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AVERTISSEMENT Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le jury de soutenance et mis à disposition de l'ensemble de la communauté universitaire élargie. Il est soumis à la propriété intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pénale. Contact : [email protected] LIENS Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

L'internationalisation des Constitutions des Etats en crise

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  • AVERTISSEMENT

    Ce document est le fruit d'un long travail approuv par le jury de soutenance et mis disposition de l'ensemble de la communaut universitaire largie. Il est soumis la proprit intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de rfrencement lors de lutilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pnale. Contact : [email protected]

    LIENS Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

  • LINTERNATIONALISATION DES

    CONSTITUTIONS DES ETATS EN CRISE Rflexions sur les rapports entre Droit international et Droit constitutionnel

    THSE

    en vue de lobtention du grade de

    DOCTEUR EN DROIT (Doctorat nouveau rgime Droit public, mention Droit International)

    prsente et soutenue publiquement le 26 fvrier 2011

    par

    Kvin Ferdinand NDJIMBA MEMBRES DU JURY Monsieur Emmanuel DECAUX, Rapporteur Professeur de Droit public, Universit Panthon-Assas (Paris II) Directeur du CRDH Monsieur Jean- Denis MOUTON, Directeur de Thse Professeur de Droit public, Nancy Universit Monsieur Stphane PIERR-CAPS Professeur de Droit public, Nancy Universit Directeur de lIRENEE Monsieur Paul TAVERNIER, Rapporteur Professeur mrite de Droit public, Universit Paris XI Directeur du CREDHO- Paris sud

  • La facult nentend donner ni approbation, ni

    improbation aux opinions mises dans cette

    thse, celles-ci devant tre considres comme

    propres leur auteur

  • REMERCIEMENTS

    Je tiens tout dabord exprimer ma profonde gratitude au professeur Jean- Denis

    MOUTON, qui a accept de diriger ce travail. Lcoute attentive dont il a toujours fait

    preuve et les prcieux conseils quil ma prodigus ont t dterminants dans la volont

    dentreprendre ce travail et de le mener bien.

    Je tiens aussi remercier MM. les professeurs Emmanuel DECAUX, Paul

    TAVERNIER, et Stphane PIERR-CAPS pour avoir accept de faire partie de mon jury de

    soutenance.

    Je suis galement trs reconnaissante tous les membres de lIRENEE (Institut de

    Recherches sur lEvolution de la Nation Et de lEtat), pour leur disponibilit et pour la

    confiance quils mont tmoigne en massociant leurs travaux. La mise en page de cette

    thse naurait pas t possible sans limplication personnelle de mon ami Guillaume. Quil

    trouve ici mon amicale gratitude.

    Le personnel de la Facult de droit et du Centre europen universitaire de Nancy ma

    permis de bnficier dune ambiance de travail la fois sereine et motivante. Je voudrais ici

    leur adresser mes remerciements, de mme quaux documentalistes des diffrentes

    bibliothques qui mont apport une aide prcieuse dans mes travaux de recherche.

    Le soutien sans faille et les encouragements de mes proches ont contribu ce que ces

    annes de thse soient source dpanouissement. Quils en soient ici vivement remercis.

  • 20/12/2010, Dcanat

    L E C O R P S E N S E I G N A N T d e l a F a c u l t d e D r o i t ,

    S c i e n c e s E c o n o m i q u e s & G e s t i o n A n n e U n i v e r s i t a i r e 2 0 1 0 - 2 0 1 1

    DOYEN M. Eric GERMAIN DOYENS HONORAIRES MM. TALLON, GROSS, JAQUET, CRIQUI, CACHARD PROFESSEURS MRITES M. VITU, Professeur de Droit Pnal

    M. CHARPENTIER, Professeur de Droit Public M. JAQUET, Professeur de Droit Public M. COUDERT, Professeur d'Histoire du Droit Mme GAY, Professeur dHistoire du Droit

    M. BORELLA, Professeur de Droit Public Mme MARRAUD, Professeur de Droit Priv M. GROSS Bernard, Professeur de Droit Priv M. DUGAS DE LA BOISSONNY Christian, Professeur dHistoire du Droit M. Christian GOSSEREZ, Professeur de Droit Priv

    PROFESSEURS

    M. RAY Jean-Claude Professeur de Sciences conomiques M. SEUROT Franois Professeur de Sciences conomiques M. SEUVIC Jean-Franois Professeur de Droit Priv M. MOUTON Jean-Denis Professeur de Droit Public M. JACQUOT Franois Professeur de Droit Priv M. CRIQUI Etienne Professeur de Science Politique M. BILLORET Jean-Louis Professeur de Sciences conomiques M. PIERR-CAPS Stphane Professeur de Droit Public M. GARTNER Fabrice Professeur de Droit Public M. EBOUE Chicot Professeur de Sciences Economiques M. MAZIAU Nicolas (dtachement) Professeur de Droit Public M. DEREU Yves Professeur de Droit Priv M. BISMANS Francis Professeur de Sciences Economiques M. ASTAING Antoine Professeur d'Histoire du Droit M. STASIAK Frdric Professeur de Droit Priv

  • 20/12/2010, Dcanat

    M. CACHARD Olivier Professeur de Droit Priv M. GRY Yves Professeur de Droit Public M. LAMBERT Thierry Professeur de Droit Priv M. HENRY Xavier Professeur de Droit Priv M. TAFFOREAU Patrick Professeur de Droit Priv M. PARENT Antoine Professeur de Sciences Economiques M. PERREAU-SAUSSINE Louis Professeur de Droit Priv Mme TUFFERY-ANDRIEU Jeanne-Marie Professeur dHistoire du Droit Mme GRAMAIN Agns Professeur de Sciences Economiques M. FONCEL Jrme Professeur de Sciences Economiques M. PETIT Yves Professeur de Droit Public Mme GOLDIE-GENICON Charlotte Professeur de Droit Priv Mme MARINO Laure Professeur de Droit Priv M. Franois FOURMENT Professeur de Droit Priv Mme Marta PEGUERA POCH Professeur dHistoire du Droit M. Franck LAFFAILLE Professeur de Droit Public M. Christophe FARDET Professeur de Droit Public M. Charles VAUTROT-SCHWARZ Professeur de Droit Public M. Franois FONTAINE Professeur de Sciences Economiques

    MATRES DE CONFERENCES M. BOURGAUX Claude Matre de Confrences de Droit Priv M. PELLISSIER Dominique Matre de Confrences de Sciences conomiques M. GERMAIN Eric Matre de Confrences de Droit Public M. LUISIN Bernard Matre de Confrences de Droit Public Mme MANSUY Francine Matre de Confrences de Droit Priv M. VENANDET Guy Matre de Confrences de Droit Priv Mme TILLEMENT Genevive Matre de Confrences de Droit Priv Mme GANZER Annette Matre de Confrences de Droit Priv M. OLIVIER Laurent Matre de Confrences de Science Politique M. DIELLER Bernard Matre de Confrences de Sciences conomiques M. GUIGOU Jean-Daniel Matre de Confrences de Sciences conomiques M. GASSER Jean-Michel Matre de Confrences de Droit Priv M. AIMAR Thierry Matre de Confrences de Sciences Economiques Mme KUHN Nicole Matre de Confrences de Droit Public Mme DAVID-BALESTRIERO Vronique Matre de Confrences de Droit Priv Mme ETIENNOT Pascale Matre de Confrences de Droit Priv Mlle BARBIER Madeleine Matre de Confrences dHistoire du Droit M. ANDOLFATTO Dominique Matre de Confrences de Science Politique Mme DEFFAINS Nathalie Matre de Confrences de Droit Public Mme SIERPINSKI Batyah Matre de Confrences de Droit Public M. MOINE Andr Matre de Confrences de Droit Public Mlle LEBEL Christine Matre de Confrences de Droit Priv

  • 20/12/2010, Dcanat

    Mlle LE GUELLAFF Florence Matre de Confrences dHistoire du Droit M. PY Bruno Matre de Confrences de Droit Priv M. EVRARD Sbastien Matre de Confrences dHistoire du Droit M. FENOGLIO Philippe Matre de Confrences de Sciences Economiques Mme BOURREAU DUBOIS Ccile Matre de Confrences de Sciences Economiques Mlle GARDIN Alexia Matre de Confrences de Droit Priv M. KLOTGEN Paul Matre de Confrences de Droit Priv Mme DERDAELE Elodie Matre de Confrences de Droit Public M. DAMAS Nicolas Matre de Confrences de Droit Priv M. GICQUEL Jean-Franois Matre de Confrences d'Histoire du Droit Mme LELIEVRE Valrie Matre de Confrences de Sciences Economiques M. PREVOT Jean-Luc Matre de Confrences de Sciences Economiques M. WEBER Jean-Paul (jusquau 30/09) Matre de Confrences de Sciences Economiques Mme CHAUPAIN-GUILLOT Sabine Matre de Confrences de Sciences Economiques M. CHOPARD Bertrand Matre de Confrences de Sciences Economiques Mlle PIERRE Nathalie Matre de Confrences de Droit Priv M. PIERRARD Didier Matre de Confrences de Droit Public Mme HOUIN-BRESSAND Caroline Matre de Confrences de Droit Priv Mlle BLAIRON Katia Matre de Confrences de Droit Public M. FEREY Samuel Matre de Confrences de Sciences Economiques M. MULLER Franois Matre de Confrences de Droit Public Melle ABALLEA Armelle Matre de Confrences de Droit Public M. THIERRY Jean-Baptiste Matre de Confrences de Droit Priv Mlle DUBUY Mlanie Matre de Confrences de Droit Public Mme Liliane NAU Matre de Confrences de Droit Priv Mme Tatiana SACHS Matre de Confrences de Droit Priv Mme Afef BOUGHANMI Matre de Confrences de Sciences Economiques Mme Jenny HELSTROFFER Matre de Confrences de Sciences Economiques Mlle Galle MARTI Matre de Confrences de Droit Public Mme Muriel MICHEL-CLUPOT Matre de Confrences de Gestion

    MATRES DE CONFERENCES en langue anglaise M. ECKERSLEY David

  • 20/12/2010, Dcanat

    MATRES DE CONFERENCES ASSOCIES M. FERRY Frdric Matre de Confrences associ de Droit Priv Mme MOUKHA Stphanie Matre de Confrences associ de Droit Priv M. GAUDEL Pierre-Jean Matre de Confrences associ de Droit Public M. GUENOT Jacques Matre de Confrences associ de Droit Priv M. GREGOIRE Christian Matre de Confrences associ de Sciences Economiques M. BERNARDEAU Ludovic Matre de Confrences associ de Droit Priv

