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Education et Sociétés Plurilingues n°27-décembre 2009 Le CECR : au service de l’évaluation ? Emmanuelle HUVER Le CECR s’est répandu de manière extrêmement rapide dans les pratiques d’évaluation de la compétence langagière, faisant apparaître le Cadre comme un outil au service d’une évaluation harmonisée et transparente, et l’évaluation comme un moyen de diffuser les finalités visées par le Conseil de l’Europe. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’est pas sûr que l’utilisation qui est faite actuellement du CECR favorise le développement de pratiques évaluatives plurielles, ni la promotion de principes tels que l’approche actionnelle ou la compétence plurilingue et pluriculturelle. Der Gemeinsame europäische Referenzrahmen für Sprachen (GER) ist seit seiner Erscheinung in das Feld der Beurteilung rasch integriert worden. Dementsprechend gilt er heutzutage als ein Hilfsmittel für transparente und angeglichene Beurteilungsverfahren, und zugleich gilt die auf dem GER begründete Beurteilung als ein Verbreitungsmittel der Richtlinien des Europarats. Doch ist es nicht so sicher, dass der heutige Verbrauch des GERs weder die Entwicklung von Beurteilungsverfahrenvielfalt, noch die Unterstützung von Prinzipizn (wie dem handlungorientierten Ansatz oder der mehrsprachigen und plurikulturellen Kompetenz) fördert. Les finalités du Cadre européen commun de référence (désormais CECR) sont actuellement largement diffusées et s’articulent grosso modo autour de trois pôles : Diffuser une approche actionnelle de l’enseignement/apprentissage et de l’évaluation des langues, et, plus largement, fournir un cadre de référence permettant d’analyser et de contextualiser les situations d’enseignement, d’apprentissage, d’appropriation et d’usage des langues ; Promouvoir le plurilinguisme dans l’espace européen par la valorisation de la compétence plurilingue et pluriculturelle ; Favoriser la construction d’une citoyenneté et d’une identité européennes, entre autres par l’incitation à la mobilité (éducative, professionnelle, touristique) au sein de l’espace européen. Dans ces perspectives, le CECR propose différents outils permettant d’élaborer des activités et des référentiels d’évaluation plus harmonisés, plus transparents et/ou visant à développer les finalités évoquées ci-dessus. Etant donné son impressionnante et rapide diffusion dans les pratiques évaluatives, on pourrait donc penser que le CECR est un outil au service de l’évaluation, et réciproquement, que l’évaluation pourrait constituer un levier de diffusion des finalités visées par le Conseil de l’Europe. Pourtant, en y regardant de plus près, il convient de nuancer cette assertion, tant sont

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Education et Sociétés Plurilingues n°27-décembre 2009

Le CECR : au service de l’évaluation ?

Emmanuelle HUVER

Le CECR s’est répandu de manière extrêmement rapide dans les pratiques d’évaluation de la compétence langagière, faisant apparaître le Cadre comme un outil au service d’une évaluation harmonisée et transparente, et l’évaluation comme un moyen de diffuser les finalités visées par le Conseil de l’Europe. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’est pas sûr que l’utilisation qui est faite actuellement du CECR favorise le développement de pratiques évaluatives plurielles, ni la promotion de principes tels que l’approche actionnelle ou la compétence plurilingue et pluriculturelle.

Der Gemeinsame europäische Referenzrahmen für Sprachen (GER) ist seit seiner Erscheinung in das Feld der Beurteilung rasch integriert worden. Dementsprechend gilt er heutzutage als ein Hilfsmittel für transparente und angeglichene Beurteilungsverfahren, und zugleich gilt die auf dem GER begründete Beurteilung als ein Verbreitungsmittel der Richtlinien des Europarats. Doch ist es nicht so sicher, dass der heutige Verbrauch des GERs weder die Entwicklung von Beurteilungsverfahrenvielfalt, noch die Unterstützung von Prinzipizn (wie dem handlungorientierten Ansatz oder der mehrsprachigen und plurikulturellen Kompetenz) fördert.

Les finalités du Cadre européen commun de référence (désormais CECR) sont actuellement largement diffusées et s’articulent grosso modo autour de trois pôles :

• Diffuser une approche actionnelle de l’enseignement/apprentissage et de l’évaluation des langues, et, plus largement, fournir un cadre de référence permettant d’analyser et de contextualiser les situations d’enseignement, d’apprentissage, d’appropriation et d’usage des langues ;

• Promouvoir le plurilinguisme dans l’espace européen par la valorisation de la compétence plurilingue et pluriculturelle ;

• Favoriser la construction d’une citoyenneté et d’une identité européennes, entre autres par l’incitation à la mobilité (éducative, professionnelle, touristique) au sein de l’espace européen.

Dans ces perspectives, le CECR propose différents outils permettant d’élaborer des activités et des référentiels d’évaluation plus harmonisés, plus transparents et/ou visant à développer les finalités évoquées ci-dessus. Etant donné son impressionnante et rapide diffusion dans les pratiques évaluatives, on pourrait donc penser que le CECR est un outil au service de l’évaluation, et réciproquement, que l’évaluation pourrait constituer un levier de diffusion des finalités visées par le Conseil de l’Europe. Pourtant, en y regardant de plus près, il convient de nuancer cette assertion, tant sont

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parfois grands les décalages entre les finalités et leur appropriation dans les représentations, les discours et les pratiques. Ainsi, j’analyserai dans un premier temps l’impact du CECR sur les pratiques évaluatives, pour m’intéresser ensuite plus particulièrement aux liens entre ces évolutions, les pratiques effectives et les finalités initiales du CECR.Entre le CECR et l’évaluation : une histoire d’amour ? A priori, on pourrait parler d’une histoire d’amour partagé entre évaluation et CECR. En effet, l’évaluation occupe une place centrale dans le Cadre, et réciproquement, les outils d’évaluation actuels se réfèrent massivement à cette publication.

L’évaluation dans le CECRLa place centrale de l’évaluation dans le CECR est repérable dès le titre de l’ouvrage : « Cadre européen commun de référence pour les langues. – Apprendre, enseigner, évaluer ». Au-delà de cet effet d’annonce, la notion d’évaluation est par ailleurs présente non seulement dans un chapitre qui lui est exclusivement consacré, mais également de manière transversale dans l’ensemble de l’ouvrage dès lors qu’y sont abordées les notions d’échelles et de descripteurs.

Le chapitre 9 : spécifiquement consacré à l’évaluation Ce chapitre vise à « présenter les différentes finalités de l’évaluation et les types d’évaluation qui y correspondent, à la lumière de la nécessité de réconcilier les critères concurrentes d’exhaustivité, de précision et de possibilité opératoire » (Conseil de l’Europe 2001 : 8). On peut en retenir les éléments suivants : il se centre sur l’évaluation de la compétence en langue, et non sur d’autres aspects connexes à ce domaine, comme par exemple l’évaluation des activités pédagogiques, des curricula, des programmes, etc.

il problématise la notion et les pratiques d’évaluation en posant la question de la compatibilité entre validité, fiabilité, et faisabilité) ;

il pose le CECR comme une ressource pour l’évaluation, dans une triple perspective de spécification du contenu des tests et des examens, de formulation des descripteurs de performance et de description des niveaux de compétence.

il présente une liste de paramètres dont les combinaisons multiples, variables et complexes permettent de rendre compte de la diversité des pratiques d’évaluation possibles selon des usages, des représentations et des contextes diversifiés.

