Upload
humanresearch
View
45
Download
3
Tags:
Embed Size (px)
DESCRIPTION
Les Actes de Thaddée Les Actes de Thaddée Les Actes de ThaddéeLes Actes de Thaddée Les Actes de Thaddée Les Actes de Thaddée Les Actes de Thaddée Les Actes de Thaddée Les Actes de ThaddéeLes Actes de Thaddée Les Actes de Thaddée Les Actes de ThaddéeLes Actes de Thaddée Les Actes de ThaddéeLes Actes de Thaddée Les Actes de ThaddéeLes Actes de Thaddée Les Actes de Thaddée
Citation preview
Andrew PALMER
Research Associate, School of Oriental and African Studies,
London
LES ACTES DE THADDE
E
Cet article propose d'examiner les raisons qui permettent
une datation vraisemblable des Actes de Thadde
e, grecs, au
temps de l'empereur He
raclius, plus particulie
rement entre
l'entre
e de celui-ci a
Constantinople en 629 et la Pa
que 630.
This article refers to my edition of the Greek text, which is
in preparation, and to the French translation of the text to be
published in E
crits apocryphes chre
tiens, vol. 2, e
d. P. Geol-
train et J.-D. Kaestli, Paris, Gallimard. This article proposes
to examine the reasons which allow a likely datation of the
Greek Acts of Thaddaeus at the time of the emperor Hera-
clius, more precisely between his entry into Constantinople in
629 and Easter 630.
Introduction
Les Actes de Thadde
e sont un texte hagiographique grec
en prose. Ils sont conserve
s dans quelques manuscrits liturgi-
ques (me
nologes), parmi les lectures comme
moratives du
mois d'aou
t. Le texte est donc destine
a
e
tre lu (ou bien, il a
e
te
adapte
pour e
tre lu) a
haute voix devant les fide
les le jour
de la fe
te du saint. L'auteur utilise le me
dium qui, pendant
le Moyen A
ge, permettait d'atteindre le plus grand nombre
possible d'auditeurs avec la fre
quence la plus re
gulie
re. On
sait que la communication de masse la plus efficace est celle
qui parvient a
raconter en peu de mots une histoire simple et
remplie d'images faciles a
me
moriser. C'est le cas des Actes
de Thadde
e. Mais le re
cit n'est simple qu'a
la surface: sa
complexite
appara|
t de
s lors que l'on se rend compte qu'il se
distingue des autres versions connues de la le
gende d'Abgar
et de la tradition e
desse
nienne, et qu'il les contredit me
me
sur des points importants.
1 L'identite
et le champ d'activite
de Thadde
e. La liste
d'apo
tres transmise sous le nom d'E
piphane de Salamine
Apocrypha 13, 2002, p. 63-84
rapporte que ``Thadde
e dit aussi Lebbe
e, fre
re du pre
ce
dent,
surnomme
Jude de Jacques, pre
cha l'e
vangile du Seigneur
aux gens d'E
desse et dans toute la Me
sopotamie, au temps
d'Abgar, roi d'E
desse. Il mourut a
Beyrouth et y fut enterre
glorieusement
1
. Si cette liste remonte a
la seconde moitie
du
quatrie
me sie
cle, cela signifie qu'il existait de
ja
alors un texte
grec qui identifiait Thadde
e, membre du groupe des Douze
(selon certains mss. de Mt 10,3 et Mc 3,18), avec le Thadde
e
apo
tre d'E
desse en Me
sopotamie, pre
sente
par Euse
be (His-
toire eccle
siastique I,13) comme l'un des soixante-dix disci-
ples du Christ (voir Luc 10,1-18), et qui localisait la mort et
la se
pulture de ce Thadde
e a
Beyrouth. Les Actes de Thadde
e
se fondent sur ces renseignements et remplacent par une `ve
-
rite
grecque' les traditions syriaques et arme
niennes concer-
nant l'apo
tre de la Me
sopotamie.
2 L'apo
tre d'E
desse: Thomas et Thadde
e. E
desse posse
-
dait le corps de l'apo
tre Thomas. Selon le texte cite
par Eu-
se
be, c'est Thomas qui envoya Thadde
e a
E
desse. Il existait
me
me la tradition (atteste
e par la pe
lerine E
ge
rie en 384),
peut-e
tre ante
rieure a
Euse
be, selon laquelle l'apo
tre d'E
-
desse fut Thomas lui-me
me. Le fait que Thomas s'appelait
aussi Judas et que Thadde
e a e
te
identifie
avec un autre Ju-
das (``Judas, fils de Jacques'', qui est mentionne
a
la place de
Thadde
e dans la liste de Luc 5,14-16), a du
sugge
rer a
cer-
tains qu'il fallait identifier Thomas et Thadde
e. Notre texte
tranche la question plus nettement et supprime toute men-
tion du nom de Thomas.
3 Lettre de Je
sus a
Abgar, ou re
ponse orale et image du
Christ. Euse
be traduit deux lettres qu'il dit avoir trouve
es
dans les archives d'E
desse: une lettre d'Abgar, roi d'E
desse,
demandant a
Je
sus de venir le gue
rir, et une re
ponse e
crite
de Je
sus, ou
ce dernier promet au roi de lui envoyer plus tard
un de ses disciples pour le gue
rir. Notre texte pre
sente les
choses autrement. Il rapporte le contenu de la lettre d'Abgar
et celui de la re
ponse de Je
sus, mais cette re
ponse est trans-
mise oralement au courrier Ananias, et non pas sous forme
A. PALMER64
1. Texte dans Th. Schermann, Prophetarum vitae fabulosae indices apos-
tolorum discipulorumque, Leipzig, 1907, p. 112, 11-15 ; traduction de
F. Dolbeau, a
para|
tre dans E crApoc 2; F. Dolbeau propose pour cette
liste une date contemporaine d'E
piphane. D'autres listes d'apo
tres si-
tuent l'activite
de Thadde
e, l'un des Douze, a
E
desse et a
Beyrouth : cf.
Th. Schermann, ibid., p. 166, 8-9 ; p. 201, 26-202,2 ; p. 213, 18 ; p. 216, 24.
Voir aussi l'index, sous ``Thadde
e'', du 2
e
volume desActes apocryphes ar-
me
niens, trad. L. Leloir (CCSA4), Turnhout : Brepols, 1992, p. 804.
e
crite. Au lieu d'une lettre, Ananias rec
oit un linge dans le-
quel Je
sus a laisse
l'empreinte de son visage, et c'est ce linge
qui va gue
rir le roi de sa maladie `` avant me
me qu'arrive
Thadde
e''.
4 L'inviolabilite
promise a
E
desse. Les Actes de Thadde
e
ne disent mot de la protection divine promise a
E
desse par le
Christ. Euse
be non plus ne dit rien d'une telle promesse.
Gra
ce au re
cit de la visite d'E
ge
rie a
E
desse en 384, on ap-
prend que la lettre du Christ contient la promesse qu'aucun
ennemi ne pourra s'emparer de la ville. De
sormais, la lettre
se conclut par cette promesse et devient un texte apotro-
pa|
que, qu'on va inscrire un peu partout sur les portes des
villes et des maisons. Au sixie
me sie
cle pourtant, certains
e
rudits grecs vont remarquer que la promesse d'inviolabilite
,
absente chez Euse
be, est une interpolation
2
. Selon E
vagre
(fin du VI
e
sie
cle), le fait qu'E
desse ait surve
cu au sie
ge perse
de 544 est du
a
l'image du visage du Christ, `` faite par
Dieu''. E
vagre admet ainsi, sous une forme nouvelle, l'ide
e
qu'E
desse est prote
ge
e par Dieu. Notre texte en revanche
reste muet a
ce sujet.
Les textes grecs du X
e
sie
cle acceptent a
la fois la lettre et
la garantie d'inviolabilite
3
. Ils conside
rent l'empreinte du vi-
sage du Christ comme une amulette, comparable au palla-
dion de Troie
4
, prote
geant la ville qui la posse
dait contre ses
ennemis.
En bref, le re
cit des Actes de Thadde
e pre
sente plusieurs
particularite
s qui le distinguent des nombreuses autres ver-
sions de la le
gende d'E
desse: notre texte est le seul, avec Eu-
se
be, a
ne pas parler de l'inviolabilite
de la ville ; il est le seul,
a
part la Doctrine d'Adda|
, a
nier l'existence d'une lettre de
Je
sus a
Abgar; il est le seul a
attribuer la gue
rison du roi uni-
quement a
la pre
sence de l'image du Christ. Il est le seul aus-
si a
parler d'une mission de Thadde
e a
la ville d'Amida et de
donner un characte
re juda|
sant a
l'e
vangile de Thadde
e. Il
convient de s'interroger sur le pourquoi de ces particularite
s.
Les Actes de Thadde
e sont un texte bref, mais leur inte
re
t est
LES ACTES DE THADDE
E 65
2. Procope, Guerres, II, 12, 20-30 ; E
vagre, Histoire eccle
siastique IV 27.
