59
Le roi Lear William Shakespeare Note d’intention de la version Laurent Fréchuret 2007-2008 : Critiques version Fréchuret : Note d’intention de Jean-François Sivadier 2007 : Critiques version Sivadier : Version André Engel : Critiques version Engel : Notes d’intention de Strehler : Georges Lavaudant 1996 : Nous vous recommandons également autour de la mise-en-scène de Fréchuret les liens suivants d’Architheatre ; pour élargir à Shakespeare utiliser le module Recherche : André Engel : « Le public n’est jamais renvoyé à ses propres insuffisances mais toujours aux insuffisances de la scène, c’est cela qui l’autorise à juger ». : 05- Les publics Le Roi Lear : Les réécritures du texte de Shakespeare ou les infortunes de la vertu... 04- Théâtre et société Roi Lear : Sivadier et son trapèze rallument la querelle du metteur en scène tyran : « big Brother de la coulisse » ? 02- Texte et représentation Traduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe des canards sauvages ? Une réflexion d’André Gide.

Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

  • Upload
    lamhanh

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Le roi Lear William Shakespeare

Note d’intention de la version Laurent Fréchuret   2007-2008 :

Critiques version Fréchuret   :

Note d’intention de Jean-François Sivadier 2007 :

Critiques version Sivadier :

Version André Engel :

Critiques version Engel  :

Notes d’intention de Strehler :

Georges Lavaudant 1996 :

Nous vous recommandons également autour de la mise-en-scène de Fréchuret les liens suivants d’Architheatre ; pour élargir à Shakespeare utiliser le module Recherche :

André Engel : « Le public n’est jamais renvoyé à ses propres insuffisances mais toujours aux insuffisances de la scène, c’est cela qui l’autorise à juger ».

: 05- Les publics Le Roi Lear : Les réécritures du texte de Shakespeare ou les infortunes de la vertu...

04- Théâtre et société

Roi Lear : Sivadier et son trapèze rallument la querelle du metteur en scène tyran : « big Brother de la coulisse » ? 02- Texte et représentation

Traduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe des canards sauvages ? Une réflexion d’André Gide. 02- Texte et représentation

King's Lear synopsis : en anglais travail pluridisciplinaire

Synopsis     The play begins with King Lear taking the decision to abdicate the throne and divide his kingdom among his three daughters: Goneril, Regan and Cordelia.

Le Roi Lear : aventures diverses du texte de Shakespeare et de ses représentations.

Page 2: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Laurent Fréchuret 2007-2008

Note d’intention

La volonté de l’épreuve

Qui est-il ce roi qui met son royaume aux enchères de la tendresse ? Un père abusif ? Un tyran égocentrique et capricieux ? Un homme sénile qui a forgé lui-même le malheur qui l’accable ? Un enfant perdu ? Un fou ?... Tout ça sans doute. Comment déambuler dans la fable ? Les réponses à éprouver sur le plateau n’épuiseront heureusementpas le mystère. Nous sommes à l’intérieur d’un grand poème dramatique... Lear est une créature scandalisée et scandaleuse, imprévisible et imprévue.Toute sa vie, Lear a évolué dans les repères et le cadre du pouvoir, et voilà qu’il décide d’être un roi sans royaume, de laisser la gestion des affaires à deux de ses filles, celles qu’il croit les plus aimantes et qui se révèlent être des bêtes sauvages, assoiffées de pouvoir ou d’amour (« Humaines, trop humaines »). Dépossédé des attributs de la royauté, on lui enlève sa troupe, on lui ferme la porte au nez. Lear fait l’expérience de sa réalité d’homme, écorché vif découvrant les faux-semblants du monde, un être en colère déambulant dans une lande battue par les vents et la tempête, abattu par une douleur qu’il a souhaitée pour se mettre à l’épreuve de la lucidité, se connaître soi-même. Laquête de soi, voilà Lear, la chute horizontale, le voyage. Mais le prix de ce voyage initiatique, bien que tardif, est exorbitant. Rien ne lui est épargné de l’abandon, de l’humiliation, du dénuement, de la folie. Lear ou l’expérience du vertige.

« Cap au pire »

Lear, c’est certain, n’est pas le seul fou de la pièce. Shakespeare y insuffle toutes les strates de la folie et de la métamorphose : il y a la folie pleine de sagesse du fou de profession, la folie feinte d’Edgar, banni par son père Gloucester et devenu « le pauvre Tom », il y a la folie de la sincérité, celle de Cordélia qui aime Lear, comme une fille aime un père, la folie de l’abnégation et de la fidélité qui pousse Kent, banni par le Roi, à revenir sous un déguisement pour continuer à le servir et, bien sûr, la folie du pouvoir qui pousse les deux soeurs, Goneril et Régane, à la folie meurtrière. Tous ces personnages sont très « allumés» et mettent « cap au pire » dirait Beckett, qui admirait tout particulièrement Le Roi Lear. Beau défi pour une troupe d’acteurs, soudés autour d’une grande fable dramatique.

La lande, le plateau nu

Le déchaînement des éléments dans la lande est à l’image de la douleur et de l’injustice qu’éprouve Lear. Pour l’homme de théâtre, cette lande battue par les éléments, espace du dénuement, rappelle le plateau nu. Un sol mouvant où rien ne peut être stable. Le décor, immatériel, est avant tout lumière, espace, musique et son. Tout doit advenirpar l’énergie de la troupe, du jeu d’acteur.Déjà, quelques images s’imposent, comme celle du roi Lear qui, comme les enfants à la plage, construit un château de sable blanc, qu’il veut, un jour de lubie et de

Page 3: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

démission, découper en trois, comme un gâteau, pour ses filles, opérant en retour un chantage affectif pour le moins troublant. Dès ce geste sacrilège (subversif ?) accompli, le vent se lève, et tout est éparpillé en poussière blanche. Le monde, les hommes, les lois, les certitudes et l’ordre basculent. La vie incertaine mais battante peut se déchaîner.

Laurent FréchuretRetour

La quête de soi, voilà Lear, la chute horizontale. La pièce raconte l’histoire hors norme d’un souverain, d’un père et d’un homme en rupture. Décidé à se décharger de sa couronne, il met son royaume aux enchères de la tendresse de ses trois filles, Goneril, Régane et Cordélia.La meilleure part doit revenir à la plus aimante. Alors que les deux aînées jouent la carte de la flatterie hypocrite, Cordélia, la cadette, refuse. Lear, furieux et blessé, la déshérite et la chasse. Il forge ainsi le malheur qui l’accable et s’adonne à un paroxysme de rage qui le conduit jusqu’au dénuement au milieu de la lande. L’orage qui s’y déchaîne est à la mesure de la tempête intérieure qui le soulève. Mais le prix de ce voyage initiatique, bien que tardif, est exorbitant. Rien ne lui est épargné de l’abandon, de l’humiliation, de la folie.Lear ou l’expérience du vertige. Inépuisable et protéiforme matériau théâtral décuplant les possibilités du jeu d’acteur, Le Roi Lear est tout à la fois le sommet et le condensé des grands thèmes de l’œuvre de Shakespeare. Hors du temps, concrète et irrationnelle, la pièce de Shakespeare ravit par son charivari d’espaces, d’abîmes et de cimes, de souffle poétique traversé d’humour et de trivialité.C’est un précipité d’intrigues, de métamorphoses, de trahisons, de naïveté et de perfidie, de tragique et de bouffonneries, qui interpelle sans cesse l’humain.Cet immense poème dramatique appelait une nouvelle traduction mettant au centre de ses préoccupations l’incarnation, le jeu d’acteurs, un verbe dynamique, violent et moderne. Le rythme donne sens, la phrase convoque les voix humaines, les corps, toute une troupe engagée, treize comédiens tourmentés par le dire, ce dire indispensable pour ne pas être broyé.

Le Roi Lear raconte l’histoire hors norme d’un souverain, d’un père et d’un homme en rupture. Abandonnant sa couronne,il met son royaume aux enchères auprès de ses troisfilles, Goneril, Régane et Cordélia. La meilleure part doit revenir à la plus aimante. Alors que les deux aînées jouent la carte de la flatterie hypocrite, Cordélia la cadette refuse.Lear, furieux et blessé, la déshérite et la chasse. Il forgeainsi le malheur qui l’accable et s’adonne à un paroxysme de rage qui le conduit jusqu’au dénuement au milieu de la lande. L’orage qui s’y déchaîne est à la mesure de la tempête intérieure qui le soulève. La quête de soi, voilà Lear, la chute horizontale. Mais le prix de ce voyage initiatique, bien que tardif, est exorbitant. Rien ne lui est épargné, de l’abandon, de l’humiliation, de la folie. Lear ou l’expérience du vertige. La pièce de Shakespeare ravit par son charivari d’espaces, d’abîmes et de cimes, de souffle

Page 4: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

poétique traversé d’humour et de trivialité. C’est à la fois le sommet et le condensé des grands thèmes de l’oeuvre entière, un inépuisable et protéiforme matériau théâtral décuplant les possibilités de jeux. Le Roi Lear est hors du temps et hors norme, à la fois dans le concret et l’irrationnel, dans un précipité d’intrigues, de métamorphoses, de trahisons, de naïveté et de perfidie, de tragique et de bouffonneries qui interpellent sans cesse l’homme. Nous voilà face à un immense poème dramatique dans une nouvelle traduction prenant au centre de ses préoccupations l’incarnation, le jeu d’acteurs, un verbe dynamique, violent et moderne. Le rythme donne sens, la phrase convoque les voix humaines, les corps, toute une troupe engagée, treize comédiens tourmentés par le dire, ce dire indispensable pour ne pas être broyé

http://www.culture.yvelines.fr/culture/files/Onde%20-%20Velizy.pdf

Retour

[Résumer la fable c’est aussi un point de vue implicite. Il faut observer les jugements de valeurs et les qualificatifs qui indiquent la « subjectivité de haut rang » (la belle expression de Ricœur) de ceux qui racontent une histoire. Voici comment l’histoire est racontée dans le Dossier de Prese du Lear de L Fréchuret]

L’histoire

Lear, roi de Grande-Bretagne, décide de se décharger du pouvoir pour aller sereinement vers la mort. Il divise son royaume en trois parts égales pour les remettre à ses filles : Goneril, l’aînée (épouse du duc d’Albany), Régane épouse du duc de Cornouailles) et Cordélia, la cadette.Mais, avantde léguer son pouvoir et ses propriétés, le vieilhomme demande à chacune de ses filles de lui exprimer son amour. Alors que les deux premières n'hésitent pas à jouer la carte de la flatterie hypocrite, Cordélia refuse de jouer le jeu. Lear, furieux et blessé par ce refus d'exprimer ses sentiments, la déshérite et la chasse du royaume. Choisie comme épouse par le roi français, le seul à apprécier son honnêteté, elle part pour la France. Kent, fidèle de Lear et du royaume, est banni également pour avoir tenté de s’interposer entre Cordélia et son père. Lear décide de séjourner alternativement chez ses deux filles et leurs époux, accompagné par une suite de cent chevaliers qu’il veut conserver comme signe de sa prééminence.Parallèlement, se met en place une seconde « intrigue », toujours sur le thème de l'amour filial.Edmond, fils illégitime de Gloucester, défend ses intérêts futurs en décidant de voler à son frère l’héritage paternel. A l’aide d’une fausse lettre, il réussit à convaincre leur père qu’Edgar complote contre lui. Il avertit ensuite Edgar qu’il est soupçonné de trahison et lui conseille de s’enfuir…Après s’être disputé avec ses filles et ses gendres, accompagné du « fou officiel », Lear erre dans la lande, exposé à la pluie, au vent, au froid et aux éléments déchaînés. Accablé par l’orage autant que par la déception, Lear bascule dans la folie.Kent, qui s’est déguisé pour continuer à veiller sur le vieux roi, l’oblige à s’abriter. Dans une cabane de « fortune », ils rencontrent Edgar, en fuite, accusé de tentative de meurtre contre son père, travesti en pauvre Tom de Bedlam, et jouant le rôle d’un mendiant fou, possédé par le démon.C’est ainsi qu’au coeur de l’orage se forme une « communauté de fous », confrontés à la dureté des éléments et à la monstruosité du pouvoir…Commence pour chacun d’eux un chemin initiatique, au cours duquel ils feront l’expérience du dénuement, de l’injustice et de la cruauté humaine.Apprenant grâce à Kent la situation de son père, Cordélia débarque à Douvres à la tête de l’armée française afin de le rétablir sur son trône. Elle réussit à retrouver son père et tente de le faire soigner.

Page 5: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Goneril et Régane, qui se disputent secrètement Edmond, décident de faire alliance et combattent l’armée étrangère. Elles remportent la victoire grâce à Edmond, devenu général en chef des troupes britanniques. Lear et Cordélia, faits prisonniers, sont conduits en prison.Découvrant par la bouche de son père aveugle le visage monstrueux d’Edmond, Edgar reprend son identité, révèle à Albany les crimes de son frère et de Goneril, et provoque l’arrestation d’Edmond. Après avoir empoisonné sa soeur, Goneril se suicide. Edgar blesse mortellement son frère au cours d’un duel et le contraint à révéler l’ensemble de son« oeuvre ». Lear ne survit pas à la mort de Cordélia, pendue dans son cachot sur l’ordre d’Edmond. Edgar et le fidèle Kent assistent au dernier soupir du vieux roi, alors qu’Albany décide de les associer à la reconstruction du royaume.

Retour

LA TERASSE : Laurent FréchuretLe Roi Lear : qu’est-ce qu’être humain dans ce monde ?

Une vingtaine d’artistes rassemblés trois mois durant dans le théâtre pour répéter Le Roi Lear, somptueux poème du grand William, donnant à voir et à entendre d’incroyables vertiges et d’effrayantes brutalités qui mettent l’homme à nu, en un éprouvant voyage initiatique. Avec Dominique Pinon dans le rôle-titre.

Après des auteurs contemporains, Beckett, Genet, Cioran, Burroughs…, pourquoi avoir choisi Shakespeare et Le Roi Lear ?

A Sartrouville l’immense scène, un vaste plateau de 28 mètres par 18 mètres, m’a poussé à m’aventurer dans l’une des choses les plus extraordinaires du monde, le poème dramatique total de William Shakespeare ! C’est un projet que je mûris depuis plusieurs années. Une heure et demie de métro chaque jour m’a permis de lire les 37 pièces. L’une de ces pièces m’a sauté aux yeux, ou aux oreilles ! Le Roi Lear est un sommet, une œuvre visionnaire qui mélange tous les grands thèmes chers à l’auteur : le pouvoir, l’amour, la folie, l’humour, car les choses les plus drôles ou burlesques se mêlent à la plus haute poésie tragique. Ce grand voyage dans le temps et l’espace met en scène un personnage qui se défait de tout, pose ses habits de roi, devient une espèce d’écorché qui demande : qu’est ce qu’un homme ? Il déconstruit un homme qui était roi pour interroger la condition humaine. Qu’est-ce qu’être humain et en quoi, dans ce monde qui est aussi le nôtre, on ne peut renoncer délibérément au nom d’humain ? Edward Bond pose la même question dans toute son œuvre. Même si Lear affronte la tempête et la folie, même s’il meurt à la fin, il aura affirmé à un moment, debout, nu dans la lande : je suis un homme, je veux être un homme et je ne veux pas être un mensonge, une étiquette ou un costume qui finalement m’étouffent.

« La colère de Lear est aussi un acte de révolte, un appel à plus de vérité. »

Ce voyage, ce formidable questionnement, montre des personnages en constantes métamorphoses, mentales et physiques…

Un plaisir pour les treize acteurs ! Chacun des quinze ou vingt personnages de la pièce passe par des renversements, des contrastes, des reliefs, des coups du sort, des cimes et des abîmes. J’ai essayé de monter une distribution sur des corps en jeu, une partition de voix très différentes. C’est une pièce très construite, une « pièce monstre », bien que moins logique que les pièces historiques. Shakespeare rend compte de la complexité du monde, loin de tout manichéisme. Le monstre et l’ange sont en nous. Cette fable intemporelle montre un « homme monde », en même temps un enfant et un vieillard, un fou et un roi. Dominique Pinon, comédien exceptionnel, a accepté le rôle, là où peut-être on ne l’attendait pas. Lear est un vrai champ de bataille à lui tout seul, où se battent des contraires. En un an il vit trente ans

Page 6: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

d’évolution de la vie d’un homme. Dorothée Zumstein a créé une nouvelle traduction, éminemment théâtrale.

L’erreur initiale de Lear, qui bannit sa fille préférée, déclenche le chaos. Faut-il expliquer cette erreur ?

On a l’impression qu’existe ce jour-là une configuration diabolique des astres qui fait que toute la chimie intime de chaque être est bouleversée au point qu’on veuille s’entredéchirer. En totale impudeur, Lear demande publiquement à ses trois filles d’exprimer leur amour afin de partager son royaume en parts égales. Cordélia refuse ce jeu hypocrite, et provoque la fureur de son père. Au fil de la pièce, Lear expérimente un désordre et un vertige extrêmes, mais gagne en lucidité malgré sa folie. La colère de Lear est aussi un acte de révolte, un appel à plus de vérité. Shakespeare rend hommage à l’artisanat du théâtre dans la pièce, à ces mondes qu’on fait surgir sur le terrain vague de la scène, des mondes bien réels, proposant un autre regard sur notre vie.

Propos recueillis par Agnès Santi

Retour

Que pourra faire Cordélia ? Aimer et se taire.

