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Faculteit Letteren & Wijsbegeerte Marieke Huyghens Les exercices spirituels dans l’œuvre de Marguerite de Navarre Masterproef voorgelegd tot het behalen van de graad van Master in de taal- en letterkunde Frans-Engels 2014-2015 Promotor : Prof. Dr. Alexander Roose Vakgroep Franse letterkunde

Les exercices spirituels dans l’œuvre de Marguerite de Navarre · La nature avait donné à Marguerite la beauté extérieure ; il n’y avait qu’à développer dans son âme

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Page 1: Les exercices spirituels dans l’œuvre de Marguerite de Navarre · La nature avait donné à Marguerite la beauté extérieure ; il n’y avait qu’à développer dans son âme

Faculteit Letteren & Wijsbegeerte

Marieke Huyghens

Les exercices spirituels dans l’œuvre de

Marguerite de Navarre

Masterproef voorgelegd tot het behalen van de graad van

Master in de taal- en letterkunde

Frans-Engels

2014-2015

Promotor : Prof. Dr. Alexander Roose

Vakgroep Franse letterkunde

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de recherche, le Prof. Dr.

Alexander Roose. Suite à son aide dévouée pendant mon travail de fin de bachelier, j’étais

très contente qu’il ait pu de nouveau me guider pendant la rédaction de ce mémoire. Grâce à

lui, j’ai approfondi la recherche (entamée l’année passée) sur Marguerite de Navarre et ses

œuvres, qui m’ont charmées dès le début. Monsieur Roose m’a encouragée à poursuivre cette

étude scientifique dans laquelle j’ai tenté d’explorer le caractère religieux et spirituel dans

l’oeuvre d’une femme importante dans le monde politique et religieux de la France pendant le

XVIe siècle. Monsieur Roose m’a fourni de précieux conseils tout au long de cette entreprise.

Je le remercie également pour tout le temps qu’il a consacré à discuter avec moi et à relire

mon travail.

Mes remerciements les plus sincères vont également à mon fiancé Filip Daniëls

pour avoir fait preuve de patience et de compréhension pendant la rédaction de ce travail. En

outre, les discussions que nous avons eues sur la religion (entre autres), m’ont donné de

nouvelles idées. J’exprime aussi toute ma gratitude envers mon amie Dafne Palú, qui a relu et

corrigé ce texte. Celle-ci a non seulement rectifié soigneusement certaines de mes

imprécisions grammaticales et lexicales, mais elle a aussi expliqué ces corrections en détail,

de sorte que j’ai pu appliquer cette nouvelle connaissance à la rédaction de textes ultérieurs.

Je la remercie également pour son amitié sincère.

A mes parents, qui n’ont jamais cessé de croire en moi et qui m’ont toujours

soutenue moralement et financièrement, merci. Je les remercie également de m’avoir ouvert

les yeux au monde de l’invisible et de m’avoir initiée à la religion catholique, ce qui m’a

permis d’apprécier toute la richesse de celle-ci. En particulier, je remercie mon père, celui qui

m’a transmis l’amour pour la langue française et qui a également relu ce travail. Enfin, merci

à mes beaux-parents d’avoir fait le ménage, d’avoir entretenu le jardin, d’avoir nourri nos

chiens et d’avoir préparé de bons repas qui m’ont à chaque fois donné la force de continuer.

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Marguerite d’Angoulême Sculpture de Joseph-Stanislas Lescorne (1799-1872) Jardin du Luxembourg à Paris

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La nature avait donné à Marguerite la beauté extérieure ; il n’y avait qu’à développer dans son âme les germes de la sagesse et de la vertu, et l’on y réussit de telle sorte, que dès l’âge de quinze ans, « l’esprit de Dieu commença à se manifester et apparoistre en ses yeux, en sa face, en son marcher, et sa parole, et généralement en toutes ses actions1 » 2.

-Charles de Sainte-Marthe cité par François Génin-

Le premier roi de Marguerite, qui aime par-dessus toute créature son frère François, c’est Dieu3.

-Jean-Luc Déjean-

L’admirable livre des Exercices, si mince de volume, mais si lourd de sagesse céleste… brilla et resplendit comme le code très sage et le plus universel des lois pour la direction des âmes dans la voie de la perfection, comme une source intarissable de la piété la plus élevée et la plus solide, comme une aiguillon irrésistible et un guide très averti pour aider les à se réformer et à atteindre les sommets de la vie spirituelle4.

-Pie XI sur des Exerices Spirituels d’Ignace de Loyola-

Quand vas-tu enfin commencer à vivre vertueusement, disait Platon à un vieillard qui lui racontait qu’il écoutait des leçons sur la vertu. Il ne s’agit pas de spéculer toujours, mais il faut une bonne fois penser à l’exercice. Mais aujourd’hui on prend pour un exalté celui qui vit d’une manière conforme à ce qu’il enseigne5.

-Kant-

                                                                                                                         1 Charles de Sainte-Marthe, Oraison funèbre de Marguerite, royne de Navarre, Paris, Regnault Chaudière, 1550, p. 37. 2 François Génin, « Notices sur Marguerite d’Angoulême, sœur de François Ier, reine de Navarre », dans Marguerite d’Angoulême, Lettres de Marguerite d’Angoulême, soeur de François I, reine de Navarre, publiées d’après les manuscrits de la Bibliothèque du roi, Paris, J. Renouard, 1841, p. 3. 3 Jean-Luc Déjean, Marguerite de Navarre, Fayard, Paris, 1987, p. 28. 4 X, Livre du retraitant, contenant les principales prières du chrétien, l’ordinaire de la messe, les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, Amboise, Imprimerie Jean Pinçon, 1973, p. 183. 5 Immanuel Kant, « Vorlesungen über die philosophische Enzyklopädie », dans Kants gesammelte Schriften, XXIX, Berlin, De Gruyter, 1980, p. 12.    

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Introduction

Marguerite d’Angoulême de naissance, duchesse d’Alençon par son premier

mariage, reine de Navarre par son deuxième, sœur ainée de François Ier : Marguerite a joué un

grand nombre de rôles politiques pendant sa vie. Nicole Cazauran observe que Marguerite « a

participé, en effet, à maintes décisions importantes du règne de François Ier et n’a jamais

hésité à seconder son frère, voire à se substituer à lui lorsque la fortune des armes lui était

hostile »6. Mais c’est surtout en tant que femme de lettres qu’on connaît Marguerite de

Navarre, principalement pour son Heptaméron. Ses autres œuvres, notamment ses poèmes

chrétiens antérieurs à L’Heptaméron, sont moins connues ; pourtant, elles ne sont

certainement pas moins remarquables. Ce qui rend Marguerite extraordinaire n’est pas

seulement son esprit critique en politique, mais la manière avec laquelle elle concilie sa vie à

la cour avec une vie spirituelle d’une profondeur exceptionnelle. Ses œuvres dégagent l’image

spirituelle d’une femme politique. A ce sujet Lucien Febvre observe que

[p]endant qu’elle menait sa grande vie mondaine ; pendant qu’elle présidait à toutes les fêtes de la plus brillante période du règne – Marguerite, la Marguerite indulgente aux fredaines de son frère, la Marguerite courtisée par les plus irrésistibles conquérants de ce temps, la Marguerite mêlée de près aux intrigues des alcôves comme aux négociations des chancelleries – Marguerite ne cessait, le soir venu, d’écrire, de méditer, de composer7.

Cela dit, Marguerite de Navarre n’est pas la première personne à avoir réussi à

concilier vie politique et vie spirituelle. L’historien de la philosophie antique Pierre Hadot

montre que cette volonté et ces difficultés sous-tendent les Pensées de Marc Aurèle, empereur

de l’empire Romain pendant le IIe siècle. Dans ces Pensées Marc Aurèle apparaît comme « un

homme d’action, qui cherche la sérénité, parce qu’elle est la condition indispensable de

l’efficacité »8. Un penchant précoce pour la philosophie est à l’origine de cette sagesse. Marc

Aurèle était philosophe9 avant même d’assumer le rôle d’empereur à l’âge de trente-neuf ans.

                                                                                                                         6 Nicole Cazauran, James Dauphiné, « Avant-propos » dans Marguerite de Navarre 1492 – 1992, Actes du Colloque international de Pau (1992), Mont-de-Marsan, Editions interuniversitaires, 1995, p. 7. 7 Lucien Febvre, Amour sacré, amour profane, Autour de l’Heptaméron, Paris, Gallimard, 1944, p. 50. 8 Pierre Hadot, La citadelle intérieure, Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, Paris, Fayard, 1992, couverture. 9 Un « philosophe, dans l’Antiquité, n’est pas nécessairement, comme on a trop tendance à le penser, un théoricien de la philosophie. Un philosophe, dans l’Antiquité, c’est quelqu’un qui vit en philosophe, qui mène une vie philosophique ». – Ibid., p. 16.

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A douze ans, il s’inspire de son maître Diognète qui lui donna l’amour de la philosophie10. Le

jeune Marc Aurèle « adopta le costume et, un peu plus tard, la vie d’endurance du philosophe,

étudiant revêtu du pallium, c’est-à-dire du manteau des philosophes, et couchant à même le

sol11 »12. Bien que ce genre de vie spartiate fût de courte durée, le feu de la philosophie

« continuait à couver et ne tarderait pas à s’embraser à nouveau »13. Pendant son règne, il

poursuit son étude de la philosophie, ce qui n’était pas anormal à cette époque :

On ne s’étonnera pas qu’un homme d’Etat, qui devait devenir préfet de la ville de Rome entre 162 et 168, soit en même temps un maître de philosophie. Cela n’a rien d’extraordinaire dans l’Antiquité : Cicéron et Sénèque sont eux aussi des hommes d’Etat et ils n’hésitent pas eux non plus à se présenter comme des maîtres de philosophie14.

De Junius Rusticus, Marc Aurèle apprend, contrairement à ce qu’il avait appris de Diognète,

que le but de la philosophie, comme l’avait dit Epictète, « n’est pas de porter un manteau,

mais d’avoir une raison droite »15 (« Quelle est donc la matière que travaille le philosophe ?

Est-ce son manteau ? Non, mais sa raison16 ». Il s’agit de « redresser son caractère »17. A

travers des exercices spirituels qui aboutiront par après à un ensemble intitulé Pensées, Marc

Aurèle essaie de concilier vie philosophique, voire vie spirituelle, et vie politique. Ce n’est

qu’en 1559 que les Pensées de Marc Aurèle deviennent accessibles à l’Occident18. Par

conséquent, il est impossible que Marguerite de Navarre (décédée en 1549) ait lu cet ouvrage.

Cela dit, on constate certaines similarités entre les idées qu’ont Marc Aurèle et Marguerite de

Navarre de l’écriture, de la philosophie, de la pratique des exercices spirituels. Cela

s’explique peut-être par le fait que Marguerite avait une grande connaissance des textes

antiques, qui constituaient la principale source d’inspiration de Marc Aurèle.

Marguerite de Navarre n’a pas été non plus la dernière personne à vouloir

concilier vie temporelle et vie spirituelle. L’intellectuel jésuite Herwig Arts a observé dans les

                                                                                                                         10 Ibid., p. 19  11 « Le court manteau et la dureté du lit étaient le symbole de la vie philosophique stoïcienne. » - Pierre Hadot, La citadelle intérieure, Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, op. cit., p. 19. 12 Ibid. 13 Ibid., p. 21. 14 Ibid. 15 Ibid., p. 22. 16 Epictète, Discours philosophiques d’Epictète, Recueillis par Arrien et traduits du grec en français par A.P. Thurot, Paris, Imprimerie royale, 1838, p. 77. 17 Pierre Hadot, La citadelle intérieure, Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, op. cit., p. 22. 18 Ibid., p. 37.

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journaux intimes de Dag Hammarskjöld19, qui fut banquier et secrétaire général des Nations

Unies pendant la deuxième moitié du XXe siècle, que cet homme politique parvenait à

concilier l’action et la contemplation, l’engagement dans le monde et le détachement, la

liberté personnelle et la mystique chrétienne20. Cependant, la coexistence harmonieuse de ces

modes de vie apparemment contradictoires est le résultat d’une longue recherche et d’un

combat intérieur21. Hammarskjöld ne pensait, n’intervenait ou ne décidait jamais etsi Deus

non deratur (comme si Dieu n’existait pas)22. Il essayait en toute occasion de rencontrer Dieu.

Dag Hammarskjöld prouve également que l’épanouissement de la vie intérieure ne doit pas

forcément être lié au milieu privilégié d’un monastère, d’une abbaye, d’une église ou d’un

endroit de retraite23. Dag Hammarskjöld est la preuve que le recueillement et la prière peuvent

également fructifier dans un gratte-ciel, dans une bibliothèque universitaire ou dans un

laboratoire de recherche, bref : dans un monde moderne assourdissant-bruyant24. Herwig Arts

ajoute que Hammarskjöld vivait selon la parole de saint Paul : « [E]xaminez tout, retenez ce

qui est bien25 ». Marguerite elle aussi connaissait très bien les écrits de saint Paul : de

nombreuses références dans son œuvre en témoignent. Sa curiosité, sa volonté de savoir, sa

volonté de bien faire et son engagement montrent combien elle a fait siennes la consigne de

saint Paul.

A première vue, une participation active dans les finances et dans les affaires

économiques ainsi qu’un engagement politique (des choses qui prennent du temps) sont des

facteurs qui rendent peu probable une vie de prière et de méditation. Néanmoins, les vies de

Marc Aurèle, de Marguerite de Navarre, et de Dag Hammarskjöld prouvent la possible

réussite d’une telle gageure. La réflexion et la prière ne sont pas nécessairement

incompatibles avec une vie séculaire. Au début du XVIIe siècle, dans son Introduction à la vie

dévote, saint François de Sales observe que plusieurs « diront qu’il n’appartient qu’aux

religieux et gens de dévotion de faire des conduites si particulières à la piété »26. Aussi ne

                                                                                                                         19 Dag Hjalmar Agne Carl Hammarskjöld (1905-1961) était un diplômât Suédois. Il était secrétaire général des Nations Unies de 1953 jusqu’à sa mort en 1961. A titre posthume, il reçoit le Prix Nobel pour la Paix. – dans Herwig Arts, Een kluizenaar in New York, de spiritualiteit van Dag Hammarskjöld, Antwerpen, 1986, p. 13, 25, 29. 20 Herwig Arts, op. cit., p. 7.    21 Ibid. 22 Ibid., p. 18. 23 Ibid., p. 7. 24 Ibid. , p. 7-8 25 Thessaloniciens 5,21. 26 Saint François de Sales, « Préface », dans Introduction à la vie dévote (1608), Paris, Frédéric Léonard, 1696, n.p.  

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faut-il pas forcément être prêtre ou appartenir aux ordres pour mener une vie spirituelle. Les

vies de Marguerite de Navarre, de Marc Aurèle et de Dag Hammarskjöld en sont les preuves.

Ce mémoire vise à discerner la manière dont Marguerite de Navarre a tenté

comme Marc Aurèle et Dag Hammarskjöld de concilier vita activa et vita contemplativa.

Marguerite de Navarre a réussi à développer par et dans son écriture même, une méthode qui

se traduit par des exercices spirituels. Cette méthode lui permet de continuer à mener une vie

active sans devoir pour autant renoncer à ses goûts, à son inclination, à ses devoirs religieux.

La démarche que nous avons adoptée afin d’y parvenir a été extraite de l’étude de Pierre

Hadot des Pensées de Marc Aurèle. Dans ce livre, Pierre Hadot a systématisé les exercices

spirituels pratiqués par l’empereur romain. On retrouvera certains exercices spirituels de Marc

Aurèle dans la vie de Marguerite, comme ‘l’attention’, ‘la lecture’, ‘l’accomplissement des

devoirs’, etc. Mais sa démarche est originale : elle semble ajouter d’autres exercices qui lui

sont propres, comme ‘la mystique’, ‘le dialogue’, etc.

Cette démarche est liée avec l’époque dans laquelle elle vit. Le XVIe était une

époque de renouveau religieux. Marguerite n’est pas attachée particulièrement au monde. Elle

suit en cela le précepte du contemptus mundi, cher à Erasme. Elle ne se contente pas du

monde qui l’entoure. Elle voudrait que l’Eglise mette l’accent sur la vie intérieure au lieu de

privilégier les manifestations extérieures de foi comme elle en voit trop souvent à la cour.

L’Eglise a besoin d’un renouvellement interne, tel que l’a pensé Luther, le moine allemand

qui est à l’origine de la Réforme. Dans ses écrits, Marguerite dévoile une aspiration à un

changement dans l’Eglise. Or c’est un désir qui va de pair avec des angoisses latentes. La

Réforme de Luther et surtout celui de Calvin aboutiront finalement à une rupture définitive

avec l’Eglise catholique. Les réformistes sont désormais appelés protestants. Et même si

Marguerite est connue pour sa défense constante des partisans de la Réforme, elle ne se

convertira jamais au protestantisme et restera catholique pendant toute sa vie (cf. 1.5. Le

catholicisme ou le protestantisme).

Mais si Marguerite peut sembler proche par ses rejets, par ses critiques de

Luther, sa démarche est similaire à celle de celui qui incarne la contre-réforme, Ignace de

Loyola. Ignace, qui fut un contemporain de Marguerite de Navarre27, ressentait également la

                                                                                                                         27 En effet, Ignace de Loyola est né en Espagne en 1491, un an avant la naissance de Marguerite de Navarre.

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nécessité de restaurer l’autorité morale et intellectuelle de l’Eglise et de préserver la vie

intérieure des croyants. De nos jours, Ignace de Loyola est connu comme le fondateur de

Societas Jésu, l’ordre des Jésuites. Peu savent qu’il avait mené une carrière militaire avant

d’entamer sa vie religieuse. Après s’être rétabli d’une grave blessure à la jambe, il décide

d’entrer au service du Christ. Entre 1522 et 1523 il séjourne dans un couvent à Manresa (en

Espagne) où il consacre son temps à la prière et à la méditation. C’est durant cette période

qu’il développe ses Exercices Spirituels, restés célèbres aujourd’hui. Ces Exercices Spirituels

constituent une seule retraite spirituelle de quatre semaines successives. La première semaine

est une réflexion sur le péché, la seconde traite de la royauté du Christ, la troisième aborde la

souffrance de Celui-ci, et la dernière semaine est consacrée à la vie du Christ après sa

résurrection28. On y voit quelques similarités avec l’œuvre de Marguerite de Navarre, par

exemple : le poème Le miroir de l’âme pécheresse est une méditation sur le péché ; le poème

Le miroir de Jésus-Christ crucifié traite de la souffrance du Christ, mais également de sa

royauté et des péchés de l’homme. Et Le triomphe de l’Agneau est une méditation sur la

passion et sur le moment après la passion du Christ (renvoie à l’apocalypse). A travers la

réflexion, l’imaginaire et la conscience, les Exercices de Loyola se concentrent sur la volonté.

Il s’agit d’un moyen efficace d’arriver à la connaissance de soi par la soumission au Christ29.

Afin de parvenir à cette fin, Ignace de Loyola ainsi que Marguerite de Navarre ont élaboré des

exercices spirituels, bien que de manière distincte. La différence la plus marquante entre les

deux réside dans le fait qu’Ignace écrit pour que les autres puissent faire et répéter ces

exercices afin d’arriver à cet état d’illumination en Dieu. Marguerite en revanche semble

écrire surtout pour elle-même : elle met sur papier ses propres expériences spirituelles afin de

prendre conscience, de réfléchir sur son propre itinéraire spirituel. L’on peut dire qu’Ignace

établit la méthode et que Marguerite l’applique. Bien que les exercices d’Ignace et de

Marguerite se recouvrent, il reste incertain que Marguerite ait eu connaissance des Exercices

Spirituels d’Ignace de Loyola. Peu importe, dans un sens. Et même s’il est certain qu’Ignace

et Marguerite ont lu les mêmes ouvrages – par exemple celui de saint Augustin et des textes

de l’Antiquité – l’important est de voir combien leur démarche, la méthode qu’ils élaborent,

sont proches.

                                                                                                                         28 Tim Dowley, Handboek van de geschiedenis van het christendom, traduit de l’anglais par Dr. Auke J. Jelsma, Den Haag, J.N. Voorhoeve, 1979, p. 411. 29 Ibid.    

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L’œuvre de Marguerite de Navarre est vaste, variée et principalement

composée « [d’] ouvrages en vers et en prose de trois sortes au moins [de] méditations

chrétiennes […]; [de] contes gaulois comme nous dirions, décolletés et libres de ton et de

pensée ; [de] divertissements théâtraux enfin : comédies pastorales, farces, etc. »30. Le corpus

de cette étude est composé a priori de la poésie spirituelle qu’avait écrite Marguerite de

Navarre. Mais L’Heptaméron, son œuvre littéraire la plus importante, est également abordée.

Par ailleurs, L’Heptaméron est crucial pour cette étude parce que cet ouvrage semble être une

tentative de Marguerite de Navarre de réconcilier la nature primitive et charnelle de l’homme

(ignorée par les néoplatoniciens) avec sa nature divine. Cette association entre spiritualité et

vie mondaine rend plus aisée la lecture de L’Heptaméron. En revanche, sa poésie chrétienne

est souvent fortement teintée de mystique ; il s’agit donc plutôt d’une lecture destinée au

clergé. De nos jours, les poèmes spirituels et chrétiens de Marguerite restent souvent

cantonnés à un public universitaire. L’Heptaméron, en revanche, montre une reine plus âgée

et plus mature. L’Heptaméron est aussi une œuvre plus modérée et moins rigide, plus

accessible que les poèmes religieux de la reine.

                                                                                                                         30 Lucien Febvre, op. cit., p. 24.

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1. Une sympathie pour les idées de la Réforme  

1.1. Une période tumultueuse

Marguerite d’Angoulême est née en 1492, pendant la période tumultueuse qui a

précédé la Réforme dans l’Eglise comme le « Grand Schisme qui provoque l’élection de deux

papes, celui de Rome et celui d’Avignon »31. Bien que la Réforme ne débute qu’en 1517,

Marguerite ressent déjà la nécessité d’un renouvellement à l’intérieur de l’Eglise pendant sa

retraite au château de son mari, Charles d’Alençon. Jeune femme, elle éprouva le besoin

grandissant de connaître la véritable religion catholique dans ses aspects les plus profonds.

Elle déplorait la vanité des manifestations extérieures de la foi auxquelles la cour française

prenait part (prier aux yeux de tous, proclamer ses bonnes actions, etc.). Elle constate surtout

le manque d’une vie intérieure authentique chez les chrétiens de son époque.