3. Voir les deux textes apparente
s e
dite
s synoptiquement et analyse
s par
E. von Dobschu
tz, Christusbilder, Leipzig, 1899, ``Beilage II. Zum Chris-
tusbilde von Edessa'', p. 29**-107**: A gothique = texte des Me
ne
es
pour la fe
te de la translation du 16 aou
t ; B gothique = Home
lie pour la
fe
te du me
me jour transmise sous le nom de Constantin Porphyroge
ne
te.
4. La comparaison a e
te
e
tablie par E. von Dobschu
tz, dans le premier
chapitre de son Christusbilder.
grand. L'enque
te pre
sente
e dans les pages qui suivent doit
contribuer a
une meilleure compre
hension des e
crits apocry-
phes chre
tiens; elle mettra en e
vidence le ro
le qu'ont joue
,
pendant le Moyen A
ge, les le
gendes relatives aux apo
tres du
Christ en tant que ve
hicules de propagande religieuse et poli-
tique.
Thomas, Adda|
et Thadde
e
La Doctrine de l'apo
tre Adda|
, texte syriaque du V
e
sie
cle,
raconte que Thomas l'un des douze, au premier rang des
apo
tres du Christ a envoye
en Me
sopotamie un certain
Adda|
, l'un des soixante-douze disciples, apre
s l'ascension
du Christ ressuscite
5
. De fait, Adda|
a probablement existe
,
mais au deuxie
me sie
cle et non au premier. Les E
desse
niens,
parce qu'ils voulaient rapprocher leur e
vange
liste des apo
-
tres, vinrent a
en faire le subordonne
de Thomas.
Les donne
es fournies par la Doctrine d'Adda|
correspon-
dent a
ce que l'on trouve au IV
e
sie
cle de
ja
dans l'Histoire
eccle
siastique d'Euse
be de Ce
sare
e
6
traduite du grec en sy-
riaque vers 400 a
la diffe
rence pre
s qu'Euse
be appelle
l'apo
tre d'E
desse `Thadda|
os' (Thadde
e), et non Adda|
. Eu-
se
be, qui rapporte la mission de Thadde
e en Hist. eccl. I,13,
en fait la pie
ce ma|
tresse de l'introduction de son ouvrage, et
les documents originaux qu'il cite a
cet endroit sont destine
s
a
illustrer un premier apport sensationnel de sa me
thode. En
les citant, il met en jeu sa re
putation d'historien documen-
taire, dont il est fier. Il est donc peu probable qu'il mente
quand il dit avoir traduit litte
ralement l'original syriaque
conserve
dans les archives de la ville me
sopotamienne
d'E
desse. On peut affirmer avec confiance qu'Euse
be a eu
sous les yeux le nom syriaque inconnu d'Adda|
utilise
par
les auteurs syriaques et qu'il l'a `traduit' par le nom connu
de Th-adda|
-os
7
.
A. PALMER66
5. Voir A. Desreumaux, Histoire du roi Abgar et de Je
sus (Apocryphes.
Collection de poche de l'AELAC 3), Turnhout, 1993; idem, ``Doctrine
de l'apo
tre Adda|
'', dans E
crits apocryphes chre
tiens, I, e
d. F. Bovon et
P. Geoltrain, Paris, 1997 (E crApoc 1), p. 1471-1525.
6. La date de re
daction de l'Histoire eccle
siastique est dispute
e. En fa-
veur d'une datation en 313 ou peu apre
s, voir A. Palmer, ``The place of
King Abgar in the scheme of Eusebius' Ecclesiastical History'', Bulletin
de l'AELAC 8, 1998, p. 17-19.
7. Thadde
e, en syriaque, est ``Tadda|
''. Il s'agit donc d'une ``erreur de
C'est en 384, a
une e
poque ou
l'Histoire eccle
siastique
d'Euse
be n'avait encore e
te
traduite ni en syriaque ni en la-
tin, que l'e
ve
que d'E
desse raconta la conversion de sa ville a
la pe
lerine occidentale E
ge
rie
8
. Gra
ce a
E
ge
rie, nous appre-
nons qu'E
desse posse
dait le `` martyrium du saint apo
tre
Thomas'' : `` Son corps entier a e
te
de
pose
la
-bas, a
E
desse;
c'est lui [Thomas] que Je
sus notre Dieu avait promis d'y en-
voyer quand il serait monte
au ciel, dans la lettre qu'il fit
porter au roi Abgar par le courrier Ananias, lettre que l'on
conserve avec grande re
ve
rence dans la ville d'E
desse, ou
se
trouve ce martyrium
9
.'' On rele
vera que l'apo
tre promis par
Je
sus est Thomas et qu'il n'est pas question de Thadde
e. On
notera aussi que Thomas e
tait l'objet au quatrie
me sie
cle
d'un culte important a
E
desse: la ville posse
dait le corps du
martyr et attirait de nombreux pe
lerins.
Il est frappant que la Chronique d'E
desse, texte syriaque
compose
en l'an 540 a
partir d'extraits des archives e
pisco-
pales, ne mentionne pas non plus Adda|
, mais souligne par
deux fois le culte de Thomas (voir plus loin). Il faut cepen-
dant se me
fier ici de l'argumentum e silentio : la Chronique
d'E
desse omet aussi de mentionner le personnage le plus
connu de toute l'histoire d'E
desse, le roi Abgar V Oukkomo
(`le Noir'), contemporain du Christ, de me
me que la conver-
sion de la ville au temps des apo
tres. Cela ame
ne a
supposer
que la Chronique faisait partie d'une composition plus vaste,
dans laquelle tout l'honneur revenait a
Abgar V et sans
doute aussi a
Adda|
, dont l'e
ve
que d'E
desse en 540 portait
d'ailleurs le nom
10
.
Dans la lettre a
Abgar traduite par Euse
be, Je
sus promet
de lui envoyer l'un de ses `disciples', mais il ne le nomme
pas. Dans les e
vangiles, le terme mahyty
q s'applique surtout
aux Douze. En outre, le de
but de la lettre (`Tu es be
ni, parce
que tu as cru en moi sans m'avoir vu') rappelle la parole du
LES ACTES DE THADDE
E 67
traduction d'Euse
be. S'il avait identifie
Adda|
avec le Tadda|
de Mt
10,3, on aurait pu penser que la substitution d'un nom a
l 'autre e
tait in-
tentionnelle ; mais il n'en est rien puisqu'il pre
sente Thadde
e comme l'un
des soixante-dix disciples (soixante-douze selon la Doctrine d'Adda|
)
dont parle Lc 10, 1-18, et non comme l'un des Douze.
8. E
ge
rie, Journal de Voyage, 17, 1 ; 19, 2-19 ; texte et traduction dans
P. Maraval, E
ge
rie. Journal de Voyage (Itine
raire) (Sources chre
tiennes
296), Paris, 1982, p. 196-199; 202-213.
9. Journal d'E
ge
rie 17,1, op. cit., p. 199.
10. A. Palmer, ``Procopius and Edessa'', Antiquite
Tardive, 8, 2000,
p. 127-136.
Christ ressuscite
a
Thomas (Jn 20, 29: `Maintenant, parce
que tu m'as vu, tu crois. Bienheureux ceux qui, sans m'avoir
vu, croient en moi'). Il semble donc bien que celui qui a
forge
cette lettre de Je
sus ait pense
, non pas a
Adda|
, mais a
Thomas. Cela implique que, dans l'histoire originelle, Tho-
mas jouait le ro
le de l'apo
tre d'E
desse.
Pourtant, les Actes de Thomas ne racontent pas que Tho-
mas soit alle
a
E
desse
11
. Rappelons qu'on admet commune
-
ment que les Actes de Thomas ont e
te
e
crits a
E
desse dans les
premie
res de
cennies du troisie
me sie
cle, sans qu'on soit en
mesure d'en pre
ciser davantage la date. Or les Actes de Tho-
mas rapportent que le roi indien Mazda|
, qui avait fait exe
-
cuter `Judas' Thomas, se mit plus tard a
la recherche de ses
os afin de gue
rir son fils ; mais qu'il ne les trouva pas, `car
un des fre
res les avait vole
s et les avait monte
s en Occident'.
Ce re
cit cense
e
desse
nien, qui intrigue ses lecteurs en parlant
de `l'Occident' sans pre
ciser le nom du lieu, a peut-e
tre pour
but de les pre
parer psychologiquement a
la de
couverte de
ses os. Or, a
supposer qu'une `de
couverte arche
ologique' ait
mis au jour a
E
desse non seulement les ossements de l'apo
tre
Thomas, mais aussi la lettre d'Abgar a
Je
sus et la re
ponse de
ce dernier, on a pu facilement en conclure que Thomas e
tait
le disciple que Je
sus avait promis d'envoyer a
Abgar et on a
pu inse
rer dans les archives publiques ces nouveaux `faits'
concernant l'histoire ancienne de la ville, avec les `docu-
ments' qui semblaient les e
tablir
12
.
