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Libres contributions économiques Tome III
N° ISBN : 9782322026036
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Introduction Depuis 2008, le monde occidental et singulièrement l'Europe subissent une crise économique dont il n'est pas interdit de penser qu'elle est doublement structurelle. D'un côté, une crise des pratiques de l'endettement privé et d'un certain laxisme public. De l'autre, une crise à valeur de mutation de civilisation comme ne cesse de le répéter – et de le démontrer – le philosophe Michel Serres. Face à cette crise des chiffres et du monde numérique naissant, le corps social souffre et nul ne saurait nier que la crise comporte un coût humain par les inflexions de trajectoires, les lignes brisées qu'elle impose. Cet ouvrage s'inscrit dans la suite chronologique des deux précédents ( " Crise et libres contributions économiques " et " Risques, espoirs et libres contributions économiques " ) et représente la compilation méthodique de documents de recherches qui ont fait l'objet de publications. Des versions plus étoffées demeurant destinées aux soutiens du jeune Think tank : Archer 58 Research. Puissent ces pages nourrir la réflexion personnelle du lecteur dans des temps troublés pour tellement de citoyens.
Avec l'expression de mon dévouement, Juin 2013.
Jean-‐Yves Archer
Economiste
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Sommaire
LA QUESTION NON RESOLUE DES RISQUES BANCAIRES
I. Une supervision bancaire a minima II. Banques et rapport Liikanen : passion ou raison ? III. Le " shadow banking " et le côté obscur de la finance IV. Emprunts toxiques : Dexia et l'opacité des taux d'intérêt V. Certaines banques et le non-‐respect des lignes jaunes VI. Les banques intragroupes : utilité et risques L'EUROPE EN CRISE VII. Allemagne exaspérée et syndrome de la Mitteleuropa VIII. Espagne : temps de récession et de régressions plurielles IX. Caterpillar : la Belgique est sous le choc X. PSA en perte de 5 milliards : que penser ? XI : Virgin, Fnac : condamnées à fermer ? XII. La marque Findus est-‐elle morte ? XIII. La crise pour trois ans ?
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CROISSANCE, CHOMAGE, INVESTISSEMENTS, INFLATION XIV. Prévisions de croissance : erreurs et mensonges XV. Haut-‐conseil des finances publiques : véritable efficacité ? XVI. La crise et la rectitude des chiffres : objectif ou chimère ? XVII. L'Amérique : un relais de croissance XVIII. Chômage : le Président Hollande et le " coûte que coûte " XIX. La France et l'exportation : avaries à répétition XX. Investissements étrangers : le mythe de l'attractivité française XXI. Inflation et apparition de la slumpflation XXII. Les femmes et le monde du travail ECONOMIE ET POLITIQUE XXIII. La crise et le discrédit de la parole politique XXIV. A jeudi Monsieur le Président et à votre écoute XXV. Le ressac du premier ministrable Cahuzac XXVI. Certaines grandes lois sont-‐elles irréversibles ? HOMMAGES XXVII. Hommage à Olivier Ferrand XXVIII. Le chef *** Bernard Loiseau : dix ans déjà CONCLUSION XXIX. Autour de la dépense publique
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La question non résolue des risques bancaires
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I
Une supervision bancaire a minima Le principe de l'Union bancaire demandait de l'ambition : il faut dresser un constat de carence et se contenter d'un accord qui instaure une supervision bancaire a minima. La prévention du risque systémique en Europe n'est donc pas valablement assurée pour les années à venir. Tout ceci est objectivement regrettable.
Les négociateurs européens ont travaillé des heures pour aboutir à un résultat que certains ont qualifié avec un triomphalisme qui n'est pourtant pas de mise.
Reprenons posément les faits. Il y a un peu plus de 6000 banques à superviser. Par l'introduction d'un seuil élevé ( 30 milliards d'euros d'actifs ou plus de 20% du PIB du pays d'origine ), la BCE ne sera compétente que pour environ 200 banques. Autrement dit, les 200 plus importantes mais la supervision nationale restera de mise pour 96% des établissements.
Est-‐cela une ambition européenne ? Est-‐cela une prévention européenne du risque systémique ? Le lecteur attentif pourra reprendre les seuils qui existent dans différents domaines du droit communautaire ( concurrence et concentrations, ententes, etc ) et constater que l'Europe n'est pas aussi démunie que dans le cas de la pseudo Union bancaire.
Nous avons eu l'occasion de développer, dans un précédent ouvrage, l'effet pervers du système de seuils et sommes véritablement perplexe face à un tel accord que feu le diplomate Claude Cheysson aurait, à regret, qualifié de "traité-‐croupion". De surcroît, tout praticien ou analyste du monde bancaire sait bien que la création monétaire va bien au-‐delà des actifs et qu'en plus les engagements hors-‐bilan sont non négligeables et par essence exclus du calcul du seuil tels des habitats troglodytes pour passifs non révélés. Autrement dit, ce sont les très grandes banques qui vont être contrôlées et on laissera les superviseurs nationaux tenter de réaliser leur mission face à des entités bancaires transnationales. Pour convaincre clairement et frontalement le lecteur : est-‐on certain que l'Autorité de Contrôle Prudentiel et la Banque de France avaient une vision claire de l'exposition du Crédit Agricole au risque de sa filiale grecque Emperiki il y a encore quelques semaines ?
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L'accord ménage la susceptibilité de certains pays dont l'Allemagne qui ne voulait pas de supervision BCE pour ses banques régionales et certaines caisses d'épargne. Que le pays vertueux en orthodoxie budgétaire soit aussi souple en matière de supervision bancaire est, à tout le moins, une énigme voire une déception analytique.
L'accord reconnait une compétence limitée à la BCE à la seule zone euro ce qui se conçoit au plan des faits et du droit. Il reste donc à bâtir une articulation pertinente des futures actions de supervision entre l'ABE et la BCE. Nous avions écrit, il y a des semaines, qu'il faudrait être minutieux sur ce point et n'aurions pas imaginé, étant donnée la profondeur de la crise bancaire, un accord aux contours aussi flous sur ce nœud gordien. Décidément le souffle chaud des pères fondateurs de l'Europe ou la rigueur des analystes du monde bancaire n'auront pas atteint les paragraphes de cet accord.
Comble de la situation, le pays européen le plus bancarisé, à savoir le Royaume-‐Uni, ainsi que la Suède et la Tchéquie ne sont pas partie prenante à l'accord. Autant dire que des tensions de compétences et d'interprétation vont exister entre l'ABE basée à Londres et la BCE. Ce matin, certains banquiers doivent être déçus car ils savent qu'ils vont devoir continuer à travailler avec la notion de risque de contrepartie. D'autres moins friands de rectitude doivent fêter le réveillon de la Saint-‐Sylvestre avant l'heure. Il faut dire que le ministre français Pierre Moscovici a cru opportun de dire que cet accord était " un cadeau de Noël pour l'ensemble de l'Europe". L'ensemble n'est pas exhaustif puisque trois pays manquent à l'appel et la supervision est réduite, par le niveau important des seuils, à une expression qui fait d'elle une couverture radar poreuse alors même que les superviseurs nationaux ont déjà publiquement émis le besoin d'un cran européen pour cette notion-‐clef.
L'industrie bancaire est au cœur de nos vies de producteurs ou de consommateurs : nous le voyons bien en la période actuelle de resserrement du crédit ( "credit-‐crunch" ). Elle est donc un maillon fort de la chaîne qui forge la confiance indispensable aux rouages ( marché interbancaire ) comme à l'ensemble des échanges. Ce maillon fort peut être, ici ou là, pour de multiples raisons entaché par des faiblesses de certains de ses éléments.
La supervision était un bouclier pertinent pour la sécurité des transactions : elle a été vue comme une contrainte et réduite a minima au prix de notre liberté future et de notre quiétude de contribuables. Regrettable.
Il restera à suggérer aux amateurs de cadeau de Noël la relecture de Léon Blum dans ses "Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann " : " Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par en garantir l'existence".
Si un établissement de moyenne taille fait défaut et qu'il y a un "bank-‐run", nul doute que les épargnants inquiets voudront que l'on rende sa liberté à leur argent et nul doute qu'ils n'auront plus en tête les noms et visages des négociateurs de cet accord tristement marqué du sceau de l'imprévoyance.
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II
Banques et rapport Liikanen : passion ou raison ?
Dans une France marquée par le poids de la Loi de finances pour 2013 et par l’accumulation – hélas -‐ des plans sociaux, une information importante a été engloutie par le flot incessant des « news ». Il s’agit de la parution d’un rapport européen relatif à l’avenir des banques. Alors que le Gouvernement vient de proposer au Parlement d'adopter une loi bancaire à la française dite loi Moscovici, examinons les enjeux de la future Directive européenne. La loi française paraissant timorée à nombre d'observateurs.
Même si la matière que nous allons traiter est sérieuse, commençons par une anecdote savoureuse. En Février 2012, le Commissaire européen Michel Barnier a demandé que soit composé un groupe d’experts afin de proposer des adaptations structurelles à l’exercice de la profession bancaire. Un peu plus de dix personnes se sont réunies régulièrement sous la présidence de Erkki Liikanen, Gouverneur de la Banque de Finlande et membre du directoire de la BCE.
Le clin d’œil franco-‐français vient du fait que le seul français membre de la commission Liikanen n’était autre qu’un certain Louis Gallois. On observera, au scanner, sa puissance de travail incontestable tout en pensant aux travaux de l’historien et sociologue Gérard Vincent qui stigmatisait dans son ouvrage « Les jeux français » le danger de ce « multipositionnement » (sic) d’éminentes personnalités. A l’heure où le rapport Gallois relatif à la compétitivité reçoit un accueil assez étonnant et ingrat de la part de ses commanditaires, on observera que le rapport Liikanen remis le 2 Octobre 2012 n’a pas reçu – fort heureusement – le même traitement.
Cette remarque d’introduction effectuée, passons donc au centre du sujet résumé par le titre même du document : « Rapport de la commission d’experts européen sur la réforme bancaire ». Ce rapport se veut à finalité opérationnelle : autrement dit, il sera pour une large partie la matrice de futures Directives de Bruxelles visant à assurer l’efficacité et la stabilité des banques.
En premier lieu, le rapport Liikanen a été influencé par l’idée d’un retour aux principes du Glass-‐Steagall Act de 1933 malencontreusement abrogé par le Président Clinton en 1999. De nombreux analystes et économistes militaient pour cette solution. Le rapport la repousse et milite pour une séparation des activités de marché fortement risquées du reste des établissements bancaires.
Autrement dit, les travaux du groupe du Gouverneur Liikanen rejette l’idée en vogue qui viserait à séparer les activités de banques de dépôts de celles des banques d’investissement.
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Le dispositif préconisé est plus subtil : les experts se prononcent en faveur d’une « compartimentation » (ring-‐fencing) des fonds dédiés à des activités de marché pour compte propre de celles effectuées pour compte de tiers. Ainsi, il s’agit de prévenir les risques et d’établir un véritable pare-‐feu crédible avec les activités de « retail-‐banking ».
Concrètement, cela signifie que le trading devrait être juridiquement isolé en ayant ses propres dotations en capital et ses propres résultats sans que ceux-‐ci ne puissent impacter les activités de banques de dépôts. Cette quête d’autonomie comptable des traders est une idée notamment issue de la commission britannique Vickers et de la loi américaine Dodd-‐Franck.
Si cette proposition fait son chemin, elle visera les seules activités de trading à haut risque et d’autres produits comme le crédit aux hedges funds, etc. Pour la Fédération Française des Banques ( FFB ), ce « rapport reconnait l’efficacité du modèle de banque universelle au service des clients » mais « laisse ouverte de nombreuses questions ». Il convient d’en citer une qui n’est pas neutre pour l’activité économique d’un pays, on ne sait pas si le « private equity » sera englobé dans le périmètre de la zone d’activité à hauts risques. En deuxième lieu, on ne peut qu’être un peu sur la réserve face à un projet de réforme aux frontières d’application incertaine. Pour oser une formule simple à mémoriser : le rapport Liikanen ne casse pas la banque universelle mais ne sera pas d’application universelle. En effet, du fait des seuils d’application définis par le rapport, seule une vingtaine de banques seront concernées dans l’Union. Dont quatre en France : BNP Paribas, BPCE, Société Générale et Crédit Agricole ( encore convalescent de son aventure grecque).
Au plan conceptuel, on se dit que des contrats de sous-‐traitance entre grandes et petites banques vont faire florès et reporter le risque à l’étage d’en-‐dessous. Or, par les liens interbancaires, n’est-‐ce pas une voie venimeuse pour le pare-‐feu que l’on cherche à élaborer ?
En troisième lieu, les experts réunis autour du Gouverneur Liikanen recommandent une réforme des rémunérations et une meilleure cohérence de celles-‐ci face à l’intérêt social des établissements bancaires. Notamment en versant des bonus sous forme d’obligations à maturité assez longue pour motiver les traders à la durabilité du caractère sain de l’exploitation bancaire qui les fait travailler. En quatrième lieu, concernant ce chantier d’envergure, nous rappellerons notre position qui consistait à vivement préconiser d’accorder le statut de mandataire social aux principaux traders opérant dans des filiales dédiées. Double avantage : la possibilité de la révocation ad nutum et aussi l’exigence de loyauté juridiquement définie par des chartes de bonne gouvernance mais surtout encadrée par des jurisprudences rendues sous l’impulsion du Doyen Pierre Bézard de la chambre commerciale de la Cour de cassation.
Pour mémoire et en guise de conclusion, un extrait de notre ouvrage " Crise et libres contributions économiques" en son chapitre II intitulé « Quatre ans après, désarroi et maintien de l’industrie bancaire » : « Au prix de modifications de formes organisationnelles évidemment admissibles et gérables, l'industrie bancaire pourrait aisément élargir le nombre de ses mandataires sociaux dans le but avoué d'une diffusion de la responsabilité.
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Cette extension numérique – que les Pouvoirs publics pourraient quant à eux sans difficultés majeures requérir – permettrait ainsi d'intégrer les rémunérations – par exemple des traders – sous le coup des dispositions de l'article L 225 – 102 – 1 du Code de commerce ( traitant du Rapport annuel sur les rémunérations et avantages ) dont on observera au demeurant que leur respect est soumis à attestation ( en exactitude et sincérité ) des commissaires aux comptes depuis la promulgation du décret de 2006. ( D. 2006 – 1566 du 11 Décembre 2006, article 54 ).
Notre proposition a certes un impact organisationnel à calibrer ( créations de filiales thématiques dédiées entrainant la création de mandats sociaux ) mais peut être déployée à strict droit constant ce qui constitue un atout au regard de deux éléments bien identifiés : d'une part, l'encombrement parlementaire post-‐présidentielle... ) du fait d'autres réformes à mettre en œuvre, d'autre part, la nécessaire recherche d'une quote-‐part maximale de stabilité des situations juridiques.
Si décisions il y a dans le secteur bancaire, notre analyse nous conduit à énoncer qu'elles seront tôt ou tard transposées à d'autres secteurs ce qui n'altère pas la faisabilité opérationnelle de la proposition.
Une certitude demeure ancrée : ce n'est pas le montant nominal des rémunérations qu'il faut soumettre à la toise, c'est l'exposition au risque que l'exercice irrationnel d'un métier fait courir à l'ensemble. » Puisse l’Europe bancaire faire un vrai pas vers des filiales thématiques dédiées à valeur de compartiments étanches d’un sous-‐marin nommé stabilité bancaire. Convenons qu’il serait irresponsable, à l’heure du HFT ( high frequency trading ) d’attendre les méfaits sociaux et sociétaux d’un futur Nick Leeson ( Banque Barings en 2001 ) ou d’un autre Jérôme Kerviel ( Société Générale ).
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III
Le " shadow banking " et le côté obscur de la finance Le « shadow banking » est l’anglicisme qui décrit la notion de « finance de l’ombre ». Par ce terme, on désigne l’activité des intermédiaires financiers non bancaires. Autrement dit, essentiellement l’activité des hedge funds, des fonds d’investissement et des fonds spéculatifs monétaires.
En Novembre 2012, la firme Bloomberg a relevé une croissance inattendue des SBS ( Shadow Banking System ) qui représente désormais une somme de 67.000 milliards de dollars dont 24.000 pour les Etats-‐Unis, 22.000 pour la zone euro et près de 10.000 milliards pour le Royaume-‐Uni. L’ampleur de ces sommes décrites ci-‐dessus est à rapprocher immédiatement de la quasi-‐absence de régulation concernant ces activités financières non directement bancaires. Chacun comprend que la défaillance d’un acteur du « shadow banking » aurait des conséquences au moins aussi périlleuses que la faillite de Lehman Brothers d’autant que les superviseurs publics ont évidemment des difficultés juridiques et opérationnelles pour suivre les flux engendrés.
A priori, ces activités – notamment illustrées par le développement exponentiel des CDS ( credit default swaps ) et par des opérations sur dérivés « over-‐the-‐counter » -‐ peuvent donc être un poison sérieux, une sorte de curare foudroyant pour le système financier occidental voire planétaire.
Effectivement, cette finance de l’ombre repose sur une évaluation perpétuelle des risques puisqu’elle ne dispose pas de dépôts – comme les établissements bancaires – et qu’elle se fonde sur des financements à court terme. Selon le FSB ( Financial Stability Board ), le SBS représenterait entre 25 à 30% du volume du système financier mondial.
Les forts effets de levier dont se servent les acteurs de la finance de l’ombre posent problème dans la mesure où ils sont pro-‐cycliques. Lourdement générateurs de gains en cas de bonne conjoncture et évidemment producteurs de pertes très significatives en cas de défaut de paiement ponctuel à effet de dominos.
La récente loi Dodd-‐Franck Wall Street de 2011 a tenté de réguler quelque peu le risque systémique issu de la SBS. Les observateurs et l’économiste Paul Krugman jugent cette situation insuffisante et de type « malign neglect ». Toutefois, deux remarques importantes et conclusives s’imposent à l’analyste :
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1 ) L’existence de cette finance de l’ombre démontre à quel point les opérateurs peuvent contourner les risques de régulation trop contraignantes de type Bâle III pour les banques. 2 ) La désintermédiation financière ( qui permet à une entreprise de trouver du crédit sur les marchés et non plus seulement auprès des banques commerciales ) trouve ici sa pleine application. En effet, si la finance de l’ombre pose question en tant que poison elle est aussi un formidable outil permettant de bâtir des correspondances entre emprunteurs et investisseurs. Si cette finance présente un risque, elle est une respiration par ces temps de resserrement du crédit ( « credit crunch ») et surtout elle est une réalité tangible que nul régulateur ne pourrait avoir la prétention de rayer d’un trait de plume. Dans « La mère coupable » écrit en 1791, Beaumarchais nous indiquait déjà :
« Quand on craint une chose, tous nos regards se portent vers cet objet trop alarmant : quoi qu’on dise ou qu’on fasse, la frayeur empoisonne tout ! »
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IV
Emprunts toxiques : Dexia et l'opacité des taux d'intérêt La banque Dexia vient d'être condamnée en première instance dans le procès qui l'oppose au département de la Seine-‐Saint-‐Denis. Ainsi, ce dernier n'est désormais contraint qu'aux seuls versements du taux d'intérêt légal et non plus aux taux contractuellement définis. A partir de ce cas, examinons l'opacité des taux d'intérêts.
Face à la pente impressionnante des taux d'intérêts à payer suite aux emprunts dits toxiques, le département longtemps dirigé par Monsieur Claude Bartolone ( qui avait hérité de cette situation d'endettement ) avait décidé de surseoir à ces règlements. Le Tribunal de grande instance de Nanterre intime l'ordre à cette collectivité de reprendre ses paiements mais à partir du seul taux d'intérêt légal.
Le manque à gagner pour Dexia va être significatif puisque le taux de l'intérêt légal issu du décret n°2012-‐182 du 7 février 2012 l'a fixé à 0,72% contre 5 à 9% pour le taux unissant les parties en cause. Il est à noter que la condamnation de la banque ne provient pas de la complexité des emprunts proposés ( trois prêts pour un total de 200 millions d'euros ) mais du seul fait que le taux effectif global n'a pas été mentionné explicitement à l'emprunteur. C'est donc le défaut d'information que le Tribunal a retenu, évidemment à bon droit. Là où l'opacité de l'évolution des taux d'intérêts va demeurer sera lorsque le formalisme de l'information du débiteur aura été respectée. En effet le TGI de Nanterre apporte une précision embarrassante pour de nombreuses collectivités locales. Celles-‐ci ne cessent de clamer que les banques ont manqué à leur devoir de conseil et ainsi profité d'une asymétrie d'information – chère à l'économiste George Akerlof – entre les compétences inégales des parties. Or, le tribunal a considéré qu'il s'agissait bien de " prêts conformes à la règlementation qui distingue opération de crédit et instrument financier ". Autrement dit, la Justice considère et affirme que les élus avaient toute compétence formelle et intellectuelle pour appréhender la nature risquée des emprunts structurés. Le Tribunal est limpide dans sa formulation : " le département de Seine-‐Saint-‐Denis était un emprunteur particulièrement averti qui connaissait le mécanisme des emprunts structurés et était conscient des risques que ces emprunts généraient en fonction de l'évolution des marchés financiers ".
A ce stade, les collectivités locales n'ont pas vu examiner en détail la question de l'obligation de conseil et son degré d'applicabilité au cas d'espèce. A partir du moment où l'emprunteur est reconnu compétent, l'obligation de conseil décroit en intensité requise. Pourtant, selon nous, la question demeure posée par exemple dans le cas de la ville de Saint-‐Etienne où certaines conditions de démarchage bancaire semblent poser question.
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Sur le fond, on peut s'interroger sur l'opportunité que va avoir Dexia d'éventuellement faire appel de ce jugement qui consacre sa pratique mais sanctionne le seul défaut d'information. La cour d'Appel de Versailles connue pour la qualité de ses arrêts par les avocats d'affaires pourrait – si elle devait être saisie – procéder à une lecture différente. A l'inverse, les élus sont placés devant un dilemme. Faire appel, c'est la possibilité de voir leurs charges allégées ou au contraire leurs responsabilités d'emprunteurs éclairés sinon avertis reconnues.
En dépassant le cas d'espèce, il parait troublant qu'un établissement bancaire de cette surface et de ce renom n'est pas estimé requis de suivre les prescriptions sur le TEG dont le caractère obligatoire de l'information remonte à un célèbre arrêt de la cour de Cassation d'avril 1988. (ndlr : 1988 ). Le TEG lui-‐même étant issu de la loi du 28 décembre 1966.
L'ancienneté de ces dispositions tend à prouver que la non-‐communication du TEG au débiteur pourrait avoir eu une finalité intentionnelle. Première question pendante. Deuxième élément, faute de maîtriser le TEG, peut-‐on dire qu'il y a eu dol au préjudice de l'emprunteur ? Troisième élément, la question du crédit ruineux. Des emprunts sont qualifiés de ruineux lorsque l'établissement de crédit a connaissance de la gravité des déséquilibres financiers de son client. C'est vrai dans le secteur privé avec la notion de situation irrémédiablement compromise. C'est aussi applicable au secteur des collectivités territoriales dont l'endettement semble disproportionné à ses ressources présentes et futures. L'absence de viabilité a été retenue à plusieurs reprises : arrêt de la cour de Cassation du 25 avril 2001. Dernier élément cher aux juristes, la question du manquement à la loyauté du co-‐contractant.
En matière de crédit classique, il faut en effet savoir que la non-‐information écrite du TEG est pénalement sanctionnée selon l'alinéa 2 de l'article L313-‐2 du Code de la consommation. La nullité partielle dont a bénéficié le " 9-‐3 " aurait éventuellement pu recouvrir une dimension répressive si certaines conditions se trouvent réunies.
Les taux variables représentent une opportunité et parfois un risque : c'est à chaque agent de se déterminer. Les lignes qui précèdent vous ont rapporté le caractère audacieux – pour ne pas dire plus – de certaines pratiques. Venant de surcroît d'un établissement auquel le présent site web a dédié une chronique littéraire en date du 17 septembre 2012 : " Dexia, l'autopsie d'une chute ".
En matière de contentieux, souvenons-‐nous que Dexia est sous contrôle public et que c'est en quelque sorte – hélas -‐ un procès entre délégataires de contribuables : ces derniers étant appelés à payer ici ou là.
Plus généralement, depuis le scandale du Libor, structure pivot de la plupart des taux variables en Occident, nous savons que les TEG sont viciés par construction puisque bâti à partir d'un mécanisme frauduleux. Peut-‐être aura-‐t-‐on l'opportunité de lire une intéressante construction jurisprudentielle sur la validité juridique d'un taux dont l'opacité frauduleuse d'un élément prépondérant pose question . A suivre.
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V
Certaines banques et le non-‐respect des lignes jaunes Echaudés et échauffés par les interminables ondes de chocs de la crise bancaire de 2008, les différents législateurs ont échafaudé des dispositifs visant à cantonner les activités à risque menées par les établissements financiers. Au premier abord, ces règlementations semblent poreuses et très perfectibles ce qui laisse dangereusement sa chance au risque systémique.
La crise a débuté aux Etats-‐Unis par la conjonction de trois phénomènes distincts. En premier lieu, il y a eu une politique abusive de prêts et d'économie d'endettement ( "over-‐draft economy" ) où les ménages se sont endettés de manière excessive notamment dans l'immobilier ( sub-‐primes ) mais pas seulement : voir la délicate question du niveau actuel d'endettement des étudiants nord-‐américains.
En deuxième lieu, il y a eu des excès de cupidité des équipes de trading qui ont ainsi fait courir chaque semestre davantage de risques à leurs employeurs. Oubliant les cas de Nick Leeson ( banque Barings 1995 ), des arbitragistes du fonds LTCM ( 1998 ) et plus récemment de Jérôme Kerviel ( Société Générale 2008 ), certains incontestables virtuoses de la finance ont parfois quitté le sens des réalités et engagé un préjudice certain. En troisième lieu, se pose la question de l'origine des fonds avec lesquels les banques ont été attirées par la notion de spéculation. Il est loisible de dire qu'il s'agit d'activités pour compte propre. Certains exemples attestent que des fonds étaient issus du cœur de métier des banques. ( Sempiternelle question du hors-‐bilan bancaire ).
Fort de ce constat non limitatif, le commun des mortels juge opportun que la ligne jaune a été franchie et qu'une règlementation doit venir mettre de l'ordre dans cette situation où l'échelle des risques est manifestement excessive comme l'a montré la faillite de Lehman Brothers de 2008. Les Etats-‐Unis ont ainsi adopté le 21 juillet 2010 la loi Dodd-‐Franck qui vise à accroître la supervision bancaire par les autorités de contrôle et à renforcer la sécurité. Près de trois ans après, certaines banques ont toutefois franchi la ligne jaune et ont vu Daniel Tarullo ( responsable de la régulation bancaire à la FED ) annoncer de nouvelles règles afin de stopper les jeux de contournement de la loi de 2010. Deux établissements sont particulièrement concernés : la Deutsche Bank et la Barclays Bank. Ainsi, ils ont modifié les statuts de leurs holdings américaines de sorte qu'ils se trouvent exonérés de l'obligation de renforcer leurs dotations en capital ( de plusieurs dizaines de milliards de dollars ). Des holdings intermédiaires devront être constituées ( IHCs ) afin que le renforcement en capital soit effectif. Concomitamment, la FED a introduit une perspective importante concernant les règles de liquidité et les normes qui président aux "stress tests". Pour les banques étrangères, tentées de flirter avec la ligne jaune – autrement dit de gérer un éventuel conflit interprétatif des textes et règlementations – la situation est donc désormais plus complexe.
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Là où la complexité éclate au grand jour, c'est dans le cas du contournement assez évident de la règle Volcker ( du nom d'un ancien Président de la FED dans les années 80 ) par des institutions prestigieuses. Une récente enquête de l'agence Bloomberg révèle en effet que la section de la loi Dodd-‐Franck qui comprend des dispositions visant à interdire le trading pour compte propre n'a pas été respectée par plusieurs établissements notamment par l'éminente Goldman Sachs.
A la rentrée dernière, le Président Lloyd Blankfein assurait que la banque avait stoppé toute activité de spéculation pour compte propre. Dans une certaine mesure, cette assertion est exacte mais trois difficultés viennent atténuer sa portée.
Tout d'abord, la règlementation Volcker et la loi Dodd-‐Franck n'interdisent que le "prop-‐trading" à court terme, c'est à dire relatif à des positions détenues pour une durée inférieure à 60 jours. Puis, la rédaction définitive de l'amendement est encore en cours de discussion tandis que sa date d'entrée en vigueur ne se fera pas avant 2014. Enfin, Goldman Sachs – connue pour ses capacités d'ingénierie financière – a utilisé un véhicule d'investissement nommé MSI pour poursuivre un vrai prop-‐trading. Le Multi-‐Strategy Investing gérait environ un milliard de dollars sauf que selon Bloomberg, MSI n'a pas de client externe à GS. De surcroît, l'affaire devient poivrée pour la FED si on ajoute que le MSI n'était pas tenu de publier ses résultats puisque relevant des "Special situations group" de Goldman Sachs. Ainsi, le bolide de la finance a franchi une portion de ligne jaune dans le dos du régulateur en profitant de failles juridiques. Selon notre analyse, il n'y a pas eu fraude mais abus de droit au sens où notre législation fiscale définit cette notion.
Dans le schéma marxiste de la reproduction capitaliste, il faut distinguer le schéma M-‐A-‐M' du schéma A-‐M-‐A'. Dans le premier cas le producteur d'une marchandise (M ) se rend sur un marché et obtient de l'argent ( A ) qui lui permet d'acquérir d'autres marchandises ( M' ) et ainsi de suite. Dans la phase spéculative, l'argent est le mètre-‐étalon qui est détenu ( A ), échangé via un produit d'investissement ( M ) pour donner un résultat bénéfique ( A' ) qui sera aussitôt réinvesti. Il parait illusoire, même après avoir entendu le discours du Bourget de Février 2012 du candidat Hollande, de penser qu'une ou plusieurs lois pourront modifier cette phase historique du capitalisme. Dès lors que les lois du type de celle que le Ministre Pierre Moscovici veut voir aboutir en France paraissent assez aisément contournables ( voir sur ce site l'opinion de Karel Vereycken ), il nous semble que trois foyers devraient faire l'objet de l'attention des régulateurs afin de prévenir le risque systémique.
En premier lieu, définir un régime spécifique de responsabilité civile et pénale des mandataires sociaux des établissements bancaires et assimilés. Pour prendre une illustration, si Jérôme Kerviel était effectivement coupable, n'y avait-‐il aucun défaut de surveillance de la direction générale de la salle des marchés ? La jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation impose aux dirigeants de consacrer temps, soin et diligence " aux affaires sociales ". En deuxième lieu, il faut que l'horizon des placements soit, pour une quote-‐part des bilans bancaires, significativement rallongés. On ne changera pas A-‐M-‐A' mais on peut exiger que M soit un véhicule de moyen terme le plus souvent possible.