    ASSISTANTS - PRAG

    M. LOVAT Bruno PRAG de Mathmatiques Mme DIEHL Christel PRAG dAnglais M. PERRIN Yves PRAG dEconomie et Gestion

    ENSEIGNANT CONTRACTUEL

    M. Henri OLDACHE Enseignant en Droit Public

  • 1

    TABLE DES ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES

    A.F.D.I. Annuaire franais de droit international A.I.J.C. Annuaire international de justice constitutionnelle A.J.I.L. American Journal of International Law al. Alina A.N.C. African National Congress (Congrs national Africain) A.P.C.(CPA) Autorit provisoire de la coalition A.P.D. Archives de philosophie du droit A.PRO.N.U.C. Autorit Provisoire des Nations Unies au Cambodge art. article A.R.P.G.C.C. Accord de rglement politique global du conflit cambodgien A.T.N.U.T.O. Autorit transitoire des Nations Unies au Timor oriental c/ contre C.C.C. Cahiers du Conseil constitutionnel Cah. dr. eur. Cahiers de droit europen C.A.D.H. Cours interamricaine des droits de lhomme C.A.D.H.P. Cour africaine des droits de lhomme et des peuples C.D.H. Comit des droits de lhomme C.D.E.S.C. Comit des droits conomiques, sociaux et culturels C.E.D.H. Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et

    des liberts fondamentales cf. confer C.I.G. Conseil intrimaire de gouvernement irakien Civ. Eur. Civitas Europa chron. chronique C.I.J. Cour internationale de justice C.N.S. Conseil national suprme du Cambodge Cons. const. Conseil constitutionnel Cour.E.D.H. Cour europenne des droits de lhomme C.S. Conseil de scurit des Nations Unies C.S.C.E. Confrence sur la scurit et la coopration en Europe C.P.J.I. Cour permanente de justice internationale D.A.I. Documents dactualit internationale D.E.A. Diplme dtudes approfondies (Dir.) sous la direction de D.U.D.H. Dclaration des droits de lhomme et du citoyen e. a. et autres d. Edition E.J.I.L. European Journal of International Law F.P.R. Front patriotique rwandais G.A.N.U.P.T. ibid. ibidem I.C.G. International Crisis Group L.G.D.J. Librairie gnrale de droit et de jurisprudence MI.N.U.K. Mission des Nations Unies au Kosovo

  • 2

    n numro O.E.A. Organisation des Etats Amricains O.I.T. Organisation internationale du travail O.M.C. Organisation mondiale du commerce O.N.U. (N.U) Organisation des Nations unies O.N.U.B. Opration des Nations Unies au Burundi op. cit. opere citato O.S.C.E. O.T.A.N. Organisation du trait de lAtlantique nord p. page P.I.D.C.P. Pacte international relatif aux droits civils et politiques pp. de la page la page P.P.C. P.P.S. Problmes politiques et sociaux prc. prcit pt. point P.U.A.M. Presses universitaires dAix-Marseille P.U.F. Presses universitaires de France R.B.D.I. Revue belge de droit international R.C.A.D.I. Recueil des cours de lAcadmie de droit international R.C.A.I.D.C. Recueil des cours de lAcadmie international de droit

    constitutionnel R.D.C. Rpublique Dmocratique du Congo R.D.P. Revue du droit public et de la science politique R.D.U.E. Revue du droit de lUnion europenne Rec. Recueil rd. Rdition ex. R.D.A. ex Rpublique Dmocratique dAllemagne R.E.S.S. Revue europenne des sciences sociales R.F.D.A. Revue franaise de droit administratif R.F.D.C. Revue franaise de droit constitutionnel R.F.S.P. Revue franaise de science politique R.F.Y. Rpublique Fdrale de Yougoslavie R.G.D.I.P. Revue gnrale de droit international public R.I.C.R. Revue international de la Croix rouge R.I.D.C. Revue internationale de droit constitutionnel R.P.P. Revue des problmes politiques R.R.J. Revue de la recherche juridique R.S.S.G. Reprsentant spcial du Secrtaire Gnral R.T.D.E. Revue trimestrielle de droit europen R.T.D.H. Revue trimestrielle des droits de lhomme R.U.D.H. Revue universelle des droits de lhomme S.D.N. Socit des Nations S.F.D.I . Socit franaise de droit international S.G. Secrtaire Gnral des Nations Unies spc. spcialement suiv. suivantes trad. Traduction T.A.L. Transitional Administrative Law (Constitution intrimaire de

    lIrak

  • 3

    U.A. Union Africaine U.E. Union europenne U.L.B. Universit libre de Bruxelles U.N.E.S.C.O. Organisation des Nations Unies pour lducation, la science et la culture vol. volume

  • 5

    SOMMAIRE

    Introduction gnrale ............................. ................................................... .................................. 7

    PREMIERE PARTIE LES CONSTITUTIONS DES ETATS EN CRISE A

    LEPREUVE DE LEUR INTERNATIONALISATION. ................................................................. 35

    Titre I : Linternationalisation de lacte constituant. ................................................................. 39

    Chapitre premier : Linternationalisation de la devolution du pouvoir constituant. ................. 43

    Chapitre II : Linternationalisation de lexercice du pouvoir constituant. ........................... ..... 117

    Titre II : Linternationalisation de lacte- constitution. .......................................................... 191

    Chapitre I : Linternationalisation et la dfinition du rgime politique de lEtat. .................. .. 193

    Chapitre II : Linternationalisation des constitutions des Etats en crise et les rapports entre

    lEtat et les individus. .......................... ................................................... ................................................... ..... 257

    SECONDE PARTIE LORDRE JURIDIQUE INTERNATIONAL A LEPREUVE

    DE LINTERNATIONALISATION DES CONSTITUTIONS DES ETATS EN CRISE. ......... 327

    Titre I :Fondements juridiques en droit international de linternationalisation des constitutions

    des Etats en crise. ......................................................................................................................................... 329

    Chapitre I : Le fondement juridique de principe : le consentement des Etats en crise. .......... 333

    Chapitre II : Le fondement juridique dcisif : linvocation du chapitre VII de la Charte des

    Nations Unies . ................................... ................................................... ................................................... ...... 391

    Titre II : Consquences thoriques en droit international de linternationalisation des

    constitutions des Etats en crise. ................................................................................................................... 437

    Chapitre I : Linternationalisation des constitutions des Etats en crise : entre un monisme

    apparent et un dualisme persistant des ordres juridiques. ............................................ ............................... 439

    Chapitre II : Consquences sur lanalyse de lvolution de lordre juridique international. .... 513

  • 7

    INTRODUCTION GENERALE

    Linternationalisation des constitutions dans les Etats en crise . Voil un sujet

    dtude qui peut laisser interrogateur et songeur tant les termes qui le composent paraissent

    la fois contradictoires et flous et que leur agencement peut apparatre certains comme un

    attelage improbable1. En effet, comment parler dinternationalisation des constitutions alors

    mme que la doctrine juridique traditionnelle enseigne gnralement lautonomie de lun vis-

    -vis de lautre et limpossible soumission du droit international la Constitution de lEtat et,

    linverse, de la Constitution de lEtat au droit international ?. Et, quand bien mme la

    pertinence dune telle tude simposerait, pourquoi alors lenvisager dans le cadre des Etats en

    crise, et quest- ce, par ailleurs, un Etat en crise ?

    Pourtant, ce qui peut sembler tre une curiosit doctrinale constitue une

    problmatique la fois ancienne et actuelle dans la mesure o, depuis la fin du XIXe sicle et

    surtout le milieu du XXe sicle avec lapparition de la notion dordres juridiques et la

    structuration progressive de lordre juridique international, elle a toujours suscit chez bon

    nombre dauteurs, et notamment dans la doctrine internationaliste, un vritable intrt traduit

    par un ensemble dtudes visant mettre en perspective un phnomne juridique qui na eu de

    cesse de se dvelopper au fil des annes, en dpit de quelques priodes de recul. Cet intrt

    pour la problmatique de linternationalisation des constitutions est dabord apparu

    notamment dans les crits des auteurs comme le Doyen Boris Mirkine- Gutzvitch qui y

    consacra au dbut des annes trente toute une srie dtudes2, et bien dautres comme Georges

    Scelle ou Paul de Visscher3. Beaucoup plus rcemment, la question a t dveloppe par le

    juriste italien Antonio Cassese dans un cours profess en 1985 lAcadmie du droit

    1Comme le font remarquer deux auteurs, La Constitution nest- elle pas, de toutes les normes en vigueur dans un ordre juridique, la plus impermable des influences extrieures ? Sa nature, qui exprime les choix politiques dun peuple et rpond la tradition politique dune nation, comme son rang (il sagit de la norme suprme de lEtat) ne font-ils pas de la constitution la norme dont le caractre est national par essence ? , CONTANTINESCO (V.), PIERR- CAPS (S.), Droit constitutionnel, 4me dition, Paris, PUF, 2009, 239. 2Voir notamment, MIRKINE- GUETZVITCH (B.), Droit international et droit constitutionnel , R.C.A.D.I. 1931-IV, vol. 38, pp. 367- 465 ; Droit constitutionnel international, Paris, Recueil Sirey 1933, 298 pages ; Le droit constitutionnel dans ses rapports avec le droit international, Paris, Institut des hautes tudes et Centre europen de la dotation Canergie, 1932, 157 pages ; Les tendances internationales des constitutions modernes , R.G.D.I.P., n 3- 4, 1948, pp. 375- 386. 3Voir notamment SCELLE (G.), Le droit constitutionnel international , in Mlanges Carr de Malberg, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1933, pp. 501- 515 ; De VISSCHER (P.), Les tendances internationales des constitutions modernes , R.C.A.D.I., 1952- I, vol. 80, pp. 511- 578.

  • 8

    international4, alors que le dveloppement de la thmatique de linternationalisation et de la

    mondialisation du droit a eu pour consquence directe une certaine inflation des analyses

    directement centres sur linternationalisation des Constitutions5, caractrise par lapparition

    indite de cette problmatique dans un manuel de droit constitutionnel o il lui est consacr

    un chapitre spcifique6.

