Lumiere du Thabor 21 (décembre 2004)

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    LUMIRE DU THABOR

    Bulletin des Pages Orthodoxes La Transfi guration Numro 21 dcembre 2004

    LGLISEDES CATACOMBES

    EN UNION SOVITIQUE

    1/ Qui nous sparerade lamour du Christ ?

    par Mgr Hilarion Alfeyev

    3/ Le contexte historiquede lglise des catacombes

    par Paul Ladouceur

    7/ Le hiromartyr Benjamin,

    mtropolite de PetrogradPRE ARSNE DE ROSTOV :

    9/ Histoire dunecommunaut vivante

    13/ Irne18/ LArchevque21/ Prire dun

    accord commun

    22/ Saint Alexis dUgine

    25/ La Vie spirituelledu chrtien II

    par Mgr AlexandreSemenov-Tian-Chansky

    26/ propos deLumire du Thabor

    Avec nos remerciements Denis Marier

    LGLISE DES CATACOMBES

    EN UNION SOVITIQUE

    QUI NOUS SPARERA DE LAMOUR DU CHRIST ?

    par Mgr Hilarion Alfeyev

    Jamais lhistoire de lglise navait connu de perscutions aussi systmatiques et

    longues quen lUnion sovitique de 1917 jusqu la fin des annes 1980. Auxpremiers sicles du christianisme les perscutions avaient un caractre local et neduraient gnralement pas plus de quelques annes. La perscution la plus terriblede Diocltien et de ses successeurs, commence en 303, ne sest poursuivie quehuit ans. Les perscutions dans lUnion sovitique ont concern un pays entier quiconstituait la sixime partie de la terre ; elles ont touch tous les domaines scolai-res, administratifs, scientifiques toutes les couches sociales et tous les ges commencer par les enfants soumis une ducation athe et aux perscutions pourleur foi dans les coles maternelles et secondaires, jusquau vieillards. Plus de 100millions de fidles orthodoxes de Russie subirent tous, sans exception, des perscu-tions diverses, injustices, discrimination, commencer par les affronts et le ch-mage jusqu lexcution. (suite page 2)

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    KONDAKION DES SAINTS NO-MARTYRS DE RUSSIE (TON 2)

    nouveaux Martyrs de Russie, cest en Confesseurs que vous avez parcouru lechemin terrestre,par vos souffrances vous avez acquis de laudace, priez le Christqui vous a fortifis,afin qu lheure o lpreuve viendra pour nous nous recevionsle don divin du courage. Vous tes un exemple pour ceux qui vnrent votre ex-ploit,car ni la peine, ni le tourment, ni la mort nont pu vous sparer de lamour deDieu.

    IKOS (MATINES)

    Lorsque sont venus les jours de lpreuve de feu pour lglise russe et que le Sei-gneur na plus daign recevoir de nous lholocauste et les offrandes, alors un grandnombre de hirarques et de prtres ne sarrtrent ni la chair ni au sang, maiscomprenant la volont du Seigneur, soffrirent eux-mmes en victimes immacu-les. Et, la suite du Grand Prtre ternel, de lIntercesseur de la Nouvelle Al-liance, eux aussi entrrent dans le sanctuaire avec leur propre sang pour purifier lepeuple de ses pchs. Glorieux sont vos noms, martyrs intrpides, vous tes unmodle pour nous qui vnrons votre exploit car ni la peine, ni le tourment ni lamort nont pu vous sparer de lamour de Dieu.

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    Lglise orthodoxe russe en a souffert particulirement.La perscution contre elle a commenc ds laccessiondes bolcheviques au pouvoir. En janvier 1918 le patriar-che Tikhon crivit : La sainte glise orthodoxe duChrist vit actuellement un temps difficile en Russie : desennemies manifestes ou latents de la vrit du Christ se

    sont dresss contre elle et tentent de faire prir luvredu Christ... Nous vous exhortons tous, enfants fidles delglise : dfendez notre Sainte Mre humilie et pers-cute Et sil faut souffrir pour luvre du Christ nousvous appelons ces souffrances avec nous par les paro-les du saint Aptre : Qui nous sparera de lamour duChrist : chagrin, peine, perscution, famine, nudit,malheur ou glaive ?(Ro 8,35).

    Pendant la guerre civile du dbut des annes 1920 ungrand nombre de fidles orthodoxes, dont les vques,les prtres et les moines, fut fusill et incarcr. Un deceux qui a souffert pendant la campagne de la nationali-sation des biens ecclsiaux fut le mtropolite Benjaminde Petrograd. La veille de son excution il crivit danssa prison : Dans mon enfance et adolescence je mepassionnais pour la lecture des vies des saints dontlhrosme mimpressionnait ; je regrettais de toute monme que les temps avaient chang et quil ny avait plusdoccasion de vivre ce quils avaient vcu. Mais lestemps ont chang de nouveau la possibilit se prsentede souffrir pour le Christ de la part des siens et destrangers. Il est difficile de souffrir, mais au fur et me-sure que nos peines augmentent, abondent aussi la grceet la consolation de Dieu .

    Ds les premiers jours de leur existence les autorits so-vitiques se sont donn comme objectif llimination to-tale et cruelle de lglise orthodoxe. Cette dcisiontransparat dans la lettre de Lnine du 19 mai 1922 ausujet de la nationalisation des biens ecclsiaux adresseaux membres du Bureau politique : Lenlvement desbiens, en particulier de ceux des laures, monastres etglises riches doit tre effectu avec une rsolution im-pitoyable, sans sarrter sous aucun prtexte et dans lesdlais les plus brefs possibles. Plus on pourra fusiller debourgeois et ecclsiastiques ractionnaire, mieux ce se-

    ra .Les perscutions contre lglise, commences par L-nine et ses collaborateurs, furent poursuivies par Staline.Elles ont pris une grande ampleur en 1937 ; des centai-nes des milliers de chrtiens furent fusills par fausseaccusation dactivit anti-sovitique. Vers la fin des an-nes 1930 tous les monastres, toutes les coles tholo-giques et presque toutes les paroisses de lglise russefurent ferms. Parmi les 60,000 glises ouvertes vers1917, moins dune centaine ne furent pas fermes vers

    1939 dans tout le pays. Parmi les 300 vques delglise russe pendant cette priode, seulement quatretaient en libert, mais le NKVD (la police secrte)avait prpar des accusations pour leur arrestation quipouvait survenir tout moment. La plus grande partiede lpiscopat et du clerg fut excute ; ceux qui y

    avaient chapp, terminaient leurs jours dans les campsde concentration.

    Le changement de la politique de ltat et le rtablisse-ment de la vie ecclsiale nont commenc que pendantla seconde Guerre mondiale et taient les consquencesde la tragdie de tout un peuple. Cependant, ce renon-cement lobjectif de draciner lglise ne signifiait pasla fin des perscutions. Dans une mesure moindre, lesarrestations des vques, des prtres et des lacs engagsse poursuivirent aprs la guerre. Sous Khrouchtchev (findes annes 1950 et les annes 1960) une nouvelle vaguede perscutions sest dclare, pendant laquelle plus dela moiti de 10,000 glises ouvertes en 1953 fut ferme.

    Il est difficile dvaluer le nombre de ceux qui ont souf-fert pour le Christ sous le rgime sovitique. Des sour-ces diverses parlent de 500,000 un million de person-nes. Parmi eux 100,000 furent des clercs. videmment,les noms de tous ces martyrs ne sont pas connus. Pen-dant les premires annes de la rvolution les perscu-tions se sont droules partout avec un sadisme et unehaine singuliers ; il ne reste aucune trace de bien des casde ce genre. Ce ne sont que des renseignements bienpauvres qui atteignaient lmigration et pouvaient tre

    publis. Cest pourquoi les noms de plusieurs milliersde martyrs ne seront jamais glorifis sur cette terre.Mais Dieu les connat tous. Lglise aussi garde le sou-venir de ces nombreux martyrs anonymes.

    Pour cette raison le concile piscopal de lglise ortho-doxe russe a pris la dcision en 2000 de canoniser en-semble avec des centaines de no-martyrs et confesseursdont les noms sont connus, les nombreux autres dontDieu seul se souvient. la fin du deuxime millnairechrtien, lorsque le monde clbrait le jubil delIncarnation de Dieu, lglise russe a offert au Christ lefruit de ses souffrances, sa Golgotha, un grand chur de

    martyrs et de confesseurs, ceux qui il fut donn nonseulement de croire en Christ, mais galement de souf-frir pour lui(Ph 1,29). La glorification de ces saints estun grand vnement spirituel pour notre glise qui t-moigne de laction incessante de lEsprit dans lglisedu Christ, de lunion entre les chrtiens daujourdhuiavec leurs glorieux prdcesseurs.

    Lexploit des martyrs est commun aux chrtiens de tou-tes les confessions. En URSS ce sont les orthodoxes, lescatholiques et les protestants qui furent perscuts. Ce

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    ntait pas rare que des chrtiens des confessions diff-rentes se trouvent dans la mme cellule de prison. Lesbarrires confessionnelles disparaissaient alors, des dif-frences doctrinales seffaaient. Ce qui unissait leschrtiens, savoir lamour du Christ, tait bien plus im-portant que ce qui les distinguait.

    Je voudrais exprimer mon espoir que lexemple desmartyrs nous incitera aujourdhui non seulement vivreen Christ et tre fidle son glise, mais galement uvrer pour surmonter les divisions entre les chrtiens.Ce qui nous unit est bien suprieur ce qui nous spare.Le pch est la cause des divisions ecclsiales, tandisque la saintet est la source de lunion. Que le sang desmartyrs du XXe sicle soit le gage de lunit de chr-tiens que nous attendons tous.

    Dans nos jours troubls, le Seigneur a fait surgir denouveaux martyrs, crivait en 1918 le saint patriarcheTikhon, si le Seigneur nous envoie des preuves, desperscutions, des chanes, des souffrances et mme lamort, nous supporterons tout patiemment, croyant quecela nous adviendrait non sans la volont divine et quenotre exploit ne restera pas strile, mais sera comme les

    souffrances des martyrs chrtiens qui ont gagn lemonde lenseignement du Christ . Les attentes de cesaint sont en train de se raliser, car lglise en Russieet en dehors de ses frontires renat sur le sang des mar-tyrs.

    Discours prononc Bruxelles,14 avril 2003, Europaica, No 16, 2003.

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    LE CONTEXTE HISTORIQUE DE

    L'GLISE DES CATACOMBES EN UNION SOVITIQUE

    par Paul Ladouceur

    Lhistoire de lglise russe entre 1917 et 1990 est unedes plus tragiques et en mme temps une des plus re-marquables de toute lhistoire du christianisme. La per-scution quont endur les croyants russes non seule-ment les orthodoxes, mais aussi les catholiques, les pro-

    testants, les Vieux-Croyants , et ainsi que les juifs etles musulmans tait la plus svre de toute lhistoirede lglise. Des centaines de milliers de croyants m-tropolites, vques, prtres, moines, moniales, lacs ont pri pour leur foi. Pendant les vingt annes qui ontsuivi la rvolution bolchevique doctobre 1917, presquetoutes les glises de la Sainte Russie ont t dmo-lies, transformes en usage profane ou simplement fer-mes et laisses labandon. Mais la foi a survcu : dsla fin des annes 80, cest le printemps de la foi 1enRussie ; en quelques annes seulement, lglise de Rus-sie est ressuscite de ses propres cendres.

