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Le Processus rédactionnel Écrire à plttsieurs voix

Le Processus Rédactionel (2001)

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Le Processus rédactionnelÉcrire à plttsieurs voix

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Marie-Madeleine de Gaulmyn, Robert Bouchardet Alain Rabatel

Le Processus rédactionnelÉcrire à plusieurs voix

Ouvrage publié avec le concours du Conseil Régional Rhône-Alpes,de l'Université Lumière Lyon 2, du Groupe de Recherches sur les Interactions

Communicatives (UMR-CNRS 56-12) et de l'Institut de Formation des Maltres de Lyon

L'Harmattan

5-7, me de l'École-Polyteclmique

75005 Paris

France

L'Harmattan Inc.55, me Sain/-Jacques

Mon/réal (Qc) CANADAH2Y IK9

L'Harmattan HongrieHargi/a u, 3

1026 BudapestHONGRIE

L'Harmattan !taliaVia Bava, 3710214 Torino

ITALIE

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@ L'Harmattan, 2001

ISBN: 2-7475-0883-8

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Les auteurs remercient Françoise Massit-Folléa

pour sa contribution à la mise en forme du manuscrit

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SOMMAIRE

INTRODUCTIONMarie-Madeleine de Gaulmyn, Robert Bouchard etAlain Rabatel

9

PREMIERE PARTIE:,La rédaction conversationneIIe, variations sur un mêmecorpus

Présentation du corpus 19

Marie-Madeleine de GaulmynRecherche lyonnaise sur la rédaction conversationnelle

31

Denis ApothelozLes formulations collaboratives du texte dans une rédactionconversationnelle

49

Alain RabatelLa dynamique de la structuration du texte, entre oral et écrit

67

Anne-Claude Berthoud et Laurent GajoNégocier des faits de langue pour le discours

89

Sylvie PlaneProblèmes de définition et négociations sémantiquesdans la rédaction à deux d'un texte agumentatif

J03

Robert BouchardProduction et contrôle de la production en find'apprentissage de l'écrit en langue étrangère

129

Jean-Paul BerniéProblèmes posés par la co-construction d'un contextecommun aux partenaires d'une activité rédactionnelle

147

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DEUXIEME PARTIE:

Processus rédactionnel, cognition et apprentissage

Christian BrassacRédaction coopérative: un phénomène de cognition situéeet distribuée

Johanna Miecznikowski-FünfschiHing etLorenza Mondada

Les pratiques d'écriture dans la recherche scientifique:planifier et rédiger collaborativement des arguments

Annie Piolat, Nathalie Bonnardel et Aline ChevalierRédaction colJaborative sur le web: analyse des interactionsentre auteur, reviewers, commentateurs et éditeur pendantl'expertise d'un article soumis pour publication

Anthony Moulin, Jacqueline Vacherand-Revel etJean-Marie Besse

L'écriture médiatisée et distante en téléconception multisites

Pierre Coirier et Jerry AndriessenUne approche fonctionnelle de la production des textesargumentatifs élaborés; une activité « coopérante» ?

Jacques DavidTypologie des procédures métagraphiques produites en dyadesentre 5 et 8 ans: l'exemple de la morphographie du nombre

Ana Camps, Oriol Guasch, Marta Milian etTeresa Ribas

.

L'écrit dans l'oral: le texte proposé

Résumés des articles

*

17/

/95

22/

247

265

281

293

31l

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"

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Marie-Madeleine de Gaulmyn, UniversitéLumièreLyon2Robert Bouchard, UniversitéLumièreLyon2

Alain Rabatel, IUFMde Lyon

Introduction

Ouvrage collectif, «Le processus rédactionnel. Écrire àplusieurs voix» trouve son origine dans une rencontreinterdisciplinaire de chercheurs organisée en décembre 1999. Ilmarque une étape dans le travail de notre équipe de recherches enSciences du Langagel «Interactions, Acquisition etApprentissages» qui depuis plusieurs années étudie les processusde rédaction mis en évidence par les situations d'écriturecollaborative que nous nommons « rédactions conversationnelles ».Afin de confronter nos hypothèses à celles d'autres spécialistes,nous avons invité des chercheurs de différentes originesscientifiques, linguistes, didacticiens, psychologues, qui, malgréleurs particularités théoriques et méthodologiques, traitent dumême objet de recherche. Sous des angles d'approche différents,ils s'intéressent tous à l' acti vité d'écriture en collaboration.Observer les situations où l'écrit naît de l'oral et où l'oral sert àcréer de l'écrit offre un point de vue privilégié sur le processus deproduction écrite et sur la mise en œuvre de la compétenceplurielle, écrite et orale, du locuteur lettré.

Les recherches tant sur la pratique de la langue écrite que surl'exercice de la parole se trouvent profondément renouvelées parun tel objet d'étude. Les chercheurs en Sciences du Langage ont eneffet longtemps disjoint l'analyse des textes écrits et celle dulangage parlé en privilégiant l'étude des produits de l'écriture surcelle « on line» de leur processus de production. De la profusiondes écrits, ils n'ont considéré que des produits textuels achevés,publiés, classés selon des genres reconnus. Parallèlement lesspécialistes de l'oral comme des interactions verbales ontlongtemps réduit la diversité des usages parlés à la parole« spontanée» des conversations familières. L'évolution actuelle

--------------------1

GRIC 2, composante du Groupe de Recherches sur les Interactions Communicatives,

UMR 56-12 CNRS-Université Lyon 2.

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des recherches montre l'intérêt croissant suscité par la genèse destextes écrits - qu'ils soient littéraires, scolaires ou ordinaires - etpar l'histoire de leurs brouillons successifs. Le processus deproduction et le contexte de l'activité des rédacteurs sont devenusdes objets de recherche.

Or un grand nombre d'activités d'écriture sont immergées dansdes situations de paroles, soit que les écrits composés solitairementprécèdent ou suivent des échanges oraux, soit parce que les écritssont rédigés, discutés ou révisés collectivement. Cette attentionportée au pôle de la production et à la fabrication concrète etartisanale d'écrits par toutes sortes de scripteurs dans les situationsquotidiennes rencontre le souci qu'ont les ethnométhodologues dedécrire les techniques conversationnelles de constructioninteractive des réalités sociales. Au lieu de n'étudier les structuresdes textes qu'à compter de leur réception par les lecteurs, sontdécrites les étapes du travail de structuration conduit par l'auteurou les co-auteurs au cours de l'élaboration et commenté par eux.Par ailleurs l'étude de ces situations oralo-graphiques transformeaussi l'étude des interactions. Au lieu de n'étudier que latranscription des paroles enregistrées, il faut envisager tout lecontexte de l'atelier d'écriture, gestes et traces graphiques, papier,ou clavier et écran. Dans une situation finalisée comme l'est larédaction collaborative de textes, l'accomplissement de la tâchecontraint et organise le déroulement de l'interaction.

Aussi bien, tous les chapitres de ce volume traitent de troisthèmes principaux. Le premier thème est celui de la dynamique dela production collaborative d'écriture. Les analyses des corpusportent sur les processus, l'établissement de la coopération, lesactivités conjointes de transformation des objets discursifs. Ledeuxième thème est celui de la problématique des unités oralo-graphiques de la langue, le caractère provisoire, l'instabilité,l'ajustement, le modelage progressif des éléments proposésoralement et reformulés pour l'écrit, ainsi que les activités du texteà écrire. Le troisième thème traité est celui de l'importance ducontexte dans la description et l'interprétation des activitéscognitives d'écriture en collaboration - contexte de production etcontexte d'apprentissage; contexte matériel de la situationconcrète, contexte social des relations et des normes, contextecognitif des représentations et des opinions. Ces trois thèmes, quireprésentent précisément certaines orientations actuelles des

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recherches en Sciences Humaines, dessinent un programme derecherches interdisciplinaire.

Le volume comprend deux parties: «La rédactionconversationnelle. Variations sur un même corpus» et « Processusrédactionnels, cognition et apprentissage ».

La première partie rassemble les études d'un même épisode derédaction conversationneIle proposé par notre équipe auxchercheurs invités. Il est extrait d'un corpus beaucoup plus longenregistré et recueilli au C.I.E.F. (Centre International d'EtudesFrançaises) de l'université Lyon 2 et mettant en scène deuxétudiants étrangers de niveau avancé2. Ce fragment de corpus a étéexploité par sept contributions linguistiques et didactiques3.

M.-M. de Gaulmyn retrace l'évolution des rechercheslyonnaises sur les rédactions conversationnelles et définit les axesd'étude spécifiques qui en font l'originalité. D'orientationdidactique, ces recherches allient la pragmatique des interactionsde travail, la sémantique de l'énonciation, la linguistique dudiscours et des textes. Parmi la diversité des situations oralo-graphiques, les rédactions conversationneIles permettentd'observer les savoirs métalangagiers ordinaires, les savoir-fairepratiques, le jeu complexe des reformulations et de définir lescomposantes du savoir-rédiger expert. Sa présentation se terminepar une présentation générale du corpus et une segmentation del'extrait.

Trois contributions, celles de D. Apotheloz, A. Rabatel, A.-C.Berthoud et L. Gajo" représentent trois formes complémentairesd'analyses linguistiques de faits de discours tirés du corpuslyonnais. D. Apotheloz analyse les étapes de la formulationcollaborative d'un syntagme nominal. Il propose une classificationdes types de reformulations et définit les unités de traitement quemanient les co-scripteurs, objets langagiers pratiques « bifaces »,c'est-à-dire unités de travail et unités-cadres. Il décrit les propriétéssémiologiques et pragmatiques des formulations du texte-cible,comparables, selon l'auteur, à un discours rapporté qui serait référéà une situation ultérieure (et non antérieure). A. Rabatel travaille

--------------------2 Un prochain ouvrage collectif, Les processus de la rédaction collaborative donnera latranscription exhaustive et l'étude du corpus.3 Nous regrettons que deux communications orales n'aient finalement pas été rédigées parleurs auteurs. Une autre de ces contributions, portant sur l'interaction tout entière, estréservée au prochain ouvrage.

Il

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sur les mêmes exemples de reformulations, mais il étudie commentse développe un conflit et un dissensus entre les deux partenairesde l'interaction, la position dominante de l'une, l'attitudeconciliante de l'autre. Ce faisant, il met à jour les enjeuxénonciatifs des négociations pour l'élaboration du « préfixe» oupremier segment de la phrase de titre. A.-C. Berthoud et L. Gajocritiquent la thèse habituelle qui sépare a priori langue et discourset qui méconnaît le travail souvent implicite des apprenants sur leshauts niveaux. Ils font une distinction entre «traiter une unitécomme forme linguistique» et la «traiter comme trace d'opérationdiscursive ». Ce n'est qu'apparemment, du fait d'un artefactdescriptif, que les co-rédacteurs semblent ne travailler que sur desformes linguistiques sorties de leur contexte discursif. Unequestion revient de façon transversale dans les trois chapitres.Quelles unités de langue et quelle grammaire utiliser pour décrireet identifier ces « objets discursifs» bizarres et mouvants: unitésde l'oral, bribes, fragments, reprises, empilements où se formeprogressivement une co-énonciation, et unités de l'écrit, en coursde stabilisation, syntagmes constitutifs d'un projet de phrasecanonique?

Les trois autres contributions de la première partie se réclamentd'une orientation didactique, orientation déjà présente dans lechapitre de Berthoud et Gajo. Elles prennent en compte la situationoù se trouvent placés les interactants, leur statut d'étudiants defrançais langue étrangère, la consigne de travail qu'ils reçoivent etla tâche qu'ils ont à remplir. En dépit de ces points communs, lesperspectives des trois articles sont radicalement différentes.

S. Plane confronte méthodiquement les trois éléments du corpusdont elle dispose: l'énoncé de la consigne, le texte écrit, l'extraitde la transcription des échanges oraux. Elle analyse la complexitéénonciative des tâches imbriquées dans la consigne prescrite etdans l'interprétation qu'en font les acteurs pour constituer uneimage du texte à produire. Le thème imposé aux rédacteurs - lesdevoirs scolaires à la maison - a un rôle de miroir (le sujet à traiteret la tâche), le mot devoir joue un rôle central. Le glissementsémantique qui s'opère de devoir à travail et le recours àl'argument rhétorique de quantité permettent aux co-scripteurs deconcilier leurs contradictions. R. Bouchard (à partir des mêmesexemples de reformulations que ceux traités par Apothéloz etRabatel) étudie la nature de l'expertise développée en français écrit

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par les deux apprenants et souligne le rôle facilitateur quecommence à jouer le phénomène de préconstruction dans leurcompétence scripturale. Il montre comment, à partir d'un certainni veau d'apprentissage, les étudiants étrangers deviennentsensibles à l'interdiscours auquel ils sont exposés et y captent despréconstruits, réutilisables... au prix de conflits entre ces formeslangagières et les règles de la grammaire scolaire. J.-P. Bernié, à ladifférence des autres contributeurs, n'analyse pas le texte oral deséchanges, mais la qualité du texte écrit produit (ou plutôt sesdéfauts). Il développe une théorie globale du contexte cognitif etsocial et définit les notions de texte intermédiaire et d'espacediscursif. Selon cette théorie, le texte proposé dans le corpuslyonnais constitue un « hybride générique» du fait de la sommedes ruptures énonciatives, structurelles, argumentatives, génériquesqu'il contient. Sont évoquées les conditions idéales qui permettentà des apprenants de devenir auteurs de leurs textes dans unesituation d'enseignement-apprentissage de la rédaction.