Une telle `de
couverte' est facile a
imaginer au temps du
roi d'E
desse Abgar VIII bar Ma`nou, qui poursuivit autour
de l'an 200 une politique discre
tement philochre
tienne; elle
se conc
oit mal apre
s 216, puisqu'a
cette date E
desse devint
colonie romaine. Abgar VIII peut tre
s bien avoir mis en
sce
ne la `de
couverte arche
ologique' qui re
ve
lait la foi de son
ance
tre Abgar V, et avoir ainsi justifie
, par la `coutume des
anciens', sa propre politique. Il lui suffisait de faire `de
cou-
vrir' les deux lettres. Quant au reste de l'histoire, le peuple
se chargerait de le reconstruire, dans une direction ou dans
une autre. Les uns, hostiles a
Thomas a
cause de son encra-
tisme ou de son gnosticisme suppose
, vont rester fide
les a
la
tradition selon laquelle l'apo
tre d'E
desse s'appelait Adda|
.
A. PALMER68
11. Voir la traduction de P.-H. Poirier et Y. Tissot dans E
crApoc 1,
p. 1321-1470.
12. Voir A. Palmer, ``King Abgar of Edessa, Eusebius and Constan-
tine'', dans The Sacred Centre as the Focus of Political Interest, e
d.
H. Bakker, Groningen, 1992, p. 3-29, spe
cialement p. 26-27.
Les autres vont conclure, pour les raisons que j'ai pre
ce
dem-
ment donne
es, que le disciple anonyme dont parle la lettre
de Je
sus a
Abgar ne pouvait e
tre que Thomas. La version de
ces derniers va survivre dans le culte de Thomas et la ve
ne
ra-
tion de son martyrium. Les premiers vont s'efforcer d'har-
moniser la `de
couverte' des lettres avec la tradition authen-
tique en faisant d'Adda|
un contemporain de Thomas, et en
associant indirectement Thomas a
la mission d'Adda|
.
Faut-il supposer que seules les lettres se trouvaient dans
les archives de la ville ou
elles auraient e
te
place
es par Ab-
gar VIII et que l'e
ve
que Quno, qui en envoya probable-
ment une copie a
Euse
be, e
tait partisan de la tradition
d'Adda|
et avait ajoute
sa version en appendice aux lettres?
Peut-e
tre. Mais la ve
rite
des faits e
chappe a
notre prise. La
seule chose que l'on puisse dire avec certitude, c'est que le
choix d'Euse
be en faveur du nom de Thadde
e a pre
pare
le
chemin qui conduit a
notre texte. Celui-ci en effet, en faisant
de Thadde
e l'un des douze, peut se passer comple
tement de
Thomas. Il est inte
ressant de relever que les Actes de Thad-
de
e expliquent l'absence des os de Thadde
e a
E
desse en si-
tuant sa se
pulture et son culte a
Beyrouth.
13
La grande e
glise d'E
desse fut fonde
e en 312/313 par
l'e
ve
que Quno, celui-la
me
me qui a sans doute signale
a
Eu-
se
be l'existence de la correspondance d'Abgar et de Je
sus. A
cette e
poque, les ossements de Thomas se trouvaient encore
dans le ``martyrium'', ou
E
ge
rie les ve
ne
ra en 384; c'est ce
me
me e
difice que Socrate appelle le `glorieux et magnifique
martyrium de l'apo
tre Thomas' (Histoire eccle
siastique, IV,
18, a
propos de l'anne
e 372?). C'est le 22 aou
t 394 que le
sarcophage de Thomas fut transfe
re
du martyrium a
la
grande e
glise d'E
desse, qui devint de
s lors `son e
glise' ; c'est
cette e
glise qu'E
ge
rie de
crit comme ``immense et tre
s belle,
agence
e de neuf, de sorte qu'elle est vraiment digne d'e
tre la
maison de Dieu (ingens et valde pulchra et nova dispositione,
ut vere digna est esse domus Dei)''. Le sarcophage de Thomas
y fut dote
, en l'an 441/442, d'un sanctuaire (naos) en ar-
gent.
14
LES ACTES DE THADDE
E 69
13. Noter la diffe
rence avec la tradition ge
orgienne selon laquelle il fut
enseveli a
E
desse : M. van Esbroeck, `Neuf listes d'Apo
tres orientales',
Augustinianum 34, 1994, p. 109-199, a
la page 132 ; selon van Esbroeck,
cette tradition est a
dater apre
s 519 (p. 133).
14. Pour les informations dans ce paragraphe, voir la Chronique d'E des-
se, s.a. 624, 705, 753.
En 525, une inondation de
vastatrice de
truisit l'e
glise, ainsi
qu'une grande partie de la ville. On commenc
a tout de suite
a
la reconstruire, mais les travaux ne s'acheve
rent que vers
545. Il est possible que la Chronique d'E
desse ait fait partie
d'un document accompagnant une pe
tition addresse
e a
Jus-
tinien en 540 par les E
desse
niens, gra
ce a
laquelle ils obtin-
rent de l'empereur les ressources ne
cessaires pour accomplir
a
E
desse les travaux de
crits par Procope dans son ouvrage
sur les E
difices
15
. Cette demande d'aide impe
riale explique-
rait l'importance que l'auteur de la Chronique accorde aux
e
difices de la ville, et en particulier a
la grande e
glise et au
sanctuaire de Saint Thomas.
Il semble cependant que la nouvelle e
glise ne fut pas
consacre
e a
Thomas, mais a
la Sainte Sagesse une de
dicace
che
re a
Justinien. Lorsqu'He
raclius visita E
desse, en l'an
629, cette e
glise appartenait aux Jacobites, qui y avaient e
te
installe
s par les conque
rants persans. L'empereur s'y rendit
tout de me
me le dimanche, mais l'e
ve
que lui refusa la
communion en raison de l'adhe
sion de l'empereur a
la foi
chalce
donienne. He
raclius, furieux, restitua sur-le-champ
l'e
glise aux Chalce
doniens
16
. Comme nous allons le montrer,
la re
daction des Actes de Thadde
e est a
situer vers le temps
de cet e
ve
nement, peu apre
s la fondation d'une grande e
glise
pour les Chalce
doniens d'Amida, ou
l'empereur laissa
l'e
glise existante entre les mains des Jacobites
17
. Les deux
e
ve
nements sont a
dater de 629. Dans notre livre sur les Ac-
tes de Thadde
e, nous ferons l'hypothe
se que ce texte fut des-
tine
a
e
tre lu pour la premie
re fois a
E
desse et a
Je
rusalem le
21 mars 630, lors du retour de la sainte croix de son exil ba-
bylonien, ou le dimanche suivant, au cours de la liturgie pas-
cale.
L'auteur des Actes de Thadde
e connaissait un texte
peut-e
tre le catalogue d'apo
tres attribue
a
E
piphane se-
lon lequel l'un des Douze, le dixie
me apo
tre dans la liste de
Marc (Mc 3,18: Thadde
e) et dans celle de Matthieu (Mt
10,3: Lebbe
e, surnomme
Thadde
e), avait eu comme champ
de mission Beyrouth et la co
te phe
nicienne
18
. Il connaissait
A. PALMER70
15. Procope, De Aedificiis II, 7 ; voir A. Palmer, art. cit. (supra n. 10)
16. Voir A. Palmer, The Seventh Century in the West-Syrian Chronicles,
Liverpool, 1993, p. 140, avec la note 323.
17. A. Palmer, ibidem, p. 141.
18. Voir H. J. W. Drijvers dans W. Schneemelcher, Neutestamentliche
Apokryphen, 5. Aufl., t. I, Tu
bingen, 1987, p. 391 (version anglaise,
p. 494), qui se fonde sans doute ici sur un des textes cite
s a
la note 1.
e
galement l'histoire, rapporte
e par Euse
be et par la Doctrine
d'Adda|
, de la conversion d'Abgar et d'un grand nombre de
ses sujets par un autre Thadde
e, l'un des soixante-dix disci-
ples du Christ. Il connaissait probablement aussi la tradition
arme
nienne selon laquelle Thadde
e avait subi le martyre a
Buritis en Arme
nie
19
; mais il a substitue
a
la mission de
Thadde
e en Arme
nie inte
rieure une mission a
Amida, qui se
trouve dans la partie de la Me
sopotamie la plus proche de
l'Arme
nie ; il a aussi remplace
la mort violente de Thadde
e,
l'apo
tre de second rang, par la mort naturelle de Thadde
e,
l'un des Douze, a
Beyrouth, dont le nom ressemble a
Buritis.
La tradition syriaque, en revanche, raconte qu'Adda|
c'est-a
-dire le Thadde
e d'Euse
be l'un des soixante-
douze apo
tres, mourut et fut enseveli a
E
desse
20
.
