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Le va-et-vient des êtres. Une anthropologie de la présence.
Albert Piette
Document de travail (2012)
Qui sont ces « êtres » que n’importe quel humain, dans n’importe quelle partie du
monde, rencontre au fil des situations d’une journée ? Des non-humains, gros, grands, petits,
vivants, non-vivants, réels, actuels, virtuels. Ils constituent avec chacun des hommes de drôles
de présence, tant leur manière d’aller et venir, d’être présents et absents leur est
caractéristique. Tout au long des situations qu’il traverse, un humain rencontre puis quitte des
autres êtres (nous dirons des para-humains, existant à côté des hommes, leurs compagnons)
qui eux-mêmes continuent ou non leur existence après ce moment de coprésence, au même
endroit ou dans d’autres lieux. De cette rencontre, l’homme comme le para-humain garde ou
ne garde pas de traces. Ces para-humains sont tous des individualités bonnes à penser et à
observer, en tant que présentes en situation, en tant qu’objet d’individuation, de cognition, de
perception, par les humains.
Au fil des situations, un humain rencontre donc des para-humains. S’installent ainsi
des coprésences qui sont méthodologiquement capitales pour repérer, observer et décrire
ceux-ci. Une fois que la parole et le geste de l’homme ont fait repérer un para-humain, il
s’agit bien alors de les quitter pour se « rapprocher » de celui-ci, de le suivre, de repérer ses
actions et ses modes de présence. L’ontographe, je désigne ainsi celui qui est observateur des
êtres et des existences, se trouve dans un lieu, attend et regarde ce qui s’y passe, observe un
humain percevant un para-humain et tente de « suivre » ce dernier. Dans un lieu de culte par
exemple, il déduit, à partir de ce que fait un humain, la présence de la divinité, qu’il tente
alors de suivre au fil des séquences d’action dans cet espace, au-delà des gestes et paroles de
cette personne en question, attendant d’autres actions humains pour repérer d’autres formes de
présence du dieu. Pour l’ontographie d’une divinité ou d’une institution, l’Etat, il est bon aussi
de privilégier un lieu spécifique (lieu de culte ou espace politique) et des lieux indifférents
(espaces privés, espaces urbains) dans lesquels il serait possible d’attendre et de repérer le
para-humain en question. Une ontographie déductive consiste ainsi à décrire, à partir des
situations, des dispositifs et des actions des hommes, les actions et les modes de présence des
para-humains. Pour comprendre des modes de présence para-humains, le suivi d’un homme
est une autre ressource possible, des humains « spécialisés » (hommes religieux, croyants,
hommes politiques, fonctionnaires) mais aussi « non spécialisés ». Par ailleurs, l’ethnographie
classique peut être la phase exploratoire de l’ontographie, comme mise en familiarité et
rencontre avec des gens, une activité, un groupe, avant cette phase de suivis individuels.
L’ethnographie en posant le chercheur au centre d’une situation et à l’écoute simultanée de
diverses personnes en coprésence par exemple avec une divinité, permet d’accumuler des
notes et des informations sur la circulation justement à la fois simultanée et différente, de
ladite divinité auprès des unes et des autres.
Avec un chien ou tout autre animal domestique, l’équitabilité complète est bien sûr
plus réalisable qu’avec un para-humain invisible. Elle consisterait à suivre et observer
l’homme et le chien dans leur journée respective, pas nécessairement simultanément,
d’observer aussi leurs moments de coprésence qui ne sont que quelques-uns parmi l’ensemble
2
des actions quotidiennes. De fait, les para-humains ne sont pas tous égaux face à l’objectif
ontographique. Pour des raisons méthodologiques (les dieux sont invisibles, l’Etat est
relativement insaisissable dans sa présence réelle mais virtuelle), ontologiques (les dieux sont
une illusion ou transcendants), disciplinaires (les animaux ont leurs chercheurs spécialisés,
éthologues chargés de les décrire, les roboticiens pas encore car les roboticiens les fabriquent
plus qu’ils ne les décrivent en situation). Des raisons d’apparence qui renvoient bien sûr à des
enjeux éthiques et sociologiques (les robots en forme humaine interpellent d’autant plus les
sciences sociales) contribuent à créer ces différences d’intérêts anthropologiques. Le degré de
dépendance ce celui-ci par rapport aux humains (la machine et le chien sont à cet égard
différents) est aussi un facteur d’intérêt, la machine, le dieu aussi, faisant plus constructions
humaines que l’animal.
Partons à la rencontre de quelques para-humains : des formes de coprésence se
déploieront devant nous. Comprendre ainsi leur présence située suppose précisément de
désubstantiver la notion de « présence », d’y injecter une dimension restrictive et négative,
mais aussi de penser ces para-humains autrement qu’ en tant qu’ils seraient objets de
représentations, d’interactions ou de relations, ou nœuds de connexions faisant et faisant faire.
Allons ainsi de para-humain en para-humain. Des points communs apparaîtront, quelques
digressions théoriques surgiront.
Chiens à la maison
Lorsqu’il s’agit d’observer un chien dans un espace domestique, il est important de
suivre les séquences d’actions par lesquelles l’homme et le chien entrent en interaction
proprement dite. Selon le lexique goffmanien (Goffman, 1974), celle-ci constitue bien un
ensemble de signes pertinents non seulement de « messages » suffisamment significatifs et
acceptables par les autres pour être le point de départ du message suivant mais aussi, , de «
sources d’expression », comme le style de l’action, ses modalités d’effectuation, sa relation au
contexte devenant des « sources d’impression » pour les autres « interactants ». Mais de fait,
en tant qu’il est un actant subordonné et sans capacité critique dans le groupe familial, le
chien est souvent en dehors de l’enjeu de la pertinence interactionnelle à l’intérieur de
laquelle se situe l’être humain. Les règles du tact, de déférence et de bonne tenue que celui-ci
maîtrise bien dans la mise en scène de la vie quotidienne avec les autres humains sont,
lorsqu’il interagit avec le chien, le plus souvent mises entre parenthèses ou en pointillé. C’est
en ce sens que le chien n’est pas très « pertinent » pour la microsociologie interactionniste
trop focalisée sur le face-à-face avec échange réciproque d’expressions et d’informations. De
plus, les interactions entre le chien et l’homme dans un même espace domestique sont rares et
de courte durée. Dans sa présence permanente, souvent passive et sans cet enjeu
interactionnel, le chien est simplement « là », près de son compagnon humain, sans construire
un face-à-face expressif. Ainsi, il ne peut pas être comparé aux objets valorisés par les
théories de l’« action située », pertinents en tant qu’ils sont supports de manipulations et
porteurs d’informations. L’apport de l’approche interactionniste reste donc limité. Car il y a
un détail, un résidu qui échappe nécessairement à une telle construction de l’objet, un reste
qui n’est pas intégrable dans la focalisation vers ce qui est partagé et pertinent pour les
interactants. Il advient ainsi que le chien est un actant dissymétrique, en tout cas neutre par
rapport au régime d’action principale dans lequel l’humain est engagé : travailler, regarder la
télévision, parler, faire la fête. Le chien est alors un être contingent dont la présence n’est pas
significative par rapport à l’action principale, sans pour autant remettre en cause sa spécificité
et son bon fonctionnement. « Le chien est là. » Et les humains le savent, se laissant à peine
3
distraire par cette présence à laquelle c’est la spécificité contingente qui fait tout son sens.
