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Les coopératives d’habitants, des outils pour l’abondance. CHAIRECOOP - 1 Les « Cases barates » de Bon Pastor ou la lutte d’une cité ouvrière face au « modèle Barcelone » Richard Pointelin Auteur : Richard Pointelin, doctorant en géographie et urbanisme, co-tutelle Université de Perpignan (UPVD) / Universitat de Girona (UdG). Son travail de thèse se concentre sur l’émergence de formes alternatives d’habitats dans un contexte de crise(s) en Catalogne, qui reposent sur l’organisation collective et « l’empowerment » des citoyens. Ces actions participatives et/ou coopératives font écho à une nécessaire « nouvelle culture » de l’habitat, face aux limites et inégalités du système immo- bilier et de la politique de logement. Il s’agit également de comprendre s’il existe une spécificité territoriale, qui favorise la prise d’initiatives citoyennes pour mettre en pratique non seulement un droit au loge- ment, mais un « droit à la ville ». Les plus de dix années de luttes menées par un collectif d’habitants pour la sauvegarde de leurs « cases barates » (ce qui signifie en catalan, maisons à bon marché) et du style de vie atypique qui leur est propre (Mau- ry, 2011), sur le quartier populaire de Bon Pastor, dans le disctrict de Sant Andreu situé au nord-est de Barcelone, ont fait l’objet d’une ample biblio- graphie et de multiples études. Les « cases barates », carrer Floresta (R. Pointelin, fév. 2014). Cet ancien foyer de la constes- tation antifranquiste et anarchosyn- dicaliste (Oyón, Gallardo, 2004) s’est fait remarquer par l’originalité des dé- marches « iconoclastes » entreprises (Maury, 2011, p. 294), destinées à pro- mouvoir une autre vision de la ville, ainsi qu’une démarche alternative au plan de réhabilitation dirigé par la ville de Barcelone.

Les « Cases barates » de Bon Pastor ou la lutte d’une cité ouvrière face au « modèle Barcelone »

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Article de Richard Pointelin, paru dans MAURY Yann (dir.) (2014). Les coopératives d’habitants, des outils pour l’abondance. Lyon : éd. Chairecoop, p. 375-386.

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    Les Cases barates de Bon Pastor ou la lutte dune cit ouvrire face au modle Barcelone

    Richard PointelinAuteur : Richard Pointelin, doctorant en gographie et urbanisme, co-tutelle Universit de Perpignan (UPVD) / Universitat de Girona (UdG). Son travail de thse se concentre sur lmergence de formes alternatives dhabitats dans un contexte de crise(s) en Catalogne, qui reposent sur lorganisation collective et lempowerment des citoyens. Ces actions participatives et/ou coopratives font cho une ncessaire nouvelle culture de lhabitat, face aux limites et ingalits du systme immo-bilier et de la politique de logement. Il sagit galement de comprendre sil existe une spcificit territoriale, qui favorise la prise dinitiatives citoyennes pour mettre en pratique non seulement un droit au loge-ment, mais un droit la ville .

    Les plus de dix annes de luttes menes par un collectif dhabitants pour la sauvegarde de leurs cases barates (ce qui signifie en catalan, maisons bon march) et du style de vie atypique qui leur est propre (Mau-ry, 2011), sur le quartier populaire de Bon Pastor, dans le disctrict de Sant Andreu situ au nord-est de Barcelone, ont fait lobjet dune ample biblio-graphie et de multiples tudes.

    Les cases barates , carrer Floresta (R. Pointelin, fv. 2014).

    Cet ancien foyer de la constes-tation antifranquiste et anarchosyn-dicaliste (Oyn, Gallardo, 2004) sest fait remarquer par loriginalit des d-marches iconoclastes entreprises (Maury, 2011, p. 294), destines pro-mouvoir une autre vision de la ville, ainsi quune dmarche alternative au plan de rhabilitation dirig par la ville de Barcelone.

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    Cette cit populaire en forme de polygone, compos de maisons de plain-pied la superficie rduite (avec un maximum de surface habitable de 68 m2), fut construite lors de lexposition universelle de Barcelone en 1929, afin de loger les ouvriers venus principalement du sud de lEspagne et des bidonvilles du quartier de Montjuc1.