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En troisième lieu, il y a lieu de croiser deux notions. Une chère au Doyen Pierre Bézard ( Doyen de la Cour de cassation, là encore chambre commerciale ) qui traite de la " loyauté" des dirigeants vis à vis des intérêts sociétaux. Des personnes qui jouent à la roulette russe avec l'avenir d'une banque ne sont pas frappés du sceau de la loyauté et posent un problème d'éthique et de droit.
L'autre notion est celle d'AAG : acte anormal de gestion. Création jurisprudentielle, l'AAG n'est pas formellement défini par le Code des impôts mais repose sur un principe simple. Toutes dépenses qui " n'ont pas été engagées dans l'intérêt de l'exploitation " doivent être exclues des charges d'exploitation retenues dans la détermination du résultat imposable.
Par l'application, définie dans une loi bancaire, d'un AAG, il est hautement probable que certains virtuoses joueraient moins avec les lignes jaunes.
Nul ne peut lutter contre la force de l'évolution capitaliste mais le législateur et le régulateur ( au niveau de la BCE autant que faire se peut selon notre analyse appuyée ) peuvent recourir à des outils crédibles qui guideront une auto-‐retenue sectorielle.
Franchement, la clef d'une rectitude fortement stimulée parait au moins aussi intéressante à cultiver que des dizaines d'articles de lois dont l'exégèse mal intentionnée permet de beaux franchissements de lignes jaunes.
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VI
Les banques intragroupes : utilité et risques Certaines grandes entreprises possèdent des banques au sens le plus strict de la définition réglementée d'un établissement financier. Généralement, ces banques intragroupe ( ou banques d'entreprise ) ont des fonctions distinctes : elles peuvent être un moyen d'optimiser la trésorerie. Elles peuvent aussi être une faculté de financement pour les clients. Elles peuvent enfin avoir un rôle stratégique en cas de croissance externe ou de gestion de crise.
1 ) Une filiale bancaire pour optimiser la trésorerie :
Notre pays est marqué par une caractéristique délicate à manier : l'importance du crédit inter-‐entreprises. Dans les transactions de niveau commercial raisonnable, cela demeure une question de rapport de forces entre acheteurs et vendeurs. ( question des délais de paiement ) En revanche, s'il s'agit d'une vente d'importance pour une filiale donnée, cette entité peut avoir besoin d'apports de liquidités de la part de la société holding. Dans ces cas-‐là, on retrouve le poste comptable bien connu " créances rattachées à des participations ". Toutefois, l'époque récente a vu se développer ce que l'on nomme la désintermédiation : autrement dit, le fait que les entreprises accèdent directement aux marchés financiers ( émissions de titres ou levée de fonds ) sans passer par l'intermédiaire des acteurs habituels que sont les banques.
Dès lors, afin de présenter des capacités d'effet de levier, les entreprises ont développé des techniques de "cash pooling " c'est à dire des systèmes centralisés de trésorerie. Une filiale dédiée est alors généralement chargée d'effectuer la centralisation des avoirs disponibles des filiales afin que ceux-‐ci puissent être placés sur des marchés ou via des produits financiers sophistiqués au rendement intéressant ( selon le traditionnel principe du couple rendement -‐ risque ). Au plan fiscal, il s'agit de ne pas omettre que la filiale centralisatrice, par nature commerciale, doit percevoir des intérêts sur les montants qui transitent par elle à défaut d'être soumise à la notion répréhensible d'acte anormal de gestion. Par la fusion des échelles d'intérêts que le cash pooling permet, il est un outil désormais assez répandu mais parfois mal encadré juridiquement. Ainsi, la société pivot doit physiquement signer une convention d'omnium afin d'éviter que l'incrimination d'abus de bien social ne puisse éventuellement être retenue en cas de difficultés ultérieures ( et extérieures au cash pooling ). Parallèlement, les conventions de centralisation de trésorerie réunissant des sociétés ayant des administrateurs en commun doivent obligatoirement faire l'objet de la procédure de contrôle prévue par les articles L225-‐38 et L225-‐86 du Code de commerce
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lorsque les conditions de fait ne permettent pas de considérer que les conventions ont été conclues selon des conditions normales. ( Voir bulletin de septembre 1990 de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes )
Ces trois points ( acte anormal de gestion, abus de bien social, nature réelle et portée juridique des conventions ) sont souvent négligés. Or la centralisation de trésorerie est constitutive d'un abus de bien social si les entités ne sont réunies que par des mouvements comptables " dénués de pertinence économiques" ( Cassation, chambre criminelle, 23 avril 1991 ). Parallèlement, une stratégie commune est exigée des sociétés réunies par le cash pooling ( Cour d'appel de Paris, 17 décembre 1990 ). En fait, la jurisprudence est vigilante sur au moins un point très net : l'apport en trésorerie ne peut être exempt de contreparties ou dépasser les facultés contributives de celle qui en a la charge. L'expérience rapporte que, sous la pression des emplois du temps ou par manque de sensibilité au formalisme juridique, bien des trésoriers centraux ont tendance à en écrire le moins possible et à utiliser habilement le "netting" des créances et dettes intragroupes.
Ce type de paiement par compensation, lorsqu'il est massif et complexe, se heurte à la rédaction rigoureuse de l'article L511-‐7 du Code monétaire et financier qui dispose qu'une entreprise, quelle que soit sa nature, " peut procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ". A défaut, la société holding et ses dirigeants contreviendraient avec le monopole des établissements bancaires. Dès lors, de nombreux groupes ont franchi le pas et se sont dotés de filiales bancaires ou assimilées. C'est le cas du groupe Peugeot, c'est le cas d'Alcatel ( depuis 1956...), c'est le cas de fonds d'investissement américain de type Starwood, etc.
Ainsi, la société faîtière dispose de l'avantage d'un accès privilégié aux marchés financiers via "sa" banque et peut déployer un cash pooling d'envergure sans crainte de requalification fiscale voire judiciaire.
2 ) Une filiale bancaire pour faciliter les opérations commerciales :
Au premier plan de ces banques intragroupes qui ont pour but de faciliter la vie des clients, on trouve les banques qui sont des filiales de grands distributeurs tels que Casino ou Carrefour. L'ancienne S2P ( Société des Paiements PASS et CARMA Carrefour Assurances ) est devenue début 2011 l'enseigne " Carrefour Banque " : elle a pour fonction de commercialiser la carte Pass ( près de 3 millions d'exemplaires ) lancée en 2009 en liaison avec le groupe Mastercard. Parallèlement, Carrefour Banque a émis des crédits à la consommation pour un encours de près de 3 milliards d'euros en 2011.
A côté de cette activité de "retail-‐banking", cette banque a collecté et géré près de 2 milliards d'euros avec ses produits d'épargne et commercialisé une gamme complète de produits d'assurances : auto, habitation, santé, etc. Elle comptait, fin 2011, un total de 1.800 collaborateurs dont 1.400 sur le terrain.
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Mais à côté de cette filiale bancaire destinée au grand public, il faut relever la présence de banques intragroupe dédiée à des opérations significatives.
Extrait du rapport financier ALCATEL ( un peu ancien : 2003 mais non modifié ) : " La filiale bancaire d'Alcatel ( Electrobanque ) est consolidée par intégration globale, les charges et produits d'exploitation bancaires sont présentés en résultat financier, l'activité de la banque étant pour l'essentiel un prolongement de l'activité du Groupe permettant de faire des économies de coût financier et de contribuer au financement des ventes ". Plus loin ( annexe, note 1t ) : " Le financement client effectué par le Groupe est de deux natures : un financement qui s'inscrit dans le cadre du cycle d'exploitation et directement rattaché à des contrats identifiés. Un financement qui s'inscrit dans un projet à plus long terme dépassant le cadre du cycle d'exploitation et qui prend la forme d'un accompagnement sur une durée longue de certains clients au travers de prêts, de prises de participation minoritaires ou de toute autre forme de financement. La première partie est comptabilisée dans l'actif circulant. /.../ La deuxième catégorie est comptabilisée dans les autres immobilisations financières. /.../ Par ailleurs, le Groupe peut donner des garanties à des banques pour le financement des clients du Groupe. Celles-‐ci sont comprises dans les engagements hors-‐bilan".
Cet exemple – de nature classique – montre au lecteur l'échelle des risques. Sans être pour le régulateur européen des G-‐SIBs ( Global systemically important banks ), ces banques d'entreprise posent question. Tout d'abord, il convient de présenter la rentabilité d'une vente par-‐delà son aspect de marge commerciale en y intégrant ses éventuels coûts financiers liés ( crédit fait à l'achateur ). Puis, il peut y avoir gonflement de l'actif immobilisé par des immobilisations financières qui dépendent nécessairement de la bonne fin commerciale du contrat ( risque d'actif fictif ). Enfin, il y a le risque de mésestimation des engagements hors) bilan pour des groupes transnationaux.
La prudence s'impose d'autant plus que les administrateurs de ce type de banques sont des mandataires ( ou anciens mandataires sociaux ) de la société faîtière. Bien évidemment, le lecteur gardera à l'esprit que les constructeurs automobiles ont des banques afion d'aider le financement de leurs clientèles ( concessionnaires et clientèle finale ) ce qui, en temps de récession marquée, ne peut que poser question. 3 ) Une filiale bancaire pour la croissance externe ou pour gérer une crise interne : La décision de se doter d'une banque intragroupe peut venir d'une société dont l'objectif est le croissance externe. Au lieu de régler des "fees" à de prestigieuses banques d'affaires, la banque du groupe considéré peut procéder à d'éminents recrutements et fonder sa stratégie de repérage de cibles sur une "dream team" maison. Dans certains cas, cela peut accroître la confidentialité et le sérieux des opérations comme le montre, à titre de bel exemple, le mode de fonctionnement d'Investor AB et surtout de la holding des Wallenberg : EQT Partners.
Vecteur de la croissance externe, comme certaines sociétés financières de l'IFIL ( Agnelli ) le furent, ces banques n'ont guère de vocation à épauler les clients des sociétés d'exploitation mais bien davantage à fédérer des pools bancaires une fois la cible identifiée.
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Parallèlement, une banque intragroupe peut aussi être un véhicule permettant de gérer une crise interne. Dans le cas de PSA, la banque PSA Finance est une filiale à 100% du groupe qui a pour fonction d'assister le financement des clients. Parallèlement, elle a pour fonction d'assurer le financement des stocks de véhicules et de pièces de rechanges de ces deux marques. En 2011, son encours global dépassait les 24 milliards d'euros dont 6 dédiés aux concessionnaires pour un résultat courant de 530 millions. Face aux difficultés de trésorerie du Groupe PSA, celui-‐ci a obtenu de l'Etat une caution sur des emprunts effectués par la banque du Groupe à hauteur de 7 milliards d'euros ( fin 2012 ).
Ceci permet, pour la Puissance publique, de contourner certaines règles européennes ( aides directes proscrites ) mais il ne faut toutefois pas méconnaître les nombreuses jurisprudences françaises qui ont condamné des situations dans lesquelles des apports de fonds ont lieu ( comptes-‐courants, recapitalisations, engagements reçus, etc ) alors que la situation " est irrémédiablement compromise".
Au demeurant, en dépassant le cas de PSA, il faut garder en mémoire que l'état de cessation des paiements intervient lorsque la société pivot prend la décision de ne plus apporter de soutien à sa ou ses filiales. On peut imaginer le cas où la banque du groupe soit jugée comme un risque excessif par ses partenaires extérieurs voire par l'ACP ( Autorité de contrôle prudentiel ). Dans ce cas de figure – extrême – les éléments décisifs viendront du calcul des résultats après retraitements de consolidation et de leur impact sur le résultat consolidé ( part du groupe ). Dans toutes les hypothèses, une banque de groupe peut être une sorte de béquille mais pas une voie de traverse pour organiser une fuite en avant. Selon la définition de l'article L621-‐1 du Code de commerce, l'état de cessation des paiements se définit par " l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ". C'est donc bien avant tout une notion de trésorerie qui ne peut être établie qu'à la lecture du bilan de la société.
A l'heure où le Comité de Bâle veut imposer aux banques des "dispositifs de gouvernance solides " ( voir les 14 principes réaffirmés en Janvier 2013 ) et des mesures de risques capables de capturer et de suivre l'évolution par entité légale, type d'actifs, lignes d'activités, on en déduit que ceci vaut appel à la prudence pour les banques intragroupe. En guise de conclusion :
Les banques d'entreprise ne paraissent pas souvent au cœur des problématiques du risque bancaire alors que l'exemple en cours de déploiement de PSA montre qu'il ne faut pas sous-‐estimer ce champ de l'activité financière.
Parallèlement, ces banques intragroupe sont bel et bien des banques de plein exercice. Ainsi, la banque du Groupe Volkswagen a grandement eu recours au mécanisme de la BCE mis en place en 2012 : le LTRO ( Long term refinancing operations ).
Consistant à accorder des conditions de financement favorables, ces LTRO ont permis à la banque de VW de bénéficier de prêts à trois ans à un taux fixe de 1%. Chaque banque a pu bénéficier de ses prêts en fonction des garanties qu'elle pouvait apporter à la BCE. Le Groupe VW a donc pu obtenir un avantage concurrentiel et accorder à sa clientèle des conditions avantageuses qualifiées de rabais agressifs par ses concurrents. Il y a donc une prime à la qualité bilancielle bancaire intragroupe qui s'additionne alors avec
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l'efficacité commerciale tangible. Pour information, le banque intragroupe de VW a réalisé 993 millions d'euros en 2011 de bénéfices avant impôts et escompte des résultats 2012 plus favorables. Vecteur de prospérité ou facteur de risque, telles sont les deux voies possibles des banques d'entreprise.
" L'argent qu'on possède est l'instrument de la liberté; celui que l'on pourchasse est celui de la servitude ". Jean-‐Jacques Rousseau ( Confessions ).
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L'Europe en crise
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VII
Allemagne exaspérée et syndrome de la Mitteleuropa
Depuis des mois, nos voisins allemands sont dans l'obligation d'accepter de se voir montrer du doigt par des accusateurs de qualité inégale. Cette forme de stigmatisation affecte l'honneur allemand et finira par avoir une forme de traduction électorale en septembre. Prenons donc garde au syndrome de la Mitteleuropa.
Nombre de prises de paroles venues de différents pays ( Espagne, France, Italie ) visent l'Allemagne en lui imputant une large part de responsabilités dans les situations d'austérité que connaissent ces pays. Ceci parait excessif voire faux pour plusieurs raisons.
En premier lieu, l'Europe est dans un cycle récessif. Comme l'a dit, il y a trois mois, l'ancien président de la BCE Jean-‐Claude Trichet : " En 2008, la crise venait des Etats-‐Unis. Désormais elle vient d'Europe ". Effectivement, nos réalisations et nos prévisions de croissance continentales sont révélatrices, au mieux, d'une croissance atone. Au pire, d'une vague récessive pour 2013. L'Allemagne connaîtra aussi une année tendue ( 0,4% voire 0,5% de croissance ). En deuxième lieu, il serait intellectuellement surprenant d'oser imputer à l'Allemagne les niveaux d'endettement public de certains pays. Quelle corrélation objective et avérée établir entre les quelques 2.000 milliards d'euros de dette souveraine italienne accumulée depuis des décennies et la politique menée par l'Allemagne dans la dernière période ? En troisième lieu, nul ne doit oublier que la France et l'Allemagne contribuent ensemble à hauteur de 47% des plans de sauvetage de l'Union qui ont concerné différents pays : depuis le Portugal jusqu'à la Grèce. Lorsqu'un pays concède un tel effort de solidarité, il faut avancer à pas comptés avant d'énoncer ce que l'on entend de plus en plus : l'Allemagne, par sa passion frénétique pour la rigueur budgétaire, a provoqué des politiques de rigueur trop contraignantes pour ses partenaires. Toute affirmation économique a toujours une part de vérité comme l'a démontré à maintes reprises l'élégant Jean-‐François Deniau mais l'argumentaire consistant à dire que l'austérité prônée par notre partenaire d'Outre-‐Rhin asphyxie notre croissance et fait bondir notre chômage est à nuancer.
S'il est exact, comme l'a démontré – notamment -‐ Henri Sterdyniak ( OFCE ) qu'il est audacieux et risqué de mener une politique de rigueur en période de fort ralentissement économique car ceci affecte à la fois l'investissement (offre ) et la consommation ( demande ), il n'en demeure pas moins que la charge des intérêts de la dette française est notre premier poste budgétaire et qu'il faut agir face à cet état de fait.
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Parallèlement, il ne faut pas mésestimer l'impact – lui aussi – pro-‐cyclique de l'application des normes comptables IFRS qui obligent à constater derechef des dépréciations d'actifs significatives qui aggravent le climat ambiant des affaires et ce qu'il est convenu de nommer le moral des entrepreneurs. Moral au demeurant soumis à plusieurs chocs d'incertitude, en France, depuis un an.
Le procès de la rigueur budgétaire à l'allemande aurait déplu à un homme de la qualité et de l'envergure de feu Raymond Barre : il convient donc de l'instruire avec modération et le terme de " confrontation " récemment utilisé par un haut décideur public est aussi téméraire qu'insupportable pour qui songe à l'Histoire du XXème siècle et à ses deux conflits majeurs.
Quand on revoit la sublime poignée de main du 22 septembre 1984 entre le Chancelier Kohl et le Président François Mitterrand à Verdun, on se dit qu'un socialiste du XXIème siècle ne peut pas avoir utiliser le terme de confrontation autrement que par mégarde. S'il s'est agit de malice et de vouloir frapper les imaginations, alors nous vient en tête le discours d'André Malraux lors de l'entrée de Jean Moulin au Panthéon qui avait évoqué cette cohorte " des tondus et des rayés ". D'ailleurs, sauf erreur, le wagon emblématique de Drancy est en Seine –Saint-‐Denis.
Pour revenir au déroulé de notre analyse, deux éléments méritent examen. D'une part, l'argumentaire suivant : l'Allemagne à la démographie déclinante a besoin d'une monnaie de rentiers d'où un euro surévalué et parallèlement une rigueur qui asphyxient la croissance et les capacités exportatrices de ces partenaires et voisins. Autrement dit, la pyramide des âges et les propres contraintes de la société allemande auraient un impact excessif sur le reste de l'Union. Cette assertion représente nécessairement un facteur explicatif mais n'ouvre aucun droit – pour les autres pays – au laxisme budgétaire qu'ils ont largement pratiqué dans les deux voire trois dernières décennies.
D'autre part, l'Allemagne serait un pays au profil de profiteur : c'est à dire qu'il profiterait de l'euro ( voir supra ) mais aussi de sa position en termes de commerce extérieur. Nous vivons là sur des chiffres que la crise a actualisés mais qui n'ont pas encore intégrés nos mentalités. L'Allemagne est nettement moins dépendante que par le passé de son commerce avec les pays de l'Arc du Sud que de la grande exportation ( vers l'Est du Monde : Chine et Japon notamment ) et que de ses liens de plus en plus étroits avec les pays d'Europe centrale : ceux de la Mitteleuropa ( Autriche, Hongrie, Tchéquie, etc ). Un simple exemple : il a été assemblé en 2012 plus d'appareils complexes d'imagerie médicale Siemens ( scanners, etc ) en Chine qu'en Allemagne. Quant au train à grande vitesse qui est opérationnel en Chine, il repose pour une large partie sur la technologie de l'ICE allemand. Autrement dit, là où la France oscille autour de 1% du montant des importations chinoises, l'Allemagne est à plus de 5,4% et ne cesse de progresser.
N'est-‐il pas hors de fondement que stigmatiser les performances germaniques là où notre pays a un vrai défi à régler? Car enfin, il y a longtemps que toute une sélection de nos produits ne sont pas compétitifs : ni en prix, ni en éléments hors-‐prix ( niveau de gamme, qualité, innovation incorporée, etc ). Rien ne servirait de se flageller mais rien ne serait pire que de se masquer les comparaisons ( automobiles ou produits industriels ). D'autant que ceci n'est en rien imputable à la monnaie unique et ne date clairement pas de l'euro : il suffit de se reporter aux plans pour la machine-‐outil des ministres Fourcade ( 1975 ) et Monory ( 1978 ) et d'analyser la situation présente. Ou encore de relire les actes des Assises de la recherche et de l'industrie d'octobre 1982 pilotée par
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Louis Gallois alors Directeur général de l'Industrie sous les ordres du ministre Chevènement.
Stigmatiser l'Allemagne a du sens si l'on fait référence à ces travailleurs pauvres et à la brutalité manifeste de certains pans de son modèle social. En revanche, il faut accepter le risque économique et politique de la réplique. A meilleure preuve le jugement péremptoire mais hasardeux de la Chancelière sur la notion de salaire minimum. Cette prise de parole, de la part de quelqu'un de très maitrisée, est un indice tangible de l'exaspération de l'Allemagne qui est lassée de la situation. Les plans d'ajustement en Irlande et au Portugal ont laissé des traces et les 250 milliards prêtés, au total, à la Grèce sont une cicatrice intellectuelle et pécuniaire pour Berlin.
A l'heure où le parti " Alternative pour l'Allemagne " fondé sur l'idée d'une sortie de la zone euro progresse clairement dans les sondages, la Chancelière va être contrainte de muscler son discours pour s'assurer d'être électoralement crédible au regard des échéances nationales de septembre prochain. Depuis des mois, le président de l'IFO ( Institut für Wirtschaftsforshung ) Hans-‐Werner Sinn réclame de faire table rase et d'affirmer, avec détermination, l'hégémonie retrouvée de l'Allemagne depuis la réussite économique de sa réunification.
Le président Mitterrand avait su donner corps au projet européen en négociant fort stratégiquement l'accord sur la réunification contre la création de la monnaie unique. Des années après ces pourparlers avec le Chancelier Kohl, le " fly to quality " fait que des milliards d'euros d'épargne ont rejoint les obligations et supports allemands et qu'une sortie de l'euro pourrait n'être quasiment qu'une formalité d'envergure peu complexe, au-‐delà du coup de Trafalgar pour l'idée européenne. Cette force d'attraction croissante de supports allemands libellés en euros est une vraie inquiétude pour les européens convaincus auxquels nous adhérons.
Un des vrais échecs de la zone euro, c'est que bien d'autres pays de la germanosphère ( Autriche, Tchéquie, Hongrie, etc ) rêvent désormais d'une monnaie commune à cet ensemble habituellement qualifié de " Mitteleuropa ". De surcroît, cette devise aurait les qualités d'une zone monétaire optimale chère à Robert Mundell et souvent explicitée par Christian Saint-‐Etienne. A moins d'un semestre des élections, il serait illusoire de nier que ce courant de pensée se répand chez les citoyens allemands à la vitesse de remontée de la marée à Noirmoutier. Un des vrais échecs collectifs ( Allemagne incluse ) est que notre zone euro n'a pas assez développé de convergences fiscales puis budgétaires. Pour des motifs de commodité ( voir le cas emblématique de l'Irlande ) cette concurrence fiscale interne à une zone monétaire unie par la même devise était un défi à l'entendement.
Sur le terrain de la gestion de la dette, des indicateurs sont là aussi trompeurs. Nous voulons nous rassurer en pensant à la faiblesse du niveau de nos taux d'emprunts dont certains sont négatifs. Mais ceci n'est exact qu'à court terme ( trois à six mois ). Seuls les Pays-‐Bas, l'Allemagne et la Finlande présentent des taux négatifs à deux voire trois ans. Etre de France et écrire sur l'Allemagne impose sans détour de ne pas se cantonner dans une logique technique car l'Histoire demeure présente telle l'ombre des grands chênes de la forêt de Tronçais ( Chêne Colbert ). D'éminents universitaires comme le Professeur Alfred Grosser ou René Rémond n'ont cessé de le dire, leurs vies durant. En pensant à cette " histoire écrite en lettres de couleur rouge venue du sang des victimes " ( Raymond Aron ), en pensant à la politique de fermeté de Kennedy ( " Ich bin ein
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berliner " ), en gardant à l'esprit la joie et les beaux sourires de novembre 1989 ( chute du mur ), tout un chacun frémit à l'idée d'un éclatement de la zone euro " par le haut " alors que nous avons presque réussi à sortir des tensions qui tiraient cette monnaie vers le " bas ". ( sortie de la Grèce ).
Le 12 septembre 2012 ( date à laquelle la Cour constitutionnelle de Karlsruhe s'est prononcée en faveur de la conformité du traité relatif au MES ) certains Allemands ont été tristes et amers : des sondages post-‐décision l'attestent. De cette bise glaciale et anti-‐européenne, rien de bon ne peut venir. François Mauriac, marqué les deux grands conflits, avait écrit dans son bloc-‐notes : " J'aime tellement l'Allemagne que je préfère qu'il y en ait deux ! ". ( Ndlr : RFA et RDA ). Il avait pressenti qu'une Allemagne réunifiée serait une grande puissance de notre Europe : mieux LA puissance de tête de notre continent.
Pour notre part, nous vous confions ici une inquiétude explicite. L'Allemagne n'a plus l'opinion publique requise pour assurer un plan de sauvetage supplémentaire alors même que des signaux confus venus de Madrid ne nous rassurent guère quant à la rectitude de certains chiffres publics ou privés. Royaume au passé prestigieux et pays respectable, l'Espagne n'a pas passé certains comptes " à la paille de fer ". Bien des observateurs le pressentent ou le savent.
Dès lors, il pourrait être tentant pour l'Allemagne de décider du grand schisme et de poser les fondations d'un euromark qui aurait de fortes probabilités d'être adopté par les pays de la Mitteleuropa. Là encore, l'Histoire est utile à la compréhension des décisions économiques possibles. En 1335 ( il y a donc près de 700 ans ), les souverains polonais, tchèque, hongrois ont fondé le groupe de Visegràd ( du nom d'une ville hongroise ). Le 15 février 1991, le V4 de Visegràd a pris naissance en réunissant les mêmes trois Etats devenus quatre du fait de la partition de la Tchécoslovaquie. Le V4 milite d'évidence pour une politique subrégionale européenne qu'un expert comme Philippe Moreau-‐Desfarges pourrait analyser en géostratégie. Ce qui est un fait, c'est que certains de ses leaders sont en faveur de la création d'une zone dynamique, cohérente et convergente voire unifiée avec l'Allemagne.
Sans aller jusqu'au grand déchirement, il se pourrait que l'avenir nous impose un bloc de type rhénan de plus de 150 millions d'habitants dont le caractère homogène lui assurerait un quasi-‐leadership sur notre Union européenne. S'il conserve l'euro à titre unique de monnaie commune, la France aura de la chance. Si ce groupe décide de battre monnaie, nous aurons raté l'occasion historique et capitale de rejoindre un de ces cercles concentriques d'influence qu'avait théorisés, en son temps, l'ancien premier ministre Edouard Balladur. A l'heure où des propos germanophobes émis par le premier parti de France ont conduit à une vive émotion chez des personnalités aussi diverses que Jean-‐Louis Borloo ou Alain Juppé, il faut mesurer l'exaspération allemande. La route va être longue jusqu'au scrutin de septembre.
D'ici à la fin de l'année 2013, nous saurons à quoi nous en tenir. Nous saurons si nous avançons sur le même chemin ou si nous sommes relégués sur la plate-‐forme arrière de l'autobus devenus simples lecteurs de Paul Ricœur dont la thèse soutenue en 1950 sur la
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philosophie de la volonté est traversée par l'idée d'élucidation de l'émergence du volontaire sur fond d'involontaire.
A ceux qui défient volontairement l'Allemagne avec alacrité, nous disons que l'Histoire a parfois involontairement un boomerang dans sa besace.
En guise de remarque de conclusion non confidentielle – que pourrait partager l'association " Sauvons l'Europe ! " fondée notamment par l'avocat Jean-‐Pierre Mignard -‐ , nous appelons à un séminaire estival de rencontres des Chefs d'Etat, informel comme Camp David et suprême comme Yalta pour redéfinir par une sincère discussion interétatique la gouvernance de notre belle devise.
Le remboursement significatif des endettements souverains étant hors d'atteinte, il faudra bien évoquer ensemble un mot que l'Allemagne abhorre : l'inflation et la barre actuelle de 2% de la feuille de route de la BCE.
Sur ce sujet très sensible, puisse la classe politique servir son pays en prenant garde à d'éventuelles outrances verbales et puisse nos dirigeants garder à l'esprit que la crise a la dureté d'une pierre ponce pour le corps social ce qui donne son plein relief au propos de La Bruyère : " Quand le peuple est en mouvement, on ne comprend pas par où le calme peut y rentrer; et quand il est paisible, on ne voit pas par où le calme peut en sortir ". ( Les Caractères : " Du souverain ou de la République " ).
En Europe, dans notre Europe, de Madrid à Rome en passant par Athènes ou Aulnay-‐sous-‐Bois, la peur du déclassement social fait perdre son calme. Ceci se conçoit tout autant que l'éventuelle perte du calme allemand qui est déjà perceptible puisque des foyers d'exaspération sont tangibles dans cette grande Nation.
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VIII
Espagne : temps de récession et de régressions plurielles Depuis un an, la France inquiète plusieurs de ses partenaires ( Royaume-‐Uni, Allemagne ) notamment par la lisibilité incertaine de sa politique économique et par ses atermoiements face aux nécessaires réformes structurelles : décentralisation, dépendance, retraites, etc. Mais, à bien regarder l'Europe, l'Espagne est aussi et hélas un véritable foyer d'inquiétudes. Et de régressions.
Nous sommes tous assez avertis pour avoir compris que la situation espagnole est sérieuse ne serait-‐ce que lorsque nous entendons que plus de 27% de la population active est sans-‐emploi, soit plus de six millions de personnes.
Mais cette compréhension du marasme économique est souvent imparfaite : le Royaume traverse une véritable récession qui se sert des structures économiques comme de la pâte à modeler.
1 ) Une récession plus déstructurante qu'analysée en première lecture : Au départ de cette chute massive d'activité dans certains secteurs – notamment dans l'immobilier et la construction -‐, certains économistes se sont réfugiés derrière la notion assez confortable de bulle. Il y avait eu surinvestissement dans ce secteur et bulle spéculative d'où une correction d'autant plus sévère que de très vastes programmes immobiliers avaient été lancés. Des mois après, chacun doit constater que les accessions à la propriété se font rares à l'inverse des décisions judiciaires d'expulsion. Or celles-‐ci sont ordonnées à l'issue de litiges où les banques sont elles-‐mêmes devenues propriétaires des logements suite aux impayés. Compte-‐tenu de certains mouvements sociaux anti-‐expulsions et de décisions judiciaires moins mécaniques et plus pondérées, les banques se retrouvent désormais davantage contraintes de déprécier des actifs. Cette variable de dépréciation des actifs détenus par les établissements financiers ibériques est une clef de la compréhension du risque majeur que constitue la situation de l'économie espagnole. Par tendance naturelle ou sur ordres, tous les comptes n'ont pas été passés " à la paille de fer " et des surprises négatives d'envergure sont envisageables. Il y a un an, le 9 mai 2012, Bankia affirmait n'être en impasse que de 5 milliards d'euros. Après des audits complémentaires, avant le 25 mai 2012, Bankia confiait son besoin immédiat de 20 milliards de liquidités d'où le blocage et la nationalisation partielle, à la hâte, du 4ème établissement bancaire du pays.