    Lhistoire de lglise pendant la priode sovitique estcomplexe et sans doute certains aspects ne seront jamaisconnus. Afin de mieux comprendre lhistoire agite delglise russe entre 1917 et 1990, on peut considrerquil y a eu en effet cinq dimensions principales de

    1Cf. Irne Semenoff-Tian-Chansky,Le printemps de la foi enRussie : Les chrtiens de Gorbatchev Poutine, d. Saint-Paul, 2000.

    lglise, dimensions distinctes, mais qui avaient desrapports personnels et institutionnels entre elles.

    1. LGLISE PATRIARCALE

    Lglise orthodoxe russe na jamais t formellementinterdite en Union sovitique : harcele, perscute, d-cime par les arrestations, lemprisonnement, lexil etlexcution du clerg et des fidles, et par la fermetureet la dmolition des glises, sminaires et monastres,elle a nanmoins toujours eu une existence lgale, quoi-que fragile, mme au pire de la perscution, la fin desannes 30. Lglise russe a tenu un grand concile en1917-1918, qui visait la mise en place dune srie de r-formes devenue essentielles, dont une tait la restaura-tion du patriarcat, entrine par llection du mtropoliteTikhon2de Moscou (archevque dAmrique entre 1898et 1907) comme premier patriarche de lglise ortho-doxe russe depuis deux sicles. Lassaut communistecontre lglise a commenc peu aprs la rvolution bol-chevique en octobre 1917 et le patriarche Tikhon tentadabord de confronter les communistes, par exemple enprononant leur excommunication en janvier 1918, puis,aprs avoir t arrt et relch, il adopta une attitude deneutralit de lglise vis--vis le rgime communiste.

    2Voir la vie de saint Tikhon de Moscou au Bulletin Lumiredu Thabor, no. 12 (septembre 2002) ; sur internet :www.pagesorthodoxes.net/saints-d'amerique/sam-tikhon.htm

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    Aprs la mort du saint patriarche Tikhon en 1925, lescommunistes ne permirent pas lglise de nommer unsuccesseur et la plupart des administrateurs temporaires(locum tenens) en particulier les mtropolites Cyrille,Agafangel et Pierre furent arrts et exils. Lglisetait dirige de fait par le mtropolite Serge (Strago-rodsky) de Vladimir, arrt plusieurs fois en 1925 et

    1926, qui essaya dabord de suivre la politique de neu-tralit de lglise du patriarche Tikhon. Mais la neutrali-t ntait pas suffisante pour le rgime, qui arrta le m-tropolite Serge plusieurs fois. Mtropolite Serge se sen-tait oblig daffirmer le soutien de lglise pour les ob-jectifs politiques du rgime, ce quil fit dans une dcla-ration le 16/29 juin 1927, une vritable dclarationdobdience au gouvernement sovitique Mgr Sergefaisait de lglise une allie active du gouvernement so-vitique 3. Mgr Serge disait notamment : Nous vou-lons tre orthodoxes et en mme temps reconnatrelUnion sovitique pour notre patrie civile dont les joies

    et les succs sont nos joies et nos succs 4

    . Par cettedclaration Mgr Serge esprait assurer la survie deladministration centrale de lglise, menace non seu-lement par la perscution de la part des communistes,mais aussi par des schismes intrieurs. Sans le change-ment dattitude envers le pouvoir sovitique, il tait, se-lon certains historiens, trs douteux que lglise auraitcontinuer dexister bien longtemps aprs 1927 en tantquinstitution dans la socit sovitique 5. Mais mmeaprs cette dclaration le rgime a continu la perscu-tion acharne de lglise, en particulier entre 1928 et1932, la priode de la collectivisation de lagriculture et

    de lindustrialisation force, et encore de 1936 1938,la priode des grandes purges staliniennes.

    Un des aspects les plus tristes de cette priode tait quelglise officielle niait que la perscution religieuseexistait en Union sovitique ; lglise ne reconnaissaitpas ses propres martyrs. Au dbut de guerre aveclAllemagne en 1941, Staline, voulant assurer lappui delglise et des croyants dans la lutte contre lagresseur,permit lglise davoir un nouveau souffle de vie ; enseptembre 1943, le mtropolite Serge fut lu patriarche,de nouveaux vques furent ordonns pour remplacerceux qui taient morts ou qui croupissaient dans les

    camps, alors que de nombreuses glises rouvraient leursportes. Les camps de concentration furent ferms seu-lement aprs la mort de Staline, mais Nikita Khrouch-3Nikita Struve, Les chrtiens en URSS, Seuil, 1963, pp. 38-39. Ce livre, qui contient en annexe plusieurs textes impor-tants, demeure la meilleure source dinformation sur lgliserusse entre 1917 et 1960.4Traduction dansLes chrtiens en URSS, pp. 319-323.5 William C. Fletcher, The Russian Underground Church,1917-1970, Oxford, 1970, p. 52.

    tchev dclencha une nouvelle campagne de perscutionde lglise, non sanglante cette fois, la fin des annes50. Ce nest quavec la chute du rgime communistesous Mikhal Gorbatchev la fin des annes 80 quelglise russe a retrouv sa pleine libert.

    2. LGLISE-MARTYRE

    Le programme du Parti communiste prvoyait, dslaccs des bolcheviques au pouvoir, aprs la rvolutiondoctobre 1917, labolition de toute forme de religion etla disparition de toute croyance et sentiment religieux ausein du peuple. Tous les moyens furent mis en uvre :harclement du clerg et des fidles, propagande antire-ligieuse, interdictions de toutes sortes, taxations et desti-tutions du clerg, arrestations, emprisonnements, exilsinternes, condamnations aux camps de concentration,excutions. la fin des annes 30, des 150 vques delglise orthodoxe russe au moment de la rvolution, ilnen restait que quatre en fonction ; des 60,000 glises,

    il nen restait quune centaine encore ouvertes ; les 1025 monastres en place avant la rvolution avaient toust supprims un de ces derniers, le fameux monastrede Solavki sur une le de la mer Blanche, fut transformen vaste camp de concentration o furent interns etexcuts un grand nombre dvques, de prtres et defidles6. lt 1926, les vques interns Solovkiadressrent un mmoire remarquable au gouverne-ment sovitique dans lequel ils dcriaient loppressionet la perscution de lglise, tout en reconnaissantlingrence de lglise certains moments dans la poli-tique ; les vques renonaient toute influence directe

    sur le temporel, mais ils demandaient en contrepartie lerespect de la libert intrieure de lglise parlapplication du dcret de 1918 sur la sparation deltat et lglise ce que les communistes navaientnullement lintention de faire7.

    Les chiffres sur le nombre des martyrs de la perscutioncommuniste varient normment : on estime le nombredvques excuts ou morts dans les camps entre 250et 300 ; celui des prtres, entre 50,000 et 200,000.8Lavie des camps de concentration en Union sovitique estdpeinte dans quelques romans bien connusdAlexandre Soljenitsyne9, ainsi que dans lhistoire du

    6Sur Solovki, cf. par exemple : Un sanctuaire des martyrs :les les Solovki dans Andrea Riccardi, Ils sont morts pourleur foi. La perscution des chrtiens au XXe sicle,Plon/Mame, 2002 ; et sur Internet : www.orthodoxeurope.org/churchhist/000002.php.7Texte dansLes chrtiens en URSS, pp. 307-315.8 Pour un aperu des diffrentes sources, voir Riccardi, Ilssont morts pour leur foi,pp. 23 55.9Notamment Un jour dIvan Denissovitch, Le premier cercleet lArchipel du goulag, mi-roman, mi documentaire.

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    pre Arsne (de Rostov)10, dont nous avons prsentsdes extraits dans le Bulletin Lumire du Thabor no. 7(septembre 2002) ainsi que dautres rcits de lpoque11.

    3. LGLISE SCHISMATIQUE

    En 1922, pendant lemprisonnement du patriarche Tik-hon, apparut un mouvement contestataire, l glise vi-

    vante , dirig par quelques vques et prtres quicontestaient lautorit du patriarche. Ce groupe voulaitnon seulement des rformes radicales dans le fonction-nement de lglise, le statut du clerg et la clbrationdu culte, mais il avanait des doctrines hrtiques. Sou-tenue par le pouvoir communiste qui y voyait une faonde diviser et ainsi daffaiblir lglise patriarcale, celledes tikhonites , l glise vivante , renommel glise rnove en 1924, reut lappui de certainsvques et dun nombre important de prtres, mais pasde la grande masse du peuple, qui restait fidle lglise patriarcale. Le soutien des communistes tait

    cynique, une tactique temporaire qui ne changeait enrien le but de lradication de la religion en Russie.Avec la restauration du patriarcat en 1943, lglise r-nove, ou le schisme de gauche , perdait sa dernireraison dtre et la plupart des schismatiques se rallirentau patriarche Serge12. Lorigine de lglise vivante estraconte dans le rcit du martyre du mtropolite Benja-min de Petrograd ici-bas et le rcit du pre Arsne inti-tul Larchevque touche les rapports entre lglisepatriarcale et lglise vivante.

    Aprs la mort du patriarche Tikhon en 1925 apparut unautre schisme, dirig par larchevque Grgoire

    dEkatrinoslav, qui reut aussi la reconnaissance de r-gime, voyant l encore une faon daffaiblir lglise pa-triarcale. Ce schisme persista galement jusquen 1943.

    La dclaration de larchevque Serge en 1927 provoquaun toll de protestations de la part dvques, de prtreset de fidles partout dans le pays, qui voyaient mal le

    10Pre Arsne, Passeur de la foi, consolateur des mes, t. I,et Prsence du Christ au cur de la souffrance, t. II, Cerf/Lesel de la terre, 2002 et 2004. Une partie des rcits de pre Ar-sne des camps de concentration est accessible aux Pages Or-

    thodoxes La Transfiguration : www.pagesorthodoxes.net/ pa-ges-choisies/pere-arsene.htm. Voir aussi Mgr Luc de Simf-ropol, Voyages travers la souffrance, Autobiographie d'unarchvque-chirurgien pendant la grande perscution sovi-tique, Cerf/Le sel de la terre, 2001.11 Voir aussi L'glise des catacombes en URSS , dansBernadette Morand, Combats pour la foi en URSS, Mame,1979 ; et larticle du professeur Ivan Andreyev, The Cata-comb Church in the Soviet Union, Orthodox Life, Vol 2, No2, 1951; sur internet : www.holycross-hermitage.com/ pa-ges/Orthodox_Life/CatacombChurch.htm .12Les chrtiens en URSS, p. 28.

    soutien quasi inconditionnel du pouvoir communisteexprim dans la dclaration13. Le mtropolite Joseph(Petrovikh) de Leningrad refusa de reconnatre la lgi-timit de lautorit du mtropolite Serge et devint lechef dun schisme de droite , nomm aussi jos-phiste . Ce schisme fut largement rabsorb vers 1936,mais a survcu plus longtemps dans les camps de

    concentration dans et la clandestinit ainsi que danslglise russe en exil14. Lglise russe hors-frontiresconsidrait jusqu rcemment le patriarcat de Moscoucomme une crature du gouvernement sovitique quinavait jamais renonc au sergisme , mme aprs lachute du communisme.

