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LES MIGRATIONS ÉCONQMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS J. ROCH R7ÉsuM.É Centre ORSTOM. B.P. 1386, Dakar (SétGgal) ABSTRACT L’économie sénégalaise dépend encore étroitement d’une agriculture saisonnière basée sur deux grandes spéculations : l’arachide, culture commerciale et le mil, autoconsommé. La vaste zone dite du cs Bassin arachidier » vit de ces deux cultures. Mais les résultats agricoles ne suffisent pas à assurer la subsistance des paysans wrachidiers. Ainsi, les cztltivateurs sont contraints de cherche? des revenus additionnels en saison sèche. Cette quête de ressozirces complémentaires s’exprime par les incessants déplacements saisonniers qui affectent l’ensemble de la zone arachidière pendant tozdt ou partie de la saison sèche, surtout de Janvier à Mai. Le phénomène n’est ni accidentel, ni lié aux seules contraintes pédologiques et climatiques. La très grave sécheresse des dernières années n’a fait qu’accélérer la dégradation du système de subsistance arachidier, mais elle n’en a pas créé les conditions. Les migmtions de saison sèche concernent chaque année de nombreux effectifs de paysans sans instruc- tion et à faible qzralification qui viennent grossir la concurrence sur le marché des emplois urbains. Mais les villes, c’est-à-dire avant tout Dakar et le Cap-Vert, accueillent de plus en plus difficilement les ruraux, qzl’il s’agisse de main-d’oeuure temporaire ou à plus forte raison de personnes désireuses de changer de condition en se fixant définitivement en ville. La mobilité saisonnière révèle ainsi la gravité de la crise sociale sénégalaise, à la ville comme à la campagne. Au stade actuel de Pévolzrtion, les ajus- tements spontanés sont de plus en plus difficiles à réaliser. The senegalese ecorzomy is still closely dependent on seasonal agriculture based on two major pro- ductions: ground-nuts as cash crops and millet for honte consumption. The large area called athe grozmd-nzct basin gets its living from these two types of crops. But the hbarvests are not adequate to maintain the pensants who grow the ground-nuts. Consequently the farmers are compelled to seek additional lamings dztring the dry season. This search for extra income cari he detected in the continuous seasonal movements affecting a11 the ground-nut area during the whole period or part of th.e dry season, mainly front January to May. The phenomenom is neither accidental nor cxclzlsively related to pedologic and climatic limi- tations. Last year’s very severe drozrght has admit- tedly speeded up the deterioration of tlze ground-nut subsistence system but was net responsible for it. Every year the dry season migrations affect a great number of unedumted and poorly skilled peasants who aggravate the struggle for employment in the urban market. Bzct the towns, mainly Dakar and the Cap-Vert, find it more nnd more difficult to absorb these rural workers whether as temporary labour or et-en more as people anxious to change their conditions by settling permanently in town. Thus these seasonal movements betray the seriousness of the social crisis in Seneg&, in urban as well as in rural areas. At the present stage of evolution, spontaneous adjustments are more and more difficult to realise. Cah. ORSTOM, sér. Sd. Hum, sol. XII, no 1 - 1975 : 55-80

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LES MIGRATIONS ÉCONQMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS

J. ROCH

R7ÉsuM.É

Centre ORSTOM. B.P. 1386, Dakar (SétGgal)

ABSTRACT

L’économie sénégalaise dépend encore étroitement d’une agriculture saisonnière basée sur deux grandes spéculations : l’arachide, culture commerciale et le mil, autoconsommé.

La vaste zone dite du cs Bassin arachidier » vit de ces deux cultures. Mais les résultats agricoles ne suffisent pas à assurer la subsistance des paysans wrachidiers.

Ainsi, les cztltivateurs sont contraints de cherche? des revenus additionnels en saison sèche. Cette quête de ressozirces complémentaires s’exprime par les incessants déplacements saisonniers qui affectent l’ensemble de la zone arachidière pendant tozdt ou partie de la saison sèche, surtout de Janvier à Mai.

Le phénomène n’est ni accidentel, ni lié aux seules contraintes pédologiques et climatiques. La très grave sécheresse des dernières années n’a fait qu’accélérer la dégradation du système de subsistance arachidier, mais elle n’en a pas créé les conditions.

Les migmtions de saison sèche concernent chaque année de nombreux effectifs de paysans sans instruc- tion et à faible qzralification qui viennent grossir la concurrence sur le marché des emplois urbains. Mais les villes, c’est-à-dire avant tout Dakar et le Cap-Vert, accueillent de plus en plus difficilement les ruraux, qzl’il s’agisse de main-d’œuure temporaire ou à plus forte raison de personnes désireuses de changer de condition en se fixant définitivement en ville.

La mobilité saisonnière révèle ainsi la gravité de la crise sociale sénégalaise, à la ville comme à la campagne. Au stade actuel de Pévolzrtion, les ajus- tements spontanés sont de plus en plus difficiles à réaliser.

The senegalese ecorzomy is still closely dependent on seasonal agriculture based on two major pro- ductions: ground-nuts as cash crops and millet for honte consumption.

The large area called athe grozmd-nzct basin gets its living from these two types of crops. But the hbarvests are not adequate to maintain the pensants who grow the ground-nuts.

Consequently the farmers are compelled to seek additional lamings dztring the dry season. This search for extra income cari he detected in the continuous seasonal movements affecting a11 the ground-nut area during the whole period or part of th.e dry season, mainly front January to May.

The phenomenom is neither accidental nor cxclzlsively related to pedologic and climatic limi- tations. Last year’s very severe drozrght has admit- tedly speeded up the deterioration of tlze ground-nut subsistence system but was net responsible for it.

Every year the dry season migrations affect a great number of unedumted and poorly skilled peasants who aggravate the struggle for employment in the urban market. Bzct the towns, mainly Dakar and the Cap-Vert, find it more nnd more difficult to absorb these rural workers whether as temporary labour or et-en more as people anxious to change their conditions by settling permanently in town.

Thus these seasonal movements betray the seriousness of the social crisis in Seneg&, in urban as well as in rural areas. At the present stage of evolution, spontaneous adjustments are more and more difficult to realise.

Cah. ORSTOM, sér. Sd. Hum, sol. XII, no 1 - 1975 : 55-80

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« La vie se réfugie souvent dans ce qu’il est convenu d’appeler les régions marginales, ou les genres de vie marginaux. Et c’est pourtant là que se trouve un important pourcentage de la population rurale. » Ce propos récent de l’urbaniste Milton Santos (1) attire opportunément I’attention sur les questions oubliées et souvent maltraitées par la recherche, surtout si les marginaux (dans les diffé- rentes acceptions suggérées) sont nombreux, parfois même les plus nombreux. Tel est bien le cas ici. Cet essai se propose donc d’éclaircir un domaine qui n’est certes pas nouveau, mais qui reste très mal connu. >Les déplacements saisonniers caractérisent toute la zone soudano-sahélienne et concernent, chacun le sait, des dizaines, voire des centaines de milhers de personnes.

L’explication habituelle de mouvements d’une telle ampleur se cantonne dans un truisme : la 6: morte-saison » imposée par le climat et la pluvio- métrie contraint, dit-on, ou incite les ruraux à l’exode, aux voyages et aux visites Zt la famille. 11 serait naturellement absurde de ne pas prendre en compte l’argument climatique comme élément déterminant de la turbulence de saison sèche. Sans doute, et pourtant l’argument est biaisé parce qu’il sous-entend l’insuffisance des systèmes de subsistance dans la zone soudano-sahélienne comme une donnée naturelle. Or, dans le contexte sénégalais dont je traiterai, rien n’est moins naturel que l’économie arachidière et surtout rien n’est plus anormal qu’un système agricole qui n’a réalisé aucun progrès notable des rendements ,depuis l’origine : le paysan arachi- dier ne produit pas une tonne *à l’hectare en moyenne après plus d’un siècle de monoculture. II semble, en effet, que les premiers producteurs du Cayor avaient peu ou prou les memes résultats. Les progrès dus à la monoculture sont 6 rechercher dans l’exten- sion de la zone de culture. ‘Les succès réels, les seuls qui soient certains, ce sont l’essor démogra- phique et la densification étonnante de la population sénégalaise.

,C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’analyse de la situation sénégalaise et il semble logique d’ana- lyser la relation démo-économique, historique et non naturellel comme structure de référence dominante. Telle est la problématique retenue dans cet essai : etudier l’une des grandes articulations des déplace- ments de population au Sénégal en référence au système de subsistance et jusqu’à son terme! c’est-à-

(1) Milton Samos : s Les statistiques et l’étude de la crois- sance urbaine Ù : article de l’ouvrage collectif : « La crois- sance urbaine en Afrique noire et à Madagascar ». C.N.R.S., Paris, 1972, p. 988.

dire en considérant l’urbanisation du pays (villes moyennes et ,Cap-Vert) comme l’une des destinations finales potentielles de l’exode saisonnier.

II me paraît impossible de comprendre les dépla- cements saisonniers sur les seules observations des activités de la saison sèche.

Les résultats partiels dont je ferai état s’appuient sur des études de terrain de plusieurs années réali- sées par I’ORSTOM aussi bien en « hivernage P qu’en « morte-saison » agricole. Ces travaux ont été menés dans toutes les régions du Sénégal et, en ce qui me concerne, la zone d’étude était la vieille région Wolof mouride (2) située au cœur du bassin arachidier. La résidence au village sur plusieurs saisons nous a permis de suivre l’activité paysanne toute l’année.

Mon propos traitera trois aspects de la migration économique de saison sèche :

- présentation des structures socio-économiques dont la migration de saison sèche est lune des composantes. Les déplacements saisonniers appa- raissent comme des mouvements induits par un modèle historique de subsistance ; ils sont donc strictement déterminés et n’ont rien à voir avec un soi-disant erratisme sans normes, comme certains s’obstinent encore à l’analyser. Cette problématique m’amènera à préciser les questions de méthode et de définitions : que faut-il entendre par migration économique de saison sèche et quelle est l’unité du sujet ?

- exposé des résultats monographiques obtenus par enquête directe dans la région arachidière cen- trale (secteur mouride de M’Backé-Touba). Cette partie traitera en détail de l’importance des dépla- cements de saison sèche : essai statistique partiel,

(2) Les Wolof sont le groupe ethnique le plus nombreux du Sénégal, dont la population approche aujourd’hui 4 mil- lions d’habitants. Les recensements ne retiennent plus la variable ethnique, mais on estime généralement que les Wolof représentent environ 1/3 de la population du pays. Ils occupent. avec les Serer, les grandes régions de l’ara- chide, dont ils sont les principaux producteurs. Ils se sont convertis en masse à l’Islam à la fin du siecle dernier et se répartissent entre les deux grandes confréries musulmanes du Tidjanisme et du Mouridisme. Le nombre des mourides n’est pas COMU, mais on l’estime à 400 000 personnes envi- ron. Ils sont nombreux dans la région de Diourbel, notam- ment dans les anciens royaumes du Cayor et du Baol, mais ils sont partout présents dans le bassin de l’arachide. En effet, le Mouridisme wolof a été le fer de lance de la conquête pionnière des Terres Neuves, ce qui explique l’importance et le rayonnement de la confrérie. En outre, les mouri’des représentent d’actives minorités urbaines dans toutes les grandes villes du Sénégal.

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inte.rprétation de la nature et des destinations des déplacements, analyse anthropologique appuyée sur l’interprétation critique des données chiffrées grâce à la connaissance du milieu villageois (observation sur toutes les saisons et résidence prolongée dans les villages par les équipes de I’ORSTOM) ;

- interprétation globale des mouvements de sai- son sèche dans le contexte de l’urbanisation et de l’exode rural au Sénégal. Le progrès des connais- sances, grâce aux recensements généraux et à d’excellentes monographies urbaines récemment publiées, permet de tenter une interprétation générale du devenir de3 mouvements saisonniers en explicitant la relation étroitement solidaire entre les contradic- tions de l’urbanisation et les carences présentes du milieu rural sénégalais.

1. La migration de saison sèche en zone arachidière : définitions et méthodes d’approche. Le modèle de subsistance et ses composantes en vieux bassin arachidier

La première certitude acquise par la fréquentation prolongée des villages de la zone arachidière centrale (cf. annexe 1) est que les enquêtes rapides ou les correctifs de l’interview rétrospective ne suffisent pas gà rendre compte des ressources acquises en sai- son sèche ni de l’importance et de la signification des déplacements saisonniers. J’en donnerai pour exemple les occasions de travail rimunér& créées par le grand magal (1) de Touba : les résultats dhn questionnaire de routine (entrées et sorties quotidiennes d’argent dans quatre familles du village de Darou Rahmane 11) ont fait apparaître que cha- que chef de carré (2) avait obtenu entre 1 500 et

(1) Magal = agrandissement, glorification. Le magal est un pèlerinage qui commémore une grande date de l’Islam. Les confréries musulmanes sénégalaises, particulièrement les mourides, organisent de nombreux magal. Le plus célèbre, aui réunit olusieurs centaines de milliers de disciples B Touba:ville saink du Mouridisme, commémore le départ en exil au Gabon (10 août 1895) du fondateur de la confrérie, Amadou Bamba. Ce grand rassemblement de pékins permet l’exercice d’une foule de petites activités rémunérées, depuis la vente d’eau jusqu’au commerce des talismans, $ compris naturellement les transactions com- merciales habituelies (alimentation, tissus, etc.).

(2) Le carré (le k6r wolof) est la communauté domes- tiqué %émentairè qui comprekd le mari et sa femme ou ses femmes, les enfants et parfois les ascendants. La défi- nition formelle ‘du carré est donc très proche de celle du ménage occidectal. Mais le carré est à la fois unité fami- liale, unité de résidence et unité d’exploitation, si bien que la notion de carré est plus compréhensive que celle du ménage et définit tout autant des rapports sociaux que les relations de parenté.