1.2. Dévotio Moderna

Les séjours que Marguerite fait à Amboise ou à Blois, « à l’âge où son esprit se

forme, lui donnent matière à comparer les vieilles formes de la religion avec cette nouvelle

façon de prier, cette devotio moderna qui est le premier pas vers la contestation »32. La

devotio moderna est un mouvement de pensée apparu au XIVe siècle aux Pays-Bas et surtout

dans le Sud, en Flandre. Le théologien et écrivain Gérard Grote (1340 – 1384), qui est le pilier

de ce courant, prêchait l’approfondissement et l’intériorisation de la vie spirituelle ainsi que

l’attention de la relation personnelle avec le Christ vivant (« vivant sa passion pour moi »)33.

Dans la devotio moderna, la « vie du dévot, très intériorisée, est scandée par des exercices

spirituels centrés sur la Passion du Christ et sur sa souffrance »34.

Marguerite de Navarre a écrit plusieurs textes dans lesquels elle médite sur le

Christ et sur la passion de Celui-ci, par exemple Miroir de Jésus-Christ crucifié. Dans ce

                                                                                                                         31 Janine Garrisson, Les Protestants au XVIe siècle, Paris, Fayard, 1988, n.p. 32 Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 59. 33 Florent Radewijns, Petit manuel pour le dévot moderne, Tractatulus devotus, Turnhout, Brepols, 1999, p. 36,39. 34 Anne-Dolorès Marcélis, Femmes cloîtrées des temps contemporains : Vies et histoires de carmélites et de clarisses en Namurois, 1837 - 2000, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2013, p. 467.    

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poème, Marguerite répond à l’invitation de la devotio moderna à « compatir aux souffrances

physiques du Christ très précisément évoquées »35 : « Comme un chapeau plein de multitude /

D’épines, trop voire et autant pesant36 », ou alors « Comme tu es pâlie et décrachée,/ Pleine de

sang et bouffie et mâchée37 ». Marguerite dévoile la laideur du corps du Christ crucifié, qui,

malgré tout, reste plus beau que l’âme humaine.

175 Devant Dieu suis laid et abominable,

Mais ta laideur me veut être agréable. Haï, moqué puissé-je être de tous Pour ressembler à ce pendu tant doux, Par qui beauté en moi laide je vois,

180 Et ma laideur belle en Lui j’aperçois38 ! Pour Marguerite et Briçonnet (cf. 1.4. Briçonnet, père spirituel de Marguerite), la nature

humaine est « entierement vide, salle, difforme et maculée »39 tandis que le Christ est

« mirouer sans macule »40. L’adoration de la croix est aussi présente dans d’autres œuvres de

Marguerite, comme dans son poème spirituel La Navire où son frère François Ier invite sa

sœur à embrasser la croix : « Embrasse-la, cette croix, et la prise, / [e]n adorant Celui duquel

la vie / [f]ut une croix que l’ignorant déprise41 ». Marguerite de Navarre a préservé l’intention

de la devotio moderna et elle l’a transmise dans ses œuvres et sa vie. De plus, c’est à travers

ce courant que l’idée persistante d’une réforme religieuse se manifeste pour la première fois

dans l’esprit de Marguerite.

1.3. La Réforme

La Réforme commence de fait en octobre 1517 lorsque Luther s’insurge contre

le commerce des indulgences que menait l’Eglise. Janine Garisson observe que bien que la

« hiérarchie catholique [ait] inventé le Purgatoire afin de rassurer les hommes, […] elle

                                                                                                                         35 Anne-Dolorès Marcélis, op. cit., p. 467. 36 Marguerite de Navarre, « Miroir de Jésus-Christ crucifié », dans Poésies chrétiennes, op. cit., p. 218, v. 144-145. 37 Ibid., p. 218, v. 155-156. 38 Ibid., p. 175-180. 39 Guillaume Briçonnet, Marguerite D’Angoulême, Correspondance (1521 – 1524), II Années 1523-1524, Edition du texte et annotations par Christine Martinaeau et Michel Veissière avec la collaboration de Henry Heller, Genève, Droz, 1979, p. 138. 40 Miroir sans tâche 41 Marguerite de Navarre, « La Navire » (chansons spirituelles), cité par Nicole Cazauran, dans Marguerite de Navarre, Poésies chrétiennes, op. cit., p. 175, v. 686-870.  

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transforme cette étape vers le Salut par la vente massive des indulgences, chacune d’entre

elles permet pour soi ou pour d’autres de raccourcir le temps de la peine imposée par Dieu

avant de franchir la porte étroite du paradis »42. Luther s’élève contre cette pratique parce

qu’« assurant aux riches l’accès du paradis, […], dans le même temps, des prédicateurs,

véritables « comédiens de la chaire », effrayaient le petit peuple par la menace constante des

flammes de l’enfer »43. Luther a été l’un des premiers à reconnaître ouvertement que l’Eglise

n’était plus sur la bonne voie, qu’elle s’égare depuis le VIIIe siècle : l’immoralité et la

cupidité étaient monnaie courante parmi le clergé, à tel point que Machiavel, célèbre penseur

et théoricien politique, estimait que la corruption augmentait simplement parce qu’on

approchait la ville de Rome44. En Allemagne et en Suisse la Réforme est soutenue par le

peuple et par le gouvernement. En France, en revanche, la Réforme ne connaît pas beaucoup

de soutien ni auprès du peuple, ni auprès de la cour45, à part en la personne de Marguerite de

Navarre. Celle-ci voit « naître la première Réforme française qui se propose de ramener

l’Eglise à sa pureté primitive »46. Elle témoigne de « la naissance, le progrès, les luttes du

protestantisme en France et hors de France. Erasme, Luther, Calvin, ont accompli leur tâche

sous ses yeux »47.

1.4. Briçonnet, père spirituel de Marguerite

En 1521, la pieuse duchesse d’Alençon entre en contact avec l’évêque de

Meaux, Guillaume Briçonnet qui est « d’une foi ardente, fortement convaincu de la nécessité

                                                                                                                         42 Janine Garrisson, op. cit., n.p. 43 Marie Cerati, Marguerite de Navarre, Paris, Editions du Sorbier, 1981, p. 53. 44 Tim Dowley, op.cit., p. 346 cf. Pourtant eust raison nostre bon Saint Loys, quand ce Roy Tartare qui s’estoit faict Chrestien, desseignoit de venir à Lyon baiser les pieds au Pape et y reconnoistre la sanctimonie qu’il esperoit trouver en nos moeurs, de l’en destourner instamment, de peur qu’au contraire nostre desbordée façon de vivre ne le dégoustast d’une si saincte creance. Combien que depuis il advent tout diversement à cet autre, lequel, estant allé à Romme pour mesme effect, y voyant la dissolution des prelats et people de ce temps là, s’establit d’autant plus fort en nostre religion, considerant combine elle devoit avoir de force et de divinité à maintenir sa dignité et sa spendeur parmy tant de corruption et en mains si vicieuses. – Michel de Montaigne, Les essais, Ed. P. Villey, Paris, PUF, 1968, II, 12, 442. 45 Tim Dowley, op. cit., p. 380. 46 Marie Cerati, op. cit., courverture. 47 Félix Frank, « Introduction », Marguerite De Navarre, Les Marguerites de la Marguerite des princesses, texte de l’édition de 1547, Tome premier, Paris, Librairies des Bibliophiles, 1873, p. viij.

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d’une réforme profonde »48. Dans une première lettre, Marguerite lui demande « le secours

spirituel »49 :

Monsieur de Mealx, […], m’adresse à vous pour vous prier envers luy vouloir estre par oraison moien qu’il luy plaise conduire selon la saincte volonté Monsieur d’Alençon qui, par le commandement du Roy, s’en va son lieutenant general en son armée que, je doubte, ne se departira sans guerre. Et, pour ce que la paix et la victoire est en sa main, pensant que, oultre le bien publicque du royaulme, avez bon desir de ce qui touche son salut et le mien, vous emploie en mes affaires et vous demande le secours spirituel50.

Martineau, Veissière et Heller observent ce que Marguerite demande à Briçonnet « n’est point

en effet de rompre sa solitude »51 qu’elle éprouve après le départ de son mari à la guerre, ni

« apaiser ses angoisses occasionnelles, mais de lui montrer le chemin du salut »52. De plus, il

y a en elle depuis longtemps « un vide intérieur, une insatisfaction que rien de terrestre ne

saurait combler. Seul l’Amour est en sa mesure »53. Et c’est en cet Amour que peut s’installer

une correspondance régulière entre l’évêque et la duchesse qui durera jusqu’à 1524. Pendant

ces quatres années, Guillaume Briçonnet sera le père spirituel de Marguerite. À cet « évêque

mystique et réformateur »54, elle écrit de « longues épîtres pieuses » et reçoit « de plus

longues » qui nourrissent « une foi fervente des leçons de l’Evangile ». C’est par le biais de

cet humaniste que Marguerite de Navarre accède aux idées de la Réforme de Luther et du

célèbre humaniste Lefèvre d’Etaples. En outre, ces entretiens avec Briçonnet ont provoqué

chez Marguerite un « combat intérieur »55 et une « exaltation spirituelle » qui la pousseront à

écrire des poèmes mystiques (cf. 4.2.5. Une attirance pour la mystique).

                                                                                                                         48 Marie Cerati, op. cit., p. 54. 49 Guillaume Briçonnet et Marguerite d’Angoulême, Correspondance (1521-1524), I, Années 1521-1522, Edition du texte par Christine Martineau et Michel Veissière avec le concours de Henry Heller, Genève, Droz, 1979, p. 25. 50 Ibid.  51 Christine Martineau, Michel Veissière et Henry Heller, « Edition du texte et annotations », dans Guillaume Briçonnet et Marguerite D’Angoulême, Correspondance (1521-1524), I, Années 1521-1522, op. cit., p. 4. 52 Ibid. 53 Ibid. 54 Lucien Febvre, op. cit., p. 16. 55 Ibid.

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1.5. Le catholicisme ou le protestantisme

Comme nous l’avons déjà mentionné dans l’Introduction, Marguerite ne s’est

jamais convertie au protestantisme, bien qu’elle chérît certaines idées de la Réforme. Elle

reste catholique pendant toute sa vie parce que ce qu’elle voulait de fait n’était pas changer de

religion, mais plutôt changer la foi catholique au sein de l’Eglise, lors d’une réforme proposée

par l’Eglise romaine elle-même. Néanmoins, elle est souvent considérée comme étant la

protectrice des luthériens et des calvinistes. Et ses œuvres sont largement inspirées de l’esprit

protestant : par exemple le poème Le miroir de l’âme pécheresse qui est « la première des

confessions de foi publiées par la reine de Navarre »56. Le contenu de cet ouvrage dévoile un

auteur convaincu des principes de la Réforme, comme, par exemple, la doctrine de la

justification par la foi.

57 58

Marguerite « expose pour la première fois une idée […] de la déchéance humaine et de la

« délivrance » du pécheur susceptible de parvenir par la foi à la justification finale »59. Le

miroir de l’âme pécheresse est publié en même temps que son poème Dialogue en forme de

vision nocturne, écrit après la mort de sa nièce la petite Charlotte. Marguerite expose là à sa

nièce défunte des « questions qui la troublent : Quel est le sort de l’âme chrétienne ? et

comment préparer son salut ? »60. La croyance fondée sur le salut par la foi et par les mérites

du Christ est typiquement luthérienne. Dans les vers suivants Marguerite souligne

l’importance d’une foi inébranlable, seul moyen d’être sauvé.

                                                                                                                         56 Marie Cerati, op. cit., p. 107.    57 Marguerite d’Angoulême, Le Miroir de l’Ame pecheresse par Treschrestienne Princesse Marguerite de France, Roine de Navarre, Lyon, Pierre de Tours, 1549, p. a4. v.65 -72. 58 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, Edition critique avec une introduction et des notes par Joseph L. Allaire, München, Wilhelm Fink, 1972, p. 29 v. 65-72. 59 Marie Cerati, op. cit., p. 107. 60 Ibid., p. 108.

Qui  sera  ce  qui  me  delivrera,    Et  qui  tel  bien  pour  moy  recouvrera?  Las!  Ce  ne  poeut  estre  homme  mortel,    Car  leur  povoir  et  sçavoir  n’est  pas  tel  ;  Mais  ce  sera  la  seule  bonne  grace  Du  tout  puissant,  qui  jamais  ne  se  lasse,    Par  Jesuchrist,  duquel  il  se  recorde  Nous  prevenir  par  sa  misericorde.      

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L’infidèle peut trembler et frémir Voyant la mort, car il s’en va descendre Au lieu où est un immortel gémir. Mais le chrétien, de Jésus-Christ vrai membre,

140 Croyant pour vrai être uni à son chef, Se réjouit de voir son corps en cendre61,

L’incroyance conduit l’homme « [a]u lieu où est un immortel gémir », donc en enfer. Cette

image employée par Marguerite semble avoir été empruntée de la Divina Comedia de Dante

Alighieri qui décrit l’enfer comme une « éternelle douleur »62 où il y a « soupirs, plaintes et

grands cris »63. Au lieu de monter vers l’amour de Dieu (cf. Travail de fin bachelier Une

échelle d’amour dans L’Heptaméron de Marguerite de Navarre64), l’incroyant sombrera dans

un puits d’horreur éternelle. Le fidèle chrétien, en revanche, se réjouit même à l’idée de

mourir parce qu’il sait qu’il pourra enfin s’unir à Dieu, qui n’est qu’Amour (cf. 4.2.5.1. Une

union avec Dieu). Entre les fidèles et les infidèles, il y a donc un gouffre qui ne se manifestera

vraiment qu’après la mort (cf. 4.2.5.2. La grâce). Ces vers ci-dessus sont également une

preuve que Marguerite ne suit pas toutes les idées luthériennes. Marguerite évoque parfois le

purgatoire, là où Luther doute de son existence :

Pour le purgatoire, je pense que c’est chose fort incertaine. Il est vraisemblable qu’à l’exception d’un petit nombre, tous les morts dorment insensibles. Je ne crois pas que le purgatoire soit un lien déterminé, comme l’imaginent les sophistes. A les en croire, tous ceux qui ne sont ni dans le ciel ni dans l’enfer sont dans le purgatoire. Qui oserait l’assurer ? Les âmes des morts peuvent dormir entre le ciel, la terre, l’enfer, le purgatoire et toutes choses, comme il arrive aux vivants, dans un profond sommeil… Je pense que c’est cette peine qu’on appelle l’avant-goût de l’enfer, et dont le Christ, Moïse, Abraham, David, Jacob, Job, Ezéchias et beaucoup d’autres ont tant souffert. Comme elle est semblable à l’enfer, et cependant temporaire, qu’elle ait lieu dans le corps ou hors du corps, c’est pour moi le purgatoire (13 janvier 1522) 65.

Cela dit, le mot « purgatoire » n’est pas beaucoup utilisé dans les œuvres de

Marguerite. Dans sa chanson spirituelle XXXXI, elle évoque le purgatoire et ajoute même que

                                                                                                                         61  Marguerite de Navarre, « Dialogue en forme de vision nocturne », dans Poésies chrétiennes, op. cit., p. 68, v. 136-140.  62 Dante, « L’enfer », dans la La divine comédie, Paris, Les Libraires Associés, 1965, p. 13, Chant III, v. 2. 63 Ibid., p. 14, Chant III, v. 22, 64 Marieke Huyghens, Une échelle d’amour dans L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, travail de fin bachelier, dirigé par Prof. Dr. Alexander Roose, UGent, 2014. 65 Martin Luther, Mémoires de Luther, écrits par lui-mêmetraduit et mis en ordre par M. Michelet, Tome 1, Bruxelles, Hauman, Cattoir et compagnie, 1837, p. 132-133.

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c’est une « seure consolation » : elle compare sa condition terrestre au purgatoire et à la

punition. On entend l’idée platonicienne du corps-prison sur lequel l’âme s’appuie pour

s’élever et dont l’âme s’échappera pour s’unir à Dieu.

Mon esprit, mon cueur et mon corps, Selon ton haultain jugement, Sont si débilles et si mortz Qu’ilz n’ont aucun sousténement ; Mais leur faiblesse, En leur tristesse, Purgatoire et pugnition, M’est seure consolation66.

Dans la chanson spirituelle XXXIV, l’« âme quitte le monde et sa joie : prenant

plaisir à sa douleur, elle s’en va sur la « montagne de toute tribulation »67. Selon Georges

Dottin on pourrait rapprocher l’image de la « montagne de toute tribulation » à celle du

« désert » biblique, ou de la montagne du Purgatoire de Dante68. Bien que l’âme se trouve

dans un endroit où « il n’y a homme ni femme / [q]ui veuille ce lieu habiter », l’âme est

joyeuse car elle reconnâit que cette endroit horrible n’est qu’un passage et qu’elle doit avoir

de la patience (« elle l’endure ») afin d’entrer au ciel (« espérant la manne d’en haut »).

Elle s’en va en la montagne De toute tribulation. Où il n’y a homme ni femme

10 Qui veuille ce lieu habiter ; Mais elle fuit tout ce qu’elle ame Pour en ce lieu saint héritier. […] Il n’y croît ni poire ni pomme, Ni chose qu’on puisse manger, Sinon tout ce qui nuit à l’homme,

40 Dont elle n’a peur ni danger ; Car ne trouvant ça-bas pâture, En voyant que tout lui défaut, Joyeysement elle l’endure, Espérant la manne d’en haut69.

                                                                                                                         66 Marguerite de Navarre, « chant 41 », dans Chansons spirituelles, Edition critique par Georges Dottin, Genève, Librairie Droz, 1971, p. 114, v. 1-8. 67 Georges Dottin, « Introduction», dans Marguerite de Navarre, Chansons spirituelles, op. cit., p. XXV. 68 Georges Dottin, op. cit., p. XXV. 69 Marguerite de Navarre, « chant 34 », dans Poésies chrétiennes, op. cit. p. 256, v. 1-12 et 37-44.

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Ce dernier vers démontre également que l’âme se trouve dans un endroit moins élevé par

rapport à ce qu’elle désire (« la manne d’en haut »). Sans utiliser le mot « purgatoire »,

Marguerite semble l’évoquer : l’aspiration à la rédemption est la plus grande peine mais aussi

la plus grande joie. L’âme qui se trouve dans le purgatoire peut espérer la rédemption, alors

que l’âme qui se trouve en enfer « sans fin », ne peut pas être sauvée. Le purgatoire répond

donc à l’idée de rédemption car cela n’est que temporaire, alors que l’enfer est éternel.

1 Où est l’enfer remply entierement

De tout malheur, travail, peine et torment ? Où est le puitz de malediction Dont sans fin sort desesperation70 ?

La différence entre les idées de Marguerite et de Luther à propos de l’existence

du purgatoire n’est qu’un exemple. En général, Marguerite peut être considérée comme

protestante – bien qu’elle ne soit jamais convertie – si l’on entend par protestantisme

« l’ensemble des doctrines professées, avant Calvin, par la généralité des réformés

français »71. C’est surtout après l’édifice dogmatique du réformiste Calvin et de sa rupture

avec l’Eglise catholique que le catholicisme de Marguerite est plus manifeste.72 Par ailleurs,

elle est « toujours plus touchée par l’idée de rédemption qu’effrayée par celle de la damnation

éternelle »73.

                                                                                                                         70 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 27, v. 1-4. 71 Abel Lefranc, Les idées religieuses de Marguerite de Navarre d’après son œuvre poétique (les Marguerites et les Dernières Poésies) Paris, Librairie Fishbacheb, 1898, p. 2. 72 Ibid. 73 Ibid.    

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2. Entre littérature, politique et religion  

2.1. Écrire d’après une motivation intrinsèque

Comme il était d’usage à la cour du XVIe siècle, la jeune princesse écrivait des

poèmes. Or une princesse de ce rang qui s’avise d’écrire ou, pire encore, de publier sous son

véritable nom était un fait impensable à cette époque, observe Lucien Febvre74. De plus,

Marguerite n’écrit pas occasionnellement, mais régulièrement. C’est peut-être le résultat de

l’éducation qu’elle a reçue. En effet, sa mère, Louise de Savoie, insistait sur l’importance

d’une bonne, voire d’une excellente éducation pour ses enfants : pour son fils d’abord et pour

sa fille ensuite. Marguerite sera donc élevée à la cour française parmi les représentants de la

plus haute aristocratie. Cependant, à l’âge de trente ans, l’on ne pouvait pas vraiment

discerner chez elle une « fureur poétique »75. Celle-ci ne se manifestera qu’après l’échange de

lettres avec l’évêque Briçonnet76 (cf. 1.4. Briçonnet, père spirituel de Marguerite). Au terme

de leur correspondance, Marguerite écrit son premier poème mystique. Dorénavant, toutes ses

œuvres seront d’inspiration religieuse77. Lucien Febvre est même tenté d’appeler ces longs

poèmes « des écrits de nonnain si Marguerite avait eu plus de goût pour l’institution

monastique »78.

Marguerite « aimoit fort à composer »79, comme dit Brantôme bien plus tard,

vers la fin du XVIe siècle. Mais « si elle écrivit si obstinément, de sa jeunesse à sa mort, et

d’abord surtout en vers, ce fut sans doute pour se contenter elle-même, pour parler et faire

entendre un langage qui fût sa voix propre, libérée, abstraite des contingences de sa vie

publique et quotidienne »80. Pour Marguerite, la motivation d’écrire n’est donc pas

extrinsèque, mais tout d’abord intrinsèque, ce qui signifie – d’après le Petit Robert –

« essentiel, inhérent, intérieur »81. Marguerite écrit parce qu’elle désire mettre sur papier ce

qu’elle éprouve dans son for intérieur. Elle le ressent comme un besoin, comme une nécessité.                                                                                                                          74 Abel Lefranc, op. cit., p. 24. 75 Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 87. 76 Ibid. 77 Ibid., p. 91. 78 Lucien Febvre, op. cit., p. 23. 79 Brantôme, « VI Marguerite reyne de Navarre », dans Vie des dames illustres françoises et étrangères, nouvelle édition avec une introduction et des notes par Louis Moland, Paris, Garnier frères, 1868, p. 276. 80 Nicole Cazauran, « Préface », dans Marguerite de Navarre, Poésies chrétiennes, op. cit., p. 8. 81 ‘Intrinsèque’ : ‘essentiel, inhérent, intérieur’ – Paul Robert, Josette Rey-Debove, Alain Rey, Le Petit Robert de la langue française: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, nouvelle édition, Paris, Le Robert, 2011, p. 1363.