    Il est essentiel ici de noter que lensemble des cases et du foncier li sont depuis leur origine la proprit publique du Patronat Municipal dHabitatge de Barcelona (PMHB), cest dire de lorganisme communal de gestion des logements sociaux de la Ville de Barcelone. Aprs plusieurs tentatives infructueuses de ramnagement du quartier (1965, 1971, 1988) par lajuntament (municipalit) de Barcelone, un plan dit de remode-lation fut prsent en 20112. Ce plan sobrement ainsi qualifi par ladmi-nistration communale, prvoyait en ralit la dmolition pure et simple de lensemble des 784 cases barates et de facto, la disparition de fait de lun des derniers vestiges de la Ville ouvrire Horizontale (ICA). Lin-salubrit, linscurit et mme la dangerosit structurelle3 des cases barates servaient dargument de lgitimation leur dmolition ainsi programme4. Pourtant, ce projet urbain sest transform rapidement en un cas emblmatique de mobilisation citoyenne contre la fin programme dune Barcelone populaire ; dune cit ouvrire longtemps tenue lcart de lexpansion territoriale et conomique de la capitale catalane devenue en quelques annes, une mgalopole mondialise, engage dans une im-mense transformation de son espace urbain5.

    Gense dune lutte urbaine

    Le 14 octobre 2003 un rfrendum citoyen ouvert tous les habitants du quartier sur une question par ailleurs ambige et binaire ( pour ou contre le plan )6, est organis sur linitiative de l Ajuntament (Mairie) de Barcelone. Ce rfrendum entraine la fronde dune large partie de la po-pulation des cases barates . Passant outre cette contestation et ayant au

    1. Le quartier de Montjuc accueillera quelques2. Modificaci al Plan General Metropolit (MPGM) al Polgon de Cases Barates , 20.03.2001, Ajuntament de

    Barcelona, Secci Urbanisme.3. Afin de lgitimer la dmolition, les services techniques municipaux invoquent rgulirement labsence de

    fondations dont seraient dpourvues les cases barates .4. Ce plan de renouvellement urbain doit tre men en 5 phases successives sur une dure initiale de 10 ans. Au

    terme du plan, la totalit des rsidents des cases barates devront tre relogs dans des blocs dimmeubles. Ce quartier de lest barcelonais devra galement accueillir de nouveaux rsidents.5. De ce point de vue, lannonce en octobre 1986 de lorganisation des J.O confie la ville de Barcelone peut

    tre considre comme la date cl qui enclenche le changement dchelle du Modle Barcelone (Capel, 2005).6. Concernant lensemble du processus participatif et ces critiques, voir PVE, 2004, p. 6.

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    pralable ngoci le soutien dune association de quartier de Bon Pastor7, la ville et lassociation signent un accord (le 13 novembre 2003) qui scelle le futur des logements populaires. La contestation porte par lassociation Avis del Barri8 (littralement les grands-parents du quartier), reprend lorsque les habitants du quartier dnoncent les manipulations et la trom-perie loeuvre dans tout le processus de ngociation conduite entre le PMHB et lAVVBP. Comme le souligne alors le prsident de lassociation Avis del Barri en 20109, La loi [LAU (Llei dArrendaments Urbans)] stipule que, dans le cas dune expulsion de ton logement, locataire ou propritaire, tu as le droit une indemnisation ; et une solution de relogement. Tu ne dois pas renoncer lun pour avoir lautre, comme le dit le PMHB .

    En ralit, la dmolition de toutes les cases barates vcue comme pralable une rhabilitation ventuelle de Bon Pastor, ne fut pas claire-ment annonce avant le rfrendum communal et provoqua le rejet dune bonne partie des habitants, qui demeuraient profondemment attachs leur quartier, tout en tant trs favorables une ncessaire rnovation de Bon Pastor.