3 000 francs CFA au cours des deux ou trois jour- nées de présence au Magal. Le revenu provenait de petites activités n’exigeant aucune qualification particulière : portage d’eau, transports en charrette, confection de palissades et d’abris pour les stands commerciaux dressés pour la durée de la cérémonie. L’occasion dc revenu ktait créée par la pr&ence de l’immense marché temporaire né de l’afflux des dizaines de milliers de talibés (3) dans la ville sainte du mouridisme. Il serait facile de prkenter d’autres exemples du même type. Quelques observations méritent de retenir l’attention :

- les revenus secondaires de saison sèche sont notablement sous-estimés dans toutes les enquêtes, qu’il s’agisse des occupations exercées au village ou ,à partir du village (co1portage.s et sorties quoti- diennes) ou des activités pratiquées temporairement ZI l’extérieur (résidence provisoire sur les lieux du travail hors du lieu du domicile habituel) ;

- l’importance des migrations temporaires sai- sonnières reste mal connue au Sénégal, qu’il s’agisse du taux migratoire, du nombre des familles concer- nées, des raisons des déplacements, des revenus f,ormés à cette occasion et à fortiori du « profil » des saisonniers ;

- les motivations réelles de nombreux déplace- ments ne sont pas clairement perçues et les enquêtes, quand elles existent, enregistrent souvent des répon- ses fausses ou erronées ;

- la liaison entre les déplacements de saison sèche et les carences du système de subsistance de la paysannerie arachidière n’est pas toujours établie. Et pourtant, il s’agit d’une liaison structurelle géné- rale (commune 2 l’ensemble de la zone) et constante (quelle que soit l’année agricole, 0 bonne » ou « mau- vaise a). Cette évidence apparaît immédiatement dans une recherche qui suit l’activité paysanne tout au long de l’année. Il est nécessaire de faire le bilan monétaire et vivrier global, comme de constater les insuffisances générales de l’exploitation arachi- dière, pour discerner le niveau des contraintes qui guident les mouvements saisonniers. Or, ils ne pro- cèdent ni des préférences, ni de la nature, ils sont

(3) Talibé = terme générique. d’origine arabe, qui désigne l’adepte d’une confrtkie islamique. Le terme signifie élève ou disciple et implique l’engagement au service d’un chef religieux. L’Islam sénégalais est en effet caractérisé par le rôle essentiel donné aux marabouts, qui disposent du cha- risme nécessaire au salut. Chaque adepte se voue au mara- bout de son choix par un engagement personnel qui lui fait bénéficier de la médiation charismatique.

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le produit de l’histoire sociale du Sénégal en général et de la formation arachidière en particulier.

Paul Pélissier conclut son analyse des civilisations agraires sénégalaises en rappelant I’importance des éléments institutionnels qui devraient déterminer la réorganisation de la société sénégalaise. Il insiste, à juste titre, sur la surcharge humaine du bassin de l’arachide : « Le premier de ces obstacles, et le plus lourd de conséquences, ne réside-t-i1 pas dans une répartition de la population qui n’est pas conforme aux suggestions du milieu naturel mais qui est le résultat d’accidents historiques dont les conséquences ont été aggravées par l’inégale efficacité des civilisations en présence ‘? XJ (1). Tel est aussi le point de vue exposé ci-dessous, qui ne fait guère référence au milieu « naturel », mais à l’analyse d’un rapport déms-économique aberrant : la migration de saison sèche n’est qu’un avatar, devenu nécessaire, de la reproduction du système de l’arachide (mais pour combien de temps et à quel prix ?).

11 n’est pas question bien sûr de sous-estimer le rôle décisif des contraintes naturelles. Elles contri- buent à fixer le < seuil 9 à partir duquel intervient la diversité des comportements sociaux. Malheureu- sement, l’insécurité climatique fixe ce seuil à un niveau très bas dans une région comme le Bassin arachidier. situé aux marges du Sahel. Mais j’essaierai de rendre compte en priorité des caractères sociaux de la crise que traverse la paysannerie arachidière dans ‘son ensemble. Car cette crise n’a pas que l’aspect d’une déficience chronique des résultats agricoles. De ce point de vue, s’il est vrai par exem- ple que la migration de saison sèche suit le rythme des saisons, il est aussi clair que le phénomène n’a pas partout les mêmes caractères de nécessité : ni le taux, ni le sens des mouvements observés ne sont identiques d’une région à une autre, tout comme ils dépendent de nombreuses déterminations exté- ri.eures aux zones de départ, telles que la situation de l’emploi dans les villes et la pression démogra- phique momentanée. Ce préalable servira, je l’espère, à lever toute équivoque sur la problématique de cet essai. L’objectif consiste à traiter préférentiel- lement des contraintes sociales d’un phénomène qui sont peut-être moins connues que celles liées aux conditions naturelles.

(1) P. Pélissier : « Les paysans du Sénégal ». Imprimerie Fabrègue, Saint-Yrieix (Haute-Vienne), 1966, 939 pages (,cf. p. 894).

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A. LA DISTRIBUTION DES HOMMES ET DES RESSOURCES DANS L’ÉCONOMIE SÉNÉGALAISE LA PARTICIPATION DE LA ZONE ARACHIDIÈRE CENTRALE AUX GRANDS MOUVEMENTS MIGRATOIRES

La mauvaise répartition des hommes et des res- sources au Sénégal apparaît vite à travers l’obser- vation de quelques grandeurs démo-économiques. Le bilan rapide qui suit permettra de définir où se situent les points de rupture et quelles sont les zones prioritairement concernées par les turbulences saisonnières à caractère économique.

- L’arachide reste la production principale du Sénégal et souvent la seule culture commerciale de la majorité de la population rurale du pays.

- ;L’enquête démographique nationale de 1970- 1971 évalue la population sénégalaise à 3 755 286 habitants dont 2 110 859 ruraux, 525 379 semi- urbains et 1 119 048 urbains (2), soit respectivement 56 % , 14 % et 30 % . L’enquête enregistre ainsi une progression sensible de l’urbanisation par rapport aux recensements précédents, mais les ruraux restent encore largement majoritaires. Il est raisonnable d’estimer que deux personnes sur trois conservent l’agriculture comme activité principale, si l’on consi- dère que la strate semi-urbaine définie par l’enquête (agglomérations de 1 000 à 10 000 habitants) con- cerne des populations d’agriculteurs en presque totalité.

- L’enquête nationale constate la progression des effectifs urbains, mais la croissance urbaine s’analyse d’abord par la croissance de l’aggloméra- tion dakaroise et des cités satellites du Cap-Vert. Le modèle simple qui oppose le Cap-Vert urbanisé au reste de la population sénégalaise s’est affirmé.

(2) Cf. « Enquête démographique nationale 1970-1971=. Résultats provisoires du W passage. Direction de la Statis- tique du Sénégal, 1971, ronéo. 68 pages. L’enquête natio- nale ventile la population en trois strates, définies en fonction de la taille des agglomérations :

- la strate urbaine comprend les agglomérations de 10 000 habitants et plus ;

- la strate rurale comprend les petites agglomérations, inférieures à 1 000 habitants :

- la strate semi-urbaine comprend les agglomérations de taille intermédiaire, qui comptent de 1000 à 9 999 habi- tants.

Cette convention classificatoire doit être interprétée avec prudence, car la strate semi-urbaine comprend essentielle- ment de grosses agglomérations rurales. Il faut ajouter que la strate urbaine comprend elle-même de nombreux agri- culteurs, tant les vill’es sénégalaises de l’intérieur, même les plus importantes, restent dominées par les activités du sec- teur primaire.

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II suffit d’observer les statistiques industrielles et agricoles récentes : le Cap-Vert concentre presque toutes les industries et les grands commerces et fournit ainsi l’essentiel des créations d’emploi dans le secteur moderne, le plus stable et le mieux rému- néré. Pour le reste, la fixation d’établissements importants en dehors du Cap-Vert n’est commandée que par la localisation des ressources du sol et du sous-sol (salins de Kaolack, phosphates des environs de Thiès,, quelques huileries sur les lieux de produc- tion, quelques complexes agro-industriels dans le delta du Sénégal et en Casamance). Ze sens de l’évolution prévue est plutôt renforcé. C’est ce qui explique, sous des modalités diverses selon les régions et Ies ethnies, l’importance et la nécessit6 des déplacements de tous ordres auxquels sont contraints les ruraux sénégalais.

- Les populations du bassin de l’arachide sont concernées par les différents circuits migratoires, permanents ou temporaires, externes ou internes. A quel titre et dans quelle mesure sont-elles inté- ressées par tous ces mouvements ?

Je reviendrai plus loin sur le procès d’exode rural là partir du Bassin arachidier, car la question est posée de savoir si les données nouvelles de l’urbanisation du Cap-Vert autorisent encore le procès migratoire par la fixation urbaine des vrais ruraux. Quant aux autres mouvements, les popu- lations de la zone arachidière centrale, particuliè- rement dans la zone mouride centrale, participent déjà à la grande migration internationale. Au cours d’une enquête sur les hommes d’affaires de la petite ville de .M’Backé (Baol, région de Diourbel), j’ai observé la fréquence des départs de commerçants ou d’artisans vers la Côte-d’Ivoire. Le fait semble peu connu, car on étudie généralement la migration vers la Côte d’ivoire comme un phénomène propre E la région du Fleuve et & l’ethnie toucouleur.

D’une manière plus certaine, la zone arachidière centrale participe activement à deux grandes migra- tions rurales, c’est-à-dire le « navétanat > et la colo- nisaiion des Terres Neuves orientales. Une enquête réalisée dans les Terres Neuves de Koungheul (1) précise l’origine des colons : la Guinée et la Gambie représentent presque la moitié du colonat, tandis qu’ « au Sénégal, c’est la région de Diourbel qui fournit le plus de migrants ,à la zone », soit 19 %

’ du total, dont l’essentiel en provenance du Baol

(1) Cl. Cros : « Les migrations rurales vers la zone ara- chidière orientale h. Ministère du Plan du Sénégal, Dakar, 1968, ronéo.

Cak ORSTOM, sér: sci. Hum, vol. XZI, N' 1 - 1975 : 55-80

[Diourbel) plus que du Cayor (Louga). Cette enquête par sondage portait sur une population de plus de 100 000 personnes. Restent les migrations tempo- raires rurales, en particulier le navétanat (2). Cette forme de travail agricole saisonnier est encore impor- tante, mais elle semble maintenant concerner davan- tage les étrangers @e les Sénégalais : l’enquête de Koungheul estime 44. moins de quatre mille les navé- tanes sénégalais de la zone, tandis que les seuls >Guinéens représentent des effectifs trois fois supé- rieurs. Au total,. la zone arachidière centrale, il faut le noter, participe aux divers mouvements migra- toires étudiés dans les autres articles de ce recueil. 11 reste que la « surcharge humaine » de la zone, eu égard aux ressources disponibles, rend indispen- sables les déplacements temporaires à grande échelle en saison sèche. Ils constituent un « créneau » parti- cuber de la migration, où la motivation économique paraît déterminante.

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B. DÉFINITION DU CHAMP D’ÉTUDE : LE BASSIN ARA-

CHIDIER SÉNÉGALAIS ET LES ZONES DE RUPTURE

CONCERNÉES EN PRIORITÉ PAR LA MIGRATION

SAISONNIÈRE (SECTEURS A SURCHARGE DÉMOGRAPHI-

QUE, EXPRIMÉE PAR UNE INSUFFISANCE DES RES-

SOURCES VIVRIÈRES ET MONÉTAIRES DISPONIBLES

PAR TÊTE)

L’expression générique « bassin arachidier w re- couvre, dans son acception habituelle, les trois grandes régions productrices : Sine-Saloum (Kao- lack), fDiourbe1 et Thiès. Dans une acception plus large, la région arachidière concerne aussi le dépar- tement de Tambacounda au Sénégal oriental et partie de la Casamance. Pour mieux définir le domaine étudié, il est intéressant de se reporter aux statistiques globales de production et de population qui aident à repérer les principaux sous-ensembles de l’espace arachidier (cf. annexe II).

Dans la région du Cap-Vert, le maraîchage appa- raît comme production agricole importante. La région

(2) Le navétanat. Les navétanes sont des saisonniers agricoles qui travaillent l’arachide en hivernage et rentrent chez eux après la récolte. Le navétane doit quatre demi- journées de travail à son employeur, qui le loge, le nourrit et hri fournit les parcehes nécessaires à la culture pendant son temps libre, c’est-à-dire en dehors des quatre demi- journées dues à l’employeur.

Le navétanat a beaucoup contribué à l’expansion de la production arachidière, mais il est en nette régression depuis l’indépendance. Les nouveaux Etats ne facihtent plus les mouvements de ce type et, surtout, la culture attelée supplée dans une .large mesure les besoins en main-d’oeuvre addi- tionnelle extra-familiale.

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du Fleuve vit essentiellement en auto-subsistance et reste peu concernée par la production arachidière. La région du Sénégal oriental commence à compter comme producteur d’arachides, mais la production vivrière reste dominante (mils et sorghos, maïs). II faut ajouter que le rapport démo-économique y apparaît, somme toute, favorable, si l’on considère le faible peuplement de la zone et ses réserves foncières. En outre, son éloignement des grands centres urbains limite les occasions de travail sai- sonnier ,a l’extérieur. De meme, la Casamance, où l’arachide s’etend rapidement, apparaît comme une région bien dotée : le potentiel en cultures pérennes devrait suffire à occuper et A nourrir sa population tout au long de l’année. L’avenir de cette région consiste en un réaménagement du système de pro- duction sur place.

Restent les trois régions productrices d’arachide. Ce sont elles qui accusent, quoiqu’à des degrés très divers, ;es insuffisances qui rendent indispen- sables les déplacements temporaires de saison sèche comme une nécessite de la subsistance. ‘Les traits communs sont les suivants : grosse production ara- chidière et céréalière. population nombreuse et dense. Mais ces données globales doivent être précisées et, a cet égard, le rapport des disponibilités agricoles par tète fait apparaître clairement la situation critique dans les trois régions (1). .

TABLEAU 1

Disponibilités en arachides et eu céréales par tete

(Rapport des quantités récoltées pendant la campagne agricole 1971-1972 à la population agricole dans les

trois régions)

Région de Diourhel :

Région, de Thiès :

450 kg d’arachides, 200 kg mils-sorghos

450 - 210 - Région du I

Sine-Saloum : 585 - 280 -

Quelqu’imparfaites que soient les statistiques, elles donnent bien la mesure des insuffisances du système de l’arachide dans son état actuel. La région du

(1) Le calcul des disponibilités agricoles par tête prend pour bases les chiffres de production de la campagne agri- cole 1971-1972 d’après le rapport annuel de la Direction des Services Agricoles du Sénégal. La population de réfé- rence est celles de strates rurale et semi-urbaine définies par l’enquête démographique nationale 1970-1971 CC~. note 2, p. 58).

