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Les Alizés Sylvie Niffle-Cassagne

Les Alizés - static.fnac-static.com · Je ne sais pas comment j’ai pu regagner ma place tant la peur me paralysait. Je ... J’ai repris le train de retour avec ... j’ai pris

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Les A

lizés

Les Alizés

Sylvie Niffle-Cassagne

10.54 615214

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 122 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 10.54 ----------------------------------------------------------------------------

Les Alizés

Sylvie Niffle-Cassagne

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Terminus

Il est difficile, voire impossible d’effacer de sa mémoire certains souvenirs. Je pense même que le fait de vouloir arriver à ce résultat ne peut que nous en éloigner. Le destin met sur notre route certaines embûches, et nous devons, tel un sportif de haut niveau aller jusqu’au bout de nous-mêmes pour y faire face. Mais, sommes-nous psychologiquement préparés ? Rarement, car des situations aussi complexes qu’inattendues nous croisent au détour du chemin.

C’était au mois de juillet, un mercredi. J’ai pris le train, l’esprit libéré, m’amusant à m’imaginer tous les avantages de ces trois semaines de vacances, bronzage, rencontres, farniente. Oh ! Délices, la plage, le soleil, les soirées sympas. Nous roulions depuis plusieurs heures, ça ne me dérangeait pas. J’avais amené des livres et des revues plus que je ne pouvais en lire. Je n’avais pas à changer de correspondance jusqu’à l’arrivée. Après chaque arrêt, le train se vidait

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progressivement. C’était la seconde fois que je faisais ce voyage pour aller chez ma sœur. Plongée dans ma lecture, je me suis endormie.

Quand je me suis réveillée, je ne voyais plus personne dans le wagon. Etonnée, je me suis levée tout en me dirigeant vers les toilettes. Au passage, j’ai aperçu un homme et une enfant. Sur le moment, je n’y ai guère prêté attention. C’est au retour que j’ai marqué une hésitation. L’enfant de trois ou quatre ans dormait. Elle était attachée à cet homme. Attachée, me direz-vous, mais comment ? Et bien, comme un chien, avec un harnais autour de la poitrine et une laisse en cuir que l’homme tenait à la main. Je n’ai pu dissimuler ma surprise et il s’est levé pour me parler. Il a ouvert la bouche. Je ne sais pas comment j’ai pu regagner ma place tant la peur me paralysait. Je tremblais de tous mes membres. L’idée qu’il pouvait m’adresser la parole me terrorisait. Je pensais à un enlèvement. Cette enfant dormait. Etait-elle droguée ? Il fallait que j’en parle à quelqu’un. Je me suis levée et j’ai parcouru le couloir. Le constat était simple. J’étais seule avec cet homme et cette enfant. Je suis revenue à ma place. Je me torturais l’esprit pour savoir comment j’allais pouvoir la délivrer. La prochaine gare était le terminus. De toute évidence, nous devions sortir ensemble. Aurais-je le temps d’avertir un employé avant qu’elle ne disparaisse avec son ravisseur ? J’ai essayé de lire mais je ne pouvais pas me concentrer. Le paysage m’était indifférent. Je n’étais

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plus qu’un esprit qui vagabondait à la recherche d’une solution. Le reste n’existait plus. J’étais perdue dans mes pensées lorsque je les ai vus arriver. Il avait les cheveux rasés, de gros sourcils et des dents abîmées. L’enfant se laissait mener sans sourciller. Il a posé un doigt sur sa bouche pour m’imposer le silence. Tout doucement, sans lâcher la laisse, il a ouvert son sac. Il avait des gestes très lents. J’ai pris peur et, instinctivement je me suis mise à crier. Il a posé ses mains sur mes épaules. Ce contact m’était insupportable. Comme électrisée, je me suis enfuie, prête à tout pour échapper à ses griffes. Il était sûrement armé, déterminé à me tuer pour éliminer le témoin que j’étais. Il paraissait calme, sûr de lui, calculateur. Son regard ne me quittait pas. Il avait lâché l’enfant. Terrée entre deux banquettes, j’attendais, impuissante. Il s’est rapproché de moi et a ouvert le sac. J’étais persuadée qu’il y cachait une arme. Profitant de ce qu’il s’est penché, j’ai fermé les yeux et, rassemblant tout mon courage, poings serrés, je lui ai asséné un grand coup derrière la nuque. A peine ai-je eu le temps de m’apercevoir qu’il était inconscient que le train est entré dans un tunnel. La fillette s’est mise à pleurer. Je lui ai parlé avec des paroles douces mais elle était inconsolable. Mon premier réflexe a été de lui ôter son harnais.

