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Les antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens chez le sujet âgé Bernard Bannwarth Laboratoire de thérapeutique, service de rhumatologie, groupe hospitalier Pellegrin, université Victor-Segalen, 33076 Bordeaux, France Reçu et accepté le 6 avril 2004 Disponible sur internet le 11 mai 2004 Mots clés : Antalgiques ; Paracétamol ; Anti-inflammatoires non stéroïdiens ; Coxibs ; Opioïdes ; Sujet âgé Keywords: Analgesics; Paracetamol; Non-steroidal anti-inflammatory drugs; Coxibs; Opiates; Elderly 1. Introduction Bien que le vieillissement ne s’accompagne pas d’une dégradation inéluctable des grandes fonctions de l’orga- nisme, la probabilité de rencontrer des parenchymes dé- faillants, des associations morbides et, partant, une polymé- dication augmente avec l’âge. Par le biais des modifications pharmacocinétiques ou pharmacodynamiques qu’ils indui- sent, ces trois éléments contribuent à la particulière sensibi- lité des personnes âgées aux médicaments. À cela s’ajoute la fréquente précarité de leur terrain physiopathologique, véri- table facteur aggravant des complications iatrogènes éven- tuelles. Il s’ensuit que le grand âge impose des modalités de prescription propres. Cet article a pour objet d’exposer celles qui concernent les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et autres antalgiques. 2. Principaux antalgiques On scinde classiquement les antalgiques en deux groupes selon qu’ils appartiennent ou non à la famille des opioïdes. 2.1. Antalgiques non opioïdes Ils comprennent des médicaments purement antalgiques (floctafénine, néfopam), des antalgiques–antipyrétiques (pa- racétamol, métamizole ou noramidopyrine d’après la déno- mination française) et des antalgiques–antipyrétiques égale- ment actifs sur la composante vasculaire de la réaction inflammatoire (AINS) [1]. Seuls le paracétamol et les AINS sont d’utilisation courante. En effet : la floctafénine expose à des manifestations allergiques (urticaire, bronchospasme, œdème de Quincke, choc), favorisées par les prises itératives, dès lors déconseillées — ce qui empêche son emploi dans les douleurs récur- rentes, très communes en rhumatologie ; le métamizole est responsable d’accidents rares, mais gravissimes (agranulocytose, choc anaphylactique) qui restreignent son indication aux situations « où son acti- vité lui confère un avantage réel face aux autres antalgi- ques » (dictionnaire Vidal 2003). Cela exclut pratique- ment le métamizole du champ de la rhumatologie puisque son efficacité n’y est pas établie ; le néfopam a le double inconvénient d’être réservé à la voie parentérale — ce qui proscrit tout traitement pro- longé — et de comporter des propriétés atropiniques — ce qui interdit son administration dans deux affections banales chez le sujet âgé, le glaucome et la dysurie par adénome de la prostate. 2.2. Antalgiques opioïdes La plupart des opioïdes employés comme antalgiques sont des agonistes des récepteurs μ [1]. Ce mécanisme sous-tend leur activité thérapeutique et leurs principaux effets indésira- bles. Selon leur niveau d’efficacité, on distingue : les opioïdes faibles, commercialisés seuls (dihydroco- déine, tramadol) ou en association au paracétamol (co- déine, dextropropoxyphène, tramadol, poudre d’opium) et destinés aux « douleurs faibles à modérées » selon l’OMS ; les opioïdes forts, dont la référence est la morphine d’autant qu’elle est proposée sous des formes orales à libération immédiate ou prolongée et qu’elle est indi- quée dans les douleurs intenses de toutes origines. Adresse e-mail : [email protected] (B. Bannwarth). Revue du Rhumatisme 71 (2004) 534–538 www.elsevier.com/locate/revrhu © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2004.04.003

Les antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens chez le sujet âgé

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Les antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens chez le sujet âgé

Bernard Bannwarth

Laboratoire de thérapeutique, service de rhumatologie, groupe hospitalier Pellegrin, université Victor-Segalen, 33076 Bordeaux, France