    4. LGLISE DES CATACOMBES

    Perscuts de tous bords et tous cts, beaucoup demembres du clerg et de fidles vivaient leur foi, parmitant de dangers, en cachette : Retire-toi dans ta cham-bre, ferme sur toi la porte, et prie ton Pre qui est l,

    dans le secret(Mt 6,6). Il y eut des ordinations secrtesde prtres et mme dvques, la tonsure secrte demoines et de moniales, des lieux de culte dans les mai-sons, des communauts informelles de fidles, non rat-tachs lglise patriarcale. la veille de la deuximeGuerre mondiale, il tait impossible pour la quasi totali-t de la population de pratiquer le culte et de trouver desglises en fonction. Mais le peuple restait profondmentcroyant : au recensement, rest secret, de 1937, lanneo la perscution atteignait son apoge, plus de 50 pourcent de la population sovitique se dclarait croyante(certaines sources donnent le chiffre de 70%)15. La foi et

    la pratique religieuse continuaient, tant bien que mal,mme avec la liquidation dune grande majorit duclerg, la dsintgration des structures de lglise et lafermeture de presque tous les lieux de culte et de tousles monastres.

    La perscution des annes 30 a donn naissance beau-coup de groupes indpendants de lglise orthodoxerusse dirige par le mtropolite Serge. Certains de cesgroupes sinscrivaient dans le mouvement de continua-tion des josphistes aprs la deuxime Guerre mon-diale. Ils se rassemblaient souvent sous une structureminimale ; mentionnons par exemple la Vraie glise

    13Cf.Les chrtiens en URSS, pp. 39-40.14Les chrtiens en URSS, p. 58.15Andrea Riccardi, dansIls sont morts pour leur foi, donne lechiffre de 50% (cf. note 59), Nikita Struve, crivant en 1963,donne 70% de source informe dans Les chrtiens enURSS, p. 47, ainsi qu Irne Semenoff-Tian-Chansky, Le

    printemps de la foi en Russie, p. 30 ; William C. Fletcher critque sensiblement plus que la moiti de la population delUnion sovitique se dclaraient croyants (The RussianUnderground Church, 1917-1970, p. 81).

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    orthodoxe et les Vrais chrtiens orthodoxes ;dautres taient de caractre plutt sectaire, souvent apocalyptique , mais tous cherchaient des moyens devivre la foi sous des conditions de perscution et depropagande antireligieuses continuelles16. Souvent aus-si, il sagissait simplement de petits groupes de fidlesqui se rassemblaient, avec ou sans un prtre, pour des

    sessions de prire, des offices et des activits de res-sourcement spirituel. Bien sr, les sovitiques tentrentdinfiltrer et de dtruire tous ces groupes, mais il taitdifficile, mme dans les conditions dtat policier delUnion sovitique pendant bien des dcennies, decontrler toute la population tout le temps. Mme lescamps de concentration devinrent en quelque sorte des sminaires , dont certains furent des incubateurs pourun grand nombre des chefs des groupes religieux clan-destins.

    Ces cellules de fidles ntaient pas ncessairementen conflit avec lglise. Mais, privs tout fin pratique

    de la possibilit de pratiquer leur foi ouvertement, lesfidles se trouvaient obligs de la pratiquer en clandes-tinit, mme au risque de la dcouverte, de larrestation,de lexil et de lemprisonnement. Cest ce genre decommunaut qui stait forme autour de pre Arsne,lgitimement au dbut, dans les annes 20, puis clandes-tinement, avec les vagues des perscutions. La commu-naut survcut les deux premiers exils de pre Arsne etun noyau de la communaut restait mme aprs les 18ans que pre Arsne passa dans les camps de concentra-tion. Aprs sa libration en 1957, le pre Arsne exer-ait son ministre en priv, non sans risque. Il fut lun

    des nombreux vritables starets des catacombes quiont assur la transmission de la tradition spirituelle delglise orthodoxe17.

    lexception des quelques groupes dune certaine en-vergure (les josphistes , Vraie glise orthodoxe et les Vrais chrtiens orthodoxes ), lhistoire delglise des catacombes ne peut tre que fragmentaire,compose surtout de rcits individuels, et cest cela quifigure dans les deux tomes du livre de pre Arsne.

    Les rcits Une communaut bien vivante et Irne illustrent bien le mode de vie des chrtiens des cata-

    combes , les risques et les dceptions, mais aussi lesmanifestations de la prsence de lEsprit-Saint.Lexistence de lglise des catacombes a largement

    16 Cf. Les chrtiens en URSS, chapitre X, En marge delglise : Schismes et sectes ; et William C. Fletcher, The

    Russian Underground Church, 1917-1970, en particulier cha-pitres IV, VII et VIII.17Outre le livre du pre Arsne, voir aussi Irne Semenoff-Tian-Chansky, Tmoins de la Lumire, Six prtres de lpo-que sovitique, Cerf/Le sel de la terre, 1999.

    contribu la survie de la foi en Russie pendant les d-cennies de perscution et, runie aux structures delglise orthodoxe russe la fin des annes 80, a permisla floraison rapide de lglise en Russie dans les annes90.

    5. LGLISE EN EXIL

    Aprs la guerre civile en Russie entre 1918 et 1921, ungrand nombre de Russes ont pris le chemin de lexil etdautres ont t expulss par les communistes vain-queurs. Parmi les rfugis se trouvaient des vques, desprtres et des thologiens lacs qui permirentltablissement dune glise russe en exil, centredabord en Serbie, puis en Europe occidentale, surtouten France, et aux tats-Unis. Saint Alexis Medvedkov,dont nous prsentons la vie en ce numro du Bulletin,ainsi que sainte Marie de Paris (mre Marie Skobtsov)et ses compagnons, sont issus de lglise russe en exil.Trois aspects se dgagent de cette prsence de glise

    russe en exil : premirement, lpanouissement de lathologie russe, dabord en France, notamment lInstitut de thologie orthodoxe Saint-Serge, et de l, exporte aux tats-Unis ; deuximement, louver-ture des communauts orthodoxes russes, non seulement lOccident, mais aux Occidentaux (en France, partirde 1928 environ) ; enfin, lmergence dune nouvelle Orthodoxie occidentale sous multiples formes ; troi-simement, la division des orthodoxes russes entre dif-frents ressorts de comptence, surtout en France, otrois autorits demeurent distinctes depuis les annes 30jusqu nos jours.

    LA FIN DES PERSCUTIONSLa perscution de lglise et des chrtiens continua,quoique mitig, dans les annes 70 et 80. Lan 1988marqua le millnaire de la conversion de la Russie sous le tsar Vladimir en 988. La clbration de ce grandvnement, pendant la priode de la perestroka sousMikhal Gorbatchev, a eu lieu avec beaucoup de faste etmarque en quelque sorte la fin de la perscution com-muniste et lmergence en plein jour de l glise descatacombes . Mais lan 1988 ne fut pas la fin dfinitivedes coups contre lglise : au petit matin du 9 septembre1990, dans une banlieue nord de Moscou, le preAlexandre Men, devenu en deux ans aptre de lgliserusse nouvellement libre, prdicateur et crivain d-vou et inlassable, star des mdias, est assassin coups de hache sur le chemin de la gare, alors quil vaclbrer la divine liturgie. Il fut le dernier martyr ducommunisme en Russie.

    Pour aller plus loin : Outre les rfrences dans les notesde bas de page, on peut consulter la Bibliographie dansAntoine Nivire,Les Orthodoxes russes, Brpols (Coll.Fils dAbraham), 1993, pp. 211-233.

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    SAINT HIROMARTYR BENJAMIN,

    MTROPOLITE DE PETROGRAD (1872-1922)

    Le mtropolite Benjamin (Basile Pavlovitch Kazanski)naquit en 1872 dans le village de Nimenski, provincedOlonets. Fils dun prtre, il crivit de son enfance et

    de son adolescence : Je me plongeais dans la lecturedes vies des saints et jtais merveill de leur hrosmeet leur sainte inspiration. De tout mon cur je regrettaisque les temps aient chang et que personne navait plus souffrir ce quils ont souffert. Mais les temps ontchang de nouveau et loccasion nous est offerte desouffrir pour le Christ, aux mains des ntres et destrangers .

    En 1893 il entre lAcadmie thologique de Saint-Petersbourg et en 1895 il est tonsur moine et ordonndiacre ; lanne suivante il est ordonn prtre. la finde ses tudes lAcadmie thologique en 1897, il estnomm professeur dtudes bibliques au Sminaire deRiga. Aprs quelques annes comme inspecteur de s-minaires, en 1902 il est nomm recteur du Sminaire deSamara et en 1905, recteur du Sminaire de Saint-Petersbourg.

    En 1910 il est ordonn vque de Gdov, dans le diocsede Saint-Petersbourg. Savant, irrprochable et coura-geux, il place les intrts de lglise au-dessus de touteautre considration et il ose mme critiquer Raspoutine,alors en grande faveur auprs de la cour impriale.Aprs la rvolution de fvrier 1917, il est lu archev-

    que de Petrograd puis, en aot 1917, il est lev au rangde mtropolite. Il devient membre du Saint-Synode delglise orthodoxe russe et participe aux travaux duConcile de 1917-1918 de lglise de Russie, qui res-taure le patriarcat aboli par Pierre le Grand au XVIIIesicle et lit Tikhon, mtropolite de Moscou, auparavantarchevque des Amriques, patriarche.

    En mars 1922, les communistes commencrent confisquer les trsors des glises sous prtexte daiderles affams dans la rgion de la Volga. Le mtropoliteBenjamin sobjecta la confiscation mais il donna sabndiction pour des dons volontaires dobjets de va-leur. Il fut motiv la fois par compassion pour les af-fams et par le souci dviter les conflits sanglants entreles bolcheviques et les croyants, comme ce fut le casdans dautres villes. Au dbut, les autorits communis-tes de Petrograd adoptaient une attitude conciliatoire etacceptaient la proposition du mtropolite pour des donsvolontaires et le contrle des fonds par les paroisses.Mais Moscou dsapprouva ; on voulait, non pas la col-laboration de lglise, qui aurait eu comme effet de re-hausser le prestige de lglise, mais le conflit avec

    lglise. Alors le mtropolite fut inform quil ny au-rait ni contributions volontaires ni contrle par lglise,mais la confiscation des biens de lglise.

    Le 2 mai 1922, le saint patriarche Tikhon fut arrt pouravoir promulgu un ukase (dcret ecclsial) claircissantle dcret du gouvernement sovitique ordonnant quetoutes les glises doivent donner leur or et leur argent ltat. Le patriarche prcisait que les ustensiles sacrsen or et en argent qui avaient dj servi pour la clbra-tion de leucharistie ntaient pas concerns par le d-cret, selon les canons de lglise. Mais trois vques,Evdokim, Antoine et Leonid, accompagns de plusieursprtres, dont Alexandre Vdenski, exprimrent leur d-saccord avec le patriarche. Ils signrent une dclarationdisant que le patriarche interdisait illgalement le dcret,mais queux le permettaient. Cest ainsi que le patriar-che fut arrt et emprisonn.

    Dans cette situation difficile, le patriarche Tikhon passala direction de lglise au premier intrimaire dsignpar le Concile local, le mtropolite Agathangel de Yaro-slav, qui prit cette responsabilit le 3 mai 1922. lasuite dun dcret semblable du patriarche Tikhon en no-vembre 1920, le mtropolite Agathangel informa lesprtres et lacs que dsormais chaque vque devaitconduire son troupeau selon sa conscience et le sermentquil avait prt lors de son ordination ; sil y avait des

    problmes difficiles rsoudre, les vques devaientsadresser lui-mme. Mais aussitt lukase promulgu,le mtropolite fut arrt et envoy en Sibrie, tandis queles ex-vques Evdokim, Antoine et Leonid ont imm-diatement accord le titre de mtropolite aux prtresqui les suivaient. Ils tablirent l Administration sup-rieure de lglise (ASE), qui fut immdiatement re-connue et soutenue par le pouvoir sovitique. Ainsicommena le schisme de l glise vivante , devenueplus tard l glise rnove ..

