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Les femmes sont fleurs. xxxxxxxxxxxxxxxxSonnet. Il y a des moments où les femmes sont fleurs ; On n'a pas de respect pour ces fraîches corolles... Je suis un papillon qui fuit des choses folles, Et c'est dans un baiser suprême que je meurs. Mais il y a parfois de mauvaises rumeurs ; Je t'ai baisé le bec, oiseau bleu qui t'envoles, J'ai bouché mon oreille aux funèbres paroles ; Mais, Muse, j'ai fléchi sous tes regards charmeurs. Je paie avec mon sang véritable, je paie Et ne recevrai pas, je le sais, de monnaie, Et l'on me laissera mourir au pied du mur. Ayant traversé tout, inondation, flamme, Je ne me plaindrai pas, délicieuse femme, Ni du passé, ni du présent, ni du futur ! Charles Cros sur www.poesie-francaise.fr Charles Cros . Hiéroglyphe. J'ai trois fenêtres à ma chambre : L'amour, la mer, la mort, Sang vif, vert calme, violet. Ô femme, doux et lourd trésor !

Les Femmes Sont Fleurs

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Page 1: Les Femmes Sont Fleurs

Les femmes sont fleurs.

xxxxxxxxxxxxxxxxSonnet.

Il y a des moments où les femmes sont fleurs ; On n'a pas de respect pour ces fraîches corolles... Je suis un papillon qui fuit des choses folles, Et c'est dans un baiser suprême que je meurs.

Mais il y a parfois de mauvaises rumeurs ; Je t'ai baisé le bec, oiseau bleu qui t'envoles, J'ai bouché mon oreille aux funèbres paroles ; Mais, Muse, j'ai fléchi sous tes regards charmeurs.

Je paie avec mon sang véritable, je paie Et ne recevrai pas, je le sais, de monnaie, Et l'on me laissera mourir au pied du mur.

Ayant traversé tout, inondation, flamme, Je ne me plaindrai pas, délicieuse femme, Ni du passé, ni du présent, ni du futur !Charles Cros sur www.poesie-francaise.fr

Charles Cros.

Hiéroglyphe.

J'ai trois fenêtres à ma chambre : L'amour, la mer, la mort, Sang vif, vert calme, violet.

Ô femme, doux et lourd trésor !

Froids vitraux, odeurs d'ambre. La mer, la mort, l'amour, Ne sentir que ce qui me plaît...

Femme, plus claire que le jour !

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Par ce soir doré de septembre, La mort, l'amour, la mer, Me noyer dans l'oubli complet.

Femme ! femme ! cercueil de chair !Charles Cros sur www.poesie-francaise.fr

Charles Cros.

Oh ! n'insultez jamais une femme qui tombe !

Oh ! n'insultez jamais une femme qui tombe ! Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe ! Qui sait combien de jours sa faim a combattu ! Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu, Qui de nous n'a pas vu de ces femmes brisées S'y cramponner longtemps de leurs mains épuisées ! Comme au bout d'une branche on voit étinceler Une goutte de pluie où le ciel vient briller, Qu'on secoue avec l'arbre et qui tremble et qui lutte, Perle avant de tomber et fange après sa chute !

La faute en est à nous ; à toi, riche ! à ton or ! Cette fange d'ailleurs contient l'eau pure encor. Pour que la goutte d'eau sorte de la poussière, Et redevienne perle en sa splendeur première, Il suffit, c'est ainsi que tout remonte au jour, D'un rayon de soleil ou d'un rayon d'amour !

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxLe 6 septembre 1835.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

Aux femmes.

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Quand tout se fait petit, femmes, vous restez grandes. En vain, aux murs sanglants accrochant des guirlandes, Ils ont ouvert le bal et la danse ; ô nos soeurs, Devant ces scélérats transformés en valseurs Vous haussez, — châtiment ! — vos charmantes épaules. Votre divin sourire extermine ces drôles. En vain leur frac brodé scintille ; en vain, brigands, Pour vous plaire ils ont mis à leurs griffes des gants, Et de leur vil tricorne ils ont doré les ganses ; Vous bafouez ces gants, ces fracs, ces élégances, Cet empire tout neuf et déjà vermoulu. Dieu vous a tout donné, femmes ; il a voulu Que les seuls alcyons tinssent tête à l'orage, Et qu'étant la beauté, vous fussiez le courage.

Les femmes ici-bas et là-haut les aïeux, Voilà ce qui nous reste !

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxAbjection ! nos yeux Plongent dans une nuit toujours plus épaissie. Oui, le peuple français, oui, le peuple messie, Oui, ce grand forgeron du droit universel Dont, depuis soixante ans, l'enclume sous le ciel Luit et sonne, dont l'âtre incessamment pétille, Qui fit voler au vent les tours de la Bastille, Qui broya, se dressant tout à coup souverain, Mille ans de royauté sous son talon d'airain, Ce peuple dont le souffle, ainsi que des fumées, Faisait tourbillonner les rois et les armées, Qui, lorsqu'il se fâchait, brisait sous son bâton Le géant Robespierre et le titan Danton, Oui, ce peuple invincible, oui, ce peuple superbe Tremble aujourd'hui, pâlit, frissonne comme l'herbe, Claque des dents, se cache et n'ose dire un mot Devant Magnan, ce reître, et Troplong, ce grimaud ! Oui, nous voyons cela ! Nous tenant dans leurs serres, Mangeant les millions en face des misères, Les Fortoul, les Rouher, êtres stupéfiants, S'étalent ; on se tait. Nos maîtres ruffians À Cayenne, en un bagne, abîme d'agonie, Accouplent l'héroïsme avec l'ignominie ;