Un traitement transversal

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L’évaluation est également présente de manière transversale dans le CECR par la spécification et le croisement d’une dimension horizontale et d’une dimension verticale : la dimension verticale renvoie aux échelles de niveaux communs de référence (les désormais classiques « 6 niveaux » A1 à C2) ;

la dimension horizontale renvoie aux paramètres des activités communicatives (réception / production / médiation ; orale / écrite) ainsi qu’aux composantes – linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques – de la compétence langagière (pour une discussion terminologique et conceptuelle de ce modèle, cf. Huver 2003).

Le croisement de ces deux dimensions permet de définir des niveaux de compétence pour chaque activité de communication (chapitres 3 et 4.) et chaque composante de la compétence langagière (chapitre 5). Ces échelles par niveaux de compétence constituent bien évidemment des outils de première utilité pour l’élaboration d’activités et de référentiels d’évaluation transparents et harmonisés. En effet, l’ensemble des descripteurs ainsi mis à disposition constitue une sorte de banque de données, que l’on peut mobiliser et combiner en fonction d’objectifs et/ou de contextes d’évaluation singuliers. En voici quelques exemples : le DELF/DALF est une certification sous forme d’évaluation par niveau : les niveaux sont étalonnés sur ceux du CECR par le choix des documents et des activités, qui se fondent sur les descripteurs des quatre activités langagières (production/réception écrit/oral), ainsi que par grilles d’évaluation de chaque niveau, qui se fondent, au moins en partie, sur les composantes de la compétence langagière.

DIALANG est une évaluation diagnostique couvrant les six niveaux du CECR pour 14 langues européennes, où les différentes phases de l’évaluation (pré-test, évaluation des connaissances et des compétences langagières, résultat par positionnement sur une échelle) se fondent sur les descripteurs du CECR.

Le CECR dans l’évaluationOn comprend d’autant mieux la rapidité et l’ampleur de la diffusion de ces outils qu’il est peu pertinent de mener ce travail de mise en correspondance entre des niveaux et des descripteurs de manière isolée dans un environnement éducatif par ailleurs de plus en plus globalisé et interconnecté. Mais surtout, il s’agit d’un enjeu fondamental pour l’harmonisation des certifications, notamment au niveau européen.

Alignement des évaluations sur le CECRLa plupart des certifications européennes se sont alignées sur les niveaux du CECR, selon des modalités différenciées : refonte des modalités d’évaluation afin de les adosser explicitement au CECR. C’est le cas en France du DELF/DALF, qui a été modifié en 2005 à la demande du ministère de l'Education nationale français. La même démarche a été adoptée en espagnol pour le

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DELE (Diplomas de Español como Lengua Extranjera), qui propose trois certifications, évaluant respectivement les niveaux B1, B2 et C2.

élaboration de tests de positionnement étalonnés sur tout ou partie des niveaux du Cadre : c’est le cas du TOEICpour l’anglais (de A1 à C1), ou du WIDAF pour l’allemand (de A2 à C2) ;

production de tableaux de correspondance entre les niveaux ad hoc des certifications et les niveaux du CECR. C’est par exemple le cas du TOEIC pour l’anglais ou du Test DaF pour l’allemand.

Les évaluations diagnostiques, destinées à l’orientation des apprenants, s’appuient elles aussi de plus en plus massivement sur les niveaux du CECR, qui servent de base :

à la préconisation de formations linguistiques. C’est par exemple le cas des entretiens mis en place en France dans le cadre du Contrat d’accueil et d’intégration, qui visent à évaluer si le candidat a atteint le niveau A1.1 du CECR, seuil en deçà duquel il est dans l’obligation de suivre des cours de français ;

à la constitution de groupes-classes fondés sur les niveaux du CECR, pratique qu’on retrouve par exemple dans de nombreuses écoles de langues.

Mais le CECR n’a pas seulement un impact fort sur l’harmonisation des outils et des pratiques d’évaluation existants, il a également contribué à générer de nouveaux types d’outils.

Emergence de nouveaux outilsLe Portfolio européen des langues (désormais PEL) est né dans la mouvance des réflexions et travaux qui ont donné lieu à la publication du CECR et mobilise de ce fait, de manière diversifiée selon les PEL, les niveaux communs de référence et les activités langagières pour produire des descripteurs permettant l’auto-évaluation des compétences en langues des locuteurs.Par ailleurs, les scénarios d’évaluation, en tant qu’ensemble d’activités d’évaluation libellées sous forme de tâches vraisemblables destinées à la réalisation d’un projet donné, sont particulièrement cohérents avec l’approche actionnelle préconisée par le Conseil de l’Europe, ce qui a contribué à légitimer des certifications sous forme de scénario comme le DCL (Diplôme de compétence en langue) et le CLES (Certificat de compétences en langues de l’enseignement supérieur).

Une diffusion qui s’élargitLe CECR comme fondement de l’évaluation se diffuse actuellement au-delà du champ de l’ingénierie pédagogique pour devenir une référence incontournable au niveau économique, politique et éducatif :

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au niveau économique : les niveaux communs de référence du CECR servent de base au passeport de langues du CV-Europass ;

au niveau politique : le CECR est mobilisé dans le cadre des tests mis en œuvre pour évaluer la maitrise de la langue des pays où les migrants ont le projet de travailler et /ou de s’intégrer. Ainsi, l’obtention de la nationalité est conditionnée par le niveau de langue, variable selon les pays européens, mais exprimé pour tous en fonction des niveaux communs de référence du CECR (A1 en Autriche, A2 aux Pays Bas, B1 en Allemagne, par exemple).

au niveau éducatif : le CECR sert de base non seulement à l’élaboration des programmes scolaires, mais également à la spécification et à l’évaluation des niveaux langagiers attendus dans l’ensemble du cursus scolaire. Ainsi, en Slovaquie, on attend les niveaux suivants en fin d'études au lycée ou dans les écoles secondaires : niveau A (B2 du CECR), B (B1 du CECR) et C (A2 du CECR). Par ailleurs, les systèmes scolaires européens ont actuellement tendance à externaliser leurs certifications, en proposant à leurs élèves de passer des certifications étrangères fondées sur les niveaux de référence du CECR. Ainsi, en France, certains élèves (1) sont encouragés à passer une certification de niveau B1 proposée par un organisme internationalement reconnu : le Cambridge ESOL pour l'anglais, l'Institut Cervantes pour l'espagnol, la K.M.K. (Conférence des ministres de l'éducation des Länder) pour l'allemand. A l’inverse, les élèves des autres pays européens apprenant le français ont la possibilité de passer le DELF scolaire.