    Mais en dpit de cette constance dans son tude, on ne peut pas dire que cette

    question de linternationalisation des constitutions ait toujours t analyse par tous ces

    auteurs dans une mme perspective. Bien au contraire, il semble mme que la doctrine ait,

    travers elle, voulu dcrire des phnomnes juridiques voire factuels totalement diffrents, de

    sorte quil est finalement assez malais de dfinir avec exactitude ce que lon entend

    vritablement par internationalisation des constitutions . En effet, alors quelle a t

    utilise ds le dpart pour dcrire les dispositions constitutionnelles des Etats dont lobjet

    principal est de produire un effet international, aboutissant ainsi une mise en harmonie des

    rgles internationales et des constitutions nationales 7, linternationalisation des constitutions

    est rapidement devenue la tendance vers lharmonisation des concepts de droit

    constitutionnel entre les Etats , c'est--dire, pour reprendre le sens quen a donn Georges

    Dor, le dveloppement des matires constitutionnelles susceptibles de faire lobjet dune

    rglementation internationale pour aboutir dans un futur plus ou moins proche une

    unification du droit public au plus grand profit des individus, des formations tatiques et de la

    collectivit internationale 8.

    4CASSESE (A.), Modern Constitutions and International Law , R.C.A.D.I., 1985- III, vol. 192, pp. 331-475. 5Il faut dire que cette inflation a suivi un mouvement global entam dans la doctrine privatiste et qui a peu peu gagn tout le droit public travers ltude de limpact du droit communautaire et du droit europen sur les notions de droit administratif pour sintresser ensuite au droit constitutionnel commun europen. V. pour un rsum de ce chminement, ZOLLER (E.), Prface TOURARD (H), Linternationalisation des Constitutions nationales, Paris, LGDJ, 2000. V. galement PONTHOREAU (M.- C.), Trois interprtations de la globalisation juridique. Approche critique des mutations du droit public , A.J.D.A., n 1, 2006, p. 20- 25. 6CONSTANTINESCO (V.), PIERR- CAPS (S.), Droit constitutionnel, op. cit. et prcisment le Chapitre 2 de la deuxime partie intitul : Linternationalisation des Constitutions, pp. 239- 262. V. galement PIERR-CAPS (S.), Droits constitutionnels trangers, Paris, PUF- Licence, 2010, pp. 217- 231. 7Cette conception de linternationalisation est dailleurs assez proche de celle utilise par le droit priv o lon a constat lapparition dune vritable harmonisation des diffrentes systmes juridiques compte des rapports transfrontaliers se nouant entre les sujets de droit, personnes physiques ou personnes morales et de ce que les juges sont de plus en plus amens trancher des litiges mettant en cause des sujets de deux ordres diffrents ou ncessitant lapplication de deux lgislations diffrentes. Voir sur cet aspect notamment les tudes regroupes dans les Mlanges en lhonneur de Yvon Loussouarn, Linternationalisation du droit, Paris, Dalloz, 1994, 416 pages. 8DOR (G.), Contribution ltude du problme de linternationalisation des rgles du droit public interne , Mlanges Ernest MAHAIM, tome 2, Sciences juridiques, Paris, Sirey, 1935, p. 115- 133, prc. p. 117.

  • 9

    Plus tard, et aprs une longue clipse durant la seconde partie du XXe sicle, la

    rsurgence de cette question va saccompagner de la mutation de son sens puisquelle va

    dabord tre analyse sous langle de lattitude des Etats lgard de la communaut

    internationale, ou plus prcisment du traitement rserv aux normes dorigine internationale

    par les constitutions nationales. Cest alors quapparaissent dans cette problmatique les

    notions de hirarchie et de primaut, lide dinternationalisation ntant admise que ds lors

    qutait proclame par la Constitution de lEtat sa propre rvrence lordre juridique

    international9. Elle a ensuite t envisage pour dcrire la tendance des Etats intgrer

    volontairement dans leurs constitutions, des normes et principes dorigine internationale en

    leur donnant une valeur juridique particulire.

    Cette conception de linternationalisation des constitutions a notamment t mise

    en perspective avec une grande rigueur par madame Tourard qui, soulignant le caractre la

    fois volontaire et contingent du phnomne et ny voyant que lemprise concrte des relations

    internationales et des normes internationales sur les normes constitutionnelles, dfinit

    linternationalisation des constitutions comme linfluence du droit international sur la

    formation et le contenu des normes appartenant au systme juridique constitutionnel des Etats,

    mais surtout limpact concret du droit international sur les normes constitutionnelles10. Ainsi

    crit-elle : Linternationalisation est un processus double sens : dune part, il existe un

    dveloppement de la prise en considration par les constitutions nationales du rapport de

    lEtat avec le droit international ; dautre part, on constate une pntration croissante des

    normes internationales en droit constitutionnel et donc une soumission au droit international

    de lensemble des dispositions constitutionnelles. Linternationalisation des constitutions

    correspond un degr de plus en plus fort de pntration du droit international en droit

    constitutionnel 11. Ici, linternationalisation des constitutions correspond clairement

    linternationalisation du contenu de la constitution, celle-ci ntant envisage que dans une

    optique purement matrielle, ou pour le dire comme Kelsen, dans sa seule dimension

    normative12.

    9Cette question est examine dans ltude particulirement riche mene par le juriste italien Antonio CASSESE, dj cite. 10TOURARD (H.), Linternationalisation des constitutions nationales, Bibliothque constitutionnelle et de science politique, tome 96, Paris, L.G.D.J., 2000. 11Ibid. p. 12. 12Cest dailleurs la seule dfinition que retient cette auteure au sujet de la constitution. Ainsi crit- elle, En ce qui nous concerne, nous entendrons la constitution comme droit. Nous retiendrons le concept de constitution normative, acte de volont de la nation qui nest rien dautre que le peuple souverain , Ibid. p. 8.

  • 10

    Enfin, une approche beaucoup plus rcente de linternationalisation des

    constitutions a intgr la dimension formelle mais surtout organique de celle-ci et tend y

    voir le phnomne par lequel les Etats se trouvent dpossds de leur comptence

    dlaboration des constitutions : ainsi a-t-on vu se dvelopper les thmes comme

    linternationalisation du pouvoir constituant, le transfert du pouvoir constituant une autorit

    internationale13 ou, de manire plus globale, linternationalisation du droit constitutionnel14.

    Cette dernire approche postule en fait que linternationalisation serait la rglementation du

    systme constitutionnel tatique par le droit international.

    Au regard de lensemble de ces dfinitions qui semblent les unes comme les

    autres tout fait pertinentes, il apparat que linternationalisation des constitutions dsigne en

    fait des phnomnes trs diffrents. Cest que lexpression internationalisation utilise,

    comme tous les mots se terminant par tion , sied parfaitement la dsignation ou la

    description de phnomnes qui sans tre totalement diffrents, se manifestent parfois avec des

    degrs dintensit varis voire, au regard des poques, avec des caractristiques qui ne sont

    pas toujours identiques. Lambigut du terme rsultant dans une large mesure du fait que,

    comme le relve madame Delmas- Marty, lexpression internationalisation du droit ne

    dsigne pas une catgorie juridique stabilise, comme le droit interne ou international, mais

    un processus, une dynamique qui marque une ouverture des systmes des droits et attnue les

    13Parmi les tudes les plus intressantes dveloppes sur la question, on citera videmment celles fort enrichissantes, quoique synthtiques, de messieurs GOY (R.), Sur lorigine extranationale de certaines constitutions in Droit constitutionnel, Mlanges Patrice Glard, Paris, Montchrestien, 2000, pp. 37- 43 ; MAUS (D.), Linfluence internationale sur lexercice du pouvoir constituant , in Le nouveau constitutionnalisme, Mlanges Grard CONAC, pp. 87- 102; MAZIAU (N.), Les constitutions internationalises : aspects thoriques et essai de typologie. Le point de vue htrodoxe du constitutionnaliste , R.G.D.I.P., 2002- 3, pp. 549- 579. Voir galement les thses de madame TORCOL (S.), Les mutations du constitutionnalisme lpreuve de la construction europenne. Essai critique de lingnirie constitutionnelle, Thse de droit public, Toulon, 2002, 402 pages ; LEKEUFACK (C.), Les sources internationales du pouvoir constituant : contribution la thorie du pouvoir constituant, Paris, 2005, 423 pages ; KONAN (L.), Le transfert du pouvoir constituant originaire une autorit internationale, Nancy II, 2007, 442 pages. 14Cest notamment sous cet intitul que cette question de linternationalisation des constitutions a t aborde lAcadmie internationale de droit constitutionnel au cours de sa session de lt 2006. V. Linternationalisation du droit constitutionnel , R.C.A.I.D.C., vol. XVI, 2007. Notons que si la richesse des tudes a permis de mettre en lumire lensemble des facettes de ce phnomne, lapproche plutt constitutionnaliste na pas toujours permis de rendre compte avec beaucoup de pertinence de la perspective dans laquelle se situe notre travail, dans la mesure o elle a vis globalement en minimiser limpact en ramenant clairement dans le giron du droit constitutionnel de chaque Etat la source mme de linternationalisation du droit constitutionnel. On peut nanmoins lire les dveloppements de BEN ACHOUR (Y.), Linternationalisation du droit constitutionnel , AMOR (A.), La permabilit juridique entre lordre international et lordre constitutionnel , DELPRE (F.), Linternationalisation du droit constitutionnel et lEtat de droit , GHOZALI (N. E.), Linternationalisation du droit constitutionnel et droit des peuples dterminer librement leur systme politique, conomique, social et culturel .

  • 11

    frontires entre le dedans et le dehors 15. Cest pourquoi, il nous parat ncessaire de bien

    dfinir linternationalisation des Constitutions telle que nous entendons laborder dans le

    cadre des analyses qui vont suivre afin de mieux cerner lobjet et le sujet de notre tude (I ),

    den dlimiter clairement lintrt (II) et de mettre en lumire notre dmarche mthodologique

    ainsi que les difficults que nous avons pu rencontrer (III).

    I- Dfinition de lobjet et du sujet de ltude.

    Si lon veut bien mettre en perspective les conclusions thoriques auxquelles doit

    aboutir lensemble de largumentation que nous avons men dans le cadre de cette analyse,

    nous ne pouvons faire lconomie ni de sa dfinition, ni de sa dlimitation prcises, tant lune

    et lautre claireront avec une certaine pertinence les diffrents intrts et apports doctrinaux,

    en droit international, dune tude de la question de linternationalisation des Constitutions en

    mme temps quelles justifieront sa ncessit pratique.