Dans cette présence « à côté », le chien n’est pas un actant qui fixe l’attention, qui agit sur le
corps de l’autre. Il n’est qu’un repère en pointillé, placé à bonne distance des humains. A ce
moment-là, en pleine contingence, cette présence, passive et silencieuse, effacée, presque
oubliée, a d’autant plus de pertinence dans sa non-signification interactionnelle qu’elle peut,
de manière imprévisible, surgir, solliciter un regard, un contact physique, exprimer une
douleur, témoigner une affection d’emblée sincère, injecter l’idée (et le sentiment) qu’elle
aime. Le chien constitue une présence importante en tant qu’il appartient au brouhaha
quotidien mais en même temps parce qu’il est toujours, en tant que simple contingence,
potentiellement générateur d’une épreuve lorsqu’il souffre ou qu’il meurt. D’emblée, celle-ci
sera recadrée dans un rapport distancié permettant par exemple de remplacer le chien mort. Le
chien constitue ainsi une sorte de « bruit » permanent, une présence modalisatrice qui aime et
qu’on aime. C’est comme si le chien, en tant qu’animal domestiqué et à ce titre, introduisait
ou réintroduisait localement un signe d’humanité.
C’est à partir de ces caractéristiques que la présence du chien se pose comme un
« don » aux hommes (Boltanski, 1990 et Caillé, 2007). Avec le chien : pas ou peu d’actes ou
de désirs stratégiques, pas d’attentes en retour, pas de riposte après une offense mais plutôt
une disposition immédiate à pardonner. Pour l’homme, le chien est un don non seulement
parce qu’il semble exprimer de l’amour mais surtout parce qu’il permet, sur fond de cet
attachement particulier, d’être oublié tout en étant là. Il instaure ainsi une sorte de régime de
paix sans réciprocité, tout en maintenant un enjeu affectif particularisé. Pour l’homme qui a
toujours privilégié et continue à privilégier des liens avec des entités para-humaines, le chien
est un être spécifique. Il est sans doute, parmi les actants qui font sens, c’est-à-dire qui aiment,
souffrent, se font aimer, suscitent du chagrin, celui qui peut aller le plus loin dans la
contingence et l’effet de non-pertinence. Dans le rapport qu’entretiennent l’homme et le chien,
la marge d’oscillation entre le sens et la contingence est grande, l’équilibre entre les deux
plutôt proportionné, alors qu’elle est souvent beaucoup plus réduite et en équilibre plus tendu
pour les humains entre eux1.
En vue d’une zoographie anthropologique, qui consiste pour l’anthropologue à décrire
des animaux et aussi les hommes en vue de comparer, y a-t-il plus programmatique que ce
qu’écrit Deleuze : « « L’éthologie, c’est d’abord l’étude des rapports de vitesse et de lenteur,
des pouvoirs d’affecter et d’être affecté qui caractérisent chaque chose. Pour chaque chose,
ces rapports et ces pouvoirs ont une amplitude, des seuils (minimum et maximum), des
variations ou transformations propres. Et ils sélectionnent dans le monde ou la Nature ce qui
correspond à la chose, c’est-à-dire ce qui affecte ou est affecté par la chose, ce qui meut ou est
mû par la chose. Par exemple, un animal étant donné, à quoi cet animal est-il indifférent dans
le monde infini, à quoi réagit-il positivement ou négativement, quels sont ses aliments, quels
sont ses poisons, qu’est-ce qu’il ‘‘prend’’ dans son monde ? » (Deleuze, 2003 : 168) Et un peu
plus loin : « Nous appelons longitude d’un corps quelconque l’ensemble des rapports de
vitesse et de lenteur, de repos et de mouvement, entre particules qui le composent de ce point
de vue, c’est-à-dire entre éléments non formés. Nous appelons latitude l’ensemble des affects
qui remplissent un corps à chaque moment, c’est-à-dire les états intensifs d’une force
anonyme (force d’exister, pouvoir d’être affecté). Ainsi nous établissons la cartographie d’un
corps » (p. 171).
Dieux présents
1 Je ne peux que renvoyer au doctorat de Marion Vicart (2010) qui a pratiqué une telle observation équitable
d’hommes et de chiens.
4
L’observation de l’anthropologue atteste bien qu’il y a des dieux (ou disons des esprits
surnaturels) dans le monde des hommes, à différents endroits où ceux-ci s’adressent à ceux-là
sous des formes et des modalités très différentes. Et aussi en même temps, d’autres hommes
parfois très proches des premiers n’accordent aucune importance à ces divinités, certains
disent même qu’elles n’existent pas, qu’elles sont des illusions. Bref, le monde des hommes
n’est pas sans dieu au moins caractérisé par l’invisibilité, la re-présentativité, l’ubiquïté et la
possible négation de leur présence. Le monde n’est pas sans divinités, nous pouvons penser,
s’adresser à celles-ci, ne pas y penser et aussi nier plus ou moins ouvertement leur existence.
De tous ces êtres, chaque humain ne perçoit qu’une partie infime parmi les innombrables
présents dans le monde. Tous les humains ne voient pas, n’entendent pas d’ailleurs les mêmes
para-humains. Il en est même dont l’existence n’est pas reconnue. Bref il y a des dieux
présents dans le monde, je veux dire dans certaines situations et pas dans d’autres. Le monde
d’Homo sapiens n’est pas lui sans dieux : à chacun de s’y rapporter, d’interagir avec eux, d’y
penser, de ne pas y penser, etc. Ainsi, une divinité, souvent plus présente qu’interactive, n’est
pas sans ressemblance avec un chien.
Repérées, les divinités suscitent donc l’intérêt ontographique. Et s’ouvre alors la
possibilité du théisme méthodologique à la recherche des caractéristiques ontographiques des
divinités. Contrairement à d’autres entités fictionnelles, elles ont, entre autres propriétés, de
quitter un monde non visible, afin de venir dans celui des humains, de façon relativement
présentes et actives, sans être directement perceptibles ni reconnues par tous les hommes.
Disons que, dans un lieu de culte, il y a des divinités dont il n’est pas sûr qu’elles y soient
vraiment. Ce sont des existants incertains qui sont présents. Dans le travail d’anthropologue, il
me semble qu’en rester trop à l’analyse des modes langagiers et gestuels comme créateurs de
référence (ce qui peut paraître concevable pour certains « non-existants ») risque de manquer
l’essentiel de la situation : la présence et l’action de la divinité. L’invisibilité de Dieu est une
caractéristique ontographique, ainsi que ses modes de présence et de retrait à géométrie
variable, parfois même très saccadée.
