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2007/ED/EFA/MRT/PI/9 Background paper prepared for the Education for All Global Monitoring Report 2007 Strong foundations: early childhood care and education Les pédagogies de la petite enfance Anne-Marie Chartier, Nicole Geneix 2006 This paper was commissioned by the Education for All Global Monitoring Report as background information to assist in drafting the 2007 report. It has not been edited by the team. The views and opinions expressed in this paper are those of the author(s) and should not be attributed to the EFA Global Monitoring Report or to UNESCO. The papers can be cited with the following reference: “Paper commissioned for the EFA Global Monitoring Report 2007, Strong foundations: early childhood care and education”. For further information, please contact [email protected]

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Les pédagogies de la petite

Anne-Marie Chartier, Nicole Geneix2006

This paper was commissioned by the Education for All Global Moninformation to assist in drafting the 2007 report. It has not been edited by thexpressed in this paper are those of the author(s) and should not be attributeReport or to UNESCO. The papers can be cited with the following referencEFA Global Monitoring Report 2007, Strong foundations: early childhood cinformation, please contact [email protected]

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LES PÉDAGOGIES DE LA PETITE ENFANCE 1.CONSIDERATIONS LIMINAIRES : DEFINITIONS CONCEPTUELLES, LIMITES DU CHAMP, METHODOLOGIE, SOURCES

1.1.Qu’entendre par « petite enfance » ? 1.2. À quelles conditions peut-on parler de pédagogie de la petite enfance ? 1.3. Les sources d’information et les questions de terminologie

2.ÉMERGENCE HISTORIQUE DES PÉDAGOGIES DE LA PETITE ENFANCE

2.1. Histoire de la famille et du sentiment de l’enfance avant le XXe siècle 2.2. Naissance des institutions d’accueil de la petite enfance en Europe 2.3. Les trois grandes modalités de prise en charge au cours du XIXe siècle et leur diffusion 2.4. Les questionnements des recherches historiques actuelles

3.LES PÉDAGOGIES DE LA PETITE ENFANCE AU XXe SIECLE

3.1.Les nouvelles théories de référence : psychanalyse, psychologie différentielle, psychologie génétique. 3.2.Le modèle du Kindergarten en Allemagne et son évolution (RFA et RDA) 3.3.Le modèle de l’école maternelle et ses variantes : Italie, France, Belgique 3.4.Modes de garde, santé publique et encadrement des familles dans la France depuis 1945

4.QUESTIONS EN DÉBAT ET INNOVATIONS POUR LE XXIe SIÈCLE 4.1. L'implication des parents dans les structures de prise en charge de la petite enfance 4.2. Les modèles intégrés et l’invention de nouvelles professions. L’exemple de la Suède et du Danemark 4.3. L’impact des différents modes de garde sur les 2-3 ans 4.4. Les pédagogies de la petite enfance face aux enfants à « besoins éducatifs particuliers » 4.5. La question des langues maternelles et cultures locales : l’exemple du Mexique et des langues indigènes 4.6. Langues et cultures religieuses : pédagogie de la petite enfance et enseignement coranique, l’exemple du Maroc 4.7. Les pédagogies de la petite enfance et la question des genres

Bibliographie indicative

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1.CONSIDÉRATIONS LIMINAIRES : DÉFINITIONS CONCEPTUELLES,

LIMITES DU CHAMP, MÉTHODOLOGIE, SOURCES

1.1. Qu’entendre par « petite enfance » ?

L’expression « petite enfance » (Early Childhood) désigne dans les publications internationales la

période précédant l’âge de l’obligation scolaire, fixée selon les pays à 5 ans (Royaume Uni), 6 ans

(États-Unis, France, Italie, Allemagne) ou 7 ans (Suède, Pays-Bas). Selon les auteurs, ce qui est

désigné par « petite enfance » recouvre donc des acceptions variables, puisque les premiers

apprentissages scolaires (5-6-7 ans) sont tantôt inclus, tantôt exclus. S’agissant de caractériser des

pédagogies et non des politiques de la petite enfance, la différence est importante. Dans le premier

cas, les apprentissages cognitifs (lire, écrire, compter) sont au cœur des discussions, alors que dans

l’autre cas, ce sont plutôt des acquisitions qui les précèdent, liées à un développement social,

cognitif et affectif conçu de façon globale, ou « holiste », qui sont au centre des préoccupations

éducatives (UNESCO Petite Enfance, n°1, mars 2002).

Si la scolarisation indique la fin de la « petite enfance », quelle est la borne inférieure ? Le nouveau-

né, le bébé, le nourrisson sont-ils des « jeunes enfants » ? La « petite enfance » commence-t-elle à

la naissance ? ; avec le sevrage ou le passage à une alimentation mixte (entre 6 et 12 mois selon les

coutumes) ? avec la marche vers 12-14 mois ? L’acquisition de la propreté, entre 2 et 3 ans

(longtemps exigée pour entrer à l’école maternelle dans des pays comme la France et la Belgique) ?

Faut-il prendre en compte la maîtrise du langage (3 ans, s’il s’agit de communiquer avec un adulte

étranger à la famille, bien plus tôt s’il s’agit de comprendre un message parlé) ? La réponse donnée

par chaque pays dépend, d’une part des savoirs cumulés par les pratiques empiriques, les

connaissances médicales et les recherches des psychologues de l’enfance ; d’autre part des

règlements délimitant les âges d’admission et de fin de prise en charge dans les institutions

accueillant la petite enfance avant la scolarisation formelle. Ces deux séries de données ne se

recouvrent que partiellement. Les limites d’âge réglementaires ne sont d’ailleurs que des

indicateurs, car des enfants peuvent entrer à l’école élémentaire de façon anticipée ou tardive par

rapport à l’âge légal. Dans les pays musulmans, l’âge d’entrée dans l’école coranique était fixé au

plus tôt à quatre ans, âge qui continue de marquer l’entrée dans les structures préscolaires de ces

pays. Dans certains pays émergents, l’âge légal, aligné sur celui des pays développés, ne correspond

pas à l’âge réel de nombreux enfants, scolarisés plus tardivement pour de multiples raisons.

Page 4: Les Pédagogies de la petite enfance; Background paper for the

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Cependant, comme les crèches, garderies, jardins d’enfants, hôpitaux, écoles, administrations des

pays de l’OCDE fonctionnent avec des âges frontières (Hurtig, 1980), les relations entre parents et

institutions sont liées à l’âge des enfants. Ce sont les institutions qui fixent les limites d’âge. À

l’intérieur de la « petite enfance », on peut distinguer selon le mode de garde existant en dehors de

la famille, deux ou trois étapes qui se recouvrent partiellement : 1. âge de la crèche ou des

nourrices, 2. âge du jardin d’enfant ou des garderies ou de l’école maternelle, 3. âge des premiers

apprentissages préscolaires (maternelle, Kindergarten) ou en début de scolarité. Dans certains pays,

les orientations politiques en cours visent une « éducation intégrée », cherchant à ne pas segmenter

entre plusieurs institutions la prise en charge des 0-7ans, qui relevaient traditionnellement de

spécialistes divers. Les uns sont centrés sur les soins et l’éveil psychologique des bébés (modèle de

la puéricultrice) ; d’autres sur le développement affectif et la socialisation des 2-5ans (modèle de la

jardinière d’enfant ou de l’éducatrice de jeunes enfants) ; d’autres enfin sur les acquisitions

cognitives préscolaires ou scolaires (modèle de l’institutrice d’école maternelle ou des classes

enfantines). Le curriculum de formation préconisé ou imposé permet de mieux connaître les

référents culturels et les différentes pratiques pédagogiques des professionnels de la petite enfance

dans les différents pays, selon qu’il relève d’écoles professionnelles sous la tutelle du ministère

employeur (Affaires sociales, Santé, Éducation) ou sous l’autorité de l’Université.

1.2 A quelle condition peut-on parler de « pédagogie » de la petite enfance ?

On peut parler de « pédagogie » dès qu’il y a un corps de savoirs et de valeurs, collectivement

assumé et transmis, concernant les soins et la prise en charge éducative des jeunes enfants, comme

c’est le cas dans toutes les sociétés traditionnelles (Malinowski 1927, Mead 1928, 1966).

Cependant, dans le cadre d’une étude internationale, constituée sur la base de publications, on

considérera qu’on peut parler de « pédagogie de la petite enfance», si - et seulement si - on trouve

une mise en forme discursive de pratiques collectives et instituées. Actuellement, du fait

d’organismes référents internationaux comme l’UNESCO, l’OCDE, l’OMS, mais aussi la Banque

Mondiale, qui appuient des programmes particuliers, cette formalisation est en quelque sorte

imposée de l’extérieur. La difficulté est de saisir quelles pratiques correspondent aux

recommandations, aux objectifs affichés, aux programmes publiés, aux institutions créées. Il existe

en effet des législations sans effet, sauf à satisfaire formellement aux injonctions des Nations Unies,

et d’autres encore trop récentes pour avoir produit des effets sensibles.

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Deux exemples : Congo-Kinshasa, Sénégal

Le rapport UNESCO PEPE, Protection et éducation de la petite enfance en République du Congo

(Youdi, 2005) fait état de dispositifs législatifs généraux (Projet de code de protection de l’enfant,

organisation d’un Conseil national de l’enfant (2003), d’une législation sur la préscolarité

(circulaire sur règlement scolaire modèle des écoles maternelles en 1976 ; programme national de

l’enseignement maternel de 1997, inspection obligatoire 1997, etc). Les statistiques

officielles montrent que ces dispositions réglementaires sont pour l’heure inopérantes : 1, 29% des

enfants de 3 à 5 ans sont inscrits en école maternelle, 87% de ces écoles sont privées à but lucratif et

plus de 60% sont situées à Kinshasa. Elles relèvent d’initiatives particulières, répondent à la

demande des milieux privilégiés urbains, ont pour modèle les écoles gardiennes belges ou

françaises. En revanche, sur les 306 zones de santé créées par le Ministère de la Santé Publique,

30% sont opérationnelles, avec un programme de vaccination des moins de 5 ans (12 millions

d’enfants) que le passé récent de guerres et de conflits armés rend d’autant plus urgente. On peut

dans ce cas parler d’une politique de la petite enfance ciblée sur la protection sanitaire, cherchant à

mobiliser les familles, mais pas d’une pédagogie de la petite enfance.

Au Sénégal, a été créé en 2001 un Ministère de la famille et de la petite enfance (Reyna, 2003, p.

64-64), qui a imaginé une institution nouvelle, « la case des tout-petits », intégrant des fonctions

ailleurs disjointes (sanitaire, nutritionnelle et éducative). Autour de chaque « case des tout-petits »,

d’âges mélangés, une équipe formée d’animateurs polyvalents doit assumer les prises en charge,

partagée avec la communauté (grands-mères, aides), grâce à une pédagogie fondée sur le jeu et des

ressources traditionnelles et modernes, incluant la religion, l’usage de la langue locale et une

initiation progressive au français (les écoles maternelles formelles, urbaines et payantes, ne

concernent que 2,7% des enfants). Le coût des cases (non financées par la Banque Mondiale qui

apporte par ailleurs son appui au programme), l’équipement en matériel didactique, la question des

salaires et de la formation des polyvalents, font que cette « pédagogie », explicitement décrite, n’a

pas - ou pas encore - produit des effets visibles. La « pédagogie de la petite enfance » de l’État

sénégalais n’est donc que potentielle.

On parlera de pédagogie de la petite enfance, dans ce rapport, quand on trouve à la fois :

- une politique de la petite enfance (législation ou réglementation pour cette classe d’âge,

budgétisation, contrôle des actions et des structures de prise en charge),

- un discours sur les fins et les moyens de cette politique, avec l’exposé de principes et de priorités

d’action, la mention de modèles référents (qu’ils soient théorico-scientifiques, sociaux, culturels,

religieux, ou référés à des fondateurs « grands pédagogues » ),

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6

- des pratiques décrites, durables, de prise en charge des enfants par des adultes professionnalisés

(quel que soit le niveau de cette professionnalité) en accord avec ces principes.

Les tableaux récapitulatifs à la base des comparaisons internationales pointent ces trois dimensions

(P. Moss, Note pour Enfants d’Europe, 5, nov. 2003). La discussion reste ouverte sur le degré de

précision que doivent avoir les directives écrites (grandes orientations ou exposé détaillé de

programmes lisant les compétences cognitives à acquérir), l’UNESCO restant réservé à cet égard

(Bennett, UNESCO Petite Enfance, 26, 2004).

Il existe donc une « pédagogie prescriptive », que les rapports de l’OCDE désignent comme « le

cadre de qualité pour les services à la petite enfance » impliquant « un énoncé des valeurs et des

objectifs qui doivent guider les centres de la petite enfance ; un sommaire des normes du

programme, c’est-à-dire de quelle façon les programmes seront structurés en terme de rapport

enfants/personnel, de qualification des enseignants pour faciliter les développement de

l’apprentissage ; en troisième lieu, la description des connaissances, compétences, dispositions et

valeurs que les enfants peuvent être censés maîtriser dans des domaines de développement

général ; en quatrième lieu, les lignes directrices pédagogiques décrivant les processus grâce

auxquels les enfants atteignent ces objectifs et la façon dont les éducateurs doivent les y aider »

(OCDE, 2001, Petite enfance, grands défis).

La « pédagogie réelle » implique de joindre à ces énoncés d’attendus, la description des pratiques

d’éducation et des structures institutionnelles qui rendent ces déclarations d’intention effectives.

1.3 Les sources d'information.

Elles sont de trois types :

- Rapports officiels produits par les gouvernements ou sous leur tutelle.

- Publications de chercheurs, sur les pédagogies déclarées /pratiquées dans les structures de

prise en charge, généralement à des fins comparatives.

- Monographies locales, témoignages, communications, articles faisant état d’expériences ou

de réalisations durables, innovantes, mais circonscrites.

Une première source d’information provient des rapports officiels des États. Aujourd’hui, dans les

pays développés, il existe de multiples études nationales sur les modes de garde des enfants en bas

âge. L’État, les collectivités élues (régionales, municipales), les organismes payeurs (par exemple,

la CNAF -Caisse nationale d’Allocations Familiales- en France, Head Start Program aux États-

Unis à partir de 1965, Programmes soutenus par la Banque Mondiale) qui prennent en charge tout

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7

ou partie de cet encadrement, doivent budgéter le coût des structures instituées ou des aides

(subventions à des prises en charge privées ou familiales). Décideurs politiques, syndicats,

associations civiles, instances internationales doivent pouvoir évaluer l’investissement des

politiques publiques, constater des progrès, stagnations ou régressions, dans le temps (courbes

d’évolution), dans l’espace (comparaison entre régions ou entre nations) ou entre structures en

concurrence (priorité donnée à un mode de garde par rapport à un autre, coûts et effets induits). Ces

bilans sont accompagnés d’un argumentaire évaluatif (de légitimation ou de critique) qui justifie ou

invalide la dépense, propose des améliorations ou des réorientations. C’est là que prennent place les

« discours » idéologiques sur les finalités éducatives et les pratiques pédagogiques en direction de la

petite enfance. Ils n’informent donc que sur les objectifs et les pratiques prescrites pour les prises en

charge. Les données construites par les administrations d’État sont d’ailleurs très inégalement

contrôlées d’un pays à l’autre (recensement des populations concernées, statistiques des

établissements et des personnels, en particulier).

D’autres prises en charge, non marginales, s’effectuent dans certains pays à travers des organismes

dont les fonds ne sont pas publics (fondations philanthropiques, communautés religieuses,

associations à but non lucratif, crèches ou écoles privées à but lucratif), même s’ils ne sont pas

secrets. Tant qu’un secteur demeure informel (prise en charge par la famille élargie, le voisinage,

les aînés déscolarisés) et non contrôlé, il laisse peu de traces dans les rapports officiels. Il peut

passer sous contrôle sans être pour autant comptabilisé (par exemple, contrôle des nourrices à

domicile pour des raisons sanitaires, des locaux des écoles privées pour des raisons de sécurité et

d’hygiène). Le programme « Case du tout-petit » du Sénégal est ainsi une proposition d’État qui

constitue une alternative, jamais explicitement déclarée, aux prises en charge informelles des

structures coraniques (daaras au Sénégal, kouttab, jamaâ ou m’sid, au Maghreb) « très attractives

en raison d’une demande religieuse forte dans ce pays musulman à 98%, mais aussi de leur faible

coût » (Rayna, 2003, p. 64).

La question est alors bien celle des « pédagogies de référence ». Il s’agit soit de « pédagogies

pratiques », non écrites, issues des valeurs traditionnelles dans lesquelles se reconnaissent les

familles (prééminence relative du groupe et des individus, répartition des rôles et statuts en fonction

de l’âge et du sexe, interdits alimentaires, règles d’obéissance) ; soit de pédagogies formalisées, en

général issues de conceptions adossées aux modèles occidentaux (encouragement à l’expression de

soi, traitement égalitaire fille/garçons, interdiction des châtiments corporels, etc.). Toute une part de

la réalité sociale échappe donc à l’enquêteur, dès qu’il adopte, comme représentation de la réalité,

les seuls éléments retenus dans les rapports officiels. On doit donc différencier les études élaborées

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par les services officiels (services ministériels des programmes, orientations politiques ou bureau

des statistiques) et celles qui nourrissent également les rapports officiels, mais qui ont été élaborées,

à partir d’appel d’offres par des chercheurs indépendants ou des laboratoires de recherches, qui

constituent un deuxième type de source.

La deuxième source est celle des recherches d’institutions indépendantes qui apportent des

descriptions de terrain. Elles peuvent ou non avoir été commanditées par des d’organismes

institutionnels nationaux comme les Agences de recherche, Conseils régionaux, Caisses

d’Allocations Familiales) ou par des organismes internationaux (UNESCO, OCDE, etc.). Elles

travaillent à compléter les informations officielles par des enquêtes sur le terrain. Elles donnent

ainsi accès à des données descriptives, font état des pratiques observées, évaluent les effets des

dispositifs selon des paramètres critériés. C’est le cas des recherches déjà citées (Youdi, 2004, qui a

enquêté dans une douzaine d’écoles urbaines et rurales ; Rayna, 2003, qui compare des projets de

« systèmes intégrés » en France, en Italie et au Sénégal). Elles s’intéressent aux représentations et

avis des acteurs (entretiens semi-directifs, questionnaires). Une recherche suisse a montré que les

représentations positives ou négatives que les parents se font des modes de garde ont plus

d’influence (ou sont mieux corrélées ?) aux effets positifs ou négatifs de certaines prises en charge

que tout autre facteur objectif (Pierrehumbert, 2002).

Cependant, on ne sait pas toujours, à lire ces études, si les pratiques décrites et les finalités

déclarées sont spécifiques à ces institutions ou au contraire partagées par les familles de

l’environnement ayant de jeunes enfants en charge. Un grand nombre de pratiques banales ne sont

pas mentionnées, car elles sont supposées connues de tous, ce qui est vrai pour des lecteurs de

même contexte, mais faux dès qu’on est sur des études comparatives. Il est difficile de comparer le

statut des crèches dans différents pays sans rappeler que le fait confier un tout petit enfant à des

adultes étrangers à sa famille est tantôt considéré comme normal (dans la plupart des pays

développés, Japon excepté) ou blâmable (partout ailleurs). Les standards d’une vie familiale

« normale », d’une alimentation « normale », de relations éducatives « normales » ne sont pas les

mêmes en milieu rural et urbain, pauvre ou riche, en pays développé ou émergent, en famille élargie

ou nucléaire, agnostique ou de tradition musulmane, chrétienne, hindouiste. Ainsi, toute la

discussion actuelle sur l’évaluation de la qualité de l’accueil des jeunes enfants bute sur la définition

de ce qui est ici et là, considéré comme critère de qualité et sur la hiérarchie implicite des valeurs

impliquées. Les postulats de pays occidentaux sont imprégnés des valeurs de l’individu, de la

conscience des singularités et de vulgate psychanalytique (prendre en compte des « intérêts de

l'enfant » et pas seulement de ses « besoins », développer des interactions singulières tenant compte

Page 9: Les Pédagogies de la petite enfance; Background paper for the

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de sa personnalité). Ils ne sont pas partagés par d’autres pays, à la fois pour des raisons matérielles

(quand les besoins primaires sont trop criants) et culturelles (quand les « intérêts » du jeune enfant

ne sont pas disjoints de ceux du groupe). « Considérer l’éducation préscolaire sans la mettre en

relation avec l’éducation familiale (même si cela montre des tensions et des oppositions), conduit à

méconnaître sa spécificité ».(Brougère et Rayna, dir., 2000, p. 22).

Une troisième source, celle des études de cas, apporte ponctuellement des informations

complémentaires précieuses. Les questions autour du jeune enfant et des activités éducatives en sa

direction sont abordées dans les revues d’éducation destinées aux parents ou aux éducateurs

professionnels : l’approche des journalistes permet de pointer certains phénomènes ou événements

qui échappent aux analyses officielles. On peut savoir ainsi comment la question de la maltraitance

des enfants est abordée dans la presse, souvent à l’occasion de faits divers dramatiques, par

exemple. D’autres publications spécialisées (revues pédagogiques, sociologiques, d’anthropologie

ou touchant aux questions de santé publique) traitent également de ces sujets. Des monographies,

nombreuses en Amérique latine, décrivent des innovations durables, portées par des associations

locales, aidées ou non par des ONG, missions caritatives, programmes internationaux, qui ne se

coulent pas d’emblée dans les programmes d’état ou les standards internationaux. Elles donnent des

indications sur les contextes environnementaux, en décrivant ce qui est considéré ici ou là comme

une « innovation pédagogique » et dans quelles conditions a été acquis ou non le soutien des

familles, des autorités locales ou de l’État. Nous nous sommes référés à cette « littérature grise » ou

à des publications de ce type pour le Brésil (Fundação Vale do Rio Doce, CECIP/Unicef ; CEDAC,

Fundação Bradesco, São Paulo), et pour le Mexique (Fundacíon Spencer, Oaxaca, 2003 ;

Soberanes Bojórquez, 2003) s’agissant d’expériences de scolarisation précoce en langue indigène.

Partout, il est important de s’interroger sur le filtre que représentent les modèles éducatifs qui

constituent les références spontanées des auteurs d’articles. Pour l’Amérique Latine où la coupure

sociale entre école publique et privée est forte, les publications des écoles privées se présentant

comme innovantes (par exemple, la Fondation Escola da Vila, à São Paulo) permettent de

connaître les modèles éducatifs référents des classes supérieures et donc des universitaires ou

intellectuels militants travaillant en milieu populaire. Ce sont eux qui écrivent les articles et c’est

souvent dans de telles institutions qu’ils mettent ou souhaiteraient mettre leurs enfants.

À considérer la documentation disponible dans ces trois registres de publications, force est de

constater que les sources écrites pour traiter des pédagogies de la petite enfance sont surabondantes

et redondantes pour les pays développés, éparses, lacunaires ou absentes pour les autres pays. Cette

situation a des effets sur les problèmes jugés prioritaires au niveau international. Par exemple, dans

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les années 1990, des fonds considérables ont été consacrés à évaluer les effets des prises en charge

non parentales sur le développement émotionnel des jeunes enfants, aux États-Unis (Howes,

Phillips, Whitebook, 1990, publication des résultats du National Child Care Staffing Study portant

sur Atlanta, Boston, Detroit, Seattle, Phoenix ; Lamb et Sternberg, in Pierrehumbert, 1992) et en

Europe (Palmerus, Suède, Melhuish and Moss, Angleterre, Geneviève Balleyguier, France, Ahnert,

RDA, in Pierrehumbert, 1992). En ligne de fond, il s’agissait de savoir si les enfants élevés en

crèche développaient un sentiment d’insécurité néfaste à terme. À cette date, le contexte intellectuel

est agité des controverses autour des thèses à succès de Bowlby sur l’attachement, qui donnent des

arguments aux courants politiques et sociaux réticents ou hostiles au travail des mères de familles

considéré comme anxiogène pour leurs enfants. Nous n’avons pas trouvé de recherches consacrées,

au même moment, aux effets du travail précoce sur le développement psychologique des jeunes

enfants, pour lesquels se sont seulement les carences biologiques (effets sur poids, taille, maladies,

handicaps divers) qui sont soulignées par le Rapport du Bureau International du Travail (BIT,

1996). Tout se passe donc comme si une « pédagogie de la petite enfance » ne pouvait émerger, en

tant que discours thématisant des pratiques éducatives instituées et les mettant en débat, que lorsque

se trouvait assurée de façon régulière la satisfaction des besoins primaires (alimentation, sécurité,

soins), ce qui n’est pas le cas en situation de guerre, de conflits sociaux, de pauvreté ou de précarité

économique. Les débats actuels sur les pédagogies de la petite enfance sont marqués par les

préoccupations exprimées dans le cadre de l’OCDE, dans des pays où les classes supérieures

demandent un mode d’accueil qui tienne compte des individus, enfants et parents. Il ne suffit plus

de veiller à la qualité des soins et de l’hygiène (Pierrehumbert, 1992).