Reçu et accepté le 6 avril 2004

Disponible sur internet le 11 mai 2004

Mots clés : Antalgiques ; Paracétamol ; Anti-inflammatoires non stéroïdiens ; Coxibs ; Opioïdes ; Sujet âgé

Keywords: Analgesics; Paracetamol; Non-steroidal anti-inflammatory drugs; Coxibs; Opiates; Elderly

1. Introduction

Bien que le vieillissement ne s’accompagne pas d’unedégradation inéluctable des grandes fonctions de l’orga-nisme, la probabilité de rencontrer des parenchymes dé-faillants, des associations morbides et, partant, une polymé-dication augmente avec l’âge. Par le biais des modificationspharmacocinétiques ou pharmacodynamiques qu’ils indui-sent, ces trois éléments contribuent à la particulière sensibi-lité des personnes âgées aux médicaments. À cela s’ajoute lafréquente précarité de leur terrain physiopathologique, véri-table facteur aggravant des complications iatrogènes éven-tuelles. Il s’ensuit que le grand âge impose des modalités deprescription propres. Cet article a pour objet d’exposer cellesqui concernent les anti-inflammatoires non stéroïdiens(AINS) et autres antalgiques.

2. Principaux antalgiques

On scinde classiquement les antalgiques en deux groupesselon qu’ils appartiennent ou non à la famille des opioïdes.

2.1. Antalgiques non opioïdes

Ils comprennent des médicaments purement antalgiques(floctafénine, néfopam), des antalgiques–antipyrétiques (pa-racétamol, métamizole ou noramidopyrine d’après la déno-mination française) et des antalgiques–antipyrétiques égale-ment actifs sur la composante vasculaire de la réactioninflammatoire (AINS) [1]. Seuls le paracétamol et les AINSsont d’utilisation courante. En effet :

• la floctafénine expose à des manifestations allergiques(urticaire, bronchospasme, œdème de Quincke, choc),favorisées par les prises itératives, dès lors déconseillées— ce qui empêche son emploi dans les douleurs récur-rentes, très communes en rhumatologie ;

• le métamizole est responsable d’accidents rares, maisgravissimes (agranulocytose, choc anaphylactique) quirestreignent son indication aux situations « où son acti-vité lui confère un avantage réel face aux autres antalgi-ques » (dictionnaire Vidal 2003). Cela exclut pratique-ment le métamizole du champ de la rhumatologiepuisque son efficacité n’y est pas établie ;

• le néfopam a le double inconvénient d’être réservé à lavoie parentérale — ce qui proscrit tout traitement pro-longé — et de comporter des propriétés atropiniques —ce qui interdit son administration dans deux affectionsbanales chez le sujet âgé, le glaucome et la dysurie paradénome de la prostate.

2.2. Antalgiques opioïdes

La plupart des opioïdes employés comme antalgiques sontdes agonistes des récepteurs µ [1]. Ce mécanisme sous-tendleur activité thérapeutique et leurs principaux effets indésira-bles. Selon leur niveau d’efficacité, on distingue :

• les opioïdes faibles, commercialisés seuls (dihydroco-déine, tramadol) ou en association au paracétamol (co-déine, dextropropoxyphène, tramadol, poudre d’opium)et destinés aux « douleurs faibles à modérées » selonl’OMS ;

• les opioïdes forts, dont la référence est la morphined’autant qu’elle est proposée sous des formes orales àlibération immédiate ou prolongée et qu’elle est indi-quée dans les douleurs intenses de toutes origines.Adresse e-mail : [email protected] (B. Bannwarth).

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© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.rhum.2004.04.003