Ainsi, la tradition arme
nienne et la tradition syriaque se
contredisaient; cela a conduit l'auteur grec des Actes de
Thadde
e a
re
soudre la contradiction en les rapportant toutes
deux a
une `ve
rite
' meilleure, c'est-a
-dire en les inte
grant
dans la tradition grecque relative a
Thadde
e, l'un des douze
apo
tres.
21
Cette ve
rite
nouvelle rehausse la dignite
des an-
LES ACTES DE THADDE
E 71
19. M. van Esbroeck, ``Le roi Sanatrouk et l'apo
tre Thadde
e'', Revue
des e
tudes arme
niennes, 9, 1972, p. 167-169 et 241-283; ``L'apo
tre Thad-
de
e et le roi Sanatrouk'', dans Atti del II Simposio internazionale ``Arme-
nia Assiria'' : Istituzioni e poteri all'epoca il-Khanide, e
d. M. Nordio et
B. L. Zekiyan, Venise, 1988, p. 83-106, spe
c. p. 84 (je dois cette dernie
re
re
fe
rence a
Jean-Daniel Kaestli). Une tradition arme
nienne qui date
d'avant 628, selon M. van Esbroeck, `Neuf listes d'Apo
tres orientales',
p. 137, dit qu'il ``fut exe
cute
en Arme
nie inte
rieure a
l 'endroit de Biwrou-
tia par Sanatrouk et on trouva un jour qu'il fut porte
a
E
desse'' (ibidem
p. 136). Il est possible que le me
me lieu en Perside soit indique
ailleurs
par les noms d'Ormi et d'Artaz (ibidem, p. 114; Abre
ge
du Martyre de
Barthe
le
my, section No. 19, CCSA 4, p. 522).
20. Cette tradition est notamment repre
sente
e par la Doctrine d'Adda|
;
voir E crits apocryphes chre
tiens, I, p. 1522. Il existe aussi une tradition
syriaque qui distingue Thadde
e, lapide
et enterre
sur l'|
le d'Arwad,
d'Adda|
, l 'apo
tre d'E
desse, qui mourut et fut enterre
dans cette ville :
voir M. van Esbroeck, `Neuf listes d'Apo
tres orientales', p. 144. Une au-
tre tradition syriaque, qui les distingue e
galement l'un de l'autre, laisse
Adda|
subir le martyre aux mains d'He
rode, le fils d'Abgar, et ajoute
que ``Thadde
e fut a
E
desse apre
s [Agga|
, le disciple d'Adda|
] et He
rode
le tua e
galement et il fut de
pose
a
E
desse'' (ibidem, p. 156). E
ge
rie a vu
le tombeau royal de la maison d'Aryou, ou
Adda|
fut enseveli, selon la
Doctrine, mais l'e
ve
que, qui lui a dit que c'est Abgar Oukkama qui y est
enseveli en premier, n'a dit rien de l'ensevelissement de quelque apo
tre.
21. A
remarquer la tradition grecque tardive, selon laquelle Jude Thad-
de
e serait le fils de Joseph et le demi-fre
re de Je
sus, e
leve
avec lui et initie
ciennes traditions orientales en les e
levant au rang aposto-
lique. Elle exprime l'intention qui cadre fort bien avec la
datation des Actes de Thadde
e sous le re
gne d'He
raclius
de re
inte
grer l'Orient chre
tien au sein de l'empire romain. Il
nous faut maintenant donner une justification plus de
taille
e
de cette datation, qui a de
ja
e
te
propose
e par trois fois de
manie
re anticipe
e.
Date et circonstances de re
daction des Actes de Thadde
e
Le texte fait mention d'une image miraculeuse du Christ,
fixe
e dans un linge a
quatre plis ( 3). Les images miraculeu-
ses du Christ imprime
es sur un linge sont un phe
nome
ne as-
sez re
pandu, dont on commence a
parler au milieu du VI
e
sie
cle
22
. Les Actes de Thadde
e ne sauraient donc remonter
A. PALMER72
a
ses secrets the
urgiques, crucifie
comme lui et me
me a
nestame
`
nw
su-
nanasta
q ! Voir Nike
tas Paphlagonis, Paris ms. Grec 1180, fol. 214v.-
219r. (ine
dit ?). Cette tradition se base, pour ce qui concerne la parente
de Thadde
e et de Je
sus, sur une tradition arme
nienne atteste
e par
l 'Abre
ge
du Martyre de Barthe
le
my, section No. 19 (CCSA 4, p. 522) et
par le Martyre de Jacques, fre
re du Seigneur, section No. 2 (CCSA 4, p.
676-677.
22. Cf. E. von Dobschu
tz, Christusbilder. Untersuchungen zur christli-
chen Legende (TU, N.F. 3), Leipzig, 1899, ch. 2 ; voir aussi H. Belting,
Bild und Kult Eine Geschichte des Bildes vor dem Zeitalter der Kunst,
Munich, 1990 ; traduction anglaise : Likeness and Presence A History
of the Image before the Era of Art, Chicago and London, 1994, ch. 11a ;
R. Cormack, Painting the Soul. Icons, Death Masks and Shrouds, Lon-
don, 1997; H. L. Kessler et G. Wolf, e
d., The Holy Face and the Paradox
of Representation (Papers from a colloquium held at the Bibliotheca
Hertziana, Rome, and the Villa Spelman, Florence, in 1996 = Villa Spel-
man Colloquia 6), Bologna : Nuova Alfa, 1998. I. Wilson (The Turin
Shroud, Harmondsworth, 1979) identifie la relique de Turin avec `la toile
plie
e en quatre' (il traduit ainsi le mot grec tetra
`
diplon, que nous
comprenons dans un autre sens) d'E
desse, mais celle-ci n'e
tait pas
connue avant le sixie
me sie
cle. Jacques de Saroug, dans la Vie de Daniel
de Galash, rapporte que Daniel fit le pe
lerinage a
E
desse (vers 410?) pour
``e
tre be
ni par l'image du Christ qui e
tait la
'' (F. Nau, Revue de l'Orient
Chre
tien, 15, 1920, p. 61 sans mention de la lettre !). La Doctrine
d'Adda|
, 6, dit qu'Abgar plac
a le portrait du Christ ``a
une place
d'honneur dans l'une des pie
ces de son palais (E crits apocryphes chre
-
tiens, I, p. 1488-1489). Mais dans ce dernier texte, qui doit dater d'avant
Rabboula (mort en 436 selon la Chronique de 1234 1.180), parce que ce-
lui-ci a supprime
le Diatessaron, encore ce
le
bre
comme e
criture cano-
nique par la Doctrine, a
E
desse (J. G. Nu
n
ez, La Leyenda del Rey Abgar
y Jesu
s : or|
genes de cristianismo en Edesa [Apo
crifos Cristianos 1], Ma-
plus haut que 550 environ. Pour fixer le terminus ad quem,
on peut e
galement s'appuyer sur l'histoire de l'image du
Christ. Cette dernie
re appartenait aux Chalce
doniens
d'E
desse. En 729, lorsque l'empereur Le
on III proposa
d'abolir le culte des images, le patriarche Germanos s'op-
posa a
lui en citant l'image miraculeuse d'E
desse, envoye
e
par le Christ lui-me
me au roi Abgar, pour prouver que Dieu
approuve un tel culte. La fac
on dont Germanos parle de
cette image, et en particulier l'emploi du verbe e
napomaxa
`
-
menoq qui combine l'ide
e de s'essuyer le visage avec un linge
et celle d'y laisser une empreinte, rappelle fortement notre
texte (3,3-4). Celui-ci peut donc e
tre date
avec confiance en-
tre 550 et 729
23
.
Pour pre
ciser l'e
poque de la re
daction des Actes de Thad-
de
e entre ces deux dates, il faut d'abord e
tudier de pre
s
l'histoire de la garantie d'inviolabilite
. Dans son Journal de
voyage, la pe
lerine occidentale E
ge
rie rapporte ce que lui au-
rait dit l'e
ve
que d'E
desse au sujet du roi Abgar sa visite
date de 384, comme l'a montre
P. Devos
24
. Elle rapporte
d'abord au sujet de l'apo
tre Thomas a
E
desse: `c'est lui que
Je
sus notre Dieu avait promis d'y envoyer quand il serait
monte
au ciel, dans la lettre qu'il fit porter au roi Abgar par
le courrier Ananias' (Journal, 17,1). Quand l'e
ve
que lui
montra le buste d'Abgar, il dit : `Voici le roi Abgar, celui
qui, avant de voir le Seigneur
25
, a cru qu'il e
tait vraiment le
fils de Dieu' (Journal, 19,6). Il lui dit ensuite qu'Abgar, alors
LES ACTES DE THADDE
E 73
drid : Ciudad Nueva, 1995, p. 64-66, recueille les datations propose
es), il
s'agit d'un portrait peint par Ananias, le courrier d'Abgar, non pas
d'une image miraculeuse.