    Ainsi leur demande, la Plataforma Venal contra lEspeculaci (PVE), organisme qui regroupe divers collectifs de lutte contre la spcula-tion immobilire et urbaine, mena une enqute dans le courant 2004 au-prs des habitants de Bon Pastor, afin de recueillir leur opinion sur le plan de dmolition. Cette enqute mis des conclusions trs claires sur lobjectif rel poursuivi par les autorits locales : Le PMHB se comporte avec les lo-cataires de Bon Pastor comme un investisseur priv, qui favorise la valeur dchange du bien de sa proprit (le terrain) sur la valeur dusage (le bien-tre des habitants du quartier) (PVE, 2004, p. 20). Malgr ces mouvements de contestation contre le plan de remodelation, la premire phase du plan dbuta au printemps 2004, par la construction de quatre btiments de 131 logements, qui furent livrs fin 2006. Cette phase initiale ne rencontra pas de contestation frontale, dans la mesure o elle ne faisait pas lobjet de dmolitions pralables des cases barates .

    La donne changea radicalement avec la mise en oeuvre de la deu-xime phase du plan. Les expulsions brutales du 19 octobre 2007 menes par la police locale10, afin de permettre la premire phase de dmolition (152 maisons), entraina le soutien dONG11. Cest notamment sous lgide de lIAI quun groupe de techniciens indpendants conut en octobre 2009, un concours international dappel ides : Repensar Bon Pastor (Repenser le quartier de Bon Pastor) ; dmarche conceptuelle se posant comme alter-

    7. Associaci de Vens i Venes del Bon Pastor (AVVBP), en tant que reprsentant des habitants du quartier.8. Ne dbut 2004 dune scission interne de lAAVBP, un certain nombre de riverains ntant pas daccord avec

    la signature de laccord de remodelacion , remettant en cause de fait la lgitimit de lassociation offi-cielle .9. Cf. Victor Yustres Santiago, La ferida oberta del Bon Pastor, site wikidiari.info, 16.06.2010.10. Les photos des expulsions sont consultables ladresse suivante.11. International Alliance of Inhabitants (IAI, ou AIH en franais) et Achitectes Sans Frontire (ASF).

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    native au plan municipal de dmolition et faisant appel la participation active des habitants. Le concours dpassa toutes les attentes des promo-teurs du projet ; 54 propositions tant prsentes en fvrier 2010, en prove-nance du monde entier (avec une majorit en provenance dEspagne)12. Les rsultats de ce concours erent un retentissement considrable sur Bon Pastor ; certains membres de Avis del barri, qui souhaitaient approfondir les ides nes des diffrentes propositions, organisrent des ateliers et une campagne de porte--porte, dans la perspective de prparer une contre-ex-pertise citoyenne. Dans le mme temps, alors que de nombreuses maisons taient mures depuis 2007 et demeuraient en attente dune dmolition, un collectif de riverains engagea loccupation dune vingtaine de maisons, pralablement condamnes par le PMHB13. Ces riverains entendaient pro-tester contre le plan de remodlation, mais surtout contre le manque de logements publics14 Barcelone. La rponse institutionnelle fut une nou-velle fois virulente15 prit la forme dexpulsions administratives rapides (le jour mme) et de dmolition des toitures des logements occups, afin din-terdire toute nouvelle occupation, juqu leur dmolition totale.

    Schma des acteurs (laboration propre, daprs ltude A Barcelona, la participaci canta , p. 10)

    Enfin, ultime avatar de la consul-tation municipale, lajuntament bar-celonais annonait la sauvegarde dun lot de cases barates (12 maisons au total), destin devenir un muse du logement populaire , pouvant accueil-lir une exposition permanente sur lhis-toire de lhabitat Bon Pastor16. En d-cembre de cette mme anne 2010, 190 nouveaux logements de la deuxime phase taient remis aux familles ex-pulses17. Entre Janvier et Juillet 2011

    12. Pour les rsultats, voir le blog internet du concours : http://repensarbonpastor.wordpress.com/13. Cf. article La Directa, Revolta per lhabitatge al Bon Pastor , no 189, 23.06.2010.14. Logement de protection officielle ou Habitage protegit en catalan.15. Jusqu 15 vhicules de la section anti-meute de la Guardia Urbana (Police municipale) et la majeure par-

    tie des services techniques du district taient rquisitionns sur les lieux.16. Afin que larchitecture populaire ne tombe pas dans loubli, pour que les derniers vestiges de vie de quar-

    tier lhorizontal de Barcelone reste dans un coin de la mmoire collective Cf. article El Periodico, Bon Pastor conservar una hilera de Casas Baratas , 22.10.2013.17. Cf. article El Punt/Avui, LAjuntament reallotja 190 famlies de les cases barates , 20.12.2010.