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On se tait. Les pontons râlent ; que dit-on ? rien. Des enfants sont forçats en Afrique ; c'est bien. Si vous pleurez, tenez votre larme secrète. Le bourreau, noir faucheur, debout dans sa charrette, Revient de la moisson avec son panier plein Pas un souffle. Il est là, ce Tibère-Ezzelin Qui se croit scorpion et n'est que scolopendre, Fusillant, et jaloux de Haynau qui peut pendre ; Eclaboussé de sang, le prêtre l'applaudit ; Il est là, ce César chauve-souris qui dit Aux rois : voyez mon sceptre ; aux gueux : voyez mon crime Ce vainqueur qui, béni, lavé, sacré, sublime, De deux pourpres vêtu, dans l'histoire s'assied Le globe dans sa main, un boulet à son pied ; Il nous crache au visage, il règne ! nul ne bouge.

Et c'est à votre front qu'on voit monter le rouge, C'est vous qui vous levez et qui vous indignez, Femmes ; le sein gonflé, les yeux de pleurs baignés, Vous huez le tyran, vous consolez les tombes, Et le vautour frémit sous le bec des colombes !

Et moi, proscrit pensif, je vous dis : Gloire à vous ! Oh ! oui, vous êtes bien le sexe fier et doux, Ardent au dévouement, ardent à la souffrance, Toujours prêt à la lutte, à Béthulie, en France, Dont l'âme à la hauteur des héros s'élargit, D'où se lève Judith, d'où Charlotte surgit ! Vous mêlez la bravoure à la mélancolie. Vous êtes Porcia, vous êtes Cornélie, Vous êtes Arria qui saigne et qui sourit ; Oui, vous avez toujours en vous ce même esprit Qui relève et soutient les nations tombées, Qui suscite la Juive et les sept Machabées, Qui dans toi, Jeanne d'Arc, fait revivre Amadis, Et qui, sur le chemin des tyrans interdits, Pour les épouvanter dans leur gloire éphémère, Met tantôt une vierge et tantôt une mère !

Si bien que, par moments, lorsqu'en nos visions Nous voyons, secouant un glaive de rayons,

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Dans les cieux apparaître une figure ailée, Saint-Michel sous ses pieds foulant l'hydre écaillée, Nous disons : c'est la Gloire et c'est la Liberté ! Et nous croyons, devant sa grâce et sa beauté, Quand nous cherchons le nom dont il faut qu'on le nomme, Que l'archange est plutôt une femme qu'un homme !

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxJersey, le 30 mai 1853.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

À une jeune femme.

Voyez-vous, un parfum éveille la pensée. Repliez, belle enfant par l'aube caressée, Cet éventail ailé, pourpre, or et vermillon, Qui tremble dans vos mains comme un grand papillon, Et puis écoutez-moi. – Dieu fait l'odeur des roses Comme il fait un abîme, avec autant de choses. Celui-ci, qui se meurt sur votre sein charmant, N'aurait pas ce parfum qui monte doucement Comme un encens divin vers votre beauté pure, Si sa tige, parmi l'eau, l'air et la verdure, Dans la création prenant sa part de tout, N'avait profondément plongé par quelque bout, Pauvre et fragile fleur pour tous les vents béante, Au sein mystérieux de la terre géante. Là, par un lent travail que Dieu lui seul connaît, Fraîcheur du flot qui court, blancheur du jour qui naît, Souffle de ce qui coule, ou végète, ou se traîne, L'esprit de ce qui vit dans la nuit souterraine, Fumée, onde, vapeur, de loin comme de près, – Non sans faire avec tout des échanges secrets, – Elle a dérobé tout, son calme à l'antre sombre, Au diamant sa flamme, à la forêt son ombre, Et peut-être, qui sait ? sur l'aile du matin Quelque ineffable haleine à l'océan lointain ! Et vivant alambic que Dieu lui-même forme,

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Où filtre et se répand la terre, vase énorme, Avec les bois, les champs, les nuages, les eaux, Et l'air tout pénétré des chansons des oiseaux, La racine, humble, obscure, au travail résignée, Pour la superbe fleur par le soleil baignée, A, sans en rien garder, fait ce parfum si doux, Qui vient si mollement de la nature à vous, Qui vous charme, et se mêle à votre esprit, madame, Car l'âme d'une fleur parle au cœur d'une femme.

Encore un mot, et puis je vous laisse rêver. Pour qu'atteignant au but où tout doit s'élever, Chaque chose ici-bas prenne un attrait suprême, Pour que la fleur embaume et pour que la vierge aime, Pour que, puisant la vie au grand centre commun, La corolle ait une âme et la femme un parfum, Sous le soleil qui luit, sous l'amour qui fascine, Il faut, fleur de beauté, tenir par la racine, L'une au monde idéal, l'autre au monde réel, Les roses à la terre et les femmes au ciel.

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxLe 16 mai 1837.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

De la femme au ciel.

L'âme a des étapes profondes. On se laisse d'abord charmer, Puis convaincre. Ce sont deux mondes. Comprendre est au-delà d'aimer.

Aimer, comprendre : c'est le faîte. Le Coeur, cet oiseau du vallon, Sur le premier degré s'arrête ; L'Esprit vole à l'autre échelon.

À l'amant succède l'archange ;

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Le baiser, puis le firmament ; Le point d'obscurité se change En un point de rayonnement.

Mets de l'amour sur cette terre Dans les vains brins d'herbe flottants. Cette herbe devient, ô mystère ! Le nid sombre au fond du printemps.

Ajoute, en écartant son voile, De la lumière au nid béni. Et le nid deviendra l'étoile Dans la forêt de l'infini.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

Dizain de femmes.