    Cette Administration commena diriger les affai-res ecclsiastiques de toute la Russie. Ses chefs promul-gurent un programme hrtique en 28 points et ilsremportrent un succs considrable Moscou, exigeantde tous lacceptation des 28 points et la reconnais-sance de lautorit de lASE par tous les vques et lesprtres. Le 27 mai 1922, en moins dun mois, leur tchefut acheve Moscou : quiconque parmi les prtresnacceptait pas les 28 points pouvait dsormaissattendre tre arrt et emprisonn tout moment parles autorits sovitiques.

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    Le 28 mai, les reprsentants de l glise vivante ren-contrrent le mtropolite Benjamin et lui prsentrent leprogramme des 28 points . Le sage hirarque leurdit : Jai t lu ce sige par le peuple. Sans le peu-ple, je ne peux rien dcider. Demain, cest dimanche, lepeuple ne travaille pas. Assemblons les croyants laLaure Alexandre-Nevsky. Vous leur expliquerez vos

    buts et ce quest lglise vivante. Et si le peuplelaccepte, je pourrai alors vous donner une rponse .

    Le mtropolite Benjamin demanda les doyens des gli-ses de Petrograd dinformer les fidles que des mtropo-lites taient venus de Moscou lui demandant daccepterle rnovationisme . Le lendemain, environ 12,000 fi-dles se rassemblrent la Laure Alexandre-Nevski.. la fin de la Divine Liturgie, le mtropolite expliqua aupeuple que des reprsentants de lglise vivante taientvenus de Moscou, quils allaient exposer leur enseigne-ment et que le peuple devait dcider daccepter ou de re-jeter leurs doctrines.

    Les reprsentants de lglise vivante prirent la parole :ils disaient que le Seigneur Jsus Christ nest pas Dieu,mais tout simplement un homme sage ; que la ViergeMarie nest pas la Mre de Dieu , elle nest pasVierge, mais simplement femme ; quon ne doit pasbaptiser les jeunes enfants mais seulement ceux qui sontparfaitement conscients de ce quils font ; quil fautdabord se marier civilement, puis, on doit voir si lecouple est bien assorti si ce nest pas le cas, lesconjoints doivent se sparer ; quon ne doit pas recon-natre de saintes reliques, ni aucune autre relique, ni le

    monachisme non plus ; quun homme ne peut tre sansfemme, ni un femme sans homme ; les vques doiventdonc prendre femme et un prtre veuf doit pouvoir seremarier une deuxime et une troisime fois.

    Quand ils eurent termin, le peuple scria : Nous nevoulons pas dune telle glise. Nous croyons que leSeigneur Jsus Christ est Fils de Dieu et Dieu, et nousreconnaissons que la Mre de Dieu est Vierge !... Nousne voulons pas de vos explications. Nous navons pasbesoin de votre nouvelle glise vivante. Honte,honte !...

    Le mtropolite Benjamin calma le peuple et dit quelglise vivante reconnaissait des doctrines fausses etblasphmatoires. Il dnona leurs reprsentants comme des loups sous des peaux de brebis qui prchaient leblasphme dArius et ses disciples, condamns par lessept Conciles cumniques et vous lanathme, lasparation davec lglise du Christ. Puis, retournantaux Portes royales de lglise, il dit : Au nom de notreSeigneur Jsus Christ, le Fils de Dieu, et de sa toute-pure, immacule et toujours Vierge Marie, la Mre de

    Dieu, je livre lanathme la soi-disant glise vivante etses chefs et son troupeau !

    Alexandre Vdenski, un des nouveaux mtropolites ,senfuit par une porte latrale de lautel et informa leGPU la police politique par tlphone de ce quistait pass. Le mtropolite Benjamin fut arrt avecceux qui taient avec lui. Tout le peuple qui avait tdans la laure et dans les alentours alla demander leur li-bration, mais les autorits ne les relchrent pas. Dansla soire, 30,000 personnes environ taient rassemblesdans la rue du GPU et les rues voisines. La foule ne sedispersa pas et continua demander la libration du m-tropolite. Puis, le soir, les autorits envoyrent une unitde cavalerie droit sur la foule et beaucoup de gens furentcrass sous les pieds des chevaux.

    Le 16 mai le saint mtropolite fut inculp davoir rsist la rquisition des trsors de lglise et il fut traduitdevant un tribunal le 28 mai, avec la plupart des sup-

    rieurs des glises de Petrograd, les professeurs delAcadmie thologique et de lInstitut de thologie, desmembres du clerg et des lacs, 87 personnes en tout.Avant le procs, on lui donna la possibilit de se sauversil rvoquait lanathme. Il refusa.

    Au procs, le mtropolite fut accus dtre un ennemidu peuple qui travaillait en accord avec la bourgeoisiemondiale. Les rnovationistes tmoignaient contrelui, mais trois tmoins qui savancrent pour le dfendrefurent immdiatement arrts. Le juge dinstruction d-clara : Lglise orthodoxe toute entire est une orga-nisation contre- rvolutionnaire. Il sensuit que toute

    lglise devrait tre emprisonne ! Paroles prophti-ques de ce qui sest pass en Union sovitique par lasuite.

    Le mtropolite rejeta toutes les accusations portescontre lui et dit notamment : La politique mest tran-gre. Dans la mesure du possible jai tent de ntrequun pasteur dmes. Debout devant le tribunal,jattends calmement sa sentence, me souvenant des pa-roles de laptre : Que nul dentre vous nait souffrircomme malfaiteur, mais si cest comme chrtien, quilnaie pas honte, quil glorifie Dieu de porter ce nom (1P 4,15-16) .

    Lavocat de la dfense termina sa plaidoirie en disant : Si le mtropolite prit pour sa foi, pour son dvoue-ment sans faille envers les masses de croyants, il de-viendra encore plus dangereux pour le pouvoir soviti-que quil ne lest actuellement La loi immuable delhistoire nous avertit : la foi saccrot, saffermit et serpand sur les sang des martyrs .

    Et le saint mtropolite de conclure : Je suis un fils fi-dle de mon peuple. Jaime et jai toujours aim le peu-

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    ple. Jai vou ma vie entire au peuple et je suis bni carle peuple commun me rend ce mme amour. Cest luiqui ma plac dans la position que joccupe au sein delglise orthodoxe. Je ne sais pas quel sera votre juge-ment, mais que vous dcidiez pour la vie ou pour lamort, jlverai les yeux vers Dieu, je ferai le signe decroix et jaffirmerai : Gloire toi, Seigneur, gloire toi

    en toutes choses .Le 5 juillet 1922 le mtropolite Benjamin fut trouvcoupable davoir organis une groupe contre-rvolutionnaire ; lui et neuf autres furent condamns tre fusills, dautres des sentences de prison. Depuisla prison, le mtropolite crivit : Maintenant cest lemoment de lpreuve. Certains sacrifient tout pour lesconvictions politiques Ne pouvons-nous pas, nouschrtiens, manifester un courage semblable, un couragejusqu la mort, si nous croyons vraiment en Christ et la vie du sicle venir ?... Mes souffrances sont leurcomble, mais les consolations abondent. Je suis joyeux

    et calme. Christ est notre vie, notre lumire et notrepaix ! Avec lui, tout va toujours pour le mieux. Je necrains pas pour lavenir de lglise. Nous les pasteursnous devons avoir une foi encore plus forte, abandon-nant notre autosuffisance, nos connaissances, nos sa-

    voirs et notre force humaine pour cder la place lagrce divine .

    La nuit du 31 juillet au 1eaot 1922 (12/13 aot au ca-lendrier grgorien) le mtropolite Benjamin,larchimandrite Serge, Georges Novitski et Jean Kovs-harov, deux lacs, furent rass et habills en guenillesafin que le peloton dexcution ne sache pas quil ex-cutait des membres du clerg. Larchimandrite Sergepriait haute voix : Seigneur, pardonne-les car ils nesavent pas ce quils font ! . Le mtropolite pria calme-ment et fit le signe de croix. Ainsi se termina la vie decet homme tout de bont et dhumilit, proche du peupleordinaire, vaillant athlte du Christ et mule des saintsmartyrs des premiers sicles. Le mtropolite Benjamin,larchimandrite Serge, Georges Novitski et Jean Kovs-harov furent canoniss par lglise orthodoxe russe enavril 1992, en mme temps que le mtropolite Vladimirde Kiev, sauvagement assassin le 25 janvier 1918, lepremier vque martyris par les communistes, ainsi

    que deux moniale : la grande duchesse lisabeth et sonassistante Barbara, assassines en juillet 1918.

    Saint hiromartyr et hirarque Benjamin et tous lessaints confesseurs et martyrs du joug communiste, priezDieu pour nous !

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    PRE ARSNE :

    HISTOIRE DUNE COMMUNAUT VIVANTE

    En 1919 le pre Arsne, devenu moine et prtre au clbre monastre dOptina, retourne Moscou, sa ville natale, pour y travailler dans une des paroisses de la ville. Il y tablit unecommunaut spirituelle de lacs. En 1927, il est arrt pour le premire fois et exil pour deuxans. Il est de nouveau apprhend en 1931 et exil pour cinq ans. Arrt une troisime fois en1939, il est dabord exil, puis en 1940 il entre dans le systme des camps de concentration,do il ne sort quen 1958. Il stablit alors dans la ville de Rostov-le-Grand jusqu son dcsen 1975. Les trois rcits qui suivent, extraits du livre Pre Arsne, Passeur de la foi, consolateurdes mes[Cerf/Le sel de la terre, 2002]furent crits par des enfants spirituels de pre Arsne.Un deuxime tome du livre de pre Arsne vient de paratre aux ditions Cerf/Le sel de la terresous le titre Prsence de Dieu au cur de la souffrance (2004).

    Des souvenirs sur le pre Arsne, la communaut, sa

    vie, les frres et surs, on a commenc en rdigerdans les annes 1920 dj. Ils taient sincres, frais,pleins de latmosphre spirituelle dans laquelle on vivait lpoque. Mais avec le dbut des rafles et la perscu-tion contre les croyants, beaucoup dentre nous ont br-l ce quils avaient crit ou lont donn garder dautres personnes, lextrieur de la communaut. Parcrainte de la rpression, celles-ci ont souvent dtruit cespapiers. Chez deux surs et un frre de la communaut,

    on a en effet trouv des textes de souvenirs lors dune

    perquisition, ce qui nous a normment nui.Les annes les plus dures ont t celles de 1928 1937 :arrestations, exils, camps, fermeture systmatique desglises, arrestations en masse des prtres et des parois-siens, incertitudes sur le lendemain. la fin dcembre1927, juste la veille de Nol, le pre Arsne a t arr-t et exil dans la rgion dArkhangelsk, puis transfrdun village lautre tous les quatre ou cinq mois.

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    Notre glise est reste ouverte jusquen 1929. Nos pr-tres, le pre Stphane et le pre Basile, y clbraient ;ensuite, ils ont t arrts et remplacs par un nouveaurecteur issu de l glise vivante . Alors, on se rendaitdans les autres glises encore ouvertes ; la communautvivait dans la clandestinit.