On peut même se demander si les analyses discursives qui décrivent des évolutions internationales

convergentes ne sont pas des artefacts produits par le comparatisme international (Novoa 1998,

Brougère, 2002), en particulier par l’OCDE. Le phénomène de la traduction (en anglais) oblige à

couler dans les concepts d’une langue (care, education, teaching, schooling) la description de

pratiques éducatives qui n’ont pas d’équivalent exact dans l’autre langue et de ce fait, les auteurs

sont incités à déconstruire et reconstruire leur objet, non sans risque. La terminologie usuelle des

professions est particulièrement difficile à traduire. Comme le rappelle Peter Moss (UNESCO,

Petite Enfance, n°27, 10/ 2004), le terme « pédagogie » est souvent traduit de façon approximative

par « education » et le terme « pédagogue » par « teacher ». Or, le terme teacher se réfère

clairement à une fonction d’enseignement. La profession de pédagogue, telle qu’elle a été conçue

au Danemark par exemple (cf, infra), privilégie au contraire une approche du prioritairement

relationnelle et holistique. Le pédagogue « se propose de traiter l’enfant dans sa globalité, un

enfant avec un corps, un esprit, des émotions, une créativité, une histoire et une identité sociale »

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(Moss et Petrie, 2002). Il en est de même pour les institutions éducatives. Le mot Kindergarten a

fini par être adopté tel quel en anglais tant il était spécifique, l’expression « école coranique » ne

permet de rendre compte des variantes existant entre daaras, kouttab, jamaâ ou m’sid, perçues par

un habitant d’Afrique du Nord ou d’Afrique de l’Ouest. Lorsque l’on parle en France ou en

Belgique des « maîtresses de maternelle », tout le monde « sait » que l’école maternelle n’est pas

obligatoire, que sa pédagogie n’est pas celle de l’école élémentaire, et que les maîtresses peuvent

être des maîtres. Cependant, la terminologie qui indique clairement leur appartenance au même

« corps » de fonctionnaires enseignants, dont elles partagent le niveau de qualification, le salaire et

la carrière, accentue pour les lecteurs étrangers l’assimilation du modèle préscolaire au modèle

scolaire.

Au plan international, l’essentiel des données passe évidemment par la langue anglaise et

l’existence d’un modèle dominant des normes « made in USA» est reconnu et mis en cause par des

auteurs nord-américains eux-mêmes (Canella 1997, Moss, 2001), culturellement et politiquement.

Construction artificielle qui « doit se transformer en réalité à la suite du rapport et de sa

prescription », le sigle « ECCE » (Early Childhood Care and Education, EAJE en français,

Éducation et Accueil des Jeunes Enfants) serait un pseudo-concept, une sorte de fiction d’écriture.

Il permet de concevoir un « objet produit par le rapport et devant advenir à l’existence dans le

futur » (Brougère, 2002). S’agissant des pédagogies, il est donc important de s’appuyer sur des

enquêtes de terrain décrivant des réalisations concrètes, plutôt que sur des catégories a priori et de

spécifier précisément les contextes (Lamb M., Sternberg K., Hwang C., Broberg A., 1992). C’est le

croisement de multiples sources qui permet de se représenter les points communs et les traits

spécifiques des traditions pédagogiques (y compris des « traditions d’innovation »).

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12

2. ÉMERGENCE HISTORIQUE DES PÉDAGOGIES DE LA PETITE ENFANCE

2.1. Histoire de la famille et du sentiment de l’enfance

Contrairement à l’histoire de l’école primaire, bien étudiée sous l’angle législatif, politique, social

et pédagogique au cours du XXe siècle et qui a donné lieu à de nombreuses synthèses

internationales, l’histoire des prises en charge de la petite enfance est encore parcellaire (Luc,

1999). On peut espérer une capitalisation des recherches en cours par la section de l’ISCHE

consacrée à ce sujet (International Standing Working Group for the History of early Childhood

Education). En revanche, la question des pédagogies familiales de l’enfance et de la petite enfance a

fait couler beaucoup d’encre, depuis les controverses provoquées par le livre de Philippe Ariès,

L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Publié en 1960, traduit en anglais en 1962 (avec

deux rééditions, en 1965 et 1973), traduit en italien en 1968, en allemand en 1975, il a été au centre

d’un débat historique devenu un « classique ». Pour Ariès, c’est seulement à l’époque moderne,

avec la mise en place d’institutions de prise en charge des enfants (collèges des XVIe-XVIIe siècles

pour les milieux privilégiés, écoles charitables pour les pauvres aux XVIIe-XVIIIe siècles) que se

constituent à la fois une identité enfantine séparée du monde des adultes, une représentation

explicite de cette identité et un « sentiment de l’enfance », en même temps que l’enfant devient un

objet d’investissement affectif familial. Cette évolution accompagne un premier contrôle des

naissances, par lequel la famille élargie traditionnelle, construite autour du patrimoine, des liens de

filiation ou d’alliance et non de sentiments, laisse progressivement place à la famille nucléaire

moderne, réduite au « petit noyau » des parents et enfants. La limitation volontaire du nombre

d’enfants permet un investissement social sur leur avenir et un investissement affectif sur leur

personne singulière.

Cette modélisation de longue durée est rapidement critiquée ou rejetée. Pour David Hunt (1970),

Ariès parle de l’enfant, mais occulte l’étape de la « petite enfance », avant l’âge de sept ans, ce qui

lui donne une vision déformée des relations entre parents et enfants. Il méconnaît ainsi les acquis de

la psychologie contemporaine, qui accordent un poids décisif aux premières années de la vie. Or,

Hunt a retrouvé des documents rares mais significatifs pour reconstituer les étapes de l’évolution

des tout-petits aux temps anciens. Il s’appuie sur le journal du médecin Héroard qui a consigné des

observations quotidiennes sur les premières années du petit Louis XIII. Hunt interprète ces

observations et remarques à la lumière des théories culturalistes d’Erikson (1963). La psychologie

des individus étaient spontanément considérée par les historiens comme suffisamment stable à

travers les siècles et les civilisations, pour qu’elle puisse être interprétée avec des catégories de sens

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commun. Les travaux d’Ariès ont battu en brèche cette confiance et ouvrent à des débats

d’interprétation sans fin. Lloyd de Mause (1982) pense que le sort des enfants n’a cessé de

s’améliorer et qu’Ariès minimise les mauvais traitements infligés jadis à des enfants, toujours en

passe d’être « tués, battus, terrorisés et sexuellement utilisés ». Les critiques des historiens français

portent davantage sur la fonction des institutions (Snyders, 1965) et la disjonction entre

représentations et réalités : il a pu exister au Moyen-Age un sentiment de l’enfance, sans

élaboration discursive ou relevant d’autres élaborations discursives (religieuses, plutôt que

profanes, par exemple), sentiment perceptible à travers l’évolution des représentations de l’enfant-

Jésus. Mais l’idée que « l’amour maternel » soit un instinct ou un invariant historique est

évidemment intenable (Badinter, 1980). On ne peut décrire une société seulement à partir de la

conscience qu’elle a d’elle-même ou de l’image qu’elle veut donner d’elle-même (Pour une

synthèse des critiques, Julia, in Becchi et Julia, dir., 1998). Cette question n’est pas « théorique » :

elle concerne directement tous les systèmes politiques qui ont voulu ou veulent par l’éducation

promouvoir un « homme nouveau », que ce soit la France, la Russie ou la Chine révolutionnaires,

l’Allemagne du IIIe Reich ou d’autres états à visée totalitaire, avec l’appui ou non des cadres

religieux (selon des modalités variables selon les pays et les cultes).

Cependant, le livre pionnier d’Ariès a en quelque sorte ouvert les voies de nouvelles études sur

l’enfance et la petite enfance, même si les problématiques historiques ont été puissamment

infléchies entre 1970 et 2000 par les mutations contemporaines des temporalités structurant les

étapes de la vie. On peut en énumérer quelques unes : prises en charge de plus en plus précoces

dans des structures collectives, sur le modèle scolaire des classes d’âge ; avancement de la puberté

et recul de l’entrée dans l’âge adulte ; allongement des études, de la dépendance économique ;

cohabitation juvénile, baisse de la nuptialité, recul de l’âge du premier enfant et médicalisation de

la procréation. Il devient d’autant plus difficile de ne pas projeter rétrospectivement les évidences

contemporaines sur les réalités passées. Comme d’autres s’y essaient en comparant les éducations

familiales contrastées des différents pays du monde, en s’appuyant sur les méthodes des

anthropologues ou des sociologues, les historiens s’emploient aujourd’hui à dater et interpréter ces

multiples évolutions sociales ou mutations culturelles qui touchent directement ou indirectement au

statut de la petite enfance.

2.2. Naissance des institutions d’accueil de la petite enfance en Europe

En revanche, dès que l’on quitte l’histoire de la famille pour se tourner vers l’histoire de la

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pédagogie, les publications sont prioritairement appuyées sur les écrits des innovateurs, mais sans

distinguer davantage enfance et petite enfance. La diatribe de Rousseau contre les maillots qui

garrottent les enfants et les chariots ou parcs qui les emprisonnent (Émile, 1762) et le traité de

Pestalozzi (Comment Gertrude instruit ses enfants, 1801), constituent des passages obligés, plaidant

pour une prime éducation qui laisse l’enfant « vivre son enfance » de façon spontanée. Ce sont aussi

des plaidoyers pour l’allaitement maternel, critiquant le recours des mères dénaturées à des

nourrices mercenaires, ce qui manifeste un nouveau regard des milieux privilégiés sur les

« besoins » du bébé (Badinter, 1980, Garnier, 1994).

Des expériences pédagogiques fondatrices constituent également des références connues, car

chaque pays n’a cessé de revendiquer l’antériorité des initiatives nationales par rapports aux

influences étrangères. Dans certains cas, la caractérisation de la pensée pédagogique d’un auteur se

fait autant par l’évocation de l’institut modèle qu’il a conçu que par sa postérité : Pestalozzi (1805-

1815) et l’institut d’Yverdon, les expériences de Bell et Lancaster sur le monitorial system (1798-

1810), l’infant school fondée par Owen en Écosse en 1816, le Kindergarten de Fröbel à

Blankenburg en 1837, les scuole infantili de l’abbé Ferrante Aporti à Crémone en 1828, sans

compter au XXe siècle, les lieux « mythiques », attirant des éducateurs du monde entier. On peut

citer la Casa dei bambini de Maria Montessori créée à Rome en 1909, l’École de l’Ermitage de

Decroly à Bruxelles, la Maison des Petits lié à l’institut Jean-Jacques Rousseau à Genève autour de

Cousinet et Piaget, les écoles Waldorf fondées par Steiner qui furent interdites par Hitler, l’école

« libre » fondée par Freinet après son éviction de l’Éducation Nationale, ou plus près de nous, la

célèbre école de Neil à Summerhill. Malgré le caractère superficiel des visites, les relations faites

permettent des constats directs sur les conditions matérielles, l’organisation des activités, les

relations entre adultes et enfants, mais la marge est toujours étroite entre reportage et hagiographie,

puisque les visiteurs, souvent conquis d’avance, voient ce qu’ils ont entendu ou lu avant de venir.

L’étude des archives soviétiques défait aujourd’hui les fantasmes que le Poème Pédagogique

(1934) de Mararenko avaient pu faire naître autour de l’éducation communiste par le travail dans les

internats destinés aux jeunes orphelins et délinquants (Berelowitch, 1984, 1990, Caroli, 2004).

Cependant, il s’agit là d’institutions exemplaires concernant des enfants de plus de trois ans, ce qui

signifie des enfants sevrés, propres, sachant marcher, parler, se nourrir seuls, autonomes dans leurs

déplacements. Elles sont de ce fait prioritairement comparées aux prises en charge ordinaires qui

leur font face (institutions pré-scolaires, école maternelle ou élémentaire), pour souligner les écarts

(refus des apprentissages formels, de l’enseignement précoce du lire-écrire-compter comme dans

les Kindergarten) ou les continuités (première initiation aux lettres, apprentissages de comptines et

chansons, exercices sensoriels et moteurs destinés à faciliter les apprentissages scolaires, comme

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dans les salles d’asile françaises ou italiennes, puis dans l’école maternelle française ou belge).

On ne trouve pas d’établissements concernant la toute petite enfance avant que l’allaitement

artificiel par biberon permette de se passer des nourrices. Les tétines de caoutchouc se répandent à

la mi-XIXe siècle, les laits de substitution s’améliorent avec la pasteurisation. Les pouponnières

recueillent des enfants placés, abandonnés ou malades, tandis que les crèches (nido en Italie, Krippe

en Allemagne, nursery en Angleterre) qui apparaissent au tournant du XIXe-XXe siècle mais se

développent dans l’entre-deux-guerres, assurent l’accueil à la journée d’enfants bien portant non

sevrés. Toute une « pédagogie de la prime enfance », a longtemps été assumée par les Églises qui,

condamnant l’infanticide, ont créé des ordres charitables pour recueillir, baptiser et le cas échéant,

éduquer chrétiennement les enfants abandonnés ou orphelins , mais ils mourraient généralement

avant un an. Ces prises en charge passent progressivement sous la surveillance des médecins et de

l’Assistance publique. La nette amélioration de leur espérance de vie conduit l’État à organiser la

tutelle de cette population importante (presque 20% d’une classe d’âge vers 1900) à travers

l’Assistance publique qui les place jusqu’à treize ans dans des familles paysannes (Jablonka, 2006).

Les médecins du XIXe siècle cherchent également à faire l’éducation des mères à l’occasion de la

surveillance des nourrissons et par de nombreux traités médicaux sur l’alimentation, l’hygiène

corporelle (pour une synthèse, Luc, 1998). Dès avant la première guerre mondiale, certains courants

éducatifs en Allemagne et en Autriche prennent en compte les thèses de Freud ou de la nébuleuse

psychanalytique, sur la vie affective des bébés. Dans les crèches, la question obsédante reste

longtemps celle des risques épidémiques, avant les campagnes de vaccination. La dimension

relationnelle de l’attachement qui accompagne les soins primaires (rituels de l’alimentation, de la

toilette, du sommeil) ne sera soulignée par les psychanalystes qu’à partir de la deuxième guerre

mondiale, en particulier par Winnicott, constatant les dépressions de nourrissons pourtant

parfaitement « soignés » en hôpital, qu’il décrit comme le symptôme de « l’hospitalisme ». Ce

courant a eu des répercussions politiques importantes sur l’analyse des carences maternelles dans

les années 1960 (OMS, 1961), à une époque où la guerre froide conduit à critiquer tout ce qui

ressemble au modèle collectiviste. La « critique de la critique » s’effectue dans les années 1960-70.

Sur le versant des institutions exemplaires inventées dans un régime socialiste, on trouve la crèche

de Budapest dirigée par Emi Pickler, qui a conçu des modalités d’accueil originales, avec une

présence vigilante mais peu intervenante des puéricultrices. Cette expériences est importante en

« théorie » autant qu’en pratique, puisque toutes les institutions ont spontanément adopté le modèle

de la relation maternelle comme référence indépassable pour penser les prises en charge collectives.

Or, Emi Pickler a conçu un mode de prise en charge nullement calqué sur le modèle maternel, mais

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manifestement bénéfique aux enfants, qui permet de penser des modèles alternatifs à la famille de

façon outillée. Le livre de Myriam David et Geneviève Appel, Loczy ou le maternage insolite

(1973), qui présente cette expérience pilote a eu un certains écho chez les professionnels, mais il est

resté inconnu du grand public, alors que d’autres lieux ont connu la gloire des médias, créant de

nouveaux mythes, comme l’école orthogénique de Chicago où travaillait Bruno Bettelheim, par

exemple (Neyrand, 2000, 2003).

2.3. Les trois grandes modalités de prise en charge au XIXe siècle et leur diffusion

Enfin, les études historiques permettent de comparer les législations concernant la petite enfance

dans les différents pays d’Europe, ce qui a permis d’établir un premier schéma d’évolution en trois

grandes étapes, plus ou moins décalées dans le temps. L’essor des institutions de prise en charge

collective est contemporain de la première industrialisation, qui requiert une main d’œuvre féminine

(dans les ateliers de textile, mais aussi dans la grande industrie), à partir de la fin du XVIIIe siècle

en Angleterre, dans les années 1820 en Allemagne et en France, plus tard dans les autres pays

d’Europe. Les pédagogies de la petite enfance qui accompagnent les nouvelles institutions semblent

donc découler presque nécessairement de cette mutation économique, qui expliquerait les décalages

entre les différentes législations nationales (Histoire de l’éducation, 82, 1999).

Dans une étape pré-pédagogique, la prise en charge est assumée par des personnels sans

qualification : garderies en France, écoles gardiennes en Belgique, Spieshule en Allemagne,

Speelschools en Hollande, Dame Schools au Royaume Uni, scuole delle maestre en Italie. Succède

une deuxième étape : temps des infant schools, portées par les idées nouvelles, cherchant à porter

assistance et éducation, à travers des institutions encadrées et surveillées par leurs fondateurs (infant

schools au Royaume Uni, salles d’asile en France, Kleinkinder-Bewahranstalen en Allemagne,

bewaaarscholen aux Pays-Bas, écoles gardiennes en Belgique, escuelas de parvulos en Espagne,

scuole infantili en Italie). Ces initiatives sont portées par des institutions caritatives, religieuses ou

philanthropiques, avant d’être relayées par les autorités politiques, municipales (Belgique, Italie),

régionales (Angleterre, Allemagne) ou étatiques (France). La troisième étape commence dans les

années 1840 en Allemagne, mais ne parvient en Espagne que dans les années 1870. C’est celle du

« jardin d’enfant », non confessionnel, porté par courants libéraux ou progressistes, marqué par le

génie visionnaire et romantique de Fröbel, qui bannit les apprentissages précoces (le « lire-écrire-

compter ») au profit du jeu libre, et s’adresse, grâce à un matériel pédagogique centré sur ses

besoins spécifiques, à des enfants de toute origine sociale.

Les différents pays d’Europe où s’inventent les pédagogies précoces de la petite enfance, semblent

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être restées durablement marqués par ces deux modèles au XXe siècle. En effet, ils ont développé

soit des institutions gratuites pour les enfants de milieu populaire (modèle de l’assistance sociale, en

Angleterre, ou dans l’Allemagne fédérale de l’après-guerre), soit des institutions ouvertes à tous les

milieux, jardins d’enfants (Suède, Danemark, Pays-Bas), salles d’asile, écoles maternelles gratuites

(Italie, France, Belgique). Les modèles familiaux qui dominent dans chaque pays (mère active ou au

foyer) et les conjonctures économiques variables (demande ou non de main d’œuvre) expliqueraient

l’inégalité des fréquentations précoces et en conséquence, les investissements inégaux des pays en

faveur de ces prises en charge. Cependant, à la fin du XXe siècle, le modèle du jardin d’enfants

public ou de l’école maternelle publique, qui sont l’un et l’autre des lieux d’éducation globale,

requérant des professionnels de haute qualification, finirait par s’imposer partout, tout en faisant

place aux particularismes nationaux (horaires d’ouverture, taux d’encadrement, organisation des

activités). Ainsi, l’accent sur les premiers apprentissages serait plus fort quand la tutelle est celle du

ministère de l’Éducation Nationale, comme en France et en Belgique, alors qu’on privilégie le jeu

quand on reste dans des institutions conçues historiquement comme séparées de l’école, comme

c’est le cas dans les pays nordiques ou en Allemagne.

2.4.Les questionnements des recherches historiques actuelles

Cette vulgate repose sur une conception implicite du progrès, liée à la modernisation et aux idées

nouvelles. Des pionniers (comme Rousseau et Pestalozzi, dont s’inspire Fröbel), auraient conçu des

projets d’avant-garde, qui auraient été malheureusement freinés par les conservatismes idéologiques

(religieux, politiques, sociaux), par le faible engagement budgétaire des États, ou encore dénaturés

par des réalisations sans moyens (classes trop nombreuses, matériel insuffisant, personnels non

qualifiés). Les auteurs qui ont contribué à construire cette vulgate se sont davantage employés à

caractériser les projets pédagogiques qui ont porté les réalisations qu’à décrire leur fonctionnement

ordinaire sur le terrain et ont peu de matériel empirique. L’histoire des « grands pédagogues », la

confrontation de leurs idées sur l’éducation de la petite enfance mobilisent toujours les chercheurs,

attachés à éclairer la pensée de Fröbel ou Pestalozzi (Soëtard, 1987, 1990), la philosophie des

Lumières (Dajez, 1994) ou aux sources piétistes de l’école maternelle (Chalmel, 1996). Or les

recherches qui ont le plus mis en cause la « vulgate », sont celles qui s’intéressent moins à l’histoire

des idées qu’à celle des pratiques, ainsi qu’à des aspects sous-estimés de la demande sociale (Luc,

1997). Toute une série de constats empiriques n’entrent pas dans ce cadre trop bien tracé des

innovateurs pionniers, concevant de nouvelles institutions pour l’enfance qui restent longtemps

isolées, tolérées ou même admirées tant qu’elles restent à l’état d’exception, mais qui sont rejetées

par les préjugés sociaux et les résistances politiques en tant que modèles à généraliser.

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Ainsi, les gardiennes privées, qui commençaient à alphabétiser les enfants (Dame schools), sont

unanimement stigmatisées par les créateurs des infant schools ou Kindergarten, mais continuent

longtemps d’avoir les faveurs des milieux populaires, quand les deux offres sont en concurrence.

Les descriptions catastrophiques des fondateurs d’écoles qui dénoncent le manque d’espace,

l’absence d’hygiène, les mauvais traitements, l’incompétence des gardiennes, deviennent alors

suspectes de partialité (Luc, 1999). L’école maternelle française ouverte à tous les enfants par statut

est restée une école populaire, sinon ouvrière, jusqu’aux années 1950 (Plaisance, 1986). La liaison

entre industrialisation, travail des femmes et pré-scolarisation n’est pas aussi nette qu’on l’a

longtemps cru : nombre d’écoles sont créées dans des lieux non industriels, les mères de milieu

populaire sont souvent femmes au foyer (Thivend 1999), et une demande de préscolarisation est

présente dans les classes supérieures ou moyennes dès l’origine. Le rejet d’un enseignement

précoce dans les jardins d’enfants (lire-écrire-compter) n’est pas toujours ressenti comme un

progrès, en particulier en milieu populaire, où l’on conçoit mal qu’un professionnel soit payé pour

« faire jouer les enfants ». Il devient moins nécessaire de commencer l’alphabétisation de façon très

précoce quand les législations interdisent le travail avant douze ans dans divers pays d’Europe au

cours des années 1860-80 (Chassagne, in Becchi et Julia, 1996/1998) et garantissent à tous une

durée de scolarité plus longue. Les visées sociales des jardins d’enfants ne sont guère compatibles

avec des horaires de scolarisation à la demi-journée quand les mères travaillent ; certains choix

(l’éviction des hommes de leur encadrement, alors qu’ils sont nombreux à s’y investir jusqu’à la

mi-XIXe siècle) sont interprétés tantôt comme une déqualification (liée à la féminisation), tantôt

comme une étape importante de l’émancipation féminine des tutelles masculines.

Bref, la recherche historique est actuellement en phase de révision des vulgates (Luc, 1999,

Depaepe et Simon, 1999), avec l’ouverture de chantiers empiriques circonscrits (études des

politiques municipales, monographies d’établissements, analyse des débats et prise en compte des

conjonctures nationales, démographiques et culturelles). Le regard des historiens se porte

actuellement vers les pays qui mettent en place des prises en charge « intégrées », allant des

premiers mois de la vie à la fin de l’école de base, selon des modalités diverses (Danemark, Suède,

en particulier) et recherchent les traditions ou les héritages qui peuvent rendre compte de ces

spécificités nordiques.

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3. LES PÉDAGOGIES DE LA PETITE ENFANCE AU FIL DU XXe SIÈCLE

3.1. Les nouvelles théories de référence : psychanalyse, psychologie différentielle, psychologie

génétique

Au début du XXe siècle, trois courants d’études scientifiques bouleversent en quelques générations

les représentations de la petite enfance. La psychologie expérimentale et la psychanalyse naissent

avant 1914, mais leurs effets sur la culture des éducateurs ne se feront massivement sentir qu’après

la seconde guerre mondiale. En revanche, la psychologie du développement qui apparaît entre les

deux guerres a des retombées immédiates sur les pédagogies de la petite enfance. Les noms de

Binet (1857-1911) et Freud (1856-1939) représentent les deux premiers courants, celui de Piaget, le

troisième, mais sont évidemment des « emblèmes » permettant de regrouper toute une nébuleuse de

recherches qui interfèrent de façon souvent conflictuelle avec des enjeux idéologiques. Ainsi, le

débat entre les deux éminents représentants francophones de la psychologie de développement,

Wallon (1879-1962) et Piaget (1896-1980), est surdéterminé par des oppositions politiques. Wallon

est proche du Parti Communiste tandis que le suisse Piaget est une référence « libérale » pour

l’UNESCO, tout comme le psychologue américain Gesell (1880-1961) qui décrit les étapes du

développement psychique et intellectuel de l’enfant entre la naissance et la fin de la scolarité. Leur

influence dépend donc en partie de l’orientation idéologique des universitaires, variable selon les

pays et les conjonctures historiques : le nom de Wallon apparaîtra comme une référence

« marxiste » sous les dictatures d’Amérique latine. À partir des années 1980, Wallon est oublié et

Piaget en recul, tandis que monte la cote du psychologue russe Vygotski (1896-1934), traduit en

anglais dès 1960, mais dont les thèses n’ont été popularisées en Europe qu’après un détour par les

Etats-Unis, en particulier grâce au psycholinguiste américain Bruner (Bruner, 1983, Bronckart et

Schneuwly, 1985).

