impressionnant de ce type de crise est, bien sûr, celle qui a suivi la faillite de la banque Lehman Brothers en septembre 2008. Très rapidement, les banques n’ont plus eu la possibilité de se financer, ni à court terme (les spreads pour des prêts interbancaires à trois mois ont grimpé de presque rien à 3 %), ni à long terme (les CDS  – Credit default swaps – des banques, c’est-à-dire les primes de risque des dettes obligataires bancaires qui passent à une fourchette de 3 à 5 %). Rappe-lons que les primes de risque payées par les banques avant la crise étaient très faibles mal-gré le caractère visible de l’accroissement de leur prise de risque : hausse de la taille de leurs bilans (trois années de produit intérieur brut dans la zone euro, cinq années au Royaume-Uni), niveau élevé de leur levier d’endettement (voir tableau).

3.Taux d’intérêt à 10 ans sur les emprunts d’État(en %)

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Allemagne Espagne Italie Portugal Grèce Irlande

Sources : Datasteam, NATIXIS.

4. Défi cit public (en % du PIB, valeur)

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Espagne Italie Portugal Grèce Irlande (hors recapitalisation

des banques)

Sources : Datasteam, NATIXIS.

5. Dette des ménages + entreprises (en % du PIB)

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Sources : Datasteam, Bloomberg, NATIXIS.

6. Prix de l’immobilier (100 en 1999)

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Espagne Italie Portugal Grèce Irlande

Sources : Datasteam, NATIXIS.

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8 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

Elles ont donc été contraintes d’arrêter de prêter (voir graphique 7), ce qui a provoqué la récession de 2008-2009. La suspension de l’offre de crédit a notamment concerné le cré-dit à l’exportation (voir graphique 8), d’où la transmission de la crise au commerce mondial et à tous les pays.

Ces quatre types de crises financières, dif-férents de par leur origine, présentent cepen-dant des caractéristiques similaires :– avant la crise, un certain nombre d’agents économiques s’endettent facilement et dans des proportions importantes, avec des primes de risque très faibles ;– ceci conduit (et correspond) à la valorisation anormale de certains actifs (actions, immobilier, dettes extérieures, dettes publiques, dettes bancaires) ;– la crise survient avec la « disparition » des prêteurs, qui provoque une brusque hausse des primes de risque et un changement radical

de comportement des agents économiques qui se trouvent forcés de se désendetter.

On pourrait donc croire qu’il est facile de prévoir les crises : il suffirait de comparer les primes de risque et le niveau de risque effecti-vement pris par les emprunteurs, puis d’iden-tifier les cas où les primes de risque sont trop basses. Mais dans la pratique, les choses ne sont pas aussi simples.

Ratio entre le total de bilan et les fonds propres des banques (au 31 décembre)

2006 2007 2008 2009 2010 2011États-Unis 10,7 11,8 10,6 9,6 9,4 8,9Zone euro 22,5 22,9 25,7 20,2 20,0 22,0Royaume-Uni 25,9 32,2 40,8 25,1 19,4 19,0

Sources : Datastream, NATIXIS.

Pourquoi la prédiction des crises est-elle si complexe ?

En premier lieu, comme on l’a vu, les équi-libres sont multiples : l’économie « saute »d’un équilibre où un groupe d’agents écono-miques se finance facilement avec des primes de risque faibles à un autre où il va se financer difficilement avec des primes de risque éle-vées. De très nombreux modèles théoriques d’équilibres multiples ont été élaborés, qu’ils soient liés aux anticipations de taux de change ou bien au risque de défaut ou de dévaluation perçu. Leur principale caractéristique est sou-vent la même : si un agent économique est anticipé comme solvable, il se finance facile-ment avec des primes de risque faibles, et vu qu’il se trouve confronté de ce fait à un coût de financement faible, il est effectivement sol-vable ; à l’inverse, si un agent économique est anticipé comme insolvable, le coût de finance-ment élevé auquel il est confronté du fait des primes de risque le réduit forcément à l’insol-vabilité. Les deux équilibres reposent donc sur des anticipations rationnelles et autoréa-lisatrices, mais rien ne dit quand et pourquoi on passe du premier équilibre au second, ni sur ce qui est dû seulement à un changement des anticipations, et non à des caractéristiques mesurées de l’économie.

En deuxième lieu, on a supposé ci-dessus qu’un observateur « avisé » pouvait détecter

7. Crédits bancaires au secteur privé1 (GA en %)

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10

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02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12– 10

– 5

0

5

10

15 États-Unis Zone euro Royaume-Uni

1. Ménages + entreprises.

Sources : Datasteam, Fed, BOE, NATIXIS.

8. Crédit à l’exportation (GA en %)

– 40

– 20

0

20

40

60

06 07 08 09 10 11 12– 40

– 20

0

20

40

60

États-Unis UE15 Chine Japon Ensemble des Émergents d'Asie

Sources : Worldbank, NATIXIS.

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DOSSIER 9JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

les anomalies de valorisation des actifs, en comparant les primes de risque observées aux primes de risque « normales », ce qui ne lui permettait pas de prévoir la date des crises, mais, au moins, d’identifier les risques. Cette hypothèse est cependant trop optimiste : dans nombre de cas, il est difficile de connaître la valeur fondamentale d’un actif (et donc la prime de risque « normale »), d’autant que ce concept de valeur fondamentale n’a pas grand sens. En effet, si les investisseurs croient que le prix d’un actif dépend de certaines variables, même si elles n’ont aucun rapport avec lui ni avec les revenus qu’il procure, dans une situa-tion d’équilibre avec anticipations rationnelles, le prix de cet actif en résultera néanmoins. On parle alors d’équilibre avec taches solaires : si les investisseurs sont persuadés qu’il existe un lien entre le prix d’un actif et une variable, ce lien s’établit.

Autrement dit, le concept de valeur fon-damentale est très flou, puisqu’il résulte des croyances des investisseurs. Prenons l’exemple des actions. En principe, leur valeur fondamen-tale est la somme actualisée des dividendes futurs ; dès lors, la prime de risque actions devrait être constante, ce qui n’est pas du tout le cas (voir graphique 9). Ceci vient-il de ce que l’aversion au risque se modifie, ou de ce que les investisseurs croient à un moment que les cours boursiers dépendent de cer-taines variables, puis d’autres, quelque temps plus tard ? Quelle est alors la prime de risque actions « normale » ?

En troisième lieu, il peut y avoir contagion d’une crise d’un marché financier à l’autre, d’un pays à l’autre. On a vu ainsi, pendant

la crise de la zone euro, l’emballement des dettes publiques se répercuter sur celles des banques et des entreprises (voir graphique 10), les difficultés de l’Espagne gagner l’Italie (voir graphique 11).

Cette contagion peut avoir des causesrationnelles  – entre les pays du fait de leurs échanges économiques ; entre les États, les banques et les entreprises en raison de leurs liens financiers (les banques détiennent des dettes publiques, les entreprises dépendent des banques pour leur financement)  – mais elle peut aussi provenir d’une modification des anticipations sans fondements réels. Ainsi, la crise se propage de l’Espagne à l’Italie alors que la première est désindustrialisée par rap-port à la seconde où l’industrie conserve un rôle important (l’emploi industriel représente 14 % de l’emploi total en Espagne, 20 % en

9. Prime de risque actions

0

2

4

6

8

10

98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 120

2

4

6

8

10 S&P Eurostoxx FTSE

Sources : Datasteam, JCF, NATIXIS.

10. Zone euro : CDS souverains, CDS des banques et CDS des entreprises non fi nancières (5 ans, en pb)

0

100

200

300

400

500

02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 120

100

200

300

400

500 Ensemble des pays de la zone euro hors Grèce CDS banques CDS entreprises non financières

Sources : Datasteam, NATIXIS.

11.Taux d’intérêt à 10 ans sur les emprunts d’État (en %)

3

4

5

6

7

8

02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 123

4

5

6

7

8 Espagne

Italie

Sources : Datasteam, NATIXIS.

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10 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

Italie), et enregistre un déficit public bien plus conséquent.

En conclusion, prévoir les crises financières est très compliqué

À la différence d’autres évolutions écono-miques (spécialisation productive, modèles de croissance), les crises financières surviennent de façon inattendue. Leur origine, qu’elles aient pour vecteur les actions, l’immobilier, les actifs financiers complexes, les dettes sou-veraines, les dettes extérieures, les dettes bancaires, est presque toujours à peu près la même : les primes de risque sur certains actifs ou certaines dettes sont d’abord anor-malement faibles (d’où la hausse des prix des actifs et de l’endettement), puis s’envolent avec l’arrêt des financements. Cette similitude n’aide cependant en rien leur prévision, car :• il s’agit le plus souvent d’un « saut » d’un équilibre à un autre dans une situation d’équi-libres multiples avec anticipations autoréalisa-trices ; il faudrait donc être capable de prévoir les modifications de ces anticipations ;• la valeur fondamentale d’un actif financier estdifficile à connaître et est instable, ce conceptmême étant peu fiable dans la mesure où ildépend des croyances des investisseurs concer-nant les déterminants des prix d’équilibre ;• la contagion des crises d’un marché àun autre, d’un pays à un autre peut être

imprévisible si elle procède seulement de la modification des anticipations qu’entraîne une première crise.

Il y a donc loin de l’analyse ex post des crises passées et des modèles théoriques à la prévi-sion des crises futures.

Annexe et références bibliographiques

Deux théories ont récemment été dévelop-pées sur l’instabilité de la relation entre fonda-mentaux et prix d’équilibre des actifs :• Les équilibres avec taches solaires (P. Bac-chetta – E. van Wincoop (2012) ; P. Bacchetta, C. Tille, E. van Wincoop (2010)). Les inves-tisseurs croient que le prix d’équilibre d’un actif dépend de la valeur et de la variabilité d’une variable. Même si elle n’a aucun effet sur la valeur fondamentale réelle de cet actif, à l’équilibre avec anticipation rationnelle, elle influence le prix d’équilibre de ce dernier.• Les équilibres avec « bouc émissaire » (P. Bac-chetta – E. van Wincoop (2004, 2006, 2009) ; P. Bacchetta  – E. van Wincoop  – T.  Beutler (2010) ; M. Fratzscher  – L. Sarno  – G.  Zinna (2012)). Les investisseurs attribuent à un fonda-mental observé les effets sur le prix d’équilibre d’un actif des variations d’un fondamental non observé. Ceci rend instable la relation à l’équilibre entre le fondamental observé et le prix de l’actif et, dans certains cas, impossible à l’appréhender.

Bacchetta P. et van Wincoop E. (2012), « Sudden Spikes in Global Risk », CEPR Discussion Paper, n° 8853, février.

Bacchetta P., Tille C. et van Wincoop E. (2010), « Self Fulfilling Risk Panics », NBER Working Paper, n° 16159.

Fratzscher M., Sarno L.et Zinna G. (2012), « The Scapegoat Theory of Exchange Rate : the First Tests », CEPR Discussion Paper, n° 8812, février.

Bacchetta P. et van Wincoop E. (2004), « A Scapegoat Model of Exchange Rate », American Economic Review, Paper and Proceedings 94, p. 114 à 118.

Bacchetta P. et van Wincoop E. (2006), « Can Information Heterogeneity Explain the Exchange Rate Determination Puzzle ? »,American Economic Review 96,p. 552 à 576.

Bacchetta P. et van Wincoop E. (2009), « On the Unstable Relationship between Exchange Rates and Macroeconomic Fundamentals »,NBER Working Paper, n° 15008.

Bacchetta P, van Wincoop E.et Beutier T., (2010), « Can Parameter Instability Explain the Meese-Rogoff Puzzle ? »,NBER, International seminar on macroeconomics 2009,p. 125 à 173.

BIBLIOGRAPHIE

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DOSSIER 11JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

des connaissances et elle doit être jugée suf-fisamment inventive (ou non évidente dans la terminologie américaine) par un expert qui maîtriserait parfaitement l’état de l’art en la matière. Un brevet confère à son détenteur un droit d’exclusivité temporaire, valable pour une durée maximale de vingt ans à compter de la date de la demande, après quoi l’invention qu’il protège tombe dans le domaine public. Cela signifie que le titulaire est libre pendant la période de protection légale d’utiliser ou non son titre de propriété intellectuelle et en tout état de cause d’exclure autrui de l’utilisation de l’invention brevetée sans le consentement du titulaire. En cas d’infraction, il revient à ce dernier d’exercer son droit à l’encontre du contrefacteur présumé en engageant un procès pour violation de brevet. En échange de la protection juridique temporaire que la société accorde à l’inventeur, le détenteur du brevet est tenu de divulguer le contenu de son invention. Celle-ci est décrite dans le brevet au travers de « revendications » spécifiques qui délimitent l’étendue de la protection et par là même l’avantage du titulaire par rapport à ses concurrents. Un brevet peut être utilisé de diverses manières : soit par le détenteur lui-même à des fins productives, soit faire l’objet de contrats de licence si le titulaire décide de licencier son invention et d’obtenir ainsi des revenus, soit enfin être mis en veilleuse pour

LE SYSTÈME DESBREVETS : IDÉESREÇUES ET CRITIQUESDavid Encaoua et Th ierry MadièsDavid Encaoua, École d’économie de Paris, université de Paris I, Centre d’économie de la Sorbonne.Thierry Madiès, Département d’économie politique, université de Fribourg (Suisse) et Centre de recherche en économie et management – CREM (CNRS), université de Rennes I.Les auteurs remercient Simon Lapointe pour sa lecture attentive et ses précieuses remarques.

L’économie contemporaine est marquée par la prééminence des activités d’inven-tion et d’innovation[1] impliquant l’ap-

parition à un rythme rapide de nouveaux produits, de nouvelles technologies et denouvelles formes de concurrence. Commel’innovation est au cœur de la croissanceéconomique, tous les leviers d’intervention qui la favorisent sont mobilisés et le brevet d’invention en est certainement l’un des plus emblématiques, ne serait-ce que du fait de l’augmentation très forte du nombre de dépôts de brevets aux États-Unis et en Europe[2]. Aussi le brevet a-t-il reçu la plus grandeattention de la part des décideurs publics, des dirigeants d’entreprises, des utilisateurs, des économistes et des juristes. Rappelons d’abord la définition d’un brevet. C’est un droit de propriété intellectuelle (DPI) accordé au producteur d’une invention qui satisfait les trois critères suivants : l’invention doit être susceptible d’application(s) industrielle(s), elle doit être nouvelle par rapport à l’état antérieur

1 Une invention, fruit d’une activité de recherche et développement, devient une innovation lorsqu’elle est introduite sur le marché ou qu’elle donne lieu à une nouvelle pratique sociale.2 Entre 1990 et 2007, le nombre de dépôts de brevets aux États-Unis et en Europe a plus que doublé. Sur la période récente, l’Office européen des brevets (OEB) s’est engagé à accroître les critères de brevetabilité, ce qui devrait conduire à un ralentissement du nombre de dépôts de brevets. Voir Guellec, Madiès et Prager (2011).

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d’éventuelles utilisations ultérieures. Enfin, un brevet est un droit territorial ; il ne s’applique qu’au pays pour lequel il a été accordé. Ainsi, un brevet accordé en France ne conférera pas d’exclusivité en Allemagne – il empêchera seu-lement le brevetage de la même invention en Allemagne, dans la mesure où pour obtenir un brevet, le caractère novateur doit être appré-hendé à l’échelle mondiale.

Trois questions de base, inhérentes au sys-tème de protection par le brevet, ont fait l’objet de très nombreux travaux. Elles sont réexaminées ici au travers de ce que nous dési-gnons comme des idées reçues. Pour ne pas être totalement infondées, celles-ci doivent cependant parfois être sérieusement nuan-cées. Mais ce ne sont pas elles qui posent pro-blème. Aussi sommes-nous amenés à explorer les critiques justifiées auxquelles sont confron-tés les systèmes contemporains des brevets, et dont les solutions représentent aujourd’hui de véritables défis intellectuels.

Idées reçues sur les brevets

En tant que droit de propriété intellectuelle, le brevet favorise l’innovation

Les études empiriques visant à établir un lien formel entre le brevet et l’innovation ne parviennent pas à des conclusions tranchées. Cela est vraisemblablement dû à trois raisons. D’une part, les brevets ne sont pas les seuls instruments disponibles pour favoriser l’inno-vation. D’autre part, les brevets accordés ne conduisent pas toujours à une exploitation se traduisant par une innovation. Enfin, ils ne satis-font pas toujours les critères de brevetabilité, si bien que la croissance du nombre de brevets d’un pays surestime vraisemblablement la capa-cité innovative de ce pays. Notons que toutes les enquêtes disponibles (Mansfield, 1986 ; Levin et al., 1987 ; Cohen et al., 2000 ; Arundel et Kabla, 1998) révèlent que le choix du bre-vet en tant que mécanisme de protection est loin d’être la règle dans les différents secteurs d’activité. Le brevet semble être le mécanisme de protection privilégié dans les activités où les connaissances incluses dans les inventions sont « codifiées » et donc plus facilement copiables, comme c’est le cas par exemple dans l’industrie

des médicaments, de la chimie, et dans une certaine mesure des biotechnologies. Dans la plupart des autres industries, des formes de protection comme le maintien du leadership technologique ou le secret commercial sont préférées aux brevets. Toutefois, même dans les activités où le brevet n’est pas la forme de protection préférée, le nombre de demandes de brevets ne cesse de croître. Il est donc vrai-semblable que le brevet a une fonction recher-chée qui dépasse celle de la simple protection. De plus, ni les inventions ni les innovations ne sont toutes brevetées et beaucoup d’inventions brevetées ne conduisent à aucune innovation sur le marché. Il n’existe donc pas de relation mécanique entre la propension à breveter et celle à innover.

Comme on ne peut pas identifier les inven-tions ni les innovations proprement dites, le nombre de brevets est considéré au mieux comme un indicateur approximatif du proces-sus d’innovation, que ce soit au niveau d’une entreprise, d’un secteur, de l’industrie ou d’un pays dans son ensemble. L’étude pionnière de Griliches (1990) ainsi que les principales conclusions tirées par Hall et Harhoff (2012) des enquêtes auprès des entreprises men-tionnées plus haut ont mis en lumière que l’extraordinaire croissance du nombre de bre-vets n’était pas un indicateur totalement fiable de l’évolution du processus d’innovation, de multiples autres raisons pouvant l’expliquer. Par ailleurs, au-delà de son rôle présupposé d’incitation ex ante à l’invention par la protec-tion qu’il accorde ex post, le rôle du brevet ne semble pas le même selon qu’il s’agit d’une grande entreprise ou d’une start-up. Au sein des grands groupes industriels, notamment dans les industries de technologies complexes où la possession d’un vaste portefeuille de bre-vets permet de se prémunir contre les attaques de concurrents, la fonction de protection juri-dique a tendance à céder le pas à des objec-tifs stratégiques : les portefeuilles de brevets représentent les instruments contemporains de la guerre économique. Au sein des entreprises de plus petite taille, la détention d’un brevet offre un signal important pour obtenir un finan-cement, notamment auprès du capital risque, et accéder ainsi au marché.

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Un droit de propriété intellectuelle tel que le brevet n’est pas comparable aux autres formes de propriété

Cette idée est correcte pour plusieurs raisons. D’abord la propriété intellectuelle protège un bien public, à savoir l’information relative à une invention, alors que les autres formes de propriété protègent en général des biens dont l’usage est exclusif. Ce caractère de bien public, notamment le fait que l’information ou la connaissance ne s’épuise pas par l’usage qu’on en fait, justifie le droit d’exclusion que la société accorde au détenteur d’un brevet. Sans ce droit d’exclure, le détenteur pourrait ne pas pouvoir percevoir le fruit de l’investis-sement qu’a nécessité la mise au point de son innovation, alors que pour les autres formes de propriété, le droit d’exclusion est automa-tiquement satisfait dans l’acte même d’achat, c’est-à-dire d’accession au bien. De plus, il est important de noter qu’en contrepartie du droit d’exclusion que la société accorde à l’inven-teur, celui-ci est tenu de divulguer l’information sur l’invention brevetée, ce qui ne serait pas le cas si l’invention restait secrète. Ce pouvoir de diffusion des idées que possède le brevet est à la fois utile et spécifique à la propriété intellectuelle.

Un deuxième trait distingue la propriété intellectuelle des autres formes de propriété : les frontières délimitant la propriété sont bien plus incertaines. Tant en ce qui concerne la validité du titre accordé qui peut toujours être contestée par un infracteur présumé lors d’un procès qu’en matière de contenu et d’étendue des revendications protégées, un droit de pro-priété intellectuelle est plus proche d’un droit que certains auteurs qualifient de probabiliste (Lemley et Shapiro, 2005) par opposition au droit que l’on qualifie d’airain, associé aux autres formes de propriété.

En troisième lieu, un brevet ne protège pas seulement son détenteur du risque de voir l’invention copiée ou imitée comme cela était supposé dans les premiers travaux retenant le cadre d’analyse d’une innovation isolée. La prise en compte de l’innovation cumu-lative  – une innovation présente repose sur des inventions brevetées des générations

précédentes  – a largement modifié l’analyse. Aujourd’hui, en effet, un brevet confère à son détenteur le pouvoir de bloquer une invention ultérieure, soit parce que celle-ci nécessite le recours au savoir de l’invention brevetée, soit parce que le détenteur estime que l’innova-tion ultérieure empiète sur les revendications protégées dans le brevet antérieur, ce qui jus-tifie des poursuites juridiques à l’encontre du présumé infracteur. À titre d’exemple, Apple a considéré que le design rectangulaire à bords arrondis du téléphone cellulaire de Samsung reproduisait le design de son propre iPhone, qui avait été préalablement breveté. Les avo-cats de Samsung n’ont pas manqué d’ironiser en posant la question de ce que devaient être les infractions en matière de formes des télévi-seurs. Finalement, décrypter les situations pour savoir si ce pouvoir de blocage est justifié ou si, au contraire, il correspond à un comportement opportuniste du détenteur devient une tâche difficile à la charge des tribunaux, confrontés à des problèmes techniques complexes qui se doublent de droits de propriété intellectuelle dont la délimitation n’est jamais dénuée d’in-certitude. En un mot, dès qu’on élargit l’analyse à la notion d’innovation cumulative, de nou-veaux problèmes surgissent et le moins qu’on puisse dire est que la croyance habituelle selon laquelle un élargissement du droit de propriété intellectuelle ne peut qu’être favorable à l’inno-vation est largement sujette à caution.

Le droit de la propriété intellectuelle qui accorde un monopole temporaire est complémentaire du droit de la concurrence : tous deux favorisent l’effi cacité dynamique

Tout en comportant une grande part de vérité, cette idée a mis beaucoup de temps à s’imposer avant d’être à nouveau mise en cause par les autorités de la concurrence. On a d’abord observé dans le passé l’alternance de périodes où l’un des deux droits semblait être sous la prééminence de l’autre. Un droit qui accorde le pouvoir d’exclusion temporaire, donc une certaine dose de pouvoir de mono-pole, ne pouvait qu’être antinomique d’un droit dont la raison d’être est de combattre les monopoles. Mais la situation contemporaine a beaucoup évolué. Que ce soit en Europe ou

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14 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

aux États-Unis, les autorités en charge du droit de la concurrence cherchent le plus souvent à mettre en avant les complémentarités entre la propriété intellectuelle et la concurrence, plutôt qu’à les opposer. Prenons l’exemple du traitement concurrentiel des clauses restric-tives de concurrence présentes dans nombre de contrats de licences, comme la clause d’exclusivité aux termes de laquelle le licen-cié s’engage à ne vendre que des produits fabriqués sous licence, ou encore la clause d’échanges croisés (grantbacks) obligeant le licencieur et le licencié à s’échanger les amé-liorations respectives de leurs technologies à partir de celles sur lesquelles porte le contrat de licence. Plutôt que de considérer ce type de restrictions comme relevant ipso facto du droit de la concurrence, les autorités antitrust préfèrent avoir recours à la règle de raison qui consiste à comparer dans chaque cas l’état de la concurrence en l’absence du contrat de licence et celui induit par la licence comportant des clauses restrictives (Gilbert, 2006).

Mais ceci ne signifie pas que les tensions entre droit de la concurrence et droit de la pro-priété intellectuelle aient disparu. La situation nouvelle est que les autorités de la concurrence se trouvent maintenant confrontées à des dis-torsions du système de brevets, qui affectent sensiblement les modalités de la concurrence sans que ces effets négatifs puissent être corrigés par les règles régulant cette der-nière (Encaoua et Madiès, 2012), seules des réformes de ce système étant à même d’y par-venir, ce dont doutent certains économistes. Ceci étant, ces derniers considèrent, dans leur grande majorité, que les effets d’un brevet sur l’innovation et la concurrence, sont à la fois positifs et négatifs. En effet, concernant l’inno-vation, il incite à investir dans la recherche et développement (R&D) et permet une diffusion des idées, mais en même temps, il peut être un obstacle à l’innovation cumulative. De même, s’agissant de la concurrence, il peut entraîner une perte de bien-être due au pouvoir d’exclu-sion, mais aussi favoriser l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché[3].

Au total, ces trois idées reçues répertoriées ici détiennent donc une part de vérité qu’il

3 Voir sur ce point Hall et Harhoff (2012).

convient toutefois de nuancer. Elles font éga-lement apparaître la nécessité de mettre en œuvre des réformes du système de brevets, d’autant que son fonctionnement fait l’objet de critiques justifiées et graves.

Critiques du système de brevets

Deux critiques du système actuel de bre-vets nous paraissent fondamentales : d’une part, l’attribution abusive de ce titre à des demandes qui ne satisfont pas pleinement les critères de brevetabilité, ce qui jette un doute sur sa crédibilité ; d’autre part, un coût d’implémentation juridique excessif au regard de l’évolution technologique.

Trop de brevets de qualité douteuse sont accordés par les offices de brevets

Une des principales critiques expriméesaujourd’hui à l’encontre du système de brevets tient à ce que les offices de brevets accordent ce titre à des applications de qualité douteuse, c’est-à-dire ne se conformant pas pleinement aux critères de brevetabilité, notamment aux États-Unis (United States Patent and Trademark Office – USPTO) et, dans une moindre mesure, en Europe du fait des efforts déployés récem-ment pour améliorer le fonctionnement de l’Office européen des brevets (OEB). Plusieurs raisons ont été avancées pour cet état de fait, brièvement présentées ici[4].