    Aller voir le pre Arsne en exil est devenu trs compli-qu. Les exils avaient faim et nous essayions de leurapporter le plus possible de nourriture, des paquets delettres de leurs enfants spirituels ; naturellement, noustentions galement de parler avec eux, mais des diffi-cults presque insurmontables surgissaient. Une fois,aprs la deuxime visite dune de ses filles spirituelles,le pre Arsne subit un interrogatoire dtaill de lagentde la milice sur les gens qui taient venus et les raisonsde leur visite ; on lui interdit den recevoir dautres. []

    Aprs la fin de son exil et de la priode o il devait ha-biter plus de cent kilomtres de Moscou, le pre Ar-

    sne sest install dans une petite ville de la rgion mos-covite o, par miracle, il y avait encore une petite gliseouverte. Le recteur, le pre Alexandre, qui tait vieux etmalade, permit batiouchka [nom daffection donn un prtre] de clbrer, sans doute avec lassentiment desautorits. Le pre Arsne ne clbrait pas souvent, maiscela donnait la possibilit tous ses enfants spirituelsencore en libert de venir le voir. Nous sentions bienque ce ntait pas pour longtemps, car la rpressionsintensifiait et les autorits faisaient tout pour anantirlglise, exterminer compltement le clerg, souiller etdtruire les glises.

    En 1931, le pre Arsne fut arrt pour la deuxime foiset exil dans la rgion de Vologda. En 1939, il fut denouveau arrt, envoy pour peu de temps en Sibrie,puis dans lOural, puis pour un an dexil dans la rgiondArkhangelsk batiouchka en parle lui-mme dans sessouvenirs sur le pre Hilarion. la fin de 1940, il a tdtenu dans les camps. Nous navons pas su jusquen1956 sil tait encore en vie ou sil avait t fusill.Nous, ses enfants spirituels encore en libert, avionsbien des raisons de nous inquiter. Certains dentre noustaient de plus en plus frquemment convoqus laLoubianka [prison centrale de Moscou], dautres taient

    arrts, envoys dans les camps, expulss de Moscou.Ainsi Boris Timofvitch, le pre Boris qui avait t or-donn prtre en secret avec la bndiction du pre Ar-sne, fut arrt lui aussi. Seuls Natacha, Iouri et Vrasavaient quil avait t ordonn. Par bont dme, il c-lbrait la liturgie chez K. S., mais elle avait invit sansson accord quelques personnes. Nous avons su, daprsles questions des enquteurs de la Loubianka, quil yavait des dnonciateurs dans notre groupe. Nous noussommes mis analyser scrupuleusement chaque fait et

    geste de chacun de ceux qui taient venus cette litur-gie.

    Cela nous a permis de dterminer qui avait dnonc ctait curant, mais il fallait absolument le savoir.Nous avons cr des groupes ferms de sept ou huit per-sonnes qui se connaissaient bien ; nous avons convenude ne pas dire aux membres des autres groupes quand ily aurait la liturgie chez nous, quand nous allions lire en-semble les vpres, les matines, les acathistes. Toutes lesactivits taient dcides par les chefs de groupe, et lescollectes taient faites dans chaque groupe par les ans.Les arrestations cessrent, mais il ny avait plus lamme ouverture quavant entre nous tous.

    Beaucoup dentre nous remarquaient quon les suivait,quon les prenait en filature. Dans ces cas-l, on nallaitjamais chez des membres de la communaut, mais dansla famille ou chez des connaissances neutres. Tout lemonde est devenu prudent. Il arrivait que sans se mettre

    daccord, le soir ou le dimanche matin, lune des deuxdnonciatrices souponnes disait : Je viens loffice . Alors on rpondait : Excusez-moi, maismaman est malade et nous navons pas doffice domi-cile .

    Lesprit de la communaut nous a unis comme avantjusquen 1941 ; nous essayions de conserver les liensanciens, de nous rencontrer et davoir des clbrationssecrtes dans des maisons. Mais, aprs 1941, on ne c-lbrait plus de liturgie domicile ; on se rassemblaitsimplement en groupe, discutait les uns avec les autres,lisait tout haut les uvres des Pres de lglise. Parfois,

    quelquun dentre nous faisait un petit expos sur unthme spirituel choisi, et ctait comme une lueur dansla lucarne .

    On se confessait et communiait dans les glises ouver-tes, mais les prtres ne comprenaient pas toujours nosconfessions. Les prtres stonnaient quand lun dentrenous demandait conseil sur des questions spirituelles oude vie, ou bien ouvrait son me en parlant de ses pen-ses ; ils prenaient cela pour de lexaltation spirituelle etsempressaient de nous donner labsolution.

    On ne savait toujours rien sur le pre Arsne. On pensait

    quil avait t fusill ou quil tait mort en camp. Je mesouviens, le 7 avril 1956 ctait le jour delAnnonciation Ioulia et Liouda sont accourues ouplutt se sont rues chez nous en sexclamant Youra !Kira ! Une lettre du pre Arsne ! On a tout de suitetlphon Vra (Danilovna) et Natacha (Natalia P-trovna), et elles sont venues nous rejoindre. Oh ! quelbonheur ce fut! Comme il avait donn ladresse ducamp, nous lui avons aussitt envoy des lettres. Olgaest alle le voir la premire, puis Iouri, Natacha, Iouliaet Liouda. Dans sa lettre, le pre Arsne avait crit que

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    les visites taient autorises. Nous lui avons apport dela nourriture, de largent, diffrentes choses. son re-tour, Olga a racont avec joie que le pre Arsne avaitpeu chang, mais son regard lavait frapp, tant il taitlumineux et inspir ; lui-mme tait devenu plus svre,mais par ailleurs plus doux. Il avait distribu aussitt cequon lui avait apport.

    Le pre Arsne a t libr au dbut de 1958, puis rha-bilit. Sans prvenir personne, il est parti Rostov-le-Grand. Il a eu des difficults se trouver un toit, maispar la grce de Dieu il a t hberg chez Nadjda P-trovna, o il a vcu dix-sept ans, gard par le Seigneur,la Mre de Dieu et les saints.

    Tant de gens sont alls le trouver pendant ces dix-septannes. Plus de la moiti de ses visiteurs avaient passpar les camps ; les autres, les nouveaux, taient amenssoit par les frres et surs de lancienne communaut,soit par des anciens prisonniers des camps.

    Qui na-t-on pu rencontrer chez Nadjda Ptrovna : telacadmicien ou membre correspondant de lAcadmieaux cheveux blancs, tel gnral en retraite, kolkhosienou docteur de luniversit, tel mdecin, ouvrier, psychia-tre fort connu, ancien travailleur du Parti, tels anciensvoleurs jouissant de limpunit, ayant rompu avec lemonde du crime sous linfluence du pre Arsne, etmme des anciens de la police secrte ou des rensei-gnements, qui avaient fait un sjour dans les camps etqui, rhabilits, taient devenus croyants !

    Jeunes et vieux, employs, retraits et mnagres, tous

    venaient trouver le pre Arsne. Tant dpreuves, depeines et de larmes sont entres dans sa chambre ! Tantde gens en sont ressortis renouvels, pleins desprance,enrichis de foi et damour ! Parfois, des vques ve-naient limproviste pour un jour, habills en civil ;dautres hirarques en retraite restaient des semaines.Venaient galement des prtres rencontrs dans lescamps et qui staient lis damiti pour la vie avec lepre Arsne. Arrivaient bien sr aussi les frres de lacommunaut, qui avaient t ordonns prtres en secretentre 1935 et 1940, et qui maintenant clbraient dansdes glises de divers diocses. Mais certains demeu-raient prtres dans le secret ; lun tait membre corres-pondant de lAcadmie des sciences, un autre docteur ssciences, un autre encore constructeur davions ou demoteurs. Ils ne clbraient plus doffices domicile,mais se rendaient dans les glises. Lorsquils venaientchez le pre Arsne, ils conclbraient avec lui. La vo-lont du Seigneur et le temps avaient remis chacun saplace. Cependant, il y a eu aussi des pertes. Ainsi, dessept surs environ qui staient loignes au temps desperscutions, seules trois ou quatre sont venues voir lepre Arsne aprs son retour des camps.

    Comme avant, on faisait des collectes pour les pauvres,on se relayait au chevet des malades, on visitait ceux quitaient hospitaliss ou dans des maisons de retraite. Desenfants spirituels venaient non seulement de Moscou,mais de tous les coins de lUnion sovitique : de Maga-dan (en Extrme-Orient, sur le Pacifique), de Norilsk(au-del du cercle polaire), de Leningrad, dAlma-Ata

    (au Kazakhstan), de Iaroslavl, de Gorki, de Kharkov etde bien dautres villes encore. []

    Avec le retour du pre Arsne, lanne 1958 marqua untournant dans la vie de beaucoup dentre nous. Certes, lacommunaut ne pouvait pas renatre sous sa formedautrefois : il ny avait pas dglise, les temps avaientchang. Le pre Arsne est devenu pour nous un staretsdans son ermitage, quon venait trouver en qute deconseil spirituel, pour dposer le fardeau de ses pchset se purifier. Une fois de retour dans le monde, on d-pensait peu peu la grce reue, puis on revenait en sontemps pour tre purifi. Pour tous les visiteurs, la rgle

    tait de ne pas dpasser le rythme dune fois tous lestrois mois. Seuls Liouda, Iouri, Natacha, le pre Ger-main, quelques autres et moi avions le droit de venirquand nous voulions ; cependant, nous, les lus , t-chions de ne pas venir trop souvent. Beaucoup dentrenous venaient passer leurs vacances Rostov. Ilslouaient des chambres et parlaient souvent avec le preArsne ; si sa sant le permettait, ils allaient se prome-ner avec lui dans la ville et les environs. Iouri et moi,nous sjournions presque chaque anne un mois Ros-tov ; nous passions beaucoup de temps avec batiouch-ka ; les dernires annes, nos petits-enfants nous ac-

    compagnaient. []Par certains cts, cette communaut tait unique. Dansles annes 1920 et 1930, elle tait forme en majoritdintellectuels, duniversitaires, de jeunes tudiants, demembres des cercles dtudiants chrtiens. Cela mar-quait tous les participants, crait une atmosphre intel-lectuelle qui se refltait dans les relations, la faon depercevoir et de comprendre les offices, les enseigne-ments du pre Arsne. Je le souligne : ctait parfois uneinfluence positive, mais cela pouvait aussi gner ; tropdintellectualisme dresse parfois des obstacles la

    connaissance de Dieu, la foi, lamour entre les per-sonnes, la comprhension spirituelle du monde et delme humaine. Cela se manifestait particulirementdans les causeries que donnait le pre Arsne et dans lesquestions quon lui posait, ou mme dans les discus-sions trs animes. On sentait que certains percevaientla foi non pas avec leur me et leur cur, mais avec leurraisonnement, la confrontant un bagage de connais-sances acquises. Les questions et les discussions se pro-longeaient aprs les causeries, quand tout le monde re-partait chez soi.