« C’est un malheur du temps que les fous guident les aveugles » écrit Shakespeare dans Lear. Magie du maître anglais : ce qu’il dit des hommes semble répondre en écho perpétuel au passage des siècles. Le Roi Lear décide d’abdiquer et de partager son royaume entre ses trois filles. Elles doivent pour hériter lui exprimer leur amour filial. La cadette, Cordélia, par pudeur, refuse de se soumettre à l’exercice. Elle est chassée malgré la sincérité de ses sentiments. Le partage tourne au carnage.Ainsi commence la chute de Lear. Abandonné de tous, privé de toit et de raison, le roi se dépouille, sombre dans le chaos, alors qu’ailleurs Edmond, l’illégitime, débute par un mensonge sa fulgurante ascension.Lear est un grand poème dramatique qui traverse tambour battant les espaces, les histoires, les émotions. C’est une des plus grandes pièces de Shakespeare, des plus complexes, des plus sombres. Un homme y fait « l’expérience de sa réalité d’homme » et fait ses gammes dans la folie - la sienne, celles des autres, qu’ils soient ivres de pouvoir, de sincérité ou d’abandon. Lear aura ici le visage de Dominique Pinon, somptueux acteur qui sait apporter une grande clarté aux personnages les plus insaisissables. « Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent. » écrivait Samuel Beckett, un auteur que Laurent Fréchuret a beaucoup mis en scène. Avec cette première incursion dans le répertoire classique, peut-être est-ce pour le stéphanois une manière de continuer à affirmer sa foi en une certaine déraison.

http://www.theatrelarenaissance.com/pdf/Broch_Saison0708.pdf

Retour

LE FIGARO : Souveraine sensibilité d’un jeuA. H. 23/11/2007.«Le Roi Lear», de William Shakespeare.

Page 7: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

« Rien. » C’est sur ce rien, réponse de Cordelia à la question du père - « Que vas-tu dire ? » -, que Shakespeare noue l’entrelacs des deux intrigues principales du Roi Lear, celle qui concerne ses trois filles, celle des deux enfants de Gloucester, histoires cruelles qui conduisent à la désintégration de tout repère sur la lande balayée par la violence de la tempête et de l’orage, qui blanchit la nuit jusqu’à l’aveuglement et la perte de toute raison.

Sur un plateau nu avec, au centre, des châteaux de terre bientôt détruits et, plus tard, des chaises au fond, (décors de Stéphanie Mathieu), treize comédiens, de plain-pied avec le premier rang des fauteuils qu’ils occupent d’ailleurs, dans de beaux atours (costumes de Martha Romero), nous racontent cette histoire d’amour incompris et de trahisons, de larmes, de sang, de mort. Le « rien » de Cordelia renvoie au silence éternel qui plane à la fin sur l’espace dévasté, le silence de Dieu face à Lear qui a cru pouvoir renoncer à la royauté. Mais le ciel et la loi des hommes lui rappellent que ce n’est pas à lui d’en décider...

Laurent Fréchuret, metteur en scène scrupuleux et intuitif, appuie son travail sur une traduction nouvelle de Dorothée Zumstein, précise, sans gras, avec de clairs moments d’adaptation - le chapelet d’injures de Kent, par exemple, ainsi rendu très efficace -, une traduction pour la scène qui donne une assise ferme aux échanges.

L’autre décision forte de Laurent Fréchuret - quinze ans de beaux spectacles, directeur du Centre dramatique national de Sartrouville depuis 2004 -, est de confier le rôle-titre à un comédien dont la souveraine sensibilité, l’intelligence profonde, la lumineuse humanité ont toujours fait merveille. Dominique Pinon est un admirable Lear, du premier au dernier mot. Autour de lui, douze comédiens, troupe de bon niveau avec de fortes personnalités : Thierry Gibault (Kent), Philippe Duclos (Gloucester), Thierry Blanc (Edgar), notamment, et Caroline Piette, douloureuse Cordelia, Rémi Rauzier, le fou, Sophie Cattani et Odja Llorca, les deux autres soeurs. Bel ensemble.

Retour

LE FIGARO DOMINIQUE PINON LE VOYAGE DE SHAKESPEAREJean-Luc Jeener 23/11/2007.

Le Roi Lear Tragédie De William Shakespeare Théâtre de Sartrouville (01.30.86.77.79).

« T'es pas assez vieux pour jouer le roi Lear ! Ça, dit Dominique Pinon, qu'est-ce que je vais l'entendre... Et c'est vrai que c'est en grande partie pour cela que j'ai d'abord décliné la proposition de Laurent Fréchuret. Un tel rôle, aussi, comment ne pas avoir peur ? Mais quel comédien peut décemment refuser de se confronter au roi Lear ? » L'âge ? Effectivement, Dominique Pinon n'a pas l'âge d'un Michel Piccoli ou d'un Pierre Fresnay qui rêvait que Lear fût le dernier rôle de sa carrière. Et pourtant... Avec son visage qui ne ressemble à aucun autre, ce corps et cette voix étrange, ce mystère quasi métaphysique qui se dégage de lui, cette profonde tristesse qui semble avoir passé le temps, n'est-il pas à la hauteur d'un tel personnage ? Il s'était déjà confronté à Shakespeare en jouant Puck, le diablotin, dans Le Songe d'une nuit d'été, mais Lear c'est autre chose... « J'avais besoin d'aller où je ne suis encore jamais allé, explique-t-il : ce personnage est tellement riche, tellement mystérieux. Et plus je répète, plus je m'amuse. Il y a aussi ce côté de Lear qu'on ne visite guère : la truculence. La folie aussi peut faire rire. »

Pour le grand public, Dominique Pinon c'est Diva, où il interprétait, avec le crâne rasé, un tueur cynique. Et puis c'est surtout les films de Caro et Jeunet, Délicatessen et La Cité des enfants perdus, mais l'homme, comme il le dit, « a toujours su conjuguer le cinéma et le théâtre ». Et il est capable de prendre tous les ris-ques : travailler avec une jeune troupe comme jouer l'indomptable (et à notre avis injouable !) poète

Page 8: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Novarina dans la Cour d'honneur du Festival d'Avignon. « C'est vraiment cela, confirme-t-il, je n'ai aucun plan de carrière. Mais je n'ai pas grand mérite : j'ai eu la chance que les metteurs en scène me désirent. »

Quand il parle de sa voix douce, dans ce café où nous sommes attablés, il vous serre le coeur. Dominique Pinon n'a l'air vraiment heureux que sur un plateau de théâtre ou de cinéma. « C'est quand j'étais petit que j'ai voulu faire ce métier. J'avais vu Fin de partie, de Beckett, et Le Bourgeois gentilhomme de Molière. Je m'étais dit : quelle chance ce doit être de pouvoir faire cela, mais ça paraissait tellement impossible ! Et puis j'ai pensé : il faut y aller, il y a vraiment un autre monde de l'autre côté du miroir. »

Retour

AGORAVOX

Dominique Pinon, Le "Roi Lear" au théâtre de Sartrouville

En endossant le poids de Lear, Dominique Pinon habille l’antihéros shakespearien d’une vacuité délirante où les lignes de force psychiques se confrontent, désespérément seules, avec l’éthique tourneboulée par des intentions contradictoires.Et d’ailleurs qu’en savent-ils de la valeur de l’enjeu, tous ces personnages qui se disputent influences et pouvoir au détriment d’une affection battue en brèche par des velléités successives, le plus souvent destructrices ?Laurent Fréchuret, directeur du théâtre de Sartrouville donne à la nouvelle traduction de Dorothée Zumstein, l’opportunité d’un parler-vrai où le destin tragique du roi Lear se conjugue avec une pédagogie libre de fioritures autour d’un château de sable sans lendemain qui chante.Le dépouillement de la scène est a parité avec celle de la lande où vont se débattre Lear avec ses compagnons d’infortune, affrontant le désespoir au milieu de la folie que provoquent les éléments naturels.Goneril (Odja Llorca) et Réjane (Sophie Cattani), ses deux filles parjures seront renvoyées dos à dos dans les affres du tourment éternel, si tant est qu’elles en prendraient la moindre conscience ; quant à Cordélia (Caroline Piette), c’est en pantin désarticulé qu’elle sera célébrée, post mortem, par son père ivre de remords.Mais davantage qu’à la repentance, c’est à la lâcheté consubstantiellement humaine que se conjugue cette mise en scène où l’ensemble des protagonistes effectuent la danse du diable autour d’un corps abandonné par ce roi déserteur de lui-même.La vieillesse n’expliquerait pas tout, surtout quand les preuves d’amour ne s’avéreraient pas à la hauteur d’une réciprocité filiale, digne de sincérité partagée.La métaphore du suicide collectif serait donc à l’image d’une piètre considération que chacun aura porté, sa vie durant, à l’égard de lui-même alors que la reconstruction d’un royaume s’annonce en une utopie plus monstrueuse que jamais.

La pièce Le Roi Lear, rédigée probablement vers 1603, se caractérise par deux intrigues mêlées, sorte de variation sur le même thème avec des effets de miroir et d’inversion qui les enrichissent mutuellement. Le Roi divise son royaume en trois parts, qu’il destine à chacune de ses trois filles Goneril, Régane et Cordélia. Avant de procéder au partage, il leur demande de lui faire, publiquement, une déclaration de leur amour filial, en échange de quoi (et selon la qualité du texte), elles se verront attribuer une part plus ou moins opulente.

Le Roi Lear est une histoire de territoires et de corps. De places et d’identités. Le Roi descend du trône et le monde se déplace. Le Roi dépose la couronne et personne ne reconnaît plus personne. Le Roi décide d’être partout et nulle part en même temps, Kent transforme l’exil en liberté et chacun s’abîme : « Où suis-

Page 9: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

je ? Où sont les autres ? Qui suis-je ? Qui sont les autres ? ». Être et ne pas être, c’est la question au centre de laquelle chacun a rendez-vous avec lui-même.

La première scène commence dans la lumière d’un optimisme suspect. Un geste, un mot, un trait sur une carte suffisent à renverser l’ordre de l’État et du monde. Les terres et les corps sont réunis ou séparés comme des marchandises. La scène s’achève dans la stupeur, l’explosion des familles et des frontières, l’effondrement des valeurs et des hiérarchies. Mais surtout dans la promesse d’un pays que Cordélia a désigné à son insu, une région de l’âme où la raison ne peut poser aucun masque, un endroit où Shakespeare attend ses personnages, un territoire déplacé et vide de toute représentation. La réponse de Cordélia achève d’en détruire l’équilibre. Le Roi Lear, on pourrait dire, sans jeu de mots, c’est tout le théâtre à partir de rien.

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=31786Retour

par Céline Laflute

‘Le Roi Lear’ vu par Laurent Fréchuret avec la traduction vigoureuse de Dorothée Zumstein : le mélange est florissant. Tandis que la cape royale raccourcit jusqu’à devenir un vulgaire veston, les nobles revêtent des anoraks et le nombre de proches et de chevaliers gravitant autour de Lear rétrécit à vue d’oeil. Le metteur en scène semble les avoir tous disposés au premier acte, comme des pions sur un plateau de jeu, immobiles jusqu’à ce que vienne leur tour, pour rendre plus criantes les trahisons et plus palpable la solitude de Lear. Son royaume, dont il se dessaisit volontairement mais sans en mesurer les conséquences, est symbolisé par un château de sable qui s’effondre dès le premier acte, jeté en pâture à ses deux filles douées pour la parade affective - digne Cordélia.Laurent Fréchuret commence par faire ressembler Goneril et Régane aux deux soeurs "neuneus" de Cendrillon, puis les perche sur des talons de femmes fatales, toujours aussi opportunistes mais davantage dans la froideur machiavélique. L’utilisation du costume est particulièrement habile. Une pléiade de seconds couteaux fort convaincants (Thierry Gibault et Rémi Rauzier pour ne citer que des rôles fidèles à Lear) ajoute au plaisir et entoure un Dominique Pinon aussi excellent qu’à l’accoutumée en Lear têtu, blessé, jusqu’au-boutiste, fou à lier, désespéré. On est mordu. Laurent Fréchuret a choisi d’être radical pour représenter la déchéance qui envahit les deux derniers actes : dénuement rime avec nudité, celle de la scène et celle de l’un des protagonistes, le noble Edgar tombé plus bas que terre après le mauvais coup de son bâtard de frère qui l’a fâché à jamais avec son paternel. Cette guerre des générations se savoure. Sans fioritures malvenues, ce ‘Roi Lear’ fait goûter toute la force - et le comique aussi - du grand classique shakespearien.

http://www.evene.fr/culture/agenda/le-roi-lear-19701.php?critiques

Retour

Biffures : Lear et relireUne éprouvante initiation

Page 10: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Dans le théâtre de Shakespeare, les personnages ne se constituent pas seulement à travers le déploiement de leur verbe mais également sur un déséquilibre un oxymore dit le metteur en scène Adel Hakim1 entre des passions ou des pulsions contraires. Lear ne déroge pas à cette règle et la démesure de sa folie ne cache pas plus une grande fragilité qu’elle n’empêche le retour de la lucidité. C’est sur cette fragilité qu’a décidé d’insister Laurent Fréchuret , à l’image des tours de terre sur lesquelles le rideau se lève, et que le roi s’apprête à partager entre ses trois filles. Ces tours seront balayées après que Cordélia aura refusé de suivre le jeu hypocrite de ses aînées : pour avoir eu la modestie de ne pas dire à quel point elle aimait son père, Cordélia sera bannie du royaume d’Angleterre. Blessé par l’ingratitude de ses enfants Lear s’enfonce alors dans la folie et le dénuement.Le roi se meurtDominique Pinon est un Lear colérique et maladroit pour qui la couronne pèse trop lourd. Il n’en est pas pour autant ridicule, tout juste pathétique, mais ni grotesque ni sublime, loin des gouffres et des sommets que révèle la pièce. On en reste à la lande, c’est-à-dire à la tempête qui éclate au centre du drame et renverse Lear : chez Fréchuret la tempête est matérialisée par des effets, essentiellement sonores, mais son souffle est timide. La tempête est probablement atténuée pour laisser place à la tempête intérieure du roi2 mais sa faible intensité ne s’impose pas comme le tournant de la pièce. Le troisième acte ne soulève en rien cette « barbe du Roi Lear dans la tempête » dont parle Artaud dans le Premier Manifeste du Théâtre de la Cruauté (Antonin Artaud, Le Théâtre et son double). Seul reste un homme égaré, se trainant dans les déchets d’une gloire passée. Un roi déchu.Les débris de plastique qui jonchent le sol semblent représentatifs des choix scénographiques de Fréchuret : si le dépouillement est affiché, il n’est pas entièrement assumé. Les costumes, particulièrement réussis dans leur tonalité Moyen Age de contes de fées, évoluent progressivement en de conventionnels costumes du XXè siècle, sans que cela soit véritablement justifié. Faut-il comprendre que la folie et la précarité n’ont jamais été autant d’actualité ?Un Lear moins lyriquePendant trois mois l’équipe de Laurent Fréchuret a répété avec la nouvelle traduction de Dorothée Zumstein, et c’est un texte condensé, contemporain, et pleinement théâtral que nous découvrons. Cette traduction est plus vive et moins lyrique que les précédentes versions, celle de François-Victor Hugo ou de Pierre Leyris et Elizabeth Holland notamment.La pièce est servie par de très beaux rôles masculins : Dominique Pinon est poignant dans ce contre-emploi inattendu, Edmond est un imposant jeune premier à la virilité qui se cherche, Kent (Thierry Gibault) n’a besoin que d’un blouson pour devenir un autre, et Pauvre Tom est un double, plus sauvage mais plus fier du fou (Rémi Rauzier) qui tient plus du sans-abri désenchanté que du bouffon de cour. La mise en scène est peut-être un peu trop concentrée sur le jeu d’acteurs, lesquels parviennent non seulement à faire frémir, mais à faire rire.Romain Labrousse, le 8 décembre 2007.

http://biffures.org/actualite/2007/12/lear-et-relire#more-247RetourTELERAMALa chronique de Fabienne PascaudC'est justement parce qu'il a tenté de se connaître, de s'éprouver lui-même dans le dénuement, que le roi Lear sombre dans le néant de lui-même. Mais ne fallait-il pas être fou pour conditionner son destin à l'amour de ses enfants, s'imaginer père adulé et tout-puissant ? Shakespeare n'est pas dupe de ça, non plus : les liens supposés de la famille et du sang. Ce grand déchiffreur d'humanité et d'Histoire a décrypté de comédie en tragédie les tortueux chemins sur lesquels voguent nos esprits et nos corps, et ne laisse guère d'illusions sur nos pulsions intérieures... Sur une scène-désert livrée à la seule fureur de ses acteurs, Laurent Fréchuret met en gouffre la désespérante descente aux abîmes de Lear, et prend tant de plaisir à nous la conter que chaque personnage de la foisonnante intrigue acquiert tout à coup une singulière densité. Ainsi le roi très prosaïque de Dominique Pinon - a priori à contre-emploi dans le rôle - se fond-il dans une riche et forte interprétation chorale. On y admirera notamment le Gloucester christique de Philippe Duclos, une espèce de Lear à sa façon, lui aussi. Comme chacun des protagonistes de la tragédie

Page 11: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

d'ailleurs, tous avides de sortir d'eux-mêmes. Et si on avait tous en nous quelque chose de Lear ? suggère doucement Laurent Fréchuret... [Fabienne Pascaud Telerama n° 3021 - 08 décembre 2007]Retour