Premièrement, les champs du brevetable ont été étendus à divers domaines pour lesquels il devenait difficile, pour ne pas dire impossible, d’identifier le référentiel par rapport auquel les examinateurs devaient estimer si l’inven-tion était réellement nouvelle ou non et si elle présentait un degré d’inventivité suffisant ou non. Deuxièmement, le nombre de dépôts de brevets n’a pas cessé de croître sur les trois continents (USPTO, European Patent Office  – EPO et Japan Patent Office  – JPO) sans que les effectifs d’examinateurs aient été adaptés à l’évolution de cette demande. De plus, les règles de fonctionnement interne des insti-tutions chargées d’examiner et d’instruire les

4 Voir Encaoua et Madiès (2012) ; Encaoua, Guellec et Martinez (2006).

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dossiers de demandes de brevets requièrent de la part des examinateurs des obligations de résultat qui n’incitent pas à mener un examen exhaustif pour justifier un refus de délivrance d’un brevet, alors même que la charge de la preuve justifiant une telle décision repose exclusivement sur l’examinateur. Troisième-ment, étant donné que la distribution de la valeur économique des brevets accordés est fortement asymétrique, la proportion de ceux de valeur commerciale faible étant très élevée, certains juristes ont estimé qu’il fallait ne pas accroître les moyens permettant l’effort appro-prié de recherche de l’état de l’art pour chaque demande (Lemley, 2001). Cet argument, dit de « l’ignorance rationnelle », se décompose en deux temps. D’une part, il est très coûteux de procéder à un examen exhaustif de chaque demande vu le nombre considérable de celles-ci (plus de 3 500 par semaine aux États-Unis). D’autre part, il importe peu qu’un brevet de mauvaise qualité soit accordé à une inven-tion de faible valeur commerciale puisqu’elle n’aura que peu d’impact économique. Pour une innovation de valeur commerciale éle-vée, la validité d’un brevet de faible qualité, accordé indûment par l’office des brevets, peut toujours être contestée par un tiers auprès d’un tribunal[5]. Ce dernier argument s’avère néanmoins fallacieux, car les incitations indivi-duelles à contester la validité d’un brevet sont faibles, chaque agent pouvant tirer parti d’une contestation juridique engagée par d’autres. De plus, la contestation de la validité d’un bre-vet est extrêmement difficile, notamment aux États-Unis où le contestataire est tenu de pré-senter une argumentation « claire et convain-cante » (et non pas simplement un faisceau de preuves) pour voir sa demande d’annulation aboutir, comme cela a été le cas dans le pro-cès qui a opposé i4i à Microsoft (2007-2011). Pour toutes ces raisons, les parties préfèrent souvent régler leur différend à l’amiable plutôt que d’engager un procès. Mais ce règlement, supposé a priori bénéfique aux parties, peut être socialement dommageable.

5 Certains auteurs (Lee et Wright, 2010) ont remis en cause l’argument de l’ignorance rationnelle en avançant l’idée que les brevets de qualité douteuse étaient accordés par l’Office américain des brevets bien plus pour des raisons institutionnelles que par insuffisance de l’effort consenti par les examinateurs pour endétecter la faiblesse.

Tous ces arguments conjugués expliquent finalement l’incertitude croissante qui entache ces titres de propriété intellectuelle et par là même la croyance en leurs vertus[6], et dont les conséquences sont diverses. D’une part, une forte incertitude sur la qualité du brevet peut justifier que le secret commercial soit pré-féré à la protection par le brevet, notamment lorsque la valeur commerciale de ce dernier est élevée (Encaoua et Lefouili, 2005). D’autre part, la recherche d’un règlement à l’amiable pour éviter un procès, implique parfois des situations paradoxales, où c’est le détenteur d’un brevet qui verse à l’enfreignant potentiel un dédommagement (Reverse Payments)[7]. Enfin, les mécanismes de licence sont eux-mêmes négativement affectés par l’incertitude sur la qualité des brevets, dans la mesure où le détenteur d’un brevet faible préfère le licencier par le mécanisme de la redevance unitaire plu-tôt que par celui de la redevance fixe, laissant le consommateur final supporter un prix plus élevé du produit (Amir, Encaoua et Lefouili, 2012).

Face à ces nombreux problèmes, diverses solutions sont proposées. La première consiste à renforcer le système en vigueur actuellement en Europe, qui donne à un tiers la possibilité de s’opposer, justifications à l’appui, à l’attri-bution d’un brevet au cours de la procédure d’examen de la demande. La deuxième réside dans le remplacement du mécanisme uniforme d’attribution du brevet par un menu de règles qui offrirait au déposant le choix entre, d’une part, un examen approfondi moyennant un prix élevé mais garantissant que le brevet a très peu de chances d’être invalidé par la suite et, d’autre part, un examen moins sérieux et moins coûteux, ce qui signifierait pour un concurrent qu’il peut avoir intérêt à engager

6 Le lecteur intéressé pourra consulter le site www.pubpat.org de la fondation américaine Public Patent Foundation (PUBPAT) pour trouver des exemples de brevets faibles couvrant néanmoins des produits à forte valeur commerciale. Tout en reconnaissant que le bon fonctionnement d’un système de brevets est un facteur important dans une économie fondée sur l’innovation, cette fondation cherche à éviter les effets désastreux que l’existence de brevets douteux (i.e. immérités ou comportant des revendications excessives) exercent sur l’économie.7 On observe une situation de Reverse Payments dans l’industrie du médicament quand un groupe pharmaceutique détenant un médicament dont le brevet est faible choisit de verser une somme importante à un producteur de générique pour l’inciter à retarder la date de mise sur le marché de son produit.

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16 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

un procès pour faire invalider le brevet (Lemley, 2012). En tout état de cause, il est clair que pour le système des brevets la faible qualité d’un grand nombre d’entre eux représente un handicap majeur.

Coût excessif d’implémentation du système des brevets

Le but du système de brevets est d’encou-rager l’innovation, mais pour être trop souvent utilisé en vue d’autres objectifs, il gaspille, pour son implémentation, beaucoup de res-sources dans des procès destinés à défendre des brevets sans fondement. Les tribunaux ont tendance à ne retenir du brevet que l’aspect de récompense ex post attribuée au détenteur d’un titre de propriété intellectuelle, alors que la représentation par les économistes met plutôt l’accent sur l’incitation ex ante de l’ins-trument brevet sur le processus d’innovation. Est-il possible de réconcilier les deux  points de vue ? Apparemment, la coopération entre juristes et économistes en matière de protec-tion intellectuelle ne semble pas aussi étroite qu’elle l’est dans le domaine de la politique de la concurrence. Une raison en est que l’objet brevet est complexe et multidimensionnel, ce qui ne rend pas aisé sa capture tant par le juriste que par l’économiste.

Pour un juriste, l’aspect formel de la règle l’emporte en général sur l’intentionnalité pre-mière de cette dernière, alors que pour un économiste, la pertinence d’une règle vient de la mise en évidence des différents effets en présence. Si on se réfère au point de vue de l’économiste, on peut dire qu’après être appa-rue relativement consensuelle, l’idée d’une configuration socialement optimale et unique du brevet (principe dit du « one size fits all ») est l’une de celles qui sont maintenant les plus vivement contestées. Les premiers tra-vaux (Nordhaus, 1969) ont retenu la concep-tion d’une innovation isolée et ont posé la question de la durée de vie d’un brevet en termes d’arbitrage entre le niveau de protec-tion nécessaire pour inciter à l’innovation et la minimisation de la perte de bien-être liée au pouvoir d’exclusion. S’il ne s’agissait que d’in-citer à l’innovation, la configuration optimale aurait consisté à accorder une protection de durée infinie et si la seule préoccupation avait été la minimisation de la perte de bien-être,

la configuration optimale aurait consisté à n’accorder aucune protection intellectuelle.L’arbitrage entre ces deux objectifs conduit à accorder au brevet une durée de vie finie. Mais au-delà de ce consensus, les résultats se compliquent sérieusement si on cherche à affiner l’analyse en prenant en compte les deux instruments que sont la durée de vie et l’éten-due de la protection. Les comparaisons entre deux configurations définies respectivement par une durée de protection longue combi-née à une étendue de la protection étroite et une durée courte combinée à une protection étendue, ont mis à bas le consensus théorique sur la configuration socialement optimale. On parvient en effet à montrer que chacune de ces deux combinaisons peut être optimale, selon les hypothèses retenues, notamment selon le coût d’imitation, c’est-à-dire celui que doit subir un entrant sans enfreindre le brevet. Par exemple, avec un coût d’imitation élevé, il est socialement optimal d’accorder une protection étendue sur une durée de protection courte dans la mesure où on évite ainsi le gaspillage que représente l’imitation (Gallini, 1992). Mais le résultat est inversé si on introduit la possibi-lité que l’inventeur offre une licence à l’entrant potentiel ; dans ce cas, la licence évite le coût d’imitation et une protection courte et étendue n’est plus socialement optimale.

L’analyse se complique encore lorsqu’onprend en compte le caractère cumulatif du processus d’innovation (Scotchmer, 2005).D’abord la notion de durée légale de laprotection cède le pas à la notion de durée effective, qui dépend elle-même de l’inten-sité du processus de destruction créatrice : les innovations de première génération sont rendues obsolètes dès qu’apparaissent celles de seconde génération et le caractère enfrei-gnant des secondes dépend de l’étendue prospective de la protection accordée aux premières. Le brevet se complexifie puisqu’il est alors représenté par un objet à trois dimen-sions : longueur (durée de vie légale), largeur (étendue de la protection contre l’imitation) et profondeur (étendue de la protection pros-pective contre des inventions ultérieures).C’est la combinaison de ces trois dimensions qui détermine in fine la chronique d’un brevet. Comme l’innovation de seconde génération ne peut exister sans l’apparition préalable de

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celle de première génération, il est légitime que le détenteur de la première reçoive une partie des revenus engendrés par la seconde, mais si cette partie est trop élevée, c’est alors l’innovation de seconde génération qui risque d’être étouffée. L’équilibre est assez difficile à trouver et c’est pourquoi les situationsd’embuscade par le brevet sont si fréquentes. Lorsque l’innovateur de première génération attend que son successeur se soit engagé dans sa propre activité avant de le poursuivre en infraction et de le menacer d’une cessation d’activité, le second innovateur se trouve pris dans une situation de hold-up, ce qui n’est pas nécessairement favorable au processus continu d’innovation[8]. La difficulté de procé-der à des négociations ex ante, c’est-à-dire avant que le second innovateur n’ait engagé des fonds dans son activité, complique évi-demment la résolution de ce problème. Pour toutes ces raisons, la résolution juridique des conflits est au final très coûteuse, si ne sont pas d’abord réaffirmés les objectifs originels du brevet, à savoir être un instrument d’inci-tation à l’innovation, ainsi que de nouveauté et d’inventivité, protégeant contre l’imitation mais participant en même temps à la diffusion des idées par la divulgation de l’invention bre-vetée. Bien entendu, il ne s’agit pas seulement de réaffirmer ces principes mais également et surtout de les traduire par de nouvelles règles, concernant aussi bien les modalités

8 Le lecteur intéressé peut se reporter à Gallini et Scotchmer (2002) et Scotchmer (2005) pour un tour d’horizon des travaux sur la configuration optimale des brevets dans le cadre de l’innovation cumulative.

d’attribution des brevets par les offices spé-cialisés, la réduction drastique du nombre de brevets accordés dans les activités où le faible coût de la R&D ne rend pas le brevet indis-pensable, l’introduction d’un menu de brevets offert au choix du postulant amenant celui-ci à révéler, ne serait-ce que partiellement, la qua-lité de son invention, l’abandon de la croyance assez répandue qu’un renforcement de la pro-tection intellectuelle est nécessairement favo-rable à l’innovation et enfin le refus d’accepter des procès intentés sous des motifs plus ou moins futiles, par des acteurs qui ont totale-ment dévoyé les buts originels du brevet.

Richard Posner, professeur de droit à l’univer-sité de Chicago et juge à la cour d’appel de la même ville des États-Unis, a récemment donné l’exemple en refusant d’examiner la plainte de la compagnie Apple contre Motorola (filiale à présent de Google), pour violation de brevet et qui demandait en plus une injonction pour faire cesser l’activité de Motorola. Dans une communication orale récente, R. Posner adémontré que les technologies de l’informa-tion et de la communication, ont abusivement bénéficié de l’extension du brevetable et sont devenues des terrains de guerre économique dont les armes sont les brevets et dont les enjeux sont les profits considérables générés par des produits nécessitant certes beaucoup d’innovation mais de modestes investisse-ments en R&D, comme les smartphones, les tablettes numériques et autres produits ana-logues pour lesquels in fine la concurrence est intense et le brevet non indispensable en tant que mécanisme d’incitation à l’innovation.

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18 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

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déficits publics a été profondément affectée par la crise. Les bénéfices de l’appartenance à la zone euro ont parfois été mis en balance, pour certains pays, avec les contraintes qui y sont liées, et en particulier la disparition des politiques de change nationales qu’elle implique par définition.

Le logiciel MacSim (pour MACro  – SIMula-tion) proposé par Brillet et al. (2012, à paraître) vise à apporter des éléments d’analyse écono-mique sur les effets de politiques budgétaires et sur les coûts et bénéfices de l’appartenance à une zone monétaire. Cet outil repose sur une modélisation d’inspiration néo-keynésiennesimplifiée de dix économies développées de dimensions variées (du Luxembourg, la plus petite, aux États-Unis, la plus grande). Ces économies sont interdépendantes du fait de leurs échanges commerciaux mais aussi de relations monétaires et financières, comme notamment l’appartenance à une zone moné-taire partageant la même monnaie, et donc la même politique monétaire et les mêmes taux de change nominaux bilatéraux avec les autres pays. De nombreuses options sont ouvertes à l’utilisateur de ce modèle, concernant l’écono-mie tant réelle que monétaire ou financière. Par ailleurs, chacune de ces économies peut

L’IMPACT DES POLITIQUESMACROÉCONOMIQUES :LE MODÈLE MACSIMJean-Louis-Brillet, Gilbert Cette et Ian GambiniJean-Louis-Brillet, Auto entrepreneur, conseils en modélisation macroéconomique.Gilbert Cette, Banque de France et université d’Aix-Marseille (Aix-Marseille School of Economics), CNRS.Ian Gambini, Laboratoire d’informatique fondamentale, université d’Aix-Marseille (Aix-Marseille School of Economics), CNRS.Les analyses présentées dans cet article n’engagent que leurs auteurs et non les institutions qui les emploient.

La crise actuelle a provoqué une forte et brusque contraction du produit intérieur brut (PIB) des pays les plus développés.

Outre son coût social, cette contraction pour-rait avoir un impact durable sinon définitif sur le PIB des pays concernés. Dans ce contexte, des politiques de stabilisation monétaires et budgétaires de très grande ampleur ont été déployées afin de limiter l’ampleur du choc. Dans le domaine budgétaire, il s’agit des plans de relance dont le contenu a varié selon les pays. Mais la crise et les plans de relance ont abouti à des déséquilibres budgétaires importants et à des augmentations très fortes de l’endettement public qui ont soulevé des interrogations quant à leur soutenabilité. Des programmes de consolidation des finances publiques, tout aussi diversifiés que les pré-cédents plans de relance, ont alors été enga-gés. Des politiques budgétaires macroécono-miques de très grande ampleur ont ainsi été menées successivement dans un sens puis dans un autre.

Ce contexte de crise a également large-ment nourri les interrogations sur les coûts et bénéfices de l’appartenance à une zone monétaire comme la zone euro. La question de la soutenabilité des déficits courants et des

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être confrontée à des chocs spécifiques, par exemple de productivité, de salaires ou de population active, et l’ensemble des dix à des chocs de demande ou de prix en provenance du reste du monde (RDM).

Dans cet environnement technique très riche, des politiques macroéconomiques de divers types peuvent être envisagées avec MacSim dans chacune des dix économies modéli-sées, leur impact dépendant du contexteéconomique et financier dans lequel elles sont engagées.

Le logiciel MacSim s’inscrit dans la continuité d’une précédente modélisation proposée sous le même nom par Augier et al. (2001), à laquelle il intègre des changements et des améliorations substantiels. Ainsi, le nombre des pays modélisés a augmenté, la modéli-sation y est plus sophistiquée, les options et politiques envisageables beaucoup plus nom-breuses… C’est donc un tout autre outil, dont les potentialités sont incomparablement plus importantes pour l’utilisateur. Enfin, et c’est là l’un des principaux intérêts de ce logiciel, l’utilisation de MacSim est rendue facile et conviviale grâce à une interface informatique spécifique. Son apprentissage est immédiat. Le logiciel est disponible sur un CD fourni avec l’ouvrage.

Le contenu économique de MacSim

On évoquera ci-après les dix économies retenues dans MacSim et leurs principales interdépendances, la représentation de lasphère réelle et de la sphère financière, ainsi que les chocs et politiques économiquesenvisageables.

Dix économies développées et leurs interdépendances

Dix économies développées sont présentes dans MacSim. Il s’agit, au sein de l’actuelle zone euro, de l’Allemagne, de la Belgique, de la France, de l’Italie, du Luxembourg, des Pays-Bas, et du regroupement en un seul ensemble des autres pays membres de la zone euro ; du Royaume-Uni en Europe et hors de l’actuelle zone euro ; enfin, des États-Unis et du Japon hors de l’Europe.

Chacune de ces dix économies y est repré-sentée de façon stylisée par un modèle sim-plifié dont la spécification est la même pour toutes, seuls l’ordre de grandeur des variables et les coefficients des équations étant spé-cifiques. Le modèle simplifié représentantchaque économie est composé d’environ80  équations, dont environ une dizaine de comportement. Les coefficients des équations de comportement ont été estimés économé-triquement ou calibrés selon les enseigne-ments de la littérature économique. Les autres équations correspondent à des relationscomptables ou techniques. Enfin, le reste du monde, c’est-à-dire les économies autres que les dix évoquées ci-dessus, est regroupé en un seul ensemble dont la formalisation est beau-coup plus simple.

Les dix économies représentées dans Mac-Sim sont interdépendantes et, en consé-quence, un choc de politique économique a un impact non seulement dans l’économie où il s’est produit mais également dans les autres. Ces interdépendances transitent par deux types de canaux :– le commerce extérieur. Les chocs depolitiques économiques survenus dans l’une des économies impactent les autres au travers du commerce extérieur via des effets volume et des effets prix. L’utilisateur de MacSim peut, au moment de l’initialisation du logiciel pour la réalisation de simulations, décider de la valeur des élasticités prix du commerce extérieur. Par défaut, ces élasticités sont unitaires ;– les relations monétaires et financières, qui setraduisent par la formation des taux de changeet des taux d’intérêt. L’économie dans laquellele choc de politique économique se produitpeut faire partie d’une union monétaire et lamodification de son équilibre macroéconomiqueinfluence alors les taux d’intérêt et de changedans l’ensemble de l’union.

La sphère réelleLes modèles retenus pour représenter cha-

cune des économies s’inscrivent dans une logique néo-keynésienne où les variations de la demande influencent fortement l’équilibre macroéconomique à court terme, les prix ayant un impact correcteur plus progressif, et des forces de rappel permettant de stabiliser sur le très long terme les trajectoires économiques.

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Les anticipations des agents sont adaptatives et influencées par les observations passées. Il n’est pas envisageable de présenter ici les principaux choix de la modélisation des com-portements des agents. Précisons seulement que la formation de la demande d’investisse-ment et d’emploi des entreprises repose sur un modèle de production représenté par une fonction de Cobb-Douglas et que la spécifi-cation de la boucle prix-salaires correspond à une logique WS-PS (pour Wage Setting – Price Setting).

Les spécifications des comportements des agents sont généralement représentées par des modèles à correction d’erreur (MCE),dans lesquels les niveaux désirés des gran-deurs, autrement dit leurs cibles, dépendent de déterminants structurels, la variation des grandeurs effectives correspondant à la correc-tion d’une partie de l’écart à la cible constaté durant la période antérieure et à l’effet éven-tuel de variations à court terme de certaines variables pouvant influencer les comporte-ments des agents.

La formation des prix joue un rôle déter-minant dans MacSim, concernant les effets de chocs ou de politiques économiques. De multiples interactions sont intégrées entre les prix de commerce extérieur (des importations et des exportations), l’équilibre sur le marché du travail (déterminant le taux de salaire brut) et sur le marché des biens (déterminant le taux d’utilisation des capacités de production), les taxes (taxe sur la valeur ajoutée – TVA et autres, taux de cotisations sociales employeurs) et les prix intérieurs.

Ainsi, à court terme, un choc de demande induit de faibles variations de prix et il se reporte presque complètement sur l’offre(production, variation des stocks et importa-tions essentiellement). Mais la modification de l’équilibre ainsi provoquée sur les marchés du travail (modification de l’emploi et donc du taux de chômage) et des biens (modifi-cation du taux d’utilisation des capacités de production, du fait de l’ajustement très pro-gressif des facteurs de production et donc des capacités de production) active les forces de rappel évoquées ci-dessous. Un choc d’offre (par exemple, une modification des coûts de production des entreprises) induit directement

une variation des quantités produites (effet de rentabilité) et des prix (effet coûts de produc-tion) qui impacte la demande globale (effet revenu, effet d’encaisses réelles, effets de com-pétitivité, etc.). La modification de l’équilibre sur les marchés du travail et des biens active, comme dans le cas du choc de demande, les forces de rappel.

Les forces de rappel sont activées par la modification des tensions sur les marchésdes biens et du travail, et par la situation des finances publiques. Elles sont transitoires concernant les tensions sur le marché des biens, plus durables concernant les tensions sur le marché du travail et la situation des finances publiques :– concernant le marché des biens, elles sont induites par les variations des taux d’utilisation des capacités de production. Ces fluctuations influencent directement le commerceextérieur (une hausse des tensions induit une augmentation des importations et une baisse des exportations) et le niveau des prix (une hausse des tensions induit une augmentation des marges et donc des prix), cette variation des prix affectant elle-même la demandeinterne (via les effets d’encaisses réelles) et externe (via les effets de compétitivité). Ces effets prix peuvent être amplifiés par une réaction de politique monétaire, une hausse de l’inflation entraînant une augmentationdes taux qui réduit la demande des ménages et des entreprises. Cette force de rappel via les tensions sur le capital est transitoire, le comportement d’investissement et d’emploi portant progressivement les capacités deproduction à leur niveau désiré ;– concernant le marché du travail, elles sont induites par les variations du taux de chômage. Ces dernières modifient l’écart entre le taux de chômage et son niveau d’équilibre (Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment – NAIRU) qui impacte la formation des salaires et, par voie de conséquence, des coûtsunitaires de production. Cette variation des coûts de production se reporte au moins en partie sur les prix  – ce qui aboutit à des modifications de la demande par les canaux décrits plus haut – et en partie sur la rentabilité des entreprises – ce qui influence la demande d’investissement. Cette force de rappel peut être durable et, sauf modification structurelle

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du NAIRU ou de la population active, elle ramène progressivement l’économie à lasituation d’équilibre qu’elle aurait connuesans choc ;– concernant la situation des financespubliques, elles sont induites par la prime de risque sur les taux d’intérêt. Via celle-ci s’établit une influence directe du soldefinancier des administrations publiques sur les taux d’intérêt, ces derniers agissant à leur tour à la fois sur la dynamique des finances publiques, avec la possibilité d’effets « boule de neige », sur la demande privée, plusspécifiquement la demande d’investissement des entreprises et de consommation desménages, et, en conséquence, sur l’équilibre macroéconomique.

Sauf modification structurelle du NAIRU, de la population active ou de la productivité glo-bale des facteurs, l’effet des chocs peut être long mais demeure cependant transitoire dans MacSim. Le NAIRU, et donc l’équilibre macro-économique de long terme, peut être modifié par des chocs d’offre, ce qui ne s’observe pas dans le cas des chocs de demande. Mais dans MacSim, l’effet des forces de rappel est très progressif. Au terme de huit années – l’horizon temporel maximum de MacSim -, les effets varianciels du choc ne sont donc pas encore nécessairement stabilisés.

La sphère fi nancièreLa dimension financière de MacSim est

importante, du fait de nombreuses interac-tions entre sphère financière et sphère réelle, lesquelles font jouer un rôle central aux taux d’intérêt et de change, ainsi qu’à la possibilité de constituer une union monétaire.

Les taux d’intérêt à court terme (ici à trois mois) sont supposés relever de l’exercice de la politique monétaire. Trois options simples sont retenues dans MacSim pour représenter la formation de ces taux :– option 1 : les taux d’intérêt nominaux à court terme sont exogènes et donnés par leur niveau dans le compte de référence ;– option 2 : les taux d’intérêt réels à court terme sont exogènes et donnés par leur niveau dans le compte de référence ;– option 3 : les variations (par rapport aucompte de référence) des taux d’intérêtnominaux à court terme sont déterminées

pour chaque pays par une règle de Taylor.L’écart entre le taux d’intérêt nominal decourt terme et son niveau dans le comptede référence est égal à la somme de deuxtermes : d’une part, l’écart entre le niveaud’inflation et celui du compte de référence ;d’autre part, l’écart entre le niveau destensions sur le marché des biens, mesuréespar le taux d’utilisation des capacités deproduction, et son niveau dans le comptede référence. L’effet de chacun de ces deuxécarts est pondéré par un coefficient, dontla valeur est, par défaut dans MacSim, de1,5 pour le premier écart et de 0,5 pour lesecond. L’utilisateur de MacSim peut déciderde modifier ces deux coefficients, les valeurschoisies étant les mêmes pour tous les pays.Dans cette option, la politique monétaire aun rôle stabilisateur conforme aux missionshabituelles conférées aux banques centrales.

Les taux d’intérêt à long terme sont ceux auxquels, dans MacSim, s’endettent les admi-nistrations publiques, les entreprises et en partie les ménages, supposés emprunter éga-lement à taux courts. Cette représentation retenue pour tous les pays est évidemment simpliste : dans la réalité, les trois agents  – administrations publiques, entreprises etménages – s’endettent en partie à taux courts et en partie à taux longs, chacune de ces parts étant différentes selon les pays et évoluant dans le temps.

Les taux d’intérêt nominaux à long terme sont supposés dans MacSim évoluer selon un lissage sur deux ans des variations des taux nominaux à court terme. S’ajoutent à ce méca-nisme les variations d’une prime de risque, dont l’importance est pour chaque pays liée à la situation de ses finances publiques, plus précisément de son déficit public exprimé en  points de PIB. Ce terme est pondéré par un coefficient dont la valeur par défaut dans MacSim s’inspire de la littérature économique sur la question (voir par exemple, la synthèse de Laubach, 2009) et est égale à 0,1. Autre-ment dit, par défaut, une aggravation du déficit public d’un point de PIB élève la prime de risque de 0,1  point. L’utilisateur de Mac-Sim peut décider de modifier ce coefficient, la valeur choisie pouvant différer selon les pays afin de permettre la prise en compte de

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réactions différenciées des marchés financiers, comme cela est observé depuis le début de la crise actuelle.

MacSim ne présente pas une diversité de politiques monétaires correspondant à lagamme des politiques non conventionnelles engagées dans la crise. Mais, via l’action pos-sible sur les primes de risque, MacSim permet la prise en compte indirecte de certains des effets des politiques non conventionnelles.

Trois options alternatives sont envisageables dans MacSim concernant la formation des taux de change :– option A : les taux de change nominaux sont exogènes et donnés par leur niveau dans le compte de référence ;– option B : les taux de change réels sont exogènes et donnés par leur niveau dans le compte de référence. Les taux de change effectifs nominaux s’ajustent donc enrespectant strictement une logique de parité de pouvoir d’achat (PPA) ;

– option C : les variations des taux de change nominaux obéissent à une logique de parité non couverte des taux d’intérêt (PNCTI),calculée sur les taux d’intérêt nominaux à court terme.

MacSim donne la possibilité de constituer une union monétaire entre plusieurs pays. La configuration de cette union est très souple, celle-ci pouvant ainsi comporter de deux à dix pays.

Sauf pour les options 1 de taux d’intérêt et A de taux de change, tous les pays de l’union monétaire partagent la même politique moné-taire et la même monnaie. Autrement dit, les taux d’intérêt à court terme et le taux de change sont dès lors identiques dans tous les pays de l’union. Les taux longs peuvent cepen-dant différer en niveau et en évolution entre les pays membres, du fait de la prime de risque qui peut être spécifique à chacun.