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    Mais plus la communaut vivait, moins il y avait decontroverses, plus la comprhension mutuelle etlamour sinstallaient entre nous. On aurait tort de pen-ser que le haut intellectualisme de beaucoup de sesmembres rendait ceux-ci plus riches que dautres issusdune famille ouvrire ou paysanne. Souvent, celui quinavait pas fait de longues tudes ou pas dtudes du

    tout dpassait spirituellement de deux ou trois tteslintellectuel, quil soit ingnieur, mdecin ou ensei-gnant. Dans la communaut, il y avait au dbut des ci-devant comme on disait : nobles, riches industriels,marchands, princes aux noms connus dans le monde en-tier et leurs enfants. Cependant, personne ne se vantaitde ses origines ; nous tions tous gaux ; chacun denous ne pouvait se distinguer que par le niveau de sonducation spirituelle et de son obissance, par la pro-fondeur de sa prire, sa bont et son amour. []

    Les gens venaient voir le pre Arsne dans des momentspnibles et douloureux de leur vie. Quand ils se trou-

    vaient la croise des chemins et ne savaient plus quefaire, il leur montrait la route prendre. Dans le chagrin,quand lme se consumait la mort dun proche oudune autre personne chre, il les consolait, les instrui-sait dans la foi et, par la prire commune de tous ceuxqui taient venus, les faisait revenir la vie. Si quel-quun commettait un pch grave, il implorait le Sei-gneur pour lui, demandait son pardon, mais il parlaitcomme pasteur et pre spirituel de telle faon que lapersonne se souvienne toute sa vie de ses paroles et es-saye de ne plus jamais recommencer.

    Comme on la dj dit, il y avait dans la maison de Na-djda Ptrovna en permanence au moins quatre ou cinqpersonnes venues pour un ou deux jours ; les diman-ches, parfois, il en venait jusqu douze. Le pre Arsnedevait absolument parler avec elles, les confesser et leurdonner la communion, ce qui demandait du temps et desforces. Il se fatiguait beaucoup, et ltat de son curlobligeait souvent stendre sur le divan et recevoirses visiteurs en position allonge. Certains jours degrande affluence, la situation se compliquait dans lamaison, parce que les premiers arrivs devaient partirpour laisser la place aux autres.

    Le pre Arsne, fatigu et malade, tait oblig de rece-voir ses visiteurs mme la nuit. Il ne faisait aucune dif-frence dordre hirarchique entre les motifs qui avaientamen chez lui ses enfants spirituels ; il coutait tout at-tentivement, conseillait, confessait. Un jour, nous avonsessay de compter les personnes qui taient venues Rostov en une anne. Nous en avons dnombr pasmoins de trois cent cinquante trois cent quatre-vingts.Il tait notamment venu de vingt vingt-cinq prtres parmi ceux que javais vus de diffrentes villes delUnion sovitique : des prtres rencontrs dans les

    camps, des frres de la communaut qui avaient t or-donns au sacerdoce et clbraient maintenant dans lesparoisses. On comptait aussi quelques dizaines de per-sonnes rencontres par le pre Arsne dans les camps et peu prs autant de frres et surs de la communaut.De fait, beaucoup navaient pas survcu jusqu la lib-ration du pre Arsne ils taient dcds de mort natu-

    relle ou en dtention ou encore en exil, trois avaient tfusills : le pre Igor, le diacre Eugne et Valentina P-trovna. On avait vu beaucoup de visages nouveaux, desparents, des enfants (gs de vingt quarante ans d-j !), des connaissances et amis de membres de la com-munaut, des anciens des camps et dautres que nous neconnaissions pas, mais qui taient venus par je ne saisquels chemins. Les prtres qui avaient connu le pre Ar-sne lui envoyaient leurs enfants spirituels.

    Batiouchka se fatiguait beaucoup. Ce nest que quandon lhospitalisait quil sisolait de ses enfants spirituels,mais alors il sinquitait pour eux. partir de 1966,

    lorsquil se rendait Moscou, le pre Arsne se faisaitremplacer par le trs vieux pre Philippe qui vivait de-puis longtemps prs de Iaroslavl ; lun dentre nous al-lait le chercher et le conduisait jusqu Rostov. Le prePhilippe tait trs instruit spirituellement, extrmementsage ; il approchait chacun en fonction de son monde in-trieur, de son ducation, de sa mentalit. Ctait un hi-romoine qui avait vcu au mont Athos au dbut de cesicle. En 1912, il tait revenu en Russie, avait vcu aumonastre des grottes de Pskov, et, par la volont deDieu, il avait chapp aux arrestations, aux camps et lexil. En 1922, il tait parti dans la rgion de Iaroslavl ;

    il vivait la retraite chez une famille, des croyants, dansun endroit o personne ne savait quil tait hiromoine.Ses enfants spirituels venaient le voir, lui comme le preArsne, mais il disait que sa famille tait petite : unetrentaine de personnes. Cela explique pourquoi il avaitchapp aux arrestations et aux camps. En 1966, le prePhilippe avait quatre-vingt-onze ans, mais il tait encoretrs actif, rapide, mobile. Il pratiquait la prire perp-tuelle de Jsus, clbrait avec pit, strictement maisavec inspiration. Nous laimions tous. Quand le preArsne tait malade, nous allions volontiers voir le prePhilippe, dont il tait proche spirituellement.

    Outre les longues conversations avec ses enfants spiri-tuels, le pre Arsne correspondait avec beaucoup depersonnes qui ne pouvaient pas venir le voir. Des lettresarrivaient diffrentes adresses Moscou, chez les en-fants spirituels qui les acheminaient jusqu batiouchka.Il les lisait et dictait les rponses ; Ania, Nina et moi,nous les notions Nina a crit des mmoires intitules Trs Sainte Mre de Dieu, aide-moi , racontantcomment elle a chapp la mort. Batiouchka dictaitentre sept et douze lettres par jour. Il te lisait attentive-

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    ment les lettres que nous crivions, mais il les corrigeaitrarement. Ensuite, nous les mettions dans des envelop-pes, crivions ladresse et quelquun en partancesarrangeait pour les dposer dans diffrentes botes auxlettres. Le pre Arsne crivait lui-mme les rponsesparticulires que nous ne connaissions pas, mais ellestaient peu nombreuses. Batiouchka tait si fatigu quil

    sefforait de nous dicter mme les rponses aux v-ques et aux prtres.

    Souvent il nous disait : Allez voir les Untel Moscou,ils ont beaucoup de difficults en ce moment . Parfois,il se levait trs tt le matin et dictait en urgence une let-tre lun de ses enfants spirituels vivant Riazan, Tor-jok, Leningrad ou Novgorod, en disant : Ils ont degros ennuis en ce moment . Nous notions et expdiionsla lettre en vitesse. Deux ou trois fois, il mest arriv et sans doute dautres aussi dexpdier la demandedu pre Arsne un tlgramme avec un seul mot : Ve-nez ! []

    En quelques mots, il faisait comprendre quil savaitpourquoi la personne tait venue, quil avait pntrdans son monde spirituel, quil connaissait ses angoisseset ses malheurs, sa confusion spirituelle. Alors la per-sonne se sentait aussitt plus proche de lui et ne crai-gnait pas de lui rvler son secret cach. Les paroles debatiouchka saccompagnaient dune prire sincre etdamour pour son visiteur. []

    En lisant les souvenirs de nombreux enfants spirituelsdu pre Arsne ainsi que les siens propres, je remarquequil rappelle constamment les commandements du Sei-

    gneur daimer Dieu et son prochain. Il sest fond surces commandements (Mt 22, 37-40) pour diriger lacommunaut jusquen 1940, dans ses entretiens avec sesenfants spirituels venus le voir Rostov aprs 1958, et,comme lont racont les anciens du camp, dans ses rela-tions avec les autres dtenus.

    Dans ses entretiens, ses conversations, le pre Arsnentait pas bavard ; il sefforait de donner, de transmet-

    tre son ide sous une forme la fois concise et prcise.Il tait toujours bien intentionn, et la personne sentaitcette bont intrieure et les bonnes paroles quil disait. Ilne supportait pas les discussions vaines, les jugementssur les personnes en particulier sur les prtres ni lamauvaise volont. Il ne supportait pas non plus lescommrages et les querelles entre ses enfants spirituels ;

    il essayait toujours de les rconcilier et de comprendrela cause du conflit. []

    Jai lu presque tous les souvenirs sur le pre Arsne etsur la vie de ses enfants spirituels. Je ny ai pas vu men-tionne souvent la personne, trs ge dj mais si ser-viable, grce qui le pre Arsne a vcu paisiblementces dix-sept annes Rostov : Nadjda Ptrovna. Elleveillait sur lui, tenait la maison en ordre, faisait la cui-sine pour lui et pour cinq douze personnes trois foispar jour. Tout cela reposait sur ses paules et elle taitextrmement fatigue, mais elle tenait bon, patiemment,sans rien dire personne. Ce nest quau dbut de 1960

    quon entendit quelle avait besoin daide. On la alorslibre de la cuisine ; les visiteurs apportaient eux-mmes manger, et chaque femme qui venaitsengageait prparer les repas ou aider la cuisine.Chacun venait avec ses draps et les remportait chez lui.La seule chose laquelle Nadjda Ptrovna ne voulaitpas renoncer, ctait prendre soin du pre Arsne et cui-siner pour lui : si on voulait intervenir dans ce domainepour la remplacer, elle en tait fche et triste.

    La communaut comptait beaucoup de mdecins qui ontveill sur la sant du pre Arsne. Je pense cependant

    que ce nest que par la volont du Seigneur et grce auxsoins de Nadjda Ptrovna que batiouchka, qui tait trsmalade, a pu vivre dix-sept ans et conduire beaucoup degens vers le Seigneur, les enseigner et prier constam-ment pour ses enfants spirituels. Son ascse de staretstait dure et extrmement lourde porter. Quand on sedemande do il tirait la force pour tout cela, on com-prend que cest le Seigneur qui la lui donnait, pour nouspcheurs.

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    PRE ARSNE : IRNE Le mois de dcembre 1956 touchait sa fin, emportpar les temptes de neige et un froid glacial. Le campstait vid, et le pre Arsne tait la veille de sa lib-ration. La correspondance tait autorise et les nom-breuses lettres que recevait le pre allgeaient sa dten-tion. Lune delles, imptueuse, joyeuse et pleine degentillesse, provenait dIrne qui sy dvoilait tout en-tire. [] Cette lettre remplit le cur du pre Arsne desouvenirs, lui permettant une fois encore de revenir en

    arrire, davoir nouveau la certitude que les voies duSeigneur sont impntrables...

    Nous tions en 1939. Quelques annes auparavant, lepre Arsne, ayant termin sa dtention dans les camps,commena sa priode dexil : Kostroma, puis les r-gions loignes dArkhangelsk, Perm, Vologda. Cetteanne-l, il devait habiter non loin dune gare ferro-

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    viaire. Le village tait petit et la propritaire de la mai-son, croyante et bonne, devint sa fille spirituelle.

    En cachette, le pre Arsne arriva le 1er aot chez sesamis dans sa ville natale ; il sarrta chez Natalia P-trovna Astakova, une de ses filles spirituelles. Sept per-sonnes seulement taient au courant de sa visite : tousdes croyants fervents, ses enfants spirituels et amis fid-les. Lappartement des Astakov se trouvait au troisimetage dun grand immeuble en pierre. Le pre Arsne nesortait pas. Natalia Ptrovna et son mari partaient le ma-tin au travail et lui restait seul dans lappartement, avecla consigne de nouvrir personne. Si lune des septpersonnes au courant devait venir durgence, elle son-nait dune certaine manire ; le pre Arsne pouvaitalors ouvrir la porte sans poser de question. La venue dupre dans sa ville avait t dcide afin quil puisse ren-contrer deux vques et quelques prtres pour rsoudredes questions sur la vie de l~glise durant ces temps dif-ficiles et pnibles. La rencontre devait avoir lieu le 25

    aot dans une maison de campagne appartenant unprtre dans le village dAbramtsevo.