Les sept chapitres qui composent la seconde partie du volumeillustrent différentes approches de la description des rédactions detextes en interaction. Il se produit dans cette partie à la fois unélargissement des corpus et une diversification des méthodes et desproblématiques de recherche.

C. Brassac étudie un exemple de conception d'une inscriptionen milieu industriel. Il base ses analyses de l'interlocution sur lesactes de langage et la logique interlocutoire, pour lesquelles ilforge le concept de «communi-action ». Pour appréhender ledéroulement de l'action collective de décision, il prend en comptel'intrication des actions langagières et gestuelles et desmanipulations d'objets d'un groupe d'experts. Le processus deproduction d'un écrit est trace d'un processus cognitif collectif,distribué et situé. J. Miecznikowski-Fünfschilling et L. Mondadaobservent un processus d'écriture collective qui se réalise à traversune succession de réunions de travail et de productions provisoires,les écrits intermédiaires. Pour elles aussi l'écriture est une activitésociale située, même si leurs références sont empruntées àl'analyse conversationnelle de même qu'à l'ethnographie descommunications. L'écrit intermédiaire, dit aussi le «texte actif »,constitue un lieu de résolution momentanée des divergences et unrepère pour configurer les actions en cours. A.Piolat, N. Bonnardelet A. Chevalier analysent le processus d'expertise d'une revue

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électronique sur Internet. Les interactions rédactionnelles ont laforme de courriers électroniques entre l'auteur d'un article, lesexperts désignés comme reviewers, les commentateurs et l'éditeurde la revue. Le cas analysé montre qu'il se développe bien un débatd'idées, avec critiques vives et réactions défensives de l'auteur,mais que le processus classique d'expertise n'est pasfondamentalement modifié. A. Moulin, J. Vacherand-Revel et J-M.Besse étudient la dynamique de l'écriture collaborative médiatiséeet distante entre des experts utilisant un dispositif de téléconceptionmultisites. Ils se réclament, comme Brassac ou Miecznikowski-Fünfschilling et Mondada, de la théorie de la cognition située etdistribuée. Leur analyse se rapproche de celle de Piolat par le choixdu corpus et la méthode quantitative d'analyse des données. Leurbut est de comprendre les modalités d'interaction entre lesprocédures de révision collective d'un texte et les échangesverbaux oraux classés empiriquement en unités fonctionnelles. P.Coirier et J. Andriessen considèrent que la production individuelled'un texte argumentatif est en elle-même «potentiellementcoopérante» du fait de la nécessaire prise en compte dudestinataire par le rédacteur. Ils présentent une revue des travauxexpérimentaux et des études développementales sur les règles deproduction et les contraintes d'organisation propres aux textesargumentatifs. Leur but est de montrer que la maîtrise tardive de laproduction de tels textes tient à la nature interactionnelle,« coopérante », de cette activité. J. David étudie des séquences decoopération entre de jeunes élèves confrontés à la résolution duproblème orthographique de la marque du nombre Sa rechercheporte sur l'acquisition de la compétence graphique etmétagraphique, dans le cadre de l'ontogénèse et de: lamorphogenèse de l'écriture. Il observe sur des paires d'enfantsâgés de 5 à 8 ans les procédures métagraphiques de révision d'untexte que l'un des deux a préalablement écrit. La typologieempirique des composantes de ces dialogues d'enfants permetd'apprécier leur valeur heuristique dans le processus de maîtrise del'écrit.

A. Camps, O. Guasch, M. Milian et T. Ribas présentent unerecherche didactique sur les processus d'enseignement etd'apprentissage de la langue écrite et sur le rôle de l'activitémétalinguistique chez des élèves placés en situation de rédactioncollaborative. Cette recherche contribue à l'élaboration d'un

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modèle d'enseignement de la composition écrite: les négociationset les reformulations, du texte « proposé» au texte effectivementécrit, entrent dans un projet d'apprentissage.

Cette étude clôt le volume, mais de fait en relie les deux parties.Le cadre descriptif des reformulations est très proche desrecherches de l'équipe de Lyon (Gaulmyn et Bouchard) ets'accorde avec les analyses linguistiques conduites sur des extraitsdu corpus proposé (Apotheloz, Rabatel, Berthoud et Gajo,Bouchard). D'autre part la perspective didactique recroise cellesde la première partie du volume (Bouchard, Plane, Bernié) et cellede David dans la seconde partie. Un dialogue s'est réellement nouéd'un auteur à l'autre, à propos de ces objets d'étude communs quesont les types de reformulations, et les activités réflexives méta-rédactionnelles.

Notre pari, lors de la rencontre de novembre 99, était de susciterun dialogue entre des spécialistes de disciplines différentes et laseconde partie du volume l'illustre tout particulièrement. L'une descaractéristiques de cette partie est le recours à d'autres types decorpus que ceux de rédaction conversationnelle étudiés dans lapremière partie. Ainsi l'activité d'inscription graphique n'est paslimitée à l'écriture, mais recouvre par exemple la cotation d'undessin industriel (Brassac). La collaboration n'est pas limitée à uneseule séance de travail, mais se déroule parfois au cours d'unesuccession de réunions espacées dans le temps, formant une«histoire rédactionnelle» (Miecznikowski-Fünfschilling etMondada). La communication médiatisée à distance par desordinateurs reliés en réseaux électroniques se déroule dans certainsdispositifs de façon synchrone (Moulin) et de manière asynchronedans d'autres (Piolat et al.). Ces nouveaux modes de collaborationde travail s'éloignant de la communication orale en face à faceréclament de nouveaux outils descriptifs.

Une deuxième caractéristique est l'intervention d'autresméthodologies que celles de la description linguistique. Si l'onapplique une méthode comparative, où les données sont traduitesen chiffres (Piolat et al, Moulin et al), se pose de façon cruciale leproblème de la catégorisation et des typologies, donc du traitementdu corpus, de la segmentation, de l'identification par l'analysted'unités fonctionnelles comparables.

La dénomination des fonctions attribuées aux segmentsd'activités décrits, ainsi que la dimension des segments retenus

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comme unités fonctionnelles, constituent un troisième espace dedivergences méthodologiques et d'échanges théoriques. Leslinguistes de leur côté, les psychologues du leur appliquent auxdonnées des grilles d'analyses systématiques, mais les unitésétudiées par les uns sont de dimension bien inférieure à celle desunités retenues par les autres. Les didacticiens comme lespsychologues interprètent dans les traces des opérations cognitivesles effets transformateurs des situations d'interactions sur lessujets, les didacticiens afin d'évaluer l'intérêt pédagogique dedispositifs expérimentaux, les psychologues afin de valider oud'invalider les hypothèses préalables qu'ils ont formulées. Lesethnométhodologues, pour leur part, ne retiennent que lescatégories pratiques dont les interactants eux-mêmes font état.

Cette première étape d'un travail interdisciplinaire montre lacomplexité et la richesse des interactions à l' œuvre dans lesprocessus d'écriture collaborative. Cela explique que deschercheurs présents dans ce volume et associés dans un réseaueuropéen de laboratoires (LAL YBI: Lausanne-Lyon-Bielefeld)poursuivent la réflexion commune en prenant pour objetl'ensemble du corpus lyonnais. Cette étape ultérieure aboutira à lapublication prochaine d'un ouvrage collectif, Les processus de larédaction collaborative, dont les articles prendront en charge, dansleur diversité et dans leur complexité, les modalités plurielles de laconstruction des objets, l'hétérogénéité de ceux-ci ainsi que lavariété des tâches s'imbriquant au cours d'une séance complète deproduction de texte.

*

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PREMIERE PARTIE

La rédaction conversationnelle,variations sur un même corpus

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Présentation du corpus

I - TEXTE RÉDIGÉ EN COMMUNi

(Écriture de Méïté) Faites votre choix!

Devoir à la maison: oui ou non?

(Écriture de Paulo)

"Essai de suicide d'un enfant heureusement pas réussite: trop de devoirs à{la maison ?"

Ce titre-là pourrait bien apparaître -5ttf-l!ttftdans la pressefrançaise vu la surcharge en ce qui concerne les èe'ttravaux à la maison, pour fias cnfaflts des écoliers.Malgré la loi de 1956, laql:lelle supprimant les devoirs à lamaison, les instituteurs insistent à dOtHler à faire travaillernos enfant hors de l'école. Néanmoins la question se pose:"Doit-on supprimer ou augmenter ces travaux ?"

Ceux qui défendent l'augmentation des devoirs à la maison,argumentent q-tte qu'un enfant en travaillant seul acquiriraitla capacité d'être independent de la réflexion individuelle.

apprendraientEn outre les élèves (voflt apprcfldrc) à organiser et gérertemps et travail (par) par exemple le suiviment de l'emploidu temps.

Un autre avantage est qu'un élève qui fait son travailest toujours au courant de la matière du cours, pouvantainsi apporter poser des questions au prof. (le) ieftàe- après avoirréfléchi tout seul.

Cela efltrftÎfle de surcroît, un entraînement profond etengendre

régulier f'6\:fl:'faee aux examens.

Enfin les devoirs peuvent aider à eréer une proximitéplus grande entre enfant et parents, à savoir que (-::-:-) cesdémiers, cn arri"flflt après être arrivés à la maison corrige-

--------------I La présentation imprimée conserve les ratures, surcharges et corrections ainsi que leserreurs de langue et d' orthographe du texte.

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raient les ettftmt devoirs des enfants, tout en prennant uncontact plus fort avec eux.

(Écriture de Méiré)

CepeftdaRt Contrairement à cet argumentil ne faut quand-même pas oublier que denombreux parents sont èéjft stressés et

après leur journée de travail

ainsi surchargés s'ils veulent vraimentsatisfaire aux besoins des enfants,

p. ex. une mère ou un père qui doit jouer

le rôle du prof.

En plus en supprimant les devoirs à lamaison on ne risquerait pas d'avoir desproblèmes (eft) concernant le travail CRl'aisence

gret:tpe"con du travail en groupe, ce quiest fortement exigé dans le monde dutravail d'aujourd'hui.

La surcharge de travail de devoir est surtoutun problème pour les classes inférieuresde la société où les conditions de travailsont inadequates. Par- Il yap. e. desfamiUes où 3 enfants partagent unechambre. Ainsi cn5e t Oft une ma inégalité

existe-t-ildes chances vis à vis des enfants entouréde conditions favorables.

Ce qui apparaît comme l'argument le plusfort, fl0\:lr les défeftse\:lf3 dc la pour ee-e-ceux qui sont contre le travail à la maison,c'est l'exageration du travail ce qui empêcheles écoliers ~ (f) de suivre d'autresactivités comme la musique, la dansele sport et tout simplement de serencontrer avec des amis.

n est donc clair que si on veut garderle devoir à la maison il faudraiten même temps diminuer le travailà l'école, p0\:1rq\:loiafin de ne pas surcharger

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l'élève et de lui accorder des momentsde loisirs.

Il est aussi fi fort bien conseillé decréer des devoirs en groupe à la maisonpour ne pas nuir à l'integration et à lacapacité de travailler à plusieurs.

Bonnes Vacances

On espère que ça vous aidera

Meite et Paulo

II . RÉSUMÉ DE LA CONVERSA nON

L'enregistrement total compte près de deux heures et la transcriptioncomplète représente 56 pages.

La première partie occupe les tours 1 à 367. Après avoir écouté laconsigne, Paulo et Méïté décident de ne pas choisir entre pour et contre lesdevoirs à la maison. Ils élaborent une liste non rédigée de leurs futursarguments, proposés alternativement par chacun: quatre arguments pour,six arguments contre, dont le deuxième et le sixième présentés par Paulosont transformés en conclusions par Méïté.