Etant donné cette diffusion à la fois massive et rapide, on pourrait donc penser que le CECR constitue un outil au service de l’évaluation, favorisant l’émergence ou la consolidation de pratiques harmonisées, transparentes et innovantes, et ce, dans l’ensemble de l’espace européen. Cependant, dès lors qu’on s’intéresse à l’articulation entre finalités, représentations, discours et pratiques effectives, on ne peut que modérer cet optimisme. En effet, le bilan qu’on peut tirer à l’heure actuelle, certes provisoire, est plutôt en demi-teinte, dans la mesure où des paradoxes et des décalages se font jour, qui appellent à la vigilance et inaugurent en même temps des perspectives renouvelées de recherche.Une histoire d’amour qui repose sur des malentendus ?

Une évaluation transparente ? Lorsqu’on s’intéresse aux pratiques effectives d’évaluation, on constate rapidement qu’elles sont tellement diverses qu’elles sont loin d’être transparentes, et ce, même si les acteurs se fondent sur les niveaux de référence et les descripteurs proposés par le CECR et les différents référentiels de niveaux qui en découlent. En effet, quelle que soit la précision des référentiels élaborés, la notation procède avant tout d’une négociation entre des productions effectives et des contraintes contextuelles. Ces arrangements se manifestent par exemple

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dans les stratégies de notation mises en œuvre par les enseignants, malgré – et parfois contre – l’usage de critères et de référentiels explicites.De la même manière, les niveaux communs de référence sont parfois sujets à des mises en œuvre inexactes, calques de pratiques habituelles non interrogées et/ou de représentations non déconstruites. Ainsi, à l’université où j’exerce, des cours de langue sont proposés aux étudiants à raison de 24 heures par semestre pendant six semestres. Pour certaines langues, les six cours successifs ont pris le nom des niveaux de référence du CECR (de A1 à C2), alors qu’il est évident qu’un étudiant ne peut atteindre le niveau C2 en 6 fois 24 heures ! De même, lorsqu’on interroge les enseignants sur leur interprétation des niveaux du CECR, on se rend compte que certains en ont un usage intuitif, sans référence précise aux descripteurs sur lesquels les niveaux se fondent. « Chercheur : et disons pour les deux premiers niveaux alors, en quoi ça correspond ? vous vous appuyez sur quoi pour dire que ça correspond [aux niveaux du CECR] ?

Enseignant : ben parce que le premier niveau, c’est vraiment des gens qui n’ont jamais vu la langue, mais puisque c’est de l’italien et que c’est très proche du français, ils arrivent quand même, si je leur parle doucement, ils arrivent quand même, même s’ils ont jamais entendu l’italien, ils arrivent quand même à saisir quelques mots et ils arrivent parce qu’ils ont entendu, parce qu’ils savent dire 3 ou 4 mots qui sont très récurrents, même dans la langue française et qu’on sait que ça vient de l’italien, ils savent dire quand même je suis, ou qqs trucs comme ça, donc, bon, ça c’est débutant. Et après 24h de cours faits comme ça, ils arrivent quand même à se présenter, ils arrivent quand même à demander leur chemin, ils arrivent quand même à se faire comprendre et à avoir des petits dialogues, donc on peut estimer qu’ils sont véritablement passés à un niveau A2 du Cadre, parce qu’ils arrivent à exprimer un minimum de références, et à poser des questions. bon après, sur les intermédiaires, c’est plus difficile, ça dépend vraiment du travail personnel, parce que en 48h de cours, on peut leur expliquer plein de choses mais après c’est beaucoup de travail personnel aussi. Donc, ceux qui travaillent beaucoup à la maison, qui assimilent tout ce qu’on fait, on pourrait estimer qu’ils pourraient y arriver, à un vrai niveau B1. » (Corpus Huver).

Des pratiques plurielles ? Le CECR a été initialement conçu comme un outil d’analyse des contextes d’enseignement/apprentissage et de leur diversité. Dans le domaine de l’évaluation, son usage et sa diffusion auraient donc dû, de la même manière, favoriser une pluralité de pratiques évaluatives. Or, il semblerait que la tendance soit plutôt à leur uniformisation.En effet, à l’heure actuelle, le CECR est fréquemment utilisé pour fonder le développement d’évaluations certificatives, circonscrivant de fait la pluralité des pratiques évaluatives. La terminologie même du Cadre invite à privilégier cette fonction de l’évaluation au détriment des autres : il y est

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en effet massivement question de « tests », d’« examens », de « systèmes de qualification ». C’est dans cette même perspective que s’inscrit le Manuel pour relier les examens de langues au Cadre européen commun de référence pour les langues. Conformément à son titre, ce document vise à améliorer l’articulation entre les certifications en langues et le CECR, et à encourager la transparence et la mise en réseau des organismes de certification. Il ne s’agit donc pas tant de prendre en compte la pluralité des pratiques et des fonctions évaluatives que de cibler plus particulièrement l’une d’entre elles, à savoir la fonction sommative / certificative.Au sein même des certifications, on observe également des tendances à l’uniformisation des contenus et des modalités de passation. Evaluation ContenusTOEFLAnglais universitaire

- compréhension orale (50 items)- structures et expression écrite (40 items)- compréhension écrite (50 items)- expression écrite (un thème)

TOEICAnglais professionnel

200 QCM portant sur : - compréhension écrite (100 items)- compréhension orale (100 items)

WIDAFAllemand économique

150 QCM portant sur :- vocabulaire et grammaire- compréhension écrite- compréhension orale

ELYTEEspagnol professionnel

- compréhension écrite de textes authentiques à caractère socio-économique- vocabulaire professionnel- grammaire active- compréhension orale la d’une histoire d’entreprise

TCFFrançais général

80 QCM portant sur :- compréhension orale (30 items)- structures de la langue (20 items)- Compréhension écrite (30 items)