Elle se débattait. Je cherchais à l’amadouer et lui demandais son nom. L’homme gémissait. Pour plus de sûreté, je lui ai attaché les mains et les pieds

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derrière son dos à l’aide de la laisse pour l’immobiliser. L’enfant criait de plus en plus. Elle m’a griffée au visage. Son regard était terrifiant. Elle m’a échappée et s’est dirigée vers l’homme gisant dans le couloir. Elle se cognait, trébuchait. Enfin près de lui, elle l’a embrassé et, maladroitement a essayé de défaire ses liens. Je lui parlais et lui expliquais que plus jamais il ne lui ferait de mal. Elle a marché autour de lui et s’est entravée dans le sac. Immédiatement, elle en a sorti des vêtements ; une belle robe qu’elle exhibait. Je ne comprenais pas. Elle a commencé à enlever son pantalon, avec difficulté. Nous n’avions plus que quelques minutes avant d’arriver. Je me suis approchée d’elle, doucement et je l’ai aidée à changer d’habits. Elle avait l’air plus calme. D’une poche du sac, elle a sorti une brosse à cheveux et un peigne. Elle me les a tendus. Je lui parlais toujours. La sentant en confiance, je l’ai peignée. Profitant de ce que je sois près d’elle, elle m’a embrassée. Drôle de petite bonne femme, pensais-je !

Le train s’est arrêté. J’ai attendu, sans bouger. Un employé est entré dans le wagon.

– « Qu’est-ce qui s’est passé là-dedans ? – Ce monsieur m’a agressée. Il tenait cette enfant

en laisse. Elle doit être droguée car elle ne peut même pas marcher droit. C’est un kidnapping. Il faut appeler la police.

– Vous voulez que j’appelle la police ? – Bien sûr. On ne va tout de même pas le laisser

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s’évaporer dans la nature. – Vous êtes certaine de ce que vous dîtes ! – Pour moi, c’est l’évidence. » Un collègue l’avait rejoint. – « Eh bien ! Qu’est-ce que vous attendez ? J’ai fait

la moitié du travail. Je l’ai assommé et ligoté. Je ne vais tout de même pas le porter sur mon dos jusqu’au commissariat !

– Comme vous voudrez. – Il faudra faire des recherches pour retrouver les

parents de la petite. Elle est tellement traumatisée qu’elle ne dit pas un mot. »

Je me suis assise sur la banquette et je l’ai prise sur mes genoux. Elle me souriait et en peu de temps elle s’est endormie dans mes bras. Dix minutes plus tard, sont arrivés trois gendarmes.

– « Ah ! Ça c’est une belle prise mademoiselle, un dangereux gangster recherché par toutes les polices. »

L’homme, ligoté, qui depuis longtemps avait repris ses esprits, a souri.

– « Vrai ? dis-je surprise. – Vous avez assommé l’homme le plus doux de la

terre ; mon beau-frère. Bonjour Béa. Ah ! Ce papa, avec ses idées de toujours vouloir te changer dans le train. Je lui avais bien dit qu’il tomberait un jour sur quelqu’un qui ne comprendrait pas.

– Mais enfin… expliquez-moi.

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– Il est sourd et muet et sa fille est comme lui. De plus elle est aveugle. Alors, pour ne pas la perdre, ils s’attachent tous les deux. Il vous a simplement demandé de la changer pour qu’elle soit belle en arrivant chez sa mère. Si c’est lui qui l’avait fait, vous l’auriez sûrement dénoncé pour attentat à la pudeur sur mineure. N’est-ce pas ? »

J’ai acquiescé.

– « Mais alors ?

– Ne vous inquiétez pas, il ne portera pas plainte. Il s’en tire à bon compte, une bosse, il s’en remettra vite. »

Quand je suis arrivée chez ma sœur, c’est moi qui étais muette, impossible d’en parler pendant des jours. Rongée par le remord, j’ai passé des nuits blanches. Ces trois semaines m’ont paru longues et ennuyeuses. J’ai repris le train de retour avec soulagement lorsque, par hasard, j’ai aperçu un revolver dans la ceinture du pantalon de l’homme qui était en face de moi…

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A la croisée des chemins

J’étais en plein déménagement. Pour tout dire, je n’avais devant moi que des cartons pleins. Je ne savais pas trop par quoi commencer. J’avais loué un petit studio au troisième étage d’un immeuble. Il était tard pour commencer le rangement. Des amis avaient eu la gentillesse d’entasser pêle-mêle dans leur voiture, les quelques bricoles qui m’appartenaient. Ceci fait, ils m’avaient abandonnée, me laissant le loisir d’organiser seule mon installation. La journée avait été fatigante, principalement à cause des escaliers car il n’y avait pas d’ascenseur.