Une de plus que les muses ; Elles sont dix. On croirait, Quand leurs jeunes voix confuses Bruissent dans la forêt,

Entendre, sous les caresses Des grands vieux chênes boudeurs, Un brouhaha de déesses Passant dans les profondeurs.

Elles sont dix châtelaines De tout le pays voisin. La ruche vers leurs haleines Envoie en chantant l'essaim.

Elles sont dix belles folles, Démons dont je suis cagot ; Obtenant des auréoles Et méritant le fagot.

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Que de coeurs cela dérobe, Même à nous autres manants ! Chacune étale à sa robe Quatre volants frissonnants,

Et court par les bois, sylphide Toute parée, en dépit De la griffe qui, perfide, Dans les ronces se tapit.

Oh ! ces anges de la terre ! Pensifs, nous les décoiffons ; Nous adorons le mystère De la robe aux plis profonds.

Jadis Vénus sur la grève N'avait pas l'attrait taquin Du jupon qui se soulève Pour montrer le brodequin.

Les antiques Arthémises Avaient des fronts élégants, Mais n'étaient pas si bien mises Et ne portaient point de gants.

La gaze ressemble au rêve ; Le satin, au pli glacé, Brille, et sa toilette achève Ce que l'oeil a commencé.

La marquise en sa calèche Plaît, même au butor narquois ; Car la grâce est une flèche Dont la mode est le carquois.

L'homme, sot par étiquette, Se tient droit sur son ergot ; Mais Dieu créa la coquette Dès qu'il eut fait le nigaud.

Oh ! toutes ces jeunes femmes,

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Ces yeux où flambe midi, Ces fleurs, ces chiffons, ces âmes, Quelle forêt de Bondy !

Non, rien ne nous dévalise Comme un minois habillé, Et comme une Cydalise Où Chapron a travaillé !

Les jupes sont meurtrières. La femme est un canevas Que, dans l'ombre, aux couturières Proposent les Jéhovahs.

Cette aiguille qui l'arrange D'une certaine façon Lui donne la force étrange D'un rayon dans un frisson.

Un ruban est une embûche, Une guimpe est un péril ; Et, dans l'Éden, où trébuche La nature à son avril,

Satan — que le diable enlève ! — N'eût pas risqué son pied-bot Si Dieu sur les cheveux d'Ève Eût mis un chapeau d'Herbaut.

Toutes les dix, sous les voûtes, Des grands arbres, vont chantant ; On est amoureux de toutes ; On est farouche et content.

On les compare, on hésite Entre ces robes qui font La lueur d'une visite Arrivant du ciel profond.

Oh ! pour plaire à cette moire, À ce gros de Tours flambé,

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On se rêve plein de gloire, On voudrait être un abbé.

On sort du hallier champêtre, La tête basse, à pas lents, Le coeur pris, dans ce bois traître, Par les quarante volants.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

Le doigt de la femme.

Dieu prit sa plus molle argile Et son plus pur kaolin, Et fit un bijou fragile, Mystérieux et câlin.

Il fit le doigt de la femme, Chef-d'oeuvre auguste et charmant, Ce doigt fait pour toucher l'âme Et montrer le firmament.

Il mit dans ce doigt le reste De la lueur qu'il venait D'employer au front céleste De l'heure où l'aurore naît.

Il y mit l'ombre du voile, Le tremblement du berceau, Quelque chose de l'étoile, Quelque chose de l'oiseau.

Le Père qui nous engendre Fit ce doigt mêlé d'azur,Très fort pour qu'il restât tendre, Très blanc pour qu'il restât pur,

Et très doux, afin qu'en somme

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Jamais le mal n'en sortît, Et qu'il pût sembler à l'homme Le doigt de Dieu, plus petit.

Il en orna la main d'Eve, Cette frêle et chaste main Qui se pose comme un rêve Sur le front du genre humain.

Cette humble main ignorante, Guide de l'homme incertain, Qu'on voit trembler, transparente, Sur la lampe du destin.

Oh ! dans ton apothéose, Femme, ange aux regards baissés, La beauté, c'est peu de chose, La grâce n'est pas assez ;

Il faut aimer. Tout soupire, L'onde, la fleur, l'alcyon ; La grâce n'est qu'un sourire, La beauté n'est qu'un rayon ;

Dieu, qui veut qu'Eve se dresse Sur notre rude chemin, Fit pour l'amour la caresse, Pour la caresse ta main.

Dieu, lorsque ce doigt qu'on aime Sur l'argile fut conquis, S'applaudit, car le suprême Est fier de créer l'exquis.

Ayant fait ce doigt sublime, Dieu dit aux anges : Voilà ! Puis s'endormit dans l'abîme ; Le diable alors s'éveilla.

Dans l'ombre où Dieu se repose, Il vint, noir sur l'orient,

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Et tout au bout du doigt rose Mit un ongle en souriant.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

Ô femmes ! chastetés augustes !

Ô femmes ! chastetés augustes ! fiertés saintes ! Pudeur, crainte sacrée entre toutes les craintes ! Farouche austérité du front pensif et doux ! Ô vous à qui je veux ne parler qu'à genoux, Dont la forme est si noble en notre chaos sombre, Qu'on ne se souvient plus, en la voyant dans l'ombre, De rien que de divin et de mystérieux, Sorte d'oubli tombé sur la terre des cieux, Etres charmants créés pour la plus haute sphère ; Ô femmes, parmi nous que venez-vous donc faire ? Alors questionnant l'inconnu, l'inouï, Aux voix qui disent non tâchant d'arracher oui J'écoute, et je regarde, et, plein de rêveries, Je vais au Luxembourg, je vais aux Tuileries, Parlant à tout ce qui va, vient, passe, et cherchant La réponse à ce cri vague et pur comme un chant ; Et toujours, et partout, et de toutes les femmes, De celles-ci, les coeurs, de celles-là, les âmes, Du brun regard, de l'oeil voilé de blonds cheveux, Sort un sourire immense aux enfants, ces aveux.