Sine-Saloum apparaît toutefois moins défavorisée : les rendements sont plus élevés et il reste des réser- ves foncières (mais de quelle importance et pour combien de temps ?j. Toutefois, une analyse plus fine laisse apparaître des disparités régionales nota- bles. En particulier, l’examen détaillé des résultats par départements comme des situations géographi- ques permet de juger beaucoup moins critique la sfiuation de la région de Thiès : elle enregistre, en effet, la plus forte production de manioc du Sénégal (75 000 tonnes en 1971-1972, soit plus de la moitié de la production totale du pays), culture pérenne qui réduit notablement les difficultés de la « soudure » de saison sèche (2). En outre, la pêche et le maraîchage exercés en toute saison dans toute la zone des « Niayes » de Dakar à Saint-Louis, sur une large bande côtière, apportent d’importants compléments de ressources, en vivres et en monnaie, tout au long de l’année (marché en expansion et rémunération très supérieure aux gains arachidiers). Si bien que deux des trois départements de la région de Thiès, M’Bour et Tivaouane, offrent la gamme de ressources suffisantes pour occuper et nourrir leur population en toute saison. Par contre, la situa- tion est beaucoup moins favorable dans la région cie Diourbel : l’agriculture y reste en permanence menacée par la sécheresse, il n’y a pratiquement plus de réserves de terre, la région est vide d’implan- tations industrielles. L’exigence de sécurité immé- diate, dont les paysans ont bien compris l’intérêt, consiste à étendre les cultures de manioc. Cette spéculation paraît conna$tre des progrès notables, mais les tonnages actuels (environ 20 000 tonnes) restent insuffisants. Dans cette même région de Diourbel, il faut préciser que c’est l’ethnie wolof qui connaît une situation difficile : les Serer en effet associent l’élevage 4 l’agriculture dans un système de culture intensive. La zone de rupture est ainsi

(2) La soudure exprime les insuffisances du système de subsistance arachidier sénégalais. Il s’agit de la dure pé- riode qui commence à partir du moment où sont épuisées les réserves vivrières et monétaires tirées de l’activité a.&- cale met qui dure jusqu’à la première récolte du petit mil. La longueur de la soudure est variable selon les années et dépend beaucoup de .la pluviométrie (quantité et répartition des pluies), puisque l’agriculture arachidière est une culture sous pluie. La durée de la période de soudure est toujours I de plusieurs mois et pleut atteindre six mois et plus dans les années de sécheresse. Le terme de soudure s’auulicme aussi à Ila manière de satisfaire les besoins alim&taiÏes pendant la période de pénurie. Les déplacements de saison sèche apparaissent comme Yun des grands moyens utilisés par la paysannerie arachidière pour K faire la soudure ».

Cuh. ORSTOM. sér. Sci. H~I., vol. XII, no 1 - 1975 : 55-80

LES MIGRATIONS ÉCONOMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS 61 .-

strictement localisée dans les pays wolof du Cayor et du Baol, notamment dans le triangle du vieux pays mouride : Diourbel, Touba, Louga.

C. LES ~GRATI~NS DE SAISON SÈCHE ET LEUR RÔLE

DANS LE MODÈLE DE SUBSISTANCE WOLOF DANS LA ZONE ARACHIDIÈRE CENTRALE

Ce modèle apparaît comme un modèle alternatif qui comporte quatre formes fondamentales :

Première forme : travail agricole exclusif (ou quasiment). C’est la forme classique extrapolée par toutes les enquêtes, où l’on réduit le revenu paysan au seul produit agricole net disponible à la récolte : revenu monétaire de l’arachide d’une part et revenu vivrier autoconsommé d’autre part, c’est-à-dire les céréales, les niébés (10 et parfois le manioc. Cette forme simplifiée extrapole hâtivement la situation d’une minorité de paysans aisés, notables et mara- bouts, bien dotés en terre et en matériel. Pour eux, l’année se découpe en deux périodes bien différentes : une période de production en saison des pluies suivie d’une période de consommation et de loisirs en morte-saison agricole. Mais la réalité est faite d’une majorité paysanne, dont le revenu agricole ne suffit pas à la subsistance et qui, a fortiori, est incapable de dégager une épargne productive quel- conque à des fins d’accumulation aussi bien dans le secteur agricole qu’en dehors de l’agriculture.

Deuxième forme : travail agricole dominant avec occupation secondaire permanente au village. Cette forme prend des contours très précis dans la zone rrachidière centrale, à population éclatée et à faible pouvoir d’achat. Les activités secondaires sont celles de boutiquier (marchand de denrées de grande consommation) et quelques métiers ,de l’artisanat, en particulier les tailleurs. Ces activités permanentes, cumulées avec l’agriculture en hivernage, semblent concerner 5 à 10 % (dans les meilleurs cas) des actifs ruraux de la zone. 11 faut noter que la réussite dans de telles occupations nécessite un fonds initial de plusieurs dizaines de milliers de francs CFA qu’il faut mobiliser soit 6 partir de plusieurs excédents de recettes, donc après une série de nombreuses années favorables, soit avec l’aide extérieure, fami- liale ou autre, aléatoire et rare. En outre, la moindre erreur commise mène ,à la faillite sans .recours.

(1) Le niébé est un haricot, généralement semé en culture intercalaire dans le mil.

Chaque année, le bassin arachidier est le banc d’essai de nombreuses expériences dont bien peu réussissent.

Troisième forme : occupation non agricole domi- nante, voire exclusive. Cette forme s’applique essen- trellement aux « escales >> et aux gros villages. II semble qu’un marché villageois inférieur à 500 habitants interdise l’abandon définitif de l’agriculture pour un autre métier qui suffise à la subsistance. Cette forme est l’aboutissement de la réussite dans la forme précédente. Le schéma de promotion est à peu près le suivant et s’applique surtout aux boutiquiers : colportage, puis location d’une boutique ou d’un « tablier >> (2) au marché de la bourgade 1~ plus proche, enfin construction d’une boutique en tôle ou en dur, avec constitution d’un stock permanent de denrées. :Le processus de promotion peut conduire jusqu’.à Dakar ou dans les capitales de région. *Ce schema correspond au processus de 1 accumulation commerciale à partir de l’arachide. II a pu être réalisé par certains sous-traitants de grandes maisons commerciales à l’époque de la traite privée de l’arachide. Aujourd’hui, le monopole d’Etat favorise et reproduit les réussites commer- ciales de ce type en sous-traitant une partie de la commercialisation du circuit d’Etat. Tel est le cas des « quotataires » de riz, auxquels les pouvoirs publics attribuent un marché sûr et rentable où la concurrence est interdite et réprimée.

Quatrième forme : travail agricole en saison des pluies et recherche de revenus additionnels par l’exode saisonnier et/ou par l’exercice d’une occupa- tion secondaire au village-même en saison sèche. C’est dans cette catégorie qu’on rencontre la majorité des actifs arachidiers et avant tout les chefs de famille. Quelques-uns, très rares parviennent à trou- ver un emploi saisonnier bien rémunéré, tels les ma- çons ou manœuvres salariés pendant plusieurs mois en saison sèche. Quant aux autres, ils sont concurrents sur le marche des petits emplois occasionnels dans tous les métiers de caste ou les occupations sans qualification. ,Cette forme est dominante dans toute la région arachidière centrale, mais elle reste très mal connue, en raison des difficultés théoriques et pra- tiques rencontrées pour percevoir et interpréter le phénomène. ,C’est ce que j’ai tenté de réaliser par l’approche monographique de la migration écono- mique de saison sèche dans la zone mouride de M’Backé-Touba (région de Diourbel).

(2) « tablier » petit commerçant étalant sa marchandise sur une simpl’e table.

Call. ORSTOM, sér. Ski. HI~., vol. XII, no 1 - 1975 : SS-SQ

62 J. ROCH

II. Les migrations économiques de saison sèche dans la région arachidière centrale : méthodes et résultats des enquêtes monographiques réali- sées dans la zone wolof mouride du Baol (région de Diourbel, zone de M’Backé-‘I’ouba)

Les résultats qui suivent s’appuient sur la docu- mentation collectée par enquêtes directes dans deux villages de la zone mouride de Touba-M’Backé, dans l’arrondissement de N’Dame, à Kaossara et Darou Rahmane II. L’annexe 1 précise les caractéristiques du terrain qui a été étudié pendant plusieurs saisons par les chercheurs de 1’ORSTOM (1).

L’hypothèse de travail, étayée par les observations répétées dans cette zone, considérait en effet que les déplacements de saison sèche ne peuvent pas être correctement interprétés sans référence aux occasions de travail saisonnier offertes au village- méme. Telle est la problématique induite par l’ana- lyse du modèle de subsistance décrit ci-dessus (modèle alternatif dont les différentes variables se déterminent réciproquement, ce qui exclut une ana- lyse indépendante des déplacements temporaires). Les résultats obtenus à Darou Rahmane II se sont révélés de bien meilleure qualité que les précédents et permettent de mieux interpréter la signification des déplacements de saison sèche en référence au système de subsistance villageois.

La définition des concepts et le traitement des données appellent quelques précisions. Ainsi, l’ex-, pression « migrations économiques de saison sèche >> postule que la « turbulence saisonnière » est induite par la surpopulation relative à la zone étudiée ou, si l’on préfère, par les faibles performances du

(1) A Kaossara, le recensement de la population du vil- lage, que j’ai réalisé en juin 1968, comr>ortait deux feuilles destinées & l’enregistrer$ent des absences temporaires et définitives. Une feuille relative aux séjours extérieurs pen- dant les douze derniers mois enrekstrait l’identité. la desti- nation et 1~ motifs des départs pour chacune d& familles. Une autre feuille, relative aux départs définitifs ou de longue durée présumés définitifs, notait les absents ayant appartenu à chaque famille et rksidé dans le village. Les informations pouvaient se recouper et éventuellement faire double emploi.

bd même enquête, tirant parti des erreurs et insuffisances de l’enquête de Kaossara, a été réalisée en janvier et février 1974 dans le village de DXOU Rahmane II. Elle a été menée par Patrice Richard, économiste de T’ORSTOM, avec l’assistance d’un enquêteur chevronné qui connaissait bien le village pour y avoir déjà travaillé avec Philippe Couty et moi-merne en 1967 et 1968. La meilleure connaissance du terrain et des biais d’une telle enquête a permis de préciser les questions et d’adjoindre une feuille d’enquête complémentaire qui recensait des occupations secondaires exercées au village même.

système agricole de l’arachide, dans l’état des moyens techniques et culturels disponibles par la paysan- nerie. Cette hypothèse de travail, fondée sur les travaux de terrain réalisés par les équipes ORSTOM résout la plupart des difficultés théoriques de défini- tion. Ainsi, ce n’est pas la définition formelle du temps d’absence qui est prise en compte, mais la destination et le motif du déplacement, quelle que soit sa durée. Le « migrant » est ici défini dans son acceptation la plus large, contrairement à nombre d’enquêtes démographiques où la définition d’un seuil de durée des séjours extérieurs est essentielle. Les difficultés sont d’ordre pratique et l’inégale valeur des résultats que je présente provient des biais d’enquête (« oublis » volontaires et omissions inévitables).

Ce qui fait l’unité du sujet, c’est la recherche d’occasion de travail. Les résultats présentés ci- dessous sont donc nécessairement très inférieurs 5 la réalité et « manquent » un grand nombre de mouvements de courte durée et à faible distance.

A. LES MIGRATIONS DE SAISON SÈCHE A KAOSSARA

Le recensement concerne 65 familles et 459 per- sonnes, dont 161 hommes et 163 femmes de plus de quinze ans ; le nombre de garçons et filles de moins de quinze ans s’élève respectivement à 72 et 63 personnes. Le tableau 1 donne la répartition des absences temporaires relevées au cours des douze derniers mois selon les occupations exercées 5 I’exté- rieur et selon l’âge et le sexe (cf. note a du tableau II).

Tableau II : observations

(a) 8Le redoublement des symboles correspond à une distinction simplifiée qui recouvre la notion d’actif-non actif. Le critère le plus souvent utilisé (par l’administration comme par les enquêtes de terrain) définit l’actif comme la personne âgée de 15 ans et plus. Les symboles utilisés ici se rapportent à la même définition. Ainsi, les lettres M et F dési- gnent les hommes et femmes âgés de 15 ans et plus et symétriquement, m et f désignent les garçons et filles âgés de moins de 15 ans.

(b) Le classement est fonction des renseignements donnés. Ici, le travail de « boulanger » est exercé dans un village au compte de l’intéressé, en fabrica- tion artisanale.

(c) La ventilation entre « hébergement P et B visite prolongée à la famille » n’a de raison d’être que par rapport à la précision donnée dans les

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LES MIGRATIONS ÉCONOMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS 63

TABLEAU II

Kaossara: Occupations exercées à l’extérieur au cours des douze derniers mois (juin 1967 à juin 1968)

Branche ou genre d’activité Occupation exercée Nombre de partants selon l’âge et le sexe (a)

Total M F m f

1. COMMERCE Marchande ...................... 1 Total ......................... 1

2. ARTISANAT Tailleur ......................... 2 2 Forgeron ........................ 1 1 Constructeur de palissades ......... 1 Boulanger (b) .................... 1 :

Total ......................... 5 --~-~-

3. SALARIAT MODERNE Manœuvre (entreprise de forage) .... 1 1

Total ......................... 1

4. ACTIVITÉS LIÉES A L'ISLAM Compagnon du marabout ......... 2 2 Visite à marabout ................ 1 « Soigne les fous » ................ 1 1 Culture pour le compte du marabout 3 Travail en dara (tak-der) .......... 2 :

Total ......................... 9 ---

5. RECHERCHE D’AIDE A Hébergement (c) .................. 2 1 3 L'EXTÉRIEUR Visite prolongée à la famille (plus de

15 jours) (c) .................... Demande d’aide pour payer l’impôt :

5 3 16 (4 4

Demande d’aumône .............. 1 1

Total ......................... 24 - 6. VISITES BRÈVES A LA FAMILLE Visites dont la durée est inférieure à

15 jours ....................... 4 1

Total ......................... it ~-

7. OBLIGATIONS FAMILIALES ET Assistance à mariage .............. 1 SOCIALES Condoléances ....................

; : Ce) 8

Garde-malade .................... 1 Visite à épouse divorcie (elle a quitté

le ménage avec ses enfants) ...... 1 1 « Recherche d’épouse » ............ 1 1

Total ......................... 12 -~

TOTAL ....................................................... 34 17 2 4 57

réponses. Dans le premier cas, il est précisé que l’intéressé est hébergé par la famille tandis que dans le second, c’est la durée du séjour (de 15 jours à plusieurs mois) qui détermine le classement.