LES ECHOSLe Roi LearSi les Anglais ne sont pas, ces jours-ci, très éclairants face au répertoire français, nos propres metteurs en scène savent-ils monter Shakespeare ? On répondra positivement à propos du « Roi Lear » pris en main par Laurent Fréchuret à Sartrouville. Dominique Pinon en vieux roi furieux est inattendu et fait sentir autant de colère que d'esprit d'enfance. Odja Llorca, Eric Challier, Caroline Piette, Philippe Duclos, Thierry Gibault, Rémi Rauzier, Sophie Cattani, Thierry Blanc notamment participent à ce grand combat orageux où la mise en scène va très loin dans le dépouillement, la mise à nu de la violence humaine et l'ironie assassine. Pas de moment creux, pas d'inutilité, rien de laissé dans l'obscurité au coeur de cette sombre tragédie. Fréchuret a composé un chaos remarquablement organisé. Il est peut-être le plus anglais des metteurs en scène shakespeariens d'aujourd'hui.GILLES COSTAZRetour

L’HUMANITE :

La chronique théâtrale de Jean-Pierre Léonardini

[…] Et un Roi Lear de plus, un ! Laurent Fréchuret, après André Engel et Jean-François Sivadier, s’attaque à ce sommet, dans une traduction de Dorothée Zumstein (2). Sur le vaste plateau nu (scénographie de Stéphanie Mathieu), dans une obscure clarté (lumière de Franck Thévenon), la fable mythique où le père sévère perd la raison se déroule tout uniment sans tambours ni trompettes. Le squelette de l’oeuvre, au sein d’un texte qui cherche visiblement un tour simple et familier, demeure reconnaissable, quand bien même on peut déplorer un manque de profondeur avec de riches arrière-plans donnant à penser. C’est joué, pour l’essentiel, allegro vivace. L’attraction principale, c’est Dominique Pinon dans le rôle-titre. Acteur de fort caractère, à première vue à contre-emploi, il impose peu à peu une singularité de bon aloi dans l’être monarchique en proie à une tempête sous son crâne. On retrouve avec plaisir l’étrangeté féconde de Philippe Duclos (Gloucester).Retour

THEATRE on LINE :

Vu errant nu et fou sur la lande

« Pièce monstre », Le Roi Lear donne à entendre le destin étrange et navrant d’un homme ayant cédé son trône à ses filles, et perdu, par imprévisible voie de conséquence, sa dignité de père. Marchandeur possessif et intraitable, poussant sans cesse sa progéniture à bout (l’innocente cadette comme les ingrates aînées), il est sans doute grandement responsable de la tragédie à venir mais il apparaît pourtant comme celui sur qui se concentre toute la pitié du spectateur, celui dont les sentiments ambivalents apparaissent

Page 12: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

les plus naturels et humains, celui sur qui il est permis de pleurer lorsque le rideau tombe sur les rangées de cadavres. La nouvelle mise en scène de Laurent Fréchuret tranche avec d’autres adaptations récentes par son souci d’épure esthétique, la sobriété donnant une grande liberté aux comédiens pour dire et incarner le texte.« Qu’est-ce qu’on ressent, à être seul, sans espoir de retour chez soi, comme un parfait inconnu, une pierre qui roule ? », traduction approximative du refrain de Bob Dylan en écho à la tragédie de Lear. Délié de toute attache familiale par le rejet de ses filles et ses propres malédictions, dépouillé des oripeaux du pouvoir et des honneurs, roulant tel un fétu de paille dans un espace sans repère ni abri, Lear (Dominique Pinon) n’est plus qu’un souffrant qui hurle au cœur de la tempête, pris par l’horreur de se savoir réduit à cela : un homme offert aux caprices du cosmos et des dieux, un quasi rien. C’est au cœur de cette tourmente, dans le ballet des débris de plastique tourbillonnant sur l’immense plateau de la scène de Sartrouville, que se noue la tragédie et que la mise en scène de Laurent Fréchuret trouve son instable point d’appui. Là, dans une évidente proximité avec la misère de nos sans abri, les comédiens avancent tête baissée, sur la ligne de crête qui sépare l’humanité vulnérable de la déshumanisation, pour entraîner le spectateur jusqu’aux dernières extrémités de l’intrigue. La scène de la tempête sert véritablement de charnière, et ouvre grand les vannes émotionnelles d’un spectacle qui va désormais tenir, à coups d’images fulgurantes, les promesses de ses ambitions.Pour rendre au texte de Shakespeare tout son éclat coupant, rehaussé par la précision de la traduction de Dorothée Zumstein, Laurent Fréchuret a choisi la quasi nudité du grand plateau. Au début de la pièce, un grand château de sable servira, au centre de la scène, de décor et d’accessoire unique, matière à découper les territoires, à écraser autrui dans sa dépendance, à voir glisser entre ses doigts les fragiles acquis de l’existence. L’élégance de ce dispositif sobre imprègne la suite de la pièce et atteint ses objectifs : elle délivre toute la saveur du texte, clairement dit et entendu, et donne à voir la valse des corps dans la tourmente. A la lisière du plateau, sous le rai de lumière du fond, au premier rang des spectateurs, dans le chaos multiforme du côté cour, les autres acteurs se positionnent et se déplacent telles des ombres menaçantes, fondant sur leur proie ou tenues en attente. Les corps des plus souffrants (Lear, Edgar, Gloucester, Cordélia), exposés, vulnérables, désarticulés, paraissent en pleine lumière, notamment dans la deuxième partie du spectacle où le jeu de leurs apparitions et disparitions donne lieu à des effets saisissants qu’on laisse apprécier au spectateur.

La distribution, qui découpe différemment la liste des personnages (certaines figures secondaires ayant été fondues en une seul, une autre supprimée), apparaît d’emblée assez bariolée (dictions et styles de jeu sont parfois hétérogènes). Si certains acteurs semblent avoir besoin de la durée du parcours pour épouser toutes les nuances du personnage (notamment Dominique Pinon, qui se montre de plus en plus convaincant, offrant de très beaux moments de complicité enfantine, avec Edgar-Pauvre Tom et Cordélia, Thierry Blanc dont le personnage – Edgar – est trop vaguement esquissé dans ses premières scènes), d’autres imposent d’emblée une empreinte nette (Sophie Cattani, gouailleuse et glaçante Régane, Thierry Gibault en sobre et ferme Kent, Vincent Nadal très drôle dans le rôle ingrat d’Oswald), mais l’ensemble de la distribution est à saluer tant le spectacle évolue vers un unisson déchirant.

David Larrehttp://www.theatreonline.com

Retour

LA TERASSEShakespeare dans tous ses états

Page 13: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Complexes, équivoques et ambigus, tout en clairs-obscurs et en contrastes, les personnages de Shakespeare laissent deviner, dans le conflit entre raison et passion, monstruosité et angélisme, sublime et grotesque, toute l’ambivalence d’une humanité protéiforme. Pris dans les affres du rapport à l’autre, du pouvoir, de l’Histoire, ces héros de l’oxymore apparaissent comme des êtres en progrès, devenant ce qu’ils sont au fur et à mesure que se déploie leur parole. Le théâtre devient dès lors le lieu d’épanouissement ou d’affirmation d’une humanité en chantier, construite dans le texte de son propre récit, sous la houlette, cette saison, de metteurs en scène qui croisent ici leurs regards : Jean-François Sivadier, Ludovic Lagarde, Laurent Fréchuret, Declan Donnellan, Jacques Osinski, Adel Hakim et Gilles Bouillon.

Sivadier, Fréchuret, Osinski : un théâtre en quête d’humanité

Une interrogation essentielle traverse le corpus shakespearien : qu’est-ce qu’être un homme et quel chemin doit-on emprunter pour se rendre digne de cette définition '

« Shakespeare analyse l’humain dans sa dimension intemporelle, universelle », affirme Jean-François Sivadier, qui monte Le Roi Lear en remarquant que cette pièce « ne relève pas d’un théâtre des idées mais d’une démonstration sensible sur l’humain ». Cette ouverture métaphysique d’un théâtre qui s’intéresse davantage à l’humanité en son essence qu’à son incarnation accidentelle apparaît comme une évidence aux différents metteurs en scène affrontant les incroyables vertiges du corpus shakespearien. Ainsi le remarque Laurent Fréchuret à propos du Roi Lear : « Ce grand voyage dans le temps et l’espace met en scène un personnage qui (…) demande : qu’est ce qu’un homme ' Il déconstruit un homme qui était roi pour interroger la condition humaine. (…) Même si Lear affronte la tempête et la folie, même s’il meurt à la fin, il aura affirmé à un moment, debout, nu dans la lande : je suis un homme, je veux être un homme et je ne veux pas être un mensonge, une étiquette ou un costume qui finalement m’étouffe. » Ce pourquoi le cheminement vers l’élucidation de soi est en même temps une quête d’humanité qui transcende la recherche individuelle : Jean-François Sivadier parle à cet égard de l’ « expérience initiatique » de Lear, « qui lui permettra d’atteindre la maturité, c’est-à-dire quand la vieillesse et l’enfance se confondent, quand l’homme est à la fois un enfant dans l’étonnement de sa venue au monde, et un vieillard parce que mortel. » De même Troïlus et Cressida, qui doivent apprendre à vivre « dans l’épreuve d’une prise de conscience douloureuse, celle d’avoir commis l’acte répréhensible de la trahison (…) doivent grandir encore et accéder à une certaine maturité. » dit Declan Donnellan ; élément que Jacques Osinski voit à l’œuvre dans Le Conte d’hiver en le comparant à La Tempête : « on y retrouve la sagesse, la sérénité d’un homme qui regarde avec tendresse tout le trajet d’une vie et la mort qui arrive. »

Fréchuret, Donnellan, Hakim : une humanité entre le monstre et l’ange

Tentés par le sublime autant que par la fange, les personnages inventés par Shakespeare sont des êtres marqués au sceau de l’ambiguïté et de l’amphibologie.

Cette complexité d’une figure humaine qui dessine ses propres contours au fur et à mesure que se déploient son verbe et les effets de son action fait que les personnages échappent à la fixité stérile des taxons. Ils ne sont ni des types, ni des genres. Pas de monolithisme ni de manichéisme chez Shakespeare : « Le monstre et l’ange sont en nous. (…) Lear est un vrai champ de bataille à lui tout seul, où se battent des contraires. » dit Laurent Fréchuret. Ainsi, dans Troïlus et Cressida : « Shakespeare traverse chacune des grandes figures qui font les héros de la Guerre de Troie dans une approche très anti-héroïque (…) Shakespeare, en quelque sorte, s’emploie à « dégonfler » tous les personnages d’Homère. » affirme Declan Donnellan. Dès lors, comme le remarque Adel Hakim à propos de Mesure pour mesure : « que les personnages soient complexes et qu’aucun d’eux ne soit pur rend la pièce très subversive : on n’a pas les bons d’un côté et le mal de l’autre. Shakespeare pratique l’oxymore permanent et du coup évite tout

Page 14: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

jugement de valeur. Ce pourquoi il n’y a pas de morale chez Shakespeare mais des situations incroyablement humaines auquel le spectateur réagit avec ses propres contradictions. »

Sivadier, Hakim, Bouillon, Osinski : enquête sur la mécanique des passions

Exilés de la raison, soumis à des forces qui les dépassent, les héros shakespeariens sont les marionnettes de forces qui les condamnent au déséquilibre.

La complexité des personnages shakespeariens est également due à l’irrationalité de ce qui les pousse. Ils « ne réagissent pas en fonction du passé, mais selon leurs pulsions. » remarque Jean-François Sivadier ; Adel Hakim ajoute : « chez Shakespeare, il n’y a pas d’amour mais du désir, des pulsions plutôt que des sentiments. La société est une jungle où rodent proies et prédateurs. Même les grands amoureux comme Roméo et Juliette sont des espèces d’animaux attirés les uns vers les autres de manière irrationnelle. Ce qui rend puissant ce théâtre, c’est cette biomécanique des pulsions exempte de psychologie qui anime des personnages d’une extraordinaire vitalité et dépourvus de réflexivité. ». Conception que complète Gilles Bouillon en considérant que Shakespeare est l’auteur d’un théâtre « non pas tant des pulsions mais des passions, de l’inconscient, des ténèbres qui nous habitent. Il n’y a pas de verticalité, pas de transcendance, pas d’élévation dans Othello, remarque-t-il. « Le ciel est de marbre » disent les personnages à l’acte 3 lorsqu’il n’y a plus de vent. Cette impossibilité de faire appel à une force extérieure marque la ruine de la raison puisque aucun échappatoire n’existe pour les personnages. ». Ce pourquoi les différents metteurs en scène évitent soigneusement le psychologisme, à l’instar de Jacques Osinski, qui remarque : « Je voulais monter ce drame de la jalousie sans sentimentalisme, sans pathos. »

« Shakespeare, notre contemporain : il l’est plus que jamais ! » Gilles Bouillon

Sivadier, Fréchuret, Donnellan, Hakim : la vraie morale se moque de la moraleL’éthique contre la moraline ! Si l’humanisme du maître de Stratford est incontestable, son allergie aux leçons de morale l’est tout autant !

« Même Cordélia se montre cruelle, à sa façon » en refusant de mesurer l’étendue de son amour pour Lear, remarque Jean-François Sivadier. Chacun des personnages du Roi Lear, selon Laurent Fréchuret, « passe par des renversements, des contrastes, des reliefs, des coups du sort, des cimes et des abîmes ». Pas de panneau axiologique ni de traité sentencieux dans ce théâtral subtil. Si ces personnages cheminent vers leur perte ou leur rédemption, l’auteur n’en tire pas pour autant des maximes universelles et des valeurs figées. Ainsi, Declan Donnellan dit à propos de Troïlus et Cressida : « La pièce n’est pas cynique même si elle est moqueuse, ironique et désabusée. Grand humaniste avant tout, Shakespeare ne peut jamais se montrer absolument cynique. (…) il fait preuve plutôt de scepticisme, cette tournure d’esprit incrédule, cette défiance à l’égard des opinions et des valeurs reçues. » La vraie morale semble donc se moquer de la morale et de ses oripeaux sociaux : « Les tragiques grecs étaient très moraux même en racontant des histoires de montres : le chœur y tempête et énonce les valeurs. Chez Shakespeare, jamais personne n’essaie de ramener quiconque dans le droit chemin. » dit Adel Hakim.

Osinski, Bouillon, Lagarde, Donnellan, Hakim : Shakespeare, notre contemporain

Page 15: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Forcément moderne puisque intemporel, Shakespeare offre aux metteurs en scène contemporains l’occasion d’interroger leur époque.

« Shakespeare est une figure tutélaire qui anime quiconque fait du théâtre. Quand on ose l’affronter, c’est une matière inépuisable qui donne beaucoup de liberté au metteur en scène. » remarque Jacques Osinski. Le maître incontesté traverse les époques avec une aisance déconcertante et tous y trouvent des leçons pour notre siècle. « Jan Kott parlait de « Shakespeare notre contemporain ». Il l’est plus que jamais ! Dans Othello, l’intime, la passion, la jalousie prennent le dessus sur le politique, la vie privée déborde sur la vie publique : leçon ô combien intemporelle et évidemment actuelle ! » dit Gilles Bouillon, retrouvant ainsi Ludovic Lagarde, remarquant, à propos de Peter Verhelst reprenant Shakespeare qu’il « jette une lumière très contemporaine sur l’effet « loft » de notre modernité. A une époque où les personnalités politiques montrent, voire mettent en scène, leur intimité, et cherchent à susciter un phénomène d’identification en donnant l’image de gens ordinaires, avec des problèmes de vie de tout un chacun, la pièce dévoile la réalité reléguée en hors-champ. ». Declan Donnellan affirme lui aussi le caractère « extrêmement contemporain » de Troïlus et Cressida et Adel Hakim retrouve dans Mesure pour mesure une confrontation « entre gens d’en haut et gens d’en bas passionnante et d’une actualité brûlante ».

Catherine Robert(Propos recueillis par Gwénola David, Véronique Hotte, Agnès Santi et Catherine Robert.)http://www.journal-laterrasse.fr/shakespeare-dans-tous-ses-etats-1-1617-1.html?PHPSESSID=p61jn6dcggspgg8aogm23e8b93

Infos pratiques :Le Roi Lear ; mise en scène de Jean-François Sivadier. Du 15 septembre au 27 octobre 2007. Théâtre Nanterre-Amandiers. Richard III, de Peter Verhelst ; mise en scène de Ludovic Lagarde. Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines. Le Roi Lear ; mise en scène de Laurent Fréchuret. Troïlus et Cressida ; mise en scène de Declan Donnellan. Du 12 au 30 mars 2008. Les Gémeaux. Le Conte d’hiver ; mise en scène de Jacques Osinski. Du 1er au 13 avril 2008. Théâtre Jean-Arp de Clamart. Mesure pour mesure ; mise en scène d’Adel Hakim. TQI. Janvier 2008. Othello ; mise en scène de Gilles Bouillon. Du 13 novembre au 16 décembre 2007. Théâtre de la Tempête.

En attendant le Songe, d’après Le Songe d’une nuit d’été ; mise en scène d’Irina Brook. Du 14 décembre 2007 au 5 janvier 2008. Théâtre des Bouffes du Nord.Roméo et Juliette ; mise en scène de Pauline Bureau. Du 24 avril au 25 mai 2008. Théâtre de la Tempête. Richard III, an arab tragedy ; mise en scène de Sulayman Al-Bassam. Du 22 mai au 1er juin 2008. Théâtre des Bouffes du Nord.