De l’approche expérimentale de Binet, on a surtout retenu les enquêtes sur les performances

scolaires des enfants (1904), à l’origine de la méthode des tests d’intelligence et de l’invention de

classes spéciales pour les déficients intellectuels inaptes à suivre le curriculum normal imposé à

tous par la scolarité obligatoire (Binet et Simon, 1907). Là où la psychiatrie traditionnelle opposait

normalité et pathologie, Binet introduit un continuum, à partir d'épreuves de type scolaire. Si

l'enfant débile profond est celui qui ne peut pas parler, le débile moyen est celui qui n'apprendra

jamais à lire, le débile léger, celui qui peut être instruit par une pédagogie adaptée à sa lenteur. La

maîtrise de la langue écrite devient ainsi un critère de la normalité et la rapidité d'apprentissage un

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indice pour détecter des intelligences précoces, donc supérieures. La capacité à apprendre à lire

devient un critère constitutif de l'intelligence humaine, au même titre que la capacité à parler (Vial,

1990, et Vial in Becchi, 1996) Toutes les pédagogies de la préscolarisation seront marquées par

cette continuité, qui fait de la maîtrise de la langue écrite une étape manifestant la normalité de

l’intelligence enfantine. Alors que seul le langage oral était conçu comme un attribut de la nature

humaine, l’écriture, cette technologie culturelle qui a fait passer l’humanité de la préhistoire à

l’histoire, est ainsi naturalisée à l’orée du XXe siècle, comme si l’appartenance à des sociétés

d’écriture était devenue une donnée universelle. Les illettrés modernes seraient des « anormaux »,

puisque la norme de l'intelligence s'inscrit désormais dans les formes scolaires de la pensée et du

raisonnement, c'est-à-dire dans la langue écrite.

La banalisation de la psychanalyse a fait oublier le scandale théorique de ses thèses, qui posent,

elles aussi, la question du normal et du pathologique. Mais alors que la psychologie de Binet

s’intéresse à l’intelligence de l’enfant mesurée par comparaison aux performances scolaires de sa

classe d’âge, en acceptant les exigences sociales du temps, Freud part de la vie pulsionnelle du

nourrisson et du petit enfant, pour reconstruire la genèse psychique de l’individu. Le petit enfant

que nous avons été reste enfoui dans l’histoire individuelle de chacun de nous, avec ses désirs

amoraux, ses refoulements, ses amnésies, ses interdits. Les événements de la prime enfance

(naissance, alimentation au sein, sevrage, apprentissage de la propreté, relations aux parents de l’un

et l’autre sexe) peuvent être subis comme des drames (traumatismes, complexes, culpabilité,

autopunitions) transmis inconsciemment de génération en génération. Les usages de la

psychanalyse dans le champ éducatif (à la suite d’Anna Freud) donneront lieu à des controverses

sans fin, mais la relation aux bébés et aux petits enfants sera durablement marquée par un principe

de précaution, inédit dans l’histoire des soins aux tout-petits. Ce principe de précaution

psychologique, relayé par de nombreux médias de vulgarisation (revues grand public, missions de

radio ou de télévision) fait partie des normes communes, sinon des évidences assimilées en

pratique, dans les pays développés, mais il n’est nullement une donnée mondialement reconnue.

Dans les pays qui n’ont pas encore fait leur la culture éducative issue de ces courants

psychanalytiques popularisés auprès des classes moyennes occidentales par le Dr Spock (1946) et

bien d’autres à sa suite (voir infra), il est difficile d’admettre que la fonction d’éducateur de la petite

enfance soit une spécialité exigeant des qualifications de haut niveau, alors qu’elle est

spontanément conçue comme la simple prise en charge bienveillante de besoins primaires (manger,

dormir, être lavé, vêtu et surveillé).

Enfin, la psychologie génétique, ou psychologie du développement, est « une sorte de troisième

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voie entre la psychanalyse et la psychologie métrologique » (Becchi, 1996). Piaget cherche

comment sont acquis certains savoirs qui ne relèvent d’aucun apprentissage scolaire (la permanence

de l’objet, la réversibilité des propositions, la réciprocité de la pensée) mais qui conditionnent tous

les apprentissages. Il voit dans l’enfant un être égocentrique, qui se socialise en se décentrant, sur le

plan verbal (Le langage et la pensée chez l’enfant, 1923), sur le plan moral (Le jugement moral chez

l’enfant, 1932), et plus encore sur le plan cognitif (La représentation du monde chez l’enfant, 1926,

La construction du réel chez l’enfant, 1937, La genèse du nombre chez l’enfant, 1941). Pour

Wallon, occupé à faire de la psychologie une science théorisant les interactions du biologique et du

social, ce sont les émotions qui constituent la base de la communication humaine. Ces réactions

corporelles du nourrisson, manifestant le plaisir, la colère ou la peur, sont pour la mère un mode

d’échange interprété comme un langage (« il veut me dire que »). Pour Vygotski, l’enfant est

également étudié comme constructeur de sa propre maturation, intériorisant progressivement son

dialogue avec le monde extérieur, source de ses pensées intérieures. Les interactions avec le monde

humain sont donc décisives dans son évolution, ce qui explique l’intérêt des psychologues du

langage, comme Bruner, pour une théorie conçue dans l’URSS des années 1930, mais qui donne

une voie théorique pour penser les effets éducatifs structurants des actions étayées par l’adulte

(Vygotski, trad.1962) en particulier dans le dialogue précoce avec les bébés ou les jeunes enfants

(Bruner, 1971, 1983). Dans la mesure où ces orientations de recherche s’intéressent toutes au

processus dynamique au long duquel l’enfant construit ses apprentissages (émotionnels, sociaux,

intellectuels), elles sont globalement qualifiées de «constructivistes », par opposition aux théories

de l’apprentissage centrées sur l’acquisition par tâtonnement aléatoire, transmission directe ou

exercices progressifs d’entraînement. Elles ont donc eu une forte influence sur les représentations

de l’enseignement, sur la critique des formes de transmission magistrale (cours frontal à apprendre

et restituer) ou sur les exercices d’entraînement (montage d’automatismes par répétition).

Les « stades de développement » ont été définis par la psychologie génétique occidentale (Wallon,

Piaget, pour l’Europe, Gesell, pour les Etats-Unis) dans des pays développés où, depuis presque un

demi-siècle, la scolarisation obligatoire commence à 6 ans (France, Suisse, Etats-Unis). Les théories

psychologiques intègrent donc des réalités institutionnelles comme si elles étaient « des données de

nature » (Hurtig, in Hurtig et Rondal, 1980, t.1, p. 22). Piaget constate jusqu’à deux ans de décalage

quand il fait passer ses « tests » de développement cognitif dans des pays où la scolarisation est

moins précoce, comme l’Iran, mais ce retard ne remet pas en cause l’ordre de développement dont

il a décrit les stades. Les recherches conduites aux États-Unis intègrent comme une donnée le fait

que tous les enfants américains commencent à apprendre à lire entre 5 et 6 ans dans une classe de

Kindergarten, et le célèbre manuel de Gesell adopte un découpage en trois étapes qui suit le

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curriculum américain, distinguant le jeune enfant de 0- à 5 ans (1940), l’enfant de 5 à 10 ans (1946),

et l’adolescent de 10 à 16 ans (1956). Ces bornes chronologiques, historiquement construites,

deviennent des référents scientifiquement légitimés et donc des normes institutionnelles pour

d’autres pays du monde. En France, la scolarisation maternelle étant possible à deux ans et l’école

obligatoire à 6 ans, on distingue trois étapes (0-2 ans : bébé ou nourrisson ; 2-6 ans : petite enfance ;

6-11 ans : enfance). Les frontières définies par les institutions montrent cependant les

superpositions des étapes (2 mois-3/4 ans : crèche ; 2/3-6 ans : cycle des premiers apprentissages ;

5-8 ans : cycle des apprentissages fondamentaux).

Ainsi, la psychologie de Binet a produit une idéologie de la précocité et du retard lié à une « échelle

métrique de l’intelligence » puis à une comparabilité générale des intelligences individuelles par le

biais du quotient intellectuel, idéologie particulièrement en phase avec une société où le classement

scolaire devient une norme de pronostic et d’orientation des individus. La culture psychanalytique a

fait proliférer les discours interprétatifs en tout genre, donnant sens et valeur à des conduites jugées

auparavant « insignifiantes » et elle a produit une pédagogie de la précaution (tout s’amnésie, mais

rien ne s’efface) entretenant de façon diffuse un sentiment de responsabilité/ culpabilité des adultes

éducateurs, principalement des mères, à l’égard des problèmes de leurs enfants. Il s’agit d’éviter les

traumatismes, les chocs émotionnels, les ruptures brutales, le non-dit, mais aussi les injonctions

contradictoires ou les situations de « double nœud ». Quant aux psychologies génétiques, elles ont

soutenu les pédagogies de la libre activité, du jeu créatif, des interactions entre pairs, ou entre

l’adulte et l’enfant, en montrant aux éducateurs l’efficacité limitée des inculcations directives,

fondées sur la contrainte et la mémorisation. Elles ont fourni aux pédagogies référées aux méthodes

actives, largement expérimentées avant elles, une théorie légitimant le bien-fondé de démarches en

rupture avec les modes traditionnels de transmission. Il serait évidemment absurde d’imputer aux

« théories psychologiques » les changements historiques constatés dans les modes d’élevage des

enfants, dont elles sont elles mêmes un effet : au lendemain de la première guerre mondiale, alors

que les espoirs de progrès attendus de l’instruction de masse ont sombrés dans les tranchées, les

objets d’études ciblés par les psychologues ont fait la part belle à ce qui relève du dynamisme

propre de l’enfance. Ils ont donc contribué à diffuser auprès des enseignants une vision « libérale »

de l’éducation (respecter le rythme de l’enfant, faire confiance à son appétit de découverte,

s’intéresser à ses intérêts présents) en s’appuyant sur la notion de stades de développement que

l’enfant ne peut franchir ni sur injonction ni à force d’entraînements, mais qui relèvent de sa

maturation propre. Quelles que soient les remises en cause ultérieures auxquelles elles ont pu

donner lieu, les pédagogies de la petite enfance actuelle sont massivement imprégnées de ces

principes, à travers le matériel éducatif ludique, l’édition pour la jeunesse, la conception

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« holistique » d’un développement où sont conçus comme inséparables (au moins dans les discours)

vie affective, socialisation et acquisitions intellectuelles.

3.2. Le modèle du Kindergarten en Allemagne et son évolution (RFA et RDA)

C’est en Allemagne que s’est inventé le jardin d’enfants, modèle qui a essaimé dans le monde entier

(Budde, 1999). Cette institution est à l’origine très marquée politiquement : Fröbel (Soëtard, 1990)

adhère au programme républicain de la révolution de 1848-49 qui demande la séparation de l’Église

et de l’État. Considérée comme émanant d’une institution subversive, émancipée des tutelles

religieuses, dans la continuité des idées de Rousseau et Pestalozzi, les jardins d’enfants sont donc

interdits comme « éléments du système socialiste de Fröbel, dont l’objectif est de conduire à

l’athéisme ». Après l’échec de la révolution de 1848, nombre de militants politiques émigrent et

s’investissent dans des établissements d’éducation, contribuant à la célébrité de Fröbel, en

particulier en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Amérique latine, où ils créent des écoles

privées qui séduiront une clientèle privilégiée.

En Allemagne, après la levée d’interdiction par Guillaume 1er, coexistent trois grands ensembles :

les établissements préscolaires protestants, les institutions catholiques, et le réseau fröbelien, chacun

doté d’une revue spécialisée. Les Fröbeliens conçoivent les Kindergarten comme des institutions

publiques qui devraient être financées par les communes et ouvertes à tous les enfants de 3 à 6 ans.

Elles auraient pour visée l’éducation pour la vie publique, alors que l’éducation pour la vie privée

resterait du domaine de la famille. Au contraire, les institutions confessionnelles conçoivent les

garderies comme un pis-aller provisoire destiné aux mères qui travaillent. L’encadrement est assuré

par des jeunes femmes de milieu populaire, sans qualification, mais dans lesquelles les mères se

reconnaissent et les horaires d’accueil sont conçus en tenant compte des horaires de travail. De fait,

le coût élevé des jardins d’enfants, leurs horaires réduits les réservent de plus en plus aux enfants de

familles bourgeoises et contribuent à accroître la différence entre classes, alors que les garderies

sont gratuites sous l’Empire. Les exigences de Fröbel concernant la « haute qualification » des

éducatrices réservent au contraire la prise en charge des enfants à des jeunes filles de la

bourgeoisie(Budde, 1990). Il y a donc plusieurs postérités de Fröbel : l’une conçoit les jardins

d’enfants comme des lieux d’éducation qui doivent s’adapter à leur public. Les jouets, jeux, rites ne

peuvent être les mêmes pour des enfants de bourgeois ou d’ouvriers. Les Volkskindergarten de la

Baronne von Marenholtz-Bulow renoncent à la mixité sociale pour mieux prendre en compte les

contraintes de la vie ouvrière (horaire d’ouverture, référents sociaux, objectifs éducatifs). Plus

attachée à la mixité sociale, Henriette Schrader-Breymann, petite nièce de Fröbel, qui travaille

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d’abord dans un quartier populaire de Berlin, cherche surtout à recréer une ambiance familiale

d’éducation. Elle ouvre la maison Pestalozzi-Fröbel, en 1880, avec une école d’éducatrices

attenante, qui devient un établissement modèle. À partir de 1914, les femmes sont mobilisées

massivement sur les lieux de production et c’est à Berlin qu’est créé le premier « jardin d’enfants de

guerre », tenu par des éducatrices de la Maison Pestalozzi-Fröbel, dont la pédagogie fait

rapidement autorité. Pendant la guerre, 7500 établissements vont accueillir dans des conditions

précaires des groupes très nombreux (jusqu’à 200 enfants).

La République de Weimar est une période où fleurissent les réalisations innovantes en matière

d’éducation avec, pour les Fröbeliens, la concurrence de nouvelles propositions (comme celles de

Maria Montessori ou de Rudolf Steiner). À partir de 1928, la formation de toutes les éducatrices,

qu’elles se destinent aux garderies ou aux jardins d’enfants, s’effectue en deux ans après un cursus

secondaire (dispositions qui seront reprises en 1945 et vaudront jusqu’en 1967). Alors que les liens

corporatifs entre les institutions sont ainsi renforcés et que l’offre d’accueil est accru, le projet de

législation commune pour tous les établissements d’éducation (1924 : loi sur la Jeunesse

Reichsjugensdgesetz) achoppe finalement sur la crise économique. Les Offices de la jeunesse

(Jugendämter) qui devaient assurer la gestion des établissements ne seront pas financés. En 1930,

on compte en Allemagne 7290 jardins d’enfants, qui offrent 420 000 places.

Le 3e Reich impose aux différentes institutions une séparation claire des rôles masculins/ féminins

(jeux, jouets) et les éducateurs sont chargés d’inculquer aux enfants l’amour du Fürher. Les

institutions jugées non conformes sont fermées (écoles Montessori, jardins d’enfants Waldorf, créés

en 1920 près de Stuttgart par Rudolf Steiner). L’Association Fröbel doit se saborder en 1938 et sa

revue Kindergarten devient Nationalsozialistische Volks wolhfahrt (NSV), la revue de l’assistance

publique nazie. En 1939, les jardins nationaux accueillent 700000 enfants dans 13400

établissements. L’objectif est de les nationaliser tous, mais il ne sera que partiellement rempli (les

catholiques perdent la gestion de 1200 Kindergarten sur 5200, les protestants 400 sur 2855, etc). Au

fil de la guerre, se multiplient les centres d’accueil précaires, encadrés par des jeunes filles sans

qualification.

Après guerre, l’urgence est l’ouverture d’orphelinats pour les enfants abandonnés et la

dénazification des personnels responsables. Elle est la même à l’Est et à l’Ouest, mais les politiques

de la RDA et de la RFA vont évoluer de façon profondément divergente (Budde, dir.,1997). En

RDA, la loi de 1950 sur « la protection des mères et des enfants ainsi que sur le droit des mères »

s’engage à multiplier crèches et jardins d’enfants, en valorisant l’égalité des sexes par le travail. Le

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besoin de femmes dans la production légitime l’investissement d’Etat dans les prises en charge

collectives gratuites. Les jardins d’enfants font partie du système d’éducation (loi 2 décembre

1959), puis du système scolaire socialiste unifié (loi 25 février 1965), mais faute de moyens

suffisants, ils ne sont pas obligatoires et la tutelle administrative reste le Ministère de la Santé. Le

décalage est permanent entre l’ambition des objectifs affichés et les réalisations. L’encadrement est

insuffisant et des critiques publiques récurrentes sont faites aux conditions de prise en charge. En

1960, sur 12000 éducatrices, 35 % ont une formation complète, 15% ont suivi une formation

accélérée, 50% n’ont aucune formation. Le système socialiste ne promeut aucune « innovation »

pédagogique notable dans la prise en charge des enfants (contrairement à la Hongrie), mais reprend

l’héritage des institutions d’avant guerre, l’accent étant porté prioritairement sur la surveillance

médicale et la santé des enfants. Les règlements prévoient des groupes de 20 enfants de même âge,

chacun disposant de 5m2, un ratio d’un adulte pour six. Cependant, une évolution se dessine dans

les années 1970-1980 sur la prise en compte des besoins psychologiques des enfants, l’importance

d’une stabilité relationnelle (les autorités recommandent que les enfants soient suivis par les mêmes

éducatrices durant tout leur séjour). En 1989, 84 % des enfants de un à trois ans en RDA (contre 3%

en RFA) sont accueillis dans des crèches, âge habituel de la prise en charge collective, puisqu’au

delà, la mère qui garde son enfant perd ses allocations. Une étude conduite sur 400 enfants montre

que la séparation est vécue difficilement à cet âge, les enfants régressant pendant un mois ou deux.

On recommande de tenir compte de cette donnée dans les prises en charge devaient (Ahnert, in

Pierrehumbert, 1992). Après réunification des deux Allemagnes, l’effondrement de ce système

public de prise en charge, critiquable mais existant, généralisé et gratuit, est ressenti comme une

régression sociale considérable.

En RFA, l’évolution aux lendemains de la guerre est inverse. La dénazification passe par une

condamnation des prises en charge collectives, thème qui va se poursuivre ultérieurement en

direction du système socialiste de la RDA (rejet de l’endoctrinement précoce, traumatisme de la

séparation d’avec la mère) par la voix des églises mais aussi des syndicats. Le « miracle

économique » permet aux femmes de rester à la maison et tout est fait pour les y encourager. Les

directives fédérales recommandent donc aux Lander de maintenir les capacités d’accueil des jardins

d’enfants à un bas niveau (en 1950, les besoins sont couverts à 25%, en 1955 à 30%, en 1969, à 33

%). La formation des éducatrices en deux ans (définie en 1928 sous l’Allemagne de Weimar) est

réformée en 1967. Les cursus de formation des différents types d’éducateurs (garderie, foyers,

jardins d’enfants) sont alors unifiés sous le label d’« éducateurs reconnus par l’État » et formés dans

des établissements socio-pédagogiques.

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L’image diffuse dans l’opinion publique demeure celle d’une institution marquée par le modèle de

l’action caritative, puis des services sociaux, réservée aux enfants dont les mères sont obligées de

travailler pour faire vivre la famille. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les mouvements

anti-autoritaires qui font florès dans les années 1970 et inventent des solutions alternatives pour

l’éducation primaire et secondaire, ne touchent pas à la conception du préscolaire. Ils ne remettent

jamais en cause l’injonction de Fröbel, considérant que la demi-journée est le maximum de ce

qu’un enfant de moins de six ans peut supporter en vie collective. Deux éléments ont joué

récemment un rôle moteur dans la transformation des mentalités autour des prises en charge de la

petite enfance : d’une part, la chute de la natalité a montré de façon brutale qu’il était nécessaire de

rendre conciliable vie professionnelle et vie familiale, les jeunes femmes ne pouvant accepter de

faire des études longues pour se trouver ensuite réduite au programme des « 3 K » (Kirche, Küche,

Kinder). D’autre part, les résultats décevants obtenus par l’Allemagne à l’évaluation internationale

PISA ont conduit à un débat public très passionné : ne faudrait-il pas envisager une préscolarisation

plus longue, plus soucieuse de faire avancer les enfants dans des acquisitions préparant la scolarité ?

L’impératif du jeu libre, hérité de la coupure instaurée par Fröbel entre jardin d’enfants et école,

semble remis en question.

3.3. Le modèle de l’école maternelle et ses variantes : Italie, France, Belgique

La Belgique, l’Italie et la France sont trois pays où les enfants vont massivement à l’école

maternelle qui est sous la même tutelle ministérielle que l’école obligatoire. Les pratiques

pédagogiques de chaque école doivent se conformer aux orientations édictées par des textes

officiels. Cette fréquentation, décidée par les parents, est gratuite. Dans les trois pays, l’école

élémentaire commence à six ans et les écoles maternelles dont les locaux sont souvent attenants,

fonctionne le matin et l’après-midi, comme l’école obligatoire (ou presque). Pour les parents et les

enfants, ce sont des « maîtresses » qui enseignent ici et là. Les groupes d’enfants, répartis par

niveaux d’âge, sont importants : une classe peut avoir vingt-cinq élèves, parfois davantage. Sur ces

trois points, on voit les écarts avec le modèle du jardin d’enfants, où de petits groupes (de sept à

douze enfants selon l’âge), sont encadrés à la demi-journée, par des éducateurs spécialisés. En

revanche, au début du XXIe siècle, les orientations déclarées et les pratiques pédagogiques

recommandées dans les trois pays sont très proches de celles des jardins d’enfants. Il s’agit toujours,

au moyen d’activités variées, dans un environnement riche en matériel éducatif et ludique, d’aider

au développement social, affectif et cognitif des enfants, de façon « globale ». « L’école maternelle

n’est pas une école », disent les textes officiels d’Italie. Dans les trois pays, on verra des enfants

jouer librement, seuls ou en petit groupe, s’exercer à parler, chanter, réciter, peindre, dessiner,

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découper, écouter des histoires, regarder des albums, s’essayer à compter, écrire et lire. Comme

l’école maternelle n’est pas obligatoire, même si (presque) tous les enfants la fréquentent, le

« programme » qui structure les apprentissages n’a pas d’obligation de résultat affiché. Il lui est en

revanche attribué une fonction de dépistage précoce et de prévention des difficultés des enfants

(santé physique et psychique, handicap sensoriel et moteur, retard de langage, difficultés

relationnelles ou cognitives). Cependant, comme les enseignants ont le même niveau de formation,

souvent les mêmes horaires et le même calendrier que leurs collègues de l’élémentaire (en France,

ils peuvent passer d’un niveau d’enseignement à l’autre), la culture scolaire imprègne bien plus

fortement les pratiques pédagogiques que dans la tradition du jardin d’enfants fröbelien. Pourtant,

dernière ces similitudes, l’histoire de l’institution marque encore aujourd’hui les modes d’accueil

spécifiques à chaque pays (Buisson, 1887).

Italie

En Italie (Ferrrari, 1999), la massification de la scolarisation maternelle est récente : en 1968, moins

d’un enfant sur deux va à l’école maternelle (47%), alors que le taux atteint 90% en 1996, 97% en

2001 (90% dans le Sud de l’Italie). La configuration rurale de l’Italie, la présence sous le même toit

d’une famille nombreuse et élargie, la politique familialiste de l’église catholique, ont perpétué

jusqu’aux années 1970 une préférence marquée pour l’éducation des jeunes enfants à la maison. Les

pionniers de l’école maternelle italienne, avec les scuole infantili de garçons du Père Ferrante

Aporti (1828), les asili infantili, réformés par les sœurs Agazzi (1895) autour des principes énoncés

par Pasquali, la Casa dei Bambini (1907) de Maria Montessori (1870-1952) s’inscrivent dans la

mouvance caritative, philanthropique ou sociale d’aide aux populations défavorisées. Les

institutions qu’ils fondent sont religieuses ou laïques, financées par des fonds privés ou publics mais

ne relèvent pas de l’État. Ces expériences ont nourri un secteur parallèle d’écoles privées, offertes

aux enfants de milieux privilégiés. Les « écoles enfantines » ont pu être intégrées à des institutions

primaires catholiques encadrées par des ordres enseignants, les écoles Montessori, conçues au

départ pour des milieux populaires, sont devenues rapidement un réseau international d’écoles

privées très prisées, intégrant un cursus complet de formation. En Italie, les choix radicaux de Maria

Montessori qui supprime les prix et les punitions, les syllabaires et les cours collectifs, les

programmes et les examens, les jouets et les friandises (Il segretto dell’infancia, Milan,1950), l’ont

finalement desservie dans le réseau public, qui a suivi plus aisément le modèle des salles d’asile.

Les exercices physiques, la leçon de choses, le travail manuel, les jeux dirigés sont les éléments de

base d’une pédagogie, fondée non sur l’exercice mental ou la mémoire (comme dans l’asile

« ancien » où les enfants apprennent à lire en chœur), mais sur l’acquisition d’aptitudes par l’action.

« Les choses pour les actions et les actions pour les habitudes et la vie » , écrit Pasquali dans Il

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nuovo asilo (1901). C’est une pédagogie qui se ritualise facilement, qui lie éducation et hygiène de

vie, permet de faire vivre pacifiquement des groupes importants et peut être maîtrisée par des

institutrices sans grande formation théorique. Donner de « bonnes habitudes » aux enfants sera aussi

le credo des écoles maternelles françaises jusqu’aux années 1970.