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A l’origine, surtout avant la publication de son premier texte à l’âge de trente-neuf ans, elle

n’écrit que pour elle-même. La « moitié au moins de son œuvre n’a vu le jour qu’après 1549 –

c’est-à-dire après sa mort »82, ce qui permet de croire que Marguerite n’était pas intéressée par

la publication de ses œuvres. De plus, très « rares sont, en effet, les ouvrages de la duchesse

d’Alençon (ou de la reine de Navarre) dont nous connaissons avec précision la date de

composition »83. En 1925, Pierre Jourda a essayé « d’établir une chronologie exacte pour les

œuvres de Marguerite d’Angoulême »84. C’est en 1531 que sort la première publication de la

main de Marguerite, reine de Navarre : Le miroir de l’Âme pécheresse, un ensemble d’œuvres

religieuses. C’est d’abord, un long poème de 1400 vers, une courte pièce, le Discord estant en

l’homme par la contrariété envers l’esprit et la chair, et deux oraisons en prose, une oraison

en vers, toutes dédiées au Seigneur85.

La raison exacte pour laquelle Marguerite a publié si peu de ses textes reste

incertaine. Selon Janet Levarie Smarr, étant donnés l’agitation et le débat au milieu du XVIe

siècle, les femmes-écrivaines étaient largement engagées dans la prise de décisions

spirituelles86. En effet, la lecture des textes séculiers leur était interdite, et les textes pieux

constituaient leur seule source d’étude. Voilà pourquoi l’on se tournait souvent vers elles pour

des conseils religieux87. Marguerite de Navarre avait par exemple une grande influence sur

François Ier dans le débat sur la Réforme en France. Or ce foyer religieux aurait pu décourager

les femmes d’écrire, puisque prendre la plume impliquait une certaine autorité en matière de

religion88. De plus, cette démarche va à l’encontre de ce qu’a dit saint Paul : « Que la femme

s’instruise en silence, avec une entière soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner,

ni de dominer l’homme, qu’elle demeure dans le silence89 ». Marguerite de Navarre connaît

très bien la Bible et n’ignore rien de ce que saint Paul avait écrit sur les femmes. Par ailleurs,

sa correspondance avec l’évêque Briçonnet révèle également qu’elle connaît très bien ces

paroles particulières de saint Paul (cf. 4.2.5.2. Le dialogue entre humains). Et le passage est

aussi discuté dans L’Heptaméron. Là où Saffredent avance que saint Paul « ne parle point,

                                                                                                                         82 Lucien Febvre, op. cit., p. 144. 83 Ibid. 84 Joseph L. Allaire, « Introduction », dans Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 8. 85 Ibid., p. 49. 86 Janet Levarie Smarr, Joining the Conversation: Dialogues by Renaissance Women, Michigan, University of Michigan Press, 2010, p. 34. 87 Ibid. 88 Ibid. 89 1 Timothée 2,11-13

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que les femmes ayant mis les mains à l’ouvrage de Dieu »90, Parlamente répond à Saffrédent

en affirmant : « Si vous avez leu sainct Paul jusqu’au bout, vous trouverez qu’il se

recommande aux dames, qui ont beaucoup labouré avecques lui en l’Evangile ». Dans un

sens, en écrivant, Marguerite contredit les exigences de saint Paul mais en ne cherchant pas la

publication, elle semble obéir à celui-ci.

Selon Abel Lefranc Marguerite a été « surement protestante »91. Le moins que

l’on puisse dire, c’est qu’elle était connue comme une adepte de la cause protestante.

Cependant, il n’aurait donc pas été de bon ton que la sœur d’un roi très chrétien publiât des

idées réformistes.

Sa vie de chaque jour en Béarn, à Nérac, à Alençon, et mieux encore son œuvre tout[e] entière, celle en particulier qui était destinée à rester confidentielle, et dans laquelle elle s’est plu à livrer le secret de ses méditations, le formulaire définitif de sa foi, -attestent avec éclat quel a été son credo, et sur quels point décisifs il s’écarte de celui de l’Eglise romaine92.

Marguerite de Navarre n’écrivait pas pour enseigner ou pour former des disciples comme le

faisait Ignace de Loyola (cf. Introduction). L’on remarque que la reine écrivait plutôt pour

mettre de l’ordre dans ses pensées afin de sonder son propre parcours spirituel. Nicole

Cazauran observe que Marguerite a écrit L’Heptaméron pour « mettre en scène tout un débat

casuistique amoureuse dont elle aurait été l’auditrice avant de s’en faire le rapporteur »93.

« Metteur en scène » et « auditeur » : Marguerite écrit pour elle-même et pour les autres. Et

bien que L’Heptaméron ait été publié à titre posthume, les leçons morales qui peuvent en être

dégagées laissent croire que Marguerite ait voulu publier L’Heptaméron elle-même. Selon

Pierre Hadot, Marc Aurèle écrivait également « pour lui-même, pour son usage personnel »94.

Les Pensées de celui-ci constituent « un recueil de notes strictement personnelles et

privées »95. Pareillement, les textes inédits écrits par Marguerite de Navarre étaient

probablement destinés uniquement à son usage personnel. De plus, Marguerite écrit sur des

sujets extrêmement intimes: le deuil qu’elle éprouve après la mort de sa nièce Charlotte et

plus tard de son frère bien-aimé, son aspiration vers l’amour de Dieu, etc. Beaucoup

                                                                                                                         90 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron (1559), Edition présentée et annotée par Nicole Cazauran, Paris, Gallimard, 2000, N67, p. 552.  91 Abel Lefranc, op. cit., p. 23. 92 Ibid., p. 24. 93 Nicole Cazauran, « Introduction », dans Marguerite de Navarre, Poésies chrétiennes, op. cit., p. 9. 94 Pierre Hadot, La citadelle intérieure, Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, op. cit. , p. 35. 95 Ibid., p. 38.  

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d’ouvrages sont donc premièrement des conversations ou des entretiens avec elle-même. Cela

n’est pas sans rappeler les Pensées de Marc Aurèle : ce livre a reçu toutes sortes de titres au fil

des années :

En latin : De officio vitae (« Du devoir de sa vie »), Pugilaria (« Tablettes »), Commentaria quos ipse sibi scripsit (« Notes qu’il a écrites pour lui-même) ; en français : Pensées morales, Pensées, A moi-même ; en anglais : Conversation with Himself (« Entretiens avec lui-même), Meditations, Thoughts (« Pensées »), To Himself (« A lui-même »), Communings with Himself (« Entretiens avec lui-même ») ; en allemand : Betrachtungen über sich selbst ou mit sich selbst (« Réflexions sur soi-même » ou « avec soi-même »), Selbstbetrachtungen (« Réflexions sur soi »), Wege zu sich selbst (« Chemins vers soi »)96.

Ces appellations pourraient également être des titres de l’ensemble des poèmes spirituels de

Marguerite de Navarre. Ce qu’elle écrit, bien que sous forme poétique, peut être considéré

comme des réflexions sur sa propre spiritualité, des conversations avec elle-même, des

réflexions sur soi, des chemins vers soi. Ceci dit, Marguerite diffère de Marc Aurèle dans le

fait qu’elle est consciente du fait qu’elle a tout de même besoin des conversations avec les

autres (cf. 4.2.5.3. Les dialogues entre humains) avant de se tourner vers elle-même et avant

de pouvoir établir un dialogue avec Dieu (cf. 4.2.5. Le dialogue avec Dieu). L’importance des

entretiens avec d’autres êtres humains peut déjà être révélée dans les poésies chrétiennes

écrites par la reine. Dans Dialogue en forme de vision nocturne, elle entame un dialogue

imaginaire avec sa nièce défunte. Dans son roman L’Heptaméron, les rescapés sont incités par

Oisille à raconter des histoires vraisemblables après quoi un débat sera lancé sur la moralité

de l’histoire qui vient d’être racontée. Les conversations avec elle-même ainsi que les

conversations avec les autres doivent aboutir au dialogue avec Dieu, voire à sa soumission à

Dieu. Ces dialogues avec elle-même, avec Dieu et avec les autres peuvent être considérés

comme des méditations sur elle-même, sur Dieu et sur le monde en général.

2.2. Marguerite, femme politique

Pendant les trente-quatre premières années de sa vie, Marguerite n’avait pas

droit à un titre royal : elle a été « modestement, la duchesse d’Alençon »97. Toutefois, elle a

                                                                                                                         96 Pierre Hadot, La citadelle intérieure, Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, op. cit., p. 39. 97 Lucien Febvre, op. cit., p. 35.

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toujours assisté son frère dans ses affaires politiques, bien qu’à l’arrière-plan. Son amour pour

lui est tel que Marguerite « est prête à jeter au vent la cendre de ses os »98 – il s’agirait

presque d’une passion idolâtre. Marie Cerati décrit l’amour de Marguerite pour son frère

comme « une immense tendresse fraternelle qui ne faiblira jamais quelle que soit l’attitude

capricieuse du roi »99. L’amour pour son frère fait de Marguerite une véritable ambassadrice

de France : quand François est capturé en Espagne par l’empereur, Marguerite négocie sa

libération et obtient la paix pour la France100. De plus, elle règle les dettes de son frère,

l’encourage à une ferme résistance, noue ou raffermit les relations, traite des affaires de son

frère, etc101. Une fois le roi libéré et de retour en France, le peuple salue Marguerite par des

« ovations »102, la remerciant pour ses accomplissements politiques. « Fêtée, adulée, heureuse,

Marguerite règne non seulement sur toutes les fêtes, mais sur les cérémonies officielles103 ».

En outre, depuis le mariage en 1527 de Marguerite avec Henri d’Albret, roi de Navarre, les

rôles politiques et diplomatiques de la nouvelle reine deviennent encore plus importants et

visibles. Tout comme Marc Aurèle, qui réussit chaque fois à accomplir son devoir

d’empereur, Marguerite parvient toujours à exécuter ses tâches diplomatiques et politiques,

souvent d’une manière efficace et rigoureuse. Même en tant que reine, elle parvient à soutenir

son frère dans le gouvernement de la France.

2.3. La quête constante vers l’amour de Dieu  

La nature avait donné à Marguerite la beauté extérieure ; il n’y avait qu’à développer dans son âme les germes de la sagesse et de la vertu, et l’on y réussit de telle sorte, que dès l’âge de quinze ans, « l’esprit de Dieu commença à se manifester et apparoistre en ses yeux, en sa face, en son marcher, et sa parole, et généralement en toutes ses actions104 » 105.

-Charles de Sainte-Marthe cité par François Génin-

                                                                                                                         98 Marie Cerati, op. cit., p. 8.    99 Marie Cerati, op. cit., p. 8. 100 Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 121-125. 101 Ibid. 102 Ibid., p. 129. 103 Ibid., p. 130. 104 Charles de Sainte-Marthe, op. cit., p. 37. 105 François Génin, op. cit., p. 3.

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La mère de Marguerite, Louise de Savoie, semble être à l’origine de la quête

inlassable de l’amour par la Reine : depuis l’enfance de Marguerite, sa mère était surtout

occupée à donner de l’affection à son fils François, celui qui deviendra un jour le roi de

France106. Au cours de sa vie, Marguerite n’a cessé de donner de l’amour aux autres, sans en

recevoir beaucoup en retour107. Saulnier estime que Marguerite « avait connu la gloire du

monde »108 mais qu’« elle n’avait jamais connu l’amour ». Il n’est donc pas étonnant que

Marguerite se tourne vers l’amour du mystère chrétien109. « La religion qu’elle se fit la montre

insatisfaite de ce qu’elle eut, et cherchant à se payer de ce qui lui manqua110 ». Ainsi, la reine

devient une femme profondément religieuse qui désire l’illumination spirituelle111.

Cependant, bien que le dogme chrétien fût omniprésent dans toute la culture du

seizième siècle, d’après Thomine-Bichard et Montagne,

[l]e sentiment religieux de Marguerite de Navarre n’est pas facile à définir : comme beaucoup de chrétiens de son époque, elle a vécu les tensions et les bouleversements correspondant à la naissance de la Réforme et s’est intéressée de près au renouveau des idées religieuses. L’historien Lucien Febvre112, en 1944, avait vigoureusement proclamé son refus des étiquettes pour celle dont il interrogeait les contrastes : « Marguerite catholique ; Marguerite évangélique, Marguerite protestante ; Marguerite Luthérienne : Marguerite calviniste ; Marguerite mystique, Marguerite spirituelle ; Marguerite sceptique, sinon libertine113.

Néanmoins, son œuvre entière témoigne de cette quête constante vers Dieu, et la louange de

Celui-ci est un motif récurrent dans chacun de ses textes. « Le premier roi de Marguerite, qui

aime par-dessus toute créature son frère François, c’est Dieu », avance Jean-Luc Déjean dans

sa biographie sur la reine114. Or Marguerite se rend compte qu’il ne faut jamais renoncer à

aimer l’homme, car celui-ci est la plus importante création de Dieu. Ainsi, dans le débat qui

suit la XIXe nouvelle dans L’Heptaméron, Parlamente, qui est une des devisants115, fait

                                                                                                                         106 Jules Gelernt, “World of many loves : the ‘Heptameron’ of Marguerite de Navarre, dans Studies in comparative literature (Chapel Hill), N°38, The University Press of North Carolina,Press, 1966, p. 13. 107 Jules Gelerent, art. cit., p. 14. 108 Verdun Louis Saulnier, « Introduction », dans Théatre Profane, Marguerite de Navarre, Paris, Droz, 1946, p. xii. 109 Jules Gelernt, art. cit., p. 14. 110 Verdun Louis Saulnier, art. cit., p. xii. 111 Jules Gelernt, art. cit., p. 13. 112 Cf. Lucien Febvre, Amour sacré, amour profane, Autour de l’Heptaméron (1944), Paris, Gallimard, 1996. 113 Marie-Claire Thomine-Bichard et Véronique Montagne, Marguerite de Navarre : L’Heptaméron, Tournai, Editions Atlande, 2005, p. 42. 114 Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 28. 115  « devisant, ante. adj. – 1860; attestation isolée, 1536; p. près. de deviser. Littér. Qui devise, bavarde ». – Paul Robert, Le Grand Robert de la langue française : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française

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remarquer que « [j]amais homme n’aimera parfaictement Dieu, qu’il n’ait parfaictement aimé

quelque créature en ce monde »116. Elle reprend ainsi la première épitre de saint Jean : « [C]ar

celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut aimer Dieu, qu’il ne voit pas »117. Il semble

que saint Jean ait voulu montrer l’absurdité de l’homme qui espère connaître l’amour invisible

sans passer d’abord par l’amour visible. De plus, les paroles de Parlamente semblent suggérer

que lorsqu’on aime Dieu, on aime automatiquement l’homme118, puisque - selon la Bible -

l’homme a été créé à l’image de Dieu119. L’inverse est également sous-entendu : quand on

aime l’homme, on aime aussi Dieu, qui est dans l’homme. Effectivement, les deux genres

d’amour semblent indissolubles. Les séparer s’oppose par conséquent directement à la volonté

de Dieu ainsi qu’à la nature de l’homme. Pour Parlamente, parvenir directement à l’amour de

Dieu sans avoir jamais aimé son semblable est donc impossible. L’idée que l’homme doit

éprouver de l’amour pour l’homme afin d’aboutir à l’amour de Dieu n’est pas seulement

présente dans le débat de la XIXe nouvelle, mais est imprégnée dans tout L’Heptaméron.

Mais si Parlemente exprime la doctrine, Oisille semble esquisser la méthode

des exercices spirituels : elle invite à méditer et à vraiment digérer la Bible, à discuter

ensemble, à développer une réflexion cohérente mais surtout à vivre selon ce discours

religieux, spirituel ou philosophique. En outre, Oisille ajoute que de cette « vraye et perfaicte

joye d’esprit »120, de cette sagesse qu’on veut atteindre « procède le repos, et la santé du

corps ». Marguerite sent donc la nécessité de s’occuper de la santé de son corps et de son âme.

Pierre Hadot additionne que pour « parvenir à la guérison de l’âme, des exercices spirituels

seront donc nécessaires »121.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           (1985), deuxième édition, dir. par Alain Rey, Paris, Le Robert, 2001, t.1, p. 445. Nicole Cazauran explique l’usage du mot dévisant tel quel : « Entre chaque histoire, ils parlent et disputent dans des dialogues parfois plus longs que leurs récits au point qu’à tout prendre ce sont là des ‘devisants’ qui, tour à tour, se font un moment conteurs, plutôt que des conteurs qui échangeraient quelques répliques pour faire passer le lecteur d’une histoire à l’autre. « ‘Devisants’, le mot n’est pas dans le texte, mais c’est bien le nom qui leur convient et qui leur est communément donné : ce qu’ils disent suffit à les distinguer. » - Nicole Cazauran, « Préface », dans L’Heptaméron, Marguerite de Navarre, Paris, Gallimard, 2000, p. 22. 116 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N19, p. 242. 117 1 Jean 4, 20. 118 « Et nous avons de lui ce commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. » - 1 Jean 4, 21. 119 « Dieu créa les humains à son image : il les créa à l’image de Dieu ; homme et femme il les créa. » - Genèse 1,27. 120 Marguerite de Navarre, « Prologue », dans L’Heptaméron, op. cit., p. 63. 121 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Albin Michel, 2002, p. 35.

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2.4. La compatibilité de la littérature, de la politique et de la religion

Marguerite est toujours très occupée des problèmes de son temps, qu’ils soient

politiques, philosophiques ou religieux. Avant de devenir reine, elle aide son frère non

seulement à gérer ses affaires politiques, mais elle le conseille également sur des questions

religieuses. Ses vers entrent parfois en résonnance avec des problèmes importants : son poème

Dialogue en forme de vision nocturne démontre par exemple « l’empreinte des

préoccupations philosophiques du moment »122 comme « la célèbre querelle entre Erasme et

Luther » sur le libre arbitre. Sous forme de poésie, et par le biais de la bouche du fantôme de

sa nièce Charlotte, Marguerite exprime la vanité de cette querelle :

Je vous prie que ces fascheux débatz D’arbitre franc et liberté laissez Aux grandz docteurs, qui l’ayantz ne l’ont pas ; Tant ont leur cueurs d’inventions pressez Que Vérité ne peut trouver sa place Tant que seront tous leur plaidoyez cessez. Mais quant à vous123, quoy qu’on vous die ou face, Soyez seure qu’en liberté vous estes, Si vous avez l’amour de Die et grace124.

Marguerite de Navarre veut éviter toutes les querelles théologiques

superficielles. Or, elle n’échappera pas aux foudres des théologiens de la Sorbonne. En 1533,

la faculté des théologiens de la Sorbonne dresse une « liste de livres suspects d’hérésie qu’elle

souhaitait voir condamner »125. Certains livres sont confisqués et plusieurs personnes sont

condamnées au bûcher126. Quand deux ans après la première édition une réédition du poème

Le miroir de l’âme pécheresse paraît, celui-ci figure tout d’un coup parmi les livres incriminés

par les théologiens127. Marguerite est étonnée parce que « rien n’avait été reproché deux ans

auparavant »128. François Ier en est courroucé et veut faire arrêter les coupables. Il va faire tout

pour que sa sœur bien-aimée puisse se défaire du titre « protectrice attirée par les

                                                                                                                         122 Abel Lefranc, op. cit., p. 11. 123 C’est Charlotte qui parle ici en s’adressant à sa tante Marguerite. 124 Marguerite de Navarre, « Dialogue en forme de vision nocturne », cité par Abel Lefranc, op. cit., p. 11. 125 Marie Cerati, op. cit., p. 111. 126 Francis M. Higman, La Diffusion de la Réforme en France : 1520-1565, Genève, Editions Labor et Fides, 1992, p. 69. 127 Marie Cerati, op. cit., p. 111. 128 Ibid.

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réformistes »129. Finalement, Marguerite sort triomphante de cette lutte, même si le soupçon

est resté.

Le 16 et le 17 octobre 1534, se déroule la fameuse Affaire des placards : « Un

peu partout, à Paris, à Blois, à Amboise, et jusque sur la porte de la chambre du roi, des

affiches ont paru portant le titre : Articles veritables sur les horribles, grandz et importables

abuz de la Messe papalle : directement contre la saincte Cene de Jesus Christ130 ».

L’affichage de ces placards est un scandale, et aboutit rapidement à des persécutions. Après

cet événement, Marguerite décide de se retirer de la cour. Elle était connue comme une

partisane des réformés et de certaines idées de la Réforme, ce qui la plaçait dans une position

délicate compte tenu du contexte social épineux à l’époque (cf. 4.2.2.2 Des retraits). Mais peu

lui importait. Comme Dag Hammarskjöld131, Marguerite considérait ses actes et ses devoirs

toujours comme une conséquence de sa vocation religieuse. Sa foi chrétienne ne provenait pas

d’une conscience sociale. C’est plutôt le fait d’être chrétienne qui la poussait au devoir. Et

c’est bien cela la force de la reine. Il faut rappeler que

c’est ce personnage-là, sans cesse sur le devant de la scène, qui trouva le temps, qui eut le goût d’écrire, et non seulement des « nouvelles » mêlées de dialogues mondains, mais aussi, mais surtout, tout au long de sa vie, de très religieux poèmes. Cette œuvre poétique ne fut pas celle d’un clerc vivant dans ses livres ni d’une moniale retirée dans un couvent, tout prête pour la prière et l’extase. Ce fut celle d’une très grande princesse, assez active pour tenir souvent, comme on l’a dit, « l’emploi de reine de France »132.133

                                                                                                                         129 Ibid., p. 112. 130 Francis M. Higman, op. cit., p. 69. 131 Herwig Arts, op. cit., p. 21. 132 Lucien Febvre, op. cit., p. 15. 133 Nicole Cazauran, « Introduction », dans Marguerite de Navarre, Poésies chrétiennes, op. cit., p. 11.    

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3. La méthode : des exercices spirituels  

« Prendre son vol », chaque jour! Au moins un moment, qui peut être bref pourvu qu’il soit intense. Chaque jour, un « exercice spirituel », - seul ou en compagnie d’un homme qui, lui aussi, veut s’améliorer.

-Georges Friedmann-

3.1. Définition et origine

L’application du terme « exercices spirituels » à la philosophie et la littérature

a été suggérée par Pierre Hadot qui l’a utilisée pour expliquer les Pensées de Marc Aurèle134.

Or, l’origine du terme « exercices spirituels » remonte loin dans l’histoire :

la notion et le terme d’exercitium spirituale sont attestés […] dans l’ancien christianisme latin et ils correspondent à l’askesis du christianisme grec. Mais à son tour, cette askesis, qu’il faut bien entendre, non pas comme ascétisme, mais comme pratique d’exercices spirituels, existe déjà dans la tradition philosophique de l’Antiquité135.