23. En 726 de
ja
, Jean de Damas avait utilise
le verbe e
napoma
`
xashai
dans le me
me contexte. Les textes de Germain et de Jean de Damas sur
l'image d'E
desse sont reproduits dans von Dobschu
tz, Christusbilder,
p. 188*-190*.
24. Les re
fe
rences au Journal d'E
ge
rie sont donne
es plus haut note 6.
Sur la date du se
jour a
E
desse, voir P. Devos, ``La date du voyage
d'E
ge
rie'' et ``E
ge
rie a
E
desse ; S. Thomas l'apo
tre ; le roi Abgar'', Ana-
lecta Bollandiana, 85, 1967, p. 165-94 et 381-400.
25. Les mots antequam uideret Dominum sont e
tonnants puisqu'Abgar
n'a jamais ``vu Je
sus''. A moins que ces paroles de l'e
ve
que a
E
ge
rie ne
fassent allusion au portrait du Christ rapporte
a
Abgar par son envoye
?
Dans ce cas, la tradition du portrait, objet d'un re
cit dans la Doctrine
d'Adda|
, aurait de
ja
existe
en 384. Mais cette hypothe
se se heurte au si-
lence d'E
ge
rie : comment aurait-elle pu ignorer une relique aussi ve
ne
-
rable?
que les Perses assie
gaient la ville, fit apporter la lettre de Je
-
sus et prononc
a une prie
re en lui rappelant sa promesse:
`Seigneur Je
sus, tu nous avais promis qu'aucun ennemi
n'entrerait dans cette ville, et voici maintenant que les Perses
nous attaquent'. L'appel est entendu, et des miracles empe
-
chent les Perses de prendre la ville (Journal, 19,9-13). Enfin,
l'e
ve
que d'E
desse donna a
E
ge
rie une copie des deux lettres ;
elle s'aperc
ut que le texte rec
u e
tait plus long que celui
qu'elle connaissait de
ja
, pour l'avoir lu avant son de
part
dans une autre copie qui lui appartenait (Journal, 19,19).
Par rapport a
Euse
be, le te
moignage d'E
ge
rie se caracte
rise
par deux nouveaute
s : le nom de l'apo
tre envoye
a
E
desse; la
promesse d'inviolabilite
. Le texte court qu'E
ge
rie connais-
sait avant d'aller a
E
desse correspondait probablement au
texte que nous lisons chez Euse
be
26
; la copie que lui donna
l'e
ve
que contenait un supple
ment: la promesse d'invulne
-
rabilite
pour E
desse.
En 429, le comes Darius e
crit a
Augustin que Je
sus aurait
promis a
un certain `satrape ou roi' que sa ville serait a
ja-
mais prote
ge
e contre ses ennemis; il tient peut-e
tre cette in-
formation d'E
ge
rie
27
. Nous avons de
ja
releve
qu'Euse
be ne
sait rien de cette `promesse' de protection pour E
desse.
Peut-e
tre a-t-elle e
te
invente
e, soit vers 360, pour expliquer
le fait qu'E
desse fut e
pargne
e lorsque les Perses prirent la
ville d'Amida en 359,
28
soit vers 380, pour donner du cou-
rage aux Romains de
moralise
s par une `guerre civile' de ca-
racte
re religieux et par la de
faite des arme
es romaines a
Adrianople (378). A
ce moment-la
, il e
tait ne
cessaire de sou-
ligner que l'empereur Valens, qui e
tait tombe
a
Adrianople,
ne croyait pas au Christ comme y avait cru Abgar, c'est-a
-
dire comme au vrai fils de Dieu; seule la foi authentique be
-
ne
ficie de la protection divine
29
. E
desse, qui avait re
siste
a
la
politique religieuse de Valens, a peut-e
tre de
ja
voulu s'af-
A. PALMER74
26. Voir E
crits apocryphes chre
tiens, I, p. 1481 et 1487-1491.
27. Texte dans von Dobschu
tz, Christusbilder, p. 173*-174*. Voir no-
tamment pour la promesse : iussit insuper eius urbem ab hostibus in perpe-
tuum esse ac semper immunem.
28. Voir mon re
sume
dans Bulletin de l'AELAC 8, 1998, p. 5, pt. 7
29. La lettre connue d'Euse
be a du
e
tre remplace
e alors par une autre
lettre, qui contenait la promesse ; c'est sans doute aussi a
ce moment-la
que quelqu'un (Euloge?) ajouta dans la lettre de Je
sus la mention du
Pe
re, refus implicite de l'arianisme (comparer par ex. Doctrine d'Adda|
,
5 : ``je remonte aupre
s de mon Pe
re qui m'a envoye
'', avec la formula-
tion d'Euse
be : ``je retourne a
celui qui m'a envoye
'').
firmer alors comme le symbole du royaume chre
tien, voire
de l'E
glise
30
. C'est a
cause de cette promesse de protection
que la lettre du Christ est devenue un talisman
31
.
La promesse de protection a aussi laisse
une trace dans la
tradition manuscrite des Actes de Thadde
e. Apre
s les mots
`Paix a
toi et a
ta ville', qui ouvrent le message du Christ a
Abgar, on lit les mots suivants dans le manuscrit de Vienne
et dans celui d'Athe
nes qui en de
pend: `afin qu'aucun de ses
ennemis ne s'empare d'elle a
jamais' (pro
q to
myde
`
na tw
n
e
jhrw
n katisju
`
sai au
ty
q pw
`
pote). Il s'agit la
d'une inter-
polation du copiste du ms. de Vienne, qui connaissait un au-
tre texte de la lettre ou
la phrase est introduite, plus
logiquement, par les mots: ``et il te donnera la paix a
toi et a
ceux qui sont avec toi et il fera a
ta cite
la garantie'', etc.
32
Le texte du message dans les Actes de Thadde
e est a
la fois
plus e
conomique et plus explicite que les messages conserve
s
chez Euse
be et dans la Doctrine d'Adda|
. Il remplace l'apos-
trophe personnelle `Heureux (ou: be
ni) es-tu' par `Paix a
toi
et a
ta ville'. Ce changement s'explique peut-e
tre par le fait
qu'He
raclius venait de libe
rer la Me
sopotamie et d'obtenir
la paix gra
ce a
sa victoire. Mais en lisant `` Schalom a
toi et a
ta ville (c'est-a
-dire en comprenant la `paix' dans le sens plus
large du vocable se
mitique
33
) la phrase devient une promesse
LES ACTES DE THADDE
E 75
30. Voir Socrate, Histoire eccle
siastique, IV, 18 : Valens ordonna le mas-
sacre des chre
tiens d'E
desse, rassemble
s en plein air au martyrium de
saint Thomas ; mais une femme courageuse de
tourna la cole
re des sol-
dats ; voir aussi Rufin, HE, II, 5 ; Sozome
ne, HE, VI, 18 ; The
odoret,
HE, IV, 17, 1-18, 6. Comparer la conclusion de Socrate : ``Ainsi les E
des-
se
niens e
chappe
rent-ils a
une de
faite militaire aux mains de leur empe-
reur'', avec l'introduction de The
odoret : ``Valens, qui avait prive
le
troupeau de son berger [en exilant son e
ve
que, Euloge?], s'imposa sur lui
comme un loup au lieu d'un berger. Dans l'e
pisode de la femme coura-
geuse, cette dernie
re, modele
e sur la me
re des Maccabe
es (2 Mac 7), re-
pre
sente E
desse ; E
desse, a
son tour, repre
sente l'E
glise nice
enne toute
entie
re que Valens s'efforce de de
truire ; au lieu d'imiter Abgar, comme
doit le faire tout bon empereur romain, il en est la re
plique ne
gative. Si
E
desse a surve
cu, c'est pense-t-on parce qu'elle a e
te
prote
ge
e par le
ciel.
31. Pour la bibliographie des inscriptions et des papyrus contenant la
lettre, voir M. Geerard, CANT, p. 65-66 ; M. Guarducci, Epigrafia greca,
IV, Rome, 1978, p. 357-360; E. N. Mechtcherskaya, ``[La le
gende
d'Abgar et les textes grecs apotropa|
ques] (en russe), Palestinskii Sbor-
nik, 26 [89], 1978, p. 102-106.
32. E. von Dobschu
tz, Christusbilder, Beilage II, p. 48**, 18 (A go-
thique) et p. 49**, 18 (B gothique).
33. Voir R. Murray, The Cosmic Covenant, Londres, 1982.
de gue
rison spirituelle, ce qui explique l'absence du message
d'une re
ponse au besoin de gue
rison du roi. En me
me temps,
cette lecture explique aussi la suite.