La deuxième partie commence au tour 368, ils passent à la rédactiondu texte commun, décident d'abandonner le titre donné dans la consigne etfont leur propre plan. Après discussion ils remettent le choix du titre àplus tard. Ils décident de faire une introduction, mais leurs propositionsrespectives sont incompatibles. Méïté emploie des moyens variés pourimposer la sienne: elle en vient même à prétendre que c'est justementPaulo qui en a eu l'idée. Du tour 500 au tour 550, ils reformulentdéfinitivement la phrase pour l'inscrire. Ils rédigent et inscrivent ensuiteles trois phrases suivantes, ce qui forme une double introduction, celle œMéïté, puis celle de Paulo.

La troisième partie est consacrée à la rédaction du corps du texte. Ilscomposent d'abord un plan en donnant un numéro à chacun des argumentsnotés sur la première liste. Ils rédigent successivement cinq phrases pourcinq arguments pour, puis six phrases pour quatre arguments contre.

Ils rédigent les deux phrases de la conclusion et finalement le titre,puis relisent tout le texte.

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III - EXTRAITS DE LA TRANSCRIPTION« on fait un titre à nous»

Conventions de transcription

=élision: allongement_ soulignement pour insistance, ou lettre normalement muette

- troncationo pause d'une seconde, 00 deux secondesIl chevauchement(...) passage difficilement audible( ) interprétation possibleMAJUSCULE: phénomènes paratextuels dont la fin est indiquée par +(MAJUSCULE) phénomène paratextuel ponctuel,intonation montante

, intonation descendante

lAI en début de ligne signifie que l'intervention de A est en entièrement enchevauchement avec le tour de parole précédent, dans lequel elle estenchâssée.

P = Professeur, H = Paulo, F = Méïté.

(Transcription réalisée par Annie Chalivet,Lorenza Mondada»

revue par Ulrich Krafft et

Exposé de la consigne

l-P d'accord 0 (nous allons) pouvoir passer à la: deuxième phase œl'opération' 00 cette fois-ci donc on: va vous d=mander de rédigerquelque chose, à alors j= vais vous dire la consigne' 00 vous avez (àéc=) vous allez écrire à deux' 0 un texte su:r les: devoirs scolaires' àla maison, 0 pour les enfants, 00 je vais enregistrer ce que vous ditespendant la préparation:' 0 et la rédaction du texte, 000 vous savez:peut-être' que le Ministre de l'Education Nationale français' 0 aofficiell=ment rapp=lé aux instituteurs' 0 que les devoirs à la maisonétaient supprimés en France' depuis dix-neuf-cent-cinquante-six, 000mais: cependant bon: tous les instituteurs font faire des devoirs à la:maison, 00 ce problème des: devoirs est largement discuté au niveaud= l'école primaire, 0 il Ya des articles dans les journaux:' des lettres

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de lecteurs:' des brochu:res' 0 le débat va sûr=ment se poursuivrependant un certain temps encore, 00 pour donner la parole' 0 au grandpublic' 0 les journaux spécialisés comme Parents: ou le Monde cbl'Education ch=ais pas si vous connaissez (... on les trouve dans les)kiosques

2-H Parents oui,

3-F (PETIT RIRE)

4-P ont ouvert leurs colonnes' et demandent à toutes les personnesintéressées de participer au débat' 00 en écrivant un texte pourdéfendre leur position, 000 donc ceux d'entre vous qui sont contre lesdevoi:rs 0 essaieront de convaincre les élèves' 0 les parents' 0 et lesautorités scolaires' 00 bref toutes les personnes intéressées' 0 enécrivant un texte qui a pour titre' 0 halte' 0 aux devoirs à la maison,première possibilité' 0 halte 0 aux devoirs à la maison 00 ceux parcontre qui sont pour lies devoirsl

5-1F1 1(...)1

6-P 0 écriront dans 1=même but' 0 un texte qui a pour titre 0 les devoirs'sont nécessaires' à l'école primaire, 0 les devoirs sont nécessaires' 0 àl'école primaire, 00 voilà, 0 vous avez le choix,

SORTIE DU PROFESSEUR

Début de la rédaction « on fait un titre à nous»

368 F369 H370 F371 H372 F373 H374 F375 H376 F377 H378 F379 H380 IFI381 H

on commence'hm'on commence'à écrire'mhm'ouais'tu veux écrire' BRUITS DE PAPIERsi tu veux oui j= peux écrire'

mhm' 00 Ion va peut-êtrel +Ion va déjà 01 t'en a marre déjà'

non: c'est pas graveouais alors iii faut!

Ion valchoisir quand même euh,

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382 F on va:383 H l'un de: des deux: 0 titres'384 F moi je trouve ça pas bien, 0 pa=c= que O/j'aimemieux de faire ça!385 IHI386 F quand: oui mais:387 H c'est comme les devoirs à la maison, 0 il les faut,388 F (RIRE)389 H c'est pas une Ichose qu'ont390 F Ij'aime j'aimel mieux de de faire 0 untexte' pa=c= que quand même on a pensé de de des deux arguments' 00et j'aime mieux de faire un texte avec 0 un euhm: un passage avec lesarguments pour'391 H ouais392 F un passage avec les arguments contre393 H ça c'est le: les plus importants d'une:argumentation,394 F hm395 H qu'on peut être pour' 0 y après contre396 F et après contre I(bien sûr)1397 H let aprèsl une conclusion, 0 ouais donc I(onva la)1398 IFI399 H400 F401 H hm 00402 F et on va faire I(...)!403 H Iou bienl on: on fait un: titre à nous' 0404 F oui pff 0 on dit euh: devoirs à la maison / pointd'interrogation, (PETIT RIRE)405 H (ou bien Ila:)1406 F I(y sont pas)1 il faut pas exagérer407 H la:408 F pour ou contre,409 H la polémique du devoir, 0 à la maison,410 F polémique' qu'est-c= que ça veut dire,411 H la polémique' c'est: la grande discussion Ipolémique c'est ladiscussion!412 IF/413 H414 IFI

1(...)1

1(...)1on laisse tomber (oo. 1...)1

lonl s'en fiche'

lah: oui j=1(...) ou bien Oldevoirs/

1(...)1

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415 H à la maison, 0 virgule, 0 vous êtes pour' ou contre, /pointd'interrogation!416 F loui, pour ou contre,! oui, 0 pourpour ou contre, 0 pour' 00 pour ou contre' 0 les devoirs à la maison, 0BAS bref, c'est pas grave +417 H bon, on fait le titre laprès (H.)I418 F loui, pa= c= quel normal=mentc'est/et (...)419 Hfait unel petits<introduction'420 F oui, Ion fait unel421 IH/ Idu sujet'/422 F introduction' 0423 H en disant comme euh: 0 depuis la loi qui a été votée euh:quand ça été voté mille neuf-cent /cinquante-sixl424 IF/ Imhm'I425 H BAS vous savez sans doute que le ministère + bon, 0 onpeut: commencer:426 F (=fin) on peut savoir euh: dans quel style ça doit êtreécrit pa=c= que 0427 H (... 1...)/428 F lest-c= quel c'est pour, est-c= que ça doit être intéressant' 0ou est-c= que ça doit être: ou sobre, 00429 H je crois Ique: n'importe/430 IFI I(est-c= que c'est 'H)I431 H n'importe quel texte' 0 qu'il soit: argumentatif ou: un autre'o s'il est intéressant en plus' O/ça:1432 F Id'accord,l oui mais on peut commencer avec quèq=chose de euhm: 00 enfant trouvé 0 trop d= travail à la maison,433 H (PETIT RIRE)434 F euh: total=ment épuisé435 H ouais436 F après euh c'était: Imûr pour l'hôpital,!437 H lenfant'! enfant s'est suicidé /pa=c= qu'ilavait trop de travail /438 Fchose comme ça donc c'est:439 H pour 0 /pour qu= ça attire l'attention!440 F lça peut être exagéré/ pour quelque chose desobre, mais: donc, 0 mais moi je trouve ça plus drôle, 00441 H ouais,

Idonc on

loui 0 on peutl commencer par quèq=

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442 F on va faire ça' 0 enfant: RIT trouvé +443 H non (RIT)444 F mais si (RIT)445 H c'est un peu trop: exagéré quand même446 F non mais 1(...)1447 H lça/ serait vraiment pour ah:' on peut on peut faire commeça' 00 mais là on prendra déjà une: 0 un côté de, 0 dans ce texte' 0 enfants'est suicidé à cause de ses: devoirs' 0 let on dit!448 IFI Inon mais a=1449 H comme ça, 0 euh ça pourrait être 0 ça pourrait bien être 0une:450 F une 1(...) déjà!451 H Inon unel notice' comment on dit une: 00 une nouvelle'o apparue dans/ uni

452 /FI Ihml453 H journal' 0 à cause de;454 F hm'455 H 0 de l'amplification /de!456 IFI louaisl457 H l'augmentation des devoirs, 0 donc là on dit qu= c'est: s: cen'est pas arrivé en fait' 0 l'enfant s'est pas suicidé'458 F c'est ça459 H mais: ça aurait 0 bien pu'460 F hm461 H arriver,462 F on peut: à la rigueur' 0 soit on écrit, 0 enfant trouvé,o suicide, 0 euh: trop d= travail à la maison, 0 et après' 0 ça pourrait êtrele titre: dans:463 H ouais464 F pas mal: 0 le futur titre /(dans)1465 H lça pourrait/ être le prem= la premièrepage du: de le /Monde/466 IFI467 H468 F469 H470 F471 H472 F473 H474 IFI

louaisldu Monde' 0 non, de le Monde'hm,

du' 0 le Monde'le Monde, du Monde,ouais(la) Monde'

le Monde I(RIT)II(RIT)I

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475 H476 F477 H478 F

I:ouais I(...)!

IIel Monde de l'Education, 0 ouaismm: non' d'un d'un journal, de Pariâ Match pa=c= que

c'est un lunl479 H480 F titre I(PETlT RIRE)I481 H /Gala / Gala 0 bon on commence comme ça alors482 F mhm483 H pa=c= que ce que Ij'avaisl484 IFI 1(... ça)!485 H pensé' c'était 0 on pourrait commencer comme 0 malgré'l'interdiction' par le Ministère de l'Education' 0 avec la loi: décrétée enmille neuf-cent cinquante-six ha ha / ha ha les/486 IFI louais, c'est plus sobrel487 H instituteurs' 0 continuent à: donner aux enfants des 0488 F c'est modeste' mais:489 H c'est Iplus:1490 F Il'autrcl j'aime mieux'491 H hein'492 F l'autre j'aime mieux'493 H tu aimes mieux' 0 alors on I(fait) l'autre,!494 F I(PETIT RIRE)I je n=sais pas ccque tu penses'495 H moi: j'aime mieux le mien' mais d'accord, I(RIRE)I496 F 1(...) c'étaitl letien avec le suicide, c'était ton idée,497 H ah c'était mon idée,498 F hm,499 H alors, d'accord,500 F c'est toi qui l'as dit,501 H donc euh: 0 on commence avec le titre502 F ouais503 H d'accord, 0 (entre les 0 guillemets) 00 Idonc!504 IFI leuh:!505 H enfant trouvé euh506 F suicidé non est-c= que !ça existe'!507 H /il peut pasl être trouvé suicidé mais lenfantl508 IFI I(PETlT RIRE)I509 H il peut être trouvé 0 pendu'510 F oui (RIRE)

l(un)/O Gala,

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(RIRE) c'est pas trop:, catastrophique' ça'RIT peut-être mais + euhm: 0avec les poignets ouverts' I(RIT)I

I(RIT)I on peut dire 0 euhm: euhm:

511 H512 F513 H514 F515 H avec le stylo516 F non y faut pas'517 H non lavec laquelle il faisait!518 IFI Inon ça suffitl519 H les devoirs'520 F ça on on va dire elle a essayé de se suicider, point çasuffit, pa=c= que /il faut pas exagérer lesl sentiments'521 H ouais leuh: 0 essai' 01522 IFI lenfant a ess= a essayé de se: s=1523 H essai' heureus=ment pas réussite524 F oui' d'un lenfant/525 H Id'un! suicide'526 F ouais527 H par un enfant qu'avait trop d= devoirs,528 F oui, non euh: m: sous (SE RACLE LA GORGE) euhm:qu'est-c= que non, qu'est-c= que tu as dit' on met (00')seulement on faitune petite529 H530 F531 H532 F533 H534 F535 H536 Fréussi' 0 essaye de suicide' 0537 H ouais538 F bien sûr' 0 euh: heureus=ment: Ipas réussil539 H Iheureus=ment pas/ réussite' 000540 F où est-c= qu'on met l'enfant' 0 essai de suicide'541 H de la Ipart d'un enfantl542 IFI Id'un enfantl543 H d'un enfant' 0544 F heureus=ment, 0 pas 0 réussite' double point' 0 trop detravail RIT à la maison, + Ipa=c= que lesl545 /HI !ben ça)1546 F titres sont toujours euh:

oui ah, c= que j'avais dit'OUic'était: essai'essai' 0mal réussite'malheureus=ment euh: Iheureus=mentl

Imall ouais heureuls=mentl1(00.)10 heureus=ment: pas

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547 H ah mais tu veux mettre ça comme titre'548 F non on: c'est pas le titre' c'est l'introduction, mais: ça c'est:un titre imaginaire d'un: journal,549 H hm, ouais: c'est ça, 0 donc essai d= suicide d'un enfant, 0heureus=ment pas réussite'550 F double point' trop d= travail à la maison, 00 euh: pointd'intégora= interrogation, 00

*

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Marie-Madeleine de GaulmynUniversité Lumière Lyon 2

Recherche lyonnaise surla rédaction conversationnelle

Cadre général de la rédaction conversationnelle

L'équipe GRIC 2 Interaction, acquisition, apprentissage deslangues appartient à un laboratoire de Sciences du Langagelargement ouvert. Il associe des chercheurs de formation etd'intérêts divers: Sémantique, Pragmatique, Analyse des discours,Éthologie des communications, Ethnologie, Didactique,Psychologie, sur des sujets aussi divers que les émotions, la languedes signes utilisée par les sourds, les relations de travail en milieuhospitalier, les codes culturels de la politesse, les interactionsmédiatisées par ordinateur. L'équipe GRIC 2, quant à elle, a uneorientation didactique et étudie des interactions en relation directeet indirecte avec l'enseignement et l'apprentissage de la langue.Ses modèles de référence sont empruntés à l'ethnométhodologie, àla linguistique du discours, à la grammaire textuelle, à lapsycholinguistique des formats d'apprentissage, à la psychologiedes formes sociales d'action, plus récemment à des recherches surla cognition située et distribuée.