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxLe 17 novembre 1879.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

La femme.

Je l'ai dit quelque part, les penseurs d'autrefois, Épiant l'inconnu dans ses plus noires lois,

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Ont tous étudié la formation d'Ève. L'un en fit son problème et l'autre en fit son rêve. L'horreur sacrée étant dans tout, se pourrait-il Que la femme, cet être obscur, puissant, subtil, Fût double, et, tout ensemble ignorée et charnelle, Fît hors d'elle l'aurore, ayant la nuit en elle ? Le hibou serait-il caché dans l'alcyon ? Qui dira le secret de la création ? Les germes, les aimants, les instincts, les effluves ! Qui peut connaître à fond toutes ces sombres cuves ? Est-ce que le Vésuve et l'Etna, les reflux Des forces s'épuisant en efforts superflus, Le vaste tremblement des feuilles remuées, Les ouragans, les fleurs, les torrents, les nuées, Ne peuvent pas finir par faire une vapeur. Qui se condense en femme et dont le sage a peur ?

Tout fait Tout, et le même insondable cratère Crée à Thulé la lave et la rose à Cythère. Rien ne sort des volcans qui n'entre dans les coeurs. Les oiseaux dans les bois ont des rires moqueurs Et tristes, au-dessus de l'amoureux crédule. N'est-ce pas le serpent qui vaguement ondule Dans la souple beauté des vierges aux seins nus ? Les grands sages étaient d'immenses ingénus ; Ils ne connaissaient pas la forme de ce globe, Mais, pâles, ils sentaient traîner sur eux la robe De la sombre passante, Isis au voile noir ; Tout devient le soupçon quand Rien est le savoir ; Pour Lucrèce, le dieu, pour Job, le kéroubime Mentaient ; on soupçonnait de trahison l'abîme ; On croyait le chaos capable d'engendrer La femme, pour nous plaire et pour nous enivrer, Et pour faire monter jusqu'à nous sa fumée ; La Sicile, la Grèce étrange, l'Idumée, L'Iran, l'Egypte et l'Inde, étaient des lieux profonds ; Qui sait ce que les vents, les brumes, les typhons Peuvent apporter d'ombre à l'âme féminine ? Les tragiques forêts de la chaîne Apennine, La farouche fontaine épandue à longs flots Sous l'Olympe, à travers les pins et les bouleaux,

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L'antre de Béotie où dans l'ombre diffuse On sent on ne sait quoi qui s'offre et se refuse, Chypre et tous ses parfums, Delphe et tous ses rayons, Le lys que nous cueillons, l'azur que nous voyons, Tout cela, c'est auguste, et c'est peut-être infâme. Tout, à leurs yeux, était sphinx, et quand une femme Venait vers eux, parlant avec sa douce voix, Qui sait ? peut-être Hermès et Dédale, les bois, Les nuages, les eaux, l'effrayante Cybèle, Toute l'énigme était mêlée à cette belle.

L'univers aboutit à ce monstre charmant. La ménade est déjà presque un commencement De la femme chimère, et d'antiques annales Disent qu'avril était le temps des bacchanales, Et que la liberté de ces fêtes s'accrut Des fauves impudeurs de la nature en rut ; La nature partout donne l'exemple énorme De l'accouplement sombre où l'âme étreint la forme ; La rose est une fille ; et ce qu'un papillon Fait à la plante, est fait au grain par le sillon. La végétation terrible est ignorée. L'horreur des bois unit Flore avec Briarée, Et marie une fleur avec l'arbre aux cent bras. Toi qui sous le talon d'Apollon te cabras, Ô cheval orageux du Pinde, tes narines Frémissaient quand passaient les nymphes vipérines, Et, sentant là de l'ombre hostile à ta clarté, Tu t'enfuyais devant la sinistre Astarté. Et Terpandre le vit, et Platon le raconte. La femme est une gloire et peut être une honte Pour l'ouvrier divin et suspect qui la fit. A tout le bien, à tout le mal, elle suffit.

Haine, amour, fange, esprit, fièvre, elle participe Du gouffre, et la matière aveugle est son principe. Elle est le mois de mai fait chair, vivant, chantant. Qu'est-ce que le printemps ? une orgie. A l'instant, Où la femme naquit, est morte l'innocence. Les vieux songeurs ont vu la fleur qui nous encense Devenir femme à l'heure où l'astre éclôt au ciel,

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Et, pour Orphée ainsi que pour Ézéchiel, La nature n'étant qu'un vaste hymen, l'ébauche D'un être tentateur rit dans cette débauche ; C'est la femme. Elle est spectre et masque, et notre sort Est traversé par elle ; elle entre, flotte et sort. Que nous veut-elle ? A-t-elle un but ? Par quelle issue Cette apparition vaguement aperçue S'est-elle dérobée ? Est-ce un souffle de nuit Qui semble une âme errante et qui s'évanouit ? Les sombres hommes sont une forêt, et l'ombre Couvre leurs pas, leurs voix, leurs yeux, leur bruit, leur nombre ; Le genre humain, mêlé sous les hauts firmaments, Est plein de carrefours et d'entre-croisements, Et la femme est assez blanche pour qu'on la voie A travers cette morne et blême claire-voie. Cette vision passe ; et l'on reste effaré. Aux chênes de Dodone, aux cèdres de Membré, L'hiérophante ému comme le patriarche Regarde ce fantôme inquiétant qui marche.