L’union monétaire est supposée symé-trique. Le taux d’intérêt à court terme dans les

Les relations entre les sphères réelle et fiancière dans MacSim

Relations toujours opérationnellesRelations optionnelles

Taux d'intérêt Taux de change

Prix

Finances publiques

Marché des biens

Marché du travail

Parité non couverte des taux d'intérêt

« Report »

Parité depouvoird'achat

Formation des prixde valeurajoutée

Formation des salaires

Consommation

Emploi

Recettes -Dépenses

Emploi public et transferts sociaux

Demandeintérieureet étrangère

Taux d'utilisation

Primederisque

Règle de Taylor

ConsommationInvestissement

Taux d'intérêt réel fixe

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24 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

options 1 et 2 et le taux de change dans les options A et B sont déterminés, dans les pays de l’union, en fonction de la situation moyenne de chacun d’entre eux.

Les leviers de politiques macroéconomiques et les chocs envisageables

Quelle que soit la séquence d’utilisation de MacSim, un pays peut engager une ou simultanément plusieurs politiques macroéco-nomiques. Onze leviers de politiques macroé-conomiques peuvent ainsi être actionnés :– l’emploi dans les administrations publiques (nombre de fonctionnaires) ;– l’écart salarial moyen des emplois publics par rapport aux emplois privés ;– la demande globale réelle des administrations publiques ;– les prestations sociales reçues par lesménages ;– le taux moyen d’imposition directe du revenu des ménages ;– le taux des cotisations sociales des employés ;– le taux des cotisations sociales employeurs ;– le taux d’impôt sur les bénéfices desentreprises ;– le taux de subvention des entreprises ;– le taux moyen de TVA et des autres impôts indirects sur la consommation des ménages ;– le taux moyen de taxation des importations en provenance des autres pays observés ou du reste du monde.

La diversité des leviers de politiques macroé-conomiques disponibles dans MacSim permet donc à l’utilisateur d’opérer un « réglage fin » de la politique économique, en relation avec des problématiques usuelles comme celles des plans de relance engagés au début de la crise ou des politiques de consolidation bud-gétaires développées ensuite, et en relation avec de nombreux débats actuels de politique économique.

À chaque séquence du jeu, l’utilisateur peut modifier le contexte économique national et international en introduisant certains chocs. Ces chocs peuvent être globaux et frapper l’ensemble des pays ou spécifiques (ou idio-syncratiques) et ne toucher que l’un des pays considérés.

Deux types de chocs globaux peuvent être envisagés :– un choc de demande mondiale en provenance du reste du monde, qui modifie pour chaque pays le volume de ses exportations vers cet ensemble ;– un choc sur les termes de l’échange vis-à-vis du reste du monde, ou plus précisément des prix de celui-ci.

Trois types de chocs spécifiques (ou idiosyn-cratiques) frappant l’une des économies consi-dérées peuvent être évoqués :– un choc de population active, ou plusexactement de taux d’activité ;– un choc de productivité globale des facteurs (PGF) ;– un choc de salaire moyen.

Comme on le voit, MacSim repose sur une représentation très simplifiée de nombreuses économies industrialisées et des mécanismes économiques intervenant dans chacune d’elles mais aussi entre elles. « La carte n’est pas le territoire », et MacSim ne peut prétendre à l’exhaustivité s’agissant des nombreux méca-nismes à l’œuvre dans la réalité économique. Pour autant, cette représentation est déjàassez détaillée et elle rend compte des princi-paux mécanismes concernés à court et moyen termes par des chocs ou des politiques macro-économiques globales. Les simulations propo-sées par MacSim peuvent bien évidemment être discutées, voire contestées ; toutefois, elles présentent l’intérêt de fournir une pre-mière carte des effets que l’on cherche à évaluer, sur la base d’hypothèses clairement explicitées. Par ailleurs, de nombreux para-mètres de MacSim peuvent être modifiés par l’utilisateur, ce qui enrichit considérablement l’analyse.

Quelques exemples de simulations de politiques macroéconomiques

Pour toutes les politiques simulées ici, les hypothèses suivantes sont retenues : a) exis-tence d’une union monétaire constituée de l’Allemagne, de la Belgique, de la France, de l’Italie, du Luxembourg, des Pays-Bas, et du regroupement en un seul ensemble des autres pays membres de la zone euro ; b) la formation

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des taux d’intérêt à court terme répond à une règle de Taylor  (option 1) ; c) la formation des taux d’intérêt correspond à une logique de parité de pouvoir d’achat (option B). Par ailleurs, le paramètre de la prime de risque est de 0,1 et les élasticités prix du commerce extérieur sont unitaires.

Les politiques macroéconomiques simu-lées concernent la France. Les effets de ces politiques évalués avec MacSim sont présen-tés dans le tableau. Afin de caractériser les interdépendances entre économies, les effets sur l’Allemagne des politiques engagées en France sont également intégrés au tableau.

Deux politiques macroéconomiques simples sont tout d’abord simulées : une politique de demande consistant en une hausse de la demande publique de 1  point de PIB et une politique d’offre consistant en une baisse de 1  point du taux de cotisations sociales employeurs. Les principaux effets de ces poli-tiques sont les suivants :

– la hausse de la demande publique a des effets inflationnistes qui dégradent la demande interne (effets d’encaisses réelles) et externe (compétitivité), ce qui en réduit largement

l’impact favorable sur le PIB. Elle dégrade le solde courant à la fois par un effet volume lié à la hausse du PIB et à un effet prix lié à la baisse de compétitivité. En termes de PIB, l’Allemagne bénéficie de ces effets volume et prix. Mais l’Allemagne pâtit cependant d’un léger surcroît d’inflation ;– la diminution du taux des cotisations sociales employeurs induit une baisse des prix qui dynamise la demande interne et externe et, en conséquence, le PIB. Elle améliore le solde courant, le surcroît d’importations lié à la hausse du PIB étant largement contrebalancé par celui des exportations induit par lesgains de compétitivité. En termes de PIB, l’Allemagne pâtit très légèrement de cette politique mais les prix moins élevés de ses importations en provenance de la France lui permettent de connaître de moindres tensions inflationnistes.

Une politique macroéconomique complexe est également simulée. Se voulant en rap-port avec les préoccupations économiques actuelles et les préconisations de nombreux économistes (voir par exemple, Aghion et al., 2011), elle est composée de trois volets : a) une consolidation des finances publiques

Effets de quelques politiques économiquesÉcart par rapport à une situation de référence sans le chocPIB et indice des prix à la consommation : écarts en %Solde public et solde courant : écarts en points de PIB

VarianteHori-zon

France Allemagne

PIBPrix

conso.Solde cour.

Solde pub.

PIBPrix

conso.Solde cour.

Solde pub.

Chocs simples

Demande publiqueHausse de 1 point de PIB

1 an 0,56 – 0,03 – 0,44 – 0,48 0,10 0,01 0,06 0,048 ans 0,41 0,40 – 0,46 – 0,31 0,09 0,21 0,04 0,06

Taux de cotisations sociales employeursBaisse de 1 point

1 an 0,22 – 0,56 – 0,01 – 0,19 – 0,01 – 0,01 0,00 – 0,018 ans 0,90 – 1,13 0,25 – 0,20 – 0,02 – 0,16 0,00 – 0,10

Stratégie de croissance soutenable

Consolidation des fi nances publiquesBaisse des dép. pub., 2 points de PIBa

1 an – 1,09 0,23 0,89 0,97 – 0,19 – 0,02 – 0,10 – 0,078 ans – 0,93 – 0,88 1,03 0,65 – 0,19 – 0,46 – 0,10 – 0,16

Activation de l’activitéHausse du taux d’activité moyen, 2 pointsb

1 an8 ans

0,050,70

– 1,05– 0,91

0,300,08

– 0,150,24

0,020,00

– 0,04– 0,25

– 0,080,07

0,00– 0,02

Réformes structurellesAccélération de la PGF, 0,5 point par anc

1 an8 ans

0,102,24

– 0,16– 3,03

0,201,04

0,000,00

– 0,010,02

– 0,01– 0,67

– 0,02– 0,15

0,00– 0,11

TotalSomme des 3 composantes précédentes

1 an8 ans

– 0,942,01

– 1,12– 4,82

1,392,15

0,820,89

– 0,18– 0,17

– 0,07– 1,38

– 0,20– 0,18

– 0,07– 0,29

a : La baisse des dépenses publiques est de 1 point de PIB le premier trimestre de la première année, et 1 point de PIB supplémentaire le premier trimestre de la seconde année.b : La hausse du taux d’activité est de 1 point la première année (1/4 de point par trimestre) et de 1 point supplémentaire la seconde année (1/4 de point par trimestre également).c : L’accélération de la PGF est de 0,125 points (0,5 / 4) par trimestre.

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26 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

correspondant à une baisse des dépenses publiques de deux  points de PIB ; b) une activation des comportements d’activité per-mettant une augmentation du taux d’activité moyen de deux  points ; c) l’engagement de réformes structurelles ambitieuses, en parti-culier sur le marché des biens, permettant de dynamiser la productivité globale des facteurs (PGF) de 0,5 point par an, ce chiffre paraissant réaliste au vu de diverses évaluations sur la question (voir par exemple, Bourlès et al., 2012). Les principaux effets de cette politique sont les suivants :– la consolidation des finances publiques a les effets récessionnistes inverses de ceux venant d’être commentés de l’augmentation de ces mêmes dépenses ;– l’activation de l’activité réduit les pressions inflationnistes salariales, et la baisse desprix qui en découle dynamise la demande interne et externe ce qui élève l’équilibre macroéconomique et améliore le soldecourant ;– l’engagement de politiques structurellesréduit les tensions inflationnistes, dynamise l’économie et induit également uneamélioration du solde courant ;– au total, cette politique ambitieuse aboutit à des effets très favorables pour la France, tant en ce qui concerne l’équilibre macroéconomique (le niveau du PIB, mais également l’emploi et le chômage), les tensions inflationnistes, le solde

courant et le solde public. En Allemagne, elle induit une baisse du PIB du fait des pertes de compétitivité de ce pays, et une dégradation du solde courant et du solde public.

Cette dernière simulation suggère qu’unepolitique économique ambitieuse pour-rait apporter des réponses opportunes auxgraves problèmes que connaît actuellementla France.

ConclusionMacSim est un outil d’analyse d’une grande

actualité dans le contexte actuel de renouveau des politiques macroéconomiques.

L’utilisation de MacSim ne peut cependant se substituer à une réflexion exigeante n’ex-cluant pas d’autres mécanismes que ceuxretenus dans cette modélisation. Par exemple, les agents y sont considérés comme myopes et leurs comportements n’y sont pas explici-tement influencés par des anticipations sur le long terme. Mais aucune modélisation ne peut prétendre prendre en compte sur toutes les questions la totalité des mécanismes écono-miques utiles à l’analyse, ni même seulement l’ensemble des mécanismes de premier ordre sur tous les horizons de l’analyse. Si MacSim peut aider l’analyse économique, il ne peut s’y substituer et il revient donc à son utilisateur de mobiliser également d’autres éléments pour développer son expertise.

Aghion P. , Cette G., Cohen É. et Lemoine M. (2011),« Croissance et crise : une stratégie pour la France »,Rapport du Conseil d’analyse économique, n° 100.

Augier P. , Brillet J.-L., Cette G. et Gambini R. (2001),« MacSim – Macro-économie européenne », Montchrestien.

Bourlès R., Cette G., Lopez J., Mairesse J. et Nicoletti G. (2012) : « Do Product Market Regulations in Upstream Sectors Curb Productivity Growth ? Panel Data Evidence for OECD Countries »,à paraître dans The Review of Economics and Statistics.

Brillet J.-L., Cette G., Gambini I. et Lagoarde T.

(2012), « MacSim 2 : un outil d’analyse des politiques macro-économiques », Économica,à paraître.

Laubach T. (2009), « New Evidence on the Interest Rate Effects of Budget Defi cit and Debt », Journal of the Economic Association, juin, p. 858 à 885.

BIBLIOGRAPHIE

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DOSSIER 27JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

REGARDS CROISÉSSUR LA CRISERoger Guesnerie, André OrléanPROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MARC VITTORIRoger Guesnerie, professeur au collège de France et président du Conseil d’administration de Paris School of Economics.André Orléan, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et président de l’AFEP (Association française d’économie politique).Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux Échos.

Jean-Marc Vittori : Vous êtes tous les deux des théoriciens de l’économie. Qu’est-ce qui vous a frappé dans la

crise majeure qui secoue le monde et notam-ment les pays développés ?

Roger Guesnerie : Le niveau de lucidité que porte le savoir économique est clairement mis en question. Très peu d’économistes ont prévu cette crise, et ceci vaut pour les hétérodoxes. Il y a bien sûr des exceptions. La plus frap-pante pour moi est Raghuram Rajan. Lequel appartient, soit dit en passant, à la catégorie « orthodoxe » : il conseille aujourd’hui le gou-vernement indien après avoir été notamment l’économiste en chef du Fonds monétaireinternational (FMI) et est président de l’Ame-rican Finance Association. En 2005, il devait prendre la parole dans un colloque à Jackson Hole en l’honneur d’Alan Greenspan, le prési-dent de la Réserve fédérale des États-Unis, qui allait bientôt quitter son poste. En préparant son intervention, il s’était posé des questions de plus en plus dérangeantes. Il a fini par lui choisir pour titre : « L’essor de la finance a-t-il rendu le monde plus risqué ? »[1]. Dans ce forum où la question majeure était de savoir si

1 Voir Rajan R.G. (2005), « Has Financial Development Made the World Riskier? », Proceedings of the Jackson Hole Conference organized by the Kansas City Fed.

A. Greenspan avait été le plus grand banquier central de l’histoire ou seulement l’un des plus grands, il a fait scandale. Mais il avait établi le bon diagnostic et posé la bonne question. Depuis, la crise en a soulevé bien d’autres. Lors de ma dernière visite à l’université de Chicago, en 2009, son célèbre département d’écono-mie vivait une période troublée. Robert Lucas [distingué par le prix Nobel en 1995 pour ses travaux sur les anticipations rationnelles] était très réticent à discuter du fond. Gary Bec-ker en revanche [distingué par le prix Nobel en 1992 pour avoir étendu l’analyse microé-conomique à de nombreux comportements humains] admettait que la crise reflétait bien une « défaillance de marché », ou « market failure ».

André Orléan : Je ne crois pas à la capacité prédictive de la science économique. L’éco-nomie elle-même est déjà par nature des plus imprévisibles. Et de plus, elle baigne dans le social et le politique. Par exemple, la faillite de Lehman Brothers, qui a joué un si grand rôle dans la crise financière, résulte de facteurs pour une large part extérieurs à l’économie. Plus près de nous, il n’est que d’observer l’impact des décisions gouvernementales sur la détermination des taux d’intérêt de la zone euro pour comprendre à quel point économie et politique sont intrinsèquement liées.

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28 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

JMV : Vous êtes donc d’accord avec Robert Solow, le grand économiste distingué en 1987 pour sa théorie de la croissance, quand il affirme que la prévision économique est au-delà des capacités des économistes ?

AO : Absolument. Ce qui pose aussi pro-blème, à mes yeux, est que la grande majorité des économistes a fait un diagnostic erroné en sous-estimant gravement les dangers de la financiarisation exacerbée de l’économie. Avant la crise de 2007, il était très difficile de lutter contre le courant dominant de l’analyse économique qui postulait « l’efficience des marchés financiers » : à tout instant, les mar-chés financiers étaient censés parvenir au meil-leur équilibre possible en incorporant toute l’information disponible. L’accroissement de la concurrence, nous disait-on, ne pouvait que renforcer la stabilité. La titrisation des crédits bancaires, c’est-à-dire leur transformation en titres financiers vendus sur le marché à des investisseurs, était supposée empêcher toute crise bancaire en disséminant le risque. Or, c’est le contraire qui a été observé parce que l’analyse théorique de fond quant à l’efficacité de la concurrence financière était fausse. La crise a brutalement anéanti ces certitudes très fortes.

RG : Sur le scepticisme vis-à-vis des diverses hypothèses d’efficience des marchés financiers, je n’ai pas de mal à rejoindre André Orléan : j’ai commis plusieurs articles critiques en ce sens, parus dans des revues ayant pignon sur rue, et dont le premier date de près de vingt ans (Guesnerie et Rochet, 1993). Mais ces idées très minoritaires, j’en suis d’accord, ont gagné du terrain de façon parfois surprenante, comme en témoigne l’anecdote suivante. Lors de mon déplacement à Chicago en 2009, à l’issue d’un colloque dans une université de la région, je me suis retrouvé à un dîner à côté d’une personnalité dont le bâtiment dont nous sortions portait le nom. Cet excellent manager universitaire m’a lancé à peu près ceci : « C’est vous, les économistes, qui êtes à l’origine de la crise. Avec votre théorie de l’efficience des marchés, les acteurs de la finance, qui avaient déjà la grosse tête, ont fait n’importe quoi ». Son jugement était insolite au bord du lac Michigan et venant d’un proche de l’École de Chicago. Il pourfendait après coup

l’aveuglement collectif des économistes sur les faiblesses du système financier, aveugle-ment qui nous est maintenant reproché. Ajou-tons que paradoxalement, si les économistes n’avaient pas très bonne réputation avant la crise, on les a beaucoup écoutés depuis, alors que j’étais persuadé qu’ils seraient brûlés ! Le bûcher est peut-être pour demain…

AO : « Les économistes », ça ne veut rien dire, il y en a de toutes sortes. Certains ne sont pas entendus, même quand ils réussissent, comme vous-même, à publier dans une revue prestigieuse. D’autres avancent les yeux fer-més, sans tenir compte de la réalité. Robert Lucas, que vous évoquiez tout à l’heure, conti-nue de soutenir que les marchés sont efficients.

JMV : D’où vient cet aveuglement sur la finance ?

AO : Pour moi, il remonte à la conception de l’équilibre général des marchés, formalisé par Kenneth Arrow et Gérard Debreu dans les années 1950. Dans cette représentation de l’économie, il y a à la fois des marchés de marchandises et des marchés financiers, avec des livraisons non au comptant mais à terme. Arrow et Debreu ont postulé que c’était une même forme de concurrence qui valait à la fois pour les marchés de biens et pour les marchés financiers. Or, cette hypothèse est fausse : marchés de biens de consommation et marchés de titres sont fondamentalement distincts. Dans la finance, la concurrence peut éloigner le marché de l’équilibre au lieu de l’en rapprocher. Quand le cours d’une action monte, les investisseurs veulent souvent en acheter davantage, ce qui pousse encore le cours à la hausse. Cette confusion entre mar-chés de biens et marchés de titres est récente. Quand Adam Smith et David Ricardo écri-vaient sur la loi de l’offre et de la demande, ils considéraient exclusivement les marchés de biens ordinaires. Cette confusion est devenue dominante avec les travaux d’Eugène Fama qui a introduit le concept d’efficience des marchés financiers au tournant des années 1970. Il est intéressant de noter que la diffu-sion de cette hypothèse de l’efficience des marchés a été de pair avec la financiarisation de l’économie, jusqu’à s’étendre à l’ensemble du monde développé à la veille de la crise des subprimes.

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DOSSIER 29JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

RG : J’ai quelques réserves sur votre dia-gnostic. Il est vrai que le modèle Arrow-Debreu donne une vision très schématique du monde, mais c’est un peu le camp de base de la théo-rie économique, d’où l’on part à l’assaut de toute une série de montagnes, vers plus de complexité et plus de réalisme. Je ferai trois remarques en contrepoint.

Premièrement, l’équilibre général formalisé par Arrow et Debreu, qui décrit un monde idéal et ses interdépendances, s’inscrit dans la vision qu’en avait Léon Walras à la fin du XIXe siècle, lequel était loin d’être un zélote libéral mais revendiquait une démarche cri-tique sur le fonctionnement des marchés.

Deuxièmement, s’il faut trouver une filiation aux travaux d’Eugène Fama que vous citiez, elle n’est évidemment pas dans l’équilibre général des travaux d’Arrow et Debreu mais plutôt dans l’équilibre partiel cher à Alfred Marshall.

Enfin, la ligne de clivage des difficultés ne me paraît pas être entre marché des biens et marchés financiers, mais entre court terme et plus long terme. Pour le dire autrement, le marché à terme de matières premières sou-lève les mêmes difficultés que les marchés financiers.

Pour moi, l’aveuglement des économistes sur la finance a aussi bien d’autres origines. L’effondrement du communisme dans lesannées 1980, qui s’est traduit par la défaite historique d’un système concurrent, a déclen-ché un tsunami libéral qui s’est déversé à la fois sur la politique économique et la théorie économique. Dans ce mouvement, la réflexion critique sur le risque systémique a été empor-tée ou marginalisée, tant elle paraissait ana-chronique, et la pensée économique s’est balkanisée.

AO : Juste un mot à propos des marchés de matières premières pour éviter toute confu-sion. Je les classe également du côté des mar-chés financiers car, à mes yeux, la distinction importante se situe entre les marchés pour la consommation immédiate et les marchés pour la revente. Ou encore, si l’on veut, entre l’utilité et la liquidité.

JMV : L’historien Niall Ferguson critique vertement les économistes, expliquant que

les seuls chercheurs travaillant sur les crises économiques n’étaient pas des économistes mais des historiens. Partagez-vous son point de vue ?

AO : C’est vrai pour le « mainstream », le courant principal de l’analyse économique. Mais chez les hétérodoxes, la notion de crise a une place bien plus importante, pour ne pas dire centrale : on en donnera pour exemple les travaux de Karl Marx, John Maynard Keynes ou Hyman Minsky[2].

RG : Nos outils prennent mal en compte les crises. On peut y voir un point aveugle de la pensée économique. Mais ce n’est pas faute de travaux théoriques – il y a eu de multiples essais d’explication des bulles financières[3], même si aucune ne tient complètement la route  – ni non plus de travaux empiriques : Charles Kindleberger a ainsi écrit Manias,Panics, and Crashes (Histoire mondiale de la spéculation financière, dans la traduction fran-çaise) qui est devenu un ouvrage de référence sur la question !

JMV : Oui, mais c’est largement une œuvre d’historien… Au-delà, comment la crisechange-t-elle la théorie économique ?

RG : Dans le modèle standard, cettecrise remet en cause trois hypothèsesfondamentales[4].• La rationalité des agents économiques. Nos modèles décrivent des agents plus rationnels qu’ils ne le sont en réalité. Mais ce n’est pas facile d’aller au-delà de ce constat. La finance comportementale, qui pourrait nous éclairer sur les limites de cette rationalité, n’est pas toujours convaincante, même s’il y a quelques modèles séduisants comme celui établissant

2 Minsky Hyman P. (1975), John Maynard Keynes, ColumbiaUniversity Press, 1975. Pour ce qui est des travaux hétérodoxes sur l’instabilité financière, voir également Aglietta M., en collaboration avec Rébérioux A. (2004), Dérives du capitalisme financier, Albin Michel ; Chesnais F. (1996), La mondialisation financière : genèse, coûts et enjeux, Syros ; Shiller R. (2000), Irrational exuberance, Princeton University Press.3 Voir le site de la chaire « Théorie économique et organisation sociale » au Collège de France, et les vidéos des cours des 21 et 28 mars 2012 « Les bulles, retour d’un OTNI (Objet théorique non identifié) ».4 Pour une analyse complémentaire, voir sur le blog de l’Institute for New Economic Thinking (INET), l’analyse de Kay J. (2011), « The Map Is Not the Territory : An Essay on the State of Economics », 4 octobre, et les réactions ultérieures sur ce même blog deR. Guesnerie et M. Woodford.

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30 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

un lien entre excès de confiance, formation des bulles et changement de la gouvernance d’entreprise.• Les anticipations rationnelles, introduites par John Muth et associées au nom de Robert Lucas à partir des années 1970. Tous les acteurs agiraient en fonction d’une anticipation de l’avenir non statistiquement biaisée, une idée qui paraît aller à l’encontre de nosperceptions intuitives des logiques de crise. Cette hypothèse a dominé la modélisation économique de ces dernières décennies, sur la base d’une généralisation abusive  – il est rationnel d’avoir des anticipations rationnelles si tous les autres acteurs en ont. Or, à l’évidence, ce n’est pas le cas (Guesnerie, 2001 et 2005). Il n’y a pas dans cette domination qu’une forme de facilité intellectuelle, car l’absence d’anticipations rationnelles remet en cause le déterminisme philosophique auquel leséconomistes, je dirai toutes écoles confondues, adhérent spontanément (Passeron, 1991).• Le mode de production des connaissances. La mécanique des revues, le système denomination des professeurs n’encouragent pas la prise de risque intellectuelle. En résulte une balkanisation, favorable à des progrès locaux mais préjudiciable à un sens critique plus global. Par exemple, dans leur domaine de spécialisation, les économistes évaluent souvent convenablement les limites dumarché, mais ils sont convaincus que c’est beaucoup mieux ailleurs. En se plaçant sur le terrain de l’analyse économique de ce mode de production, on pourrait suggérer qu’àl’organisation actuelle – celle de la concurrence généralisée et mondialisée sur un modèle unique  – pourrait être substituée une sorte d’oligopole de production des connaissances qui mettrait en compétition des modèlesalternatifs. Vœu pieux sans doute…

AO : La première leçon de la crise est qu’il faut abandonner l’hypothèse de l’efficience des marchés financiers. Autrement dit, les mar-chés financiers ne fournissent pas les bons prix. L’efficience suppose qu’il existe une valeur objective d’un actif financier, dont le prix est le reflet. Mais peut-on définir cette vraie valeur ? L’hypothèse des anticipations ration-nelles donnait une voie d’accès, mais elle ne tient pas la route. Je pense, comme John M. Keynes ou Frank Knight, que nous sommes

dans un monde fondamentalement incertain. Il est impossible de le réduire à des proba-bilités. Quand nous introduisons l’hypothèse d’une incertitude radicale, nous entrons dans une théorie financière radicalement nouvelle. Ainsi, parce qu’il n’y a pas de valeur objective, il revient au marché financier de produire une estimation de référence s’imposant à tous les agents économiques : le prix est simplement le reflet de l’opinion du marché, laquelle répond à une logique fort éloignée de ce qu’exigerait une délibération rationnelle. Les phénomènes de mode y jouent notamment un grand rôle, raison pour laquelle on ne peut faire confiance aux prix.

RG : D’abord, un post-scriptum pour sou-ligner mes points d’accord sur les questions d’efficacité des marchés. Eugene Fama expli-quait que les marchés financiers sont efficients du fait qu’on ne peut pas surpasser le marché. Des investisseurs ne peuvent pas gagner d’ar-gent en faisant « mieux que le marché », car celui-ci a déjà intégré toutes les informations disponibles. C’est un raisonnement inexact : on peut construire des modèles dans lesquels certains marchés fonctionnent mal, en parti-culier parce que l’évaluation de la qualité de la prédiction que l’on peut faire de leur issue est très fragile, mais sans que pour autant on puisse mettre à mal leur suprématie !

Ensuite, une remarque à mes yeux tout à fait importante. Entre le monde des anticipations rationnelles et celui de l’incertitude radicale, il y a toute une série de situations intermédiaires. Évitons de tomber de Charybde en Scylla !

JMV : Le marché financier est-il remis lui-même en cause par la crise ?

RG : Nous devons admettre que nous com-prenons imparfaitement le fonctionnement des marchés financiers mondialisés d’aujourd’hui, en raison notamment des incitations, de l’aléa moral diraient les théoriciens. On a le senti-ment que dans le système actuel, nombre de décideurs financiers sont portés à raisonner en ces termes : si je gagne, je gagne (beau-coup) ; si je perds (trop), les autres paieront ! L’économiste-historien Pierre-Cyrille Hautcœur explique que les dirigeants de banques du XIXe siècle étaient responsables sur leurs biens

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DOSSIER 31JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

propres en cas de faillite de l’établissement quand celle-ci était imputable à leurs décisions.