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3. Paracétamol

D’après les essais cliniques, le paracétamol a une effica-cité sinon équivalente, du moins proche de celle des AINSdans l’arthrose [2]. Cette notion semble se vérifier en prati-que quotidienne puisqu’une enquête menée aux États-Unis arévélé que 44 % des patients arthrosiques jugeaient le para-cétamol similaire (29,8 %) ou supérieur (14,3 %) aux AINS,alors que 56 % estimaient les AINS légèrement (23,1 %) ounettement (32,9 %) supérieur au paracétamol [3]. Comme leparacétamol est l’antalgique le plus sûr, l’American Geria-trics Society le préconise en première intention dans lesdouleurs peu intenses de l’appareil locomoteur chez le sujetâgé [4]. Cet avis est partagé par l’American College ofRheumatology [5] et l’European League Against Rheuma-tism [6] pour la prise en charge de la gonarthrose ou de lacoxarthrose. De fait, le paracétamol n’induit pas d’ulcèregastroduodénal, même s’il est parfois responsable de trou-bles dyspeptiques, et les réactions d’intolérance (rhinite,bronchospasme) sont rares chez les malades atteints d’unsyndrome de Widal [2,7]. Il n’a pas non plus de néphrotoxi-cité avérée bien que des insuffisances rénales chroniquesaient été occasionnellement rapportées après des traitementsprolongés [2]. Enfin, il ne perturbe pas l’hémostase, ni n’in-terfère habituellement avec les antivitamines K [1]. Les inte-ractions des anticoagulants oraux étant largement imprévisi-bles, il convient néanmoins de contrôler l’INR (InternationalNormalized Ratio) 3–4 jours après l’introduction de toutnouveau médicament ou son arrêt [8].

Il reste que le paracétamol a une marge thérapeutiquerelativement étroite notamment chez les sujets prédisposésaux hépatites cytolytiques. Mise à part l’insuffisance hépati-que, où le produit est contre-indiqué, la seule adaptationposologique imposée par l’Autorisation de mise sur le mar-ché (AMM) concerne l’insuffisance rénale évoluée (clai-rance de la créatinine < 10 ml/minutes) qui oblige à limiter ladose journalière à 3 g et à respecter un intervalle minimum dehuit heures entre deux prises successives [1]. Chez des mala-des poly-médicamentés, âgés de 84 à 95 ans, ayant uneclairance rénale calculée comprise entre 29 et 61 ml/minutes,nous n’avions noté aucune tendance à l’accumulation duparacétamol administré pendant une semaine à raison de3 g/jour, posologie maximale autorisée en France à l’époqueoù ce travail fut entrepris [9]. L’analyse d’une base de don-nées alimentée par des médecins généralistes au Royaume-Uni a montré que le pourcentage d’interruption du traitementliée à la survenue d’un effet indésirable n’était pas influencépar l’âge et qu’il était très faible tant à 3 g/jour (0,59 %) qu’à4 g/jour (0,29 %) [10]. En définitive, le grand âge n’obligepas à réduire la posologie usuelle du paracétamol (≤ 4 g/jour)en l’absence de facteurs de risques tels qu’un état de dénutri-tion, une néphropathie sévère, voire un alcoolisme chronique[4,10].

4. AINS

L’efficacité des AINS sur un large éventail de syndromesdouloureux, jointe à l’augmentation de la prévalence des

maladies rhumatismales avec l’âge, explique que 40 à 50 %de leurs prescriptions concernent des personnes de plus de65 ans. Les AINS occupent en effet une place de choix dansle traitement des accès aigus microcristallins et des rhuma-tismes inflammatoires chroniques, les spondylarthropathiessurtout [1]. Ils sont de surcroît conseillés comme alternativeau paracétamol dans l’arthrose symptomatique ou la lombal-gie commune [5,6,11].

Si le sujet âgé n’a pas l’apanage des accidents des AINS, ilen est toutefois la principale victime. Les ulcères gastroduo-dénaux et les manifestations rénovasculaires jouent à cetégard un rôle prépondérant.

4.1. Complications des AINS

4.1.1. Ulcères gastroduodénauxLes ulcères hémorragiques et les perforations induits par

les AINS provoqueraient chaque année 1200 décès auRoyaume-Uni, la population âgée payant le tribut le pluslourd en raison d’une forte consommation d’AINS et d’untaux de mortalité particulièrement élevé, de l’ordre de 9 %entre 60 et 79 ans et de 16 % à partir de 80 ans [12,13].