Retour

Page 16: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

LA VERSION JEAN-FRANÇOIS SIVADIERTEXTE FRANÇAIS PASCAL COLLIN

Note d’intention et analyse de Sivadier   : Le Roi divise son royaume en trois part, Qu’il destine à chacune de ses trois filles.Avant de procéder au partage, il leur demande de lui faire, Publiquement une déclaration de leur amour filial, En échange de quoi, (et selon la qualité du texte),Elles se verront attribuer une part plus ou moins opulente.(Dis-moi combien tu m’aimes, je te donnerai ce que ça vaut.Ton amour, ou du moins le texte qu’il t’inspire, sera récompensé).Les deux aînées prennent la parole et reçoivent immédiatement leurs parts.Le Roi demande à la cadette ce qu’elle peut dire de son amour pour obtenirUn tiers du royaume peut-être plus intéressant encore que celui de ses soeurs.L’enfant à qui l’on dit : « je te donne un cadeau mais embrasse-moi d’abord »S’exécute sinon par amour, du moins dans le jeu de l’amour.On peut mettre en doute la sincérité du baiser mais pas sa théâtralité.Cordélia ne sait pas jouer la comédie.Cordélia répond « rien ».

Dès la première scène de la pièce, celui qui a confondu l’espace privé et l’espace public, l’intime et le politique, l’amour (relatif) pour le père et l’amour (par essence indéfectible) pour le roi, celui qui a obligé ses filles à prostituer leurs sentiments, à faire de leur amour une monnaie d’échange pour acheter ce qu’il leur offre, qui a donné le champ libre au théâtre avec une épreuve conçue comme un exercice d’acteur, celui qui a abandonné son pouvoir, son autorité, ses biens, le gouvernement de l’Etat, tout en prétendant rester celui qu’on appelle le roi, Lear, avec une question, a fait vaciller la représentation. La réponse de Cordélia achève d’en détruire l’équilibre. Lear, on pourrait dire, sans jeu de mot, c’est tout le théâtre à partir de rien.

Le rien de Cordélia sonne comme une insulte, c’est un cadeau. Car si le roi possède tout, il lui manque une chose essentielle : l’épreuve du manque. La connaissance non pas de ce qu’il représente et de ce qu’il possède mais de ce qu’il est. Sans la couronne, ses terres et ses cent chevaliers, le Roi est nu. Pour accéder à la connaissance, si la raison manque, rien ne vaut l’expérience. La voix de la raison, dans la bouche de Kent, est bannie du plateau. Il n’y a plus d’autre choix que celui de l’expérience. Celle du dénuement, du besoin, de la dépossession.

Lear est une histoire de territoires et de corps. De places et d’identités. Le roi descend du trône et le monde se déplace. Le roi dépose la couronne et personne ne reconnaît plus personne. Le roi décide d’être partout et nulle part en même temps, Kent transforme l’exil en liberté et chacun s’abîme : « Où suis-je ? Où sont les autres ? Qui suis-je ? Qui sont les autres ? » Etre et ne pas être c’est la question au centre de laquelle chacun a rendez-vous avec lui-même.

La première scène commence dans la lumière d’un optimisme suspect. Un geste, un mot, un trait sur une carte suffisent à renverser l’ordre et l’état du monde. Les terres et les corps sont réunis ou séparés comme des marchandises. La scène s’achève dans la stupeur, l’explosion des familles et des frontières, l’effondrement des valeurs et des hiérarchies. Mais surtout dans la promesse d’un pays que Cordélia a désigné à son insu, une région de l’âme où la raison ne peut poser aucun masque, un endroit où Shakespeare attend ses personnages, un territoire déplacé et vide de toute certitude qui s’appelle le théâtre. La machine dont le moteur est l’imaginaire des acteurs. Après les éclats, les silences, les accusations, les

Page 17: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

exclusions, les marchandages de la première scène, l’ambition d’Edmond le bâtard n’a pas chercher bien loin pour trouver l’inspiration et faire de la nature humaine, de la nature sous toute ses formes, son alliée idéale, et de la scène un champ de bataille.

Chacun, acteur, auteur de la fable en train de s’improviser, chacun responsable de l’équilibre général, chacun à la recherche d’un lieu et d’une identité possibles, chacun tenté d’aller se reconnaître, daller voir la tête qu’il a dans ce territoire d’exil, de l’autre côté de la raison, s’acharne à convoquer le chaos. A inventer des obstacles pour accélérer la chute. A pousser la pièce dans ses retranchements comme pour lui arracher son masque. A déplacer l’autre ou à l’enfermer dans son rêve.

Lear, aveuglé par son orgueil et le poids de la couronne, amnésique de ses blessures et de ses erreurs passe à travers les murs. Gloucester n’a besoin que d’une lettre pour condamner à mort son fils aîné. Goneril et Régane s’acharnent à traquer leur père et à déshabiller le roi dans cet homme qu’elles ne reconnaissent plus. Cornouailles s’obstine à reconstruire un cadre. Kent et Edgar se travestissent pour sauver leur peau. Tout cela autour d’un centre qui reste vide, dans l’ascension fracassante d’Edmond, le silence d’Albany qui attend son heure, et le bavardage délirant du fou qui nous rappelle qu’au théâtre, tout n’est qu’une question de vocabulaire.

La tempête efface définitivement les repères, dessine un paysage sans frontière où les territoires se confondent, où l’infiniment intime concentre l’univers entier, où les hommes tutoient les dieux, où, plutôt, de petits « roseaux pensant » hurlent les pieds dans la boue vers un ciel vide. L’homme au centre d’une petite cour de fortune qui lui rappelle qu’il était le roi, et sans autre ennemi que le visage de sa propre honte, trouve dans la lande, dans l’immensité de ce rien que lui a offert Cordélia, dans ce temps libéré de toute mesure, riche et inefficace les armes d’un poète pour relever le défi qui l’attend avant de mourir : sa rencontre avec lui-même. La découverte que, dans le corps politique et immortel du Roi caché sous la couronne, respire le corps naturel et mortel d’un homme. Tout comme, dans le rôle de Lear dessiné par un texte immortel, l’acteur ne vit que dans le temps présent du théâtre.

Au comble du détachement, de l’esseulement et de la folie, au plus haut degré de la conscience du présent, Lear fou embrasse Gloucester aveugle. Deux cygnes à l’agonie qui chantent sans peur. Deux corps où la vieillesse et l’enfance ont réussi à se confondre, sourient, stupéfaits et pleurent de joie comme deux nouveaux-nés remis au monde avant de le quitter définitivement. Nous ne pleurons pas de leur malheur, nous rions de leur obstination à la dignité.

Le tableau n’est pas moins comique que celui où Beckett a peint deux vieux clowns qui philosophent au pied d’un arbre mort sur une route au bout de laquelle devrait apparaître quelqu’un qu’on attendra toujours. Attendre en vain Godot, ce n’est pas désespérer. C’est ne rien espérer, arrêter le temps, abandonner sa destination, créer nulle part un espace vide et y faire un geste inutile pour en découvrir l’absolue nécessité. « Si tu n’accordes pas à la nature plus que ce dont la nature a besoin, la vie de l’homme ne vaut pas plus que celle d’une bête ». Lear, comme un traité sur la dignité humaine, nous montre dans ce geste qui transforme l’inutile en nécessité, le mystérieux champ illimité de notre humanité. Nous ne comprenons pas, nous reconnaissons tout.

Aucune clé dans la pièce pour en adoucir l’impact, pour démêler les causes des effets, aucune leçon, aucune morale pour sauver les victimes et punir les bourreaux. Aucune logique pour comprendre comment aussi rapidement les territoires, les êtres et le temps ont perdu leur centre et leurs limites. L’enfer, dit Primo Levi, c’est là où il n’y a pas de pourquoi. Les mots n’ont pas su expliquer la chose. Chacun portait en lui les outils de sa propre destruction. La catastrophe a été foudroyante. Elle n’attendait qu’un mot de Cordélia pour advenir. Rien n’est à l’origine de ce chaos. « Rien » est à l’origine de ce chaos. Révélés, anéantis, les survivants de ce naufrage initiatique se tournent hébétés vers un avenir incertain, immobiles, dans le silence où résonne en apnée les derniers mots d’Edgar acceptant la couronne.

Page 18: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Notre précédant spectacle se terminait par la mort de jeunes gens que l’on guillotinait pour leur idées. Le mariage de Figaro, La vie de Galilée, La mort de Danton, cette « trilogie des révolutions », que la compagnie a monté était traversée par une langue qui inscrivait jusqu’au vertige la poésie au coeur du politique et dans les intrigues, les concours de rhétorique, l’engrenage infernal des discours et des idées, le souffle d’un théâtre aux messages incisifs et percutants.

Le passage à Shakespeare et particulièrement à cette pièce qui ne ressemble à aucune autre, qui fait moins appel à notre raison qu’à notre capacité intime de nous étonner, est comme l’abandon total d’un théâtre des idées.

Aucun débat ne vient adoucir la loi de la jungle qui sévit dans Lear. Les personnages ne pensent à rien, ils sont la pensée même, ils n’agissent pas, ils sont précipités dans l’action, ils n’ont pas de plans, ils n’ont que des visions, ils ne calculent rien, ils improvisent, ils ne communiquent pas, ils s’apprivoisent ou se repoussent, ils ne défendent pas une position particulière, ils changent de place et d’identité en fonction de celle des autres. Des Atrides sans destin, des blocs d’instinct en fusion.

La langue, indissoluble dans la psychologie, n’est pas l’outil d’un combat mais le symptôme d’une pulsion. Aucune arrière pensée ne vient contrarier la pureté du mouvement qui projette dans le verbe le corps tout entier. Chaque état contient son propre contraire, chaque situation son lot de paradoxes. Une seconde, un mot suffisent à changer l’amour démesuré en haine démesurée, les bâtards en légitimes, les légitimes en traîtres, l’orgueil en honte, le superflu en nécessité, l’aveuglement en révélation, la torture en délivrance, le mensonge en vérité, la tragédie en comédie.

Chaque pièce est une hypothèse sur le monde. Cette histoire hors du temps, hors de tout contexte, cette démonstration sans résultat, cette faillite d’explication du monde, cette mise en crise du théâtre est aujourd’hui l’hypothèse où nous avons choisi d’engager nos forces. Pour à nouveau entrer sur le plateau comme dans un laboratoire et y douter de tout, remettre l’humain en chantier et en faire jouer l’architecture. Pour repartir à la naissance de la parole, du mouvement, de l’acte poétique, et tenter d’en faire une expérience partagée.

Pour faire de l’écriture, un mouvement, de l’acteur, un écrivain, de chaque pièce un poème choral où chacun puisse témoigner à la fois de sa pièce singulière et de l’ensemble dont il fait partie. Pour faire de l’acte de jouer, comme de celui d’écrire, une tension vers la joie. Du souffle qui va élargir le poème au-delà du cadre, une respiration commune entre ceux qui regardent et qui écoutent et ceux qui agissent et qui parlent.

Tout cela que Shakespeare s’emploie constamment à mettre en jeu dans ce geste brutal, anarchique et généreux, cet opéra anthropologique, ce coup de poing à l’inconscient. Où l’on voit comment l’être humain se bricole comme il peut entre sa nature et son corps social. Comme l’acteur dont l’identité ne cesse de trahir le rôle.

Plus que jamais, avec Le roi Lear, le théâtre est le piège où Shakespeare attrape la conscience des hommes. Ces funambules en équilibre sur la frontière qui sépare ce qu’ils sont de ce qu’ils représentent.

[Jean-François Sivadier, mars 2007]

Retour

Jean-François Perrier entretien avec Jean-François Sivadier [février 2007]

Page 19: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

- Vous revenez au Festival pour mettre en scène Le Roi Lear dans la Cour d’honneur du Palais des papes. Quels sentiments vous animent face à ce lieu mythique?

Jean- François Sivadier: Le premier sentiment c’est la joie. Il y a longtemps qu’Hortense Archambault et Vincent Baudriller m’ont proposé de monter un spectacle dans la Cour. J’ai attendu. Je voulais y venir avec un vrai désir. Ne pas me tromper d’enjeu. Quand nous avons présenté La Mort de Danton et La Vie de Galilée il y a deux ans dans la Cour du lycée Saint- Joseph, j’ai pensé que le moment était venu de répondre positivement à l’invitation. En assistant l’an dernier à quelques répétitions des Barbares, j’ai été surpris de l’osmose entre l’espace du public et celui du plateau, et du rapport entre l’intime et l’immensité, ce qui est un des grands thèmes du Roi Lear.

- Pourquoi avoir choisi de mettre en scène une pièce elle- même mythique, Le Roi Lear, qui n’y a pas été jouée depuis vingt- six ans?Après Le Mariage de Figaro, La Vie de Galilée et La Mort de Danton, un ensemble de trois pièces portant des messages politiques percutants, trois pièces traversées par des idées, des théories et des discours, c’est comme si nous abandonnions un théâtre de la Raison. La langue au travail dans la pièce parle à l’inconscient du spectateur parfois plus qu’à son intellect.

- Pourquoi choisit- on de monter telle pièce? Parce qu’on a l’intuition que les questions qu’elle pose vont nous faire grandir. Celles du Roi Lear sont considérables.De nombreuses pièces de Shakespeare sont des pièces où le théâtre est au centre des préoccupations de l’auteur.

- En est- il de même avec Le Roi Lear?Lear c’est tout le théâtre à partir de Rien. En posant ce mot au cœur du plateau au début de la pièce, Cordélia offre inconsciemment à son père, qui possède tout, de se confronter à l’épreuve du manque. N’est- ce pas l’essence même du théâtre de devoir tout réinventer? Elle lui offre un désert pour qu’il découvre l’homme caché sous la couronne du roi. Le personnage dans la pièce passent leur temps à changer de place et d’identité pour essayer de savoir qui et où ils sont. La grande question de Lear c’est “être et ne pas être”.

- Beaucoup de psychanalystes se sont intéressés au Roi Lear, en particulier Jacques Lacan qui disait “Il croit qu’il est fait pour être aimé ce vieux crétin” (1), considérant que cette tragédie était aussi une tragédie de l’amour filial et donc des rapports père- filles. Cet aspect- là vous paraît- il essentiel?

Oui et plus largement l’amour entre les pères et les enfants qui est mis en crise tout au long de la pièce. L’amour est un thème qu’on associe pas immédiatement au Roi Lear et pourtant il en est pratiquement question dans chaque scène. Le rapport entre Lear et ses filles est vertigineux car très vite on ne sait plus qui accouche ou conduit l’autre.On parle beaucoup de Bergman en répétitions, de comment se construit ce chaos intime, comment naissent des questions du genre: qui est au fond cette personne que je devrais, parce qu’elle est mon père ou mon enfant, aimer naturellement? Est- ce que l’amour entre parents et enfants est naturel?

- Pensez- vous comme le Fou le dit à Lear que: “c’est d’avoir fait de vos filles des mères qui vous a rendu fou.”, c’est- à- dire que l’inversion de la filiation est contre nature, comme il est politiquement contre nature de donner son pouvoir?

Ce qui entraîne le chaos dans la famille et dans l’État est d’abord l’acte de Lear qui descend du trône en gardant le nom de roi et partage son royaume sans désigner de successeur, ensuite celui de mettre une histoire privée (l’amour de ses filles) au cœur d’un enjeu politique, et enfin de décider de ne pas reconnaître la vérité et la raison à l’instant où elles se manifestent. Tout cela renverse dès le début tout l’ordre du monde.

Page 20: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

- Vous parliez de la scène de la tempête de l’acte III qui est sans doute la scène mythique de cette pièce mythique. Avez- vous déjà une image de ce qu’elle sera?

À l’instant de la tempête Lear n’a plus d’autre adversaire que lui- même. La colère dans son corps et dans sa tête est plus violente que celle du ciel. Il est dans la tempête comme un acteur sur un plateau, à la fois dieu et juste un homme exposé, nu. Le plus excitant dans cette scène est ce défi que lance Shakespeare de représenter l’irreprésentable. Il s’agit donc bien de théâtre. Il me semble que le plus important c’est le texte, “avant” le décor, le fracas dans la langue et pas les effets spéciaux.

- La folie est double dans la pièce puisqu’il y a le fou du roi et le roi fou?La folie de Lear dans la pièce ne va pas de soi. Ce qui lui fait perdre totalement la raison, au troisième acte est quelque chose de forcément plus profond que la douleur causée par ce qu’il appelle l’ingratitude de ses filles. Pour aller à la rencontre de lui- même Lear va devoir réaliser sensiblement qu’il y a deux corps en lui, le corps politique du roi et le corps naturel, mortel de l’homme. Tout comme il y a d’un côté le corps de l’acteur et de l’autre le rôle qu’il incarne. Cette folie- là est comme celle de l’acteur, à la fois à l’extérieur et à l’intérieur du personnage.Quant au thème du double il ne concerne pas seulement le roi et son fou mais tous les personnages. Chacun est le double de quelqu’un d’autre. Dans Lear tout est altérité.

- Il y a donc une surabondance de thèmes et d’évènements dans ce Roi Lear?C’est tout le génie de Shakespeare d’aborder en une seule pièce autant de sujets de réflexion extraordinaires sans s’y appesantir. Il n’y a ni discours ni bavardage mais on peut discourir des heures sur telle ou telle scène. Le sens de la pièce est incroyablement ouvert. Certaines répliques du Fou sont comme des sujets de philosophie. Victor Hugo disait de Shakespeare qu’il faisait partie des “hommes océans” comme Eschyle, Dante, Michel- Ange.

- Est- ce dangereux de naviguer dans cet océan- là?C’est excitant d’apprendre à naviguer dans un océan comme celui- là. Comme au théâtre on ne fait jamais que des hypothèses, des expériences, il est impossible d’avoir des certitudes, surtout avec Shakespeare. Le plus important n’est pas la réponse mais la manière dont on pose la question sur le plateau.

- Quelle traduction utilisez- vous?C’est une traduction nouvelle que j’ai commandée à Pascal Collin.

