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LE SANG DU ROI - Exultet

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LESANGDUROI

Dumêmeauteur

LaprincesseMathilde,Paris,Amiot-Dumont,1953.Enfants royaux aujourd’hui (en collaboration), Paris, Plon,1953.

Laure(roman),Paris,Amiot-Dumont,1956.

Dictionnairedusnobisme(encollaboration),Paris,Plon,1958.

Louis-Philippe et la révolution française, Paris, Librairieacadémique Perrin, 1963, 2 vol., Grand prix du cercle del’Union,1964.Éditiondéfinitive:Pygmalion,Paris,1984.

Vivre en Chine, récit de voyage, Paris, Desclée de Brouwer,1968.

Legaragisted’Aubusson(piècedethéâtre),Paris,ORTF,1969.

LeComa(roman),Paris,Plon,1973.

CharlesdeFoucauld,Paris,Grasset,1982,PrixChateaubrianddurayonnementfrançais,1983.

Montalembertetl’Europedesontemps,Paris,François-XavierdeGuibert,2009,PrixCombourgChateaubriand2010.

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PHILIPPE – Parce que je sombre avec eux. Ose le direpuisque tu le penses et répète-moi, sous couleur de meconfesser,lessornettesquel’onmedébitedepuisdesmois.Quej’ai été trop loin, que je n’aurais pas dû voter lamort duRoimon cousin, que j’aurais dû me retirer de la Convention,m’abstenir de paraître, aller prendre le vert en province, oumieux,me faire bannir et fuir auxAmériques.Mais,monsieurl’abbé,lapartien’estpasjouéeetsiRobespierreajurémaperte,d’autresleguettentpourl’abattre.Encemomentmême,ilcrèvede terreuret ilest tapicommeunratderrièresaporte. Ilsuffitd’unrien,d’uncoupderevolveroud’uncoupdevent,pourquetout sonéchafaudage s’écrouleetque soncomplot se retournecontrelui.Carl’onm’aimeàParis,vois-tugredin!Carc’estlepeuplequimesouhaitaitpourroi,etc’estmoi,seulementmoi,qui ne l’ai pas voulu. Sors, vas dans la rue, interroge lespassants. Il n’en est pas un qui veuille ma mort. Ils ignorentencore cet infâme jugement et la trahisondont je suis victime.Onsegardebiendelesenavertir.TuentendraisalorssonnerlesclochesdeSaint-Eustacheet,tous,armésdepiques,defourcheset de coutelas, se précipiteraient sur cette prison pour m’ensortir.Ah !L’ignoble tribunal ! Ils le broieront !UnenouvelleSaint-Barthélemys’annonce.Ilss’apprêtent.Ilsvontarriver.Ceforfaitn’aurapaslieuetcesscélératsserontréduitsencendre.

L’ABBÉ–LesgensseterrentMonseigneur.Iln’yaplusunevoitureenville.J’aifaittoutletrajetàpied,sansrencontrerâmequivive.

PHILIPPE–Tuesencorelà!Tuprétendsdemeurer!N’astupascomprisque jenesuispascoupable,qu’onvamerelâcherd’uneminute à l’autre ! Ils sont corrompus jusqu’à lamoelle,maisilsnesontpasfous!Ilsontjurémaperte,maispaslaleur.

Ils délibèrent. Ils savent que ma disparition les anéantirait.Allez, appelle ces sbires et décampe ! Ta facem’écœure, et jeveux être seul pour accueillir ces traîtres quand ils semontreront.

L’ABBÉ – Je le voudrais Monseigneur, que je ne pourraism’enaller,jesuisenferméavecvous.

PHILIPPE–Tulepensesdonctoi,quejevaismourir?Ilvaàluietlesecoueavecunefureuraccrue.Parle,parledonc,espècede jean-foutre, et dis-moi ta vérité, même si ce n’est que latienne!

L’ABBÉ – Vous la savez comme moi Monseigneur !Aviezvousdonctantd’espoir?

PHILIPPE–Avecrage.Quandilsm’ontarrêtéenavril,ilnes’agissait qued’unemesurede sécuritédestinée àmemettre àl’abri. C’est un meurtre. Il n’y a rien que l’on puisse mereprocher.Rien.Jen’aipascommisunseuldesactesque l’onm’impute. Je me suis sacrifié. Je me suis ruiné par purpatriotisme.LalibertéqueréclamaientlesFrançais,c’estàmoiqu’ils la doivent. J’ai eu seul et prince de sang, le courage dem’élever contre les abus et les privilèges de l’anciennemonarchie.Lepremier,j’airenoncéàmestitresetprérogatives.Jemesuisdépouillé,ruinépourdonnerl’exempleàlanoblesse.Mieuxencore,j’aiœuvrépourinstruiremesconcitoyens.Jen’aipashésitéàleurfaireconnaîtremesopinionsetàendonnerlaraison. Je les ai reçus, enhardis, soutenus, tous jusqu’au pluspetit.Jelesaitraitésenégauxetnonensujets,enhommesetensemblables.J’aiouvertlesmainsetj’aidistribuémeslargesses.Marat,lui-même,cetenragé,cebuveurdesang,n’aeul’audace