J’ai entendu frapper à la porte.

– « Qui est là ? – Votre voisin. Je viens vous inviter à mon

anniversaire. » Poliment, j’ai ouvert la porte. – « Bonjour »

Il m’a tendu la main.

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– « Yves Lecœur, j’habite au numéro cinq. Alors, vous venez ?

– Non merci ! Je suis épuisée et j’ai encore tout à ranger, une autre fois.

– Allez, fais pas de manières. Ça sera sympa, je t’assure.

– C’est pas possible, vraiment. – Non, non, non, on va couper la poire en deux. Tu

te reposes le temps que tous mes potes arrivent et tu nous rejoins, disons grosso modo à dix heures. Ça te va ?

– J’ai besoin de dormir. – Eh bien, il fallait choisir un autre jour.

Aujourd’hui, la musique va être au top et les vitres vont trembler ; alors, pour dormir, pigé ?

– Bon, d’accord, je range un peu et je vous rejoins »

Il avait l’air gentil, et tout compte fait, ça ne me déplaisait pas vraiment de me changer les idées. Je n’avais jamais trop eu l’occasion de m’amuser, élevée entre mon oncle et ma tante qui ressemblaient à deux statues de cire qui auraient avalé un portemanteau. J’appréhendais de me retrouver seule dans mon appartement et, sitôt un pied dedans, une invitation. Ça allait me changer des soirées télé et des promenades dominicales.

J’étais stimulée et commençais à installer au fur et à mesure de mes trouvailles.

Tout d’abord, les livres sur les étagères, puis les documents dans mon bureau sur lequel j’ai posé un

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presse-papier que j’ai embrassé comme une relique car c’était un peu l’âme de papa qui était là. Suivirent, une photo dans son cadre ainsi qu’un bouquet de fleurs séchées que des amies m’avaient offertes pour mes dix-huit ans.

J’ai enlevé les cartons vides. Ah ! Ça commençait tout doucement à avoir de l’allure.

J’ai fait mon lit. Satisfaite du résultat somme toute très correct, j’ai pris une douche et mis une robe. Après un coup de brosse sur mes cheveux et un brin de maquillage, j’ai attendu.

Je les entendais parler. La musique n’était certes pas encore au top comme avait dit Yves mais à travers nos cloisons de papier mâché je l’entendais distinctement.

J’ai pris un livre mais je ne pouvais pas lire à cause du bruit. Alors, je me suis relaxée en fermant les paupières. J’ai entendu frapper. Je suis allée ouvrir.

– « Alors, tu es prête ? – Oui, j’ai mis un peu d’ordre. » Il s’approche de quelques pas. – « Oh ! super. T’as de la place au moins. – Ben oui, ça manque de meubles. – Attends, j’ai une idée. Et si on venait danser chez

toi ? Ça te dérange ? – Oh, tu sais. Combien sommes-nous ? – Une quinzaine. – Ouah ! Ça sera petit. – Oui, mais chez moi c’est pire. – Alors d’accord.

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– On va laisser les portes ouvertes et monter le son. – Que vont dire les voisins ? – Y en a pas. Nous sommes tous de l’immeuble.

Que des étudiants c’est chouette, non ? Avoue que tu aurais eu tort de refuser.

– Certes. – Viens, on va les chercher. »

Il m’a présentée : Clara. Et j’ai vu défiler dans mon studio tous les habitants de l’immeuble.

Nous avons dansé, mangé, bu, chanté. La soirée s’achevait. J’étais éreintée au sens propre du terme et tombais de sommeil.

Tout à coup, Fabrice, avec qui j’avais beaucoup dansé s’est arrêté devant mon bureau et a dit :

– « Ouah ! c’est pas possible, j’ai la même photo. » Je me suis approchée, incrédule. – « C’est mon frère et moi lorsque nous avions cinq

ans et trois ans. – Mais alors, tu es ma sœur ! »

Du coup, plus personne n’a pensé à se séparer. Nous sommes restés tout le reste de la nuit à reconstituer notre vie qui avait suivi des rails parallèles. Enfin, pas si parallèles que ça puisque le hasard a voulu que nous nous retrouvions aujourd’hui.

A la mort de nos parents, mon frère avait été placé chez une tante du côté maternel et moi chez un oncle du côté paternel. Nous devions nous voir régulièrement pendant les vacances. Ces belles