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Editions La Decouverte Lettre d'Albert Thomas àPaul Faure Author(s): Albert Thomas Source: L'Actualité de l'histoire, No. 24 (Jul. - Sep., 1958), pp. 21-31 Published by: Editions La Decouverte on behalf of Association Le Mouvement Social Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3776970 . Accessed: 17/06/2014 20:25 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Association Le Mouvement Social and Editions La Decouverte are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to L'Actualité de l'histoire. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.248.154 on Tue, 17 Jun 2014 20:25:40 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Lettre d'Albert Thomas à Paul Faure

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Lettre d'Albert Thomas àPaul FaureAuthor(s): Albert ThomasSource: L'Actualité de l'histoire, No. 24 (Jul. - Sep., 1958), pp. 21-31Published by: Editions La Decouverte on behalf of Association Le Mouvement SocialStable URL: http://www.jstor.org/stable/3776970 .

Accessed: 17/06/2014 20:25

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Lettre d'ALBERT THOMAS d PAUL FAURE

(1930)

Mon cher Ami,

Je ne sais pas ce, qu'en mon nom, notre ami Viple t'avait pro- mis pour aujourd'hui lnndi.

J'avais toujours compris que nous avions quelques mois devant nous pour l'etablissement d'un programme et que point n'etait besoin de nous preoccuper de ? Famorce :?. Ce matin, c'est presque Fengueulade ! II parait que ? tu nous prendras pour des farceurs ?, ete... que tu devais avoir quelque chose pour mercredi, un plus gros papier pour Bordeaux, ete, Une autre fois, Viple fera bien de fixer plus strictement les engagements. Et nous verrons si nous pouvons les assumer !

Le fait est que, jusqu'a ce matin, date ou j'ai quitte Geneve, les occupations administratives Bureau (celles que Viple me repro- che parfois de prendre trop a coeur et dont Faccomplissement seul a cependant permis le developpement present de notre Institut), ne m'ont pas permis ni laisse le loisir d'ecrire seulement quelques lignes sur nos desseins.

Je commence ce soir, dans une chambre d'hotel, en hate, cette lettre ou je voudrais au moins te confier quelques-unes des idees qui sont miennes, mais que je crois assez fondees sur la realite et assez penetree de pensee socialiste pour etre aussi un peu tiennes.

Un programme ?

Je crois plus necessaire que jamais de definir a nouveau ce qu'est le notre, et de tenter cette definition par un grand effort de reflexion et de recherches.

Les raisons d'un tel effort ? Ce n'est pas que nous ayons un doute quelconque sur la valeur de nos doctrines. Les evenements de guerre et d'apres-guerre nous ont convaincus, nous tous socia? listes, que nos theoriciens, nos devanciers, dans Fensemble, avaient vu juste, que tres souvent ils avaient prevu juste. Bien plus, en face des problemes nouveaux que ces evenements mettaient en evidence, consciemment ou inconsciemment, les gouvernements capitalistes ont ete contraints de s'orienter vers les solutions que les penseurs socialistes avaient suggerees comme des solutions ine- luctables. (Societe des Nations, Economie organisee et controiee, cooperation economique internationale) ete.

Nous n'avons donc pas a faire, a proprement parler, un effort de revision.

Un effort d'adaptation et de complement est cependant ne-

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cessaire. Apres un premier eclat, vers 1920-1921, la pensee socialiste n'a peut-etre pas ete toujours aussi active, aussi vigilante qu'il etait souhaitable. Elle n'a pas, a mon sens, integre dans sa critique et dans sa construction, ni tous les developpements spontanes, econo? miques ou sociaux, des dernieres annees, ni toutes les initiatives nouvelles.

Ce qui doit. en outre, nous inciter a faire cet effort, tres vigou- reusement et immediatement, c'est retat de Fopinion et c'est la situation politique generale.