La Doctrine d'Adda|
continue ainsi
34
: `Mais concernant ce
que tu m'as e
crit, que je vienne chez toi, ce pour quoi j'ai e
te
envoye
ici est de
sormais acheve
et je monte aupre
s de mon
Pe
re qui m'a envoye
'. Au lieu de cette phrase, les Actes de
Thadde
e donnent un texte qui diffe
re de tous les autres te
-
moins: `je suis venu dans le but de souffrir pour le monde,
de ressusciter et de faire ressusciter les patriarches'.
35
Notre texte s'accorde avec Euse
be sur les mots suivants:
`Mais apre
s que j'aurai e
te
e
leve
dans les cieux' (`de
s que je
serai remonte
aupre
s de lui') ; mais il ajoute ensuite le nom
du disciple que Je
sus promet d'envoyer il restait anonyme
chez Euse
be et dans la Doctrine ; il omet les mots `pour qu'il
gue
risse ta maladie', parce que, dans la suite des Actes de
Thadde
e, c'est l'image, et non l'apo
tre, qui gue
rira Abgar.
Euse
be conclut ainsi : `et il te donnera la vie, a
toi et a
ceux
qui sont avec toi'. La Doctrine a un texte plus long: `et il ra-
me
nera tous ceux qui sont chez toi a
la vie e
ternelle ; que ta
place forte soit be
nie et qu'aucun ennemi ne s'empare d'elle
a
jamais !'
36
. Dans les Actes de Thadde
e, le message se ter-
mine ainsi : `lequel t'illuminera et te conduira a
la ve
rite
toute entie
re, toi et ta ville' ; cette phrase, caracte
rise
e par
l'absence de la promesse, veut sans doute dire ceci : `on ne
be
ne
ficie pas de la protection divine a
moins de se laisser il-
luminer et conduire a
la ve
rite
the
ologique toute entie
re'.
En 609, la ville d'E
desse, avec toute la partie orientale de
l'empire, fut conquise par l'ennemi perse. Par la suite,
A. PALMER76
34. Le ms de Saint-Pe
tersbourg, fol. 3 verso, illustre
dans A. Desreu-
maux, La le
gende du roi Abgar et de Je
sus, p. 46, donne le texte que je tra-
duis ici : i m hirkr RB amSh khkr X ra
Xir Xk h X k wa . hk . w-da-ktabt li
d-ite lwotok, haw meddem d-eshtadret `lawhy l-horko, mekil etTallaq leh,
w-soleq 'no li lwot oby d-shaddrany.
35. Il ne faut pas traduire tou
q propa
`
toraq par `les premiers parents'
(Adam et E
ve), mais par `les patriarches', c'est-a
-dire les justes d'Israe
l.
Ce changement dans le texte traditionnel peut avoir pour but de souli-
gner la connection organique entre le christianisme et le juda|
sme en vue
de convertir les juifs.
36. Je traduis le texte du ms de St-Pe
tersbourg (cf. n. 34) : t a
B ka a .r
d
Jk Sh Bkr
Cah a. wa-lkul man d-it lwotok,
napne ennun l-Hayye da-l-`olam. w-karkok nehwe brik wa-b`eldbobo
tub lo neshtalaT beh l-`olam.
l'empereur He
raclius, qui portait une autre image miracu-
leuse du Christ en guise d'e
tendard, regagna les territoires
perdus. Il devait finalement les perdre a
nouveau au profit
des Arabes, qui s'empare
rent d'E
desse en 639. Durant le VI
e
sie
cle, les auteurs avaient ce
le
bre
le fait qu'E
desse semblait
imprenable pour l'ennemi et ils s'e
taient encore fait l'e
cho
de la croyance selon laquelle Je
sus avait promis au premier
roi chre
tien que la ville jouirait de la protection divine
37
. Il
est frappant que notre texte ne souffle mot de cette pro-
messe. L'explication de ce silence est a
chercher dans le de
-
sastre de l'an 609. Par ailleurs, apre
s 639, E
desse a cesse
de
faire partie de l'empire byzantin, et il est peu probable qu'on
ait songe
a
composer en grec un texte nouveau concernant
une ville appartenant de
sormais aux Musulmans. Nous som-
mes ainsi amene
s a
situer plus pre
cise
ment la date de compo-
sition des Actes de Thadde
e dans une fourchette entre 609 et
639.
Notre texte parle non seulement d'E
desse, mais aussi de
l'e
glise qu'aurait fonde
e Thadde
e dans la ville d'Amida
(7,5). Il est le seul, parmi toutes les versions de la le
gende re-
lative a
la conversion de la Me
sopotamie, a
faire mention
d'Amida. Or, en 629, He
raclius commenc
a a
e
difier `la
LES ACTES DE THADDE
E 77
37. Chronique de Zuqnin, I, p. 235-317 (section e
crite en 506 dans un but
propagandiste et incorpore
e dans la Chronique de Zuqnin ; voir A. Pal-
mer, ``Who wrote the Chronicle of Joshua the Stylite ?'', dans Lingua res-
tituta orientalis. Festgabe fu
r J. Afalg [A
gypten und altes Testament
20], e
d. R. Schulz et M. Go
rg, Wiesbaden, 1992, p. 272-284), e
d.
W. Wright, The Chronicle of Joshua the Stylite, London, 1882, ch. 5, 58,
61 ; Procope, Guerres, II, 12, 20-30, spe
c. 26 ; E
vagre, Histoire eccle
sias-
tique, IV, 27 ; Papyrus Nessana 7 (6
e
-7
e
sie
cles), l. 25, dans Excavations
at Nessana, 2 : Literary papyri, par L. Casson et E. L. Hettich, Princeton,
1950, p. 143-147, avec une photographie. E
vagre admet certes la lettre
de Je
sus, traduite par Euse
be, mais au sujet de la garantie de protection
il e
crit : ``(Cette garantie) n'est pas incluse dans ce que le Christ notre
Dieu a e
crit a
Abgar, comme les gens studieux peuvent le de
duire de
l 'Histoire d'Euse
be le fils de Pamphile, qui lut l'e
p|
tre me
me a
la lettre,
mais c'est une fable qui court parmi les fide
les et que l'on croit''. Le pa-
pyrus Nessana est le premier te
moin d'une tradition ou
l 'on voit Je
sus
apposer a
la lettre son sceau, apre
s avoir de
clare
qu'il l 'a e
crite toute en-
tie
re de sa propre main'' ; il s'agit manifestement de de
fendre la pro-
messe divine d'invulne
rabilite
, dont Procope et E
vagre rejetaient
l'authenticite
. L'image est plus ambigue
que la promesse : elle ne prote
ge
pas, mais elle gue
rit ; dans le contexte historique que nous proposons ici
pour la re
daction des Actes de Thadde
e, le pouvoir miraculeux de l'image
peut vouloir dire qu'elle libe
re la ville de l'ennemi qui l'avait vaincue et
qu'elle re
unit ses fide
les divise
s.
grande e
glise d'Amida', comme le rapporte un chroniqueur
de cette ville
38
.
Durant cette me
me anne
e 629, He
raclius visita E
desse.
Juste avant cette visite, il avait l'espoir qu'a
la faveur de sa
reconque
te il allait aussi pouvoir regagner les chre
tiens schis-
matiques de Syrie et de Me
sopotamie
39
. C'est en ce temps-la
A. PALMER78
38. La Chronique de Zuqnin, acheve
e a
Amida en 775, se fonde sur des
sources anciennes. A propos de l'an des Grecs 940 (A.D. 628/629), nous
y lisons : ``He
raclius, roi des Romains, commenc
a a
e
difier la grande
e
glise d'Amida''. A propos de l'an 944 (632/633) : ``He
raclius, roi des
Romains, descendit a
E
desse, et la bataille de Gabitha eut lieu ; les Perses
prirent la fuite et quitte
rent la Me
sopotamie''. Voir A. Palmer, The Se-
venth Century (voir n. 16), p. 57. Faut-il conclure de ces donne
es qu'He
-
raclius resta ``cinq ans'' a
Amida, tout comme Thadde
e dans notre texte
(7.6) ? Il semble que non. En effet, la Chronique de 1234, qui se base sur
celle de Denys de Tel-Mahre
, date le retour chez eux des soldats perses
de 629-630. Selon cette me
me source, He
raclius passa l'hiver de 628-629
entre l'Assyrie et l'Arme
nie, donc non loin d'Amida. C'est dans cette re
-
gion qu'il rec
ut la nouvelle de la mort de Chosroe
s et de la capitulation
de son fils et assassin. Apre
s cela, He
raclius se dirigea vers la Syrie et
commenc
a par visiter E
desse, probablement pendant l'e
te
de l'an 629.
Voir Palmer, The Seventh Century, p. 140-141. Dans les Actes de Thad-
de
e les esprits sortent des posse
de
s d'Amida avant que Thadde
e ne
s'approche d'eux. Les soldats persans sortirent des villes avant la venue
d'He
raclius. Si les posse
de
s sont les villes occupe
es et l'apo
tre est l'em-
pereur, les malades sont ceux qui se sont e
loigne
s de l'Orthodoxie.