Le taux de créances douteuses de CaixaBank est ainsi passé de 5,25% à 9,4% cette année tandis que Bankia atteint le chiffre préoccupant de 13%.
Du fait des engagements hors-‐bilan, véritable habitat troglodyte pour passifs non recensés, du fait des créances non exhaustivement dépréciées dans les actifs circulants, du faits des participations croisées non clairement visualisables au sein des immobilisations financières, le système bancaire espagnol relève de trop d'incertitudes.
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Des centaines d'agents économiques français savent que les banques espagnoles ont longtemps fait passer le commercial avant l'analyse des risques et bien évidemment une telle démarche est coûteuse lorsqu'il y a retournement de conjoncture. Or la question qui aggrave le risque espagnol vient précisément de l'étirement dans le temps de cette chute d'activité, de cette récession accrue de surcroît par un plan d'économies publiques d'évidence trop brutal ( plus de 65 milliards d'euros ) qui n'a pas laissé d'oxygène à bien des secteurs.
L'Espagne traverse une vraie contraction de crédit ( " credit-‐crunch " ) et la confiance est évanouie dans des centaines de dossiers. Il faut dire que la confiance a parfois été mise à rude épreuve. Alors président de Banesto ( acquise depuis par Santander ), Monsieur Alfredo Saenz a été jusqu'à déposer une plainte reconnue sans fondement contre des clients dans le but d'encaisser des crédits qualifiés d'impayés. Ce type d'écart, ce manquement à l'éthique, ne peuvent laisser sans état interrogatif sur le système qui fût celui d'Europe le plus unitairement lourdement pénalisé par le scandale initié par Bernard Madoff ( 2,3 milliards de pertes pour Santander ).
Selon notre analyse, le système bancaire espagnol n'a pas levé le voile sur certains dossiers et n'est pas en état de contribuer à la reprise dans le pays. Comme d'autres facteurs, il participe d'une récession nettement plus déstructurante que prévue qui altère la viabilité de nombre d'entreprises y compris des firmes traditionnellement saines.
Face à cette altération méso-‐économique sérieuse, l'Espagne vit donc – hélas – plusieurs foyers de régressions.
2 ) Déclassement social et économie informelle :
Les modifications de l'indemnisation du chômage récemment votées et d'autres mesures n'ont guère atteint leur but. La situation de l'emploi est calamiteuse et le travailleur espagnol sait que chômage rime avec déclassement social. On perd un emploi : on cherche un petit boulot.
Pire, comme l'indique régulièrement le président de l'ATA ( association des travailleurs autonomes ) Monsieur Lorenzo Amor, le nombre de travailleurs clandestins ne cessent d'augmenter. Les murs des grandes villes se couvrent d'affichettes qui proposent des petites offres de services. La crise est telle que la police se montre bienveillante face à ce travail au noir. Ainsi la première régression sociale que connait l'Espagne est ce chômage de masse escorté par ce déclassement social et par ce recours contraint à des jobs relevant de l'économie informelle où les mots de taux de l'heure et loyauté sont souvent difficiles à rencontrer. D'aucuns accepteraient de travailler, dans le bâtiment, pour un euro de l'heure ce qui en dit long sur la profondeur de la régression. Corollaire de ce qui précède, l'Etat est aussi le grand perdant en manque à gagner sur ces volumes de recettes fiscales. Certains économistes espagnols évaluent l'économie informelle à plus de 200 milliards d'euros et les évaporations de rentrées fiscales à 50 milliards d'euros.
Pour le travailleur espagnol, responsable d'une famille et sans emploi, la fameuse phrase de Deng Xiaoping fait malheureusement sens : " Peu importe que le chat soit gris ou noir, pourvu qu'il attrape des souris ".
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Oui, la crise espagnole condamne le facteur travail à recourir à des pratiques dignes d'expédients et ceci risque de structurer l'économie ibérique de la décennie à venir.
3 ) Grille des salaires et nouvelles conditions de vie : restrictions et émigration L'ampleur de l'austérité a conduit à une révision à la baisse de la grille des salaires. Les chiffres sont encore incertains ( de l'ordre de 4 à 5% selon les sources ) mais le fait est là. En conséquence – pour une fois favorable – les exportations espagnoles ont augmenté ( singularité positive dans la zone euro ) et ainsi le déficit commercial a baissé de 68% en février 2013 par rapport à l'année précédente. Ce qui semble une information constructive est à nuancer sans délai par le fait que les importations ont baissé de près de 10%. Autrement dit, l'amélioration du solde vient de la tonicité évanouie de la demande domestique. La régression de la grille des salaires a d'évidence un impact direct sur la propension à acheter de nos voisins d'outre-‐Pyrénées et cette amélioration du commerce extérieur est typiquement un " faux-‐ami" qui masque la vivacité de la crise.
Au demeurant, cette vivacité affecte profondément la société espagnole qui subit un exode des cerveaux. Des ingénieurs partent vers la Finlande ou la Norvège. D'autres vers le Brésil. Etc. Les derniers chiffres rendent amers : l'Espagne a vu sa population baisser de près de 300.000 habitants et cette tendance est annoncée comme durable par les démographes. Près d'un jeune sur deux étant au chômage, il est urgent de noter qu'il ne s'agi pas seulement de départ de travailleurs immigrés de faible qualification mais aussi de jeunes diplômés comme évoqué supra. Cette hémorragie encore contenue est un foyer de régression qui ne peut que plonger dans un embarras : un pays qui voit ses talents partir a nécessairement moins d'avenir. Pour d'autres motifs, la France n'est pas complètement épargnée par ce mouvement par lequel les travailleurs les plus dynamiques s'expatrient. Souvent à titre irréversible. 4 ) Les relâchements de l'Etat de droit et la régression du canevas public
Dans l'Espagne de 2013, bien des tabous semblent autorisés à tomber dans un fracas qui choque l'entendement. Ainsi, bien au-‐delà des habitudes françaises contestables ( que le Haut conseil des finances publiques a désormais pour mission de réguler ), les prévisions de croissance ou de déficit sont tordues à l'extrême de leur plausibilité. Concrètement, le gouvernement de Monsieur Rajoy a annoncé fin avril un déficit de 5,5% du PIB en 2014 là où le FMI l'estime à 6,9% et les prévisions de la Commission européenne le chiffre à 7,2%. Cette divergence d'analyses, ce grand écart n'est pas de nature à rassurer les créanciers de l'Espagne et à adresser des signaux clairs aux agents économiques. Comme a été contrainte de l'affirmer l'agence Moody's ( 9 avril 2013 ) : " les révisions répétées des chiffres, ajoutées au manquement répété aux objectifs fixés, détériorent clairement la crédibilité du plan de rigueur espagnol ".
Selon les propres prévisions du gouvernement espagnol, la dette devrait s'élever à 96,2% du PIB en 2014, 99,1% en 2015 et 99,8% en 2016. Si techniquement ce dérapage est compréhensible et reflète la violence de la récession, il n'en demeure pas moins que l'on ne peut que songer aux efforts de ce grand peuple – héritier de Charles Quint ou des Républicains de 1936 – qui vont concéder tant d'efforts pour un si piètre résultat macro-‐
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économique. A l'injustice sociale décelable vient se coaguler l'injustice sociétale quantifiée.
Au terme de nos travaux, nous estimons qu'il y a une sorte de régression du canevas public en Espagne : des lois protectrices peuvent désormais être balayées au nom d'une hypothétique efficacité face à la crise. Il en est ainsi des lois sociales mais aussi d'autres pans de la société comme la remise en cause ( vote début mai ) par le Parlement espagnol de la loi de protection du littoral de 1988. Des dizaines de violations réalisées de cette loi vont être englouties à jamais par le nouveau texte et ce n'est pas une avancée écologique ou juridique. Mieux c'est une forme de prime à la violation généralisée des normes progressivement accomplies par une foule de spéculateurs et autres opérateurs cupides. Cette situation valide pleinement l'adage : " Quic quid multis peccatur insultum " Lucain, Pharsale : V 260 : ( " Tout délit commis par une foule est assuré de son impunité " ). En dix ans des kilomètres de côtes auront été recouvertes de construction sans harmonie ni véritable consentement local. L'heure n'est pas à ce bilan dans le Royaume mais tôt ou tard il surgira tant les excès ont parfois été manifestes. La régression du canevas public s'applique aussi, selon notre approche, à l'étonnant dialogue entre les régions et l'Etat central. Des chiffres d'endettement fort malléables circulent là aussi et il est difficile, y compris pour l'INE ( Institut national espagnol de la statistique ) de mesurer la réalité des endettements locaux. A l'instar de notre pays ( voir question des emprunts toxiques des collectivités territoriales ) et au risque de démentir un célèbre propos : " Vérité en-‐deçà des Pyrénées, erreur au-‐delà " Blaise Pascal, Pensées 294.
C'est d'ailleurs tout ce flou qui donne, entre autres, des envies de pleine indépendance à la Catalogne qui est une région dynamique et très en pointe. Si cette éventualité devait se matérialiser, c'est un puzzle public ibérique fragmenté qui pourrait naître sous nos yeux ébahis.
Enfin, dernier point concernant le canevas public, il faut citer la montée d'une forte insatisfaction populaire ( et non populiste ). Cantonnée à un mouvement des " Indignés " cher à feu Stéphane Hessel, désormais c'est de tout le pays que montent les vibrations d'un grondement populaire. Des mouvements comme " En pie ! " ( " Debout " ) veulent " assiéger le Parlement " et obtenir " la chute du régime pour l'ouverture d'un processus de transition vers un nouveau modèle d'organisation politique, économique et social, réellement juste et solidaire ". Selon le Centre de recherche sociologique et d'autres observateurs, la corruption est – derrière le chômage – le deuxième centre de préoccupation des Espagnols et c'est un signe de délitement du canevas public. Soit c'est exact et c'est grave. Soit le peuple est dans l'erreur et il est urgent de lui démontrer.
Il y a plus de trente ans, le Doyen Georges Burdeau aimait à citer – dans son " Traité de Science politique " -‐ l'analyse de Jean-‐Jacques Rousseau selon laquelle la démocratie pouvait confusément verser dans l'ochlocratie. Dans le livre III, chapitre X du " Contrat social ", Rousseau définit l'ochlocratie comme " une dégénérescence de la démocratie " et " une dénaturation de la volonté générale qui cesse d'être générale dès qu'elle commence à incarner les intérêts de certains, d'une population et non de la population toute entière ". Cette captation du pouvoir au profit d'intérêts choisis n'est pas une question à taire pour qui songe à l'Etat ibère.
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L'ochlocratie est un terme obscur et peu usité mais la réalité qu'il recouvre est-‐elle si négligeable : rien n'est moins sûr.
Evidemment, cette conclusion de lucidité sur les aléas du canevas public ne saurait s'achever sans une référence à un autre Doyen, en l'occurrence le constitutionnaliste Maurice Hauriou, qui sût écrire avec sagacité : " L'Etat est un sommet d'où l'on ne peut que redescendre ". ( " Le pouvoir politique et l'Etat ", Page 208 ). En matière économique, le sommet de la crise ibérique a-‐t-‐il été atteint ? Rien n'est moins certain d'où l'objet de cette contribution. En matière sociétale l'abattement d'un peuple peut se muer en vif mécontentement : derrière le silence de sublimes toiles du Prado vibre assurément un peuple à qui beaucoup d'efforts sont imposés.
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IX
Caterpillar : la Belgique est sous le choc ! La Belgique, et particulièrement la Wallonie sont sous le choc : le groupe Caterpillar vient d'annoncer une restructuration de son usine de Gosselies ( Charleroi ) : au total, 1400 licenciements ont été annoncés sur un effectif de 3700 personnes. Chaque décision de restructuration est unique mais celle-‐ci semble emblématique à plus d'un titre. Tout d'abord, le groupe Caterpillar est loin de traverser une mauvaise passe comme l'écrivait sur le site EconomieMatin dès le 26 juillet 2012 Amaury Brelet : " Le groupe américain d’engins de construction Caterpillar a annoncé mercredi des profits record. Son chiffre d’affaires a progressé de 22 % par rapport au deuxième trimestre 2011 pour atteindre 17,374 milliards de dollars, tandis que le bénéfice net s’est envolé de 67 % à 1,699 milliard, un record historique. Les ventes du premier fabricant mondial ont augmenté en Amérique du Nord et dans la zone Asie-‐Pacifique, mais se sont contractées en Chine. " Cette prospérité est confirmée par d'autres sources plus récentes. ( http://www.daily-‐bourse.fr/resultats-‐CATERPILLAR-‐chiffre-‐affaire-‐US1491231015.php ) Dès lors, trois affirmations méritent d'être énoncées et une interrogation posée :
1 ) La situation de l'exploitation du Groupe ne justifie pas ces licenciements que certains qualifieraient de boursiers. En fait, ils ont pour origine une mise en concurrence assez aveugle entre les sites du Groupe et dans une telle perspective, l'Europe est souvent perdante. 2 ) Le total de bilan de Caterpillar a été augmenté de 6 milliards d'euros en un an, soit exactement la moitié de la masse salariale ( charges comprises ) de toute l'usine de Gosselies. Quant aux capitaux propres, ils ont cru de 3 mds. 3 ) Si l'on analyse la situation, il convient de noter que le Groupe réalise près de 50 milliards de chiffre d'affaires pour près de 36 milliards de coûts des ventes, personnel inclus. Autrement dit, en croisant différentes sources, on relève que le poste salaires et charges représente environ 28% du C.A. Si vous effectuez ce calcul chez LVMH en 2011, vous observerez que les frais de personnel représentent ( 4 mds ) là où les coûts des ventes est de 8,1 et les charges commerciales de 8,4. Autrement dit, ces deux derniers postes de charges sont dans un rapport de 1 à 4 avec les salaires " chargés ".
Même remarque pour L'Air Liquide, les charges de personnel s'élevaient à 2,5 mds à rapprocher des 8 mds d'achats et assimilés. La même analyse peut être généralisée : quand les achats et autres représentent 50% du montant H-‐T du C.A, les salaires et cotisations dépassent rarement 22 à 26% dudit C.A
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Question :
En 1987, l'ancien président de L'Oréal – le talentueux François Dalle et Jean Bounine – ont écrit un rapport intitulé " Pour développer l'emploi" dans lequel ils expliquaient nettement qu'une entreprise ce n'est pas seulement du capital et du travail mais aussi ce que l'on nomme le facteur résiduel, c'est à dire la qualité de l'organisation et l'efficience collective. En Belgique, Caterpillar n'a-‐t-‐il pas uniquement scruté des états financiers basiques et omis d'intégrer des paramètres plus qualitatifs ? Quand on voit le circuit des sous-‐traitants et intermédiaires de tous styles qui peuplent notre économie moderne ( voir le chemin du cheval roumain dans le cas de Findus, etc ), je prends le risque de penser qu'une remise à plat de ces circuits seraient plus profitables que de passer le hachoir sur des bulletins de paye et des tranches de vie.
Il n'y a probablement pas d'autre solution que de fermer Aulnay pour PSA. Pour Caterpillar, la fermeture de Gosselies en dit long sur l'éthique des affaires et les conséquences de la financiarisation de l'économie.
L'ampleur limitée, en proportion des achats, du poste salaires doit inciter à une réflexion plus sincère et plus pertinente au plan sociétal.
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X
Peugeot en perte de 5 milliards : que penser ?
1 ) La notion de dépréciation d'actifs : Si Peugeot ou Citroën doivent dépenser 100 pour produire et commercialiser une voiture et qu'ils ne la vendent que 80, il y a enregistrement direct d'une perte d'exploitation de 20 dans le compte de résultat. On parle alors de résultat d'exploitation ou de résultat opérationnel.
En revanche, lorsque PSA décide de fermer l'usine d'Aulnay en 2014, il est clair que ses outillages et machines ne valent plus autant que si l'usine avait pu poursuivre son activité. Si une machine donnée à commande numérique vaut 100 à l'actif immobilisé actuel de PSA, les dirigeants – sous le contrôle rigoureux des commissaires aux comptes – doivent enregistrer une provision pour dépréciation de 60 si PSA pense vendre 40 en 2014 cette machine.
La dépréciation d'actifs c'est l'anticipation de la constatation d'un manque à gagner hautement probable sur exercice futur.
Pour être un peu technique, ces provisions viennent de l'application des normes comptables IFRS qui raisonnent en " fair-‐value" : on prend les éléments à leur valeur marchande possible et non plus à leur coût historique d'achat diminué des amortissements. 2 ) La situation serait-‐elle alors " moins grave " ?
Sans être un familier du dossier, il est clair que la situation est sérieuse : des centaines de voitures sont sur parc et attendent des hypothétiques acquéreurs. Le marché est vraiment attaqué en volume mais aussi en marge ce qui impacte les comptes de PSA.
Sur 5,01 milliards de pertes en 2012, 4,122 milliards viennent de " produits et charges opérationnels non courants " dont 3,009 milliards de dépréciations d'actifs évoqués ci-‐dessus. Autrement dit, le grand groupe industriel qu'est PSA a perdu 2 milliards " secs " en-‐dehors des obligations légales comptables. Deux points très critiques en découlent : tout d'abord, il faut financer cette perte. PSA a ainsi consommé ( "cash-‐burning rate " ) près de 3 milliards de trésorerie. Puis, il faut imaginer des solutions de gestion, des plans d'économie pour réduire la perte d'exploitation.
En comité central d'entreprise, éventuellement en Justice, ces chiffres sont effectivement de nature à légitimer le plan de licenciement hélas incontournable. Sur le terrain politique, ai-‐je besoin de préciser que c'est autre chose ?
Le recours à l'Etat est intervenu via une caution de près de 7 milliards auprès de la banque que possède Peugeot. Rappelons-‐nous que Carrefour, Alcatel ( Electrobanque ), Volkswagen, etc ont des banques intragroupes qui les aident à lever des fonds sur les marchés ou à aider leurs clients à mieux se financer lorsqu'ils achètent, par exemple, une voiture.
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Point de précision, la banque de PSA se finance avec un différentiel de 4% au-‐dessus de celle, reconnue comme plus fiable, de VW. PSA Finances a réalisé 391 millions d'euros de résultat là où la banque de VW dépasse le milliard. Le recours à l'Etat passera peut-‐être par une entrée au capital de PSA du FSI ( Fonds Stratégique d'Investissement ) puis par des apports en compte-‐courant dans les limites acceptées par Bruxelles et par notre droit des affaires ( notion de soutien abusif ). 3 ) Avantage à déprécier ?
Des personnalités aussi différentes et éminentes que Charles de Croisset ( Ex-‐HSBC, désormais Goldman Sachs ) ou Edouard Salustro ( ancien président de l'Ordre des experts-‐comptables et ancien président du département Appel public à l'épargne de la compagnie nationale des commissaires aux comptes ) ont toujours attiré l'attention sur le caractère abrupt et pro-‐cyclique de l'application des nouvelles normes comptables. Il n'y a pas d'avantage à enregistrer des dépréciations : il y a obligation légale de le faire ! Des entreprises comme Carrefour ou Arcelor l'ont récemment fait. D'autres vont suivre ce qui ne facilitera pas la reprise puisqu'il y a destruction de valeur.
Dernier point que je répète ici : toutes ces dépréciations finissent par rendre attractives certaines belles entreprises qui valent moins donc coûtent potentiellement moins pour des amateurs d'OPA hostiles. Là-‐dessus, ni Bercy, ni la Place Vendôme ne semblent – à ce stade – très mobilisés. On évoque un projet de loi où le seuil de déclenchement obligatoire d'une OPA serait descendu à 25% du capital ce qui n'est pas une réponse à la question que l'avenir risque d'imposer. Dans le cas d'Arcelor, à quoi aurait servi cet abaissement de seuil ?
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XI
Virgin, Fnac : condamnées à fermer ?
Les brillants fondateurs des groupes Carrefour ( Marcel Fournier ) et Edouard Leclerc ( Leclerc ) avaient pour devise : " tout sous un même toit ". Autrement dit, l'hypermarché a été innovant par son volume et par la profondeur des gammes d'articles proposés. Nous pouvons, depuis le début des années 60, y acheter un pamplemousse rose aussi bien qu'un tube de cirage bleu ou qu'un paquet de lessive. Plus récemment, nous pouvons y trouver des rayons dédiés aux micro-‐ordinateurs, écrans plats, etc. Le " tout sous un même toit" est à l'origine de la Fnac fondée notamment par André Essel et Max Théret qui ont su mettre à disposition de leurs clients des produits : appareils photo, lecteurs de cassettes – à l'époque -‐, et des disques et autres supports culturels tels que le livre.
Ce " tout sous un même toit " des produits culturels a rencontré un succès remarquable. La Fnac Saint Lazare était, il y a quinze ans, un des magasins les plus fréquentés de Paris. Dans le sillage du succès de " l'agitateur culturel ", le groupe Virgin a implanté plusieurs magasins en France dont le Virgin Mégastore de l'emblématique avenue des Champs-‐Elysées, véritable temple de la consommation de produits culturels.
Avec bien entendu des recettes marketing sérieuses et éprouvées : nouveautés clairement mises en avant, produits d'appel à prix cassés selon la devise de Bernardo Trujillo qui définissait la grande distribution comme " une îlot de pertes dans un océan de profits ". Et visite de célébrités en vue de séances de dédicaces, etc. Ce business-‐model a été très rentable mais désormais une tenaille impitoyable s'est refermée sur ce type de magasins. D'un côté les hypermarchés ont développé des rayons culturels conséquents qui leur permettent une puissance de négociation avec les fournisseurs et donc une politique de prix agressive. D'un autre côté, la révolution du numérique a fait son œuvre. Là où nous achetions un CD sous cellophane chez Virgin, désormais nous le téléchargeons légalement via iTunes ou parfois via des sites non respectueux du droit d'auteur. La "conveniance", c'est à dire la facilité liée à l'achat est entrée dans nos domiciles et nous dispensent de trainer dans les rayons, de gérer l'attente aux caisses, etc. L'achat culturel s'est sédentarisé.
Autrement dit, la révolution du numérique a fait que le chiffre d'affaires d'enseignes comme Surcouf ( placée en liquidation ) Fnac ( actuellement en vente ) Virgin ( en projet officiel de cessation des paiements ) s'est inscrit en recul d'au moins 25% et parfois jusqu'à 40% dans certains magasins.
Face à l'évaporation de clientèle qui a changé de mode de consommation, le meilleur des gestionnaires est forcément dépourvu d'arguments.
Au plan social, le cas de Virgin va impliquer un peu plus de 1000 emplois qui sont clairement menacés par la décision de l'actionnaire de référence : le fonds Butler Capital Partners. En effet, il n'est pas neutre de relever que le fougueux et talentueux Richard Branson ( Groupe Virgin ) s'est désengagé – il y a quelques années – de ces sites de distribution.
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Parallèlement, nous observons la montée en puissance d'Amazon.com qui vient de lancer la construction en Saône et Loire d'un nouveau centre logistique qui devrait employer à terme plus de 2000 personnes. Comme Schumpeter l'a écrit, la croissance est bien un phénomène de " destruction créatrice " et la distribution spécialisée s'efface progressivement devant le e-‐commerce.
Pour autant, tout n'est peut-‐être pas définitivement tranché : souvenons-‐nous de ceux qui annonçaient la mort certaine des grands magasins du boulevard Haussmann. En montant en gamme et en attirant une clientèle étrangère, ils ont su rebondir et trouver un nouveau business model très rentable.
Pour l'heure les salariés de Virgin sont hélas dans l'épreuve tandis qu'il se murmure que Volkswagen serait intéressé par le magnifique emplacement des Champs-‐Elysées....
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XII
La marque Findus est-‐elle morte ?
Il y a bien des années, des traces de benzène avaient été trouvées dans des bouteilles de Perrier aux Etats-‐Unis. Malgré des efforts d'explication, de justification puis de marketing à outrance, la dynamique eau gazeuse n'a jamais réussi à recoller avec le dynamisme de sa croissance Outre-‐Atlantique. Autrement dit, il y a rémanence d'une image altérée surtout dans l'agro-‐alimentaire.
En date du 7 février 2013, il a été établi en Grande-‐Bretagne que de la viande de cheval se trouvait dans des plats préparés Findus portant la mention 100% pur bœuf.
On ne peut imaginer plus grossier comme tromperie du consommateur et on comprend la décision de nombreuses enseignes de la grande distribution de retirer de la vente – un peu partout en Europe – des milliers de barquettes désormais suspectes.
Findus est une entreprise suédoise importante au slogan bien connu : " Heureusement, il y a Findus " ). A cette époque, et jusqu'en 1999, elle a appartenu à Nestlé : groupe qui ne plaisante pas avec la traçabilité et fait des marges avec honnêteté.
Il y a en effet une question incroyable de manquement au respect du cahier des charges car les deux viandes ( cheval et bœuf ) ne sauraient être confondues. En d'autres termes, il n'est pas irréaliste d'affirmer que des sous-‐traitants avaient parfaitement conscience de ce qu'ils faisaient. Un temps ( de 1999 à 2006 ) dans le giron d'un fonds lié à l'honorable famille Wallenberg ( EQT ), Findus est désormais détenue par un fonds britannique de capital-‐investissement nommé Lions Capital.
Plusieurs observations nous semblent découler de la situation qui évolue sous nos yeux :
1 ) Depuis combien de temps ? A quelle échelle par rapport au total de la production ? 2 ) Quels risques sanitaires compte-‐tenu de la provenance roumaine ( normes différentes ) des chevaux incorporés aux lignes de production ?
3 ) Trois voire quatre sous-‐traitants semblent en cause. Quels contrôles chez eux ? Et surtout que fabriquent, par ailleurs, ces artistes de la désinvolture alimentaire ?
4 ) Le coût pour Findus risque d'être exorbitant ( class action ? ) et c'est d'ailleurs ce qui explique l'intention de la société mère de se retourner contre ses sous-‐traitants. On a le sentiment malheureux que Findus a raté quelques épisodes de la jurisprudence sur la responsabilité finale d'un producteur alimentaire. Lions Capital risque, si vous le permettez, de perdre autant sa crinière en justice que les chevaux ne l'ont perdu avant de rejoindre ces plats.
5 ) Qui aura envie en 2015 d'acheter une barquette Findus ? Selon nous, cette marque ne se relèvera pas d'un choc européen aussi étendu que profond. A l'heure des réseaux sociaux, à l'heure de la demande de respect des animaux, à l'heure où Aymeric Caron s'enrichit avec son livre " no steak ", cette affaire est une pilule empoisonnée pour Findus.
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6 ) En Suisse, Nestlé continue d'exploiter la marque. Que va décider la multinationale de Vevey ?
Pour le reste, la communication de crise de Findus est minuscule au regard des enjeux et du dégoût.
Très peu d'entre nous acceptent de " manger du cheval " et la viande rouge doit faire face au dynamisme de la volaille et de la viande blanche. Pour le reste, Findus, pris dans une communication décevante, va peut-‐être nous rappeler que les soldats de la poche de Dunkerque en 1940 ont consommé du cheval tout comme les Allemands pris dans l'étau de Stalingrad.
Quand on marque 100% pur bœuf sous sa marque et que c'est 100% faux, on peut s'attendre à toutes les inepties. Il n'y a plus qu'à espérer que la branche poissons de Findus ait été mieux gérée.
La confiance ne se décrète pas à coup de millions d'euros de messages publicitaires !
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XIII
La crise pour trois ans ? Il y a bien des 2008 a été l'année du choc et de la surprise. Puis nous avons été nombreux à penser à une crise majeure d'adaptation qui durerait environ 3 ans. En 2011, nous escomptions l'éclaircie. Résultat, en 2013, il est réaliste de formuler l'hypothèse d'une crise d'ampleur sérieuse et encore triennale.
Lorsque nos professeurs d'économie nous expliquaient la crise de 1929, pour ceux qui sont issus du baby-‐boom donc des Trente glorieuses, cela paraissait une histoire ancienne et certainement pas répétitive. Nous pensions ne jamais connaître ce que Robert Salais a appelé dès 1980 le chômage de type " file d'attente " par référence à cette singularité française : la durée de présence en situation de perte d'emploi.
Les dernières études de Pôle emploi sont assez alarmantes : cette durée du chômage dit frictionnel continue de s'accroître selon les métiers et d'autre part, on relève de plus en plus fréquemment que la reprise de l'emploi implique l'acceptation de conditions globales ( salaires, mobilité, éloignement du domicile, etc ) plus pénalisantes qu'auparavant.
