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Les réserves dans les musées : un colloque international I Dominique Ferriot Depuis 1388, Dominique Ferriot est directeur du Musée national des techniques au Conservatoirenational des arts et métiers, h Paris, actuellement en cours de rénovation. Précédemment, elle a été notamment adjointe du directeur de VÉcomuséedu Creusot, chefde Ia Division partenariat de la Cité des sciences et de l'industrie de La Ellette, puis directeur de la communication et de la culture scientijque et technique au Ministère de la recherche et de la technologie. Les réserves du Conservatoire national des arts et métiers, 2 Paris, sont situées &ns une ban lieueproche, S&t-Denis. ArchitecteFrançois Deshugiers. A l'occasion de l'ouverture de ses nou- velles réserves, créées à Saint-Denis, dans la banlieue parisienne, le Musée national des techniques du Conservatoire national des arts et mhtiers a organisé, à Paris, les 19 et 20 septembre 1994, un colloque in- ternational : (( Les réserves dans les mu- sées )), qui a rassemblé plus de 400 parti- cipants délégués par quatorze pays. Les thèmes de ce colloque (les réserves, (( tré- sor )) du musée ; les réserves, un outil de recherche et de formation ; les réserves : collections et bases de données) tradui- saient bien les attentes et les préoccupa- tions de nos collègues et, plus générale- ment, des enseignants et des chercheurs qui constituent la (( clientèle N naturelle des réserves dans les musées. Les réserves, (( trésor D du musée (( Ni trésor, ni débarras D. Par ce titre vo- lontairement provocateur, Annie Caubet, conservateur général, directeur du Dé- partement des antiquités orientales au Musée du Louvre, cherchait surtout à af- firmer l'unité des collections constituées à la suite des grandes missions de fouilles en Orient. Les collections sont unes et in- divisibles, il n'y a pas de doublons ou d'objets secondaires, et toutes les pièces ont vocation à être montrées dans les mêmes espaces, si ce n'est sur le même plan. Naturellement, il est impossible d'exposer les 90 O00 pièces conservées par le département, et le pourcentage d'ceu- vres présentées est de l'ordre de 10 %. Les réserves sont donc une nécessité, lieu de stockage et galerie d'étude pour certains publics. Dans les grands musées techniques, des (( trésors )) peuvent être mis temporai- rement dans les réserves, telle la Section as- tronomie du Science Museum à Londres, actuellement entreposée dans l'une des réserves du musée, Blythe House. L'inter- vention de Suzanne Keene, chef de la ges- tion des collections au Science Museum, a fait clairement ressortir l'importance d'une politique des réserves pour l'acqui- sition et la conservation du patrimoine technique contemporain. Sans le vaste terrain de Wroughton 100 km de Londres, près de Swindon) et la construc- tion de nouveaux espaces de stockage, le Science Museum ne pouvait remplir sa mission de préservation du patrimoine technique, notamment des objets de gran- des dimensions. Le public, à Wroughton, est par ailleurs plus important que le nombre des chercheurs concernés. Cet ancien terrain d'aviation, qui se prête bien aux manifestations temporaires, permet l'accès aux objets sagement alignés dans leurs hangars ou sur leurs palettes. En Angleterre encore, la récente créa- tion de réserves communes aux différents musées de l'oxfordshire a permis aux conservateurs de redécouvrir des objets oubliés ou négligés. Karen Hull, respon- MIrseum intentatioìul(Paris, UNESCO), no 188 (vol. 47, no 4, 1995) O UNESCO 1995 35

Les réserves dans les musées: un colloque international

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Les réserves dans les musées : un colloque international

I Dominique Ferriot

Depuis 1388, Dominique Ferriot est directeur du Musée national des techniques au Conservatoire national des arts et métiers, h Paris, actuellement en cours de rénovation. Précédemment, elle a été notamment adjointe du directeur de VÉcomusée du Creusot, chefde Ia Division partenariat de la Cité des sciences et de l'industrie de La Ellette, puis directeur de la communication et de la culture scientijque et technique au Ministère de la recherche et de la technologie.

Les réserves du Conservatoire national des arts et métiers, 2

Paris, sont situées &ns une ban lieue proche, S&t-Denis.

Architecte François Deshugiers.