Prenons l’exemple de la religion catholique. Certes, en particulier à certains « pics »
des célébrations comme la consécration eucharistique, la divinité s’arrête et s’accroche à l’un
ou l’autre humain. Elle lui fait verser une larme, le pousse à chanter profondément, lui donne
une joie intérieure ou une espérance. Elle est aussi interpellable par des prières. Mais le plus
souvent, la divinité ne pose pas autant de sens et d’enjeu. En deçà de quelques instants forts et
seulement pour quelques-uns, la présence du dieu reste peu exigeante. Il est là, comme en
suspension, non palpable, et sans demander à l’être, comme l’a écrit Bruno Latour (2009).
Sans obligation de réciprocité, il avance et se dégage aussitôt, flou et souple. Dans sa présence
ordinaire, Dieu est un incertain oscillateur, fluide, fluidifiant, comme je l’ai décrit dans La
religion de près (Piette, 1999). Voici ainsi quelques caractéristiques communes aux êtres
reconnus comme dieux dans différents univers religieux :
- existant non actuel (c’est-à-dire appartenant à un autre monde que celui des hommes)
- invisible mais rendu présent dans le monde humain…
- … directement (perçue) mais de manière non partagée même par les « croyants »
- … indirectement selon diverses médiations reconnues et partagées par les croyants
- avec un style polymorphique, leur attribuant des aspects et des figures très hétérogènes
- selon une capacité de re-présence puis de retrait particulièrement rapide et versatile
- avec un mode de présence paradoxale, mêlée à une absence simultanée, non
catégorique et pas nécessairement perçue comme telle, mais capable d’être simultanée
à différents lieux humains
- n’impliquant pas un face-à-face interactif comme les humains le pratiquent entre eux
- capable d’actions directes (comme guérir, aider, bénir les hommes, etc.) ou indirectes
5
(comme faire faire, par exemple faire un humain se rendre au lieu de culte)
- cet être divin existant dans un monde non actuel, surgissant invisiblement dans celui
des hommes est pour ceux-ci un objet de perceptions, d’émotions, d’interlocutions,
d’idées vives, appelées « croyances », caractérisées par leurs brièvetés, leurs mises
entres parenthèses de conséquences logiques et empiriques et aussi leurs propres auto-
restrictions mentales.
Les dieux des diverses religions seraient-ils si différents ? Le christianisme et la
religion de l’Antiquité grecque le sont pourtant. Voici pourtant l’analyse-résumé d’un
spécialiste du monde grec à propos des rencontres entre les hommes et des dieux : « Dans ce
jeu du cacher-montrer, se déploient non seulement toute une série de possibilités qui disent
l’impensable face-à-face entre l’homme et le dieu, mais aussi un ensemble de signes à
déchiffrer dès lors que les formes adoptées par tel ou tel dieu pour se rendre visible ne
sauraient être laissées tout à fait au hasard. Le dieu gît dans les détails » (Sineux, 2006 : 106).
N’en déplaise à saint Anselme et à Descartes, Dieu ne serait pas parfait, comme nous l’ont
suggéré ses divers modes de présence. Mais il est « là »…
Dieu, dépendant en situation des humains, est un être ainsi relationnel, même
relationniste. En commentaires2
du livre d’Étienne Souriau (Souriau, 2009), un vrai
programme d’ontisme visant à qualifier différents modes d’existence, y compris des êtres
imaginaires et divins, Bruno Latour écrit : « ce mode d’existence particulier qu’on appelle
Dieu : c’est un être sensible à ce qu’on dit de lui ; un être qui apparaît ou disparaît selon la
façon dont on l’énonce, le proclame, le prononce, le parle. Oui, il est de ces êtres particuliers
qui sont dépendants de leur condition précise d’énonciation, de la tonalité, juste ou fausse,
dans laquelle on les fait résonner ». Il est important d’indiquer que la perspective relationniste
de Bruno Latour insistant sur le faire et le faire faire est d’autant plus pertinente que les êtres
sont dépendants d’autres. Certes, mais comment est-il, que fait-il en tant que tel ? La
présence située et perçue des êtres invisibles, des dieux (mais aussi par exemple des morts) est
plus qu’une toile de fond qui par définition est large. Elle est moins jaillissante qu’un détail
sans importance qui surgit vite, s’efface et s’oublie vite, simplement distrayant. La présence,
c’est celle d’un être, de sa trace dans un texte, dans une peinture, dans un portrait, dans une
photographie, à laquelle nous tenons par-dessus tout, qui peut certes rentrer dans la toile de
fond ou surgir comme un détail sans importance, mais surtout qui est là, tel un compagnon
auquel nous ne demandons qu’à être là et qui lui ne nous demande rien. Aux autres points et
objets de perception que sont les repères, les indices, la toile de fond et les détails, la présence
vient ainsi s’ajouter. « Il est présent », comme nous pouvons le dire à propos du mort ou d’un
dieu participant tout à la fois des différents modes de perception : indice, repère, fragment,
détail, comme si la « présence » brouillait, en les cumulant tous, la figure et le fond. « Re-
présent », devrions-nous plutôt dire à propos de l’être mort qui commence de nouvelles
formes de présence avant de re-mourir lorsque ceux qu’il connaissait l’ont complètement
effacé ou qu’ils sont à leur tour morts. Notons que les analyses qui se revendiquent de la
notion d’agentivité sont plus tentées par la façon dont les humains conceptualisent l’agentivité
des non-humains, leur attribuent des capacités d’action et d’intention. Et non leurs actions et
modes de présence en situation3. La carte d’identité ontographique est plus large, ajoutant
aux actions des dieux ce qui est déductible aussi par ce que les hommes ne leur attribuent pas
directement. C’est la cohérence de la situation avec telle ou telle action ou parole humaine
qu’il est possible de dire qu’ils n’entendent pas et ne voient pas tout le temps, qu’ils vont et
viennent. . Ce qui peut paraître confondu et ambigu avec les entités surnaturelles est clair avec
2 Commentaires en ligne sur le site de Bruno Latour : http://www. bruno.latour.fr
3 Cf. le n° (34, 2010) sur l’agentivité des Ateliers du Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative de
Nanterre : http://ateliers.revue.org. Et aussi le livre d’Alfred Gell (2009)
6
les animaux qu’il faut aussi observer quand l’homme a quitté la relation. Ainsi une des
caractéristiques des divinités est leur « présence », située mais floue, souvent non agissante.
Pas loin de ressembler à l’atmosphère et à l’ambiance dont aujourd’hui il est devenu évident
qu’ils sont des entités à décrire4.