demerenier!Onl’alâchementassassiné.Cesontsesamis,va,qui me sauveront et qui vont les confondre tous. Tiens !Entends !Unbruit depas !Àmoinsque cene soitGamache,monfidèleserviteur!

L’ABBÉ–Allantverslacaisseoùgisentquelquesbouteilles,en ouvre une et lui sert à boire. Gamache a été mis dans uncachot au secret, mais le concierge, un certain monsieurLebauld,m’afaitpasservotrevindechampagne.

PHILIPPE – Vidant le verre d’un trait et le tendant ànouveau. Donne-m’en d’autre et encore d’autre. Ah qu’il estbon ! Une conspiration contre l’unité et l’indivisibilité de larépublique.Moi, je l’ai créée la république !Et qu’ils crèventtous le ventre en l’air ! Tu as entendu l’acte d’accusation. Tuétaisdans la salle.Tuasvu leursminesdéfaites, leursvisagesgrotesques et faussement impassibles. Et leur président, cemarquis Antonnelle, que j’ai accoutumé àme rendre visite auPalais-Royal. Tenez l’abbé, buvez un coup ! Il ne sera pas ditque nous ne trinquerons pas ensemble. Tu es sans doute unecanaille, mais pas pire que celui-là, un chacal qui fuyait monregardetquihierencorevenaitsouperàmatable.Ettudisquejevaismourir,livré,parluietsescomplices!Tudisfaux,Judas,ettuespèresavecmoi.Es-tuprêtreouiounon?Situl’estunepeuxsouhaiterlamortd’uninnocent…innocent,innocent…

L’ABBÉ – Qui a refusé de boire, le regarde et se taitobstinément.NotreRoiLouisXVI était innocent, notreReineMarie-Antoinetteaussi.

PHILIPPE –Se ressert à boire et jette l’abbé sur la caisseavec violence. C’est bon, le ratichon ! Bois morbleu ! Bois

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desasagesseetdesonesprit.

AGNÈS–Disparaissant.L’avenir,jen’ysongejamais.Jenesongequ’àlui…Jenesongeàrien…

GRACE–ÀLaclos,maintenantseulquis’avanceverselle.Jen’enaipasfini,etjen’écouteraipasvotrecharabia!Savez-vouscequeMirabeauadéclarécematin?–«Cejean-foutrenevautpaslapeinequ’ons’estdonnéepourlui.»–Etvousditesquevousnecherchiezpasàdétrônervotresouverain!

PHILIPPE–Gracen’aimaitquelesroisetlesprinces.Ellenesupportaitpasquelacanailles’enthousiasmâtpourmoiauClubdescordeliers.Ehbienmoi,j’enrestefier!

LACLOS–Avecnonchalance.Jecrainsmadame,quevousnesoyez bien mal informée. Et de plus… hors d’état d’entendreraison.

GRACE–C’estvousquiavezcommandéetfaitdistribueraunomdeMonseigneur,lesdixmillepiquesdontétaientarméslesémeutiersàVersailles.C’estvous,quil’avezempêchédebondirauprès de LouisXVI afin de protéger la Reine et le dauphin,quand ces vauriens et ces poissardes ont fracassé lesappartements royaux. Hélas, messieurs de Miomandre et deVaricourt,quisontmortsenluifaisantunrempartdeleurproprecorps,ontprislaplacequ’ileûtdûconvoiter.

PHILIPPE – Tout ce qu’on raconte sur moi est faux,entièrementfaux!Jen’avaisdonnéaucunepermissionàLaclos.Etpourquoime serais-jeprécipité àVersaillesdès ledébutdel’émeute?Nem’ysuis-jepasrenduaussitôtque j’aiétéaverti

desévénements!Graceetmoi,n’avions-nouspasdînéensemblelaveilledeceux-ci?Necroyait-ellepastoutpérilconjurégrâceà La Fayette ?… Un silence… Et quand bien même Laclosaurait-il intrigué sansque je le sache,n’étais-jepoint toujoursmonmaître?

LACLOS–Monseigneurapprécieramadame,lepeudecréditque vous accordez à son honneur ! Pourmoi, qui ne suis quel’un des rouages qu’il utilise en vue de ses nobles tâches, jem’avouemoinsinstruit.