D’Après Arnold I. Davidson « les exercices spirituels sont précisément des exercices, c’est-à-

dire une pratique, une activité, un travail sur soi-même, ce qu’on peut appeler une ascèse de

soi »136. De plus, selon Pierre Hadot, « le mot ‘spirituel’ permet de bien faire entendre que ces

exercices sont l’œuvre non seulement de la pensée, mais de tout le psychisme de

l’individu »137. L’on peut donc appliquer le terme ‘exercices spirituels’ à la manière dont vit

Marguerite de Navarre en général. Le mot spirituel n’est d’ailleurs pas restreint mais implique

même plusieurs autres adjectifs : « psychique », « moral », « éthique », « intellectuel », « de

pensée », « de l’âme »138.

Le philosophe juif hellénisé, Philon d’Alexandrie, qui vivait au début de l’ère

chrétienne, a composé deux listes d’exercices qui « ont le mérite de nous donner un panorama

assez complet d’une thérapeutique philosophique d’inspiration stoïco-platonicienne »139. Ces

listes sont inspirées du stoïcisme, doctrine datant de la fin du IVe siècle av. J.-C. et « selon

laquelle le bonheur est dans la vertu, et qui professe l’indifférence devant ce qui affecte la                                                                                                                          134 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit. 135 Ibid., p. 21 136 Arnold I. Davidson, « Préface », dans Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 9. 137 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 21. 138 Ibid., p. 20. 139 Ibid., p. 25-26.

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sensibilité »140 et du platonisme qui est une philosophie « caractérisée par la conception

métaphysique de la beauté et de l’amour »141.

La première liste :

la recherche (zetesis), l’examen approfondi (skepsis) , la lecture, l’audition (akroasis), l’attention (prosochè), la maîtrise de soi (enkrateia), l’indifférence aux choses indifférentes142

La deuxième liste :

les lectures, les méditations (meletai), les thérapies de passions, les souvenirs de ce qui est bien, la maîtrise de soi (enkrateia), l’accomplissement des devoirs143

Marguerite de Navarre semble adopter, au moins inconsciemment, un certain nombre de ces

exercices :

1) la lecture 2) l’attention 3) la maîtrise de soi ou de ses passions 4) la méditation 5) l’accomplissement des devoirs.

De plus, elle rajoute de trois nouvelles approches :

6) la retraite 7) la mystique 9) le dialogue spirituel

Dans cette étude, nous examinerons ces différentes approches, bien que dans

un ordre différent. En effet, ces exercices spirituels ne demandent pas d’être pratiqués selon

un ordre fixe, même si l’on peut dégager une succession logique de cette liste. Il est assez

logique que « la retraite » vienne avant « un dialogue avec Dieu » car le dialogue a lieu

précisément pendant la retraite. Il est également important de remarquer que plusieurs de ces

exercices ne doivent pas nécessairement être pratiqués de manière isolée, mais peuvent se

chevaucher. De plus, chaque exercice peut se déployer dans divers directions : la grâce et

l’union avec Dieu par exemple sont des éléments indispensables au sein de l’exercice de la

mystique.                                                                                                                          140 Paul Robert, Josette Rey-Debove, Alain Rey, Le Petit Robert de la langue française: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, op. cit., p. 2437. 141 Ibid., p. 1930. 142 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 26 143 Ibid.

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En outre, comme il a été mentionné dans l’Introduction, Ignace de Loyola a

écrit un manuel intitulé Exercices spirituels. Aujourd’hui, il est encore possible de pratiquer

ces Exercices spirituels lors d’une retraite. Le Livre du retraitant144 démontre comment ces

exercices spirituels se déroulaient pendant les années ‘70 du XXe siècle dans certains centres

religieux en France. Dans ce livre, la première annotation donne une définition du terme

« exercices spirituels » :

Par ce mot Exercices spirituels, on entend toute manière d’examiner sa conscience, de méditer, de contempler, de prier vocalement et mentalement, et les autres opérations spirituelles dont nous parlerons dans la suite. En effet, comme se promener, marcher, courir, sont des exercices corporels, de même les différents modes de préparer et de disposer l’âme à se défaire de toutes ses affections déréglées et, après s’en être défait, à chercher et à trouver la volonté de Dieu dans le règlement de sa vie, en vue de son salut, s’appellent Exercices spirituels.145

Paul Rabbow146 ajoute que les Exercitia spiritualia d’Ignace de Loyola visent « à fortifier, à

maintenir, à renouveler la vie « dans l’Esprit », la vita spiritualis »147. Dans ce qui suit, il

apparaîtra que ces définitions conviennent largement aux exercices spirituels de Marguerite de

Navarre.

3.2. Les exercices spirituels de Marguerite de Navarre

3.2.1. L’attention

L’attention (prosochè) est l’attitude spirituelle fondamentale du stoïcien. C’est une vigilance et une présence d’esprit continuelles, une conscience de soi toujours éveillée, une tension constante de l’esprit.148

- Pierre Hadot -

                                                                                                                         144 X, Livre du retraitant, contenant les principales prières du chrétien, l’ordinaire de la messe, les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, Amboise, Imprimerie Jean Pinçon, 1973.    145 X, op. cit., p. 184. 146  « Le très important ouvrage de P. Rabbow, Seelenführung. Methodik der Exerzitien in der Antike, Munich, 1954, a remplacé les Exercitia spiritualia d’Ignace de Loyola dans la tradition antique. » - Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 21, note 2.  147 Paul Rabbow, Seelenführung. Methodik der Exerzitien in der Antike, Munich, Kösel, 1954, p. 18. Cité et traduit par Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 76. 148 Pierre Hadot, Exercices spirituelles et philosophie antique, op. cit., p. 26.

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Qu’elle se trouve parmi ses amis à la cour, en pleine discussion politique avec

son frère ou même dans un moment de solitude, Marguerite est toujours attentive et vigilante

au monde autour d’elle. Elle suit les consignes d’Epictète, grand philosophe stoïcien du Ie

siècle, qui, dans l’entretien avec Arrien sur l’attention, avance qu’il faut toujours être attentif :

« Lorsque tu te relâches un peu de ton attention, ne t’imagine pas que tu pourras la recouvrer

quand tu voudras149 ». Cette vigilance peut aussi être définie comme la concentration dans le

moment présent. Cette « attention au moment présent »150 est, selon Pierre Hadot « en quelque

sorte le secret des exercices spirituels ». Dans son Petit œuvre dévot et contemplatif

Marguerite note : « Mon œil partout et loin et près jetais151 ».

Or, dans les œuvres de Marguerite, cette attention apparaît souvent sous forme

de « curiosité ». Marguerite trouvait la curiosité indispensable dans sa vie intellectuelle et

spirituelle. Elle déplorait par exemple fortement que son premier mari, le duc d’Alençon, était

« sans curiosité et sans culture »152. L’accent sur l’attention et sur la curiosité peut aussi être

déduit de certains ouvrages de la reine. Dans L’Heptaméron, Oisille veut éveiller chez les

rescapés la curiosité pour la parole divine. Elle essaye d’empêcher la paresse chez les

participants car cela peut aboutir à la négligence de la parole divine et finalement au péché de

l’orgueil. Chaque matin, Oisille sélectionne des passages bibliques qui pourraient montrer aux

participants les conséquences de la négligence de la parole divine : « Oisille sceut tresbien

chercher les passages, où l’Escriture reprend ceux qui sont negligens d’ouyr cest saincte

parolle153 ». Les Psaumes par exemple, indiquent la conséquence d’une conduite négligente :

« D’autres habitaient les ténèbres et l’ombre de mort, […], parce qu’ils avaient méprisé le

conseil du Très-Haut. ».154 Ceux à qui manque la curiosité pour la parole divine risquent donc

de tomber dans « les ténèbres et l’ombre de mort ». Oisille encourage la curiosité et les

questions afin d’aboutir à un état d’admiration, d’étonnement, et d’ouverture au merveilleux.

Cependant, il ne faut pas seulement être attentif ou curieux aux textes bibliques

ou au monde en général, mais également à soi-même. Pierre Hadot observe que « cette

                                                                                                                         149 Epictète, Discours philosophiques d’Epictète, Recueillis par Arrien et traduits du grec en français par A.P. Thurot, op. cit., p. 477. 150 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 27. 151 Marguerite de Navarre, « Petit œuvre dévot et contemplatif », dans Poèsies chrétiennes, op. cit., p. 75, v. 16. 152 Michel François, « Introduction », dans Marguerite de Navarre, l’Heptaméron, Texte établi sur les manuscrits avec une introduction, des notes et un index des noms propres par Michel François, Paris, Editions Garnier Frères, 1942, p. iv. 153 Marguerite de Navarre, « Prologue (4e journée) » dans Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., p. 346. 154 Psaumes 107:10-11.

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attention à soi-même »155 est une « attitude fondamentale du philosophe ». Comme mentionné

sous 2.1. Ecrire d’après une motivation intrinsèque, les écrits de Marc Aurèle comme aussi

ceux de Marguerite sont des exercices pour soi-même. Au premier instant, Marguerite ne

semble écrire que pour elle-même, ce qui exige une forte concentration sur sa propre

personne. Il semble que Marguerite voulait surtout savoir comment se déroulait son itinéraire

spirituel et comment elle pouvait grimper l’échelle vers Dieu. Tout cela ressort de son poème

Petit œuvre dévot et contemplatif :

Qui suis je, moy qui veux monter si hault, Sans aele avoir, eschelle, ou eschafault ? Me puis je bien au vray congnoistre et voir156 ?

L’attention est également liée à la mort. Marguerite aborde ce sujet dans

presque tous ses poèmes. Dans le début du Dialogue en forme de vision nocturne, Marguerite

craint la mort. A travers des questions qu’elle pose à sa nièce défunte, elle cherche à être

rassurée :

MADAME LA DUCHESSE Encore un mot d’entendre j’ai envie :

170 Quelle douleur sentîtes au partir, Que trop grande je crois, quoi que l’on die ? MADAME CHARLOTTE Je vous promets, ma tante, sans mentir, Que quand le corps, par douleur affaibli, S’appesantit jusqu’à terre sentir,

175 Et l’esperit, par amour ennobli, Tire tout droit au ciel par tel désir Que l’âme met tout son corps en oubli ; S’elle tire fort au ciel, par plaisir, Le corps pesant en terre et pourriture, Le départir n’est rien qu’un bref soupir157.

Bien que Marguerite soit rassurée d’après les réponses qu’elle reçoit de sa nièce, elle doit se

maintenir en cet état de vigilance, comme disait l’apôtre Matthieu : « Veillez donc, puisque

                                                                                                                         155 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 83. 156 Marguerite de Navarre, « Oraison de l’âme fidèle », dans Les Marguerite de la Marguerite des princesses (1547), Tome 1, op. cit., p. 110.  157 Marguerite de Navarre, « Dialogue en forme de vision nocturne », dans Poésies chrétiennes, op. cit., p. 69, v. 169-177.

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vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra158 ». Epictète également incitait à la

vigilance : « Que la mort & l’exil, & toutes les autres choses qui paroissent terribles, soient

tous les jours devant tes yeux, particuliérement la mort, & tu n’auras de pensée baffe, & tu ne

desireras rien avec trop d’ardeur159 ». Selon Epictète, l’attention et donc également la

vigilance ne mène pas à une vie sans péché, car « cela est impossible, mais il est très-possible

de t’en garantir par une attention continuelle »160.

3.2.2. La retraite

3.2.2.1. Une habitude quotidienne

Marguerite, chaque soir, rentrant chez elle, s’enfermant dans la solitude de sa pensée, loin du monde et de ses prestiges, confiait longuement à un prélat mystique, avide de pureté, les élans, les regrets, les nostalgies d’amour vrai, d’amour transposé sur le plan divin, qui pénétraient son âme insatisfaite, son âme en quête de rosée spirituelle161.

- Lucien Febvre-

Après une longue journée à la cour, Marguerite de Navarre, chez elle, dans un

endroit privé et solitaire, songe à sa journée. Il ne s’agissait pas uniquement de se reposer ;

c’est également à ce moment-là que Marguerite pouvait s’adonner librement à la méditation et

à l’écriture. C’est donc seule que Marguerite se prête à toute activité créatrice, liée ou non à

une spiritualité personnelle. Car bien que toutes ses œuvres ne soient pas d’ordre spirituel ou

religieux, comme par exemple L’Heptaméron ou son Théâtre profane, l’on remarque que tous

ses textes sont pénétrés d’une spiritualité profonde. De plus, dans le programme que propose

Oisille, le matin après la leçon, la messe et le déjeuner, les participants doivent se retirer

chacun dans leur chambre jusqu’à midi162. Oisille insiste sur l’importance de la retraite

individuelle, silencieuse.

                                                                                                                         158 Matthieu 24,42. 159 Epictète, Le Manuel d’Epictète, et les commentaires de Simplicius, traduits en françois, avec des remarques; Par M. Daciers, de l’Académie Royale des Inscriptions, Tome premier, Paris, Pissot, 1776, p. 144-145. 160 Epictète, Discours philosophiques d’Epictète, Recueillis par Arrien et traduits du grec en français par A.P. Thurot, op. cit., p. 479.  161 Lucien Febvre, op. cit., p. 48. 162 Marguerite de Navarre, « Prologue », dans L’Heptaméron, op. cit., p. 66.

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3.2.2.2. Des retraites

En 1520 survient une crise, un retrait. […] Les causes du retrait soudain de Marguerite, de sa crise intérieure, doivent être recherchées dans le domaine de l’esprit, non du corps. Une fatigue physique, un sentiment de vanité, une lassitude après tant de fêtes et de futilités163.

-Jean-Luc Déjean-

Marguerite ne se retire pas seulement chez elle chaque soir ; parfois elle désire

se retirer loin de la cour (et de la vanité qui caractérise celle-ci) pour une plus longue période.

Ceci dit, dans la plupart des cas, Marguerite s’éloigne de la cour pour garantir sa propre

sécurité. Après l’Affaire des placards en 1534, par exemple, elle se retire à Nérac, éloignée de

la cour de son frère car cet endroit est devenu trop dangereux pour une partisane du

mouvement de renouveau religieux.

En effet, la retraite joue un rôle important dans l’œuvre de Marguerite.

L’Heptaméron par exemple peut être considéré comme une longue méditation sur la retraite.

D’un côté, c’est une retraite « involontaire » car il s’agit de dix personnes qui ont demandé

refuge à l’Abbaye de Serrance après qu’ils aient dû abandonner le cours normal de leur

voyage à cause des inondations. À cet endroit religieux, les rescapés sont coupés du monde et

obligés de réfléchir sur leur vie et sur la condition humaine. De l’autre côté, il s’agit d’une

retraite « volontaire » car les rescapés demandent à Oisille, la plus dévote d’entre eux,

d’élaborer un schéma quotidien qu’ils puissent suivre durant le temps qu’ils doivent passer à

l’abbaye avant de pouvoir rentrer chez eux. Le programme proposé par Oisille ressemble en

effet au déroulement strict d’une retraite spirituelle : il faudra d’abord écouter la leçon

biblique d’Oisille, ensuite il y aura la messe, le déjeuner, le repos, puis le passetemps pendant

lequel des histoires seront racontées, suivies de débats. Les devisants assistent aux vêpres

après dix histoires, lorsque le jour arrive à sa fin. Comme d’habitude dans une retraite, tout est

répétition et rites.

En outre, dans les histoires racontées dans L’Heptaméron, le thème de la

retraite est également abordé. La nouvelle LXVII, par exemple, met en scène un exil qui sera

transformé en retraite. Cette nouvelle raconte l’histoire d’un homme et de son épouse qui sont

abandonnés dans une île déserte après que le mari a été condamné pour avoir trahi son maître.

                                                                                                                         163 Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 58.    

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L’épouse très dévote semble transformer cet exil en retraite où elle « porta pour sa sauve-

garde, nourriture, et consolation, le Nouveau Testament, qu’elle lisait incessamment »164.

Surtout après la mort du mari, la vie de l’épouse ressemble beaucoup à une retraite dans un

endroit religieux : elle « passoit son temps en lectures, contemplations, prieres et oraisons,

ayant un esprit joyeux, et contant dedans un corps amaigry et demy mort »165. Bien que cette

femme fut déjà très pieuse avant son exil, elle semble être devenue encore plus dévote après

sa libération de l’île : « [N]’ayant autre desir, que d’exhorter un chacun à l’amour et confiance

de Notre Seigneur, se proposant pour exemple, pour la grande miséricorde dont il avoit usé

envers elle166 ». Avec cette histoire, Marguerite montre que l’exercice de la retraite, même

involontaire, accroît la foi en Dieu. Cette nouvelle peut être interprétée comme une métaphore

de la condition humaine. L’homme, coupé de Dieu, en exil sur terre, peut restaurer, par la

piété et la méditation, l’unité perdue. Marguerite décrit souvent la vie sur terre comme un

exil : « O benoist Jesus, monstre nous la face de ton pere après cest exil167 ».

3.2.2.3. La retraite faute d’amour

Dans la XXIe nouvelle de L’Heptaméron, la fille Rolandine « se retira à Dieu,

et laissant les mondanitez et gorgiosetez de la court, tout son passetemps fut de prier Dieu ou

de faire quelques ouvrages »168. Rolandine n’est pas appelée, elle n’a pas de vocation. Sa

retraite est la seule réponse possible à un père qui désapprouve tous ses prétendants car il

« aimoit tant son argent, qu’il oublioit l’advancement de sa fille »169. Rolandine se retire

surtout parce qu’elle ne trouve « en ce monde nulle consolation »170. Par conséquent, sa

retraite peut être considérée comme une fuite à la réalité. Un peu plus tard dans l’histoire,

Rolandine entame une nouvelle forme de retraite après que sa gouvernante lui a conseillé

d’éloigner un autre prétendant, un « bâtard ». Un éventuel mariage serait selon la loi sociale

impossible : Rolandine « ne cessoit de prier Dieu, d’aller en voyages »171, c’est-à-dire de faire

des pèlerinages, et de « faire abstinences »172, ce qui signifie qu’elle se prive de nourriture et

                                                                                                                         164 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N67, p. 550. 165 Ibid., p. 551. 166 Ibid., p. 552.  167 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, « Oraison à nostre seigneur Jesu-christ, du pecheur contrit et penitent, impetrative de grace et remission pour les delictz », dans Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 87, v. 7-8. 168 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N22, p. 252. 169 Ibid., p. 251. 170 Ibid., p. 253. 171 Ibid. 172 Ibid.

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recherche la souffrance. Ces deux retraites ne surgissent donc pas d’une aspiration véritable à

Dieu, mais d’un manque d’amour humain.

Dans la nouvelle X, également, le lecteur trouvera différentes formes de

retraites. L’histoire raconte le cas du gentilhomme Amadour qui nourrit un amour secret pour

la belle Florinde. Puisque son rang rendait impossible cet amour, Amadour décide de se

marier avec une amie à Florinde, surtout pour s’approcher d’elle. Les années suivantes,

Amadour se trouve à la guerre, « toutesfois l’amour en despit de l’eslongnement, et de la

longue absence, ne laissait pas de croistre »173. Cette première forme de retraite

« involontaire » d’Amadour nourrit donc son amour pour Florinde. Amadour, lors de son

retour à la cour, est devenu veuf, et ne voit d’autre solution que de confier à Florinde son

amour. Florinde comprend qu’Amadour, censé être son « parfait ami », ne veut plus être celui

qui aime de loin les vertus (cf. Fig. 1. Etape de l’‘amour parfait’), mais qu’il désire plutôt

l’amour corporel (cf. Fig 1. Etape de l’‘amour’). Amadour descend même au niveau d’‘amour

absent’ : il ne veut plus gagner le cœur de Florinde « car il le tenoit pour perdu »174 mais

plutôt obtenir « la victoire de son ennemie ». Après une deuxième longue période

d’éloignement, les deux se rencontrent de nouveau, mais Florinde n’est « pas encore asseurée

de sa première peur »175. Quand elle comprend qu’Amadour a encore cette même mauvaise

intention, elle appelle sa mère au secours. Celle-ci ne comprend pas l’attidude de Florinde à

l’égard d’Amadour et décide de ne plus parler à sa fille pendant sept ans. Cette période en

silence peut être considérée comme une retraite « involontaire » que doit subir Florinde.

Finalement, après la mort d’Amadour (il se suicide sur le champ de bataille), Florinde décide

d’entrer en religion. La vie de moniale est en effet une longue retraite. De cette façon,

Florinde transforme l’amour humain dans un amour divin. Désormais, son véritable mari,

c’est Dieu. Dieu est le seul qui réussit à lui donner l’amour parfait : ainsi « tourna toutes ses

affections à aimer Dieu parfaictement »176.

Dans la XXIVe nouvelle, le gentilhomme Elisor reconnaît le véritable amour

pendant une retraite « involontaire ». Elisor, après avoir déclaré son amour pour la reine qu’il

aime « comme Dieu en terre »177, doit fuir la cour pendant sept ans afin de prouver la sincérité

                                                                                                                         173 Ibid., N10, p. 129.    174 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N10, p. 150. 175 Ibid., N10, p. 150. 176 Ibid., p. 157. 177 Ibid, N24, p. 297.

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de son amour. Or, cette retraite « involontaire » lui a ouvert les yeux sur le caractère vain de

son amour pour la reine: il s’est rendu compte que ses sentiments étaient surtout fondés sur la

beauté de celle-ci. Le véritble amour, en revanche, c’est l’amour de Dieu : « Mon cœur et

corps luy donne en sacrifice, / [p]our faire à luy, et non à vous, service178 ». La retraite

« involontaire » a donc changé en une retraite « volontaire ». On pourrait multiplier les

exemples : les nouvelles IX et XIX mettent, elles aussi, des retraites en scène.

Marguerite de Navarre a elle-même également entamé des retraites

« volontaires » mais par faute d’amour. A la fin de sa vie, malmenée par un mari infidèle,

malheureuse à cause de la froideur d’une fille qui lui est presque étrangère, et brisée par la

mort de son frère François Ier, Marguerite se retire dans le Béarn179. Sa santé s’affaiblit de plus

en plus et « elle abandonna l’administration de ses biens au roi de Navarre et ne s’occupa plus

que de la mort, non pour la craindre, […], mais pour l’invoquer »180. Elle a choisi le Béarn

« pour y achever sa vie, transformant le vieux château de sa petite capitale, et y construisant

de superbes terrasses pour admirer longuement les grands spectacles de cette nature qu’elle

comprenait si bien »181. Après avoir été déçue par l’amour des hommes, elle n’aime désormais

que Dieu, qui est le vrai Amour. Notons que cette retraite qui ne semble pas être un choix

permet malgré tout à Marguerite et à l’instar des personnages de L’Heptaméron, de se

rapprocher réellement de Dieu.