La recherche du GRIC 2 sur les rédactions conversationnelles acommencé en 1991 et s'est voulue dès l'origine fondamentale etimpliquée, recherche de pragmatique, linguistique et didactique.Elle est née d'un intérêt pour le domaine méconnu des pratiquesconjointes de l'écrit et de l'oral dans des situations oralo-graphiques. Nous avions constaté que les situations oralo-graphiques, si fréquentes pourtant, sont paradoxalement ignoréesdes chercheurs. Les études de l'oral portent sur des conversationssans activités d'écriture-lecture et l'étude des textes écrits porte surles produits achevés et non sur le processus de leur production. Lessituations de conversations rédactionnelles, jusqu'ici exclues desétudes de conversations et de langue parlée, constituent pourtant

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des situations ordinaires, finalisées par une tâche accompliependant l'interaction, comme le sont beaucoup d'activités àcaractère professionnel. Entre autres, la plupart des situationsd'enseignement, de formation et d'apprentissage juxtaposent etcombinent des activités orales et écrites. Ce sont des interactionsde travail qui ont, si on les compare aux conversations privées, unestructure et des règles d'organisation propres.

Notre recherche répondait de façon plus précise au souci del'enseignement de l'expression écrite à des étudiants étrangers, aubesoin de former en linguistique textuelle les futurs enseignants deFrançais Langue Étrangère et Français Langue Seconde et au désirde mieux mesurer l'efficacité de cette «transposition didactique»sur la pratique rédactionnelle des uns et des autres. Cette recherchea donc un versant didactique. Elle se veut un observatoire despratiques d'écriture en Français Langue Maternelle, FrançaisLangue Étrangère et Français Langue Seconde, observatoire desituations d'apprentissage en interaction. Ces situations peuventfavoriser une explicitation des savoirs et un transfert des savoir-faire, elles donnent lieu à la résolution collective et verbalisée deproblèmes concrets d'écriture, à la confrontation et à la séparationdes registres oral et écrit. Au lieu de corriger et de noter les textesécrits a posteriori dans leur état achevé, nous observons commentles scripteurs s'y prennent, ce qu'ils font et comment ils disent cequ'ils font. Les échanges conversationnels témoignent -partiellement et indirectement bien sûr - des processus cognitifsd'accomplissement d'une tâche, grâce à l'interaction qui oblige àles expliciter pour J'autre. Ainsi, au Heu de n'étudier l'écrit quesous la forme des produits recueillis postérieurement au travail durédacteur, nous pouvons appréhender le processus de co-rédactionà travers l'enregistrement des paroles des rédacteurs et la genèse dutexte au fur et à mesure qu'il s'inscrit sur la page ou sur l'écran.Nous sommes cependant bien conscients que la rédaction encollaboration diffère de la pratique de l'écriture personnellesolitaire et modifie les conditions du travail I.

--------------------1

Le binôme et le groupe restreint sont des conditions de travail ordinaire. La techniqueexpérimentale où un scripteur doit verbaliser tout seul à haute voix chacune de ses activitésau fur et à mesure présente l'inconvénient d'être une situation artificielle.

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Recueil des données

Nous avons enregistré des groupes de travail formés d'étudiantsétrangers et d'étudiants de FLE réunis par une tâche de rédactioncoopérative d'un texte qui répondait à un besoin réel de l'étudiantétranger ou simulait un besoin potentiel (rapport de stage, lettreadministrative). Nous avons réuni ainsi un double corpus: lesbrouillons qui représentaient les états successifs des textes,l'enregistrement et la transcription des négociations verbalesauxquelles donnait lieu cette production collective. Cependant lagrande variété des situations rendait la comparaison entre ellesdifficile: elles différaient par le nombre de participants (diIogues,trilogues, quadrilogues), par les niveaux disparates de compétenceen langue, par les genres de textes plus ou moins conventionnels,préconstruits ou créatifs. Ainsi le cas des révisions conduites avecl'aide d'experts francophones d'un texte préalablement écrit par lescripteur allophone différait du cas de productions entièrement etcollectivement réalisées pendant l'interaction.

Nous avons donc cherché, pour vérifier et généraliser les faitsobservés, à faire une utilisation expérimentale de ce mode deproduction. Selon un protocole semi-expérimental et para-scolaire,deux allophones ou deux natifs reçoivent une consigne et rédigentensemble un seul texte, comme s'ils avaient un devoir à faire àdeux, la consigne donnée restant la même pour plusieurs groupes.C'est une situation certes artificielle et discutable pour unexpérimentaliste comme pour un didacticien (voir infra la critiquequ'en fait J.-P. Bernié), mais qui ne demande qu'à être élaboréedans le cadre précis d'une séquence d'enseignement lapprentissage(comme en témoignent ici les contributions de A. Camps et J.David).

Parallèlement nous avons fait varier les genres de textes àrédiger. Des textes fonctionnels à usage social, nous sommespassés au genre narratif qui permet de comparer des productionsd'enfants et d'adultes, puis au genre argumentatif de l'essai et de ladissertation, qui répondait à la demande (et aux difficultés) desétudiants étrangers dans leur cursus universitaire en France. C'estle cas du corpus proposé en extrait que nous présentons plus loin.

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Objectifs de la recherche

La particularité de notre recherche est double. Certes, nouslimitons l'étude à l'activité d'écriture réalisée en coopération, et nonsous la forme individuelle et silencieuse. Mais ce choix nouspermet de dépasser l'analyse des seuls produits écrits, brouillonsraturés et textes achevés, pour étudier le processus dynamique de laproduction d'écriture au fur et à mesure des activités deformulation et de rédaction. Ce choix nous permet aussi dedépasser l'opposition polaire entre l'étude de l'oral conversationnelet celle de l'écrit, en envisageant des situations mixtes, oralo-graphiques, doublement déterminées par les usages parlé et écrit.Les éléments écrits sont produits à partir de l'oral, modelés ettransformés oralement jusqu'à leur inscription.

Le but des partenaires qui élaborent à haute voix et encoopération un texte écrit est de produire un texte satisfaisant poureux et recevable pour celui auquel il est destiné. Le but de larecherche, lui, est de mettre en évidence les processus cognitifsd'apprentissage d'une tâche, exposés et activés par l'interaction quioblige à verbaliser les contenus cognitifs et qui joue un rôlestimulant dans le traitement coopératif des énoncés verbalisés.

Dans les limites du domaine des Sciences du Langage, nousavons analysé ces corpus de rédactions conversationnelles soustrois angles d'approche: les formes de langue et de discours, lesinteractions de travail, l'argumentation. Les objets étudiés et lesobjectifs de recherche diffèrent dans chacune de ces approches.

Formes de langue et de discoursDu point de vue des usages de la langue et des formes de

discours, nous sommes en présence de formes «hybrides »: lesproductions orales co-énoncées contiennent des segmentsd'énoncés co-construits, candidats à l'écriture, pas encore ou déjàinscrits (des sortes de citations, des emplois autonymes, enmention). Nous sommes conduits à mettre en question ladistinction entre les modèles d'analyse de l'oral conversationnel etles modèles d'analyse des discours écrits. Nous nous intéressons àla genèse de l'écrit immergé dans l'oral et à la transformation del'oral quand il accompagne et présente l'acte d'écrire. Concernantl'écriture, la particularité de cette recherche est d'appréhender leprocessus d'élaboration du texte dans tous ses états successifs.

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Concernant l'oral, la particularité est d'analyser des échanges parléspour fabriquer, commenter, évaluer et corriger de l'écrit. Cet usagede la langue relève de la compétence de locuteurs lettrés,scolarisés, immergés dans une culture écrite. Dans cette situationils expriment quelque chose des opérations socio-cognitives duprocessus de rédaction; ils manifestent le jeu dialectique entre oralet écrit; ils éprouvent dans le dialogue la réalité dialogique del'écriture textuelle.

Interactions de travailDans le cas d'une interaction finalisée par une tâche, il s'agit de

l'étudier à la fois comme interaction et comme tâche à accomplir.L'écriture est une pratique sociale contextualisée. Le contexte secompose de la situation, des objets et des événements objectifsvécus subjectivement pendant la rencontre enregistrée, mais aussides expériences, habitudes, apprentissages des partenaires(partagés ou non), des modèles culturels, de leurs goûts etpréférences. L'interaction relève d'une analyse conversationnelledes places, des rôles, du jeu des interventions qui constituent etrèglent l'espace social des échanges (initiative, réaction,domination, soumission, conflit, consensus, ajustement, tout ce quiconstitue les négociations au sens le plus large). La tâche supposeun scénario, ou un programme d'activités ordonnées etcoordonnées par des buts d'action (dites activités praxéologiques).Les activités structurées par la tâche sont décomposées en sous-tâches, le programme est répétable pour chaque épisode d'écriture.Les acteurs contribuent à l'accomplissement, selon leurs modesrespectifs de collaboration et de coopération, chacun selon lesreprésentations qu'il a de son rôle en fonction de la tâche et selonles représentations qu'il a du rôle de l'autre (complémentarité ouconcurrence, activités conjointes ou parallèles). Or cesreprésentations des activités sont largement implicites, leschangements d'activité sont signalés par des indices discrets,intonatifs par exemple, plusieurs valeurs sont attachées à un énoncéselon les éléments et les dimensions retenues du contexte.

L'argumentationLes textes à rédiger en collaboration relèvent du genre

argumentatif. L'argumentation se joue à deux niveaux (inpraesentia et in absentia) et sous des formes langagières

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différentes. Elle se joue dans la situation, de façon dialogale,immédiate et improvisée pour assurer l'entente et l'accord desscripteurs qui négocient entre eux l'orientation, les arguments et lesformulations à donner au texte. Ils peuvent avoir des opinionsdifférentes, entrer en conflit, chercher à s'influencer, à s'imposerou à se convaincre. L'argumentation se joue encore de façonmonologale et dialogique, mais différée, à l'intérieur du texte écritdestiné à convaincre un tiers absent, un lecteur virtuel, du bien-fondé de la position soutenue dans le texte. Les co-rédacteursargumentent au sujet du texte et ils construisent l'argumentation dutexte lui-même. Se pose le problème des relations - probablementdialectiques - entre les deux niveaux d'argumentation: commentidentifier et mesurer un effet potentiel de la discussion orale sur laproduction écrite? comment identifier et mesurer l'effet stimulantde la tâche de rédaction sur le développement et la « qualité» (?)des échanges oraux? (voir Scardamalia & Bereiter « L'expertise enlecture-rédaction» in Piolat & Pélissier, 1998).

Richesse des données et complexité des analysesPlus les interactions sont intéressantes, plus elles comportent

d'enjeux entre les partenaires, plus elles sont difficiles à comparer.Par ailleurs, plus les corpus sont longs, plus il devient difficile d'enmaîtriser l'ensemble et de mettre en perspective les descriptionslocales des faits avec leur valeur relative à l'ensemble. Lesproblèmes naissent d'une part de la richesse potentielle de noscorpus qui se prêtent à des analyses multiples, d'autre part de leurdiversité et de la difficulté de généraliser et de valider les résultatsd'analyses particulières.