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    eut lieu la seconde phase (soit prs de 100 maisons mures et en attente de dmolition) ; dcision qui laissait le quartier dans un tat de dsolation et dabandon total18.

    Cette situation perdure encore aujourdhui en fvrier 2014 et est ag-grave en raison de la faillite bancaire qui touche lEspagne, mais gale-ment la Catalogne19, la construction de 161 nouveaux logements a t stop-pe. Sous la pression revendicative de lAVVBP et des habitants de Bon Pastor, les travaux de construction de deux des trois nouveaux btiments dbutait en 2012, mais sans que leur financement ait t assur sur 2013 ; la construction dun troisime btiment a t repousss juin 201420.

    Vue actuelle des cases barates , carrer de Trrega larrire plan les btiments du plan de remodelation (R. Pointelin, fv. 2014).

    En ralit, aucune date nest d-sormais annonce par ladministra-tion municipale pour la ralisation des deux dernires phases du plan ( soit encore 281 personnes reloger). Dans la cit ouvrire de Bon Pastor, les ha-bitants dplorent la prcarit accrue de leur condition de vie et la dgrada-tion acclre de leurs logements (pro-blmes dhumidit, dgout, invasion rcurrente de nuisibles), sur lequel ils ne souhaitent plus investir, les sachant condamns. De plus, la destruction des

    toitures des maisons occupes temporairement en juin 2010 a intensifi la dgradation des maisons mitoyennes, fragilises par les infiltrations deau et lapparition de nombreuses fissures21. Dbut 2014, seulement 40 % des habitants (soit 342 personnes) ont t effectivement relogs dans les nouveaux blocks de logements. 400 cases barates sont encore debout. Ce qui permettait lancien maire de Barcelone Jordi Hereu (parti socia-liste catalan) pourtant lorigine du plan de dmolition , de dclarer en

    18. Le collectif Repensar Bon Pastor parle de ville fantme . Une vido est consultable ladresse sui-vante.19. Cf. Il tait une fois un pays, lEspagne qui, grce au dieu march nolibral, devint lEspanistan .

    Chairecoop. http://chairecoop.hypotheses.org/365020. Cf. article EuropaPress, Barcelona preveu construir un nou edifici per a reallotjats del Bon Pastor el juny

    del 2014 , 07.09.2013.21. Ces maisons tant dite bon march , leur construction lest aussi. Ainsi, un ilt de maisons prsente une

    toiture unique, sans sparation dans les combles entre logement. Do des problmes rcurrents dinfiltrations par le toit, ou encore de cambriolage dans certains cas.

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    dcembre 2010, non sans un certain cynisme : Ceci taient les cases ba-rates ; et maintenant nous pouvons dire que ce sont les meilleurs logements de la ville22 !

    Lalternative la dmolition: la cooprative dhabitants du quartier de Bon Pastor

    Feuillet dinformation Un nuevo plan es posible! (Source : Repensar Bon Pastor)

    Toutes les propositions reues23 en rponse au concours international dappel ides Repensar Bon Pastor , ouvert aux professionnels et tudiants, rappellent le caractre profondment humain et la force des liens invisibles qui unissent les habitants leur quar-tier (Portelli, 2010). La plupart des r-ponses soulignent lide de village, au coeur dune mtropole ou d une vie communautaire en pleine ville , pour reprendre lexpression de Manuel Del-gado24. Toutes les analyses soulignent galement linsalubrit actuelle des cases barates , non pas pour des rai-

    sons lies au bti (ainsi que lavance la mairie afin de justifier les dmoli-tions), mais en raison dun manque dinvestissement et dentretien de la part du propritaire public (PMHB)25. Ce concours dappel ides dpassa largement les attentes des organisateurs, en dpit du fait que les travaux proposs ne seraient sans doute jamais raliss (Portelli, 2010). Cette russite leur imposa de poursuivre la rflexion en intgrant lavis des habitants. Un feuillet dinformation nomm Un nuevo plan es posible! (un nouveau plan est possible !) fut alors diffus sur Bon Pastor.