TEFFrançais général

150 QCM portant sur : - Compréhension écrite (50 items)- Compréhension orale (60 items)- Lexique et structure (40 items)

CLIP Italien professionnel

150 QCM portant sur :- Grammaire - Vocabulaire - Compréhension écrite - Compréhension orale

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Il serait évidemment caricatural d’affirmer que le CECR ne traite que des évaluations certificatives et sommatives : son centre de gravité se situe certes à ce niveau, mais le chapitre 9 contient également une section exposant les choix entre différents types d’évaluation, leurs inconvénients, avantages et implications. Cette section vise donc vraisemblablement à expliciter la diversité des options possibles en matière d’évaluation. Toutefois, on sait que le Cadre est souvent interprété comme une norme et non comme un outil d’analyse, ce qui est vraisemblablement sans doute également valable pour l’évaluation, et ce d’autant plus que les options sont présentées en binômes opposés, renforçant ainsi la cristallisation de représentations dichotomiques et clivantes.De même, les PEL visent à valoriser et renforcer les pratiques d’auto-évaluation, entendues comme activité de conscientisation et de régulation de l’apprentissage à des fins d’autonomisation de l’apprenant. Cependant, cette fonction n’étant pas toujours perçue et mise en œuvre (faute entre autres de formation des enseignants), l’usage du portfolio se réduit souvent au fait de « cocher des croix », sans interrogation sur le sens et les enjeux de cette démarche, tant au niveau de l’enseignement que de l’apprentissage. De même, certains enseignants assimilent cet outil à un document de référence pour la conception des cours, à un guide pédagogique, à un manuel ou encore à un livret scolaire. « Lorsque nous avons reçu le Portfolio européen des langues dans notre établissement, nous avons tous été très séduits par ce qui nous est apparu comme un instrument, prêt à l’usage, d’auto évaluation – celle-ci étant certainement l’une des premières étapes dans le sens de l’autonomie des élèves. Nous avons donc présenté le Portfolio en classe, indiqué aux élèves la manière de le remplir… et nous avons attendu que le miracle se produise ! Un mois plus tard, au moment de vérifier les premiers résultats, avec nos « partenaires », dans le cadre des sessions organisées en classe de seconde, nous avons constaté que rien n’avait changé. Certes, les élèves semblaient intéressés par l’idée du Portfolio ; mais il était évident que, sans un engagement encore plus marqué de la part des professeurs, le PEL allait rester à l’état de « manuel scolaire » - un de plus ! -, que les élèves ne daigneraient pas ouvrir par eux-mêmes. » (Little coord. s.d.: 19)

L’institutionnalisation de ce type d’outil ouvre donc un large champ de recherche quant à son appropriation, singulière et contextualisée, par les différents acteurs concernés (enseignants, apprenants, chefs d’établissements / directeurs d’écoles de langues, etc.).

L’amour vache ! Cette uniformisation des pratiques évaluatives par sur-valorisation des certifications et des approches objectivantes et quantitatives de l’évaluation soulève quelques questions, dans la mesure où les pratiques évaluatives qui se fondent actuellement sur le CECR se retournent d’une certaine manière

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contre les finalités que celui-ci défend, à savoir : contextualisation, approche actionnelle, compétence plurilingue et pluriculturelle.Ainsi, on ne peut que constater le développement d’évaluations universalistes, c’est-à-dire utilisées quel que soit le contexte. C’est par exemple le cas du DELF scolaire proposé en France à des enfants allophones migrants nouvellement arrivés, alors que cette certification est initialement conçue pour des enfants apprenant le français en contexte alloglotte, et non à des fins d’intégration scolaire et sociale. Par ailleurs, les liens entre évaluation et perspective actionnelle apparaissent également comme problématiques. En effet, l’approche actionnelle valorise les tâches collaboratives et/ou interdisciplinaires, alors que les évaluations existantes ne tiennent pas compte de ces dimensions, et que le CECR n’est que de peu d’aide sur ces questions (absence de descripteurs, de propositions, etc.). De même, les certifications se fondant sur une approche actionnelles sont rares et assez peu répandues (en France, seuls le DCL et le CLES existent, mais ils sont relativement peu utilisés, en comparaison de la forte diffusion du TCF par exemple), au motif que leur passation et leur correction sont trop couteuses et qu’elles sont trop subjectives. Enfin, la compétence plurilingue et pluriculturelle et la compétence interculturelle (ou de médiation) restent à ce jour les grandes oubliées de l’évaluation. En effet, hormis le PEL, qui vise à leur prise en compte et à leur valorisation, il n’existe aucune évaluation – notamment certificative – reconnue et diffusée de ces compétences, ni aucune intégration de ces éléments à l’évaluation de la compétence langagière. En effet, les certifications diplômantes évaluent généralement l’ensemble des activités langagières sur la base d’un même niveau de compétence, passant de fait sous silence la notion de compétence partielle (on peut en effet avoir un niveau A1 en production, mais B1 en compréhension par exemple). De même, on continue massivement à « évaluer monolingue », alors que se développent de plus en plus d’approches didactisées de la variation linguistique et culturelle (intercompréhension, éveil aux langues, didactique intégrée, approche interculturelle). Pourtant, on pourrait facilement imaginer des activités d’évaluation plurilingues, parmi lesquelles : lecture/écoute en d’autres langues (plus ou moins connues, plus ou moins linguistiquement proches, etc.) pour en inférer le contenu et le résumer, répondre à des questions, faire des synthèses, collecter des informations, etc.

résumé en L1 de discours produits en L2/L3 (et inversement)

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participation à des situations de communication plurilingues (jeux de rôles)

constitution de dossiers de lecture plurilingues, etc.

Cependant, les questions qui se posent ici ne sont pas uniquement techniques : la conception de telles activités et de tels référentiels interrogent en effet fondamentalement le statut de l’erreur : par exemple, dès lors qu’on invite au contact et au mélange des langues – inhérents aux pratiques et aux stratégies plurilingues – peut-on considérer ceux-ci comme « fautifs », alors qu’ils constituent fondamentalement un savoir-faire discursif ? Il s’agit en quelque sorte d’une révolution copernicienne, qui touche profondément les représentations de ce qui est acceptable ou non.Conclusion : les histoires d’amour finissent mal… en général ? Ces quelques exemples montrent que le CECR, mais surtout l’interprétation qui en est faite actuellement, mènent à une uniformisation des pratiques d’évaluation autour des pôles suivants :

• survalorisation de la fonction certificative (induisant des effets de « bachotage », contre-productifs dans une perspective formative) ;

• survalorisation des six niveaux, sans que ceux-ci soient articulés aux descripteurs qui les fondent ;

• sous-valorisation de la nécessité de contextualisation, de l’approche actionnelle, des compétences partielles et de la compétence plurilingue et pluriculturelle.

Cette sous-valorisation est notamment visible dans l’offre certificative : la rareté et/ou le peu de diffusion d’outils certificatifs s’inscrivant dans ces perspectives en témoignent, et ce d’autant plus que les recherches en sciences de l’éducation ont largement montré la fonction légitimante des certifications (« Qui tient l’évaluation tient tout le système » affirmait Louis Porcher…).Si on souhaite que les pratiques évaluatives ne se retournent pas contre les principes mêmes qu’elles sont censées promouvoir, il devient donc nécessaire d’ouvrir rapidement ce champ de réflexion et de recherche-intervention.

Note(1) Elèves volontaires germanistes, anglicistes et hispanistes scolarisés en sections européennes en classe de seconde ou de première année de lycée professionnel.

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Huver, Emmanuelle et Springer, Claude. à paraitre. L’évaluation en didactique des langues – Nouveaux enjeux et perspectives. Paris : Didier.

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Lussier, Denise. 1991. Evaluer les apprentissages dans une approche communicative. Paris : Hachette.