AO : En une génération, la donne a com-plètement changé. Depuis la fin de la der-nière guerre jusqu’à celle des années 1970, le poids de la finance rapportée à la production est resté pratiquement constant. À partir des années 1980, l’importance des actifs financiers a explosé jusqu’à représenter trois ou quatre fois le PIB. Cette financiarisation sans précé-dent des économies développées pose toute une série de problèmes. Elle attire trop de talents dans la finance alors que nous avons impérativement besoin d’ingénieurs pour faire face aux défis environnementaux (moins en Allemagne qui est peu financiarisée, comme cela se constate dans les performances indus-trielles du pays). Elle entraîne la formation de géants financiers « too big to fail », trop importants pour faire faillite et, en réalité, trop importants pour exister. Leur présence pourrait se justifier si les marchés étaient efficients, mais tel n’est pas le cas. La même analyse s’applique aux marchés de dettes publiques. Ils ne fonctionnent pas correctement et il va falloir trouver d’autres circuits de financement des États. Si on ne croit plus à l’efficience des marchés financiers, il faut repenser la place de la finance dans sa globalité… Et la réduire.

JMV : Et la mathématisation de l’économie ?

RG : La crise ne remet pas en cause la modé-lisation et les mathématiques obligent à la précision. Pour parodier une formule célèbre, la modélisation constitue le prolongement du raisonnement par d’autres moyens. Mais il est vrai aussi qu’elle rend le savoir plus opaque. Par ailleurs, elle participe à la spécialisation, ce qui est une bonne chose, mais aussi,aujourd’hui, à la balkanisation, ce qui est une mauvaise chose. Pour compléter la critique, on peut ajouter que le succès de l’hypothèse des anticipations rationnelles s’explique en partie par leur facilité à les mettre en équations.

AO : Les mathématiques sont indispensables pour l’étude des phénomènes sociaux, comme pour la physique. Mais ce n’est pas parce que c’est mathématisé que c’est de bonne qualité ! La pertinence d’un modèle dépend bien plus de la solidité de ses hypothèses que de la dex-térité mathématique de l’économiste. La crise

a remis en cause bien des hypothèses sur les-quelles on a construit des modèles depuis des décennies, au détriment d’autres domaines de recherche.

RG : Si la crise ne remet pas en cause le principe des modèles, elle conduit à recon-sidérer les mérites des uns et des autres. Un exemple parmi d’autres, les gros modèles économétriques très en vogue dans les années 2000, dits DSGE (Dynamic Stochastic General Equilibrium), sont bâtis sur des hypothèses très réductrices : consommateurs stéréotypés à horizon long et malgré tout à anticipations rationnelles, déconnexion de la monnaie et de la finance, etc. Ces hypothèses sont, me semble-t-il, sérieusement remises en cause par la crise[5].

JMV : Le mathématicien Benoît Mandel-brot décrivait exactement la même logique à propos d’une question fondamentale de la finance : la répartition des risques. Dans les années 1960, il y avait deux théories de cette répartition. La sienne, fondée sur la géométrie fractale dont il avait eu l’intui-tion en regardant une courbe des cours du coton. Et la théorie d’une répartition dite « normale », suivant une courbe en cloche de Gauss, avec une infime probabilité des événements extrêmes. Cette théorie était plus facile à introduire dans des modèles mathématiques. À une époque où le temps d’ordinateur était très coûteux, cet argu-ment l’a emporté. La formule dite de Black et Scholes s’est ainsi imposée dans toute la finance moderne mais la crise a mon-tré que son hypothèse fondamentale était fausse : les événements extrêmes ne sont pas improbables.

AO : B.  Mandelbrot a parfaitement raison mais je pousserai la critique dans une autre direction : il n’est pas facile de passer de l’ana-lyse des institutions à l’outil mathématique. Or, c’est l’un des grands acquis de l’analyse économique de ces dernières décennies que d’avoir montré l’importance des institutions en économie. Côté « mainstream », on retiendra les apports de chercheurs comme Avner Greif (2006) ou Douglas North (2010) qui ont montré

5 Ce thème est discuté dans le prochain numéro spécial d’Économie et Statistique, à paraître.

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32 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

l’importance des règles structurant les droits de propriété, qu’il s’agisse des normes juri-diques ou des coutumes sociales. Du côté des hétérodoxes, on citera le courant institutionna-liste, très présent en France, qui a développé l’économie des conventions (Batifoulier, 2001) ainsi que la théorie de la régulation (Lordon, 1997), mettant en avant l’impact des structures institutionnelles dans la détermination desdynamiques macroéconomiques ou des com-portements microéconomiques.

RG : Il n’en reste pas moins que l’économie requiert l’analyse d’interactions complexes, qui amène aux mathématiques. Même Karl Marx en avait ressenti le besoin, lui qui s’était mis à l’algèbre à la fin de sa vie pour approfondir ses raisonnements sur la relation entre valeurs et prix.

JMV : Quels programmes de recherche faut-il encourager aujourd’hui ?

RG : Un peu au hasard, j’en citerai trois, qui ont une ampleur et des statuts différents. D’abord, je ne vous surprendrai pas en vous disant qu’il faut repenser l’hypothèse desanticipations rationnelles (Guesnerie, 2011). Par exemple, le réseau mondial International Network on Expectational Coordination (doté de relais importants en Amérique du Nord et du Sud, en Europe et en Asie), que j’ai initié, essaie de s’y atteler. Ensuite, dans le vaste chantier de mise sur pied d’une théorie moné-taire plus satisfaisante figure le réexamen de la règle de Taylor qui, certes, avait réconcilié les banquiers centraux et les universitaires, mais est fondée sur une modélisation rendant très mal compte des interactions monnaie-finance (Woodford, 2011). C’est un des chapitres du vaste chantier de remise sur pied d’une théo-rie monétaire plus satisfaisante. Enfin pour quitter le terrain de la finance, il me paraît indispensable de travailler beaucoup plus sur la mondialisation et ses effets, notamment sur la répartition des revenus.

AO : J’appelle à une refondation de l’éco-nomie qui aurait pour point de départ un renouvellement dans la manière de concevoir la valeur économique. Il s’agira de ne plus la considérer comme une grandeur naturelle dans la mesure où, comme les autres valeurs sociales, elle a la nature d’une croyance, d’une

représentation collective. L’exemple financier est, de ce point de vue, sans ambigüité : la valeur d’une action est une production col-lective, celle du marché. De même, l’utilité des marchandises est tout autant un résultat de l’échange que sa condition de possibilité. Le marché produit l’utilité et le désir, comme l’avait déjà noté John Kenneth Galbraith. L’in-térêt d’une telle perspective, outre d’être plus en phase avec les faits observés, est d’en finir avec le schisme qui existe aujourd’hui, dans les sciences sociales, entre, d’un côté, l’économie et, de l’autre, les « sciences historiques » : anthropologie, histoire et sociologie. À mon sens, un des effets de cette révolution concep-tuelle devrait être également une meilleure prise en compte des contraintes écologiques. En effet, si le modèle de la valeur utilité est très efficace pour penser la production de masse des biens industriels, reproductibles, il atteint vite ses limites lorsqu’il s’agit d’évaluer des ressources non reproductibles, quoiqu’en dise le modèle d’Hotelling.

RG : Le schisme entre économie et « sciences historiques » dont vous parlez est encore plus ancien, puisqu’on en trouve les germes dans l’œuvre d’Adam Smith, au XVIIIe siècle !

JMV : À partir des années 1970, les éco-nomistes ont eu la tentation d’imposer leurs méthodes aux autres sciences sociales. Gary Becker, dont vous évoquiez tout à l’heure les doutes, analysait, par exemple, le mariage comme un marché entre les hommes et les femmes. La crise a-t-elle mis fin à cette tentation ?

AO : Je ne le crois pas. Même si, conjonc-turellement, le rayonnement de la théorieéconomique a pâli du fait de la crise, on n’observe pas l’émergence d’alternatives. Le courant « mainstream » continue de s’imposer. Il n’est que de voir du côté des institutions de recherche pour constater que n’apparaissent pas de programmes radicalement différents.

RG : Ce n’est pas très surprenant. Lancer les jeunes chercheurs sur des voies très nouvelles, c’est leur faire prendre des risques pour leur future carrière. Quant aux moins jeunes, ils sont dans leur vallée depuis longtemps et c’est difficile de les convaincre d’aller voir ailleurs ! Il faut toutefois nuancer le propos. Depuis la

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crise, il y a tout de même eu beaucoup de nouveaux travaux, avec des messages pas-sionnants sur la finance. Mais a-t-on quitté la vallée ?

JMV : Ces derniers temps, la science éco-nomique semble cependant se rapprocher d’autres sciences sociales. La première est l’histoire. Vous vous y êtes d’ailleurs référés à plusieurs reprises. Le succès du livre de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, est un autre signe de ce regain. La deuxième science sociale la plus souvent sollicitée est la psychologie. Vous avez dit un mot de l’économie comportementale. Que pensez-vous de la neuro-économie, qui s’emploie à rechercher dans nos cerveaux les ressorts de la prise de décision ?

AO : Je pense que ce mouvement vers la neuro-économie et la psychologie n’est pas la bonne direction. L’économie est d’abord la science des interactions. La vie sociale ne peut pas s’expliquer par la seule psychologie, comme l’avait souligné Emile Durkheim, l’un des fondateurs de la sociologie moderne. Au début du XXe siècle, François Simiand avait d’ailleurs tenté de bâtir une « économie durkheimienne », en écartant complètement le modèle walrassien qu’il considérait comme un jeu de l’esprit sans fondements.

RG : Les apports de l’économie compor-tementale sont réels mais, pour autant que je comprenne, ne sont pas décisifs pour la théorie économique. La neuro-économie peut apporter des éclairages intéressants. À cet égard, je citerai une expérience qui renvoie au concept d’anticipations rationnelles et à la réalité du fonctionnement du cerveau. Quand on demande à des cobayes de faire des prévi-sions sur un avenir sur lequel ils n’ont aucune prise, qui dépend de « la nature » comme on dit, c’est une partie du cerveau qui est à l’œuvre. Quand on leur demande de réfléchir aux comportements futurs des autres, c’est une autre partie du cerveau qui est activée. Prévoir tout court ou prévoir ce que vont faire les autres, deux exercices que l’hypothèse des anticipations rationnelles assimile plusou moins, repose donc sur des opérations

mentales différentes. Quoi qu’il en soit, nous ne connaîtrons pas avant plusieurs décennies les enseignements de la neuro-économie !

JMV : En conclusion, la crise nous amène-t-elle à redéfinir l’objet même de l’économie ?

AO : Pour ma part, la crise est venue confor-ter les positions qui étaient déjà les miennes auparavant, que ce soit sur l’instabilité de la concurrence financière ou sur la nécessité d’une nouvelle approche de la valeur. Si la crise a eu un effet, c’est en rendant les écono-mistes plus réceptifs à de telles propositions.

RG : La crise des années 1930 avait remis en cause le savoir économique de l’époque. Elle a frappé d’obsolescence le monde d’Alfred Marshall, celui d’une multitude de marchés indépendants. J.  M. Keynes a relancé avec force la notion d’équilibre général dans la macroéconomie. Mais il expliquait aussi que les marchés financiers fonctionnaient comme un concours de beauté, et que des « esprits animaux » y jouaient un rôle majeur. Ces direc-tions de recherche, qui soit dit en passant, portaient sur les anticipations, ont été aban-données dans les travaux menés après-guerre. Mais bien que cette crise ait montré qu’elles étaient essentielles à la compréhension de la finance (Guesnerie, 2012), il faudra du temps pour les réintégrer dans l’analyse.

AO : Avant cette crise comme avant celle des années 1930, des hypothèses, des rai-sonnements, des idées avaient émergé qui auraient permis de prévoir l’enchaînementfatal. Les travaux hétérodoxes cités dans cet article mettaient en garde contre l’instabilité financière. Mais ces pistes n’ont pas été prises au sérieux car elles s’écartaient par trop du consensus de l’époque pour être entendues. Ceci ne doit pas être oublié. Aujourd’hui, alors que nos économies connaissent de très grandes difficultés, il importe de garder l’esprit ouvert, de ne pas s’enfermer a priori dans un modèle appartenant au passé. Les éternelles questions de base concernant la croissance ou la nature du capitalisme demandent à nou-veau à être examinées sans préjugés. C’est de cette manière que la pensée économique progressera.

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BIBLIOGRAPHIE

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climatique laissant à penser que le problème des énergies fossiles n’était peut-être pastant leur finitude que le caractère polluant de leur combustion, a de nouveau fait l’objet de nombreuses publications sur la correction des externalités environnementales globales. Plus récemment encore, les économistes ont admis qu’en focalisant leurs efforts sur la lutte contre le changement climatique, ils avaient négligé l’autre problème environnemental global, celui de la diminution de la biodiversité, suscitant de nouveaux travaux aussi divers que peu stabilisés tant le sujet est difficile. Le concept, certes multiforme, de développement durable englobe ces nouvelles préoccupations.

L’Organisation de coopération et de déve-loppement économiques (OCDE, 2012) identi-fie quatre domaines où les dégradations sont très avancées et dont l’avenir est très sombre, si du moins l’humanité ne prend pas demesures ambitieuses pour gérer les ressources naturelles et les services environnementaux : le changement climatique, la biodiversité, l’eau et les effets de la pollution sur la santé. La consommation d’énergie devrait augmenter de 80 % à l’horizon 2050, la part des énergies fossiles dans la consommation totale d’énergie continuant à se situer aux alentours de 85 %. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) pourraient s’accroître de 50 %, et les émissions

ANALYSE ÉCONOMIQUEET POLITIQUESENVIRONNEMENTALESAlain Ayong Le Kama et Katheline SchubertAlain Ayong Le Kama, Laboratoire EconomiX, université de Paris Ouest – Nanterre La Défense Katheline Schubert, Paris School of Economics, université Paris 1.

La nature a pendant des siècles été consi-dérée comme à la fois inépuisable et au service de l’homme[1]. Les ressources

variées qu’elle dispense, qu’elles soient non renouvelables (énergies fossiles, minerais) ou renouvelables (ressources biologiques, services divers fournis par l’environnement, comme la fertilité des sols, le filtrage de l’eau ou la régu-lation du climat) étaient là pour être extraites, exploitées, ou détruites afin de laisser place à la civilisation humaine. Il a fallu longtemps pour que la perspective change, et encore ce changement a-t-il été progressif et n’est-il pas acté par tous. Il a été causé par les preuves de plus en plus accablantes de la finitude des ressources naturelles, de leur surexploitation quasi générale, et des problèmes variés posés à l’homme par la pollution produite par son activité économique. Le premier choc pétrolier a donné lieu, au milieu des années 1970, à une abondante littérature sur la croissance éco-nomique dans laquelle est d’abord reconnu le caractère fini des ressources naturelles qui servent de facteur de production (en l’occur-rence, le pétrole), puis prises en compte les dif-férentes façons dont les actifs environnemen-taux contribuent au bien-être économique. Vingt ans plus tard, la reconnaissance par les scientifiques du phénomène du réchauffement

1 Au moins dans les civilisations du Livre, anthropocentrées.

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du seul dioxyde de carbone (CO2) de 70  %, portant la concentration atmosphérique de GES à 685 ppm (parties par million), alors que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime qu’elle doit se situer entre 450 et 550 ppm, si l’on veut limiter la hausse de la température terrestre moyenne à 2  °C. Parallèlement, l’appauvris-sement de la biodiversité devrait se poursuivre,tandis que les ressources disponibles en eaudouce se dégraderaient, sous l’effet conjuguéde l’augmentation de la température, de la pol-lution et d’un usage excessif. Enfin, la pollutionatmosphérique devrait devenir la principalecause environnementale de décès prématurés.

Les apports de la théorie économiqueDonner un prix aux ressources environnementales

Compte tenu du changement de perspec-tive, le nœud du problème réside aujourd’hui dans la gratuité (partielle, mais aussi parfois totale) des ressources naturelles et des ser-vices fournis par l’environnement. Le pétrole n’est certes pas gratuit, mais l’émission de CO2engendré par sa combustion ne donne pas lieu à paiement. Il en est encore de même pour un grand nombre d’externalités environnemen-tales, locales ou globales. De très nombreux services environnementaux, comme la régula-tion du climat ou les services écosystémiques, sont aussi totalement gratuits.

Il est peu de questions sur lesquelles les économistes sont aussi unanimes que celle de faire payer aux utilisateurs des ressources naturelles et services environnementaux un prix reflétant la totalité des coûts associés à leur usage, aussi bien privés que sociaux. Et ceci depuis au moins 1920 et les travaux d’Ar-thur Cecil Pigou. Tandis que les coûts privés sont reflétés par le prix de marché, les coûts sociaux en revanche sont hors marché. Depuis A. C. Pigou, les travaux théoriques portant sur leur évaluation sont légion. Si les externalités négatives considérées peuvent être correcte-ment analysées dans un cadre statique, le prix à payer est égal au dommage marginal engen-dré par l’activité émettrice, au niveau optimal d’émission. Pour les externalités positives – les

services environnementaux -, le prix est, de façon symétrique, égal à l’utilité marginale procurée par le service, au niveau optimal de fourniture. Pour les externalités de stock, ayant une dimension intertemporelle très impor-tante, le prix correspond à la somme actualisée (voir ci-après) des dommages marginaux futurs causés par l’activité émettrice. L’estimation empirique concrète du prix approprié est diffi-cile. Comment en effet estimer les dommages marginaux, ou les consentements à payer des agents pour éviter telle nuisance environne-mentale ou telle dégradation d’un service éco-systémique  ? Bien des efforts sont consacrés aujourd’hui à répondre à cette question.

Une fois les coûts sociaux chiffrés, il faut les imputer aux utilisateurs des ressources et ser-vices environnementaux. Le moyen habituel est une taxe, ou un marché de permis négo-ciables, qui a au premier ordre les mêmes pro-priétés. La politique environnementale permet alors de restaurer l’efficacité productive et ainsi de favoriser la croissance. Par exemple, si un prix adéquat, disons par l’intermédiaire d’une taxe, est fixé pour les émissions de carbone, les agents qui en produisent tenteront de les limiter. Une partie des projets visant à réduire ces émissions deviendront rentables « sponta-nément ». Dès lors, l’économie se réorientera, dans un sens moins carboné  : les énergies fossiles perdront une partie de leur avantage par rapport aux énergies renouvelables et la transition énergétique pourra s’amorcer.

Mais ces politiques ne sont que rarement mises en œuvre, et quand la puissancepublique tente de le faire, l’opinion s’y oppose fermement, comme nous le verrons dans la deuxième partie de cet article.

Recourir au « calcul économique durable » pour l’actualisation et la prise en compte de l’incertitude

La puissance publique doit calibrer et mettre en place les instruments de la politique envi-ronnementale, mais aussi prendre en compte dans ses décisions, par exemple en matière d’investissement, les préférences de la société vis-à-vis de l’environnement en s’appuyant sur un calcul économique durable. Le point central ici concerne le poids que la société décide

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d’accorder au long terme, qui doit se traduire par un calcul économique public approprié. La façon dont les coûts et bénéfices futurs sont actualisés est de ce point de vue cruciale. Nous allons voir cependant que la question de l’actualisation est épineuse, et loin d’être réglée.

Il est traditionnellement admis que les inves-tissements publics engendrent des effetsd’éviction sur les investissements privés. Autre-ment dit, tout euro public utilisé pour financer un projet se traduira par une ponction sur le revenu disponible des ménages, limitant de ce fait leurs capacités d’épargne et donc mécani-quement les possibilités de financement des investissements privés. Un moyen de tenir compte de ces effets d’éviction liés à l’usage des finances publiques, ou d’essayer de les compenser, est de renchérir le coût de cet usage, soit par l’application d’un coefficient multiplicateur aux euros publics dépensés – on parle alors de coût d’opportunité des fonds publics –, soit par une augmentation du ren-dement exigé pour les investissements réali-sés avec des financements publics, donc par le relèvement du taux d’actualisation. Dans un contexte de raréfaction des ressourcespubliques, comme c’est le cas aujourd’hui, qui crée une concurrence très forte entre les différents projets d’investissement éligibles à un financement public, il est de bon sens de relever le rendement exigé pour les quelques projets retenus. Toutefois, ce même taux d’ac-tualisation reflète aussi, dans une vision plus macroéconomique  – le taux d’actualisation est alors considéré comme un taux d’es-compte social –, la manière dont les autorités publiques se soucient du long terme et donc de l’impact des politiques publiques mises en œuvre sur le bien-être des générations futures. Un taux d’actualisation élevé s’interprète dans ce cas comme traduisant une vision court-ter-miste des politiques publiques, la non-prise en compte des effets de nos actions sur le bien-être des générations à venir. Or, il est bien connu que certaines des conséquences environnementales des actions entreprisesaujourd’hui ne surviendront que dans un futur très lointain (on en donnera pour exemple les éventuelles conséquences de l’entreposage des déchets nucléaires à haute activité et à vie longue, plusieurs d’entre eux pouvant rester

radioactifs durant plus de trois siècles). Un taux d’actualisation élevé a donc pour effet d’«  écraser le futur  », ce qui engendre inévi-tablement une inéquité intergénérationnelle.

Ces deux interprétations du taux d’actua-lisation sont conflictuelles, voire contradic-toires. Toute la difficulté dans le choix du taux d’actualisation réside donc dans l’arbitrage entre, d’une part, une nécessaire exigence de rentabilité économique des investissements publics, qui incite à relever le taux d’actualisa-tion  ; et d’autre part, le respect d’un principe d’équité intergénérationnelle, qui nous impose de prendre en compte les impacts à très long terme de nos actions et, pour cela, d’abaisser le taux d’actualisation. La mise en œuvre d’un calcul économique public «  durable  » passe donc par un choix raisonné du taux d’actuali-sation, tenant compte de ces deux dimensions essentielles, ce qui demande d’améliorer les estimations empiriques de ses composantes (Lebègue, 2005).

La décomposition du taux d’actualisation  – défini comme un taux d’escompte social  – proposée par Böhm-Bawerk est la suivante :

a = + μ.g

où le taux d’actualisation, noté a, a deux com-posantes. La première est le taux de préférence pure pour le présent, , qui reflète l’impatience des agents. La seconde est l’effet richesse, qui est égal au produit de l’élasticité de l’utilité marginale de la consommation, μ, et du taux de croissance de la consommation par tête, g. Ainsi, si les agents anticipent une hausse de la consommation (g > 0), un euro supplémen-taire à l’avenir a un effet sur leur utilité plus faible qu’un euro supplémentaire immédiat, puisque l’utilité marginale est décroissante avec la consommation (μ > 0). En outre, l’effet richesse est d’autant plus élevé que les antici-pations de croissance sont optimistes, et que l’utilité marginale décroît rapidement.

La prise en compte de l’incertitude inhé-rente aux politiques publiques en général et aux mesures de politiques de régulation environnementale en particulier se fait princi-palement dans la littérature au travers du taux d’actualisation, même si cela ne constitue pas un exercice aisé. Les débats et controverses théoriques sur cette question sont loin d’être stabilisés, comme le confirme la conclusion à

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laquelle ont abouti deux chercheurs au cœur de cette controverse, dans un article commun (Gollier, Weitzman, 2010)  : «  The so-called “Weitzman-Gollier puzzle” is the fact that two seemingly symmetric and equally plausible ways of dealing with uncertain future discount rates appear to give diametrically opposed results with the opposite policy implications ».

D’un côté, on voit bien que chacune des composantes du taux d’actualisation est enta-chée d’incertitudes sur son évolution future. Tout d’abord, il semble évident que, compte tenu de l’évolution des pressions sur l’environ-nement et l’usage des ressources, la manière dont chacun de nous se projette dans le futur, ou intègre les effets de ses actions sur les générations à venir, est susceptible de changer. Le taux de préférence pure pour le présent est donc susceptible de se modifier dans le temps, dans un sens qui est indéterminé (il va baisser en cas de conscience plus forte de l’environne-ment et augmenter dans le cas contraire).

Par ailleurs, la seconde variable du taux d’actualisation, l’élasticité de l’utilité marginale de la consommation , qui reflète la sensibilité des individus à l’évolution de leur consomma-tion, et plus généralement de leur richesse, n’a aucune raison d’être définie de façon déterministe. Pour les mêmes raisons que celles décrites précédemment, cette sensibilité pourra augmenter si l’engouement consumé-riste actuel se poursuit, et diminuer dans le cas contraire.

Enfin, l’incertitude la plus souvent analysée (Gollier, 2011) est celle concernant le taux de croissance de la consommation future. Elle fait l’objet de tous les «  fantasmes  », et les prévisions d’évolution à long terme sont souvent trop corrélées à la conjonc-ture. Il est bien connu en effet que quand le contexte économique est favorable, les pré-visions de croissance future sont elles aussi optimistes ; et inversement, c’est-à-dire quand la conjoncture est morose, comme c’est le cas aujourd’hui, une réaction, que l’on peut quali-fier d’« angoisse macroéconomique », pousse inéluctablement à tenter d’augmenter le ren-dement exigé des investissements publics, à savoir le taux d’actualisation.

D’un autre côté, même si on ne s’intéresse qu’à l’incertitude macroéconomique future,

son effet sur le taux d’actualisation n’est pas aussi évident qu’il y paraît. D’une part, sous réserve que les risques liés à l’investissement soient d’ampleur suffisante et ne soient pas diversifiables, il peut être utile de majorer le taux d’actualisation d’une prime de risque macroéconomique comme suit :

a’ = ( + μ.g) + . .

où = 2.μ, c’est-à-dire que la prime de risque correspond au produit de la volatilité globale de l’économie, 2, et de l’aversion relative de la collectivité pour le risque, ; et où , appelé bêta socioéconomique, mesure la rela-tion statistique de corrélation entre les risques du projet d’investissement public et le risque macroéconomique[2]. D’autre part, il peut aussi s’avérer utile de réduire le taux d’actualisation pour des raisons de précaution. En effet, si on considère, comme cela est souvent le cas dans la littérature, que l’utilité marginale de la consommation est supposée convexe, une augmentation de l’incertitude sur la consom-mation future augmente la valeur d’un euro supplémentaire en t, telle que mesurée par l’espérance de l’utilité marginale. L’incertitude réduit donc le taux d’actualisation si on envi-sage de la sorte les variations de l’élasticité de l’utilité marginale de la consommation consé-cutive à une modification de celle-ci. Cet effet précaution est donc croissant avec la volatilité globale de l’économie, 2, selon la formulation suivante :

a’’ = ( + μ.g) – 12

. 2. 2

Au final, il ressort que le taux d’actualisation peut croître ou décroître en situation d’incer-titude, selon les ampleurs relatives du risque macroéconomique de l’investissement, donc de la prime de risque, et des effets précau-tion, c’est-à-dire de la différence entre le de

l’investissement et 12

. . En situation d’incerti-

tude, on observe dès lors deux types d’effets qui s’opposent mais qui doivent tous deux être pris en compte. Certes, une grande volatilité globale de l’économie va inciter les agents à

2 Néanmoins, dès lors que l’on souhaite intégrer des risques environnementaux à cette analyse, cette approche n’est plus efficace dans la mesure où les risques considérés ne sont pris en compte que sous la forme d’une mesure de leur corrélation avec les variations de la richesse globale.

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accroître leur épargne, pour des motifs de pré-caution, avec pour conséquence une réduction du taux d’actualisation. Mais elle va aussi se traduire par une plus forte incertitude sur la rentabilité des investissements publics, ce qui a pour effet mécanique un accroissement de la prime de risque. L’incertitude étant consubs-tantielle aux questions relatives à l’environne-ment, le calcul économique devrait intégrer ces deux aspects.