    22. Cf. article El Punt/Avui, 20.12.2010, op. cit.23. Consultables et tlchargeables la page suivante : http://repensarbonpastor.wikispaces.com24. Cf. El Pas, Vidas barates , 13.02.2007.25. Ce fait avait t pralablement dmontr par ltude mene par des tudiants de lETSAB (cole darchitec-

    ture de Barcelone) sous le titre Patologies de les cases barates, ralise lt 2007 la demande de lassocia-tion Avis del Barri.

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    Dans le cadre de cette vision dun avenir autre pour Bon Pastor et ses ha-bitants, la cration dune cooprative de quartier (cooperativa de vivienda de bon pastor) mrite dtre signale. Lide formule26 sinscrit comme un rappel au pass. En effet, La premire coop-rative de consommation fut cre sur Bon Pastor, quelques mois aprs larri-ve des premiers habitants en 1929. cette poque, le polygone de Bon Pastor se tenait en plein champ, tait physi-quement exclu de la capitale catalane et ne disposait daucun rseau viaire le

    reliant au reste de Barcelone. La cooprative permettait alors aux habitants de se procurer des biens alimentaires prix modiques. Cette cooprative maintint son activit jusqu la fin des annes soixante dix27.

    Lalternative cooprative propose dans le cadre de lappel ides re-pose sur la rnovation autogre du quartier ; processus qui inclut tout la fois la rhabilitation des cases barates , mais aussi la construction de logements neufs. Le principe coopratif prconis est celui dune cession dusage, en rfrence au modle danois Andel : la proprit communale (publique) du sol est maintenue en ltat ; tandis que la cooprative prend en gestion lauto rhabilitation des logements, avec le concours actif de ses habitants. Les habitants conservent un statut de locataire , sur la base dun contrat dure indtermine, bas cot et avec la possibilit dune transmission du contrat de location leurs descendants. Il sagit ici dune proposition de cration de coopration intgrale, dans la mesure o elle en-tend cumuler les initiatives dauto-entrepreneur et la constitution de coo-pratives de travail social, mises en place en suivant les caractristiques et les capacits de la population du quartier, par ailleurs trs touche par le chmage. En rponse cette dmarche cooprative immobilire, qui aurait pu reprsenter une alternative crdible la dmolition, ainsi que la revi-talisation de la cit ouvrire des origines, le 19 Juin 2010, lajuntament fit ouvrir les toitures de dizaines de cases barates , affichant ainsi son intransigeance mener bien le plan dit de remodelation .

    26. La proposition Bon Pastor, barrio de cdigo abierto (prime par le jury) avance les ides les plus com-pltes sur sa mise en place et son fonctionnement. Cest dailleurs de l que sont tirs les schmas reprsents sur le feuillet dinformation.27. Sur lhistoire de cette cooprative, cf. Bon Pastor, un co-quartier dmolir ? Auteur yann Maury,

    licence creative common, 30 mn. 2012 et http://chairecoop.hypotheses.org/199

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    Les effets produits par la spculation foncire et immobilire, sur Bon Pastor et ses habitants

    Dix ans aprs le dbut du plan de remodelation de Bon Pastor, la situation dans le quartier et auprs de la population sest sans cesse d-grade. Le processus de dmolition immobilire et la contestation gnre en retour, ont amplifi les relations conflictuelles inter gnrationnelles, mais aussi au sein mme de populations aux origines diverses (Fabre, Huertas Claveria 1976). Aux divisions entre personnes ages vivant seules et les familles nombreuses, se sont ajoutes des divisions ethniques (ICA, 2009), gnrationnelles et celles lies au statut locatif (ICA, 2009-2011). Cest ainsi que les locataires des cases barates arrivs aprs la rforme l-gislative de 1994, vivent dsormais sous le nouveau rgime de la LAU , sur la base de contrats rviss tous les cinq ans et doivent faire face des loyers en constante augmentation28. Si tous se retrouvent aujourdhui devoir vivre dans lattente de leur expulsion, dans un quartier en friche et des maisons insalubres, ltat desprit et les ractions sont bien diffrentes parmi la population du quartier.