GRACE–Vousmentez.Vousétiezaucourantdetout.Vousêtes heureux de savoir vos souverains humiliés. Vous oubliezquec’estvotrepaysquil’estaveceux.Oui,j’aimelaFranceetj’aime Marie-Antoinette ! Oui, je suis une orgueilleuseÉcossaise, et le sang des Stuart martyrs coule en mes veines.Quelsquesoientmesvices,etmêmesivousmeprenezpouruneespionne,ilmerestelafoi.Jesaismoi,cequ’estunroietquecen’estpasunhommecommelesautres!

LACLOS – Qui vous contredirait madame ? Encore faut-ilqu’un roi se comporte en roi ! Vous découvrirez, je l’espère,quand vous serez moins agitée, l’inanité de vos soupçons…Monseigneur s’est borné à se montrer prudent. Nous sommesplusd’unànousen louer, et àbénirune réservequi luigardeintactsonprestige.

GRACE–Lefourbe! Ilmentencore!Monseigneurn’était,certes,pasoùildevaitêtre,maisiln’acesséd’êtreprésentdanslescoulissesetvousnecessiezdelepousseràl’action.Iln’estpas resté au Palais-Royal… Il allait et venait sans cesse entreParisetVersailles…Onl’avudonneràboireauxémeutiers…

On l’a vu circuler sur la place d’Armes, badine à lamain, aumilieu de la foule en furie qui de lui n’attendait qu’un mot,qu’ungestepoursecalmer.Etilsouriaitmême,m’a-t-ondit…

LACLOS – On vous a mal dit… Faut-il encore vous lerépéter : Monseigneur a fait l’impossible pour secourir leursmajestés ! N’avez-vous pas écouté madame de Buffon ? LaReinearefusésonbrasetl’atraitécommeungueux.

GRACE –Trop tard. Il y est allé trop tard,quand tout étaitconsommé… Ah, comme nous sommes loin de ce temps siprocheoùils’étaitréconciliéavecelle…Ilavaitdécidédevivreàpetitbruitaumilieudesesamispréférésetdesfemmesdesasociété.Etquidonc,monsieur,l’aainsichangé!

PHILIPPE – Soit, je souriais en songeant à laReine ! Soit,j’éprouvaisdelasatisfactionàvoirmortifiésonstupideorgueilautrichien. Et je souriais plus encore à la veille de ce départ.EllequiabhorraitlesAnglaisetmon«anglomanie»,contrainteà m’accorder cette ambassade et à m’être reconnaissante del’accepter…N’allais-jepasdébrouillerdesaffairesqu’elleavaitembrouillées à plaisir ? Ne pouvais-je jouir de l’exquisevengeanced’êtreindispensable?Lavengeance,ahoui…maislatrahisonjamais!

L’ABBÉ LOTHRINGER – L’histoire aura peine à retenirsemblabledéfense!

LACLOS–Sarcastique.Est-ceenversvousqueMonseigneuraurait changé, et vous inquiétez-vous de savoir quelque peudiminuévotreascendant?Etquandcelaserait,serait-ceun telmalheur?Plusbas.Onatoujourstortd’insister…Onfatigue…

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souhaite bien du plaisir. Eh,monsieur le curé, faites pas cettetêted’enterrement!Ilfinirabienparvousprendreunpetitsignedecroix.

LE SECONDGENDARME –On reviendra dès que vous serezquittes.Vousn’aurezqu’àtapersurleguichet.

LE PREMIER GENDARME – S’adressant à l’abbé. Quandmême. Quel sacré métier de guignol ! Venir décrotter unesaloperiepareille!

LESECONDGENDARME–Çayaserviàquoi,hein,devoterlamortduRoi?Yse serait tenu tranquillequ’àcetteheureyseraittoujoursàsepromener!Ah,c’estbeaud’êtreriche!

SCÈNEVI

PHILIPPE,ROMAIN,GRACEELLIOTT,L’ABBÉLOTHRINGER.

Lesdeuxgendarmesontreferméleguichet.L’abbéLothringeret l’ivrogne restent dans l’ombre. La lumière se projette surPhilippequiseparleàlui-même,toujoursassis.