Non, rien ne nous dira ce que peut être au fond Cet être en qui Satan avec Dieu se confond : Elle résume l'ombre énorme en son essence. Les vieux payens croyaient à la toute puissance De l'abîme, du lit sans fond, de l'élément ; Ils épiaient la mer dans son enfantement ; Pour eux, ce qui sortait de la tempête immense, De toute l'onde en proie aux souffles en démence Et du vaste flot vert à jamais tourmenté, C'était le divin sphinx féminin, la Beauté, Toute nue, infernale et céleste, insondable, Ô gouffre ! et que peut-on voir de plus formidable, Sous les cieux les plus noirs et les plus inconnus, Que l'océan ayant pour écume Vénus !

Aucune aile ici-bas n'est pour longtemps posée. Quand elle était petite, elle avait un oiseau ; Elle le nourrissait de pain et de rosée, Et veillait sur son nid comme sur un berceau. Un soir il s'échappa. Que de plaintes amères ! Dans mes bras en pleurant je la vis accourir...

Page 16: Les Femmes Sont Fleurs

Jeunes filles, laissez, laissez, ô jeunes mères, Les oiseaux s'envoler et les enfants mourir !

C'est une loi d'en haut qui veut que tout nous quitte. Le secret du Seigneur, nous le saurons un jour. Elle grandit. La vie, hélas ! marche si vite ! Elle eut un doux enfant, un bel ange, un amour. Une nuit, triste sort des choses éphémères ! Cet enfant s'éteignit, sans pleurer, sans souffrir... Jeunes filles, laissez, laissez, ô jeunes mères, Les oiseaux s'envoler et les enfants mourir !

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxLe 22 juin 1842.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

Les femmes sont sur la terre.

Les femmes sont sur la terre Pour tout idéaliser ; L'univers est un mystère Que commente leur baiser.

C'est l'amour qui, pour ceinture, A l'onde et le firmament, Et dont toute la nature, N'est, au fond, que l'ornement.

Tout ce qui brille, offre à l'âme Son parfum ou sa couleur ; Si Dieu n'avait fait la femme, Il n'aurait pas fait la fleur.

A quoi bon vos étincelles, Bleus saphirs, sans les yeux doux ? Les diamants, sans les belles, Ne sont plus que des cailloux ;

Page 17: Les Femmes Sont Fleurs

Et, dans les charmilles vertes, Les roses dorment debout, Et sont des bouches ouvertes Pour ne rien dire du tout.

Tout objet qui charme ou rêve Tient des femmes sa clarté ; La perle blanche, sans Eve, Sans toi, ma fière beauté,

Ressemblant, tout enlaidie, A mon amour qui te fuit, N'est plus que la maladie D'une bête dans la nuit.

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxParis, avril 18...Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

Femme.

xxxxxxxxxxxxxxxx La Bête féroce.

Lui – cet être faussé, mal aimé, mal souffert, Mal haï – mauvais livre... et pire : il m'intéresse. – S'il est vide après tout... Oh mon dieu, je le laisse, xxxxComme un roman pauvre – entr'ouvert.

Cet homme est laid... – Et moi, ne suis-je donc pas belle, xxxx Et belle encore pour nous deux ! – En suis-je donc enfin aux rêves de pucelle ?... xxxx– Je suis reine : Qu'il soit lépreux !

Où vais-je – femme ! – Après... suis-je donc pas légère xxxx Pour me relever d'un faux pas ! Est-ce donc Lui que j'aime ! – Eh non ! c'est son mystère... xxxx Celui que peut-être Il n'a pas.

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Plus Il m'évite, et plus et plus Il me poursuit... xxxx Nous verrons ce dédain suprême. Il est rare à croquer, celui-là qui me fuit !... xxxx Il me fuit – Eh bien non !... Pas même.

... Aurais-je ri pourtant ! si, comme un galant homme, xxxx Il avait allumé ses feux... Comme Ève – femme aussi – qui n'aimait pas la Pomme, xxxx Je ne l'aime pas – et j'en veux ! –

C'est innocent. – Et lui ?... Si l'arme était chargée... xxxx– Et moi, j'aime les vilains jeux ! Et... l'on sait amuser, avec une dragée xxxx Haute, un animal ombrageux.

De quel droit ce regard, ce mauvais oeil qui touche : xxxx Monsieur poserait le fatal ? Je suis myope, il est vrai... Peut-être qu'il est louche ; xxxx Je l'ai vu si peu – mais si mal. –

... Et si je le laissais se draper en quenouille, xxxx Seul dans sa honteuse fierté !... – Non. Je sens me ronger, comme ronge la rouille, xxxx Mon orgueil malade, irrité.

Allons donc ! c'est écrit – n'est-ce pas – dans ma tête, xxxx En pattes-de-mouche d'enfer ; Écrit, sur cette page où – là – ma main s'arrête. xxxx– Main de femme et plume de fer. –

Oui ! – Baiser de Judas – Lui cracher à la bouche xxxx Cet amour ! – Il l'a mérité – Lui dont la triste image est debout sur ma couche, xxxx Implacable de volupté.

Oh oui : coller ma langue à l'inerte sourire xxxx Qu'il porte là comme un faux pli ! Songe creux et malsain, repoussant... qui m'attire ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .xxxx– Une nuit blanche.... un jour sali...

Page 19: Les Femmes Sont Fleurs

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx***Tristan Corbière sur www.poesie-francaise.fr

Tristan Corbière.

Le poème de la femme.

Marbre de Paros.