On considère généralement que le grand âge favorise lasurvenue des accidents gastroduodénaux des AINS. En réa-lité, leur risque relatif varie peu avec le vieillissement ; c’estsurtout leur incidence de base qui augmente avec l’âge [14].Ainsi une méta-analyse des études épidémiologiques pu-bliées au cours de la décennie 1990 a montré que le risquerelatif de perforation ou d’hémorragie gastro-intestinale sousAINS classiques était de 3,8 (intervalle de confiance à 95 % :3,3–4,3) avant 65 ans, de 3,9 (3,6–4,3) entre 65 et 74 ans, de4,5 (3,8–5,3) entre 75 et 84 ans et de 4,8 (4,0–5,7) au-delà[15]. Les personnes âgées ont par ailleurs une plus forteprobabilité d’avoir d’autres éléments prédisposant aux com-plications digestives des AINS tels qu’un antécédent ulcé-reux, la prise concomitante d’un corticoïde, d’un anticoagu-lant ou d’aspirine à visée antithrombotique, voire d’uneinfection à Helicobacter pylori, d’une affection cardiovascu-laire, d’un diabète ou d’un état de dénutrition [12,13].

Quant aux inhibiteurs sélectifs de COX-2, le regroupe-ment des données des essais de phases II–III indique qu’ilsentraînent globalement une réduction absolue du risque deperforation, ulcère symptomatique et saignement (PUS)compris entre 1,27 et 1,89 pour 100 patients années parrapport aux AINS traditionnels prescrits à leur posologiemaximale [16]. En d’autres termes, les PUS sont environdeux fois moins nombreux sous coxibs que sous AINS clas-siques, y compris chez les personnes âgées ou ayant un passéulcéreux [16].

Le célécoxib et le rofécoxib ont par ailleurs fait l’objetd’un essai randomisé, en double insu, à grande échelle,destiné à confirmer leur innocuité digestive. Ils furent alorsemployés à une posologie journalière deux à quatre fois plusimportante que celle préconisée en rhumatologie. L’étudeconnue sous l’anonyme CLASS (Celecoxib Long-term Arth-ritis Safety Study) comportait deux essais distincts (célé-

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coxib 800 mg/jour vs diclofénac 150 mg/j et vs ibuprofène2400 mg/jour) réalisés chez des malades âgés de 60 ans enmoyenne et souffrant d’arthrose (73 %) ou de polyarthriterhumatoïde (27 %). Dans les deux cas, le nombre de perfora-tions, syndromes d’obstruction pylorique, saignements(POS), critère majeur de jugement, était du même ordre souscélécoxib et AINS non sélectifs. L’incidence des PUS futégalement comparable sous célécoxib et diclofénac (1,05 vs1,30 %, p = 0,30) ; elle fut en revanche, moins élevée souscélécoxib que sous ibuprofène (1,05 vs 1,76 %, p = 0,02),surtout dans le sous-groupe de patients ne prenant pas d’aspi-rine à faible dose (0,68 vs 1,72 %, p < 0,001) [16]. Le taux dePOS et de PUS était en revanche plus faible sous rofécoxib50 mg/jour que sous naproxène 1 g/jour (0,4 vs 0,9 % et1,4 vs 3,0 %, respectivement), avec un risque relatif égal à0,43 (0,24–0,78) et 0,46 (0,33–0,64), respectivement, dansl’essai VIGOR (VIoxx Gastrointestinal Outcomes Research)qui incluait des malades atteints de polyarthrite rhumatoïde,âgés de 58 ans en moyenne, et interdisait un traitement paraspirine à but antiagrégant [16]. Parmi les hypothèses sus-ceptibles de rendre compte de la disparité des résultats entreCLASS et VIGOR, mentionnons la différence entre les AINSclassiques de référence et la perte de sélectivité COX-2 ducélécoxib aux doses supra-thérapeutiques [17]. Il apparut enoutre que l’adjonction d’aspirine multipliait par 2 ou 3 envi-ron la probabilité de développer un ulcère symptomatiquesous coxibs [16].

4.1.2. Complications rénovasculairesElles consistent principalement en une rétention hydroso-

dée, souvent asymptomatique, mais s’exprimant parfois pardes œdèmes des membres inférieurs, une augmentation de lapression artérielle ou la décompensation d’une insuffisancecardiaque congestive [18], dont les AINS multiplieraient lerisque par 10 environ d’après deux études cas témoins[19,20]. Il n’y aurait, à l’inverse, aucun danger d’insuffisancecardiaque lors d’un traitement par AINS en l’absence decardiopathie préalable [19,20].