    Tous les jours passs chez les Astakov, le pre Arsnecrivit des lettres ses enfants spirituels et amis, quitaient achemines vers leurs destinataires selon les oc-casions. Ceux qui les recevaient pensaient quelles ve-naient de son exil.

    Au dbut de son sjour, tout se passa normalement. Laveille de la Transfiguration (6/19 aot), le pre clbrales vpres et les matines et confessa les personnes pr-sentes. Le lendemain matin, jour de la fte, il clbra la

    liturgie et distribua la communion ; tous allrent ensuitetravailler et le pre resta seul dans lappartement. Touttait tranquille. La propritaire de la maison o habitaitle pre dans le Nord, navait pas envoy de tlgramme convenu en cas de problmes ; tout allait donc bien.Ici non plus, il ny avait pas lieu de sinquiter ; per-sonne ne semblait le surveiller.

    Le pre Arsne se mit genoux et pria longuement. Ilremercia Dieu pour sa misricorde : de lui avoir donnla possibilit de venir dans cette ville, de rencontrer sesenfants spirituels bien-aims, davoir des contacts aveceux, de lui avoir permis, lui prtre indigne, et accordla joie de clbrer la liturgie le jour de la Transfigura-tion. La paix et le silence rgnaient dans lappartement.

    Le pre Arsne sinstalla la table et commenadcrire de courtes lettres. Son criture fine et serreremplissait les feuillets. Que de choses importantescomportaient ces lettres pour ses enfants spirituels : sesrponses indiquaient le chemin suivre, avertissaient,persuadaient, exigeaient, tranquillisaient. Tous atten-daient avec impatience ces lettres, qui apportaient lalumire et la vie. De temps en temps, le pre se levait,

    marchait dans la chambre, sapprochait parfois de la fe-ntre et regardait travers le rideau lautre ct de larue, o se trouvait un grand magasin dalimentation. Illui sembla quune silhouette fminine faisait les cent pas ct de celui-ci. Depuis plusieurs jours, cette femmesurgissait la mme heure et regardait avec insistanceles fentres de limmeuble o habitait le pre Arsne :

    On me surveille tout de mme, ou bien est-ce monimagination ? se demanda-t-il. Il ntait jamais sorti dela maison ; lors de son voyage, il navait rien remarqude suspect et, ici, seuls ses plus proches amis taient aucourant de sa prsence. Je suis trop mfiant , se dit-il.

    Aprs une courte prire, il recommena crire ses let-tres. Il tait presque midi lorsquil se mit lirelacathiste la Vierge de Vladimir, la glorifiant, la cl-brant et la priant humblement. Tout coup, il fut inter-rompu par un strident coup de sonnette ; on sonnait demanire convenue. Qui est-ce ? pensa-t-il. Au-jourdhui personne ne devait venir. Quarrive-t-il ?

    Les coups de sonnette se rptaient avec insistance. In-quiet, le pre se leva : Seuls les amis pouvaient sonnerainsi ; quelque chose tait peut-tre arriv. moins quece ne soit un tlgramme en provenance de lexil ? Arriv devant la porte, le pre se signa et louvrit. Aus-sitt une femme ge dune vingtaine dannes, repous-sant la porte de son pied, fit irruption danslappartement.

    Ayant ferm rapidement la porte, elle se dirigea vers lachambre : Je suis un membre des organes du Parti,voil ma carte. Vous tes Piotr Andrivitch Streltzov,

    dnomm pre Arsne ; vous habitez ici depuis sixjours. Dans la journe, je vous surveille ; le soir et lanuit, dautres le font .

    Le pre Arsne tait dcontenanc : ses lettres se trou-vaient sur la table, il tait ici dune faon illgale, ilpouvait tre la cause dennuis pour beaucoup de monde. Seigneur, Vierge Marie, aidez-moi ! pensa-t-il. Ilcomprit que, par sa faute, il y aurait des arrestations.

    La jeune femme, belle, au visage dintellectuelle, taithabille dune manire trs strotype, probablementpour passer inaperue : Comprenez, je suis membredes organes du Parti et suis charge de vous surveiller.Mais il mest arriv un malheur : ma fille est tombemalade, jai tlphon la maison, elle a 40oC de fivre,lintrieur de sa gorge est trs enfl, elle est devenuebleue, elle rle et touffe. Tout cela est arriv soudai-nement ce matin ; quand jai quitt la maison, elle taitbien portante, mais maintenant maman me dit par tl-phone que Tania se meurt. Jai appel mes suprieurs endemandant une relve, mais ils ont refus. Ils nont pasde remplaant qui vous connaisse de vue ; ils mont or-donn de rester mon poste. Que faire ? Ma fille se

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    meurt, il faut la soigner immdiatement, appeler le m-decin. Maman est compltement perdue. Tatiana semeurt, je dois aller la maison et mon remplaant dusoir narrive qu 17 heures. Je vous prie instamment dene pas sortir. Jurez-moi que vous resterez ici. Sil vousplat, faites ce que je vous demande, sinon je suis per-due. Autre chose : si quelquun vient chez vous pendant

    mon absence, dites-le-moi, car je dois faire le rapport detous ceux qui viennent chez vous. Les vtres, qui colla-borent avec nous, disent que vous tes bon et que vousaidez votre prochain. Ne partez pas, je vous en prie,promettez-le-moi. Tatiana va trs mal et mes suprieursne me permettent pas de me rendre auprs delle !

    Le pre Arsne avait dj tout compris : cette femme,qui parlait dune manire saccade, navait pas besoinden dire plus. Il avait pu lire dans ses yeux bien plusque ce quelle pouvait dire sur elle-mme.

    Allez vers votre fille ! Je nirai nulle part et, si quel-

    quun vient me voir, je vous le dirai. Vite, partez ! Merci, citoyen Streltzov, merci. Je serai absente jus-qu 15 heures. Ensuite, je reviendrai mon poste. Jemappelle Anne .

    La porte dentre claqua et le pre Arsne resta seul. Surla table, il vit les lettres, le livre de prires ouvert ; laveilleuse tait allume prs de licne. Tout tait dcou-vert. Le NKVD avait appris sa prsence ici et le faisaitsurveiller ainsi que ses amis ; il voulait donc dmasquertous les membres de la communaut pour les arrter entemps voulu. Cette Anne qui avait fait intrusion ici, qui

    connaissait la sonnerie convenue, avait dit ces quelquesmots : Les vtres, qui collaborent avec nous.. . Lerendez-vous convenu avec les vques, la maladie inat-tendue de la fille dAnne, tout cela tait un enchane-ment dvnements dirigs par les voies impntrablesde Dieu.

    Ce qui venait darriver pesait sur les paules du pre Ar-sne ; il se sentit cras par toutes ces motions. Il taiteffray par sa responsabilit dans le destin de tant depersonnes quil aimait. Naturellement, il naurait jamaisd venir ici ; ctait une faute grave. Il sapprocha deson livre de prires, se mit genoux et reprit sa lecture

    de lacathiste la Vierge de Vladimir. Au dbut, lesphrases semmlaient, il narrivait pas comprendre cequil lisait ; puis, petit petit, retrouvant ses esprits, lepre Arsne se replongea dans la prire. Il pria pendantpresque quatre heures. Les vnements lui apparurentdans la lumire de la grande misricorde de Dieu ; lapeur, langoisse, linquitude, tout tait oubli.

    15 heures prcises, la sonnette retentit. Le pre Ar-sne ouvrit la porte et Anne entra.

    Dieu sois lou, vous tes l !

    Je suis ici, je nai pas quitt lappartement et personnenest venu me voir. Allez reprendre votre poste, Irne .

    La femme tait bout de forces, mais lorsque le prelappela Irne, elle se redressa, tressaillit et, avec unevoix tonne et apeure, demanda : Pourquoimappelez-vous Irne ?

    Allez, partez, Irne, partez ! Je vous remercie , murmura la femme, les larmes auxyeux.

    Le pre Arsne ferma la porte et retourna dans la cham-bre Seigneur, cest Toi qui mas ordonn de lappelerIrne !

    De lautre ct de la rue, ct du magasin, Irne faisaitles cent pas ; 5 heures de laprs-midi, un homme laremplaa. Le pre Arsne ne raconta rien Natalia P-trovna, ni son mari, ni personne. Tout ce quil auraitdit ne pouvait que les alarmer. Intuitivement, il pensa

    quil fallait attendre le lendemain ; tout tait dans lesmains de Dieu. Nanmoins, il brla les lettres et conseil-la Natalia Ptrovna de dtruire tout le superflu.

    Le 20 aot, il clbra une liturgie tt le matin et, aprs ledpart de ses htes, commena prier. Mais il narrivaitpas se concentrer, tant son inquitude tait grande.Vers 11 heures du matin, la sonnette retentit. Le preArsne ouvrit la porte, Irne se tenait sur le seuil.Layant fait entrer dans la chambre, le pre sassit satable. Elle dit :

    Je viens vous voir. Tania a pu tre hospitalise, non

    sans mal. Je suis trs inquite, quarrivera-t-il ? Mercipour hier. Jai tlphon hier soir mes suprieurs, jaifait mon rapport et ils mont confirm que personnentait venu vous voir.

    Asseyez-vous, Irne. Jai t tonn que vous, qui mesurveillez, soyez venue chez moi hier, alors que vousdevez probablement me considrer comme un ennemi.

    Je suis venue parler avec vous, nayez aucune crainte.Croyez-moi, je suis venue de moi-mme, et la maladiede ma fille nest pas une invention. Racontez-moi, quites-vous ? Pourquoi vous perscute-t-on tellement ?

    Les vtres, qui nous renseignent, nous racontent beau-coup de choses sur vous tous, combien vous aidez lesautres, la faon dont vous vous entraidez. Sur vous enparticulier, on dit beaucoup de bien, mais nos suprieursnous ont expliqu que vous tes un fanatique, un ennemidu peuple, que vous rassemblez parmi les croyants ungroupe hostile au rgime et quainsi tout ce que vousfaites de bien est nuisible pour nous. Pour le moment,jai trois heures de libert ; personne ne viendra mecontrler. Dailleurs, les contrles sont rares et se pas-sent en gnral 14 heures. Parlez-moi de vous. De

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    temps en temps, je regarderai par la fentre et, si cestncessaire, je descendrai rapidement .

    Regardant Irne dans les yeux, le pre Arsne se mit lui parler de la foi et des croyants. Il expliqua pourquoiles autorits les poursuivaient, bien que les croyants neleur soient pas hostiles. En parlant, il navait plus au-cune inquitude, car il voyait quIrne connaissait toutsur la communaut et sur chacun de ceux qui en fai-saient partie. Pendant son rcit, le pre Arsne oubliatout et mme ce que reprsentait cette femme assise enface de lui. Il sadressait une personne humaine, il par-lait avec conviction en dfendant sa foi.