(~2) Deux familles entières font partie de cette catégorie, ce qui explique l’importance de l’effectif.

(e) dont une visite de condoléance entraînant une absence d’un mois. On pourrait donc la classer aussi

bien dans la rubrique «visite prolongée» (branche 5). 11 faut noter que la colonne « Branche ou genre

d’activité » est conçue en fonction des particularités du milieu étudié et de l’objectif particulier de cet essai. En effet, les nomenclatures homogènes d’usage habituel s’appliquent bien aux sociétés développées où la division sociale du travail s’exprime par des métiers spécialisés. Ici, au contraire, nombre d’occu-

Cak. ORSTOM, sér. Sci. Hum., vol. XII, no 1 - 1975 :5.5-SO

64 J. ROCH --- .~.

nations ne sont en réalité que l’extension des travaux domestiques (tressage de -palissades, confection de matelas, etc ). D’autre part, l’objet de l’analyse, tel que je l’ai énoncé, est l’étude des occasions de reve- nus et non celle de la qualification professionnelle des migrants saisonniers. Ainsi, les rubriques ne sont pas homogènes et combinent des critères différents pour ventiler des types de cas : tantôt le déplacement permet l’exercice d’un métier qualifie, tantôt il fait apparaître la remunération précaire d’un service non spécialisé, tantôt le déplacement est motivé par une demande d’assistance à la famille sans contrepartie. Du métier qualifié jusqu’à l’hébergement par la famille, on trouve donc toutes les situations, dont l’objet commun est d’assurer la G soudure » indis- pensable a la reproduction du système de l’arachide, dans l’état actuel de e surcharge démographique 2 qui caractérise la zone centrale.

La lecture du tableau II fait apparaître une ven- tilation des departs saisonniers en trois groupes bien différenciés : la migration de travail concerne essen- tiellement les hommes adultes. Les déplacements féminins expriment l’assistance extérieure donnée Far la famille pendant les mois difficiles : héberge- ments prolongés où les femmes partent seules ou accompagnées d’une partie des enfants ; quelquefois, elles suivent le mari au lieu de son travail tempo- raire ; on retrouve les femmes dans les petites visites liées à des obligations sociales, telles que les condo- léances de quelques jours. Quant aux enfants, si l’on excepte le travail du dara (sous-estimé, ici), leurs déplacements sont induits par ceux des parents et n’appellent pas de commentaires particuliers.

Les déplacements saisonniers à caractère écono- mique concernent donc, avant tout, les hommes adultes qui sont souvent les chefs de famille. Les déplacements masculins se ventilent en trois catégo- ries principales : les déplacements qui débouchent sur un métier ou une occupation rémunérée, les demandes de secours qui sont tantôt l’hébergement prolonge chez un parent, tantôt la recherche d’argent (e pour payer l’impôt r), enfin un ensemble d’occa- sions offertes par l’appartenance islamique. Cette dernière catégorie existe dans tous les villages de la région mouride et Kaossara en offre un exemple remarquable. En effet? le village est le fief d’un grand marabout, très influent et élevé dans la hiérar- chie confrériaue. Il emploie, en toutes saisons, de nombreux disciples sur sa grande exploitation agri- cole de Darou Bayrée et contrôle aussi tout un quar- tier de la ville de Thiès, dénommé Thiès-Kaossara. C’est là qu’il héberge ses hommes de confiance qui assurent la liaison entre sa résidence urbaine et les

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villages qu’il contrôle. D’autre part, bien qu’il soit difficile de l’évaluer, il assure une fonction d’assis- tance à ses fidèles qui fonde et renforce son charisme. II est probable que la rubrique des « activités liées i l’Islam > sous-estime’le nombre des fidèles assistés (nourris et hitbergés) pendant plusieurs mois de la saison sèche. Zes marabouts mourides entretiennent ainsi dans toute la région des relations ambiguës qui relèvent des fonctions de redistribution à travers des relations de clientèle.

L’analyse statistique des r&=ultats donne un taux de « turbulence » de 12 nlo! rapport des partants h la population villageoise, mais il faut rectifier cette évaluation par deux correctifs qui jouent en sens

TABLEAU III Les différents types de situations familiales dans les

déplacements temporaires à Kaossara

Type de situation familiale

Nombre de familles intéressées par un

déplacement au mini mum au cours de l’année précédant

l’enquête

1. Les déplacements semblent sans rapport avec la recherche de reve- nu : brefs séjours féminins, telles les visites de condoléances : cas explicitement définis comme étran- gers au domaine d’étude (garde- malade à l’extérieur, « recherche d’épouse D).

5

II. Brefs déplacements d’adultes in- férieurs à I mois dont la raison n’est pas explicite dans les répon- ses : « visites à la famille », « visite à un marabout » sans autres pré- cisions.

6

III. Brefs déplacements de chefs de famille motivés par une demande de secours : demande d’argent à la famille «pour l’impôt», demande d’aumône.

4

IV. Hébergement de longue durée d’une ou plusieurs personnes : les séjours de un à plusieurs mois chez les parents.

-

10

V. Travail extérieur rémunéré exercé pendant tout ou partie de la saison sèche : métiers secondaires exercés le plus souvent par les chefs de famille.

7

Total . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

LES MIGRATIONS ÉCONOMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS 65

inverse. D’une part, les visites brèves dont l’objet économique est (ou semble) excluj c’est-à-dire les rubriques VI et VII du tableau n.e devraient pas être prises en compte. Mais il faut tenir compte, inversement, des oublis e.t sous-estimations évidentes de certaines rubriques qui échappent à l’enregistre- ment. Ainsi les petites activités de commerce, notam- ment le colportage, tout comme I’artisanat (surtout traditionnel, lié à la caste) et les occupations liées à l’Islam, apparaissent ,à l’évidence sous-estimées. Une autre manière d’apprécier l’importance chiffrée des déplacements temporaires peut considérer !e nombre de familles concernées. II ressort de l’en- quête que 32 des 65 carrés recensés ont connu au moins un départ au cours des douze derniers mois. L’interprétation des mouvements est améliorée par l’analyse des types de situations significatives compte tenu des raisons de déplacements, mais aussi de la durée des séjours extérieurs.

Tableau ZZZ (voir ci-contre).

aCette stratification par cas autorise à conclure que 21 familles au moins [les trois derniers types de cas) trouvent à l’extérieur un revenu professionnel com- plémentaire ou sont contraintes de faire appel & la solidarité familiale pendant plusieurs mois de la sai- son sèche. Ce résultat autorise une estimation pru- dente du taux de surcharge démographique exprimée par le nombre de familles contraintes à différents degrés ià la migration saisonnière : le tiers des familles recensées, soit 21 sur 63, ne peut pas vivre des seules ressources agricoles locales et cherche les compléments indispensables à la subsistance de tout ou partie de la famille par le déplacement saisonnier. Cet ordre de grandeur n’est évidemment qu’une approximation très grossière et limitée, mais il met en évidence l’importance du phénomène dans la zone étudiée.

TABLEAU IV

Les destinations des migrants par régions administratives d’accueil

Région d’accueil Nombre d’accueils

Thiès ....................... 17 Can-Vert ...... ; ............. 16 DiÔurbel .................... 16 Sine-Saloum ................. > 7 Fleuve ...................... 1 Casamance .................. 0 Sénégal oriental .............. 0

Ensemble ................ 57

L’analyse des destinations aidera à préciser la signification c!es mouvements observés :

Les mouvements sont clairs et s’interprètent facile- ment. Il n’y a que deux grandes zones d’accueil : le bassin arachidier dune part, avec la région dans laquelle est situé le village ainsi que les deux régions arachidières limitrophes et le Cap-Vert d’autre part, la grande région urbaine et industrielle. La connais- sance du milieu villageois permet de préciser la signi- fication des mouvements :

- la région de Thiès est la région d’origine ; de nombreux habitants de Kaossara et le marabout y ont leur résidence principale ;

- les déplacements .à courte distance à l’intérieur de la région de Diourbel sont articulés sur M’Backé- Touba, centre urbain le plus proche de Kaossara ;

- les quelques séjours au Sine-Saloum sont induits par l’attraction du marché urbain de Kaolack, assez proche et bien desservi ;

- les déplacements sur le Cap-Vert s’expliquent aisément par l’attraction du marché dakarois.

En bref, les mouvements s’articulent essentielle- ment sur le grand axe routier qui relie la région mouride au Cap-Vert : les petites ville de l’axe Touba-M’Backé-Diourbel-Thiès et Dakar retiennent une partie des saisonniers. L’accueil est ancré sur les centres urbains Touba et M’Backé les plus proches, puis Thiès et enfin Dakar. Cette orientation des mouvements révèle les déterminations strictes qui guident l’exode saisonnier.

Le terme de G turbulence L) souvent utilisé est impropre, car les déplacements sont étroitement canalisés pour les raisons contraignantes plusieurs fois évoquées.

B. LES MOUVEMENTS SAISONNIERS A DAROU RAHMANE II (ENQUÊTE REALISEE EN 1974)

Les résultats sont plus précis et plus complets, car l’enquête a enregistré aussi bien les occasions de travail secondaire au village que celles exercées à l’extérieur. D’autre part, les rémunérations obtenues ont été évaluées. Le recensement concerne 50 carrés, pour une population résidente de 317 personnes : 98 hommes et 103 femmes adultes (âgés de plus de 15 ans), 68 garçons et 48 filles d’âge inférieur à 15 ans. La population moyenne d’un carré est d’environ 6 personne.s, d’après les résultats des cal- culs statistiques courants j(moyenne, valeur médiane, fréquence). La faible proportion des jeunes est la résultante d’une série de causes générales auxquelles s’ajoutent des raisons particulières à la région obser-

Cah. ORSTOM, s&. Sci. HWL, vol. XII, 11~ 1 - 1975 : 55-80

66 J. ROCH

TABLEAU V

Darou Rahmane II (Recensement 1974) : Détail des occupations secondaires exercées à Darou Rahmane II (métiers saisonniers à l’extérieur ou au village - métiers secondaires permanents ou occasionnels)

Branche ou genre d’activité Occupation

Localisation

Au village A la fois au Ensemb1e (ou depuis le A l’extérieur village et à

village) l’extérieur

1. COMMERCE Boutiquier ............................. Colporteur ............................. ;

1 3 2 4

Collecte et vente de bois mort. ........... 3 (2) 3 (2) Vente de lait ............................ 3 3 Marchanddechevaux .................... 1 1

Total ............. 11 (2) 3 14 (2) -

II. ARTISANAT Tailleur ................................ 1 1 2 - Confection ou réparation de matelas. ..... 3 3 Confection d’oreillers. ................... 1 (1) 1 (1) Confection de nattes .................... 1 (1) 1 (1) Confection ou réparation de palissades. ... 1 1 (1) 1 3 (1) Construction de cases. ................... 1 1 Maçon ................................ 1 (1) 1 (1) Menuisier .............................. 1 1 Cordonnier (casté) ...................... 1 1

~ ~ Total ............. 4 (1) 6 (3) 4 14 (4)

III. TRANSPORT Cocher (conducteur de calèche). ......... 1 1 -

Total ............. 1 1 -

IV. SALARIAT MODERNE Manoeuvre (manutentionnaire) ........... 2 1 3 Trésorier coopérative .................... 1 1

Total ............. 3 1 4

V. ACTNITÉS LIÉES A - Surveillance des tak-der du marabout. . L'ISLAM - « Au service du marabout » ........... ! :

- Enseignant coranique ................. 1 1

Total ............. 1 2 3 ----~

VI. ACTIVITÉS DE SERVICES Domestique ............................ 1 NON CLASSÉES AILLEURS Berger ................................. : 1

Total ............. 2 2

VII. A~WYITÉS MAL Occupation inconnue RENSEIGNÉES Recherche de travail ............... 4 4

Repos à l’extérieur Total ............. 4 4

TOTALGÉNÉRAL.. .. 19 (3) 19 (3) 4 42 (6)

Cah. 0 RSTOM, se?. Sri. Hum., sol. XII, no 1 - 1975 : 55-80

LES MIGRATIONS ÉCONOMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGAL~~IS 61

vée. II faut rappeler la forte mortalité infantile qui sévit en brousse, mais aussi les raisons qui tiennent à la genèse particulière des villages mourides : ceux-ci ont été fondés récemment (souvent vers 1930 dans le secteur M’Backé-Touba) et le village ne s’est que peu à peu dégagé du dara, communauté d’hommes a.dultes. Les femmes ne sont arrivées qu’après plu- sieurs années et le dara évolue progressivement vers 1~’ forme villageoise normale. Darou Rahmane II en est un exemple et pourrait encore garder les traces de son origine de dara.

Le tableau V donne l’image d’ensemble des occu- pations secondaires exercées à Darou Rahmane II. Le caractère des déplacements saisonniers apparaît beaucoup mieux qu’à Kaossara, du fait de la préci- sion améliorée de l’information et de la relation qui est faite avec les occasions de travail au marché villageois lui-même.

Tableau V : observation

Les chiffres entre parenthèses correspondent aux individus qui cumulent plusieurs activités. Par exem- ple, tel individu exerce pendant 3 mois le métier de maçon saisonnier en dehors du village, mais il col- lecte et vend du bois mort au village pendant d’autres périodes. Dans ce cas, le même individu apparaît dans deux rubriques différentes. Ainsi le total géné- ral indique 42 activités recensées, parmi lesquels 6 doubles emplois, c’est-à-dire que le recensement concerne 36 personnes. :La lecture est la même pour tous les résultats particuliers suivis d’un chiffre entre parenthèses.

- Les trois colonnes de localisation se lisent comme suit :

. occupation au village ou depuis le village : occupation secondaire stdentaire ;

. à Yextérieur : travail avec migration saisonnière ; . à la fois au village et à l’extérieur : l’activité est exercée

le plus souvent au village et, à certaines époques, en travail saisonnier extérieur.