L’Etat aussi
La comparaison des dieux et des êtres collectifs, l’Etat par exemple, peut se faire à
différents niveaux : types de visibilité/d’invisibilité, de modalisation, automodalisation
(nuancer sa propre présence) ou hétéromodalisation (nuancer une situation), de fluidité
(capacité de l’être à basculer), objets de perceptions diverses (comme détail, repère, indice,
toile de fond…) et modes de succession entre ces perceptions, modes d’autonomie et de
dépendance, types d’action qu’ils font et qu’ils contraignent à faire, de manière générale et
partagée dans une situation ou de façon particulière et privée, types de contraintes et de
cohérences interactionnelles ou de relâchement interactionnel, formes de neutralité, voire de
contingence par rapport à l’action principale, degré de certitude de leur ontologisation (doute
ou non sur l’existence, type d’attitudes en leur présence), types d’anthropomorphisation. Ceci
constitue un vrai programme de travail (Piette, 2010 et 2011)
Dans de nombreuses situations de la vie courante, la présence de l’État est associée à
une individualité diffuse, pas nécessairement perceptible ou désignable (« tiens, voici
l’État »), néanmoins ponctuellement repérable et, en même temps, à une extraordinaire
capacité de structuration des attitudes des gens. La présence du Dieu chrétien est différente,
peut-être moins diffuse et plus perceptible, mais pas si explicitement désignable que cela et
avec une capacité de structuration sans doute plus à géométrie variable que l’État. En même
temps, hors situation en cours, Dieu comme l’État sont aussi présents, dans d’autres
situations, et avec les mêmes (souvent d’ailleurs) ou d’autres modes de présence. Leurs modes
de présence, qui consistent en instanciations mais pas en apparitions propres, sont certes
paradoxaux et oscillatoires mais ne surprennent généralement pas les humains, par leurs
caractéristiques d’êtres en situation. Dans une situation, les hommes sont donc parfois
entourés d’un être divin ou même de plusieurs. C’est rare qu’ils ne le soient pas par des êtres
collectifs. Par appuis interposés, sous forme de personnes, d’objets, de règles, ils sont
présents, aux côtés des hommes, au fil des actions d’une journée, perçus comme un détail,
ressentis comme un objet d’attention, utilisés comme un repère ou une valeur. Ainsi re-
présenté, un être collectif est lui-même emboîté dans d’autres êtres collectifs et peut se doter,
par cet effet de superposition et de maillage, d’une forte stabilité. Cette omni- et polyprésence
directe ou différée, structure les situations où viennent se poser les hommes et dont ils
peuvent d’autant plus facilement modifier ou supprimer certaines règles qu’ils ne sont jamais
sans quelques autres.
Par rapport à l’être humain qui, en situation, existe en soi (et avec les autres), mais non
par autre chose, la divinité cumule la possibilité d’être présente en elle-même (lorsque
l’homme s’adresse à elle) et par des personnes et des objets qu’il imprègne de sa qualité, alors
que l’être collectif lui n’est présent que par d’autres, personnes ou objets et que le plus
souvent il imprègne moins directement et fortement de sa présence que la divinité. Nous
dirons donc que la présence du collectif est rarement réelle, plus virtuelle qu’actuelle,
contrairement à la divinité dont la présence tire avantage de l’effet de la foi ou de la croyance
des hommes. Par contre, les êtres divins semblent plus mobiles, toujours en capacité
d’émerger en situation, alors que les êtres collectifs paraissent plus fixés derrière les figures
4 Cf. les travaux de Jean-Paul Thibaud : http://www. cresson.archi.fr
7
qui les représentent. Mais pas toujours car ils peuvent aussi surgir et, selon leur style ou forme
de présence, ne pas être reconnus ou perçus comme tels. Les êtres collectifs ne sont pas si
souvent questionnés quant à leur statut ontologique par les hommes sauf à des moments
critiques, alors que les divinités sont régulièrement confrontées au travail explicite
d’ontologisation des humains (« existent-elles? », « oui, elles existent ») et en même temps
toujours controversées dans les paroles et les débats des croyants eux-mêmes5. Mais surtout,
la présence souple de l’être divin insuffle aux hommes un confort et un relâchement d’autant
plus perceptible qu’il compense la pression toujours possible d’un être collectif. Mais tout
ceci doit être observé, identifié, comparé, de situation en situation
Pourquoi préférer la notion de coprésence, à celle d’interaction qui est bien plus ancrée
et travaillée en sciences sociales ? D’abord, la notion d’interaction invite, selon le paradigme
interactionniste, à une focalisation sur les éléments interactionnels, tels qu’ils sont significatifs
et pertinents dans l’expression verbale et non verbale, et qu’ils constituent ainsi la base de
l’acceptation mutuelle nécessaire. Bien plus que les êtres présents, ce sont les signes partagés
et échangés qui intéressent l’interactionnisme. D’autre part, celui-ci sous-tend une
anthropologie spécifique, celle d’un homme face-à-face avec d’autres, mobilisant activement
des ressources mentales et gestuelles pour maintenir l’ordre de l’interaction, selon une logique
de la gestion, de la stratégie et de la rationalité, bref du « labeur », selon le mot de Goffman,
constitutif de l’accord et de l’ordre interactionnel. Par ailleurs, la notion de coprésence
connote l’évidence de la présence des êtres, plutôt que le moment et la dimension de la
rupture. La coprésence, c’est la continuité entre les êtres dans une situation, continuité de la
présence de chacun dans le rythme du temps, continuité recréée après une catastrophe. La
coprésence désigne par elle-même la présence des êtres, tels qu’ils sont dans une situation,
ensemble, qu’ils participent ou non à l’échange central de l’interaction et invite à
l’observation de ceux-ci à partir de leurs caractéristiques perceptives, cognitives. L’idée de
coprésence permet aussi d’une part d’éviter que l’analyse ne fasse porter le travail
exclusivement sur les objets présents, mais également sur les habitus ancrés dans le corps et
l’esprit, d’autre part de ne pas attribuer ce travail aux compétences fortes des hommes comme
la rationalité, la volonté, la liberté, etc. Il importe plutôt de trouver les mots justes pour
désigner cette coprésence des humains et des para-humains, des habitus d’humains, en
particulier entre les éléments actualisés de ceux-ci, ceux qui sont perçus comme importants,
comme détails. L’idée de coprésence, en orientant la focale sur les êtres présents, plutôt que
sur le lien et la relation, inclut aussi la possibilité de regarder d’autres êtres que l’homme,
justement peu souvent en interaction avec lui, même s’ils sont dans la même situation. Ce
sont, par exemple, les divinités, les animaux, et aussi ces êtres collectifs (comme la France ou
l’État), c’est-à-dire l’ensemble des compagnons de l’homme désormais à la portée d’une
ontographie comparée, encore une fois qu’ils soient ou non des participants actifs à l’enjeu
interactionnel.