    La formulation du sujet telle quelle apparat dans lintitul de la thse met en

    prsence deux groupes de mots distincts savoir dune part, linternationalisation des

    constitutions dans les Etats en crise et, dautre part, Rflexions sur les rapports entre le

    droit international et le droit constitutionnel . Si lexplicitation des termes de ce second

    groupe de mots semble pouvoir tre renvoye la question de la problmatique et de lintrt

    mme du sujet, ainsi que le suggre sa formulation, celle de ceux du premier groupe, en

    revanche, apparat comme un pralable, dautant quen dpit de leur apparente clart, ces

    derniers ne se laissent pas toujours facilement apprhender par le juriste, quils soient

    envisags individuellement ou accols les uns aux autres comme en tmoignent la multiplicit

    des dfinitions lies linternationalisation des constitutions16. Cette dfinition est dautant

    ncessaire quelle nous permettra dapprhender clairement la fois lobjet de ltude :

    linternationalisation des constitutions (A.) et le sujet de ltude : les Etats en crise (B).

    15DELMAS- MARTY (M.), Introduction , in DELMAS- MARTY (M.), BREYER (S.), Regards croiss sur linternationalisation du droit : France- Etats- Unis, Paris, Socit de Lgislation compare, 2009, p. 15. 16Il faut dire dailleurs que la particularit des termes juridiques est quils renvoient pour la plupart des notions qui peuvent tre diffrentes ainsi que le relevaient Grard CORNU lorsquil crivait que : Limmense majorit des termes de droit possde de multiples sens juridiques. La polysmie est une marque essentielle du vocabulaire juridique. Le phnomne est irrductible. En droit aussi, le nombre de signifis est infiniment plus lev que les signifiants, les notions juridiques, beaucoup plus nombreuses que les mots pour les nommer. Mme la nologie ne compense pas la disproportion car la puissance analytique est un trait accentu de la pense juridique qui divise, subtilise, distingue sans fin . Entre Linguistique juridique in ALLAND (D.), RIALS (S.) (dirs.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 954.

  • 12

    A- Objet de ltude : linternationalisation des constitutions.

    Lorsque la question de linternationalisation des constitutions est aborde en

    doctrine, les auteurs se contentent bien gnralement dy donner une dfinition globale dont la

    consquence immdiate est de rduire lensemble en un tout insparable, sans quaient t

    explicites clairement les notions la fois dinternationalisation et de constitution. Pourtant, il

    nous semble quil sagit l dun pralable ncessaire, car la polysmie de ces deux termes doit

    obliger prciser clairement le sens que lon entend y donner, dautant que celui-ci est

    fondamental pour justifier et tablir lexistence dun tel phnomne. Pour cela, nous partirons

    dune approche consistant dabord dtacher chacun des deux termes majeurs qui la

    composent pour les runir ensuite. Ainsi, aprs avoir clairement dfinit le concept mme

    dinternationalisation (1), nous essayerons dtablir comment une Constitution peut tre

    internationalise (2), ce qui nous permettra de dgager le sens que nous donnerons dans cette

    tude linternationalisation des Constitutions (3).

    1- La notion dinternationalisation.

    Tentant doprer une systmatisation de la question de linternationalisation des

    territoires, Charles Rousseau notait au milieu des annes soixante- dix que peu de concepts

    sont aussi quivoques que celui dinternationalisation et il nest pas sr que la manire dont il

    a t abord en doctrine ait toujours contribu lclairer 17. Plus de trois dcennies plus

    tard, il semble que le constat, que dressait alors lminent auteur, demeure dactualit tant il

    parat encore difficile de dterminer ce quil faut entendre par internationaliser . Pourtant

    lpoque dj, il avait entendu globalement ouvrir une double perspective de ce point de vue.

    Ainsi, affirmait-il, on peut soit considrer quil y a internationalisation, lorsquune matire,

    comme lexercice effectif de la souverainet sur un territoire avait chapp lautorit

    tatique et tait dsormais exerce par une organisation souveraine ; on peut linverse

    catgoriser comme tant une internationalisation, lexercice par une autorit tatique dun

    ensemble de prrogatives tablies cependant par un acte international, trait, convention ou

    acte unilatral dune organisation internationale, de sorte que linternationalisation dcoulerait

    non pas de la nature internationale de lorgane qui les exerce, mais de lorigine internationale

    de sa capacit exercer cet ensemble de prrogatives18. Nanmoins cette double approche ne

    17ROUSSEAU (C.), Droit international public, tome 2 : Les sujets de droit, Sirey, 1974, p. 413. 18Ibid. () il napparat pas (), que les rgimes dinternationalisation constituent une catgorie juridique impliquant lexercice effectif de la souverainet voire de la souverainet suprme par la communaut internationale organise .. .

  • 13

    semble pas avoir particulirement clairer la notion elle-mme. Cest pourquoi il est

    ncessaire de suivre la dmarche quil proposait cet effet, c'est--dire de prendre une totale

    libert lgard des principes traditionnels afin de dgager le sens de linternationalisation

    dans notre perspective19.

    Daprs le Dictionnaire de droit international public, le concept

    dinternationalisation dsigne en principe le caractre international acquis par une affaire,

    un conflit ou une crise qui tait lorigine de nature purement interne ou avait un champ

    gographique restreint, la suite dune intervention dEtats tiers ou dune vocation par une

    organisation internationale 20. Cette dfinition relativement large et imprcise est complte

    par dautres considres comme beaucoup plus strictes et plus juridiques, et qui y voient

    lensemble des rgimes juridiques fixs par traits internationaux et visant soit faire

    chapper la comptence exclusive des Etats certains espaces dans le but dassurer leur non-

    appropriation tatique, leur libre accs, leur libre utilisation ou leur protection, soit fixer des

    rgles de droit concernant la libre utilisation par les Etats tiers en tant que voies

    internationales de certains espaces tatiques comme les voies de navigation, soit encore la

    rglementation, la surveillance ou la gestion par des commissions internationales de certains

    espaces tatiques, soit enfin placer entirement sous administration internationale certains

    espaces tatiques tels que les territoires ou les villes21. Ces diffrentes dfinitions, rattaches

    pour lessentiel la notion mme de territoire et visant dcrire des situations de fait

    uniquement, ne retiendront pas particulirement notre attention, car mme si le phnomne

    qui nous occupe ici peut parfois rsulter de certaines de ces situations22, elles ne permettent

    pas de bien le mettre en perspective. Nous repartirons donc dune dfinition juridique

    beaucoup plus globale du terme mme dinternationalisation.

    En effet, on a pu crire que dune faon trs gnrale, internationaliser un

    rapport juridique ou une situation juridique, c'est--dire un ensemble de rapports , cest

    soustraire ce rapport au droit interne, qui le rgissait jusqu alors, et le placer sous lempire du

    droit international, qui le rgira dornavant 23. Ainsi, linternationalisation procderait dun

    mouvement dabandon ou de transfert du droit interne vers le droit international faisant ainsi

    sortir la matire ou la situation considre de la sphre du premier vers celle du second. Cela

    19Ibid. 20SALMON (J.) (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant/AUF, 2001, p. 600. 21Ibid. pp. 600- 601. 22Cest le cas notamment de ladministration internationale des territoires dont on verra qu travers elle sest dvelopp le phnomne dinternationalisation des constitutions. 23DELBEZ (L.), Le concept dinternationalisation , R.G.D.I.P., 1967- I, p. 5.

  • 14

    correspond dans une large mesure au mouvement dexpansion du droit international

    caractris par la mise en commun par les Etats dun nombre croissant de leurs activits

    conomiques ou techniques dans un but dintrt gnral, mais aussi par la multiplication des

    organisations internationales, auxquelles les Etats tendent dsormais abandonner une part de

    plus en plus importante de leur souverainet par une amputation de leur sphre de comptence

    nationale. Cette forme dinternationalisation dite fonctionnelle a souvent t considre par

    une partie de la doctrine du droit international comme pouvant stendre de manire

    indfinie24 au point quelle pouvait toucher mme le droit constitutionnel des Etats25. Comme

    la crit Georges Dor, rationnellement rien ne fait obstacle ce que le dveloppement de la

    conscience juridique des peuples saccompagne du rapprochement de leurs lgislations

    nationales, en ce qui concerne les principes appels rgir ces deux lments essentiels de

    lEtat, le territoire et la population, en rattachant cette dernire notion, celle de la protection

    internationale des droits individuels. Loin de sexclure, le dveloppement de la conscience

    juridique des peuples et linternationalisation du droit constituent deux phnomnes qui

    voluent avec un synchronisme parfait 26.

    Si elle peut paratre premire vue satisfaisante compte tenu de ce quelle permet

    denglober clairement la question constitutionnelle qui nous intresse ici, une telle dfinition

    24Cest le point de vue dvelopp par la doctrine internationaliste moniste et notamment Kelsen pour qui cette transmutation est illimite et que la supriorit de principe du droit international lui permet de soustraire nimporte quel objet du droit interne et de se lattribuer. Voir notamment Thorie du droit international public , R.C.A.D.I., 1953- III, p. 442 ( Les normes du droit international peuvent statuer sur tous les objets possibles ) et Thorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, p. 183 ( son domaine de validit matrielle est illimite ). 25Cest ce que tente de dmontrer par exemple Michel Virally lorsquil crit que Lexpression mme de domaine rserv , finalement est contestable : le fait que sur un point dtermin quelconque nexiste aucune obligation juridique ne signifie pas que le droit international rserve cette question la comptence discrtionnaire de lEtat, mais seulement que, en fait, aucune obligation juridique internationale na encore te cre son sujet. Or cette situation peut changer tout moment. Il nest pas de domaine o le droit international ne puisse pntrer pour des raisons de principe. Il ne sagit jamais que dun stade dans le dveloppement du droit. La seule question pratique est donc celle de lexistence, ou de linexistence, un moment donn et dans un cas dtermin de rgles et dobligations internationales . Panorama du droit international contemporain, Cours gnral de droit international public , R.C.A.D.I., 1983- V, vol. 183, p. 82. 26DOR (G.), Contribution ltude du problme de linternationalisation des rgles du droit public interne , op. cit., p. 129. Notons nanmoins que cet auteur semble avoir fix ds le dpart une limite cette internationalisation, limite qui carte clairement certaines matires qui pourtant apparaissent aujourdhui comme ayant fait lobjet dune internationalisation comme nous le dmontrerons plus loin. Ainsi, crivait- il, () Ne pourront, au contraire, jamais viser linternationalisation les principes constitutionnels qui, par essence, se meuvent dans la sphre des intrts spcifiquement politiques. (.) il nous est possible dliminer demble des matires sujettes internationalisation, tous les problmes relatifs lautorit souveraine c'est--dire qui ont trait lorganisation et au fonctionnement des pouvoirs. Les circonstances de temps et de lieu, les traditions et les aspirations nationales, laction des doctrines politiques exercent une influence trop dterminante sur les conceptions qui animent les peuples en ce qui concerne la dlation et le fonctionnement des pouvoirs pour que lon puisse simaginer que, mme dans des temps fort loigns, les hommes parviendront se mettre daccord pour vivre tous en monarchie ou en rpublique, dans un rgime dmocratique ou sous un gouvernement fort . pp. 128- 129.