Etat de Fopinion ? Elle est tres curieuse, en effet, Fopinion de notre temps. II est incontestable que momentanement les ame- liorations materielles ont cause a nouveau quelque engourdisse- ment. Apres guerre, on a ete las, dispose a jouir des quelques satis- factions obtenues. Mais cela surement n'est que passager. Les ame- liorations materielles ne sont, pour Fesprit, que la condition d'une

inquietude plus haute, d'un progres nouveau. L'engourdissement, Findifference ne sont qu'apparents. L'interet trouve par des esprits sinceres et tourmentes dans le communisme ? les anxietes des

salaries un peu avertis et conscients de leur condition, en face des

fluctuations economiques, qui font peser sur le proletariat, meme

plus aise, Finstabilite de Femploi ? enfin la poussee socialiste re-

nouvelee, que reveient nos succes eiectoraux et nos progres d'orga- nisation, tout indique qu'il subsiste dans Fopinion des elements

d'une vitalite nouvelle.

Et cela n'existe pas que dans la classe ouvriere.

Le tournant est semblable dans tous les milieux. Les radicaux

essaient de renouveler leur programme. La classe bourgeoise attend

de M. Tardieu des formules neuves. Celui-ci s'y essaie. Dans son

premier programme ministeriel, il a fait quelques improvisations, k la Loucheur. II n'a pas derriere lui, comme notre Parti, tout un

passe de critique et de doctrine, qui lui permette de repondre en

toute certitude aux besoins obscurs du pays. Seul, notre Parti, j'en ai de plus en plus la conviction profonde, peut satisfaire a ces as-

pirations nouvelles.

Ce n'est donc pas seulement en raison des elections de 1932

que nous devons nous donner cette tache. C'est en raison surtout de cet etat de Fopinion et de la position morale qu'oceupe dejk le Parti. Pourquoi ne pas le dire d'ailleurs. Tout cela explique que le Parti apparaisse k Fopinion commune comme le Parti de Gou? vernement de demain.

La prise du pouvoir, partielle ou totale, par le Parti socialiste en France n'est pas seulement attendue par Fopinion commune, qu'elle le souhaite ou non d'ailleurs. Elle est esperee par les socia? listes de tous pays. Elle est consideree comme devant etre un fac- teur decisif du progres socialiste universel. Lourde responsabilite pour notre Parti ! Moins qu'& d'autres, il lui serait pardonne de ne pas reussir pleinement.

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De la la valeur inouie du programme qu'il adoptera.

Programme, non de revolution sociale immediate et totale. Mais programme d'action socialiste immediate, dans la societe presente, et dont Faccomplissement doit constituer une etape de la Revolution socialiste. Programme realisable en quatre ans de legislature, et pour lequel on reclamerait un effort reel de la Na? tion. Programme qui heurterait forcement les prejuges de Fopinion presente, inconsciemment penetree jusqu'a la moelle des os de la pensee capitaliste, mais qui repondrait neanmoins aux aspira? tions profondes, dont nous parlions tout a l'heure. II ne faut pas hesiter a le reconnaitre ; il y a une indeniable grandeur, impres- sionnante meme pour ses adversaires, dans Feffort qu'accomplit le bolchevisme russe, avec son plan quinquennal. Je voudrais un

programme, raisonne, positif, sans illusion ni folie, mais accom- plissable ainsi, dans un effort enthousiaste et qui, par son succes, decuplerait Fesperance socialiste.

Quel programme ?

D'abord, en tete, Yorganisation de la paix. Oui, encore et tou?

jours. Et aujourd'hui d'autant plus que ia guerre de 1914-1918 peut etre consideree comme liquidee. Dans le travail de dix ans qui vient de s'achever, les socialistes, et plus particulierement les socialistes

frangais, ont eu un grand role. Mais c'est maintenant surtout que l'action propre du socialisme doit s'exercer. Seuls les socialistes sont capables de realiser une construction qu'ils ont, avant guerre, proposee a la societe capitaliste. alors scandalisee. La Societe des Nations ne languit que par ce que les socialistes, obsedes par tous leurs problemes nationaux, ne se sont pas suffisamment soucies d'elle, ne se sont pas empares d'elle comme d'un instrument de socialisme et ne Font pas vivifiee. Avant guerre, les partis socia? listes reclamaient tous la reduction des armements, en lesquels ils

voyaient avec raison un des principaux dangers de guerre. C'etait leur programme commun. II faut qu'en quatre ans, conformement au Traite de Versailles, le desarmement ait deja fait des progres considerables. II faut qu'au pouvoir ou non, notre Parti dans Fin? ternationale, prenne la tete du mouvement et le pousse jusqu'aux resultats.