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2009.Une proposition pour favoriser le développement de l'intercompréhension des langues apparentées dans des pratiques

professionnelles

Anne DERANSART

Elaborating the didactics of inter-comprehension among languages belonging to the same linguistic family has given birth to a good number of projects and methods. The one presented in this article has come in answer to the following observations: a need to include the novel proposal of inter-comprehension in people’s habits and society at large, the importance of the impact of active adults in the construction of social realities, and the need to prove the usefulness of inter-comprehension in a context of internationalized exchanges. This project thus aims to offer training in inter-comprehension for a public working in fields involving multilingual contacts. We present the origins of the project, what had to be done before launching the training program, and describe the contents of the training proposed and its possible outcomes.

El desarrollo de la pedagogía de la intercomprensión entre lenguas vecinas da lugar a numerosos proyectos. Este articulo presenta uno de ellos que se funda en las siguientes observaciones: la necesidad de inscribir la intercomprensión en las costumbres para permitir al cuerpo social la apropiación de una propuesta innovadora, la importancia del impacto de los adultos activos en la construcción de las realidades sociales, la necesidad de demostrar la utilidad de la intercomprensión en un contexto de globalización de los intercambios. Tomando como base estas observaciones, el objetivo de este proyecto es el de constituir una propuesta de formación a la intercomprensión dirigida a un público implicado en contextos de trabajo políglotas. En este texto presentamos el origen del proyecto, las gestiones previas para la puesta en marcha de esta propuesta, una descripción de los contenidos de la formación así como las posibles perspectivas.

Le développement de la didactique de l’intercompréhension (désormais IC) des langues apparentées (désormais LA) a donné lieu, depuis une dizaine d’années, à un certain nombre de projets et méthodes. La plupart se sont développés dans les universités notamment celles partenaires des projets Galanet et Eurom4 (voir bibliographie et sitographie en fin d’article).D’autres projets visent le milieu scolaire (Euromania, Itinéraires romans) mais, à ce jour, aucun n’est en place pour le secteur de la formation professionnelle.

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Or, les acteurs sociaux sont des vecteurs non négligeables de l’appropriation des innovations par le corps social: les adultes actifs dans le monde du travail ont un impact important sur la construction de la réalité sociale. Et si une politique éducative prévoit la formation des étudiants au plurilinguisme, il serait judicieux de veiller à ce que cette compétence puisse être reconnue sur le marché du travail. Comme le fait remarquer J.-C. Beacco (2002: 112) «... En effet, ces formes de certifications ne peuvent être reconnues que par leurs destinataires finaux, à savoir les employeurs... qui peuvent rechigner à prendre en considération des compétences hors normes (compétences partielles, compétences plurilingues hétérogènes)».D’autre part, la politique linguistique européenne affirme que le plurilinguisme est une nécessité pour la construction d'une Europe multilingue: les échanges se multiplient, se diversifient et de nouveaux besoins linguistiques existent dans de nombreuses activités professionnelles. Dans ce contexte, l’intercompréhension apparaît «comme un vecteur de justice et d’équité, en réponse à “l’hégémonie” d’une lingua franca (anglais) ou “la petite oligarchie” du triumvirat anglais-français-allemand» (Conti & Grin 2008).Une offre de formation à l'IC plus étendue, et la pratique de celle-ci dans un cadre professionnel, pourraient constituer un vecteur non négligeable de développement du plurilinguisme. C’est pourquoi des projets ayant ce public pour cible commencent à apparaître.Il s'agit, dans cet article, de présenter l'un de ces projets: celui-ci est développé dans le cadre associatif, à Marseille, et a pour objectif la mise en place d'une offre de formation à l'intercompréhension des langues romanes pour le public de la formation professionnelle en région PACA (Provence-Alpes-Côte d'Azur). L’objectif de ce projet n'est donc pas l’élaboration d’une nouvelle méthode mais la mise en place d’une offre de formation dans le cadre de laquelle plusieurs des méthodes existantes pour l'enseignement de l'intercompréhension sont utilisées.La genèse du projetLa question qui est à l’origine du projet est la suivante: pourquoi une idée aussi pertinente que celle de la didactique de l’IC est-elle si peu répandue?Cette question a donné lieu à un travail de recherche, dans le cadre de mon Master2 de sciences du langage, ayant pour hypothèse de départ que les concepts de base de l'IC seraient en décalage avec les représentations du public sur l'apprentissage des langues. Un groupe de sept personnes de profils linguistiques et professionnels divers ont participé à une session Galanet (plateforme en ligne pour l'enseignement par la pratique de

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l'intercompréhension des langues romanes, conçue et réalisée dans le cadre d'un programme ‘Lingua’ par le laboratoire LIDILEM à Grenoble).Le protocole de recueil de données comprenait:

• Un premier entretien semi-directif avec chacun des sujets pour recueillir des discours permettant de repérer les représentations sur les langues, leur apprentissage et sur l'IC avant tout contact avec celle-ci

• Une période d'expérimentation de deux mois de l'outil Galanet permettant une initiation et la pratique de l'IC, avec un accompagnement et l'observation des comportements sur la plateforme

• Un questionnaire • Un entretien final, également semi-directif, permettant d'évaluer comment cette

expérience a été vécue et d'observer l'évolution des représentations repérées lors de l'entretien initial (les deux séries d'entretiens ont été traitées par des analyses de contenus)

Ce travail (Deransart 2006) a abouti aux constats suivants: de manière évidente, les représentations de l'apprentissage des langues issues du cadre de l'éducation formelle génèrent de fortes résistances à la proposition de l’IC.La vision maximaliste est le frein majeur: c’est-à-dire l’idée que l’apprentissage d’une langue consiste en l’acquisition d’une compétence de production et ne prend pas en compte les compétences partielles.Cette vision s'oppose à deux points fondamentaux de la didactique de l’IC des langues apparentées (désormais LA):

• la compétence partielle de compréhension dans le cadre de cette étude s’est avérée perçue comme une compétence tronquée

• la communication par compréhension croisée dans le cadre de cette même étude s’est avérée, soit «non conçue» (difficulté à concevoir une communication dans laquelle les locuteurs utilisent plusieurs langues), soit comme un mode de communication insatisfaisant.