Le tableau V précise et complète les résultats de I’enquête de Kaossara. Quelques grandes caracté- ristiques apparaissent en effet :

(1) Les occupations secondaires se répartissent Cgalement entre le travail au village ou ,depuis le village (1) et les activités avec résidence temporaire extérieure. Dans quelques cas, le métier secondaire

,(l) Parler de a travail au village ou depuis le village n signifie. que le métier secondaire saisonmer s’exerce au village même ou dans un rayon très court à partir du

exercé habituellement au village est pratiqué en sai- son sèche à l’extérieur. Cette répartition fait appa- raître que le déplacement résulte de l’étroitesse du marché villageois et de la faiblesse de la division sociale du travail dans la zone.

:Les offreurs de travail n’ont généralement pas de aualification particulière à offrir. La situation révèle ainsi l’indifférenciation profonde des occasions de travail rémunéré. Le partage entre le travail au village et le déplacement de travail saisonnier est dicté par la pléthore des offres de service du plus grand nombre dans les mêmes qualifications. C’est le cas, en particulier, de la plupart des occasions de travail classées dans la rubrique artisanat : confec- tion de matelas, de nattes, d’oreillers, de palissades. En effet, toutes ces activités sont déjà exercées habi- tuellement par chacun dans le cadre des travaux domestiques, et le déplacement d’une partie des vil- lageois vers les petites villes les plus proches (ici, Touba-M”Backé) exprime simplement l’état dé la concurrence des offreurs de services. En d’autres termes, le déplacement n’est motivé, dans bien des cas, que par la taille du marché et non par des occasions de travail d’un type nouveau, comme c’est le cas en Burope par exemple. L’escale de brousse reste une agglomération de ruraux et n’offre que peu d’emplois dont on ne trouve l’équivalent au village. Dans ces conditions, celui qui part en morte- saison est chassé par son concurrent au village. Rien d’étonnant si l’on garde en mémoire que les villes du bassin arachidie.r ne sont que l’extension des points de collecte et de stockage de l’arachide et n’offrent que très peu d’emplois industriels.

(2) Les occupations dominantes sont les «métiers» du commerce et de l’artisanat qui sont à parité (14 cas relevés dans les deux catégories). Ees carac- téristiques déjà notées apparaissent bien : les activi- tés commerciales sont le prolongement naturel de l’activité agricole ; après chaque récolte, la région arachidière voit de nombreux essais dans le colpor- tage et la creation de boutiques d’épicerie dans les produits de grande consommation (riz, sucre, huile, cola...). Cette initiative est la forme la plus banale d’investissement du a surplus » arachidier.

village. Tel est le cas des petits colporteurs qui desservent les hameaux et les villages voisins de leur domicile. De même, nombre d’activités- de ramassage (bois mort) et de cueillette .(fruit du baobab, etc.), sont exercées pour la vente et conduisent les intéressés jusqu’au marché des bourgades les plus proches, telles M’Backé et Touba dans la zone etudiée. La distance du point de vente au domicile peut amener les intéressés à se faire héberger une ou deux nuits à lrextérieur, mais ces séjours sont l’exoeption.

Cah. ORSTOIM, stk. Sri. H~I., sol. XII. no 1 - 1975 : 55-80

68 J. ROCH

Le colportage est une manière de valoriser le revenu agricole : capital et marge bénéficiaire se

manœuvre : manutention d’arachides aux seccos (1)

résolvent finalement en moyens de subsistance. Le de regroupement dans les « escales P (2) ou décharge-

colportage reste une manière rationnelle d’étaler la ment des camions et travail dans les entrepôts des

consommation : après chaque saison, le circuit repart grands commerces d’alimentation. Ces emplois offrent

à zéro, mais le colporteur reproduit son revenu en à ceux qui ont la chance de les obtenir des rémuné-

morte-saison et bénéficie des petites marges com- rations très supérieures :à celle qu’ils peuvent espérer

merciales qu’il a su tirer de son activité. Celle-ci tirer de leur activité agricole : un manœuvre gagne

peut s’analyser comme une consommation différée entre 10 000 et 15 000 francs CFA par mois. Cette

la plupart du temps. Dans quelques cas, l’investisse- chance s’est présentée à l’un des villageois du Darou Rahmane II. Quant aux autres salariés modernes

ment de la recette araclùdière permet l’activité de boutiquier permanent au village et parfois I’accumu-

recensés, il s’agit des employés de la coopérative

lation commerciale conduit jusqu% l’escale ou même arachidière qui travaillent au village même, mais

h Dakar, mais c’est l’exception. seulement pendant les quelques mois nécessaires à la collecte primaire de l’arachide.

L’autre grand métier est celui de tailleur, qui suppose un minimum d’investissement (machine à coudre) et de qualification. Quant aux autres occu- pations relevées dans les activités artisanales et com- merciales, elles restent presque toujours marquées par l’absence de qualification. Les exceptions sont vite perçues : métier de maçon par exemple. Ainsi la caractéristique dominante des occupations secon- daires relevées reste le grand nombre d’occasions de revenu offertes par l’extension des activités tradi- tionnelles et de la cueillette : la vente de lait par exemple est mentionnée chez les Serer « mouridisés > du hameau de Darou Sine, mais l’activité s’inscrit dans le cadre de l’exploitation traditionnelle du trou- peau : troc de lait (contre du mil) et vente occa- sionnelle aux paysans wolof qui n’ont pas de trou- peau. Le colportage et la vente de bois mort sont des activités communes dans tous les villages du bassin arachidier. ‘Ces activités rémunèrent relative- ment bien, car pour nombre d’entre elles, la vente se confond avec le profit (toutes les activités de cueillette, dont la collecte et la vente de bois mort dans les marchés urbains les plus proches). Le tres- sage des palissades rentre dans les mêmes catégories : la matière première est gratuite (tige de mil). La plupart de ces petits travaux se cumulent et peuvent occuper les chefs de famille pendant toute la durée de la saison sèche : tressage de palissades, ramassage de bois, vente et reconditionnement de tourteaux d’arachide, fabrication de briques, etc. Des relevés budgétaires effectués .à Darou Rahmane ;w[ font appa- raître des envois hebdomadaires d’argent à la famille non négligeables, entre 200 et 800 francs CFA. Tous ces petits métiers d’occasion sont, *à l’évidence, nécessaires à la survie et contribuent largement à assurer la « soudure > en fin de saison sèche.

(4) On trouve, enfin, la catégorie des « activités liées à l’Islam ». La présence de l’Islam favorise quelques villageois : hébergement par le marabout en contrepartie de services plus ou moins bien défi- nis, école coranique, etc. Ici encore, cette rubrique est probablement sous-estimée et n’enregistre que partiellement la fonction de redistribution exercée par les chefs religieux du pays mouride qui vivent des prestations diverses de leurs disciples.

Besoin de revenus complémentaires en saison sèche, pléthore des offres de travail dans les métiers non qualifiés, les contraintes de la migration de sai- son sèche se précisent encore quand on analyse les destinations et le profil des saisonniers.

Du point de vue statistique, on note 23 départs d’adultes dont la motivation économique est certaine, ce qui représente un taux migratoire élevé atteignant le quart de la population active masculine. En effet, ce sont les hommes qui partent, des chefs de carré pour la plupart. Voici maintenant quelles sont les destinations :

TABLEAU VI

Destination des migrants par région d’accueil

Région d’accueil Nombre d’accueils

Diourbel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sine Saloum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cap-Vert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Thiès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

11 6 5 1

Autres régions (Fleuve, Casamance, Sénégal Oriental) . . . . . . . . . . . . . . .

Total . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

23

(3) Les métiers saisonniers rémunérateurs sont faiblement représentés. ‘Comme partout ailleurs, la chance du saisonnier consiste à obtenir un emploi de

(1) Secco : centre de groupage des arachides en prove- nance des coopératives de commercialisation.

(2) Escale : ville ou village où s’opère la traite des ara- chides.

Cah. ORSTOïbf, sér. Sci. Hum., vol. XII. n” I - 1975 : 55-80

LES ~~~~RATIONS ÉC~NOMOUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS 69

La seule modification par rapport à Kaossara tient à la différence d’origine des villageois : Darou Rahmane II a été fondé par un marabout du Sine- Saloum où de nombreux villageois gardent des atta- ches familiales, tandis que les habitants de Kaossara ont leur famille dans la région de Thiès. Pour le reste, les mouvements restent dirigés vers le bassin arachidier central et le ,Cap-Vert. Excepté deux cas, tous les déplacements s’effectuent dans des centres urbains ou semi-urbains (1). Trois centres d’accueils dominent : M’Backé-Touba (agglomération proche du village), Kaolack et Dakar.

D’autre part, l’enquête a enregistr$ la durée des séjours extérieurs et cherché à noter les rémunéra- tions du travail saisonnier. Sur ces bases, le calcul des sommes globales aboutit à une estimation d’en- viron 300 000 francs CFA. Mais il faut corriger ces résultats en hausse, car l’enquête n’a pas réussi à enregistrer les déplacements brefs (les séjours recen- sés durent plusieurs mois, parfois même toute la saison sèche). D’autre part, il n’a été possible de connaître qu’une partie des rémunérations, même quand les déplacements ont bien été enregistrés. Dans ces conditions, compte tenu des deux causes de sous-estimation (absence d’enregistrement de cer- tains déplacements, information incomplète sur la rémunération pour les cas enregistrés), l’apport finan- cier global de la migration de saison sèche pourrait dépasser 500 000 francs CFA pour le seul village de Darou Rahmane II. Traduit en termes d’arachide? ce revenu additionnel saisonnier représenterait ainsr entre 1/4 et 1/8 de la capacité arachidière du village (le village produit de 100 % 200 tonnes d’arachide selon les saisons et l’équivalent arachide du revenu saisonnier serait d’au moins 25 tonnes sur la base de prix producteur actuel). Cet ordre de grandeur doit évidemment s’interpréter avec prudence, mais il donne bien la mesure de l’importance, en revenus comme en effectifs, de la migration économique de saison sèche. Dans l’état des densités et des res- sources agricoles, elle reste ,à l’évidence un élément nécessaire du modèle de subsistance dans le bassin arachidier, surtout dans la partie centrale du pays wolof.

Cl) Le centre semi-urbain est l’agglomération de 1000 à 9 999 habitants selon la définition de l’enquête démogra- phique (cf. note 2, p. 58).

III. Situation et devenir des migrations de saison sèche: le profil des saisonniers maux, les condi- tions de l’exode rural et les nouvelles modalités de la croissance urbaine

La migration économique de saison sèche est nécessaire à la subsistance des ruraux du bassin ara- chidier central. L’importance des effectifs concernés et des revenus additionnels formés à cette occasion le prouvent à l’évidence. ,Cependant, une question essentielle est posée : les déplacements saisonniers participent-ils au processus de l’exode rural ? De nombreux chercheurs ont en effet noté que l’appren- tissage de la ville est progressif et que la fixation définitive en milieu urbain est généralement précédée de plusieurs séjours temporaires. A ce titre, les déplacements saisonniers répétés des ruraux pour- raient constituer lune des grandes modalités d’ini- tiation de l’exode rural proprement dit, c’est-à-dire de la migration définitive par abandon et du milieu rural et des occupations agricoles.

Une première approche consiste à analyser le pro- fil des saisonniers et à observer les taux de départs définitifs vers la ville. Il reste aussi ;à observer l’évo- lution actuelle de l’urbanisation dans les grandes agglomérations ainsi que les modalités de la crois- sance des petites villes de -l’intérieur qui peuvent servir de relais dans le processus de l’exode rural.

A. LE PROFIL DES SAISONNIERS DU BASSIN ARACHIDIER

ET L’INSTALLATION EN VILLE

L’observation détaillée des résultats de l’enquête de Darou Rahmane II permet d’établir un profil précis du migrant : le migrant est un homme adulte, généralement chef de carré, quadragénaire (âgé de 40 !à 50 ans) ; il exerce le plus souvent les métiers du commerce ou de l’artisanat traditionnel en acti- vité secondaire de saison sèche ; ces occupations tem- poraires aléatoires sont fréquemment le prolonge- ment d’activités domestiques, telles les tâches d’amé- nagement de l’habitat ou liées au confort domestique (construction de palissades, confection d’oreillers, de matelas, etc.). Les occupations dont la rémunération peut dépasser les revenus de l’agriculture sont peu nombreuses et limitées à quelques métiers : on citera les boutiquiers, les tailleurs, les manœuvres et les tâcherons du bâtiment.

Dans l’ensemble, ce profil des saisonniers semble exclure la possibilité de l’exode rural. En effet, les saisonniers sont trop âgés et trop peu qualifiés pour espérer tenter leur chance en ville dans de bonnes

Cah. ORSTOM, sév. Sei. HI~., vol. XII, nu 1 - 1975 : 55-80

70 J. ROCH

conditions. Qn remarque que les jeunes gens de Darou Rahmane II ne migrent pas en ville ; ils restent ainsi dans le secteur agricole. Les jeunes mourides fréquentent rarement l’école, sinon l’école coranique qui n’a strictement aucune utilité pratique (les élèves apprennent ,à réciter le Coran sans en comprendre le sens). L’enquête de Darou Rahmane XI n’a relevé que deux exemples de départ de jeunes pour raison scolaire : l’un confié à son tuteur était scolarisé dans un village de brousse au niveau de l’enseignement primaire, l’autre était élève interne dans un collège secondaire à Saint-Louis.

Une autre preuve des faibles possibilités de la fixa- tion en ville est apportée par l’enquête que j’ai menée sur les personnes absentes depuis 10 ans dans le village de Missirah. J’ai recensé en 1969 les per- sonnes ayant définitivement quitté le village dans les dix dernières années et noté leurs destinations et les emplois occupés dans leur nouvelle résidence. Missirah est un gros bourg, proche de Touba et situé en bordure de la route Touba-Darou-Mousty- SaintlLouis. Le village comptait 110 carrés au mo- ment de l’enquête, pour une population supérieure ?i 1 000 habitants (1 277 personnes selon le réper- toire des villages, édition 1972). Missirah possède un minimum d’infrastructures : forage, école‘ dispen- saire, coopérative. C’était un actif point de traite d’arachide ‘à l’époque coloniale. La taille du village, comme les infrastructures dont il bénéficie, favo- risent l’exercice d’un certain nombre de professions non agricoles. Le village compte de nombreux arti- sans et commerçants. Ces facilites, ainsi que I’impor- tance de l’agglomération, autorisaient à penser que Missirah offre de meilleures conditions de promotion aux ruraux que les villages étudiés précédemment. L’enquéte sur les absents a « touché » 92 des 110 carrés de Missirah. Certains chefs de famille n’ont pas pu être interroges parce qu’ils étaient absents et d’autres ont refuse, plus ou moins explicitement, de répondre au questionnaire. L’enquête enregistre donc des biais et, comme les précédentes, elle sous-estime certainement le nombre des émigrés de Missirah. Cependant, je connaissais déjà ce village et I’enquê- teur qui passait le questionnaire le connaissait bien aussi et était apprécié des villageois. Les résultats sont donc fiables, malgré les « oublis » volontaires ou involontaires, encore qu’il soit difficile de juger dans quelle mesure ils sous-estiment la réalité. Quoi- qu’il en soit, Missirah a connu très peu de départs définitifs au cours des 10 années. La mémoire des chefs de carré interrogés, même sélective et impar- faite, n’a retenu qu’un nombre restreint de départs et il semble bien que l’exode rural ne concerne

Cah. ORSTOM, sér. Sri. Hum., vol. XII, II’ 1 - 1975 : 5540

qu’une minorité très réduite (quelques départs chaque année).