Le premier constat est donc d'affirmer, avec le recul de ces cinq années de crise, que le chômage ne permet ni un rebond ni un simple changement mais souvent une régression. D'où le thème hélas fondé de la peur du déclassement social que nous avions évoqué sur dans nos deux ouvrages précédents et que les mois confirment. ( Crise et peur du déclassement social ). Par les destructions de valeurs, accrues par les nouveaux référentiels comptables, et par la succession de prises inconsidérées de risque par certains agents économiques ( Banques, Etats ), la période présente se caractérise par des lignes de fracture plus périlleuses que celles des années 30. Si les amortisseurs sociaux ( à commencer par l'Unedic ) permettent d'absorber une partie de la violence de la mutation économique en cours, il faut – à titre de deuxième élément de constat – mesurer l'effilochage voire la désintégration de certains de nos secteurs productifs. Machine-‐outils, machinisme agricole, automobile, téléphonie, etc sont des pans entiers de notre industrie qui se sont délocalisés ou ont été anéantis par la concurrence mondiale. Si Lafarge, L'Air Liquide, Faiveley industries présentent sur la dernière décennie un solde net positif d'emplois, que penser de Renault, Alcatel et autres. Partant de constat sectoriel ( méso-‐économique ), il faut avoir la lucidité d'énoncer que notre pays a souvent un conglomérat de décideurs qui raisonne en termes de retour sur investissement ( ce qui est légitime ), de chiffre d'affaire ( ce qui se conçoit ) mais de
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moins en moins en termes d'effectifs. Messieurs Claude Bébéar, François Michelin, Henri Lachmann et quelques autres avaient la fierté de créer de grands groupes où la notion de personnel employé avait une valeur intrinsèque. Ils étaient bien évidemment des responsables exigeants mais ils n'auraient jamais dit une phrase récemment émise en privé par un haut décideur : " Avoir des collaborateurs c'est bien, mais l'avantage d'une machine c'est qu'elle n'a pas la grippe ou des besoins de RTT ". Dans une combinaison de facteurs de production ( capital, travail ), le salariat est un objet mal identifié par une certaine élite qui ne voit que les inconvénients et gomme de manière inexacte les avantages. José Bidegain et surtout Antoine Riboud n'avaient de cesse de répéter qu'ils aimaient voir remplis de voitures le parking de leur personnel. Danone n'est pas un échec ? Et pourtant le malicieux et infatigable Antoine Riboud ne cessait de dire que son rêve, " c'était de bâtir une cathédrale ". Avec des compagnons ( sic ). Tant à l'âge de la formation des managers qu'au moment où ils accèdent aux plus hautes fonctions, notre pays présente un déficit d'appétence pour le facteur humain strictement à l'opposé des géants nord-‐américains qui innovent en gestion des ressources humaines comme Google, Microsoft ou évidemment Apple. On peut cancaténer des propos bienveillants dans des colloques ( pour attirer de nouveaux talents...), cela ne revient pas à dimensionner de manière idoine l'être humain dans l'acte de production. L'exemple récent de Caterpillar en Belgique qui va supprimer plus de 1400 emplois sur 3700 près de Charleroi alors que ses fonds propres mondiaux ont augmenté de 7 milliards et son bénéfice net de 3 milliards rapporte cette quasi-‐aversion pour le travailleur de l'Europe développée. Cette présomption de coût comparé défavorable au travailleur est compréhensible à l'échelle planétaire mais cela signifie que, décision après décision, l'Europe est chaque mois davantage placée en hémorragie de consommateurs solvables. Or, troisième élément de constat, la crise nous jette au visage un magnifique nœud gordien : celui qui unit l'offre et la demande en cette période. D'un côté, la contraction du pouvoir d'achat et le comportement d'épargne de protection ont pour conséquences de faire stagner la demande. Qui achète un bien durable non indispensable en ce moment ? Qui cède encore à des achats d'impulsion ? Des millions de citoyens ne se reconnaissent plus que dans la notion sévère d'achats de stricte nécessité. D'un autre côté, nouée à cette contraction de la demande, se trouve le tassement préoccupant de l'investissement. Parfois expliqué par les tensions de trésorerie, il est aussi issu de la faible propension à investir quand la demande solvable anticipée ( voir Keynes ) parait insuffisante. De surcroît, il serait inexact de nier que des propos haut en couleurs et assez anti-‐patronaux ont depuis près d'un an contribué à geler des projets voire à générer un flux d'expatriations. La France que nous aimons a donc un défi considérable en termes d'emploi tant le chômage devient un fardeau pour le reste de la Nation via l'impôt, le coût social de la désespérance, les effets d'aubaine et parfois la contribution à une certaine délinquance. Pour l'heure, la boite à outils exposée par le leader du pays rappelle davantage le livre de Jacques Attali ( " La parole et l'outil " ) que celui de François Mitterrand ( " Ici et maintenant " ).
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Nous avons déjà écrit que l'idée d'une inversion de la courbe du chômage avant fin 2013 était " une insulte à l'intelligence " et nous maintenons hélas notre propos. Hélas car il sera factuellement vérifié. Hélas car le démenti cinglant que le proche avenir va donner à ce propos ne manquera de faire se répandre non pas une odeur de lavande mais un parfum délétère venu d'un peuple qui doute de plus en plus du verbe de ses dirigeants. Ce quatrième élément de constat ne peut être passé sous silence alors que des voix autorisées croissantes de la majorité appellent à un changement de cap et que d'autres voix versent dans une germanophobie hasardeuse. Le cinquième élément de constat requiert de prendre pour chaîne d'arpenteur une unité décennale. 1989, chute du mur de Berlin. De 1990 à 2000, efforts du peuple allemand pour réussir sa réunification et la préparation du passage à l'euro. 2000 à 2010 : adhésion claire aux idées fondatrices de la monnaie unique. Depuis plusieurs mois, réticences croissantes de l'ensemble de la classe politique et montée d'un parti anti-‐européen : " Alternative pour l'Allemagne ". Depuis plusieurs semaines, des prises de parole très affirmées de la Chancelière au regard de la politique de ses partenaires. Admonestation voire immixtion claire. Amèrement, il faut ouvrir les yeux, l'heure de vérité ( en hommage à l'émission du regretté François-‐Henri de Virieu ) approche pour l'Europe et il n'est pas exclu qu'après avoir laborieusement évité que des pays vulnérables ne soient en défaut, il se pourrait que cela soit l'Allemagne et ses pays satellites ( Hongrie, Tchéquie, Autriche, etc ) qui décident de quitter la zone euro. Avec d'autant moins de difficultés que l'Allemagne a déjà bénéficié du " fly to quality ", c'est à dire d'un report de flux massifs d'épargne vers des obligations allemandes. Certains en France vous diront que si l'Allemagne " sortait ", nous pourrions retrouver des marges de manœuvre ce qui revient à oublier que nous importons près de 60% de ce que nous produisons et consommons. En cas de décrochage ( dévaluation ) de "notre" euro, les conséquences seraient redoutables. A dessein, j'ai recours au terme boursier " d'Hindenburg Omen " qui se réfère à l'accident du Zeppelin en 1937 ( le 6 Mai ) et qui vise à décrire une situation où le marché, suite à plusieurs facteurs, subit une baisse significative. Le sixième élément concerne l'Etat et sera volontairement allusif. A-‐t-‐on le sentiment et les preuves quantifiées de l'effort de 10 milliards d'économies annuelles annoncées et promises avec solennité ? Nous n'avons pas encore toutes les données et il est hâtif de conclure mais à lire certains experts, comme aurait dit le truculent leader de la CGT Henri Krazuki dans son apostrophe célèbre : " le compte n'y est pas ! ". Le septième élément qui découle du précédent signifie que la crise va alourdir les charges publiques ( moindres recettes fiscales, augmentation des dépenses sociales ) et poser une nouvelle fois la question du seuil d'acceptation du niveau de nos prélèvements obligatoires. Sujet délicat qui pousse à valider notre hypothèse de la présence d'un cycle de Juglar qui s'étale sur une période de 7 à 11 ans. Or 2008 + 7 = 2015 est déjà une quasi-‐certitude. En effet, quand bien même l'hypothèse actuellement retenue de 1,2% de croissance en 2014 se vérifierait, il faut garder à l'esprit que notre économie détruit des emplois ( solde net ) en-‐deçà de 2 à 2,5% de croissance. Comme l'a récemment déclaré Henri Sterdyniak ( OFCE ), il n'y a pas, à ce stade, de raisons d'être optimistes pour 2014.
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Le huitième élément est arithmétique comme le sont en analyse boursière les vagues d'Elliott : 2013 étant difficile, une légère amélioration en 2014 ne porterait ses fruits qu'en 2015. Autrement dit, le lecteur retrouve ici le titre de cette contribution et cette sombre prospective triennale. Il ne s'agit pas de verser dans l'idée du déclin français : il s'agit seulement de regarder posément la juxtaposition que l'Histoire nous inflige : crise de l'offre, crise de la demande, crise de compétitivité, quasi-‐crise politique et de leadership, crise de la structure sociétale. Le neuvième élément de constat que je soumets à votre réflexion concerne le brassage important que la crise et la société moderne imposent à nos existences d'Européens. Familles recomposées, " melting-‐pot " issu des flux migratoires, mobilité géographique subie, etc, sont des variables conséquentes. Le sociologue Maurice Halbwachs, adepte de l'école de Durkheim, a écrit : " Il nous paraît contradictoire de supposer qu'une classe existe sans prendre conscience d'elle-‐même. Appeler une classe un ensemble d'hommes et de femmes, dans lequel une conscience de classe ne s'est point développée et ne se manifeste pas, c'est ne désigner aucun objet social, ou c'est désigner une classe en voie de formation qui n'existe pas encore ". ( Psychologie des classes sociales ). Selon notre approche, la crise accélère l'émergence d'une nouvelle classe sociale qui sera pour partie issue du concept désormais fourre-‐tout de classes moyennes. Au terme de ces neuf éclairages qui conduisent à une certaine gravité, il faut conclure en ayant recours à la célèbre phrase de Gramsci : " Avoir le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté ". Puis il faut relire : " Par la perfection géométrique de ses cellules de cire, l'abeille surprend l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui fait la supériorité de l'architecte le plus médiocre sur l'abeille la plus experte, c'est qu'il construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche " ( Karl Marx ). Oui, fondamentalement la crise est une souffrance sociale et une suite de défis économiques et financiers. Ne peut-‐on pas prendre le pari sur l'homme qu'il va savoir innover et bâtir une sorte de Via Appia pour que nous puissions nous éloigner de ce chaudron ? " Logiquement, la crise devrait au moins remettre en cause la macroéconomie et l'économie financière. La première a manifestement trop cru à l'efficience des marchés et est restée obnubilée par l'inflation sans voir la bulle des actifs financiers ". Cette citation est extraite du pertinent article de Frédéric Lemaître paru dans " Le Monde " du 5 septembre 2009 sous le titre explicite : " La crise remet en cause le savoir et le statut des économistes ". Effectivement.
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Croissance, Chômage, Investissements, Inflation
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XIV
Prévisions de croissance : erreurs et mensonges Les citoyens français ont des habitudes qui ne se démentent pas, année après année. Ainsi les embouteillages du début du mois d'août sont un rituel aussi récurrent que le déficit de la Sécurité sociale. On peut le déplorer mais c'est ainsi.
Dans la même veine rituelle, se trouve la question importante des prévisions de croissance que le gouvernement établit et sur lesquelles reposent nombre de calculs permettant d'élaborer le budget de la Nation.
Le ministre Moscovici aura été assez surprenant en s'agrippant – pendant des mois -‐ à l'idée de 0,8% de croissance du PIB en 2013 ( ce que nous contestions sur ce site le 16 octobre 2012 en taxant cette hypothèse " d'insulte à l'intelligence " pour finalement devoir se rallier au consensus des économistes et à la vision de la Commission de Bruxelles, à savoir 0,1%. Ralliement intervenu début mars 2013... Alors que la politique fiscale a été pro-‐cyclique et a donc contribué à accompagner le ralentissement de la croissance, on discerne mal ce qui empêchait d'émettre une juste anticipation du taux de croissance plutôt qu'un taux de convenance. L'Histoire semble vouloir bégayer et le même ministre va jusqu'à annoncer désormais 1,2% pour l'année 2014 ce qui interpelle sous trois modalités. Tout d'abord, les 1,2% ne font pas l'unanimité au sein des économistes de renom que compte notre pays ou des organismes comme l'OCDE. Loin s'en faut. Puis, 1,2% est un chiffre qui se situe à environ un point en-‐dessous du seuil ( 2 à 2,5% ) qui est requis pour que la France présente un solde net positif d'emplois. Autrement dit, le ministre de l'Economie prédit en creux une poursuite de la montée du chômage en 2014 sur un rythme certes amoindri mais toujours présent. Enfin, 1,2% signifie que les rentrées fiscales seront insuffisantes pour tenir l'objectif de 3% du déficit public issu des obligations du Traité de Maastricht sauf à imaginer d'autres vagues de prélèvements obligatoires. Chacun restera carrément songeur quant aux 2% de croissance anticipés pour 2015 car les évènements internationaux ( relance américaine ou non ? politique allemande strictement maintenue ? etc ) sont autant de paramètres qui ne militent pas pour un chiffre aussi élevée. Alors pourquoi cette quantification est-‐elle un rituel de mystification ? En premier lieu, il y a un certain confort car plus le taux anticipé est élevé, plus le budget est présentable et aisé à " boucler ". Quitte à dépasser, rituellement, son solde d'exécution depuis des décennies et créer de la dette additionnelle. En deuxième lieu, les gouvernants font reposer leurs dires optimistes sur l'idée que cela rassure les investisseurs étrangers mais aussi le " moral " de la Nation. Là où Raymond Barre a méthodiquement et loyalement tenu un discours de vérité et réussi à redresser
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nos comptes publics, plusieurs de ces successeurs ont agi comme des sarcelles flottant dans l'air bien au-‐dessus des réalités. Au détriment, in fine, du pays. En troisième lieu, les politiques ont une fâcheuse tendance à penser qu'afficher un "bon" taux de croissance va améliorer, par capillarité, le climat des affaires. Ils vivent ainsi sur un schéma des années 70 où les citoyens n'étaient pas aussi avertis et aussi bien informés. Désormais des millions de Français sont en capacité de jauger ce qui est plausible de ce qui ne l'est pas : c'est un progrès démocratique et économique. Etre face au vrai miroir du possible semble un atout pour un pays moderne mais certains ne peuvent s'empêcher de chercher des biais très provisoirement confortables. Chacun comprend l'étau politicien qui assaille l'exécutif mais nous savons tous, en ce moment même, ce qu'il en coûte de se faire abuser pendant des années. Le médecin et sociologue Gustave Le Bon a écrit : " En matière de prévision, le jugement est supérieur à l'intelligence. L'intelligence montre toutes les possibilités pouvant se produire. Le jugement discerne parmi ces possibilités celles qui ont le plus de chance de se réaliser " ( in " Hier et Demain " ). Comme l'a montré feu le Professeur Barre ( qui cumula un temps les postes de Premier ministre et ministre de l'Economie et des Finances ), le pays est capable d'entendre un message de réalisme et je pense que la crise que nous traversons va démonétiser les jongleurs et autres acteurs de peu de contenu. Il y a un peu moins d'un mois était installé le HCFP : Haut conseil des finances publiques qui a notamment pour mission de veiller au réalisme des prévisions de croissance. Espérons que cet organisme composé de magistrats de la Cour des comptes et d'économistes ainsi que du directeur général de l'INSEE pourra se faire entendre, à bon escient, du pouvoir de Bercy et d'au-‐dessus. Car en matière de prévisions de croissance, comme l'avait confié un jour Pierre Bérégovoy, il y a toujours un ou deux supérieurs au-‐dessus du locataire de Bercy, fût-‐il travailleur et attaché à la sincérité des comptes publics.
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XV
Haut Conseil des finances publiques : paillette technocratique ou outil crédible voire salvateur ? véritable efficacité ?
En date du 21 Mars 2013, une nouvelle entité administrative indépendante a vu le jour : il s'agit du Haut Conseil des finances publiques que préside le premier président de la Cour des comptes, Monsieur Didier Migaud.
Trois questions sont à examiner suite à cette irruption dans le paysage administratif français : tout d'abord, quel est son rôle ? Puis, quelles seront les modalités de son action future ? Enfin, que faut-‐il retenir de sa composition et de son influence sur les objectifs poursuivis ?
1 ) Vers une meilleure maîtrise des évolutions des finances publiques :
Le Haut Conseil des finances publiques ( HCFP ) est issu du fameux TSCG : le Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance qui avait essentiellement été négocié par le binôme Madame Merkel et Nicolas Sarkozy avant d'être adopté – sans changement – par la nouvelle majorité parlementaire. Juridiquement, le HCFP est issu de la loi organique ( N°2012-‐1403 ) du 17 décembre 2012 relative à " la programmation et à la gouvernance des finances publiques " et du décret ( N° 2013-‐144 ) du 18 février 2013.
Sa première fonction consiste à statuer sur la "cohérence" des textes émis par le Gouvernement ( projets de lois de finances, de financement de la sécurité sociale et surtout de programmation des finances publiques ) au regard de la pierre angulaire qui justifie son existence : la notion de trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques.
Concrètement cela veut dire que le HCFP aura vocation à se prononcer sur le caractère réaliste ( ou non ) de la prévision de croissance du Produit intérieur brut ( PIB ) qui sous-‐tend une large part de l'édifice de planification budgétaire. Chacun garde en mémoire l'attachement du Gouvernement à la prévision de 0,8% ( de croissance du PIB en 2013 ) qui était pourtant démentie par le consensus de place depuis octobre dernier. Autrement dit, par un avis motivé, le HCFP a un rôle très significatif au regard de la sincérité des prévisions qui accompagnent tout travail budgétaire gouvernemental. A côté de la prévision de croissance, le HCFP est compétent pour examiner les perspectives de dépenses ( notion de solde structurel ) ainsi que celles concernant les recettes. Dans l'hypothèse d'une divergence d'analyse entre les textes gouvernementaux et le fruit des réflexions du HCFP, celui-‐ci pourra recourir à un " mécanisme de correction automatique " qui devra conduire le Gouvernement à effectuer les corrections requises.
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Au plan institutionnel, le Haut Conseil des finances publiques peut se révéler être un outil puissant et crédible et aider ainsi notre pays à cheminer positivement vers une meilleure maîtrise des évolutions des finances publiques. 2 ) Les modalités de l'action future du HCFP :
Tout d'abord, elles sont placées sous le signe de l'urgence. Ainsi, il a été officiellement confirmé que le Haut Conseil émettra son premier avis dès le 15 avril afin d'éclairer la révision du " programme de stabilité " que le Gouvernement va présenter devant le Parlement et qui concerne la période 2013-‐2017. Moins d'un mois après son installation, nous saurons si le Haut Conseil est de nature accommodante telle une nième paillette technocratique ou s'il inscrit son action dans une rectitude intellectuelle qui ne manquera pas de compliquer – de facto -‐ la tâche du nouveau ministre du Budget, Monsieur Bernard Cazeneuve.
Rappelons que ce "programme de stabilité " doit ensuite être transmis à la Commission européenne pour un test de crédibilité voire pour une sorte de verdict au regard de nos engagements : règle de 3% des déficits publics.
Qua la situation impose l'urgence relève du bon sens au regard de la conjoncture et de la croissance atone. Ce qui est moins pertinent – et même clairement regrettable – c'est la rédaction de l'article 15 ( alinéa 3 ) de la loi organique du 17 décembre dernier qui énonce que le HCFP " ne peut délibérer ni publier d'avis dans d'autres cas ou sur d'autres sujets que ceux prévus par la présente loi organique ". En science administrative, cela s'appelle une définition stricte de compétences. En langage quotidien, cela s'appelle brider une institution voire lui apposer une muselière non virtuelle.
En effet, pour tout connaisseur des finances publiques, -‐ comme le fût l'éminent professeur Pierre Lalumière – il appert que la matière est évolutive et que le HCFP n'aura que peu de marge de manœuvre à titre anticipatrice et qu'il aura davantage une mission de mise en perspective et une quête de cohérence alors qu'il n'aurait pas été dénué de sens de lui confier une tâche d'émetteur de données. Conformément à l'article 12 de la loi organique précitée, le Haut Conseil rendra ses avis en intégrant des prévisions de différents organismes dont il établira et publiera la liste.
Soit. Mais selon quel panachage intrinsèque ? Selon quel type de paramètres ? Ce ne sont pas deux questions, ce sont ici deux interpellations voire deux suppliques car la sagacité des membres nommés au HCFP pourrait se trouver, là, prise en défaut.
Dans une audition parlementaire, un membre du HCFP a indiqué qu'il ne s'agissait pas de " rebâtir toute la trajectoire du PIB potentiel " mais " davantage de mettre l'accent sur les hypothèses et les analyses ". Cette formulation est porteuse d'inquiétudes car il y a longtemps que la DGFIP ( Direction générale des finances publiques ) sait réaliser cette tâche et n'a pas toujours été entendue par les pouvoirs exécutifs successifs...
L'action future du HCFP sera mesurée à l'aune du contenu des avis publics et chacun aura rapidement une idée du rang de légitimité que le Haut Conseil se fixe à lui-‐même. Lui seul sera d'ailleurs à même d'en juger puisqu'il est précisé que ces délibérations ne seront pas rendues publiques ne serait-‐ce que sous une forme simplifiée et "convenable ". Décidément, le législateur a eu une rédaction précise où la muselière n'est jamais loin. Hélas, trois fois hélas en comparaison avec les travaux préparatoires du Sénat américain.
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3 ) Outil crédible voire salvateur ?
La non-‐publication finement relue ( au préalable ) des délibérations, l'absence de rôle d'institution ayant un pleine dimension préventive ( voir comité d'alerte de l'ONDAM : objectif national des dépenses d'assurance maladie ), le champ strictement délimité des compétences sont des récifs qui se dressent face à la bonne volonté des membres du HCFP. L'outil qui pourrait être crédible parviendra-‐t-‐il à franchir ces obstacles : la question est posée. Pour terminer cet éclairage sur la naissance de cette entité, il faut s'interroger sur sa composition car comme l'a écrit, maintes fois, le Doyen constitutionnaliste Georges Vedel : " Les institutions sont ce que les hommes en font ". Dix personnes de fort calibre composent le Haut Conseil : quatre sont des magistrats en activité à la Cour des comptes ( auxquelles s'ajoute le Président Migaud ), trois sont des professeurs d'économie ( Messieurs Pisani-‐Ferry, Aglietta, Dessertine ) et deux sont des économistes de banque techniquement reconnues et médiatiquement visualisables. ( Mesdames Mathilde Lemoine et Marguerite Bérard-‐Andrieu ). Les magistrats sont nommés directement par le Premier président Migaud, hors de toute décision collégiale. Les autres membres sont nommés par les présidents de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental. Le dixième membre siège de droit : il s'agit du Directeur général de l'INSEE.
Dans la mesure où ses membres ne percevront pas de rémunérations spécifiques et qu'ils conserveront leurs positions professionnelles, plusieurs questions surgissent de cette curiosité textuelle. Tout d'abord le risque de conflit d'intérêts pour ceux des membres qui ont une subordination salariale. Puis le risque d'autocensure complexe à gérer. Les archives de la chaîne Public Sénat contiennent un vif échange en 2008 entre Philippe Dessertine et Marc Ladreit de Lacharrière ( actionnaire de référence de l'agence de notation Fitch ). Le premier reprochait à son interlocuteur – avec la fougue maîtrisée qu'on lui connait – de sous-‐estimer l'ampleur de la crise. Ce qui fût vrai lors de cet échange musclé au cours de la " Bibliothèque Médicis " sera-‐t-‐il désormais possible au Professeur Dessertine lorsqu'il développe ses analyses, par exemple, chez Yves Calvi ( " C dans l'air " ). Autrement dit, quelle est la portée sérieuse du secret des délibérations si la moitié des membres peuvent, par ailleurs, faire connaître publiquement leurs positions ? De manière explicite ou subtilement implicite !
Nous avons – et le confirmons ici – un respect de principe quant aux parcours professionnels et quant aux personnes devenues membres du HCFP. Toutefois, ce respect ne saurait priver de la lucidité d'un triple constat.
Premier point, il n'y a aucun représentant d'un organisme respectable et apporteur d'idées : l'ENFIP ( Ecole nationale des finances publiques ).
Deuxième point, il nous aurait paru pertinent que le Haut Conseil compte parmi son collège un membre fin connaisseur des techniques budgétaires et reconnu pour ses capacités de lucidité de gestion publique. Nous songeons à l'efficace Gérard Mestrallet, président de Suez, redresseur de la Société Générale de Belgique et ancien du cabinet de Jacques Delors.
Troisième point encore plus vital : il n'y a aucun représentant de l'Administration territoriale. Autrement dit aucun membre ne maîtrisant la double dimension
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opérationnelle et territoriale des collectivités et de l'Etat et de la matérialité de ses dépenses. Selon notre analyse sérieusement revendiquée, il n'aurait pas été dénué de pertinence et d'opportunité technique de nommer un Préfet à compétence financière ou un Trésorier-‐Payeur-‐Général.
Dans notre esprit, le Haut Conseil aurait eu un côté moins endogamique si quelqu'un comme feu Claudius Brosse ou comme le respecté Jean-‐Claude Aurousseau ( l'un et l'autre respectivement Préfet de région puis TPG ) avait rejoint la jeune institution.
Des fonctionnaires de ce rang savent là où se nichent les gaspillages. Or la Fondation iFRAP, dans une note récente, " attend du HCFP ../... qu'il interagisse avec la Cour des comptes pour alerter l'opinion en cas de dérive des comptes publics ". Des fonctionnaires de ce niveau savent ce qu'ait le contenu, in vivo, du dossier Dexia pour les finances publiques et son coût mensuel actuel....
Ce manque d'ouverture sur les hommes et les femmes qui sont dans les 50 premiers maillons territoriaux de notre Etat est un manque qui va altérer la créativité – voire une certaine lucidité du Haut Conseil – et risque de le plonger dans un bain intellectuel digne de la pensée du philosophe Johann Fichte : celui-‐ci prétendait déduire de la seule idée du moi l'ensemble de la réalité.
Compte-‐tenu de la violence de la conjoncture, nous saurons sous un semestre, quel cap a décidé de retenir la nouvelle institution. Puisse-‐t-‐il être fécond voire positivement percutant.
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XVI
La crise et la rectitude des chiffres : objectif ou chimère ? Les récentes et regrettables tensions franco-‐allemandes ont contribué à occulter une information économique d'importance. Un pays voisin et respectable de la zone euro présente de significatives divergences chiffrées selon l'entité chargée d'évaluer les questions visées. Ainsi le déficit espagnol serait pour 2014 de 5,5% pour le Gouvernement là où la Commission européenne l'estime à 7,2% et le FMI à 6,9%. 1 ) L'Europe et l'école buissonnière de la rectitude des chiffres énoncés :
Conformément aux séries longues qu'a su promouvoir, toute sa vie durant, Fernand Braudel, l'Histoire retiendra de cette crise débutée en 2007 – 2008 les souffrances qu'elle impose, la peur du déclassement social qu'elle véhicule, les atermoiements des décideurs publics et bien d'autres paramètres. Selon nous, la notion de rectitude des chiffres fera partie des variables que les historiens de demain seront dans l'obligation d'avoir en ligne de mire. Car enfin, que de violations de cette notion.
Tout d'abord, nous avons tous appris avec grand étonnement qu'une prestigieuse banque d'affaires nord-‐américaine a clairement épaulé la Grèce dans une opération d'amélioration de ces chiffres publics ( " window-‐dressing " ) afin que celle-‐ci soit en mesure d'intégrer techniquement la zone euro. Puis, nous assistons régulièrement à la production de prévisions de croissance, par plusieurs pays européens dont il ressort , peu de semaines après leur diffusion, qu'elles n'ont que peu de lien avec un caractère plausible. Gardons ainsi en mémoire le fameux 0,8% de prévision de croissance pour la France de 2013 qui ne s'est muée – officiellement – en 0,1% qu'au début du mois de mars après une explication serrée ( 22 février ) avec la Commission européenne. Pour des raisons politiques d'affichage, tout le monde comprend l'intérêt de l'exercice pour un gouvernement. Certains dirigeants indiquent même, le cœur sur la main, que des prévisions optimistes sont favorables au climat des affaires et se rallient ainsi – de manière confortable -‐ à la théorie keynésienne de la demande anticipée ou à l'école des anticipations rationnelles. Les tenants de la rectitude qu'affectionnait ( et a pratiqué in concreto ) feu le Professeur Raymond Barre savent pourtant que ces chiffres quasiment maquillés ne sont pas une véritable opportunité dans la mesure où ils dissuadent de l'effort en masquant l'importance réel de celui-‐ci.
2 ) Réalités françaises et innovation : l'irruption du HCFP
Si la France avait réajusté plus promptement son hypothèse pour 2013, elle aurait plus vite mesuré la difficulté qui l'attend en matière de finances publiques en 2014. Elle aurait eu une incitation à un comportement plus vertueux au lieu de verser dans l'ornière de l'école buissonnière de la quantification publique.
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Formons activement le vœu que le HCFP ( Haut-‐conseil des finances publiques ) récemment installé devienne sans détour un outil au service de la vérité en matière de " trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques " et de prévisions de croissance. Présidé par le premier Président de la Cour des comptes et regroupant des économistes et des magistrats de la Cour ainsi que le Directeur général de l'INSEE, cet organisme semble avoir l'envergure de ses ambitions même si la loi l'instituant pose question. Le HCFP issu de la loi organique ( N°2012-‐1403 ) du 17 décembre 2012 relative à " la programmation et à la gouvernance des finances publiques " et du décret ( N° 2013-‐144 ) du 18 février 2013 se voit reconnaître de vraies compétences. Ainsi, à côté de la prévision de croissance évoquée supra, le HCFP est compétent pour examiner les perspectives de dépenses ( notion de solde structurel ) ainsi que celles visant les recettes. En cas de divergence d'analyse entre le gouvernement et les réflexions du HCFP, celui-‐ci pourra recourir à un " mécanisme de correction automatique " qui devra conduire le Gouvernement à effectuer les corrections requises.
Ce qui nous pose question réside dans la rédaction de l'article 15 ( alinéa 3 ) de la loi organique qui énonce que le HCFP " ne peut délibérer ni publier d'avis dans d'autres cas ou sur d'autres sujets que ceux prévus par la présente loi organique ". En science administrative, cela s'appelle une délimitation nette de compétences. En langage quotidien, cela s'appelle brider le potentiel d'une institution de manière non virtuelle. Ce sujet de la rectitude des chiffres publics est capital en temps de crise car il permet de jauger le fruit des efforts, la pertinence du cap et de s'octroyer de facto une crédibilité face à ces créanciers.
Laissons, pour cette partie de cette contribution, la dernière approche à Alain Desrosières qui écrivait ( Revue d'économie financière : " L'information statistique en perspective ", N°99 d'Août 2010 ) fort justement : " Comme la monnaie, la statistique publique ne joue efficacement son rôle que si elle inspire confiance ". 3 ) Les risques venus d'Espagne :
De nombreuses pages ont été écrites au sujet de la crise grecque et plus récemment au sujet de la situation de Chypre mais celles dédiées à la situation espagnole nous semblent très en retrait des défis que ce pays doit affronter.
L'Espagne est une grande nation qui tient une place essentielle dans l'Histoire de notre continent ( Christophe Colomb, Charles Quint, le noble combat des Républicains de 1936, le coup d'Etat étouffé du 23 Février 1981 ) mais sa situation présente est préoccupante avec un taux de chômage dépassant désormais les 27% et un horizon toujours sombre. A la dure réalité de millions de vie quotidienne viennent se greffer des perspectives véritablement incertaines tant aux plans sectoriel ( banque, construction, etc ) que macroéconomique. Le Chef du Gouvernement, Mariano Rajoy, veut demeurer convaincu que son pays n'aura besoin d'aucune aide extérieure massive alors que le pays continue d'être confronté à la double difficulté de la sous-‐capitalisation de ces banques et aux poids de leurs créances douteuses présentes à leurs bilans mais non encore révélées par une opération de dépréciation. Là encore, les comptes n'ont pas été passés " à la paille de fer " et des arrangements de toutes sortes jouent au ludion avec les obligations comptables.
D'ailleurs, ce propos n'est ni un jugement ni un point d'analyse : il est le fruit d'un diagnostic nourri par l'expérience. Souvenons-‐nous collectivement de la situation de
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Bankia qui avait annoncé le 9 Mai 2012 des besoins inférieurs à 5 milliards d'euros pour finir par alerter peu avant fin Mai qu'il fallait élaborer un plan de sauvetage de près de 20 milliards et donc se résoudre à une nationalisation partielle.