  • 15

    du concept dinternationalisation demeure nanmoins aportique dans la mesure o elle

    nindique pas avec exactitude ce quil faut entendre par droit international, ni si la

    soustraction ainsi envisage est dfinitive ou non. Cela dautant plus que la notion de droit

    international est elle-mme particulirement problmatique et renvoie la fois au droit

    international public et au droit international priv. Cest pourquoi, il convient de la prciser

    galement. En effet, il y a lieu de se demander tout dabord qui est lorigine de la

    soustraction de la matire ainsi considre. Sont-ce les organes du droit interne ? Sont-ce les

    organes internationaux ? De mme, tant donn la structuration progressive et le

    dveloppement de lordre juridique international, doit-on encore considrer comme

    internationale la runion de la volont de deux Etats au moins ou dsormais seulement

    lactivit exerce dans le cadre des organisations internationales ? Il y a indiscutablement l,

    ncessit doprer une relle diffrenciation entre le concept dinternationalisation et dautres

    notions voisines. Il faut galement indiquer si le droit international dsigne le droit

    intertatique au sens strict27 ou plutt le droit international gnral dans le sens du droit

    reconnu par lensemble des Etats.

    Tout dabord, en ce qui concerne la diffrenciation avec les notions voisines, il

    faut dj dire que linternationalisation nest pas ici entendue comme la mondialisation ou la

    globalisation du droit. Certes elle peut entretenir avec elles un lien troit dans la mesure o

    elle participe du mme mouvement de transmission, de circulation et dintrusion des normes

    internationales dans les systmes juridiques, ainsi que la relev un auteur28, mais elle se situe,

    plus qu elles, dans la formation des normes, leur contenu et leurs effets. Elle correspond non

    pas seulement la tendance des Etats mettre en harmonie de manire volontaire ou

    contrainte leurs droits nationaux avec les principes et les valeurs dominants dans une sorte de

    mimtisme, mais aussi et surtout une vritable perte de matrise de llaboration du droit par

    eux29. Cette laboration tant soit encadre, soit impulse au niveau international. Or, une

    telle approche ncessite que soit galement clarifie ce quil faut entendre par

    international .

    27Lon dsigne par l une vision du droit international reposant sur la conception quil sagit dun droit manant des Etats, sadressant eux et visant uniquement leurs relations rciproques, lexclusion dautres entits. Ds lors, il ny aurait internationalisation des constitutions que si celles-ci sont inscrites dans les rapports que les Etats entretiennent entre eux et seulement condition que les protagonistes de cet internationalisation soient uniquement des Etats souverains. 28PONTHOREAU (M.-C.), op. cit. p. 20. 29Ibid., p. 21.

  • 16

    En partant de la notion d internationalit , on peut de manire pertinente

    dgager ici la signification quil faut donner au concept d internationalisation qui servira

    de base lensemble de nos analyses. En effet, lapprhension de la notion

    d internationalit permet dtablir non seulement le sens mme du mouvement

    d internationalisation , et donc den dterminer les auteurs, mais aussi dindiquer la

    signification prcise de ce mouvement qui peut traduire une vision du droit tantt

    univoque , tantt analogique 30.

    Dune manire synthtique, et comme la clairement dmontr un auteur31, on

    peut voir dans la notion d internationalit , tout dabord le critre juridique qui permet soit

    un Etat dtablir un rgime juridique international drogatoire son droit commun ou de

    dterminer les frontires de son ordre juridique, soit un groupe dEtats ou lensemble des

    Etats de dfinir les situations caractre international ou dimension internationale

    auxquelles sappliquent des normes internationales plus ou moins prcises ou qui ncessitent

    un traitement juridique globalis c'est--dire laction coordonne des autorits nationales de

    plusieurs Etats, voire laction dune autorit supra-tatique spcifique, constitues par

    plusieurs Etats dans le but de rendre leur coordination plus efficace 32. Ce dernier sens

    renvoie notamment la mise en place par les Etats dorganisations internationales ou supra-

    tatiques avec parfois une vision universaliste et idaliste33, et souvent une vision plus

    pragmatique et utilitaire comme en tmoignent par exemple les lgislations internationales sur

    le commerce, la cration de lOrganisation des Nations Unies ou encore la construction

    europenne, ces deux derniers exemples poursuivant en ralit lune et lautre des deux

    visions34.

    On peut ensuite considrer la notion dinternationalit comme un enjeu

    normatif traduit par lorganisation des rapports entre Etats dans le but de limiter les

    souverainets tatiques par un transfert relativement pouss des comptences de ces derniers

    une structure institutionnelle cre cet effet, ou par lharmonisation ou la tentative

    dharmonisation normative des diffrents ordres juridiques. Cette dernire acception de la

    30Voir sur ce point, WYLER (E.), Linternationalit en droit international public , R.G.D.I.P., 2004, pp. 633- 678. 31RUEDA (I.), Rflexions sur la notion dinternationalit en droit , R.R.J., 2003- 1, pp. 107- 118. 32Ibid. p. 111. 33Ibid. p. 112. 34Ces deux dimensions apparaissent clairement dans les buts et principes des Nations Unies tels quils sont noncs larticle 1er de la Charte notamment par sa dimension de maintien de la paix et la scurit collective (but utilitaire) et la promotion de lgalit entre les peuples et les Etats par la protection des droits de lhomme et des liberts fondamentales et la poursuite de fins communes (but idaliste).

  • 17

    notion d internationalit claire dune manire particulire le concept d

    internationalisation , puisquelle permet de lenvisager ou bien comme lunification par

    la substitution dun droit international unique une pluralit de droits nationaux formellement

    distincts , ou bien encore comme linsertion dans des droits nationaux qui demeurent

    distincts sur la matire concerne et dont la comptence ne subit aucun retranchement, de

    rgles identiques et non uniques puisquelles sont incorpores chacun de ces droits , ou

    enfin comme la ralisation, dans le respect de la pluralit des droits tatiques, dune

    quivalence des rgles nationales rsultant soit dun processus contraignant, soit dune

    dmarche volontaire. Mais si elle lclaire, elle nen puise pas tout le contenu dans la mesure

    o on ne saurait exclure totalement lautre versant dans la dfinition de linternationalisation.

    Bien au contraire, celle-ci ne peut rsulter que de leur combinaison.

    Cest pourquoi, il nous semble que le concept dinternationalisation peut tre

    dfini dans le cadre de cette tude comme llargissement, accept ou subi par les Etats, au

    niveau international, du critre juridique de dtermination des situations ou des matires

    caractre ou dimension internationale dont le but est lharmonisation normative

    progressive fonde sur des standards juridiques internationaux. Inscrite dans une

    dynamique univoque proche de celle dveloppe par les thories monistes du droit, elle se

    distingue de linternationalisation apprhende selon une grille analogique car, contrairement

    elle, celle-ci rsulte moins de lobservation dun mouvement tendant vers un but

    dharmonisation, que de la constatation dune telle harmonisation. Autrement dit,

    linternationalisation revt ici une dfinition axiologiquement neutre, qui en fait le

    mouvement de dstatisation de certaines matires, induit par les volutions de la socit

    internationale et command par des ncessits qui peuvent tre tantt structurelles, tantt

    conjoncturelles de sorte que les Etats sont soit conscients de celles-ci, soit dpasss par elles

    et incapables dy faire face et donc contraints, pour leur propre survie, daccepter une

    vritable restriction de leurs propres comptences. Partant de l, nous pouvons esquisser une

    premire dfinition de linternationalisation des constitutions : il sagit du phnomne

    daspiration des comptences et des matires constitutionnelles tatiques vers lextrieur,

    traduit par un double mouvement, celui du droit international vers les ordres juridiques des

    Etats et celui inverse des constitutions tatiques vers lordre juridique international. Elle est

    donc ou volontaire ou contrainte, mais toujours rattache des circonstances prcises qui

    en dterminent le contenu et, surtout, le degr. Cependant, cette dfinition demeure

    incomplte car elle nenvisage la relation de couple entre internationalisation et

  • 18

    constitution que du seul point de vue de la premire alors mme que la seconde demeure

    elle aussi une notion qui, bien que largement utilise, nest pas toujours bien dfinie compte

    tenu de sa richesse smantique35. Ce qui ne permet pas de comprendre le mcanisme par

    lequel une constitution peut tre internationalise, ni exactement quelle constitution est

    internationalise. Il est donc ncessaire denvisager maintenant la dfinition de la notion de

    constitution.

    2- La Constitution internationalise.