La coprésence suppose non pas seulement un en deçà de la présence et de la
perception, celle de l’individu mais aussi un au-delà de la présence de l’autre. Par exemple : le
poteau est un feu rouge ! « Quand nous lisons un écriteau “Défense de passer”, écrit Bergson,
nous percevons l’interdiction d’abord ; elle est en pleine lumière ; derrière elle seulement il y
a dans la pénombre, vaguement imaginé, le garde qui dressera le procès-verbal » (Bergson,
2008 : 131). C’est comme si, en plus de mettre entre parenthèses, l’homme gardait en
pointillé, à l’horizon plus ou moins éloigné, l’« intensification » potentielle de la situation
locale, sous forme d’épreuve, tels l’accident ou le contrôle de police (Linhardt, 2009). Nous
dirons précisément que c’est l’en deçà qui associe ce donné à un supplément. Quand on ne
5 Sur les processus d’ontologisation, cf. Kaufmann (2006)
8
regarde pas vraiment le feu rouge – ce qui est essentiel – et qu’on s’arrête, c’est
qu’implicitement on sait que ce poteau n’est pas un simple poteau et donc que lui aussi a son
reste. Dans un cas, un au-delà, un supplément, un au-delà qui dépasse sa visibilité. La
perception est économe et en plus elle n’est pas bornée. C’est une double capacité de
l’homme de ne pas penser et d’injecter, dans le même mouvement, quelque chose en plus, un
supplément. Les théologiens diront que c’est dans la disponibilité de la présence émoussée
que le surplus de sens se donne. Le retrait permet, va de pair avec le supplément de l’objet,
contrairement à l’obsession qui borne, qui fixe et qui est sans reste. Ce poteau n’est pas un
simple poteau, il est un être spécifique, re-présentant, présentifiant un être collectif, en
l’occurrence le Ministère de l’Intérieur, pourquoi pas la France ! La divinité ne serait pas si
loin du feu rouge. En d’autres termes et dans une autre perspective, Lévi-Strauss, lui-même,
avait tenté cette analogie entre les divinités et le code de la route.
Le feu rouge par exemple n’est pas lui-même un être collectif. Il n’est qu’un signe
rappelant le code la route et représentant les forces de l’ordre et l’État. Celui-ci n’est donc pas
directement visible mais seulement par figures interposées. Nous dirons que sa présence est
virtuelle. Sa virtualité n’est pas celle de la graine qui deviendra bientôt un fruit. L’être
collectif est constamment virtuel6. D’une certaine manière, sa virtualité est toujours là, par les
médiations qui le re-présentent et par les modes d’engagement de l’être humain s’y rapportant
comme à un repère, une toile de fond, un objet d’attention ou encore un détail. Dans le cas de
l’automobiliste au feu rouge, l’épreuve de la violation et de la sanction n’est pas absente. Sa
présence est comme diffuse et reportée. C’est comme si l’intensité de l’épreuve était toujours
là, mais en filigrane, désintensifiée et minorée. Il y a, selon l’analyse de Dominique Linhardt,
comme une « mémoire de l’épreuve. C’est cet effet de mémoire qui rend à la fois évident et
transparent le caractère étatique de ces choses ». En tant que virtuel, l’être collectif ne peut
donc se dire et s’expliciter directement. En situation, il se montre à travers des figures de style
codifiées, comme l’allégorie, quand un élément concret (une couleur, un objet) représente
l’être collectif, la personnification quand celui-ci joue le rôle d’une personne (ainsi l’enfant
offrant un cadeau à « la » famille et non à ses membres en particulier), la métonymie avec la
présence d’éléments renvoyant à l’être collectif par des liens divers (c’est le cas du feu rouge
par rapport à l’État), la métaphore lorsque l’être collectif lui-même est ramifié et complexifié
dans d’autres collectifs, comme la France avec le Parlement, les Régions, les Départements,
les Mairies, ou encore la synecdoque indiquant la présence de l’être collectif à travers les
humains, tous ou quelques-uns, qui le constituent, comme le peloton des cyclistes. Ainsi,
l’être collectif est virtuel et stylisé, fragmenté, dispersé en situation. Selon Dominique
Linhardt, c’est « la tension entre sa présence et son absence, entre sa force et son effacement,
entre son emprise et sa fragilité » qui caractérise la présence de l’être collectif hors épreuve.
Comprendre cet automobiliste au feu rouge suppose de penser la continuité de son rythme
journalier d’actions, la virtualité de l’État auquel ce feu renvoie par diverses figures
interposées, la docilité de l’homme avec l’épreuve de l’accident et de la sanction à l’horizon,
la force potentielle de cette épreuve capable de vite s’actualiser, la minimalité de la présence
du chauffeur ne pensant pas à tout cela, percevant à peine la couleur du feu. Ainsi l’être re-
présentant est associé à un poids qui varie selon son passé, son origine et la propre présence
de l’individu dans la situation. Les autres êtres para-humains sont certes nombreux mais
quand ils sont là, ils ne sont pas nécessairement surprésents. Ainsi la coprésence de l’homme
et de l’être collectif (ou de la divinité) est rarement directe, mais plutôt indirecte (à partir de
signes ou par un emboîtement successif de signes re-présentant). Elle est comme déréalisée et
virtualisée, toujours reportée.
L’être collectif, stylisé par des objets, des personnes ou des signes qui en sont les
6 L’idée de virtualité en rapport avec les phénomènes sociaux est développée dans Pettit (2004 : chapitres 2 et 3
et aussi Livet (1994)
9
indices, permet donc le relâchement et le repos, quand l’homme s’affaire à la création d’un
nouvel être, mais aussi et surtout, il l’impose, car comment être en situation avec d’autres
individus selon telle ou telle règle, sans jouer le jeu de l’être collectif, donc avec des dosages
différents de docilité ? Bref, ne pas trop penser à celui-ci, à ses origines, à ses caractéristiques,
ne pas pousser à fond son affirmation individuelle, comme le croyant laisse pénétrer en soi
des couches de légèreté, afin de ne pas être exposé trop directement à la contradiction de ses
croyances. A poursuivre notre réflexion, il y a donc, dans une situation, des humains, chacun
avec leur présence minimale, qui passe, qui ne contrôle pas, qui ne se fige pas - ceci est
capital, nous l’avons vu - et des objets associés à une présence supplémentaire, celle d’un être
divin ou plus souvent d’un être collectif maladroitement appelé « société ». C’est-à-dire un
double écart, un double reste: c’est bien le fait de jouer le jeu et de ne pas y penser, cet en-
deça de la présence humaine, qui attribue aux objets cet au-delà. La minimalité permet ainsi
de conférer d’autant plus facilement quelque chose en plus au fait brut de l’objet, un surplus
de présence à celui-ci, que l’homme en retire un surcroît de repos. Cette strate minimalisatrice
de la présence humaine facilite ainsi la coprésence avec des êtres absents, en tout cas
invisibles, dont le mode d’être n’est pas d’abord interactionnel et communicationnel. La
coprésence fait ainsi cumuler d’une part l’absence-présence de l’être humain et aussi la
présence-absence des autres êtres, humains ou non, vivants ou non. Avec les divinités et les
êtres collectifs, dont l’absence empirique est nuancée par une forme de présence, l’homme
n’entretient pas un face-à-face interactionniste mais crée une coprésence évidente dans
laquelle il nuance sa présence empirique par une suspension cognitive et même perceptive7.