Si des évènements systémiques brouillent parfois les capacités de prévisions, il n'en est rien dans le cas de Bankia, connu pour être " le malade de la place " à l'instar de Dexia qui ne cesse de puiser et de peser sur les comptes publics hexagonaux.
Même le Président de la BCE a exprimé son exaspération pour les chiffrages qui évoluent de quinzaine en quinzaine et s'est publiquement plaint de ce " bal de chiffres " en citant explicitement Bankia. Pour notre part, nous réitérons notre position ( exprimée ailleurs que sur ce site ) : la supervision bancaire a minima qui a été enclenchée à la fin de l'année 2012 et ne verra le jour qu'en 2014 est nettement en retrait de ce que l'Union européenne devait bâtir comme digue anti-‐risque systémique. Ne confier que moins de 300 établissements ( sur les 6000 que compte l'UE ) au contrôle des superviseurs émérites de la BCE est chimérique.
En matière de décision publique, il est patent qu'un tel compromis relève de ce que dénonçait Mancur Olson dans la " Logique de l'action collective " : les dirigeants s'émancipent à leur profit du mandat qu'ils ont reçu du peuple. Depuis les banques régionales allemandes en passant par les caisses d'épargne espagnoles ou certaines banques de Chypre, bien des pays avaient – selon leurs visions des choses – intérêt à une supervision croupion. C'est objectivement laisser une place exorbitante du droit commun au risque de défaut d'un établissement. Autrement dit, c'est exciter la notion de " fly to quality " ( ruée des avoirs vers les établissements teneurs de bonne signature ) et prendre le risque d'un " bank run " ( panique des déposants en cas d'incident déclaré ).
4 ) Les procédures en vigueur : multiplication et limites La complexité des liens interbancaires et la multiplicité quotidienne des opérations sont des motifs techniques qui contribuent à méconnaître l'exhaustivité du passif net exigible des établissements bancaires. Mais cela pose d'évidence question lorsqu'il s'agit de sociétés faisant appel à l'épargne publique et de surcroît lorsqu'il s'agit d'institutions financières ( banques et sociétés relevant du "shadow banking " non régulé ).
Bien évidemment, les situations peuvent être incertaines à quelques centaines de millions d'euros mais parfois l'incertitude, " l'épaisseur du trait " se chiffre en milliards d'euros. Quelles marges de manœuvre laisse-‐t-‐on aux auditeurs internes ? Comment sont appliquées, hic et nunc, les règles de compliance et de gestion raisonnée des affaires ? Que font les comités d'audits ? ( voir Crédit Agricole et coût réel final d'Emperiki ) Où sont les Commissaires aux comptes face à la sacro-‐sainte règle de continuité d'exploitation dont ils sont, par la loi, les garants devant les tiers ? Devant l'Etat comme devant les clients et évidemment les actionnaires.
Par raisonnements hypothético-‐déductifs que nous ont enseignés les Professeurs Barre et de Boissieu, nous repoussons ici avec netteté deux sources causales possibles : la cécité et l'incompétence. Non, tous ces corps de métiers composés de personnes dévouées ne versent pas dans d'étranges aveuglements. Nous ne croyons pas davantage à l'idée d'une incompétence généralisée et nourrie de boucles de rétroactions. La réalité nous semble provenir d'ailleurs et vient fréquemment de la prétention de quelques
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dirigeants à redresser la situation alors que les chiffres sont comme des banderilles génératrices d'hémorragies. La situation de certaines banques pose sans contestation possible une question de contrôles mais elle renvoie surtout à une question de lucidité des dirigeants face aux capacités contributives réelles de leurs établissements.
A cette heure, bien peu peuvent prétendre connaitre avec précision le poids des créances qui sont à déprécier ( comme l'a fait, par exemple, loyalement le groupe automobile PSA ). Les banques ne sont pas spécialement opaques mais elles ne peuvent, à un instant " t " , maîtriser la situation nette de leurs clients. Autrement dit, règles comptables IFRS à l'appui, elles sont dans l'incapacité d'ajuster leur bilan à la noble notion d'image fidèle.
Chacun connait le coefficient multiplicateur existant entre les prêts d'une banque et ses fonds propres ce qui aggrave l'impossibilité de précision précitée.
Le Président du Conseil italien Mario Monti avait déclaré " sans croissance, la discipline fiscale est insoutenable ". Nous étions le 22 mai 2012, autrement dit, il y a presque un an. En termes de politiques publiques, son propos est d'une actualité criante et complexe à arbitrer d'autant que la crise a rendu pro-‐cyclique les efforts de rigueur. Face à cette situation publique qui se déploie désormais dans une Europe où la méfiance tend – hélas -‐ à l'emporter crûment sur le grand dessein, le renforcement de certaines procédures de contrôle nous semble incomplet car il ne s'accompagne pas d'un alourdissement du régime de responsabilité des dirigeants. Pour dresser un parallèle simple mais non caricatural, il y a bien un ou des décideurs qui ont choisi de remplacer le bœuf par du cheval dans ces satanées lasagnes.
De la même manière, des montages baroques continuent à prospérer et nous sommes sincèrement préoccupés du recours aux procédures inscrites dans les engagements hors-‐bilan. " La pérennité des constructions humaines, les bâtisseurs doivent céder la place aux jongleurs, par ailleurs de plus en plus talentueux " écrivions-‐nous en avril 1993 ( ENA-‐mensuel, " Crise bancaire : les petits pas vers l'humiliation " ).
Vingt ans plus tard, le temps des jongleurs risque d'être relancé par le besoin des entreprises de séduire leurs investisseurs ( road-‐shows ) et de disposer de capacités de financement dans un environnement de sélectivité accru du crédit, pour ne pas dire de " credit-‐crunch ".
Or, comme l'a écrit Claude Bernard dans son " Introduction à l'étude de la médecine expérimentale " : " Un fait n'est rien par lui-‐même, il ne vaut que par l'idée qui s'y rattache ou par la preuve qu'il fournit ". Alors, prenons un fait : à ce jour, il n'existe pas de texte qui définisse exhaustivement la mission et les diligences que les commissaires aux comptes ont à effectuer en matière de contrôle des engagements ou passifs éventuels. Pour être plus précis la NEP 501 ( norme d'exercice professionnel relative au " caractère probant des éléments collectés " ) ne vise en ses paragraphes 07 et 08 que les procès, contentieux et litiges ( et leurs impacts sur les travaux à mener par le Cac en vue de la validation de ces chiffrages ). Le fait est là. Il fournit avec éclat la preuve – chère à Claude Bernard -‐ d'une zone grise considérable dans le poste des engagements hors-‐bilan. L'AMF a certes émis des recommandations pertinentes mais elle s'inscrit dans la notion de " cadre de référence " qui parait en retrait de la prévention accrue des risques.
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Poursuivons avec un autre fait, en nous calant sans détour, sur la position d'un expert de l'industrie bancaire : Jean-‐Luc Siruguet. Celui-‐ci a écrit dans " Le contrôle comptable bancaire ". ( Revue Banque Edition : page 86 ). " Une activité notable du banquier est la prise ou réception d'engagements significatifs ( opérations de hors-‐bilan ) sans qu'il y ait transfert de fonds. Il peut en découler que ces engagements ne génèrent pas d'écritures comptables dans les systèmes généraux. La non-‐prise en compte de ces éléments peut être difficile à déceler. " La crise s'étire en longueur et fatigue le corps social ce qui nous préoccupe. Parallèlement, elle contraint des groupes à voir s'éroder leurs crêtes de rentabilité ce qui n'est jamais facile à admettre. D'évidence, des jongleurs vont exciter leur imagination féconde.
Il y a des années, le député-‐maire de La Rochelle, connu pour la hauteur de son verbe, avait reproché à l'Europe d'avoir inclus dans son plan pêche la petite centaine de carrelets ( pêche côtière avec cabanons ) qui prélevaient bien peu de la ressource.
En mémoire de ce combat de feu Michel Crépeau, formons le vœu que la future Directive bancaire Liikanen ( sur la séparation des activités bancaires ) comporte un volet aussi fin en matière d'engagements hors-‐bilan. Allons dans le détail pour une vraie éradication des zones grises de notre finance européenne. N'oublions pas que la crise actuelle est liée aux modalités d'accumulation du capital. Modalités évoquées par Jean Saint-‐Geours : " Il est à cet égard intéressant d'observer que c'est au cœur même de l'accumulation du capital, principe de dynamisme du capitalisme, que, très, concrètement, il y a pour ainsi dire rencontre du Pouvoir et de la Finance lorsqu'il s'agit pour le premier d'influencer, au nom de l'intérêt général ( dont les aspects se sont constamment diversifiés ) le destin de l'entreprise, cellule élémentaire de l'économie ". ( " Pouvoir et Finance, page 151, 1979 ). Pour mémoire, cet auteur fût ultérieurement président de la C.O.B ( Commission des opérations de Bourse ) de 1989 à 1995 ce qui confère quelque crédibilité dans cet univers complexe du chiffre.
Chiffre dont la recherche de rectitude demeure parfois solitude chimérique. Mais, par-‐delà les facilités que d’aucuns hélas affectionnent, cette rectitude du chiffre se doit de relever de notre objectif commun. De notre volonté collective de progrès.
Se protéger illusoirement par une complexité croissante des procédures de contrôle est d’abord une suite de surcoûts et surtout ne sera jamais l'équivalent d'une éthique collective et de la quête d'éradication des zones grises. A trop réguler certaines activités bancaires, le système a déjà fait prospérer l'infernal mécanisme du " shadow banking " où l'ampleur des risques est considérable.
Brillant développeur d'affaires, l'ancien dirigeant de General Electric, Jack Welch, avait proclamé un jour : " Les budgets rigoureux sont un non-‐sens. Je pense en termes d'objectifs, en termes du mieux que vous pouvez faire ".
Oui, en matière de chiffre public ou privé, il est urgent de militer en termes du "mieux" que nous pouvons faire. Que nous devons faire.
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XVII
L'Amérique : un relais de croissance La relation franco-‐américaine a toujours été d'importance. Au plan de l'Histoire nous restons débiteurs de l'aide décisive de leurs troupes comme nous restons leurs obligés du fait du Plan Marshall qui nous a permis de nous reconstruire dans de meilleures conditions. 2013 va être une année charnière, à exploiter avec brio.
Il y a dix ans, la France a déçu les Etats-‐Unis en ne les suivant pas dans l'hasardeuse campagne irakienne. Nul besoin d'insister sur le coût humain, militaire et diplomatique de cette opération extérieure. Nul besoin de s'étendre sur le ressentiment américain à notre égard que le jugement de l'Histoire ne valide déjà pas. Avec le temps, l'amitié entre les peuples s'est redynamisée et une page a pu être tournée. En revanche, inconvénient majeur depuis quatre ans, le Président Barack Obama n'a jamais eu l'Europe au cœur de ses préoccupations à l'exception de la relation privilégiée avec le Royaume-‐Uni.
Cette distance du Président est en passe de changer sous l'effet de deux nouvelles d'importance. Tout d'abord, le Président Obama partage les vues de Messieurs Stiglitz ou Jean-‐Claude Trichet : l'épicentre de la crise était aux Etats-‐Unis en 2007 ( et depuis ), il est désormais en Europe avec la crise des dettes souveraines, les attaques contre l'euro et le climat récessif. Cet ensemble de mauvais signaux ne peuvent laisser indifférents un dirigeant dont le pays voit sa croissance commencer à repartir : +2% environ de perspectives 2013.
Puis, le changement de Secrétaire d'Etat est un événement non négligeable. Madame Clinton ne sous-‐estimait pas l'Europe mais n'y avait pas d'attaches culturelles et familiales contrairement au francophile ( et francophone ) John Kerry.
Cet homme de hautes responsabilités peut être un atout pour lever les " malentendus transatlantiques " ( notion déjà évoquée il y a des années par le brillant Henry Kissinger ) et relancer bien des sujets en jachère diplomatique.
Les voies politique et diplomatique permettant une fenêtre de tir, il faut former le vœu que l'action de Monsieur Laurent Fabius soit valablement relayée au sommet de l'Etat.
Parallèlement, il faut relancer nos échanges économiques et culturels.
Au plan culturel et sociétal, que nous le voulions ou non, les faits sont là. Ils donnent raison à Edgar Morin qui écrivait il y a trente ans – en guise de préface au livre de D. Riesman-‐ " La Foule solitaire" : " Nous commençons depuis quelques années, non plus seulement à chercher dans la littérature sur l'Amérique l'insolite ou le futuriste, mais à scruter notre propre visage ". Mode vestimentaire, habitudes alimentaires risquées et surabondantes, développement d'une violence urbaine gratuite, etc sont autant de facteurs qui démontrent que nous sommes dans " l'américanosphère " pour reprendre la démonstration de l'historien Gérard Vincent ( " Les jeux français", 1978 ).
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La relance culturelle relève autant d'actions publiques que d'échanges entre des fondations privées. Il y a un net progrès comme l'avait notamment relevé Olivier de Rohan alors responsable des questions de mécénat pour la société des amis de Versailles.
Si l'Amérique aime notre art de vivre, nous adoptons de plus en plus son " american way of life ". Pour le meilleur et pour le pire. Au plan économique, Jean-‐Jacques Servan-‐Schreiber avait été visionnaire dans " Le défi américain" et effectivement les Etats-‐Unis conservent cette capacité de générer des champions mondiaux. Certains sont partis d'un garage tel Apple ou Hewlett-‐Packard, d'autres ont pour nom Google ou Microsoft et structurent la vie quotidienne de millions de travailleurs de manière hégémonique sinon monopolistique. Nous avons donc, tel le Japon des années 70, un apprentissage à observer chez autrui, un mimétisme licite à développer pour que nos PME innovantes soient capables de devenir des ETI concurrentielles.
Parmi les 1750 filiales du Commissariat à l'énergie atomique, combien ont-‐un plan de fertilisation croisée avec des homologues américains ? Parmi nos équipes médicales, est-‐ce normal que des histoires de limites d'âge et de retraite couperet de notre secteur public nous privent des talents des Professeurs Montagné et Beaulieu ? Notre pays a parfois le don de cultiver la notion de manque à gagner, de déséconomies externes et serait alors bien inspiré de regarder vers l'exemple américain hautement performant. Cinq points émergent du défi que constitue 2013 :
1 ) Saurons-‐nous accompagner le financement de l'innovation comme cela se fait Outre-‐Atlantique ? 2 ) Saurons-‐nous retrouver un esprit pionnier ( comme chez France Clusters ) là où tant de chefs d'entreprise ressemblent à des boxeurs rendus amorphes par la violence de la crise ?
3 ) Saurons-‐nous continuer à être attractif ? A être en capacité de développer des implantations américaines comme la récente extension d'Amazon.com en Saône et Loire ?
4 ) Serons-‐nous en mesure d'entendre certains messages pertinents du Président Allavena ( Fondation franco-‐américaine ) éclairé par son expérience à la tête d'Apollo investissement et de l'Afic ( Association française des investisseurs en capital ) ?
5 ) Saurons-‐nous tirer parti de l'expérience précieuse de Véronique Morali ( Fimalac ) qui siège au conseil d'administration de Coca-‐Cola inc ?
La France agit comme un pantin désarticulé face aux Etats-‐Unis et se disperse : il est urgent qu'elle vectorise ses forces au terme d'une réflexion plurielle, pluraliste et évidemment pluridisciplinaire.
2013, année où le ciel de France est sombre à plus d'un titre, peut être l'occasion de tenter une nouvelle donne avec l'Amérique. Pour l'instant, il est clair que certains signaux sonores ( Florange ) ont dû être mal ressentis de la Silicon Valley aux rues de Manhattan.
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Raison de plus pour engager une politique de sursaut et s'engouffrer dans le beau sillage de l'Hermione : ce bateau qu'emprunta La Fayette et que des passionnés ont reconstruit à Rochefort sur Mer avec le concours estimable et précieux de l'académicien Erik Orsenna et de l'ancien ambassadeur Monsieur François Bujon de l'Estang.
Oui, La carte américaine : c'est maintenant !
Des groupes comme Legrand, L'Air liquide, LVMH et bien d'autres connaissent les atouts d'une présence sérieuse et construite aux Etats-‐Unis. Puissent-‐ils – dans des démarches de portage – accompagner l'expansion de belles PME françaises qui demeurent trop souvent sur le qui-‐vive.
" Un peuple est un miroir où chaque voyageur contemple sa propre image. En Amérique comme partout, on ne trouve que ce qu'on apporte " ( " Conseils à un jeune Français partant pour l'Amérique " André Maurois ).
En 2013, le taux prévisionnel de croissance du PIB américain s'inscrit dans un facteur 10 ( dix ) par rapport aux estimations réalisées pour notre pays. Argument incitatif, n'est-‐ce-‐pas ?
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XVIII
Chômage : le Président Hollande et le "coûte que coûte" Nous vivons dans un pays où le Président de la République a un pouvoir non inscrit dans la Constitution : celui de lancer des expressions qui ne retombent pas en pluie fine mais se gravent dans l'océan de la mémoire collective. Ainsi, on parlera désormais de la lutte coûte que coûte contre le chômage. Mais que revêt cette idée ?
Chaque Président de la République a laissé son empreinte sémantique. Le dernier de la IVème République, René Coty, lorsqu'il indiqua à la Nation qu'il avait décidé de " faire appel au plus illustre des Français", c'est à dire de militer pour le retour du Général de Gaulle aux affaires. Le Général de Gaulle n'a pas été avare de formules : de la "chienlit" de Mai 68 en passant par le "quarteron de généraux en retraite " visant le putsch du Général Salan.
Georges Pompidou, fin lettré, a su – lui aussi – laisser sa trace y compris lorsqu'il avait déclaré que l'ORTF était " la voix de la France ".
S'agissant du Président Giscard d'Estaing, nous avons en mémoire sa répartie lors du débat de 1974 : " Non, Monsieur Mitterrand, vous n'avez pas le monopole du cœur ".
François Mitterrand, homme de grande culture comme l'ont toujours reconnu et admis plusieurs académiciens dont les éminents Erik Orsenna et Jean d'Ormesson, a laissé des dizaines de phrases-‐clefs.
Certaines étaient empreintes de gravité : " Les pacifistes sont à l'Ouest mais les fusées sont à l'Est " ( 1983 ). Dix ans plus tard, le 14 juillet 1993, il devait prononcer la célèbre phrase : " En matière de chômage, on a tout essayé ! ".
Le cas de Jacques Chirac est un peu différent. Tantôt, il sût décrire une situation sérieuse ( l'évolution climatique ) : " Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ", tantôt il eût des mots à valeur de pirouette pour éluder le fond : "psschitt" ou "abracadabrantesque".
Quant au Président Sarkozy, plus que des phrases construites en interviews solennelles, ce sont des interpellations, au coin de la rue, qui ont marqué les mémoires : "Kärcher", "racaille", " Casse-‐toi pauvre c…". Le Président François Hollande a, hier soir lors de ses vœux au pays, eût un goût pour la formule qui va rester dans l'histoire économique et sociale de notre pays. Traitant du sujet qualifié de toute première priorité, le Président a énoncé qu'il fallait se battre contre le chômage " coûte que coûte ".
A priori nul besoin de s'attarder sur l'engagement présidentiel pour trois raisons claires et qu'impose l'évidence : Tout d'abord, cet engagement relève de son rôle éminent de Chef de l'Etat.
Puis, il conditionne une partie de la paix sociale que le Président doit garantir.
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Enfin, le chômage est un tel manque à gagner pour le pays ( aux plans humain et financier ) que le Président gestionnaire est dans son strict rôle.
S'il n'est guère utile de s'attarder sur les fondements profonds de cette prise de parole, il est en revanche important de tenter de comprendre ce qu'elle va recouvrir, en 2013, in concreto.
Depuis 1981, la France a eu systématiquement recours à ce que l'on nomme le traitement social du chômage : la phrase des vœux pour 2013 conforte, à l'évidence, cette orientation. Le Président a lucidement validé de facto les dispositifs que l'on qualifie d'amortisseurs sociaux sans pour autant s'attacher – le soir des vœux ou ailleurs dans un temps moins contraint – aux coûts de ces mesures. Si 300000 chômeurs de plus doivent recevoir indemnisation de l'Unedic en 2013, tout le monde comprend la situation déficitaire de cet organisme que la crise a élevé au rang d'institution du paysage social français. Autrement dit, "coûte que coûte " revient à dire aux partenaires sociaux et à leur gestion paritaire : débrouillez-‐vous !
On perçoit donc le premier danger de la formule présidentielle qui a deux versants : d'un côté une aspiration humaniste incontestable relevant de l'esprit du Club Echanges et Projets initié en 1973, il y a donc exactement quarante ans, par le lucide Jacques Delors. D'un autre côté, une aspiration à repousser la question sur autrui, voire à faire preuve d'une forme de scotomisation à défaut de vouloir assumer son rôle de décideur ultime.
" Il faut savoir, coûte que coûte, garder toute sa dignité. Et malgré ce qu'il nous en coûte, s'en aller sans se retourner face au destin qui nous désarme". L'absence d'annonces présidentielles – fussent des têtes de chapitre de la future action publique – est une déception et elle met en relief l'intéressante citation issue d'une mélodie de Charles Aznavour ( "Il faut savoir" ).
Dire à la Nation "coûte que coûte ", cela revient à dire – au pied de la lettre – que si Monsieur Mittal veut fermer Florange, alors on nationalisera ?
Dire à la Nation " coûte que coûte ", cela revient – en creux – à se poser les interrogations que la Finlande se pose ( et pose ouvertement à Monsieur le ministre Moscovici ) concernant le contrat STX pour le super-‐paquebot récemment commandé ?
Dire à la Nation " coûte que coûte ", est-‐ce pour mieux la préparer à de nouvelles hausses de prélèvements issus des sur-‐coûts du chômage de masse ? " Moi-‐Président de la République" est trop souvent sous-‐estimé et cette phrase est autant compassionnelle et respectable que sardonique. Au plan de l'analyse économique, elle plonge des dizaines de décideurs dans un embarras insensé. Imaginons un Préfet de région face à un risque de sinistre industriel : quelle sera sa position ? Imaginons un Tribunal de commerce traitant d'une entreprise en difficulté face à une offre de reprise unique émanant d'un repreneur aux contours et projets incertains : que décidera la Justice ? Le choix hasardeux ou le chômage ?
Alors que la conférence de presse du 13 novembre 2012 avait semblé marquer un cap vers une social-‐démocratie soucieuse de compétitivité, l'expression des vœux plonge dans un questionnement d'évidence. Sans aller jusqu'à une politique de subvention à l'emploi digne des "Ateliers nationaux" de 1848 il n'est pas infondé de pressentir que le chômage partiel va être préconisé
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plutôt que la cesation du contrat de travail. Vous imaginez la position des entreprises privées qui travaillent pour la commande publique et devront donc, peu ou prou, s'exécuter. La voilà une des réalités tangibles du "coûte que coûte " loin des cartons de cotillons et des joies du réveillon.
Cette formule humaniste peut masquer un interventionnisme renforcé de l'Etat dont on sait que bien des dirigeants actuels méconnaissent l'entreprise voire la méprise. En simplifiant, le chômage revêt quatre formes principales :
1 ) Le chômage conjoncturel issu de la quasi-‐récession en cours de déploiement. 2 ) Le chômage structurel, forte spécificité française, qui mesure le temps qu'un chômeur est contraint de mettre avant de retrouver un emploi. ( marché de l'emploi ).
3 ) Le chômage d'adaptation issu du décrochage qui existe entre les besoins des entreprises et la formation dont dispose les demandeurs d'emploi.
4 ) Le chômage volontaire issu des théories du "job search" qui expliquent qu'un sans-‐emploi préfère rester dans sa situation plutôt que d'accepter un poste qu'il estime trop porteur de déclassement. Trop forte mobilité géographique, salaire minoré, horaires complexes, etc. Sur ces quatre principaux volets, le Président est resté muet. Préférant dédier du temps de sa prise de parole à montrer sa future détermination fiscale face au Conseil constitutionnel. Soit. Pour notre part, nous sommes convaincus que la doctrine du " coûte que coûte " va être comme le "ni-‐ni" du Président Mitterrand qui avait excessivement figé la situation du secteur public mais lui fournissait une question de moins sur son agenda.
Dire à un pays complexe et évolué comme la France une expression comme le désormais célèbre " coûte que coûte ", c'est regarder passer les travailleurs à travers le goutte à goutte de l'épreuve du chômage sans véritablement arrêter des axes de travail et donner des instructions claires. C'est certainement avoir en tête le coût politique du chômage ( pour 2017 ? ) davantage que de lancer des chantiers innovants. C'est penser à Eugène Ionesco " Un médecin consciencieux doit mourir avec le malade s'ils ne peuvent guérir ensemble" ( " La Cantatrice chauve " ) davantage qu'à l'employabilité de telle ou telle catégorie de gens privés d'emploi.
En ce 31 décembre 2012, un Chef de l'Etat a lançé une formule compréhensible par le plus grand nombre mais floue pour ceux qui sont en situation de décider.
Un président de la République a lançé un cri de ralliement à une cause dont son honneur consisterait à ce qu'il en soit davantage acteur que faussement spectateur.
Face au chômage, nul ne peut se prétendre sapiteur mais il est regrettable de tourner au prestidigitateur qui compte en électeurs plus qu'en chômeurs. A la fin des vœux où rien de concret ne fût esquissé que l'on ne connaissait déjà, nous avions en tête cette magnifique affirmation de l'ancien dirigeant suédois d'ABB, Monsieur Percy Barnevik : " Je privilégie la vitesse à la précision car le coût d'un retard dépasse de loin celui d'une erreur ".
Avec les lueurs de janvier 2013 apparaît une réalité, la France n'a toujours pas embrayé de manière ordonnée dans sa lutte contre l'augmentation massive du chômage.
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Notre Administration du travail ou des finances regorgent de talents qui pourraient, tel un Louis Armand concepteur génial de notre système de traction électrique ferroviaire, se risquer à des expérimentations tout en assurant le redéploiement de notre appareil de formation professionnelle.
Il y a des choses à faire. Mises bout à bout, elles valent bien cet incertain " coûte que coûte ".
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XIX
La France et l'exportation : avaries à répétition
En matière de commerce extérieur, même le citoyen moyennement intéressé par les questions économiques sait que nous sommes confrontés à un déficit désormais considérable. Nous nous rapprochons, en tendance, des 80 milliards ! Alors fatalisme ou sursaut ?
La COFACE a depuis longtemps montré que nous sommes déficitaires de manière contrastée et plus singulière qu’on ne le pense souvent. Il faut en effet savoir – ce que les Français mesurent instinctivement – que près de 20 milliards ( sur un total annuel de 70 milliards d’euros ) sont imputables à nos relations commerciales avec la Chine et Hong-‐Kong et près de 18 milliards avec l’Allemagne. Autrement dit, ce que nos concitoyens ressentent n’explique que la moitié du déficit. Il faut donc faire acte de lucidité et éclaircir la question du reste du déficit. Si nous sommes excédentaires vis à vis du Royaume-‐Uni à hauteur de 8 milliards, nous sommes, en valeur, dans une situation symétrique avec la Belgique. De surcroît, nous sommes aussi déficitaires de près de 5 milliards avec l’Irlande, les Pays-‐Bas et la Norvège ( probablement du fait des importations d’énergie ).
Ainsi, nous sommes désormais au 21ème rang du classement du World Economic Forum ( Davos ) en matière de compétitivité là où l’Allemagne est au 6ème rang. Ceci montre l’urgence non politique mais vitale de la reprise en mains de cette spirale de l’échec.
L’ancienne sénatrice et ancienne ministre de l’écologie, Madame Nicole Bricq, parviendra-‐t-‐elle à convaincre l’Etat et ses hauts décideurs qu’il est préoccupant de ne pas exporter davantage que les Pays-‐Bas ?
En tant que ministre du commerce extérieur, ses services l’ont-‐elle déjà mise en garde sur la résurgence de compétitivité qui vient d’Espagne, du Portugal et de l’Irlande où la population – hors jugement de valeur – a accepté de revoir à la baisse le coût du travail. En matière de commerce extérieur, le Gouvernement de Monsieur Ayrault semble ne vouloir donner aucun écho à cette question : or, on ne soigne que ce qui est collectivement partagé. On ne lutte bien que si l’on a une configuration offensive en tête. Les Français se demandent depuis quelques semaines où diable va le Gouvernement qui a alourdi ( cotisations retraites par exemple ) le coût du travail et quel rôle veut vraiment tenir Monsieur Montebourg : acteur du changement ou sorte de ludion de diversion voire de dérision patriotique ( marinière ).
Souvenons-‐nous, avant l’euro, on se plaignait des « dévaluations compétitives » des pays de l’arc Sud de l’Europe. Désormais, ce que la monnaie unique ne permet plus, le
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système capitaliste va le chercher autrement. Y compris à un coût social élevé si l’on songe aux déclassements des travailleurs grecs et espagnols.
Notre pays a parfois des responsables qui se fixent des idées et n’en démordent plus. Ainsi, nos ennuis ne viendraient que de la taille limitée de nos PME par comparaison avec leurs homologues allemandes. Des responsables comme Hervé Novelli, Eric Besson ou Alain Madelin n'ont cessé de mettre en avant cet argument qui n'est pas faux mais qui ne doit pas être surdimensionné. C’est en effet faire peu de cas de l’exemple brillant et reconnu de la vitalité du tissu industriel des PME nord-‐italiennes qui contribuent largement à la position concurrentielle du pays.
La compétitivité est la racine de la capacité concurrentielle : elle est composée d’un facteur prix ( à quel prix parvenons-‐nous à vendre ? ) et d’éléments hors-‐prix tels que la qualité, les délais de livraison ou l’innovation incorporée à nos produits. Sur ces deux versants ( prix et hors-‐prix ) la France est en position défensive face à ses partenaires européens.
Nous sommes un pays qui reste intellectuellement marqué par la vente de « grands contrats ». Autant le métro et Ratp Dév ( Le Caire, Séoul, Sao Paulo, etc ) ont enregistré des succès patients et tangibles, autant la filière nucléaire a subi un vrai revers à Abu Dhabi tandis que le TGV et le Rafale n’ont toujours pas fait l’objet de commandes fermes. ( Brésil et Inde pour l’avion, Maroc pour le train ). La rumeur indique que la Russie serait en passe de confirmer son désistement quant à l’acquisition tant espérée de deux navires Mistral. Que de milliers d’heures pour des centaines d’hommes et de femmes gâchées si cette mauvaise nouvelle se confirme. Que de tracas pour nos industriels de l’armement dont certains doivent avoir la nostalgie du temps où de forts patriotes ( tel que le bouillant Alexandre de Marenches ou le subtil Hughes de L’Estoile ) leur donnaient de vrais coups de main.