A l'occasion de l'ouverture de ses nou- velles réserves, créées à Saint-Denis, dans la banlieue parisienne, le Musée national des techniques du Conservatoire national des arts et mhtiers a organisé, à Paris, les 19 et 20 septembre 1994, un colloque in- ternational : (( Les réserves dans les mu- sées )), qui a rassemblé plus de 400 parti- cipants délégués par quatorze pays. Les thèmes de ce colloque (les réserves, (( tré- sor )) du musée ; les réserves, un outil de recherche et de formation ; les réserves : collections et bases de données) tradui- saient bien les attentes et les préoccupa- tions de nos collègues et, plus générale- ment, des enseignants et des chercheurs qui constituent la (( clientèle N naturelle des réserves dans les musées.

Les réserves, (( trésor D du musée

(( Ni trésor, ni débarras D. Par ce titre vo- lontairement provocateur, Annie Caubet, conservateur général, directeur du Dé-

partement des antiquités orientales au Musée du Louvre, cherchait surtout à af- firmer l'unité des collections constituées à la suite des grandes missions de fouilles en Orient. Les collections sont unes et in- divisibles, il n'y a pas de doublons ou d'objets secondaires, et toutes les pièces ont vocation à être montrées dans les mêmes espaces, si ce n'est sur le même plan. Naturellement, il est impossible d'exposer les 90 O00 pièces conservées par le département, et le pourcentage d'ceu- vres présentées est de l'ordre de 10 %. Les réserves sont donc une nécessité, lieu de stockage et galerie d'étude pour certains publics.

Dans les grands musées techniques, des (( trésors )) peuvent être mis temporai- rement dans les réserves, telle la Section as- tronomie du Science Museum à Londres, actuellement entreposée dans l'une des réserves du musée, Blythe House. L'inter- vention de Suzanne Keene, chef de la ges- tion des collections au Science Museum, a fait clairement ressortir l'importance d'une politique des réserves pour l'acqui- sition et la conservation du patrimoine technique contemporain. Sans le vaste terrain de Wroughton (à 100 km de Londres, près de Swindon) et la construc- tion de nouveaux espaces de stockage, le Science Museum ne pouvait remplir sa mission de préservation du patrimoine technique, notamment des objets de gran- des dimensions. Le public, à Wroughton, est par ailleurs plus important que le nombre des chercheurs concernés. Cet ancien terrain d'aviation, qui se prête bien aux manifestations temporaires, permet l'accès aux objets sagement alignés dans leurs hangars ou sur leurs palettes.

En Angleterre encore, la récente créa- tion de réserves communes aux différents musées de l'oxfordshire a permis aux conservateurs de redécouvrir des objets oubliés ou négligés. Karen Hull, respon-

MIrseum intentatioìul(Paris, UNESCO), no 188 (vol. 47, no 4, 1995) O UNESCO 1995 35

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County Museum, a fait part de son expé- rience très concrètement : lorsqu'un objet quitte une étagère pour une autre, il oc- cupe trois fois plus d'espace !

Planification et mode d'organisation étaient au cœur de la communication de Martha Morris, directrice par intérim au National Museum of American History, à Washington. Le développement de nouvelles réserves dans le Maryland a kté d'une urgente nécessité pour la Smithso- nian Institution, et le déménagement des objets vers les réserves a représenté la mise en marche d'un immense chantier, enco- re actif.

De nombreuses questions ont été po- sées à ce propos, notamment pour ce qui concerne les procédures d'acquisition, mais aussi le déclassement des objets, tou- jours plus nombreux, représentatifs du patrimoine scientifique et technique contemporain. Les réserves, (( trésor )) du musée, ne risquent-elles pas de devenir autonomes, de devenir en quelque sorte un musée bis, en particulier si la commu- nication vers un plus large public est or- ganisée ? Quelle place les ateliers doivent- ils occuper ?

Sur ce point-là, l'intervention de Pier-

re Arizzoli-Clémentel, conservateur géné- ral, aujourd'hui directeur du Musée des arts décoratifs à Paris, rappelait la réalisa- tion exemplaire de l'Atelier de restaura- tion du Musée historique des tissus de Lyon. Comment ne pas parler de trésor en évoquant ces chapiers fabriqués dans du bois d'orme à partir des dessins repris dans les planches de l'Encyclopédie de Di- derot ? Les meubles créés ou adaptés pour le meilleur rangement et la bonne conser- vation des textiles anciens ont pris place dans des réserves heureusement aména- gées à proximité du musée, dans un bâti- ment du me siècle. CAtelier de restaura- tion est installé au dernier étage pour bé- néficier d'une belle lumière du jour, au-dessus des quatre niveaux de réserves créées pour accueillir ce qui, dans le pro- gramme, est fort justement appelé le (( trésor )) du musée, les pièces les plus pré- cieuses de la collection.

