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Lettres à André Romus

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LETTRES A ANDRÉ ROMUS

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PATRICE DE LA TOUR DU PIN

LETTRES A ANDRÉ ROMUS

Présen ta t ion

p a r Luc Estang

EDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris VI

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© E d i t i o n s d u S e u i l , 1 9 8 1 .

I S B N 2 . 0 2 . 0 0 5 8 9 3 - 6

La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l 'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contre-

façon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

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D'un aventurier

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Un jour de printemps 1933, je tombai en arrêt devant une librairie de la rue François-I : à la vitrine deux ou trois exemplaires d'un recueil de poèmes au titre inso- lite, la Quête de Joie, à l'enseigne de la Tortue, sous une signature prestigieuse, et le portrait de l'auteur, jeune et beau comme un prince de légende. Justement ce mot faisait signe, en prélude, à la première page de l'un des volumes, ouvert :

Tous les pays qui n'ont plus de légende Seront condamnés à mourir de froid...

On ne finirait pas de les citer ces deux vers, jusqu'à excéder Patrice de La Tour du Pin. Personnellement je les reçus comme une annonciation prémonitoire. Je nais- sais à peine à la Poésie et cherchais ma voix. Il me sembla que ce débutant de mon âge me donnait le la. Le luxe de l'édition sentait le compte d'auteur. Il me dis- pensait, chevalier de la bourse plate que j'étais, même de m'enquérir du prix. Ce fut seulement un an plus tard, peut-être, que grâce à un privilégié qui l'avait reçu en hom- mage, je pus prendre connaissance du recueil. Patrice de La Tour du Pin était déjà célèbre.

On n'imagine pas aujourd'hui quel événement fut la

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parution de la Quête de joie : quelque chose de compa- rable, dans l'histoire littéraire, à la publication des pre- mières Méditations de Lamartine. Toute proportion gar- dée, évidemment ; il s'en faut qu'en 1933 l'audience de la Poésie égale celle de 1820 ! D'autant que la Quête ne sera accessible au grand public qu'en 1939, dans l'édi- tion Gallimard. Du moins, et c'est assez, l'attention de la critique, même dans les quotidiens — concevez-vous ceci, jeunes gens : des journaux vingt fois plus nombreux et dans tous, y compris les plus populaires, un « cour- rier des lettres » chaque jour et dans ce « courrier des lettres », fréquemment, le compte rendu d'une plaquette de poèmes ! — l'attention de la critique, disais-je, et des faiseurs de réputation fut-elle mobilisée. Celle des poètes, qui importait le plus, s'était faite tout de suite fervente. Dès 1934, quatre d'entre eux, résidant à Tunis : Armand Guibert, Jean Amrouche, Camille Bégué, A. Denis-Dagieu, publiaient un recueil d'études qui donnaient le branle à une abondante exégèse et consacraient la gloire de Patrice de La Tour du Pin. C'est Armand Guibert, dans les Cahiers de Barbarie, qui publia l'Enfer (1935) et le Lucer- naire (1936) objets de commentaires toujours plus per- plexes.

La raison de ce succès ? Ainsi que pour Lamartine, on pourrait dire que La Tour du Pin, sans opérer une révo- lution poétique, accomplissait un renouvellement de forme et de fond qui répondait à une attente. Quant à la forme, il réhabilitait la respiration profonde, la compo- sition cohérente, la musique — méprisés par la révolu- tion surréaliste — sans sacrifier le mystère, la capture de l'ineffable, les images surprenantes dont la tradition classique ignorait les pouvoirs. A cet égard le seul aîné avec l'accent duquel le sien consonnait était Jules Super-

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vielle, le poète des Gravitations et de la Fable du monde, qu'il admirait et qui, dédicataire de l'un des plus fameux poèmes de la Quête, « Les enfants de septembre », l'intro- duisit avec ce poème à la N.R.F. Chez l'un et l'autre, lyrisme aux inflexions à la fois graves et familières, nota- tions de nature, sensibilité ensemble intimiste et cos- mique. Par ce dernier trait les affinités s'étendraient au fond, mais là s'arrêtaient les similitudes. Ce qui s'impo- sait c'était une mythologie toute personnelle dont les étrangetés intriguaient autant qu'elles enchantaient. Dans des paysages de bois, de marais et de brouillard, pleins de termes de chasse et de bruits d'ailes, passaient des créatures indécises tels les Anges sauvages (titre primi- tif de la Quête de joie) et des personnages aux destins allusifs. Le tout dans une aura de mystique chrétienne.