3.2.3. La lecture

3.2.3.1. L’art de lire

Comme mentionné sous point 2. Une femme écrivaine, Marguerite profite de

tous les avantages d’une éducation sérieuse donnée à son frère. De cette façon, elle acquiert

un immense savoir historique et littéraire.

Même si Marguerite reste l’éternelle seconde derrière « César », elle bénéficiera du penchant marqué de sa mère pour les trésors cachés dans les bibliothèques. Au « petit paradis » de Cognac, il y a plus de deux cents volumes sur les rayons de la librairie. Le fonds sera plus tard, à l’âge où

                                                                                                                         178 Ibid., p. 302. 179 Félix Frank, op. cit., p. xviij – xix. 180 Ibid., p. xxv. 181 Félix Frank, op. cit., p. xxv.  

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Marguerite formera son goût, transféré à Blois. Blois où figurent le millier de livres ramenés d’Italie par Charles VIII, et d’autres que Louis XII acquiert, merveilles de la poésie et de la sagesse ancienne, mais aussi témoins du génie du Quattrocento : Dante en italien et en français, Pétrarque, Boccace sont là. Une bibliothèque unique en France, ordonnée par Guillaume Budé, et Lascaris qui avait déjà monté celle de Lorenzo de Médicis lui-même. On y trouve aussi le riche fonds poétique et romanesque des XIVe et XVe siècles français.182

Marguerite adorait se plonger dans les œuvres des plus grands écrivains, philosophes et

théologiens, qui lui étaient largement accessibles dans les bibliothèques royales françaises.

Néanmoins, elle garde son point de vue critique par rapport à ce qu’elle lit. Elle ne souhaite

apprendre que les choses qui peuvent contribuer au développement de sa conception

personnelle de la vie et du monde qui l’entoure. D’après ses propres écrits, il semble qu’elle

n’adopte jamais aveuglément les idées des autres. Marguerite ne lisait pas n’importe quoi : ses

lectures étaient bien sélectionnées. Cette volonté de choisir ses lectures peut être retrouvée

dans L’Heptaméron. Dans la XXIe histoire, la mère ne comprend pas comment certains

gentilshommes aiment bien lire des romans arthuriens et chevaleresques comme la Table

Ronde : « Je m’esbahis comme les jeunes gens donnent leur temps à lire tant de follies183 ».

Par ailleurs, Oisille conseille de lire la Bible. De plus, Pierre Hadot observe qu’il faut

d’abord apprendre à lire184. Marguerite, bien qu’elle n’ait jamais cessé de lire jusqu’à la fin de

sa vie, a développé une manière de lire qui lui était propre, et qui était si efficace que la

lecture est devenue une méthode, un exercice personnel.

Il ne fait donc pas de doute que Marguerite était une grande lectrice. Cela

ressort également des sources employées dans son œuvre majeure L’Heptaméron : les grands

ouvrages littéraires écrits par les meilleurs écrivains comme Dante, Pétrarque, Castiglione

(Livre du Courtisan) et Boccace (Décaméron), la poésie des troubadours, la fable, et surtout

La Bible et le Nouveau Testament sont les sources principales de cet ouvrage. Pour les

lecteurs de L’Heptaméron en outre, il n’est pas sans importance de pouvoir repérer ces

références intertextuelles dont L’Heptaméron est truffé. Dans l’introduction du livre Lire

l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Dominique Bertrand se penche sur le problème de

la lecture de L’Heptaméron. Bertrand estime que « ces exercices de lecture, au-delà des

contingences de programme et de méthodologie, tirent leur pertinence critique du fait qu’ils

                                                                                                                         182 Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 40. 183 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N22 p. 259. 184 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 60.    

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posent une question majeure thématisée par [L’Heptaméron] : celle de l’interprétation »185. La

combinaison de narratif (les nouvelles) et de métanarratif (les débats) instaure chez le lecteur

un sentiment d’inclusion dans l’histoire racontée et le débat successif. L’auteur semble inciter

les lecteurs non seulement à lire les nouvelles mais également à construire leur propre avis par

rapport à la discussion suivant chaque histoire. Bien que Marguerite croit « à l’existence

d’une vérité, […] [elle] admet aussi que celle-ci est dans une large mesure inaccessible à

l’homme »186. Les devisants dans L’Heptaméron proposent parfois des interprétations très

différentes de l’histoire racontée. Elle peut « dès lors assumer dans [L’Heptaméron] , sans

véritable contradiction logique ou théologique, la représentation d’un monde profane

d’opinions divergentes et de comportements énigmatiques »187. Enfin, il est tout de même

possible de reconnaître la voix de Marguerite entre les interprétations polyphoniques des

devisants : « [L]e statut privilégié de Parlamante et d’Oisille [sont toujours] au sein du concert

des devisants188 ».

3.2.3.2. La lecture de la Bible

Durant son mariage avec Charles d’Alençon, « Marguerite s’adonna, faute de

mieux et probablement aussi par inclination, à des lectures bibliques »189. Comme mentionné

sous le point 2. Ecrire d’après une motivation intrinsèque, au XVIe siècle il était encore

interdit aux femmes de lire des textes séculiers. Lire des textes religieux, comme la Bible, leur

était cependant permis. La Bible était pour Marguerite la source principale pour beaucoup de

ses ouvrages, et également un guide indispensable dans sa vie. Dans la pièce la Comédie du

Désert, qui est en fait l’histoire en « marge de la fuite en Egypte et du retour ordonnés par

l’ange »190, Marguerite montre l’importance de la lecture de certains livres spirituels : le

« Livre de Nature »191, le « Livre de Mémoire », et le « Livre de Grâce ». La première partie

de la pièce met en scène « la première messagère allégorique envoyée par Dieu,

Contemplation [qui] apporte à Marie Le Livre de Nature et l’initie au premier degré de la

connaissance de Dieu : à la découverte de sa grandeur, sagesse et puissance dans l’univers, ou                                                                                                                          185 Dominique Bertrand, « Introduction Lire l’Heptaméron, la grande question… », dans Lire l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Clermond-Ferrand, Presses Universitaire Blaise Pascal, 2005, p. 7. 186 Ibid., p. 10. 187 Ibid. 188 Dominique Bertrand, op. cit., p. 8,9. 189 Dominique Bertrand, op. cit., p. 44.    190 Nicole Cazauran, « Notes », dans Marguerite de Navarre, Poésies chrétiennes, op. cit., p. 304, note 1. 191 Barbara Marczuk, Beata Skrzeszewska et Piotr Tylus, « Edition critique », dans Marguerite de Navarre, Les comédies bibliques, Genève, Droz, 2000, p. 48-49.

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« [t]out va par ordre »192 »193. La nature est donc présentée comme un livre de Dieu qu’il faut

lire afin de pouvoir comprendre la création de Celui-ci. Ensuite, puisque « cette connaissance

naturelle de Dieu est incomplète et fragmentaire, Marie est initiée au deuxième degré du

savoir par Mémoire qui lui apporte Le Livre de Mémoire (l’Ancien Testament) »194 :

Memoire. […] Fais tout au long de ce livre lecture, Regarde bien ceste Vieille Escriture, Et tu verras que la fin de la Loy C’est CHRIST ton Filz, c’est le promis Messie : La fin, le but de toute prophetie, Qui accomplit la Loy par vive Foy. Après avoir par moy qui suis Memoire Bien ruminé une chascune histoire, Qui de ton Filz son tresseur tesmoignage, Prens de David ton pere le Psaultier, Pour le chanter à Dieu d’un cœur entier, Rejouyssant ton Ame et ton courage. Quant est de moy, je te monstre la Lettre, Mais cest Esprit qu’il plaist au Seigneur mettre En toy, qui es de luy toute remplie, T’en fera voir le sens, sans rien omettre ; Lis à loisir le tout, je t’en supplie195.

La messagère Mémoire incite Marie à être attentive pendant la lecture du Livre de Mémoire :

« Regarde bien ceste Vielle Escriture » (cf. 3.2.1. L’attention). Marguerite met l’accent sur ce

texte, extrait de l’Ancien Testament : de sa lecture ressortira que Jésus est le « promis

Messie ». Par conséquent, Marguerite s’adresse également à tout lecteur et tout auditeur. La

naissance du Christ est « la fin, le but de toute prophétie », mais également le début du Livre

de Grâce dévoilant « l’esprit du Nouveau Testament qui est l’amour » 196.

L’importance de la lecture ressort aussi de L’Heptaméron où les rescapés

supplient la dame Oisille de leur donner un passetemps approprié pendant leur séjour à

l’abbaye. Dans sa réponse, la dame Oisille insiste sur la pratique de la lecture, surtout des

textes bibliques en particulier :

                                                                                                                         192 Marguerite De Navarre, « Comédie du Désert », dans Les Marguerites de la Marguerite des princesses (1547), Tome premier, op. cit., p. 200. 193 Barbara Marczuk, Beata Skrzeszewska et Piotr Tylus, op. cit., p. 48. 194 Ibid., p. 49. 195 Marguerite De Navarre, « Comédie du Désert », dans Les Marguerites de la Marguerite des princesses (1547), Tome premier, op. cit., p. 208-209.  196 Ibid.

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Mes enfans, vous me demandez une chose que je trouve fort difficile, de vous enseigner un passetemps, qui vous puisse delivrer de voz ennuiz : car ayant cherché ce remede toute ma vie, n’en ay jamais trouvé qu’un, qui est la lecture des sainctes lettres, en laquelle se trouve la vraye et parfaicte joye de l’esprit, dont procede le repos, et la santé du corps197.

Pendant les discussions qui suivent chaque nouvelle de L’Heptaméron, les devisants

reviennent aux textes bibliques afin d’argumenter leur propos : l’Evangile propose des leçons

morales pour tous les lecteurs.

3.2.3.3. La philosophie antique et l’humanisme

Non seulement était-elle docte en théologie, mais Marguerite était aussi une

lectrice avide des ouvrages des plus grands philosophes de l’Antiquité. Elle trouvait leurs

livres dans la bibliothèque de Cognac ou de Blois. Toutefois, le « grec, Marguerite l’ignorait.

Du latin, elle savait, mais peu »198. Elle lisait surtout des traductions françaises. En 1546,

Marguerite prend connaissance de l’humaniste italien Marsile Ficin avec le Commentaire sur

le Banquet de Platon, mis en français par Jean de la Hay, valet de chambre de Marguerite de

Navarre199. En outre, il n’est pas sans importance de mentionner que cette traduction française

a été dédiée à la Reine. Les textes de Ficin et de la philosophie néoplatonicienne n’étaient

donc pas inconnus de Marguerite ; L’Heptaméron est même imprégné de cette philosophie.

Par exemple, la remarque de Parlamente (cf. 3.3 La quête constante vers l’amour de Dieu),

tout comme les paroles de saint Jean, font penser à « la théorie de deux mondes » de Platon200.

De plus, dans L’Heptaméron, l’amour Platonique est omniprésent, représenté comme un

amour lointain. C’est Dagoucin qui représente cette idéal platonique dans L’Heptaméron :

« [T]ant plus je tiens ce feu celé et couvert, plus en moy croist le plaisir de sçavoir, que

j’ayme parfaictement201 ».

                                                                                                                         197 Marguerite de Navarre, « Prologue », dans L’Heptaméron, op. cit., p. 63. 198 Lucien Febvre, op. cit., p. 78. 199 Nicole Cazauran, L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, op. cit., p. 230. 200 « [C]hez Platon il y a nettement la théorie de ‘deux mondes’, deux espèces d’êtres, les choses visibles et les choses invisibles […]. C’est pourquoi assez généralement Platon est qualifié de dualiste, prédicat applicable autant à ses idées sur l’être dans son ensemble (notion ontologique) qu’à sa théorie de la personne humaine (notion anthropologique) » – Cornelia De Vogel, « A Propos de Quelques Aspects dits néoplatonisants du platonisme de  Platon », dans Le Néoplatonisme (Paris), Colloques internationaux, Editions du Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1971, p. 8. 201 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N8 p. 114.

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Ensuite, la reine est également attirée par la philosophie de sa propre époque.

L’humanisme, dont Lefèvre d’Etaples et Erasme étaient deux des principaux représentants,

était populaire à l’époque. Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le terme

« humaniste » désigne « le lettré qui a une connaissance approfondie de la langue et de la

littérature antiques, grecques et latines, domaines dont l’étude est appelée studia

humanitatis »202. Puisque Marguerite ne lisait pas le grec, « elle n’était donc pas une

humaniste au sens originel du terme »203. Marguerite a commencé à suivre les préoccupations

des humanistes après une lecture de la traduction des Evangiles par Lefèvre d’Etaples204.

Lefèvre était un humaniste chrétien, non réformé (non converti) mais qui a été bel et bien

persécuté au début du XVIe siècle car il propageait des idées réformistes205. Lefèvre était

« docteur en Sorbonne et l’un des hommes savants de France, un de ceux qui contribuèrent le

plus à y répandre sourdement les idées de Luther »206. Son Commentaire sur les Evangiles

(1522) a été « sauvé de l’interdit par l’entremise de Marguerite »207. L’autre grand humaniste

est Erasme. « Erasme connaît Marguerite. Mieux : il essaie de nouer par deux fois le dialogue

avec elle. […] Certes, Marguerite admirait Erasme, ce grand esprit libre. Mais il était le

conseiller de l’empereur, ennemi déclaré de François Ier »208. Par conséquent, elle ne pouvait

absolument pas entretenir des liens d’affection spirituelle avec Erasme, car cela pouvait être

considéré comme une trahison209.

Dans L’Heptaméron, la reine semble avoir adopté quelques conceptions

humanistes. Selon Thomine-Bichard et Montagne, dans L’Heptaméron, il s’agit d’une

« constitution, à l’écart du monde, d’une microsociété qui obéit à ses règles propres […] [qui]

peut être lue également comme une rêverie de type humaniste, qui n’est pas toutefois de

l’ordre de l’utopie car l’échelle n’est pas celle de la cité tout entière »210. Ensuite, dans

L’Heptaméron l’on peut retrouver l’idée humaniste de la confiance en la nature humaine. Cela

dit, l’idée opposée, à savoir le pessimisme lié à la chute originelle, est également présente :

                                                                                                                         202 Alain Rey, Tristan Hordé, Dictionnaire historique de la langue française, sous la dir. de Alain Rey, éd. Enrichie par Alain Rey et Tristan Hordé, Paris, Le Robert, 1992, entrée « humaniste ». 203 Marie-Claire Thomine-Bichard et Véronique Montagne, Marguerite de Navarre : L’Heptaméron, Tournai, Editions Atlande, 2005, p. 198. 204 Ibid. 205 Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 70-71. 206 Félix Frank, op. cit., p. viij. 207 Ibid. 208 Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 70-71. 209 Ibid., p. 71.  210 Marie-Claire Thomine-Bichard et Véronique Montagne, op. cit., p. 200-201.

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l’homme est un être « naturellement porté au mal »211. Une conception plus positive de la

condition humaine ressort de la nouvelle VII où Longarine exprime : « Je n’ay gueres veu

grand feu, de quoy ne vint quelque fumée, mais j’ay bien veu la fumée, où il n’y a point de

feu »212. Elle souligne qu’on est souvent incliné à sentir le mal où il n’est pas présent.

3.2.4. La méditation et la contemplation

La méditation est l’exercice et l’exercice la méditation213.

- Pierre Hadot -

La méditation dérive de l’attention (cf. 4.2.1. L’attention), mais diffère de

celle-ci en ce qu’elle va plus loin dans l’observation et la vigilance. Pierre Hadot utilise le mot

grec meletè et son correspondant latin meditatio pour la méditation214. La méditation est un

« effort pour assimiler, pour rendre vivant dans l’âme une idée, une notion, un principe »215.

Pierre Hadot signale entre autres l’ambiguïté du terme : « La méditation est l’exercice et

l’exercice la méditation »216, par exemple la « préméditation » de la mort est le

« préexercice » de la mort ». Dans Dialogue en forme de vision nocturne, Marguerite de

Navarre se prépare elle-même à la mort en posant des questions concernant la vie après la

mort à sa nièce défunte. Premièrement, cette méditation sur la mort aide Marguerite à vaincre

sa peur de mourir, si bien qu’elle arrive au point de souhaiter la mort :

MADAME LA DUCHESSE Encore un mot d’entendre j’ai envie : Quelle douleur sentîtes au partir, Que trop grande je crois, quoi que l’on die ?

MADAME CHARLOTTE Je vous promet, ma tante, sans mentir,

170 Que quand le corps, par douleur affaibli, S’appesantit jusqu’à terre sentir,

Et l’esperit, par amour annobli, Tire tout droit au ciel par tel désir Que l’âme met tout son corps en oubli

                                                                                                                         211 Ibid., p. 199. 212 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N7 p. 107. 213 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 29 note 2. 214  Ibid.  215 Ibid. 216 Ibid.    

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S’elle tire fort au ciel, par plaisir, Le corps pesant en terre et pourriture, Le départir n’est rien qu’un bref soupir.

[…]

MADAME LA DUCHESSE

1246 Ô mon enfant, vous en faut-il aller ? Et si force est, au moins je vous supplie Que me tirez avecques vous par l’air.

Dans L’Heptaméron, Marguerite explique que le désir de la mort et la vie en

Dieu est propre à l’âme « car l’âme, qui n’est creée, que pour retourner à son souverain bien,

ne faict tant qu’elle est dedans le corps, que desirer d’y parvenir »217. Dans des poèmes

spirituels comme Dialogue en forme de vision nocturne (ut supra) et La Navire, la reine

médite également sur la mort liée à la confiance en Dieu. De ces méditations ressort la

méditation sur la fragilité humaine comme le péché (cf. 3.2.7.1. Le péché), le deuil, la

tristesse, l’orgueil, la foi, l’amour, etc. (Chansons spirituelles, Dialogue de Dieu et de

l’homme, La foi de la Madeleine). Généralement, la méditation aide Marguerite à « accepter

ces événements qui font partie du cours de la Nature »218. D’après Nicole Cazauran, « [d]ans

une enfance inquiète auprès d’une mère veuve très jeune et qui rêvait son fils roi sans pouvoir

s’assurer qu’il le deviendrait, peut-être la jeune Marguerite avait-elle appris à méditer sur

l’instabilité des choses humaines et sur les tyranniques séductions du pouvoir »219.

Cependant, il faut faire une distinction entre la médiation et la contemplation.

La méditation est pour Marguerite une manière de réfléchir sur la vie. La contemplation est la

méditation qui implique un sentiment d’amour. Dans la contemplation il s’agit d’un amour

lointain, l’amour Platonique. Les méditations sur Jésus-Christ, comme dans Miroir de Jésus-

Christ crucifié, Triomphe de l’agneau, et Oraison à notre Seigneur Jésus-Christ, sont plutôt

des contemplations car la déité est l’objet de l’amour. Dans L’Heptaméron, la contemplation

de l’autre et encore plus la contemplation de Dieu sont les actes les plus satisfaisants au

monde. Dans ce texte, Marguerite suggère l’existence d’une échelle représentant l’évolution

de l’amour, allant du stade ‘ne pas aimer’ vers ‘aimer Dieu parfaitement’. Arrivé à ce stade

                                                                                                                         217 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N19, p. 243. 218 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 29. 219 Nicole Cazauran, « Introduction », dans Marguerite de Navaree, Poésies chrétiennes, op. cit., p. 11-12.    

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ultime, l’individu se voue à la contemplation totale et éprouve une sorte d’éveil spirituel. Paul

de Surgy, dans son texte Les degrés de l’échelle d’amour chez saint Jean de la Croix, signale

que selon saint Jean de la Croix la contemplation est « une science par voie d’amour, lequel

en est la maître et celui qui rend tout savoureux »220. Il ajoute que « la contemplation

perfectionne progressivement l’âme qu’elle éclaire et remplit d’amour « jusqu’à la monter de

degré en degré à Dieu son Créateur » »221. A ce stade « l’appétit du corps s’oublie, s’efface

dans le bonheur de la contemplation »222.

Donnons un exemple : la nouvelle XXXII de L’Heptaméron met en scène une

épouse contrainte par son mari de boire dans le crâne de son amant, tué par le mari, après

qu’il l’a pris en flagrant délit d’adultère. Dès lors, l’épouse est condamnée de vivre seule, en

silence, à avoir toujours la tête rasée, et forcée de boire dans le crâne de son amant. Pourtant,

cette cruelle punition a des conséquences bénéfiques : à travers la méditation de ses méfaits,

la femme parvient à un état de repentir : « [J]e confesse ma faulte estre si grande, que tous les

maux que le seigneur de ceans (lequel je ne suis digne de nommer mary) me sçaurait faire, ne

me sont rien, au pris du regret que j’ay de l’avoir offensé223 ». Cette méditation a rendu cette

femme consciente de ses erreurs. Dans la discussion qui suit cette histoire, Longarine avance

que la figure biblique de Madeleine, bien que les hommes continuent à la traiter de « femme

adultère », « est louée entre nous de la grande amour qu’elle a portée à Jesus Christ, et de sa

grande penitence »224. Il faut donc mieux vivre avec des remords que de rester dans le péché,

car ce n’est que le repentir qui mènera à la rédemption. Dans la nouvelle XXXII, la

contemplation contribue à la contrition, à la connaissance de soi, et au pardon des hommes.

En somme, le texte suggère que la contemplation contribue à la rédemption de la femme.

3.2.5. Une attirance pour la mystique

3.2.5.1. Entre terre et ciel

Depuis « les grands textes hermétiques de la fin du Moyen Âge et du début de

la Renaissance, [y compris les textes de Marguerite de Navarre], il n’est plus guère possible                                                                                                                          220 Paul de Surgy, « Les degrés de l’échelle d’amour chez saint Jean de la Croix », dans Revue d’Ascétique et de Mystique (Rome), 1951, p. 3. 221 Ibid., p. 5. 222 Nicole Cazauran, L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, op. cit., p. 241. 223 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N32, p. 356. 224 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N32, p. 358.  

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de dissocier la littérature occidentale de ses attaches profondes avec le mysticisme

chrétien »225. Toutefois, selon François Paré, on ne peut pas dire que « la reine [a] été elle-

même une mystique, bien que les dernières années de sa vie, après la mort de François Ier,

semblent avoir été consacrées à la prière et à la contemplation »226. Ce sont principalement ses

œuvres datant d’après 1540 qui indiquent un « intérêt croissant pour la pensée mystique »227.