PHILIPPE – La mort du Roi ! Les gueux !… Hélas ! Lesévénements ont donné raison à Laclos Il donne un coup depoingsurlatable,faittombersonverreparterreetleramassetoutencontinuant.Ehbienoui,jel’aivotéelamortduRoi!Ehquoi, n’était-elle pas inéluctable ? Il étouffe un ricanementdésespéréetregarde leguichetoù lesmunicipauxviennentdedisparaître. Un instant j’ai cru… Une dernière chance…DantonauraitbravélesEnragés,soulevéenmafaveurleComitédesalutpublic…Maisnon: folied’espérer. Ilse terre.Laclosensaittropetparlerait.Matêtegarantitlasienne…Mesfilsenréchapperont. Pour eux je suis descendu au fond du gouffre.Mon vote les a sauvés. Quel courage il m’a fallu ! Cettesolitude… Personne n’a compris, personne sauf Agnès…Pauvres petits. Comme ils seront malheureux ! Chartres lesretrouvera-t-il?Où?Quand?

Agnès !OhAgnès !Elle croyait la chose impossible…LemêmesortqueleRoi…Dequoimerepentirais-je?Voterquoi,votercomment?N’est-cepasluilecriminel?..N’est-cepasluiquiatrahi?…Moi!Moi!Quandmesamisapprendrontcetteiniquité.Iljetteunregardégaréautourdelui,puisseprendla

têtedanslesmains.Lesilence,tantdesilence…Tousdisparus,même Romain. Ah, je l’ai blessé les derniers jours. Pourquoiaussi s’obstinait-il ? Me convertir. Me consoler avec despieusetés.Ilm’avuperduquandjeluiaijetéàlafigurelelivred’heures du duc de Penthièvre. M’apporter les œuvres deCatherine de Sienne, une théologienne, une papiste…Etmonbeau-père me l’aurait légué en mourant ! Ultime bigoterie devieillard empaillé pourm’émouvoir !…Mesprétenduspéchés !De quoim’accuse-rais-je ? Il n’y a pas de vérité et s’il fallaitrecommencer…Ah,pouvais-jeagirautrement?

Grace aussi voyait le châtiment. Elle me suppliait. Ellem’implorait.Sesimprécations.Sondésespoir.Etqu’avaient-ilsàpleurerensemble,àmeregardercommeunréprouvé?Ilselève,vad’unmuràl’autreets’ycogneavecfureur.J’interdisqu’onsemêledemesaffaires.Jeneveuxpasqu’onmerappellecequejeveuxoublier.Ah,lagarce,commeellem’aimait!

Le cachot disparaît complètement.On découvreGraceElliottet Romain au Palais-Royal dans les petits appartements duprince le 15 mars 1793. La pièce est en désordre, d’un luxesale. On doit se sentir dans un capharnaüm désolé où lapoussière s’accumuleetd’où lavieet l’harmonieontdisparuen attente de quelque déménagement ; une impression deprovisoire et de hâte. Romain achève de ramasser les pagesd’unlivredéchiquetéauprèsdeGraceassisesurl’avantd’unebergère. Grace se tamponne les yeux. On comprend qu’ellepleureainsiqueRomainetquetousdeuxviennentd’échangerleurs confidences.Pénètrealors cette foisPhilippe, autrementvêtu qui, envahi par ses souvenirs, hanté, est transporté danssonpassé.

ROMAIN–S’inclineavecdéférence.Madamesaitquejelui

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GRACE–Durcie.Medemandercela!Àmoi?

PHILIPPE–Eh,Morbleu!Àquid’autre?

GRACE–Vos filspour lesquels l’onsemontre sibonneetauxquelsontientlieudemère?

PHILIPPE–Vousignorez,donc?

GRACE–Quoi,encore?

PHILIPPE–Chartresaosé…aprèscesévénements…Ilm’aadresséunelettreinadmissible…J’aidû

GRACE–Avecdouceur.Vousêtes-vousbrouilléaveclui,ouêtes-voussimplementobligéàfeindredel’être?

PHILIPPE – Songez qu’il m’adjurait d’aller le retrouver etqu’ilinsultaitlaConvention!

GRACE–LaConventionoulaCommune?

PHILIPPE – C’est tout un, aujourd’hui. Dumouriez lui atourné la tête et il court auprès de lui les plus grands risques.Vous savez commemoi de quoi le général est capable, et s’ilpassaitàl’Autriche…

GRACE–Luicoupantlaparole.Ilypassera,jel’espère.

PHILIPPE–Siunetelleactionseproduisait…Il laregardeavecangoisse.Vousy croyez,vous ?Elle acquiesce. Il donnealorsuncoupdepoingsurlatable.Maisc’estalorsquenousserionsperdus!Vousrendez-vouscomptedecequevousdites?

Chartrestrahissant,Montpensierl’imiterait,quisait?Gracesetaittoujours.Maisparlezenfin!

GRACE – Vous verrez… On vous apporterait comme à laReine,desrepasfortsoignés.