Dans le projet de motion que Viple avait redige, je crois a ton intention, et que j'ai compiete sur quelques points, nous avons sou- ligne quelques traits importants. L'oeuvre incompiete encore mais apres tout notable, que la S.D.N. a faite pour Yarbitrage et pour la securite, demeure precaire tant qu'on n'a rien fait pour le desar? mement. D'autre part, Fexemple de la Conference Navale de Lon? dres montre que des resultats sensibles peuvent etre obtenus. Et il faudra, comme avait fait Jaures pour FArmee Nouvelle, faire des propositions precises de reduction simultanee, a proposer en tous pays. II faudra revoir la position danoise, hollandaise, ete. Une re- organisation du systeme militaire s'ensuivra.

Dans le cadre de ce premier effort de paix, la securite de cha-

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que nation et de la notre, etant consolidee, il faut alors placer en tete notre programme social. Trop souvent, dans le passe, a cause des preoccupations generales immediates (Reparations, Ruhr, sta- bilisation du franc) ? ou meme par obsession du but final ou par preoccupation theorique, nous Favons place, ce programme social, a la fin du programme general, comme une annexe, comme une liste de reformes secondaires. Peut-etre, au dela des questions de

personnes, certains de nos malentendus avec le mouvement syn? dical, viennent-ils de la. Nous sommes le Parti de la classe ouvriere. Nous sommes le Parti du Travail : deux conceptions differentes, mais que le Parti socialiste integre en lui-meme. Nous devons donc d'abord satisfaire aux revendications du Travail. Nous devons nous soucier d'abord de la condition du proletariat. La lutte de classe ne vaudra comme instrument de civilisation que ce que vau- dra le proletariat. II faut donc, dans la societe capitaliste, eiever tres haut, rendre a la fois plus puissante, plus instruite, plus capa- ble d'action dans la Cite, la classe des salaries. Je n'insiste pas sur ce point, parce que je suis Directeur du B.I.T., mais parce que, so?

cialiste, a la lumiere de l'experience des dix annees de B.I.T., j'ai de plus en plus renforce ma conviction que c'est Famelioration ma-

terielle et morale de la condition ouvriere qui permettra la Revo? lution de droit qui supprimera le privilege capitaliste, et ouvrira une nouvelle ere de civilisation : ? La Civilisation Socialiste >.

Mais il ne saurait s'agir ici de quelques reformes partielles. fragmentaires. II s'agit, en pleine conscience d'elever le monde ouvrier a un autre niveau de vie et d'intellectualite. Cette volonte doit etre la norme de tout le programme. C'est dans la mesure ou, par la volonte revendicative du monde ouvrier, nous la pousserons, cette volonte, le plus loin possible, que du meme coup nous ren-

drons plus necessaires et plus profondes les atteintes au monde

capitaliste. C'est egalement cette volonte d'une plus haute condi? tion ouvriere (reglee sur Fidee de Femancipation totale, c'est-a-dire sur Fidee que nous pouvons nous faire de Findividu humain, dans

une societe de pleine justice et de pleine civilisation) qui nous per? mettra de pousser plus loin notre programme minimum.

Donc, d'abord. le programme integral de protection ouvriEre : huit heures, quarante-quatre heures par semaine, repos hebdoma?

daire, loisirs Defense physique de la personne humaine dans la

femme, dans Fenfant, dans Fadolescent. II n'y aura rien de solide si l'on ne commence par la. Dans une societe socialiste meme ?

les Russes s'en apergoivent ? de telles regles doivent etre etudiees et formulees. Et la societe socialiste sera compromise si, pour rai? son de rationalisation ou autres, elle meprise ces regles.