La richesse de tels corpus est inépuisable. De multiples étudespeuvent être envisagées selon la catégories des faits sélectionnés etselon la dimension des unités considérées. Les conversationsenregistrées fournissent des exemples de l'usage oral du langagerégulateur de l'action, tandis que les brouillons griffonnésconservent des exemples de ratures, de surcharges, d'additions etde suppressions que l'écoute des enregistrements permetd'interpréter. Il est particulièrement fascinant de voir sur le papieret d'entendre dans les paroles comment le texte s'ébauche, setransforme et acquiert une stabilité relative remise en jeu plusieursfois. Une fois inscrits, les énoncés instaurent avec les scripteurs unautre rapport, le morceau de texte déjà écrit s'impose comme objet,

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il oriente et guide le texte à venir. Il est tout aussi intéressant devoir se nouer entre les partenaires des relations rarement explicitesd'entente, de complicité, de séduction, ou de rivalité, deconcurrence, de conflit. La nécessité de trouver un mode decoopération et de produire un texte acceptable agit comme unrévélateur d'attitudes et de comportements sociaux. S'y développetout le jeu subtil des faces.

Cette richesse des corpus cependant n'a pas que des côtéspositifs. La multiplicité des facteurs en jeu a quelque chosed'alarmant pour le chercheur en quête de résultats vérifiables et dedécourageant pour l'enseignant et le formateur d'expression écrite.L'orientation didactique de nos recherches nous incite en effet àtraduire nos observations en conseils et en directives généralesapplicables par des enseignants. Or nos descriptions empiriquesdétaillées, si minutieuses, si objectives soient-elles, sont toujourssujettes à caution et effectivement remises en question par denouveaux corpus. Nous manquons de l'assurance que donnent desrésultats chiffrés qui, dans d'autres disciplines scientifiques, fontoffice de preuves sans appel. Mais nos observations mettent au jourles comportements ordinaires, les stratégies et les savoir-fairepratiques que les programmes d'enseignement ignorent et qui nesont souvent acquis que par imprégnation.

Résultats de l'analyse des données

L'analyse du processus rédactionnel s'est développée, pour ledire schématiquement, dans quatre directions: les relations entreles partenaires, l'exécution de la tâche, les activitésmétalangagières, les procédures de reformulation.

Relations entre les partenairesNous avons observé la distribution des rôles, les modes de

collaboration, les profils socio-cognitifs individuels tels qu'ilss'actualisent dans l'interaction. Les positions distribuées au débuten tant que rôles par contrat sur la tâche et par contrat didactiqueselon les savoirs reconnus d'experts évoluent et sont redéfiniescomme places discursives selon le système des relationsinterpersonnelIes. La répartition des tâches, entre scripteur attachéà l'acte matériel du tracé des mots et contrôleur de l'inscription,

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entraîne une complémentarité des rôles. L'un, plus soucieux de lalangue, se réfère à la norme, si l'autre, plus attentif au contexte,justifie ses choix par la consigne et les buts visés du texte.

Exécution de la tâchePour segmenter les corpus nous avons défini les phases du

processus selon le déroulement du programme d'activités. Onconstate la régularité cyclique des opérations pour produire le texteselon une sorte de scénario répété phrase après phrase. On constateaussi que la nature des unités de traitement du texte est fonction deces opérations. La phase initiale d'élaboration envisage le contenuet la forme générale du texte entier et de ses parties (inventio etcompositio) ; l'élaboration proprement rédactionnelle (elocutio) seconsacre à la formulation des unités syntagmatiques dans le cadredes contraintes d'un projet de phrase limitée par un point. Lesphases de contrôle et de révision qui accompagnent l'inscriptionexaminent les unités morphologiques. La relecture de la phraseinscrite assure le retour à l'unité textuelle et la transition avec lecycle d'opérations suivant.

Activités métalangagièresUne partie importante de notre recherche a porté sur les

discours métalangagiers explicites énoncés pendant la rédaction detextes pour guider et organiser le travail, pour résoudre lesproblèmes de formulation, de style, de grammaire. Nous voulionsinventorier les savoirs sur la langue écrite disponibles eteffectivement utilisés. La question de l'efficacité d'unenseignement systématique de la langue pour développer lapratique du langage n'est pas tranchée. Les échanges de travailenregistrés sont par définition métadiscursifs, ils portent sur desactivités de production discursive et sur les éléments du texte àproduire, mais ils le sont implicitement plus qu'explicitement. Lessituations sont doublement réflexives du fait de l'insertion d'unesituation d'énonciation représentée, celle du texte, dans la situationqui se déroule pendant l'enregistrement. Les processus deformulation sont redoublés: au contrôle de la fabricationcoopérative de la conversation, dans l'alternance des tours, s'ajoutele contrôle méta-rédactionnel de la succession des opérationsd'écriture.

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Les séquences autonomes d'explications métadiscursiveslongues sont rares, elles concernent l'élucidation des référents etles choix lexicaux, la représentation du modèle de texte, lesconventions des genres de textes, les différences des règles socialesde rédaction d'une culture à l'autre, par exemple le cas des formulesritueIles de politesse, ainsi que la règle stylistique de non-répétitiondes mots. Les échanges qui concernent l'orthographe, laponctuation, la morphologie grammaticale sont généralementallusifs. Les partenaires se réfèrent à un bagage scolaire restreint etsont muets sur la syntaxe des groupes intraphrastiques, et sur lasyntaxe des relations interphrastiques. Les problèmesgrammaticaux sont rarement traités en tant que tels. Ainsi lesambiguïtés de construction ne sont pas traitées au niveausyntaxique, mais par approximation et comparaison du sens deplusieurs formulations: l'improvisation d'explications est rarementefficace sur les problèmes grammaticaux. Plus elles sont longues,plus elles sont confuses. La référence aux règles embrouille etn'éclaircit pas la raison d'être de l'usage. Lorsqu'il y a amorced'argumentation, justification ou surtout réfutation de laproposition d'un segment du texte, les rédacteurs ne recourent pasà des explications de forme logique, mais emploient desévaluations esthétiques et affectives (c'est joli, ça fait lourd, ça faitpompeux, on laisse tomber l'honneur alors 1... non mais moi j'ytiens à l'honneur), des arguments pragmatiques en référence audestinataire imaginé du texte (politesse, familiarité, concision,clarté), des arguments d'autorité en référence à des normes. Ne sontpas verbalisées, ni explicitées les coordinations, la structurethématique, les subordinations, les inférences, la polyphonieénonciative, c'est-à-dire le niveau intermédiaire entre micro- etmacro- structuration du texte, sinon par des appréciationssubjectives globales.

Procédures de reformulationLa majeure partie des échanges de travail consiste en

reformulations. Les segments proposés par l'un des partenairessont repris en écho par l'autre, répétés, modifiés et constituent desparadigmes d'expressions à fonction d'autonymes, proférées en« mention ». La formulation des segments est progressivementmise au point par tâtonnements et essais successifs dans unprocessus négocié de maturation et d'appropriation du texte, puis

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de distanciation et d'objectivation, qui se passe de métalangageexplicite. Le texte paraît se constituer de lui--même par une sorted'auto-genèse. Ce travail de formulation se présente sous troisaspects différents, selon qu'il s'agit de la gestation du texte avantson inscription, où l'écrit est un objet virtuel, malléable, ou selonqu'il s'agit d'accompagner l'acte concret d'inscription, endécomposant le segment de texte pour le dicter, ou selon qu'il s'agitde réviser une portion de texte déjà inscrit et relu. L'analyse desreformulations éclaire l'histoire des ratures constatées sur lesbrouiJIons des textes, le moment où elles interviennent - pendantou après l'inscription - et le détail des procédures de correctionmises en œuvre.

Le calcul des reformulations successives de chaque segment detexte montre quel coût en nombre d'opérations nécessite sonélaboration définitive. On peut ainsi comparer le coût respectif dechaque phrase et mesurer les variations du rythme de productionselon les parties du texte et l'avancée du travail. Ce rythme trèslent au début du texte s'accélère ensuite, mais ralentit de nouveauaux changements de paragraphe ou de partie, et la fin du texte estl'objet de longues négociations, sauf si la lassitude conduit lesrédacteurs à « expédier» la fin.

On touche dans l'étude de ces « co-re-formulations » un pointnodal des discussions théoriques sur les unités de syntaxe et depragmatique pertinentes pour décrire l'usage oral et la norme écrite(Danon-Boileau & Morel, 1998 ; Blanche-Benveniste, 1997 ;Béguelin, 2000). Les conversations rédactionnelles montrentquelles relations se nouent, dans notre pratique langagière de co-locuteurs lettrés, entre l'émission des paroles, bribes lancées etreprises au cours d'un projet phrastique fugitif qui donne un cadrevirtuel à l'énoncé, et la fabrique progressive de l'écrit dans lesessais remodelés d'un objet phrastique visible, normé et ponctué.

Le savoir-faire expert

Le processus dépend d'un éventail de paramètres. Il est fonctionde la durée de l'interaction et de l'avancée du texte, du genre detexte, de la motivation et des enjeux. Les enjeux sont relatifs authème, au contexte, à la qualité de la relation, c'est-à-dire àl'implication personnelle des partenaires dans cette relation. Le

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processus dépend aussi des niveaux d'expertise et de l'écart entreles co-rédacteurs.

Le genre de texteLe travail des experts, comparé à celui des non-experts, se

caractérise de façon contradictoire selon que la tâche estl'application d'un modèle de texte ou qu'elle exige invention etélaboration. Sur des textes codifiés fonctionnels qui relèvent de saprofession, l'expert se montre économe et efficace. Sur des textesoriginaux, personnels, intéressants, c'est J'inverse. Le piétinement,les répétitions, les tâtonnements sont toujours plus longs au débutdu texte et au début de chaque phrase, ils s'accroissent pour destextes argumentatifs et lorsque J'expert est davantage conscient dela complexité de la tâche et de l'importance de la formulation.

Le désordre productifS'il existe bien un ordre régulier qui guide le déroulement du

programme d'activités rédactionnelles, programme général etprogramme cyclique repris phrase après phrase, nous avons montréaussi que le désordre est productif et qu'il s'accroît avec lacompétence des scripteurs. Les experts savent gérer simultanémentdes unités textuelles de différents niveaux, savent conduireparallèlement des activités différentes, des activités centrées sur latâche (disons pragmatiques) ou hors tâche (relationnelles), desactivités collectives et d'autres individuelles. Ils portent sur leprocessus un regard prospectif et rétrospectif (Bouchard et deGaulmyn, 1997). Lorsque les partenaires collaborent à une mêmetâche (évaluation et correction d'une unité textuelle), ilsconstruisent une action conjointe, en proposant après une premièrecontribution, d'autres contributions co-orientées et déterminées parJ'ordre des tours de parole. À d'autres moments leurs actions sontdisjointes, non synchronisées, divergentes: ils ne traitent pas de lamême unité textuelle, ils ne travaillent pas au même rythme, ilsopèrent des retours en arrière, des accélérations. D'où desdécalages, des parasitages, des brouillages, mais aussi des échos,des résurgences inattendues d'éléments antérieurs qui relèvent ducontexte large de l'interaction et non du contexte immédiat. Orc'est ce désordre qui est productif et qui forme le tissu del'interaction, vue comme un faisceau tressé plutôt qu'une chaîned'activités en succession logique.

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Les objets intermédiairesLes rédacteurs experts ne font pas appel au savoir ni au

métalangage des experts en grammaire et en style, mais à destechniques et à des procédures qui composent un savoir fairepratique acquis plutôt qu'appris. Ils utilisent des objetsintermédiaires, soit des écrits préalables (plans, listes d'argumentsnotés), soit des croquis, des schémas explicatifs. C'est le cas de lasituation dont un extrait est présenté plus loin. De tels objetscomposent le contexte du texte à venir et lui imposent une forme.Objets matériels visibles, ils n'appartiennent plus à l'un desrédacteurs, mais leur sont devenus des outils communs. Ilscontribuent à la construction d'un énonciateur textuel mis àdistance par chacun des co-rédacteurs.