L’origine de son attirance pour la mystique se trouve au sein de sa correspondance avec

l’évêque Briçonnet (cf. Briçonnet, père spirituel de Marguerite). Selon Guillaume Oriou, le

mysticisme de Briçonnet « fut à la fois la satisfaction de l’un et de l’autre ; sa vie religieuse

c’était l’amour, mais non pas uniquement l’amour contemplatif, l’amour de l’absolu, mais

aussi l’amour des choses réelles et visibles, l’amour des hommes, l’amour du prochain, aussi

grand, aussi beau que l’amour de Dieu »228. Briçonnet fut « d’abord un mystique pratique,

c’est-à-dire un mystique qui ne se contentait pas seulement de vivre en lui-même et pour lui-

même, mais qui avait aussi l’ardent désir d’amener les autres à la même hauteur religieuse

qu’il voulait atteindre »229. Marguerite est une des personnes que Briçonnet a guidée vers ce

mysticisme pratique. Il va même si loin dans ses ambitions pour réformer l’Eglise française

qu’il espère par le biais de Marguerite d’avoir l’oreille du roi : « Exercez votre foi sur le roi et

sa mère230 ».

Comme Briçonnet est le père spirituel de Marguerite pendant quatre années, le

mysticisme que professait la duchesse d’Alençon ressemble beaucoup à celui de Briçonnet231.

Or Guillaume Oriou observe que Briçonnet, à un moment précis de sa vie, est devenu « un

homme qui ne vit plus pour ce monde »232, tandis que Marguerite est

une âme qui veut s’élever au-dessus des misères du monde, mais qui dans ses élans mystiques ne parvient jamais à oublier complètement la terre ; la vie pour elle a encore des charmes, et elle est bien loin d’avoir atteint de degré suprême de la perfection mystique, qui n’est à tout prendre qu’une déchéance manifeste, puisqu’elle ne consiste dans l’anéantissement complet de l’être233.

                                                                                                                         225 François Paré, « La pensée mystique dans Les Prisons de Marguerite de Navarre », dans Geneviève James, De l’écriture mystique au féminin, Québec, Presses Université, Laval 2005, p. 37. 226 François Paré, op. cit., p. 39. 227 Ibid. 228 Ibid., p. 11 229 Ch. Guillaume Oriou, Guillaume Briçonnet évêque de Meaux, Thèse présentée à la faculté de Theologie protestante à Strasbourg, Strasbourg, Typographie de G. Silbermann, 1864, p. 10. 230 Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 83. 231 Ch. Guillaume Oriou, op. cit., p. 45. 232 Ibid., p. 47. 233 Ibid., p. 47-48.

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Cependant, l’œuvre de Marguerite témoigne parfois de cet anéantissement complet de l’être

ou de la mort à soi-même prêché par Briçonnet. Saint Paul, dans son Epître aux Romains,

souligne l’importance de la mortification : « [S]i vous vivez selon la chair, vous allez mourir ;

mais si par l’Esprit vous faites mourir les agissements du corps, vous vivrez234 ». Il faut donc

se couper de soi et du monde afin de vivre en Dieu. Dans le prologue de L’Heptaméron,

Hircan fait remarquer à Oisille que le groupe des rescapés n’a pas encore atteint « cet état de

l’âme où la méditation de la parole divine suffirait à faire « vivre joyeusement » sans aucun

divertissement »235 :

[Oisille] Il me semble que si tous les matins vous voulez donner une heure à la lecture, et puis durant la messe faire voz devotes oraisons, que vous trouverez en ce desert la beauté qui peult estre en toutes les villes. Car qui cognoist Dieu, voit toutes choses belles en luy, et sans luy tout laid. Parquoy je vous prie recevoir mon conseil, si vous voulez vivre joyeusement. [Hircan] Ma dame ceux qui ont lu la saincte Escriture (comme je croy que nous tous avons faict) confesseront vostre dire estre vertitable : mais si fault il que vous regardiez, que nous ne sommes encore si mortifiez qu’il ne nous faille quelque passetemps et exercice corporel236.

Marguerite essaie de trouver un compromis entre la mystique qui élève et l’immanence des

choses terrestres. Il semble qu’elle croit que négliger le monde et les choses terrestres, c’est

négliger la création de Dieu.

3.2.5.2. L’itinéraire spirituel vers Dieu

La mystique est, on le sait, pour une grande partie, une affaire de femmes. Les

femmes ont pu « accéder par là à un véritable discours ontologique qui leur était en quelque

sorte interdit »237. François Paré explique que la « pensée mystique constitue, de Julienne de

Norwich à Marie de l’Incarnation, un horizon discursif par lequel de nombreuses femmes ont

pu exprimer leur rejet radical du monde visible et des systèmes interprétatifs qui le

construisent en tant qu’un univers rationnel » 238. Cette représentation féminine est opposée à

sa représentation minoritaire ou même inexistante en théologie, car cette dernière était                                                                                                                          234 Romains 8,14. 235 Nicole Cazauran, « Notes », dans Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., p. 627. 236 Marguerite de Navarre, « Prologue », dans L’Heptaméron, op. cit., p. 63-64. 237 François Paré, op. cit., p. 38.   238 Ibid.  

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réservée aux hommes. Marguerite, en tant que femme cultivée, était pourtant docte en

théologie. Elle connaissait les grands philosophes et hommes de religion de l’histoire. La

reine adapte par exemple l’itinéraire spirituel du grand théologien et humaniste saint

Bonaventure – sous la forme d’une échelle d’amour – dans son Heptaméron. L’échelle

d’amour de Marguerite de Navarre peut être envisagée comme une réduction de l’itinéraire de

l’esprit vers Dieu de saint Bonaventure. L’homme doit gravir les échelons de l’échelle de

Marguerite allant de ‘l’amour absent’ vers ‘l’amour parfait de Dieu’ 239 :

Fig. 1

Selon Paula Sommers, De triplici via de Bonaventure est également pertinent

pour les anciennes échelles-poèmes de Marguerite de Navarre240. Les premières lignes de

Prisons, un des derniers poèmes de Marguerite, évoquent « une trajectoire d’ascension, puis

de descente et enfin de transfiguration »241. « Le narrateur (masculin, il faut le souligner)

s’adresse à son « Amye » dans l’espoir de l’encourager à l’accompagner dans sa recherche de

l’unité mystique avec Dieu242 » :

Montant plus hault à la perfection, Plus je descendz à ceste affection Qui est de Dieu tresfort recommandée, Et de l’Amour a l’amant demandée,

5 Et plus vertu rend mon esprit contant243

                                                                                                                         239 Cf. Marieke Huyghens, Une échelle d’amour dans L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, dirigé par Prof. Dr. Alexander Roose, UGent, 2014. 240 Paula Sommers, Celestial Ladders : readings in Marguerite de Navarre’s poetry of spiritual ascent, Genève, Droz, 1989, p. 13. 241 François Paré, op. cit., p. 40. 242 Ibid. 243 Marguerite de Navarre, « Le tiers et dernier livre des prisons », Les Prisons, Genève, Edition et commentaire par Simone Glasson, Librairie Droz, 1978, p. 135.

  L’amour  parfait  de  Dieu  

L’amour  de  Dieu  

L’amour  parfait  

L’amour  

L’amour  absent  

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3.2.5.3. Une union avec Dieu

Marguerite part de là pour exposer les contrastes profonds qui se révèlent entre la vie extérieure qui se déroule en dehors de Dieu, dans le monde inférieur, “plein de souci, de travail et de cure”, et la vie intérieure qui résulte de l’intime union avec le Créateur, et qui est celle de l’élu244.

-Abel Lefranc- De toute l’œuvre de Marguerite de Navarre ressort que la reine considère

l’amour de Dieu comme la chose la plus précieuse au monde. Jean-Luc Déjean remarque que

Marguerite exprime « le ravissement de l’âme unie à Dieu, sentiment qu’elle a su traduire

avec tant d’enthousiasme au cours de plusieurs de ses ouvrages »245. L’échelle d’amour (cf.

Fig. 1) qu’on retrouve sous 3.2.5.2. Une itinéraire spirituel vers Dieu montre que le plus haut

degré de l’échelle est l’‘amour parfait de Dieu’, où l’âme se trouve parfaitement unie à Dieu,

éprouvant une béatitude éternelle. Dans sa Comédie du désert, par exemple, la vierge Marie,

montée « au sommet de l’initiation spirituelle »246, est incitée par la messagère allégorique

nommé Consolation à lire le Livre de Grâce car « la voie parfaite est l’union avec Dieu par la

méditation du Livre de Grâce ». La méditation de Marie « sur le sens du troisième Livre est

un ravissement mystique pendant lequel elle s’unit à son Divin Epoux en extase »247.

Mon Dieu est sy mien Que ce qui est sien Dedens moy je sents ; Et dedens luy suis, Dont saillir ne puys, Car je m’y son sens. En mes bras le porte, Aux siens me conforte, Dont luy seul m’embrasse ; Ma bouche le baise, La sienne m’appaise, Qui tout plaisir passe248.

En outre, dans son poème Oraison de l’âme fidèle, son désir d’atteindre cet

amour de Dieu est si accablant, qu’elle désire être morte (« [v]ien moy tirer du lieu où suis

                                                                                                                         244 Abel Lefranc, op. cit., p. 32. 245 Ibid., p. 34. 246 Barbara Marczuk, Beata Skrzeszewska et Piotr Tylus, op. cit., p. 49. 247 Ibid. 248 Marguerite De Navarre, « Comédie du désert », dans Les Marguerites de la Marguerite des princesses (1547), Tome premier, op. cit., p. 224.

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perdu »249) afin de s’unir avec son Créateur (« [l]e seur mary, le parfait amoureux »250).

Marguerite remarque que la vie sur terre n’est qu’éphémère : « Ma vie doit un songe estre

estimée, / [d]’ombre passant de vapeur ou fumée251 ». Le « dois » exprime ici une injonction :

Marguerite se persuade que la vie sur terre n’est qu’un « songe » duquel il faut se réveiller.

Selon Marguerite, ce n’est que la mort qui peut briser l’illusion terrestre et élever l’homme à

la Vérité252. Il faut donc être mort pour pouvoir voir la grandeur de Dieu, car « l’homme en

chair ne te scaurait congnoistre »253 dit Marguerite en s’adressant à Dieu. Or elle ne sait pas si

elle mérite de voir le vrai visage de Dieu et de se considérer comme une élue de Celui-ci :

Me puis je bien au vray congnoistre et voir ? Je suis de fange, ou chose qui moins vault, Un corps en qui toute vertu default, A qui survient la nuict avant le soir, De brefve vie, et si tresteinte en noir, Que le mal dure et le bien y est court, Tant ignorant qu’il ne se peult pas seoir, Mais à la mort, sans la congnoistre, court254.

Aussi dans le poème Le miroir de l’âme pécheresse il ressort une imploration constante pour

la mort, qui mènera à l’union avec Dieu :

Vie m’est mort, car par mort suis vivante. Vie me rend triste, et mort me contente. O quel mourir ! qui faict mon ame vivre, En la rendant par mort, de mort delivre. Unie à vous par amour si puissante255.

Cela dit, dans L’Heptaméron, l’on remarque qu’il ne faut pas nécessairement

être mort pour s’unir à Dieu. Sur terre, il existe une seule façon pour arriver à cette union :

pendant le sacrement de la communion. A la messe, le prêtre consacre d’abord le pain et le

vin (consécration) où est répétée la nouvelle alliance qui est faite par Jésus-Christ entre Dieu

et les hommes. Ensuite, les fidèles peuvent recevoir le corps sacré de Jésus (sous forme d’un

                                                                                                                         249 Marguerite de Navarre, « Oraison de l’âme fidèle », dans Les Marguerite de la Marguerite des princesses (1547), Tome 1, op. cit., p. 109. 250 Ibid. 251 Ibid., p. 110. 252 Jean-Luc Déjean remarque que Marguerite, en 1524, a mis une majuscule au mot Vérité. – Jean-Luc Déjean, op. cit., p. 92. 253 Marguerite de Navarre, « Oraison de l’âme fidèle », dans Les Marguerite de la Marguerite des princesses (1547), Tome premier, op. cit., p. 109. 254 Ibid., p. 110.  255 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 59, v. 891-895.

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hostie). Cela s’appelle la « communion ». Dans L’Heptaméron, les devisants, pendant la

messe, reçoivent « le sainct Sacrement d’union, auquel tous Chrestiens sont uniz à un,

suppliant celui qui les avoit assemblez par sa bonté, parfaire leur voyage à sa gloire »256.

Pendant l’eucharistie, les chrétiens sont donc unis en Dieu et à Dieu. Cependant, la foi est

nécessaire, comme l’observe Hircan durant la discussion qui suit la LXIe histoire. Car quand

le saint sacrement « n’estant pas recue en foy, et charité, est en damnation eternelle »257. Cela

est un souvenir à saint Paul qui « cite les paroles du Christ lors de la Cène et conclut »258 :

« [C]elui qui mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement [le corps et le sang du

Christ] sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur259 ». Ainsi, la foi est la clé

indispensable sur le cheminement vers cette union sacrée. Dans la Comédie du désert, le

personnage de Marie affirme également que « Cette union est la beatitude / [d]u vray

croyant »260.

3.2.6. Le dialogue spirituel

Le dialogue socratique apparaît […] comme un exercice spirituel pratiqué en commun qui invite à l’exercice spirituel intérieur, c’est-à-dire à l’examen de conscience, à l’attention à soi, en bref au fameux “Connais-toi toi-même261.

-Pierre Hadot-

C’est la figure de Socrate qui a fait émerger dans la conscience occidentale la

pratique du dialogue262, mais c’est avec Augustin et Grégoire que le dialogue est vu comme

étant une forme utile pour exprimer des idées chrétiennes263. Plusieurs hommes – catholiques

ou réformistes – écrivaient des dialogues spirituels avec et pour des femmes intellectuelles264.

Cela pourrait avoir provoqué chez des femmes le désir de se lancer elles-mêmes dans ce type

d’écriture265. Janet Levarie Smarr souligne l’importance des écrits dialogués du français

                                                                                                                         256 Marguerite de Navarre, « Prologue », dans L’Heptaméron, op. cit., p. 61. 257 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N 61, p. 530. 258 Nicole Cazauran, « notes », dans Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., note 2, p. 718. 259 1 Corinthiens 11, 27. 260 Marguerite De Navarre, « Comédie du Désert », dans Les Marguerites de la Marguerite des princesses (1547), Tome premier, op. cit., p. 219. 261 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 41. 262 Ibid., p. 39. 263 Janet Levarie Smarr, op. cit., p. 31. 264 Janet Levarie Smarr, op. cit., p. 34 265 Ibid.

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Gerson, le théologien le plus important et le plus admiré en France au début du XVe siècle266.

Gerson a écrit des ouvrages importants comme Dialogue spirituel et Montaigne de

contemplation auquel Marguerite, selon Smarr, aurait dû avoir accès à la bibliothèque

royale267. Dans ses écrits, Gerson accentue le rôle important des femmes comme étant des

participants dans le dialogue268.

3.2.6.1. Le dialogue avec un Dieu personnel

Elle aimoit fort à composer des chansons spirituelles, car elle avoit le cœur fort adonné à Dieu269.

- Brantôme -

Marguerite soutenait l’idée proposée par la Réforme que Dieu est accessible de

tout humain sans que l’intervention d’un prêtre soit nécessaire : « Selon l’Eglise, on pouvait

se purifier aux yeux de Dieu par le cycle confession / pénitence / absolution (donné par le

prêtre au nom de Dieu). Mais le pardon est déjà donné, par le seul Médiateur Jésus-

Christ270 ». On se demande alors « [q]uel est donc le rôle du prêtre »271. Il était désormais

possible de construire une relation personnelle et intime avec la déité. La religion devenait

une question individuelle. Dans son poème Dialogue de Dieu et de l’homme, Marguerite va

plus loin en dressant un dialogue avec Dieu. Dès les XIIIe et XIVe siècles, la française

Marguerite Porete (1250-1310) écrit une œuvre dialoguée d’une ardeur mystique où elle met

l’accent sur l’amour incommensurable entre l’âme et Dieu272. Encore au XIVe siècle, en Italie,

Catherine de Sienne entamait également des dialogues mystiques avec Dieu273. L’œuvre de

ces deux femmes mystiques était encore très connue au XVIe siècle. Marguerite de Navarre

avait certainement connaissance de ces écrits où l’auteur entame un dialogue avec Dieu.

Néanmoins, il est important de souligner que dans Dialogue de Dieu et de l’homme

Marguerite dépeint une conversation entre Dieu et l’Homme et non pas avec elle-même. Cette

conversation a donc une valeur générale. Nous sommes tous des créatures d’un seul Dieu qui

souhaite établir une relation intime avec chacun de nous.                                                                                                                          266 Ibid. 267 Ibid., p. 36. 268 Ibid., p. 37. 269 Brantôme, « VI Marguerite reyne de Navarre », dans Vie des dames illustres françoises et étrangères, nouvelle édition avec une introduction et des notes par Louis Moland, Paris, Garnier frères, 1868, p. 276. 270 Francis M. Higman, op. cit., p. 21. 271 Ibid. 272 Janet Levarie Smarr, op. cit., p. 31. 273 Ibid.

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  53  

DIEU : Qui est venu de Tout à Tout retourne

20 Mais rien tant seulement à Tout se tourne

L’HOMME : Ô Seigneur, fais-moi rien, rien, le plus moindre Qui soit, afin qu’à Tout je puisse atteindre.274

La piété individualiste (« fais-moi rien […] afin qu’à Tout je puisse atteindre ») que l’on peut

retrouver dans ces vers fait partie de la mystique et pouvait non seulement être interprétée

comme la contestation de l’Eglise mais également comme le refus de toute forme de

répression de la liberté de conscience275. Dans sa poésie, la reine manifeste son désir d’une

expérience plus personnelle de la foi catholique. Ses ouvrages expriment une distance de toute

extériorité de l’Eglise pour enfin se retrouver à l’intérieur de son âme. Car c’est là, au plus

profond de chaque âme, que réside Dieu. On peut donc retrouver Dieu à l’intérieur de soi-

même. Pour Marguerite, la poésie est devenue « une sorte d’extase de la connaissance, de

vérité divine trouvée hors du monde sensible »276.

Dans le poème Dialogue en forme de vision nocturne, Marguerite s’inscrit

comme l’une des deux parties du dialogue entamé. Son partenaire dans la discussion est sa

petite nièce Charlotte qui vient de mourir et qui se trouve dans l’au-delà. Celle qui représente

la figure divine est donc une petite fille innocente. Il semble que Marguerite ait voulu montrer

que ce ne sont pas seulement les adultes, les religieux, ou les hommes en général qui peuvent

être des représentants de Dieu, mais également les enfants ou les femmes. Ainsi, cet échange,

et d’une manière générale les autres œuvres de Marguerite, ne peuvent pas être séparés de la

biographie de celle-ci. Nicole Cazauran observe que le je qui parle dans le poème Petit œuvre

dévot et contemplatif « figure à la fois, comme souvent dans le lyrisme de Marguerite de

Navarre, sa propre voix et, plus généralement, celle d’une âme sur le chemin du salut »277.

Elle se met en scène, mais prend aussi des distances avec ses propres préoccupations. Cette

stratégie permet de mieux se maîtriser, de mieux corriger ses propres travers. Le fait de

s’adresser directement à Dieu ne signifie pas qu’elle se met au même niveau que Lui. Au

contraire, elle loue Dieu, parfois de manière exagérée, même. Dieu est son sauveur, son

rédempteur ; celui qui possède toutes les vertus humaines mais à un degré supérieur:

                                                                                                                         274 Marguerite de Navarre, « Dialogue en forme de vision nocturne », dans Poésies chrétiennes, op. cit., p. 212, v. 19-22. 275 Tim Dowley, op. cit., p. 344. 276 Ibid., p. 92. 277 Nicole Cazauran, « Notes », dans Marguerite de Navarre, Poésies chrétiennes, op. cit., p. 291.    

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Tu es seul bon, et parfaite bonté, Tu es seul beau, et la même beauté, Seul sage et fort, puissant, victorieux,

Seul Roi, tenant la vrai Royauté, 895 Amour, douceur, sans nulle cruauté ;

Le suer mary, le parfait amoureux, Le redempteur du salut desireux, Qui tient ce Monde en ta main et t’en joue ; Tu es sy grand, parfait, et glorieux,

900 Qu’impossible est qu’homme mortel te loue.278 En soulignant trois fois la perfection de Dieu (v.891 parfaite bonté, v.896 le parfait

amoureux, v.899 parfait), Marguerite songe à l’idéal platonique. De plus, il n’est pas

uniquement question de qualités divines dans ce poème (être parfait, être le rédempteur de

l’humanité) ; des rôles typiquement humains sont attribués à Dieu : il peut être un roi, un

mari, etc. Cette description incite l’homme de s’élever à cette perfection. L’homme doit

tendre vers cette perfection. Ce poème exhorte l’homme donc à l’action. Dans une perspective

plus large, le néoplatonisme s’appuie sur l’amour de Dieu pour que l’âme puisse atteindre un

état de perfection279.

A travers l’écriture des poèmes, Marguerite semble avoir trouvé une façon de

répondre au vide spirituel laissé par les institutions catholiques de son temps. Ses poèmes sont

une extériorisation de ses angoisses profondes de la vie sur terre. Dans son poème Pater

noster, l’âme s’adresse à Dieu dans toute sa tristesse : « Nous, tes enffans, summes en grant

peril. / En la terre, bannyz en dur exil280 ». En mettant sur papier son angoisse et en la

communicant à Dieu, elle comprend et contrôle ce sentiment. A travers la littérature, ses

paroles deviennent spirituelles et transcendantes. De plus, en employant le nous, Marguerite

implique chaque être humain dans ses angoisses individuelles. Elle se rend compte qu’elle

n’est pas la seule à éprouver un vide spirituel dans le monde. Elle s’adresse à Dieu sous forme

de nous parce que nous sommes tous des enfants de Dieu. Au moment de l’écriture de ces

vers, Marguerite se sent unie avec tout être humain dans ce destin périlleux. Enfin, en

s’adressant à Dieu, elle se présente comme porte-parole pour le monde entier.

                                                                                                                         278 Marguerite de Navarre, « Oraison de l’âme fidèle », dans Les Marguerite de la Marguerite des princesses (1547), Tome 1, op. cit., p. 109. 279 Marcel Tetel, art. cit. , p. 136. 280 Marguerite de Navarre, Pater Noster, cité par France Giacone, dans « Le premier ouvrage de Marguerite de Navarre », dans Marguerite de Navarre 1492 – 1992, Actes du Colloque international de Pau (1992), Textes réunis par Nicole Cazauran et James Dauphiné, Mont-de-Marsan, Editions interuniversitaires, 1995, p. 274.