D’autres para-humains
Penser la virtualité et la présence virtuelle n’est pas facile. Cela suppose d’injecter une
part restrictive aussi bien à l’absence qu’à la présence concrètes. La virtualité ne correspond
ni à une absence, ni à une présence, ni à un fond, ni à une figure. Mais ce n’est pas une
caractéristique secondaire. Elle est même essentielle. Travailler sur des situations d’épreuve
ou lire la vie comme si elle était une épreuve constitue un contour radical de la virtualité,
puisque l’épreuve consiste à faire sortir l’être de sa virtualité et à l’observer comme réel et
surtout concret. L’épreuve n’est pas un microscope mais un antiscope. De l’État ou d’une
institution politique, nous dirions donc qu’ils sont réels mais virtuels car non tangibles ou
directement perceptibles. Ils ne sont pas pour autant non actuels, mais plutôt non non actuels,
indirectement actualisés à partir de leurs représentants8.
Mais continuons. Le repeuplement des sciences sociales, selon l’idée de Latour, ne
doit pas seulement concerner les animaux, les dieux, ou les êtres collectifs. Soit une situation
relativement simple : une salle de cours dans une université, un enseignant donnant un cours,
des étudiants prenant des notes. Qu’est-ce qui est présent ? Suivons le point de vue de
l’humain enseignant. Il vient de quitter son domicile, il a pris ses notes de cours qu’il a
préparées la veille. Il connaît le numéro de sa salle et l’horaire, indices d’un département, lui-
même organisé dans une Faculté. Il voit le groupe des étudiants constituant devant lui une
relation. Eux-mêmes connaissent la salle et l’horaire, sont venus pour ce cours. Pour chacun,
les raisons d’être là sont sans doute diverses, mais non explicitées, en toile de fond. La
situation se déploie sans hésitation, comme si chacun savait ce qu’il a à faire. Au moment de
son enseignement, surtout lorsqu’un étudiant intervient, mais pas à chaque fois, il est possible
7 Sur l’exemple de la SNCF et de ses modes de présence, cf. A. Piette, De l’ontologie en anthropologie, Paris,
Berg International, 2012, pp.33-37. 8 Je me permets de renvoyer à mon livre Fondements à une anthropologie des hommes (Piette, 2011).
10
que le professeur perçoive comme une différence, non pas de rôles, mais comme on dit
d’appartenance sociale, de milieu, de culture, etc. Cette microscène vient de faire surgir, entre
autre êtres, l’individu, l’être « social » (celui qui est associé à une trajectoire
« socioculturelle »). Il n’existerait et ne subsisterait en situation qu’à partir d’une perception, à
partir d’un rapport de différence perçue par X ou Y. Mais après son advenue explicite par la
différence, il va s’auto-indéterminer, avec son « gros » réservoir de potentialités, en s’effaçant
dans une présence virtuelle, implicite et non ressentie. Il peut également, dans d’autres
situations, être revendiqué, et pas seulement perçu, explicitement. L’individu social ‒ ce n’est
pas l’homme lui-même ‒ est ainsi reconnaissable par des marques d’habitus, d’appartenance
socioculturelle : postures, gestes, paroles, tons, etc. C’est en particulier ce que la personne a
reçu pendant cinq, dix, quinze ans à partir de sa place dans une famille et avec quoi elle vit au
fil des situations de son existence, non d’ailleurs sans modification au moins partielle des
marques de son individu social. Certes atténué et amorti, l’individu social est comme intégré à
la personne, annexé à sa présence, comme son ombre. Omniprésent mais jamais totalement
exprimé (les restes sont potentialisés), il se laisse donc percevoir en situation surtout par
contraste avec d’autres « socials », et d’autant plus pour ceux-ci, s’il est lui-même ajouté à des
« socials » qui lui ressembleraient. Omniprésent, le même individu social, et en particulier
telle dimension, tel aspect de celui-ci, n’est pas actif, visible, avec la même intensité à tous les
moments pour son porteur et surtout pas pour les autres humains, tantôt percevant sur des
modes divers des marques sociales différentes, tantôt ne les percevant pas alors qu’elles sont
là. Le « social » : un réel, actuel et potentiel, extensible et accumulable, implicite et
différentiel. Comment se laisse-t-il percevoir, expliciter, sanctionner en situation ? Par son
porteur humain ? Par d’autres humains ? Comment crée-t-il des effets ? Bref, comment
l’individu social est-il présent en situation, au fil des instants. Dans le mouvement des
situations et la rapidité des perceptions, notons qu’il est parfois bien ramolli et mis entre
guillemets. Tandis que le sociologue et l’ethnographe repèrent et diagnostiquent les
spécificités socioculturelles des humains comme partagées à l’état implicite ou dans des
phases de tensions entre marques sociales différentes, l’onto-phénoménographe consiste à
suivre l’individu social de X dans le cours des situations qui se suivent, de journée en journée.
Il l’observe comme une entité située avec des modalités différentes de présence, en particulier
à partir des gestes et des énoncés de son porteur.
Des ontographies analogues vaudraient aussi pour d’autres entités comme une
représentation, une valeur, un principe. C’est à ce propos le thème des recherches de François
Cooren : les modes d’existence d’ « objets immatériels », comme les idées, les valeurs ou les
normes, qu’il repère en situation à partir d’analyses détaillées des conversations des humains,
et dont « la présence et le mode d’existence semblent beaucoup moins évident. Comment, en
effet, écrit Cooren, reconnaître que quelque chose apparemment d’aussi immatériel et abstrait
qu’un principe ou une valeur puisse effectivement exister et agir ? » 9
. Ainsi quand un
principe moral est convoqué dans une situation, qu’est-ce qui lui arrive ? Là, il conviendrait
de le « suivre ». Est-il éphémère, disparaît-il, se maintient-il ? Et comment ? Reste-t-il
implicite ? S’explicite-t-il ? Se ressent-il par les gens ? Est-il non remarqué par des
personnes ? Comment continue-t-il à rester présent ? Quels seraient ses divers surgissements
et modes successifs de présence dans la journée d’un humain ou dans un lieu spécifique, ou
encore dans des lieux différents d’une institution où s’enchaînent diverses situations ? Quelles
sont ses particularités ontographiques, en tant qu’il est un être immatériel en situation ?
Différentes de celles d’un être collectif ? Une « idée » comme être s’emboîte-t-elle dans une
autre et ainsi se renforce-t-elle ? Elle est animée par un humain ? Ou plusieurs ? Eux-mêmes
9 Cooren F., « Ventriloquie, performativité et communication, ou comment fait-on parler les choses », Réseaux,
2010/5, 163, p. 40. Et son livre : Manières de faire parler. Interaction et ventriloquie, Lormont, Le Bord de l’eau,
2013.