    Irne coutait attentivement, mais parfois semblait nepas avoir entire confiance. Elle connaissait beaucoupde choses sur la communaut, mais dans une versiondiffrente qui la prsentait en ennemie, tandis que lepre racontait tout dune autre manire ; ainsi, il existaitdeux vrits. La question se posait elle : qui avait rai-

    son ? L-bas, au NKVD, on savait beaucoup de choses,mais pour le moment on restait dans lexpectative. Ilfaudrait arrter tous ceux qui faisaient partie de la com-munaut et les envoyer dans les camps ou en exil. Il fal-lait le faire, non parce quils taient croyants, mais parcequils luttaient contre les autorits. Nanmoins, elle serendait compte que rien de tel nexistait, que seule la foiles runissait.

    Le Parti nous enseigne systmatiquement que voustes des ennemis, alors que vous me racontez autrechose. Moi, en vous surveillant, je ne trouve en vousque des gens dune poque rvolue. Lors de nos cours

    denseignement politique, on nous a parl de votre or-ganisation dans les moindres dtails, de vous personnel-lement en nous montrant vos lettres o lon peut com-prendre que vous prenez soin les uns des autres et parlezbeaucoup de Dieu. Mais peut-tre est-ce un code se-cret ? Plusieurs personnes parmi les "vtres" travaillentdepuis longtemps dans les organes du Parti. Tout ce quenous savons sur vous provient deux, je vais vous lesnommer.

    Non, je ne veux pas entendre leurs noms, scria lepre.

    Et moi je vous les dirai. Je naime pas les tratres. Cesgens peuvent aussi bien nous trahir, comme ils le fontavec vous. Jai t tmoin dun interrogatoire. Cest c-urant de les regarder leurs yeux deviennent fuyants, ilsse tortillent comme des serpents, ils sont effrays, maisils dnoncent ! Jcoutais, assise dans un coin, mais ilme semblait que tout ce quils disaient ntait pas tout fait la vrit. Voici les noms de vos tratres : Kravtsova,diacre Kamouchkine, Gouskova, Poliouchkina .

    Le pre Arsne tressaillit, sindigna intrieurement etscria : Vous mentez, ils ne peuvent pas nous trahir .En regardant Irne, il comprit, hlas, que ctait la vri-t. Involontairement, il se mit sangloter.

    Quavez-vous, citoyen Streltzov ? Je vous dis la vri-t. Le 16 aot, jai accompagn moi-mme Kravtsovaau sige du Parti. Cest la pure vrit. Calmez-vous, cene sont pas des gens de valeur. Je ne devais pas vous ledire, mais jai eu piti de vous. Ne soyez pas chagrin.Maintenant je vais partir, mais je reviendrai demain.Pour le moment, vous ne serez pas encore arrt ; ilsveulent connatre toutes vos relations. Je tlphonerai ma mre dune cabine pour avoir des nouvelles. Je vousai pein !

    Le pre Arsne resta ananti. Les larmes coulaient surson visage et ses penses devenaient de plus en plus in-supportables, Katia, Katia Kravtzova, une de ses plusproches filles spirituelles, celle qui tait la plus active,

    une me dune bont extraordinaire, pieuse, connaissantparfaitement les offices religieux. Elle savait tout de lacommunaut. Par quoi avait-elle t pousse les trahir,les dnoncer ? Katia, que tous appelaient Katia lablanche , Katia si belle, si intelligente, pourquoi ?tait-ce la peur, la dception, une vexation, la faiblessedme, les menaces ?

    Le diacre Kamouchkine, son fils spirituel, qui lavaittoujours second lors de la clbration doffices. Et lesdeux autres, Gouskova et Poliouchkine, ses filles spiri-tuelles. Oui, ils taient tous ses enfants chris, de vraiscroyants. Quest-il arriv ? Pourquoi sont-ils tombs si

    bas ? Est-ce seulement la peur ? Peut-tre est-ce moi lefautif, moi leur pre spirituel ? Peut-tre ai-je laiss pas-ser quelque chose ? Je nai pas t un bon pasteur, mesbrebis se sont gares et je ne les ai pas protges. Sei-gneur, aie piti de moi, dis-moi ce que je dois faire.Sauve-les, protge les autres !

    En se souvenant de leurs confessions, de ses entretiensavec eux, de leurs lettres, le pre Arsne essaya de rta-blir le pass et de dterminer quel moment leur chuteavait commenc. Oui, lui, prtre Arsne, aurait d re-marquer les fluctuations de leurs mes et les aider.Tombant genoux, le pre pria en pleurant, sexclamant Mon Dieu, mon Dieu, ne mabandonne pas, sois mis-ricordieux, aide-moi. Sauve mes enfants, ne permets pasquils prissent !

    Le 21 aot, Irne revint. Sa fille tait au plus mal :labcs dans la gorge avait empir, une pneumonie stri-duleuse se dveloppait, sa respiration tait saccade. Lesmdecins avaient prvenu que son tat tait sans espoir.Ses suprieurs ne lui permettaient pas de quitter sonposte. Le jour, la grand-mre veillait Tatiana, et la nuit

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    ctait Irne. En arrivant chez le pre Arsne, Irne cla-ta en sanglots.

    Tranquillisez-vous, tranquillisez-vous ! Le Seigneurest misricordieux, Tatiana gurira , lui dit le pre Ar-sne. Il voyait que la mre navait plus aucun espoir ettait anantie par son malheur. Non, cest sans espoir,Tatiana va mourir. Deux maladies en mme temps. Onma prvenue quelle allait mourir, et moi, je ne peuxmme pas rester prs delle , dclara Irne en pleurant.

    Le pre Arsne sapprocha des icnes, alluma ladeuxime veilleuse et dit :

    Je vais prier pour Tania, jimplorerai le Seigneur pourelle.

    Moi aussi je veux implorer votre Dieu, je suis prte tout pour sauver ma fille, mais je ne sais pas prier et jene connais pas Dieu .

    Les flammes des veilleuses clairaient faiblement les

    icnes, surtout celle de Notre-Dame de Vladimir. Irne, nous allons prier la Mre de Dieu, notre protec-trice, pour que Tania gurisse . Le pre Arsne se mit prier haute voix. En priant, il oublia la prsencedIrne ; il ne pensait quau malheur qui atteignait untre humain. Il engageait toute son me et toute sa forcespirituelle dans la prire pour la gurison de lenfant Ta-tiana.

    En me parlant de cette prire vingt-cinq ans aprs, lepre Arsne disait : Vous savez, je pleure rarement,mais ce jour-l je pleurais en implorant le Seigneur et la

    Vierge Marie. Non seulement jimplorais, maisjexigeais la gurison de Tatiana, tant tait grande lasouffrance dIrne. Elle navait ni espoir, ni foi, mais jevoyais dans ses yeux la bont et lamour. JimploraisDieu de gurir Tatiana, et la Mre de Dieu de transmet-tre la foi Irne, de lui donner lespoir.

    Aprs avoir pri deux heures, le pre Arsne se retournaet vit Irne genoux, le visage en larmes, qui fixaitlicne de la Vierge de Vladimir ; elle tait concentredans sa prire, seule sa bouche murmurait quelquechose. Le cur du pre se remplit de compassion. Ilsapprocha delle, mit sa main sur sa tte et dit : Allez,

    Irne, le Seigneur et la Vierge nous aideront .Irne se leva, sapprocha du pre, prit sa main et dit enpleurant : Piotr Andrivitch, je crois en elle, car elleaussi tait une mre. Si tout est comme vous le dites,elle nous aidera. Vierge Marie, aide et sauve Tania ; jeferai tout pour quelle vive .

    Le pre Arsne continua de prier toute la journe. Alorsque Natalia Ptrovna, son mari et deux autres personnesse trouvaient la maison, le tlphone sonna vers 11

    heures du soir. Le pre Arsne se leva rapidement, pritlcouteur et dit : Anne, je vous coute.

    Merci, merci, tout va bien. Elle nous a aids ; dorna-vant, je crois en elle et je croirai tout ce que vous dites.Je vous tlphone dune cabine. Merci encore .

    Tous ceux qui se trouvaient dans la pice dirent dune

    mme voix : Pourquoi avez-vous pris lcouteur ? Letlphone est sur coute . Sans leur rpondre, le preArsne sapprocha des icnes, se signa et dit : Il le fal-lait ainsi. Le Seigneur et sa Mre nous ont tmoign unegrande grce, non seulement moi, mais surtout unepersonne qui vient de renatre une autre vie. Personnene saura qui jai parl, il y a beaucoup dAnne dans lemonde . Par la suite, lors des interrogatoires, le jugedinstruction a souvent demand au pre Arsne quitait cette Anne.

    La brusque intrusion dIrne dans la vie du pre Arsnechangea tout. Ayant bien rflchi, le pre dcida de ne

    pas rencontrer les vques, de quitter la ville le 25 aotet, dici l, de ne pas sortir de lappartement. Il devaitprserver la communaut, ses enfants spirituels ne de-vaient pas tre arrts et il lui fallait essayer dcarter dela communaut ceux qui la trahissaient. Irne venaitvoir le pre tous les jours de 11 heures 14 heures, jus-quau jour fix pour le dpart. En arrivant, elle le ques-tionnait et surtout coutait. Pour la premire fois de savie, elle se confessa, communia et devint fille spirituelledu pre Arsne. Ils convinrent quelle lui crirait sous lenom dAnne ; le pre Arsne mmorisa ladresse dunecousine dIrne laquelle il devrait adresser ses lettres.

    Afin quIrne puisse apprendre connatre la religion,le pre Arsne lui donna ladresse de la grand-mreLiouba (qui ne faisait pas partie de la communaut), laquelle il crivit un mot : Aidez-la, instruisez-la, nelabandonnez jamais. Priez ensemble .

    Avant sa condamnation au camp rgime spcial , lepre Arsne eut le temps dcrire deux ou trois lettres Irne. Appele dans les organes du Parti par recrutementdes komsomols [jeunes communistes], Irne, aprs sarencontre avec le pre Arsne, russit en sortir grand-peine pour faire des tudes de mdecine. Elle tra-vailla ensuite comme mdecin dans une clinique deMoscou. Le pre Arsne apprit tout cela aprs sa libra-tion en 1957. []

    Le pre Arsne savait que son arrestation tait dcide,mais il ne voulait pas que cela arrive ici. Lorsquonlarrta, malgr tous les interrogatoires, les cachots, lestabassages, il nia tre venu dans cette ville et affirmaquil navait jamais quitt le lieu de son exil. []

    Le 25 aot, 11 heures du matin, profitant des heuresde service dIrne qui lui prit un billet pour le train de

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    Lumire du Thabor Numro 21 dcembre 2004 Page 18

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    nuit, le pre Arsne partit tout seul la gare o il atten-dit le dpart. La mre dIrne lui apporta des provisionspour la route et lui fit des adieux touchants. Le pre Ar-sne tait triste de quitter cette ville : il y avait perdupour toujours trois de ses enfants spirituels, mais il esp-rait que Katia resterait sur le bon chemin. Irne vint luidire adieu le matin et lui demanda de prier pour elle et

    les siens. Une personne nouvelle tait venue la foi;ctait une grande joie et consolation pour le pre Ar-sne. Plus tard, on lui posa la question : Commentavez-vous pu faire immdiatement confiance Irne ? Il rpondit : Je lai crue, car les voies du Seigneur sontimpntrables et sa misricorde est grande .

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    PRE ARSNE : LARCHEVQUE

    4 aot 1970. Cest avec un bon nombre de problmesque jtais venue ce jour-l voir le pre Arsne : javaisdes soucis familiaux avec mon neveu, mon frre et safami