39. Sur les circonstances de cette visite, voir la Chronique de Michel le
Syrien, 11.3c (p. 408-409), base
e elle aussi sur la chronique perdue de
Denys de Tel-Mahre
, qu'utilisera plus tard la Chronique de 1234 ; texte
cite
par A. Palmer, The Seventh Century, p. 140, note 323: ``When the
power of Persia was removed and the Romans regained the mastery and
possession of the cities of Syria and Mesopotamia, Heraclius came to Sy-
ria and arrived in Edessa. The people, the priests and the monks came
out to greet him. He admired and praised the great multitude of monks ;
then, when he learned about their Faith, he said to some of those ac-
companying him, `How can it be right to exclude so admirable a group
of people from our own company?' And so he entered the city, anxious
to make peace between the two parties. Then, when a feast-day came
around, the King went down to the church belonging to us Orthodox
and distributed great largesse to the whole people. When the Office and
the divine Sacrifice were finished, the King approached to communicate
in the Holy Mysteries, as is the custom of Christian kings. But Isaiah,
the metropolitan of the city, in the fervour of his zeal, prevented the
King from taking the Sacrament.'' Le langage de la source la chro-
nique perdue de Denys de Tel-Mahre
e
tait plus virulent, comme l'at-
teste la Chronique de 1234 : ``This man [Isaiah] was zealous to a fault, or
rather, to tell the truth, an uneducated idiot. He said, `Unless you first
anathematize the Synod of Chalcedon and the Tome of Leo in writing, I
will not give you communion'. At this the King flared up in anger and
qu'il convient de dater les Actes de Thadde
e, qui racontent la
premie
re conversion de ces re
gions et qui sugge
rent, dans le
contexte historique de leur re
daction, la possibilite
qu'elles
se convertissent a
nouveau a
la foi orthodoxe. En outre, le
fait que notre texte soit le seul de toutes les variantes de la le
-
gende a
s'inte
resser a
la conversion des Juifs pourrait bien
refle
ter un aspect de la politique religieuse d'He
raclius en-
vers le juda|
sme.
L'intention de l'auteur des Actes de Thadde
e
Il est probable que l'empereur He
raclius ait fait composer
les Actes de Thadde
e pour unir son royaume en face du dan-
ger. La de
sunion qui fut le re
sultat des divisions confession-
nelles juifs, chre
tiens ; chre
tiens pour et contre Chalce
-
doine pourrait affaiblir l'empire en poussant les dissidents
a
chercher un appui ailleurs. L'auteur de notre texte e
tait un
e
rudit en grec il connaissait Euse
be et la liste d'apo
tres at-
tribue
e a
E
piphane et il connaissait aussi la Doctrine
d'Adda|
syriaque. Il pourrait s'agir de Serge, patriarche de
Constantinople, originaire de la Syrie, qui agissait comme la
main droite d'He
raclius. Le fait que le texte parle d'un roi
chre
tien dont la maladie avait e
te
gue
rie gra
ce a
une image
miraculeuse du Christ devait sans doute e
voquer pour les
lecteurs la figure de l'empereur He
raclius, un usurpateur qui
avait acquis sa le
gitime
par une victoire remporte
e gra
ce a
une image tout a
fait semblable. Le culte de Je
sus-Dieu sous
la forme d'une image miraculeuse produite par le contact di-
rect avec son corps humain saisissable par les mains, in-
saisissable par les yeux avait un grand avantage aux yeux
d'He
raclius. Il permettait de de
passer les disputes de mots
qui avaient cause
les divisions de l'E
glise, et d'en revenir a
la
foi simple qui e
tait le bien commun des parties en conflit.
Tous partageaient en effet la foi en la restauration de l'e
tre
humain gra
ce a
son union avec Dieu en Je
sus-Christ ; mais
les mots servant a
exprimer cette foi e
taient source de malen-
tendus et de divisions. De fait, notre texte subordonne la pa-
role a
l'image. D'une part, en s'inspirant de la Doctrine
d'Adda|
, il substitue a
la lettre du Christ un message oral.
LES ACTES DE THADDE
E 79
expelled the bishop from his church.'' La source de Denys de Tel-Mahre
e
tait sans doute Serge Rusafoyo, un contemporain des e
ve
nements (voir
Palmer, The Seventh Century, p. 99 et 140).
D'autre part, il attribue a
l'image muette le ro
le gue
risseur
que jouait auparavant l'apo
tre au verbe e
loquent.
Tous les changements apporte
s par l'auteur a
la le
gende
ante
rieure ont pour but de convaincre le peuple de l'empire
romain que le salut ou la perte de cet empire de
pendait de
l'unite
ou de la division de sa foi et de son corps politique.
La ville royale venait de survivre au sie
ge de 626. Comme le
Christ, l'empire venait de souffrir et de `ressusciter'. De me
-
me, l'ascension du Christ a pu e
tre comprise dans un sens al-
le
gorique: peut-e
tre e
voquait-elle l'ascension des amis du
Christ dans le ciel lors sa seconde venue (I Th 4, 16-18),
qu'He
raclius semble avoir crue tre
s proche. S'il tenait telle-
ment a
convertir les Juifs, c'est sans doute parce que Paul
avait associe
e
troitement leur conversion au Christ a
la fin
du monde (Rm 11, 25-26)
40
.
Il est possible qu'He
raclius ait eu un grand succe
s aupre
s
des habitants d'Amida a
cause de la paix avec les Perses,
proclame
e pendant qu'il se trouvait dans la valle
e du Tigre
avec son arme
e victorieuse. Il est e
galement possible qu'il ait
ordonne
de ba
tir la `grande e
glise' dont parle la Chronique
de Zuqnin une source jacobite non seulement pour les
Chalce
doniens prive
s de l'ancienne e
glise par les Jacobites,
mais aussi pour les convertis. Cette construction e
tait un si-
gne donne
aux `inde
cis' (diakrinomenoi) d'E
desse. De
s lors,
il semble probable qu'He
raclius ait fait composer notre texte
peu apre
s, sans doute apre
s sa rentre
e a
Constantinople en
629, ou
il aurait pu en parler avec le patriarche Serge, et
avant la Pa
que de l'an 630, qu'il fe
ta a
Je
rusalem pour y ins-
taller de nouveau la croix pille
e en 614 et regagne
e aux Per-
sans. Nous proposons la liturgie pascale qui accompagna
cette installation comme le contexte probable de la premie
re
re
citation de notre texte, qui fut sans doute commente
dans
une home
lie par le patriarche de Je
rusalem.
La re
ception de la le
gende dans la tradition grecque poste
-
rieure
Dans les Actes de Thadde
e, la lettre du Christ a disparu et
il n'est plus question de la protection divine pour la ville ;
A. PALMER80
40. Voir G. Dagron et V. De
roche, ``Juifs et chre
tiens dans l'Orient du
VII
e
sie
cle'', Travaux et Me
moires, 11, 1991, p. 17-273, surtout a
la page
28.
c'est l'image du Christ qui ope
re la gue
rison. Pendant l'oc-
cupation arabe, le pe
lerinage a
E
desse continua. Comme
nous l'avons vu, l'image devint l'un des arguments que l'on
opposa aux iconoclastes. De palladion civique, la lettre fut
transforme
e en amulette personnelle. Le re
cit d'Euse
be fut
e
labore
. On raconta par exemple qu'une autre image du
Christ, la tuile d'Hie
rapolis (Mabboug), e
tait elle aussi une
image miraculeuse; elle devait son origine au fait qu'Ana-
nias, en route de Je
rusalem a
E
desse, cacha l'image faite par
Je
sus entre deux tuiles a
proximite
de cette ville. Il est pos-
sible que cette histoire remonte au temps d'He
raclius, qui se
-
journa a
Hie
rapolis apre
s ses visites a
E
desse et a
Je
rusalem.
Enfin, autour de 940, un sie
cle apre
s la fin de la querelle ico-
noclaste, l'arme
e byzantine pe
ne
tra en Me
sopotamie. On
put alors s'emparer non pas d'E
desse, mais de l'image et de
la lettre du Christ, avec sa promesse de protection divine. En
l'an 944, l'empereur Romanos fit transporter ces reliques a
Constantinople.
La le
gende connut alors un de
veloppement nouveau, ins-
pire
par la comparaison entre Abgar et Constantin le Grand,
qu'Euse
be de
ja
avait voulu sugge
rer. Par `Abgar' il fallait
entendre l'empereur romain, et par `E
desse', Constantino-
ple. La promesse de protection recouvra sa validite
en chan-
geant d'objet. L'image du Christ devint le deuxie
me
palladion de la ville, a
co
te
de l'ico
ne de la Me
re de Dieu: le
16 aou
t, le lendemain de la fe
te de la Dormition de la Vierge
Marie, on faisait le tour des murailles de Constantinople
avec la relique. Puisque l'image du Christ avait sauve
E
desse
lors du sie
ge perse de 544, les habitants de Byzance se mirent
a
espe
rer que cette me
me image prote
gerait de
sormais leur
ville royale. De nouveaux e
crits virent le jour, qui racon-
taient l'histoire d'une fac
on nouvelle, en combinant l'apport
de plusieurs versions et en inte
grant le texte de la `vraie' let-
tre.