Le langage pré-construitUne autre procédure consiste à s'appuyer sur du langage pré-

construit, soit lexical, soit morpho-syntaxique. Les formulesobligées, les expressions plus ou moins figées sont un matériaupréfabriqué et recommandé par l'usage. Les rédacteurs se sententainsi en conformité avec l'attente des lecteurs. Les couples dephrases liées sont construits sur des moules périodiques etrythmiques éprouvés qui équilibrent la négation par uneaffirmation, la proposition par une restriction, la question par Uneréponse. Les rédacteurs en quête de qualité et d'améliorationrejettent les stéréotypes qu'ils jugent usés, banals, pour élire en faitd'autres stéréotypes, mais jugés neufs, et ils portent une attentionspéciale à l'attaque et à la coda souvent enrichies d'une métaphore(Bouchard, Gaulmyn, Sadni-Jallab, 1998).

Un premier mot pour amorcer une phraseUne fois inscrite, une première phrase fait surgir, au moment de

sa relecture, l'occurrence d'un mot nouveau qui sert d'amorce pourla phrase à venir. Ce mot est ordinairement un connecteur (en plus,en outre, par exemple...), Il est automatiquement etimmédiatement adopté et n'est plus remis en question. Au contraireil est chargé d'entraîner à sa suite le train des mots de la phrase. Ilest répété autant de fois que nécessaire, comme on tire sur ledémarreur d'un moteur récalcitrant, ou comme on frotte unevoiture à friction pour lancer le mouvement.

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Les relecturesLe rôle des relectures dans la rédaction experte est important.

Le texte déjà inscrit détient un pouvoir d'entraînement sur le texteà venir. La portion de texte déjà inscrite, lue et relue, guide etcontraint la production de la suite du texte, et devient comme unpartenaire qui acquiert une sorte d'autonomie et d'autorité.

Les relectures ont un effet visible sur le texte lorsqu'ellesengendrent une rature, une réélaboration et une réécriture : fonctionnégative de correction donnant lieu à négociation et processusd'amélioration. Elles ont un effet audible sur l'enregistrementlorsqu'elles assurent l'enchaînement et qu'elles guident laproduction orale de la suite: fonction positive d'amorce et detremplin. C'est le cas de relectures en cours d'écriture. En revancheles relectures différées ont une autre fonction positive, celIe desanction et de validation par les signataires, et une fonctiond'oralisation et de mise en scène du texte dont l'auteur-relecteursimule la réception par un futur lecteur. Les relectures assurentdeux fonctions opposées: l'appropriation du texte par sa « mise enbouche» et la distanciation qui objective le texte. Ces fonctionssont communes aux reformulations rétrospectives que sont lesrelectures et aux reformulations prospectives de l'élaboration oraleavant l'inscription.

L'apprentissage de la rédactionLe savoir-faire acquis des experts pose la question de

l'apprentissage. La pratique de la rédaction coopérative est-elle unfacteur de progrès pour des rédacteurs non experts? Pour répondre,nous distinguons le produit écrit - le texte rédigé à deux pendantl'enregistrement - qui est un compromis assez médiocre et leprocessus susceptible d'exercer une influence indirecte sur destextes écrits ultérieurement. La qualité du produit est donc distinctede la qualité du processus. Une interaction animée, où semanifestent confrontations, mises en question, conflits deconnaissances, peut influer négativement sur le produit de cetteinteraction, mais le bénéfice est constaté ultérieurement (Gaulmyn,2000a). En revanche, il faut distinguer les évaluations qualitativesobjectives des textes, portées par des juges extérieurs, et les critèresd'évaluation des scripteurs eux-mêmes sur leur texte. Nousconstatons alors qu'ils privilégient les recettes sûres, les structures

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préformées, voire stéréotypées, la coda finale (Bouchard,Gaulmyn, Sadni-Jallab, 1998).

Présentation du corpus

Description générale du corpusLes chercheurs lyonnais ont proposé aux auteurs des

contributions de la première partie de ce volume d'analyserl'extrait d'un enregistrement de rédaction conversationnelle. Lecorpus de rédaction conversationnelle, Meïté-Paulo, est l'un desplus longs enregistrements lyonnais de rédactionconversationnelle: 2 heures et 60 pages de transcription. Ilcomporte trois parties principales:- l'énoncé de la consigne est suivi de la production d'un brouillonpréalable, ou d'une fiche de travail qui a la forme d'une prise denotes et d'une double liste d'arguments pour et contre, suivie deconclusions. Ce premier brouillon constitue un «objetintermédiaire» Il sert aux deux rédacteurs de mémoire et deressource pendant la confection du texte proprement dit. Il guide laforme et la composition du texte: les deux listes mises en regarddeviennent les deux parties du texte, pour et contre les devoirs à lamaison;- les partenaires désignés dans la transcription par F (Méïté) et H(Paulo) entament une discussion sur le choix du titre à donner autexte et ils renoncent à trancher entre plusieurs solutions. Ilsrédigent alors une introduction de quatre phrases, plus exactementune double introduction. Cette introduction, qui n'était pas prévueau moment du plan préalable, leur demande beaucoup de temps etde longues négociations;- ils procèdent ensuite à l'élaboration orale du plan, à la mise enordre des arguments qu'ils numérotent sur la liste préalable. Ilspassent à la rédaction des phrases du corps de texte dans l'ordre duplan d'après les arguments numérotés. Ils rédigent les conclusionsd'après les notes classées comme conclusions sur la liste préalable.Ils font à la fin une relecture générale.

Situation de l'extrait proposé à l'analyseL'extrait dénommé « On fait un titre à nous» se place au début

de la deuxième partie, au moment difficile où les partenaires

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passent des notes préalables à la rédaction du texte proprement dit.Le travail de rédaction a été jusqu'à ce moment différé grâce àl'élaboration de la liste d'arguments.

Forts de leur travail préalable, les co-rédacteurs transgressent laconsigne et redéfinissent la tâche. Ils rejettent le choix qui leur aété imposé entre deux titres, essaient de formuler leur propre titrepuis y renoncent, mais rédigent finalement le titre imaginaire d'untexte fictif. Cet extrait de leur conversation pourrait recevoircomme titre: «Du rejet du titre imposé à l'invention d'un titreimaginaire ». Ils transgressent doublement la consigne, par le typede texte et par la position argumentative. Il leur a été demandéd'écrire une lettre pour le courrier des lecteurs d'un journal, mais ilsvont écrire un texte de journaliste qui constate qu'il existe deuxpositions et présente le débat. II leur a été proposé de choisir et dedéfendre une seule des deux positions dans un débat possible entreécole et parents d'élèves: pour ou contre les devoirs à la maison.D'emblée ils refusent de choisir une position. Et dans leur premierbrouillon, ils dressent une double liste des arguments attribués auxtenants des deux positions, dont ils feront les deux partiesantithétiques d'une dissertation. Ainsi ils tentent de concilier deuxtypes de textes, l'article de presse et la dissertation scolairecanonique.

Dans cet extrait, F a l'initiative du nouveau contrat rédactionnel.Elle exerce une manipulation sur H pour imposer son idée. : c'estplus drôle, c'est toi qui l'a dit. H se rattrape par l'ironie, il pousse àla dérision, mais il donne son accord et paraît se ranger à l'avis deF. En fait il ne renonce pas à sa proposition personnelle que F avaitrejetée, il rédigera et il imposera ensuite sa propre version d'uneintroduction «sérieuse» (historique) de dissertation, ce quiorientera la rédaction de la suite du texte. Une fois leur doubleintroduction rédigée, pour mettre en ordre les arguments notés surle plan et les numéroter, ils sont contraints de choisir commepréférable l'une des positions. Finalement ils produisent bien untexte argumentatif, écrit à deux voix et à quatre mains, dans lequel,comme il leur a été demandé, les deux scripteurs s'entendent pouradopter entre deux positions proposées une position commune vis-à-vis d'un tiers virtuel.

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Segmentation de l'extraitLe corpus ici utilisé se présente sous la forme d'une cassette et

d'une transcription de quelques minutes de conversation - les toursde parole numérotés de 368 à 550 - à laquelle est joint le texte écritrédigé en entier, la transcription de la consigne donnée oralementaux deux partenaires au début de l'interaction et un bref résumé del'interaction entière. Ces documents, à l'exception évidemment dela cassette, sont reproduits ci-après.

L'analyse plus précise de l'extrait proposé exige de lesegmenter. Cette segmentation, des tours 368 à 550, est fondée surl'identification des activités rédactionnelles et obéit à la finalité dela situation de travail. Les cinq parties repérées sont décomposéesen séquences et sous-séquences d'activités.

Tours 368-383

Les partenaires prennent trois décisions préalables: celle decommencer (la rédaction du texte), en 368-373, celle d'attribuer lerôle de scripteur, en 374-378 (en fait de changer de scripteurpuisque F a écrit le plan), celle de choisir entre les deux titres pourou contre (donnés en consigne), en 379-383.

Tours 384-402

Méïté s'oppose à la consigne que Paulo vient de rappeler et contre-propose d'abandonner la consigne pour ne pas choisir pour/contre.Elle expose son plan de texte aussitôt approuvé et commenté par H,ce qui les conduit en plein accord à rejeter la consigne et les titresdonnés. F en parlant du texte justifie par avance le changement detitre.

Tours 402-418

Ils reviennent sur la formulation du titre: H propose d'élaborer unnouveau titre; il Y a désaccord entre F qui préfère une formule-choc d'alternative adressée au lecteur futur et H qui opte pour unedéfinition neutre, mais il ne se produit pas de tension: H proposede ne pas prendre de décision et de remettre la question du titre àplus tard.

Tours 419-500

Cette partie constitue un grand épisode argumentatif : lespropositions de F et de H sont incompatibles et F emploie des

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moyens variés pour imposer la sienne, elle en vient même àprétendre que c'est justement H qui en est l'auteur.

419-425 : une proposition de H n'est pas évaluée par F.426-431: une di version est donnée par un échange

parenthétique ou enchâssé sur le style à donner au texte. F justified'avance implicitement la proposition qu'elle s'apprête à faire.

432-446 : F formule sa proposition.447-461 : H commente la proposition de F qu'il reprend en y

joignant une proposition de deux phrases pour la justifier.462-482 : F reformule la suite des deux phrases et H fait une

diversion ironique sur les noms de journaux.483-489 : H auto-reformule sa proposition antérieure (énoncée

en 423) (qui sera reprise plus loin pour la troisième phrase dutexte).

490-500: F la rejette et H cède et accepte de l'abandonner. En496 F attribue à H la formulation de la position défendue par F.

Tours 501-550

H et F font un retour à la co-rédaction de la première phraseproposée par F.

501-508: ils procèdent à la co-reformulation de: enfanttrouvé suicidé.

509-519 : une diversion est donnée par la surenchère comiquedeH.

- 520-544 : se développe une séquence de co-formulation et deco-rédaction: essai de suicide d'un enfant heureusement pasréussite: trop de travail à la maison.

544-548: ils s'expliquent au sujet de l'ambiguïté de titre.549-550: ils répètent la formulation avant de l'inscrire.

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Denis ApothelozUniversité de Fribourg (Suisse)

Les formulations collaboratives du textedans une rédaction conversationnelIe :

modes d'expansion syntaxique, techniquesméta-langagières, grandeurs discursives manipulées, etc.J

Introduction

La rédaction conversationnelle est une situation dans laquelledeux protagonistes (au minimum) coopèrent à la rédaction d'untexte, que j'appellerai ci-après «texte-cible ». Celui-ci est parconséquent élaboré interactivement et conversationnelIement, etconstitue le but affiché de l'interaction2. Les énonciations induitespar ce type de collaboration présentent une grande diversité defonctionnements: certaines règlent les modes de coopération (parexemple décider qui écrit), d'autres prennent le texte-cible pourobjet et le commentent sur un mode explicitement métalangagier,d'autres encore sont produites comme de pures formulations du--------------------I Je remercie Françoise Zay, dont les observations m'ont permis d'améliorer trèssensiblement cet article.2 Je pense que la notion de but, telle qu'elle a été évoquée par de nombreux participants aucours du colloque pour décrire la situation des rédactions conversationnelles, et souventidentifiée au texte-cible, ne va pas sans poser quelques difficultés. Quel est, au fait, le but desdeux rédacteurs Me'ité et Paulo, dans cette situation somme toute expérimentale? Défendreune position, leur position, face au problème qui leur est soumis. comme s'ils étaientréellement des parents d'élève? Simuler une lettre de parent d'élève quelconque?Reproduire sur le mode collaboratif une pratique scolaire rodée (la dissertation) ? Donnersatisfaction aux expérimentateurs en s'acquittant du contrat qui les lie tacitement à eux, àsavoir rédiger un texte argumentatif sur un thème imposé? ... On voit bien que selon la

manière dont ce but est conçu, l'activité qui en résulte est très différente. Désigner d'autoritéle texte comme finalité principale de l'interaction, c'est en définitive attribuer a priori auxacteurs une interprétation de la situation qui n'est pas obligatoirement la leur. La notation~outée par Meïté et Paulo à la fin de leur texte, juste avant leur signatUre (011 espère que çavous aidera) est à cet égard révélatrice: elle renvoie le chercheur à sa recherche et à lademande qu'il a faite aux deux acteurs de «produire du corpus ». En situation nonexpérimentale, «naturelle", le problème de la définition du but n'est d'ailleurs pasfondamentalement différent. Raison pour laquelle je préfère utiliser ici l'expression de butaffiché. Pour des motifs analogues, je trouve discutable de définir la rédactionconversationnelle comme une situation de résolution de problème, comme on J'a égalemententendu au cours du colloque.