Nous avons également remarqué que les représentations concernant l'apprentissage indiquent qu'une démarche de formation est liée à un projet, une finalité. Or si l'un des intérêts principaux de la proposition de l'IC est dans l'usage (hormis les intérêts didactiques) que l'on peut en faire dans la communication entre romanophones, cet usage n'est pas envisagé par la plupart des sujets. Le manque de visibilité sur l'usage pouvant être fait de la compétence partielle de compréhension dans le cadre d'une communication avec un locuteur en LA (langues apparentées), ne favorise pas l'acceptation de l'IC. L'acceptation de la compétence partielle de compréhension est donc dépendante de la représentation de la communication avec un locuteur en LA puisque, comme nous l'avons signalé, pour que la première soit acceptée, il est nécessaire de pouvoir en envisager l'usage dans la

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communication. Il semblerait que le problème majeur soit le fait que la visibilité sur cet usage de l'IC fasse défaut.Pour que cette pratique novatrice puisse s'intégrer aux représentations collectives du corps social, il serait souhaitable que celle-ci puisse s'inscrire dans des usages lui offrant cette visibilité.ConstatsAinsi que souligné ci-dessus, le premier constat est celui de la non appropriation de l’IC par le corps social et de la nécessité de traduire l’innovation dans les usages pour en faire évoluer les représentations. S’ajoutent à ces premiers constats celui fait par S. Lopez de l’AIF (Agence Intergouvernementale de la Francophonie) qui «considère que pour convaincre, les maîtres mots sont: utilité et efficacité et à son sens, ils ne font pas partie, de l’argumentaire officiel de l’IC» (Sesma 2005).Or pour démontrer cette efficacité, il faut que l’enjeu de l’échange par IC soit important, c'est-à-dire que la compréhension ne soit pas une fin en soi. Pouvoir vérifier l'efficacité de l'IC par son utilisation dans un contexte où l'enjeu n'est pas l'expérience de la communication croisée mais bien l'objectif de la collaboration pourrait être un bon moyen pour démontrer l’efficacité et l’utilité de l’IC. Et le contexte professionnel est typiquement l’environnement adéquat pour une telle démarche. S’ajoute à cela le fait que, ainsi que nous l'avons souligné précédemment, les adultes actifs dans le monde du travail ont un impact important dans la construction de la réalité sociale.Autre constat: en matière de formation linguistique il n’existe pas de proposition spécifique s’adressant aux personnes impliquées dans des contextes de travail plurilingues qui, du fait du processus d’internationalisation du travail, sont de plus en plus nombreux. Alors que, ainsi que le souligne Springer (1996: 37): «La grande majorité des adultes actuellement en activité va se trouver en situation critique lorsque la communication internationale et la mobilité professionnelle auront atteint leur plein développement dans le marché européen».Le problème linguistique posé par cette évolution est le plus souvent rapidement résolu par l'usage de l'anglais mais nous assistons à l’apparition de problèmes posés par l’usage de cette lingua franca dans l’environnement du travail et, ainsi que le souligne A. Supiot (2007): «Voir dans une langue unique la réponse a la question des langues de travail dans l'économie globalisée est un dangereux mirage qui séduit les entreprises et les institutions communautaires».

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De même, dans un article de presse dont l’intitulé est significatif, J.-F. Polo (2007) souligne que «plus d'un demi-million de salariés français utilisent une langue étrangère au travail, tout en en éprouvant une gêne», alors que la pratique de l'IC permettrait à chacun d'utiliser sa langue avec des interlocuteurs de langues voisines.

Le projet actuel Le projet, qui reçoit actuellement le soutien financier de la DGLFLF (Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France), grâce à la prise en compte de ces différents constats, consiste à concevoir et organiser une offre de formation à l’IC destinée aux personnes impliquées dans des projets européens et plus largement à toutes celles qui travaillent dans un contexte plurilingue. Il s'agit ensuite d’observer de quelle manière ces personnes s’approprient l’IC comme outil de travail et quelles sont les retombées en terme de qualité des collaborations, de pratiques de communication et d'économie pour les entreprises.Le choix de ce public est directement lié à savoir la nécessité de démontrer l’efficacité et l’utilité d’une telle démarche, de traduire dans les usages une démarche novatrice qui peut répondre à de nouveaux besoins créés par un processus d’internationalisation du travail tout en préservant la diversité linguistique en Europe.Le choix a été fait d’implanter ce projet dans la Région PACA, choix en cohérence avec le rôle essentiel joué par cette région

• dans les programmes européens concernant le littoral méditerranéen • dans le développement de la coopération décentralisée • dans la construction de l’espace méditerranéen

La position de cette région, d’un point de vue aussi bien géographique qu’historique, en fait un véritable carrefour de l’Europe Latine. Il faut savoir que le conseil régional PACA a été désigné autorité de gestion pour le programme MED(1) et que le Conseil Général est membre de l’Arc Latin (2). Cette région se doit donc d’être un centre de développement d’une identité méditerranéenne au sein de l’Europe. Le projet dont il est question ici va dans le même sens: la langue est à envisager comme élément essentiel dans la constitution de l’identité.Démarches préalablesDans un premier temps, une série d’entretiens ont été effectués afin de valider l’idée de ce projet. Ceux-ci ont été menés auprès de:

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• salariés de structures impliquées dans des programmes européens (notamment pour le programme «Jeunesse en action»)

• responsables de services internationaux dans des collectivités locales (Conseil s Général et Régional, Jeunesse et sports)

• consultants sur les programmes Européens

Le compte rendu de ces entretiens a permis de dégager les opinions suivantes:

• qu’il est nécessaire de proposer aux personnes impliquées dans des programmes de coopération transnationales ou différents types de projets européens la possibilité d’acquérir des compétences linguistiques supplémentaires et adaptées.

• que, pour différentes raisons, il est nécessaire de proposer une alternative au “tout anglais”

• que la proposition de formation à l’ IC semble correspondre à ces nécessités • que la compétence de compréhension de l’ensemble des langues latines pourrait

constituer un outil de travail intéressant et adapté.

Nous avons également réalisé une formation-test de 44 heures à raison de deux heures par semaine, de novembre 2008 à mars 2009. Les participants ont été associés à son évaluation. Un questionnaire d'évaluation de la formation leur a notamment été remis. Voici quelques-unes des réponses faites aux quatre premières questions de ce questionnaire:1) Quelle définition donneriez-vous de l’intercompréhension?Participant 1: Chacun parle sa langue et tout le monde se comprend car tout le monde a appris à comprendre la langue des autres. Et sans passer par une langue commune. Une belle harmonie cacophonique en somme. Et une belle arme contre l’impériale anglo-saxonne.Participant 2: Au sein d'une même famille de langue, l'intercompréhension permet à chacun des locuteurs de s'exprimer dans sa propre langue tout en ayant les clés pour comprendre celle de l'autre.Participant 3: une compréhension intuitive de la langue de l'autre à partir des similitudes avec sa propre langue.

2) Qu’attendiez-vous de cette formation à l’intercompréhension?Participant 1: Des nouvelles idées, des nouvelles compétences, et une curiosité renouvelée. Un petit + sur le CV. La possibilité d’utiliser cette compétence dans le montage et la gestion de projets européens (mon domaine professionnel). La possibilité d’innover et de proposer l’intercompréhension peut-être un jour dans un projet européen. Un tremplin vers un réel apprentissage de toutes ces langues latinesParticipant 2: D'expérimenter cette hypothèse.Participant 3: Une compréhension aisée des autres langues romanes.

3) Est-ce qu’elle correspond à ce que vous en attendiez?Participant 1: Curiosité renouvelée: complètement-De nouvelles idées: oui, mais pas encore réfléchi à la mise en pratique

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-De nouvelles compétences: oui, mais pas autant que j’espérais.Participant 2: ouiParticipant 3: Oui pour les clés, les méthodes, les «trucs» pour plus de compréhension.