Avec la montée du fascisme et la grande réforme scolaire du ministre Gentile en 1923, l’école

maternelle est reconnue comme un degré préparatoire à l’école primaire, mais avec une fonction

récréative et éducatrice, non instructrice. Elle est laissée à l’initiative de particuliers, d’associations

ou d’organismes publics autres que l’État qui garde un pouvoir de contrôle. Le personnel enseignant

doit donc avoir un certificat d’aptitude légal témoignant de son niveau de formation (délivré par les

autorités politiques, il consolide aussi le clientélisme idéologique). Le gouvernement fasciste crée

en 1925 l’ONMI (Organizzazione Nazionale per la Protezione della Maternità e dell’Infanzia)

chargé des crèches et de la politique nataliste, organisation qui ne sera abolie qu’en 1975. Les

recommandations contenues dans la Carta della scuola de 1939 (éducation virile des garçons,

amour de la patrie et de son chef) ne modifient pas l’organisation en plusieurs réseaux. En 1945, les

textes officiels réaffirment que la mère est l’éducatrice naturelle de l’enfant et que la première école

a donc une vocation « maternelle » : faire jouer, parler (en italien, non en dialecte) et agir l’enfant,

sans anticiper sur les apprentissages ultérieurs.

Après la forte demande de prise en charge dans les années du miracle économique, les nouvelles

instructions officielles paraissent en 1969. Elles perpétuent les structures locales, mais soulignent

les besoins éducatifs croissants d’une Italie en pleine urbanisation. Dans le contexte des années

1970, l’attention pour les enfants des milieux populaires se déporte des exigences hygiénistes aux

exigences psycho-pédagogiques (nouvelles normes d’éducation « libérales », souci de la libre

expression, de la créativité, culture de l’imaginaire). C’est d’ailleurs à partir des villes de l’Italie du

Nord, que naissent des expériences pionnières, l’exemple-phare étant Reggio Emilia, où Loris

Malaguzzi fonde en 1981 le Groupe national pour la petite enfance. Ces réalisations associent

fortement des politiques municipales (généralement de gauche), des réseaux de quartier impliquant

les parents, au soutien d’innovations conduites par des praticiennes de terrain, en partenariat avec

des universitaires sous la forme de recherche-action (Bonica, in Rayna-Brugère, 2000). C’est un des

lieux d’entrée remarquée des femmes en politique. Alors que 5% seulement des enfants de 0 à 3 ans

sont accueillis en crèche en moyenne, en Emilie Romagne, le taux est de 20% (1% en Campanie),

grâce à des crèches communales (sans subventions d’État depuis 1978) ou privées (Ghedini, 1992).

Le poste municipal de « coordinateur de la petite enfance » (Baudelot et Musatti, in Baudelot et

Rayna, 2002), conduit très naturellement à concevoir un système de formation intégrée allant de la

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crèche à l’école primaire, qui serait « l’école de l’enfance », comme le disent les Nuovi

orientamenti della scuola materna de 1991 (qui exigent un niveau universitaire pour les maîtres).

C’est qu’entre temps, la situation démographique a basculé. 50% des enfants de 0 à 3 ans vivent

seulement dans un monde d’adultes, gardés par leur mère ou une grand-mère (40% des mères

travaillent), sans contact avec d’autres enfants, jouant seuls ou regardant la télévision (Musatti, in

Rayna et Brougère, 2000). C’est donc aux frontières de l’école maternelle que se posent aujourd’hui

les questions : faut-il abaisser l’âge de l’obligation scolaire à 5 ans ? comment développer les

crèches et les relier à l’école maternelle ? Comment concevoir et financer des structures d’accueil

pour les moins de trois ans ? La demande de crèches est autant qu’une demande de gardiennage,

une demande de socialisation pour enfant unique (OCDE,2000).

Belgique

En Belgique (Depaepe et Simon, 1999) les écoles « gardiennes » (bewaarscolen), apparues, comme

dans d’autres pays d’Europe, à la mi-XIXe siècle, ont été créées surtout dans les villes (Hainaut,

Bruxelles, Liège), sous trois régimes qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui : l’établissement peut être

public (créé et financé par la commune ou la province), libre subventionné (régime officiel) ou libre

non subventionné (fondations, congrégations religieuses). Nombre de ces établissements, gratuits

pour les enfants de milieu ouvrier, acceptent aussi des enfants à titre payant dès les années 1850 (de

Vroede, 1982). La fondation du premier Kindergarten fröbelien à Ixelles en 1857 accélère

l'engouement des élites pour la « méthode Fröbel » et conduit à imaginer de véritables écoles avec

un personnel qualifié, de meilleures conditions d'encadrement, si bien que beaucoup de sociétés

philanthropiques passent le relais aux pouvoirs publics. Les collectivités municipales assumeront la

charge financière et la surveillance pédagogique des nouvelles institutions. Deux courants y

cohabitent durablement, non sans tensions, celui qui cherche à aligner les carrières des femmes sur

celles de leurs collègues institutrices du primaire sur le modèle français (avant 1914, les salaires ne

suivent pas) et celui qui préférerait séparer clairement les métiers, avec des écoles normales

fröbeliennes, consacrées à la formation de maîtresses pour la petite enfance sur le modèle allemand.

Cette question de la formation (Leblon, 1994) est donc une clef importante pour comprendre la

pédagogie des écoles gardiennes belges.

Jusqu’à la première guerre mondiale, Bruxelles joue en la matière un rôle d’avant-garde : la ville

recrute des jeunes normaliennes pour pourvoir les postes vacants, nomme des inspectrices et

organise des examens pour recruter les directrices (bien payées), exige une formation diplômante

pour les enseignantes en poste, met en place des cycles de conférences pédagogiques, qu'elle

maintient lorsque le gouvernement remet en place son propre dispositif. Les traitements, plus élevés

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que dans le reste du pays, augmentent de 50% en moyenne entre 1880 et 1914 (Leblon, 1994). La

rémunération et le niveau de formation des « gardiennes » varient donc selon les lieux et les

conjonctures démographiques, d’autant que la part des religieuses y est longtemps très importante

(encore un quart du personnel à la fin des années 1960). Cependant, l’image d’une école ouverte à

tous les enfants, à l’intérieur de sa communauté culturelle et linguistique (français, flamand ou

allemand), efface rapidement l’image de l’école « pour les pauvres », comme le montre la

croissance des taux de scolarisation, une des plus précoces de toute l’Europe. Plus d’un enfant sur

deux va à l’école maternelle avant 1914, trois sur quatre à la Libération (1890 : 28% ; 1900 : 49%,

1910 : 60%, 1920-30 : 63%, 1947 : 74%, 1961 : 91%, 1970 : 97 %). Le nombre d’élèves a

presque doublé à l’époque du baby-boom (passant de 293 000 en 1940 à 467 000 en 1969), puis a

diminué du fait de la régression de la natalité (1980 : 393 000 ; 1989 : 371 000). Les classes qui ont

compté jusqu’à 60 élèves n’en comportent plus qu’une vingtaine en 1990 (Depaepe et Simon,

1999).

Dans l’entre-deux-guerres, la Belgique devient un des lieux phare de la pédagogie nouvelle, au

même titre que Genève avec l’Institut Jean-Jacques Rousseau dirigé par le psychologue Claparède

(1873-1940) où Piaget conduit ses observations. La renommée internationale de Decroly (1871-

1932) et de son institution à l’Ermitage attire des pédagogues du monde entier, venus voir

fonctionner la pédagogie des « centres d’intérêts de l’enfant » et la « méthode globale »

d’apprentissage de la lecture. En 1936, c’est d’ailleurs cette orientation qui est imposée à tout le

système scolaire primaire, jusqu’aux années 1980. La croissance des années 1950-60 incite à

accentuer « la déscolarisation » de l’école maternelle, pour la rapprocher des espaces de jeu (play-

rooms) où le matériel ludique stimule la créativité inventive des enfants grâce à des jeux de

construction, de langage ou d’imitation sociale (poupées, cuisine, épicerie, garage). Le mobilier

Montessori est alors adopté partout. Les maîtresses sont encouragées à entretenir avec les enfants

des relations plus affectives, chaleureuses et informelles que par le passé, signe d’un changement

aussi dans les éducations familiales.

Dans les années 1970, la Belgique devient un État fédéral confiant la charge de l’éducation aux

Communautés (française, flamande, germanophone). Mais il existe aussi un découpage différent en

trois Régions (Flandres, Wallonie, Bruxelles-capitale) qui contrôlent et soutiennent

économiquement les communes (par exemple, pour le lancement « d’expériences pilote »

d’encadrement des jeunes enfants, OCDE, 2000). L’État fédéral intervient dans les programmes

d’aide sociale (prestations familiales, aide fiscale). Dans ce nouveau cadre politique, les trois

réseaux existent toujours. Pour la partie francophone de la Belgique, on trouve ainsi les écoles de la

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Communauté française sous contrôle direct du ministère de l’Enfance, le réseau officiel qui est

communal et laïque et le réseau libre, c’est-à-dire généralement catholique. Ces deux derniers

réseaux jouissent d’un régime de liberté pédagogique, ce qui explique, comme en Italie, une

tradition locale de projets innovants, sous contrôle des conditions de subventions. L’évaluation des

personnels et des établissements est menée par deux réseaux d’inspecteurs, issus du corps

enseignant, tandis que l’évaluation de la formation fait l’objet de recherches universitaires (Crahay,

1994). Il faut attendre les dispositifs de 1991 pour que les salaires soient définitivement alignés sur

ceux du primaire (ils le seront sur ceux du secondaire à l’horizon 2007). La formation assurée en

trois ans, non à l’université, mais dans des « Hautes Écoles » (publiques ou libres) assure un

recrutement des enseignants pour chacun des réseaux, mais exige une orientation précoce pour

l’enseignement et le niveau d’enseignement : comme en Suisse, le choix d’enseigner en « école

maternelle » détermine une formation spécifique. Ce choix a été une façon de préserver les

anciennes Écoles Normales et la transmission d’une culture professionnelle (réseau d’écoles pour

les stages, articulation entre théorie et pratique), en prolongeant la formation d’un an (niveau

licence). Ces avantages ont leur revers : les meilleurs étudiants s’orientant vers l’université, l’image

des Hautes Écoles est celle d’une formation de second rang. La question d’une formation par

l’université reste donc posée, dans le cadre européen du LMD (Licence-Maîtrise-Doctorat).La

revalorisation récente de la fonction a aussi creusé l’écart avec les auxiliaires qui aident les

maîtresses à accueillir les tout-petits (deux ans 1/2). Ces « puéricultrices » qui bénéficient d’une

formation courte, mais bien supérieure à celle des assistantes maternelles françaises (ATSEM), ont

des salaires faibles, des emplois précaires, situation qui n’est pas particulière à la Belgique (OCDE,

2000).

Deux questions sont actuellement à l’ordre du jour. D’une part, la publication des résultats de PISA

a fait apparaître les performances inégales des jeunes de quinze ans : ceux de la Flandre sont en

moyenne très supérieurs à ceux de la partie francophone. Certes, les lieux de la crise minière et

industrielle sont au sud, dans la partie francophone, mais l’opinion ne se contente pas de cette

explication sociologique. La confiance de la communauté francophone dans son réseau

d’enseignement en est ébranlée (Demeuse, 1999, 2005). Comme en Allemagne, un courant

d’opinion se dessine en faveur d’une primarisation de la maternelle (introduire systématiquement

les enfants à la lecture et à l’écriture, aux dépens du jeu libre, rendre obligatoire la scolarisation à

cinq ans, etc). L’autre question sociale urgente est celle de l’accueil des moins de trois ans et des

gardes hors temps scolaire pour les 3-6 ans. Des projets d’accueil intégré, déjà expérimentés dans

des maisons communales d’accueil de l’enfance (Pirard, 1994, 1997), sont débattus en Belgique

comme dans d’autres pays d’Europe (OCDE 2000).

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France

L’école maternelle française est contemporaine des grandes lois scolaires de Jules Ferry (1880-82),

date à laquelle elle est intégrée dans l’enseignement primaire, alors que les salles d’asile ne l’étaient

pas (Dajez, 1994). Elle accueille alors les enfants de deux à sept ans, qui est l’âge d’entrée au cours

élémentaire, le premier cours de l’école obligatoire. En 1886 (Loi Goblet), le cours préparatoire à la

grande école, dernière année de l’école maternelle, est rattaché à l’école élémentaire, ce qui permet

d’avancer d’un an la scolarisation de tous les enfants. À la campagne, la création d’une école

maternelle est impensable (les locaux sont financés par les municipalités qui n’ont aucune

obligation légale en la matière). Pour étendre cette scolarisation précoce, il est possible d’ouvrir une

classe enfantine dans une école primaire (avec une maîtresse à temps plein), ou une section

enfantine dans une école à classe unique (section qui cohabite avec d’autres cours dans la même

salle). Ces élèves sont accueillis en fonction des places disponibles.Dans les années de l’exode

rural, ils éviteront ou retarderont bien des fermetures de poste. Grâce à Pauline Kergomard,

inspectrice générale des écoles maternelles sous Jules Ferry, la scolarité est ainsi allongée,

puisqu’elle fait commencer à six ans et non à sept ans l’apprentissage de la lecture. En revanche,

l’école maternelle doit exclure les apprentissages trop précoces (en lecture et en écriture), les leçons

formelles (en morale et en « sciences ») et privilégier l’activité physique, les jeux, les chants et des

entretiens familiers. Contrairement à la Belgique et à l’Italie, la France élimine de l'école maternelle

tout enseignement confessionnel et récitation de prières. Dans l’entre-deux-guerres, l’accent est mis

sur le langage (enrichir le lexique, veiller à l’articulation et à la correction) et sur l’acquisition de

« bonnes habitudes ». La maîtresse veille à l’hygiène et au bien-être des enfants, quitte à intervenir

auprès des familles négligentes, autant qu’à la correction des gestes (tenue du crayon) et des

comportements (discipline, règles de politesse et de sécurité). Un corps d’inspectrices est

spécialement chargé de contrôler ce réseau, qui échappe à la tutelle des inspecteurs primaires

jusqu’en 1990. Des employées communales sans qualification, chargées de l’entretien des écoles,

aident aussi à la prise en charge des enfants (toilette, habillage et déshabillage, surveillance, repas,

sieste).

À la Libération, presque 27% des enfants de moins de six ans fréquentent l’école maternelle : ce

sont des enfants de milieu populaire (Plaisance, 1984, 1986). Mais, en même temps que l’école

maternelle doit accueillir les enfants du baby-boom, elle doit répondre à la demande croissante des

classes moyennes et supérieures. En 1958, 85% des enfants de cinq ans sont scolarisés, en 1970,

presque 98 %. C’est une époque de mutations considérables dans la vie économique ; l’activité

professionnelle féminine (qui avait décru entre 1900 et 1960) se remet à croître entre 1963 et 1968

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33

et « explose » après 1968 (Norvez,1990). Les taux d’inscription suivent une courbe ascendante,

mais décalée dans le temps selon les âges : les 3-4 ans sont 36% à être inscrits en 1960, ils sont

100% en 1998 (61% en 1970, 90% en 1980, 98% en 1990). La scolarisation de enfants de deux à

trois ans plafonne à un tiers (10% 1960, 15% 1970, 36% 1980). Dès la fin des années 1970, la

question de la scolarisation des deux ans est l’objet d’un débat politique et pédagogique houleux

(cf. infra). Tout le monde reconnaît que sont inadaptés pour cet âge les modes de scolarisation

ordinaires (journée entière, grands effectifs, cantines scolaires inadaptées, absence de dortoirs

aménagés), mais faut-il les améliorer ou imaginer d’autres formes de prise en charge ? La question

est redoublée du fait que les horaires d’une école ne sont pas suffisants pour correspondre aux

horaires de travail des parents. L’organisation de garderies dans les lieux scolaires, avant et après la

classe, des centres aérés le mercredi devient un enjeu des politiques municipales Les mairies font

aussi appel à certains de leurs personnels, car on ne trouve plus assez de jeunes normaliens pour

assumer ces fonctions. Les mouvements pédagogiques chargés de former les animateurs diplômés

sont sous tutelle du Ministère de la jeunesse et des sports reçoivent un nouveau public qui cherche

dans le BAFA (brevet d’aptitude à la fonction d’animateur) une qualification autant qu’une

formation. Leurs formateurs qui étaient d’anciens enseignants, militants des pédagogies nouvelles et

de l'éducation populaire dans l’après-guerre, se trouvent devant de nouvelles générations

consuméristes issues du baby-boom. La conception des loisirs éducatifs a changé.

Autre débat pédagogique, les retombées de la « crise de l’école » sur la maternelle. La prolongation

massive de la scolarité secondaire révèle empiriquement et statistiquement les nombreuses

difficultés scolaires des élèves dans les collèges et lycées. Les taux de redoublement augmentent en

amont de la classe d’entrée en sixième jusqu’à la fin des années 1960, mais les discussions sur

l’origine de l’échec scolaire divisent les sociologues et les pédagogues. C’est d’abord

l’apprentissage de la lecture qui est en cause, les difficultés des élèves étant imputées à des

problèmes pédagogiques (le débat méthode syllabique/méthode globale), psychologiques (dyslexie

ou blocage affectif), sociologiques (l’absence de livres en milieu populaire et l’omniprésence la

télévision). Mais l’école maternelle est mise sur la sellette quand c’est la langue scolaire qui est

mise en cause. Les évolutions des années 1960, saluées à l’époque comme une modernisation

bénéfique, sont relues sous un nouvel éclairage : l’abandon d’une pédagogie directive,

modélisatrice, pour une pédagogie de l’expression, de la spontanéité, a accompagné l’arrivée d’un

nouveau public privilégié, parmi les parents d’élèves, mais aussi parmi les institutrices (Berger,

1959, 1979). Les nouvelles normes pédagogiques sont celles de l’éducation des classes moyennes,

ce qui accentue la mise en échec des enfants de milieux défavorisés (Bernstein 1975, Plaisance

1986). Cette mise en accusation de l’école maternelle, considérée nationalement comme le fleuron

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indiscutable de l’école française, aura à terme des conséquences importantes. Les pédagogies et les

innovations seront désormais évaluées non plus à l’aune de l’épanouissement de l’enfant, à travers

son plaisir et sa motivation et ses progrès empiriquement constatés par l’enseignant, mais au nom

de leur efficacité à terme dans la « lutte contre l’échec scolaire » (CRESAS, 1978, 1982). La

surveillance des écoles maternelles, relevant depuis 1880 à un corps d’inspectrices autonomes, est

confiée aux corps des inspecteurs primaires : chaque circonscription réunira désormais les deux

types d’école. Il s’agit diminuer la « coupure » avec l’élémentaire, mais au prix d’une certaine perte

d’autonomie.

En 1990, la nouvelle loi d’orientation sur l’école intègre les écoles maternelles dans le maillage

administratif de l’élémentaire. La mise en place de 3 cycles d’enseignement de trois ans (Cycle 1

des premiers apprentissages, Cycle 2 des apprentissages fondamentaux, Cycle 3 des

approfondissements) réorganise le curriculum prescrit. La grande section de maternelle se trouve

appartenir au cycle 2 (des 5-8 ans, période de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture), tout en

restant inscrite dans la pédagogie « holiste » spécifique de l’école maternelle. Destinée à éviter les

redoublements et les stigmatisations précoces, à établir des continuités sur des temps

d’apprentissage plus longs, cette organisation reste difficile à mettre en œuvre pour les maîtres.

Faut-il adopter les outils scolaires de l’école élémentaire, ses manuels, la notation ? Doit-on

apprendre à lire systématiquement aux enfants considérés comme « mûrs » ? Comment se concerter

aisément avec les collègues de l’élémentaire, qui font partie de la même équipe de cycle, mais ne

travaillent pas dans les mêmes locaux ? En revanche, l’orientation de la grande section vers les

apprentissages scolaires de base en est confirmée. L’organisation du cycle 2 (les 5-8 ans) semble

une version française du modèle anglo-saxon, où l’apprentissage de la lecture se fait en trois ans, à

partir de cinq ans dans une classe fréquentée par tous (Kindergarten, aux Etats-Unis, école

obligatoire en Angleterre). Ce changement institutionnel demeure invisible pour les parents, qui

constatent la permanence de locaux et d’équipes pédagogiques séparées. Pour les enfants, le cours

préparatoire, classe d’entrée à la grande école, est toujours celle où l’on apprend à lire, étape de

changement symbolique dans le statut d’élève. Cette réforme des cycles est contemporaine d’une

réforme de la formation des maîtres,, qui aligne les carrières des maîtres du premier et du second

degré. Recrutés sur concours au niveau de la licence, les futurs enseignants, sélectionnés par

concours, ont un an (c’est-à-dire neuf mois) de formation professionnelle. La pédagogie de l’école

maternelle n’est pas une matière à option (tout enseignant primaire peut exercer en maternelle ou

élémentaire), un bref stage pratique est prévu, mais la formation est forcément ressentie comme

insuffisante. C’est sur le terrain, dans les échanges informels entre collègues, plus rarement à

l’occasion de journées ou de stages de formation continue, que se transmet une part importante des

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pédagogies pratiques actuelles.

Ainsi, en Italie, en Belgique et en France, on constate le même phénomène : au fil des années, les

parents ont « préscolarisé » leurs enfants de plus en plus tôt, du fait des politiques d’ouverture de

classes qui répondaient à une forte demande sociale, et aussi du fait de l’amélioration des conditions

d’accueil (diminution des ratios d’élèves par classe, présence d’adultes en appui). En Italie,

certaines politiques municipales ont développé plus vite qu’ailleurs la question d’un accueil intégré

de la petite enfance (0 à 6 ans), selon des modalités pédagogiques en rupture avec l’école

élémentaire. En France, tandis que la question de l’accueil des enfants divisait l’opinion, on a plutôt

assisté à une « primarisation » de l’école maternelle et cherché à rendre plus cohérent le curriculum

des apprentissages de base (grande section/cours préparatoire/cours élémentaire). En Belgique, pays

où les enfants sont accueillis dès qu’ils ont deux ans et demi, c’est la question de la formation des

maîtres, partagés entre deux modèles (spécialisation maternelle ou statut unique), et plus

récemment, les résultats scolaires inégaux des trois communautés qui font débat.

Dans les trois pays, la vie des jeunes enfants a profondément changé, puisque cette socialisation

collective fait partie des expériences massivement partagées. La configuration de l’école maternelle

a aussi changé, puisque les enfants les plus jeunes y sont de plus en plus nombreux. Du fait de cette

scolarisation précoce généralisée, de plus en plus d’enfants restent trois ans à l’école maternelle

(parfois même quatre ans, en France et en Belgique). Cette réalité rend d’autant plus visible, dans

les trois pays, la faiblesse et la segmentation des réseaux de prise en charge pour la période qui

précède.

3.4. Modes de garde, santé publique et encadrement des familles dans la France depuis 1945

Dans les années qui suivent la Libération, on assiste presque partout en Europe à une explosion

démographique dans des pays ruinés par la guerre, où l’état sanitaire des populations n’est pas bon,

et particulièrement celui des enfants que ce baby-boom rend d’autant plus préoccupant. En ville, on

manque de nourriture, de charbon pour le chauffage, de lait pour les tout-petits. Les habitations sont

anciennes, dégradées, insalubres et du fait des nouvelles naissances, surpeuplées. Dans les régions

bombardées, de nombreux quartiers sont en ruine et on redoute les épidémies. En France,

l’ordonnance de novembre 1945 qui abolit le Code de la Famille promulgué par le gouvernement

de Vichy, met en place, à des fins de prévention, une surveillance médicale systématique dans un

réseau de dispensaires médicaux de proximité, et un système de prestations familiales généralisé,

qui est fonction du nombre et de l’âge des enfants, non des revenus sociaux des familles. Les

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femmes enceintes et tous les jeunes enfants doivent faire l’objet d’un suivi médical selon une

périodicité imposée et être obligatoirement vaccinés, soit par le médecin de famille, soit

(gratuitement) dans les centres de Protection Maternelle et Infantile (PMI). À l’occasion de ces

visites médicales, les personnels des PMI (médecins, mais aussi infirmières, puéricultrices)

surveillent les grossesses, la croissance des bébés, dépistent les carences et les déficiences,

proposent des traitements, informent et conseillent les mères s’agissant des soins à donner aux

enfants (allaitement et allaitement artificiel, sevrage progressif, toilette et hygiène, maladies

contagieuses, « bobos »). Nombre d’enfants mal nourris, mal portants ou mal soignés, sont envoyés

en « cure de santé » dans des aériums à la campagne.

Ce dispositif national de santé publique, avec la tenue obligatoire d’un carnet de santé et de

vaccinations, a des conséquences considérables sur l’éducation des familles populaires en ville, les

seules qui fréquentent les PMI, les autres consultant les médecins de familles (Norvez, 1990). En

quelques années, les mœurs familiales changent : les accouchements à domicile deviennent rares, la

mortalité infantile baisse, ainsi que les accidents maternels à l’accouchement, les maladies infantiles

deviennent sans gravité. Cette éducation à la santé est relayée par l’école. Les filles qui préparent le

certificat d’études ont un programme d’économie domestique, hygiène et puériculture. Les écoliers

sont mobilisés pour aider au financement d’opérations pour envoyer « la jeunesse au plein air » par

des ventes de timbres à domicile après l’école. De nombreux instituteurs encadrent l’été des

colonies de vacances, installées parfois dans d’anciens sanatoriums ou dans des camps de tentes

prêtées par l’armée, où ils essaient d’inculquer aux enfants des habitudes inconnues des familles

(douche quotidienne, hygiène dentaire, sieste obligatoire, alimentation « équilibrée » sans sucrerie

ni alcool).