- Le rôle du Roi Lear est souvent considéré comme une récompense pour acteur en presque fin de carrière. Qui jouera ce rôle dans votre mise en scène?

C’est Nicolas Bouchaud qui a une quarantaine d’années. Le roi Lear pose plus la question de la maturité que celle de la vieillesse. Il n’y a pas d’âge pour parler de la maturité. Ce qui m’intéresse dans le travail avec les acteurs c’est comment ils interrogent en eux les thèmes de la pièce qu’ils jouent.

- Dans vos précédentes mises en scène, vous avez toujours créé un lien direct entre le public et la scène. En sera- t- il de même avec Le Roi Lear?

Cette question du rapport au public peut se résumer en un désir que j’ai toujours eu de faire du public un acteur de la représentation en train de se faire sous ses yeux. Il ne s’agit donc pas de participation, mais de la conscience que le spectateur doit avoir d’être partie intégrante de la construction de la pièce au moment même où elle se construit.Même dans un lieu comme la Cour d’honneur, les acteurs doivent pouvoir s’adresser directement aux spectateurs et les associer à ce qui se crée sur le plateau, au moment où cela se crée. C’est l’utopie même du théâtre que de faire en sorte qu’il puisse se créer chaque soir avec ceux qui le regardent.

Page 21: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

- Vous travaillez avec des comédiens qui vous accompagnent sur presque tous vos spectacles. Est- ce encore le cas?Oui bien sûr. Cela est aussi valable pour les techniciens. Nous grandissons tous ensemble, et j’ai besoin de ce compagnonnage.

- Comme beaucoup de metteurs en scène français qui seront présents au Festival cette année, vousavez eu une formation d’acteur avant de devenir metteur en scène. Comment vous est venu ce désir de mettre en scène?Mon désir de monter des textes vient avant tout de celui de diriger des acteurs, et d’écrire. Mettre en scène c’est construire l’écoute d’une œuvre donc pratiquement la réécrire à vue, dans le présent du plateau. Ce prolongement de l’écrit dans le corps de l’acteur est peut- être ce qui m’intéresse le plus sur le plateau.[Propos recueillis par Jean- François Perrier en février 2007]

(1) L’éthique de la psychanalyse – Le Séminaire- Livre VII – éditons du Seuil, 1986.

Retour

LIBERATION 17 septembre 2007

Levée de rideau étoffée à ParisThéâtre. Parmi la cinquantaine de spectacles qui débutent, Novarina à la Colline et un «Roi Lear» à Nanterre.Par RENÉ SOLIS

[…]Traversée. Autre «folie» créée cet été : le Roi Lear par Jean-François Sivadier et sa troupe, qui élisent domicile aux Amandiers de Nanterre. Propagateurs savants d’un théâtre populaire où les spectateurs sont pris à témoin, les acteurs de Sivadier rechignent à la solennité, à l’image de Nicolas Bouchaud, Lear à peine quadragénaire plus enclin à la maladresse qu’au malheur. De la pièce, ils font entendre des accents comiques insoupçonnés à travers une étude fouillée des rapports entre les personnages : la comédie des liens qui se font et se défont, plutôt que la tragédie du pouvoir et de la vieillesse. Cette vision souriante - mais pas désinvolte - peut surprendre. Contrairement à Novarina, Sivadier n’ambitionne pas de tout dire. Il propose une traversée mouvementée avec un équipage qui n’a pas le mal de mer et fait du plaisir de jouer une boussole au cœur de la tempête.Un «Roi Lear» dans la tempêteRetour

Théâtre. Sivadier et sa troupe prennent Shakespeare à bras-le-corps.Par RENÉ SOLIS23 juillet 2007A quoi ressemble le Roi Lear dans la cour d’honneur ? A des enfants qui jouent dans une mer trop grosse. Le drapeau rouge est hissé au mât, ils feraient mieux de rester à l’abri, mais ils s’obstinent, se font assommer, rouler sur la plage et replongent pourtant. Samedi soir, le vent d’ouest n’a pas attendu la tempête de l’acte III pour balayer le plateau, menaçant d’emporter la toile rouge qui ondoyait sur le plancher, arrachant, à la fin de l’acte I, une banderole au milieu du dialogue entre le Fou et le Roi. Le premier (Norah Krief) s’est alors tourné vers les spectateurs : «Ça va ?». Oui, ça va.Sable rouge. Pour son troisième spectacle à Avignon, après la Vie de Galilée et la Mort de Danton, la troupe de Jean-François Sivadier se lance à l’océan. Avec un Lear (Nicolas Bouchaud) à peine quadragénaire et guère disposé à jouer les vieillards. Et un metteur en scène peu enclin à peaufiner les

Page 22: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

belles images en coulisse. Les spectateurs qui s’installent sur les gradins trouvent des acteurs déjà à l’œuvre, qui les saluent et commencent la représentation comme si de rien n’était, tout en les prenant à témoin des conventions de la soirée : le Fou et Kent seront joués par des femmes, et Régane, la deuxième fille de Lear, par un homme. Telle une troupe itinérante venue donner une représentation au château (la même qui dans Hamlet vient se produire à Elseneur ?), ils s’habillent au vu de tous, soufflent une réplique à un partenaire, préparent les accessoires : farine pour les cheveux des vieillards, sable rouge pour le sang, masques, armures de pacotille. L’affirmation du collectif, le souci de connivence, le goût pour la comédie (et la réticence pour la tragédie) sont chez Sivadier une marque de fabrique. Il ne s’agit pas d’offrir une «vision» de la pièce mais de l’explorer «en direct».Fendre l’âme. S’agissant d’un morceau tel que Lear, cela ne marche pas à tous les coups. La mise en scène de la désinvolture est parfois démentie par la tentation de passer en force, et le spectacle donne alors l’impression de lâcher la proie pour l’ombre, la fable pour l’anecdote. Même si l’inventivité clownesque du duo Norah Krief-Nicolas Bouchaud fait merveille. Mais c’est aussi que, face au flot des thèmes — pouvoir, vieillesse, trahison, folie. — il importe de se donner la main; de s’attacher d’abord aux liens, aux histoires d’amour (ou de haine). Ainsi de la relation entre Kent (Nadia Vonderheyden) et le Roi, vécue comme une passion, jusqu’au finale où, penchée sur le corps de Lear agonisant, l’actrice lance un «Oh cœur brise-toi» à fendre l’âme. Ainsi aussi des rapports entre Edmond le bâtard (Vincent Guédon) et son frère (Stephen Butel) ou son père (Vincent Dissez). Et bien sûr de ceux de Lear et de sa fille Cordelia, puis de Lear et de son Fou. Du temps de Shakespeare, un même acteur interprétait peut-être les deux rôles. D’ailleurs, dans l’acte V, lorsque Cordelia meurt, Lear parle du «pauvre Fou qui s’est pendu». Or, dans le spectacle, Norah Krieff joue les deux et Lear enfile sur la tête de Cordelia morte le bonnet du Fou.Ce geste est aussi celui qui permet à Nicolas Bouchaud de basculer dans un cri d’autant plus poignant que longtemps différé, parvenu enfin au terme du voyage initiatique décrit par le Chevalier, à l’acte III : «Il combat avec les éléments déchaînés. Il commande au vent d’engloutir la terre dans l’océan, ou de soulever les eaux écumantes par-dessus le continent [.], afin que les choses changent ou qu’elles cessent».Retour

Une critique de Didier Méreuze : publié le 22-07-2007 sur le site www.la-croix.com

Shakespeare vainqueur du mistral

Avec « Le Roi Lear », Jean-François Sivadier inscrit une nouvelle nuit magique dans la longue histoire de la Cour d’honneur du palais des PapesLe Roi LearDe William Shakespeare«Le seul véritable ennemi, c’est le mistral. » La formule est de Philippe Varoutsikos, directeur technique adjoint du festival (lire La Croix du 9 juillet). Samedi soir, il était inquiet. Le vent s’était insidieusement introduit dans la Cour, menaçant de balayer le décor. Ses craintes étaient vaines.Au terme de la représentation, il n’avait à déplorer qu’une toile arrachée, alors que le public se levait pour applaudirles comédiens, à tout rompre. Il était trois heures du matin, c’était la « première » du Roi Lear, mis en scène par Jean-François Sivadier. Hier les mêmes ovations se sont renouvelées, comme elles devraient se reproduire jusqu’au 27juillet. Il est vrai que pour leur coup d’essai dans la cour d’honneur, Jean-François Sivadier et sa troupe ont réussi un coup de maître. Ils ont bien été invités déjà deux fois par le festival avec des spectacles qui ont marqué les mémoires (La Vie de Galilée de Brecht et La Mort de Danton de Büchner en 2002 et 2005), mais c’était dans la cour du lycée Saint- Joseph. Il s’agit donc de leur première confrontation avec ce lieu mythique pour l’une des tragédies les plus désespérées de Shakespeare.Meurtres, mensonges, violences, calculs, cynisme, complots…Elle raconte comment un roi, pour avoir voulu acheter l’amour de ses filles, se retrouve trahi dans ses calculs et ses espérances. Abandonnant son royaume aux deux aînées qui l’enjôlent par de belles paroles,

Page 23: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

il renie la cadette au prétexte qu’elle refuse de le payer de mots. C’est pourtant cette dernière qui tentera de le sauver, quand les premières, à force de vexations et d’humiliations, l’auront amené à perdre la raison.Meurtres, mensonges, violences, calculs, cynisme, complots… tout y est, ici, traduit dans une alchimie savante invitant à sortir de tout temps autre que celui d’un théâtre qui ne cache jamais au spectateur ce qu’il est – carton-pâte et fable –, tout en le conduisant à vivre « pour de vrai » ses jeux d’illusions. Des hommes interprètent des rôles de femmes et des femmes ceux des hommes ; les costumes sont d’hier et d’aujourd’hui ; les musiques anciennes alternent avec des partitions contemporaines, surgies de bande-son ou jouées par un petit orchestre ; le bouffon et le tragique.Mais c’est sans jamais sacrifier à la forme la force du propos : le destin d’un homme pris au piège de lui-même, père qui se découvre floué après s’être cru gagnant dans le marchandage des sentiments, Lear n’a plus qu’à s’interroger sur son être (« Y a-t-il quelqu’un qui peut me dire qui est Lear ? » s’écrie-t-il), égaré dans un « vaste monde » qui « se désagrège dans le néant », où « les hommes sont ce qu’est leur temps », et le temps, un temps de malheur « où les fous guident les aveugles ».Cosignée par Jean-François Sivadier et Christian Tirole, la scénographie retrouve les vertus du simple tréteau posé sur le plateau nu. Installé au milieu des hauts murs de la cour, il est d’abord recouvert d’une immense toile rouge sur laquelle les comédiens semblent flotter quand le mistral la gonfle.Bouffon clown magnifique entre Guignol et Coluche Puis, cette dernière, retirée, se révèle un plancher tout en trappes et chausse-trapes, prêt à se disloquer au rythme des événements : orage et éléments qui se déchaînent sur la lande ; préparatifs de guerre.À l’heure du combat, il se partage en chariots sur lesquels les protagonistes s’avancent dans le brouillard, faisant tournoyer une lanterne. L’effet est saisissant. Comme le sont les visions de Kent, fidèle de Lear suspendu dans les airs, les jeux d’ombres projetées sur les façades de la cour ou la course éperdue de Gloucester rendu aveugle, aux accords du « Dies Irae » du Requiem de Verdi.S’appuyant sur une traduction nouvelle de Pascal Collin, les comédiens sont en prise directe avec le public, jouant pour lui, avec lui : Jean-François Sivadier lui-même, qui apparaît en roi de France ; Nadia Vonderheyden, duc de Kent ; Vincent Dissez, le fidèle Gloucester, Vincent Guédon et Stephen Butel, ses deux fils, le premier fidèle, le second traître bâtard ; Nicolas Lê Quang et Rachid Zanouda, ducs respectivement de Cornouailles et d’Albany ; Murielle Colvez et Christophe Ratandra, les « mauvaises » filles de Lear, et Nora Krief, la fille aimante.

Elle interprète aussi le « fou » de Lear, bouffon clown magnifique entre Guignol et Coluche, frêle lutin qui propose ses petites chansons à son roi : Lear, c’est-à-dire Nicolas Bouchaud, acteur exceptionnel, tout en force de vie et de jeu.Poursuivant jusqu’à son terme son parcours tragique sans jamais se départir d’une distance qui rapproche paradoxalement le spectateur de son personnage. Ou, plus exactement, le renvoie à lui-même et à la vérité du théâtre.

Didier MEREUZE, à AvignonRetour

[23/07/2007 http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2309716&imprim=true]

LE POINT « […] Aujourd'hui, c'est le metteur en scène qui répond présent, dans la fosse suprême, là où tout résonne somptueusement, où tout flop est une claque : la cour d'honneur du palais des papes. « Le passage à Shakespeare et particulièrement au "Roi Lear", une pièce qui ne ressemble à aucune autre, fait moins appel à notre raison qu'à notre capacité intime à nous étonner, c'est l'abandon total d'un théâtre des idées », expliquait-il lorsqu'il commença les répétitions. »19 07 2007

Page 24: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Retour

LE FIGARO ARMELLE HÉLIOT.23 juillet 2007

« Le Roi Lear » trône au pied du Palais des papes

AVIGNON (IN) Dans la Cour d'honneur, Jean-François Sivadier réussit son Shakespeare.

AFFRONTANT pour la première fois la Cour d'honneur à Avignon, Jean-François Sivadier réussit à nerenoncer en rien à ce qui fonde son originalité et la force irradiante de propositions singulières et fédératrices. Mettant en scène Le Roi Lear dans une nouvelle traduction, très rugueuse, volontairement prosaïque et truffée d'allusions cocasses de Pascal Collin, il retrouve ce qu'il aime : le tréteau. La magie du théâtre, bois, soie qui palpite dans le vent, trappes, machinerie subtile manipulée à vue, sang comme poudre de riz vermeille, hommes qui jouent les femmes, femmes qui jouent les hommes, coutelas de laiton, lande nue d'un plateau sous les étoiles, ombres sur les hauts murs, courses, emportement, envolées (sans cintres il glorifie les miracles du ciel et c'est époustouflant et beau), adresses au public, jeu avec la salle, jeu dans la salle, gravité et blague, tragique et ricanements, oui, c'est bien l'univers esthétique de Jean-François Sivadier que l'on retrouve avec un profond bonheur dans la Cour d'honneur.Et le vent froid ajoutait son supplément lyrique, les premiers soirs... Sivadier lui-même signe avec Christian Tirole la scénographie, les costumes astucieux et harmonieux de Virginie Gervaise, les lumières de Philippe Berthommé (avec spectaculaires poursuites et ombres qui sontdes personnages), le son, la musique, les maquillages, tout est d'une haute qualité. Douze acteursengagés à vive allure dans cette pièce immense et toujours énigmatique portent comme flammes la tragique histoire du roi perdu. Plus que de pouvoir et d'au-delà, il est aussi beaucoup question d'amour dans cette vision qui ne trahit rien mais fait affleurer en surface les lignes profondes sans effacer la part spirituelle, métaphysique de l'oeuvre immense. L'âme est là, sur les tréteaux comme en son château.Sivadier, qui joue France avec sa tendre autorité, appuie son spectacle sur un trio exceptionnel. Lear, c'est Nicolas Bouchaud, sombre et solaire à la fois, dense et délié, forain et très très fin. Bref, shakespearien.Nadia Vonderheyden est Kent, voix rauque, forte présence, Norah Krief est Cordelia et le fou, selon une tradition qu'aimait Strehler et dont l'inoubliable chanteuse des Sonnets de Shakespeare fait deux chemins fascinants. Tous trois sont de grands interprètes, très personnels et très audacieux, mais la direction d'acteurs est extraordinaire et il suffirait de la bouleversante image de la tempête qui commence intérieurement, qui saisit Lear et son fou, seuls sur l'âpre lande, pour que ce spectacle entre dans l'histoire du théâtre. L'étendue des registres qu'appellent ces rôles est vertigineuse et chacun tient les fils avec une maîtrise totale. C'est drôle, émouvant, inquiétant, déchirant. Mais il faut saluer l'ensemble de la distribution. Tous ont du nerf, de la profondeur. On se dit que du temps de Shakespeare, le théâtre devait être un peu cela. La cour, enchantée et enthousiaste, les ovationne longuement.

[http://www.lefigaro.fr/culture]Retour

L’ HUMANITEAu Palais des papes, le Roi Lear n’a pas pris un coup de vieux

COUR D’HONNEUR . Jean-François Sivadier et les siens escaladent joyeusement la montagne édifiée par Shakespeare, en s’évitant quelques passages difficiles vers le sommet.

Page 25: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Avignon, envoyé spécial.

Jean-François Sivadier propose le Roi Lear dans la cour d’Honneur, dans une traduction nouvelle de Pascal Collin (1). On est d’emblée touché par le plaisir manifesté par la troupe des comédiens d’être là, devant la haute muraille, ce mythe minéral lesté d’âmes passées. Ils nous accueillent avec le sourire, avant que cela ne commence, sur un ton rapide et enjoué, lors du partage du royaume entre les filles du roi, Régane et Goneril, à l’amour filial fallacieux, tandis que Cordélia, qui aime naturellement son père, se voit déshéritée et maudite. La suite va bon train, jusqu’à la scène de la tempête où, sous le déluge, Lear, flanqué du fou, se retrouve démuni, débarrassé de tout, nu, de nouveau souverain par son dénuement même. Cela se gâte dans la seconde partie, après l’entracte, qui voit progressivement le châtiment des apôtres du mal et les retrouvailles de Lear et de Cordélia, celle-ci ayant été ignominieusement pendue, enfin dans les bras ouverts de son père, diminué mais rendu lucide après tant d’aveuglement duquel naquit l’épouvantable désordre.