L’ombre se fait, puis l’obscurité. Renaît alors, peu à peu, unfaiblejouretl’onretrouvePhilippedanslecachot,effondrésursachaise,vêtucommeàsonarrivéeettournantmachinalemententresesmainssonverredechampagne.Untempssepasse.Ilparaîtaccabléetréfléchit.Onentendlarespirationcomateusede l’ivrogne dont on distingue le corps sous une couverturebrunâtre. L’abbé Lothringer se tient silencieux dans uneattituded’humilité.Philippe,lentement,lechercheduregard.Ille trouve et fixe comme en sortant d’un cauchemar sacordelière à laquelle pend un chapelet à gros grains. Il sedécide alors, se lève et pesamment, avec une espèced’indécisionmêléedemorgue,s’ébranledanssadirection.Ondoit sentir qu’il attend de l’abbé un geste. Comme celui-cidemeure inerte et muet, il s’en approche presque à regret, lesaisitaucollet et le soulevantquasimentmalgré lui, le traînesurledevantdelascène.Toujoursensilence, il ledévisagesansaménité.Puisà la fin,d’unevoixfermequicontientàlafoisunappeletunordre,illuidéclare:

PHILIPPE–Venezicil’abbé!

ACTEDEUXIÈME

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PHILIPPE – Quoi ! Ce petit accroc entre le Solitaire et leTerpsichore quand j’étais à Cadix. Il ne t’en a coûté qu’unebagatelle.

LOUIS XVI – Deuxmille six cent cinquante-quatre livres,exactement.

PHILIPPE–Toujourstescomptesd’apothicaire.

LOUISXVI–Cesontceuxdemonpeuple.

PHILIPPE–Au lieudechâtiermon ignorance, tueussesdûdépensercent foiscette sommepourmepermettred’apprendremonmétierdemarin.Tugérais laFrancecommeuneépicerie.Tuadditionnais leprixdeschandelleset tucontrôlais lepoidsdes paniers de fraises qu’on apportait à Versailles, tandis queton État faisait banqueroute et que ta femme achevait par sescapricesdeviderletrésor.Outrecela…

LOUISXVI–L’interrompant.Maîtrise-toi.Tut’égares.

PHILIPPE–Etpourquoimegênerais-je?Tuprétendsquejet’ai appelé. Eh bien, profitons-en ! Donne-la-moi enfin, cetteaudiencequetum’astoujoursrefusée.Ai-jeassezcherchéàterencontrer!Ehbienoui,allons-y,entronsdanslevifdusujet!Tu n’as plus ni courtisans, ni gueux variés pourm’insulter oumecracherauvisagecommeladernièrefoisquejet’aivu.Louisesquisseun légermouvement.Ah, je te dérange, enfin !Tu esinquiet, tu crains la vérité qui va sortir parma bouche commeune fiente. Jevais crever tout à l’heure. Jevais crever,mais jem’enfouspour l’instantet jevais le fairedurer,cecauchemar.Ettuvasvoircommej’aipeur.Ilselève,alors,menaçant. J’ai

peur,jusqu’àtecracherauvisageàmontour.J’aipeurjusqu’àtehurlerquejemeréjouisquetaReinesoitmontée,elleaussi,surl’échafaud.Ellet’améprisé,trahi,ellen’ajamaiseulamoindreconsidérationpourtoinipourlaFrance.Et toi, tun’aseuquece que tu mérites. Tu n’as été qu’un paltoquet, qu’un rustreimpuissantmanipulépardesincapablesetdesintrigants.

LOUISXVI–Impavide.Tesens-tumieux,maintenant?

PHILIPPE – Jene faisquecommencer, coloneldesTroupeslégères,l’engageantepromotion!Moncul!Pourelle,jen’étaisque « le colonel des têtes légères », un grotesque, qu’elle aempêché de prendre son commandement de Bretagne. Elle, ta«tête-à-vent».Ahnon!Nedardepassurmoiceregard!Ouiounon, n’est-ce pas ton jocrisse de beau-frère, ton Josephd’empereurd’Autrichequil’adécochée,lepremier,cetteflèche-là?Est-cequ’iln’apasétéatterréparsafrivolité,quandilestvenuvousrendrevisite?TaReine!Unmoulinparédeplumesetdediamants,battantdesailesà senset à contresens.Et toi,quiluicouraisautraincommeunportefaix,incapablederéagir,incapable d’imposer ta loi. Allons, que dis-tu ? Qu’as-tu àrépliqueràcela?

LOUISXVI–Tun’aspasencorecraché.

PHILIPPE–Tum’entends!Tum’entendsdonc!

LOUISXVI–Jet’écoute.

PHILIPPE–Mets-toiencolère,répondsquelquechose,alors.

LOUISXVI–J’aipeinepourtoi.