11
se posent-ils ou non comme animés par ladite idée ? Comme cette idée se présentifie-t-elle ?
Une parole avec des gestes qui renforcent la parole, une mimique, un texte écrit, des espaces,
des objets, des émotions ? Tout cela conférant des présences différentes, et des successions,
pour une même idée ou une valeur, de divers modes de présence. Il est ainsi important que
l’ontisme méthodologique dépasse l’analyse de conversations pour comprendre ce que veut
dire l’existence située d’un principe moral ou d’une idée. Ce qu’ils font, font faire, mais
surtout comment ? Comment est en situation une valeur qu’il importe de comparer à une autre
dans la vie d’une personne, d’une institution ? Comment évolue-t-elle dans le fil des
situations, accompagnant le même humain, ou avec un autre ? Présences plus ou moins
« spectrales » mais présences quand même, présences-absences !
L’observateur peut aussi se focaliser sur un individu humain qui, avec d’autres
individus, crée, construit, fabrique, explicite des codes ou des grammaires. Il le fait dans
différentes situations, selon le rythme des moments constitutifs des journées. De ces situations,
il ressort un texte, un code, une grammaire qui va désormais vivre, être utilisé, qui va
s’infiltrer progressivement dans d’autres situations, devenir une référence explicite dans
celles-ci ou guider implicitement les actions des hommes. Le code ou la grammaire constitue
un « individu » désormais présent dans ces situations, à côté des humains et d’autres êtres
également présents, chacun sous des modalités spécifiques. L’action des hommes est
coprésente avec un code ou avec une grammaire. Celui-ci ou celle-ci n’est pas en dehors
d’une situation. Il est un individu à côté des autres et ne peut être le simple équivalent de la
synthèse descriptive de ce qui se passe dans la scène et qu’expliciterait l’ethnographe comme
la partition jouée par les humains. Dans cette perspective, l’ethnographie de l’« ensemble » ne
serait qu’un premier repérage exploratoire. Mais le code existe donc comme une strate
extériorisée, perceptible ou non, ressenti ou non, implicite ou explicité par un homme ou
plusieurs dans la situation. À côté des humains, il est souvent implicite et virtuel, non
remarqué et non éprouvé. Mais, en même temps, il est aussi actualisé à travers leurs
manifestations gestuelles et langagières. Inversement, bien réel quand il suscite une
confrontation ou devient une contrainte, il peut alors ne pas être actualisé. Le code d’une
situation fait ainsi particulièrement sentir sa présence à partir de la manifestation de son
contraire, quand il n’est pas actuel, ni actualisé. Sa réalité est d’autant plus perceptible qu’il
n’est pas actuel et qu’il génère son explicitation. Mais surtout, d’une situation à une autre, ces
dimensions du code sont très variables et fluctuantes. Ce ne sont pas les mêmes présences de
code, tantôt réel, tantôt actuel, implicite ou ressenti, toujours différent et changeant, qu’un
même homme rencontre au cours d’une journée.
Prenons un autre exemple, un autre « individu » : la relation. Quand je discute avec
une étudiante dans un café, où est la relation ? Il nous semble que la relation est d’abord une
sorte de schème ou de script mental, présent chez chacun des deux individus, différent de l’un
à l’autre, sans doute complémentaire, à partir de leurs expériences antérieures. Et ce script se
concrétise quasi automatiquement à partir d’une capacité inhérente aux êtres humains et dans
la continuité des actes des deux existences concernées. Cette relation dans laquelle je suis est-
elle un « être » présent pour moi, comme le groupe d’étudiants que je perçois et à qui je
m’adresse en salle de cours, comme la culture, le social, la société, l’ambiance ou l’État
peuvent l’être dans divers espaces-temps ? Tout au plus est-elle une présence virtuelle
(comme objet possible et lointain de pensée, ponctuellement réactivable), ainsi qu’une
réalisation automatique à laquelle je ne pense pas. Mais elle serait un être concret pour un
autre individu qui la percevrait comme telle, par exemple pour le serveur du café où se
déroule la très sérieuse conversation et qui la repère comme une entité valant plus que la
somme des deux individus. Il importe ainsi de bien repèrer ces différences qui constituent les
caractéristiques et les particularités de chaque être ou individu présent dans une situation.
12
Script virtuellement présent, concrétisation implicite, repère perceptible font des caractères
ontographiques de la « relation ». La relation est ainsi un être particulier, concret, temporel et
intermittent. Il est dépendant, certes actuel mais aussi virtuel pour les deux humains qui la
réalisent.
Et nous pourrions continuer. A l’instant t, un homme X perçoit un groupe Y ou se sent
dans le groupe Y. L’observation ontographique ne voit pas le groupe comme ensemble
comprenant Y + X, mais repère X voyant Y, c’est-à-dire deux individus existant, situés, X et
Y. Ainsi X perçoit, au fil des moments, des relations différentes, des groupes, des associations
diverses, il perçoit aussi qu’une même relation est vite décomposable, bientôt décomposée,
parfois jamais recomposée. Bien sûr chaque moment, chaque rencontre implique aussi des
effets divers, à court ou long terme, des échos, des réverbérations. Avec des travaux
d’ontographies comparées, il se dégage ainsi de nouveaux objets d’enquête : telle relation
comme être présent dans telle situation, tel social comme être présent dans telle situation, telle
raison d’agir comme être présent dans telle situation. Ceci suppose des observations très
rapprochées et méthodiques dans les situations, en particulier à partir de suivis d’un humain.
Ontographier une relation pourrait aussi consister à la suivre elle-même. Par exemple, à
propos de l’amour de X et de Y perçus en train de se promener main dans la main, il s’agirait
alors de suivre X (ou Y), ce qu’il dit, fait, éprouve de situation en situation (donc aussi en
l’absence de l’un des deux) et de percevoir ainsi la place, la consistance, les modes
d’apparition, de disparition et de présence de cet amour. Des ontographies analogues
vaudraient aussi pour d’autres entités : la maladie, le handicap, la mondialisation, un
événement, un travail, un rôle, etc..
Conclusion
En conclusion, trois points de réflexion. Nous venons de suggérer des pistes
d’observation et de comparaison, quelques clés pour décrire des modes de présence et de
coprésence. À prendre le terme « individu » non pas dans son acception habituelle de
personne, mais dans un sens large, classique dans la tradition métaphysique, l’ontisme
méthodologique ne focalise pas, contrairement à l’individualisme méthodologique wébérien,
sur l’homme questionné hors situation sur ses raisons d’agir, mais observe l’individu en
situation, et s’intéresse à toutes les entités (humains, animaux, collectifs, divins, etc.), en tant
qu’elles sont présentes et observables en situation avec des modes différents, répérables par
les gens ainsi que par l’observateur qui veut bien les suivre. L’interaction vue par le
sociologue est en quelque sorte la concrétisation en signes verbaux et non verbaux de ces
deux scripts mentaux, mais présentée comme objet systématique construit à partir des actions
et réactions des participants, et ainsi déconnectée de ses modes de présence comme entité
située. Ce qui est en jeu dans cet article, c’est l’observation d’une part de la présence d’un
humain en situation, dans son interaction et dans ses restes par rapport à celle-ci, continuant à
le suivre quand il quitte la scène vers d’autres situations, vers d’autres moments, d’autre part
de para-humains comme entités présentes, situées, perçues ou ressenties dans ce lieu, et
éventuellement dans d’autres successifs, où serait aussi la même personne.