A l’heure où nos clients demandent de plus en plus de transferts de technologies et d’assemblage in situ ( voir Le Rafale en Inde ), il faut que ces questions de grande exportation soient remises à plat et que nous repartions avec un dispositif crédible.
En donnera-‐t-‐on les moyens au discret mais travailleur méthodique qu’est Jean-‐Yves Le Drian ?
Prenons donc garde de ne pas limiter la question de la compétitivité à la réduction de nos failles en omettant de relancer la veille concurrentielle, en négligeant de suivre ce que fabriquent nos voisins et surtout ce que leur proposent nos concurrents.
La France arrive souvent avec son offre en découvrant tardivement les capacités de ses compétiteurs : il y a là une véritable problématique de management de la compréhension concurrentielle.
En conclusion, s’il est vrai que l’euro fort n’est parfois pas un avantage pour nos exportateurs compte-‐tenu de la domination du dollar en tant que monnaie de libellé des échanges internationaux ( voir cas de l’industrie aéronautique ), il faut loyalement nous souvenir qu’une large part de notre déficit quasi-‐structurel a lieu avec des pays de la zone euro ce qui démontre l’intensité du chemin à gravir. Probablement plus ardu que la notion trop étirée dans le temps de « pacte de compétitivité ». En matière d’exportations avec nos pays périphériques, il y urgence. Or nous sommes face à des décideurs publics qui n’aiment pas le concept de l’urgence et à bien des notables qui n'ont du "benchmarking" qu'une vision atténuée.
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Pour exporter, il faut savoir importer des idées : les Japonais des années 70 l'ont montré tout comme la Chine des années 2000.
Nous devons dédier une part plus significative, dans notre enseignement supérieur, à la notion de " best practice " tandis que l'analyse d'un échec à l'export doit faire l'objet d'un travail systématique de " retour d'expérience ". Sans tabou pour prendre un mot en vogue. Le plus préoccupant, c'est que Raymond Barre posait déjà ce type de diagnostic il y a trente ans et que Pascal Lamy, dans les limites de son actuelle obligation de réserve, le reprend largement à son compte.
Pascal Lamy, un nom qui pourrait compter en 2013.
Une chose est certaine, la France a un sérieux défi d'exportation et une culture à modifier en profondeur si l'on se réfère à l'actualité de la phrase de Voltaire dans sa lettre à Chabanon du 28 septembre 1770 : " Il me paraît qu'on maltraite un peu en France les pensées et les bourses. On craint l'exportation du blé et l'importation des idées ".
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XX
Investissements étrangers : le mythe de l'attractivité française En période de crise économique, les faiblesses ressortent de manière brutale et crue. Certains, lassés de nos défis ( chômage de masse, compétitivité érodée, millefeuille administratif complexe, etc ) se réfugient avec gourmandise sur le thème de l'attractivité au risque d'effectuer un drôle de cocktail avec les chiffres disponibles.
La France serait, selon certains auteurs autorisés, une sorte de "paradis fiscal " pour les investisseurs étrangers. S'il est vrai que la France se situe en seconde position derrière le Royaume-‐Uni pour le volume d'investissements étrangers, il y a une confusion sérieuse dans l'analyse des chiffres. D'un côté, il convient de retenir le bon grain de l'investissement tels que ceux réalisés par Toyota à Valenciennes ou plus récemment Amazon.com en Saône et Loire. Il y a là un cadre d'exploitation industrielle ou tertiaire effectif qui génère précisément des flux d'effectifs. D'un autre côté, vous avez des investissements étrangers – enregistrés comme tels dans notre appareil statistique – qui ne sont que des placements à court ou moyen terme avec des visées plus ou moins spéculatives. Le dynamique et brillant groupe Starwood qui a repris le groupe du Louvre a commencé la revente par appartements de ces propriétés ( ainsi l'hôtel de Crillon ) et réalise ses plus-‐values. Il y a véritablement une erreur de parallaxe si un analyste assimile ces deux types majeurs d'investissements qui n'ont ni la même maturité, ni la même finalité. Peut-‐on sérieusement comparer l'implantation ancienne de Ford près de Bordeaux ou d'IBM à Montpellier à des coups astucieux réalisés par Vanguard ?
Marc Lhermitte, spécialiste de cette question chez Ernst & Young, accueille avec prudence – pour ne pas dire plus – le plan de relance de l'attractivité française présentée par les ministres Moscovici, Montebourg et Bricq ( revêtue d'une marinière...sans commentaire ) en date du 8 janvier 2012. Leur objectif commun est d'atteindre une hausse de 40% des investissements étrangers en France, soit 1000 décisions favorables par an. Ce volontarisme aura son devenir mais n'oublions pas les signaux négatifs que furent la taxation des particuliers et surtout l'hypothèse de la nationalisation de Florange.
Plus fondamentalement, il ressort des chiffres disponibles que les Etats-‐Unis restent nos investisseurs privilégiés avec près d'un tiers du total des investissements effectués en Europe essentiellement dans les secteurs des logiciels et des services aux entreprises où la théorie économique des externalités rappelle qu'il faut être physiquement proche du marché final.
A la première erreur de parallaxe ( investissements productifs, investissements opportunistes ) vient se greffer une deuxième erreur du même type. Lorsque des investisseurs chinois se portent acquéreurs du château de Gevrey-‐Chambertin, ils n'envisagent guère de développement : tout au plus un renforcement des exportations de quelques beaux flacons vers la Chine. Autrement dit, c'est un investissement étranger
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de type patrimonial qui ne va pas, contrairement à Toyota, bouleverser l'économie locale. Même remarque pour certains investissements immobiliers. Or notre pays a besoin de voir se restaurer son potentiel productif pas nécessairement de voir des transferts de propriété sans véritable valeur ajoutée.
Ce que Michel Santi, économiste à l'IFRI, a récemment appelé " l'hospitalité industrielle " mérite d'être disséquée à l'aune des deux erreurs de parallaxe que nous avons montrées. Si l'investissement étranger est fondamental, il y a une question que l'actualité condamne à poser : combien de grands groupes français sont-‐ils en train de réfléchir à l'optimisation de leurs structures d'exploitation ? Voire combiens se posent la question d'un transfert de siège social ?
La " veuve de Carpentras " chère à Gérard de La Martinière raisonne en termes de stocks et de revenus annuels pour son patrimoine. Les grands groupes, champions de l'optimisation fiscale, raisonnent en termes de maximisation de l'allocation des ressources et n'ont plus spécialement d'étendards nationaux comme priorité.
Partant de là, les aléas fiscaux qui attendent notre pays pour les années à venir pourraient bien venir nuancer l'attractivité française et obliger les statisticiens vertueux à ouvrir une colonne nommée facteurs de répulsion nationale. C'est regrettable pour notre Nation mais c'est un fait que la décennie passée de Renault illustre – hélas – à merveille. Il y a dix ans cette firme produisait 1,1 million de voitures dans l'hexagone. Elle n'en produit qu'un peu moins de 400.000. Oui, l'honnêteté intellectuelle conduit bien à corréler les délocalisations avant de se gargariser des investissements étrangers au nom du " reshoring initiative " et autres vocables à la mode.
Oui, la lucidité consiste à remarquer que nombre de groupes performants des pays émergents ont affiché leurs intentions d'acquérir des groupes du Nord afin d'accélérer leurs maîtrises des technologies avancées. Monsieur Mittal a su le faire avec les brevets d'Arcelor que certaines implantations situées dans le Sud exploitent désormais : il peut donc y avoir des investissements étrangers de l'immédiat lendemain qui font le chômage du surlendemain.
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XXI
Inflation et apparition de la slumpflation
Dans une récente contribution relative à l'Espagne publiée dans un ouvrage précédent ( L'Espagne : le début de la tourmente " ), nous avons esquissé les risques de nature systémique que ce pays faisait courir à la zone euro. Madrid n'est pas Athènes sur certains aspects mais les besoins de liquidités sont considérables et souvent découverts à la hâte comme dans le fameux cas de Bankia en mai 2012.
Se pose alors la question de l'évolution vers la déflation ou vers l'inflation ?
Plusieurs économistes réputés et reconnus de l'OFCE ont récemment effectué une démonstration en caractérisant la situation d'un mot : " Déflation sous-‐jacente ".
Si l'on pense à l'effondrement des prix des terrains et des immeubles en Espagne, on doit immédiatement et sans retenue donner crédit à leurs propos : l'Europe serait au bord d'une phase déflationniste.
Autant être clair et loyalement respectueux, nous nous inscrivons dans une perspective inverse pour plusieurs motifs.
En premier lieu, nul ne saurait nier que l'eurozone est en grande difficulté. Si la Grèce sort, ou si l'Espagne s'enfonce dans une crise financière, il est hautement probable que la dépréciation de notre monnaie commune sera un fait. Autrement dit, plus la crise financière des banques espagnoles sera sévère ( par exemple ), plus l'euro sera attaqué sur le marché des changes ce qui renchérira nos importations et induira un premier type de mouvement inflationniste. Notamment du fait de notre dépendance énergétique. Faut-‐il rappeler que le prix du gaz payé par l'abonné français a augmenté de 80% en 5 ans ?
En deuxième lieu, des experts de matières premières comme le réputé Philippe Chalmin n'envisage pas d'effondrement du prix des matières premières. Les consommations exponentielles de la Chine, de l'Inde, etc et la rareté physique ( qui alourdit les coûts d'extraction ) de certaines matières premières vont induire un deuxième type de mouvement inflationniste.
En troisième lieu – lié à ce qui précède – la complexité croissante d'acquisition de la ressource pétrolière, la structure oligopolistique du marché, les tensions géo-‐stratégiques ( Iran, Irak, Nigéria, etc ) sont autant de facteurs qui militent pour une hausse tendancielle du prix du pétrole sans même évoquer longuement les pratiques spéculatives qui peuvent mener, selon certains experts, à un " peak oil " sans précédent. En quatrième lieu, les pays européens ont – à pleine raison – engagé des politiques assez volontaristes de l'environnement. Or ceci se traduit le plus souvent par un renchérissement du prix des produits. Domotique, automobile, etc sont des secteurs où l'éco-‐label engendre des surcoûts. Si la France va vers un développement éolien et
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solaire, nous savons tous qu'il est globalement plus coûteux que la situation actuelle. De plus, l'absence de provision pour démantèlement des centrales nucléaires et d'autres points ont clairement fait dire à Monsieur Proglio qu'EDF devait augmenter de 30 % ses tarifs d'ici à 5 ans.
Monnaie moins valorisée, coût croissant des matières premières, hausse du pétrole, coût de la croissance verte ne sont pas des hypothèses mais la route qui s'ouvre devant nous. Parallèlement, il faut recourir à quelques notions d'analyse économique.
D'une part, il faut se souvenir de la pertinence jamais démentie des travaux de Serge-‐Christopher Kölm qui avait démontré que l'inflation était un phénomène trans-‐sectoriel : autrement dit, hautement transmissible d'un secteur à l'autre. Dans le cas présent, si l'euro s'affaiblit nous aurons à payer le pétrole plus cher et de surcroît, celui-‐ci se renchérira sur les marchés internationaux. Double peine, au total comme l'a déjà publiquement envisagé le Président Christophe de Margerie. Effets en cascade de ces hausses qui toucheront des produits omniprésents dans toute notre économie.
Ensuite, il faut noter l'actualité de l'étude de H. Aujac ( " L'inflation, conséquence monétaire du comportement des groupes sociaux " publié dans Economie appliquée en 1950 ) qui démontrait il y a plus de soixante ans un processus de type " fuite en avant " lorsque les agents économiques craignent pour leurs revenus. Le pilier de notre réflexion est ici le suivant : les chefs d'entreprise, les syndicats de salariés, etc vont exercer une pression à la hausse nominale des prix pour avoir une forme de certitude face au risque de déclassement que la crise comporte. Qui n'est pas objectivement stupéfait par la hausse des prix des produits de base dans un hypermarché ? En moins d'un an, certains relevés faits par des organismes de consommateurs évoquent des hausses moyennes de 8 à 12 %. On est loin des chiffres de l'Insee dont les équipes sont sérieuses mais les échantillons soumis à question. Pour avoir été le disciple puis l'ami de Francis-‐Louis Closon ( Fondateur puis Directeur de l'Insee de 1946 à 1961 ), j'ai quelques notions des impérities qui affectent certaines pondérations. A ce sujet, une récente interview d'un gestionnaire de sociétés d'autoroutes qui se plaignait – telle une ménagère – " que tout augmente " et qu'il fallait bien que sa société " répercute " ne manquait pas de saveur.
De plus, il y a la question du tertiaire dans nos sociétés développées : Albert Meister ( dans " L'inflation créatrice " 1975 ) cite une étude de Jean Charpy – là encore confortée par de nombreux travaux depuis – qui rapporte l'hypothèse d'une " relation directe entre le ralentissement de la productivité moyenne imputable au poids croissant des services dans l'économie et le développement de l'inflation " ( Le Monde, 8 Juin 1971 ).
Clairement, il est des zones du secteur tertiaire où l'inflation se nourrit des tassements de productivité et des conséquences de la concentration voire des ententes qui sont parfois percées au grand jour. ( Téléphonie, etc ).
Nous n'appliquons pas notre raisonnement à un pays comme la Grande-‐Bretagne qui pourrait connaître un vrai épisode de déflation : en revanche, s'agissant de la France nous ne parvenons pas à y adhérer d'autant que la nouvelle majorité politique va être dans l'obligation post-‐électorale de " faire changer les choses " d'où une anticipation inflationniste de nombre d'acteurs économiques, à commencer par les entrepreneurs inquiets de l'érosion de leurs marges.
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Après ces développements relatifs à l'inflation, la situation économique ne nécessitera que des rappels hélas connus. Même la Chine connaît désormais un ralentissement de sa croissance. Le Japon est aussi confronté à une érosion de la demande tandis que les Etats-‐Unis ne connaissent pas une franche reprise. Quant à la zone euro, l'Espagne, le Portugal ou l'Italie sont en récession de fait et la France la frôle, trimestre après trimestre. De plus, il faut se souvenir que notre pays est destructeur net d'emplois lorsqu'il n'atteint pas 2 voire 2,5% de croissance économique. Ainsi, cela signifie que la machine à exclure du monde du travail est à l'œuvre ce qui pèse sur les comptes sociaux et nos besoins de refinancement.
S'agissant de refinancement bancaire, nul ne saurait omettre de mesurer l'impact du doublement de la taille du bilan de la Banque Centrale Européenne en trois ans ce qui nous renvoie à la notion de TQM : théorie quantitative de la monnaie. Face à une telle importance du bilan du prêteur en dernier ressort d'une zone économique donnée, Irving Fischer aurait évidemment conclu au risque élevé d'inflation monétaire.
Au plan économique, la coexistence de pressions inflationnistes et de très faibles niveaux d'activité voire de récession se nomme : la slumpflation. Le Président Herbert Hoover avait dit, pour le moins malencontreusement, en 1929 : " La prospérité est au coin de la rue ". En assumant le risque intellectuel d'être démenti par les faits à venir, nous pensons – après recherches et analyses – que la slumpflation a un boulevard devant elle en France dans les 18 à 24 mois à venir. Autant pour des raisons intérieures liées à nos structures de fabrication des prix qu'en raison de chocs extérieurs.
A ceux qui verront ici ou là des segments de déflation, il faudra regarder le mètre-‐étalon de la création monétaire et le doublement du total de bilan de la BCE en quelques années qui n'a pas de raison objective de se ralentir à l'instar de la nouvelle situation japonaise.
A ceux qui voudraient oublier l'inflation monétaire, il convient de se reporter au livre récent de Jean-‐François Serval et de notre camarade Jean-‐Pascal Tranié ( La monnaie virtuelle ) où il est démontré en page 85 l'importance de la vitesse de circulation de la monnaie et où il est énoncé : " Dans cet univers déjà sérieusement remis en question, la titrisation a définitivement fait exploser les limites conceptuelles de la monnaie, en fluidifiant la frontière entre biens réels et actifs liquides. (...) Des premières tentatives ont été faites dans ce domaine pour définir une monnaie élargie mais elles relèvent de la recherche.
A ce stade, il est évident qu'il y a une course de vitesse entre la crise et notre capacité à la déchiffrer notamment par ce nouveau concept porteur de " broad money ".
Pour qui songe aux injections de liquidités requises à Madrid, Rome ou Athènes et pour qui songe aux politiques restrictives menées dans ces pays, il ne parait pas hasardeux de voir se configurer, dans le futur proche, un boulevard pour la slumpflation.
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XXII
Les femmes et le monde du travail Une récente déclaration ministérielle a été un des éléments qui ont contribué à la production de cet écrit. Les femmes dans le monde du travail est un sujet surprenant : il est à la fois mouvant et invariant. Dans bien des cas, il est émouvant pour qui se préoccupe la vie collective en entreprise.
Très récemment, Monsieur le ministre de l’Agriculture ( Stéphane Le Foll ) a eu un mot malencontreux qui, nous l’espérons vivement, ne traduit pas sa pensée profonde. Il a en effet déclaré à L’Express qu’il essayait de « promouvoir des femmes même si les dossiers sont très techniques ».
Evidemment, à la lecture, ce propos est difficile à admettre d’autant qu’il traduit brutalement une part de la pensée patronale ou de certains décideurs publics quant à une supposée limite des femmes. En somme les femmes n’auraient pas assez de pertinence face à la complexité. Quand on songe au nombre de femmes qui travaillent dans des laboratoires d’agronomie relevant de la tutelle de Monsieur Le Foll, on se dit qu’être ministre suppose autre chose que ce genre de prise de parole.
Un polémiste rappellerait au ministre la célèbre phrase d’André Malraux extraite de « La condition humaine » : « Vous savez beaucoup de choses mais peut-‐être mourrez-‐vous sans vous être aperçu qu’une femme est aussi ( ndlr : aussi en italique) un être humain ».
Loin de cette visée polémique, cette phrase nous rappelle que les femmes sont dans une situation complexe et surprenante au regard du monde du travail. D’un côté, elles remportent, décennie après décennie des combats : elles peuvent être pilotes de chasse dans l’Armée de l’air, responsables de grands projets dans une société d’audit, etc. D’un autre côté, elles demeurent confrontées, décennie après décennie, au sexisme, à l’inégalité salariale, à l’insécurité des carrières, etc. Traiter de la question suppose un peu de méthode. Après réflexion, nous avons retenu de vous exposer notre approche selon huit points. Certains y verront une référence informatique ( système octal), d’autres se souviendront de manière plus appropriée que le chiffre 8 porte chance dans la culture chinoise d’où les date et heure des Jeux olympiques de Pékin : le 8 Août 2008 à 20 heures 08 soit : 8/8/2008, 08 :08. 1 ) Un invariant en lente évolution : le plafond de verre.
Les femmes ont objectivement de grandes difficultés pour parvenir à de très hautes responsabilités : le système a du mal à accepter des trajectoires comme celle de Madame Anne Lauvergeon ou Christine Lagarde ou Anne-‐Marie Idrac. Ce plafond de verre évolue quelque peu mais à la vitesse d’un escargot du Morvan. La loi Copé-‐Zimmermann du 27 Janvier 2011 qui vise à améliorer la représentation des femmes au sein des Conseils d’administration fait évoluer les situations mais sans véritable coup de « booster ». Et pourtant, la présence des femmes membres de l’IFA ( Institut français des
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administrateurs présidé par notre camarade Monsieur Daniel Lebègue ) montre que la relève est prête.
2 ) Un invariant : l’écart salarial. Selon les chiffres fournis lors du lancement de la Conférence sociale de Juillet dernier, l’écart de salaire horaire reste, en moyenne de 9% à stricte qualification équivalente. Sur un plan plus large l’écart de rémunération entre le total des deux populations est de 27%.
1972 fût l’année de la loi posant le principe de l’égalité de rémunération. En 1983, la loi Roudy a réaffirmé ce principe et s’intitulait « loi sur l’égalité de l’homme et de la femme » ( 13 Juillet 1983 ). En 2001, une autre loi dite Génisson est venue édicter une obligation de dialogue social sur ce sujet des rémunérations. Face à l’inertie observée, Xavier Bertrand fit adopter une nouvelle loi en 2010 qui instaurait des sanctions en absence de négociations sur le sujet précité. Lesdites sanctions pouvant aller jusqu’à l’application de pénalités allant jusqu’à atteindre 1% de la masse salariale. Suite à de mauvais méandres que chacun imaginera, la Loi est là mais les décrets d’application n’étant jamais parus, elle ne trouve pas application. No comment. Sur une question aussi centrale que la rémunération, élément primordial du contrat de travail comme l’ont toujours énoncé le Doyen Jean-‐Jacques Dupeyroux ou l’icône des inspecteurs du Travail – Gérard Filoche -‐, nous sommes dans un pays où l’Etat n’a pas la même poigne que dans le cas de l’application des contraventions de stationnement.
Qu’on le veuille ou non, il y a – comme l’a exposé Max Weber – une fonction tribunicienne qui fait que le politique peut montrer aux citoyens un arsenal législatif séduisant et loyal alors qu’en réalité, sur le terrain, notre Nation vit dans l’arrangement.
Cette faible application de lois successives et concordantes est indigne d’une grande démocratie a fortiori sur un tel sujet qui concerne des millions de femmes.
« L’injustice est une mère qui n’est jamais stérile et qui produit des enfants dignes d’elle » A. Thiers ( cité par Sainte-‐Beuve dans ses Pensées et Maximes ).
3 ) Un invariant aussi beau que complexe : les arrêts de carrière
Bien des femmes connaissent des arrêts de carrière pour une noble cause : celle de donner la vie. Toutes n’ont pas les facilités logistiques et physiques de Madame Rachida Dati pour reprendre leur travail moins d’une semaine après avoir été mère. Dès lors, les femmes – au regard du seul monde du travail – ont le risque de perdre le fil des dossiers le temps de leur légitime congé de maternité.
Si le différentiel salarial est une injustice avant d’être une inégalité, là nous sommes face à l’inégalité de la vie. Lorsqu’un enfant est souffrant ou autre, c’est le plus souvent sa mère qui doit mettre en mode pause sa carrière. Nous connaissons tous des familles frappées par les accidents de la vie où la mère est alors dans un rite de quasi-‐sacrifice personnel et professionnel.
4 ) Un invariant insoutenable : le harcèlement.
Le non-‐respect du droit à l’intégrité corporelle, les pressions d’ordre physique sont un non-‐dit dans la société française car les salariées ont majoritairement peur de perdre leur emploi et de rentrer dans des complications judiciaires longues et délicates.
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La législation a récemment dû être revue quant à la définition du harcèlement ce qui a fait tomber des procédures en cours et mécaniquement assommé des plaignantes – hélas – de bonne foi. Les femmes ont à subir le regard d’autrui avec un mouvement de pendule assez complexe à gérer au quotidien. Si elles apparaissent trop féminines, elles seront d’autant plus approchées. Si elles sont en tenue trop sobre, certains patrons leur reprocheront la mauvaise image qu’elles donnent de l’entreprise. Voir, pour mémoire, la question du « dress-‐code » au sein de la banque UBS. 5 ) Une situation mouvante : la pénibilité.
Les rapports de médecine du travail ou d’autres sources rapportent une nette amélioration, sur les vingt dernières années, de la pénibilité au travail. Les femmes ont, elles aussi, bénéficié des applications de l’ergonomie moderne des postes de travail.
Ce constat favorable est toutefois à nuancer par un effet pervers de la crise économique : celle-‐ci oblige les femmes à accepter des « boulots d’hommes » tels que chauffeur routier. D’où des travaux pénibles pour la morphologie féminine qui ne peut pas toujours se comparer à celle des hommes. La situation est donc contrastée et mouvante en matière de pénibilité dans le monde du travail tandis que les femmes ont la plupart du temps, selon la formule consacrée, deux jobs du fait de leur rôle prépondérant dans les tâches ménagères. 6 ) Une situation hybride : la hiérarchie.
Les femmes sont dans une situation hybride au regard des questions de hiérarchie. Si certains managers sont aussi exigeants avec un subordonné qu’avec une subordonnée, il demeure bien des cas où le syndrome du petit chef se perpétue au détriment de la femme. Pierre Bourdieu avait évoqué cette question en la reliant au processus de socialisation des individus. Les travaux de K. Merton traitant de socialisation anticipatrice démontrent que les femmes peuvent se placer dans des situations de pré-‐soumission par poids des habitudes sociales. On retrouve là la fameuse interpellation de Simone de Beauvoir : « On ne nait pas femme, on le devient ! » 7 ) Une dynamique d’amélioration : la carrière.
Madame la ministre Najat Vallaud-‐Belkacem et le ministre du Travail Monsieur Michel Sapin veulent améliorer la dynamique qui semble s’instaurer, depuis une vingtaine d’années, quant à la possibilité pour les femmes de faire carrière.
Si le plafond de verre peut exister partout, il est des secteurs où objectivement l’emploi féminin a progressé en qualité des postes détenus. Il y a d’abord l’effet diplômes et aussi l’idée que les femmes se font de leurs vies : nombreuses sont celles qui veulent parvenir à un point haut dans la hiérarchie. Ceci ne doit pas masquer le travail féminin à temps partiel contraint particulièrement difficile dans des secteurs comme la grande distribution où les aléas d’horaires ont un retentissement sur les rémunérations. Il y a aussi l’effet des circulaires de Françoise Giroud, première Secrétaire d’Etat à la condition féminine en 1974, qui s’est battue pour ce qu’on appelait « l’ouverture aux femmes des métiers masculins ».
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Au demeurant, il faut se souvenir de la position de principe – dénuée d’ironie – de feu Madame Giroud qui avait déclaré au journal Le Monde du 11 Mars 1983 : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente ».
8 ) Une conviction : la pertinence céruléenne
L’ancienne ministre Monique Pelletier ( Condition féminine en 1978 ) aimait à citer le proverbe chinois qui énonce que les femmes portent la moitié du ciel. Posons qu’il s’agisse d’un ciel bleu et d’une question par conséquent céruléenne. Pour ma part, ayant majoritairement travaillé dans le secteur de la finance et du commissariat aux comptes, il m’est facile d’attester avoir vu des femmes en pleine capacité de traitement de « dossiers difficiles » comme dirait le ministre Le Foll. Dans bien des cas de figures, je me suis dit intérieurement que Stendhal avait raison ( F. Parturier, lettre ouverte aux hommes ) : « L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain ».
Oui, il y a une pertinence féminine et une forme de créativité qui méritent respect et protection : le monde du travail ne le « sait » pas encore assez.
En guise de conclusion, je pense que la crise actuelle va nous obliger à un travail collectif de création, de refondation et faire appel à nos imaginations. J’écris nos imaginations en pensant à celles respectives et mutuelles des femmes et des hommes. J’écris nos imaginations en pensant aux 50 ans de la disparition de Gaston Bachelard ( 16 Octobre 1962 ) et à sa si juste phrase sur l’imagination que je vous propose comme conclusion de cette contribution.
« L’imagination créatrice a de tout autres fonctions que celles de l’imagination reproductrice. A elle appartient cette fonction de l’irréel qui est psychiquement aussi utile que la fonction du réel si souvent évoquée par les psychologues pour caractériser l’adaptation d’un esprit à une réalité estampillée par les valeurs sociales. »
( in La Terre et les Rêveries de la volonté, Gaston Bachelard, 1948 )
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Economie et Politique
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XXIII
La crise et le discrédit de la parole politique. La forte sanction électorale infligée à Mario Monti en Italie, la défaite arithmétiquement honorable de Nicolas Sarkozy en 2012, le désamour appuyé vis à vis de François Hollande démontrent les effets dévastateurs de la crise sur les équipes au pouvoir. Plus avant, la violence de la crise pousse désormais à un discrédit de la parole politique qu’il faut analyser. Tout d’abord, il convient de dresser un constat selon cinq entités différentes : Italie, Espagne, France, Europe et Etats-‐Unis. Le cas de la Grèce étant hélas de forte évidence.
1 ) L’Italie et le rejet de la rigueur : L’échec objectivement cinglant de Mario Monti aux récentes élections générales illustre la fatigue d’un peuple face à la notion de rigueur devenue austérité. Les Italiens sont las de ces efforts et ont préféré entendre de doux violons ( de Berlusconi à Beppe Grillo ) plutôt que de poursuivre une expérience qui n’avait pas objectivement échoué. Dans ce cas, c’est la parole politique des sortants qui a été inaudible et le discours sirupeux des prétendants au pouvoir qui a été cru sur parole. Impitoyable fossé éternel entre la vérité et l’illusion déjà décrit par Machiavel. Entre la rectitude et l’appât de la confiance.
2 ) L’Espagne et la fuite en avant : Sur ce site, nous avons eu l’occasion de démontrer que l’Espagne n’a pas fait toute la lumière sur ses passifs. L’exemple de la vitesse de la dégradation de la situation de Banxia vient nous rappeler que bien des créances sont illusoirement maintenues à des niveaux supérieurs à leur valeur. Selon nous, l’Espagne est loin de la notion comptable d’image fidèle et le gouvernement Rajoy semble peu enclin à lever le voile sur certaines incertitudes. Ici la parole publique risque fort d’être discréditée par son manque de réalisme et de transparence. Ceci alors même que les « Indignés » chers à feu Stéphane Hessel sont chaque mois plus nombreux à contester l’austérité. A la fuite en avant des dépenses publiques de Zapatero succède une fuite en avant quant à la consistance de la crise. 3 ) La France et le double tournant des 5 derniers mois :
Le logiciel initial de Nicolas Sarkozy, conçu avec l’appui de François Fillon, a toujours misé sur la croissance et la relance de la valeur travail. La crise de 2008 a conduit à un sauvetage coûteux des banques et à la montée inexorable du chômage. Cette double vague a induit une méfiance simple à résumer : l’équipe des sortants ne devait pas être reconduite car elle a été taxée de mauvaise gestion et d’insensibilité apparente à la question du sous-‐emploi.
Depuis cinq mois, la France vient de connaître deux tournants majeurs dans le contenu de la parole politique. L’homme du brillant discours du Bourget de février 2012 a déjà amorcé une inflexion de politique lors de sa conférence de presse du 13 novembre
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2012 : apparition du mot compétitivité, etc. Mais surtout, dans les dix derniers jours, le président Hollande a été contraint de convenir que quatre engagements ô combiens majeurs ne seraient pas immédiatement tenus. Report de l’horizon du déficit à 3% du PIB, idée que les impôts pourraient continuer d’augmenter en 2014, absence de clarté quant aux économies à réaliser par l’Etat et enfin, probabilité que la courbe du chômage ne soit pas inversée à la fin de 2013. Sur ce dernier point qui a certainement suscité un espoir dans le pays, la non-‐tenue de cet engagement va avoir des conséquences ravageuses sur le crédit accordé à la parole politique et singulièrement à la parole du Chef de l’Etat.
Elu pour 5 ans, en 5 mois le changement est passé du Bourget aux règles du ministère du Budget : si le trajet est imposé par la crise, convenons que la communication a été hasardeuse et même erratique.