Une ceuvre enorme, tu le sais, reste a accomplir pour donner aux huit heures leur signification revolutionnaire, deja entrevue

par Marx, et pour que les loisirs deviennent vraiment emancipa- teurs. Les Conges payes doivent etre la loi, sans retard. La protec? tion doit s'etendre a la defense de l'ouvrier contre certaines conse-

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quences mauvaises de la rationalisation. Et surtout elle doit s'eten- dre jusqu'a atteindre le droit patronal, en lui opposant le droit ouvrier. Je n'ai jamais pu etudier a fond, comme je Faurais voulu, la construction italienne f asciste. Et je ne commettrai pas la betise politique de dire qu'il faut en retenir quelque chose. Mais si au lieu de servir Finteret de la reaction capitaliste et de FEtat dictatorial, une reglementation juridique nouvelle des relations industrielles avait pour objet de sauvegarder les droits de l'ouvrier, dans l'en? treprise et dans Findustrie, ne serait-ce pas la un progres socia? liste ? II nous faut un programme socialiste de conciliation obliga- toire, de contrat collectif, de participation ouvriere a la gestion. Nous aurons d'ailleurs pour nous guider des precedents importants et parfois peu connus. J'ai decouvert recemment avec emotion un Code mexicain du Travail qui est etonnant. J'en parle dans mon Rapport de cette annee a la Conference du Travail. Nous pourrions avoir, en la matiere, quelques propositions audacieuses et realisa- bles susceptibles d'enthousiasmer nos camarades.

De meme, en matiere d'Assurances Sociales. La loi est votee... comme etait votee la loi imperiale allemande. La loi imperiale alle? mande aurait pu etre, comme le voulait Bismarck, une loi d'asser- vissement proietarien, ? par Faction de la democratie sociale, elle

est devenue une loi d'emancipation. La loi frangaise n'est pas la conclusion de Foeuvre d'assurance. Elle n'en est que le debut. Sans

nous, elle serait une nouvelle loi de secours et de subvention a une mutualite mediocre. Par notre action syndicale et politique, elle

peut etre une loi de construetion socialiste. Elle est deja, pour un

dixieme, une ? collectivisation ?, si j'ose dire, de 10 % du revenu de la production. A nous de faire en sorte que cela devienne pour la sante publique, dix pour cent de gestion collective.

Sur ce point encore, un programme socialiste devra etre etudie.

Donc, je me resume et j'insiste : d'abord, pousser au plus loin, pousser jusqu'a cette limite ou les mesures de ? garantisme ?, pour le monde ouvrier ebranle Farmature capitaliste, toute Feeuvre de

protection et d'assurance ouvriere.

Ne pas oublier, naturellement, les compiements et les conse-

quences d'une telle oeuvre. Une politique de hauts salaires, de hau- tes conditions de travail, ne va pas sans une politique compiemen- taire de controle des prix et de lutte pour de bonnes conditions de vie. Une action cooperative, etendue, stimuiee de toutes manieres. Une politique d'organisation des marches et de chasse au parasi- tisme intermediaire. Une politique des Offices, telle que je l'avais

preconisee dans un projet de loi, il y a quinze ans, et de meme

enfin, une politique du logement, un inventaire des resultats de la loi Loucheur et, sur la constatation de ces resultats, un nouveau

programme socialiste de Fhabitation. De Favis des meilleurs juges, le resultat obtenu est assez piteux jusqu'ici.

Tout cela s'impose. Et s'impose egalement en un strict paralie- lisme, Yamelioration des conditions de travail et de vie des ruraux,

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qu'ils soient des salaries, des metayers, des fermiers ou des petits cultivateurs. Protection pour le salarie des champs egale a la pro- tection du salarie de la ville ; prestations d'assurances sociales egales pour tous. Ameiioration de la vie rurale, non seulement par une politique de logements, de viabilite, d'adduction d'eaux, d'elec- tricite, de T.S.F., de loisirs. Mais aussi, aide a la petite et moyenne culture, par une politique de Voutillage et des matieres premieres (machines agricoles, engrais...) qui doit aller jusqu'aux nationalisa- tions necessaires. Mais je ne veux parler ici que des mesures ten- dant a assurer tout de suite une vie normale meilleure aux ruraux.