    En effet, si les gnrations les plus anciennes qui ont men la constestation, ont rvl un lien passionnel avec le quartier, fruit dun in-vestissement personnel dans leur maison et dun style de vie prser-ver, les populations arrives depuis peu, ont rapidement adhr au plan ; sattachant plus prendre en considration la prcarit de leur habitat et lattractivit reprsente par laccession la proprit, des conditions premire vue avantageuses. Est ainsi apparue sur le quartier, une oppo-sition entre valeur dusage et valeur dchange des cases barates . 3ra fase ja! la troisime phase maintenant ! figurent sur de nombreux panneaux accrochs aux fentres.

    Quant l ajutament de Barcelone, ses services multiplient les ex-pdients, afin de tenter de financer la troisime phase de construction, ce jour en panne : privatisation de parkings municipaux, vente dun b-timent public du quartier qui devait initialement accueillir des services publics esprs par les habitants, annonce dun accord de prt immobilier avec un groupe bancaire, mais sans que les conditions du prt ne soient dvoiles Par ailleurs, la dgradation physique du quartier saccompagne dune dgradation sociale. Lensemble de la population de Bon Pastor subit un phnomne de pauprisation qui sest acclr depuis 2008, sur la base de multiples pertes de droit : baisse des pensions, des indemnits chmage, augmentation de la TVA29 Le plan de remodelation enfin , remet en ques-

    28. Pour le rcit dune habitante dans cette situation, cf. El Periodico, El Bon Pastor se reivindica , 26.03.2013.29. LICEF (Index de Capacitat Econmica Familiar, qui calcule les ressoures financires par foyer sur Bar-

    celone, rvle sur Bon Pastor une augmentation sur la priode 1988 - 1996 (lindice passant de 64,2 76 ; 100 tant le taux moyen pour Barcelone), indice qui retombe 59,4 en 2012, soit lun des indices les plus bas de tout Barcelone. Cf. article El Pas, Crece la Barcelona pobre, 06.01.2013.

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    tion lunique certitude de la majorit des habitants des cases barates : leur droit habiter un logement bon march, sur la base dun contrat de location indfinie (Maury, 2011, p.303). Au final, dsenchantement, dsem-parement et anomie se sont empars des habitants, face aux difficults gnres par le plan et devant lintransigeance des autorits municipales.

    Quant aux populations reloges lors des deux premires phases du plan, initialement attirs par les conditions prfrentielles vantes par le PMHB, elles se retrouvent face des difficults insurmontables dans la mesure o elles sont dans limpossibilit de rembourser les prts hypo-thcaires30. Ces nouveaux propritaires se retrouvent face au risque dune expulsion rapide de leur logement et du quartier. Les logements saisis sont alors rachets par les banques, des prix sous valus et sont ensuite re-vendus sur le march immobilier priv. Quant aux nouveaux logements en location, ils sont soumis aux conditions de rvision prvues par la LAU, rvise en 201331.

    La phase 3 du plan de remodelation en construction, carrer Bellmunt (R. Pointelin, fv. 2014).

    Autre source dinquitude, lins-tar de dcisions comparables prises Madrid32, la mairie de Barcelone comme la Generalitat de Catalogne, on rflchit une hypothse de re-vente des (pourtant trs faibles) parcs respectifs de logements sociaux des fonds dinvestissements ; ce qui ouvri-rait ainsi la porte une privatisation gnralise33. Dans ce contexte de mar-chandisation intense de Bon Pastor, le vieux quartier ouvrier est dornavant

    apprhend comme une source de rente foncire et immobilire. Dsor-mais, les conditions sont runies pour envisager sa gentrification pro-chaine. Le phnomne que subit Bon pastor, dnomm mobbing institu-tionnel , correspond une forme de harclement planifi par les autorits, lencontre des riverains les plus rsistants et permet de laisser la place libre aux intrts immobiliers privs (Delgado, 2007). Bon nombre de quar-tiers populaires de Barcelone ont ainsi t radicalement transforms par le pass, dans le cadre doprations publiques-prives (Ciutat Vella, Raval

    30. Ce sont 67 % (216) des nouveaux logements qui ont t vendus, contre 33 % (105) mis en location par le Pa-tronat (office de logements).31. Loi du 4 juin 2013, dite de medidas de flexibilizacin y fomento del mercado del alquiler de viviendas .32. Cf. Espana en venta . Film documentaire en langue espagnole de Jordi Evola & Ramon Lara. http://

    chairecoop.hypotheses.org/365033. Cf. La Directa, La venda de lhabitage pblic de lloguer als fons dinversi, en stand by , 19.12.2013.