Tableau VII (voir ci-contre). Le tableau détaille la situation des 22 personnes

concernées par l’exode rural (migration vers la ville avec abandon d’activité agricole), sans tenir compte des départs qui correspondent là des migrations rurales. Au total, l’exode rural proprement dit a touché environ le quart des familles de Missirah au cours de la dernière décennie. II reste naturellement à envisager les exemples de familles tout entières, parties du village, que l’enquête n’a pas pris en compte. Mais les migrations de familles entières semble correspondre à des déplacements vers les zones rurales et non vers les villes (migrations de colonisation agricole). L’analyse du tableau VII sem- ble confirmer le pronostic établi à partir du profil des saisonniers : les départs définitifs avec change- ment de métier et installation en ville son peu nom- breux, en valeur absolue comme en proportion du nombre des adultes. Les 22 cas d’exode rural corres- pondent .à 2 ou 3 départs selon les années (les cbservations sont étalées sur 10 ans) ; le chiffre est très faible et, malgré les oublis, le résultat traduit l’importance marginale de l’installation en ville des vrais ruraux. <Les migrations de saison sèche concer- nent a l’évidence des effectifs plus importants. Quant aux individus qui semblent avoir réussi à quitter le milieu rural, encore que les apprentis soient mal assurés d’y parvenir, on relève les tendances déjà cbservées dans la migration saisonnière. Les métiers dominants restent les mêmes : boutiquiers, tailleurs et métiers de caste. Un seul migrant est parvenu à trouver un emploi industriel. On notera aussi les chances de promotion offertes par le développement des transports : 4 chauffeurs et 1 mécanicien doivent leur chance à cette activité.

L’examen des zones d’accueil offre peu de sur- prises, sinon que le rôle de la migration interna- tionale apparaît cette fois : 12 personnes sont ins- tallées dans les petites villes de la region dont fait partie Missirah (Toubé-M’Backé et Diourbel). 6 ont trouvé leur emploi au Cap-Vert et 4 à l’étranger (3 c Ivoiriens > et 1 en Mauritanie).

L’analyse de la situation des zones de départ met en présence d’un cercle vicieux difficile à briser : analphabétisme, manque de qualification dans les métiers modernes, pléthore d’offres de services dans les activités que presque chaque adulte est apte à pratiquer, absence quasi totale d’industries dans le bassin de l’arachide. Seule une minorité d’individus chanceux et entreprenants peuvent espérer sortir de

LES MIGRATIONS ÉCONOMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS 71

TABLEAU VII

Emploi et résidence des ruraux originaires de Missirah ayant quitté le village et changé d’activité dans les 10 dernières années (situation en 1969)

Secteur d’activité Profession

Statut professionnel I Lieu de résidence

Apprenti Salarié Travailleur (Localité ou pays) indépendant

INDUSTRIE 1

1 ouvrier émailleur . . . . 1 Dakar

TRANSPORT 4 chauffeurs . . . . . . . . . . 3 M’Backé-M’Backé-Dakar 4 1 Mauritanie

COMMERCE 5 colporteurs . . . . . . . . . 5 Touba-Touba 7 Diourbel-Dakar

Côte d’ivoire 2 boutiquiers . . . . . . . . . 1 Abidjan

1 Touba ---

ARTISANAT 7

traditionnel - (métiers de caste)

2 sculpteur laobé . . . . . 1 Touba 1 forgeron (outils agric.) 1 M’Backé

- moderne 1 bourrelier . . . . . . . . . . 1 Touba .1 boulanger . . . . . . . . . . 1 M’Backé 1 mécanicien . . . . . . . . . 1 M’Backé 2 tailleurs . . . . . . . . . . . . 1 Diourbel

1 Dakar -

SERVICES DIVERS 1 profes. d’arabe. . . . . . 1 Thiaroye (Cap-Vert) 1

- PROFESSION INCONNUE 2 Yeumbeul (Cap-Vert)

2 Côte d’hoire ~- -

Total . . . . . . . . . . . 22 5 7 8

leur condition de planteurs d’arachide. Encore faut-il tion dakaroise est compatible avec la poursuite de que les conditions favorables soient réunies à l’arri- I’immigration rurale : les ruraux vont-ils participer vée. 11 semble bien que le procès de I’urbanisation encore longtemps A la croissance de la ville ? Et dans au Sénégal laisse prévoir une exclusion progressive quelles conditions ? Les enquêtes statistiques et les des ruraux : la ville, notamment l’agglomération monographies urbaines récentes permettent de tracer dakaroise, absorbe ,à grand peine les vrais citadins, une esquisse assez sûre des formes de l’urbanisation y compris les natifs dakarois diplômés ou qualifiés au Sénégal et des conditions d’insertion des ruraux dans les différents métiers modernes. dans la ville.

B. LES MODALITÉS DE L’URBANISATION AU SÉNÉGAL,

SITUATION ET DEVENIR PRÉVISIBLE DE L’IMMIGRA-

TION RURALE t

SL’analyse des zones d’accueil est aussi nécessaire que l’étude des conditions migratoires dans les zones de départ.

D’excellents travaux sur la ville sont aujourd’hui disponibles, qu’il s’agisse de I’agglomération d?ka- roise ou des petites villes. Ces recherches facilitent l’analyse des relations ville-campagne. Il importe notamment d’observer dans quelle mesure le cours nouveau pris par le développement de l’aggloméra-

- L’immigration saisonnière 2 Dakar

Le recensement démographique de Dakar établi en 1955 analyse en détail l’immigration saisonnière. Il distingue deux catégories dans la « population flottante > : les passagers et les saisonniers. La ven-

Cah. ORSTOM, sér. Sri. Hune., vol. XI& no 1 - 197.5 : 5540

72 J. ROCH

tilation ne procède en réalité que de la plus ou moins grande précision des réponses et déclarations d’intentions des personnes interrogées. \Le recense- ment note l’importance de la population flottante c en remarquant qu’une personne sur 12 en fait partie... et il est vraisemblable que cette catégorie ait été sous-estimée » (1).

La population flottante comprend 6 328 saison- niers et 9 438 passagers, soit 15 766 personnes au total. Des précisions complémentaires éclairent par- faitement ces données :

- On observe la prédominance des jeunes actifs de 15a30ans.

- Trois groupes ethniques forment l’essentiel de la population flottante : les Serer (35 %), les Wolof (27 %) et les Toucouleur (18 %).

- Les différences sont très marquées selon l’appartenance ethnique et enregistrent la variété des modèles de la migration temporaire : migration masculine chez les Toucouleur (8 hommes pour 1 femme), dominante féminine chez les Serer (3 fem- mes pour 2 hommes) qui s’explique par le nombre élevé des employées de maison. Chez les Wolof, par contre, le sex-ratio est plus équilibré (135 hommes pour 100 femmes).

- Le niveau d’instruction est extrêmement faible: ies diplômés, détenteurs d’un titre quelconque à par- tir du CEP, représentent 2 % environ de la popu- lation flottante. En outre, l’écrasante majorité reste totalement analphabète (9 personnes sur 10) :

- Le niveau de formation et de qualification explique, dans ces conditions, que la structure déjà observée dans les résultats des monographies précé- dentes soit reproduite ici. ,Cinq groupes de profes- sion dominent en effet : agriculture, forestage et activités annexes ; fabrication et travail des étoffes et des cuirs ; manœuvres ; chefs d’entreprise et com- merçants ; services. #On retrouve donc, aisément, les petits métiers, castés ou non, déjà recensés dans les emplois saisonniers : tailleurs, boutiquiers, ma- nœuvres, etc. Les salariés de l’industrie semblent très peu nombreux. La rubrique des services ne précise pas les emplois occupés, mais il suffit d’observer le pléthore des « bana-bana )? marchands de pacotille et des jeunes cireurs toucouleurs à Dakar pour se

(1) Haut Commissariat de la République en Afrique Occidentale Française : « Résultats statistiques du recense- ment général de la population de la commune de Dakar effectué en avril-mai 19.55 n, W fascicule, Paris, 19.58, 126 pages (cf. p. 46).

faire une idie de ce tertiaire que certains appellent avec raison le e tertiaire sous-développé. ZQ : métiers de fortune précaires et sans avenir (cf. annexe III).

L’analyse de la population flottante à Dakar ne contredit pas, bien au contraire, celle que j’avais faite ,à propos des saisonniers ruraux de la zone mouride. La résidence temporaire à Dakar n’est qu’un palliatif pour assurer la subsistance : héberge- ment par la famille d’une part, services saisonniers dans les petits métiers pléthoriques, généralement non qualifiés.

Ces résultats statistiques assurent la preuve que les ruraux viennent en ville grossir la réserve de main- d’œuvre non qualifiée, qu’ils ont peu de chance de s’y installer durablement. L’attrait de Dakar s’ex- plique par la taille du marché urbain et l’existence du travail salarié. La brousse n’offre pas ces condi- tions, mais la ville elle-même est incapable d’em- ployer, et de loin, tous les actifs nés à Dakar, pas même la main-d’œuvre formée et qualifiée. Le fort contingent de saisonniers a Dakar ne doit donc pas faire illusion. Tout laisse penser que la migration saisonnière ne peut pas déboucher sur l’exode rural massif. {Les nouvelles tendances de l’urbanisation de Dakar le confirment.

- La réorganisation de l’espace urbain dans le Cap-Vert : le cours nouveau de Iturbanisation de l’agglomhation dakaroise et I’accueil des ruraux

Il est inutile de revenir sur la croissance rapide de l’agglomération dakaroise. L’intérêt porte aujour- d’hui sur les modalités de la progression : quelle est la part respective de l’augmentation naturelle de la population résidente et celle de l’apport migratoire ? Roussel (2) a calculé l’apport migratoire net annuel (balance des entrées et sorties dans la population des résidents urbains) à partir des données du recense- ment de Dakar actualisées en 1960 : le taux d’immi- gration s’élevait alors .à 6 %. L’apport migratoire est donc non négligeable, mais la plupart des autres grandes villes de l’Afrique de l’Ouest connaissent des progressions au moins aussi fortes. Dakar n’est déjà plus une ville nouvelle comme beaucoup des nou- velles capitales et son histoire est vieille de 100 ans. La croissance de l’agglomération dakaroise devrait

(2) Cf. Louis Roussel : « Déplacements temporaires et migrations », pp. 73 et 74. Cet article est publié dans l’ouvrage collectif « Afrique Noire, Madagascar, Comores - Démographie comparbe » (I.N.S.E.E. - Service de la Coopé- ration - I.N.E.D., Paris, 1967).

CaA. 0 RSTOM, s&. Sci. Hum., vol. XII? no 1 - 1975 : 55-80

LES MIGRATIONS ÉCONOMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHTDIER SÉNÉGALAIS 73

logiquement reposer de plus en plus sur la croissance naturelle et de moins en moins sur l’apport migra- toire. Toutes les études urbaines constatent une telle &volution, déterminée par l’ancienneté de la fonda- tion.

Les tendances récentes de la croissance urbaine dans le Cap-Vert sont remarquabIement anaIysées dans une monographie des grandes banlieues daka- roises. Marc Vernière a analysé très complètement l’évolution de la ville nouvelle de Dagoudane-Pikinz et les extensions suburbaines créées par les « déguer- pissements 2 massifs des bidonvilles dakarois. Cet ensemble banlieusard est né d’une initiative adminis- trative qui date de 1952. Dès sa création, Pikine a connu une très rapide extension ,au point que la nouvelle grande banlieue atteint aujourd’hui une taille comparable ,à celle de Dakar et comprend plus de 200 000 habitants à l’heure actuelle. Or les villes nouvelles, formées autour du noyau initial de Pikine, continuent à croître rapidement au rythme des déguerpissements des quartiers irréguliers de Dakar. Marc Vernière remarque : « Certes, Pikine a une fonction d’accueil, pour les migrants saisonniers sur- tout, mais là n’est pas son $le essentiel... ; peu de jeunes migrants ruraux ,à Pikine, mais surtout de vieux citadins possédant une forte expérience urbaine B (1).