Orienter le progrès techniqueDonner aux agents le bon signal-prix et

orienter les choix publics à l’aide d’un calcul économique approprié ne suffiront proba-blement pas à régler les problèmes envi-ronnementaux les plus pressants que nous évoquions plus haut. Il va falloir également compter sur l’innovation technologique.

Progrès technique et politique environne-mentale ne sont en aucun cas opposables, bien qu’ils soient souvent présentés comme tels par les «  optimistes technologiques  », selon lesquels la seconde est inutile, voire nuisible, seul le recours à une nouvelle techno-logie permettant de régler tous les problèmes. Or, le progrès technique n’offre pas, en parti-culier, la possibilité d’évaluer le coût social de l’utilisation par les agents des ressources envi-ronnementales le coût social correct de cette utilisation et, par conséquent, de leur en faire payer le prix. Progrès technique et politique environnementale sont bien complémentaires.

Les modèles de croissance élaborés ces derniers temps, qui analysent en profondeur le progrès technique, les conditions de son appa-rition et son orientation, montrent que l’inno-vation est rarement spontanée, ou plutôt n’a aucune raison d’être spontanément orientée dans la direction souhaitée. Historiquement, depuis la révolution industrielle, l’innovation a principalement visé à économiser le travail. Elle a permis de doter les hommes de meilleurs outils, au premier rang desquels des machines mues par les énergies fossiles. Si la société souhaite que l’innovation s’oriente dans une autre direction, c’est-à-dire qu’elle permette d’économiser les ressources naturelles, et au premier chef les énergies fossiles, ainsi que les services fournis par l’environnement, elle doit apporter aux chercheurs les incitations appropriées.

La littérature récente met également enlumière l’existence d’un phénomène dedépendance historique à l’égard du sentier de croissance  : l’innovation se rencontre le plus souvent dans les secteurs les plus avancés qui sont actuellement les secteurs «  sales  ». Si la société désire que l’économie s’oriente vers une production plus «  verte  », elle doit de nouveau donner aux chercheurs les incita-tions appropriées  ; plus ces dernières seront précoces, plus la transition vers une économie « verte » sera facile (CEDD, 2012).

Les sources de blocage des politiques environnementales

Tout d’abord, la théorie économique dit ce qu’il faut faire pour atteindre certains objec-tifs. Mais (heureusement  ?) elle ne dit pas ce qu’ils sont. Ils sont déterminés par la société, d’abord à partir des préférences individuelles, elles-mêmes étant influencées par l’informa-tion que reçoivent les agents, ensuite à partir des agendas des dirigeants du pays. Ensuite, les instruments de politique environnementale peuvent avoir des effets distributifs qui amoin-drissent leur acceptabilité par les populations. Enfin, une gouvernance inadaptée peut rendre impossible la mise en œuvre des mesures de politique économique permettant d’atteindre les objectifs visés. Le cas le plus emblématique est celui de la défaillance de la gouvernance mondiale dans la lutte contre le changement climatique.

Les préférences individuellesLes préférences individuelles sont influen-

cées par l’information que reçoivent les agents, en l’occurrence par celle que produisent les scientifiques. Or, les incertitudes sont impor-tantes et les avis des scientifiques peuvent être divergents. Divers lobbies peuvent également délivrer des messages délibérément faux pour influencer l’opinion dans un sens qui leur est favorable (Henry, 2012). Aujourd’hui, la moitié des Américains ne croient pas que le réchauf-fement climatique est d’origine anthropique.

Les préférences individuelles sont également le résultat de dispositions psychologiques. Les agents ont une préférence pour le présent, ils sont impatients, ce qui les conduit à don-ner un faible poids au futur dans leurs choix

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intertemporels. Ainsi, alors même que les pro-blèmes environnementaux globaux s’inscrivent dans le long terme, ils accordent une impor-tance bien plus grande aux coûts présents de la préservation de l’environnement qu’à ses bénéfices lointains. Même si les coûts sociaux engendrés par l’utilisation des ressourcesenvironnementales sont correctement pris en compte, l’actualisation peut, nous l’avons vu, « écraser le futur ».

Les agents ont également une attitude face au risque que la théorie économique peine encore à appréhender sous tous ses aspects. Par exemple, les économistes n’ont pas encore une idée claire des déterminants de l’arbitrage entre risque nucléaire et risque climatique, qui sont de natures très différentes.

Enfin, la fonction objectif des agents repose sur plusieurs préoccupations : l’environnement, certes, mais aussi leur consommation de biens, qui dépend de leur pouvoir d’achat, et donc de l’état de l’économie. Consommation et qualité de l’environnement sont-elles substi-tuables ? Si oui, dans quelle mesure ? L’envi-ronnement est-il un bien de luxe ? La crise que nous connaissons actuellement a clairement fait passer au second plan les préoccupations environnementales. Qu’est-ce que cela nous révèle quant à la hiérarchie des préférences des agents ?

La société peut, dans une certaine mesure, corriger la mauvaise information des agents (si on suppose que, grâce à ses experts, elle est globalement mieux informée qu’eux), leur court-termisme, leur attitude face au risque (excès ou défaut de précaution, c’est selon), mais les gouvernements sont tenus par la démocratie représentative et par leur désir d’être réélus. Ils ne peuvent pas (trop) aller contre l’opinion publique et doivent se sou-cier de l’acceptabilité des politiques qu’ils proposent.

Effets incitatifs versus effets distributifs : de l’acceptabilité sociale des politiques environnementales

En matière environnementale, l’acceptabi-lité semble passer par l’absence d’effets dis-tributifs. Autant il n’est pas facile de faire comprendre aux agents les effets incitatifs

d’une politique économique, autant les effets distributifs sont, pour eux, parfaitement clairs. L’exemple de la taxe carbone française avortée est sur ce plan particulièrement éclairant. Les agents n’ont pas été convaincus par le principe de la taxation environnementale à recettes fis-cales constantes avec une redistribution sous forme forfaitaire de ces recettes. Si les écono-mistes se sont montrés capables de choisir les bons outils, ils ont échoué dans le domaine pédagogique !

Un autre problème important est celui des élasticités-prix. Pour certains agents, réduire la consommation des biens polluants suite au signal prix peut s’avérer très difficile. Les exemples dans lesquels l’élasticité-prix esttrès faible et la consommation contrainte ne manquent pas. Ainsi, les ménages sont cap-tifs de leur consommation de chauffage, qui, quelle que soit l’augmentation du prix du combustible, va dépendre pour l’essentiel des conditions climatiques. De même, on sait que l’offre de transports en commun est en géné-ral plus importante dans le centre-ville que dans la périphérie où les ménages sont donc contraints d’avoir davantage recours à leur propre véhicule. Or, on sait également que le lieu d’habitat dépend du revenu, les ménages les moins aisés étant repoussés de plus en plus loin des centres-villes. Aussi ressentent-ils un vif sentiment d’injustice en cas d’augmenta-tion du prix de l’essence. Comme, en outre, ils résident généralement dans des bâtiments à rendement énergétique faible, ils voient dans toute politique visant à augmenter le prix de l’énergie une double injustice.

Les problèmes distributifs ne sont passeulement transversaux mais égalementintertemporels. Comme on l’a souligné pré-cédemment, certains effets des actions entre-prises aujourd’hui ne seront perceptibles qu’à très long terme. Il est par conséquent indis-pensable que les politiques de régulation envi-ronnementale soient conçues sur un horizon temporel long.

Néanmoins, durant la période nécessaire à la réalisation de ces objectifs de long terme, des transformations sociales peuvent se produire, certaines risquant de s’avérer douloureuses si elles ne sont pas anticipées. Ces transfor-mations peuvent être de deux types. À court

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terme tout d’abord, la transition vers une croissance durable nécessite la création de nouveaux métiers, exigeant de nouvelles quali-fications, ce qui pose la question de l’existence sur le marché du travail d’une offre répondant à cette demande. Par ailleurs, et de manière permanente, les différentes politiques envi-ronnementales visant à faire converger l’éco-nomie vers un développement durable à long terme vont, sans doute, par les réajustements sectoriels qu’elles vont engendrer, accélérer le phénomène schumpétérien de destruction créatrice. Dans la France d’aujourd’hui, selon les chiffres du service de l’observation statis-tique du ministère de l’Écologie, du Déve-loppement durable et de l’Énergie (MEDDE), on décompte environ 400 000 emplois envi-ronnementaux, dont la moitié consacrés à l’eau et aux déchets et seulement 30 000 à la production des énergies renouvelables (éolien, solaire, biocarburants) ainsi qu’aux économies d’énergie. L’objectif fixé pour 2030, dans le cadre du « Green New Deal », est de porter les emplois dans le secteur des énergies renouve-lables (ENR) à 20  millions au niveau mondial et à 250 000 environ en France, soit huit fois plus que leur nombre actuel. Sachant que ces nouveaux emplois requièrent des qualifica-tions spécifiques et que le recyclage, dans des délais courts, des employés des secteurs éner-gétiques traditionnels n’est pas une solution, il apparaît urgent de mettre en œuvre un plan de formation/requalification massif, qui permettra de réduire l’ampleur du chômage frictionnel (dû aux délais nécessaires pour passer d’un emploi dans un secteur à un autre) engendré par cette transition.

En ce qui concerne les conséquences sociales des réajustements sectoriels induits par les dif-férentes politiques et mesures mises en œuvre, elles seront sans doute plus importantes et permanentes. Les politiques environnemen-tales qui visent à modifier les comportements de consommation et/ou de production par un changement du signal-prix auront des inci-dences différenciées sur les secteurs  : cer-tains vont y perdre et d’autres y gagner. Les secteurs perdants seront principalement ceux ciblés par ces mesures, c’est-à-dire les secteurs

traditionnels, plutôt grands consommateurs d’énergie, à forte intensité capitalistique et avec une main-d’œuvre majoritairement âgée. Ils auront donc beaucoup de difficulté à adap-ter leur processus de production et à requali-fier leurs salariés qui, lorsqu’ils ne seront pas aptes à pratiquer les nouveaux métiers envi-ronnementaux, deviendront «  chômeurs envi-ronnementaux » ou « chômeurs climatiques ».

En bref, les objectifs de long terme en matière d’environnement ne peuvent pas être atteints si l’on fait fi des conséquences sociales de la transition.

Les défaillances de la gouvernance collective

Évoquons, pour finir, une dernière source de blocage, non plus au niveau national mais au niveau mondial, avec l’exemple emblématique de la lutte contre le changement climatique. Il pose, en effet, un nouveau problème, celui de l’inexistence d’une institution, par défi-nition internationale, apte à assurer le bon niveau de fourniture de ce bien public global qu’est la qualité du climat. En son absence, les pays sont contraints de négocier un accord sur la politique à mettre en œuvre, ce qui est très compliqué, car ils ont des responsa-bilités historiques différentes, se trouvent à des stades divers de développement et sont soumis de façon variable au changement cli-matique. L’histoire des négociations interna-tionales sur le climat, depuis le sommet de Kyoto (décembre 1997), démontre on ne peut plus clairement à quel point cette source de blocage est majeure.

* * *

La puissance publique peut tenter d’éliminer les sources de blocage provenant des pré-férences individuelles. Elle peut aussi conce-voir des politiques environnementales quisoient non seulement efficaces, mais aussi acceptables par l’opinion. Toutefois, corriger les défaillances de la gouvernance mondiale représente un défi autrement important, et les progrès réalisés en ce sens depuis une vingtaine d’années ont été si minimes que le pessimisme est de mise.

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BIBLIOGRAPHIE

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CRISE ÉCONOMIQUEET EXTRÉMISMEPOLITIQUEPierre BezbakhUniversité Paris IX – Dauphine.

La coïncidence entre une crise écono-mique profonde, souvent comparée à celle de 1929, et l’affirmation de l’au-

dience, en Europe, de partis ou mouvements politiques dits d’extrême droite, peut amener à envisager la reproduction d’un scénario simi-laire à celui qui s’est déroulé dans les années 1930. Durant cette décennie, le Parti national socialiste a accédé au pouvoir en Allemagne (avec la nomination d’Adolf Hitler au poste de chancelier en janvier 1933), le Parti fasciste de Benito Mussolini (à la tête du gouvernement italien depuis 1922) a consolidé sa position en Italie, tandis que la vie politique au Japon était de plus en plus marquée, à partir de 1932, par l’autoritarisme et le nationalisme. Ces trois puissances de l’Axe ont été, rappelons-le, à l’origine de la Seconde Guerre mondiale.

Plusieurs des facteurs à l’origine de l’ins-tauration de ces régimes étant aujourd’hui absents, on peut penser que l’Histoire ne se répétera pas, et que l’Europe, comme les autres pays démocratiques, saura résister au chant des sirènes de l’extrémisme. Cependant, l’aggravation de la situation économique et la poursuite de la montée du chômage, que beaucoup d’économistes redoutent en raison des politiques d’austérité mises en œuvre au sein de l’Union européenne et renforcées par

le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance), risquent de déboucher sur un accroissement des inégalités et de la misère des plus fragiles, ainsi que sur la désespérance d’une partie des populations européennes. En effet, si l’issue politique de la situation actuelle est des plus incertaines et peut prendre des formes très variées, il est par contre fort pro-bable que cette dernière sera source de vives tensions sociales dont l’Europe ne sortira pas indemne.

De plus, les difficultés de la construction européenne s’inscrivent dans le contexte plus général d’une séries de crises touchant l’en-semble de la planète  : crise énergétiqueliée à l’épuisement progressif des matières premières, crise alimentaire dans certainspays, crise écologique et conséquences du réchauffement climatique, crise des idéolo-gies, puisqu’aucune de leurs préconisations ne semble en mesure d’apporter de réponses convaincantes aux questions qui se posent aujourd’hui. Tout cela accentue le désarroi des victimes de ces crises, et incite à penser que ce que nous vivons s’apparente davantage à un changement de société qu’à une simple phase de turbulence passagère débouchant sur le retour à une situation identique à celle de l’avant-crise.

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Le scénario des années 1930 ne se reproduira pas…

L’arrivée au pouvoir en Allemagne, en Italie et au Japon, de partis nationalistes et racistes, tournés vers la guerre de conquête, dévelop-pant une idéologie totalitaire et refusant toute forme de démocratie politique et toute contes-tation sociale, s’explique par le contexte de la période, et par l’histoire de chacun des pays concernés.

Le contexte historiqueL’Europe ne s’était pas encore remise de

la Première Guerre mondiale. Celle-ci a pro-voqué de terribles pertes humaines (environ 8  millions de morts, dont près de 2  millions en Allemagne et plus de 600  000 en Italie), des destructions de routes, d’édifices civils et de surfaces cultivables dans les zones de combat, qui poussèrent les pays victimes (la France principalement) à exiger des indemni-tés de guerre pour financer la reconstruction. L’attitude des Alliés vainqueurs, lors du traité de Versailles de 1919, suscita une profonde humiliation en Allemagne, puisque, considé-rée comme responsable de la guerre, elle fut astreinte au versement de lourdes réparations (132  milliards de marks-or) et dépossédée d’une partie de son territoire (l’Alsace-Lorraine, une partie de la Pologne et ses quelques colo-nies). De son côté, l’Italie, pourtant victorieuse et ayant durement combattu les Autrichiens, ressentit un vif sentiment de frustration, car elle avait été en grande partie « oubliée » par le traité.

La guerre eut d’autres conséquences qui déstabilisèrent la société allemande. La pre-mière est de nature politique. À la suite de la révolution russe, l’Allemagne fut le théâtre d’une rébellion populaire (insurrection desspartakistes, à Berlin, au début de 1919) qui fut écrasée par les Corps francs du général Noske et ses leaders, Rosa Luxemburg et Karl Lie-bknecht, furent assassinés. Mais une partie de la population allemande, hantée par la peur de la contagion révolutionnaire, sera séduite par l’anticommunisme et le culte de l’ordre prônés par le parti nazi. De même, en Italie, l’occupa-tion, au sortir de la guerre, par des groupes de paysans et d’ouvriers de grands domaines agricoles et d’usines, ainsi que la fondation

du Parti communiste par Amédéo Bordiga et Antonio Gramsci en 1921 eurent pourmalencontreux effet d’accroître l’audience du parti fasciste de Mussolini. De plus, Hitler et Mussolini recrutèrent bon nombre de leurs affidés parmi les anciens combattants, qui reprochaient aux pouvoirs en place de ne pas leur accorder une reconnaissance amplement méritée à leurs yeux et d’avoir trahi leur pays à la fin de la guerre.

La seconde conséquence est économique. En effet, si l’Allemagne n’eut pas à souffrir de destructions de son appareil productif, elle perdit environ 3 millions de travailleurs (morts, invalides, populations vivant dans les territoires confisqués), et elle connut, en 1923-1924, une hyperinflation dramatique dont le souvenir est encore présent aujourd’hui dans la mémoire collective. L’emballement des prix a été prin-cipalement généré par la création monétaire afin de financer, durant la guerre, les dépenses militaires, puis des réparations jugées parl’Allemagne aussi excessives qu’injustifiées.Devant le refus de cette dernière de s’acquit-ter de sa dette, les troupes franco-belges occupèrent le bassin industriel de la Ruhr, ce qui aggrava la crise dans l’ensemble du pays : l’activité a régressé, les prix ont atteint des pics astronomiques et la valeur de la monnaie-papier est devenue quasi nulle. La situation s’est pourtant rétablie de façon spectaculaire en 1924-1925, grâce à la réduction du montant des réparations et à leur échelonnement dans le temps (plan Dawes, 1924), ainsi qu’à l’aide financière étrangère (notamment américaine). Mais Hitler tirera argument de ces années trau-matisantes pour fustiger la responsabilité des Alliés dans les malheurs allemands, d’autant plus que le retrait des capitaux américains d’Allemagne et d’Autriche en 1929-1930 sera à l’origine de nombreuses faillites bancaires qui accentueront la crise dans ces pays.

Autre particularité de cette période, la crise de 1929 a été d’une ampleur sans précédent, frappant l’ensemble des pays capitalistes, et par ricochet, les pays du tiers monde. Elle a éclaté aux États-Unis, comme l’on sait, où l’indice Dow Jones passa entre octobre et novembre  1929 de 469 à 220 (faisant perdre 30 milliards de dollars aux détenteurs de ces titres), et a poursuivi sa chute jusqu’en 1931,

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pour tomber à 42, tandis que le revenu natio-nal reculait de 87,3  milliards de dollars en 1929 à moins de 40 milliards en 1933. En Alle-magne, l’indice de la production industrielle a régressé de 117 en 1929 à 70 en 1932, et devra aux mesures adoptées par le régime nazi sa remontée à 149 en 1938. Parallèlement, le taux de chômage s’est élevé à près de 25 % de la population active aux États-Unis en 1933 (soit environ 12,8  millions de personnes), à 15  % en Allemagne (6  millions de chômeurs) et à plus de 13  % en Grande-Bretagne (plus de 4 millions de chômeurs). Mais l’Allemagne retrouva un quasi-plein-emploi en 1938. C’est donc l’extrémisme politique qui facilita dans ce pays la sortie de crise, mais au prix d’une dicta-ture nationaliste et antisémite orientée vers la guerre (Léon, 1997 ; Brasseul, 2003).

Il convient également d’observer que l’Alle-magne, l’Italie et le Japon totalitaires étaient tous trois des pays d’unification récente, pro-cessus qui, de plus, y a eu lieu presque au même moment. Ainsi, l’unification politique et territoriale de l’Allemagne fut réalisée en 1871, avec la création du IIe Reich permise par la vic-toire militaire de la Prusse sur la France, devan-cée de peu par celle de l’Italie, parachevée par Garibaldi en 1870. Enfin, ce fut durant l’ère Meiji (gouvernement éclairé) correspondant au règne de l’empereur Mutsuhito (1867-1912), que le Japon féodal et éclaté s’est transformé en État nation centralisé et industriel.

Cette unification devait obligatoirements’appuyer sur une idéologie forte et nationa-liste pour réussir l’intégration dans un même ensemble des différentes régions et popula-tions longtemps divisées et n’ayant pas d’his-toire commune ni un sentiment d’appartenance à une même nation. Aussi est-ce la guerre menée par la Prusse contre l’Autriche et la France, puis le pangermanisme du XIXe siècle qui ont contribué à forger une identité natio-nale en Allemagne. Il en fut de même au Japon qui, avec entre autres objectifs de souder sa population, déclencha une offensive contre la Chine (1894-1895) puis la Russie (1905), avant de s’emparer de la Corée en 1910. Quant à l’unification italienne, qui ne s’est pas accom-pagnée pour sa part d’une politique expan-sionniste, elle est restée en partie inachevée, ainsi qu’en témoigne l’opposition ancestrale

entre un Nord développé sur les plans agricole et industriel et un Sud beaucoup plus pauvre et traditionnel.

Un autre élément peut expliquer les dérives totalitaires de ces pays  : l’existence de tradi-tions politiques, religieuses et familiales mar-quées par l’autoritarisme. Aucun d’entre eux n’avait ainsi été doté d’institutions démocra-tiques durant un temps suffisamment long pour que celles-ci puissent s’imposer véritable-ment  : quinze ans seulement se sont écoulés en Allemagne entre la chute de l’empire de Guillaume II et l’accession au pouvoir d’Hit-ler, courte période durant laquelle le pays fut confronté à l’hyperinflation et aux premiers chocs de la crise de 1929, évoqués plus haut, dont la gestion maladroite discrédita les partis démocratiques alors aux commandes du pays ; le Japon était un empire ayant à sa tête un demi-dieu et l’Italie une monarchie. Tous trois étaient également imprégnés d’une religion qui mettait en avant le respect de l’autorité et de la tradition, corrélée ou expliquée par des structures familiales s’organisant autour d’une figure paternelle toute-puissante, si l’on se réfère à l’analyse d’Emmanuel Todd (Todd, 1990). Cela expliquerait qu’une partie impor-tante de ces peuples se soit laissé fasciner par un « guide  » à la fois rassurant et déculpabi-lisant, qui savait identifier la cause des souf-frances du peuple, à savoir l’étranger, le juif ou les socialistes, tous tenus pour des traîtres à leur pays d’origine ou d’accueil. Cette figure du chef, inspirée de celle d’un père dur mais protecteur sera d’ailleurs très présente dans la mythologie nazie (Reich, 1972).

Aujourd’hui, toutes ces caractéristiques soit ont disparu, soit se sont nettement atténuées ou transformées. Ces trois pays sont devenus de « vraies » démocraties (certes sous la pres-sion internationale en Allemagne et au Japon), et des modèles de pacifisme. Le patriarcat a régressé, voire a été enterré, pour laisser place à une famille moderne, plus repliée sur elle-même et plus individualiste. Et le rôle de la religion s’est également estompé, même en Italie, pourtant profondément marquée par le catholicisme romain.

Les principales causes de l’extrémisme poli-tique qui a régné dans ces différents pays durant l’entre-deux-guerres n’étant plus

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présentes aujourd’hui, tout retour en arrière paraît donc improbable.

Crise économique de 1929 et extrémisme politique

En outre, le fait que la crise de 1929 n’ait pas produit dans les autres grands pays indus-triels (France, Grande-Bretagne, États-Unis)les mêmes phénomènes politiques, montre qu’elle ne peut à elle seule les expliquer.

Dans l’entre-deux-guerres, l’organisationsociale – c’est-à-dire la nature du système poli-tique et l’idéologie dominante – de ces pays se caractérisait par des institutions démocratiques (ou un partage du pouvoir entre différents détenteurs de la légitimité politique) devenues pérennes, avec le temps. Tel était le cas de la Grande-Bretagne depuis la Glorieuse Révo-lution de 1688-1689, qui a créé un système politique selon lequel «  le roi règne mais ne gouverne pas », et où les libertés individuelles étaient garanties par l’Habeas Corpus Act de 1679. De même, la reconnaissance de l’indé-pendance États-Unis, en 1783, fut suivie par l’instauration d’un système fédéral accordant une autonomie étendue aux différents États, et faisant également de la liberté individuelle le fondement de la société. En France, après avoir été éclipsées durant les deux empires napoléoniens et la Restauration, les institutions républicaines et démocratiques triomphèrent en 1870 avec la naissance de la IIIe Répu-blique  ; par ailleurs, la défense des libertés individuelles a toujours été, comme aux États-Unis et en Grande-Bretagne, au cœur des différentes révolutions françaises. Enfin, si les croyances religieuses sont partout demeurées très prégnantes, elles ont vu fleurir aux États-Unis de multiples variantes du christianisme, et n’ont pas empêché la montée de l’athéisme en France ni la séparation de l’Église et de l’État.

Si des dictatures ont pu s’instaurer dans certains pays, ce n’est donc pas directement en raison de la Première Guerre mondiale ou de la crise économique de 1929, mais parce qu’il y existait un contexte politico-idéologique propice.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mon-diale, et même s’il subsiste encore entre eux des différences significatives, les pays euro-péens tendent à se rapprocher les uns des

autres à bien des égards  : ils ont atteint (tout au moins ceux d’Europe du Nord) un niveau de développement comparable  ; il se sont dotés d’un système politique démocratique (y compris ceux qui ont subi une dictature après la guerre, comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce) ; ils adhèrent à un ensemble de valeurs communes, comme le respect des droits de l’Homme, la condamnation du racisme et de l’antisémitisme, le règlement pacifique des conflits… Ils ont su retenir les leçons du passé et de l’impasse dramatique dans laquelle les avaient engagés les partis totalitaires durant l’entre-deux-guerres, et leur scène politique ne compte plus (pour le moment, du moins) de mouvement terroriste ou de partis prônant la prise du pouvoir par la force. Ils ont, en outre, établi des liens institutionnels à travers des traités européens qui tendent à déve-lopper (certes de façon encore limitée) des mécanismes économiques de solidarité.

L’accession au pouvoir dans un parti euro-péen d’un parti nazi ou fasciste, à l’instar de ce qui s’est passé en Allemagne ou en Italie dans les années 1930, semble donc aussi impro-bable que le déclenchement d’une guerre générale en Europe.

… même si une crise politique grave n’est pas à exclure

Comme nous venons de le voir, une crise économique est l’une des causes de la dérive d’un système politique, même si elle n’est pas la seule, loin de là. Or, tous les observateurs s’accordent pour qualifier de crise économique la situation que connaissent actuellement la plupart des États européens, marquée par une récession plus ou moins prononcée, une remontée significative du chômage et une crise de la dette.

L’Europe fragiliséeLe risque de l’émergence de certaines formes

d’extrémisme politique existe néanmoins dans l’ensemble européen. Les pays de l’Europe du Sud sont en effet le théâtre de manifestations souvent violentes qui dénoncent l’impéritie des dirigeants, tandis que dans les pays du Nord, diverses forces politiques protestent contre le caractère non démocratique des prises de décision (absence de grands débats nationaux

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et de référendums). Ces mouvements de colère ont pour toile de fond une crise idéologique, au sens où les peuples ne savent plus quelle Europe on veut construire, quels seront les effets des sacrifices demandés au nom de l’or-thodoxie budgétaire et monétaire, en d’autres termes quel sera leur avenir.