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    ou dernirement Poblenou). Il apparat en ralit que le plan de remodela-tion des cases barates , dot initialement dune enveloppe de 17 millions dEuros pour la priode 2010-2014, reprsente le point de dpart dune trans-formation drastique34 de toute une zone urbaine (la zone de La Sagrera, la future gare internationale et la porte dentre nord de Barcelone) soumise lapptit de promoteurs immobiliers allis la municipalit.

    Conclusion

    Le sort alatoire dont est victime la cit ouvrire de Bon pastor et ses habitants est illustratif de la controverse intense que suscite le Modle Barcelone (Borja, 2005, 2010 ; Capel, 2005 ; Delgado, 2007 ; Marschall, 2004). Ce modle urbain no libral loeuvre sur Barcelone, implique la disparition radicale danciennes parcelles de villages, hritires dun ur-banisme horizontal, qui sont sommes dsormais de cder la place un urbanisme en expansion verticale. Le mode dintervention public-priv qui sous-tend ce modle urbain, agit la fois sur les espaces publics, le dvelop-pement de nouvelles centralits et la rnovation de zones stratgiques ta-blies par la ville seule (Borja, Muxi, 2001). Ce modle urbain se pose comme un facteur central damlioration du quotidien des habitants, mais aussi comme modle suivre pour de nombreuses villes (Ter Minassian, 2009). En toute logique, le plan de remodelacion conduit durant la dernire dcennie par lajuntament (mairie) en direction des cases barates , sadosse clairement aux orientations nolibrales dfinies par le Modle Barcelone : tout dabord, une consultation populaire organise en trompe-lil, qui assure la lgitimation dun plan de dmolition-reconstruction, pralablement dcid par les autorits (A Barcelona la participaci canta!, 2008 ; ICA, 2009 ; Portelli, 2010) ; en second lieu, un projet urbain qui nest pas autre chose quune vaste opration spculative visant un foncier public laiss jusquici en dshrence (PVE, 2004 ; Delgado, 2007) ; enfin, un plan municipal qui assure un travail de mise au pas dun quartier populaire his-toriquement contestataire, qui le transforme en zone rsidentielle destine aux classes moyennes, aprs lui avoir fait subir une forme de spatial cleaning (Herzfeld), consistant le vider de sa population originelle par la force, le harclement ou la tentation.

    Ultime avatar de ce travail de lgitimation modernisatrice mene sous couvert du plan de remodelation , les autorits publiques dcident de crer un lieu de mmoire collective (Delgado, 2007), mettant en mu-se le pass populaire, le style de vie atypique qui sy rapportait, tout en le transformant en produit marketing.

    34. Projecte dintervenci integral Bon Pastor prsent par la Mairie en mai 2009.

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    Pour leur part, les habitants des cases barates vivent de plein fouet leur perte didentit, sur le quartier lui-mme, ainsi qu lchelle de la ville de Barcelone. Ils vivent une forme de dpossession identitaire pour laquelle la reconqute passe par la lutte urbaine (Castells, 1973) et surtout par des initiatives nouvelles (Borja, 2009).

    ce titre, le concours international dappel ides engag par un collectif dhabitants des cases barates et soutenu par diffrentes organi-sations militantes, est tout fait significatif de ce travail de rinvention conduire. La proposition formule dune cooprative de quartier envisage ici, est apparue comme le symbole dune alternative crdible au projet de ville globale , impose par les autorits publiques barcelonaises, ainsi que comme le dbut dune (re)conqute de leur Droit la ville (Lefebvre, Harvey), ainsi que comme la recherche dun nouveau paradigme urbain, dans une approche bottom up.

    Bibliographie

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