Les réserves : un outil de recherche

et de formation

La vocation principale des collections mises en reserve est d'être objets d'étude : Suzanne Keene parle de study collections

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Les réserves dans les musées : un colloque international

plutôt que de reserve collections. Annie Caubet n'envisage pas son travail quoti- dien sans un aller et retour constant entre les salles d'exposition et les réserves, qui souvent deviennent le lieu d'une (( nou- velle fouille )) lors des travaux d'inventai- re, de restauration, de photographie des objets reçus.

Les liens organiques entre recherche et conservation constituent la base même des idées mises en ceuvre par Georges- Henri Rivière lors de la création du Mu- sée des arts et traditions populaires à Paris, devenu le modèle du (( musée-labo- ratoire D. Son directeur aujourd'hui, Mar- tine Jaoul, a retracé l'histoire et la philo- sophie de ce musée expérimental, devenu une référence pour nombre d'établisse- ments plus récents, sans masquer les dif- ficultés rencontrées ou les échecs. Ainsi l'(( arrière-musée )) a-t-il mieux vieilli que la galerie d'études ou que la galerie cultu- relle, indifféremment visitées par le grand public. Les magasins, avec les ateliers, le la- boratoire de restauration, les salles de consultation installées à proximité, res- tent au cœur du musée, lieu de conserva- tion mais aussi de recherche et de forma- tion. (( Musée-école )), le Musée national des arts et traditions populaires vit à par- tir de cet arrière-musée : source d'enri- chissement et d'expérimentation pour les conservateurs, les restaurateurs, les pro- fessionnels des musées ; centre de docu- mentation pour le réseau des musées et des centres nouveaux créés dans les régions.

A ce stade, la notion de partenariat s'est imposée pour le développement d'une politique de mise en valeur du pa- trimoine ethnographique. Cela ne signi- fie pas nécessairement la création de ré- serves dans les régions - l'expérience du musée des ATP a été à cet égard plutôt négative -, mais le renvoi systématique vers les ressources locales lorsque la pré- servation in situ peut être assurée.

Avec Philippe Taquet, paléontologue, ancien directeur du Muséum national d'histoire naturelle à Paris, les débats al- laient prendre en compte le problème des réserves dans le domaine des sciences de la nature. Au moment où les scientifiques tentent de sensibiliser les responsables des États sur l'urgence d'une politique de conservation de la nature (au rythme des réductions actuelles, la moitié des forêts humides auront disparu de la planète en 2023, au moment où les institutions de recherche mettent en place un très vaste programme d'inventaire de la biosphère, les collections d'histoire naturelle conser- vées depuis plus de trois siècles dans les musées constituent une somme irrempla- çable de données scientifiques. A partir d'exemples très concrets, pris notamment au Laos oh il est allé en mission, Philippe Taquet montre la valeur scientifique, cul- turelle, financière de collections qui de- viennent un enjeu stratégique, en parti- culier pour les pays en développement. L'accès des chercheurs aux collections mises en réserve est donc essentiel. D'où le programme de la zoothèque (45 km de rayonnages), cré6e en 1985 au Muséum national d'histoire naturelle, ou, dans un autre domaine, la mise en service de réser- ves visitables au Musée des arts et métiers, actuellement en rénovation dans le cadre des Grands Travaux de l'État français.

Les réserves : collections et bases de données

Cère du multimédia est une révolution dans le monde des musées. Outils de ges- tion indispensables pour les responsables de collection, les bases de données et les banques d'images sont aussi l'un des moyens d'accès aux ressources conservdes, notamment dans les réserves.