Sur le plan économique tout d’abord, la récession qui a suivi le premier choc pétrolier de 1973-1974 a brisé en Europe, de façon semble-t-il définitive, la belle croissance source de plein-emploi et de progrès social des Trente glorieuses. La croissance s’est dès lors située le plus souvent autour de 1 à 2 %, contre 5 % entre 1945 et 1974  ; le taux de chômage a grimpé jusqu’à 12 % en France, et fut encore bien plus élevé en Espagne et en Italie durant les périodes les plus sombres. Et si le chômage a diminué au début de la décennie 2000, ce fut pour devenir, en grande partie, structurel, avant que la crise des subprimes en 2006-2007 et les faillites bancaires ne provoquent une grave récession en 2009, ramenant le taux de crois-sance à des niveaux insuffisants pour empêcher la remontée du chômage. Mais le pire était à venir pour les pays de l’Europe du Sud (Grèce, Espagne, Portugal) qui, après avoir mené des politiques de relance induisant un surcroît de dépenses publiques (parfois accompagnées d’allègements fiscaux) et, par là même, le creu-sement d’un déficit budgétaire déjà élevé et un alourdissement de la dette, se sont trouvés contraints par les instances européennes et le Fonds monétaire international (FMI) de mettre en œuvre des mesures d’austérité aux effets catastrophiques pour les populations qui ont vu leurs salaires et leurs retraites amputés, la protection sociale remise partiellement en cause, et les impôts et taxes augmenter. Si de telles règles conditionnent d’ores et déjà l’aide des États membres de la zone euro et de la Banque centrale européenne aux pays les plus endettés, elles pourraient également être appliquées à d’autres, pour l’heure moins menacés, mais qui s’effondreraient s’il devaient perdre la confiance des marchés, c’est-à-dire celle des investisseurs financiers achetant des titres de la dette publique.

Nombre d’économistes (dont les anciens lau-réats du prix Nobel, Paul Krugman et Joseph Stiglitz) considèrent que ces politiques de

rigueur vont avoir un effet désastreux sur la croissance des économies concernées, et donc sur l’emploi, sans pour autant permettre d’atteindre l’objectif affiché de réduction du poids de la dette. Dès lors, les populations frappées par le chômage, la précarité, ledéclassement, la désespérance… pourraient adopter plusieurs attitudes. Une partie d’entre elles, se résignant à ces nouvelles conditions, chercherait à s’en sortir en ayant recours à des « petits boulots », au travail au noir (avec pour conséquence un amoindrissement des recettes fiscales et des cotisations sociales), en partant à l’étranger (pour ceux qui en ont les moyens) ou en s’installant à la campagne pour y vivre modestement du produit d’un petit lopin de terre… Mais une autre partie pourrait être tentée d’adopter des positions extrémistes qui présentent d’ailleurs plusieurs variantes.

L’une d’elles, l’extrémisme démocratique,consiste, comme le proposent le Front de gauche en France ou le parti Syriza d’Alexis Tsypras en Grèce, à prôner la conduite d’une autre politique que celle décidée par lesgouvernements européens actuels, à refuser d’appliquer les dispositions des traités euro-péens, et notamment la « règle d’or » budgé-taire, et à militer pour que la Banque centrale européenne devienne une institution chargée de financer les déficits publics et des investis-sements de relance. Si elle implique un inflé-chissement notable des politiques actuelles, la « révolution citoyenne » n’en aurait pas moins recours à des moyens pacifiques et démo-cratiques (débats publics, manifestations,référendums), à l’instar du mouvement des « indignés » d’Espagne et d’ailleurs.

Mais l’échec de ces mouvements, face à l’intransigeance de gouvernants investis dans leurs fonctions par des élections démocra-tiques, peut conduire à des réactions beau-coup plus vives, provoquées par le désespoir. Plusieurs manifestations ont ainsi donné lieu à des affrontements violents avec les forces de l’ordre en Grèce et en Espagne  ; en France même, des échauffourées ont opposé, aux abords du salon de l’automobile, début octobre 2012, la police et des salariés d’entre-prises ayant annoncé la fermeture de leurs sites de production. La désindustrialisation, le chômage et l’austérité risquent donc de rendre

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la situation encore plus tendue, et l’on ne peut exclure que des groupes plus ou moins organisés se lancent dans des actions plus radicales visant soit à contraindre les pouvoirs publics à réagir, soit à défendre leur outil de travail, soit à se venger d’avoir été réduits à la misère. Mais il est également possible que des organisations ou partis politiques par-viennent à populariser des thèmes encore plus extrêmes, tournés vers la désignation de boucs émissaires (populations immigrées, minorités ethniques, adeptes de certaines religions…), comme ce fut le cas en Allemagne à la suite de la politique déflationniste menée par le chancelier Heinrich Brüning en 1930-1932, qui entraîna une dégradation très sensible des conditions de vie de la population.

La religion peut aussi servir de justification à des pratiques terroristes, comme cela s’est produit récemment en France, où des «  mar-ginaux » en quête d’identité, vivant dans des quartiers délaissés par les pouvoirs publics et ne parvenant pas à s’intégrer à la société, basculent dans une démarche suicidaire. Pour l’heure, le pays le plus menacé par l’extré-misme paraît être la Grèce, laquelle, rappe-lons-le, a connu une guerre civile au début des années 1950 puis une dictature militaire. En effet, la récession y est particulièrement rude, le chômage touche 25 % de la popula-tion active (et environ 50 % des jeunes) et des groupes ouvertement néo-nazis y sont déjà solidement implantés. Mais on ne peut exclure que l’extrémisme gagne d’autres pays, frappés à leur tour par le marasme économique et la détresse sociale, toujours susceptibles de don-ner lieu à des affrontements violents et à des crises sociales aux issues incertaines…

Des risques plus ou moins grands ailleurs

La situation est un peu différente aux États-Unis, où la croissance est légèrement supérieure et le chômage moins élevé qu’en Europe. Mais si l’économie américaine semblait bien repartie à la fin des années 1990, l’éclatement de la bulle internet en l’an 2000, les contrecoups des attentats du 11 septembre 2001, puis la fin de la bulle immobilière et la crise des subprimesà partir de 2006 provoquèrent un nouveau ralentissement de l’activité, une remontée du

chômage et des interventions massives de l’État qui évitèrent une nouvelle crise de 1929. Toutefois, la dette publique devenue de ce fait abyssale et la faiblesse de la croissance sont utilisées par des organisations contestataires, comme le Tea Party – qui exerce une certaine influence sur le Parti républicain –, pour dénon-cer l’action de l’État, la hausse des impôts et la politique sociale de Barak Obama. Or, une diminution des dépenses publiques et sociales dans un pays où les inégalités ne cessent de se creuser a toutes les chances de déboucher sur des réactions brutales de la part des plus défavorisés, qu’ils soient immigrés ou non.

D’autres exemples des conséquences des difficultés économiques sur la vie politique et les mentalités nous sont donnés par les pays où se sont produits et se produisent encore des affrontements violents ou des insurrec-tions armées, comme en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Yémen, en Syrie. Et si des guerres civiles sévissent toujours en Irak et en Afghanistan, si des attentats meurtriers sont périodiquement commis au Pakistan, si divers pays africains continuent d’être le théâtre de conflits tribaux ou religieux, c’est partout pour les mêmes raisons  : la misère de couches sociales dont les effectifs sont de plus en plus importants, des inégalités économiques tou-jours plus criantes, l’absence d’espoir en un avenir meilleur… Tous ces facteurs rendent les populations de ces pays perméables à des idéologies extrémistes, souvent légitimées par une interprétation radicale de leur religion, amenant parfois quelques individus à prendre les armes pour imposer leurs vues par la force.

Vers de nouvelles formes d’extrémisme ?

De façon générale, le monde dans sonensemble est confronté à une série de défis auxquels il ne sait répondre et qui sont sus-ceptibles d’éveiller de nouveaux extrémismes.

L’un de ces principaux défis a trait aux besoins en énergie des secteurs productifs et des particuliers (essence, chauffage domes-tique), encore accrus par le fait que la Chine et l’Inde, les nouveaux « géants » de la planète, ont adopté un modèle de croissance énergi-vore similaire à celui des vieux pays industriels, alors même que s’épuisent progressivement

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les réserves de matières premières. Il en résulte une tension sur les prix, tandis que plane la menace d’une pénurie si de nouvelles sources d’énergie ne remplacent pas peu à peu les anciennes dans les années à venir. Or, aucune de celles connues et partiellement utilisées aujourd’hui n’est à la hauteur des enjeux. L’énergie nucléaire s’avère très onéreuse en raison du coût de construction des centrales, de ceux de la maintenance des installations vieillissantes, puis de leur démantèlement, des frais occasionnés par le stockage des déchets radioactifs, auxquels s’ajoute la crainte du risque majeur que ceux-ci représentent pour les populations avoisinantes, encore avivée par la catastrophe de Fukushima, au Japon. L’éner-gie solaire n’a pas encore fait la preuve de son efficience, dans la mesure où elle nécessite un ensoleillement suffisant ainsi que la production en grande quantité de cellules de fabrication coûteuse. L’énergie éolienne demeure aussi d’usage limité, car elle est source de nuisances sonores et esthétiques. Enfin, la géothermie n’est pas au point. De même, les substituts au pétrole pour l’alimentation des véhicules à moteurs (électricité, hydrogène…) laissent pour le moment à désirer, d’autant que bien des problèmes liés à leur production ne sont pas encore résolus. Si l’on pense qu’il s’agit là des énergies du futur, la route est encore longue avant d’atteindre le stade d’une pro-duction de masse à la hauteur des besoins  ; il n’est donc pas exclu que survienne une crise énergétique de grande ampleur, laquelle nécessitera des solutions extrêmes.

Il en est de même du problème alimen-taire auquel sont confrontés certains pays, généralement les plus pauvres, et où ont éclaté en 2008 des émeutes de la faim qui ont toutes les chances de se reproduire si de grands programmes de mise en valeur des terres arables et d’aide à la petite agriculture paysanne ne sont pas engagés rapidement, comme le réclame sans grand succès l’Orga-nisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Parallèlement, se posent les questions de la protection de l’environne-ment menacé par les diverses pollutions des terres, des eaux et de l’air, et les conséquences du réchauffement climatique peuvent s’avérer dramatiques pour les régions frappées par la sécheresse, les précipitations erratiques, les

ouragans et les cyclones, tous phénomènes n’épargnant pas non plus les pays du Nord. Le manque d’eau et les déplacements de popu-lations pour des raisons d’ordre climatique ne peuvent qu’engendrer de vives tensions.

Si l’on additionne tous ces problèmes sans solutions, et que l’on constate qu’aucune idéo-logie du passé n’apporte de réponse aux maux actuels, il est loisible d’en conclure que nous traversons une crise de société, combinant une crise économique structurelle, une crise politique de légitimité des gouvernants, et une crise du système de croyance, comme cela s’est produit à plusieurs reprises dans le passé (Bezbakh, 2012).

Tout d’abord, au Ve siècle de notre ère, l’Empire romain d’Occident, miné par une crise économique endémique, par une crise poli-tique et militaire qui a paralysé ses lignes de défense, ainsi que par une crise idéologique, la nouvelle religion chrétienne ne s’intéres-sant qu’au salut des âmes et non au sort des institutions et des terres impériales, s’effondra dans un contexte de violence, qui perdura jusqu’à ce que s’installe la paix féodale à la fin du Xe siècle. Mais après plus de trois  siècles de croissance économique et démographique, d’essor des villes et des échanges, la société féodale traversa à son tour une crise écono-mique au XIVe siècle, se trouva confrontée à des bouleversements politiques et militaires (dont la guerre de Cent Ans), connut des soulè-vements dans les campagnes et dans les villes, et vit l’institution religieuse qui la soudait être elle-même en proie à des remous internes.

Cette société s’est recomposée à partir du XVe siècle, mais sur des bases nouvelles, avec le dynamisme des échanges marchands et la constitution des États nations européens, qui très vite se sont fait la guerre. Sur le plan idéo-logique, la religion chrétienne a été déchirée par l’affrontement entre catholiques et protes-tants, tandis que se développait une pensée laïque, qui s’est épanouie dans la réflexion scientifique. En résultèrent la révolution indus-trielle et l’essor du capitalisme.

Ce sont ces siècles de construction d’un monde nouveau qui ont accouché de notre société actuelle et de ses diverses variantes. Mais cette dernière a bien du mal à s’affirmer, et peut évoluer dans différentes directions.

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Une première possibilité est que les difficultés économiques que nous traversons ne sont que transitoires et se résorberont d’elles-mêmes ou grâce aux politiques d’ajustement mises en place. Mais si tel n’est pas le cas, deux scéna-rios opposés sont à envisager  : soit les crises engendreront une instabilité et une violence généralisées, soit elles seront surmontées par une réaction collective solidaire, ces hypo-thèses représentant deux variantes d’un nouvel extrémisme. Dans le premier cas, celui-ci s’ins-pirerait des solutions éprouvées dans le passé

(régimes forts, intolérance, répression sociale, mise en avant des thèses nationalistes…). Dans le second cas, l’extrémisme résiderait dans la mise en œuvre de nouvelles règles de fonc-tionnement et de régulation de l’économie (réformes fiscale et financière, contrôle des mouvements de capitaux, planification éco-logique, renégociation des traités européens, nouveau mécanisme de détermination des prix mondiaux…). En son temps, le New Deal de Franklin Roosevelt n’a-t-il pas reflété une certaine forme d’extrémisme ?

Bezbakh P. (2012), Crises et changements de société. Les grandes ruptures dans l’Histoire,de l’Empire romain à nos jours,L’Harmattan.

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BIBLIOGRAPHIE

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DOSSIER 51JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

politiques a trait à l’égalité des chances  : il faut tenter d’éradiquer les facteurs faisant que les chances de succès au départ ne sont pas équivalentes lorsqu’on vient d’une famille noire ou d’une famille blanche. La philosophie de l’égalité des chances constitue également le soubassement du combat contre toute forme de sexisme. Par contraste, en France, la lutte contre les inégalités repose historiquement sur l’égalité des droits, et plus récemment sur l’égalité des situations. Dans la France de 1789, la société était homogène sur le plan ethnique et l’égalité des droits des citoyens quels que soient leur origine, leur sexe, leur âge, leur reli-gion ou leur condition était reconnue. Depuis 1936 et le Front Populaire, il s’avère que la question de la redistribution sociale des reve-nus ou des conditions de vie surdétermine le débat politique, hors chocs extérieurs (guerre, question coloniale, question européenne).

En bref, à la fois parce que la question ethnique ne se posait pas et que la France a adopté une vision ex post de l’inégalité – peu importe que les personnes aient eu les mêmes chances au départ, l’essentiel est qu’à l’arrivée, les écarts ne soient pas très significatifs  –, le thème des discriminations n’a émergé que tardivement, vers les années 1990, pour ne prendre une certaine envergure qu’avec la création de la Halde (Haute Autorité de lutte

LUTTER CONTRELES DISCRIMINATIONS :COMMENT FAIREAUTREMENT ?Bruno Decreuse et Alain TrannoyBruno Decreuse, université Aix-Marseille.Alain Trannoy, EHESS et université Aix-Marseille.

Nous sommes inégaux du fait de nos per-formances économiques, qu’il s’agisse de notre emploi, de nos revenus, ou

de notre logement. Cette inégalité est inhé-rente au fonctionnement d’une économie de marché, dans un contexte où les individus ont des caractéristiques hétérogènes. Cependant, l’inégalité devient singulière lorsqu’elle porte sur la couleur de la peau, la religion, le genre ou les préférences sexuelles. Les discrimina-tions mettent ainsi en question l’aptitude des sociétés à traiter les égaux de manière sem-blable. Elles renvoient au racisme, au sexisme, et plus généralement à l’intolérance et à son cortège de maux historiques et c’est donc sans surprise que la politique publique vise à en réduire l’ampleur. Mais comment s’y prendre ? L’objet de cet article est de discuter ce volet de la politique publique, notre thèse étant qu’il est fondamental d’identifier les moteurs de la discrimination pour pouvoir élaborer des politiques efficaces.

Le thème des discriminations occupe davan-tage le débat public aux États-Unis qu’en France. La question noire y est pour beaucoup : les États-Unis se sont en effet longtemps vus comme une société biraciale. En outre, le tro-pisme politique n’y porte pas à une franche redistribution des revenus. Ainsi, la seule forme d’égalitarisme soutenue par les deux camps

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contre les discriminations et pour l’égalité) en 2005. L’arrivée de vagues d’immigrés à la suite de la décolonisation a accru la diversité ethnique et religieuse de la population rési-dant sur le territoire français, et les nombreux problèmes liés à leur intégration ont amené les chercheurs et les responsables politiques à se pencher sur la discrimination ethnique. Dans le même temps, les écarts persistants de salaire et la difficulté qu’éprouvent les femmes à per-cer le plafond de verre, alors même qu’elles ont atteint globalement la parité de formation avec les hommes, a fait prendre conscience de possibles comportements de discrimination sexuelle.

Néanmoins, la France demeure réticente à aborder ces sujets, comme en témoignent la suppression de la Halde en 2011, remplacée par un collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité auprès du Défenseur des droits, l’absence de réflexion sur les discriminations lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012, le blocage sur les statistiques ethniques. Étant donné que la société française aborde avec une certaine gêne le thème des discrimi-nations ethnique, religieuse ou raciale, il faut s’interroger sur les façons de lutter contre ces dernières, sachant que la solution de la dis-crimination positive choisie par les États-Unis n’est tout simplement pas envisageable pour des raisons historiques.

Après avoir distingué préjugés et discrimina-tions qui entretiennent des liens étroits mais ne sont pas synonymes, nous verrons qu’on ne lutte pas de la même façon contre tous les types de discriminations. L’analyse se limite aux discriminations économiques qui peuvent s’observer dans le cadre d’une relation contrac-tuelle sur les marchés du travail, du logement ou du crédit, et laisse de côté les discrimina-tions dans l’accès aux études ou aux fonctions publiques. Nombre de spécialistes des sciences sociales ont investi le champ de l’étude des dis-criminations, et leur point de vue est souvent complémentaire de celui des économistes. Nous nous garderons bien de tenir un dis-cours impérialiste, mais s’agissant de décrypter des discriminations économiques, force est de reconnaître que, comme pour tout phénomène de marché, le raisonnement économique peut être d’une grande utilité.

Préjugés et discriminationLa discrimination ne repose pas forcément

sur un préjugé (racial, ethnique, sexuel), mais se réfère à un résultat ou à une action qui traite des égaux d’une manière inégale ou asymé-trique. Un employeur discrimine les noirs si, par exemple, entre un candidat blanc et un candidat noir dont les caractéristiques produc-tives (formation, aptitudes, état d’esprit) sont identiques, le blanc est préféré au noir ou est rémunéré à un salaire supérieur. Le préjugé porte sur une caractéristique non productive liée aux préférences, à un paramètre de goût. L’employeur préfère travailler avec un blanc, plutôt qu’avec un noir, comme il peut préférer une banane à une pomme. Le préjugé peut ainsi être à l’origine d’un comportement de discrimination, mais ce n’est pas systématique (Lang et Lehmann, 2010 et 2012).

Si vous devez parier sur le vainqueur d’un combat de catch simplement à l’énoncé des prénoms des adversaires sans rien connaître de leurs qualités physiques, il est probable que vous miserez sur un prénom masculin plutôt que féminin. Le résultat sera alors dis-criminatoire au détriment des femmes, sans que cela puisse être associé à un préjugé, cet exemple montrant qu’il existe plusieurs types de discriminations.

Trois types de discriminationDans l’exemple ci-dessus, les parieurs ont

pratiqué une discrimination statistique. Ils se sont basés, à partir d’une ou de plusieurs caractéristiques observables, sur une analyse de scoring, élémentaire  : les femmes réa-lisent des performances physiques inférieures à celles des hommes. Mais celle-ci peut être aussi plus sophistiquée notamment dans le cas de banques devant attribuer un crédit. Les décisions d’octroi d’un crédit ou d’un bail ou encore d’embauche sont risquées (risques de défaut dans les deux premiers cas, de mau-vais appariement dans le troisième). Or, les employeurs, bailleurs et banquiers doivent effectuer leur choix en ignorant certains facteurs de risque concernant la personne recrutée, le locataire ou l’emprunteur, dans la mesure où ils sont liés à des caractéristiques individuelles inobservables que le postulant ne cherche pas

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forcément à dissimuler, mais qui ne sont pas aisément transmissibles. Si l’on n’a pas l’inten-tion de rembourser son prêt, on ne va pas aller le révéler au banquier. Mais si, au contraire, on est bien déterminé à le faire, comment obte-nir la confiance du banquier, surtout s’il s’agit d’un premier prêt  ? Le banquier étudie donc comment sont distribuées statistiquement les caractéristiques inobservables (le risque de défaut dans le cas d’un prêt) en fonction des caractéristiques observables. Si l’espérance de défaut est plus forte pour des populations pré-sentant certaines caractéristiques observables, il est alors rationnel pour le banquier de refuser l’octroi de prêt à ces populations plus souvent qu’aux autres. La discrimination statistique est donc le résultat d’un calcul purement rationnel. Elle est pourtant soupçonnée de jouer un rôle majeur dans la discrimination salariale dont souffrent les femmes dans le secteur privé  : alors qu’elles sont aussi productives que les hommes par heure de travail, du fait de leurs congés de maternité, de leur absentéisme pour cause d’enfant malade et de leur impos-sibilité de rester tard le soir au travail, leur productivité globale moyenne sur l’ensemble d’une année de travail est en espérance plus faible pendant les périodes durant lesquelles elles sont susceptibles d’élever leurs enfants.

Un deuxième type de discrimination a pour cause le préjugé des clients et partage avec la discrimination statistique le fait d’être le résultat d’un raisonnement économique ration-nel. Si une partie de la clientèle éprouve de l’aversion à être en contact avec des personnes d’une ethnie donnée, il est rationnel de la part de l’employeur d’éviter que se produise une telle situation. Ainsi, les candidats à un poste en relation avec la clientèle risquent de souffrir de discrimination à l’embauche ou de se voir offrir un salaire inférieur aux autres, puisque la rentabilité de leur travail, aux yeux de l’employeur, sera plus faible. Ce type de discri-mination peut également exister sur le marché du logement, quand il existe des préjugés sur les types de voisins. Un bailleur qui possède tout ou partie d’un immeuble collectif, peut prêter une oreille attentive et complaisante aux préventions d’une partie de sa clientèle potentielle de locataires, même si lui-même ne les partage pas. Un tel comportement, là aussi rationnel, peut prendre la forme de

discriminations sur le marché locatif privé du logement, ce scénario étant peu vraisemblable dans le cas du marché du crédit.

Reste la discrimination pure, induite par le préjugé de l’employeur, du bailleur, du ban-quier. C’est là qu’intervient le raisonnement de Gary Becker (1957), le pionner en ce qui concerne l’analyse économique de la discrimi-nation. Il montre qu’à court terme, c’est-à-dire en l’absence d’entrée de nouvelles firmes, la différence de salaire entre blancs et noirs est exactement égale au préjugé de l’employeur marginal. Si l’on part de l’hypothèse que les employés noirs et blancs sont aussi productifs, l’employeur qui discrimine «  se tire une balle dans le pied »  : son profit est plus faible que celui des entreprises qui ne discriminent pas et le développement de son affaire va s’en trouver pénalisé. G. Becker ajoute que, dans le long terme, ces entreprises discriminantes vont disparaître du marché, car moins rentables. Après la fameuse remarque de Kenneth Arrow selon laquelle il était bizarre de tenter d’expli-quer un phénomène censé disparaître à long terme, l’effort des économistes a consisté à enrichir la représentation du marché en intro-duisant des frictions. Il en ressort (Charles et Guryan, 2008 et 2009) que la prédiction de long terme n’est plus forcément valable si la possibilité existe de ne recruter que des blancs ou que des noirs. Néanmoins, contrairement aux deux autres formes de discrimination où l’intérêt économique est un moteur, celle-ci est anti-économique car le choix de ne pas recru-ter, louer ou prêter se fait au détriment de celui qui pratique la discrimination.

Aussi ne peut-on pas lutter efficacement de la même façon contre ces trois formes de discriminations, étant donné que les forces du marché jouent un rôle de moteur dans les deux premières, mais de frein dans la troisième.

Comment lutter contre… La discrimination pure

Pour combattre la discrimination pure, il faut activer la concurrence en levant les barrières à l’entrée des marchés, voire en favorisant le libre-échange. Dès lors, la mondialisation devrait aller de pair avec un recul de la discri-mination. Une récente analyse de Sarra Ben

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Yahmed (2012) incite pourtant à rester pru-dent : si cette hypothèse se vérifie dans le cas des secteurs défensifs où les firmes nationales doivent faire face à une concurrence étrangère, le développement des échanges pourrait au contraire favoriser les forces discriminatoires dans les secteurs où les entreprises nationales sont en position de force sur le marché mon-dial. L’exemple de l’Uruguay qui a connu une ouverture soudaine de son marché intérieur avec la création du Mercosur en 1991 semble confirmer cette thèse. S’agissant de la France, il n’y a pas lieu de s’inquiéter dans la mesure où, depuis la dernière décennie, tous les sec-teurs, à l’exception de l’aéronautique et du luxe, se trouvent dans une position défensive.

La discrimination émanant de la clientèle

Pour lutter contre ce type de discrimina-tion, il faut chercher à édulcorer les préjugés des clients. À cet égard, les travaux des psy-chologues et des sociologues (par exemple, The Robbers Cave Experiment) montrent que les comportements privilégiant l’entre-soi et développant une animosité vis-à-vis des autres peuvent naître au sein de groupes dont la com-position est entièrement le fait du hasard. Il est donc fondamental de veiller à ce que toutes les écoles soient mixtes sur les plans ethnique et religieux, un objectif, bien évidemment plus facile à énoncer qu’à traduire dans les faits. Tout d’abord, cette règle doit s’appliquer aux écoles publiques comme aux écoles privées qui ne doivent pas être utilisées comme pos-sibilité d’évitement au vivre-ensemble. Une seconde difficulté, plus sérieuse dans un pays qui réinstaure le système des districts scolaires, est de pouvoir s’assurer qu’en amont la mixité ethnique et l’absence de ségrégation spatiale en matière de logement sont effectives. On réalise alors que la principale variable à la dis-position des pouvoirs publics est l’allocation des logements sociaux, d’où l’importance de la réussite de la politique initiée par la Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).

Le recrutement d’élèves provenant de quar-tiers défavorisés inauguré par Sciences-Po est une initiative intéressante dans la mesure où elle semble partir du constat d’échec de notre politique de mixité spatiale. Par ailleurs, elle

ne paraît pas présenter les défauts reprochés à la politique de discrimination positive aux États-Unis. En effet, il ne s’agit pas d’établir dans le concours général d’entrée des quo-tas en faveur de telle ou telle minorité, dont les membres seraient alors enclins à réduire leurs efforts. D’ailleurs, les élèves des quartiers défavorisés ne se seraient de toute façon pas inscrits au concours général, parce qu’ils en ignoraient l’existence ou parce que leur capital social trop faible les aurait dissuadés de toute idée de participer à ce type de compétition. En conséquence, il n’y a aucun effet désinci-tatif, mais bien au contraire, en instituant un concours spécifique, on leur donne une chance qu’ils n’ont jamais eue et on les motive pour fournir un effort supplémentaire.

Les préjugés, enfin, peuvent être incons-cients. La représentation sociale dans les dif-férentes couches de la société se nourrit des images des communautés politiques et média-tiques, si bien que l’introduction dans ces der-nières de quotas explicites ou implicites peut par sa vertu d’exemplarité influencer et modi-fier l’inconscient collectif. Certes, les aspects négatifs des quotas demeurent, notamment en termes d’efficacité : on ne recrute pas le meil-leur pour le poste donné. Mais comme cette mesure ne concerne que des secteurs limités de l’économie, la perte en efficacité est modé-rée alors que le gain résultant de l’élimination des préjugés concerne toute la population. L’article 56 de la loi Sauvadet du 12 mars 2012, qui institue un quota de 40 % de femmes dans les emplois de la haute fonction publique, ainsi que des pénalités pour les ministères qui ne le respectent pas, s’inspire manifestement de ce principe.