Je crois que cette partie de notre programme, mise sur le meme plan que les revendications ouvrieres, devra etre particulie- rement soignee. Non seulement a cause des malentendus savam- ment entretenus par les mensonges du ? Temps ?, comme tu le montrais ces jours-ci, mais en raison de toutes les tendances nou? velles de la vie rurale. Ce sont les ruraux qui doivent nous fournir l'appoint indispensable pour une majorite socialiste. Les salaries ruraux sont peu nombreux. Leur organisation professionnelle est nulle. Mais, d'une part, les paysans cultivateurs de plus en plus nombreux, se sentent attires vers le Parti et vers certaines de ces solutions (Office des Bies, Cooperation agricole, Politique des En? grais) solutions que nous pouvons rendre tres populaires. Et d'autre part, ils ont deja des organisations assez solides pour mieux definir leurs revendications. Depuis des annees deja, je reve d'entrainer vers nous les paysans qui s'organisent economiquement. L'exemple de FAllier, du Loir-et-Cher, de la Correze, d'autres coins encore, me fait penser que c'est possible. Les succes partiels remportes dans d'autres coins, au sein de ces organisations, par le communisme ou par le fameux ? Parti agraire ?, ne sont que des egarements provoques par le meme sentiment de force paysanne croissante et de volonte revendicatrice. Les conservateurs qui tiennent la direc? tion de ces groupements sentent le danger. Quand je suis alie dans leur Congres, ils m'ont accuse de vouloir ? noyauter Fagriculture ?. Ils ont raison. II suffira d'un effort un peu tenace et methodique pour que nous emportions toutes leurs positions. Un bon program? me agraire sera le point de depart.

Enfin, troisieme ceuvre a accomplir tout de suite, dans les quatre annees : donner au pays, a cote de son outillage sanitaire (pour les assurances sociaies), son outillage intellectuel Elevons tout de suite d'un degre l'instruction generale du peuple. Je suis stupefait de voir qu'aucun Gouvernement, au moment meme oii tous parlent du developpement necessaire de l'instruction, n'a en? core realise la reforme eiementaire qui consiste a prolonger la scolarite jusqu'a quatorze ans. Est-ce donc le Gouvernement socia? liste qui l'exigera ? Est-ce lui seul aussi qui fera FEcole unique ? De meme, l'enseignement post-scolaire est actuellement une deri- sion. Nous laissera-t-on le soin d'en faire une realite ?

Enfin, serait-il possible, en quatre ans, de doter nos Universites d'lnstitut du Travail ? (Projet Andler).

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Tout cela, naturellement, sans oublier les dotations materielles eiementaires (batiments nouveaux, laboratoires, bibliotheques, ete.) qui font partie des programmes de depenses de Tardieu, mais sans que Fopinion sente derriere ces propositions une pensee novatrice et entrainante.

Ainsi se compieterait le programme minimum d'ameiiorations immediates, executable en quatre annees, et congu dans le cadre de Fevolution socialiste. Sa vertu propre devrait etre de remettre au premier plan et de faire comprendre a tous a quoi tend le socia? lisme, pourquoi nous sommes socialistes. Mais du meme coup, il posera devant Fopinion le probieme socialiste total. Ses consequen- ces, en effet, seront telles que le priviiege capitaliste devra etre atteint.

Nous sommes socialistes, en effet, parce que nous croyons que le programme total d'emancipation proietarienne et humaine ne pourra etre realise sans la Revolution de propriete.

Immediatement, des la proclamation de notre programme, les possedants diront : ? Nos entreprises ne nous permettent pas de supporter, sous la triple forme ou de services sociaux a meilleur marche ? ou sous la forme d'une part plus large des benefices de la production a assurer aux ouvriers, c'est-a-dire des salaires plus hauts, de contributions d'assurances, ete, ou enfin sous la forme de Fimpot, les charges d'un tel programme. Vous allez irre- mediablement compromettre la production. Les prix de revient sont tels que nos industries ne pourront soutenir la concurrence etran- gere. Non seulement vous ne pourrez assurer d'une maniere dura- ble au peuple ouvrier la condition plus haute dont vous desirez la faire jouir, mais vous compromettez son sort en attirant sur lui Fhorrible danger du chomage, que tant de societes modernes deja n'ont pu ecarter ni prevenir. ?