PHILIPPE–Ah,c’estcela!Tufuislesexplications,n’estcepas?Tuvasdéguerpirdanscettefuméeblanche,avantquej’aiepuvidermonsac!

LOUISXVI–Celanedépendpasdemoi.

PHILIPPE –Etpourquoi,morbleu? J’aibien l’intentionderester. Je t’aiditque j’irais jusqu’aubout.Parcequec’est toi,peut-être, qui attends que je me rende. Parce que c’est toil’offensé,parcequetuvoudraisquejemecroisinfâmeetquejemerenie.Ehbienn’ycomptepas.Jeneseraipas félonenversmoi-même. Je ne regrette rien. Si j’avais à nouveau à voter, jevoteraiscommejel’aifait.

LOUISXVI–Enes-tubiencertain?

PHILIPPE – Baissant la voix et se parlant presque àluimême.Jepensaisàtoi.Jenet’appelaispas.

LOUISXVI–C’estbiencequejedisais.

PHILIPPE–Tesfeintesnem’impressionnentpas.Jetetiens.Jenemeréveilleraipas.Non,jen’ouvriraipaslesyeuxtantquetunem’auraspasrendujustice.EtlemariagedemonAdélaïdeavecAngoulême!Quil’arefusé,alorsquelesfiançaillesétaientofficielles ? Et les voyages que je voulais entreprendre,nécessaires au prestige du royaume ? L’Égypte, la Turquie etl’Angleterre ! Tu m’as tout inter-dit, tout retiré, pour mecondamneràbrouterautourdemonpiquet.Ettoutcelaàcaused’elle.Ettusouhaiteraisquej’ailletepardonner!Etquidonc,àmaplace,neseraitdevenuenragé?

LOUISXVI–Ilyalongtempsquejet’aipardonné.

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L’ABBÉ–Qu’ya-t-il?

PHILIPPE–Réalise que l’abbén’a, en effet, ni entendu, nivu. Je parlais n’est-il pas vrai ?Vous n’allez pasme dire… Ils’arrêtedevantl’airinquietdel’abbé…mais,vousavezraison,c’est cela, je réfléchissais, je réfléchissais comme vous mel’aviezdemandé.Unsilence.Est-cequ’ilya longtempsque jeréfléchis?

L’ABBÉ–Jenesais.Quelquesminutes.

PHILIPPE–Monsieurl’abbé?

L’ABBÉ–OuiMonseigneur!

PHILIPPE–Vousaveztoujourseulafoi?

L’ABBÉ–J’aieucettefaveur.

PHILIPPE–Vousn’avezjamaisdouté?

L’ABBÉ–Dansuneviehumaine,ilestdesmoments…onenressortaffermi.

PHILIPPE – Jurez-le moi ! Jurez-moi de me dire la vérité.Vousêtessûr,absolumentsûr,queDieuexiste?

L’ABBÉ–Jen’aipasbesoindejurer, jelesais.Unsilence.Jevouslepromets.

PHILIPPE–Etvousn’avezvraimentrienentendu?

L’ABBÉ–Vousvousêteslevé,ilyaeulebruitdelachaise.

PHILIPPE–SiDieuexiste, ilpeutarrivern’importequoi…Etvous,vousnelesauriezpas?

L’ABBÉ–Certainement.

PHILIPPE–Pourquoipasavant?Pourquoipasplustôt?

L’ABBÉ–Vouspréoccupiez-vousdelui?

PHILIPPE–Monsieurl’abbé,jeveuxmeconfesser.Leprêtres’ébranle, tandis qu’il semet à genoux.Ce n’est pasmoi quisuisalléàDieu…monpère:jehaïssaisleRoi…Maislui,lui,ilm’aimait.Ilm’aimaitcommeunfrère.

L’ABBÉ–Sedirigeverslachaiseets’assied.Ilfaitlesignede croix en même temps que Philippe. Puis, comme Philippemurmure : confiteor deo omnipotenti, de telle sorte qu’onentendelemotdeo.Non,c’estinutile.

PHILIPPE – Je veux tout recommencer. Je veux toutconfesser…Aidez-moi,jevousenprie…Jesuisperdu!

L’ABBÉ–Reconnaissez-lepourvotrePèreetvotrecréateur.Jetez-vousdanssesbras.C’estluiquiferalereste.

PHILIPPE–MesPâques!Jen’enaipasidée.Ilyasilong-temps. Cela remonte à mon mariage. Avant tout, ce dont jem’accuse, c’est pour leRoi. J’étais content qu’ilmourûtMaisvous ne voulez pas que je parle de cela en premier lieu. Quedois-jedired’abord?Unsilence.J’aitoutfait…

L’ABBÉ – Vous avez tourné votre visage vers Dieu etl’appelez.Iln’attendaitquecegestepourvouspardonner.