    Il a toujours t admis dans la doctrine juridique, quen dpit de ce quelle est une

    notion fondamentale du droit constitutionnel, la Constitution ne connat pas de dfinition

    uniforme 36. Bien au contraire, alors quelle semble tre apparue aux dix-septime et dix-

    huitime sicles, la notion de constitution continue toujours de diviser les auteurs sur le sens

    vritable qui doit lui tre donn, tant elle apparat certains, compte tenu de lincertitude sur

    son contenu et de la multiplicit de ses sens37, comme une de ses notions faussement claires

    de la science juridique 38. Et ce dbat sur la notion de Constitution39 est devenu

    particulirement abondant au moment o se dveloppe dans toutes ses facettes le mouvement

    dinternationalisation du droit. En effet, si laffrontement doctrinal, et mme politique, sur la

    question de la Constitution europenne semble avoir pos le problme sur un terrain qui

    navait pas t envisag jusque l et sans doute exceptionnel, il n a fait que rvler une

    problmatique plus large qui est celle de ladaptation de la notion mme de constitution aux

    mutations induites par linternationalisation du droit, traduite par laccroissement considrable

    des relations entre le droit interne, notamment constitutionnel, et le droit international

    envisag globalement, et caractrise par des phnomnes divers qui parfois se combinent

    entre eux et vont de louverture accrue des ordres juridiques nationaux au droit

    international, lmergence dorganisations internationales aux fonctions de plus en plus

    importantes, en passant par lapparition de normes internationales relatives des sujets

    35Il suffit pour le constater de se rfrer au Dictionnaire Littr qui en donne huit interprtations. 36BEAUD (O.), Constitution et droit constitutionnel in ALLAND (D.) et RIALS (S.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 258. 37Voir en ce sens notamment LAVROFF (D.G.), A propos de la Constitution , in Lesprit des constitutions, lquilibre des pouvoirs, Mlanges en lhonneur de Pierre Pactet, Paris, Dalloz, 2003, p. 284. 38GREWE (C.), RUIZ- FABRI (H.), Droits constitutionnels europens, Paris, PUF, 1995, p. 33. 39Alors que certains avaient prdit sa mort (BURDEAU (G.), Une survivance : la notion de Constitution, Sirey, 1956), dautres ont constat sa rsurrection (ROUSSEAU (D.), Une rsurrection : la notion de Constitution , R.D.P., 1990, pp. 5- 26. Dans une tude fort intressante (Lide de Constitution, Paris, Economica, 1985, 197 pages) Paul Bastid bien montr que cette notion de constitution tait volutive et que la perception que lon peut en avoir varie selon les poques et finalement selon les espaces. On doit nanmoins admettre quaujourdhui, lmergence du constitutionnalisme moderne a eu pour consquence principale une unification de cette notion de constitution.

  • 19

    traditionnellement dlaisss par le droit international public , poussant ainsi la doctrine

    envisager une clarification conceptuelle de la notion de Constitution40. Mais le problme de la

    dfinition de la notion de constitution nintresse pas seulement la possibilit de ladapter

    des entits non tatiques ou des instruments juridiques dont la vocation premire nest pas

    de crer des Etats au sens traditionnel41. Bien au contraire, il concerne galement sa

    dfinition en tant quacte fondateur de lEtat, et cest uniquement sous cet angle que nous

    lenvisageons ici, puisquen fonction de la dfinition qui peut en tre donne, la question de

    son internationalisation peut se poser de manire radicalement diffrente.

    Gnralement au plan interne, la notion de constitution est souvent apprhende

    sous diverses facettes qui globalement correspondent des moments prcis de son histoire.

    Ainsi a-t-on oppos la constitution matrielle la constitution formelle, la constitution souple

    la constitution rigide, la constitution formelle la constitution relle ou encore la

    constitution descriptive la constitution normative42. En ralit, ces diverses oppositions sont

    purement thoriques et la notion de constitution ne peut tre envisage que de manire

    globale, et il semble mme que de toutes ces dfinitions, seule celle qui voit dans la

    constitution une norme juridique est la plus gnrale et la plus pertinente. Suivant celle-ci, la

    Constitution est alors considre comme un texte que la volont dominante au sein de lEtat

    a pos comme loi fondamentale en la dotant dune force matrielle suprieure celle des

    autres rgles juridiques -, et dans lequel ont t inscrites les rgles fondamentales qui

    rglementent avant tout, () la structure, lorganisation et lexercice du pouvoir tatique, et

    par l mme, () lensemble de la vie politique, sociale et conomique dans le cadre de lEtat

    considr 43. Cest pourquoi nous partirons de cette conception normative de la Constitution,

    40Sur cette problmatique de ladaptation de la notion de constitution aux mutations contemporaines, voir la thse remarquable, du point de vue de son volume (elle fait prs dun millier de pages) et du point de vue de sa richesse (elle envisage son tude partir de diffrents prismes dont les plus importants sont lapproche dogmatique et lapproche thorique), soutenue en 2009 par Yann LAURANS intitule Recherches sur la catgorie juridique de Constitution et son adaptation aux mutations du droit contemporain, Nancy, 2009, 969 pages. 41Comme lont bien montr deux auteurs, () la notion de constitution pose de vritables problmes de dfinition. Ces difficults ne sont pas contemporaines au dbat relatif la Construction europenne. Quil suffise pour sen convaincre de prendre quelques manuels de droit constitutionnel tmoignant de lvolution de la notion . MICHEL (V.), BOUVERESSE (A.), La notion de constitution , in CONSTANTINESCO (V.), GAUTIER (Y), MICHEL (V.), Le trait tablissant une Constitution pour lEurope : Analyses et commentaires, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2004, pp. 31- 61, prc. p. 31. 42Il faut dire nnamoins que dautres classifications sont apparues. Ainsi, on note dsormais une diffrenciation opre entre Constitution historique, constitution dogmatique et constitution normative tel que la systmatis Stphane PIERR- CAPS ( Problmatique de la Constitution europenne , Civ. Eur., n 5, septembre 2000, pp. 125- 142. On peut galement voquer la distinction que ce mme auteur tabli dans le Manuel dj cit entre Constitution politique, constitution sociale et constitution dmotique. 43MANESSIS (A.), La constitution au seuil du XXIe sicle , in Droit et justice, Mlanges en lhonneur de Nicolas Valticos, Paris, Pedone, p. 674.

  • 20

    sans ncessairement lui donner la signification qui tend de plus en plus se rpandre,

    notamment dans la doctrine franaise44. Ainsi, ce quil faut entendre par constitution dans le

    cadre de cette tude, cest la fois le texte mme de la Constitution en tant quelle est un acte

    formel dot dun contenu spcifique, mais galement lensemble du processus de son

    laboration, c'est--dire en tant quelle est lacte manant dune autorit qui la tabli.

    Autrement dit, la constitution est envisage ici surtout comme un acte juridique constituant,

    regroupant ainsi et le contenu de laction encore appel par les juristes le negotium, c'est--

    dire la procdure constituante, et le rsultat formel auquel peut donner lieu cette procdure

    c'est--dire linstrumentum ou la constitution au sens strict45. Aussi, cette tude prtend mettre

    en lumire une internationalisation la fois de lActe constituant, en tant quaction ddiction

    de la Constitution, et de lActe- Constitution en tant que norme. Ainsi poses, ces diffrentes

    dfinitions nous permettent de dgager maintenant lobjet de notre analyse.

    3- Linternationalisation des constitutions dans notre perspective.

    Notre thse entend donc aborder la question de linternationalisation des

    constitutions du point de vue la fois de lexercice de la fonction constituante et du contenu

    de la constitution pour montrer comment, dans les Etats en crise, des acteurs internationaux

    agissant au moyen dactes juridiques internationaux influencent considrablement lensemble

    du processus dlaboration des constitutions.

    Tout dabord, en ce qui concerne la notion dinfluence internationale, elle doit tre

    entendue comme influence du droit international et non pas comme une simple influence

    internationale ou trangre. En effet, dire quil y a internationalisation des constitutions ce

    nest pas seulement dire que les Etats au moment dlaborer la norme fondamentale de leurs

    ordres juridiques adoptent de plus en plus des modles rpandus ltranger, car dans ce cas

    il y aurait toujours internationalisation du droit constitutionnel, sans que cela nemporte de

    consquences juridiques et thoriques particulires dans la mesure o non seulement il n y a

    pas dobligation dadopter ces modles, les Etats ne le faisant que par contrainte ou par effet

    de mode sans vritable soumission une rgle juridique quelconque, mais quen plus

    44C'est--dire celle qui consiste voir dans la Constitution uniquement les normes crites et effectivement sanctionne par le juge constitutionnel, autrement dit une conception de la constitution centre essentiellement sur la hirarchie des normes et lexgse des dcisions du juge. Voir notamment BEAUD (O.), entre Constitution et droit constitutionnel , op. cit., p. 258- 259. 45Voir sur la thorie de lActe, HAUSER (J.), Entre Acte , in ALLAND (D.), RIALS (S.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., pp. 7- 10.

  • 21

    linfluence qui sexerce ici est trangre mais non toujours rellement internationale46. De la

    mme manire, linfluence internationale ainsi entendue ne rsulte pas non plus simplement

    de lengagement pris par un Etat vis--vis dautres Etats par trait dadopter des dispositions

    dont certaines peuvent tre constitutionnelles47, ou de modifier pralablement leurs

    constitutions dans le but dadhrer un trait dj ratifi par dautres48. A vrai dire,

    linternationalisation des constitutions correspond ici, plus qu linfluence, la soumission

    de lEtat au droit international rsultant dune obligation juridique de conformer sa

    constitution une rgle internationale. Bien plus, elle sanalyse comme ltablissement au

    niveau international dune obligation pour un Etat, au moment o il labore sa constitution,

    de soumettre celle-ci au respect de normes elles mmes internationales.

    Ensuite, en ce qui concerne les acteurs, ceux-ci doivent tre videmment des

    acteurs eux- mmes internationaux, autrement dit des sujets de lordre juridique international.

    Cependant, sur ce point une srie de difficults majeures apparaissent. Comment considrer

    que des sujets de lordre juridique international soient habilits poser une telle obligation

    lencontre dun Etat, qui en est lui-mme sujet, alors que prcisment cet ordre juridique

    repose sur la souverainet de chaque sujet et sur le principe de non- intervention ? Dun autre

    ct, partir de quel moment un Etat agit en tant que sujet de lordre juridique international.

    Autrement dit, comment situer la limite entre linfluence internationale et la soumission au

    droit international que nous avons releve ? La notion dacteurs renvoie-t-elle ici directement

    aux organisations internationales ? Concrtement, il ny a dans notre perspective soumission

    au droit international de la Constitution de lEtat, et donc internationalisation de sa

    constitution, que lorsque lacte-source de linternationalisation des constitutions peut tre

    imput directement ou indirectement lordre juridique international, ou que les acteurs extra-

    tatiques auteurs de lacte agissent ou sont rputs agir au nom de lordre juridique

    international49, ou enfin que les actes quils posent, bien que non formellement rattachables

    46Certains auteurs parlent en fait de globalisation ou de mondialisation gure diffrente de la mode des jeans ou des McDo . Voir en ce sens notamment TROPER (M.), Internationalisation et pouvoir constituant , cours polycopi profess lAcadmie Internationale de Droit Constitutionnel. Indit. 47Ibid. 48Cest notamment le cas des Etats dans le cadre de ladhsion lUnion Europenne. On parle alors dinternationalisation volontaire dans la mesure o si lEtat adhre au trait, il exprime clairement son consentement conformer sa constitution aux dispositions du trait, cependant que cette adhsion nest pas obligatoire. 49Il y a ici lide de communaut internationale partielle dveloppe par le professeur MOREAU DEFARGES (P.) et qui repose sur lide que dans certaines situations, comme les crises dEtats, on considrera gnralement comme reprsentant la communaut internationale, un groupe de puissances considres comme disposant de la capacit de sopposer aux belligrants dans les Etats en crise. Existe- t-il une communaut internationale ? , Commentaire, n 78, t 1997, pp. 343- 351, prc. p. 343.