Une Mise en scène énergique

Il y a, dans ce travail, une vitalité, un concours d’énergies qui forcent l’estime. Tout ce qui a trait à une espèce de clownerie britannique recomposée se tient, jusqu’à l’inversion des sexes dans deux rôles, celui de Kent, féal fidèle de Lear, étant habité par Nadia Vonderheyden - belle présence à la voix rauque - et celui de Régane par Christophe Ratandra, qui exacerbe l’idée de la féminité perverse. On ne sait trop pourquoi mais on s’y habitue vite. Il est un moment de pure grâce musicale et plastique, qui comblerait l’oreille et l’oeil absolus, si l’on peut dire, lorsque Kent, justement, affreusement puni par l’une des mauvaises filles du roi, lequel arpente la scène en jetant ses imprécations, se balance en l’air au bout d’un fil, son ombre portée de part et d’autre sur les parois du palais. On goûte aussi ce que produit Vincent Guédon dans le style d’Orange mécanique, en Edmond, bâtard cruel, parfaite représentation d’un fils dénaturé. Idem pour Gloucester qui aura les yeux crevés (Vincent Dissez), comme sorti d’un livre anglais illustré et Stephen Butel, à la juste voix de fausset, son bon fils devenu le pauvre Tom, moins qu’une bête. Chaque apparition de Norah Krief dans la partition du fou (elle joue aussi Cordélia) constitue un petit miracle poétique. Elle chante à ravir. Elle a l’air d’un « minstrel » délicat, d’un joli polichinelle qui avance dans la fable de façon oblique. En face, Lear, c’est Nicolas Bouchaud, solide gaillard de quarante ans. Sivadier nous dit que la pièce a plus à voir avec la conquête de la maturité qu’avec la vieillesse. N’est-ce pas là faire de nécessité vertu ? Bouchaud, c’est un athlète. Tel Atlas, il doit porter l’oeuvre sur les épaules. Il le fait, avec vaillance. Il lui manque la faille, la faiblesse, les stigmates du naufrage du temps. Du coup, on dirait qu’il ne change pas tout du long. On souhaiterait de courts silences, des blancs, des éclairs de cette fragilité enfantine propre aux vieillards. Cela ne peut-il se trouver à l’intérieur de soi ; rêver le vieillard que l’on va sans doute devenir ?

Pour l’amour du théâtre

Le spectacle s’édifie sur le mode du théâtre de tréteaux, manipulés à vue au moyen de techniques modernes. L’espace de la cour d’Honneur est pleinement investi à l’aide de lumières et de sons. Tout porte le sceau de l’amour du théâtre à partir du corps de l’acteur. Cela va même parfois jusqu’à l’exercice d’école. Je pense à la scène-clé de la tempête, où le chaos du monde est comme provoqué par la faute initiale de Lear, lequel, ici, seul en scène avec le fou entame avec lui une sorte de danse des folies naissantes dans la tête, avant que ne mugissent, dans la bande-son, des puissances infernales.

On dirait que Sivadier et les siens, tout entiers tournés vers l’efficacité immédiate, ont sensiblement laissé de côté l’enjeu proprement allégorique de l’oeuvre monstre, mélange de cruautés et de douceurs ineffables. Il est possible que le texte de Pascal Collin, qui tisse de solides métaphores à quelques facilités actuelles de vocabulaire, n’ait pas poussé à la roue dans le sens du tragique. Poussé à la roue, tiens, ne s’agit-il pas, dans le Roi Lear, d’une roue de feu dont les rayons irradient jusqu’à l’intérieur de l’homme écartelé entre le bas et le haut ?

Page 26: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Jean-Pierre Léonardini

http://www.humanite.fr/2007-07-23_Cultures_Au-Palais-des-papes-le-Roi-Lear-n-a-pas-pris-un-coup-de-vieux

Retour

La VERSION ANDRE ENGEL[Extrait du programme]

Shakespeare s'est inspiré d'une chronique qui situait le règne de Lear bien avant la naissance du Christ. Mais André Engel et son dramaturge Dominique Muller ne souhaitaient pas inscrire la pièce, après tant d'autres metteurs en scène, dans un cadre barbare et plus ou moins préhistorique. Pour se frayer une voie vers les sommets de ce massif mythique, ils ont suivi une autre de ses lignes de crête, plus rarement explorée : celle d'un réalisme aigu, vif et sensible tout à la fois, qui n'est pas pour autant dépourvu d'ironie, tant il est vrai que l'art du montage et de la coupe tel qu'il est ici pratiqué relève d'un cinéma chirurgical.Tout commence donc par un rigoureux recadrage, qui rend à Lear une vigueur et une fraîcheur inattendues. Il suffit en effet d'entrer dans la salle et d'y découvrir le dispositif conçu par Nicky Rieti et André Engel pour comprendre qu'il faudra faire ici son deuil d'un certain souverain des légendes,grand fauve folklorique susceptible d'être apprécié à bonne distance et sans danger dans la cage où le confinent les habitudes dramatiques. Sa nouvelle identité, à déchiffrer en transparence, s'inscrit en lettres géantes sur les vitres dépolies d'un immense hangar : toujours patriarche, le voici désormais chef d'entreprise, à la tête d'un empire plutôt que d'un royaume. La scène de Berthier ne cherche ni à se faire oublier, ni à s'afficher comme telle. Dans les plans de Rieti, l'entrepôt dessiné par Charles Garnier a tout bonnement été ramené à sa fonction première, au point qu'entre ce qui revient au décor et ce qui appartient au bâtiment, un regard non prévenu pourrait hésiter à faire la distinction. Du coup, Lear s'est rapproché. Ses épreuves, sa passion, se déroulent dans un espace «réel» et moderne dont nous sommes presque partie prenante et non simples témoins à l'écart. Et le brouillard qui en assiège les portes n'est plus tout à fait la brume trop commode où noyer les lointains de l'Histoire.

Texte français Jean-Michel Déprats version scénique André Engel et Dominique Muller dramaturgie Dominique Muller / scénographie Nicky Rieti / lumières André Diot costumes Chantal de la Coste-Messelière / son Pipo Gomes maquillages et coiffures Paillette avec Nicolas Bonnefoy, Thierry Bosc, Rémy Carpentier, Philippe Demarle , Gérard Desarthe, Jean-Paul Farré, Jérôme Kircher , Gilles Kneusé, Arnaud Lechien, Lucien Marchal, Lisa Martino,Retour

LE FIGARO

La mise en scène d'André Engel est comme un papillon sur de la neige, d'une délicatesse japonaise. Les armes à feu déchirent pourtant la nuit comme le fracas du tonnerre. Les météores se déchaînent sur la lande dévastée. C'est violent, cela déchire les oreilles, on sursaute, on a peur. Il y a du sang, une cruautéterrible. Mais ce qui demeure, comme le long lamento sous le tumulte assourdissant, c'est un crissement de neige, des flocons qui tombent du ciel. Un homme de haute stature, de dos, lourd des «tortures de cet

Page 27: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

âpre monde» ainsi que le dit Kent, à la fin. C'est tout Lear, toute la densité tragique de Lear, en une image fugitive et inoubliable et dans la voix de Michel Piccoli, il y a ce crissement de neige feutrée, la douceurinfinie et l'éclair d'un Jupiter tonnant lorsqu'il se met en colère...Michel Piccoli est ce roi Lear. Dans le grand espace des Ateliers Berthier, Nicky Rieti installe les entrepôts de cet homme d'affaires qui, au soir de sa vie, veut partager son empire... C'est superbe et on accepte immédiatement la transposition comme la version scénique brève (2h40 sans entracte) composée par Engel et Dominique Muller d'après la très belle traduction, tellement précise et vive, de Jean-Michel Déprats. Ici, on n'explique rien.Comme dans Shakespeare. Le rythme est rapide. Pas une seconde de perdue. Autour du roi douloureux qui, littéralement, s'égare, la distribution est en tout point magnifique. Ce Roi Lear se joue à une hauteur immense et chaque comédien mériterait que l'on analyse longuement son travail. Tout ici se donne dansune subtilité sensible bouleversante qui n'interdit jamais la puissance et l'effroi.

Le 23/01/2006, Armelle Héliot pour le Figaro Retour

FLUCTUAT

Citizen Lear Le roi Lear - André Engel

Au théâtre de l'Odéon jusqu'au 25 mars 2006

Aujourd'hui, le pouvoir c'est l'argent. Alors André Engel transpose l'histoire au début du 20e siècle, dans l'entre-deux guerres. Le roi Lear devient Citizen Lear, son royaume la société Lear Enterprises. Un Roi Lear business en demi-teinte, interprété par Michel Piccoli. Comment monter cette pièce sur la folie sans en faire trop (peu) ?Lear est vieux. Il aimerait se reposer un peu, laisser ses filles s'occuper de ses affaires. Il irait loger chez chacune d'entre elles à tour de rôle. Mais, alors qu'il réclame des preuves d'amour avant le partage, il s'offusque de la retenue de la benjamine, pourtant sa préférée, et la déshérite sur le champ. Saute d'humeur qui fera son malheur.

Citizen Lear

Aujourd'hui, le pouvoir c'est l'argent. Alors André Engel transpose l'histoire au début du vingtième siècle, dans l'entre-deux guerres, époque qui évoque autant la prospérité économique, synonyme de la gloire passée de Lear, que l'imminence d'un chaos. Le roi Lear devient Citizen Lear, son royaume la société Lear Enterprises. Dans un tel contexte, les hommes portent des costumes sombres, les filles sont frisées au fer, les messages se reçoivent par téléphone et les sentiments sont sacrifiés à la froideur du monde des affaires.

Comme au cinéma

La salle des ateliers Berthier, avec ses allures de gigantesque entrepôt, est parfaitement adaptée à cette transposition business. En fond de scène, illuminée en bleu, une immense baie vitrée, avec la raison sociale de la société en lettres inversées. Les intérieurs cossus sont simplement suggérés : ici, un siège en cuir, nous sommes chez Lear, là, un plafond de lustres de cristal et un piano, nous voici chez Goneril, là encore, trois grandes portes en chêne et un pick-up, voilà le domaine de Gloucester. De la même manière, quelques éléments suffisent à figurer les espaces extérieurs : portes coulissantes pour les abris de fortune, quelques feuillages pour le repère du pauvre Tom, neige qui tombe sur un espace nu pour la lande... L'attention se déplace d'un lieu à l'autre au gré des éclairages, dans un défilement de séquences quasi-cinématographique. Les noirs sont particulièrement beaux. Beaux et magiques : ainsi de l'apparition inattendue, dans la première scène, des trois filles de Lear, chacune leur tour, sur le siège face à leur père.

Page 28: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Une interprétation au ras du texte

Faire de Lear un homme d'affaires, ce n'est pas tendre vers un lyrisme fou. Et de fait, André Engel nous propose un roi Lear tendance réaliste. Le texte, dans sa traduction très actuelle de Jean-Michel Déprats, supporte d'ailleurs parfaitement le ton naturel adopté. Les personnages, Lear en tête, agissent tout en retenue, dans un calme étrange. Michel Piccoli, qui interprète Lear, a l'âge exact du rôle, quatre-vingts ans. Il n'a même pas à jouer : son souffle fatigué, son aura naturelle, sa silhouette imposante, il est le roi Lear. Mais du coup un Lear bien posé et tellement flegmatique dans ses discours insensés qu'on a du mal à percevoir la perte de raison. Les autres comédiens le suivent dans ce jeu très au ras du texte. Seul Gérard Watkins, curieusement, place son jeu d'acteur à un autre niveau, en composant pour Edmond, le bâtard mal dans sa peau, une démarche malhabile, une voix nasillarde et un phrasé sournois.

Un réalisme froid

Autour de tant de passions contenues, l'orage gronde, beaucoup et souvent, car il faut bien qu'une certaine tension, inhérente au texte, jaillisse de quelque part. Avec parfois un décalage désagréable entre la violence des coups de tonnerre et la faiblesse du volume des voix. Le public sursaute également à quelques attaques d'explosifs au niveau sonore particulièrement élevé. Artifices qui ne suffisent pas à départir le spectacle d'une vraie froideur très décevante. On aurait aimé un peu plus de folie...

Catherine Richonhttp://www.fluctuat.net/2795-Le-roi-Lear-Andre-Engel

Retour

Entretien avec Agnès Lefillastre, professeur de lettres modernes

Grandeur et décadence d’un chef de clanFrançais, première L, option théâtre

Tenté par l’aventure

Transposition dans les années trenteshakespearienne, le metteuren scène André Engel s’est lancé dans une mise enscène du Roi Lear en 2006sur l’imposante scène del’Odéon-Ateliers Berthier d’après un texte français deJean-Michel Déprats qui allège la pièce originale. Ilse détourne ainsi d’une tradition théâtrale en proposant un spectacle plus court et plus sobre. Même si le rôle titre est confié à un monstre sacré, Michel Piccoli, la folie qui se déploie dans la pièce reste contenue. C’est l’erreur d’un vieil homme d’affaires qui, un soir par orgueil, propose à ses filles un étrange pacte : dire et mesurer leur amour paternel en échange d’une part du royaume. La plus jeune, celle qui refuse la flatterie, se voit déshéritée. Mais le vieux roi dont la raison déjà vacille est vite désabusé par la cupidité des filles aînées qui refusent au roi sa garde. Il erre dans une nature enneigée et se dévêt progressivement de son identité.

> Quels infléchissements du sens entraîne le choix de la transposition à une époque récente ?Placer Lear à la tête d’une entreprise dans les années trente bouleverse la figure très théâtrale du roi shakespearien. Dans l’immense entrepôt désaffecté, le vieux roi déchu devient un capitaine d’industrie sur le déclin. Tout cérémonial disparaît; il ne subsiste de l’autorité royale que les ruses de l’homme retors (l’enregistrement des éloges de la fille aînée pour contraindre la cadette) et les accès d’humeur de l’homme de pouvoir. La convocation des filles en vue de partager le royaume ne se déroule plus en public comme dans la pièce de Shakespeare ; elle s’égrène en trois courtes scènes dans la solitude, à l’écart de la

Page 29: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

vie qui s’entend hors scène. La tragédie du roi Lear se joue d’emblée dans l’intimité. Plus de trône d’apparat mais un simple fauteuil couvert d’une housse, le roi a troqué son sceptre contre une canne et sa couronne contre une mallette d’homme d’affaires. D’emblée le spectateur découvre l’enseigne aux lettres inversées, dépourvue du titre de roi. Ce nouveau titre «Lear entreprise & co » qui domine tout le spectacle concentre le thème de la perte de l’identité. Cependant, Lear retrouve ici et là des pauses altières quand il devise dans la neige. On recensera les éléments du décor, plus proche de la sensibilité du spectateur du XXe siècle, qui renvoient à la période de l’entre-deux-guerres : les sacs au nom de l’entreprise Lear, le phonographe de la maison de Gloucester avec ses deux fauteuils moelleux disposés de part et d’autre d’une porte qui font songer à un hall d’hôtel, le téléphone mural… C’est un monde suranné, désenchanté, aux couleurs froides. Mais ce décor, s’il paraît homogène par ses couleurs grises et ocres, n’est pas une copie naturaliste des années trente.On observera le grand nombre de lustres dans le salon de Goneril qui évoque l’excès de la maîtresse de maison, son goût du luxe et de l’apparence, s’opposant à l’obscurité de la lande sur laquelle erre le roi Lear. On remarquera également ce qui, dans le salon très mondain de Goneril, subsiste de l’univers de l’entrepôt de Lear : le tableau d’affichage, les murs gris et la fenêtre grillagée.

• Comment la folie est-elle jouée ? La démence de Lear paraît toujours contenue même si le roi se laisse aller à quelques éclats de voix quand il renie ses filles. Mais ce sont essentiellement ses yeux hagards, fuyants, aussi aveugles que ceuxde Gloucester, qui expriment la folie du vieux roi, seul et sans repères. Ses costumes permettent de suivre son évolution : il abandonne le smoking pour se transformer en vieux chasseur, puis abandonne sa veste dans la neige quand le sage Funiculi se protège sous une bâche, enfin se dénude, tout comme le mendiant Tom. Il philosophe en se couvrant d’un vieux filet de pêche. Ce n’est qu’après ses retrouvailles avec Cordelia qu’il recouvre sa dignité de patriarche en robe de chambre de satin rouge.La folie d’Edmond est suggérée par les déplacements de profil de jardin à cour, par un phrasé particulier et par la répétition de certaines phrases obsessionnelles: on reconnaît en lui les signes cliniques du malade. La folie des soeurs se caractérise par une crispation et une gesticulation qui s’accroissent au fil de la représentation. Goneril boit, fume, crie. La folie meurtrière déclenchée par la décision inconséquentedu roi éclate à la fin de la pièce avec les coups de feu et les cris dans l’obscurité.Un plateau couvert de neige piétinée dénonce à la fin de la représentation le grand désordre et la solitude.Plutôt que de violence, il s’agit surtout d’une tension permanente qui règne sur le plateau avec les éclairages bleutés très froids. La lumière chaude de la fête italienne dans la première scène ne parvient pas à pénétrer le plateau. Quant aux murs nus et à la verrière, on se demande s’ils font partie du décor fabriqué pour la scénographie ou s’ils appartiennent aux ateliers Berthier où se jouait la pièce.

Une mise en scène cinématographique

- Montrer que le réalisme adopté est celui du film noir américain. Comment la scénographie tente-t-elle de recréer le mouvement propre au cinéma?