La création de nouvelles réserves a été, pour le Musée des arts et métiers, la pre-

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Dominique Ferriot

Une study collection du Deutsches Museum, à Munich : le hangar consacrk à h première

guerre mondiale.

mière étape d'une rénovation nécessaire. Le projet de l'architecte François Deslau- giers, aujourd'hui rtalisé à Saint-Denis, près de Paris, propose un bâtiment com- prenant deux grandes parues. Un (( coffre N, recouvert de bois, de SO mètres de long sur 20 mètres de large et 8 mètres de hauteur, permet d'abriter les collections ; l'aména- gement intérieur prévoit des travées suffi- samment larges pour permettre la circula- tion des chercheurs. Les mobiliers de ran- gement ad hoc (quelquefois des vitrines anciennes) sont préférés aux modules com- pacts. Dans un autre corps du bâtiment sont situés les ateliers de restauration, de photographie, les locaux d'étude et de consultation : sorte de grand fuselage en acier inoxydable, cet équipement tech- nique faisait cruellement défaut au musée de la rue Saint-Martin, à Paris. La liaison constante entre les deux sites (Paris et Saint-Denis) est assurée par un système d'information multimédia mis en place

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pour la conservation, la recherche et le rayonnement des collections. La présen- tation de cette réalisation par Bruno Jaco- my, adjoint au directeur, et Élise Picard, responsable du Département gestion des collections au Musée des arts et métiers, a mis en valeur les utilisations possibles de la base de données multmédia par les cher- cheurs et, plus tard, par le grand public dans le musée rénové. Mais déjà le Musée des arts et métiers est accessible par le ré- seau Internet, tandis qu'un premier CD- ROM (Mude des arts et métiers. LA416um) propose une visite guidée des collections et un descriptif des objets comprenant de nombreuses animations. Ainsi, les réserves, (( trésor )) du musée, peuvent-elles s'expo- ser dans des produits accessibles hors les murs, offrant à un public averti, mais en fait de plus en plus nombreux, des res- sources jusqu'alors inaccessibles ou im- parfaitement visibles.

Claude Camirand, directeur du Servi-

Les réserves dans les musées : un colloque international

ce des technologies au Musée de la civili- sation, à Québec, devait utilement rappe- ler que le conservateur, aujourd'hui, doit vivre avec la réalité de la désuétude des technologies, et donc incitait à la pru- dence à l'égard des nouveaux systèmes, dont les coûts de maintenance sont sou- vent sous-évalués.

Pragmatique également, Walter Rath- je,, directeur adjoint, responsable des col- lections au Deutsches Museum, à Mu- nich, a fait part de son expérience : la créa- tion d'un nouveau bâtiment consacré à l'air et à l'espace. Initialement, le Deutsches Museum recherchait de nou- velles possibilités de stockage ; finalement, c'est la construction d'un nouveau musée qui a été entreprise, sur un ancien terrain d'aviation proche de Munich, Ober- schleissheim. Study collection, cette exten- sion du Deutsches Museum, reqoit néan- moins des visiteurs payants (150 O00 en 1993). Pour faciliter le travail des conser- vateurs, la mise en place d'un système d'in- formation multimedia autorisant un fonc- tionnement en réseau entre les différents sites est d'une urgente nécessité.

Autre exptrience, celle des musées australiens, décrite par Ruth Leveson, conservateur au Scienceworks, Museum of Victoria. En décrivant les espaces consacrés aux réserves de la National Gal- lery of Australia, de 1'Australian War Me- morial à Canberra et de Scienceworks, Museum of Victoria, Ruth Leveson est revenue sur nos problèmes quotidiens : le bien-fondé ou non de la climatisation ; l'utilisation rationnelle des espaces ; les différents modes d'accès aux publics qui doivent être contrôlés.

Ainsi, par la richesse et la diversité des interventions, par l'accent mis sur la spé- cificité du problème des réserves dans les musées des sciences et des techniques, le colloque qui s'est tenu au Conservatoire national des arts et métiers en septembre

Les rkserues du Science Museum, ri- Londres, ont ktk édijìées h Wroughton.

1994 a maraué une étape importante rien ne remplace le contact direct avec dans l'affirmation de notre credo com- mun. Un musée vit autant par son (( ar- rière-musée D, pour reprendre l'expression de Martine Jaoul, qu'a travers des exposi- tions temporaires, certes nécessaires mais qui elles-mêmes n'existeraient pas sans la partie cachée de l'iceberg. I1 est vrai. qu'avec l'informatique et le développe- ment des systèmes multimédias l'accès à cette partie cachée devient plus aisé, mais

l'objet. D'oh l'intérêt de la création de ré- serves réellement (( visitables )) par des pu- blics spécifiques, autorisés à déambuler dans ce que Georges-Henri Rivière appe- lait des (( rues )) - disons simplement des allées - permettant au visiteur averti de mieux regarder l'objet, quelquefois de le toucher, à des fins d'étude et de re- cherche, mais aussi pour la pure délecta- tion, but ultime du musée.

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