4) Est-ce une façon d’aborder l’apprentissage des langues qui vous semble intéressante et pourquoi?Participant 1: J’aime beaucoup l’idée de rétablir le sens de l’intuition.Participant 2: Oui. Je pense qu'elle permet de retrouver un rapport plus léger à l'apprentissage des langues, de faire comprendre qu'au sein d'une même famille de langue, on dispose déjà d'énormément d'outils pour saisir des choses. Cette méthode me semble proche de l'apprentissage intuitif que nous utilisons pour apprendre.Participant 3: Oui, justement pour le côté intuitif qui désacralise l'apprentissage d'une langue étrangère. Oui parce qu'on ne parle pas des faux-amis mais des vrais-amis!

Cette formation-test a permis:• d'évaluer la satisfaction des participants et leurs acquis (notamment leur capacité

de communication avec des locuteurs de langues voisines via chats et forums est effective)

• de valider les contenus de formation • de valider le programme de formation en projet

La formationIl s’agit d’une formation courte (environ 40h) ayant pour objectifs:

• L'acquisition d'au moins un niveau B1 ( 3 ) du Cadr e Commun de Référence pour les Langues en compréhension écrite en espagnol, italien et portugais.

• L' initiation à la compréhension écrite en catalan et en roumain • La pratique par écrit de la communication par compréhension croisée (en ligne) • Le développement de la confiance de chacun dans s es propres ressource s et

capacités d'apprentissage linguistique• Le développement de la capacité d'autonomie dans l'apprentissage linguistique • Le développement de ses compétences interculturelles

La formation est composée de 3 modules:1) la découverte des principes de la méthode accompagnée de petits exercices s’inspirant pour la plupart de la méthode Eurocomrom ainsi qu'une activité amenant l’apprenant à une réflexion sur ses stratégies de lecture en LA.2) un entraînement à l’intercompréhension avec le CD-Rom Galatea et la pratique de compréhension de textes de presse avec la méthode Eurom4.3) la pratique de l’intercompréhension en asynchrone dans les forums et messageries, en synchrone dans les chats avec des interlocuteurs de langues voisines sur Galanet.

Module 1 ) Ce premier module comporte 8 heures. Son objectif est de présenter l'IC et les concepts qui la fondent puis de mettre la démarche en pratique.Dans notre recherche, nous avions souligné les particularités du public adulte face à l'apprentissage, notamment en ce qui concerne les résistances

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à de nouvelles notions: «... il s'avère parfois nécessaire de modifier certains concepts, certaines notions ou représentations constitutifs de la réalité du sujet qui préexiste depuis longtemps aux nouveaux concepts présentés. Cette vision de la réalité est donc très prégnante et, fréquemment, des résistances s'opposent aux modifications» (Deransart 2006: 40).C'est pourquoi nous avons jugé nécessaire d'introduire l'IC en présentant les concepts qui la fondent et leurs origines. Puis, pour mieux permettre leur appréhension, nous proposons quelques exercices pratiques démontrant certaines notions énoncées (différence entre traduction et compréhension, repérage du vocabulaire «transparent», constitution d'une grammaire d'hypothèses...). Ceux-ci sont inspirés d’Eurocomrom (Meissner et alii. 2004).Viennent ensuite les premiers textes simples en langues apparentées sur lesquels le groupe se familiarise avec la démarche proposée dans le cadre d'un travail collectif. Enfin, au terme de cette première approche, nous proposons aux participants de s'interroger sur leurs comportements de lecture en langues apparentées à l'aide du CD-Rom Galatea. Cet outil pédagogique pour l'enseignement de l'IC comporte une série de CD-Rom conçue pour l’entraînement à la compréhension de l’espagnol, l’italien et le portugais. Chacun des CD-Roms est composé de 4 modules:1) une exploration de la romanophonie (géographique, historique et linguistique)2) une activité amenant l’apprenant à une auto-évaluation de ses stratégies de lecture en LA qui permet une réflexion sur ces stratégies3) un «portrait» des trois langues mettant en évidence l’existence de connaissances préalables mobilisables, notamment par de petits exercices interactifs dont l'objectif est d'instaurer la confiance et mettre en évidence leur proximité.4) la découverte d’une des langues par un travail de compréhension de textes pour lequel une série d’aides à l’accès au sens est proposée.

Ces CD-Rom, conçus et réalisés au sein du laboratoire LIDILEM de l’Université de Stendhal, Grenoble 3 (en partenariat avec l’Université Autonome de Barcelone, les universités d’Aveiro, de Lumière Lyon2, Computense de Madrid, de Cassino et Pise et Unité de Technologie de l'Education-Université de Mons-Hainaut), permettent donc de crée r un sentiment de confiance à l’égard de la parenté linguistique, de prendre conscience de l’existence de ressources à disposition et de découvrir les stratégies d’accès au sens. Ils constituent un entraînement aux sessions sur Galanet. A noter que, dans le cadre de ce premier module de la formation, nous travaillons le module 2 des CD-Roms pendant les séances de formation. Les modules 1 et 2 sont proposés en auto-formation.Module 2

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Ce module comporte 20 heures. Son objectif est de s'entraîner à la lecture-compréhension d'articles de presse en langues voisines, de mettre en place et d’intégrer par l'observation et l'entraînement des stratégies d'accès au sens. Il s'agit également d'acquérir des connaissances linguistiques sur les langues abordées. Pour ce faire, nous utilisons, dans un premier temps, les CD-Rom Galatea qui comprennent des ressources accessibles en cliquant sur les mots ou paragraphes posant problème directement dans le texte lu (aides à la compréhension, grammaire, lexique, stratégies d'accès au sens..). Ces aides contribuent au développement du sentiment de confiance, permettent de répertorier des stratégies d’accès au sens et des informations linguistiques tout en s'adaptant sans difficulté à la démarche proposée.Ensuite, nous travaillons sur des articles de presse sur support papier extraits de la méthode Eurom4. Cette méthode a été conçue par Claire Blanche-Benveniste à l’Université d’Aix-en-Provence (en partenariat avec la Universidade de Lisboa, la Université de Salamanque et la Università degli Studi di Roma Tre). Appliquant l’idée de la mise à profit de la proximité au sein du continuum linguistique roman à la lecture de la presse généraliste en portugais, espagnol, italien et français, «Elle s’adresse à des locuteurs de langue maternelle romane bons lecteurs qui seront formés à réinvestir un savoir lire et des connaissances linguistiques et extra-linguistiques dans la compréhension globale d’articles de thématique dite partagée comme peuvent l’être la plupart des articles de presse (montée du niveau de la mer, réchauffement climatique, accident d’avion, etc...). Les thématiques partagées sollicitent les démarches d’inférences et les démarches déductives... une des spécificités de la méthode Eurom4 est de privilégier l’approche simultanée des langues, ce qui favorise le réinvestissement des stratégies de compréhension dans n’importe quelle langue» (Caddeo 2008).