Vernière fait état de nombreuses biographies qui permettent d’établir un profil précis des Pikinois : ils sont souvent nés dans le Cap-Vert ou dans les grandes villes de l’intérieur. Quant aux vrais ruraux d’origine, ils sont venus jeunes à Dakar et ont connu les pires difficultés avant de parvenir à trouver une résidence eà la périphérie de Dakar, loin de leurs lieux de travail (15 à 30 km parfois). Les quartiers irréguliers du centre sont maintenant « déguerpis » et les nouvelles banlieues servent de centre d’accueil au grand nombre des citadins qui n’ont pas les revenus suffisants pour bâtir un logement qui satisfasse aux normes minimales de confort ou qui n’ont pas la possibilité de payer les loyers élevés actuels. La spé- culation foncière chasse les travailleurs à bas reve- nus : les chefs de concession de Pikine d’origine rurale sont arrivés jeunes à :Dakar, ils ont changé 3 ou 4 fois d’emploi et ont connu de nombreux changements de domicile .à l’intérieur de l’agglomé- ration dakaroise. Citadins d’origine ou ruraux urbani- sés de longue date, le procès de réaménagement de la ville les refoule à la périphérie. En outre, « leurs

(1) Marc Vernière : «Formation et évolution des ban- lieues dakaroises : le cas de Dagoudane Pikine ». E.P.H.E., C.N.R.S., Paris, 1973, 223 pages, mzdtigr. (cf. p. 72).

fils sont des citadins à part entière et constituent une nouvelle génération sans liens réels avec la campagne d’origine B (2). En réalité, le point de rupture semble atteint : les villles nouvelles de la grande banlieue dakaroise forment un écran supplémentaire à l’ac- cueil urbain des ruraux. A fortiori, les constructions nouvelles sur les emplacements des anciens bidon- villes du centre de l’agglomération sont-elles faites pour les fonctionnaires, la minorité des artisans St commerçants aisés de la ville ou des salariés du sec- teur privé. Dans tous les cas, le seuil de revenu men- suel n’est pas inférieur à 30 ou 40 000 francs CFA. L’accueil des ruraux, en particulier les chances don- nées aux saisonniers des zones surpeuplées du bassin arachidier, semble de plus en plus incompatible avec le réaménagement urbain du Cap-Vert. Dans ce contexte, la migration saisonnière devrait rester ce qu’elle est : un palliatif périodique précaire, indépen- dant du procès d’urbanisation dans le Cap-Vert. Il reste là considérer si les villes moyennes de l’intérieur ont un rôle à jouer dans l’urbanisation des ruraux. Leur fonction d’accueil apparaît clairement dans les résultats limités présentés plus haut comme dans les analyses monographiques de petites villes récemment parues. Zes villes de I?ntérieur, entre autres les nom- breuses agglomérations nées de.s escales de l’arachide, pourraient constituer un échelon intermédiaire de I’urbanisation. La croissance de la grande agglomé- ration -(Cap-Vert) continuerait ainsi à être nourrie de l’apport migratoire intérieur, selon un processus allongé et ralenti, la petite ville servant de relais et de tampon. C’est ce qu’il reste à examiner.

- Les villes secondaires de l’intbrieur : les mail- lons intermédiaires du circuit de l’emploi- migration de la campagne ir In ville

La croissance des petites villes sénégalaises est tout aussi remarquable que celle de Dakar. ‘Une étude de l’aménagement du territoire, qui évalue ies taux d’accroissement démographique en longue période, en donne la preuve : « Les taux d’accroissement de la population des villes telles que Diourbel, Thiès, Kaolack et Ziguinchor varient entre 5 % et 7 % >> (capitales régionales), tandis que « le taux d’accrois- sement de la population des centres secondaires (petites agglomérations de moins de 10 000 habi- tants) serait de 4,5 % pour la même période a. La période considérée est 1916-196 1 ; la progression est donc d’importance comparable à celle de Dakar, où

--- (2) Cf. Vernièrr (ouvrage cite, p. 73).

Cah. ORSTOM, stk. Sci. Hzrm., vol. XII, zz” 1 - 1975 : 5.540

74 J. ROCH --.- ---~-

q entre 1891 et 1961, le taux moyen d’accroissement annuel de la population est de 5,3 % » (1).

Les différences apparaissent cependant ,à l’examen des composantes de la progression : l’apport migra- toire semblerait moins important dans les petites villes qu’à Dakar, 1,5 à 2 % contre 2,7 % . Ces données sous-estiment en réalité le rôle des petites villes, car elles absorbent non seulement une propor- tion élevée de vrais ruraux, mais elles fournissent aussi une forte proportion des 2.7 % d’émigrants vers Dakar. La petite ville est donc à la fois un centre d’accueil de l’exode rural et une ville-relais oui envoie vers Dakar des fils de paysans, nés à la ville.

L’excellente monographie de Moustapha Sar sur Q Louga et sa. région » (2) éclaire parfaitement le rôle joué par les villes moyennes nées de l’arachide comme médiatrices des rapports ville-campagne dans le contexte sénégalais. La ville de Louga est repré- sentative de toutes les anciennes « escales 2 de l’ara- chide, promues au rang de ville, car elles se ressem- blent toutes fondamentalement. La concentration démographique est induite par la présence des mai- sons de commerce au temps de la traite privée colo- ni.aIe et la ville trouve ensuite une nouvelle fonction par la promotion des fonctions administratives depuis I’indépendance. Moustapha Sar décrit à Louga la structure socio-professionnelle qu’on retrouvera, à peu près, dans les villes homologues du bassin ara- chidier. II observe ainsi les caractéristiques simples et constantes du modèle « urbain : de l’ancienne escale. En 1966, la ville de Louga est composée d’une majorité d’agriculteurs-éleveurs (62 % des actifs) ; pour le reste, on relève 9 % de fonction- naires et assimilés, tandis que les métiers du com- merce et de l’artisanat, y compris les travailleurs du bâtiment. comptent encore 9 % des actifs. Restent 20 % d’actifs classés dans la population flottante : chômeurs et personnes exerçant des activités non précisées. En clair, on observe la quasi-inexistence du secteur secondaire, tandis que le « secteur pri- maire est aussi représenté par l’existence d’un arti- sanat très développé qui occupe une pléthore d’agri- culteurs résidant en ville pendant la saison sèche et

(1) Cf. Aménagement du Territoire du Sénégal : « Aperçu sur l’orientation des courants migratoires au cours des phases futures du développement I>. Dakar, sans date, 20 pages plus annexes, mrrlti,er. Les citations sont empruntées aux pages 6 et suivantes.

(2) Cf. Moustapha Sar : cc Louga et sa région ». IFAN, Dakar, 1973. 305 pages.

Cah. 0 RSTOM, s&.~Sci. Hum, vol. XII, no 1 - 1975 : 55-80

qui redeviennent paysans pendant l’hivernage > (39. Moustapha Sar extrapole ensuite les résultats des recensements démographiques et socio-professionnels de 1961 pour décrire ainsi la situation de 1970 : 9 La population active et en âge de travailler (per- sonnes dont l’âge se situe entre 20 et 69 ans) repré- sentait 42 % de la population urbaine, soit 15 000 personnes. Parmi cette population, près de 2 000 per- sonnes seulement bénéficient d’un emploi stable et plus de 13 000 sont agriculteurs, éleveurs, chômeurs ou exerçant des emplois non permanents et non pré- cises. La population c flottante b est donc, de loin, beaucoup plus importante, numériquement, que la population disposant d’un emploi stable » (4). On retrouve toujours les mêmes constantes de la situa- tion sénégalaise : faible division sociale du travail, compétition des offreurs de travail dans les mêmes qualifications, précarité et rareté des offres d’emploi. Les villes de l’intérieur sont des villes rurales. En dernière analyse, les seuls revenus urbains addition- nels sont créés par les dépenses des fonctionnaires. Four le reste, les saisonniers qui cherchent un com- plément de revenu en morte-saison et ceux mêmes qui parviennent à s’installer dans des activités non agricoles permanentes participent simplement à la redistribution du revenu arachidier local. Ainsi, la capacité d’accueil saisonnier des villes de l’intérieur dépend des résultats de la campagne d’arachide et l’on peut prévoir, à court terme, qu’une mauvaise saison agricole (baisse des quantités récoltées ou chute du prix producteur) anticipe une raréfaction des offres d’emploi saisonnier. A moyen terme, une série de mauvaises campagnes induit directement une baisse du pouvoir d’achat et une dégradation du marché du travail dans les escales restées tributaires de l’arachide. A long terme, la détérioration tendan- cielle du pouvoir d’achat arachidier contraint les villes du bassin de l’arachide à former des migrants pour Dakar, c’est-à-dire à perdre la fraction la plus dynamique de leur population active. Moustapha Sar a donc raison d’insister sur la nécessité d’un aména- gement régional volontaire avec l’intervention active des pouvoirs publics et les moyens du Plan. Pour I’instant, il relève les dangers de l’évolution et attire l’attention sur « l’inertie démographique de la ville >j. 11 observe la prédominance du secteur primaire plé- thorique ,à Louga et note que « l’allure de la pyra- mide des âges... fait apparaître une structure urbaine sujette à une émigration de la population active » (5).

(3) Cf. Moustapha Sar (ouvrage cité, p. 256). (4) Cf. Moustapha Sar (ouvrage cité, pp. 263 et 264). (5) Cf. Moustapha Sar (ouvrage cité, p. 247).

LES MIc~RATI~Ns ÉCONOMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS 15

11 semble bien que les villes du bassin arachidier n’offrent, dans les circonstances actuelles, qu’un recours limité aux ruraux de leur zone d’attraction : marchés saisonniers dont on perçoit bien l’utilité et les limites! villes-relais pour l’exode vers la grande ville.

Conclusion

L’étude attentive de l’évolution des structures socio-économiques du Sénégal fait apparaître l’im- portance de la migration de saison sèche en bassin arachidier, à la fois par le nombre des personnes concernées et par le caractère de nécessité des reve- P.US monétaires additionnels de saison sèche créés à l’occasion des déplacements. Sans cet appoint sai- sonnier, le vieux bassin arachidier ne pourrait pas fixer une population aussi dense, compte tenu de la faiblesse du revenu agricole. Il paraît également nécessaire dc relier l’étude de la mobilité saisonnière à l’analyse des transferts de population. Les déplace- ments saisonniers des ruraux de I’arachide trouvent d’abord leur finalité dans le besoin de revenu addi- tionnel : l’agriculture reste l’activité dominante et ce sont les cycles de l’arachide qui déterminent le taux et la durée des déplacements de morte-saison. Il reste à envisager si les contraintes évoquées tout au long de cet article conduisent ,à analyser la mobilité sai- sonnière comme l’une des modalités d’initiation de l’exode rural au Sénégal.

La dégradation du rapport démo-économique, par- ticulièrement dans les vieilles régions arachidières septentrionales du Cayor et du Baol est une consé- quence directe de l’engouement exagérée pour l’ara- chide. Les progrès techniques sont restés limités, les contraintes foncières et pédologiques se sont préci- sées et les conditions de la commercialisation par le jeu de la traite ont aggravé la domination du pro- ducteur par l’appareil commercial de collecte. Si bien que l’endettement paysan est devenu le mode privi- légié de reproduction du système de l’arachide. L’incapacité à mobiliser un surplus monétaire ainsi que le faible niveau d’instruction et de formation des paysans limitent encore les possibilités d’innovation et de progrès, tant au niveau des techniques que dans la gestion de l’exploitation. Le résultat, sensible dans la zone wolof mouride où le choix de la mono- culture est très marqué, se traduit par une insuffi- sance chronique du système de subsistance et place les chefs de famille devant un redoutable dilemme : lusure au village ou la fuite à la ville. Les déplace-

Cah. ORSTOM, sér. Sci. Hum, vol. XII, no 1 - 1975 : 55-80

ments saisonniers s’inscrivent dans ce contexte. Sans doute les villes moyennes de l’intérieur peuvent-elles offrir des occasions de revenu saisonnier, mais elles jouent également le rôle de villes-relais pour la migration vers Dakar. Mais on voit mal aujourd‘hui comment la mobilité saisonnière pourrait déboucher sur l’exode rural massif en préparant les ruraux aux métiers non agricoles. En effet, le cours actuel de lurbanisation de Dakar et du Cap-Vert semble lais- ser de moins en moins de chances d’installation aux vrais ruraux. L’agglomération parvient même diffi- cilement à loger et à employer les vrais citadins, les « natifs B, dont beaucoup sont instruits et formés dans un métier et s’affrontent pourtant dans une concurrence acharnée sur le marché du travail urbain. Est-il juste de conclure à l’autonomie respective des déplacements saisonniers et de l’exode rural à partir des données fragmentaires disponibles ? Ce ne peut être sans doute encore qu’une hypothèse, bien qu’elle soit fondée sur un ensemble d’observations conver- gentes. *Celles-ci demanderaient à être mieux établies, mais l’évolution présente ressemble fort .à une tran- sition vers une nouvelle phase du développement urbain. Il n’en a pas toujours été ainsi, car pendant les premières décennies du développement urbain au Sénégal, Dakar et le ,Cap-Vert (agglomération cente- naire) ont « transformé » directement des dizaines de milliers de ruraux en citadins. Aujourd’hui-même, le croît migratoire d’origine rurale représente encore un facteur important des progrès démographiques de la métropole sénégalaise, bien que l’on ne dispose plus d’enquêtes récentes (la dernière remonte ,à 1955) pour l’établir. Il semble cependant que les petites villes de l’intérieur soient appelées à relayer Dakar àans les fonctions d’accueil des ruraux et qu’ensuite seulement, souvent à la génération suivante, elles perdent la fraction active de leur population au béné- fice de Dakar. Dans ce contexte, si tel est bien !a tendance, la migration saisonnière pourrait encore participer à l’exode rural, mais dans un processus allongé et avec une faible proportion de réussites par rapport aux effectifs.

Car un fait capital mérite de retenir l’attention. Ce fait est récent au Sénégal, mais il a toujours été observé et vérifié ailleurs au fur et à mesure des progrès du développement industriel et de l’accès des grandes villes GI la maturité urbaine. Je veux parler de la liquidation, parfois très rapide, de cer- tains artisanats, dès le moment où la division indus- trielle du travail et les capacités d’accumulation du capital atteignent un certain niveau. Ce phénomène est en train de s’affirmer au Sénégal depuis 5 à l,O ans. !Les installations industrielles ne peuvent déjà

76 J. ROCH --.

plus se satisfaire du marché intérieur et toute la politique économique de l’Etat consiste maintenant 2 développer l’exportation, en particulier par la créa- tion d’une grande zone franche industrielle à Dakar. L’évolution est trop nette pour qu’il subsiste un doute. Dans ces conditions, il est de plus en plus fréquent de voir s’affronter les artisanats utilitaires et les grandes entreprises. Le fait n’est pas isolé et il a d’ailleurs pris une telle importance que plusieurs conseils interministériels prévoient des mesures de protection... rndustrielle et que 1’Etat favorise la liquidation de corporations qu’il incite par ailleurs à la modernisation. La concurrence concerne dès maintenant dïmportants secteurs d’activité : les arti- sans de la chaussure et de la tannerie s’opposent 2 la Société Bata (qui demande et obtient une régle- mentation autoritaire de l’exercice du métier à son avantage), il en est de même pour les tisserands en concurrence avec les récentes entreprise du vêtement, comme pour les forgerons opposés à la SISCOMA (fabrique d’instruments aratoires, en difficulté), etc. Sauf peut-être dans l’artisanat d’art (bijouterie notam- ment), les artisans trouvent de plus en plus de diffi- cultés ‘à continuer d’exercer leur métier. Or, il s’agit précisément des occupations dans lesquelles les ruraux possèdent souvent une qualification hérédi- taire (métiers de caste). Un argument supplémentaire est encore donné quand on observe la manière dont se réalise la politique dite de « sénégalisation » ou de « promotion des nationaux ». Cette politique, activement prônée par les pouvoirs publics depuis les émeutes urbaines de 1968, commence à donner quelques résultats. Or, contrairement aux premières prévisions, les réussites des nationaux concernent les secteurs les plus modernes de l’économie, soit dans les activités nouvelles, soit dans celles où 1’Etat contraint ou incite les étrangers à coopter des ressor- tissants sénégalais : tourisme, pêche et conserverie industrielles, assurances, conseil de gestion, et en général dans toutes les activités de services modernes.