On recensera les composantes habituelles du film de gangster : personnages et situations. On retrouve l’atmosphère tendue des années 1930 au moment de la montée du nazisme : la brutale irruption des armées sur scène n’est pas sans rappeler l’invasion hitlérienne. Mais le spectateur reconnaît davantage la guerre des clans durant la période de la prohibition aux États-Unis avec les nombreuses scènes nocturnes. Les Gloucester dégainent volontiers leurs armes à feu; ils portent gants de cuir et feutres mous, fument des cigarettes et conspirent clandestinement à la lueur d’un réverbère

Retour

La VERSION GIOGIO STREHLER

Page 30: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Appunti di regia del Re Lear

Appunti preparatori per l'allestimento dello spettacolo del Re Lear andato in scena nel 1972 e ripreso nel 1973, 1974, 1977, e 1978

Appunti per il «Re Lear» stagione 1972-1973 Non trascurare nel Lear un dato di fatto: la «favola» di Leir-Lear per Holinshed è datata nel 3105 dalla nascita del mondo (55 anni prima della fondazione di Roma).In Israele regnavano Guida e Geroboamo.La tragedia è stata mantenuta da Shakespeare in una lontananza alle soglie del tempo, non fuori tempo, ma non storicizzata.In tale modo si ottiene una «astrazione» delle situazioni senza però perdere del tutto una «connotazione storica» possibile: cioè storia di uomini in un certo tempo.Solo che il tempo è remotissimo.La più remota tragedia di Shakespeare; notare che non a caso si parla qui di Dei e non di Dio.Non portarla nel vuoto.Non farla diventare un pretesto storico.È certo che la prima scena ha come nucleo un love-test di fama popolare: la figlia o le figlie che dicono o non dicono di amare il padre come il pane e il sale.Evidentemente dunque: un rituale a senso unico, con soluzione stabilita a priori. Esso serve a «dare una forma» ad un atto pubblico, con la «rappresentazione» della ubbidienza dei figli ai padri e quindi dei giovani ai vecchi. Come tutti i rituali essi non possono essere né mutati né tantomeno capovolti. Essi seguono una loro logica simbolica di gesti e parole.Il fatto che insistessi sul carattere di prologo della prima scena, nel suo nucleo, di «cosa data a priori», ha dunque un suo fondamento preciso. Non è una «recita» per divertire Lear, non è una invenzione di Lear o una sua bizzarria. È un «fatto» che si deve fare e che sanziona praticamente la sua abdicazione.Lo sconvolgimento di Lear è quello dell’officiante che vede il blasfemo, che si avvicina all’ostia e la sputa per terra. È incredulità ed è orrore e smarrimento. E altro.Le reazioni sono a senso unico, sebbene di tipo diverso secondo i diversi caratteri. Quello di Lear reagisce come reagirebbero tutti, nel fondo, ma con il suo particolare modo: ira, maledizione, grida, collera, ecc. ecc.Cordelia insomma spezza tutto un giro rito-costruzione storica e «senza avere avvertito», di colpo, inattesa!È chiaro che in questa versione la posizione di Kent diventa ancora più difficile. Kent si oppone alla violenza del re, certo, ma deve sapere che il re «ha ragione».Forse non si aspetta nemmeno lui che Cordelia spezzi il nodo, ma non si aspetta nemmeno che il re «prenda così sul serio» l’atto di Cordelia ... Però… La storia potrebbe essere raccontata così: il vecchio Re Lear, deciso ad abdicare e delegare il potere alle sue figlie e per esse ai loro mariti e dividere fra di esse il suo regno, decide la spartizione e la solenne cerimonia che sanzionerà l’avvenimento. A questo scopo viene usato il rituale del «love-test», pubblicamente.Egli spiega l’antefatto della spartizione e poi pone le domande rituali alle tre figlie. Le prime due rispondono come devono, con atto di sottomissione completa. La terza, la più giovane, si ribella alla «forma» rituale, che le appare vuota ed inutile. Il vecchio re, di fronte allo scandalo e di fronte al grave attentato alla sua regalità, al sistema stesso su cui poggia il suo potere e lo stato, disereda la figlia e la dà in sposa al re di Francia che se la porta via, all’estero. Cordelia Cordelia da tempo ha capito di quale stampo sono fatte le sorelle ed i rispettivi mariti, ha capito che la decisione del re è errata, che i tempi sono ormai maturi per un’altra forma di vita e di rapporti e che grave pericolo correrà il padre stesso quando realizzasse il suo desiderio.

Page 31: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

La figlia più giovane sceglie al tempo stesso il momento più giusto e quello più errato per significare al padre il suo pensiero. Ma ella non è una politica, è una «sentimentale» con un forte carattere, propenso all’introversione e, con ogni probabilità, al tempo stesso irriflessiva e testarda come il padre. In Cordelia esistono alcune qualità e difetti del padre e sono proprio questi che in un dialogo che spezza la calma del rituale del «love-test» rende insanabile il contrasto tra i due.Basterebbe un poco più di umiltà da parte di Cordelia, un poco più di flessibilità politica, un poco più di capacità di spiegare a parole i sentimenti più profondi per chiarire, forse, l’equivoco. Ma i due, troppo simili in fondo, si allontanano sempre più.Il re è convinto che la mancanza di Cordelia alle formule del «love-test» nasconda una reale mancanza di amore e nel tempo stesso sia la manifestazione della più aperta ribellione ai suoi voleri, e insieme, ai voleri della legge che è come è sempre stata.

L’atteggiamento di Cordelia è ribelle, pericoloso per l’unità politica del suo disegno. Deve andarsene. E la scaccia senza terre né dote. Se la prenda il primo che vuole. Nel caso specifico: il re di Francia. Costui accetta di sposare ugualmente Cordelia privata di ogni bene (a differenza di Borgogna che rifiuta). Probabilmente per due ragioni che collimano, in questo caso: affetto o amore verso Cordelia e ragione politica, in quanto un matrimonio con la figlia ripudiata e che è stata privata della sua parte di regno potrà forse essere in futuro una «ragione di stato» per intervenire negli affari del regno di Britannia. Si vedrà col tempo. Il Fool Il Fool che sparisce alla fine del terzo atto (cosiddetto), comunque al centro quasi della tragedia? Perché? Se c’è un perché. Ma il perché che si cerca non è logico ma poetico. Lear è al massimo della cecità. È solo con se stesso. Perché il Fool lo lascia per sempre? (per noi è «per sempre»).Comunque l’ultimo gesto del Fool non è la sua battuta famosa «e io andrò a dormire a mezzogiorno» (cioè assolutamente fuori tempo). Indicazione di una morte prematura. Bradiev pensa addirittura che si sia ammalato per la pioggia e il freddo e che si senta male!Il Fool esce «portando con Kent e Gloster» il corpo inerte del vecchio Lear. È questo corteo che segna la fine della sua parte. Ed è naturale che la didascalia non shakespeariana faccia parte della logica dell’azione fin dalla prima rappresentazione. Quindi è valida.C’è poi la battuta di Kent, indiretta, per il Fool che «suggella» un rapporto di tenerezza tra lui e il vecchio. È un epitaffio comunque, per il ruolo, la figura.Bisogna partire probabilmente dalla fine.Resta sempre un punto interrogativo, tra tanti altri, da svelare.Nei miei primi appunti c’è una indicazione del tutto intuitiva: Fool-Cordelia. Quando sparisce Cordelia appare il Fool, quando il Fool sparisce riappare Cordelia.Ciò è evidente ma di per se stesso non giustifica una identificazione di Cordelia col Fool. Certamente crea una «premessa», come dire, di strano malessere, di coincidenza che «risulta» più scenica che letta. Non di più. Più tardi soccorre una citazione del Bradley, che presuppone che tale sparizione-apparizione duplice sia dovuta al fatto che al tempo di Shakespeare l’attore che impersonificava Cordelia recitasse anche la parte del Fool. Bisognerebbe controllare tale affermazione: su quali basi è nata, dai registi? (non credo); dalla tradizione? (non mi pare); da quale notizia allora?Dall’altra parte Lear non è una tragedia così «piena» da richiedere doppioni in gran numero. Tuttavia una spiegazione relativa potrebbe essere il fatto che ragazzi adatti a recitare le parti di Cordelia, Regan e Goneril non dovevano essercene molti (le parti di giovani donne in Shakespeare sono sempre limitate, anche per questo evidentemente).Tre ragazzi in tre parti femminili, dunque. Tutti sfruttati. Se, a questo punto, il testo richiedeva un «ragazzo» (boy) per il Fool poteva essere naturale doppiarlo o pensare ad una metodologia di palcoscenico per farlo. Qui nasce però il problema dell’età del Fool. Era necessario che il Fool del Lear fosse giovane (boy) Si potrebbe continuare con le congetture «di necessità» all’infinito.Giova piuttosto esaminare altre congetture, poetiche, e controllare se esse possono avere un senso.

Page 32: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Qui si entra in un mondo oscuro, di sensazioni sfuggenti, di sensibili intuizioni che possono sfiorare l’immaginifico, l’elucubrazione intellettualistica e altro.Una cosa mi pare però certa: c’è qualcosa di misterioso in questo legame, inesistente in apparenza, tra il Fool e Cordelia. Lo si sente e non si spiega. Persino il Bradley parla di un Fool che «ama Cordelia e che è rimasto a soffrire quando Cordelia è andata via». Il Fool è il Fool di Cordelia più che di Lear.In un certo senso appare che il Fool è un «prolungamento» della presenza di Cordelia. Per Bradley, in termini naturalistici caratteriali, «il povero Fool che tanto amava Cordelia» (vedi battuta) è un «ragazzo» non del tutto pazzo, ma...O il Fool fa sentire di più l’assenza di Cordelia? Infatti i suoi primi argomenti-lazzi-rimproveri sono gli stessi di Cordelia: il vecchio re sbaglia, è pazzo. Perché non prende la berretta del pazzo? Le due figlie sono diverse da quelle che crede (ecco la frase di Cordelia) e si riveleranno presto per quello che sono.La verità però più segreta per me è questa: il Fool è la «persistenza» di un bene che è stato cacciato via. Cordelia-Fool-Lear C’è nel legame Fool-Lear una tenacia profonda ed inesprimibile di affetti, di complicità ed anche di «tenerezza» ad un certo punto. E poiché il «bene» – per noi – era quello di Cordelia cacciata, come per altro verso quello di Kent cacciato anch’esso, ecco che il Fool «tiene luogo» di questo bene in altro modo. È il bene rimasto, il rapporto «umano» rimasto e che rimarrà. Appunto la persistenza.A questo scopo mi farei una domanda retorica ma illuminante: ammettiamo che il Fool non sparisca, misteriosamente, e che continui a stare vicino a Lear. Che lo segua anche nel «dopo».Cosa avverrebbe, cosa potrebbe fare, quali sarebbero i rapporti suoi con Lear? Per quanto ci pensi non riesco a vedere dei rapporti praticamente possibili.Prendiamo una scena: quella del risveglio di Lear con Cordelia e le seguenti. Potrebbe esserci il Fool, e se sì cosa dovrebbero fare o dire? Nessuno mai potrà tentare di inventare ciò che un poeta non ha fatto. Ma si può tentare di seguire una traccia plausibile di presenza. Non c’è posto per il Fool dopo la «pazzia» di Lear. E non erra chi dice che il Fool sparisce quando ha portato Lear alla pazzia. Il suo ruolo finisce lì. Non solo, però.Il fatto è che il Fool serve a Lear «solo» in fase negativa del personaggio Lear, come commento alla sua negatività. Non può servire quando il personaggio Lear riemerge dal buio ed è nuovo, cioè opposto a quello che fu. In questo caso il Fool dovrebbe diventare l’opposto anche lui di quello che fu. Un Fool che «come prima» commenta e irride e parla e canta e spiega per enigmi e giochi non più «la follia» di Lear, l’errore di Lear, il disumano di Lear, ma il suo umano, la sua saggezza conquistata, il suo amore ritirato?Impossibile. A un Lear nuovo, il Fool dovrebbe trasformarsi in un fatto nuovo, probabilmente tutto comprensione, dolcezza, tenerezza, affetto, trepidazione; (ciò che noi sentiamo che è «sotto» al Fool ma assume veste variopinta prima). E poiché ciò non è possibile o almeno non pare possibile ecco che il Fool deve sparire. Non c’è più bisogno di lui ma di un altro termine d’affetto e di presenza. Cioè Cordelia.Lo so che tutto ciò – e lo dicevo – è sfuggente, è «sensibile» quasi, o peggio. Ma resta inoppugnabile il fatto che:a) il Fool accompagna Lear nella sua disgrazia-follia-cammino di conoscenza e lo accompagna come «presenza», se non femminea, certo «non virile»;b) che la presenza «virile» la dà Kent (anche se travestito: «chi sei tu?» – dice Lear – «A man» risponde Kent).Il problema Fool-Cordelia è certo uno dei più enigmatici, pazzeschi problemi che mi sia stato dato di incontrare. Tanto strano da domandarsi se esso esista o non sia invece un parto di fantasia...Mi viene di farmi un altro gioco del pensiero: poniamo che l’attore (boy) fosse lo stesso. Cosa poteva succedere nella rappresentazione shakespeariana? I doppioni non erano poi così comuni, né usati per parti «importanti» o per due parti importanti. Mi pare che la «convenzione» di questo genere non fosse una delle tante convenzioni in uso nel tempo. Come non lo è con i Comici dell’Arte.Non ce n’è bisogno, del resto. Tutto è combinato e sufficiente per l’organico della compagnia.Il pubblico doveva «riconoscere» nel Fool Cordelia e alla fine viceversa? Probabilmente riconosceva solo qualche cosa, alcuni timbri di voce, qualche caratteristica «inalienabile» e niente di più, tanto i personaggi sono lontani. Ma doveva forse riconoscere un «legame» misterioso, impalpabile.

Page 33: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

La tempesta La luce è immobile, da diluvio universale, chiarissima, lancinante, trafiggente. Come la luce di un lampo interminabile o arrestatosi nel momento della scintilla. Poi buio. Poi un altro, a lungo. Scandito nel vuoto, a intervalli. Nudo nella luce impietosa di un fulmine che non si spegne.Il problema della tempesta è un problema acustico terrificante. O semplicissimo, trovata la chiave.Il punto più difficile di ciò, è il risveglio di Lear. La musica che accompagna il risveglio di Lear. Due soluzioni iniziali. L’oboe elisabettiano, solo, che «risillaba» accanto a Lear (invisibile ma vicino e vero) un tema sommerso. O un suono di voci umane calme, piano, lontano; col pericolo che diventino metafisiche, o voci del sogno di Lear od altro.Grande impressione per il «quarto atto» ma soprattutto in modo sconvolgente ed inaspettato per la scena del «risveglio» di Lear con Cordelia.Dopo «la tempesta» di Lear, la follia degli uomini, la cattiveria, il sangue ed il dolore, appare una incredibile pace. Lear si risveglia, anzi sta risvegliandosi. Ed è qui che è avvenuto il «capovolgimento», qui la conquista della «verità» che è al di là delle cose.Chi parla è ancora Lear ma al tempo stesso un altro: parla con acutezza e soprattutto con una infinita tristezza; lui che non ha mai conosciuto il distacco, la tristezza, la malinconica contemplazione della vita.È un monologo lento, calmo, sereno, direi, da un «altro mondo».L’effetto è stupendo, drammaticamente perfetto. È stato scelto il momento giusto perché avvenga. È «un colpo di scena» di una grandezza assoluta, perché semplice, perché logico, perché naturale, perché poetico, perché drammaturgico, perché...Non ci sono problemi per la realizzazione. Semmai uno iniziale, quello della musica, dell’attesa. Ma anche questo meno, risolto il problema del «dove» e «come» stanno Lear e Cordelia, il «luogo» drammatico (è sdraiato Lear? Certamente, non può non esserlo. Ma: su un letto grande o altro? O per terra? Dovrebbe a mio avviso essere per terra, rinascere dalla terra come un «neonato vecchissimo». Se è «per terra», cosa ha sotto? Se ha sotto qualcosa, non è più «per terra»!).Il resto è semplice, fino all’uscita di Lear che se ne va solo, nel vuoto. Ma non piange, non si dispera, sorride quasi e scuote un poco la testa in un «no» misterioso mentre esce e fissa per un attimo gli «altri».Cordelia che aspetta il risveglio di Lear. La «carezza» sulla fronte per liberarla dai bianchi capelli, «il pallido elmo». Le parole di Cordelia sembrano dedicate ad un «altro uomo».Cioè sono un «anticipo» di quello che Lear ci apparirà tra poco. Ma non lo sappiamo. Questo è genio. Si potrebbe pensare che, per Cordelia, Lear sia apparso un poco «sempre» così, vecchissimo e tenero. Forse Cordelia con l’occhio del cuore ha visto sempre la «bontà» di Lear, che è al di là della sua collera e del suo dispotismo. Un uomo vecchissimo come un bambino Sempre la scena del risveglio di Lear.Una immagine lancinante: un uomo vecchissimo come un bambino appena nato da un sonno di morte, bianco e diafano, le mani raccolte, piccole unghie incredibilmente trasparenti, nel grembo di una giovanissima quietamente seduta, composta, che gli accarezza lenta i capelli, li scosta dalla fronte piena di crepe azzurre come vene sottilissime. Il gesto dolcissimo, il sorriso, la tenerezza, la pena, l’amore, la pietà per la vita che ritorna, che riaffiora. Il vecchio ha le ginocchia piegate, i pugni quasi stretti, e respira appena. Poi apre gli occhi e fissa quelli della giovane. Il vecchio è il padre. La giovane è la figlia. Il padre che rinasce alla vita (la più vera di sé) dalla figlia che l’ha «amato sempre». La figlia-madre, eternamente.Il cerchio della vita e delle età che si chiude in un gesto. In un atto d’amore.Alla fine, quando Lear porta dentro Cordelia, Cordelia è nelle sue braccia: l’idea di un fantoccio rotto, un fantoccino pallido, esangue, dal viso bianco bianco. Lear la porta proprio come un fantoccio, quasi facendogli trascinare le punte dei piedi per terra, tenendolo abbracciato, al petto, con fatica perché pesa, nonostante tutto. I piedini sfiorano il fango e qualche volta strisciano lasciando una riga più lunga.L’avanzata è faticosa. Poi sul davanti (al centro? più avanti ancora? sulla passerella dopo aver tirato giù Cordelia-fantoccio morta?), la lascia andare a terra, scomposta, e la guarda in ginocchio, come un

Page 34: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

bambino antichissimo che guarda il suo giocattolo rotto. Con curiosità. Qui arriverà la battuta «my poor Fool is hanged».Oppure durante le battute di Kent, Lear avrà incominciato a toccare il fantoccio-Cordelia, a darle piccole scosse, ritirandosi per vedere l’effetto del colpo, tirandola poi per le braccine, poi sollevando un braccino per il polso, in alto, piegandolo un poco e poi lasciandolo.Il braccino ricade morto e resta. Lear allora, proprio alla battuta, in ginocchio, accucciato ha un lampo. La fissa, si allontana col busto, si riavvicina lentissimo con le palme a terra, fissando Cordelia faccia a faccia e mormora, adagio, con orrore tenerissimo, al di là del male: - «Ti hanno impiccato, povero Matto mio!».E furiosamente se la stringe al cuore, mentre le braccine inerti dondolano nel ritmo di una straziante ninna nanna, perduta, immemore.