  • 22

    lordre juridique international, sont endosss et lgitims par un organe international et

    prcisment les organes des Nations Unies.

    Enfin, au sujet des normes, sont constitutives dune internationalisation des

    constitutions uniquement les normes internationales, par nature ou par endossement et par

    lgitimation, dont le contenu est lui-mme formellement constitutionnel. En dautres termes,

    seules les normes identifies comme internationales dont le contenu vise des matires elles-

    mmes considres comme constitutionnelles traduiront une vritable internationalisation des

    constitutions. Mme sil existe toujours un dbat sur ce quest une matire proprement

    constitutionnelle50, on dira globalement quil sagit des matires intressant lorganisation de

    lEtat, la nature du rgime politique, la distribution des pouvoirs dans lEtat et la nature des

    relations que les gouvernements entretiennent avec les gouverns et qui correspondent grosso

    modo au domaine rserv de lEtat51, ou plutt la sphre des comptences nationales de

    lEtat.

    On peut donc, en dfinitive, considrer que dans notre perspective,

    linternationalisation des constitutions dsigne le phnomne daspiration des comptences

    et des matires constitutionnelles tatiques des Etats en crise par lordre juridique

    international, oprs au moyen dune soumission des ordres juridiques internes des Etats

    des normes produites ou endosses par des organes internationaux sur des matires

    relevant traditionnellement du domaine rserv des Etats et dont la finalit est

    lharmonisation normative progressive fonde sur des standards juridiques internationaux.

    Elle concerne donc tout la fois la comptence de lEtat de se donner une constitution et le

    contenu de la Constitution en ce quelle peut porter sur lune ou lautre ou sur les deux la

    fois. Cette dfinition tablie, il convient maintenant dapporter quelques prcisions sur ce

    quil faut entendre par Etats en crise , c'est--dire quil nous faut dterminer le sujet de

    notre tude.

    50Sur ce point et parmi une abondante littrature voir notamment SCELLE (G.), Critique du soi- disant domaine de comptence exclusive , R.D.I.L.C., 1933, pp. 365 et s. ; BASDEVANT (J.), Rgles gnrales du droit de la paix , R.C.A.D.I., 1936- IV, vol. 58, pp. 471- 715, prc. pp. 591- 613 (surtout pour ce qui concerne la question dans le cadre de la SDN) ; ROSS (A.), La notion de comptence nationale dans la pratique des Nations Unies , Mlanges Henri Rolin, 1964, pp. 284- 299 ; MIELE (M.), Les organisations internationales et le domaine constitutionnel des Etats , R.C.A.D.I., 1970- III, vol. 131, pp. 309- 392 ; KOLB (R.), Du domaine rserv , R.G.D.I.P., 2006, pp. 597- 630. 51Lutilisation de la notion de domaine rserv ici ne postule pas de notre part une prise de position dans le cadre du dbat qui divise la doctrine, notamment internationaliste, quant lexistence ou non dun tel domaine au profit des Etats. En ralit, il faut entendre par l, les matires qui gnralement apparaissent dans les duffrentes constitutions et que gnralement les Etats rglementent eux-mmes tant que cela nentraine pas de consquences particulires pour les autres Etats et tant quils nont pas dcid volontairement de les transfrer une autorit supra-tatique.

  • 23

    B- Sujet de ltude : les Etats en crise.

    Il faut ds labord se rsoudre linexistence dune dfinition de lEtat en crise en

    tant que catgorie juridique52, voire de catgorie intellectuelle tout simplement53. En effet, non

    seulement lide de crise peut renvoyer de multiples situations dont la prise en compte peut

    faire entrer dans cette tude un nombre important dEtats, mais en plus, il semble que lEtat

    en crise, comme certains concepts et certaines notions ou formules qui lui sont trs proches,

    repose plutt sur une apprciation empirique des diffrentes situations que sur une dfinition

    prcise appuye sur des critres clairement tablis qui permettent son identification.

    On peut tout dabord rapprocher le concept/la notion54 dEtat en crise de

    celui/celle trs courant(e) et actuel(le) de l Etat failli , qui est parfois usit(e) pour

    dsigner des pays dont la situation financire est tellement dgrade quils ne peuvent plus

    assurer le paiement des intrts des dettes colossales, rgler les traitements de leurs

    fonctionnaires, etc. Cette situation qui concerne de nombreux Etats, particulirement en

    Afrique, mais galement sur dautres continents comme latteste lexemple de la Grce en

    Europe, ne parat pas pertinente dans le cadre qui nous intresse ici, dans la mesure o, si elle

    peut avoir pour consquence une intervention internationale dans les affaires de lEtat ainsi

    considr55, elle nimplique que rarement une internationalisation de sa Constitution, du

    moins pas directement56.

    Ne nous parat pas non plus pertinente une catgorisation de lEtat en crise fonde

    sur la notion d Etat faible , trs attache aux Etats issus des dcolonisations, et qui servait

    52On entendra par l le concept juridique, entendu comme rgle gnrale, susceptible dindividualisation en ce quil cre une collection dobjets possdants des proprits communes pouvant ensuite tre dsign en passant par certains critres dgags prcisment partir de lui. 53Ici la catgorisation napparat pas ncessairement sous la forme dun nonc prescriptif mais rsulte seulement dun nonc descriptif visant oprer mentalement un classement de perceptions autonomes. 54Il faut dire que lutilisation des ces deux expressions ne laissent apparatre aucune vritable diffrence entre les deux dans la mesure o ils sont quelque fois assimil lun lautre et que les lments dgager pour leur diffrentiation ne paraissent ni rellement pertinents, ni rellement utiles. Voir en ce sens, BIOY (X.), Notions et concepts en droit : interrogations sur lintrt dune distinction , in TUSSEAU (G.), Les notions juridiques, Paris, Economica, 2009, pp. 21- 53. 55Cette intervention internationale conduit gnralement les institutions internationales comptentes prononcer la faillite de ces Etats en les traitant comme des entreprises. 56Il faut dire que ds lors quun Etat qui se trouve dans le cadre dune telle situation de faillite sollicite laide des institutions financires internationales, celles ci ont dsormais tendance conditionner cette dernire la satisfaction par lEtat dun certain nombre de pralables politiques. Ainsi, a-t-on observ dans la pratique de la Banque Mondiale comme dans celle du F.M.I., une tendance soumettre leur laide lexamen de la forme du rgime de lEtat sollicitant et exiger parfois le respect de la dmocratie dans des cas particuliers, ou encore des rformes et des changements politiques et constitutionnels fondamentaux. Sur ces questions lire entre autres notamment SOREL (J.M.), Sur quelques aspects juridiques poss par la conditionnalit du F.M.I. et leurs consquences , E.J.I.L., 1996, pp. 42- 66 ; ROBERT (M.), Le F.M.I. et la conditionnalit , Revue gnrale de droit, 1991, pp. 439- 443.

  • 24

    et sert encore dsigner des Etats dont lhomognit et la stabilit paraissent sujettes

    caution, parce que reposant sur des frontires artificielles, sans unit nationale, religieuse ou

    culturelle et dirigs par des pouvoirs autoritaires mais faibles et caractriss par un sous

    dveloppement dramatique. Comme pour lEtat failli, catgorie dans laquelle on peut sans

    doute retrouver nombre de ces Etats, cette catgorie d Etats faibles concerne un ventail

    tellement large de pays et de territoires, quelle ne peut nous servir ici. Elle lest dautant plus

    quil ny a pas de lien direct entre la faiblesse de lEtat et linternationalisation de sa

    Constitution et que le caractre structurel et sans doute particulirement persistant des causes

    de cette faiblesse tranche dans une certaine mesure avec la dimension conjoncturelle et

    contingente que nous attachons au phnomne dinternationalisation des constitutions.

    En revanche parat plus opratoire pour servir de base la dfinition de la notion

    dEtat en crise, celle d Etat dfaillant , tire de la notion amricaine de failed state et

    dapparition relativement rcente et qui a dj fait lobjet dune tentative de catgorisation

    juridique de la part de la doctrine57. Prise globalement, elle sert dcrire divers phnomnes

    affectant certains Etats tant dun point de vue politico-juridique, quhistorique et

    sociologique58. Au plan politico-lgal, elle renverrait un phnomne caractris par une

    implosion des structures du pouvoir et de lEtat et de la destruction de sa structure

    institutionnelle, par leffondrement de son ordre juridique et lgal et labsence dune vritable

    autorit politique dot de la capacit juridique et mme factuelle de reprsenter lEtat au

    niveau international59.

    Mais, pour certains auteurs, la notion dEtat dfaillant dpasse largement le seul

    lment de leffondrement de lappareil tatique et intgre indiscutablement toute une

    dimension sociologique qui embrasse en fait tous les lments constitutifs de lEtat, au sens

    du droit international, savoir le territoire, le gouvernement et la population. Ainsi par

    exemple, pour Serge Sur, lorsquon parle dEtat dfaillant, ce nest pas seulement

    57Il faut nanmoins prciser que cette notion dEtat dfaillant ou plutt dEtat failli nest pas en elle-mme une notion juridique, comme en atteste son absence dans le dictionnaire de droit international public, ( J. Salmon (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2001), bien quelle soit de plus en plus utilise par la doctrine notamment anglo- saxonne. Parmi une abondante littrature principalement en langue anglaise lire notamment WILDE (R.), Representing International Territorial Administration : A critique of some approaches , E.J.I.L., 2004, vol. 15, n 1, pp. 71- 96 ; THRER (D.), The Failed State and international law , R.I.C.R., 1999, n 836, pp. 731- 761. 58Sur ce point, voir notamment THRER (D.), The Failed State and international law , op. cit., prc. p. 731- 736. 59Pour une approche plus ou moins complte de la notion dEtat dfaillant au plan juridique, voir notamment CAHIN (G.), LEtat dfaillant en droit international : quel rgime pour quelle notion ? , in Pouvoir du droit, droit du pouvoir, Mlanges J. Salmon, pp. 177- 209, prc. pp. 184- 193.