Un jour, au doux rêveur qui l'aime, En train de montrer ses trésors, Elle voulut lire un poème, Le poème de son beau corps.

D'abord, superbe et triomphante Elle vint en grand apparat, Traînant avec des airs d'infante Un flot de velours nacarat :

Telle qu'au rebord de sa loge Elle brille aux Italiens, Ecoutant passer son éloge Dans les chants des musiciens.

Ensuite, en sa verve d'artiste, Laissant tomber l'épais velours, Dans un nuage de batiste Elle ébaucha ses fiers contours.

Glissant de l'épaule à la hanche, La chemise aux plis nonchalants, Comme une tourterelle blanche Vint s'abattre sur ses pieds blancs.

Pour Apelle ou pour Cléoméne, Elle semblait, marbre de chair, En Vénus Anadyomène Poser nue au bord de la mer.

Page 20: Les Femmes Sont Fleurs

De grosses perles de Venise Roulaient au lieu de gouttes d'eau, Grains laiteux qu'un rayon irise, Sur le frais satin de sa peau.

Oh ! quelles ravissantes choses, Dans sa divine nudité, Avec les strophes de ses poses, Chantait cet hymne de beauté !

Comme les flots baisant le sable Sous la lune aux tremblants rayons, Sa grâce était intarissable En molles ondulations.

Mais bientôt, lasse d'art antique, De Phidias et de Vénus, Dans une autre stance plastique Elle groupe ses charmes nus.

Sur un tapis de Cachemire, C'est la sultane du sérail, Riant au miroir qui l'admire Avec un rire de corail ;

La Géorgienne indolente, Avec son souple narguilhé, Etalant sa hanche opulente, Un pied sous l'autre replié.

Et comme l'odalisque d'Ingres, De ses reins cambrant les rondeurs, En dépit des vertus malingres, En dépit des maigres pudeurs !

Paresseuse odalisque, arrière ! Voici le tableau dans son jour, Le diamant dans sa lumière ; Voici la beauté dans l'amour !

Sa tête penche et se renverse ;

Page 21: Les Femmes Sont Fleurs

Haletante, dressant les seins, Aux bras du rêve qui la berce, Elle tombe sur ses coussins.

Ses paupières battent des ailes Sur leurs globes d'argent bruni, Et l'on voit monter ses prunelles Dans la nacre de l'infini.

D'un linceul de point d'Angleterre Que l'on recouvre sa beauté : L'extase l'a prise à la terre ; Elle est morte de volupté !

Que les violettes de Parme, Au lieu des tristes fleurs des morts Où chaque perle est une larme, Pleurent en bouquets sur son corps !

Et que mollement on la pose Sur son lit, tombeau blanc et doux, Où le poète, à la nuit close, Ira prier à deux genoux.

Théophile Gautier.

Caerulei oculi.

Une femme mystérieuse, Dont la beauté trouble mes sens, Se tient debout, silencieuse, Au bord des flots retentissants.

Ses yeux, où le ciel se reflète, Mêlent à leur azur amer, Qu'étoile une humide paillette, Les teintes glauques de la mer.

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Dans les langueurs de leurs prunelles, Une grâce triste sourit ; Les pleurs mouillent les étincelles Et la lumière s'attendrit ;

Et leurs cils comme des mouettes Qui rasent le flot aplani, Palpitent, ailes inquiètes, Sur leur azur indéfini.

Comme dans l'eau bleue et profonde, Où dort plus d'un trésor coulé, On y découvre à travers l'onde La coupe du roi de Thulé.

Sous leur transparence verdâtre, Brille parmi le goémon, L'autre perle de Cléopâtre Prés de l'anneau de Salomon.

La couronne au gouffre lancée Dans la ballade de Schiller, Sans qu'un plongeur l'ait ramassée, Y jette encor son reflet clair.

Un pouvoir magique m'entraîne Vers l'abîme de ce regard, Comme au sein des eaux la sirène Attirait Harald Harfagar.

Mon âme, avec la violence D'un irrésistible désir, Au milieu du gouffre s'élance Vers l'ombre impossible à saisir.

Montrant son sein, cachant sa queue, La sirène amoureusement Fait ondoyer sa blancheur bleue Sous l'émail vert du flot dormant.

L'eau s'enfle comme une poitrine

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Aux soupirs de la passion ; Le vent, dans sa conque marine, Murmure une incantation.

" Oh ! viens dans ma couche de nacre, Mes bras d'onde t'enlaceront ; Les flots, perdant leur saveur âcre, Sur ta bouche, en miel couleront.

" Laissant bruire sur nos têtes, La mer qui ne peut s'apaiser, Nous boirons l'oubli des tempêtes Dans la coupe de mon baiser. "

Ainsi parle la voix humide De ce regard céruléen, Et mon coeur, sous l'onde perfide, Se noie et consomme l'hymen.

Théophile Gautier.

Femme et chatte.

Elle jouait avec sa chatte, Et c'était merveille de voir La main blanche et la blanche patte S'ébattre dans l'ombre du soir.

Elle cachait - la scélérate ! - Sous ces mitaines de fil noir Ses meurtriers ongles d'agate, Coupants et clairs comme un rasoir.

L'autre aussi faisait la sucrée Et rentrait sa griffe acérée, Mais le diable n'y perdait rien... Et dans le boudoir où, sonore, Tintait son rire aérien,

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Brillaient quatre points de phosphore.

Paul Verlaine.

Beauté des femmes.

Sonnet.

Beauté des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal, Et ces yeux, où plus rien ne reste d'animal Que juste assez pour dire : " assez " aux fureurs mâles.