4 ) L’Europe et la langue de bois de l’efficacité anéantie : L’Europe, n’en déplaise à certains, peut valablement demeurer le lieu adéquat pour résoudre certains des aspects de la crise. Ainsi, nous avons pu espérer lorsque des travaux sérieux ont démarré sur la question de la supervision bancaire. Hélas, comme nous l’avons développé ( voir chapitre I ), il s’agit d’une supervision a minima qui oscille entre progrès relatif et supercherie ( voir notre ouvrage : " Risques, espoirs et libres contributions économiques " ). Dès lors, la parole de la Commission et celle des ministres de l’Economie semblent lourdement affectée par cette efficacité anéantie. Songeons que seules 250 banques seront directement contrôlées par la BCE sur un total de 6000 établissements opérant en zone euro. Si la matière n’était si grave, on serait tenté d’en rire et de déplorer l’action manifestement contestable de lobbies qui ont fait remonter les seuils prévus. Par-‐delà la périlleuse langue de bois de certains, l’Europe n’a pas réussi à bâtir un outil de prévention du risque systémique. Quel bilan alors que nous sommes six ans après le début de la crise venue du système financier ! Comment ne pas mesurer le risque durable de discrédit de la parole de la Puissance publique ? De même comment ne pas être navré de voir cette discussion sur le budget de l’Union ( sur la période 2014 – 2020 ) qui a tourné à une sorte de réunion houleuse de copropriétaires grognons. Où était le souffle de la Commission Delors, de l’Agenda de Lisbonne ( 2000 – 2010 ) qui avaient tracé des perspectives pour notre Europe ? Là encore, la parole est attaquée par la spéculation intellectuelle de politiciens qui vivent et pensent à court terme : à l’opposé de la crise qui – elle -‐ est durable comme ne cesse de le clamer le philosophe Michel Serres. 5 ) Les Etats-‐Unis et le jeu de mistigri :
Lors de la fin de son premier mandat, le président Obama a réussi à faire voter une loi ( Franck-‐Dodd ) qui était censée réguler les activités bancaires et qui n’intervient qu’à la marge. Désormais confronté à une cohabitation à l’américaine ( check and balance ) et à une majorité républicaine à la chambre des Représentants, le président et ses contradicteurs se repassent la balle de l’inaction politique sérieuse ( voir la question récurrente du « fiscal cliff » ) et tiennent des discours partisans loin des faits de l’économie. Ce discrédit de la parole pour des raisons tacticiennes a des causes : il aura hélas des conséquences sur l’amorce de reprise qui semble apparaître aux Etats-‐Unis.
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Après ce constat ( qui ne prétend pas être exhaustif mais suffisamment illustratif ), il convient de réfléchir aux impacts de ces paroles poreuses et en-‐deçà des exigences que l’Histoire présente nous impose. Huit points permettent de recenser les impacts majeurs.
1 ) Face aux vagues de plans sociaux, les travailleurs savent désormais que le chômage est une variable dite de longue durée. Les récentes études de Pôle Emploi ont montré que la période moyenne de maintien au chômage allait en s’allongeant. Autrement dit, la lutte pour la survie des emplois se fait plus vive d’où des débordements et une exacerbation des tensions sociales. Au demeurent, il était assez révélateur et impressionnant de voir défiler devant le siège de PSA, il y a quelques semaines, des personnels revêtus de T-‐shirts listant les conflits sociaux en cours : depuis Arcelor, PSA, Sanofi, Renault, Goodyear, etc. Cette coagulation des conflits sociaux inquiète à raison le ministre Manuel Valls. Elle pose surtout une question de la crédibilité du politique. 2 ) Face à l’érosion du pouvoir d’achat issu d’une stricte politique de rigueur, les Français deviennent de plus en plus pessimistes ( voir études qualitatives sur l’avenir du pays et sur l’avenir personnel ) et on doit relever un découragement salarial qui loin de susciter la productivité va atteindre, par ricochet, notre compétitivité. Joseph Stiglitz et d’autres avaient démontré la notion de « salaire d’efficience » où le travailleur correctement rémunéré en tire une estime de soi et donc une capacité de travail accrue. La spirale inverse est en marche chez nous et risque de se traduire négativement dans les chiffres. Autrement dit, l’effort fiscal pour 2013 a été excessif et pro-‐cyclique : il a apporté la crise à la crise. Tandis que la Commission européenne estime que notre déficit public 2014 sera supérieur ( 3,7% ) à celui de 2013.
3 ) Face à près de 5 millions de sans-‐emploi ( en incluant toutes les catégories de chômeurs ) et près de 10 millions de personnes autour du seuil de pauvreté, nombre de nos concitoyens vivent dans la peur du déclassement social que nous avions tentée d’expliciter il y a quelques mois dans nos deux ouvrages précédents. D’ici à la fin de 2013, près de 300.000 chômeurs seront vraisemblablement venus rejoindre la « file d’attente » décrite par l’économiste Robert Salais. Quelle parole politique crédible et audible pourra-‐t-‐il être tenu face à cet échec social ? 4 ) De manière assez surprenante, l’équipe de François Hollande a bondi devant les micros pour tenir un discours stigmatisant vis à vis des entrepreneurs. Curieuse méthode et curieuse assimilation de la masse des employeurs à quelques cas isolés de « patrons voyous » . Le résultat est imparable : nombre de décideurs sont désormais dans une démotivation entrepreneuriale et ceux qui le peuvent choisissent l’expatriation. Cette exportation – probablement sans retour – des forces vives représente une saignée digne des médecins de Molière issue de propos politiques dignes d’une mauvaise pièce de théâtre.
5 ) Conséquence des « couacs » et des annonces suivies de démentis, les citoyens ont largement retiré leur confiance à l’équipe en place ce qui ne simplifie pas les choses et ne permet pas d’engager des réformes structurelles dont notre pays a tant besoin. Si seulement Jacques Chirac avait tiré profit de sa réélection ( 82% des voix en 2002 ) pour jeter les fondements d’une sorte d’union nationale, nous aurions des atouts politiques pour avancer. Là, nous sommes en système bloc contre bloc où l’on voit mal des solutions ambitieuses sortir de la configuration politique présente.
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6 ) Nombre d’études d’opinions rapportées par les éminents Stéphane Rozès, Roland Cayrol ou Jean-‐Marc Lech attestent de la montée de pensées populistes et simplistes dans l’opinion. Fatiguée par la crise, l’opinion cherche des boucs émissaires si bien décrits par René Girard. L’immigré, l’euro, le bilan de Sarkozy, les compétences défaillantes de Hollande : tout y passe.
7 ) Au risque d’assombrir cette contribution, nous tenons à évoquer une question trop souvent passée sous silence. La crise et l’effet d’impasse absolue qu’elle représente pour certaines personnes les poussent à commettre l’irréparable. Ainsi, alors que l’on s’émeut à juste titre des 4000 décès sur la route et que Manuel Valls voudrait diviser par deux ce chiffre morbide, bien des silences entourent la fin volontaire de vie de nombre de catégories de citoyens. « Qu’est-‐il arrivé à notre sensibilité morale ? En avons-‐nous seulement eu ? Que signifient ces mots ? Se réfèrent-‐ils à un terme rarement employé de nos jours : la conscience ? » ( Texte du metteur en scène Harold Pinter : « Art, vérité et politique » )
Lors d’un congrès tenu au Sénat ( 11 février 2012 ), il a été avancé que les salariés sont en demande de sens face au travail qui leur est demandé. A défaut, une culpabilisation intérieure peut prospérer et conduire à l’acte fatal. Des catégories sont vulnérables : enseignants en zone difficile, policiers, personnels licenciés et restés inactifs ( étude sur le cas Moulinex ), ( voir immolation d’un chômeur à Nantes ). Mais comme souvent dans notre pays, on se focalise sur des événements médiatisés ( suicides chez France Telecom ) et on n’évoque guère le taux de suicide croissant de deux catégories minées par le doute ou les dettes : les jeunes et les agriculteurs.
Sauf à avoir eu une oreille distraite, avons-‐nous entendu le gouvernement s’attaquer à cette question qui est un fléau national qui atteint désormais plus de 10000 personnes par an soit une toutes les 48 minutes.
Pour reprendre la typologie de Durkheim ( 1895 ), le suicide se parcourt selon deux variables sociales : l’intégration et la régulation. Puis, ceci aboutit à un ensemble de quatre formes de suicides : égoïste, altruiste, anomique et fataliste.
L’intégration passe bien évidemment par l’attachement au groupe professionnel ou familial. Dans le cas des producteurs laitiers, leur solitude professionnelle alliée au taux de célibat expliquent leur geste fatal. La régulation est éclairée par l’attachement aux règles : l’anomie signifiant le délitement de ces règles. Or l’urbanisation, la solitude des villes par-‐delà les réseaux sociaux sont des facteurs déclencheurs que la crise exacerbe.
Des chiffres alarmants concernent aussi les médecins : leur risque ( selon des études professionnelles ) est majoré de 2,45% par rapport à la population générale.
Cette ultime désespérance doit être intégrée par les économistes dans les coûts de la crise. Les mutilations de la crise à la française viennent autant du jeune surdiplômé qui part pour Londres que du départ vers l’inconnu du jeune médecin libéral seul face à ces lourdes responsabilités.
Pour achever cette section délicate, citons G. Perros dans « Papiers collés » : « Le suicide, ce n’est pas vouloir mourir, c’est vouloir disparaître ».
8 ) Cette crise économique et financière met à mal la démocratie représentative notamment du fait de l’instantanéité du temps médiatico-‐politique. Dans ce contexte, le contenu du discours est parfois peu crédible et s’adresse à des notables installés
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davantage qu’aux groupes de population visés par les impacts de la crise : chômage, déclassement.
Les défis sont durables ( réforme fiscale complexe, refondation délicate des régimes sociaux, gestion au cordeau de l’endettement public, conditions de rétablissement de la compétitivité nationale, formation des jeunes, intégration des quelques 150000 sortants du système éducatif sans bagage, etc ) et la parole publique doit sortir d’urgence de la pente du discrédit sauf à risquer d’être cantonnée à une incantation digne de meetings à visée électoraliste. Si l’évolution économique demeure porteuse d’espoirs par le lot d’innovations qu’elle révèle chaque jour ( biotechnologies, économie verte, etc ), la crise d’adaptation n’en demeure pas moins rugueuse pour le corps social occidental. Une sorte de pierre ponce où certains politiques jouent le rôle de Ponce-‐Pilate au regard des 30 années d’endettement et de facilités budgétaires et autres.
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XXIV
à Jeudi, Monsieur le Président et à votre écoute Entre la conférence de presse du 13 novembre 2012 et l'intervention télévisée présidentielle du jeudi 28 mars 2013, les conditions économiques se sont véritablement assombries et une large partie de la France, droite et gauche confondues, doute. Comment concilier vérité, efficacité et crédibilité face à la France qui doute ?
1 ) Deux sujets sous silence concernant les banques :
Il serait intellectuellement facile et rapidement polémique de lister certaines promesses du candidat Hollande qui n'aboutissent que sous des formes atténuées et finalement dénuées de portée. Si l'on songe à la lutte " contre la finance ", la loi bancaire dite Moscovici est un texte-‐croupion pour reprendre un terme qu'affectionne l'ancien sénateur Michel Charasse. Vivement la Directive Liikanen dont on doit espérer qu'elle réalisera une vraie séparation juridique et factuelle des activités de dépôts au regard des activités spéculatives. Par ailleurs, sur ce site, nous avons émis plusieurs articles montrant que la supervision bancaire a minima est plus qu'une erreur mais une faute. Oui, nous préférons que le plus d'établissements possibles soient suivis par la BCE ( Banque centrale européenne ) que par des régulateurs nationaux dont l'exemple de Chypre – et bientôt celui de Madrid ? – montre la mansuétude périlleuse et contestable.
Sur ces deux sujets, il y a fort à parier que le Président ne sera pas interrogé alors qu'ils sont une clef de sortie de crise et un pare-‐feu requis face au risque systémique toujours présent. Aux doutes des analystes de la sphère économique risque de répondre le silence du Chef de l'Etat. 2 ) Deux sujets sans solution d'évidence : pouvoir d'achat et chômage.
La pression fiscale accrue venue du PLF 2013 ( projet de loi de finances ), le quasi-‐gel des salaires, le développement du chômage partiel, la suppression du dispositif des heures supplémentaires ont entraîné une baisse du pouvoir d'achat. Tout le monde le constate déjà et les études économétriques et statistiques des mois à venir viendront hélas le confirmer. Comme le dit parfois – désormais en privé – Laurent Fabius : " Les gens ne s'en sortent pas. Pour certains, la fin du mois commence le 15 ". Ce fait économique déjà reflété par le tassement confirmé de la demande est un vrai défi pour le Président Hollande. D'abord vis-‐à-‐vis de son électorat mais aussi au regard de la paix sociale dont il est le garant suprême.
Or, sur ce terrain, la France n'est pas encore au point du cycle économique où se trouvent les Etats-‐Unis qui envisagent des relances sélectives par les salaires. Rappelons à ceux qui ont immédiatement de l'urticaire à l'idée d'une hausse raisonnable des salaires que ce poste ne représente, en moyenne, que 26% ( charges comprises ) contre plus de 60% pour les achats et charges externes. Pour 100 €uros de C.A, une hausse de
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5% des salaires est équivalent à un montant de 1,3% du C.A soit moins de 2% du poste achats.
A voir les méandres des filières ( exemple des traders sur viande de cheval, etc ), à voir l'importance croissante de certaines dépenses logistiques, notre appareil productif a très sincèrement un effort de rationalisation à fournir qui " donnerait du grain à moudre " ( André Bergeron ) au dialogue social salarial. Cet effort était déjà pointé dans le rapport de 1987 ( ndlr : 1987 ) de l'ancien président de L'Oréal François Dalle et Jean Bounine : " Pour développer l'emploi ". Dans ce texte pragmatique et visionnaire, on peut trouver des pistes de solution pour l'apprentissage ( pourtant récemment remis en cause par la modification d'âge ) pour la formation des jeunes sans diplômés et pour le chômage structurel qui vient de notre marché du travail où l'offre et la demande ont beaucoup de mal à s'ajuster.
Sans demande soutenue et sans flux sérieux d'investissements ( faiblesse des trésoreries, découragement de certains entrepreneurs qui accentuent les délocalisations expatriations ), la France n'ayant pas le moteur de l'exportation, elle se trouve dans une situation durablement douloureuse en termes de sous-‐emploi. A l'heure où il faut une parole politique claire et crédible, n'est-‐il pas téméraire voire digne du théâtre de Pirandello ( comique de répétition ) que de répéter cette chimère de l'inversion de la courbe du chômage à la fin de 2013 ? Nombre d'analystes savent qu'elle n'arrivera – au mieux – qu'à l'été 2014 sauf à bricoler tel ou tel indicateur.
Le chômage de ce début de siècle fait bien davantage peur que celui d'il y a vingt ou trente ans. La durée de présence au chômage a tendanciellement augmenté comme le montrent sans faille toutes les études de Pôle emploi. La reprise d'activité s'accompagne souvent d'acceptation de salaires moindres ou de conditions plus pénibles ( mobilité, horaires décalés, etc ). Par ailleurs, comme l'ont établi plusieurs études de la Coface, la taille des entreprises concernées de plein fouet par des défaillances augmentent ainsi que leur âge : autrement dit, c'est l'ossature productive que la crise atteint et non les seules firmes plus ou moins bien gérées.
Au demeurant, il serait inexact de passer sous silence le poids de l'expatriation des entrepreneurs. Selon un chiffrage récent de la Fondation Concorde, un million d'emplois serait le chiffre du manque à gagner depuis 1997 issu du départ des créateurs d'entreprises. Même si ce chiffrage peut être contesté en dizaines de milliers, il ne peut pas l'être en centaines de milliers ce qui montre l'ampleur de la question.
De tout cela il ressort une peur du déclassement social qui est considérable et qui nous semble être le premier défi du Chef de l'Etat. Défi d'autant plus ingrat que sa marge de manœuvre est limitée. Toutefois, si l'on songe à son inflexion de novembre dernier et son pas vers une politique de l'offre ( suite au rapport Gallois ), on ne peut que rester pantois devant la différence entre la promesse présidentielle ( " pas de formalisme pour le crédit d'impôt compétitivité " ) et la réalité des dossiers du Cice : crédit d'impôt compétitivité emploi. Décidément en France, rien n'est simple et nous n'avons qu'une supplique respectueuse et étayée à adresser au Président de la République : la longanimité de vos électeurs et des autres citoyennes et citoyens est à bout.
Nul ne comprend certaines postures ministérielles, nul n'a le sentiment d'une action coordonnée. Certains font leur la phrase de Baudelaire : " Si vous avez du guignon, c'est qu'il vous manque quelque chose ".
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Et si les équipes de Monsieur Sapin relisaient de front les rapports Gallois et Dalle – Bounine ?
3 ) Deux sujets sociétaux distincts : mariage et insécurité Par-‐delà ses inclinaisons idéologiques contestables sur certains sujets, l'éminent linguiste Georges Dumézil a établi que le récit est souvent en miroir avec une vision de la société définie selon trois fonctions : la fonction du sacré et de la souveraineté, la fonction guerrière et la fonction de production et de reproduction.
S'agissant du mariage pour tous qui s'inscrit dans un tendance pluri-‐décennal de la civilisation européenne voire occidentale, le Président aura certainement à expliquer des histoires de comptage du nombre de manifestants, des questions de recours aux gaz lacrymogènes, etc. A l'échelle de notre échéancier économique, ce seront de longues minutes perdues tant il est patent que cet engagement présidentiel sera tenu même s'il doit entraîner un fort risque de marchandisation du corps de certaines femmes via la redoutable gestation pour autrui ( Gpa ).
En tacticien politique, François Hollande pourra savourer ce sablier politicien loin des véritables contraintes de chacun. Le récit portera habilement sur la fonction de reproduction là où d'autres – nombreux – y mettent une fonction du sacré.
Ce qui est sacré, c'est aussi la simple liberté d'aller et de venir. Or dans bien des lieux, elle est de plus en plus aléatoirement défendue malgré les moyens mis en place par Messieurs Guéant puis Valls. Cette fonction de souveraineté ( " L'Etat a le monopole de la violence légitime " Max Weber ) est un défi sérieux et consistant pour ce gouvernement. Nous verrons ce que le Président annonce sur ce terrain : une chose est sûre, il est attendu et a intérêt à être entendu avant que certains citoyens ne développent le spectre des milices privées et des comités de quartiers. ( voir lutte des riverains à Marseille contre un campement de Roms ).
Sur ces deux sujets ( mariage et insécurité ), le Président est face à un Y ( ndlr : i grec ). D'un côté, par le chemin de gauche il a tous pouvoirs pour faire aboutir le mariage pour tous. De l'autre, par un chemin plus à droite – à tous les sens du terme – il a un pouvoir relatif tant la violence s'est accrue en fréquence et en intensité : le constat ne peut plus être réfuté.
4 ) Deux sujets militaires : Mali et " Le Richelieu "
Toujours selon la trilogie de Dumézil, il y a les questions relatives à la fonction guerrière. Autrement dit, que faire de ce conflit du Mali qui est un succès militaire mais demeure un imbroglio politique local. Une fois l'essentiel de nos troupes parties, qu'adviendra-‐t-‐il ? De surcroît, que signifie ce grand chambardement diplomatique et militaire ( changements d'ambassadeurs, etc ) dans la région. Nul ne demande de justification au chef des Armées. Un grand nombre souhaite vivement des explications même brèves. Des explications sont aussi fébrilement attendues pour ce qui concerne une éventuelle diminution sévère des budgets militaires. Le Président Hollande doit là aussi expliquer ou faire cesser les rumeurs. L'une d'entre elles concerne l'éventuelle vente du porte-‐avions nucléaire Le Charles de Gaulle c'est à dire du Richelieu puisque tel fût son nom de baptême en 1986 retenu par le Président François Mitterrand. Or chacun sait, en marine, qu'un changement de nom n'est guère salutaire sauf à avoir fait coupé le sillage du navire sept fois par un autre.
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Plus sérieusement, gardons en mémoire l'utilité d'un porte-‐avions ( usage du Clémenceau par le Président Mitterrand ) y compris au large de la Libye ( sur ordre du Président Sarkozy ). Serait-‐il concevable que la France ne dispose plus d'un tel atout en matière de projection de forces ? Sur ce sujet, point de procrastination, c'est oui ou non et c'est compréhensible par tous.
5 ) Deux sujets sociétaux : l'éducation et la formation professionnelle Le candidat Hollande avait été clair sur l'engagement phare de sa campagne concernant l'éducation. A l'heure de la réforme des rythmes scolaires ( 2013 ou 2014 ce qui ne simplifie pas la vie quotidienne de milliers de personnes ) et d'autres projets, quel bilan le Président envisage-‐t-‐il d'établir de l'action publique récente ?
De même, où en-‐t-‐on de cette importance promesse de réorienter les fonds de la formation professionnelle davantage vers les chômeurs qu'à l'heure actuelle ?
Le rapport Larcher avait établi un constat, il semble que Monsieur Sapin le partage : alors ? Quand l'Etat va-‐t-‐il conduire les partenaires sociaux à embrayer sur ce sujet capital ?
6 ) Un sujet-‐clef : peut-‐on réussir une politique dans un pays qui doute ? Jamais le doute n'a été aussi grand dans notre pays.
L'épouse du gendarme ou du convoyeur de fonds ou du bijoutier craint pour la vie de son mari. Le jeune craint d'obtenir de haute lutte un diplôme finalement inadapté. Le stagiaire aimerait bénéficier d'une amorce de rémunération convenable. Le jeune senior de 50 ans aimerait garder son poste. Les anciens aimeraient pouvoir être respectés dans la rue, dans certains commerces et dans certains dialogues avec les Administrations.
Ce doute quasi-‐existentiel se double d'une sorte de peur de l'avenir et d'une conviction : l'avenir sera moins bien. Sans remonter à Germinal ou aux privations de l'immédiat après-‐guerre, chaque période historique a toujours dû traverser des contraintes : l'éminent Fernand Braudel l'a démontré à longueur de pages. Pour l'instant, il y a doute sur la gouvernance dans certaines entreprises et doute sur la notion de " cap " de la politique du Président de la République. Il y a donc interpellation des élites et on peut ici ou là retrouver certaines des critiques de Julien Benda ( "La trahison des clercs ) qui stigmatisait une élite " flétrissant toute activité libre et désintéressée ".
Dans une Europe qui aura engagé plus de 250 milliards pour les plans de sauvetage de la Grèce, il a été mis à l'ordre du jour la baisse de l'aide aux plus démunis. Alors que l'idée européenne est hélas en retrait ( malgré le travail intense d'associations comme " Sauvons l'Europe " co-‐fondée par l'avocat Jean-‐Pierre Mignard ), comment voulez-‐vous que le citoyen lambda n'ait pas de doute ?
Jeudi soir, un homme abouti qui porte la plus haute charge de notre pays devra, par le verbe et l'action, lutter contre ce doute qui rouille inexorablement les structures porteuses de notre pays mais aussi une fraction sonore et une partie silencieuse de sa majorité. Face à des tenailles sociétales aussi prégnantes, formons le vœu que le Président n'ait pas en tête la phrase d'André Gide : " Je puis douter de la réalité de tout, mais pas de la réalité de mon doute ". ( in " Les Faux-‐Monneyeurs " ).
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XXV
Le ressac du premier ministrable Cahuzac
L'affaire des avoirs illégalement détenus à l'étranger de Jérôme Cahuzac devrait inciter à la prudence puisqu'elle est actuellement instruite et que la présomption d'innocence se justifie de plein droit. Sauf que, dans le cas présent, l'intéressé a réalisé la production d'aveux ce qui balaye la notion d'innocence et permet tous les commentaires qui sont actuellement émis et relayés sur bien des supports. Sur cette affaire Cahuzac, il y a d'abord les faits générateurs qui induisent trois questions d'importance certaine : 1 ) Un chirurgien ambitieux aurait perçu des commissions de laboratoires pharmaceutiques ( ou des honoraires de consultants ) afin de faciliter des autorisations administratives ce qui matérialise ou frôle ( ? ) la concussion pour les fonctionnaires liés à Monsieur Cahuzac et l'emmène, quant à lui, vers le trafic d'influence voire pire. Quand l'opinion a découvert certaines méthodes commerciales de Servier ( Médiator ), elle s'est légitimement émue. Il y a fort à parier que ce volet du dossier sera finalement plus nauséabond que l'affaire fiscale. 2 ) Des sommes dégagées par ces lucratives activités, le Docteur Cahuzac a déduit qu'il convenait qu'elles échappent à l'impôt via la Suisse puis via Singapour : ce changement de pays montrant bien l'intention avérée d'évasion fiscale réitérée. Cela ne manque pas de poser une question pratique à forte implication juridique. Touchait-‐il ses sommes en France ( et sous quelles formes ? ) avant de les faire transférer en Suisse ou était-‐il parfois directement le bénéficiaire de montants versés en Suisse, ce qui impliquerait le délit de complicité d'évasion fiscale pour ses clients, donc pour des laboratoires : si oui, lesquels ? 3 ) Pour qui connait le monde des affaires et l'importance des intérêts et participations du Docteur Cahuzac dans diverses structures, la somme de 600.000 euros ne manque pas d'intriguer et de paraître étriquée au regard des " possibilités " qu'avait l'intéressé. Souvenons-‐nous du scandale de l'ARC ( cancer ) et de la réalité finalement établie des sommes détournées par l'infréquentable Jacques Crozemarie. Après ces trois questions de la vie des affaires, se posent trois questions de science politique : 1 ) Le premier ministre, Jean-‐Marc Ayrault, a déclaré Mardi 2 avril sur France 2 ( jour anniversaire du décès du Président Georges Pompidou ) que les ministres signaient une charte de déontologie et une déclaration sur l'honneur quant à leur patrimoine. Chacun voit la superbe portée opérationnelle de ce dispositif. A l'ère de la mondialisation, tout auditeur -‐ même junior -‐ sait que les flux internationaux sont très difficilement
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décelables : ce qui explique d'ailleurs l'aplomb et le poids du mensonge du désormais mis en examen. Il pensait être hors de portée de tout. Une Charte ne vaut donc pas une Loi et il a fallu l'affaire Cahuzac pour que le Président Hollande, garant de la hiérarchie des normes, accepte de s'en rendre laborieusement compte. 2 ) Le 13 novembre 2012, le Président déclare que " l'économie n'aime pas les chocs " par référence au " choc de compétitivité " réclamé par le rapport Gallois. Le 28 mars 2013, le Président avance la notion de " choc de simplification " pour les tâches administratives des entreprises. Tiens, le mot choc revient en grâce ? Ce matin, le mercredi 3 avril 2013, le Président -‐ dans une brève séquence enregistrée -‐ nous dit que cette affaire est un " choc ". L'Elysée vit donc désormais avec le mot choc comme slogan passe-‐partout tandis que la grande majorité de la Nation vit l'élection de cette personne comme un choc, comme une déception voire un deuil ( de Madame Aubry, de DSK, de Nicolas Sarkozy, etc ). La Vème République a confié un mandat à ce chef de l'Etat : il n'est plus, sur le terrain de la légitimité, pleinement président de la République pour un temps que seul le sablier politique va mesurer et lui imposer. 3 ) Comme l'a toujours écrit Jean-‐Pierre Chevènement ou Alain Peyrefitte, la République est aussi précieuse que fragile et s'accommode mal de l'improvisation permanente pour ne pas dire plus. Après ces questions de science politique, il est requis de poser des points de réflexion d'ordre strictement politique voire politicien : 1 ) Jérôme Cahuzac était véritablement hollando-‐compatible et le Président a perdu un atout. Oui, un atout pour Matignon où l'actuel locataire ne parvient pas à s'imposer : il survit, tout au plus. Le ministre Cahuzac savait que s'il gagnait un peu la bataille de la rigueur, un destin s'ouvrait à lui. Son mensonge incroyable vient de sa volonté de protéger ses chances de conquérir un destin national. Dès lors qu'une telle complicité intellectuelle et une amitié existaient entre les sieurs Hollande et Cahuzac, " où s'arrête la chaîne du mensonge ? " comme l'a clairement exprimé Jean-‐Luc Mélenchon puis Jean-‐François Copé. 2 ) Si un ministre peut mentir sans contrariété à notre Président, que doit-‐on penser de la perspicacité du Chef de l'Etat ? " No comment " soufflent certains esprits adeptes de perfidie. 3 ) Unilever ( conflit social du thé L'Eléphant ) et Peugeot ( Aulnay-‐Sous-‐Bois ) ont marqué le tournant d'un certain réalisme industriel. Cette affaire Cahuzac montre un tournant au sein d'une large part de la classe politique où le mot méfiance réciproque va faire florès. Ce monde où on ne compte que peu d'amis va désormais passer au tamis des vérifications les affirmations des uns et des autres. Piètre résultat.
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4 ) L'équipe ministérielle paraissait déjà usée, cette affaire l'essore et elle est loin d'être judiciairement finie : telle est notre conviction à l'aune du talent incontestable de Maître Jean Veil. Pour conclure, la politique compte -‐ comme dans toute activité humaine -‐ son lot d'indélicats. Dans le cas présent, la vie d'un homme est marquée au fer rouge du logo d'un feu rouge car à son détriment le mot de Cahuzac va devenir un nom commun de la turpitude à défaut d'avoir su être un nom propre à tous les sens du terme. Françoise Giroud disait qu'il " ne faut pas tirer sur une ambulance ", ici les balles traçantes pleuvent sur un homme dont l'avenir ne rimera plus avec les fastes de la République malgré son indéniable compétence professionnelle en tant que ministre du Budget. C'est donc aussi la France qui a perdu un atout tout autant qu'un peu de son honneur face à certains pays hilares de nos déboires. Une chose est sûre, ce périple néfaste qu'est l'affaire Cahuzac pour notre pays donne largement raison -‐ une fois encore -‐ au Cardinal de Retz qui écrivait dans ses Mémoires : " Il sied plus mal à un ministre de dire des sottises que d'en faire ". Le temps aurait pu essuyer la faute fiscale et l'imprudence politique, il sera impitoyable avec ce mensonge qui a duré des mois face à nos visages perplexes ou convaincus que Médiapart montait en épingle une petite historiette. L'historiette n'était pas négligeable et le mensonge un véritable affront à la Nation, depuis le plus humble de ses contribuables jusqu'aux membres de l'élite dirigeante de notre pays. A l'heure où un arrangement fiscal entre l'Etat et Karl Lagerfeld ( du temps de DSK alors ministre de Lionel Jospin ) avait provoqué une polémique, y-‐a-‐t-‐il une certitude de transparence et de rectitude sur la gestion Cahuzac des dossiers sensibles qu'il a forcément eus à connaître ? Autre sujet. Mais vraie interrogation de principe.