Retour

LA VERSION LAVAUDANT 

LE POINT 1996 N°1229 Shakespeare en majestéThéâtre - Shakespeare revu et corrigé emballe le public français. En six mois, trois de ses drames ont occupé le devant de la scèneLe secteur public du théâtre subit de temps à autre des mutations aux allures de mouvements préfectoraux. Sous ces nominations de chefs de troupe et d'établissement, c'est aussi un art dramatique bien vivant qui manifeste son dynamisme. Ainsi de la promotion de Georges Lavaudant, fondateur en 1968 du Théâtre partisan à Grenoble, codirecteur avec Roger Planchon du TNP de Villeurbanne depuis 1986, et qui prend ce mois-ci, juste avant d'atteindre la cinquantaine, la direction d'une des plus importantes institutions nationales, le Théâtre de l'Odéon. Pour carte de visite, Georges Lavaudant choisit de nous présenter un « chef-d'oeuvre » au sens primitif du terme : un ouvrage d'une grande maîtrise qui témoigne, plutôt que d'un ténébreux génie, de l'excellence de son artisanat et de la pertinence de ses ambitions.La tragique résonance humaine L'ambition, elle est d'abord dans le choix du répertoire : Shakespeare et, chez Shakespeare, la tragédie la plus folle, la plus sanglante, la plus obscure. Au lieu de profiter des opportunités hétéroclites qu'offre le superbe bazar shakespearien, Georges Lavaudant veille à démêler l'écheveau des intrigues, à mettre en valeur les motivations des personnages excessifs et fluctuants, à mettre en scène ce qui est justement le sujet de la pièce : l'humain distingué de l'inhumain (l'animal, le monstre) et du surhumain (le destin). Cette secrète pédagogie sous-tend un spectacle aux fulgurants éclats, grâce à la magie de l'espace scénique, à la virtuosité des lumières, au juste dosage du bruitage et à une distribution d'une belle cohésion d'où émergent deux comédiens exceptionnels.Dans l'écrasant rôle-titre (693 lignes de texte), Philippe Morier-Genoud reprend, en l'intériorisant davantage, la composition du roi fou qu'il a initiée il y a vingt-deux ans (il avait alors 30 ans) pour la première mise en scène de « Lear » par Lavaudant. Dans le rôle d'Edgar, le fils légitime du comte de Gloucester, dont le verbe et l'épée dénoueront l'intrigue, Philippe Demarle réussit un festival de double jeu dont il parvient à traduire simultanément la tragique résonance humaine et le pétillement d'une intelligence à l'oeuvre. La plupart des membres de la troupe, collaborateurs de création et comédiens sont associés au travail de Georges Lavaudant depuis plus de deux décennies. Georges Lavaudant, passionné de littérature, de cinéma, auteur dramatique et grand voyageur, nous promet des aventures plus aléatoires que son « Roi Lear ». Nous savons au moins que ses explorations futures seront basées sur une expérience dont la maîtrise et la continuité inspirent confiance.Avec cette authentique réussite, c'est aussi la vie nouvelle de l'oeuvre de Shakespeare sur les scènes françaises qui trouve une éclatante confirmation. Ce sont les gens de théâtre plutôt que les éditeurs qui, las de l'orthodoxie poussiéreuse des traductions héritées du XIXe siècle, ont pris l'initiative de nouvelles « adaptations » pas toujours bien fidèles, ni bien sérieuses, qui ont débloqué l'iceberg du Shakespeare-en-français. Ensuite, les hommes de l'art, poètes, traducteurs, historiens, metteurs en scène et comédiens ont

Page 35: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

uni leurs efforts pour une meilleure connaissance de l'oeuvre originale et une transcription en langue française plus juste et mieux adaptée à la scène. Ainsi, pour l'actuelle saison, pouvons-nous jouir d'un « Roi Lear » à la fois exalté et clarifié par l'association Daniel Loayza-Georges Lavaudant, après avoir salué la véritable redécouverte du « Songe d'une nuit d'été » au Théâtre des Amandiers à Nanterre, grâce à une mise en scène de Stanislas Nordey sur une traduction de Jean-Michel Desprats. Sans oublier la révélation de « Peines d'amour perdues », monté à Corbeil par Jean-Claude Pinchenat dans une nouvelle traduction du comédien Jean Gilibert. En six mois, trois des pièces les plus poétiques, les plus riches mais les plus confuses de Shakespeare ont trouvé leur juste clarté pour enchanter le public français. Avec le champ de la connaissance, c'est aussi le champ de nos plaisirs qui s'ouvre davantage.« Le Roi Lear », de William Shakespeare. Traduction : Daniel Loayza. Mise en scène de Georges Lavaudant, avec Philippe Morier-Genoud, Sylvie Orcier, Marc Betton, Philippe Demarle Georges Lavaudant (50 ans l'année prochaine) est né à la vie comme au théâtre à Grenoble. Sa première troupe, le Théâtre partisan, programme des « créations collectives » : on l'a compris, nous sommes en 1968. Mais, du petit théâtre Rio au Centre dramatique national des Alpes, il propose des spectacles de plus en plus élaborés, avec un penchant marqué pour les collages de textes littéraires : Le Clézio, Borges, Kafka figurent parmi ses auteurs de prédilection. Mais Brecht, Pirandello, Shakespeare sont largement à l'honneur, jusqu'à ce qu'il découvre un nouvel auteur, lui-même, avec des spectacles (« Vera Cruz », « Terra incognita ») qui se réfèrent à ses voyages et à son amour du Mexique. Depuis dix ans, Georges Lavaudant, chef de troupe respecté, metteur en scène inventif (qui règle ses propres éclairages), partageait avec Roger Planchon la direction du TNP de Villeurbanne. Il a aussi monté des spectacles à la Comédie-Française (« Le balcon », « Hamlet ») et à l'Opéra (« Roméo et Juliette » de Gounod). Il succède, à l'Odéon Théâtre de l'Europe, à l'Espagnol Lluis PasqualRetour

L’HUMANITE 1996Montre-moi ton Shakespeare je te dirai qui tu esPhilippe Morier-Genoud joue le rôle-titre du « Roi Lear », de Shakespeare, dans un texte français de Daniel Loayza, qui ouvre le règne de Georges Lavaudant à l’Odéon Théâtre de l’Europe (représentations jusqu’au 12 mai dans la grande salle, avant le TNP Villeurbanne, du 20 mai au 1er juin). A Nanterre-Amandiers, c’est Jean-Pierre Vincent qui a mis en scène « Tout est bien qui finit bien » (jusqu’au 13 avril 1996), pièce qu’il a traduite au côté de Jean-Michel Déprats.A la Bourse du théâtre, Shakespeare, c’est une valeur refuge. Au seul énoncé de son nom, on entrevoit briller des trésors. Reste à savoir comment, sur scène, convertir ses actions en espèces sonnantes et trébuchantes d’émotions. Nous vivons de surcroît dans un temps de mémoire courte, où les jeunes générations sont sollicitées par quantité de spectacles et divertissements où la culture a peu de part. Monter Shakespeare ou Molière, bref les classiques, cela revêt donc un intérêt civique indéniable. En ce moment, par exemple, deux grandes salles, animées par deux hommes de théâtre de renom, inscrivent Shakespeare à l’affiche.C’est ainsi que Georges Lavaudant inaugure sa direction de l’Odéon Théâtre de l’Europe avec « le Roi Lear ». En 1974 et 1976, à Grenoble, il s’y était déjà vaillamment attelé avec sa troupe. Rebelote aujourd’hui, sur une autre échelle, avec les mêmes interprètes à quelques variantes près. Cette représentation a pour mérite qu’on n’y sent pas le temps passer, le « timing » apparaît savamment contrôlé, la transition entre les scènes est ponctuée par un concert de crécelles dans la pénombre qui signifie le choix carnavalesque en vigueur. Une grâce joueuse préside à ce travail élégant, passablement m’as-tu-vu, qui a son efficacité mais ne s’évade pas de la mise en images, de l’illustration. Jamais on n’y éprouve le frisson sacré auquel la grande fable doit prétendre. Voilà bien un signe du temps, un symptôme sans doute.

Page 36: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

Le grotesque,voire le burlesque,l’emporte sans cesse

GEORGES LAVAUDANT et Daniel Loayza, auteur du texte français de la pièce, l’ont faite à leur main, c’est leur droit, privilégiant les péripéties au détriment du pathos sublime qui les scande à point nommé. C’est flagrant dans la scène de la tempête nocturne, où la raison du roi spolié par ses filles (il ne l’a pas volé) sombre sans appel. Le grotesque, voire le burlesque, l’emporte sans cesse. Le tragique est rare, pour ne pas dire inexistant. Ci-gît la grande question du théâtre de nos jours. Tout se passe comme si l’épouvante répandue par le monde alentour rendait caduque sur les planches la peinture de l’effroi ontologique. La pérennité de l’acte théâtral se joue là, pourtant, sauf à nier l’Histoire, en ne tentant pas de laisser entendre ce qu’elle put représenter jadis, tiens, pour Shakespeare. A la fin, après la mort de Lear et de Cordelia, on apporte une couronne. Logiquement, elle doit revenir à Cornouailles ou à Edgar. A l’Odéon, l’un et l’autre s’en détournent. Alors quoi ? Refus du pouvoir ? Allons, cette notion sent trop son après-Mitterrand pour effleurer Shakespeare, homme d’ordre s’il en fut, pour qui, dans l’âme de son époque, à la catastrophe doit succéder le rétablissement d’une souveraineté juste. A ce compte, pourquoi accepter la direction de l’Odéon ? Ça n’a pas de sens. Il faut que la culture s’accorde à la vie. Et dans la scène de l’énucléation de Gloucester, pourquoi diable Albany, son bourreau, passe-t-il une robe de Gitane pour se livrer au sale boulot sur un air de flamenco ?Le tout est enlevé, d’accord, au prix d’un amoindrissement du sublime. Philippe Morier-Genoud fait un Lear athlétique, à la fureur improbable, crédible dans les moments de solitude, mais déjà tout donné dès le début. Gilles Arbona, le Fou bluesman qui garde son sang-froid, a de l’allure. Marie-Paule Trystram émeut par son je-ne-sais-quoi d’étrange en Cordelia. Louis Beyler est épatant en vieux traîne-sabre fidèle (Kent)… Tous enfin s’en tirent, dans le registre anecdotique a minima exigé d’eux. Cela dit, sans brandir les « Lear » historiques logés dans notre mémoire, puisqu’il est désormais interdit d’en user.Shakespeare n’a pas connu l’angoisse de la page blancheJean-Pierre Léonardini 25 mars 1996

Retour

Quelle est la valeur d’un roi ?

(...) Combien de chevaliers faut-il pour composer l’escorte d’un Roi ? On songe à la question que Lear adressait au Duc de Bourgogne : quelle est la dot minimale qu’il exigerait pour épouser Cordélia ? Rien, est-ce encore une dot ? Le Roi de France n’a pour sa part aucun mal à résoudre le paradoxe, puisqu’à ses yeux la valeur de Cordélia n’est pas liée à celle de sa dot. Mais Lear a montré quelques instants plus tôt à quel point l’amour ou la valeur sont inséparables pour lui d’une expression quantitative. Il n’est donc pas étonnant qu’il ne se soit réservé le titre de Roi qu’avec une suite de cent chevaliers. Que reste-t-il donc de sa royauté à mesure que cette suite est réduite à rien?S’il est vrai, comme le soutient le Roi de France, que Cordélia «est à elle-même sa propre dot», la royauté de Lear ne devrait pas être affectée par une diminution de son escorte. Ou tout au moins faudrait-il dire que le nombre exact de chevaliers composant une suite royale ne peut être déterminé que par un Roi. Mais dès lors que le Roi lui-même a divisé son royaume pour s’en dépouiller et ne se réserver quasiment qu’un titre, il démontre que sa royauté n’est pas fonction de son autorité effective, de ses possessions, ou de ses revenus, et invite à pousser jusqu’au bout la logique du dénuement. Peu importe alors que Lear mesure encore sa royauté à la présence d’une suite : il fait preuve d’inconséquence, voilà tout. Ou à la rigueur, s’il lui en faut une, rien n’interdit de la réduire, degré par degré : elle n’en reste pas moins royale, même si elle

Page 37: Le roi Lear - ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/xxxyyy/1/22/65/75/WORD/Le-roi-Le…  · Web viewTraduire Shakespeare suppose-t-il qu’on ait des vues sur le sexe ... Goneril

ne constitue plus qu’un ensemble vide, «rien». Ce n’est donc pas par hasard que Régane et Goneril donnent du «my lord» à Lear au moment même où elles achèvent de le dépouiller - pourvu qu’il lui reste le titre, l’essentiel est préservé.Dans ces conditions, en effet, quel besoin Lear a-t-il d’un seul homme à son service ? C’est que sa royauté est essentielle à son identité. D’un strict point de vue utilitaire, sa suite ne devrait effectivement servir à rien. Mais comment faire comprendre à ses filles que le besoin satisfait par l’existence d’une suite superflue n’a rien de superflu, puisqu’il y va pour lui de son identité ? S’il suffit de satisfaire les seuls besoins naturels et nécessaires, «la vie de l’homme ne vaut pas plus que celle des bêtes», celle d’un organisme animal auquel n’est reconnue aucune dignité. Il est donc naturel pour l’homme en tant que tel d’exiger la satisfaction de certains besoins non-nécessaires (le théâtre n’est qu’un exemple parmi d’autres), et d’exiger que lui soit reconnu le droit à de tels besoins. Or une telle reconnaissance consiste précisément à les satisfaire. Il y a un superflu indispensable, un supplément inutile et pourtant exigible, s’il faut qu’il y ait une nature humaine. (...)

[Daniel Loayza, Postface au Roi Lear, Paris, A Propos, 2005]Retour

Les signes de l’amourLa paternité est une relation avec un étranger qui, tout en étant autrui, est moi. La relation du moi avec un moi-même qui est cependant étranger à moi.Emmanuel Levinas - Ethique et infini

L’amour n’a pas de signe propre, mais l’amour ne peut pas le savoir. L’amour ne cesse de travailler à obtenir un signe sûr et définitif comme un dernier mot, sans jamais pouvoir s’en satisfaire; il ne cesse de produire des motifs qui le justifieraient et lui apporteraient le repos de la certitude, mais sans jamais pouvoir les obtenir de sa place autrement qu’à l’aveugle, maladroitement, révoquant en doute les signes sur lesquels il voudrait compter.Aussi l’amour ne peut-il d’abord être sûr que de la seule déception. Pourquoi donc Lear devrait-il savoir que l’amour de Cordélia n’a pas d’autre mesure que le sien ? Et si son amour est immense, pourquoi la paternité devrait-elle suffire à en rendre compte ? Qu’est-ce d’ailleurs qu’un amour dont on peut rendre compte ?Peut-être Lear a-t-il besoin, en ce jour qui est aussi celui où sa file choisit son époux, de ne pas s’entendre rappeler qu’il est père, pour en jouer le rôle d’autant plus glorieusement; car il se peut que l’altérité de Cordélia, chair de sa chair, lui soit plus difficile à reconnaître que toute autre, et qu’il lui reste encore à apprendre le partage radical que trace aussi le lien de paternité : comme le soulignait Freud, un tel apprentissage ne peut s’achever que dans le consentement à sa propre mort. Peut-être le vieux Roi a-t-il besoin une dernière fois en ce jour plus qu’en tout autre de s’aveugler sur sa propre passion, et aspire-t-il obscurément à surprendre, dans les paroles de sa fille, la formule apocalyptique d’un amour plus que filial, sans nom et sans cause, une folie qui excuserait la sienne et autoriserait sa préférence aux yeux du monde. Sa colère est à la mesure de cette folie, de sa déception et de sa honte.

[Daniel Loayza, postface au Roi Lear, édition A propos, 2005] Retour