C’est auprès des PMI que se sont aussi installées les crèches urbaines destinées à l’accueil des

enfants de la naissance à trois ans. Elles sont payantes selon un tarif progressif, qui est fonction des

revenus, mais jusqu’aux années 1960, la demande des classes moyennes est faible ou inexistante : il

est leur facile, à cette époque, de trouver une aide à domicile à la journée sans grever leur budget. À

la crèche, les enfants sont soignés par des puéricultrices et des aides puéricultrices, sous la

surveillance d’un médecin. C’est seulement de façon progressive que l’encadrement ajoute des

objectifs éducatifs aux soins d’hygiène et d’alimentation et de surveillance (parler aux enfants

pendant le change et les repas, leur proposer des activités et des jeux, et pas seulement mettre à leur

disposition un matériel éducatif et des jouets sans danger).

Cette évolution accompagne les transformations sociales dans les représentations de la prime

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éducation qui n’est plus transmise pratiquement, de mère à fille, par l’expérience, mais par des

livres-guides, largement commentés dans la presse féminine. Les deux livres de Laurence Pernoud,

qui sont des best-sellers (J’attends un enfant, 1968 et J’élève mon enfant, 1972), témoignent du

succès médiatique de publications destinées à remplacer la culture orale traditionnelle. Les conseils

dispensés par Laurence Pernoud restent encore empreints de l’hygiénisme de la période précédente,

assorti d’une psychologie rassurante. Mais c’est le livre du Docteur Spock (The Common sense

book of Baby and Child Care, 1946), diffusé à plus de 25 millions d’exemplaires et traduit en

français en 1960 sous le titre Comment soigner et éduquer son enfant ? qui popularise auprès du

grand public une conception « libérale » de la prime éducation, imprégnée de psychanalyse. Contre

les recommandations médicales de l’époque qui imposaient des horaires stricts, il conseille, par

exemple, d’allaiter le bébé à la demande. Les mères ne doivent pas s’imposer un rigorisme

artificiel. Il est persuadé que des parents attentifs et bienveillants ont une compétence pratique sous-

estimée, et qu’ils doivent faire confiance à leur intuition plus qu’aux injonctions ou aux interdits des

médecins. Ces livres ouvrent la voie à toute une littérature psychanalytique sur la petite enfance,

dont Françoise Dolto sera en France la personnalité phare. Elle est absente des représentations

partagées dans les années 1950, mais pénètre les revues professionnelles et les magazines des

années 1960-1970, transformant les images de l’enfance (Chombard de Lauwe, 1971). La question

des méthodes contraceptives, diffusées dans les centres de Planning familial depuis 1956, devient

un débat public après 1968, en même temps que l’entrée des femmes diplômées dans la vie active

s’envole. Cet intense médiatisation prépare les esprits à la loi Weil, du nom de Simone Weil

ministre de la Santé, qui légalise l’IVG (interruption volontaire de grossesse), votée en 1975. Un

des arguments avancé par les députés de droite qui s’y sont ralliés sans enthousiasme est de mettre

fin aux nombreux avortements clandestins et aux accidents fréquents qu’ils occasionnent.

Ainsi, on peut dater symboliquement à 1975 la levée les urgences de santé publique de l’après-

guerre (Norvez, 1990). Le corps médical se trouve alors confronté à des problèmes de prévention

d’une autre nature, grâce à de nouvelles technologies de pointe qui bouleversent la néo-natalité (les

soins aux grands prématurés) aussi bien que la fœtologie (FIV -fécondation in vitro-, échographie,

détections prénatales). Un nouveau regard anthropologique sur les enfants, non plus espérés ou

subis, mais « nés parce que désirés», constitue l’arrière-fond impensé des discours et des pratiques

pédagogiques autour de la petite enfance. Ces discours débordent largement les pays développés. La

prévention médicale a d’abord considéré que les parents ignorants de milieu populaire devaient

suivre leurs injonctions, puis être éduqués en même temps que leurs enfants. Désormais, du fait que

les enfants sont « voulus » (au moins potentiellement), un changement d’attitude s’effectue à

l’égard de tous les parents. Ils deviennent les partenaires d’une co-éducation assumée à la fois par la

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famille et par les professionnels de la petite enfance. En disant que « le bébé est une personne »,

Françoise Dolto énonce une vérité de droit autant que de fait. Mais si le bébé peut maintenant être

considéré comme une « personne », a fortiori ses parents ne peuvent plus être traités par les

professionnels de l’enfance comme des mineurs.

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4.QUESTIONS EN DÉBAT ET INNOVATIONS POUR LE XXIe SIÈCLE

4.1. L'implication des parents dans les structures de prise en charge de la petite

enfance Un des thèmes récents mais récurrents des politiques éducatives est l’implication parentale. Alors

qu’au XIXe siècle il s’agissait de suppléer aux carences parentales, au XXe d’éduquer les parents en

même temps qu’on prenait en charge leurs enfants (surveillance médicale, normes alimentaires,

prescriptions éducatives), le XXIe siècle s’ouvre sur des politiques déclarées de co-éducation et de

partenariat. Qu’entendre derrière ces proclamations ? En quoi changent-elles les « pédagogies » de

la petite enfance ? (Neyrand, 2000, 2003). On sait que de nombreuses structures collectives

prévoient une implication des parents dans leurs instances de décision ou dans leur fonctionnement,

mais que celle-ci peut s’avérer, à l’usage, extrêmement formelle. Ainsi, en France, les parents font

partie de « l’équipe éducative » des écoles, qui est plus large que « l’équipe pédagogique » réduite

aux membres du corps enseignant, et ils participent de plein droit aux conseils des écoles

maternelles. Mais cette présence ne leur donne aucun pouvoir de décision sur les orientations de

travail de l’établissement. En revanche, au Danemark, les parents sont majoritaires au sein des

conseils d’administration des services municipaux d’accueil de la petite enfance (Rayna et Bennett,

2005). Les traditions nationales jouent un rôle très important, puisque tantôt elles aident, tantôt elles

freinent les collaborations, en perpétuant des relations de confiance ou de méfiance a priori entre

les uns et les autres. Partout où les structures collectives sont encore marquées par l’idée de pallier

les carences familiales, de suppléer à l’irresponsabilité parentale, d’arracher les enfants à un

environnement néfaste ou douteux, les collaborations avec les parents peinent à s’instaurer sur une

base de réciprocité. Les formations des professionnels en portent explicitement la trace et vont de la

recherche de l’alliance à la mise à l’écart des parents.

Quels arguments plaident en faveur de cette nouvelle approche? Parmi ceux qui font avancés par les

autorités des différents pays, il est possible de dégager quelques constantes. C’est en général à partir

des situations les plus « difficiles » que les professionnels se sont rendu compte que l’enfant ne

pouvait être accueilli d’une façon qui lui soit profitable sans collaboration entre famille et

professionnels. C’est le cas dans les pays développés quand il s’agit d’intégrer dans les structures

ordinaires des enfants à besoins éducatifs particuliers (cf. infra) en particulier en situation de

handicap, des enfants victimes de maltraitance, ou des enfants en situation de grande pauvreté

(ODASS, 2005 ; ONED 2005, El Hayek, 1992, 1997). Dans les pays émergents, avec le

développement d’une grande pauvreté urbaine, la collaboration des professionnels avec les familles

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et en particulier avec les mères, est un vecteur d’amélioration durable de l’hygiène et de la santé des

enfants (prévention des maladies infectieuses, du sida, de la tuberculose), de l’éducation des filles et

de leur alphabétisation (UNESCO, Éducation pour tous, 2005).

L’évolution des conceptions qui fait de plus en plus souvent la notion de co-éducation une valeur

centrale suppose implicitement qu’il est possible de poursuivre des visées éducatives communes. La

collaboration entre parents et professionnels serait alors garante d’une cohérence supposée

nécessaire au « développement harmonieux » de l’enfant. Cette présupposition comporte une part

d’idéalisme, parfois même de naïveté. Il existe des conflits de visées éducatives entre parents et

professionnels (comme on le voit sur l’éducation des filles) et on ne gagne rien à ce qu’ils soient

niés, tus ou à supposer qu’ils pourront être résolus facilement. En revanche, les échanges sont le

seul moyen permettant à chaque partenaire de saisir (sinon d’admettre) le point de vue de l’autre.

Les professionnels peuvent ainsi comprendre pourquoi certaines de leurs prescriptions resteront

inefficaces, vaines ou seront ressenties comme agressives par certaines familles, quand elles

supposent des normes de vie irrecevables ou quand elles entrent en contradiction avec des valeurs

collectives du groupe d’appartenance (cf. infra, langues indigènes ; éducation coranique). Ignorer

ces réalités peut faire que les parents hésitent à confier leurs enfants ou préfèrent recourir à des

prises en charge plus coûteuses et moins sécurisées, mais moins éloignées de leurs représentations

sociales et de leurs modes de vie. Au XIXe siècle, c’est bien l’éloignement social entre

l’encadrement « bourgeois » des infant schools anglaises ou des Kindergarten allemands et la

population ouvrière visée, qui explique la longue durée du recours aux gardiennes non déclarées,

mais appartenant au même monde populaire. Tous les discours stigmatisants des autorités à l’égard

de ces modes de garde décriés n’ont pu inverser la tendance.

C’est sans doute dans ce sens qu’il faut interpréter la mise en place de nombreux dispositifs de

« soutien à la parentalité » dans lesquels les structures de la petite enfance jouent un rôle central.

Citons, pour les États-Unis, les ateliers développés dans le cadre du programme Head Start ; pour

l’Italie, les rencontres hebdomadaires entre parents et éducateurs à Reggio Emilia ; pour la France,

les Classes passerelles, la Maison verte parrainée par Françoise Dolto, l’association ACCES où des

bénévoles vont dans les PMI, les haltes-garderies, faire découvrir des albums à des tout-petits.

Ces réalisations exemplaires et souvent bien médiatisées restent pourtant des dispositifs

« militants », qui peinent à s’institutionnaliser et à se pérenniser. En effet, toutes les relations entre

professionnels et parents demandent du temps. Les parents qui travaillent sont évidemment ceux qui

en ont le moins, et lorsque les parents sont chômeurs, leurs temps de disponibilité ne coïncident pas

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avec ceux des professionnels. Les échanges informels (discussions avec les mères au supermarché,

à l’occasion d’une fête ou de la maladie d’un enfant) sont souvent aussi féconds que les rencontres

formelles, mais ils ne peuvent, par définition, se programmer. Le fait que les professionnels ne

résident presque jamais sur leurs lieux de travail ne facilite pas ces échanges. Or, les écarts culturels

importants qui existent entre les milieux sociaux les plus fragiles et les spécialistes de la petite

enfance, ne peuvent être surmontés sans une certaine sédentarité des uns et des autres. Les relations

de confiance se nouent dans la durée. Sur ce point, la conjugaison d’une double mobilité, celle des

professionnels, pour des raisons de carrière, celle des familles, pour des raisons de précarité, ne

permet pas d’être très optimiste pour les années à venir. Seules des mesures institutionnelles (par

exemple, cumul de points d’indice si l’on reste cinq ans dans un « établissement difficile », comme

c’est le cas en France pour les enseignants des Réseaux d’éducation prioritaires, ex-ZEP) sont

susceptibles de freiner le turn-over et qui est, d’après certains chercheurs, une des premières raisons

expliquant la faible efficacité des crèches américaines (Pierrehumbert, 1992).

4.2. Les modèles intégrés et l’invention de nouvelles professions. L’exemple de la

Suède et du Danemark

En 2001, le rapport de l’OCDE, Petite enfance, grands défis, compare la façon dont douze pays

accueillent les enfants de 0 à 6/7 ans. Deux ans plus tard, douze autres pays sont examinés. S’il est

relativement facile de comparer les investissements économiques et budgétaires, la comparaison des

« pédagogies » est un exercice plus périlleux. Une première raison tient à l’existence de

terminologies « intraduisibles », dans la mesure où la réalité désignée n’existe pas dans d’autres

langues, en particulier en anglais (Moss, 2004). Ainsi, le terme de « pédagogie » est souvent traduit

(à tort) par « education », mais la véritable difficulté tient plutôt à ce que la profession de

« pédagogue » n’existe dans les pays anglo-saxons. En la traduisant par teacher on lui donne une

connotation scolaire absente de l’orientation relationnelle et holistique de ces fonctions : « Le

pédagogue se propose de traiter l’enfant dans sa globalité, un enfant avec un corps, un esprit des

émotions, une créativité, une histoire et une identité sociale » (Moss et Petrie, 2002). Derrière la

désignation des fonctions, c’est donc la définition institutionnelle (et pas seulement conceptuelle)

du travail qui est en cause, donc ses enjeux pédagogiques : « nous voyons souvent le terme

paedagoger traduit par teachers ou social educators. (…) qui révèle une compréhension inexacte

de la signification de la pédagogie au Danemark et dans les autres régions de l’Europe

continentale » (Jensen et Hansen, 2003). De même, quand le titre de « jardinière d’enfants », lié

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historiquement au Kindergarten et au modèle d’éducation qu’il représente, est remplacé en France

par « éducateur de jeunes enfants » (EJE), seuls les initiés savent de quel métier il s’agit, en quoi il

s’apparente ou diffère de celui d’autres « éducateurs » (spécialisés, rééducateurs, éducateurs de rue,

etc.), ou de ces autres spécialistes de la petite enfance que sont les enseignant d’école maternelle,

assistante maternelle scolaire ou indépendante, éducatrice de jeunes enfants, animateur de

ludothèque, de centre aéré, puéricultrice, puéricultrice auxiliaire. Les discours qui disent les fins et

les moyens sont devenus si consensuels qu’il est difficile de saisir les pédagogies concrètes à travers

l’énoncé des objectifs et des programmes et surtout de comprendre quel « partage du travail »

organise les prises en charge (qui fait quoi, avec qui, quand et où ?). Bref, les métiers de la petite

enfance sont en « quête d’identité » (Chaplain, 2005).

Pour comparer des pédagogies nationales et comprendre les évolutions en cours (Leprince, 2003), la

description des professions est une des entrées les plus efficaces. Elle donne une définition du

public concerné, du niveau et des contenus de formation exigé, des perspectives de carrière et de la

hiérarchie des emplois. C’est une façon brutale de savoir, derrière les discours, quelle « valeur » un

pays accorde réellement à ceux qui s’occupent de la petite enfance. La puéricultrice d’école

maternelle belge, l’assistante maternelle française pourraient être définies l’une et l’autre comme

des « pédagogues » d’appui aux enseignants, mais leur statut et leur salaire montrent aussitôt l’écart

de leur fonction avec celle des puéricultrices, des psychologues de crèche ou des enseignants. La

comparaison apporte aussi des éclaircissements sur les cultures de référence et sur les valeurs

prioritaires des différentes professions. À niveau de formation et de rémunération égal, ce n’est pas

la même chose d’avoir été formé dans un institut relevant des Affaires sociales (école d’assistantes

sociales, d’éducateurs), de la Santé Publique (écoles d’infirmières, de puéricultrices), de

l’Éducation nationale (écoles normales d’instituteurs), ou d’être diplômé par une université.

La nouveauté est en effet que nombre de ces formations sont passées ou sont en train de passer sous

tutelle universitaire. Le curriculum, les contenus de programmes, leur durée, les examens ont dû

être explicités par écrit pour pouvoir être homologués. Par contraste, les systèmes de formation

traditionnels fonctionnaient (parfois assez bien) sur des savoirs pratiques et du non dit, qui les

rendaient familiers à leurs usagers mais très opaques aux personnes extérieures. Les universités

doivent au contraire décrire des troncs communs de formation, lister des systèmes d’équivalences,

définir les validations d’acquis professionnels et les modalités d’évaluation. La visibilité et la

lisibilité d’un système de formation (en tant qu’organigramme) sont des atouts décisifs pour devenir

une référence dans les comparaisons internationales, mais cette lisibilité rend-elle ce système plus

performant ? Produit-elle plus d’efficacité concrète ? Elle renvoie dans un flou indéterminé la place

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des auxiliaires de moindre qualification qui foisonnent dans tous les différents systèmes sur des

statuts précaires. Elle produit, en tout cas, des changements de représentations qui ont des effets

objectifs (comme nous l’avons vu avec les Hautes Ecoles belges), même si leurs effets sur les

identités professionnelles à venir ne peuvent encore être anticipés.

Pour autant, les cultures des anciens métiers n’en sont pas effacées magiquement. Pendant une

génération, le temps que se renouvelle complètement le corps des formateurs, la continuité

l’emporte. Dans les lieux de stage, les savoirs, les valeurs, les comportements, l’éthique de l’ancien

métier perdurent. L’assimilation progressive de l’ancien et du nouveau par les jeunes en formation

construit une identité professionnelle par laquelle chaque chacun distingue sa fonction de toutes les

autres et se reconnaît dans celle de ses collègues (Riopel, 2006). Ainsi en France, les professeurs

des écoles et les professeurs de lycée et collège ont le même niveau universitaire de départ, le même

salaire et les mêmes instituts de formation depuis quinze ans. Cela n’a pas effacé la différence entre

la culture pédagogique du premier degré ou l’enseignant polyvalent a en charge une classe et celle

du second degré où l’enseignant ayant une spécialité académique a un horaire partagé entre

plusieurs groupes d’élèves. « Faire classe » et « faire cours » sont les activités typiques persistantes

de deux modèles pédagogiques.

Si l’on adopte cette entrée par les professions de la petite enfance, les évolutions en cours

permettent de distinguer les pays où les services sont intégrés (Suède, Danemark) selon un modèle

innovant que nous présentons plus loin, et ceux où ils restent divisés en deux grands secteurs, sur le

modèle ancien. Un secteur est chargé des scolarisations précoces, un autre accueille les enfants de la

naissance à 2 ou 3 ans ou même 5 ou 6 ans. Dans le premier secteur, on trouve les enseignants, ou

les « éducateurs de jeunes enfants » de niveau universitaire (école maternelle en France, Italie,

Belgique, Kindergarten aux Étas-Unis, en Allemagne, aux Pays-Bas, infant classes en Angleterre),

aidés ou non d’assistants de moindre qualification. Dans le second secteur, on trouve les

« éducateurs » qui encadrent les autres services d’accueil (garderies diverses, crèches, jardins

d’enfants), avec des formations et des statuts très divers.

En Angleterre avant 1998, par exemple, la hiérarchie des fonctions descendantes distinguait les

enseignants, les « travailleurs sociaux » des centres destinés aux tout-petits, les auxiliaires de

classes en appui aux enseignants, enfin, les animateurs de garderie en milieu familial, sans

formation et très mal payés. Il faut rappeler qu’avant cette date, les enfants d’âge préscolaire dont

les mères travaillent étaient gardés par la famille (plus d’un sur deux), des nourrices,

les « assistantes maternelles » (plus d’un sur quatre) ou des nannies venant au domicile de l’enfant

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(4%). C’est là un débouché important pour les jeunes filles qui font des études de puériculture :

40% des puéricultrices deviennent nannies. Les crèches publiques ou privées (entreprises,

collectivité, organisation bénévole) ne concernaient que 4% d’enfants (2% des 0-4 ans) -

(Melhuish,1992). Depuis 1998, le nombre d’auxiliaires de classe s’est accru, du fait du

gouvernement qui a également essayé de mettre en place une « échelle ascendante », permettant aux

professionnels les moins qualifiés de changer de statuts grâce à la formation continue. Mais la

division reste forte entre la « garde d’enfants » dont sont chargés les auxiliaires et les travailleurs

sociaux et l’éducation dispensée par les enseignants (Moss, Coram, 2003b). Ces derniers visent un

accès universel à l’éducation, tandis que les premiers sont chargés d’une mission de protection

sociale, de lutte contre l’exclusion « mettant l’accent sur la réduction des niveaux de pauvreté et

d’un chômage en hausse. La priorité a été accordée à l’extension des garderies pour parents qui

travaillent». Comme « un concept comme celui de pédagogie n’existe pas » (Moss et Petrie,

2003a), il n’y a pas de perspective réelle d’intégration des soins et de l’éducation.

En contrepoint, les deux pays proposés par les rapports de l’OCDE et de l’UNESCO comme des

modèles de « services intégrés » sont le Danemark et la Suède.

En Suède, tous les services chargés de la petite enfance ont basculé depuis 1996 dans le système

éducatif qui a en charge les jeunes de 0 à 18 ans. Cette refonte a profondément modifié

l’organisation pédagogique des écoles puisque les enfants d’âge préscolaire et les 7-9 ans sont

maintenant accueillis dans les mêmes locaux pendant la journée entière, encadrés par des équipes

comprenant des enseignants du primaire ou du préscolaire et des « pédagogues du temps libre »,

sous la supervision d’un rektor, qui peut être issu de ces trois corps. « Il ne s’agit donc pas d’une

prise de pouvoir par l’école, mais de la possibilité pour tous les services de trouver un lieu de

rencontre nouveau et égal » (Johansson, 2003). Cette réforme pédagogique a légitimé une refonte et

une élévation de la formation de ces trois groupes professionnels qui seront rassemblés à terme dans

un seul et même corps. Seuls les étudiants qui se destinent à l’enseignement de dernier cycle de

l’école obligatoire (16-19ans) doivent suivre une formation en quatre ans. Les autres doivent suivre

pendant trois ans un parcours de formation modulaire. Certains modules ouvrent à tous les niveaux

d’enseignement, d’autres sont ciblés plus particulièrement les centres préscolaires ou les services

d’accueil d’enfants d’âge scolaire (encadrement du temps hors classe). La première génération

n’étant pas encore en poste, il est trop tôt pour évaluer les effets de cette réforme, négociée avec les

syndicats de façon relativement consensuelle, mais dont la mise en œuvre pose énormément de

problèmes.

Le Danemark est le seul pays où des jeunes enfants sont pris en charge de façon collective à partir

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de l’âge de 1 an, depuis la fin du congé de maternité (le taux d’activité salariée des femmes est un

des plus élevé du monde : 90%). Les structures d’accueil à la journée permettent une « double

socialisation » des enfants qui, de 1à 5 ans, sont accueillis dans le système public à 70% (20% en

crèche familiale agrée pour les 1-3 ans, et 50% en crèche collective). Les jardins d’enfants

accueillent les 2 à 7 ans (c’est la formule majoritaire pour les 3-6ans). Un adulte à plein temps a en

charge 6 enfants, mais les groupes sont plus nombreux (de 18 à 24 enfants d’âges différents), avec 2

ou 3 « pédagogues ». Les enfants scolarisés (6-10/11 ans) sont accueillis chaque jour en dehors des

heures scolaires dans des centres de loisirs et des centres d’accueil (Langsted, 1992). Depuis 1992,

trois métiers de pédagogues ont fusionné, celui des « jardiniers d’enfants » 3-6 ans, spécialistes des

activités post et péri-scolaires des 6-11 ans, celui des « pédagogues sociaux » travaillant avec des

moins de 3 ans et celui des pédagogues travaillant avec des enfants ou des adultes « à besoins

particuliers ». La formation est devenue universitaire (3 ans et demi, niveau de licence

professionnelle), avec des perfectionnements ultérieurs possibles. Les acquis professionnels

antérieurs sont validés, car les étudiants ont été, pour la plupart, assistants non qualifiés dans les

services à l’enfance (17% sont les hommes et 5% originaires de minorité ethniques). La formation

comporte quatre domaines : psychologie et pédagogie (30%), études sociales et sanitaires (20%),

communication, organisation et gestion (10%), éducation physique, arts, langue,

environnement (40%). 15 mois de stage sont prévus (20% des étudiants en font un à l’étranger). En

revanche, la formation des enseignants est restée spécifique et un peu mieux payée que le métier de

pédagogue. L’originalité du projet est qu’une partie des débouchés à venir ne sera pas du côté de la

petite enfance, mais de l’aide à toutes les personnes dépendantes, handicapés, personnes âgées, en

particulier. À partir de la spécialisation « petite enfance » c’est donc une autre spécialité plus large

qui a été envisagée, sous un angle qui disjoint ce métier des métiers de l’enseignement,

contrairement à ce qui se passe dans les autres pays, y compris la Suède.

Les deux réformes sont donc très différentes, mais dans les deux cas, le choix de politique éducative

a été de fondre des fonctions séparées pour doter de références partagées des « spécialistes de

l’enfance » et pas seulement de la petite enfance. Une formation ne suffit pas à faire une culture

pédagogique commune, comme nous l’avons vu avec la séparation premier et second degré en

France, mais elle est la condition de possibilité pour que les professionnels pensent la spécificité de

leurs interventions dans un cadre unique d’objectifs, de savoirs et de valeurs. Dans ce cas, la

lisibilité de la formation n’est pas seulement un effet des protocoles européens (LMD) mais semble

portée par un projet pédagogique original dont l’évaluation à terme reste à faire.