Problemes immenses et angoissants pour le socialisme au Pou? voir. II aura la charge de la production. Avant Fentree en regime socialiste meme, il en a la responsabilite. II doit Fassumer. Pour accomplir son programme, il faut qu'il produise avec continuite. II faut qu'il produise meme davantage. II faut que dans la periode presente, il maintienne et meme stimule tous les facteurs de pro? duction, y compris les facteurs de direction et d'entreprises, fac? teurs psychologiques, facteurs moraux, mais qui sont uniquement d'esprit et de caractere capitalistes.

Tu sais, mon cher ami, quel souci j'ai toujours eu de ces fac? teurs, d'abord avant guerre, lorsque je travaillais a YInformation, dans les milieux financiers, ensuite pendant la guerre, lorsque je devrais utiliser pour YArmement toutes les forces d'initiative et de creation formees et entretenues par le capitalisme prive, enfin, de? puis, au B.I.T., en raison de l'action du groupe international des patrons, dans notre organisation meme. Nul socialiste peut-etre n'apprecie plus haut que moi la valeur des forces de direction in-

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dustrielles et capitalistes. L'erreur capitale des bolchevistes a ete de ne pas le comprendre. Et chez d'autres, depuis, j'ai trouve la meme incomprehension. Chez Herriot, en 1924, et chez Poincare aussi, quelque differents qu'ait ete Fattitude du capitalisme a l'e? gard de Fun et de l'autre. Nous ne commettrons, nous, pareille er? reur. Mais d'un autre cote, comment se fait-il que je trouve timide et hesitante, depuis quelques annees, l'action socialiste contre l'ex? tension de la puissance des privileges et de Fautorite des grandes forces capitalistes ? Les magnats des chemins de fer n'ont meme plus a payer leurs folliculaires habituels. Plus de campagne contre le reseau d'Etat puisqu'aussi bien des compagnies privees se sen? tent consolidees dans leurs vieux regimes. Les compagnies minie- res accumulent leurs reserves. Plus de campagne contre des natio- nalisations auxquelles on ne semble plus penser.

Un programme audacieux d'ameiioration du sort des ouvriers va, je crois, obliger a une action socialiste nouvelle dans le domaine economique.

J'en vois des maintenant quelques traits.

D'abord, par le Conseil National Economique ou autrement, un examen attentif et constant des situations industrielles et des ac? tivites productrices est indispensable.

Grande legon donnee par FAmerique. II y a la-bas des enque- tes et des Commissions qui aboutissent a des conclusions et sugge- rent des mesures pratiques que l'on suit. II y a des inventaires des stocks et des matieres premieres, des statistiques de prix qui, au- dessus des revendications individuelles, exigent, au detriment de certains interets particuliers, une organisation de production con- forme a l'interet general. Je connais, par contre, a l'heure actuelle, quelques hommes du Sous-Secretariat de FEconomie Nationale qui m'ont fait le tableau le plus comique et le plus lamentable de leur activite quotidienne. Elle consiste essentiellement a recevoir inter- minablement les deiegations plaintives ou coutumieres des vigne- rons de FAlgerie, apres ceux de FHerault ou du Centre ou du Bor- delais, et a constater qu'on est dans Fincapacite de leur donner a tous ensemble satisfaction. De meme en tous domaines, c'est l'in- coherence impuissante.

II faut donc savoir et dEcider.

La valeur de ces recherches, c'est qu'elles permettront de sa? voir ce qui sera fonde ou non dans les apprehensions capitalistes, c'est qu'elles permettront de discerner ce qui peut etre exige, sans atteindre l'industrie, simplement en preievant sur les benefices realises, une part plus grande pour le travail ou pour le consom- mateur. Et ce qui reellement exige une protection ou un reievement de la productivite. Alors l'Etat sera en mesure, au jour le jour, de prendre, dans le domaine industriel, un role croissant de direction et de controle.