Et toujours, maternelle endormeuse des râles, Même quand elle ment, cette voix ! Matinal Appel, ou chant bien doux à vêpre, ou frais signal, Ou beau sanglot qui va mourir au pli des châles !...

Hommes durs ! Vie atroce et laide d'ici-bas ! Ah ! que du moins, loin des baisers et des combats, Quelque chose demeure un peu sur la montagne,

Quelque chose du coeur enfantin et subtil, Bonté, respect ! Car, qu'est-ce qui nous accompagne Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il ?

Paul Verlaine.

Jolies femmes.

Sonnet.

On leur fait des sonnets, passables quelquefois ; On baise cette main qu'elles daignent vous tendre ; On les suit à l'église, on les admire au bois ; On redevient Damis, on redevient Clitandre ;

Le bal est leur triomphe, et l'on brigue leur choix ;

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On danse, on rit, on cause, et vous pouvez entendre, Tout en valsant, parmi les luths et les hautbois, Ces belles gazouiller de leur voix la plus tendre :

- La force est tout ; la guerre est sainte ; l'échafaud Est bon ; il ne faut pas trop de lumière ; il faut Bâtir plus de prisons et bâtir moins d'écoles ;

Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts. Et ces colombes-là vous disent des paroles A faire remuer d'horreur les os des morts.

Juillet 1870.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

Une femme m'a dit ceci.

Une femme m'a dit ceci : - J'ai pris la fuite. Ma fille que j'avais au sein, toute petite, Criait, et j'avais peur qu'on n'entendît sa voix. Figurez-vous, c'était un enfant de deux mois ; Elle n'avait pas plus de force qu'une mouche. Mes baisers essayaient de lui fermer la bouche, Elle criait toujours ; hélas ! elle râlait. Elle voulait téter, je n'avais plus de lait. Toute une nuit s'était de la sorte écoulée. Je me cachais derrière une porte d'allée, Je pleurais, je voyais les chassepots briller. On cherchait mon mari qu'on voulait fusiller. Tout à coup, le matin, sous cette horrible porte, L'enfant ne cria plus. Monsieur, elle était morte. Je la touchai ; monsieur, elle était froide. Alors, Cela m'était égal qu'on me tuât ; dehors, Au hasard, j'emportai ma fille, j'étais folle, J'ai couru, des passants m'adressaient la parole, Mais je me suis enfuie, et, je ne sais plus où, J'ai creusé de mes mains dans la campagne un trou,

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Au pied d'un arbre, au coin d'un enclos solitaire ; Et j'ai couché mon ange endormi dans la terre ; L'enfant qu'on allaita, c'est dur de l'enterrer.

Et le père était là qui se mit à pleurer.Victor Hugo sur www.poesie-francaise.fr

Victor Hugo.

] La femme.

À M. Decaisne.

O femme, éclair vivant dont l'éclat me renverse ! O vase de splendeur qu'un jour de Dieu transperce ! Pourquoi nos yeux ravis fondent-ils sous les tiens ? Pourquoi mon âme en vain sous ma main comprimée S'élance-t-elle à toi, comme une aigle enflammée Dont le feu du bûcher a brisé les liens ?

Déjà l'hiver blanchit les sommets de ma vie. Sur la route au tombeau, que mes pieds ont suivie, Ah ! j'ai derrière moi bien des nuits et des jours ! Un regard de quinze ans, s'il y daignait descendre, Dans mon cœur consumé ne remûrait que cendre, Cendre de passions qui palpitent toujours !

Je devrais détourner mon cœur de leur visage, Me ranger en baissant les yeux sur leur passage, Et regarder de loin ces fronts éblouissants, Comme l'on voit monter de leur urne fermée Les vagues de parfum et de sainte fumée Dont les enfants de chœur vont respirer l'encens.

Je devrais contempler avec indifférence Ces vierges, du printemps rayonnante espérance, Comme l'on voit passer sans regret et sans pleurs, Au bord d'un fleuve assis, ces vagues fugitives Dont le courant rapide emporte à d'autres rives

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Des flots où des amants ont effeuillé des fleurs.

Cependant, plus la vie au soleil s'évapore, O filles de l'Éden, et plus on vous adore ! L'odeur de vos soupirs nous parfume les vents ; Et même quand l'hiver de vos grâces nous sèvre, Non, ce n'est pas de l'air qu'aspire votre lèvre : L'air que vous respirez, c'est l'âme des vivants !

Car l'homme éclos un jour d'un baiser de ta bouche, Cet homme dont ton cœur fut la première couche, Se souvient à jamais de son nid réchauffant, Du sein où de sa vie il puisa l'étincelle, Des étreintes d'amour au creux de ton aisselle, Et du baiser fermant sa paupière d'enfant !

Mais si tout regard d'homme à ton visage aspire, Ce n'est pas seulement parce que ton sourire Embaume sur tes dents l'air qu'il fait palpiter, Que sous le noir rideau des paupières baissées On voit l'ombre des cils recueillir des pensées Où notre âme s'envole et voudrait habiter ;

Ce n'est pas seulement parce que de ta tête La lumière glissant, sans qu'un angle l'arrête, Sur l'ondulation de tes membres polis, T'enveloppe d'en haut dans ses rayons de soie Comme une robe d'air et de jour, qui te noie Dans l'éther lumineux d'un vêtement sans plis ;

Ce n'est pas seulement parce que tu déplies Voluptueusement ces bras dont tu nous lies, Chaîne qui d'un seul cœur réunit les deux parts, Que ton cou de ramier sur l'aile se renverse, Et que s'enfle à ton sein cette coupe qui verse Le nectar à la bouche et l'ivresse aux regards :

Mais c'est que le Seigneur en toi, sa créature, Alluma le foyer des feux de la nature ; Que par toi tout amour a son pressentiment ; Que toutes voluptés, dont le vrai nom est femme,

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Traversent ton beau corps ou passent par ton âme, Comme toutes clartés tombent du firmament !