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texte-cible, sans marquemétalangagier. Seul vad'interventions.

Dans ce corpus, je voudrais explorer deux points. Tout d'abord,j'essaierai de brosser un portrait général de ces énonciations, enm'intéressant en particulier à leurs caractéristiques sémiologiques,interactives et énonciatives.

En second lieu je voudrais explorer ce que, faute de mieux,j'appellerai provisoirement leur « valeur référentielle », en étudiantune courte séquence durant laquelle on voit le texte-cible s'élaborerdans et par la mécanique conversationnelle. On observera enparticulier que ces séquences font émerger des objets langagiers(discursifs, syntagmatiques) qui sont les objets pratiques etéphémères de ces échanges. Mon approche sera, tout au long de cetravail, essentiellement descriptive.

segmentale signalant le registreme retenir ici ce dernier type

Les formulations du texte-cible

Caractéristiques sémiologiques et formellesJe voudrais d'abord m'arrêter un instant sur le statut

métalangagier de ces formulations.Les sciences du langage font un usage abondant du morphème

méta-. Pour bien comprendre ce qui se passe dans les formulationsqui m'intéressent, il est utile de s'arrêter un instant sur la notion sifréquemment évoquée de métalangage. Remontons pour ce faireaux travaux de Hjelmslev. Je rappelle que cet auteur appellelangue, ou sémiotique, tout système dans lequel on peut et doitdistinguer un plan du contenu et un plan de l'expression. De là,Hjelmslev signale deux complexifications possibles de cettestructure sémiotique de base (cf. chapitre 22 des Prolégomènes) :- les sémiotiques dont le plan du contenu est lui-même unesémiotique. Ces sémiotiques servent à « traiter d'une sémiotique»(p. ISO), et le contenu de leurs signes renvoie à une autresémiotique. Ce sont, en d'autres termes, des métasémiotiques.C'est là très précisément le statut des métalangues. Toutegrammaire, toute linguistique est une métalangue, donc unemétasémiotique ;- les sémiotiques dont le plan de l'expression est lui-même unesémiotique. Hjelmslev leur donne le nom de sémiotiques

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connotatives. Par exemple, le fait que le français que je parlecomporte des caractéristiques du français de la Suisse romandesignifie, «connote» mon appartenance à cette communautélinguistique et éventuellement d'autres significations associées.Ces connotations sont des contenus qu'on peut inférer du plan del'expression de la sémiotique que je mets en œuvre chaque fois queje produis une énonciation orale, ce qui fait de ce plan unesémiotique.

Une sémiotique qui s'en tient aux deux plans du contenu et del'expression, et dont ni l'un ni l'autre de ces plans n'est unesémiotique, est appelée par Hjelmslev sémiotique dénonative. C'esten principe le cas des langues naturelles dans leurs usagesordinaires (c'est-à-dire ni métalangagier ni connotatif).

n existe par ailleurs des degrés dans ces fonctionnements. Lagrammaire et la linguistique sont des métasémiotiques de degré 1.Mais une langue qui traite de la grammaire, donc une langue dontl'objet est une métasémiotique de degré 1, serait une méta-métasémiotique, ou métasémiotique de degré 2 ; et ainsi de suite(cf. le texte intitulé Degrés linguistiques, publié dans Hjelmslev,1966).

Toute langue naturelle possède un lexique dont le contenu estintrinsèquement métalangagier (phrase, mot, pronom, conSOllne,syntaxe, etc.). Cependant, les énonciations métalangagières qui fontusage de ce lexique ne se distinguent en rien des énonciations nonmétalangagières, si ce n'est par leurs référents: ces derniersappartiennent au domaine de la langue. Mais pour le reste, aucunecaractéristique morphosyntaxique ne différencie le produit d'unelangue dénotative du produit d'une métalangue. Cela tient au faitque le langage est un objet de discours comme un autre.

Si le fonctionnement métalangagier n'implique pas, du moinspas obligatoirement, des caractéristiques formelles propres, ilexiste cependant des structures linguistiques qui indiquentmorphosyntaxiquement et prosodiquement le fonctionnementmétalangagier. Il s'agit des expressions qui ont reçu le nom dementions, ou d'emplois autonymiques (la supposition matérielledes logiciens du Moyen-Âge), comme dans 'Amphi' est uneabréviation de 'amphithéâtre'. Les principales marques del'autonymie sont les suivantes: (i) l'absence d'article; (ii) uncontour prosodique spécifique, qui détache l'item de sonentourage, et que la convention typographique traduit par des

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guillemets ou des caractères italiques; (iii) la neutralisation del'opposition des genres grammaticaux, avec l'emploi généralisé dumasculin (cf. Ici 'polémique' est plus sérieux que 'dispute') -point qui suggère une catégorisation lexicale tacite, du type le mot'polémique'... L'observation montre toutefois que ces marques sontbeaucoup moins systématiques qu'on ne le dit communément.

Du point de vue sémiologique, on peut décrire lefonctionnement autonymique comme une suspension du signifié,donc comme un mode de désignation purement référentiel. D'où lefait qu'une expression employée autonymiquement n'a pas delexème synonyme. Dans l'exemple donné plus haut, le signifié deamphi et de amphithéâtre est en quelque sorte suspendu et cesexpressions réfèrent au mot amphi et amphithéâtre sans décrire cesréférents. Plus exactement, il faudrait dire que les expressionsemployées autonymiquement ont un fonctionnement iconique.Dans notre exemple, amphi désigne iconiquement l'item lexicalamphi et amphithéâtre désigne iconiquement l'item lexicalamphithéâtre. Ce rappel est important car les formulations dutexte-cible ne sont, au fond, rien d'autre que de l'autonymiegénéralisée. Elles renvoient iconiquement, et par fragmentssuccessifs, au texte en cours d'élaboration.

Exemplifions ce qui vient d'être dit sur un extrait du corpusMeïté-Paulo. Je marque ici, comme dans l'ensemble de cet article,toutes les formulations du texte-cible par un soulignement.

404 F

405 H406 F407 H408 F409 H410 F411 H412 IFI413 H414 IFI415 H

oui pff 0 on dit euh: devoirs à la maison' point d'interro¥"ation. (PETITRIRE)(ou bien 1la.;)1

ley sont pas)! (...)

kpour ou contre.la polémique du devoir. 0 à la maisonpolémique' qu'est-c= que ça veut dire,la polémique' c'est: la grande discussion Ipolémique c'est la discussion!

lah: oui j=1(...) ou bien O!~

1(...)1à la maison 0 ~ 0 vous êtes ponr' ou contre !point d'interrol:ationl

L'intervention 404 introduit la formulation du texte-cible demanière explicitement métalangagière (on dit euh). Lesinterventions 410-411 comportent quant à elles un fait de mention.Mais 411 (la polémique' c'est: la grande discussion /polémiquec'est la discussion/) montre que l'absence de l'article n'est pas un

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fait systématique. De fait, on est en présence ici de ce que certainsont appelé un «énoncé de double catégorisation» (Cadiot &Nemo, 1998). C'est-à-dire que cette formulation doit être comprisecomme portant simultanément sur le sens d'un mot de la langue(définition de mot) et sur un objet désigné génériquement(définition d'objet).

Il a été observé par plusieurs auteurs que les formulations dutexte-cible présentent des caractéristiques prosodiques plus oumoins spécifiques, qui les distinguent à la fois des énonciationsexplicitement métalangagières et des autres registres énonciatifsqu'on rencontre ordinairement dans cette situation (par exempleCamps et al., 1997). Les plus saillantes de ces caractéristiques sontles suivantes: élévation sensible du fondamental; ralentissementdu débit, avec tendance à détacher les syntagmes, ce qui confèreune dimension « analytique» à la formulation; contour mélodiqueindiquant parfois une sorte de suspension du lien interactionnel, oude modification du régime interactionnel, comme dans une lecture.Il a également été noté que ces caractéristiques, notamment cellesqui concernent le rythme, facilitent la coformulation, dans lamesure où elles créent des espaces permettant au partenaire departiciper à la construction du texte (Bouchard, 1997). Pour cetteraison, ces séquences sont en général assez aisément repérables, dumoins en situation.

Modalités d'interactionCependant, et en dépit même de la constance des

caractéristiques qui viennent d'être mentionnées, l'observationmontre que les formulations du texte-cible sont produites avec unegrande variété de patterns mélodiques et rythmiques. Cela tient àce qu'elles peuvent être énoncées avec toutes sortes de valeursd'interaction. En d'autres termes, le mode autonymique n'a pasd'effet suspensif sur les modalités interactives. Tout en «jouant»un fragment du texte-cible, les acteurs interagissentconversationneIlement. À cet égard on peut dire que le texte-ciblefonctionne à la fois comme le but affiché de l'interaction, etcomme un ensemble potentiel de moyens élaborés in situ que lesacteurs exploitent pour structurer leur interaction et lui conférer del'intelligibilité. Ainsi tel fragment est formulé comme unesuggestion, en attente d'une homologation ou d'une contre-suggestion; tel autre, comme exprimant un désaccord relativement

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à une proposition antérieure, ou au contraire une ratification; telautre se donne comme une récapitulation, suite à une séquence auterme de laquelle un accord paraît avoir été obtenu sur laformulation d'une « phrase» ; tel autre encore se présente commeune suggestion produite sur le mode parodique (Paulo produit uneou deux suggestions de ce type, en faisant de la surenchère dansl'horreur I), etc. Je ne donne ici ces quelques modalités qu'à titreindicatif. Il va de soi qu'il faudrait analyser finement chacune deces séquences, et mettre au jour la façon dont les acteurs eux-mêmes les catégorisent pratiquement, c'est-à-dire à travers et dansleur agir conversationnel.

Une place à part devrait être faite aux formulations quiaccompagnent l'inscription proprement dite du texte et qui sontliées à l'ergonomie de cette activité, notamment dans ses aspectsattentionnels et mémoriels3. Relativement à l'ensemble desformulations du texte-cible, elles présentent une série decaractéristiques propres, qui ne sont d'ailleurs pas les mêmes selonque la formulation est utilisée comme un amorçage de l'inscription(autodictée), comme une verbalisation accompagnant le gested'inscription proprement dit (auquel cas il y a simultanéité desdeux activités), ou comme une lecture (auquel cas elle suitl'inscription). Mais dans les trois situations l'on observe en généralun fort ralentissement du débit, plus important que dans les autresformulations du texte-cible, ainsi qu'une courbe mélodique basse,de faible intensité, avec très peu de variations de hauteur (pouvantaller jusqu'au chuchotement). Simultanément, il n'est pas rare quele partenaire s'engage dans une activité sans lien direct avecl'activité du scripteur, comme dans la séquence suivante où F imitela voix d'un journaliste radio tandis que H est absorbé parl'inscription:

587 H588 F589 !H!590 F591 H

ECRIT ce titre-!Ià' +!NOIX RADIO France! Info!à lai

!(RlT)!

une de la presse, +ECRIT ce titre-là pourrait bien (4) apparaître (3) +

--------------------3 Bouchard & de Gaulmyn (1997) analysent le processus de rédaction coopérative dessegments textuels comme comportant un cycle d'opérations organisées en cinq phases:préformulation, formulation proprement dite, inscription, lecture-enchaînement, et sanction.La transition d'une phase à la suivante est marquée par diverses interventionsmétalangagières et métacommunicationnelles et peut faire J'objet de négociations.

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Cette observation suggère que durant ces formulations, il y aune suspension relative du lien interactionnel. Il est clair cependantque cette suspension n'est pas complète. En attestent, d'une part, lefait que le scripteur produit une parole le plus souvent parfaitementaudible, que le non-scripteur peut capter à tout instant et surlaquelle il peut éventuellement intervenir; d'autre part, le fait quele non-scripteur continue à adresser ses propos au scripteur. Enréalité, l'activité d'inscription induit pour le scripteur une situationd'attention partagée.