PHILIPPE–Comprenez-moi,monpère, jenecroyaispasenlui.Jeleblasphémais.J’étaiscertaind’avoirraison.

L’ABBÉ – Vous méconnaissiez ses prévenances. Il ne vousquittaitpas. Il s’attachaitàvospas.Oùquevoussoyezallé, Ilétaitavecvous.Nelecraignezpas. Ilconnaît toutdevous.Neregardezplusqueluietmontrez-luivosplaies.

PHILIPPE – Mes péchés sont si nombreux, si graves…Devrai-je entrer dans les détails ? Vous ne pourrez lesupporter…

L’ABBÉ – Je ne suis que son instrument. Il est la bontésuprême.Abandonnez-vousàsamiséricordeavecsimplicité.

PHILIPPE–Untelabîmemeséparedelui.

L’ABBÉ–L’aveudevosfautesvavousdélivrer.Leméprisdeson honneur et de sa gloire était à l’origine de cette rupture.Vousl’aviezrenié.Vousn’étiezpasheureux.

PHILIPPE–J’éprouvaisdetelsdégoûts.Danslesecret,jemedésespérais. Je me bouchais les oreilles pour ne pasm’interroger ; je ne voulais pas sortir de l’incrédulité, niencourirdechâtiment.Ainsipardépravation,j’augmentais…

Au fur et àmesure que ces paroles sont prononcées, les voixs’éteignent, le temps s’immobiliseet ladurée s’installe tandisquelaconfessionsepoursuit,inaudiblepourlespectateur,puispeuàpeu,dansunmurmure,lesonrevient.

L’ABBÉ–…votrecontritionetvotrerepentir.Nesoyezpasaccablé.VotreallianceavecDieuvaêtrerestaurée.

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Les gendarmes referment la porte du cachot et disparaissentavec l’abbé. Alerté par le bruit l’ivrogne s’agite, pousse dessonsincompréhensibles,seretourneetserendort.

SCÈNEVI

AGNÈS,PHILIPPE,LACLOS,GRACE,ROMAIN.

Lecachots’entrouvreets’agranditauxdimensionsd’undésertplat et ocre rouge sur lequel sont disposés quelques éléments(fauteuil, guéridon) des décors antérieurs. Les personnagesentrent un par un, vêtus comme ils l’étaient lors de leurdernièreapparition,ets’installentchacunauprèsd’unélémentdudécor.Philippeparleracommeenrêve,avecdistanciation,de manière à ce que le spectateur comprenne qu’il s’agit deparolesqu’ilseremémoreintérieurementdansl’angoisseetquiprennentuntourphantasmatique.

AGNÈS – Je ne veux pas qu’il soit malheureux.Reconnaissez-le!Vousmel’avezpromis.Chaquejourvousmelepromettez.

PHILIPPE–Jenecèderaipas.

LACLOS–C’estellequipliera.Soyez-enassuré.

GRACE–Presquetoutesvosfemmessontdevenuesfolles.Àquoicelasert-ild’aimer?

PHILIPPE–Àrien.Àriendutoutqu’àpasserletemps!

ROMAIN–J’apporteàMonseigneurlelivred’heuresdesonaltesse,leducdePenthièvre.Illelisaitencoreàlaveilledesamort.

GRACE – J’ai vu hier le fils de la costumière du Palais-Royal.Elles’estpendue.Oui,penduedanssongrenier!

AGNÈS–Ilserachevalier,lechevalierdeSaint-Pol.Ilvousressemble,surtoutquandilrit.

PHILIPPE – Ne me le montrez pas ! Je ne veux pas qu’ilm’appellepapa!

LACLOS–Ellesréclamentaprès;onlesquittetoujourstroptard.

AGNÈS–Ilestlefruitdenotreamour.Vousêtessonpèreetjesuisvotrefemme.

PHILIPPE–Vousm’ennuyez.Vousm’ennuyeztropsou-vent,ômamaîtresseadorée!

GRACE–Souvent,vousm’avezditquevousm’adoriezmaisvouspréfériezcesgarcesquejevousprocurais.

ROMAIN – Le duc de Penthièvre redoutait la vue deMonseigneurmaisilpriaitpourlui.

GRACE – Je partirai en Écosse chez mes oncles Stair. Jeretrouveraimajeunesse,lesbuissonsd’aubépineetmesponeysShetland.

AGNÈS – Je l’ai mis en nourrice. Mais il n’est pas de

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PHILIPPE–J’auraidesrecommandationsàvousfaire…Vousvoussouviendrezbiendetout?