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4.3. L’impact des différents modes de garde sur les 2-3 ans

a- Les débats autour de la scolarisation des enfants de deux ans en France

Comment répondre à la demande sociale croissante de garde des enfants avant l’âge de la

préscolarisation ? En France et en Belgique, l’accueil à l’école maternelle peut commencer avant

trois ans (deux ans et demi en Belgique, deux ans en France en droit, en fonction des places

disponibles). Cette entrée précoce dans la vie collective d’un grand groupe a été l’objet d’un débat

récurrent en France (Zazzo, 1985, Reyna et Plaisance, 1997, Leprince, 2003, Galien et Benazet,

2003), depuis que la préscolarisation des enfants de trois ans est arrivée à saturation (90% en 1980).

Les syndicats enseignants réclament alors la création de postes et l’ouverture de « sections de tout-

petits » pour accueillir les enfants inscrits en nombre sur les listes d’attente et entre lesquels les

directrices d’école ne savent comment choisir (l’âge ? l’urgence sociale ? le fait que la mère

travaille ?). Dès la fin des années 1970, des spécialistes de l’enfance mettent en garde les parents et

les éducateurs. La diversité des besoins des enfants rend difficile un projet d'éducation collective

digne de ce nom (Montagner, 1978), une socialisation forcée peut provoquer des régressions à un

âge où l’enfant n’est pas capable d’auto-maternage (Dolto, 1977). Du fait du grand nombre

d’enfants dont il a la charge (40 enfants en moyenne, en 1970) l’enseignant ne peut répondre aux

sollicitations individuelles. Les enfants vivent les temps d’attente et les non-réponses comme des

frustrations douloureuses, l’entrée dans la classe est angoissante et les moments de séparation avec

le parent sont mal vécus, la cohabitation entre enfants peut vite devenir agressive. C’est à la même

époque que paraissent les études inspirées par la théorie de l’attachement de Bowlby, soulignant le

caractère anxiogène de la garde non parentale ou plutôt non maternelle (Pierrehumbert, dir., 1992).

De fait, les pouvoirs publics ont le choix entre trois solutions :

– investir dans d’autres modes de garde collectifs que l’école maternelle (développer les crèches et

plus généralement la prise en charge éducative des 0-3 ans, ce à quoi sont favorables certaines

personnalités courants politiques et syndicaux de gauche).

– favoriser la garde à domicile grâce à diverses mesure d’aide (encadrement de nourrices agréées,

allocation de congé parental jusqu’à trois ans, multiplication de lieux d’accueil temporaires

comme les haltes garderies, etc).

– développer la préscolarisation en maternelle (gratuite, de proximité), ce qui est la solution

préconisée par les syndicats enseignants, mais avec des aménagements à imaginer. Faut-il créer

de sections 2-3 ans séparées des 3-4 ans, à faibles effectifs et avec des horaires aménagés ? Faut-

il favoriser des groupes mixtes (2-4 ans, ou même 2-5 ans), ce qui permet aux petits de parler

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avec des plus grands et d’imiter leurs comportements ? Doit-on organiser des espaces de jeux, et

une scolarisation à mi-temps, comme au kingergarten ? exiger la présence d’une assistante

maternelle municipale, à mi-temps ou à plein temps ? aménager des dortoirs et des réfectoires

séparés pour les tout-petits ?

Faciliter, à moyens constants, la croissance des taux de préscolarisation semble en tout cas une

politique au rabais qui répond à la demande de garde des parents à moindre coût, mais dans des

conditions qui rendent la réalisation d’un projet pédagogique très aléatoire. En France, les taux de

scolarisation des enfants de deux ans accueillis en classe de petite section croissent jusqu’en 1980

(1960 : 10%, 1970 : 15%, 1980 : 36%). Ils stagnent ensuite pendant vingt ans à ce niveau, avant de

décroître à nouveau, à partir de 2000, du fait du retour de la croissance démographique (moins de

30% d’enfants scolarisés en 2003). Le nombre de places est resté stable sauf dans les écoles des

réseaux d’éducation prioritaires où ils ont cru (mais cette mesure semble alors relever d’une

politique de prévention sociale pour « enfants à risque »). Le nombre absolu d’enfants concernés

s’est accru et entre temps les taux d’encadrement se sont nettement améliorés. Le nombre d’élèves

inscrits est passé de 40 par classe en 1970, à 30 en 1980, pour parvenir à 26 élèves en moyenne en

1998, alors qu’il est de 23 dans l’école élémentaire (MEN/DEP, 2004).

b- L’état de la question en 2004 dans les comparaisons internationales

- Le repérage des variables

Entre 1980 et 2000 les termes du problème ont changé. On dispose d’informations internationales

permettant des comparaisons entre les systèmes, on a défini des critères de qualité évitant d’imputer

des effets positifs ou négatifs à un type de mode de garde (ex : la crèche) sans prendre en compte

ses modalités de fonctionnement (la crèche est un environnement peu favorable aux Etats Unis,

favorable en Suède et au Danemark). On dispose aussi de données bien documentées sur les effets

des modes de garde, en distinguant de façon fine différents types d’effets (conduites sociales,

intellectuelles, émotionnelles). On ne croit plus a priori que le développement cognitif et social soit

spontanément amélioré par un développement affectif et émotionnel satisfaisant. On a constaté

qu’un « bon » mode de garde pour un enfant de deux ans n’avait pas toujours des effets visibles sur

la réussite scolaire ultérieure.

Dans les pays d’Europe, la majorité des enfants de moins de 3 ans est confiée à une structure de

garde privée. Sauf au Danemark, les crèches sont très minoritaires (4% des enfants en France). En

France, 67% des enfants de moins de trois ans sont gardés à domicile. Des recherches ont montré

que dans les structures collectives, le temps des soins (toilette, nourriture, déshabillage/habillage) et

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de l’organisation (déplacement, distribution du matériel, rangement) est incompressible. En

conséquence, les interactions éducatives (temps passé pour jouer, parler avec les enfants)

augmentent quand le nombre d’enfants par adulte diminue (Palmerus, 1991, 1995, in Pierrehumbert

1992). Cependant, lorsqu’il y a en co-intervention, il faut que les personnes s’accordent sur les

objectifs et les méthodes pour que les effets éducatifs positifs soient perceptibles. Aux États-Unis,

les groupes sont petits, mais l’instabilité du personnel (à faible qualification, et faible salaire)

explique que le moindre développement des enfants est moindre que lorsqu’ils sont pris en charge à

la maison, tout comme en Espagne et en Grèce.

- Le développement émotionnel et affectif

Qu’en est-il de l’impact sur développement émotionnel et affectif qui était au centre des polémiques

dans les années 1970 ? Les exemples de la Suède et de la France (Andersson, Ballaguier, in

Pierrehumbert, 1992) montrent que les structures collectives peuvent avoir un effet positif sur la

capacité à exprimer des émotions positives si les adultes s’engagent dans une relation individuelle

avec l’enfant. En revanche les ruptures subies par l’enfant (changement de nourrices, de

puéricultrice) sont des facteurs défavorables et plaident en faveur d’une stabilité des prises en

charge. Résultat inattendu (Florin 2004) : l’école maternelle française sécurise plus que la crèche du

fait que l’adulte référent est bien identifié (plusieurs se succèdent dans la crèche), mais il n’y a pas

de rapport entre être sécurisé et être plus compétent socialement. En crèche, comme à l’école, les

enfants qui sont peu sécurisés par leur mère compensent, s’ils sont sollicitants, auprès des amis et

non de l’adulte. À partir de la thèse de Bowlby sur l’attachement, ou à partir des critiques de Belsky

à l’encontre des modes de garde collectifs, on ne peut conclure qu’il n’y a pas d’alternative

satisfaisante à la mère au foyer. Enfin, les représentations des professionnels et des mères, quant à

leur idéal de garde, semblent plus importants que les caractéristiques objectives du mode de garde

lui-même (Pierrehumbert, 1992, 2002).

- Le développement social et cognitif

S’agissant du développement social et cognitif les apports comparés des différents modes d’accueil

montrent que les parcours scolaires sans incident sont favorisés par la trajectoire crèche + école,

surtout en milieu populaire en France (Zazzo 1984, Cohen 1990, Boulanger-Balleyguier et

Melhuish 1995). Cependant, les avantages espérés du mode d’accueil pour faciliter le début de

scolarisation ne sont pas aussi durables qu’on l’a d’abord cru (Florin 1991 et Duru-Bellat 1995,

2002).L’expérience de la collectivité favorise les échanges verbaux en maternelle (Florin et

Martinaud, 2002) et permet une meilleure anticipation de l’état mental d’autrui (décentration).

Cependant, les enquêtes montrent la durée des temps d’attente (jusqu’à 40% du temps) aussi bien

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en crèche qu’en maternelle. Sur la réussite scolaire ultérieure les avantages constatés sont réels,

mais ne compensent nullement les différences dues à l’âge (selon le trimestre de naissance, les

écarts aux évaluations sont de 2 à 8, 5 points), ou à l’environnement familial (entre CSP supérieurs

et inférieurs, les écarts de résultats sont de 5,5 points à 15 points).

Comment analyser les effets cognitifs différenciés des interactions éducatives ? Selon Agnès Florin,

« L’interaction de tutelle (Bruner 1983) correspond d’une part à des comportements de soutien,

d’étayage et de mise à disposition de savoirs et de savoir-faire présentés par le tuteur, et d’autre

part à des comportements de participation et d’acquisition de connaissance du novice » (Florin,

2004, p. 18). Une enquête de terrain (Florin, 1999, 2002) a permis de distinguer des conduites

« prototypiques » des adultes qui accompagnent une activité de jeu éducatif. Les mères de milieu

populaire et moyen et les nourrices aident directement les enfants pour qu’ils « réussissent ». Les

éducatrices de crèches laissent faire l’enfant tout en leur parlant (expliquer, analyser la tâche). Les

maîtresses de maternelle modifient leur intervention selon l’enfant et la tâche et favorisent des

stratégies « métacognitives ». Chaque situation éducative intègre donc une représentation du

développement potentiel de l’enfant et du processus d’apprentissage, ce qui conduit à faire des

choix quant aux modèles de transmission. Tandis que les mères et les nourrices se pensent

extérieures au développement de l’enfant, les éducatrices de crèche pensent l’interaction en terme

d’éveil global, alors que les enseignant voient d’emblée dans les jeux l’occasion d’apprentissages et

d’acquisitions de connaissances qui seront réinvesties ultérieurement. Malgré les résultats apportés

par ces études, la conférence de consensus prévue par le Ministère de l'Education Nationale en 2004

n'a pas eu lieu.

-les conclusions

Les résultats des recherches internationales récentes ont donc permis de comprendre l’origine des

résultats contradictoires qui attribuaient à un mode de garde particulier les effets découlant de son

fonctionnement dans tel ou tel lieu. Les résultats excellents obtenus par les systèmes collectifs de

garde en Suède et au Danemark dans les comparaisons internationales montrent que la qualité de la

prise en charge ne résulte pas seulement d’une combinaison de variables indépendantes. Alors que,

dans les années 1980 la « qualité » était définie a priori comme découlant d’un niveau de formation

et de salaire, de l’expérience professionnelle et de l’équipement en matériel qui déterminait les

activités proposées, depuis les années 1990, on est revenu à une définition a posteriori. L’attention

portée à l’enfant, l’adéquation aux besoins individuels, la stabilité des personnels qui manifeste

aussi aux gratifications subjectives rencontrées dans l’exercice du métier sont les éléments qui

« font la différence » entre des systèmes objectivement équivalents. Les recherches sur la prise en

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charge des enfants de deux ans permettent de montrer de façon particulièrement claire que les

pédagogies de la petite enfance ne sont pas réductibles aux politiques de la petite enfance.

4.4. Les pédagogies de la petite enfance face aux enfants à « besoins éducatifs

particuliers »

Alors que l’accueil des enfants affectés par des handicaps, maladies, déficiences, troubles physiques

ou psychiques divers, a longtemps été pensé dans le cadre d’établissements spécialisés, seuls

susceptibles de leur offrir l’attention et les soins que requièrent leur « besoins éducatifs

particuliers », les orientations ont changé du tout au tout dans le dernier tiers du XXe siècle (Vial,

1996). Ce mouvement d’intégration des enfants à leur classe d’âge et aux cadres de vie ordinaires

de prise en charge déborde le monde de l’enfance. Il relève d’un mouvement plus général de

critique de toute forme de ségrégation sociale durable. Dans les années 1970-1980, en même temps

que le mouvement de l’anti-psychiatrie faisait une critique sévère de l’asile jugé plus pathogène que

curatif (les asiles ont été fermés en Italie dans les années 1980), ont été remises en cause les

« filières scolaires spéciales » dans lesquelles étaient orientés des élèves ayant un handicap

physique ou mental. En Italie, l’intégration des enfants handicapés dans des classes normales relève

d’une tradition ancienne. En France la loi incite les entreprises à intégrer un quota de personnes

handicapées et les filières scolaires de l’enseignement spécialisé, qui prenaient en charge presque

4% d’une classe d’âge dans les années 1970, ont été progressivement réduites. La situation vient

d’évoluer avec la loi sur le handicap de novembre 2005.

Nombre de handicaps ne se révèlent d’ailleurs qu’au moment de la confrontation du jeune enfant

avec les enfants de son âge, l’isolement de l’enfant dans la famille ne permettant pas aux parents de

percevoir « sa différence ». Le premier rôle des professionnels de la petite enfance est donc

d’alerter les parents et les spécialistes (médecin, psychologue) pour demander un examen et un

bilan, permettant de préciser la nature de la difficulté et les propositions de soins particuliers qui

peuvent être faits de façon précoce. En effet, nombre de troubles (visuels, auditifs, langagiers,

psychologiques) sont réversibles s’ils sont traités suffisamment tôt. D’autres sont repérés comme

irréversibles : il s’agit alors que l’enfant et sa famille assument le handicap, « événement

traumatique qui bouleverse complètement le fonctionnement psychique des parents » (Herrou,

Korff-Sausse, in PierreHumbert1992). Cependant, la précocité de la détection facilite la prise en

charge et les progrès.

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Ces mesures relèvent de considérations éthiques et psychologiques (refus de créer des ghettos sur

une base « d’exclusion de la normalité », conception d’une co-éducation mettant à contribution des

partenariats entre parents, enfants et enseignants, apprentissage pour les autres enfants de gestes

d’aide et de solidarité non réciproques à l’égard d’autrui). Il relève aussi de considérations

économiques. Les structures spécialisées sont extrêmement coûteuses et tentent naturellement à

augmenter leur « clientèle », alors que l’intégration dans des structures normales à un coût

marginal. Les études psychologiques montrent aussi que le développement des compétences des

enfants est souvent meilleur dans un environnement normal, présentant une plus grande richesse

d’interactions. Nombres de psychiatres ont souligné les effets désastreux que peuvent avoir les

gardes collectives. Si les taux d’encadrement sont faibles, les enfants sont insuffisamment sollicités,

s’ils sont forts, la multiplicité des personnes rend difficile l’existence de figures stables et

sécurisantes. En revanche, l’intégration dans un groupe de pairs quand elle est possible a des effets

thérapeutiques indéniables en particulier dans le cas des carences parentales (Bonnard et Baicoianu,

1992). Lorsque cette intégration n’est pas possible à plein temps car elle mettrait en cause la

sécurité de l’enfant et du groupe (cas des enfants psychotiques, par exemple), des temps brefs

partagés sont néanmoins possibles, avec le tutorat d’un éducateur accompagnant l’enfant. En

France, la création d’emplois d’auxiliaires de vie scolaire (AVS) est conçue pour permettre aux

enfants les plus lourdement handicapés de participer à la classe, sans être une charge

supplémentaire pour les enseignants (enfants infirmes moteurs cérébraux, enfants appareillés, etc.)

Cependant, toutes les intégrations ne sont pas possibles et pas n’importe comment. L’OCDE

recommande que les enfants à besoins éducatifs spéciaux soient intégrés chaque fois que c’est

l’intérêt de l’enfant et non celui du parent (avoir une garderie proche et gratuite) ou de l’institution

(compléter des effectifs pour éviter une fermeture du poste). La prise en charge de petits enfants en

situation de handicap nécessite une collaboration attentive avec les parents et des échanges et des

partages pédagogiques entre des professionnels appartenant à des corps différents (santé,

psychiatrie, éducation). Le droit des familles et des enfants à bénéficier des modes de garde

collectifs (crèches, écoles maternelles) qui est inscrit dans la loi est loin d’être passé dans les faits,

du fait des aménagements coûteux et de la surcharge de travail que cela représente. L’accueil est

assuré dans les pays nordiques mais la Norvège est le seul pays d’Europe qui garantisse un droit

d’accès prioritaire à ces enfants. La structure des jardins d’enfants (petits groupes, prise en charge à

la demi-journée) pourrait sembler plus favorable à l’intégration que les classes maternelles avec de

grands groupes à plein temps, mais l’exemple de l’Italie montre que d’autres facteurs sont en jeu.

En fait, dès que l’institution privilégie les acquisitions cognitives qui sont « efficaces » pour la suite

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de la scolarité, les enfants souffrant de handicaps psychiques se trouvent en situation de difficulté

accrue. On voit bien que dans l’école maternelle les pédagogies de la petite enfance se trouvent

d’une certaine façon prise en tenaille entre des injonctions contradictoires, puisque l’efficacité

qu’on la presse d’avoir pour les acquisitions cognitives se fait en quelque sorte au détriment

d’autres dimensions éducatives. L’accueil d’enfants « à besoins éducatifs particuliers » rappelle que

les structures de préscolarisation doivent permettre la coexistence d’enfants hétérogènes dans leurs

développements et leurs besoins, qu’elle doit favoriser les échanges entre enfants différents, exiger

que l’institution respecte réellement les rythmes de chacun. Dans les discours, il est facile de rendre

ces impératifs compatibles, mais pour qu’ils puissent être simultanément réalisés dans la pratique,

l’institution doit faire des choix de priorités, qui sont des choix de valeurs. L’efficacité ne rime pas

d’emblée avec la convivialité.

4.5. La question des langues maternelles et cultures locales : l’exemple du

Mexique et des langues indigènes

La Charte internationale des droits de l’enfant reconnaît que chacun d’eux doit pouvoir parler dans

sa langue maternelle à l’école. Cet engagement a été pris pour inverser une situation héritée des

colonisations et qui a survécu aux indépendances nationales. En effet, la langue dominante, langue

du pouvoir administratif et de la scolarisation des élites, a été longtemps la seule langue écrite

reconnue ou autorisée alors qu’elle est étrangère aux langues orales qui servent aux échanges

ordinaires de fractions importantes de la population. Cet interdit a accéléré la disparition de langues

ou de dialectes minoritaires, les parents scolarisés préférant apprendre à parler à leurs enfants dans

la langue dominante pour faciliter leur intégration sociale et scolaire. Les pédagogies de la petite

enfance se trouvent donc concernées directement par la question de la langue ou des langues

d’éducation qui instituent tantôt une continuité tantôt une disjonction entre la famille et les

dispositifs de prise en charge. Reconnaître que les enfants ont le droit d’être éduqué dans leur

langue maternelle relève d’une prise de conscience réparatrice récente qui a eu des effets multiples

et contrastés. La reconnaissance de ce droit a accompagné la renaissance en Europe de langues

régionales longtemps interdites à l’école. En Espagne, le catalan, le galicien et le basque sont

récemment devenues des langues nationales à l’égal du castillan. Au Royaume Uni elle concerne le

gallois et le gaélique et, en France, des écoles maternelles bilingues (occitan, breton, basque,

allemand) ont vu le jour dans cette conjoncture. Les pays multilingues comme la Suisse, la

Belgique, le Canada bénéficiaient d’une expérience plus longue en la matière, qui a pu servir de

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guide. Cependant, ce droit se heurte partout aux situations de déracinement créées par l’immigration

qui mêle des populations d’origine et de langues très diverses. A Vancouver, par exemple, les

langues les plus parlées après l’anglais par les 35 000 immigrants qui arrivent chaque année sont le

chinois, le punjabi, l’allemand, le français, le néerlandais, l’italien, le tagalog, l’espagnol et le

japonais (rapport OCDE, Canada, 2005). Cette situation ne peut être traitée de la même façon que le

droit de populations nées et éduquées sur leur propre sol. Il s’agit donc bien d’un droit lié à des

réalités géopolitiques autant que linguistiques.

Ce droit n’est pas plus facile à respecter dans les pays où les appartenances linguistiques recouvrent

des positions sociales ou politiques complexes (cas de l’arabe imposé à la population berbère ou

touareg, du mandarin que la scolarisation a diffusé dans la Chine continentale, de l’hindi en Inde).

Cette question est redoublée du fait des multiples variantes parlées dans des aires linguistiques

proches (comme on le voit sur le cas des dialectes et multiples patois de la « famille franco-

provençale »), des phénomènes de diglossie (arabes vernaculaires, opposés à l’arabe littéral) et de

l’existence de nombreux créoles (Caraïbes). Le maintien de la langue coloniale est parfois une

façon de contourner des conflits entre communautés en adoptant pour l’école une langue à valeur

d’échange international. De plus l’alphabétisation dans des langues pas ou peu écrites pose des

questions difficiles. Les linguistes pour des raisons ethnographiques, les missionnaires pour des

raisons de pastorale religieuse (traduire la Bible dans toutes les langues du monde) ont doté la

plupart des langues parlées de systèmes de transcription oral-écrit, mais sans toujours faire les

mêmes choix de transcodage. Même quand l’accord était suffisant sur des modalités communes de

codage écrit (ce qui pose de redoutables problèmes, linguistiques mais aussi idéologiques et

politiques), l’existence d’un système d’écriture ne suffit pas : nombre des langues africaines,

asiatiques, américaines, océaniennes, ne donnent accès à aucun patrimoine écrit, passé ou présent.

Enseigner dans la langue maternelle du lieu ne permet pas toujours de faire entrer les enfants dans

un univers d’écrits sociaux qui donnerait sens à l’apprentissage de la lecture (affiches, journaux,

illustrés, albums, manuels scolaires). Du fait du marché éditorial les écrivains de ces pays sont

d’ailleurs incités à écrire en anglais, français, espagnol, plutôt qu’en amharique, lingala ou quechua

(Casanova, 1999). Sans supports publics stabilisant les normes de l’écriture (presse, édition,

administration) et sans pratique privée (correspondances), une langue locale dominée risque vite

d’être dévalorisée par les natifs eux-mêmes et de ne survivre qu’à titre résiduel pour les échanges

intra-communautaires avant de disparaître en quelques générations. Actuellement les linguistes

chiffrent en dizaines la disparition annuelle des langues. Ceux qui se sont engagés pour éviter la

disparition d’un certain nombre de langues fragiles, ont bien perçu le rôle clef que les pédagogies de

la petite enfance pouvaient jouer dans les dispositifs de sauvegarde. Inversement les pédagogues

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54

s’appuient sur les ethnolinguistes pour rejeter une conception qui instrumentalise la langue

d’éducation, qui la réduit au rôle de simple outil de communication nécessaire pour réussir à l’école

et être « employable » sur le marché. Ils rejettent également une conception répressive qui voit dans

les langues et les cultures traditionnelles de simples freins au progrès car elles véhiculeraient surtout

des superstitions, des croyances passéistes et des valeurs incompatibles avec la société

contemporaine. Ils leur est facile de souligner à quel point les phénomènes de délinquance, de

violence, de pathologie urbaine produits par l’immigration ne sont pas réductibles à des problèmes

économiques de pauvreté, mais proviennent aussi des ruptures identitaires découlant du

déracinement. Les pédagogies de la petite enfance ne peuvent négliger la dimension identitaire de la

langue et de la culture sans laquelle il n’est pas d’éducation.

Aujourd’hui, deux orientations pédagogiques coexistent autour de cette question. L’orientation

ancienne, appuyée implicitement sur l’exemple des colonisateurs considère que la réussite scolaire

aux apprentissages exige l’acquisition d’un bilinguisme oral précoce. La langue de scolarisation

doit être acquise avant l’apprentissage de la lecture ou en en même temps que cet apprentissage. En

Afrique francophone le dédoublement du cours préparatoire en deux années (CP1 et CP2) a cette

fonction. On comprend pourquoi la mise en place d’écoles maternelles, de classes enfantines, de

jardins d’enfants, plus souvent privés que publics est un enjeu si important pour les familles des

classes moyennes urbaines qui y voient un atout pour la poursuite d’études ultérieures pour leurs

enfants, comme on l’a vu sur l’exemple de la République démocratique du Congo (Youdi, 2005).

Pour les milieux populaires les lieux de socialisation précoces, comme la Case des tout-petits au

Sénégal (Reyna 2003) poursuivent cette visée d’initiation à la langue scolaire en amont de l’école.

Ce courant s’est développé dans les années 1970 au moment des campagnes d’alphabétisation en

milieu rural, lorsque l’on a constaté que nombre d’enfants n’y étaient pas ou peu scolarisés et

restaient monolingues, « enfermés » dans le parler rural local. Le mot d’ordre des instances

internationales de cette période relayé dans de nombreuses politiques nationales est qu’il faut

« éduquer pour intégrer ».