Les humains possèdent une compétence particulière à modaliser leur présence en
injectant constamment des nuances, en créant des mélanges d’être et en fluidifiant leur
basculement entre modes et situations. La présence humaine se déplace, entourée de
présences para-humaines, plus ou moins diffuses, plus ou moins structurantes, dont il est
impossible d’imaginer leur absence tant qu’il y aura des hommes. Des hommes qui délèguent,
qui oublient qu’ils ont délégué, qui se reposent toujours sur certains appuis quasi invisibles,
13
alors qu’ils sont simultanément capables de s’activer ponctuellement sur les enjeux d’autres
appuis tout aussi invisibles ou diffus. En vivant avec les dieux, les institutions et en
domestiquant les animaux, l’homme se fait de nouveaux appuis, des supports de repos et
accroît encore sa possibilité de vivre sur le mode mineur. Cette dimension présente aussi chez
les humains est particulièrement nette chez les para-humains.
En effet, comme si nous avions là un indice fort de la spécificité humaine, l’homme
injecte cette caractéristique modale chez ses proches compagnons de la vie quotidienne qui,
capables eux-mêmes de minorer, permettent d’autant plus de relâchement chez l’humain
lorsqu’ils sont à ses côtés. Des caractéristiques analogues se retrouvent d’ailleurs dans la
coprésence des hommes et des robots : l’asymétrie et l’absence de réciprocité, mais aussi,
comme le montre Denis Vidal (2007), l’incertitude sur le statut ontologique du robot capable
de générer une inquiétude du partenaire (« mais qu’est-ce que c’est ? ») et dans le même
temps instaurer une facilité et une détente de la présence humaine. L’homme qui fait exister
des incertains, qui personnifie l’animal, qui humanise la machine, se donne à chaque fois la
possibilité de leur conférer une « ontologie molle » et pour lui une présence relâchée en leur
compagnie. L’homme, un être minimal, tellement spécifiquement minimal qu’il imprègne de
sa minimalité l’être même de ses compagnons de tous les jours, tels les chiens pour lesquels
Marion Vicart a montré des expressions de mode mineur, comme par imitation des hommes
et/ou tranquillisation de leur vie à leurs côtés. L’ontologisation des compagnons non humains
de l’homme, les para-humains, passe donc par une minoration de leurs modes de présence,
réalisées à des degrés différents pour chacun. À propos du chien, de la divinité ou de
l’institution mais aussi du code ou du « social », l’ontologisation se fait avec une fluidification
caractéristique et un oubli avec rappel à géométrie sans cesse variable de leur présence. C’est
cette capacité des hommes à minorer la présence des para-humains qui je souhaite ainsi mettre
en valeur, plutôt que la capacité de leur attribuer des intentions, une « agence ».
Il apparaît bien qu’une caractéristique constante des para-humains (les institutions, les
dieux, les animaux domestiques, le social, le groupe, etc.) consiste dans leur mode restrictif,
négatif, oserais-je dire mineur. La pression potentielle de leur face active -elle est évidemment
réelle et il n’est pas dans mon intention de prétendre qu’elle n’existe pas - est ainsi
contrebalancée par différents modes restrictifs d’existence. Le dieu omniprésent est aussi
invisible, souvent effacé, et suscite même des doutes sur son existence. L’institution politique,
l’État par exemple, est très structurant mais surtout virtuelle. Le groupe, également
structurant, est surtout intermittent et polymorphe. Le social, réel et actif, est surtout
potentialisé et souvent implicite. Le code, actuel ou réel, est à géométrie particulièrement
fluctuante. Les animaux domestiques, interactifs, sont contingents, passifs et neutralisés. Les
humains comprennent-ils bien leur spécificité anthropologique, la minimalité, dans le monde
du vivant pour l’extérioriser et l’amplifier ainsi dans l’acte d’exister des para-humains et dans
les manières d’être coprésents avec eux ? Ainsi à quoi tient la vie commune des hommes ? À
chaque situation, la coprésence se fait autour de trois éléments essentiels :
– la continuité des êtres présents, celle des humains qui ont leurs raisons d’être là, avec leurs
compétences et capacités, en fonction d’un nombre variable de situations passées, celle des
para-humains, en particulier d’objets saillants dans la scène en question, eux-mêmes issus
d’une longue continuité ;
– la minimalité de l’homme qui déploie dans la situation la plupart de ses capacités et
compétences nécessaires, plus ou moins automatiquement, mettant entre parenthèses des
interrogations sur l’origine de la continuité de chacun, humain ou non humain ;
– la virtualité d’un ensemble d’entités para-humaines, qui sont là, sans être vraiment là,
comme les êtres collectifs présents à leur manière dans tel ou tel objet de la situation.
Continuité, minimalité, virtualité : seraient-ce des éléments-clés qui ne rendent pas
14
nécessaires de solliciter d’autres principes d’explicitation de la vie sociale ? L’évidence de la
présence et de la coprésence ainsi définies me semble en tout cas essentielle dans cette vie
ensemble, elle est aussi ce qui va chaque fois s’imposer aux épreuves ressenties de la
contrainte, de la douleur, de la planification, de l’enjeu. Les principes globalisants
d’explication n’ont-ils pas gagné leur intelligibilité par le défaut d’observation des sciences
sociales dont les techniques d’enquête sont très molles, distanciées, sélectives, focalisées sur
un petit reste qui n’a pas été mis à la poubelle ? Parions que si nous disposions d’informations
en continu sur la vie de chacun (par un système informatique qui peut être criticable mais qui
n’est pas absurde scientifiquement), l’explicitation en termes de continuité-virtualité-
minimalité apparaîtrait d’autant plus évidente…Il ne faut pas oublier un des enseignements de
Paul Veyne : « La grande idée des modernes, explique Paul Veyne, est d’ordre
révolutionnaire : les terrains extrêmes sont les plus vrais ; la surenchère qu’a été la Révolution
française de 1789 à 1794 a peut-être servi de schème à ce radicalisme » (Veyne, 1983 : 302).
Le discours sociologique n’est certainement pas un contre-exemple. De surcroît, dans
l’explication de ses terrains, nous le savons, elle s’est largement imprégnée d’une
anthropologie intensifiée, celle de l’acteur, du sujet, du travailleur et de l’inquiet. Bref,
comment continuer à décrire et à préciser cette attitude naturelle des hommes, cette façon
qu’ont les humains d’exister, une façon bien à eux ?
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