Les AINS sont une cause d’insuffisance rénale aiguë surdes terrains prédisposés, la prise éventuelle d’un inhibiteurde l’enzyme de conversion ou de l’angiotensine-2 constituantun facteur aggravant. Lorsque le flux sanguin rénal est com-promis (insuffisance cardiaque ou rénale, hypovolémie effi-cace liée à un état de déshydratation, l’administration d’undiurétique...) des mécanismes compensateurs interviennentqui visent à préserver le débit de filtration glomérulaire :vasodilatation des artérioles afférentes sous l’effet des pros-taglandines et vasoconstriction des artérioles efférentes sousla dépendance du système rénine–angiotensine. Cette com-plication dose-dépendante et d’installation précoce se traduitinitialement par une oligurie, réversible en 3–5 jours aprèsl’arrêt de l’AINS [18]. Il s’agit finalement d’un accident rarepuisque le nombre d’hospitalisations pour une insuffisancerénale imputable aux AINS atteindrait au maximum 25 pour10 000 patients années chez les personnes de plus de 65 ans[21].

Des hyperkaliémies et des hyponatrémies ont été occa-sionnellement signalées [18].

Toutes ces complications sont communes à l’ensembledes AINS, qu’ils soient ou non sélectifs de COX-2 [18]. Lescoxibs comportent-ils en plus un risque thrombotique propre,inhérent à leur profil pharmacologique puisqu’ils respectentla COX-1 plaquettaire (qui catalyse la synthèse de throm-boxane A2, agent vasoconstricteur et pro-agrégant) et inhi-bent COX-2 (qui contrôle la production de prostacycline auxpropriétés vasodilatatrices et anti agrégantes) ? La publica-tion de thromboses artérielles apparues sous célécoxib chezquatre patients atteints d’une connectivite et le taux plusélevé d’infarctus du myocarde sous rofécoxib (0,4 %) quesous naproxène (0,1 %) dans VIGOR entretint le soupçon[17]. Mais cette crainte fut dissipée par les méta-analyses desessais cliniques et par les études épidémiologiques et obser-vationnelles ultérieures qui innocentèrent le célécoxib et lerofécoxib employés à leur posologie usuelle dans l’arthroseou la polyarthrite rhumatoïde [22–25]. Une enquête récem-ment parue vient de relancer la controverse en concluant àune augmentation faible, mais statistiquement significative,des accidents vasculaires cérébraux sous rofécoxib (0,48 %)ou célécoxib (0,39 %) par rapport au méloxicam (0,27 %)[26,27]. Mais les aléas des travaux rétrospectifs et leursinéluctables biais méthodologiques discréditent ce résultat,surtout qu’on répertoria moins de phlébites périphériquessous rofécoxib (0,05 %) que sous méloxicam ou célécoxib(0,1 %) et que les accidents coronariens ne différaient pasentre les trois AINS [26,27].

Si les coxibs ne favorisent pas les thromboses, probable-ment grâce à l’intervention de médiateurs tels que le mo-noxyde d’azote [17], de l’aspirine à dose antiagrégante doitnéanmoins leur être associé, comme à tout AINS, quandl’état cardiovasculaire du malade l’exige — quitte à perdreen partie le bénéfice digestif des coxibs [16]. On évite alorsl’ibuprofène, qui réduit l’effet cardioprotecteur de l’aspirine,pour lui préférer un coxib ou du diclofénac, qui n’interfèrepas avec l’aspirine [28].

4.2. Modalités de prescription

La première question est celle du choix de l’AINS. Auxposologies maximales autorisées, les coxibs induisent deuxfois moins de PUS ou de POS que les AINS classiques chezles personnes âgées. L’emploi d’un coxib apparaît dès lors« avantageux » (cost effective) dans cette population, l’asso-ciation d’un AINS non sélectif et de misoprostol ou d’uninhibiteur de la pompe à protons étant une possible alterna-tive [16]. Mais l’une ou l’autre solution reste potentiellementdangereuse chez les sujets à risque digestif élevé. On en veutpour preuve le grand nombre de récidives de saignementsenregistré en six mois chez des malades traités par du célé-coxib (4,9 %) ou du diclofénac sous couvert d’oméprazole(6,4 %) après la guérison d’un ulcère gastroduodénal hémor-ragique récent [29]. Dans cet essai, on déplora en outre24,3 et 30,8 %, respectivement, de complications rénales.