Quant aux activités plus traditionnelles, la promo- tion des nationaux concerne surtout les commerçants en denrées alimentaires de grande consommation sans doute parce que l’assistance est techniquement plus facile et les résultats plus rapides (aides de tré- sorerie, cautionnements publics pour les crédits d’in- kestissement, protection institutionnelle de quelques grands marchés...). Tout laisse prévoir une fermeture progressive, peut-être même assez rapide, du marché du travail dans le petit commerce non qualifié et dans ‘l’artisanat utilitaire qui fournissaient jusqu’à présent des emplois aux migrants saisonniers. Là encore, sans préjuger du terme et de l’importance

Cah. 0 RSTOM, sér. Sci. HI~., vol. XII, no 1 - 1975 : 55-80

de la mutation en cours, il est probable que les villes de l’intérieur seront appelées à reproduire, toutes choses égales par ailleurs, les conditions d’ac- cueil urbain primaire que Dakar a exercées jusqu’à ces dernières années et n’exercera sans doute qur modérément dans un proche avenir. Sans doute est-il hasardeux de pronostiquer la fin du procès de l’im- migration rurale à Dakar, mais il semble que l’évo- lution ressemble à la description donnée par Gilles Sautter : « La phase actuelle de croissance explosive D’est pourtant... qu’un moment dans une évolution...

« Deux stades peuvent être reconnus dans l’évo- lution actuelle des villes d’Afrique. Dans un premier temps, la vague des ruraux crée, ou submerge la ville... Au second stade, la ville s’affirme comme ville... Le croît naturel des citadins vient relayer, puis supplanter, comme moteur démographique de la croissance tirbaine, l’apport des migrants » (1). Le Sénégal présente toutes les formes du réaménagement spontané des ressources et des hommes. Les migra- tions, massives, complexes et multiformes, qui affec- tent l’ensemble du pays, sont le moyen privilégié d’y parvenir, ou du moins d’atténuer les disparités les plus évidentes. Dans ce contexte, les dhplacements saisonniers à caractère économique représentent une c?rticulation particulière de ce mouvement général, car ils trouvent leur raison d’être dans les insuffi- sances du système agricole et sont devenus néces- saires $ la subsistance dans une grande partie du bassin arachidier, notamment en zone wolof mou- ride. L’importance du phénomène révèle aussi la gravité des déséquilibres, au moment où l’opposition ville-campagne se renforce. Dans ces conditions, la mobilité saisonnière n’est qu’un palliatif. Elle révèle la paupérisation d’une paysannerie, incapable de vivre des seules ressources agricoles, comme de quit- ter sa condition. Car la crise sociale sénégalaise concerne aujourd’hui aussi bien la ville que la cam- pagne. Au stade actuel de l’évolution, les ajustements spontanés paraissent de plus en plus difficiles à réa- liser.

(1) Cf. Gilles Sautter : « Recherches en cours, sur les ville d’Afrique Noire : thèmes et problèmes. Point de vue d’un géographe », p. 415 d’un article publié dans la revue v: Cahiers d’Etudes Africaines 2, no 51, VO~. XIII, 1973, 3’ cahier.

LES MIGRATIONS ÉCONOMIQUES DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS 17

ANNEXE 1

LES RECHERCHES DE L’ORSTOM EN RÉGION ARACHIDIÈRE CENTRALE : ZONE WOLOF-MOURIDE DE TOUBA

Les données monographiques présentées dans cet article ont été rassemblées à%&&on d’une enquête plmidiscip~li- naire dans la zone wolof mouride centrale, près de la capitale religieuse de la confrérie mouride (cf. cartes de situation ci-dessous). Deux économistes, Philippe Couty et moi-même, et Jean Copans, sociologue, ont travaillé dans l’arrondissement de N’Dame (département de M’Backé, région de Diourbel) durant plusieurs années, de 1966 à 1969. L’obiet orincioal de l’enquête était l’analyse des comportements -éconÔmiques de ja paysannerie wolof en essayant d’interpréter l’influence des attitudes et pratiques de !Islam confrérique mouride sur le système de production. La même recherche était menée par un autre économiste, Guy Rocheteau, dans une région de colonisation mouride, dans le Ferlo occidental.

Ces travaux ont donné lieu à une publication collective : c< Maintenance sociale et changement économique au Sénégal. 1. Doctrine et pratique du travail chez les Mourides x, Paris, ORSTOM 1972, colkction Travaux et Documents de !‘ORSTOM, no 15, 274 pages. Les principaux centres d’inté- rêt de ce travail concernaient l’analyse détaillée de l’exploita- tion agricole, de ses structures et de ses résultats d’une part, puis l’étude des prestations de travail en ventilant le temps

de travail selon les principales destinations : travail pour l’exploitation, entr’aide villageoise, prestations de travail gratuit au bénéfice de marabouts. Enfin, une attention parti- culière était donnée à l’idéologie mouride dans ses impli- cations uratiaues avec le système de nroduction et de distribution des ressources. Lenquête ava& retenu trois ter- rains principaux, c’est-à-dire l,es villages de Missirah, Kaos- Sara, -DaroÙ Rahmane II. Le choix en était guidé par la représentativité, en fonction de quelques grands critères : taille du village, potentiel foncier, niveau d’équipement, nature et cohésion de l’encadrement maraboutique, etc.

Les résultats de la recherche étaient valorisés par le tra- vail en équipe sur des terrains différenciés ; d’autre part, la présence au village était pratiquement assurée en perma- nence tout au long de l’année.

Pour ma part, j’ai été amené a m’intéresser naturellement aux déplacements saisonniers dans le cadre de l’observation suivie de l’activité paysanne annuelle, après avoir constaté les déficiences, du svstème agricole. L’état des ressources monétaires et vivrières <en fin de campagne agricole impose à l’évidence la recherche de revenu additionnel en saison sèche.

Cah. ORSTOM, sér. Sei. Hum., vol. XII, no 1 - I975 : 55-80

78 J. ROCH

DAKA

,,c ------------ -0.. i‘ -- I

--m..-----,

0 50 Km

oNdindy

Ndame

vers Diourbel st Dakar

Route goudronnee

Chemin de Ier

FIG. 1 et 2. - Cartes de situation.

Cah. 0 RSTOM. sPr. Sri. Hum., vol. XII, 11’ 1 - 1975 : 55-80

LES ~~~GRATI~NS É~0~0fifIQu~s DE SAISON SÈCHE EN BASSIN ARACHIDIER SÉNÉGALAIS 19

ANNEXE II

PRODUIT AGRICOLE DISPONIBLE PAR TÊTE EN 1971-1972: SITUATION RÉGIONALE, CAP-VERT EXCLUS (unité : le kilogramme)

,-

Région

Casamance ........ Diourbel .......... Fleuve ............ Sénégal Oriental .... Sine-Saloum ....... Thiès .............

. . . .

. . . .

. . . .

. . .

. . . .

. . . .

Cultures commerciales I

Céréales I I

arachide / coton 1 riz 1 maïs

230 200 140 33 450

- 200

7 . 50

170 95 22 150 280 20 70 585 5 280 3 1 450 - 210 2 -

- Autres cultures (tubercules et légumes) I

I I I manioc niébé cultures

et patates maraîchères I

62 1 36 17 10 33 2

20 200

3 3

10

: 41 - 1

40

Remarque: Les résultats sont obtenus en rapportant les quantités récoltées à la population des agglomérations inférieures à 10 000 habitants dans chaque région. Les sources sont d’une part les résultats de la campagne agricole 1971-1972 et ceux de l’enquête démographique nationale 1970-1971.

Commentaires

Le tableau ci-dessus, malgré la valeur très approximative des resultds, donne la mesure des faibles performances de l’agriculture sénégaflaise et, partant, du bas niveau du revenu agricole moyen. D’autre part, les chiffres mettent en évi- dence des écarts régionaux significatifs.

Les faibles performances agricoles apparaissent nette- ment. Comment ne pas relever en effet que la récolte annuelle par tête atteint à peine une tonne dans les meil- leurs cas, toutes productions incluses ?

Les différences régionales sont assez marquées, même entre régions arachidières considérées comme faisant partie du même ensemble. Si l’on considère en effet les trois critères du tonnage disponible par tête, de la gamme des spéculations pratiquées et de l’allure générale du rapport production vivrière-cultures .commerciales, il’ est possible de faire apparaître une hiérarchie relative qui ventile les situa- tions régionales en cas plus ou moins défavorables: le premier groupe comprendrait les régions de Thiès et de Casamance, tant du point de vue des résultats quantitatifs que de la répartition plus équilibrée des spéculations. A l’opposé, les régions de Diourbel et surtout du Fleuve sont les zones où le rapport démo-économique est le plus cri- tique : le paysan du Fleuve ne dispose pratiquement pas de ressources monétaires (absence de cultures commerciales, sauf dans les entreprises agro-industrielles autour de Richard- Tell) et sa production vivrière n’est pas la meilleure, tant s’en faut. Quant à la région de Diourbel, elle se situe dans une zone peu favorable à la polyculture: la production vivrière est déficitaire et dépend des résultats du mil.

Enfin, les deux régions du Sine-Saloum et du Sénégal Oriental représentent deux cas intermédiaires, quoique très différents. La situation en Sine-Saloum a les mêmes carac- téristiques structurelles qu’en région de Diourbel, mais les résultats y sont supérieurs dans les productions principales (mil et arachide). Au Sénégal Oriental, on note la plus grande variété des productions, même si le bilan global reste modmeste. Mais le Sénégal Oriental est un domaine de « Teres Neuves », sous-peuplé et mal desservi, dont la mise en valeur ne fait que commencer.

La délimitation du bassin arachidier reste plus difficile à établir qu’il le paraît. La définition repose sans doute sur une réalité bien visible, à la fois dans le paysage et dans les comportements. Cependant, certaines évolutions donnent à réfléchir. Le cas de .la Casamance est remarquable de ce point de vue. Paul Pélissier a suivi la progression récente et rapide de I’agriculture arachidière en Casamance et ne manque ,pas de s’inquiéter d’une mutation préoccupante à bien des égards. Il observe une « conversion complète du système des cultures n (cf. P. Pélissier : « Les paysans du Sénégal »..., p. 804) et en trouve la raison dans une conversion des riziculteurs diola au style de vie manding. Le changement agricole (abandon partiel de la riziculture au profit de l’arachide) procède directement d’un changement social. Poursuivant l’analyse de cette mutation, P. Pélissier en observe toutes les conséquences, en particulier l’accéléra tion de l’exode rural et dmes migrations saisonnières en Casamance. C’est dire, une fois encore, que le système de l’arachide est bien autre chose qu’une production liée simple- ment aux « vocations naturelles n réelles ou supposées des différents terroirs.

Càh. ORSTOM, sdr. Sci. Hum, vol. XII, 11’ 1 - 1975 : 55-80

SO J. ROCH -_

ANNEXE III

POPULATION AFRICAINE FLOTTANTE DE 14 ANS ET PLUS SUIVANT LE SEXE ET LA PROFESSION (Dakar, 1955)

Professions

Population saisonnière Population de passage

Ensemble Sexe Sexe Ensemble Sexe Sexe masculin féminin masculin feminin

Sans profession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 898 698 1200 4 908 1 360 3 548 Agriculture - Forestage - Activités connexes 418 402 (1) 16 626 604 13 22 Marins pêcheurs et du commerce - Passeurs 77 76 1 55 55 - Terrassement - Maçonnerie et métiers

connexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 79 - 94 93 1 Métiers divers du bâtiment . . . . . . . . . . . . . . Travail des métaux - Forge-Chaudronnerie 1; 1:

- i; i8

- - -

Mécanique - Soudure . . . , . . . . . . . . . . . 27 27 - 61 61 - Bijouterie-Orfévrerie . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 11 - 21 Electricité-Radioélectricité . . . . . . . . . . . . . . 9 9

-7 28 z: -Il

Métiers de l’alimentation . . . . . . . . . . . . . . Fabrication et travail des étoffes et des cuirs 1:; 1:;

9 8 14; 1;; 20

Métiers du bois 25 25 - . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 80 - Conducteurs d’engins de transport auto-

mobiles 23 23 - . . . . . . . . . . . . . . . , . . . . . . . . . . . . . Manœuvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 726 726

1 2:: 24: 3

Techniciens et Cadres administratifs . . . . . 7 6 11 11 Emplois de bureau . . . . . ..*............. 20

64 1 114 109 5

Employés de commerce et assimilés . . . . . . . 4;:

8 26 Chefs d’entreprise et commerçants . . . . . . . _ 380 (3) 33 327 302 (4) 25 Gardiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 44 44 Services . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . , . . . . 912 3:: (5) 596 (6) 147 66 1 Services de Santé et services sociaux . . . , . . 2

4 1 14 9 5

Enseignement . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 - Cultes . . . . . . . . . . . . , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 35 - 1:; 1:;

1 -

Police - Pompiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 - 29 29 - Armée de métier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Divers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 2: -i 50

52 50 -G

TOTAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 100 3 217 1 883 7 432 3 697 - 3 735

(1) Dont 153 Ouolofs, 104 Sérères, 76 Toucouleurs. (2) Dont 298 Ouolofs, 67 Sérères, 72 Toucouleurs. (3) Dont 148 Maures. (4) Dont 120 Maures. (5) Dont 148 Toucouleurs, 93 Sérères. (6) Dont 392 Sérères.

Sowcc : c( Recensement démographique de Dakar 1955 », page 96, Haut-Commissariat de la République en A.O.F., Paris, Juillet 1958.

Ibfanuscuit reçu au S.C. D. le 18 mars 1975.

Cah. ORSTOM. SI+. Sri. H~I., sol. XII? no 1 - 1975 : 5.5-80