  • 25

    lensemble des autorits publiques ou en dautres termes lappareil dEtat qui est en cause.

    (), il sagit la fois des autorits publiques gouvernement, administration, arme et de

    la socit civile 60. Autrement dit l Etat dfaillant dsigne lEtat affect par divers

    problmes rsultant de la faillite de lun ou lautre de ces lments et qui se trouve dans

    lincapacit de les rsoudre sans une intervention extrieure. Cette dernire prcision met en

    lumire un autre aspect de l Etat dfaillant et parat particulirement intressante dans son

    rapprochement avec la notion d Etat en crise , cest limportance de la dimension

    internationale. En effet, ce qui caractrise singulirement le phnomne gnralement dcrit

    au moyen de cette notion d Etat dfaillant , cest que leffondrement de lEtat et de ses

    structures qui est observ est considr non pas comme une question purement interne

    lEtat, mais au contraire comme une vritable problmatique internationale dont doit se saisir

    la communaut internationale ds lors quelle peut aboutir mettre en danger lensemble ou

    mme une partie de la communaut61.

    Cependant, si elle parat pertinente comme base didentification des Etats sur

    lesquels sappuie cette tude, la notion dEtat dfaillant ne peut tre retenue comme

    caractrisant celle dEtat en crise ici envisage. Cela tout dabord parce que le phnomne que

    nous tudions sintresse uniquement leffondrement juridico-institutionnel de lEtat, ce

    qui, on la vu, ne constitue quun aspect de ce que recouvre la notion dEtat dfaillant. Mais

    en plus, mme en ne prenant que cet aspect, son utilisation nous obligerait indiscutablement

    envisager ltude de lensemble des Etats rpondant aux critres, certes flous, variables et

    interchangeables, dgags par la doctrine, ce qui parat pour le moins une mission aussi

    impossible quhasardeuse. Le problme demeure donc entier dans la mesure o il semble que

    lon dbouche dans une impasse au sujet de la dfinition de ce quil faut entendre par Etats

    en crise .

    A la vrit, cette impasse nest pas insurmontable, car elle est plus apparente que

    relle. En effet, ce qui est difficile ici cest lopration qui consiste catgoriser62

    intellectuellement ce quest un Etat en crise , et non celle qui consiste identifier les Etats

    60SUR (S.), Sur les Etats dfaillants , Commentaire, n 112, hiver 2005- 2006, pp. 891- 899, prc. 891. Cest aussi le point de vue partag par lauteur prcdent notamment lorsquil aborde la dimension sociologique de la dfaillance de lEtat. Voir principalement pp. 735- 736. 61Ces critres organique et fonctionnel de lEtat dfaillant se dgagent clairement de la pratique suivie et conceptualise par lONU et notamment par le Secrtaire Gnral dans le Supplment lAgenda pour la paix. Rapport de situation du Secrtaire gnral loccasion du cinquantenaire de lONU, A/50/60, S/1995/1, 25 janvier 1995. 62C'est--dire enfermer dans une catgorie rigide .

  • 26

    en crise sur lesquels sappuie notre analyse de linternationalisation des Constitutions. Etant

    donn que nous avons dj pos ds le dpart que, dans notre perspective,

    linternationalisation des Constitutions ne devait tre analyse ni comme une catgorie

    juridique prcise ni comme un concept pralablement fix et dot de critres clairement

    dfinis dans lequel certaines situations peuvent tre ranges, mais plutt comme un

    phnomne observable et quil nous appartient de dcrire, il nous parat que la dtermination

    de ce que recouvre ici la notion mme dEtats en crise doit emprunter la mme dmarche

    empirique. Ds lors, on peut considrer que constituent ici des Etats en crise, certains Etats et

    territoires qui, un moment donn, connaissent un effondrement total ou partiel de leur ordre

    juridique constitutionnel et dont la situation particulire a provoqu une intervention

    internationale directe ou indirecte fonde directement ou indirectement sur le droit

    international et dbouchant sur une internationalisation des constitutions, c'est--dire la fois

    sur une prise en charge de la fonction constituante et sur une soumission du contenu de la

    Constitution des normes dorigine internationale. Sans constituer une catgorie homogne

    objectivement dtermine, ces Etats sont tout de mme identifiables quoique les choix oprs

    ici peuvent apparatre soit subjectifs et arbitraires, soit simplement exagrs. Il sagit

    principalement des exemples de lAllemagne avec ladoption de la Loi fondamentale de 1949

    dite Constitution de Bonn et du Japon lors de llaboration de la Constitution de 1947 au

    sortir de la seconde guerre mondiale, de Chypre au moment de son indpendance en 1961, de

    la Namibie et du Cambodge au dbut des annes 1990, de la Bosnie- Herzgovine en 1995, du

    Timor Oriental et de son indpendance la fin des annes 1990 et plus rcemment de lIrak,

    de lAfghanistan et du Kosovo. Il sagit galement dun certain nombre dEtats, africains

    principalement, dont les crises internes rptition ont provoqu une intervention

    internationale dbouchant sur des accords de paix forte porte constituante ou simplement

    constitutionnelle. Il sagit, enfin, de territoires comme celui de la Palestine qui, bien que non

    encore indpendant, prtend indiscutablement la qualit dEtat.

    Quelques prcisions doivent tre apportes au sujet de cette dtermination des

    Etats en crise. En effet, il peut paratre surprenant dintgrer des Etats comme Chypre, la

    Namibie, le Timor oriental et le Kosovo et la Palestine dans cette catgorie dans la mesure o

    au moment o se droulent leurs processus constitutionnels, ils nont pas encore la qualit

    dEtats indpendants et ne sont donc pas encore soumis au droit international. En ralit, il

    ny a l rien dincohrent dans la mesure o la formulation constitutions des Etats en crise

  • 27

    renvoie, comme on la dj dit63, la fois la Constitution en tant quacte de fondation de

    lordre juridique, et donc potentiellement de lEtat, et en tant que norme fondamentale de

    lordre juridique. Le recours ces exemples nous parat donc justifi dautant quil permet de

    mettre en perspective les ressorts dun phnomne qui est encore mal connu.

    Plus cohrente au regard du droit international, car il sagit dEtats indpendants,

    mais tout aussi surprenante dans la dmarche, semble tre lvocation de cas divers rsultant

    dpoques et de causes diffrentes comme ceux de lAllemagne et du Japon et de

    lAfghanistan et de lIrak. Mais l aussi, ces diffrences qui peuvent paratre elles-mmes

    exagres, ne nous semblent pas en mesure de remettre en cause linternationalisation des

    constitutions rsultant de ces diffrents processus. Au contraire, elles nous permettront de

    montrer combien le phnomne dinternationalisation des constitutions doit sanalyser comme

    une pratique sans cesse renouvele mais toujours attache des circonstances de faits bien

    particulires, savoir la crise de lEtat.

    II- Intrt de ltude et problmatique

    Au regard de ces prcisions terminologiques et dfinitoires, ltude de

    linternationalisation des constitutions dans les Etats en crise apparat clairement comme

    ncessaire et thoriquement intressante, cela de diffrents points de vue. Dabord parce

    quelle prsente une actualit qui en fait ncessairement un objet danalyse particulirement

    intressant. En effet, elle offre la possibilit de restituer la nature et ltendue dune pratique

    rpte et rptitive quil ne parat pas concevable dignorer et de rejeter dans la sphre des

    faits non susceptibles dattirer lattention des juristes. Comme lavait relev Paul Bastid, la

    premire obligation des juristes, cest de garder le contact avec les faits, surtout lorsque ceux-

    ci sont considrables et quils se renouvellent 64. Le premier intrt de cette tude sur

    linternationalisation des constitutions des Etats en crise est donc de tenter une

    systmatisation, une thorisation de la pratique telle quelle sobserve afin de la rendre

    intelligible et donc comprhensible. Elle permet en outre danalyser, ft-ce synthtiquement,

    des systmes juridiques difrents et peu tudis et de montrer quau-del des clivages

    idologiques et des diffrences culturelles, on assiste de plus en plus une harmonisation des

    systmes juridiques tatiques autour dun nombre sans cesse croissant de principes dont celui

    63Supra, p. 19- 20.

    64BASTID (P.), Lide de constitution, op. cit., p. 175.

  • 28

    de la ncessaire protection et de la garantie des droits de lhomme et celui de limportance

    attache la construction de la paix.

    Au-del de cet intrt concret, ltude de linternationalisation des constitutions

    des Etats en crise prsente naturellement un intrt thorique et conceptuel vident car, non

    seulement elle permet de procder une analyse de la notion de constitution en dehors des

    cadres thoriques habituels souvent marqus du sceau de lidologie et appuys sur une

    conception dogmatique de celle-ci, mais en plus elle intresse directement la question

    centrale, voire fondamentale de tout le droit public65, c'est--dire celle des rapports entre

    lordre juridique international et les ordres juridiques internes sur laquelle plane encore une

    brume paisse, en dpit du grand nombre dcrits dune qualit scientifique irrprochable, et

    dont ltude a t qualifie par un auteur de vritable pont- aux- nes 66. Suivant le premier

    aspect, la question de linternationalsation des constitutions des Etats en crise renvoie

    indiscutablement la problmatique de son impact sur les ordres juridiques internes.

    Globalement, elle conduit ncessairement sinterroger sur les notions structurantes de

    lordre juridique interne, savoir LEtat, la Constitution et la souverainet et se

    demander si le phnomne dinternationalisation conduit des mutations de lordre juridique

    national.

    Pourtant, sil sagit l de proccupations qui ne manqueront pas de traverser les

    dveloppements de cette thse, lobjet de celle-ci ne saurait ni se limiter ltude de la

    Constitution par le prisme de son internationalisation, ni, linverse, porter sur un nouvel

    examen, sans doute inutile et tmraire et certainement thoriquement sans grand apport, de

    la question globale des rapports entre lordre juridique international et les ordres juridiques

    internes. Autrement dit, si nous nentendons pas traiter de cette question de

    linternationalisation des constitutions des Etats en crise dans le seul but den dresser une

    65Cest du moins ce quaffirment les auteurs internationalistes qui ont centr lensembl