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C’est dire qu’il n’y a pas d’AINS anodin chez les sujetscumulant les facteurs de risques et qu’il faut alors envisagerd’autres thérapeutiques.

Chez les malades sous antivitamine K, le recours à uncoxib paraît logique, sous réserve d’une vérification de l’INRet d’une adaptation posologique éventuelle de l’anticoagu-lant [30].

En toute hypothèse, le caractère dose-dépendant des prin-cipaux effets indésirables des AINS incite à commencer parune posologie moyenne (moitié de la posologie quotidiennemaximale), souvent suffisante dans l’arthrose symptomati-que. Au besoin, on ajoutera du paracétamol ou un opioïdefaible [1].

5. Opioïdes

Les opioïdes ont été peu étudiés en rhumatologie [31,32].Des essais disponibles, il ressort que :

• l’addition d’un opioïde au paracétamol est plus efficace— et plus mal tolérée –– que le paracétamol seul, dansl’arthrose et la lombalgie commune notamment ;

• l’administration d’un opiacé contribue au soulagementdes malades insuffisamment calmés par la prise d’unantalgique non opioïde ; elle peut aussi jouer un rôle d’« épargne » en permettant de réduire la consommationd’AINS ;

• aux doses efficaces, les opioïdes entraînent un grandnombre d’effets indésirables et, partant, d’arrêts pré-maturés du médicament. Il s’agit surtout de nausées,vomissements, somnolence, sensations vertigineuses,dysphorie, qui cèdent habituellement en quelques jours,contrairement à la constipation, qui est opiniâtre. Bienque purement fonctionnels et, par essence, bénins, cestroubles sont gênants, voire rédhibitoires.

Or le sujet âgé est particulièrement sensible aux opioïdespour des raisons pharmacocinétiques et pharmacodynami-ques, mais aussi à cause de la fréquente co-prescription depsychotropes (hypnotiques, antidépresseurs, anxiolytiques,myorelaxants...), qui majorent les manifestations centralesdes opiacés [32]. On arguera qu’à la différence des AINS, lesopioïdes ne provoquent pas de lésions viscérales [32]. Maisen perturbant la vigilance, ils sont en mesure de favoriser leschutes et par voie de conséquence, les fractures du col fémo-ral [33].

En pratique, il est conseillé d’employer les morphiniquesà une posologie initiale deux fois plus faible que celle cou-ramment utilisée chez l’adulte jeune, puis d’en ajuster trèsprogressivement la dose en fonction de la réponse (efficacité,« tolérance ») [1,32]. Le choix de la molécule dépend dudegré d’analgésie recherché, sachant qu’aux doses équi-analgésiques, tous les opioïdes entraînent des effets secon-daires grossièrement comparables en fréquence et en inten-sité [31]. Individuellement, il existe toutefois des différencesde sensibilité à un produit donné : cette notion fonde leconcept de « rotation des opioïdes ».

En rhumatologie, on peut généralement se contenter desopioïdes faibles en complément d’un antalgique non opioïde.La prescription de morphine se justifie parfois dans dessyndromes douloureux aigus sévères (radiculalgies, fracturesvertébrales...) et sporadiquement dans des affections rhuma-tologiques chroniques. Dans ce dernier cas, elle doit êtreencadrée et surveillée ainsi que le stipulent les recommanda-tions de Limoges [34].

6. Conclusion

Chez le sujet âgé, on est avant tout confronté au problèmede la tolérance des antalgiques. Comme les effets indésira-bles des AINS et des opioïdes sont en grande partie dose-dépendants, il faut s’appliquer à en limiter la posologie sansnuire à l’efficacité du traitement. Pour atteindre cet objectif,il est conseillé d’associer divers antalgiques, de s’aider desmoyens non pharmacologiques appropriés et, le cas échéant,de prescrire le médicament de fond adapté.

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