Le travail de lecture-compréhension est collectif, ce qui permet de mutualiser les connaissances, de dynamiser la réflexion. Des aides à la compréhension sont apportées ponctuellement lorsqu'elles s'avèrent nécessaires. «Elles sont de nature diverses: les aides linguistiques s’appuient par exemple sur les transparences lexicales (P. ontem mais E. ayer / I. ieri / F. hier) et développent la prise de conscience des passerelles entre langues de la même famille» (Caddeo 2008). C'est pourquoi les aides sont données en quatre langues et que nous proposons ensuite d'appliquer la même démarche à quelques textes catalans et roumains. Dans le cadre de la formation présente, il est également envisageable, en fin de module 2, d’utiliser des documents professionnels proposés par les participants.Module 3Ce module est de 16 heures. Son objectif est la pratique de la communication par compréhension croisée et le développement d'une

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compétence de collaboration avec des personnes de langue voisines. Il s'agit également d'acquérir des connaissances interculturelles par le biais des échanges et des documents disponibles sur la plateforme Galanet (notamment des «dossiers de presse» constitués aux cours des sessions de formation).Galanet, également conçu et réalisé au sein du laboratoire LIDILEM de l’Université de Stendhal Grenoble3, prolonge la méthode Galatea et propose un environnement d’apprentissage informatisé en ligne permettant l’enseignement de l’IC par la pratique: «…nous cherchions un scénario pour permettre à nos apprenants respectifs d’entrer en contact pour pratiquer une véritable intercompréhension» (Degache 2003). La plateforme Galanet est un espace virtuel représentant un bâtiment de plusieurs salles comprenant chacune des fonctionnalités: s’y trouvent des outils de communication permettant les échanges (forums, chats, messagerie) et des outils et ressources facilitant la communication.Un objectif commun motive une collaboration prétexte à communication. Il s'agit de l'élaboration d'un «dossier de presse» sur la base d'une thématique choisie dans le cadre des forums: «la nécessité d’agir conjointement est conçue comme un stimulateur des interactions, celles-ci devant à leur tour faire émerger la nécessité d’améliorer les habiletés réceptives et interactives dans les quatre langues (Degache 2003).Les séances de travail en face à face (dans le cadre desquels les extraits de forum, de chats peuvent constituer des supports didactisés) permettent d’optimiser l’usage de ces outils, les stratégies d’accès au sens et de guider le groupe pour un bon déroulement du scénario pédagogique. Le principe fondamental de Galanet est donc actionnel. Il se combine avec un aspect collaboratif et interculturel.La formation proposée au public de la formation professionnelle nécessite une adaptation aux spécificités de ce public notamment en ce qui concerne

• la question de la gestion du temps qui est essentielle lorsqu'on s'adresse à des salariés

• la nécessité de tester la capacité à collaborer avec des personnes de langues voisines.

Une partie de la formation peut donc avoir lieu en autonomie et à distance: après une séance de familiarisation avec les fonctionnalités de la plateforme, ce troisième module peut être effectué à distance, ce qui permet une adaptation aux impératifs d'aménagement du temps pour des personnes salariées. Par ailleurs, au début de la formation et en fonction de l'activité professionnelle des participants, une tâche collaborative doit être

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déterminée avec les participants à la formation et ceux de la session Galanet. Il est proposé alors aux participants de rechercher un ou deux collaborateurs de langues voisines pour effectuer cette tâche. Les participants sont par ailleurs laissés libres de participer à l'ensemble d'une session Galanet (un semestre) de manière autonome.

Quelles perspectives ? Si l’offre en formation à l'IC dans le cadre de la formation professionnelle est aujourd’hui émergeante et qu'elle est amenée à se développer, ce sera dans le cadre d’un marché nécessairement européen car pour rendre ces formations pertinentes, il faut être en mesure de proposer aux structures impliquées dans des collaborations transnationales, avec des pays de langues romanes, des formations à l'ensemble de leurs partenaires: la pratique de l'IC suppose en effet que les différents interlocuteurs puissent avoir la même démarche. Ceci permettrait la pratique de l'IC dans le cadre de collaborations transnationales: l'IC deviendrait alors outil de communication dans un contexte professionnel. Elle y gagnerait en légitimité, notamment pour justifier l'insertion curriculaire de l'enseignement de l'IC dans la formation initiale. A cette fin, il serait souhaitable qu'un réseau européen de formateurs à l'IC puisse être constitué. Ce réseau permettrait de proposer des formations à des réseaux européens de collaborateurs à l'image des formations proposées dans les Universités partenaires du projet Galanet.Ce réseau est en devenir.ConclusionLa particularité du projet présenté ici est précisément de s’adresser à un public de professionnels, à celui de la formation professionnelle. Notre offre de formation constitue une proposition élaborée sur la base d’une série de constats nous ayant orientés vers la mise en place d’une offre de formation susceptible de s’adapter au mieux aux besoins du public visé:

• en permettant une familiarisation progressive avec des méthode s et des outils novateurs

• en prenant en compte les contraintes de temps liées au contexte professionnel • en offrant la possibilité d’introduire des tâches collaboratives et des supports de

travail relatifs à l’activité des personnes formées

Nous sommes convaincus que l’IC est un objet d’apprentissage déjà parfaitement adapté à ce public pour les raisons suivantes:

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• ainsi que le soulignent les témoignages inclus dans cet article, l’ IC permet « un rapport plus léger» à l’apprentissage des langues qu’elle «désacralise»

• la compétence partielle de compréhension et la communication par compréhension croisée devraient séduire puisque, comme le souligne André Valli (1999: 16): «On sait combien les tâches de production, orales et écrites, peuvent effrayer les adultes, souvent très sensibles aux fautes de prononciation et d’orthographe».

• enfin, « les méthodes intercompréhensives se prêtent en particulier à l’apprentissage des langues de spécialité» car «…les mots populaires ont toujours vécu dans les parlers des peuples, ce qui explique l’écart considérable de forme par rapport aux étymons /…/ les mots savants appartenaient plutôt à la république des lettres et à l’usage scriptural» (Meissner 2004: 34).

Notes(1) Le programme MED encourage la constitution de partenariats transnationaux sur les rives Nord de la Méditerranée en finançant des projets dans les domaines identifiés comme prioritaires pour l'espace.

(2) Arc Latin est un espace de coopération entre collectivités territoriales au sein duquel sont mises en œuvre des actions intégrées dans différents domaines stratégiques pour la cohésion économique et sociale des territoires qui le composent.

(3) Définition du niveau B1 (Développer des compétences réceptives): «Je peux comprendre des textes rédigés essentiellement dans une langue courante ou relative à mon travail. Je peux comprendre la description d'événements, l'expression de sentiments et de souhaits dans des lettres personnelles» (Cadre Commun de Référence pour les Langues 2000).

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