Symptome frappant : l'industrie se rend compte elle-meme

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qu'elle ne peut demeurer dans Fetat d'anarchie ou elle se trouve traditionnellement et qui la plonge dans ces crises successives, que Marx avait le premier si fortement analysees. Elle s'efforce de s'organiser (cartels, trusts nationaux et internationaux). Mais en ce moment meme, et malgre ses pretentions croissantes, elle se rend compte qu'elle ne peut se soustraire au controle des collecti- vites, c'est-a-dire des Etats. A Geneve, les organes economiques de la S.D.N. ont permis de lancer l'idee de controle international des trusts. L'idee n'a pas ete retenue. Mais c'est a mon sens un signe des temps que l'industrie ait ? plaide coupable ?. Elle n'a pas pu ne pas admettre l'idee du ? regard ?, sinon celle du controle. Nous devons, nous, reclamer le controle national et international. La premiere oeuvre socialiste sera de Finstituer.

Controle pour la defense du consommateur ; controle pour que les charges exigees par la protection ouvriere ne soient pas reparties sur les consommateurs, controle pour que ne s'instaurent pas des feodalites economiques, dont la politique pourrait etre con- traire a Finteret general.

Apres Yinformation, apres le controle, vient Vorganisation. La production industrielle et agricole, Factivite economique tout en? tiere ne peut avoir qu'un but : creer la plus grande somme possible de moyens de vie pour le bonheur de tous. Les industriels sont comptables de leur activite devant la collectivite. Les admirateurs du fascisme n'insistent jamais sur ce point. C'est cependant une des idees justes auxquelles il a tente de s'accrocher. C'est aussi une idee russe. Mais ce qui n'est que caricature en Russie ou en Italie. ce

qui n'a ete qu'esquisse dans FAllemagne d'apres-guerre, doit etre realise par nous. Nous devons faire de l'economie frangaise une economie organisee.

Economie organisee ?

L'heure me presse. Demain des obligations urgentes me repren- dront, et je veux, tout &, l'heure, peut-etre sans la relire, jeter a la poste cette lettre commencee en route, a l'hotel, terminee dans une journee d'isolement a la campagne. Je ne puis aujourd'hui aborder tous les aspects multiples de mon idee et montrer comment elle s'articule. Quelques mots seulement.

L'economie organisee comporte d'abord un sentiment exact de la ? mesure de la France ?, comme disait au lendemain de la guerre, le jeune Drieu La Rochelle. Nos capitalistes, nationalistes, impe- rialistes, au gre de leurs ambitions et de leurs convoitises, croient possible de tout tenter, de tout entreprendre a tort et a travers. Les forces frangaises, considerees dans le tumulte chaotique de tou? tes les forces economiques, dechainees dans le monde moderne, ont des limites. Quel est le role exact de la France dans une coope? ration economique universelle ? Quelles sont les productions dont elle est le plus capable pour le profit de tous ? Quel equilibre main? tenir entre sa production interieure et son commerce exterieur ?

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soit a Fimportation, soit a l'exportation ? Quel equilibre et quelle coordination assurer entre son industrie et son agriculture ?

Quelle part faire aux colonies, telles qu'elles sont et travaillent actuellement, et a la metropole ? (II nous faudra d'urgence un programme colonial et economique et politique. Avant dix ans, en Indochine et ailleurs, nous serons en presence du conflit des races et des nationalites naissantes). Ce n'est pas tout. II faudra tenir compte des forces de population dont nous disposons. Je ne dirai pas, comme Fabre-Luce, qu'il faut au Parti ? une politique sexuel- le ?... Mais il doit avoir une politique de population et d'immigra- tion. Depuis dix ans, tous nos gouvernements ont eu vaguement le sentiment de cette necessite. Aucun n'a ose le voir en face ; aucun n'a meme ose imposer au ministere du Travail et a celui des Affai? res etrangeres, une entente prealable. Mais c'est un probleme capi? tal et qui domine toute realisation economique en France ou a Fetranger.

Alors, mais alors seulement, pourra etre defini le programme economique d'un gouvernement socialiste.