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Certaines grandes lois sont-‐elles irréversibles ? La France est actuellement divisée sur la question du mariage pour tous. Comme avant pour le Pacs ou le projet des 35 heures de travail hebdomadaire ou la loi Veil pour l'interruption volontaire de grossesse. On peut se demander si les partisans de l'irréversibilité des lois ont raison ou si des circonstances peuvent amener à " renverser la table ". Le mariage pour tous était un engagement du candidat Hollande et il semble classique et légitime que devenu Président, il souhaite appliquer son programme. A ce point de départ assez simple voire basique, on doit toutefois opposer trois éléments concrets que le chef de l'Etat et ses conseillers ont probablement sous-‐estimés :
1 ) Trilogie : mariage, PMA, GPA :
Le parcours législatif est compliqué par l'opposition ( ce qui est le jeu classique : voir nationalisations par la gauche en 1982 et privatisations par la droite en 1987 ) mais aussi rendu plus délicat par certaines hésitations de la majorité présidentielle qui n'avait pas sincèrement mesuré les conséquences de la PMA ( procréation médicale assistée ) et surtout de la GPA ( gestation pour autrui ). Il faut dire que les propos de Monsieur Pierre Bergé, d'habitude homme de culture, sur le parallèle entre la location des bras d'une ouvrière à un patron d'usine et la location de son ventre étaient sincèrement difficiles à entendre et trop teintés d'un froid cynisme devenu insulte à la femme. Cosette vendait ses dents du temps des Thénardier. Faudra-‐t-‐il se satisfaire d'une société où des jeunes femmes nécessiteuses auront pour idée de recourir à la GPA ?
2 ) Manifestations et portée : Le pouvoir exécutif a surtout sous-‐estimé le refus de ce texte par une partie du pays devenue subitement activiste. Telle une cohorte d'opposants en mouvement perpétuel, les rassemblements succèdent aux rassemblements alors que le bon sens commanderait de voir que la majorité parlementaire fait son travail et que le loi sera votée et promulguée sauf censure ponctuelle ou large par le Conseil constitutionnel. Il y a des manifestations qui peuvent infléchir un pouvoir ( école privée et Président Mitterrand ), il y a trop cas où tout se radicalise. Hélas, tant la droite que la gauche actionnent en ce moment des ressorts qui fatiguent la démocratie d'un pays de surcroît en plein marasme économique et désarroi social.
3 ) Le recours aux ordonnances :
Le troisième élément nous oblige à constater que le Gouvernement n'a pas pris la pleine dimension de l'impact de sa loi du mariage universel sur les autres textes et codes en vigueur. Près de 15 codes seraient impactés ( Code civil, code de la santé publique, etc ) et c'est ce qui oblige au recours à la procédure des ordonnances prévu par l'article 38 de la Constitution. Ce recours va être complexe en droit et en calendrier : la Garde des
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Sceaux a parlé dans l'hémicycle d'un délai de six mois, le délai requis pour la réécriture de centaines d'articles relevant de dizaines de lois.
Cette complexité est en fait un risque politique de voir une " violence politique et sociale durable " ( Anne Sinclair ) car les manifestants vont se croire obligés de redoubler de vigueur et d'imagination.
Evidemment, nous souhaitons tous le débat public, la confrontation démocratique mais aussi le respect de l'ordre républicain.
Concernant ce respect, il est d'ores et déjà mis à mal par des phrases qui affirment qu'en cas d'alternance, la droite reviendrait sur ce texte. En clair, voterait l'abrogation de la loi.
On imagine le vide juridique que cela provoquerait pour les couples unisexes déjà mariés. Et que dire de leurs enfants valablement adoptés ou conçus ? Comme l'ont dit certains députés, " après le vote, ce sera foutu " ( sic ).
Nul ne songerait désormais à revenir sur des lois qui firent grande polémique comme la loi Veil ( IVG ) de 1975, la loi Badinter de 1981 sur l'abolition de la peine de mort, la loi sur le PACS de 1999, les lois sur les 35 heures de 1998 et 2000.
D'où la question centrale qui est posée ici : la démocratie française inscrit-‐elle dans le marbre certaines lois ?
Peut-‐on dire que certaines grandes lois sont irréversibles ?
Apparemment la réponse est : oui. 1 ) Représentativité :
Et pourtant, cela pose déjà comme première question celle de la représentativité des parlementaires. Depuis que les élections législatives suivent la présidentielle, certaines circonscriptions sont marquées par un taux d'abstention un peu plus élevé. Compte-‐tenu de l'effet loupe que donne le scrutin majoritaire à deux tours, ce sont donc des élus qui ne représentent parfois que moins de 25% de la population de leur circonscription qui décident et votent ces lois inscrites dans une forme de marbre du fait du poids politique et juridique que leur abrogation entraînerait.
2 ) Rédaction de la loi :
Qu'il s'agisse de la future loi sur la fin de vie ou de celle consacrée au mariage pour tous, il faut une immense infaillibilité rédactionnelle du législateur puisque certaines lois seraient apparemment du registre de l'intangible. D'évidence, si une loi est gravée dans le marbre, cela requiert une véritable qualité de rédaction que les séances houleuses ou nocturnes ne garantissent pas.
3 ) Impossibilité opérationnelle des regrets : Nombre de constitutionnalistes sont en train de découvrir, aux côtés des observateurs politiques avisés, que le quinquennat ( issu d'une alliance de circonstances entre Jacques Chirac et Lionel Jospin ) présente les inconvénients que l'éminent Michel Charasse avait souligné à l'époque. " A peine assis, le Président travaillera encore plus pour sa réélection ! ".
Effectivement tant le quinquennat en-‐cours que le précédent suintent d'exemples où des décisions ne se justifient que par la volonté de durer. Partisan d'un septennat non renouvelable, j'observe l'intangibilité de cette loi sur le quinquennat qui mettre des
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décennies ( ou pas ) à être modifiée. Autrement dit, il y a impossibilité opérationnelle des regrets en matière de grandes lois. La touche " rewind " semble inaccessible.
4 ) 1905... Au terme d'une réflexion assez détaillée, une loi – une loi faisant partie du bloc des grandes lois – est susceptible d'être modifiée d'ici dix ans. Il s'agit de la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat : la loi de 1905. Le méthodique Gilles Kepel rapporte dans des écrits récents que certains ( laïcs, musulmans, etc ) sont lassés de payer, par l'impôt, l'entretien des bâtiments catholiques édifiés avant 1905 alors que rien n'est fait, par exemple, pour épauler significativement la construction de nouvelles mosquées.
Cette loi, qui a dépassé le siècle, va être rattrapée par les évolutions démographiques et civiques de notre XXIème siècle à la française. Chacun imagine l'intensité du débat.
5 ) L'abolition de la peine de mort : Dans l'esprit de chacun, nous gardons le vibrant plaidoyer de l'honorable Robert Badinter lors de l'abolition de la peine de mort en 1981.
Il convient de relever avec précision que le Président Chirac, postérieurement à 2002 et à la dynamique du Front national, fit modifier la Constitution et introduire l'article 66-‐1 : " Nul ne peut être condamné à la peine de mort" afin d'être certain de l'intangibilité de cet état du droit désormais partie prenante du bloc de constitutionnalité. Pour conclure sur l'actualité, donc sur le projet de loi en cours de discussion ( et probablement voté demain le Mardi 23 Avril ) relatif au mariage entre personnes de même sexe, deux points sont à considérer.
Tout d'abord, l'opinion du Président Hollande.
Lors de sa conférence de presse du 13 Novembre dernier, le Président de la République en répondant à une question de journalistes a réalisé une prouesse technique digne du féru de politique qu'il sait être. Au bout d'une heure et neuf minutes ( voir source vidéo LCP ), il a déclaré en réponse à Nicolas Prisset : " Sur le mariage pour tous, /.../, donc le Parlement sera saisi du texte dans les prochains jours mais n'en débattra qu'à la fin du mois de Janvier et là encore il y aura une évolution de notre droit /.../ La meilleure preuve c'est que je prends date, il y aura bien un jour une alternance et je ne suis pas convaincu que si c'est la droite qui -‐ après-‐demain ou encore plus tard -‐ accède aux responsabilités, elle reviendra sur cette réforme pas plus d'ailleurs que la droite espagnole n'est revenue sur ce qu'avait fait le gouvernement de Zapatero. Vous savez il y a des moments dans la vie d'une Nation, et c'est le rôle du Président de la République, où nous devons faire des choix, traduire des évolutions de société, ça parait périlleux et puis un moment c'est accepté par tous même par ceux qui avaient combattu le texte." Puis, il faut relire posément le génial Umberto Eco ( " A reculons, comme une écrevisse ", page 53 ) qui rapporte une conférence tenue à l'Université de Bologne le 20 mai 2004 pour le cycle " Sous la parole ". Dans son texte, l'auteur évoque la notion de " captatio malevolentiae " qu'il définit ainsi ainsi : " l'usage d'une figure de rhétorique qui n'existe pas et ne peut pas exister, qui vise à s'aliéner l'auditoire et à le mettre dans de mauvaises dispositions vis-‐à-‐vis de l'orateur ".
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Nombre de membres de l'Exécutif ont été atteints par cette sorte de syndrome et ont rendu de plus en plus complexe l'acceptation de cette loi par une partie additionnelle du corps social français. Les analyses des sondages qualitatifs le démontrent : cette loi sera, pour longtemps, très clivante et risque – piètre résultat par ricochet – de stigmatiser certains de ses bénéficiaires. Urgence législative ? à voir.
Puzzle juridique ? certainement. Gâchis humain ? probablement.
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Hommages
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XXVII
Lignes dédiées à Olivier Ferrand 30 Juin 2012 : au pied de l'été, dans le mois des élections législatives, Olivier Ferrand nous a quittés, cela semble déjà une éternité. Le 13 Août 2012, le dynamique Manuel Valls fête ses 50 ans et nous n'avons pu évidemment que lui souhaiter une belle journée. Nous aurions tant aimé que l'ami Ferrand soit actif au sein des débuts de ce quinquennat. Sa voix aurait fait sens au Parlement, son obstination aurait parfois été boussole pour certains membres de l'équipe au pouvoir. Ne dit-‐on pas, plutôt à raison, que son cap est peu lisible voire déficient ?
Je reproduis ci-‐dessous l'hommage écrit dès le 30 Juin ( et publié le 4 Juillet 2012 sur : http://www.olivierferrand.fr/ ) et pense à sa famille qui ne le verra jamais fêter ses cinquante ans.
Ce matin ( Ndlr : 30 Juin 2012 ), un cœur plein d'entrain a décidé de lâcher prise et d'abandonner un homme de passion et d'intelligence : Olivier Ferrand.
Les habitués de la chaîne info ( LCI ) se souviendront longtemps de sa courtoisie même dans des débats rugueux, de son calme apparent et de ses raisonnements généralement bien étayés. Il était le visage et une des têtes pensantes de Terra Nova le déjà célèbre "think tank " assez proche du Parti socialiste au nom duquel il venait d'être élu député des Bouches du Rhône.
Si la vie avait été autre, il aurait pu devenir le Jacques Attali des années 2015 ou le Gaston Defferre des années 2030 car le virus de la politique élective l'avait manifestement rattrapé. Loyalement, on peut dire qu'il avait été fier de recevoir l'onction du suffrage universel et il part donc au moment où une nouvelle expérience de la gauche au pouvoir commence. Oui, il va manquer à ses camarades pour son charme neuronal et pour sa qualité à faire avancer des idées neuves.
Obsédé par la modernisation des politiques publiques, il n'avait de cesse de réunir des experts de toutes sortes dans "son" think tank. Loin des think tank désolants ( Le Chêne de Madame Alliot-‐Marie, etc ) ou utilitaristes ( Génération France du prévisible Jean-‐François Copé ) ou trop confidentiels, il avait su élaborer un outil dont la production demeurera impressionnante et respectable : plus d'une trentaine d'essais diffusés entre 2008 et 2012.
Proche d'Arnaud Montebourg sur bien des sujets, il avait l'habileté – digne de Defferre – de savoir fédérer les autres courants et vents porteurs du Parti socialiste. Fier de la belle expérience démocratique des primaires à l'élection présidentielle de 2012, il était aussi un auteur de livres plus conventionnels notamment sur les Finances publiques. Les initiés auront certainement remarqué quelque filiation avec feu le génial Professeur Pierre Lalumière de l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.
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Car Olivier Ferrand n'était pas qu'un homme de pensées ou de jeune militantisme, il était ce qu'on appelle dans le Morvan ou ailleurs : une grosse tête. Oui, son cursus est aussi linéaire que rapide et imposant : HEC, Sciences Po' Paris, E.N.A puis affectation à la Direction du Trésor. On comprend pourquoi ses contradicteurs sur LCI ou BFM avaient fort à faire pour désarticuler ses raisonnements.
Par l'E.N.A, nous étions donc camarades et je n'étais pas toujours en symbiose avec ses pensées mais je respectais vivement sa rectitude intellectuelle. Parfois, il se trompait mais en pensant droit et sans nuque raide ce qui est une vertu de gentilhomme. Nous partagions une passion pour l'Europe et étions presque physiquement bouleversés de voir le nationalisme pointer ici ou là son blason maculé de tant de sang car comme l'avait dit avec force au Parlement européen le 17 Janvier 1995 François Mitterrand : " le nationalisme, c'est la guerre ".
La France a perdu ce jour un leader en devenir qui voulait changer les choses et se moquait des hochets du pouvoir. Je songe à sa famille et à ses camarades qui doivent être dans la peine, je songe aussi à la notion juridique développée par la Cour de Cassation : " la perte de chance ". Notre Nation en a été victime tout comme l'enveloppe charnelle de ce camarade d'exception.
Ministre, Maire de Marseille, Commissaire européen, Président d'institutions prestigieuses : la route était là avec quelques vieilles marches à franchir dignes de celles majestueuses de la Muraille de Chine.
Au lieu de cela, c'est une autre muraille qu'Olivier a franchie et nous souhaitons imaginer que son esprit brillant discute déjà avec Charles Hernu pour se détendre et avec Primo Levi pour comprendre. Toujours comprendre.
La force d'Olivier était celle d'un gentilhomme capable de parler rustique et de penser complexe : ils ne sont pas si nombreux dans notre France.
Et puis, à titre de respectueux clin d'œil à notre camarade, il n'est pas absurde de conclure par cette phrase d'Edouard Herriot : " Il est malin ce Pinay, il s'est même fait une tête d'électeur ".
Là où Olivier aurait été un ténor dangereux pour certains à l'Assemblée Nationale, c'est qu'il aurait su garder une tête de militant et un statut de leader.
Le cœur du leader en devenir s'est arrêté mais l'élan de ses initiatives va irriguer l'avenir car certaines d'entre elles étaient vraiment fécondes. Adieu météorite de ta vie et comète d'une pensée fédératrice pour tant de gens qui demeurent tristes. A la Saint-‐Martial, le dicton rural veut que " l'abeille prend son bien ou son mal ".
Puisses-‐tu, au nom des forces de l'Esprit avoir la joie de croiser l'auteur de " l'abeille et l'architecte " ( Ndlr : François Mitterrand ) et donner ton pardon à cet hommage imparfait mais profondément sincère.
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XXVIII
Le Chef *** Bernard Loiseau : dix ans déjà !
Nombre de citoyens gardent en eux l'un des slogans antigaullistes de Mai 68 : " Dix ans çà suffit ! ". Dans le cas de Bernard Loiseau, ceux qui ont apprécié son talent disent à l'unisson : dix ans déjà ! Oui, il y a dix ans, un chef de talent a choisi la voie du départ alors qu'il cumulait les talents de gastronome hors-‐pair et d'entrepreneur.
A l'heure où il est objectif de dire que bien des entrepreneurs se posent des questions et que les plus jeunes d'entre eux regardent avec les yeux de Chimène un projet d'installation à Londres, nul besoin d'être long sur la dimension d'entrepreneur qui habitait Bernard Loiseau. Ce natif de Chamalières en 1951 avait le cœur bouillant à l'idée de voir aboutir un de ses projets : c'était un homme d'exception car un vrai portrait de l'innovateur cher à l'économiste Schumpeter. Toute sa vie durant, il aura réfléchi avec un désir d'améliorer les choses. Pas comme un maniaque qui cherche à faire mieux pour épater la galerie mais comme un amoureux de la perfection. Il aurait aisément pu faire sienne la phrase de Jean Guéhenno : " Je n'aime de tout moi-‐même que les hommes qui ne se plaisent jamais tout à fait et qui sont toujours tentés par quelque perfection. Rien n'est plus beau au monde que ce travail de soi sur soi ". ( " Ce que je crois " ).
De nos jours, des personnalités de la gastronomie tels que le célèbre Alain Ducasse ou Christophe Moret ( Lasserre ) ou Anne-‐Sophie Picq sont des êtres en quête de perfection. Dans ce métier exigeant et emblématique de notre pays qu'est la haute gastronomie, chaque détail compte. Du pli de la nappe au sourire du plus jeune des serveurs et bien entendu aux mélanges de saveurs qui composent un déjeuner d'affaires ou un diner d'amoureux. Sans oublier les flacons proposés par des sommeliers souvent d'exception comme Antoine Petrus ( meilleur ouvrier de France en 2011 ). Cet ensemble d'activités reposent sur peu de leaders mais est un atout pour notre commerce extérieur tout comme l'ami Loiseau fût un atout pour la région aussi belle que rude qu'est le Morvan. Au plan de l'entreprenariat, Bernard Loiseau aimait les défis. Il succéda en effet au géant de la cuisine française que fût Alexandre Dumaine : trois étoiles de 1935 à 1964 et qui a été une sorte de Paul Bocuse de l'époque où l'on restait des heures à table. Relever le
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défi de succéder à Monsieur Alexandre était rendu encore plus compliqué par le caractère excentré de Saulieu, ville charmante par ailleurs.
Bernard Loiseau a été un chef hors-‐pair en sachant alléger la cuisine et rendre les pleines saveurs à des produits qu'il allait lui-‐même vérifier chez des producteurs le plus souvent locaux.
Né le 13 Janvier du mois de 1951 qui vit s'éteindre Ferdinand Porsche ( le 30 ), il sautait précisément dans son bolide de cette marque et sillonnait le Morvan ou la Bresse à la recherche de nouveaux foyers d'approvisionnement. Très attentif à la matière, à la véritable qualité du produit qu'il allait travailler avec sa brigade, il savait là aussi innover.
Loin des structures de l'aéronautique, il aurait néanmoins pu reprendre à son compte la phrase de Pierre Latécoère : " Les calculs de mes ingénieurs sont formels : le projet est irréalisable. Il ne nous reste plus qu'une chose à faire : le réaliser ". Dans bien des plats que traite son digne et courageux successeur, le chef Patrick Bertron, on retrouve le tour de main du disparu.
Toujours innovant en cuisine, Bernard Loiseau a su aussi être audacieux en recourant à la cotation en bourse afin de financer son groupe qui compte outre le relais de Saulieu deux restaurants à Paris. Autant dire le paquet d'énergie et le puits de volonté que représentait cet homme qui savait accueillir le Président Mitterrand autant que parler avec des humbles du Morvan.
Un restaurateur doté d'une vraie faconde à Anost, René Fortin, nous a conté des histoires impressionnantes qui révèle le côté sensible et profondément humain de cet homme disparu à 52 ans, il y aura dix ans le 24 février prochain.
L'écrivain Francis Scott Fitzgerald a écrit : " Montrez-‐moi un héros, je vous écrirai une tragédie ". De l'extérieur, à 9.000 pieds en avion, la vie de Bernard Loiseau et de ses équipes est une collection de réussites qui donnent presque la migraine voire le tournis. Sur le plancher que les vaches charolaises broutent autour de Saulieu, on sent bien qu'il y a eu – pour prendre une expression célèbre dans le monde entier – des " pleurs et des grincements de dents ". Tout ce succès ne s'est pas arrimé sans souffrance, sans angoisse.
Du fait de racines locales, nous connaissons bien cette maison reprise par Madame Dominique Loiseau désormais épaulée par la tonique Bérangère Loiseau. André Malraux avait sa table attitrée chez Lasserre et les habitués de chez Loiseau sont fréquemment des personnes aussi estimées dans leurs métiers qu'elles estiment la cuisine qui leur est proposée.
Au plan français, on évalue ( étude Eurogroup dont les références jouxtent cette contribution ) à 3 milliards d'euros le poids de l'hôtellerie et restauration de haut niveau sur un total de plus de 50 milliards de ce secteur en incluant alors le fast-‐food.
Face à ce segment d'activité qui est un vecteur touristique autant qu'un intégrateur social, il est intéressant de noter que les villes se définissent parfois, dans les conversations, par leurs grandes tables : Coutanceau à La Rochelle, Pourcel à Montpellier, Bocuse dans le lyonnais.
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S'agissant de celui-‐ci, il est stupéfiant de relever ses indices de notoriété spontanée dans un large public aux nationalités diverses. Ces grands chefs sont un élément de notre patrimoine national mais aussi du renom de notre pays. L'ancien journaliste Yves Mourousi avait dit un jour à Paul Bocuse qu'il était "un Dieu vivant " ce à quoi le fin restaurateur avait répondu avec son sourire si carnassier et charmeur : " Je crois que je sais faire mon travail ". Bernard Loiseau, comme les frères Troisgros ou Monsieur Paul, savait faire son travail et son nom est une référence chez les jeunes du métier qui seront l'avenir de cette profession d'élite.
Pour le reste, sa voix chaude est encore le long des murs de Saulieu par-‐delà la voie qu'il décida de suivre un jour d'hiver, il y a dix ans déjà. " Ne disputons à personne ses souffrances; il en est des douleurs comme des patries, chacun a la sienne ". Chateaubriand, Mémoires d'outre-‐tombe.
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Conclusion
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Conclusion autour de la dépense publique Tout d'abord, il n'est pas inutile de relever que le Président de la République a clairement évoqué le montant de 50 voire 60 milliards d'euros dans son propos liminaire ( énoncé à partir de notes écrites ) lors de sa conférence de presse du 13 novembre 2012. Des mois après, le doute s'installe sur cette capacité de notre pays à réduire la dépense publique ce qui est une des questions centrales pour notre pays. Au trouble sensoriel ( annonces floues et incertaines ) vient s'ajouter l'incertitude factuelle car rien de concret n'a été dit sur les voies et moyens permettant de réaliser annuellement 10 milliards d'économies pour 2014. Là où les paramètres s'entrechoquent, c'est que bien des mesures décidées ne sont pas financées ( question de trésorerie ) mais surtout ne sont pas correctement chiffrées. Les spécialistes et autres travailleurs sociaux indiquent que la charge des emplois d'avenir n'a pas été prise en coûts complets. De même, plusieurs spécialistes ont évoqué le coût nettement plus significatif à prévoir des contrats de génération. A pleine puissance en 2016, le gouvernement indique un coût de 1 milliard là où des experts – y compris proches de la majorité -‐ envisagent un montant de 1,5 milliards. En matière éducative, le Président veut en faire un marqueur de son quinquennat et il est vrai que la situation est aussi humainement triste que collectivement calamiteuse. Près de 150.000 jeunes sortent du système sans formation ni aptitudes au monde du travail. C'est une saignée de forces vives et de productivité qui alimente la désespérance mais aussi la dépense publique par le nombre croissant de jeunes adultes relevant du RSA. Si le constat est grave, faut-‐il pour autant recruter massivement alors que l'Etat n'exploite pas complètement le gisement des professeurs récemment retraités qui seraient ravis de reprendre du service et de compléter leurs pensions ? Ce dispositif aurait pu être mis sur pied en trois mois là où les troupes Peillon ne seront disponibles que plus tard. Or le temps a un coût. Notre réponse est donc claire : en matière d'ambition de réduction des déficits, il y a la partie tribunicienne loin de la partie technicienne. Si l'ambition était étayée, le tonique ministre et désormais controversé Cahuzac aurait établi une note et le Président s'en serait inspiré en public pour dire à la Nation là où les efforts allaient porter. Au lieu de celà, une décevante partie de cache-‐cache que Winston Churchill ou André Boulloche ( unique socialiste du Gouvernement Debré en 1959 et spécialiste des questions d'éducation puis de budget ) n'auraient jamais voulu mener a commencé.
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L'économie française dépend beaucoup de la politique et de ses jeux subtils. Ainsi, les deuxièmes mandats présidentiels sont souvent des pièges sur bien des plans. Des politologues éminents comme Roland Cayrol ou Stéphane Rozès l'ont démontré. Alors que François Mitterrand épaulé par Laurent Fabius ( 1984 ) puis Jacques Chirac ( 1986 ) avaient réhabilité l'esprit d'entreprise, le deuxième septennat a mis en avant les années fric. On est passé du modèle d'Antoine Riboud ( auteur en 1986 d'un toujours actuel rapport sur la Modernisation de l'emploi ) aux années Bernard Tapie et aux exubérances de l'effet Veblen des économistes. La gauche n'a pas une "nature" à dépenser plus que la droite : l'une et l'autre de ces formations partisanes ont une logique socio-‐électorale. Elles sont victimes de cette dérive qui consiste à baisser sans cesse son seuil d'acceptation à la demande des citoyens. Combien d'élus disent à leur cabinet : " combien il faut pour qu'ils nous f.... la paix ? " Georges Frèche était accusé de clientélisme car il avait l'audace un peu coriace de ne pas le cacher. Prenez le cas du désenclavement du Massif central qui est un bien collectif positif. Ne croyez-‐vous pas tout de même qu'un élu du Cantal ( Georges Pompidou ) puis du Puy de Dôme ( Valéry Giscard d'Estaing ) puis du Morvan ( François Mitterrand ) puis de Corrèze ( Jacques Chirac ) constituent une aide à la décision ? On est loin du multiplicateur keynésien, on est en face de stratégies politiciennes qui engagent des fonds souvent sans aucun répondant prévisionnel d'aucune sorte. Ne soyons pas naïfs, il y a des élus de gauche qui savent gérer et d'autres qui disent oui à presque tout et ont fait exploser le principe intelligent de la décentralisation qui est devenue un gouffre. La France n'est pas mal-‐administrée, elle est sur-‐administrée et le système est à la limite de l'asphyxie. Gérard Belorgey l'avait montré dans un ouvrage célèbre ( La France décentralisée ) où il parlait de la néfaste " polysinodie administrative ". Reconnaissons à Ségolène Royal le mérite d'en avoir parlé lors de la campagne de 2002 et à Nicolas Sarkozy d'avoir voulu greffer un conseiller territorial au milieu des baronnies locales. Là où la gauche est véritablement en train de rater un moment historique ( à la fois politique et budgétaire ), c'est qu'elle était la seule à pouvoir compacter le millefeuille administratif car elle est actuellement détentrice de l'exécutif, de la majorité au Parlement, de la quasi-‐intégralité des régions et de la grande majorité des départements. Au lieu de faire plancher Monsieur Jospin sur le cumul des mandats, il eût été avisé, en termes de dépenses publiques, de le faire animer un groupe d'experts opérationnels sur l'administration territoriale. Sur ce sujet, seul le ministre Valls a demandé un audit sur l'opportunité du maintien du nombre actuel de sous-‐préfectures. On est loin de la question de la suppression, par exemple, du département. En matière de dépenses publiques, ayant eu l'honneur d'être formé par l'éminent Pierre Lalumière ( époux de la ministre socialiste Catherine Lalumière ) et par l'actuel
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président de Suez Gérard Mestrallet qui était alors au cabinet de Jacques Delors ( 1982 ), j'ai retenu l'importance de la loi de Wagner qui dispose que plus la société est complexe, plus la dépense publique augmente. ( Adolf Wagner, 1872 ). Nous y sommes clairement. Comme l'a dit Edgar Morin, nous sommes dans des pays où il ne faut pas oublier l'accent "circomplexe" tant la complexité nous nuit en temps et en ressources collectives. Voilà les points de PIB qu'il faut gagner : réduction du clientélisme d'une part et éradication, autant que possible, des foyers illusoires de complexité tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Parallèlement, pour porter ses fruits, une telle politique ne doit pas décourager l'entrepreneur et surtaxer les PME. De la même manière que tout le monde a compris que les ménages modestes allaient aussi être appelés à contribuer, les entrepreneurs ont fait leurs calculs. De là il va ressortir une pseudo-‐politique de l'offre ( voir complexités de mise en œuvre du crédit impôt compétitivité emploi CICE ) avec un caractère simultané fiscal qui sera pro-‐cyclique puisqu'il contribuera à alimenter la quasi-‐récession de 2013 et la croissance vraisemblablement très atone de 2014. Pour nous, une telle politique économique est qualifiable d'orpheline nul auteur sérieux ne la justifie analytiquement dans sa globalité. Ni Mathilde Lemoine, ni Henri Sterdyniak. Il y aura du fait de l'approfondissement de la crise moins de recettes fiscales que budgétées et le manque à gagner des recettes frôlera davantage les 20 milliards en 2014 que la moitié de cette somme. Ce futur défi sera d'importance. Pour conclure, selon mon entendement de notre situation, nous vivons autour d'un pacte collectif sociétal qui attend beaucoup de la Loi. De nombreuses lois sont votées et après, elles ne sont que sporadiquement appliquées à commencer par le principe d'égalité salariale entre femmes et hommes que déjà la ministre Yvette Roudy voulait voir entrer en vigueur. Au plan économique, il y a bien entendu des subventions mais pour être précis ce sont plutôt des cas d'exonérations ( jeunes entreprises innovantes, zones franches, pures niches fiscales de détaxations, etc ) qui se sédimentent et représentent un lourd manque à gagner. Analytiquement, il y a un travail à poursuivre sur certaines pratiques d'allègements de charges et sur leurs abus.
Les URSSAF sont une mine pour le gouvernement qui devrait étudier les cas de fraudes que ces fonctionnaires du quotidien relèvent avec sérieux et conscience professionnelle. Ayant été un peu plus de dix ans commissaire aux comptes, il m'est arrivé de voir des cas où des individus, mandataires sociaux, ne vivent qu'avec l'idée de spolier l'Etat. Cette fraude parait plus significative en volume que les escroqueries aux CAF qui doivent aussi être vilipendées. En matière de dépense publique qui est – répétons-‐le – notre défi commun, la nécessité conduit à conclure par une conviction : bien peu ont une vision précise de ce qui se
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passe. La machine publique est complexe et ne se laisse pas dévoiler par la première équipe de jeunes auditeurs.
Une phrase résume notre situation fiscale et d'endettement : " Une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison " Henri Poincaré. ( La science et l'hypothèse ).
Dans les méandres des plus de 50% de PIB consacré à la dépense publique se terrent plus d'une rente ou d'une aberration économique. Il y a donc matière à former des corps de contrôle qualitatifs, plus élaborés que ceux de la RGPP et probablement plus volontaires que ceux de l'actuelle MAP. ( modernisation de l'action publique ).