Cette chaleur du ciel, dont ton sein surabonde, A deux rayonnements pour embraser le monde, Selon que son foyer fait ondoyer son feu. Lorsque sur un seul cœur ton âme le condense, L'homme est roi, c'est l'amour ! il devient providence Quand il s'épand sur tous et rejaillit vers Dieu.

Alors on voit l'enfant, renversé sur ta hanche, Effeuiller le bouton que ta mamelle penche, Comme un agneau qui joue avec le flot qu'il boit ; L'adolescent, qu'un geste à tes genoux rappelle, Suivre de la pensée, au livre qu'il épelle, La sagesse enfantine écrite sous ton doigt ;

L'orphelin se cacher dans les plis de ta robe, L'indigent savourer le regard qu'il dérobe, Le vieillard à tes pieds s'asseoir à ton soleil ; Le mourant dans son lit, retourné sans secousse Sur ce bras de la femme où la mort même est douce, S'endormir dans ce sein qu'il pressait au réveil !

Amour et charité, même nom dont on nomme La pitié du Très-Haut et l'extase de l'homme ! Oui, tu l'as bien compris, peintre aux langues de feu ! La beauté, sous ta main, par un double mystère, Unit ces deux amours du ciel et de la terre. Ah ! gardons l'un pour l'homme, et brûlons l'autre à Dieu.

Alphonse de Lamartine.

Amitié de femme.

À Madame L. sur son album.

Amitié, doux repos de l'âme,

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Crépuscule charmant des cœurs, Pourquoi dans les yeux d'une femme As-tu de plus tendres langueurs ?

Ta nature est pourtant la même ! Dans le cœur dont elle a fait don Ce n'est plus la femme qu'on aime, Et l'amour a perdu son nom.

Mais comme en une pure glace Le crayon se colore mieux, Le sentiment qui le remplace Est plus visible en deux beaux yeux.

Dans un timbre argentin de femme Il a de plus tendres accents : La chaste volupté de l'âme Devient presque un plaisir des sens.

De l'homme la mâle tendresse Est le soutien d'un bras nerveux, Mais la vôtre est une caresse Qui frissonne dans les cheveux.

Oh ! laissez-moi, vous que j'adore Des noms les plus doux tour à tour, O femmes, me tromper encore Aux ressemblances de l'amour !

Douce ou grave, tendre ou sévère, L'amitié fut mon premier bien : Quelque soit la main qui me serre, C'est un cœur qui répond au mien.

Non, jamais ma main ne repousse Ce symbole d'un sentiment ; Mais lorsque la main est plus douce, Je la serre plus tendrement.

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Alphonse de Lamartine.

Conseils à une parisienne.

Oui, si j'étais femme, aimable et jolie, Je voudrais, Julie, Faire comme vous ; Sans peur ni pitié, sans choix ni mystère, A toute la terre Faire les yeux doux.

Je voudrais n'avoir de soucis au monde Que ma taille ronde, Mes chiffons chéris, Et de pied en cap être la poupée La mieux équipée De Rome à Paris.

Je voudrais garder pour toute science Cette insouciance Qui vous va si bien ; Joindre, comme vous, à l'étourderie Cette rêverie Qui ne pense à rien.

Je voudrais pour moi qu'il fût toujours fête, Et tourner la tête, Aux plus orgueilleux ; Être en même temps de glace et de flamme, La haine dans l'âme, L'amour dans les yeux.

Je détesterais, avant toute chose, Ces vieux teints de rose Qui font peur à voir. Je rayonnerais, sous ma tresse brune, Comme un clair de lune En capuchon noir.

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Car c'est si charmant et c'est si commode, Ce masque à la mode, Cet air de langueur ! Ah ! que la pâleur est d'un bel usage ! Jamais le visage N'est trop loin du coeur.

Je voudrais encore avoir vos caprices, Vos soupirs novices, Vos regards savants. Je voudrais enfin, tant mon coeur vous aime, Être en tout vous-même... Pour deux ou trois ans.

Il est un seul point, je vous le confesse, Où votre sagesse Me semble en défaut. Vous n'osez pas être assez inhumaine. Votre orgueil vous gêne ; Pourtant il en faut.

Je ne voudrais pas, à la contredanse, Sans quelque prudence Livrer mon bras nu ; Puis, au cotillon, laisser ma main blanche Traîner sur la manche Du premier venu.

Si mon fin corset, si souple et si juste, D'un bras trop robuste Se sentait serré, J'aurais, je l'avoue, une peur mortelle Qu'un bout de dentelle N'en fût déchiré.

Chacun, en valsant, vient sur votre épaule Réciter son rôle D'amoureux transi ; Ma beauté, du moins, sinon ma pensée, Serait offensée D'être aimée ainsi.

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Je ne voudrais pas, si j'étais Julie, N'être que jolie Avec ma beauté. Jusqu'au bout des doigts je serais duchesse. Comme ma richesse, J'aurais ma fierté.

Voyez-vous, ma chère, au siècle où nous sommes, La plupart des hommes Sont très inconstants. Sur deux amoureux pleins d'un zèle extrême, La moitié vous aime Pour passer le temps.

Quand on est coquette, il faut être sage. L'oiseau de passage Qui vole à plein coeur Ne dort pas en l'air comme une hirondelle, Et peut, d'un coup d'aile, Briser une fleur.Alfred de Musset sur www.poesie-francaise.fr

Alfred de Musset.