Alors, mais alors seulement, il peut etre parle d'outillage na? tional. En ces matieres, le Gouvernement present improvise. Et, naturellement, faute de preparation, toutes les objections lui peu? vent etre opposees. Ses chefs meme declarent qu'ils ne veulent pas renouveler la faute de Freycinet ? avoir un programme irrealisa- ble de cinq ou dix ans ?. Nous, nous ferons un programme realisa- ble en quatre ans, apres avoir mesure et concentre toutes nos forces.

Par Voutillage national, par toutes mesures nouvelles de rationa- lisation, nous aiderons l'industrie privee a remplir sa mission, a supporter les charges sociales qui l'effraient. Nous Faiderons a les compenser et nous avons la conviction que certains de ses elements les meilleurs pourront se passionner a un tel effort.

Mais nous avons aussi cette conviction socialiste, non moins

forte, non moins fondee, que pour realiser ce programme de pro? duction, surtout et d'abord, pour que Foutillage national lui-meme soit complet,-il faudra reprendre de toute necessite, dans les do? maines les plus importants, la politique socialiste de nationalisa- tion. Pour ne pas laisser gaspiller les biens communs qui, selon le droit moderne, sont le patrimoine de la nation (mines, eiectricite), pour ne pas paralyser les services par des interets parasitaires (chemins de fer), pour ne pas laisser a des particuliers, a l'heure ou l'Etat a besoin de ressources, le benefice de services mutuels de

prevoyance (assurance) des natipnalisations sous les formes les

plus souples et les plus neuves, les plus industrielles, c'est-a-dire les

plus productives, doivent etre accomplies.

Resteraient alors, en conclusion, et comme moyens du reste, deux parties essentielles du programme que je ne puis plus traiter aujourd'hui ; d'une part les moyens financiers : la politique finan- ciere socialiste non seulement monetaire, non seulement fiscale,

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mais financiere, au sens large du mot, a mener par une coordina- tion et un controle de toute Factivite bancaire ; d'autre part, les moyens politiques. Suppression du senat, referendum et autres articles de nos anciens programmes ne me semblent guere urgents. Ce qu'il nous faut envisager, ce sont les mesures propres a permet- tre des realisations rapides et a aider notre combat : reforme des regles parlementaires, surtout utilisation des moyens deja existants et negliges, et, d'abord, la dissolution comme moyen normal et re- gulier d'appel au pays.

Mon cher Ami, tout cela est tres incomplet. L'expression meme en est improvisee. Mon souci a ete seulement, ? comme amorce ?, de te montrer comment, dans mon esprit, le programme socialiste du temps present ? s'articulait?, comme je te le disais plus haut; quelles idees me semblent devoir etre mises au premier plan pour passionner et orienter vers nous, dans ses vagues aspirations pre- sentes, Fopinion publique de notre pays ; surtout quelles mesures me paraitraient realisables en quatre annees, par un Gouvernement socialiste desireux de faire oeuvre socialiste dans la societe pre? sente, desireux (a la difference des gouvernements socialistes de l'etranger depuis dix annees) de faire au moins pressentir ce que fera la Revolution socialiste et ce que sera la civilisation socialiste.

Maintenant, pour chacun des chapitres, il faudrait se mettre au travail ; organiser de petites sections de recherches, nous met? tre en mesure d'ici un an ou dix-huit mois, de presenter non seule? ment un programme vivant, passionnant les masses, mais presque, deja, des textes legislatifs.

Excuse ces lignes hatives. Je ne sais si tu seras d'accord. En tout cas, elles peuvent t'aider a refiechir et nourrir ton expose ? d'amorce ?. Je te laisse pleine liberte de les utiliser comme tu voudras, toi seul. Elles ne sont meme pas au point pour une discus? sion premiere entre camarades. Je te demande de ne les montrer a qui que ce soit. Une seule priere : peux-tu apres usage, ou me les renvoyer, ou les faire copier et m'en envoyer un exemplaire. Cela simplement pour mon travail ulterieur. Car, dans Finteret du Parti, meme anonymement et dans Fombre, je ne veux pas tarder a le poursuivre.

A toi, bien amicalement.

Signe : Albert THOMAS.

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