La discrimination statistiqueElle repose sur deux piliers  : l’existence

d’un risque imparfaitement observable et le coût élevé en cas de réalisation du risque pour celui qui propose le contrat, qu’il soit employeur, bailleur ou banquier. Pour réduire l’ampleur de ce type de discrimination, il faut donc affaiblir ces deux facteurs. En premier lieu, l’incapacité à mesurer avec finesse les caractéristiques du candidat à l’embauche, au prêt, ou à la location varie selon les secteurs et la fréquence des relations contractuelles. Mais elle relève également d’une méconnaissance

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d’autrui, elle-même reflet de la ségrégation des groupes sociaux. On retrouve donc là l’idée que la mixité ethnique, sexuelle, religieuse doit être imposée dès le plus jeune âge. En second lieu, il faut diminuer le coût du risque qui augmente avec la durée du contrat et les coûts de litige. Lorsqu’on fait porter le risque de défaut du locataire sur le bailleur durant la trêve hivernale, il ne faut pas s’étonner ensuite que se manifestent des phénomènes de discri-mination sur le marché locatif privé. De même, le contrat à durée indéterminée (CDI) ne per-mettant pas de licencier, il sera écarté au profit d’un contrat à durée déterminée (CDD). Pour diminuer un mal, la discrimination statistique, il faudrait ainsi accepter ce qui peut apparaître à juste titre comme un autre mal, la précarisa-tion sur les marchés du travail, du logement et du crédit ou, au moins, la nécessité pour chaque contractant de mettre rapidement fin au contrat s’il constate ou fait constater que l’autre ne remplit pas ses obligations. Lecontrat devient ainsi plus risqué pour l’em-ployé, le locataire et l’emprunteur, ce qui est

mal vécu puisqu’en général nous éprouvons de l’aversion au risque.

* * *

En conclusion, lorsqu’on analyse globa-lement le fonctionnement d’un marché, ilimporte donc d’identifier précisément le type de discrimination présent, car les solutions à mettre en œuvre ne sont pas les mêmes. C’est ce que nous nous sommes efforcés de démontrer dans deux articles auxquels nous avons contribué. Dans le premier (Combes et al., 2012), nous proposons une méthodologie pour tester l’existence de discriminations eth-niques en raison des préjugés des voisins et nous ne parvenons pas à rejeter l’hypothèse de leur présence sur le marché du logement locatif en France. Dans le second (Combes et al., 2012), nous nous intéressons au marché du travail et notre procédure de test ne nous fait pas rejeter non plus la présence d’une double discrimination (pure et selon les goûts de la clientèle) au détriment des personnes d’origine maghrébine ou africaine.

Becker G. S. (1957), The Economics of Discrimination,Chicago, University of Chicago Press, 1971 (2e édition).

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BIBLIOGRAPHIE

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However, this recipe is not working too well in the United Kingdom (UK) where it imple-mented, whereas in Scandinavian countries, where governments remain big, innovation and productivity growth rates remain high.

In this paper we argue that it is not so much the size of the State which is at stake, but rather its governance. In other words, it is not so much a reduced state that we need to foster economic growth in our countries, but a strate-gic state. This idea of a strategic state that tar-gets its investments to maximize growth in the face of hard budget constraints, departs both, from the Keynesian view of a state sustaining growth through demand-driven policies, and from the neo-liberal view of a minimal state confined to its regalian functions.

We spell out our view of the “smart state” and apply it to European growth policy.

The Schumpeterian growth paradigm

A useful framework to think about the role ofthe state in the growth process, is the so-calledSchumpeterian paradigm (see Aghion and Howitt, 1992, 1998) which grew out of modernindustrial organization theory and put firms andentrepreneurs at the heart of the growth pro-cess. The paradigm relies on two main ideas.

GROWTH ANDTHE SMART STATEPhilippe AghionPhilippe Aghion, université Harvard (Cambridge, Massachusetts).

Introduction

The importance of investing in research and development (R&D) and knowledge for innovation and growth is now com-

monly acknowledged. So is the role for struc-tural reforms aimed at making product and labor markets more flexible. More controversial however is the role that the state should play in the growth process. The debate on the role of the state has been revived by the financial cri-sis to the extent that this crisis has turned into a public debt crisis, thereby forcing governments to make difficult choices between the need to quickly reduce public debt and deficits on the one hand, and the need to support growth on the other hand.

One response to the public debt crisis is the neo-conservative approach of a minimal state : namely, to reduce public deficits while stimulating growth and employment, govern-ments should focus attention on the so-called “regalian” functions of the state, namely to maintain law and order. Public spending and taxes should be minimized, so that private firms would face low interest rates and low tax rates which in turn would encourage them to hire and expand, thereby generating prosperity on the whole economy.

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First idea : long-run growth relies on innova-tions. These can be process innovations, name-ly to increase the productivity of production factors (e.g labor or capital) ; or product innova-tions (introducing new products) ; or organiza-tional innovations (to make the combination of production factors more efficient). These inno-vations result from investments like R&D, firms’ investments in skills, search for new markets, …that are motivated by the prospect of monopo-ly rents for successful innovators. An important consideration for thinking about the role for public intervention in the growth process, is that innovations generate positive knowledge spillovers (on future research and innovation activity) which private firms do not fully inter-nalize. Thus private firms under laissez-fairetend to underinvest in R&D, training,  … This propensity to underinvest is reinforced by the existence of credit market imperfections which become particularly tight in recessions. Hence an important role for the state as a co-investor in the knowledge economy.

Second idea : creative destruction. Namely, new innovations tend to make old innovations, old technologies, old skills, become obsolete. Thus growth involves a conflict between the old and the new : the innovators of yesterday resist new innovations that render their activities ob-solete. This also explains why innovation-led growth in OECD countries is associated with a higher rate of firm and labor turnover. And it suggests a second role for the state, namely as an insurer against the turnover risk and to help workers move from one job to another. More fundamentally, governments need to strike the right balance between preserving innovation rents and at the same time not deterring future entry and innovation.

This approach offers a natural framework for thinking about growth policy. For example, new patent laws (like the Bayh-Dole Act in the United States), the introduction of a single market for goods and services in Europe (which affects the degree of product market competition), trade liberalization (which also affects competition), macroeconomic policy (which affects interest rates and firms’ access to credit over the busi-ness cycle), education policy (which affects the cost of R&D and training), all these policies have a potential effect on innovation incentives and therefore on long-run growth.

A remark on growth policy and a country’s stage of development

Note that innovations may be either “frontier innovations” which push the frontier technol-ogy forward in a particular sector, or “imita-tions” which allows the firm or sector to catch up with the existing technological frontier. The more technologically advanced a country is, the higher the fraction of sectors that are al-ready close to the existing technology frontier, and therefore require frontier innovation to develop further. On the other hand, growth in less advanced countries where most sectors lie farther behind the current frontier, will rely more on imitation.

This dichotomy first explains why countries like China grow faster than all OECD coun-tries : growth in China is driven by technologi-cal imitation, and when one starts far below the frontier, catching up with the frontier means a big leap forward. Second, it explains why growth policy design should not be exactly the same in developed and in less developed economies. In particular, an imitative economy does not require labor and product market flexibility as much as a country where growth relies more on frontier innovation. Also, bank finance is well adapted to the needs of imita-tive firms, whereas equity financing (venture capital, etc.) are better suited to the needs of an innovative firm at the frontier. Similarly, good primary, secondary, and undergraduate educa-tion is well suited to the needs of a catching-up economy whereas graduate schools focusing on research education are more indispensa-ble in a country where growth relies more on frontier innovations. This in turn suggests that beyond universal growth-enhancing policies such as good property right protection (and more generally the avoidance of expropriating institutions) and stabilizing macroeconomicpolicy (to reduce interest rates and inflation), the design of growth policy should be tailored to the stage of development of each individual country or region.[1]

1 This in turn offers responses to Easterly (2005)’s view that policy does not matter for growth once controlling for institutions, to the Washington Consensus view, and to Hausmann, Rodrik and Velasco (2002)’s Growth Diagnostic approach whereby observed prices can

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Growth-enhancing (supply side) policy in developed economies

The above discussion suggests supply side policies aimed at increasing growth potential in developed economies where growth isprimarily driven by frontier innovation. A first lever of growth in developed economies is that of investing in the knowledge economy : in particular in higher education and research : innovation-driven growth requires the devel-opment of performing universities, particularly at the graduate school level (university per-formance is in turn measured both in terms of the volume and quality of publications, and in terms of students’ subsequent labor market success) ; it also requires firms to invest more in R&D. A second lever is that of increasing product market competition and labor market flexibility : the idea is that innovation-based growth goes along with a higher degree of firm and job turnover. This in turn results directly from creative destruction as discussed above. Product market competition ensures that entry by new innovators will not be deterred by in-cumbent firms. Whereas labor market flexibility reduces the hiring and firing costs faced on the labor market by new entrants, and it also helps existing firms to start new activities while clos-ing some old activities.

Some among these policies, for example the enhancement of higher education or the provision of subsidies and other inducements to R&D investment by private firms, appear to require public support on a long term basis :

help identify the binding constraint on growth. To Easterly, an answer is that he looked at the effect of policies independently from the countries’ stage of development. However, the positive effects of a particular policy in some countries (e.g in more advanced countries) may well be counteracted by its negative effects in other countries. Instead, our approach calls for growth regression exercises where policy is interacted with other variables such as the degree of technological or institutional development in the country. To the advocates of the Washington Consensus, our answer is that while macroeconomic stability and property right protections appear to be universally growth-enhancing factors, once we try to go further and assess the growth impact of competition policy, of various ways of designing education systems, of the choice of exchange rate systems, of the design of labor or credit markets, knowing a country’s level of technological or institutional development appears to be key. To Hausmann et al., our answer is that growth regressions (particularly when also performed at more disaggregated levels, like industry or firm levels, or at regional level) appear to do a better job than observed prices at encompassing possible intertemporal knowledge externalities involved in the various types of investments.

the excellence initiatives for universities in Germany or France, the small business acts in the US and other OECD countries, secto-ral policies aimed at fostering innovation in selected sectors. Other policies, such as the liberalization of product and labor markets, seem to require more targeted and transitional support from governments (e.g the setting up of flexsecurity systems or partial employment schemes, the transition to new labor or product market rules, etc.)

Investing in growth while reducing public deficits : the strategic state

A main issue facing countries in the euro area, particularly in its Southern part, is how to reconcile the need to invest in the above long run growth levers with that of reducing public debt and deficits. To address the challenge of reconciling growth with greater budgetary dis-cipline, governments and states must become strategic. This first means to adopt a new ap-proach to public spending : in particular, they must depart from the Keynesian policies aimed at fostering growth though indiscriminate pub-lic spending, and instead become selective as to where public funds should be invested. They must look for all possible areas where public spending can be reduced without damaging effects on growth and social cohesion : a good example are the potential savings on adminis-trative costs : technical progress in information and communication makes it possible to de-centralize and thereby reduce the number of government layers, for similar reasons as those that allowed large firms to reduce the number of hierarchical layers over the past decades. Decentralization makes it also easier to oper-ate a high quality health system at lower cost, as shown by the Swedish example.

Second, governments must focus public in-vestments on a limited number of growth-enhancing areas and sectors : education,universities, innovative SMEs, labor market policies and support to labor and product market flexibility ; industrial sectors with high growth potential and externalities.

Third, governments must link public financ-ing to changes in the governance of sectors

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they invest in : how can one make sure that government funds will be appropriately used ? For example, public investments in educa-tion must be conditional upon schools tak-ing concrete steps to improve pedagogical methods and to provide individual support to students. Similarly, the necessary increases in higher education investments must be condi-tional upon universities going for excellence and adopting the required governance rules. For example Aghion et. al. (2010) show that investments in higher education are more ef-fective the more autonomous universities are and the more competitive the overall university system is (in particular, the more funding relies on competitive grants).

Another area where governance matters is that of sectoral investments (“industrial poli-cy”). must preserve if not improve competition within the targeted sectors, not reduce it (see Aghion et al., 2012). We come back to this industrial policy issue in more details below.

Industrial policySince the early 1980s industrial policy has

come under disrepute among academics and policy advisers, in particular for preventing competition and for allowing governments to pick winners and losers in a discretionary fash-ion and consequently for increasing the scope for capture of governments by local vested interests.

However, three new considerations havegained importance over the recent period, which invite to rethink the issue. First, cli-mate change and the increasing awareness of the fact that without government intervention aimed at encouraging clean production and clean innovation, global warming will intensify and generate all kind of negative externalities (droughts, deforestations, migrations, conflicts) worldwide. Second, the recent financial crisis, which revealed the extent to which laissez-fairepolicies has led several countries, in particular in Southern Europe, to allow the uncontrolled development of non-tradable sectors (in par-ticular real estate) at the expense of tradable sectors that are more conducive to long term convergence and innovation. Third, China,which has become so prominent on the world

economic stage in large part thanks to its con-stant pursuit of industrial policy.

A main theoretical argument supportinggrowth-enhancing sectoral policies, is the ex-istence of knowledge spillovers. For example, firms that choose to innovate in dirty tech-nologies do not internalize the fact that cur-rent advances in such technologies tend to make future innovations in dirty technologies also more profitable. More generally, when choosing where to produce and innovate, firms do not internalize the positive or nega-tive externalities this might have on other firms and sectors. A reinforcing factor is the exist-ence of credit constraints which may further limit or slow down the reallocation of firms towards new (more growth-enhancing) sec-tors. Now, one can argue that the existence of market failures on its own is not sufficient to justify sectoral intervention. On the other hand, there are activities – typically high-tech sectors – which generate knowledge spillovers on the rest of the economy, and where assets are highly intangible which in turn makes it more difficult for firms to borrow from private capital markets to finance their growth. Then there might indeed be a case for subsidizing entry and innovation in the corresponding sec-tors, and to do so in a way that guarantees fair competition within the sector. Note that the sectors that always come to mind are always the same four or five sectors, namely energy, biotech, ICT, transportation, etc.

On the empirical front, to our knowledge the most convincing study in support for prop-erly designed industrial policy, is by Nunn and Trefler (2009). These authors use micro data on a set of countries, to analyze whether, as suggested by the argument of “infant indus-try”, the growth of productivity in a country is positively affected by the measure in which tariff protection is biased in favor of activities and sectors that are “skill-intensive”, that is to say, use more intensely skilled workers. They find a significant positive correlation between productivity growth and the “skill bias” due to tariff protection. Of course, such a correlation does not necessarily mean there is causal-ity between skill-bias due to protection and productivity growth : the two variables may themselves be the result of a third factor, such

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as the quality of institutions in countries con-sidered. However, Nunn and Trefler show that at least 25 % of the correlation corresponds to a causal effect. Overall, their analysis suggests that adequately designed (here, skill-intensive) targeting may actually enhance growth, not only in the sector which is being subsidized, but also the country as a whole. In Section 2 below we will stress the importance of sectoral policies that are not only adequately targeted but also properly governed.[2]

Thus, using Chinese firm-level panel data,Aghion, Dewatripont, Du, Harrison andLegros (2012), ADDHL, show that sectoralsubsidies tend to enhance TFP, TFP growthand new product creation, more if they areboth, implemented in sectors that are alreadymore competitive and also distributed in eachsector over a more dispersed set of firms. Inparticular sectoral investments should targetsectors, not particular firms (or “nationalchampions”).

TaxationTargeting investments may not be enough to

square the circle of reconciling growth invest-ments with budgetary discipline and additional funding may have to be found. Some countries can use the fiscal capacity they already have to raise additional taxes to finance growth invest-ments. Other countries may have to try and increase their fiscal capacity (although in this case the effects on growth will be more long-term). There is a whole theoretical literature on how capital and labor income should be optimally taxed. However, somewhat surpris-ingly, very little has been done on taxation and growth, and almost nothing in the context of an economy where growth is driven by in-novation.[3] Absent growth considerations, the

2 An adequately targeted policy is, in principle, one which targets a particular market failure (such as knowledge externalities, financial market imperfections,  …). A particularly interesting case arises in markets which suffer from imperfect competition : by subsidizing its domestic industries, a government may give a strategic advantage to domestic firms, and allow them to gain market shares over foreign competitors. This approach, suggested by Brander and Spencer (1985), suffers from serious limitations, but could in principle be used to target “key” industries by looking at their structure. See Brander and Spencer (1985) for a seminal contribution, and Brander (1995) for further insights.3 See Aghion, Akcigit and Fernandez-Villaverde (2012) for a first attempt.

traditional argument against taxing capital is that this discourages savings and capital ac-cumulation, and amounts to taxing individu-als twice : once when they receive their labor income, and a second time when they collect revenues from saving their net labor income. Introducing endogenous growth may either reinforce this result (when the flow of innova-tion is mainly driven by the capital stock) or dampen it (when innovation is mainly driven by market size which itself revolves around em-ployees’ net labor income). Excessive redistri-bution may deter innovation and thus growth, however some redistribution can help enhance competition by preventing the emergence of an income-based fractionalization of society with exclusion of individuals at the bottom and the top of the wealth-income distribution. This in turn relates to the notion of “inclusive growth”.

Demand versus supply sideWhile governments should focus primar-

ily on the supply side when deciding how to target their investments in the growth process, they should not completely disregard thedemand side : indeed firms’ innovation incen-tives depend upon the size of the market they serve. And the large fraction of the market is European, even for Germany where more than half of its exports are to other EU countries. Thus, if all EU countries were to embark in austerity policies, the resulting effect on ag-gregate demand within the EU might end up deterring innovative activities by firms across member states. Hence the role of automatic stabilizers aimed at sustaining consumption demand across EU countries over the business cycle. The implementation of such stabilizers is in turn is facilitated by EU countries pursu-ing countercyclical fiscal policies. The ability to pursue such policies is itself facilitated if the country manages to reduce its public debt. Hence also the importance of subsidizing cred-it access for households wishing to purchase innovative manufactured products : recentwork by Mian (2012) shows that the tightening of US credit markets affected economic activity mainly through reducing households’ access to credit, which in turn impacted negatively on firms’ market size.

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Macroeconomic policyRecent studies (see Aghion, Hemous, and

Kharroubi, 2009 ; Aghion, Farhi and Kharroubi, 2012) performed at cross-country/cross-indus-try level, show that more countercyclical fiscal and monetary policies enhance growth. Fiscal policy countercyclicality refers to countries in-creasing their public deficits and debt in reces-sions but reducing them in upturns. Monetary policy countercyclicality refers to central banks letting real short term interest rates go down in recessions while having them increase again during upturns. Such policies can help credit-constrained or liquidity-constrained firms to pursue innovative investments (R&D, skills and training, etc.) over the cycle in spite of credit tightening during recessions, and it also helps maintain aggregate consumption and there-fore firms’ market size over the cycle as argued in the previous section (see Aghion and Howitt, 2009, ch. 13). Both contribute to encouraging firms to invest more in R&D and innovation. Once again, this view of the role and design of macroeconomic policy departs both, from the Keynesian approach of advocating un-targeted public spending to foster demand in recessions, and from the neo-liberal policy of just minimizing tax and public spending in recessions.

ClimateA laissez-faire economy may tend to innovate

in “the wrong direction”. Thus Aghion et al.(2010) explore a cross-country panel data set of patents in the automotive industry. They distinguish between “dirty innovations” which affect combustion engines, and clean inno-vations such as those on electric cars. Then they show that the larger the stock of past “dirty” innovations by a given entrepreneur, the “dirtier” current innovations by the same entrepreneur. This, together with the fact that innovations have been mostly dirty so far, implies that in the absence of government intervention our economies would generate too many dirty innovations. Hence a role for government intervention to “redirect technical change” towards clean innovations.

Delaying such directed intervention notonly leads to further deterioration of the

environment. In addition, the dirty innovation machine continues to strengthen its lead, mak-ing the dirty technologies more productive and widening the productivity gap between dirty and clean technologies even further. This widened gap in turn requires a longer period for clean technologies to catch up and replace the dirty ones. As this catching-up period is characterized by slower growth, the cost of delaying intervention, in terms of foregone growth, will be higher. In other words, delaying action is costly.

Not surprisingly, the shorter the delay and the higher the discount rate (i.e. the lower the value put on the future), the lower the cost will be. This is because the gains from delay-ing intervention are realized at the start in the form of higher consumption, while the loss oc-curs in the future through more environmental degradation and lower future consumption. Moreover, because there are basically two problems to deal with, namely the environ-mental one and the innovation one, using two instruments proves to be better than using one. The optimal policy involves using (a) a carbon price to deal with the environmental externality and, at the same time, (b) direct subsidies to clean R&D (or a profit tax on dirty technologies) to deal with the knowledgeexternality.

Of course, one could always argue that a carbon price on its own could deal with both the environmental and the knowledge exter-nalities at the same time (discouraging the use of dirty technologies also discourages innova-tion in dirty technologies). However, relying on the carbon price alone leads to excessive reduction in consumption in the short run. And because the two-instrument policy reduces the short-run cost in terms of foregone short-run consumption, it reinforces the case for immedi-ate implementation, even for values of the dis-count rate under which standard models would suggest delaying implementation.

State and the Social ContractOne of the main role of the State is the one

of guarantor of the social contract, i.e. of an economical and social pact on which all the citizens – and their government – agree. This pact has to allow the State to control public

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deficit in a post-crisis context while maintain-ing social peace, avoiding strikes and social protests. Indeed, the current economic context can be characterized by a weakening of public finances, a tightening of credit constraints, and a need to correct global imbalances. While government debts increase a lot during and after the crisis, it appears now necessary to reduce public deficits while investing in growth at the same time.

But such a reduction effort won’t be easy, and for it to be accepted by everybody, it will have to be fairly shared in order to maintain a peaceful social climate. This supposes that the State chooses (a) first to invest in trust ; (b) second, to promote redistributive policies while reducing deficits ; and (c) third, too fight against corruption.

To understand why it seems so necessary that the State invests in trust, one could re-member the following statement made by the Nobel Prize Kenneth Arrow in 1972 : « Virtually every commercial transaction has within itself an element of trust, certainly any transaction conducted over a period of time. It can be plausibly argued that much of the economic backwardness in the world can be explained by the lack of mutual confidence ».

This has given rise to a recent literature that studies the links between trust and various economic outcomes : financial development (Guiso et al., 2004), entrepreneurship (Guiso et al., 2006), economic exchanges (Guiso et al., 2009). Trust appears positively correlated with all these outcomes. Moreover, trust is also closely linked to institutions, as shown by Bloom et al. (2007), Algan and Cahuc (2009), Tabellini (2010), Aghion et al. (2010a, 2010b). We want to underline here the fact that trust is particularly important for economic growth and innovation.

Closely linked to the trust question, we want to underline that the social contract has to rely on redistribution. Reducing public deficits involves increasing taxes and reducing public spending in various sectors as we discussed above. However, if we want it to be accepted (and not to give rise to violent social move-ments of protestation), the effort will have to be shared equally. This in turn calls for increasing taxes in a fair (i.e. progressive) way. And also

not to cut too much in social expenditures tar-geted towards the poorest. Moreover, citizens will be more willing to accept tax increases if they know that the fiscal resources will be used in an efficient way by the government (hence the importance of democracy).

Consider the relevant example of Sweden. This country, in the 1990s, in only four years, has been able to reduce its public deficit from 16 % to less than 3 % of its GDP. And did so without reducing the level of public services provided to the Swedish population as to edu-cation and health (indeed, these services are still higher today in Sweden than in a lot of other European countries). If it has been the case, it is mainly because of its efficient and progressive tax system.

Democracy

Our view of the state as a strategic growthinvestor, with priority sectors and a concernabout governance of those sectors, calls fora reexamination of how states organize theirown governance. In particular, once subsidiesbecome targeted to particular sectors or ac-tivities, checks and balances on governmentsbecome even more indispensable : first, tomake sure that the selection of sectors oractivities is not driven by interest groups ac-tivism and lobbying ; second, to make surethan sectoral state investments that turn outto be unsuccessful will not be pursued ; third,to guarantee that state intervention does notdeter competition and entry of new firms.Hence the importance of having media pro-ducers and the judiciary system remain trulyindependent from the government. Equallyimportant it is to have good and well-fundedinstitutions to evaluate the effects of govern-ment policies and legislations. In this respect,a country like France still lies too far behind itscounterparts in Northern Europe (see Aghionand Roulet, 2011).

Free media minimize the scope for corrup-tion as shown by recent studies. This in turn reduces entry barriers for new businesses, and increases trust in society, both of which enhance innovation and growth in modern societies.

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Implications for the design of a European Growth package

The above discussion suggests at least three complementary directions for a new growth package for EU and in particular Eurozone countries : (a) structural reforms starting with the liberalization of product and labor mar-kets : here we will argue that an important role can be played by structural funds provided the targeting and governance of these funds is suitably modified ; (b) industrial investments along the lines suggested by our above discus-sion on the role and design of industrial poli-cy : here, a recapitalized European Investment Bank together with the project bonds sug-gested by the European Commission should play a leading role ; (c) a more countercyclical macroeconomic policy within the Eurozone, in particular by always relying on structural (i.e corrected for cyclical variations) measures of public debts and deficits.

Structural reforms and the role of structural funds

There is a broad consensus among European leaders regarding the importance of structural reforms, in particular product and labor market liberalization and higher education reform, to foster long run growth Europe. In this section we first assess the potential increase in growth potential from having all eurozone countries converge fully or partly to the best stand-ards with regard to product or labor market liberalization, and also with regard to higher education. In the second part of the section we discuss the role that structural funds might play in encouraging such reforms.

Assessing the growth effects of structural reforms

As in Aghion et al. (2009) one can look at the effect of structural policies using cross-country panel regressions across 21 European countries. Our structural indicators are the following : For higher education system : the share of the 25-64 years old population having completed tertiary education (SUP) ; for prod-uct market : an OECD index assessing product market regulation (PMR) ; for labor market : an OECD index assessing the strictness of em-ployment protection (LPE). In fact we focus on

the interaction between these two rigidities, namely the variable PMR*LPE, in the analysis of labor and product market reforms.

We can look at the short- and long-run growth effects of converging towards the per-formance levels of “target countries”. The tar-get groups include those countries which are found to be the “best performers” in terms of education, product and labor market regula-tions. In order to determine these groups, we rank countries according to the variables SUP and PMR*LPE and we come up with two target groups : Non-European target group : USA and Canada ; European target group : UK, Ireland and Denmark.[4] The advantage of these two target groups is that they allow comparisons between countries within the European Union as well as with non European counterparties. Interestingly, we found the same target groups both for the higher education and the labor and product market regulation. Then we can assess the average effect of converging towards best practice for the eurozone (EMU) as a whole. Our results are that converging towards the best practice in terms of product and labor market liberalization generates a growth gain of between 0.3 and 0.4 already in the short run. Converging towards the best practice in terms of higher education enrollment generates a growth gain which is initially smaller (if we take the UK, Ireland and Denmark as the refer-ence countries), but grows up to 0.6 by 2050. Altogether, a full percentage point in growth can be gained through structural convergence towards those three countries.

Rethinking the Role and Design of Structural Funds

Here we argue that structural funds can be partly reoriented towards facilitating the implementation of structural reforms. So far, these funds have been used mainly to finance medium-term investment projects and to fos-tering socio-economic cohesion within the EU. Moreover, these funds are allocated ex antebased on recipient countries’ GDP relative to the EU average, population and surface.