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3.2.6.2. Le dialogue entre humains

Comme il a déjà été mentionné dans ce travail (cf. 1. Une sympathie pour les

idées de la Réforme), en 1521, Marguerite entame une correspondance avec l’évêque

Briçonnet. Il s’agit véritablement d’un dialogue, puisqu’ils finissent par s’influencer

mutuellement. Il semble même que Briçonnet était non seulement le conseiller spirituel de

Marguerite mais également son auditoire281. Les phrases suivantes sont issues d’une lettre de

Marguerite à Briçonnet. On y peut lire que Marguerite a pleine conscience du fait qu’elle

s’inscrit en faux contre saint Paul :

Helas, que veulx je dire ou yrai ge, contre le dict de sainct Pol, parler en l’eglise et devant vous ? ouy, car ma presumption n’a pas sy folle arrogance que de penser enseigner aultruy, mais le desir d’apprendre me faict demander, et le plaisir d’estre reprise et endoctrinée par la grace que Dieu vous donne me oste la crainte de faillir pour ne laisser sans exercice vostre filiale suportacion282.

Dans cette lettre, Marguerite se rend compte que pour qu’un véritable dialogue ait lieu, il faut

l’apport d’autrui. Les dialogues ou plutôt les débats entre les devisants qui succèdent les

nouvelles dans L’Heptaméron sont des dialogues de type didactique : à travers le dialogue,

des leçons morales sont transmises. De plus, les nouvelles mettent également en scène des

dialogues : la nouvelle IV de L’Heptaméron, par exemple, « met en scène un locuteur, une

dame d’honneur, qui répond à son interlocuteur, une princesse qui vient de subir une

agression »283. En effet, la dame d’honneur entame un dialogue avec sa maîtresse sans que

cette dernière lui ait demandé son opinion. En lui posant des questions comme « je vous

supplie (ma dame) me vouloir dire la verité du faict »284, la dame d’honneur se prépare à sa

longue réplique, nourrie des arguments religieux : « [I]l me semble que vous avez plus

d’occasion de louër Dieu, que de penser à vous venger de luy285 ». Il s’agit donc d’une

critique de la part de la dame d’honneur, qui finit par influencer la conduite de sa maîtresse. À

un moment précis, la princesse demande même « à sa dame d’honneur, ce qu’elle avoit à

faire »286. Il s’agit donc d’un dialogue où la femme d’honneur ayant le statut social inférieur,

                                                                                                                         281 Janet Levarie Smarr, op. cit., p. 54. 282 Guillaume Briçonnet et Marguerite D’Angoulême, Correspondance (1521-1524), II, Années 1523-1524, op. cit., p. 43. 283 Véronique Montagne, « Le discours délibératif et épidictique d’une dame d’honneur, Etude stylistique d’un extrait de la Nouvelle 4 », dans Dominique Bertrand, op. cit., p. 34. 284 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N4, p. 93. 285 Ibid. 286 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N4, p. 94.  

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réussit – à travers des arguments moraux – à convaincre sa maîtresse. Le dialogue est présent

dans beaucoup plus de nouvelles dans L’Heptaméron. Tout l’ouvrage est la preuve que la

reine, à la fin de sa vie, accordait encore de l’importance au dialogue humain, même si elle

prisait d’avantage le dialogue religieux de la prière et de la méditation dans lesquelles

l’homme s’adresse à Dieu.

3.2.7. La maîtrise de soi

S’efforcer de dépouiller tes propres passions, les vanités, le prurit de bruit autour de ton nom… Fuir la médisance. Dépouiller la piété et la haine. Aimer tous les hommes libres287.

-Georges Friedmann-

L’exercice de la maîtrise de soi ou de ses passions est déjà présent dans la liste

de Philon d’Alexandrie (cf. 3.1. Définition et origine). Pierre Hadot explique que la maîtrise

de soi ou la prosoché suppose « le triomphe de la raison sur les passions, puisque ce sont les

passions qui provoquent la distraction, la dispersion, la dissipation de l’âme »288. Cet exercice

implique donc que l’on ne se laisse pas dominer par ses impulsions, autrement on tombe dans

le péché. Dans toute l’œuvre de Marguerite de Navarre, c’est surtout L’Heptaméron qui

montre ce côté parfois incontrôlable de l’homme : plusieurs nouvelles mettent en scène cette

perte de contrôle ; plusieurs débats portent sur la maîtrise de soi et la violence des passions.

Par le biais de ce livre, Marguerite montre que l’homme doit se garder de ses passions, qu’il

doit tout faire pour éviter le péché, mais qu’en même temps, le mal est inhérent à tout homme.

Dans sa poésie chrétienne, Marguerite implore souvent la grâce de Dieu afin d’être sauvée. La

maîtrise de soi va de pair avec un effort de concentration. Marguerite apprend, comme Marc

Aurèle et Dag Hammarskjöld, que l’accomplissement de ses tâches de tous les jours est un

devoir demandé par Dieu Lui-même.

                                                                                                                         287 Georges Friedmann, La puissance et la sagesse, Paris, Gallimard, 1970, p. 359. 288 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 90.

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3.2.7.1. Le péché

Si je fais ce que, moi, je veux pas, ce n’est plus moi qui le produis, c’est la péché qui habite en moi. Je trouve donc cette loi, pour moi qui veux faire le bien : ce qui est à ma portée, c’est le mal. Car, pour ce qui est de l’homme que je suis intérieurement, je prends plaisir à la loi de Dieu, mais je vois dans mon corps tout entier une autre loi qui lutte contre la loi de mon intelligence et qui me rend captif - captif de la loi du péché qui est dans tout mon corps. Misérable que je suis! Qui me délivrera de ce corps de mort ? - Romains 7, 20-24 -

D’Après les Epîtres aux Romains de saint Paul, le péché est inhérent à

l’homme depuis la chute d’Adam et Eve. Les péchés de l’homme sont donc les suites du

péché originel. Marguerite, dans son poème Le miroir de l’âme pécheresse, dit également que

le péché est enraciné dans le cœur de l’homme : « Bien sens en moy que j’en ay la racine289 ».

Image qui a été empruntée également à saint Paul : « Veillez […] à ce qu’aucune racine

d’amertume, en produisant des rejetons, ne cause des perturbations290 ». Comme saint Paul,

qui décrit la lutte entre le bien et le mal, Marguerite dans Le miroir de l’âme pécheresse,

expose notre tendance à dissimuler le mal que nous faisons :

55 En moy je sens la force de peché Dont moindre n’est mon mal d’estre caché : Tant plus dehors se cele et dissimule Plus dans le cueur s’assemble et accumule. Ce que Dieu veult, souvent desire avoir : 60 Ce qu’il ne veult, souvent desire avoir291.

Dans ces vers, comme dans d’autres de ses œuvres, Marguerite se présente comme une grande

pécheresse : « En moy je sens la force de péché ». Elle se rend compte que le péché est là

lorsque l’on contredit la volonté de Dieu. Néanmoins, il ne faut pas cacher le péché, car ce

faisant, on l’augmente. De plus, ignorer cette caractéristique typique de l’homme implique

une ignorance de l’origine de l’homme et donc également de son Créateur.

Or, Saffrédent, un des participants dans L’Heptaméron, souligne que le péché

n’est pas anodin : « Dieu ne se courrouce poinct de tel pesché, veu que c’est un degré pour

monter à l’amour parfaicte de Dieu, où nul ne peult monter facilement, qui n’ait passé par

                                                                                                                         289 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 27, v.13.  290 Hébreux 12,15. 291 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 29.

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l’eschelle de l’amour de ce monde292 » (cf. Travail de fin bachelier Une échelle d’amour dans

L’Heptaméron de Marguerite de Navarre293). Saffrédent remarque également qu’il faut être

conscient de la nature pécheresse de l’homme, autrement il est impossible de monter vers

l’amour de Dieu. Dans la Xe nouvelle de L’Heptaméron, lors de sa tentative de prendre

Florinde par force, Amadour descend de l’échelle et passe du stade d’‘aimer parfaitement’ à

celui d’‘aimer’ (cf. Fig. 1). Amadour n’est pas conscient de son péché car il croit avoir droit

au corps de Florinde : « [M]oy, ma dame, durant cinq ou six ans, j’ay porté tant de peines et

de travaux pour vous, que ne pouvez ignorer qu’a moy seul n’appartienne le corps et le

cœur294 ». En ignorant son péché, il descend de l’échelle au lieu de monter vers Dieu.

Etre conscient de ses péchés implique nécessairement l’action de demander

pardon à Dieu. Dans Le miroir de l’âme pécheresse, Marguerite ne peut pas s’empêcher de

demander pardon à Dieu pour ses erreurs « qui sont en si grand nombre »295. Dans le poème

La Navire, dans lequel Marguerite déplore la mort de son frère, Marguerite reconnaît l’erreur

d’avoir trop aimé son frère et elle cherche à être pardonnée par Dieu :

Au val de pleur j’adore ta haultesse, Et mon mal je te confesse bon : C’est le plaisir que j’ay en ma detresse. Si trop aimer est pecher, las ! pardon Je te requiers, car en ce j’ay peché, Mais ma tristesse est de l’amour gardon. Que dis-je ? Trop ? … Ay je ce mot lâché ? Puis je aimer trop céluy la qui plus vault Que mon amour… Ce mot la m’a faché ! Mais requerir plustost pardon me fault De n’avoir tant aimé comme je doy Le tout seul Bon qui habite la hault. De ne l’avoir aimé dedans mon roy, Dedans luy craint, honoré et congnu : C’est mon péché, aultre n’en sens ny croy296.

                                                                                                                         292 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N 37, p. 381-382. 293 Marieke Huyghens, Une échelle d’amour dans L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, dirigé par Prof. Dr. Alexander Roose, UGent, 2014. 294 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N10, p. 145. 295 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 27, v.7. 296 Marguerite de Navarre, « La Navire », cité par Paula Sommers, dans Celestial Ladders, op. cit., p. 76, v. 703-713.

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Dans la première strophe, Marguerite semble reconnaître son erreur : « [J]e te confesse ».

Néanmoins, dans la deuxième strophe, elle doute de ses péchés en se demandant « [s]i trop

aimer est pecher ». Le si hypothétique désigne un doute concernant le degré du péché, or elle

demande quand même pardon297. Peut-on trop aimer ? Non, mais on peut mal aimer, ou mal

orienter son amour. Dans les deux dernières strophes, Marguerite atteint un état de repentance

où elle regrette ne pas suffisamment aimer le Dieu qui a créé François298. C’est la conscience

de son péché, le regret, et l’imploration du pardon qui font monter le pécheur sur l’échelle

vers Dieu.

Cela n’est tout de même pas suffisant. Il faut également croire en Dieu. Selon

Ignace de Loyola, c’est « la foi en la miséricorde de Dieu, et non la méditation des péchés,

aussi nécessaire soit-elle, qui sauve le pécheur comme la foi en Jésus a sauvé la femme

pécheresse »299. Jésus dit : « [S]es nombreux péchés sont pardonnés, puisqu’elle a beaucoup

aimé […] Et il dit à la femme : Tes péchés sont pardonnés. […] Ta foi t’a sauvée ; va en

paix300 ». Dans les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, le retraitant est incité à

« demander la honte et la confusion de [s]oi-même, en considérant combien est grand le

nombre de ceux qui sont en enfer pour un seul péché mortel et combien de fois j’ai mérité

d’être damné éternellement pour mes péchés sans nombre »301. Chez Ignace de Loyola,

contrairement à ce qui est le cas chez Marguerite, la « honte » et la « confusion » jouent un

rôle essentiel. La honte peut être comparé avec la honte qu’Adam éprouvait en se cachant

après le péché originel302. Saint Ignace demande à Dieu la grâce de voir ses péchés, ce qui

marque le début d’un retour sur soi-même303.

3.2.7.2. La grâce

Je scay bien, dist Parlamente, que nous avons tous besoing de la grâce de Dieu, pource que nous sommes tous enclins à peche304.

                                                                                                                         297 Paula Sommers, op. cit., p. 76. 298 Paula Sommers, op. cit., p. 76. 299 Bernard Mendiboure, Lire la Bible avec Ignace de Loyola, Ivry-sur-Seine, Editions de l’Atelier, 2005, p. 56. 300 Luc 7 : 47-50. 301 X, Livre du retraitant, op. cit., p. 200. 302 Bernard Mendiboure, op. cit., p. 55. 303 Ibid. 304 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N27, p. 328.

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Dans la discussion qui suit la vingt-quatrième nouvelle de L’Heptaméron, le

devisant Parlamente prétend que « jamais homme n’aimera parfaictement Dieu, qu’il n’ait

parfaitement aimé quelque créature en ce monde»305. Ces paroles confirment la nécessite de

passer par le stade d’‘aimer parfaitement’ avant de pouvoir arriver à celui d’‘aimer Dieu’ (cf.

Fig. 1). Cela étant dit, tous les amis parfaits n’atteignent pas ce niveau d’amour. Roger-

Vasselin ajoute qu’« une pareille conversion n’est pas possible sans l’aide de Dieu »306. L’on

n’aboutit pas à cet état de conscience « si Dieu ne luy ouvre l’œil de foy », comme le dit

Parlamente307. L’individu dépend donc de la grâce : « [N]ous avons tous besoing de la grâce

de Dieu308 ». La grâce divine constitue la condition absolue et primordiale à ce que la

transition entre les états ‘aimer parfaitement’ et ‘aimer Dieu’ s’opère. L’homme ne peut

absolument pas déterminer à qui la grâce divine est attribuée. Lors du débat de la IIe nouvelle,

Oisille explique que « les graces de Dieu ne se donnent point aux hommes, pour leur noblesse

ou richesses, mais selon qu’il plaist à sa bonté, qui n’est point accepteur de personne, lequel

eslit ce qu’il veut »309. La grâce divine et par conséquent la foi en Dieu seraient des dons du

ciel. L’homme doit seulement veiller à ce que son esprit soit préparé à la réception de la

grâce. L’amour de Dieu peut alors germer dans son cœur.

Marguerite introduit la grâce divine comme l’élément indispensable dans le

cheminement de l’homme à la recherche de Dieu. Cependant, Marguerite se trouve parfois

ignorante (« [q]ue diray je de mes maulx et pechez […] [q]ue je n’en sçay le nombre, ne la

somme »310), et indigne de recevoir la grâce de Dieu (« [m]ais la grace, que je ne puis

meriter »311). « Malgré son manque absolu de mérite, [Marguerite] reçoit la connaissance, la

révélation du seul Bon312 » : « La main duquel à donner ne se feint ; A son Esleu sa tresdoulce

promesse313 ». Néanmoins, il semble que Marguerite se considère pourtant une élue de Dieu.

Dans la discussion qui suit la XXVIe nouvelle, Longarine laisse le débat ouvert : « Dieu, qui

                                                                                                                         305 Ibid., N24, p. 24. 306 Bruno Roger-Vasselin, « Marguerite de Navarre et le ficinisme dans L’Heptaméron: l’exemple de la Nouvelle 19 », dans Réforme, Humanisme, Renaissance, N°65, 2007, p. 105. 307 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N24, p. 24. 308 Ibid., N27, p. 328. 309 Ibid., N2, p. 80. 310 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, « Oraison à notre Seigneur Jésus-Christ », dans Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 92-93, v. 125-127. 311 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 28, v.33. 312 Abel Lefranc, op. cit., p. 30. 313 Marguerite De Navarre, « Oraison de l’âme fidèle », dans Les Marguerite de la Marguerite des princesses (1547), Tome 1, op. cit., p. 82.

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juge le cœur […] en donnera sa sentence314 ». « A l’instant de la mort, nul ne peut se dire sûr

d’être élu315 ».

3.2.7.3. L’ignorance

Dans ses œuvres, Marguerite de Navarre évoque souvent l’« ignorance », mais

il ne s’agit pas toujours de la même ignorance. Une première différence se fait entre

l’ignorance « active » et l’ignorance « passive ». D’abord, l’ignorance « active » peut être

comparée à l’ignorance socratique : Socrate sait qu’il ne sait rien (« je n’ai aucun savoir»316)

et reconnaît donc qu’il y a des limites au savoir humain. Il s’agit d’une ignorance qui est

« consciente d’elle-même »317. Oisille, dans le débat qui suit la LIe nouvelle, évoque cette

perspective socratique en disant que « nul n’est plus ignorant, que celuy qui cuide savoir »318.

Marguerite, comme Socrate, énonce la misérable condition humaine. Cependant, Marguerite

va plus loin en disant que sa personne entière n’est rien, comme dans Le miroir de l’âme

pécheresse, où elle se présente comme « trop moins que riens »319. L’ignorance « active » ou

socratique est importante pour Marguerite car ce terme implique une abstraction de

conclusions préalablement déterminées. Abel Lefranc dit de Marguerite que son « âme ailée

savait s’échapper, d’un rapide essor, bien loin des barrières des dogmes »320 (cf. 1.5. Le

catholocisme ou le protestantisme).

Ensuite, dans l’ignorance « passive », on n’est pas conscient d’être ignorant.

Dans les vers suivants, un extrait de l’Oraison de l’âme fidèle, Marguerite s’adresse à la

vérité, inconnue de beaucoup de gens, ce qui leur rend des ignorants « passifs ». Marguerite

désire que cette Vérité soit connue et acceptée par tous, parce que la foi en Dieu transforme

les ignorants en élus.

O Verité, à plusieurs incongnue, Las, il est temps que ceste obscure nue Où tu te tiens tu vueille rompre et fendre.

                                                                                                                         314 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N26, p. 328. 315 Dominique Bertrand, op. cit., p. 135. 316 « Le thème est développé dans l’Apologie et résumé dans la formule « je n’ai aucun savoir » (21d). » - Jean-Baptiste Gourinat, « Socrate, dialecticien ou moraliste », dans Socrate et les socratiques études, dir. G. Romeyer Dherbey, Ed. J.B. Gourinat, Paris, Vrin, 2001, p. 155. 317 Gabriele Giannantoni, « L’Alcibiade d’Eschine », dans Socrate et les socratiques études, op. cit., p. 304. 318 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N51, p. 474. 319 Marguerite d’Angoulême reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, op. cit., p. 28, v. 45. 320 Abel Lefranc, op. cit., p. 6.    

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Tous bons espritz, te voyant retenue, En gemissant desirent ta venue, Que longuement tu fais ça bas attendre. Helas, vien, vien, Seigneur JESUS, descendre, Illuminant nostre tenebre obscure, Fais nous bien voir nostre Rien, nostre centre, Et ta bonté, qui de Rien prend la cure. Vien, Vérité, au fondz de noz espritz ; Fait que le feu d’amour y soit espritz ; […] Vien, Vérité, qui rien ne nous desguise, Chasse l’erreur forgée par les hommes321.

Le poète, qui « attribue cette ignorance spirituelle à la chute de l’homme, marque de plus en

plus cette conviction absolue que la créature ne vaut rien par elle-même, et qu’elle ne peut

sortir des ténèbres où elle languit que par la volonté de son Créateur »322, c’est-à-dire par la

grâce divine. Dans ces vers, Marguerite implore Dieu de nous libérer de cette ignorance

passive afin de voir la Vérité qui est Dieu : « Fais nous bien voir nostre Rien, nostre centre ».

Au début du poème Dialogue de Dieu et de l’homme, l’homme, dans toute sa

petitesse, s’adresse à Dieu : « Seigneur, qui est Tout, mon Dieu et mon Maître, / [c]omment

pourra mon Rien avec Toi être?323 ». Cela montre une attitude typiquement chrétienne :

s’exposer comme une petite et humble servante aux yeux de Dieu. Abel Lefranc affirme que

l’idée que Dieu est tout et que le reste n’est rien est « le sommaire de l’Institution

chrétienne »324. Dans le débat qui suit la LIe nouvelle, Nomerfide énonce la grandeur d’être

humble en disant : « [C]eux, qui sont humbles et bas, et de petite portée, comme le mien,

seront rempliz de la sapience des anges325 ». La reine « analyse avec une sorte de satisfaction

mystique la bassesse insondable de son être, « povre Riens » que la clarté de son « Tout »

vient illuminer et délivrer au milieu de la fange où il croupît »326. En outre, ce « rien »

implique une ignorance. A la cour, Marguerite dit qu’elle « signe parfois Marguerite

« l’ignorante », dans des billets où elle implore pitié pour son « pauvre rien » 327 : le « je » qui

                                                                                                                         321 Marguerite d’Angoulême, op. cit., p. 97-98. 322 Abel Lefranc, op. cit., p. 33. 323 Marguerite de Navarre, « Dialogue de Dieu et de l’homme », dans Poésies chrétiennes, op. cit., p. 211 v. 1-2. 324 Abel Lefranc, op. cit., p. 1. 325 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N51, p. 474.    326 Ibid., p. 30. 327 Christine Martineau, Michel Veissière, Henry Heller, Correspondance (1521-1524), II, Années 1523-1524, op. cit., p. 71, 159, 67.

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parlera dans ses poèmes sera souvent un personnage en quête de vérité, un personnage qui n’a

d’espoir que dans l’aveu de son néant en dans l’attente de l’Esprit divin »328. De plus, Nicole

Cazauran souligne que la formule « rien plus sage, que celuy qui cognoist son rien » de la

nouvelle XXVIII prend « une portée morale »329, et que « toute la poésie religieuse de

Marguerite répète la nécessité pour l’homme de se connaître rien pour accéder à Dieu qui est

Tout ».

L’ignorance peut aussi être liée à la jeunesse, à l’inexpérience. Après l’aveu

d’amour d’Amadour (NX), Florinde est consciente qu’elle est ignorante : « J’ai si grand peur

que soubs voz honnestes propos il y ait quelque malice cachée, pour decevoir l’ignorance

joincte avec ma jeunesse, que je suis en grande perplexité de vous respondre330 ». Dans ce cas,

il s’agit d’une ignorance « passive » qui s’est transformée en ignorance « active » au moment

où Florinde se rend compte qu’elle est ignorante. En effet, elle a toujours été ignorante pour

les vraies mais mauvaises intentions d’Amadour. Ce n’est qu’à partir de l’aveu, qu’elle

commence à questionner son ignorance et qu’elle va d’ignorance « passive » à une ignorance

« active ». Dans le débat qui suit la XXIVe nouvelle, Longarine avance que Dieu fait tous les

jours des miracles, dont « donner intelligence aux ignorans »331. Florinde peut être considérée

comme une des personnes à qui Dieu a donné l’intelligence. Or, les paroles de Longarine

singifient également la conversion où l’infidèle, qui vit dans une ignorance inconsciente, se

rend compte à un certain instant, qu’il était ignorant, et qu’il voit désormais la Vérité, qui est

l’amour de Dieu. Comme les paroles de saint Luc : « il y a de la joie devant les anges de Dieu

pour un seul pécheur qui change radicalement »332.