Ce sont surtout des militants d’Amérique Latine engagés dans le rattrapage éducatif des populations

rurales qui ont pris conscience que la pratique enseignante ainsi encouragée conduisait rapidement à

la perte des langues locales. On peut prendre pour exemple le Mexique. Ce pays offre un éventail

diversifié de peuples indigènes qui ont pu pendant l’étape coloniale (l’enseignement est alors sous

tutelle ecclésiastique) pratiquer leurs langues et, pour certaines d’entre elles, développer

d’importantes pratiques d’écriture juridiques et politiques (Rockwell, 2001, 2004). La scolarisation

d’État a oscillé entre deux voies pour imposer l’espagnol : exclure les langues indigènes de l’école

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pour imposer directement la langue nationale comme langue de culture identitaire, ou se servir des

langues indigènes comme appui pour faciliter la « castillanisation » (Lopez, 1982). Dans les années

1920 avec la révolution, les langues vernaculaires sont interdites dans l’enseignement, pour

« intégrer » plus vite les peuples indiens (25% de la population) à la nation. La question indigéniste

est traitée comme un problème de retard de développement, jusqu’aux années 1940. À cette date, la

création de l’Institut National d’anthropologie et histoire à Mexico et la création de l’Institut

Indigéniste Interaméricain (l’III, 1940) donnent à la question une dimension culturelle. En 1963, nn

corps de maîtres bilingues, vite considéré comme des sous-maîtres du fait de leur moindre

qualification académique, est créé pour faciliter la réussite scolaire des enfants indigènes. Le

développement d’un enseignement préscolaire date des années 1970, époque où l’orientation

prioritaire des politiques éducative demeure l’intégration.

« Educar para integrar, léase, educar par exterminar las lenguas y culturas indígenes »,

« Éduquer pour intégrer, c’est-à-dire, éduquer pour exterminer les langues et les cultures

indigènes », écrit une coalition des maîtres et responsables indigènes mexicains dans l’état de

Oaxaca (CMPIO). Engagés dans le programme spécial de développement en milieu rural et donc

mobilisés par la castillanisation des jeunes enfants, ils décident de changer de cap (Soberanes

Bojorquez, 2003). Dans cet État les populations indiennes sont majoritaires. Le dispositif spécifique

associe trois instances. L’administration scolaire de l’État de Oaxaca verse les salaires, contrôle les

écoles et les résultats scolaires. Le syndicat des enseignants indigènes est le porte parole du collectif

enseignant, en marge du syndicat officiel. La « société civile » est une instance associative

impliquant à la fois les enseignants et des fondations de soutien, des ONG permettant de financer

des locaux, des publications et certaines opérations sur fonds propres. Ce programme de

développement qui ne concerne qu’une minorité d’écoles dans l’État implantées dans les zones

rurales ou côtières, existe en parallèle avec l’école urbaine où l’espagnol est la langue de

scolarisation. Il concerne plusieurs aires linguistiques d’importance inégale (mixtèque, zapotèque,

mixe, trique, huave, etc.). Certaines ont une existence sociale contemporaine visible (des écrivains,

des journalistes de presse écrite ou de radios, des groupes de rock ou de musique traditionnelle

s’expriment et écrivent en zapotèque ou en mixtèque, par exemple), d’autres concernent des

communautés bien plus réduites. Toutes ces communautés ont une partie de leurs membres

immigrés aux Etats-Unis et qui parlent donc anglais.

Quelle est la pédagogie pratiquée en direction de la petite enfance ? L’effort a d’abord porté sur la

formation rapide d’enseignants issus des communautés qui puissent conduire une préscolarisation

bilingue inscrite dans les normes nationales.La durée et la qualité des formations sont inégales et

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souvent inférieures aux formations de maîtres ordinaires. Ils ont produit collectivement des outils de

travail inexistants et intégrés aux activités pédagogiques les ressources culturelles locales, dans un

pays qui vit sous le régime du manuel d’État. Le centre pédagogique qui pilote les actions de la

Coalition de Maîtres et Promoteurs Indigènes de Oaxaca, fonctionne comme un centre de

ressources, un peu sur le modèle de l’ICEM (Institut Coopératif de l’école moderne), la pédagogie

Freinet étant d’ailleurs une source d’inspiration explicite au Mexique. Les maîtres recrutés sur la

base de leur bilinguisme ont maintenant des programmes universitaires spéciaux, car ils parlent les

langues indigènes souvent mieux qu’ils ne les lisent ou les écrivent, leur scolarisation secondaire

s’étant faite en espagnol.

Les écoles maternelles rurales visent à montrer aux parents l’intérêt d’une éducation précoce, à

valoriser leur propre langue à leurs yeux (beaucoup n’imaginent pas qu’elle puisse/doive être

enseignée), à développer les savoirs langagiers des enfants (lexique, syntaxe, connaissance des

proverbes, des « contes et légendes » traditionnels ou des grands mythes fondateurs de la culture

indienne). Le changement le plus important est que la langue locale n’est plus traitée comme une

langue d’appui pour parvenir au plus vite à la langue espagnole (langue-source vers langue-cible).

Les séquences pédagogiques séparent soigneusement les temps d’utilisation de l’une ou de l’autre.

Pour les enfants, un symbole bien visible (une branche posée sur un tapis, un signal accroché au

mur) indique quelle est la langue d’échange à tel ou tel moment de la classe. Sont conduits en

langue indigène l'apprentissage de la numération orale et écrite, les premières activités opératoires,

la découverte de l’alphabet (bien plus long que l’alphabet espagnol), l’initiation aux relations

grapho-phénomiques, l’apprentissage de l’écriture, la lecture de mots ou de textes et

l’enrichissement du lexique, en liaison avec la nature environnante et les activités des familles. Au

fur et à mesure que l’on monte dans le cursus, ces contenus d’apprentissages sont conduits en

espagnol, en adoptant finalement une didactique de « langue seconde d’immersion ». L’hypothèse

est que l’apprentissage de l’espagnol parlé et écrit sera facilité (ou pas défavorisé) après cette

« entrée dans l’écrit » en langue maternelle, et que la langue maternelle en sera enrichie et

stabilisée. L’espagnol est très présent dans l’environnement social du fait de la télévision, du

tourisme, des emplois urbains (l’anglais aussi). La situation des années 1960 où de nombreux

villages reculés ne parlaient que leur langue n’existe plus à cause des médias.

L’école maternelle se faisant à la demi-journée les adultes qui accompagnent les enfants habitant

loin restent parfois à l’école, ce qui leur permet aussi de rassurer l’enfant, les mœurs familiales

concevant mal qu’on « abandonne » à des mains étrangères un enfant de quatre, cinq ou six ans

(Marquez, 1986). En début d’année ou pour la classe des petits les maîtres travaillent donc souvent

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sous le regard de mères portant leur bébé, ou de grands parents qui surveillent parfois en même

temps des enfants sevrés de moins de trois ans. Ces parents apportent une aide ponctuelle pour des

tâches de rangement, d’entretien des locaux, de soins aux enfants, de relais d’informations auprès

des autres parents, ce qui oblige les maîtres à gérer avec tact les relations publiques qu’ils

entretiennent avec les familles surtout quand ils sont eux-mêmes originaires du lieu. Tous les

adultes de la communauté peuvent voir ce qui est enseigné et appris, comment les enfants sont

traités, comment ils réagissent dans les différentes situations. Ils acquièrent une familiarité avec une

culture préscolaire dont ils n’ont pas fait l’expérience dans leur enfance et ils peuvent en témoigner

auprès d’autres parents. L’école maternelle joue ainsi un rôle « d’école des parents » en même

temps qu’elle apprend aux enfants les règles de vie d’un grand groupe, l’existence d’un curriculum

en étapes (classes des petits, des moyens, des grands). Les enfants apprennent à prendre la parole

devant le groupe, à se remémorer les savoirs acquis (comptines, numération, lexique), à redire les

textes racontés ou lus à se mobiliser sur des tâches d’écriture et de dessin. Du fait de l’absence

d’éditions dans certaines langues, les maîtres produisent des livres artisanaux, à partir des contes

oraux qu’ils connaissent, qu’ils illustrent ou que les enfants illustrent comme dans les écoles

Freinet. Il est trop tôt pour mesurer les effets de ces prises en charge précoces sur les scolarisations

ultérieures mais cette première initiation donne à l’évidence un statut de langue scolaire et donc de

« savoir d’écriture », à des langues contraintes à se normaliser du fait de pratiques formalisées et

collectives de transmission. La pédagogie de la petite enfance joue ainsi un rôle clef dans

l’évolution de questions culturelles et politiques grâce à une « double socialisation de l’enfant »

(pour adopter la terminologie danoise). Cette double socialisation confronte les modèles éducatifs

familiaux et scolaires autour des valeurs ou savoirs que véhicule chaque langue. Chaque adulte les

transmet « sans y penser » en parlant à ses enfants dans une langue donnée. L’usage scolaire d’une

langue « naturelle » modifie celle-ci (processus de normalisation qui est vécu aussi comme une

perte des particularités ou des variantes locales) et questionne les relations que chacun entretient

avec son identité culturelle, en mettant la langue des échanges communautaires à distance. Toute la

question est de savoir si les progrès dans la formation des maîtres, dans la prolongation de scolarité

des enfants indigènes résisteront aux mutations économiques en cours. La création d’un corps

d’enseignants de langue indigène constitue un facteur de pérennisation de leur transmission,

puisque ces maîtres bilingues sont par statut intéressés à maintenir la vie et la légitimité de leur

langue maternelle. Inversement, le réseau routier a désenclavé les villages, l’émigration rurale

accélérée valorise les langues du marché, le tourisme de masse folklorise les rituels indiens et les

productions artisanales. On ne peut donc prévoir si les évolutions en cours auront pour effets de

consolider et stabiliser le système dual d’enseignement, ou au contraire de le rendre moins

nécessaire.

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On peut comparer cette expérience avec d’autres expériences concernant les politiques linguistiques

en direction des autochtones, comme au Canada, avec les programmes éducatifs pour les

autochtones (Canada, OCDE 2005), en Nouvelle Zélande avec les Maoris (New Zealand,

UNESCO 2002), en Papouasie Nouvelle-Guinée, en Norvège ou Suède avec la population Sami. La

particularité du Mexique est l’ampleur numérique des populations concernées, alors que les

autochtones ne constituent que 3% de la population canadienne. Toutes les études considèrent que

la valorisation du statut de la langue et de la culture d’origine permet aux enfants de construire une

image valorisée d’eux-mêmes et de leur communauté d’appartenance. Cette valorisation ne se fait

pas sans décision sur les pédagogies quand il s’agit de cultures ou de langues minoritaires. Il est

alors nécessaire d’associer fortement les populations concernées aux programmes, en formant des

pédagogues issus des communautés concernées. La question d’un suivi de ces pédagogies

biculturelles au sein des grandes villes où la population immigrée se trouve dans des situations de

précarité économique mais aussi de « désafiliation » culturelle et de perte de repères (Castel, 2003)

serait un autre versant de ces pédagogies. À Ottawa, le programme d’aide préscolaire Inuit

Tungasuvvingat, particulièrement remarqué par les observateurs, concerne une petite communauté

immigrée en milieu urbain minée par la pauvreté et les effets ravageurs d’une vie urbaine

déqualifiant tous les repères éducatifs des familles. Il repose finalement sur les principes que le

programme mexicain, même si sa réalisation se situe dans un contexte d’immigration urbaine, et

non sur les lieux de vie des communautés. La pédagogie de la petite enfance associe les familles.

L’immersion dans la langue inuktitut est possible grâce à des éducateurs inuits bilingues qui initient

les enfants au mode de vie inuit (organisation de l’espace, décor, jeux, nourriture, musique). Des

mots inuits sont affichés partout, en écriture latine et en écriture syllabique inuit avec des guides de

prononciation, qui permettent aux parents ayant perdu la langue de la pratiquer à nouveau avec

leurs enfants (OCDE, Canada). Si d’autres programmes qui affichent les mêmes objectifs n’ont pas

les mêmes effets de structuration positive, c’est que les mises en œuvre exigent une qualité

d’investissement qui ne s’obtient pas sans une bonne formation des intervenants et sans

investissement durable, impossibles sans l’appui des pouvoirs publics.

4.6. Langues et cultures religieuses : pédagogie de la petite enfance et

enseignement coranique. L’exemple du Maroc

Au Maroc, un tiers des enfants fréquentent un lieu préscolaire entre trois et sept ans. Ils sont répartis

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entre deux réseaux, qui ne sont ni l’un ni l’autre à la charge de l’État. En 1996, d’après les

statistiques officielles, les garderies et jardins d’enfants comptaient 234 000 inscrits, avec un

équilibre entre filles et garçons. Ils étaient gérés par des particuliers et pour une petite partie par les

missions culturelles, mais beaucoup d’entre eux employaient des personnels n’ayant pas la

formation requise. Les écoles coraniques (les kouttab) scolarisaient 583000 enfants (Bouzoubaâ,

1997). Ce taux de fréquentation est supérieur à celui de l’Algérie où les écoles maternelles ont été

fermées en 1965 (Remaoun-Benghabrit, 1992). Elles ont été réouvertes progressivement à partir de

1980, les jardins d’enfants dépendant des communes, les écoles maternelles et classes enfantines

étant encadrées par des éducatrices de l’Éducation nationale, mais l’offre de préscolarisation reste

faible et urbaine (Senouci, 1992). Le taux de préscolarisation du Maroc est également supérieur à

celui de la Tunisie, où le programme de 1991 ambitionnait d’augmenter au-delà de 5% le public

d’enfants inscrit dans les institutions préscolaires et les écoles coraniques.

Toute la question est de savoir comment l’État peut intervenir dans ces deux dispositifs d’éducation

de la petite enfance, et quel modèle d’éducation il doit privilégier. La liaison entre langue arabe et

culture musulmane est particulièrement visible dans l’instruction donnée au kouttab à partir de

quatre ans. Ces classes élémentaires, reliées à une mosquée mais installées dans des locaux

quelconques, ont longtemps constitué l’éducation de base de tous les garçons, qui y apprenaient le

Coran en arabe littéral. La mémorisation progressive du texte, des sourates les plus courtes aux

sourates les plus longues y est soutenue par les planchettes sur lesquelles sont écrits les versets, que

chacun répète en suivant mot à mot leur écriture. De bonnes descriptions en ont été données dans

divers témoignages littéraires (Bâ, 1998), en particulier par Amadou Hampaté Bâ (1901-1991) dans

les récits de sa vie écolière au début du XXe siècle. Chacun avance à son rythme dans

l’apprentissage sans qu’il y ait une imposition de calendrier extérieur. Les enfants apprennent le

texte « sans le comprendre », car les significations qu’il contient, dogmatiques, rituelles,

spirituelles, ne lui apparaîtront que très progressivement au cours de son existence grâce aux

commentaires des imams, lors des prédications à la mosquée. En revanche, une fois qu’il a appris à

reconnaître les trois graphies de chaque lettre selon qu’elle est au début, au milieu ou à la fin d’un

mot, l’élève qui connaît un verset par cœur peut mettre en relation les lettres et les sons, puisque les

correspondances sont d’une parfaite régularité. La mémorisation du Coran et sa récitation soutenue

par le texte écrit constituent donc un dispositif d’apprentissage puissant et économique. Ce procédé

permet à la fois d’alphabétiser les enfants, de leur apprendre la langue d’écriture employée dans

tout le monde arabe (aussi bien dans les journaux que dans les prises de parole officielles à la radio

ou à la télévision) et de les imprégner du texte de référence de la vie et culture musulmanes.

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Le kouttab qui scolarisait les garçons entre quatre et douze ans a été concurrencé à l’époque

coloniale par le modèle de l’école française avec ses classes échelonnées et ses exercices

progressifs, qui a été conservé après les indépendances. L’école post-coloniale scolarise donc les

enfants à six ans (avant et pendant la période d’arabisation) si bien que le kouttab n’a survécu que

comme structure de préscolarisation, entre quatre et six ou sept ans. Du fait des évolutions

économiques les mères qui travaillent y ont vu une structure commode d’encadrement des enfants,

rôle auquel le kouttab n’était nullement préparé. Cet enseignement a mainte fois été critiqué pour

son caractère rétrograde (l’usage mécanique de la mémoire), répressif (les châtiments corporels),

sexiste (c’est un enseignement pour les garçons), idéologique (l’inculcation religieuse exclut tout

non musulman et n’autorise aucune discussion) et enfin linguistique (les enfants répètent un texte

en arabe classique, très éloigné de l’arabe vernaculaire et totalement étranger à l’amazighe /langue

berbère/ dont beaucoup de Marocains se servent dans la vie courante). De ce fait, les projets

d’éducation préscolaires « modernes » se sont généralement tournés vers l’école maternelle ou le

jardin d’enfants, sur le modèle européen. C’est lui qui a la faveur des élites intellectuelles et

bourgeoises qui recourent aux jardins d’enfants privés pour scolariser leurs propres enfants. Le

nombre de ces garderies privées s’est démultiplié en quelques années, puisque le directeur de

l’enseignement primaire (El Houssine,1992) dénombrait 34000 inscrits en 1992, alors que les

statistiques officielles en donnent 200 000 de plus quatre ans plus tard (Bouzoubaâ, 1997). Cette

croissance indique l’importance d’une demande non satisfaite et n’a pu se faire que sur la base

d’initiatives individuelles. Différentes enquêtes relèvent que l’encadrement est généralement assuré

par des jeunes filles en interruption d’études, si bien que les principes pédagogiques affirmés restent

plus formels que réels. On peut vouloir former la personnalité de l’enfant, se référer aux données

scientifiques de la psychologie, privilégier des activités favorisant le jeu, la libre expression, la

socialisation par les pairs, mais la mise en œuvre de ces principes n’est pas possible quand on

dispose d’un espace réduit, sans équipement suffisant, et que le trop grand nombre d’enfants

accueillis interdit toute prise en compte des expressions singulières. Des inspections de la Ligue

marocaine pour la protection de l’enfance ou de l’Éducation nationale soulignent d’ailleurs que

même dans des situations matérielles plus favorables, l’inexpérience de l’éducatrice, son absence de

formation font que celle-ci « continue à fonctionner selon les principes d’une pédagogie autoritaire

(raisonnement selon le bien et le mal, interdits, morcellement des matières et disciplines » (Laâziri,

1992).

Même si ce mode de scolarisation gagne progressivement en qualité, il demeure minoritaire, du fait

de son coût qui en interdit la fréquentation aux enfants de milieu populaire alors que les frais

d’inscription dans un kouttab sont faibles. Il représente aussi un mode d’éducation occidental,

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attaché à une conception des apprentissages précoces et du développement spontané de l’enfant, qui

se trouve en rupture avec les valeurs familiales marocaines. En revanche, c’est le modèle qui est le

plus étudié et valorisé dans la recherche universitaire et les rencontres internationales. Ainsi, lors du

premier colloque maghrébin sur l’éducation préscolaire, « la plus grande partie des interventions et

des discussions a été réservée aux jardins d’enfants, alors qu’en réalité, ils ne représentent que 5%

environ des effectifs d’enfants préscolarisés. Les 95% restants se trouvent dans d’autres

institutions, à savoir les kouttab coraniques » (Faiq, 1992). D’une certaine façon, on retrouve ici les

contradictions rencontrées par les innovateurs mexicains, chargés d’initier à la langue et la culture

scolaire espagnoles les enfants des communautés indiennes : l’entrée dans le modèle dominant de

scolarisation occidentale a été ressentie comme un déni ou un rejet des savoirs culturels et sociaux

portés par les modèles locaux de transmission éducative. La question est ici redoublée par la

question de la religion, puisque le modèle laïque ou sécularisé du jardin d’enfant, excluant la

référence à toute confession religieuse, paraît en totale contradiction avec une éducation fondée sur

l’apprentissage du Coran. La question de l’éducation religieuse et de sa légitimation par des

autorités reconnues n’est pas simple (socialement et politiquement) à une époque de montée des

fondamentalismes religieux.

Au Maroc, le roi se trouve faire autorité en matière de religion et la question de l’éducation

religieuse des jeunes enfants par les fiqhs se trouve donc placée symboliquement sous sa tutelle.

C’est d’ailleurs en scolarisant son fils dans un kouttab, à l’âge de quatre ans, en 1968, que le roi

Hassan II a lancé « l’opération École coranique » destiné à sauvegarder l’identité arabo-musulmane,

à lutter contre les influences occidentales et sans doute aussi contre les fondamentalistes. Un corps

des conseillers pédagogiques payés par le ministère de l’Éducation nationale, recrutés dans les

années 1990, a été chargé d’inspecter les kouttab et de faire évoluer leur pédagogie de façon à ce

qu’elle corresponde mieux à des objectifs explicites de préscolarisation : c’est le modèle de l’école

primaire française que ceux-ci ont importé (bancs, tableau noir, manuels scolaires), consolidant un

enseignement frontal et collectif. C’est dans un sens inverse que s’est développée une recherche-

action dirigée par des universitaires de Rabat, le Projet ATFALE (Alliance de Travail dans la

Formation et l’Éducation pour l’Enfance). Misant sur l’aspect populaire de cette prise en charge, sur

son implantation ancestrale dans la culture arabe, le projet s’est donné pour objectif d’en faire

évoluer progressivement les contenus et les modalités pédagogiques autour de l’enseignement du

Coran sans aller dans le sens d’une primarisation des méthodes.

Évolution des contenus : les écoles liées au projet ont progressivement ajouté à l’enseignement du

Coran des activités de lecture, d’écriture et calcul, de chant et de culture physique. Évolution des

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modalités : les écoles accueillent des enfants des deux sexes et 25% de filles y étaient inscrites en

1996 (Bouzoubaâ, 1997). Les enfants sont répartis en deux niveaux (les 4-5 ans et les 5-6 ans). Ce

dispositif simple « institue » des modes d’intervention différents selon l’âge des enfants, ce qui est

un présupposé absent de la tradition du kouttab. À côté du fiqh chargé du Coran, des éducateurs

interviennent sur d’autres activités. Une des innovations essentielles a été d’aménager l’espace en

disposant des « coins » comme dans les écoles maternelles, comportant des nattes, des coussins, des

tables basses qui correspondent bien à une tradition de la culture arabe. Introduire un matériel

ludique a davantage rencontré de résistance. Les parents qui ne veulent pas payer des frais de

scolarité « pour que l’enfant aille jouer », mais apprendre, et les éducateurs n’en perçoivent pas

spontanément la fonction éducative. C’est seulement au cours des journées de formation

pédagogiques que ceux-ci en prennent conscience, en produisant du matériel adapté à leurs visées

pédagogiques et en inventant des articulations inédites entre jeu éducatif et éducation islamique.

Ainsi, à côté des coins « épicerie », « bibliothèque », « pharmarcie » que l’on trouve comme dans

une école maternelle classique, on trouve souvent au kouttab un coin « mosquée » comportant des

tapis de prières, des versets affichés, parfois une maquette de mosquée fabriquée par les enfants.

Enfin, l’accent est mis sur la prise en compte de l’environnement, avec des sorties au jardin public,

les visites d’artisans, les visites au dispensaire. L’éducation à la santé est un axe important du

projet, bien compris par les éducateurs, les familles et les enfants.

De fait, le point clef de l’avenir est bien la formation des éducateurs et donc la question des revenus

que ceux-ci peuvent escompter d’un travail qui n’est pas une vocation. Actuellement, le corps

enseignant a tendance à se féminiser (il était entièrement masculin), ce qui a un effet de

déqualification de la fonction, qui ne facilite pas son évolution. « Les éducatrices sont passées d’un

statut de mères au foyer à un statut de gardiennes d’une collectivité d’enfants (…) place

intermédiaire entre celui de la femme de ménage et de la mère de famille », du fait qu’aucune

législation ne régit le kouttab, qui fait partie du secteur informel d’éducation. « Les collègues

masculins ont perdu le charisme et la valorisation qui entouraient l’image du fiqh traditionnel, et

n’ont pas réussi à imposer, d’eux-mêmes, l’image d’éducateurs modernes » (Bouzoubaâ, 2000). Ce

malaise identitaire explique peut-être l’excès constaté d’attitudes autoritaires et directives. L’idée

n’est pas encore partagée qu’être éducateur de jeunes enfants demande une formation et des

compétences de haut niveau.

4.7 Les pédagogies de la petite enfance et la question des genres

La question des genres est devenue une préoccupation récurrente des lieux de formation.