41
C'est dans ces deux re
cits que le copiste des Actes de
Thadde
e du manuscrit de Vienne a puise
ses interpolations.
Il a voulu harmoniser notre texte avec eux pour le re
inte
grer
a
la liturgie, tout en changeant le jour de la mort de Thadde
e
LES ACTES DE THADDE
E 81
41. E. von Dobschu
tz, Christusbilder, Beilage II, donne a
la p. 29** la
liste des textes rattache
s a
l 'an 944, et sur les pages suivantes (jusqu'a
la
p. 129**) : 1
o
l'e
dition synoptique des formes courte et longue du sermon
de la fe
te de la translation de l'image d'E
desse a
Constantinople (le 16
aou
t) ; 2
o
les e
ditions d'un traite
liturgique et d'une hymne concernant
l'image ; 3
o
les rapports des chroniqueurs byzantins.
pour le faire conforme au nouveau calendrier liturgique, qui
de
plac
a la fe
te du saint au 21 aou
t.
En 1032, E
desse fut reprise par les Byzantins; le ge
ne
ral
Georges Maniake
s y trouva la correspondance entre Abgar
et le Christ e
crite en syriaque sur parchemin. On lui expliqua
qu'il s'agissait de la version authentique, qui contenait pour-
tant une glose marginale indiquant que la lettre du Christ
avait e
te
dicte
e (``Va-t-en dire a
ton ma|
tre qui t'a envoye
'').
Cette me
me glose, qui provient de la Doctrine d'Adda|
( 5)
42
, se trouve aussi dans la marge d'un e
vange
liaire ge
or-
gien ante
rieur a
1027, qui pre
sente la correspondance entre
Abgar et Je
sus comme un supple
ment a
l'E
vangile ; mais la
glose y est en contradiction aussi bien avec le titre de la lettre
de Je
sus qu'avec l'illustration du manuscrit qui repre
sente le
Christ en train d'e
crire la lettre de sa propre main. La glose
ge
orgienne de
rive donc probablement de la traduction
grecque de la lettre syriaque de
couverte par Maniake
s
43
.
Yah
.
ya al-Antaki nous apprend que l'homme qui avait fait
pour lui une traduction arabe du texte sur le parchemin avait
de
ja
fait une traduction en grec pour l'empereur
44
. La
comparaison du texte de Yah
.
ya avec le texte intitule
E
p|
tre
d'Abgar montre que ce dernier ne de
rive pas du document
rapporte
par Maniake
s. Cette version de la lettre, loin de se
pre
senter comme une dicte
e, est certifie
e autographe, tout
comme l'est le papyrus n 7 de Nessana, qui date d'avant
609. Il faudrait une e
tude approfondie pour expliquer l'his-
toire de l'E
p|
tre d'Abgar, dont la transmission est multi-
forme. C'est ce texte qu'on trouve sur les rouleaux
talismaniques et dans les recueils me
dicaux; il se pre
sente
comme destine
a
e
tre utilise
sur la mer, sur la route, dans les
A. PALMER82
42. Cf.Hans-Martin Schenke,Mattha
us-EvangeliumM(CodexScheide),
Texte und Untersuchungen 127, Berlin : Akademie Verlag, 1981, p. 47 et
117 (ad Mt 26,18). Jean-Daniel Dubois, a
qui je dois cette re
fe
rence,
ajoute : ``Le nom de Thadde
e appara|
t comme ma|
tre d'ho
tel pour la pre
-
paration de la Pa
que, a
la diffe
rence de la Caverne des Tre
sors (syriaque)
en 48,9 et 53,17 ou
appara|
t le nom de Nicode
me pour la me
me fonc-
tion.''
43. Je remercie Irma Karaulashvili, qui a lu pour moi le texte ge
orgien,
et qui a porte
mon attention sur plusieurs des faits raconte
s dans le para-
graphe suivant.
44. Annales Yahia Ibn Said Antiochensis, dans Eutychii Patriarchae Ale-
xandrini Annales, vol. 2, ed. L. Cheikho, B. C. de Vaux, H. Zayyat, Paris,
1909 (CSCO, Scriptores Arabi, Ser. 3, vol. 7), 263-64.
cours de justice, aupre
s des malades, aupre
s des de
monia-
ques
45
.
Tableau chronologique
Sie
cle E ve
nements a
E desse De
veloppements de la le
gende
I
er
Re
gne d'Abgar V `le Noir', contemporain de Je
sus
II
e
Mission d'Adda|
III
e
Apparition des lettres d'Abgar le Noir et de Je
sus en
syriaque, sous Abgar VIII le Grand; Actes de Thomas ;
de
couverte des reliques de Thomas a
E
desse (vers 200)
[il s'agit ici d'une pure supposition]
IV
e
Traduction des deux lettres en grec et re
cit de la mis-
sion de `Thadde
e' (Adda|
) par Euse
be, Hist. eccl. I,13
(peu apre
s 313)
De
veloppement du pe
lerinage d'E
desse
Apparition de la promesse qui fait de la lettre le palla-
dion de la cite
(cf. Journal de voyage d'E
ge
rie relatant
sa visite en 384)
V
e
Apparition d'un pre
tendu document d'archive, qui
remplace le document traduit par Euse
be : la Doctrine
d'Adda|
Apparition du portrait de Je
sus peint par le messager
d'Abgar
De
veloppement d'un pe
lerinage local lie
a
ce portrait
(avant environ 410)
Composition duMartyre de Thadde
e arme
nien
VI
e
Les Perses assie
gent E
desse sans parvenir a
la prendre
(503, 540 et surtout 544)
Procope constate l'absence de la promesse de protec-
tion divine dans la lettre traduite par Euse
be (vers 590)
Apparition d'un certificat d'authenticite
autographe
du Christ (sur le verso de la lettre?) : cf. Papyrus 7 de
Nessana
LES ACTES DE THADDE
E 83
45. Voir S. Der Nersessian, ``La le
gende d'Abgar d'apre
s un rouleau il-
lustre
de la bibliothe
que Pierpont Morgan a
New York'', Bulletin de
l'institut arche
ologique bulgare, 10, 1936, p. 98-106 ; H. Hunger et Chris-
tian Hannick, Katalog der griechischen Hss. der O
sterreichischen Natio-
nalbibliothek, Teil 4, Vienne, 1994, p. 200-201 (ms. suppl. gr. 116,
rouleau de parchemin, 16
e
sie
cle, lignes 84-270). Recueils me
dicaux
contenant l 'E
p|
tre d'Abgar : Paris, ms. gr. 2315, fol. 314v-317r ; N. A.
Bees, Les mss. des Me
te
ores, tome 1, 2e e
d., Athe
nes, 1998, ms. 403, no.
3 (fol. 119a) : 'Iatroso
`
fion.
Apparition d'une toile sur laquelle on voit l'empreinte
du visage de Je
sus
E
vagre attribue a
cette toile l'immunite
d'E
desse lors
du sie
ge perse de 544
VII
e
Prise d'E
desse par les Perses en 609
Victoire d'He
raclius sur la Perse, marque
e notamment
par la construction d'une e
glise a
Amida (de
s 628)
Actes de Thadde
e, contenant une histoire d'Abgar qui
passe sous silence la promesse d'inviolabilite
d'E
desse
et nie implicitement la ve
rite
duMartyre de Thadde
e ar-
me
nien
Commencement du culte de l'apo
tre Bartholome
e en
Arme
nie (selon M. van Esbroeck)
VIII
e
Allusions aux Actes de Thadde
e chez les iconodules
IX
e
E p|
tre d'Abgar, texte qui fait de la lettre avec la pro-
messe une amulette personnelle
X
e
Transfert a
Constantinople de l'image d'E
desse et de la
lettre de Je
sus en l'an 944: Narratio de imagine Christi
Edessena par Constantin VII Porphyroge
ne
te ; traite
li-
turgique ; hymne; chroniques concernant l'an 944
XI
e
Transfert d'E
desse a
Constantinople de la `vraie' lettre
de Je
sus (pourtant qualifie
e en marge de dicte
e) (1032)
Copie du ms. de Paris, gr. 548, fide
le a
la forme an-
cienne des Actes de Thadde
e
Copie du ms. de Vienne, hist. gr. 45, harmonisation des
Actes de Thadde
e avec les textes du X
e
sie
cle
Production d'une copie du ms. de Vienne : ms. 66 du
muse
e Be
naki a
Athe
nes qui change le chiffre `70' dans
le titre en `12'
A. PALMER84