3.2.7.4. L’accomplissement des devoirs

[S]’il se laisse entraîner par les aspirations de son cœur vers ce qui est invisible et idéal, il n’oublie point qu’il a sur la terre des devoirs à accomplir.333

- Ch. Guillaume Oriou sur Briçonnet -

Il semble que Marguerite a incarné le mode de vie préconisé par son père

spirituel Guillaume Briçonnet. Il semble que Marguerite, comme Dag Hammarskjöld, ne                                                                                                                          328 Nicole Cazauran, « Introduction », dans Marguerite de Navarre, Poésies chrétiennes, op. cit., p. 13. 329 Nicole Cazauran, « Notes », dans Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N28, p. 676. 330  Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N10, p. 133. 331 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N24, p. 306. 332 Luc 15,10.  333 Ch. Guillaume Oriou, op. cit., p. 11.

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décide rien « etsi Deus non deratur » 334 (comme si Dieu n’existait pas). Ayant toujours Dieu

en tête mène Marguerite à vivre une vie dans laquelle elle prend très sérieusement ses

responsabilités politiques, familiales, sociales, etc. Abel Lefranc remarque qu’il ne faut pas

oublier « quels ménagements imposait à notre princesse sa double qualité de reine et de fille

du sang de France, sœur du Roi très chrétien »335 (cf. 3.1. Une vie politique et 3.2. La

comptabilité de la politique et de la spiritualité). Marguerite est consciente, comme Marc

Aurèle et Dag Hammarskjöld, que chaque personne est obligée de prendre ses propres

responsabilités et d’accomplir les devoirs que la vie offre.

Dans La citadelle intérieure, Pierre Hadot évoque que l’exercice des

« devoirs »336 appelé par les stoïciens les « kathékontha », est considéré par Marc Aurèle

comme d’actions faites « au service de la communauté humaine ». Selon Epictète, le devoir

consiste entre autres « à dire ce qu’il faut dire, et à tout diriger comme il convient »337. La

conscience du devoir est également présente dans L’Heptaméron où Oisille, à la fin de la

cinquième journée, insiste sur l’accomplissement des devoirs : « [P]ensez de vostre part à bien

faire vostre devoir338 ». Cependant, si « faire son devoir » n’est pas bien compris, cela peut

avoir des conséquences catastrophiques. Dans l’histoire XXX de L’Heptaméron, une mère

couche avec son fils, lors d’une tentative de prouver à sa femme de chambre que son fils

n’avait pas de mauvaises intentions. La mère croyait que c’était son devoir d’éloigner son fils

de toute mondanité, afin de l’élever. La mère se prenait pour Dieu et commet par conséquent

un horrible péché. « Sachez, dist Parlamente, qu’au premier pas que l’homme marche en la

confiance de soy-mesmes, il s’eslonge d’autant de la confiance de Dieu339 ».

L’accomplissement des devoirs implique pour Marguerite aussi la charité.

Dans son poème Dialogue en forme de vision nocturne, elle entame entre autres une

discussion avec sa nièce défunte sur l’importance des bienfaits. Dans un premier instant,

Charlotte loue la bienfaisance de sa tante : « Vos grands bienfaits vous comptez et

marquez340 ». Or, quelques vers plus loin dans ce dialogue, elle ajoute que les bienfaits ne

                                                                                                                         334 Ibid., p. 18. 335 Abel Lefranc, op. cit., p. 23. 336 Pierre Hadot, La citadelle intérieure, Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, op. cit., p. 204. 337 Epictète, Discours philosophiques d’Epictète, Recueillis par Arrien et traduits du grec en français par A.P. Thurot, op. cit., p. 149. 338 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, op. cit., N50, p. 467. 339 Ibid., N30, p. 345.    340 Marguerite de Navarre, « Dialogue en forme de vision nocturne », dans Poésies chrétiennes, op. cit., p. 70, v.553.

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comptent pas s’ils ne sont pas faits dans la lumière de l’amour de Dieu : « Las! nul bienfait ne

compte vrai amour341 ». De plus, le vers « [c]ar le repos d’amour est travailler »342 signifie

que la bienfaisance et la charité sont nécessaires dans la vie. Sans elles l’homme n’arrive

jamais à l’amour de Dieu. Dieu nous oblige donc à la vie active, mais cette vie active est

toujours illuminée par l’amour de Dieu. Charlotte ajoute que sans la foi chrétienne, les

bienfaits ne suffisent pas pour être sauvé : « Vous ne ferez, par règle ni compas, / [p]lus grand

œuvres qu’un Turc ou un Juif, / [e]t pour cela sauvé ne serez pas343 ». Or la foi n’est pas une

condition suffisante pour parvenir à Dieu. Sans la bonté et la charité, elle ne signifie rien: « La

bonne œuvre c’est le bon cœur naïf, / [r]empli de foi par charité prouvée / [e]n son prochain, à

tout secours hâtif344 ».

                                                                                                                         341 Ibid., v. 556. 342 Ibid., v. 564. 343 Ibid., v. 565-567. 344 Ibid., p. 70-71, v. 578-570.  

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Conclusion

Comme Marc Aurèle et comme Dag Hammarskjöld, Marguerite de Navarre

était habitée par une profonde spiritualité. Mais tous les trois avaient un rôle politique

important à jouer en leur temps : la tâche d’intégrer la spiritualité dans leur vie de tous les

jours était donc plus difficile. Pierre Hadot souligne que l’empereur Marc Aurèle trouvait

néanmoins le temps de pratiquer chaque jour des exercices spirituels. On retrouve certains des

exercices spirituels, que Pierre Hadot a retrouvés dans les notes de Marc Aurèle, dans l’œuvre

de Marguerite de Navarre. Même s’il y a de grandes différences entre la sœur du roi François

et l’empereur romain, la méthode et le but des exercices qu’ils pratiquaient étaient similaires :

developper une méditation efficace, parvenir à une meilleure connaissance de soi, à une plus

grande maîtrise de soi. Il ressort de toute son œuvre que Marguerite de Navarre était

constamment à la recherche de Dieu et de l’amour de Celui-ci. L’étude de la vie spirituelle de

Dag Hammarskjöld montre également que celui-ci pensait que la seule chose vraiment

importante dont l’homme devait s’occuper était de désirer et de chercher Dieu345. Toute autre

chose comme la prière et même la mystique sont des grâces de Dieu qui se trouvent en dehors

de l’effort humain346. Toutefois, ce pouvoir et cette liberté divines n’exonèrent pas l’homme :

il est obligé d’accomplir ses devoirs et de surmonter tout obstacle qui survient sur sa route

vers Dieu. Cela semble également le point de départ pour Marguerite de Navarre.

En effet une grande partie de l’œuvre littéraire et religieuse de la reine de

Navarre est empreinte de ce désir et de cette volonté. Marguerite décrit les exercices spirituels

qu’elle pratique à cet effet. En outre, ses écrits sont un exercice spirituel. Par ces exercices

elle espère atteindre une connaissance de soi, une connaissance du monde et finalement une

connaissance de Dieu. Les exercices de l’attention, de la méditation, de la lecture, et de la

retraite ont pour but de « maîtriser le discours intérieur, pour le rendre cohérent, pour

l’ordonner à partir de ce principe simple et universel qu’est la distinction entre ce qui dépend

de nous et ce qui ne dépend pas de nous, entre la liberté et la nature »347. Marguerite de

Navarre essaie de « conduire par ordre ses pensées »348, comme dirait Descartes beaucoup

plus tard. Ces efforts pour essayer de connaître soi-même, le monde et Dieu visent au premier

                                                                                                                         345 Herwilg Arts, op. cit., p. 10. 346 Herwig Arts, op. cit., p. 10. 347 Pierre Hadot, Exercices spirtuels et philosophie antique, op. cit., p. 30. 348 René Descartes, Discours de la méthode, Introduction et notes par Etienne Gilson, Paris, Vrin, 1984, p. 35, 75.    

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instant à une compréhension de soi, du monde et de Dieu. Plus on se connaît, plus on se

maîtrise, plus on comprend le monde, plus on s’approche de Dieu.

Ensuite, la connaissance et la compréhension de soi, du monde et de Dieu

peuvent être considérées comme des moyens pour parvenir à la conversion. Marguerite

n’avait pas besoin d’être convertie à la religion catholique, elle était déjà catholique ; elle

désirait une toute autre conversion. Paula Sommers remarque que les poèmes Le petit œuvre

dévot et contemplatif, Le Dialogue en forme de vision nocturne, Le miroir de l’âme

pécheresse, La Navire, et Les Prisons décrivent tous les cinq le procès de la conversion qui

guide le narrateur de l’abîme du péché jusqu’à l’union mystique349. Marguerite de Navarre,

comme Marc Aurèle et Dag Hammarskjöld, écrit surtout pour atteindre cet état de la

conversion qui « opère un changement radical de vie »350 ; il s’agit de pratiquer, de

« professer un mode de vie différent de celui des autres hommes ». Les exercices spirituels

ont aidé Marguerite de Navarre et aussi Marc Aurèle par exemple à parvenir à « une

transformation totale de sa représentation du monde, de son climat intérieur, mais aussi de son

comportement extérieur »351. L’intérêt qu’elle éprouve pour la mystique, la maîtrise de soi et

le dialogue a conduit Marguerite à un niveau plus spirituel, qui est la conversion. Au début,

Marguerite ne semble écrire que pour elle-même ; à la fin de sa vie, elle encourage également

la conversion du lecteur, dont témoigne L’Heptaméron. Il s’agit d’aider les autres par son

exemple. La conversion n’est pas seulement dans l’esprit et dans le cœur, mais également

dans l’action. Il faut changer son mode de vie, vivre selon le discours.

Mais ce n’est pas seulement la finalité de l’écrit qui évolue. Une évolution

sprituelle ressort de toute l’œuvre de la reine. Sa foi a évolué au cours de sa vie. Son enfance

montre déjà sa grande aspiration aux lectures religieuse et spirituelle. Entre vingt et trente ans,

elle sent la nécessité d’un changement de la foi catholique, mais de l’intérieur. Elle entre en

contact avec la pensée protestante dans laquelle elle apprécie, entre autres, la possibilité d’une

relation personnelle avec Dieu. Souvent, ses poèmes chrétiens et mystiques rejoignent des

idées de la Réforme. A la fin de sa vie, Marguerite écrit son œuvre majeure L’Heptaméron, un

roman qui mêle la mondanité et la spiritualité. Cette œuvre montre que celle qui ne désirait

que s’approcher de Dieu semble avoir trouvé une façon d’intégrer l’homme dans son système

                                                                                                                         349  Paula Sommers, op. cit., p. 10.    350 Pierre Hadot, La citadelle intérieure, Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, op. cit., p. 17.    351 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 31.

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de pensée. Ce renversement est tel que Lucien Febvre se demande, dans Amour sacré, amour

profane, si Marguerite, avec l’Heptaméron, trahit son passé de ferveur religieuse:

Le tout est de savoir si, quand elle écrivit L’Heptaméron, la reine de Navarre avait conscience, ou non, de rompre avec ses activités chrétiennes et d’être la femme double – celle qui dit : « C’est moi, la croyante, qui fis le Miroir de l’âme pécheresse et les Prisons. Et c’est cette mondaine, frivole et galante, qui rédigea, la vilaine, le Décaméron du roi qui s’amusait… » En fait, nous le verrons ; point de nouvelle où quelque passage n’atteste valablement que les convictions de Marguerite sont restées les mêmes de 1520 à 1550352.

D’une part, L’Heptaméron est une œuvre mondaine, parfois même érotique.

D’autre part, à travers des débats, les histoires racontées sont toujours évaluées par rapport à

ce qui est écrit dans la Bible. Par conséquent, c’est une œuvre remplie de leçons morales. Dès

lors il semble bien que la conviction religieuse de Marguerite est restée intacte. Elle est peut-

être moins rigoureuse. Il semble bien que la reine, avec la rédaction de L’Heptaméron, se rend

compte, plus que jamais, que le péché est inhérent à la nature de l’homme. La constellation

même de l’histoire, l’isolement dans lequel se trouvent les devisants, les oblige à réfléchir sur

cette condition, à élaborer, cahin-caha, des stratégies pour dépasser leurs propres limites, pour

corriger leurs propres travers. La montée des eaux qui rappelle le déluge biblique les oblige à

fuir, certes. La routine de la journée imposée par la sage Oisille permet à la fois d’évacuer

l’angoisse comme elle ôte toute possibilité de fuite. La conversation est un exercice spirituel à

la portée de tous.

Mais cette conversation ne peut se faire sans règles. La prise de parole est

organisée, chacun est invité à s’exprimer. Par ailleurs, la volonté de demeurer près de la

réalité – l’exigence de dire la vérité – permet d’éviter que la conversation ne devienne simple

divertissement. Il ne s’agit pas de refaire le Décaméron. Les devisants ne se racontent pas de

simples histoires : il s’agit d’histoires vraies. L’impact de ces histoires est donc plus grand : la

réalité de ces histoires oblige les participants à méditer sur la vie qu’ils mènent normalement.

Ils la jugeront avec distance et sérénité. Notons qu’ils se trouvent dans un monastère en haut

d’une montagne. En somme, ils contemplent leur vie « d’en haut ». De cette hauteur les soucis

et les obligations quotidiennes retrouvent leur juste mesure.

                                                                                                                         352 Lucien Febvre, op. cit., p. 17-18.

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Méditer, se maîtriser, prendre la hauteur, c’est ce que Marguerite de Navarre a

essayé toute sa vie. Dans sa biographie sur Marguerite de Navarre, Marie Cerati décrit la reine

comme « tête pensante et femme d’action »353. À travers l’écriture, la reine a réussi à mener

une vie spirituelle sans pour autant renoncer à ses devoirs politiques, sociaux, familiaux, etc.

Pour elle, les exercices étaient nécessaires afin d’accomplir toutes ses tâches de manière

correcte et efficace, comme l’a fait, avant elle, Marc Aurèle, et comme l’a tenté Dag

Hammarskjöld. Il semble que Marguerite avait besoin des exercices spirituels afin de

maîtriser tout ce qui lui arrivait. Ces exercices spirituels la rendaient forte et la poussaient à

s’engager dans le monde qui, selon ce qu’elle croyait, était la création de Dieu.

                                                                                                                         353 Marie Cerati, op. cit., couverture

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Bibliographie Sources primaires : Marguerite de Navarre Guillaume BRICONNET, Marguerite D’ANGOULÊME, Correspondance (1521-1524), I, Années 1521-1522, Edition du texte et annotations par Christine Martinaeau et Michel Veissière avec le concours de Henry Heller, Genève, Droz, 1979. Guillaume BRICONNET, Marguerite D’ANGOULÊME, Correspondance (1521 – 1524), II, Années 1523-1524, Edition du texte et annotations par Christine Martinaeau et Michel Veissière avec le concours de Henry Heller, Genève, Droz, 1979. Marguerite D’ANGOULEME, Le Miroir de l’Ame pecheresse par Treschrestienne Princesse Marguerite de France, Roine de Navarre, Lyon, Pierre de Tours, 1549. Marguerite D’ANGOULEME reine de Navarre, Le miroir de l’âme pécheresse, Edition critique avec une introduction et des notes par Joseph L. Allaire, München, Wilhelm Fink, 1972. Marguerite D’ANGOULEME, « Oraison à nostre seigneur Jesu-christ, du pecheur contrit et penitent, impetrative de grace et remission pour les delictz », dans Le miroir de l’âme pécheresse, Edition critique avec une introduction et des notes par Joseph L. Allaire, München, Wilhelm Fink, 1972. Marguerite DE NAVARRE, Chansons spirituelles, Edition critique par Georges Dottin, Genève, Librairie Droz, 1971. Marguerite DE NAVARRE, « Dialogue en forme de vision nocturne », cité par Abel Lefranc, Les idées religieuses de Marguerite de Navarre d’après son oeuvre poétique (les Marguerites et les Dernières Poésies), Paris, Librairie Fischbacheb, 1898. Marguerite DE NAVARRE, « Dialogue en forme de vision nocturne », dans Poésies chrétiennes, éd. Nicole Cazauran, Paris, Les éditions du Cerf, 1996. Marguerite DE NAVARRE, Les comédies bibliques, Edition critique par Barbara Marczuk avec la collaboration de Beata Skrzeszewska et Piotr Tylus, Genève, Droz, 2000. Marguerite DE NAVARRE, Les Marguerites de la Marguerite des princesses, texte de l’édition de 1547, Publié avec Introduction, Notes et Glossaire par Félix Frank, Tome premier, Paris, Librairies des Bibliophiles, 1873. Marguerite DE NAVARRE, « Oraison de l’âme fidèle », dans Les Marguerites de la Marguerite des princesses, texte de l’édition de 1547, Publié avec Introduction, Notes et Glossaire par Félix Frank, Tome premier, Paris, Librairies des Bibliophiles, 1873.

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Marguerite DE NAVARRE, « Comédie du désert », dans Les Marguerites de la Marguerite des princesses, texte de l’édition de 1547, Publié avec Introduction, Notes et Glossaire par Félix Frank, Tome premier, Paris, Librairies des Bibliophiles, 1873. Marguerite DE NAVARRE, Les Prisons, Genève, Edition et commentaire par Simone Glasson, Librairie Droz, 1978. Marguerite DE NAVARRE, Pater Noster, cité par France Giacone, « Le premier ouvrage de Marguerite de Navarre », dans Marguerite de Navarre 1492 – 1992, Actes du Colloque international de Pau (1992), Textes réunis par Nicole Cazauran et James Dauphiné, Mont-de-Marsan, Editions interuniversitaires, 1995. Marguerite DE NAVARRE, L’Heptaméron (1559), Edition présentée et annotée par Nicole Cazauran, Paris, Gallimard, 2000. Marguerite DE NAVARRE, Poésies chrétiennes, Introduction, choix et notes par Nicole Cazauran, Paris, Les éditions du Cerf, 1996. Marguerite DE NAVARRE, « La Navire », Poésies chrétiennes, éd. Nicole Cazauran, Paris, Les éditions du Cerf, 1996. Marguerite DE NAVARRE, « La Navire », cité par Paula Sommers, dans Celestial Ladders : readings in Marguerite de Navarre’s poetry of spiritual ascent, Genève, Droz, 1989. Marguerite DE NAVARRE, « Petit œuvre dévot et contemplatif », dans Poésies chrétiennes, éd. Nicole Cazauran, Paris, Les éditions du Cerf, 1996. Marguerite DE NAVARRE, « Miroir de Jésus-Christ crucifié », éd. Nicole Cazauran, dans Marguerite de Navarre, Poésies chrétiennes, Paris, Les éditions du Cerf, 1996. Autres sources primaires Henri BLOCHER, Jean-Claude DUBS, Mario ECHTLER, Jean-Claude VERRECCHIA (dir.), La Nouvelle Bible Segond : Ancien et Nouveau Testament, Traduits de l’hébreu et du grec, coordination Didier Fougeras, Villiers-le-Bel, Alliance biblique universelle, 2007. BRANTOME, Vie des dames illustres françoises et étrangères, nouvelle édition avec une introduction et des notes par Louis Moland, Paris, Garnier frères, 1868. DANTE, La divine comédie, Paris, Les Libraires Associés, 1965. Saint François DE SALES, Introduction à la vie dévote (1608), Paris, Frédéric Léonard, 1696.

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Table

Remerciements  ...............................................................................................................................  2  

Introduction  ....................................................................................................................................  5  

1.   Une  sympathie  pour  les  idées  de  la  Réforme  .........................................................................  11  1.1.   Une période tumultueuse  ........................................................................................................  11  1.2.   Dévotio Moderna  ....................................................................................................................  11  1.3.   La Réforme  .............................................................................................................................  12  1.4.   Briçonnet, père spirituel de Marguerite  .................................................................................  13  1.5.   Le catholicisme ou le protestantisme  ......................................................................................  15  

2.   Entre  littérature,  politique  et  religion  ....................................................................................  19  2.1.   Écrire d’après une motivation intrinsèque  .............................................................................  19  2.2.   Marguerite, femme politique  ..................................................................................................  22  2.3.   La quête constante vers l’amour de Dieu  ...............................................................................  23  2.4.   La compatibilité de la littérature, de la politique et de la religion  .........................................  26  

3.   La  méthode  :  des  exercices  spirituels  .....................................................................................  28  3.1.   Définition et origine  ...............................................................................................................  28  3.2.   Les exercices spirituels de Marguerite de Navarre  ................................................................  30  

3.2.1.   L’attention  .......................................................................................................................  30  3.2.2.   La retraite  ........................................................................................................................  33  

3.2.2.1.   Une habitude quotidienne  ........................................................................................................  33  3.2.2.2.   Des retraites  .............................................................................................................................  34  3.2.2.3.   La retraite faute d’amour  .........................................................................................................  35  

3.2.3.   La lecture  .........................................................................................................................  37  3.2.3.1.   L’art de lire  ..............................................................................................................................  37  3.2.3.2.   La lecture de la Bible  ...............................................................................................................  39  3.2.3.3.   La philosophie antique et l’humanisme  ...................................................................................  41  

3.2.4.   La méditation et la contemplation  ...................................................................................  43  3.2.5.   Une attirance pour la mystique  ........................................................................................  45  

3.2.5.1.   Entre terre et ciel  ......................................................................................................................  45  3.2.5.2.   L’itinéraire spirituel vers Dieu  .................................................................................................  47  3.2.5.3.   Une union avec Dieu  ...............................................................................................................  49  

3.2.6.   Le dialogue spirituel  ........................................................................................................  51  3.2.6.1.   Le dialogue avec un Dieu personnel  ........................................................................................  52  3.2.6.2.   Le dialogue entre humains  .......................................................................................................  55  

3.2.7.   La maîtrise de soi  ............................................................................................................  56  3.2.7.1.   Le péché  ..................................................................................................................................  57  3.2.7.2.   La grâce  ...................................................................................................................................  59  3.2.7.3.   L’ignorance  ..............................................................................................................................  61  3.2.7.4.   L’accomplissement des devoirs  ...............................................................................................  63  

Conclusion  ....................................................................................................................................  66  

Bibliographie  ................................................................................................................................  70  (25292 mots)