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63

Indépendamment des enquêtes ou des combats menés par des associations féministes, des

recherches d’un nouveau type se sont développées depuis la création de chaires universitaires

consacrées aux gender studies, aux Etats-Unis, au Canada et dans d’autres pays. En revanche,

d’autres pays comme la France n’ont pas créé de spécialisation universitaire sur ces questions et les

recherches qui existent en particulier en sociologie et en histoire sont moins systématiques (pour

une synthèse sur les enjeux des gender studies, Scott, 1988, 1996, Thébaud, 1998). Les enquêtes ont

mis à jour des inégalités « objectives » et les évolutions en cours sur le statut juridique de la

femme, sur ses droits dans la vie civique, maritale, familiale, en particulier sur son pouvoir

juridique sur les enfants, sur ses conditions de travail (interdits professionnels, discrimination à

l’embauche, différences de salaires et de carrière), sur la protection sociale (congés de maternité,

allocations familiales, pensions de reconversion, caisses de retraite), sur les phénomènes scolaires

(qualifications, orientations),. Les recherches nouvelles ont cherché à percevoir les processus à

l’œuvre dans la perpétuation de ces inégalités, les représentations souvent intériorisées et acceptées

par les hommes et les femmes comme relevant de « différences » et non d’« inégalités », c’est-à-

dire d’un partage fonctionnel, sinon naturel, des rôles des deux sexes (Mead, 1966, Scott, 1988,

Zazzo, 1993). Ces études, comme d’autres conduites sur les cultures minoritaires ou opprimées

(descendants d’esclaves ou d’indiens, minorités homosexuelles), suscitent débats idéologiques,

politiques, historiques et débouchent sur les propositions d’action anti-ségrégatives, qui doivent

combattre la reproduction de stéréotypes dominants, dès la petite enfance. S’agissant de la question

des genres, celle-ci peut être abordée sous trois entrées

- la question des inégalités entre les sexes en matière de soin et de la prime éducation :

- le quasi-monopole féminin des personnels d’encadrement

- la façon dont les institutions d’accueil gèrent la question des rôles masculin/féminin et

favorisent des normes de conduite en la matière

a. Les inégalités entre les sexes en matière de soin et de la prime éducation :

Les situations de « traitement inégalitaire » des très jeunes enfants relèvent d’abord des mœurs

familiales. Du fait des nouvelles techniques médicales (contraception) et des mutations

économiques (exode rurale, urbanisation), celles-ci sont en rapide évolution. On sait que la situation

est particulièrement préoccupante quand le sexe de l’enfant est l’objet d’investissements familiaux

fortement asymétriques. Dans certains pays, le fait d’avoir une fille est une moindre garantie pour

l’avenir, car un fils devra amener à la maison une belle-fille qui prendra soin de ses parents âgés,

alors qu’une fille partira s’occuper de ses beaux-parents dans une autre maison. Comme le dit un

proverbe chinois, « élever une fille, c’est engraisser un cochon pour les voisins ». Le progrès du

contrôle des naissances, pour éviter les risques de surpopulation, a de façon paradoxale, accru cette

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pression (politique chinoise de l’enfant unique). Les études sanitaires sur l’Asie du Sud-Est, l’Inde

et surtout la Chine montrent une démographie déficitaire en filles que n’explique pas la génétique,

mais des pratiques déguisées ou inavouées d’infanticide, d’abandons, de moindres soins ou de

naissances non déclarées aux autorités. Dans les pays où les enfants « appartiennent » au père, en

cas de répudiation, de divorce ou de veuvage, si la nouvelle épouse ne veut pas élever les enfants de

la première, les petites filles sont, plus souvent que les garçons, confiées à des orphelinats (ce qui

explique le nombre d’enfants adoptables, plus souvent de sexe féminin, dans l’Asie du Sud-Est).

Pour la même raison, les filles sont l’objet d’un investissement éducatif moindre que les garçons,

dans la mesure où l’effort exigé sera moins utile au groupe familial. En conséquence, elles sont,

plus que leurs frères, utilisées comme main d’œuvre familiale pendant leur jeunesse. Dans les pays

où les parents travaillent loin de la maison, la prise en charge des jeunes revient souvent à un aîné

qui est retiré de l’école. Les études réalisées montrent que ce retrait pénalise davantage les filles.

Une étude comparative sur cinq pays (Boswana, Brésil, Mexique, Russie, Afrique du Sud) montre

que la fréquentation scolaire des filles baisse de façon disproportionnée dans les ménages ayant des

enfants de moins de cinq ans nécessitant une garde (UNESCO, 2003). Lorsque la famille est

composée de deux parents qui travaillent, la déscolarisation est nulle ou très faible, alors qu’elle est

significative quand l’enfant appartient à une famille élargie ou monoparentale. Les déscolarisations

pratiquées dans les familles élargies de type traditionnel, vivant encore selon des modalités

« rurales », seront en recul probable dans les années à venir, alors que les déscolarisations dans les

familles monoparentales sont « modernes » et urbaines, comme au Brésil ou au Mexique. Dans ces

pays, un aîné sur trois est déscolarisé pour garder les petits quand la mère est seule. Comme on le

sait, ce phénomène (mères seules, pauvres, vivant en périphérie urbaine et travaillant loin de leur

logis) est en pleine croissance.

Les institutions d’accueil à la petite enfance ont donc un rôle indirect important pour la scolarisation

des aînés, en particulier des filles. Les systèmes d’accueil de la petite enfance ont toujours été

moins inégalitaires que les familles. La séparation des garçons et des filles a été de règle après l’âge

de raison, les enfants étant éduqués par des adultes de leur sexe (ce qui a renforcé les inégalités

scolaires, les institutrices étant longtemps moins formées que les instituteurs). Contrairement aux

écoles, les institutions de la petite enfance ont été les premières à pratiquer une éducation élevant

ensemble garçons et filles en dessous de sept ans, sauf dans le cas des orphelinats tenus par des

ordres religieux, les frères ou les prêtres ne se chargeant que des garçons (lorsqu’ils avaient plus de

trois ou quatre ans), alors que les religieuses pouvaient élever des enfants des deux sexes. La co-

éducation dans la prime enfance est longtemps pensée sur le modèle familial, comme le titre d’école

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« maternelle » l’indique encore. Cette mixité n’a jamais posé problème aux autorités, même si

l’idée d’une enfance asexuée, « innocente », est une représentation du XIXe siècle bourgeois,

démythifiée par Freud, plutôt qu’une croyance des milieux populaires, qui voient dans les jeux

sexuels en bas âge des enfantillages sans conséquence. Ainsi, les lieux d’hygiène sont strictement

séparés pour des enfants de plus de sept ans (dortoirs, toilettes, douches pour les filles séparés de

ceux des garçons), ce qui n’est pas le cas avant cet âge. Les toilettes ont souvent été conçues

comme des espaces ouverts et collectifs, pour faciliter la surveillance à des fins de sécurité. On

remet ainsi le respect de règles de pudeur à plus tard, souvent à l’âge de l’école élémentaire, quand

un enfant ne doit plus avoir besoin d’aide pour assurer sa propreté. Aujourd’hui, sans recourir à des

cabinets clos de l’intérieur, des parois de séparation à mi-hauteur permettent de préserver l’intimité

des enfants. L’accueil des garçons et des filles, égalitaire en droit, dans les institutions de la petite

enfance, se trouve donc décalé d’avec les mœurs familiales, et d’une certaine façon « en avance »

sur les pratiques familiales inégalitaires dans le traitement des enfants. Pourtant, il est nécessaire de

relativiser ce constat en prenant en compte deux autres phénomènes. D’une part, le personnel

d’encadrement, massivement féminin, perpétue dans les faits un modèle de partage des tâches que

récuse le discours égalitariste ; d’autre part, les enfants se voient proposer des normes de

comportement qui sont traversées des valeurs ou préjugés (selon le point de vue adopté) de la

société environnante, ou spécifiques au personnel d’encadrement.

b. Le monopole féminin des personnels d’encadrement

Les études contemporaines sur les mutations de l’emploi ont rendu banale la relation de cause à

effet entre féminisation et déqualification d’un métier, déqualification à la fois économique (salaire

moindre) et symbolique, dans l’image sociale du métier (1992, Lagrave, Bock, Lefaucheur). C’est

l’analyse spontanément faite par beaucoup d’historiens, voyant dans le monopole exercé par les

femmes sur les métiers de la petite enfance un indice de sa faible valeur sociale. Cette « non

qualification » (plutôt que déqualification) est longtemps appuyée sur le modèle maternel qui lui

sert de référent. En Allemagne en 1885, les arguments pour refuser d’instituer un examen d’État

d’éducatrice sont que « les qualités d’une bonne éducatrice sont liées davantage à son

tempérament, à son tact, à l’ensemble de sa personnalité qu’à la somme de ses connaissances »

(Budde, 1999, p. 69). Pourtant, pour cet auteur, les deux filières (garderies populaires et jardins

d’enfants plus bourgeois) contribuèrent toutes les deux à la promotion du travail féminin en

Allemagne et dans d’autres pays (pour la France, Luc, 1998).

La présence d’éducateurs masculins a pourtant été revendiquée dès le XIXe siècle, en particulier en

Allemagne où dans les Églises, les communes et les écoles, les responsabilités sont aux mains des

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hommes. Lorsque les révolutionnaires allemands de 1848 revendiquent la place des hommes dans

les Kindergarten, on peut interpréter cette exigence comme une proposition progressiste (sur la

mixité de l’encadrement) ou comme le refus de perdre un pouvoir qu’ils considéraient comme

acquis. En revanche, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, dans l’Europe du Sud, les femmes

acquièrent rapidement un monopole qui ne leur sera pas contesté avant longtemps. Ce monde de

femme est évidemment très hiérarchisé (de l’inspectrice des crèches et écoles à la simple

gardienne) selon la division sociale habituelle de l’époque. Chez les femmes comme chez les

hommes, les corps intermédiaires (institutrice, directrice de crèches ou d’école) offriront des voies

de promotion sociale à des personnels venant des couches populaires et une voie d’émancipation à

des célibataires ou à des femmes mariées des classes moyennes, du fait de leur auto-suffisance

économique.

Ce monopole féminin, aboli récemment en droit, n’a pas diminué dans les faits (Lagrave, 1992).

Les hommes qui choisissent d’exercer en école maternelle sont une infime minorité, et les médecins

pédiatres intervenant en crèche, longtemps exclusivement masculins, sont aujourd’hui des femmes

dans leur grande majorité. Les pays nordiques font exception, veillant à maintenir des hommes

dans certaines activités (rôle des intervenants sportifs pour les activités de plein air, en Suède et

Norvège). Le Danemark est le pays qui recrute le plus d’hommes pour la profession d’éducateur,

mais on est loin de la parité (17% d’étudiants , 5% sont originaires de minorités ethniques). Le sexe

des professionnels doit d’ailleurs être croisé avec leur origine sociale : lorsque la culture

« pédiatrique » des professionnels est supérieure à celle des parents, ils s’adjugent volontiers un rôle

de guidance parentale, qui peut parfois être mal supporté si ces conseils mettent en cause les normes

familiale de référence. Inversement, les parents fortement diplômés attendent de la crèche, de la

nourrice, de l’éducateur, ou de l’instituteur une prise en compte spécifique de leur enfant, tenant

compte de leurs indications, qui peut-être ressentie par les professionnels comme une intrusion

(Baudelot, 2000). Les comparaisons entre les modes d’accueil dans des pays différents, entre

France et Japon (Baudelot, 2005), France et États-Unis (Brougère et Tobin 2000), Suède et France

(Almqvist et Brougère, in Rayna et Brougère, 2000) montrent l’existence de paradigmes nationaux

ou de modèles internationaux, que partagent parents et professionnels sur le mode de l’évidence non

questionnée. Dans les pays développés, l’image des professionnels de la petite enfance est

aujourd’hui liée à une qualification reconnue par des diplômes, dont certains de haut niveau, mais

ce n’est pas le cas dans le reste du monde. Aujourd’hui, les représentations sociales du kouttab

marocain (cf supra) situent l’éducatrice « entre la femme de ménage et de la mère de famille » et

les hommes déprécient un métier qui a perdu la considération portée au fiqh traditionnel

(Bouzoubâa, 2000).

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L’écrasante majorité des femmes dans le corps des éducatrices de jeunes enfants a des effets sur les

relations aux parents et aux enfants. Relations aux parents : les professionnelles se sentent

prioritairement comme des « substituts maternels », si bien qu’elles ne traitent pas les deux parents

de façon « égalitaire », privilégiant de façon systématique celui dont elles se sentent le substitut,

c’est-à-dire la mère. Ainsi, lorsque un bébé est malade en crèche, lorsqu’un enfant se blesse à

l’école maternelle, c’est immanquablement la mère qu’on prévient ou qu’on sollicite à son travail,

même lorsqu’on sait le père disponible ou plus proche (Blöss et Odena, 2005). On considère comme

allant de soi que c’est la mère qui est la « véritable » responsable de l’enfant. Cette conduite

s’appuie sur un constat de réalité, puisque les femmes assument la prise en charge des enfants bien

plus que les hommes (Boch et Buisson, 1998), mais ce constat est transformé en norme (la mère

doit être considérée comme la véritable responsable de l’enfant). Il est d’ailleurs intéressant de

constater que si les discours sur la co-parentalité sont surtout issus des classes cultivées (Delaisi de

Perceval, 2000), les pratiques de partage sont plus fréquentes chez les ouvriers qualifiés, les

contremaîtres et les agents de maîtrise que chez les cadres et professions libérales (Fagnani et

Letablier, 2003). Les sollicitations des mères par les puéricultrices de crèche ou les assistantes

maternelles, dont les niveaux de formation sont pourtant très différents, participent de la même

idéologie traditionnelle des relations mères-enfants. S’occuper d’enfants est (en fait et en droit) du

domaine exclusif des femmes, comme le prouvent les métiers des « spécialistes ». L’absence des

hommes des institutions de soin est d’ailleurs d’autant plus grande que les parents ont le pouvoir : il

y a quelques éducateurs hommes dans les jardins d’enfants et l’école maternelle, mais les

assistantes maternelles, choisies par les familles sont à 100% des femmes. Comme le rappellent

Brougère et Tobin (2000), le fantasme pédophile n’est pas absent de cette exclusion, même si c’est

sous des modalités différentes selon les pays. On suppose d’emblée à toutes les femmes un « corps

double », corps de femme et corps de mère, au contact « englobant, protecteur puis consolateur et

réparateur »(Moisset, 2005), alors que les hommes, dans les représentations, disposent moins

« d’un corps de père » .

Relations aux parents, mais aussi aux enfants. Aux yeux des professionnels de la crèche, qui ont lu

les psychanalystes dans leur formation, le fait de laisser un jeune enfant en garde risque toujours de

produire une « carence affective » consécutive à la séparation d’avec la mère (et non d’avec les

parents). Les institutions de garde le signifient par l’omniprésence des « doudous », destinés à

surmonter la séparation et à compenser l’absence de la mère. Ils sont réclamés aux familles, même

lorsque l’enfant n’en a pas à la maison et n’en manifeste pas le besoin (Blöss et Odena, 2005). Les

assistantes maternelles, qui se pensent comme de bonnes mères de substitution et ne pourraient

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développer le discours des crèches sans se renier elles-mêmes, voient également leur rôle autour de

l’image unique de la maternité, renvoyant le père à une masculinité qui l’exclut de ce domaine de

compétence.

Sur l’interprétation de ces phénomènes qui touchent aux représentations des rôles paternels/

maternels et à leurs interférences avec d’autres interventions éducatives, les avis ne sont pas tous

convergents (Lamb,1981, Delumeau etRoche, 1990, Singly 1991, 2001). Comme les débouchés

professionnels de ces secteurs sont réservés aux femmes, on souligne qu’ils ont été et constituent

encore un terrain d’émancipation féminine socialement bien accepté (avoir une qualification, un

salaire, et des tâches jugées valorisantes). On peut tout autant souligner le paradoxe de métiers, qui

ne sont valorisant que « pour une femme » et qui font souvent la part belle à la reproduction sociale

de stéréotypes domestiques. Le paradoxe est à son comble quand les professionnelles ont elles-

mêmes de jeunes enfants, qu’elles quittent pour aller faire avec d’autres, un « travail de mère » de

substitution.

Les enquêtes constatant la surcharge assumée par les femmes, qui ont à gérer une « double

journée » de travail, débouchent souvent sur des réquisitoires égalitaristes, dénonçant la trop faible

participation des hommes, façon de traiter les « tâches d’élevage » comme de simples tâches

domestiques, mangeuses de temps et de forces. Les enquêtes plus fines montrent comment ce

surtravail est aussi une prise de pouvoir sur l’enfant, pouvoir que les mères n’ont pas forcément

envie de partager avec leur conjoint, sauf pour être ponctuellement secondée. Leur « complicité

féminine » avec les lieux de prise en charge les conforte dans la légitimité de ce pouvoir, qui serait

en quelque sorte le substitut domestique d’un pouvoir qu’elles exercent moins que les hommes dans

l’espace professionnel. Inversement, le pouvoir des hommes dans l’espace public (économique,

social, politique) resterait à la périphérie du pouvoir « anthropologique » essentiel, droit de vie et de

mort que détient celui qui tient une vie d’enfant entre ses mains. La maternité permettrait aux

femmes de partager les fantasmes de toute puissance qui font partie de l’imaginaire professionnel

des médecins, mais dans la sphère domestique. Cette interprétation « oublie » que la majorité des

hommes est confinée à des tâches d’exécution et de services dans le monde du travail, que les

emplois du temps imposés aux cadres et professions libérales interdisent généralement ce partage de

la prise en charge des petits enfants, et que ceux qui l’assument en milieu ouvrier le font pour des

considérations économiques (ne pas payer une nourrice) et non idéologiques (Fagnani et Letablier,

2003). Les engagements idéologiques en faveur de la parité des rôles sociaux masculins et féminins,

après avoir puisé des arguments en comparant l’inégale répartition selon les sexes des emplois à

forte reconnaissance sociale (avantages matériels et symboliques), s’aventurent maintenant sur

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l’inégale répartition des gratifications identitaires que procure une fonction domestique

« essentielle », puisque la vie d’un enfant en dépend. Si le personnel d’accueil était mixte, même de

façon très minoritaire (comme c’est le cas avec le pédiatre « homme »), le monopole de la relation

maternelle sur l’éducation des jeunes enfants ne pourrait plus être tenu comme allant de soi, et la

relation des personnels aux pères changerait du seul fait que l’image du « professionnel de la petite

enfance » serait découplée du référent maternel, aujourd’hui exclusif.

c. La façon dont les institutions d’accueil gèrent la question des rôles masculin/ féminin et

favorisent des normes de conduite

C’est dès la prime enfance que les enfants sont installés socialement dans une identité sexuée, par

des marques extérieures qui signifient à l’entourage si l’enfant est un garçon ou une fille. On

dispose de peu d’études historiques sur la façon dont les mœurs familiales ont été adoptées ou non

dans les lieux d’accueil, à travers les marques symboliques liées au sexe, comme les vêtements, les

couleurs, les symboles (broderies, bijoux, coiffures) distinguant filles et garçons dès

l’accouchement dans les maternités, mais aussi dans les pouponnières ou les crèches. Dès que les

enfants marchent, les attributs masculins et féminins typiques deviennent plus visibles (cheveux

longs/ courts ; pantalon/ robe etc). Dans de nombreux pays, l’entrée à l’école obligatoire implique le

port d’un uniforme, mais cette coutume ne s’étend pas toujours aux plus petits. De multiples façons

incitatives ou imposées, filles et garçons sont conduits à se considérer comme membre d’un des

deux groupes et à en adopter les conduites attendues. C’est là que les orientations pédagogiques des

familles jouent un rôle de modelage possible en invitant les enfants à inhiber des réactions ou à

adopter des conduites préférentielles en fonction de leur « genre » d’appartenance. Ces incitations

peuvent être ou non renforcées dans les institutions accueillant les jeunes enfants. Même si le

personnel des crèches et écoles maternelles est persuadé de traiter de « façon égalitaire » garçons et

filles, ses réactions ne peuvent pas être totalement disjointes des habitudes, préjugés ou valeurs qui

ont cours dans la société environnante (par exemple, encourager les jeux moteurs pour les garçons

plus que pour les filles). De la même façon, les interventions des enseignants sont, généralement à

leur insu, marquées par les représentations que chacun se fait des rôles sociaux des deux sexes. On

dispose d’études sur les jeux et jouets mis à disposition dans les classes et d’autres enquêtes sur les

interactions entre enfants et enseignants à l’école maternelle, mais aussi sur les attitudes spontanées

des enfants entre eux (Brougère, 1995).

S’agissant du matériel ludique mis à disposition des enfants dans les écoles entre 2/3 ans et 6/7 ans,

en Suède comme en France (Almquist et Brougère, 2000), l’espace éducatif se caractérise par ses

refus de certain matériel vendu pourtant largement aux familles : les jouets guerriers (armes,

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pistolets, véhicules militaires, tanks, panoplies de soldats, soldats miniatures) sont absents des

écoles dans 90% des cas en Suède, 96% en France. Les poupées Barbie sont absentes dans 70% des

écoles suédoises, dans 89% des écoles françaises et, quand elles sont présentes, le sont en bien

moins grande quantité que les poupées-bébés présentes dans toutes les écoles. Les jeux qui sont

massivement présents sont des jeux « neutres » (jeux cognitifs, créatifs, de construction, de

motricité). Les jeux d’imagination investis autour des poupées-bébés, des peluches, des petites

voitures montrent une similitude entre les écoles de Suède et les petites sections des écoles

maternelles en France (au fur et à mesure que l’on monte dans les classes en France, l’équipement

ludique fait place à un équipement plus scolaire). L’interprétation n’est pourtant pas évidente : on

peut y voir une résistance de principe de l’école à la société de consommation et aux stéréotypes

masculin/féminin (soldat/barbie) qu’elle véhicule, ou un simple archaïsme scolaire, les maîtresses

privilégiant les jouets de leurs enfances, si bien que l’entrée des poupées barbie serait en train de

s’opérer progressivement. Sans une réflexion collective sur les us et coutumes et les enjeux

éducatifs qui se jouent à travers l’utilisation de ce matériel ludique, les modes consommatoires du

marché finissent par s’imposer à l’école malgré elle. Or, elle est un consommateur très important

qui peut peser sur les orientations des fabricants (comme elle peut peser sur les productions

d'albums et de livres de jeunesse). Une enquête en cours au Brésil sur le même objet permettra

d’éclairer cette question.

S’agissant des interactions entre les adultes et les jeunes enfants, les enquêtes de terrain opposent

classiquement la conviction « égalitariste » des éducateurs et des comportements ou croyances liés

à une conception « différencialiste » des aptitudes attendues ou normes imposées aux enfants selon

leur « genre » (Acherar, 2003, Mosconi 2004). En France, la façon dont les enseignantes distribuent

la parole, félicitent les enfants, indiquent leur approbation ou leur désapprobation, montrent de

façon régulière que les garçons sont systématiquement encouragés et incités à s’exprimer plus que

les filles. Dans une classe mixte, la régulation des échanges est essentiellement orientée par les

échanges avec les garçons. Là encore, l’interprétation est difficile, car on peut à la fois penser que la

façon dont les maîtresses incitent les filles à s’effacer ou adopter des postures d’aide renforce les

stéréotypes sociaux extérieurs, mais les enseignantes savent aussi qu’à l’école élémentaire les

élèves « statistiquement » le plus en difficulté sont les garçons de milieu populaire (apprentissage

de la lecture, de l’orthographe en particulier). Pour être pertinentes, les enquêtes devraient donc

coupler une analyse en terme de « genre » (interactions avec les garçons ou les filles) à une analyse

en terme scolaire (interactions avec les enfants selon de leur réussite scolaire) et social (interaction

en fonction de l’appartenance familiale). Or, les études ne sélectionnent généralement qu’une entrée

et on sait que les maîtres interrogent davantage les bons élèves, plus sollicitants, et les enfants de

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classes moyennes qui se conforment bien aux attentes scolaires (Sirota, 1998).

Dans les cours de récréation ou les espaces de jeux, les enfants manifestent aussi des choix

d’activité et de partenariats différents selon les sexes. Dans une étude expérimentale de Sheffield

(Smith 2000), on a fait varier l’espace, le matériel, la quantité et les types de matériel ludique dans

des groupes de jeu pour des enfants de 3 à 6 ans. Les résultats obtenus montrent peu de différences

entre les sexes pour les choix des jeux et de jouets. En revanche, le choix d’un partenaire de même

sexe pour jouer est plus fréquent dans les grands groupes (15-25 enfants), alors qu’en petit groupe

(6-8), les collaborations sont mixtes. Quand l’espace se réduit, les comportements d'agression, de

bagarres augmentent mais ils ne sont pas le fait des seuls garçons. Quand les groupes sont petits

(moins de dix enfants), il y a davantage d’échanges parlés entre les deux sexes, davantage de jeux

de fiction (par rapport aux jeux de motricité) et les jeux durent davantage. Dans les cours de

récréation des écoles maternelles françaises (Acherar 2003), les garçons occupent tout l’espace pour

des jeux moteurs, alors que les filles en moyenne jouent souvent à deux ou dans des petits groupes

de 4 à 6 filles. Elles ont des contacts plus stables entre elles que les garçons et leurs activités sont

plus calmes avec un recours plus grands aux jeux symboliques et aux échanges langagiers.

Ainsi, alors même qu’ils sont en situation d’activité libre, les enfants manifestent de façon précoce

des conduites qui sont plus ou moins fréquentes selon qu’ils appartiennent à l’un ou l’autre sexe.

Ces fréquences se constituent facilement en norme de groupe qui, si les adultes n’y veillent pas,

peuvent devenir, du seul fait des interactions entre enfants, des comportements imposés ou interdits,

valorisés ou stigmatisés (selon le sexe considéré). Le rôle des adultes est donc de veiller à élargir

l’éventail des comportements dans lesquels les enfants puissent s’investir positivement. Sans nier

l’existence de comportements socialement considérés comme « identitaires », il est important de ne

pas les conforter en stéréotype excluant (Désert, 2004) On assiste actuellement au développement

de nombreux programmes éducatifs (soit dans la formation des maîtres, soit dans les interventions

auprès des enfants) pour permettre des prises de conscience concrètes sur ces questions. Ainsi, « A

quoi joues-tu ? » est un programme éducatif soutenu par la Commission européenne de Bruxelles

destiné à promouvoir des conduites non sexistes entre filles et garçons en maternelle

(www.cemea.asso.fr/aquoijouestu/fr). On pourrait citer aussi le programme québécois, « Les p’tits

égaux » , adapté en France. Le même travail est en train d’être fait sur la littérature de jeunesse, non

pour réécrire les contes traditionnels dans des versions « politiquement correctes », mais pour

réfléchir avec les enfants à la façon dont se construisent les identités de l’un et l’autre « genre »

(Novelle, 2002, 2003).

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