4 The advantage of these two target groups is that they allow comparisons between countries within the European Union as well as with non European counterparties. Interestingly, we found the same target groups both for the higher education and the labor and product market regulation.

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We argue in favour of an alternative approachboth to the goals, targeting and governanceof Structural Funds. On the goals of StructuralFunds : These funds should become transfor-mative, in other words they should help achievestructural reforms in the sectors they are tar-geted to. In our above discussion, we identi-fied some main areas (areas or sectors ?) wherestructural reforms are needed : labor markets,product markets and education. Structural fundsshould aim at facilitating changes in the func-tioning of these sectors in the various countries.The allocation of funds should generally bemade on an individual basis : in other words,they should mainly target schools, employ-ment agencies, individual workers, not so muchcountries. The funds would help finance transi-tion costs. The allocation of funds should be towell-specified deliverables (provision of bettertutorship in education, improvements in the or-ganization of employment agencies, transitionto portable pensions rights across two or morecountries, setting up of diploma equivalence forservice jobs, …) and should be also conditionalupon the country or region not having put inplace a general policy that contradicts the pur-pose of the fund allocation.

Now regarding the governance of Structural Funds, the allocation of funds should be made by European agencies on the model of the European Research Council : bottom up ap-proach with peer evaluation ex ante andex post.

A new European Investment PolicyGrowth also requires more European in-

vestments in growth-enhancing activities. In Aghion-Boulanger-Cohen (2011) we survey re-cent studies suggesting that sectoral aid are more likely to be growth-enhancing if : (a) they target sectors with higher growth potential, one measure of it being the extent to which various industries are skill-biased ; (b) they target more competitive sector and enhance competition within the sector.

Here, we first compare between varioussectors/activities in terms of their degree of skill-biasness and also according to the relative importance of SMEs in these sectors (a larger fraction of SMEs can in turn be interpreted as reflecting the scope for increasing competition

in the sector). A main finding is that the energy sector is particularly skill-biased. Then, we look at the European Investment Bank’s investment portfolio, and conclude that growth-maximi-zation considerations should lead the EIB to invest more in the energy sector compared to the less skill-intensive construction/infrastruc-ture sectors. Finally we look in more details at the energy sector.

The argument for which one should leave themarkets operate seems nowadays less convinc-ing than it might have been in the 1980s andthis for a number of reasons. First, the Europeansingle market has been associated with a re-allocation of production from the tradable tothe non-tradable sector, depressing growth prospects. Whilst this may not be related to lais-sez faire as such but to the fact that the SingleMarket is in fact incomplete and other impor-tant rigidities remain on both product andlabour markets, it is still necessary to supportadjustment in the transition and until the singlemarket will be truly complete. Second, climatechange will come with important negative ex-ternalities if the costs of the transition are not atleast partly supported from outside.

As we argued above, the new investment policy should not pick individual winners but target sectors, in particular those that are more skill-intensive (Nunn and Trefler, 2011)) and/or those that are more competitive (ADDHL). As it turns out, within the EU skill intensity is particu-larly low in the infrastructure, transportation, wholesale and retail sectors. On the basis of what argued by Nunn and Trefler (2010), an ef-fective industrial policy should focus instead on more high-tech sectors such as IT or the energy sector, in particular the “electricity” sector of the ISIC industrial classification.[5]

However, if we look at the composition of the EIB’s investment portfolio within the European Union, we find that the EIB invests about twice as much in the Transport sector as it does in the Energy sector. This suggests that EU countries should not only increase the scope of EIB activities, both by recapitalizing it and by using the European budget as a leveraging

5 According to the ISIC Rev.3.1 classification at one digit used for figure 1, the electricity sector is composed by two elements : the energy industry, constituting the main part of it, accompanied by water management activities for the residual part of the sector.

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device mobilize additional co-financing, but also they should make sure that the EIB and the EU agencies in charge of investment policy, target sectors like energy with higher growth potential.

More countercyclical macroeconomic policies

In previous sections we have argued that more countercyclical macroeconomic policies can help (credit-constrained) firms maintain R&D and other types of innovation-enhancing investments over the business cycle. One im-plication of this for European growth policy design, is that all the debt and deficit targets (both in the short and in the long term) should be corrected for cyclical variations, in other words they should always be stated in struc-tural terms. Thus, for example if a country’s current growth rate is significantly below trend, then the short run budgetary targets should be relaxed so as to allow this country to maintain its growth enhancing investments. However, while the fiscal compact specifies long-term objectives that are stated in structural terms, the short and medium term targets agreed between the European Commission and mem-ber states last year, are in nominal terms. This inconsistency is damageable to growth.

ConclusionA successful innovation-led economy re-

quires, not only the investment in the knowl-edge economy, not only to liberalize markets, but also to reform the governance of the state to make it more strategic. While the old wel-fare states are not well-suited to the needs of an economy where growth is driven by frontier innovation, the minimal state advocated by neo-liberals may not be the solution either. Between these two extreme solutions, there is what we refer to as the strategic state : the state that acts primarily on the supply side of the economy and which targets its investments on the sectors or activities with higher ex-pected growth potential. It is a state that tries to reconcile the need to invest in growth with the need to achieve budget balance. And it is a state that looks carefully at governance, both of the sectors it invests in and of itself as inves-tor. In this respect the example of Germany or Scandinavian countries, which have reacted to past crises by implementing structural reforms, both in labor and product markets and in the organization of the state, and now show an unemployment rate lower than in many other OECD countries and growth rates close to 3 %, is worth meditating.

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REFERENCES

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DOSSIER 67JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

ASSURANCE MUTUELLEOU FÉDÉRALISME :LA ZONE EUROENTRE DEUX MODÈLESJean Pisani-FerryDirecteur du think tank Bruegel (Bruxelles)

La réponse à la crise de la zone euro qui s’est progressivement mise en place depuis 2010 n’a pas conduit à une avan-

cée du fédéralisme et elle n’a guère emprunté au modèle communautaire de répartition des compétences[1]. Elle a donné lieu à l’émer-gence d’un nouveau modèle d’assurancemutuelle entre les États, avec pour contrepar-tie un renforcement progressif de la discipline budgétaire.

Côté assurance, ce modèle est sous-jacent à la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF), à sa transformation en Méca-nisme européen de stabilité (MES), au projet de recapitalisation directe des banques des pays en crise, et, d’une certaine manière aussi, à la contractualisation de fait envisagée par la Banque centrale européenne (BCE) pour son dispositif d’opérations monétaires sur titres (OMT), dont la mise en œuvre sera soumise à l’existence d’un programme avec le MES[2]. Le traité relatif à ce dernier en pose les principes,

1 Je remercie Agnès Bénassy-Quéré, Élie Cohen, Fabien Dell, Francesco Papadia, Riccardo Perissich, Jean-Claude Piris et Shahin Vallée pour leurs remarques sur des versions antérieures de ce texte.2 Il est trop tôt pour dire si l’union bancaire relèvera du modèle fédéral ou du modèle assurantiel. Le transfert de la supervision bancaire à la BCE relève du fédéralisme, mais la question des mécanismes de soutien budgétaire (fiscal backstop) n’est pastranchée. Elle pourrait reposer sur le MES et donc relever de l’assurance mutuelle. Voir sur ce point Jean Pisani-Ferry et Guntram

en même temps qu’il esquisse de nouvelles règles de gouvernance.

Côté discipline, le modèle trouve son expres-sion la plus claire dans le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et notamment dans sa disposition réservant aux États signataires le bénéfice d’une assistance, qui doit toujours s’accompagner d’une « stricte conditionnalité ».

Le choix de ce modèle a été déterminé par une contrainte juridique et un objectif politique. La contrainte tenait au caractère inachevé de la zone euro, qui contrairement à l’Union européenne (UE) ne dispose ni de ressources propres ni d’institutions spécifiques, ainsi qu’à la nécessité de trouver, en toute urgence, des réponses opérationnelles dans le cadre des traités existants. À partir du moment où les pays hors zone euro, en particulier le Royaume-Uni, étaient réticents à contribuer à la solidarité, celle-ci s’orientait inévitable-ment vers un bricolage intergouvernemental. Cette orientation s’est trouvée renforcée par l’objectif poursuivi explicitement par Nicolas Sarkozy et, à l’époque, soutenu par Angela Merkel, de ne pas concéder de pouvoir sup-plémentaire aux institutions communautaires.

Wolff, Fiscal Implications of a Banking Union, contribution à l’ÉCOFIN informel de septembre 2012, Bruegel.

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68 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

Le tropisme intergouvernemental français et l’opposition de la Cour constitutionnelle alle-mande de Karlsruhe à tout transfert de sou-veraineté significatif ne s’accompagnant pas d’une démocratisation des institutions euro-péennes se sont conjugués pour imposer la solution intergouvernementale.

La divergence entre le fédéralisme embryon-naire de l’Union européenne et la logique intergouvernementale de la gouvernance éco-nomique de la zone euro préexistait à la crise : ainsi, l’accent mis (par la France en particulier) sur la coordination des politiques nationales et l’émergence de l’Eurogroupe comme instance spécifique à la zone n’était manifestement pas en phase avec le modèle de délégation sur lequel repose l’UE. Mais cette divergence s’est accentuée à la faveur de la crise, produisant par ricochet des effets sur les autres institu-tions. Le Conseil européen, notamment, a assumé des pouvoirs exécutifs plus importants que cela n’avait été envisagé dans le traité de Lisbonne.

La question est maintenant de savoir ce qui oppose ces deux modèles, quelles sont leurs forces et leurs faiblesses, s’ils peuvent coexis-ter, voire se rejoindre, et quelles évolutions sont envisageables.

Deux modèlesDe longue date, les États-Unis ont servi de

référence en matière de fédéralisme écono-mique. Évidemment, la source d’inspiration est toujours restée distante, notamment parce que le fédéralisme européen est largement de nature réglementaire, plutôt que budgétaire. Mais elle était présente, et les transferts de souveraineté successifs – législation écono-mique avec le marché unique, monnaie avec l’euro – se faisaient vers ce qui tenait lieu de gouvernement central.

Dans la crise, l’Europe s’est montrée à la fois moins et plus centralisatrice que les États-Unis. Dans ce pays, en effet, l’État fédéral prend directement en charge un plus grand nombre de risques (conflits, catastrophes sanitaires ou environnementales, sinistres bancaires), sou-tient les États par des transferts automatiques nécessairement inconditionnels, mais n’assure

pas leur financement et n’assume pas la res-ponsabilité de leurs dettes (voir tableau 1).

Le système de solidarité qui s’est construit dans la zone euro depuis 2010 est différent de ce modèle comme du modèle communautaire, car il met en œuvre une solidarité horizontale. Ce n’est pas le budget fédéral qui vient en aide aux États en difficulté, mais les budgets des partenaires, qui puisent dans leurs propres ressources, à la condition toutefois d’avoir obtenu l’approbation de leurs parlements.

Un autre régime aurait été envisageable  : il aurait été possible d’étendre les moyens et le champ d’action du Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF), qui cofinance l’assistance à l’Irlande et au Portugal et bénéfi-cie d’une garantie du budget communautaire. Une telle orientation aurait été à l’image de ce qui se fait pour l’assistance apportée aux balances des paiements des pays de l’UE hors zone euro[3]. Mais le choix a été, sans la moindre hésitation, de privilégier le FESF/MES.

Il serait erroné de taxer cette réponse de timide. Elle l’est évidemment à certains égards mais beaucoup moins à d’autres.

Les montants mobilisés pour l’assistanceaux pays en crise sont considérables. Surtout, et même si les Eurobonds font encore l’objet d’un tabou, la réponse de la zone euro peut s’analyser comme relevant d’une mutualisa-tion partielle, graduelle et conditionnelle des dettes publiques : la solidarité prend la forme d’un financement direct (MES) ou indirect(OMT) des États ; elle peut conduire à ce que

3 Le MESF a contribué pour 60 milliards d’euros à la constitution du mécanisme de secours (contre 440  milliards pour le FESF). Cette enveloppe est en voie d’absorption par le MES.

1. Assurance implicite au sein du système fédéral : États-Unis et Zone euro

États-Unis Zone euroPrise en charge des risques Oui Non

Transferts automatiques Oui Non

Assistance conditionnelle Non Oui

Mutualisation des dettes Non Partielle

Mise sous tutelle des États Non Éventuelle

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DOSSIER 69JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

le financement public se substitue entièrement au financement de marché  ; elle est soumise à des conditions de plus en plus strictes à mesure que la situation se dégrade[4]. L’orien-tation prise s’inscrit donc dans la direction d’une mutualisation progressive et condition-nelle des dettes, dont l’aboutissement logique pourrait être l’émission de titres de dette com-mune, c’est-à-dire d’Eurobonds.

En se substituant à un marché interbancaire devenu dysfonctionnel, la BCE et le système des banques centrales (Eurosystème) ont par ailleurs joué un rôle d’amortisseur. Ces der-nières ont ainsi permis aux banques d’Europe du Sud de conserver un accès à la liquidité que le marché ne leur fournissait plus, tout en por-tant le risque de leur défaillance de la même manière que le MES assume celui des États[5]. Cette réponse se situe en deçà de celle que fournit un régime complètement fédéral (dans lequel le risque est supporté par le budget fédéral et n’est donc pas réparti a priori entre États participants) et elle s’assimile largement à une assurance mutuelle.

Implications pour la gouvernance

L’assurance mutuelle a évidemment desconséquences en matière de gouvernance. La Commission européenne se voit attribuer un rôle bien délimité : en matière de surveillance, son autorité a été considérablement renforcée par le TSCG, puisque ses propositions de sanctions seront adoptées sauf vote contraire du Conseil européen  ; elle est assimilée à un ministère public dont les réquisitions s‘ap-pliqueraient presque automatiquement. Enmatière d’assistance, elle partage la responsa-bilité de la conditionnalité avec ses partenaires

4 Au stade actuel, la gradation n’est pas compète. On pourrait toutefois aisément évoluer vers un système à trois ou quatre niveaux  : appui du MES à la recapitalisation des banques en échange d’une conditionnalité sectorielle  ; soutien de la BCE en échange d’une conditionnalité limitée ; programme type FMI ; mise sous tutelle, dans l’esprit de ce que Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la BCE, a appelé le « fédéralisme d’exception ».5 Il faut rappeler que le risque de défaillance des emprunteurs n’est pas porté par les seules banques centrales créditrices(celles d’Europe du Nord) mais entièrement mutualisé au sein de l’Eurosystème. En cas de perte, celle-ci sera répartie entre toutes les banques centrales, au prorata de leur contribution au capital de la BCE (qui est fonction de la population du pays et de son produit intérieur brut).

de la troïka, mais n’intervient pas dans la mobi-lisation des ressources ; en quelque sorte, elle joue le rôle d’un Fonds monétaire international (FMI) qui n’apporterait pas une assistancefinancière directe mais se bornerait à négo-cier les programmes. Sa tache se limite dès lors à préparer les programmes d’assistance, à surveiller leur mise en œuvre, et à fournir une expertise à l’Eurogroupe. Elle n’est donc pas un organe exécutif, ce rôle étant dévolu à l’Eurogroupe et au Comité économique et financier (CEF) sur lequel il s’appuie, voire au Conseil des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, qui ont tendance à exercer directement des responsabilités usuellement confiées aux ministres des Finances.

Le MES pourrait éventuellement devenir un organe de gouvernance, puisqu’il s’agit d’une institution de plein exercice, établie par traité, et dotée de mécanismes de décision élaborés, très largement inspirés de ceux du FMI. Rien n’interdit, par conséquent, de penser qu’il évolue dans cette direction et assume des responsabilités croissantes en matière de ges-tion des crises bancaires ou de représentation externe. Mais pour l’heure il s’agit d’un organe technique, dont les responsables prennent bien soin de ne pas créer de rivalités avec la Commission européenne.

Ce système de gouvernance n’accordequ’une place réduite à la représentation de l’intérêt général européen. La Commission en est porteuse, mais on vient de voir que son champ d’action est limité. La BCE défend elle aussi un intérêt collectif, mais dans un domaine étroit. Quant au Parlement européen, il ne joue pratiquement aucun rôle : il ne vote pas l’impôt et n’exerce de contrôle ni sur les programmes, ni sur les ressources engagées dans l’assis-tance, qui sont mobilisées par les parlements nationaux, ces derniers étant comptables de l’intérêt national et non de l’intérêt européen. S’agissant des États, seule l’ultima ratio les conduit à dépasser la défense des intérêts nationaux, mais rien ne laisse à penser que ce facteur finisse par déboucher sur des réponses collectivement optimales. En d’autres termes les décisions ne peuvent être prises qu’au bord du précipice dont la proximité contraint les acteurs à prendre en compte leur communauté de destin.

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70 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

La logique de l’assurance mutuelle

Comment ce système d’assurance mutuelle peut-il évoluer  ? Une première possibilitéest qu’il continue de s’inscrire dans la même logique mais en apportant une réponse aux problèmes qu’il rencontre aujourd’hui  : fai-blesse de l’exécutif et de la représentation de l’intérêt général.

En ce qui concerne l’exécutif, une solution tentante, d’ailleurs discutée de longue date, consisterait à confier la présidence de l’Euro-groupe au commissaire chargé des Affaires économiques et monétaires. Elle reviendrait cependant, en matière de surveillance, àfusionner les fonctions de procureur et de juge, et amènerait la Commission à cumuler des pouvoirs habituellement séparés. Ima-gine-t-on un commissaire qui requerrait des sanctions contre un État et présiderait ensuite le Conseil au cours duquel cette proposition serait validée ou rejetée ?

Deux réponses alternatives sont concevables :la première résiderait, à condition d’accep-

ter la dispersion des responsabilités, dans la constitution d’un exécutif bicéphale, composé du commissaire des Affaires économiques et monétaires et d’un ministre des Finances, en charge de la présidence de l’Eurogroupe, de la représentation externe et de l’union ban-caire. L’inconvénient de cette solution serait de déboucher à peu près certainement sur la formation, à partir du MES, d’un second pôle économique et financier – le Trésor européen – qui serait alors nécessairement en rivalité avec la Commission. Ce ne serait pas la meilleure manière de donner unité et autorité à l’exécutif européen ;

la seconde réponse consisterait à extériori-ser la surveillance des déficits excessifs en la confiant à une entité distincte des services de la direction générale des Affaires économiques et financières (ECFIN) de la Commission, soit à l’intérieur de celle-ci, soit en dehors, l’entité étant alors soustraite à l’autorité du commis-saire. L’instauration d’un tel comité budgétaire indépendant libérerait le commissaire de son rôle de procureur et permettrait alors d’envi-sager qu’il cumule ses fonctions avec celle de président de l’Eurogroupe, à l’instar de la

situation du Haut Représentant[6]. Cette solu-tion supposerait une modification des traités mais elle aurait l’avantage du parallélisme avec un schéma qui se met en place dans les États sous l’impulsion du TSCG.

Pour résoudre le problème de l’intérêt géné-ral, il n’est pas possible de miser sur le seul Parlement européen. Non seulement celui-ci est élu par les citoyens de l’ensemble de l’Union et assoit sa compétence dans lesdomaines relevant de l’union monétaire sur la fiction selon laquelle l’euro est la monnaie de l’ensemble de l’Union, mais en outre, il n’est pas concerné par l’assistance aux pays en dif-ficulté, puisque les ressources mobilisées dans ce but ne sont pas de nature fédérale, mais proviennent des budgets nationaux et sont donc soumises au contrôle des parlements des pays contributeurs.

La solution pourrait être de reconnaître qu’un système reposant sur la solidarité horizontale met inévitablement en exergue la légitimité des parlements nationaux, mais que, considé-rés un à un, ceux-ci ne peuvent pas intérioriser l’intérêt collectif des pays de l’euro. Aussi fau-drait-il envisager la création d’une assemblée parlementaire rassemblant des représentants de la commission ECON (Affaires écono-miques et financières) du Parlement européen et des membres des commissions des finances des parlements nationaux de la zone euro[7]. Cette assemblée contrôlerait l’exécutif euro-péen en matière économique, se prononcerait sur la mise en œuvre de facilités d’assistance et le montant de ressources leur étant accordé et pourrait être saisie par l’exécutif de la zone euro d’une proposition de censure d’un budget national juridiquement suspensive de l’exécution de ce dernier.

Dès lors qu’existe un contrôle ex ante sur les budgets des États participants, l’introduction des Eurobonds paraît possible. À partir du moment en effet où une autorité jouirait d’une légitimité démocratique à même d’imposer à un parlement national de réviser un bud-get présentant des risques pour la stabilité

6 Cela supposerait aussi que la Commission s’organise pour traiter en son sein les questions relatives à la zone euro.7 L’article  13 du TSCG prévoit la création d’une «  conférence parlementaire » de ce type, mais sans définir ses compétences et ses pouvoirs.

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DOSSIER 71JOURNÉES DE L'ÉCONOMIE DE LYON 2012

financière de l’Union, il serait possible de fran-chir le pas et, tout en conservant une logique de solidarité horizontale, de mutualiser partiel-lement les dettes. Il n’est pas garanti qu’une telle légitimation suffise à rendre ce contrôle politiquement acceptable par les citoyens des pays de la zone euro, mais il le serait cepen-dant plus que ne l’est actuellement la sur-veillance par la Commission et l’Eurogroupe.

L’alternative : une fédéralisation du système ?

Peut-on aussi imaginer une issue de nature fédérale, qui renoue avec l’inspiration initiale de l’UE et s’écarte du modèle de l’assurance mutuelle  ? Cela supposerait de substituer à cette dernière un régime reposant sur la mobi-lisation d’une ressource commune. Concrète-ment, la zone euro (à défaut de l’Unioneuropéenne) devrait alors être dotée d’une capacité d’emprunt qui servirait à financer les programmes d’assistance, d’achat de titres et de recapitalisation bancaire, ainsi que d’éven-tuelles recapitalisations de la BCE. Se consti-tuerait sur cette base un Trésor européen, fédéral cette fois, qui serait le backstop de telles initiatives.

Cette capacité d’emprunt serait gagée soit sur des ressources propres (une partie de l’impôt sur les sociétés ou des points de la taxe sur la valeur ajoutée, par exemple), soit sur un pouvoir de taxation contingent, qui en serait le collatéral. Cela supposerait la création d’une instance parlementaire spécifique à la zone euro et dotée d’une capacité fiscale propre (qui pourrait être encadrée quantitativement et qualitativement par un traité). Cette instance pourrait être intégrée au Parlement européen.

Selon cette logique, la fédéralisation sesubstituerait à la mutualisation. Un budget de la zone euro pourrait dès lors voir le jour, en vue de financer des biens publics spécifiques aux pays participant à l’union monétaire ou des programmes de stabilisation et de trans-fert. Les Eurobonds seraient des titres émis par le Trésor européen et non des titres natio-naux bénéficiant d’une garantie conjointe et solidaire. Les États seraient (tendanciellement au moins) individuellement comptables de la gestion de leurs finances publiques, tandis que l’exécutif de la zone euro serait responsable devant le parlement élu au suffrage universel au sein de cette même zone (voir tableau 2).

En dehors de toute question d’acceptabilité politique immédiate, cette perspective soulève plusieurs questions :

– l’existence de biens publics propres à la zone euro et susceptibles d’un financement budgétaire ne va pas de soi  ; hormis lastabilité financière, qui n’a pas de dimension budgétaire immédiate, la plupart des biens publics auxquels on peut penser sont denature communautaire plutôt que propres à la zone euro. Si, pour des raisons de stabilisation, il y a une logique macroéconomique forte en faveur de la constitution d’un budget commun de la zone euro, les arguments en matière de finances publiques sont beaucoup plus minces ;

– un budget de la zone euro pourrait reposer sur des dépenses de transfert, de préférences nettement contracycliques. L’assurance-chômage est à cet égard un bon exemple. Sa prise en charge par un budget de la zone euro mettrait fin à un vieux tabou selon lequel l’Union n’intervient pas dans lestransferts aux individus, mais elle induirait

2. Assurance mutuelle et fédéralisation

Assurance mutuelle Fédéralisation

Exécutif Probablement dual (Commissaire ECFIN-président Eurogroupe)

Trésor européen

Parlement Commission des fi nances zone euro avec représentants des parlements nationaux

Parlement zone euro

Ressources fi nancières Mutualisation Autonomie fi scale

Mutualisation des dettes Oui à terme Non

Dette commune Non Oui

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72 Problèmeséconomiques n° spécial | NOVEMBRE 2012

surtout très probablement une harmonisation des politiques du marché du travail. Il est, en effet, difficile d’envisager une assurance-chômage commune, alors que les Étatsmembres conservent l’entière responsabilité des politiques réglementaires concourant à déterminer le niveau de l’emploi. Si une telle évolution fait sens économiquement, elle serait vraisemblablement très discutée ;– il n’est pas certain que le volume d’émission de dette cohérent avec un budget réaliste pour la zone euro soit suffisant pour faire de l’obligation correspondante l’actif sûr de la zone euro. Il pourrait en quelque sorte y avoir insuffisance de l’offre d’Eurobonds, et donc persistance de la situation actuelle de fragmentation financière.

Au total, les arguments en faveur d’une fédé-ralisation de la gouvernance sont puissants mais que le soubassement économique de cette dernière soit assez développé pour en faire une réponse réaliste n’est pas évident.

ConclusionEn réponse à la crise, la zone euro s’est

orientée vers un régime d’assurance mutuelle d’une logique hétérogène par rapport à celle du modèle de l’Union européenne. Loin d’ap-profondir son intégration sur le mode fédéral, celle-ci a fait mouvement dans une direction différente, de caractère plus intergouverne-mental. En dehors même de toute question de périmètre, l’union monétaire est doncaujourd’hui prise entre deux logiques hété-rogènes dont la coexistence n’est pas aisée, celle – de nature essentiellement fédérale – de l’Union européenne et celle – de nature large-ment intergouvernementale – de l’assistance mutuelle.

Le modèle assurantiel s’est imposé dans l’urgence, mais il n’est pas stabilisé. En par-ticulier sa pérennité suppose de répondre aux problèmes de la faiblesse de l’exécutif et de l’insuffisante représentation de l’intérêt général. Des solutions existent qui permettrait d’approfondir et de stabiliser ce modèle, dans la mesure cependant où est acceptée une gouvernance qui place les autorités nationales en porte-à-faux entre intérêt national et inté-rêt européen. Il n’est donc pas assuré que ce régime puisse trouver une assise stable dans la durée.

L’alternative consisterait à opter pour leschéma fédéral, dont il faut cependant recon-naître qu’il est aujourd’hui plus adapté à l’Union dans son ensemble qu’à la zone euro : celle-ci ne dispose pas en propre du substrat écono-mique et budgétaire qui est généralement à la base des fédérations. Il est envisageable, et sans doute même souhaitable, que la zone euro engage une évolution dans cette direction et aille donc vers une intégration économique assez poussée pour fournir un soubassement à un mode de gouvernance fédéral. Mais il s’agit là d’une perspective de moyen terme.

Le problème de la réforme des institutions et de la gouvernance tient à la difficulté de concilier la logique d’assurance mutuelle, sur la base de laquelle a été élaborée la réponse à la crise, et la logique fédérale, vers laquelle la zone euro devra certainement s’orienter à long terme. Reconnaître les apports de l’une tout en organisant une transition graduelle vers l’autre est un défi juridique, institutionnel et politique, au moins aussi difficile à relever que celui de la coexistence au sein de l’UE de pays qui participent à la zone euro et de pays qui n’y participent pas.

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