L’ABBÉ–Jen’oublierairien.Jevouslepromets.

PHILIPPE–Vouscontinuerezàm’instruire…Jen’écouteraiquevous.

L’ABBÉ–Ilyaquelqu’unquiditceschosesmieuxquejenelesaurais.Jenesavaispassijepourrais,sij’oserais…C’estunpetitlivre…Jeleportetoujourssurmoi.Ilsortdesapocheunlivre identiqueà celuiqueRomain tendaitàPhilippedans lascèneprécédente.Cesont les lettresdeCatherinedeSienne…certainspassages…encescirconstances…

PHILIPPE – Lisez mon père. Ce prisonnier, je crois,s’appelaitTullio.

Despaspesants se font entendre.Laporte du cachot s’ouvrelargement. Apparaissent les deux gendarmes qui se placent àdroiteetàgauchedelaporte.Réveillé,l’ivrognesedressesursonséantetsemetàcrier.

L’PIVROGNE–Non,non!Grâce!Laissez-moi!

LPEPREMIERGENDARME–Fermetagueuleouont’emmèneaveclui.

PHILIPPE – Tandis que l’ivrogne, tranquillisé, le regardemuet, se tournevers lesgendarmes. Je suisàvous,messieurs.Permettezque jem’apprête.Ilrevientalorsà l’abbé.Ce jeunehommeétaitaccuséd’uncrimequ’iln’avaitpascommis.Maismoi, j’ai contribué à la mort d’un innocent. Lisez, monsieur

l’abbé

Ilvalentementprendresurlacaisseoùilétaitjeté,sonhabitàcollet,leposesursesépaulesetensortuneboîteàpoudre.Lesgendarmessetaisent.Impassibleetdressédetoutesatailleaumilieudelascène,ilcommencecalmementàsepoudrer.

L’ABBÉ–D’unevoixd’abordmalassurée,puisplus forte,litlalettredeCatherinedeSienneàTullio.Savoixestbientôtremplacée par une autre voix qui s’enfle jusqu’à devenirimposante et à remplir toute la salle, soutenuepeuàpeuparunemusique symphonique,celle,parexemple,duRequiemdeFauré.

« Je suis allée visiter celui que vous savez. Il reçut demavisitetantdeconsolationetdesoulagementqu’ilseconfessaetqu’ilsepréparafortbien.Savolontéétaitmaintenantaccordéeet soumise à la volonté de Dieu. Une seule crainte l’agitait :celleden’êtrepasassezcourageuxaumomentsuprême.Je luidis:“Mondouxfrère,c’estbientôtquenousseronsauxnoces.Je t’attends sur les lieux de la justice”. Alors, son cœurabandonnatoutecrainte…

Jel’attendisdoncsurlelieudusupplice.Jel’attendisetjepriais continuellement. Il n’arriva pas avant que je n’eusseconcentréenmoietélevétouteslesforcesdemonâme.Jepriai,j’adjurai. Je dis : “Marie”, car je voulais cette grâce : qu’aumomentfatalilfûtremplidelalumière,delapaixducœur,etquemonâmelevîtretourneràsonprincipe.

Enfin,ilarriva,douxcommeunagneau.Dèsqu’ilmevit,ilcommençaàsourire.Ilvoulutquejeluifisselesignedecroix.Le signe fait, je dis : “Baisse-toi, mon doux frère, bientôt tugoûteraslaviequidure”.Ilsebaissaavecunegrandedouceur.Sabouchenecessaitdemurmurer:“Jésus”.C’estpendantqu’il

prononçaitcenomquejereçussatêtedansmesmains.Alors,leregardfixédansladivinebonté,jedis:“Jeveux.”Aussitôt,jevisDieuethomme,commeonvoitlaclartédusoleil.Soncôtéétaitouvertetilyrecevaitlesangdusuppliciédanslefeudesadivine charité.Dès qu’il eut reçu ce sang, il reçut l’âme qu’ilplaça dans ce refuge qu’est son côté ouvert et plein demiséricordeAumoment où elle pénétrait dans son flanc,Dieutournalesyeuxdesamiséricordeverselle.AinsiellefutreçueparlapuissancedeDieu.EtleFils,lasagesse,leVerbeincarnélui donna et lui fit partager cet amour crucifié pour lequel ilmourut si douloureusement et si ignominieusement, afind’accomplirl’obédienceduPèreauprofitdugenrehumain.»

TABLEDESMATIÈRES

PRÉFACEAVANT-PROPOS

ACTEPREMIERScèneIScèneIIScèneIIIScèneIVScèneVScèneVI

ACTEDEUXIÈMEScèneIScèneIIScèneIIIScèneIVScèneVScèneVIScèneVII