En 1935, Maurice Chapelan, Robert Houdelot et moi avions fondé un « orphéon » — comme Barrès appelait les petites revues qui avant 1914 pullulaient, quitte à ne vivre que l'espace d'un manifeste. Le nôtre, sous l'invo- cation baudelairienne du Beau navire, se voulait éclec- tique. Maurice Chapelan, qui le dirigeait, avait demandé des poèmes à Patrice de La Tour du Pin. Il avait reçu deux fragments de la suite Les Anges. Après quoi il l'invita sans façons à dîner dans sa garçonnière, au fond du XIII arrondissement. Une gentille amie ferait la cuisine. Pareil- lement sans façons Patrice accepta ; j'étais convié. Je vis arriver le jeune prince du portrait, mais en moins méditatif et « lamartinien ». Quelque chose d'un « boy » : sans doute sa part O'Connor, ce trisaïeul maternel, des- cendant des rois d'Irlande qui vint se mettre au service

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de Napoléon. Il nous apportait, à Chapelan et à moi, une plaquette sur papier chandelle qui venait de paraître chez René Debresse à qui il n'avait pas su la refuser : c'était le poème D'un aventurier. Pour nous complaire, à la fin du repas, il nous le lira, d'une voix un peu détimbrée, lente, sans aucun effet :

Pour que le Jeu ce soir devienne encor plus beau N'avais-je pas rêvé de lâcher dans la brume Une lanterne sourde à l'aile d'un corbeau Pour une étoile de hasard qui se consume Et vacille jusqu'à l'autre pente des bois !

Auparavant il aura répondu avec simplicité aux ques- tions que nous n'étions ni les premiers ni les derniers à lui poser, sur le sens de son œuvre.

Quand nous entendrons le mot Jeu, au premier vers du poème D'un aventurier, après l'avoir lu en plusieurs pas- sages de la Quête, il sera chargé de résonances autres que gratuites — sans que nous puissions prétendre, cepen- dant, nous compter au nombre

Des grands initiés aux jeux de connaissance. Et moi du moins, tandis que Patrice nous parlait de ses chasses en Gâtinais et en Camargue, si je percevais leur transposition en Poésie, à quoi eût convenu, dix ans avant le canular fameux, le titre pseudo-rimbaldien de « chasse spirituelle », j'étais encore loin d'accorder au terme d'aventurier sa rigoureuse signification.

Donc, Patrice nous parla de son enfance dans le domaine du Bignon-Mirabeau. (Le général O'Connor le tint de son mariage avec la fille du marquis de Condorcet. La demeu- re actuelle fut édifiée dans les années 1880 sur l'empla- cement d'un château jugé trop vétuste du XIII où était né le Tribun.) Ils étaient trois, une sœur et deux frères qui inventaient des jeux comme en inventent tous les enfants.

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Mais eux les jouaient avec plus de conviction, plus conti- nûment et avec plus d'ampleur qu'il n'est habituel. C'était ces jeux, ces sortilèges, la féerie d'une « comédie inté- rieure » que le poète perpétuait, remontant, écrira-t-il plus tard,

Vers l'aube entrevue d'une autre barrière Semblable et sculptée de trois cœurs d'enfants Car nous savons jouer, entre sœur et frères Le jeu de la vie depuis si longtemps.

Ainsi avait-il conçu, vers sa vingtième année, étudiant de Sciences Po, un dessein qui parfois lui donnait le ver- tige, nous dit-il en riant, et dont l'exposé forcément suc- cinct qu'il nous en fit ne nous laissait pas soupçonner la grandeur dont il n'y a d'équivalence que chez Dante et Milton. Il était assez stupéfiant d'apprendre qu'il s'agis- sait d'une Somme de Poésie, qu'elle comprendrait trois jeux : le jeu de l'homme devant lui-même, devant les autres, devant Dieu ; que la Quête de joie et l'Enfer ne figuraient que des fragments mais que l'ordre des publi- cations ne correspondait pas au déroulement des thèmes : ainsi la Quête de joie prendrait-elle place au centre et l'Enfer tout à la fin d'une série de dix livres. Le vertige me gagnait à mon tour. Encore croyais-je que les dix livres totaliseraient les trois jeux. Ils devaient être quin- ze pour le seul premier jeu. Et le massif d'une Somme de Poésie sera composé de trois chaînes : 500 à 600 pages chacune !

Sans plus sacrifier à l'anecdotique — qui serait d'ail- leurs limité, Patrice de La Tour du Pin sacrifiant lui- même de moins en moins à la vie littéraire liée à la vie

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