Une autre propriété formelle de ces énonciations est qu'ellespeuvent être fragmentaires. Ainsi, il n'est pas rare qu'uneformulation produite simultanément à l'inscription omette un ouplusieurs mots. C'est ce qui se passe dans 575, où la préposition deest élidée dans le syntagme trop 00 devoirs 00 à la maison4. Ces« omissions» ont bien sûr à voir avec la fonctionnalité de cesformulations.

565 H566 F567 IH!568 F569 H570 F571 H

572 F573 H574 F575 H

576 F577 H

donc 00 ECRIT~ (4) essai de suicide' 00 +(PETIT RIRE) louai si

Iheinl(...)

qu'est-c= que tu as dit'e rigole, (que c'est) RIT 0 c'est vraiment exagéré mais (c'est pas grave) +ben: mais on va dire c'est (ben) c'est bon, 0 ECRIT essai d= suicide d'un

!llifilllr 000 + bon celui-là c'est brouillon numéro (...)j'aime bien ton écriture,ah bon' 0 tu es la seule, (RIT)(RIT)

d'lin enfant' 0 heureus=rnent pas réussite' ECRIT 000 heu reus=ment 000pas réussite' (6).t[QJ2 00 ~ 00 à la maison 0 +point d'interro~ation' (4) oui euh: (la) maison' 0(...) 0

On observera également dans cette séquence, comme dans laprécédente, que le temps de l'inscription est utilisé par F pourengager une activité parallèle (ses considérations sur l'écriture deH).

Caractéristiques énonciativesLes formulations du texte-cible soulèvent un problème difficile,

qui est celui de leur investissement énonciatif. Le mode

--------------------4 Après plusieurs écoutes attentives, je donne ici une transcription légèrement différente de

celle réalisée par Annie Chalivet, qui avait rétabli cette préposition. Mais il est certain quedans ce contexte (de devant un nom commençant par [d]), il est très délicat de se prononcer.

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d'autonymie généralisée qui les caractérise fait qu'elles sont desobjets extrêmement complexes sur le plan de l'énonciation. Ledébut du texte rédigé par Meïté et Paulo augmente encore cettecomplexité, puisque les deux rédacteurs conviennent d'amorcerleur argumentation par une sorte de parodie d'un titre d'article dejournal à sensations! Cette mention dans la mention engendred'ailleurs un quiproquo, Paulo ne sachant plus à un moment donnéde quel titre il est question, du titre du texte qu'il est en traind'élaborer avec Meïté, ou du titre mentionné au début de ce texte,en guise de captatio.

On sait que dans ses travaux sur la polyphonie, Ducrot (1983)distinguait trois instances, qu'il appelait sujet parlant, locuteur eténonciateur. Les «sujets parlants» de nos formulations sontMeïté et Paulo. Mais qui en sont les instances locutrices eténonciatrices ? Apparemment, dans les phases d'élaboration, onassiste à un entrelacs de prises en charge individuelles, dont ilrésultera, dans le produit fini, l'image d'un énonciateur unique (dumoins si le produit s'avère énonciativement consistant). Maisqu'est-ce qui est pris en charge, au juste, dans ces séquenc~s ?Certainement pas le « sens» que les énoncés auront dans le fixtedéfinitif. En réalité, le mode autonymique encapsule le dispositifénonciatif du texte en cours d'élaboration dans le dispositifénonciatif de la rédaction conversationnelle. De telle sorte que lesformulations du texte-cible superposent deux énonciateurs: celuiqui constituera l'instance énonciatrice du texte définitif, et queconstruisent pas à pas Meïté et Paulo; et les deux énonciateurs quesont Meïté et Paulo en tant qu'instances proposant, répétant,ratifiant, critiquant, amendant, etc. des fragments du texte-cible. Onle voit, chacun de ces dispositifs développe des «sens»complètement différents.

Quant au produit fini, on constate qu'il évite soigneusementtoute marque de première personne et, de ce point de vue, renvoiedavantage à un exercice scolaire qu'à une lettre de lecteur; et ce,même si, au cours de son élaboration, les acteurs oscillent entre ces--------------------S Je rappelle que le sujet parlant est celui qui produit psychophysiologiquement l'énoncé,celui qui le « prononce » ou qui « l'inscrit ». Le locuteur est l'instance que l'énoncé, dans lareprésentation qu'il donne de son énonciation, notamment par les marques de premièrepersonne, désigne comme l'auteur de l'énoncé. Quant à l'énonciateur, c'est l'instance qui estresponsable de l'acte accompli au moyen de l'énoncé (réfuter, asserter, promettre, etc.), qui«prend en charge» sa valeur d'action. Ducrot analyse toutes sortes d'exemples où cesinstances sont dissociées.

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deux modèles, ainsi que le note Bouchard (à paraître)6. L'instanceénonciatrice que construit ce texte n'apparaît en définitive que parla médiation d'un « genre» (disons, pour faire vite, la dissertation):elle met en scène, conventionnellement, un sujet qui énumèrescrupuleusement des arguments «pour» puis «contre », en lesattribuant prudemment à d'autres énonciateurs (cf. Ceux quidéfendent l'augmentation des devoirs à la maison, et plus loin:ceux qui sont contre le travail à la maison), et qui conclut par unesorte de compromis formulé lui aussi à la troisième personne (ensubstance: les devoirs à la maison, oui, mais à condition dediminuer le travail à l'école).

Au total, il apparaît que c'est essentiellement à travers cetteforme d'intertextualité que le texte rédigé par Meïté et Pauloconstruit une position d' énonciateur.

Référence et traitement du syntagme dans lesco-formulations du texte-cible

La rédaction conversationnelle est une situation dans laquelleles objets traités sont principalement de nature linguistique etmême, in fine, discursifs. Mais au-delà de ce constat général, il estintéressant de se demander quels sont plus précisément ces objetset notamment quelle est leur grandeur syntagmatique (au sens de« rang» et de «longueur»), comment ils sont développés, etcomment ils sont désignés. C'est ce que je voudrais essayer defaire maintenant, en étudiant une séquence au cours de laquelle unephrase du texte (de fait, il s'agit d'un long syntagme nominal) estformulée collaborativement et par tâtonnements successifs.

Cette section comporte trois parties. D'abord, je donneraiquelques indications sur la façon dont je conçois la référence. Ensecond lieu, je ferai une description relativement minutieuse de lamanière dont les interactants produisent, intervention aprèsintervention, le titre: Essai de suicide d'un enfant heureusementpas réussite: trop de travail à la maison? En troisième lieu, jeferai un certain nombre d'observations sur les principessyntaxiques qui sont à l'œuvre dans l'expansion de ce syntagme,sur les techniques conversationnelles qui permettent cette--------------------6 Sur cette notion de modèle de texte, voir Krafft & Dausendschon-Gay (1997).

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expansion, ainsi que sur les objets pratiques traités dans cesséquences.

La référence comme technique de gestion de l'intersubjectivitéJ'utilise ici le terme de référence par simple commodité. En

réalité j'hésite beaucoup à employer ce terme, tout comme celuiqui désigne son produit associé - référent - compte tenu de leurpassé et de ce que les linguistes en font généralement ensémantique du discours. Mon point de vue sur cette notion estgrosso modo le suivant.

D'abord je comprends le terme de référence comme désignantun ensemble de procédures. II y a pour moi deux paramètresfondamentaux dans la référence: l'attention et l'interaction.L'attention, parce que je crois que la référence est essentiellementune procédure qui porte sur l'orientation de l'attention; c'est unensemble de techniques de modification du champ de l'attention.L'interaction, parce que cette procédure n'est pas le fait d'unindividu isolé (sinon il ne s'agirait justement que d'attention), maisde deux individus au moins réglant interactivement l'orientation deleur attention, en principe dans le but de faire coïncider cetteorientation (ou d'obtenir subjectivement un effet de coïncidence).Dans tout processus de référence, il y a donc «accordage àl'accordage de l'autre», pour utiliser l'expression de Rommetveit(1992). II va de soi que pour mener à bien ces réglages, tous lesmoyens sont bons (et parfois substituables) : linguistiques, mimo-gestuels, prosodiques, conversationnels, etc. Par«conversationnels », j'entends les moyens qui exploitent lamécanique conversationnelle proprement dite. Les « référents» quisont le résultat de ce processus sont donc des constructs, desfictions sémiotiques, et non bien sûr des réalités qui préexisteraientà l'interaction (voir à ce propos Apothéloz & Reichler-Béguelin,1995).

En bref, on peut dire qu'il y a, dans les opérations de laréférence, une coordination de deux systèmes attentionnels : l'unorienté vers le partenaire, l'autre vers un foyer attentionnel. Del'accomplissement interactif de cette double coordinationémergent, du point de vue langagier, des «objets de discours »,dans une acception proche de celle que Grize (1996) donne à ce

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terme. Dans cette perspective, la notion de référence renvoie doncà un ensemble de techniques de gestion de l'intersubjectivité?

Je voudrais préciser encore que, du point de vue où je me placeici, la référence n'est nullement liée à des formes Jinguistiquesparticulières (par exemple à des expressions «référentielles »,comme les SN définis et démonstratifs, les pronoms, etc.). Ce sontdonc des faits de gestion conjointe de l'attention, qui vont meretenir, indépendamment des moyens utilisés.

L'expansion du syntagme nominalL'exemple que je voudrais étudier est une séquence au cours de

laquelle Meïté et Paulo formulent le titre d'un article imaginaire,peu avant son inscription sur papier. Je simplifie ci-dessous latranscription, en ne gardant que les formulations du texte-cible. Lesdeux espaces interlignes signalent une courte interruption de cesformulations. C'est principalement le mode d'expansion dusyntagme nominal qui m'intéresse ici.

521 H522 F523 H524 F525 H527 H531 H532 F533 H534 F535 H536 F536-8 F539 H540 F541 H542 F543 H544 F549 H550 F

essaienfant a essayé de se s-essai heureusement pas réussite

d'un enfantd'un suicidepar un enfant qui avait trop de devoirs

essaiessaimal réussitemalheureusement heureusementheureusementheureusement pas réussiessai de suicide heureusement pas réussiheureusement pas réussiteessai de suicidede la part d'un enfant

d'un enfantd'un enfantheureusement pas réussi double point trop de travail à la maison

essai de suicide d'un enfant heureusement pas réussitedouble point trop de travail à la maison point d'interrogation

On observe d'abord que H et F démarrent leur formulationd'une manière qui montre qu'ils divergent sur le type de syntaxequ'ils vont adopter: H se lance dans une syntaxe nominale, alors--------------------7 J'emprunte cette expression à Mondada (1995), qui l'utilise d'ailleurs pour désignerd'autres procédures conversationneIles.

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que F paraît opter pour une syntaxe phrastique. Mais dès 524, F serallie au choix de H.

Le premier mot formulé par H (essai) projette d'emblée unsyntagme nominal, dont il est la « tête» syntaxique. Observonsmaintenant comment ce syntagme est progressivement complété.En 523, H adjoint à la tête nominale une détermination(heureusement pas réussitel Puis les deux rédacteurs complètentsémantiquement la tête nominale. Le nom essai est en effet un nomde procès, qui implique des rôles sémantiques (qui essaie quoi).Les interventions 524 et 525 spécifient précisément ces deux rôles.(Pour distinguer la fonction de heureusement pas réussite de cellede ces déterminations sémantiques, je parlerai respectivement de«détermination externe» et de «détermination interne ».) Maiscette spécification est ici purement sémantique: tout se passecomme si les deux rédacteurs se bornaient à indiquer avec quoi« remplir» les rôles impliqués par la tête nominale, sans encore sepréoccuper de la linéarisation du syntagme. En 527, H paraît resterdans cette logique, et son intervention est à la fois un amendementet une complétion de 524 : substitution de par à de, et adjonctiond'une détermination à un enfant, sous forme d'une relative (quiavait trop de devoirs). Syntaxiquement, cette relative estdéterminative, même si sémantiquement elle a à l'évidence unevaleur explicative (l'excès de devoirs expliquant la tentative desuicide). À la fin de cette première séquence, toutes lesinformations devant figurer dans le syntagme nominal ont étédonnées, de même que leurs rapports syntaxiques. Mais lalinéarisation reste à faire, et plusieurs solutions sont théoriquementpossibles. Voici celles qui sont pendantes, si on considère que 527est homologuë (la suite montre qu'il ne le sera pas! ) :

--------------------8 Rien n'empêcherait. du moins sur la base de la seule transcription. et compte tenu que lesacteurs sont allophones. d'interpréter cette intervention de H comme un syntagmeinterrompu immédiatement après essai. avec reprise d'un nouveau syntagme qui serait:heureusement pas réussite d'un suicide par WI enfant réussite étant alors interprétécomme un nom. Mais les caractéristiques prosodiques de cette intervention n' indiquent pas

qu'il y ait eu interruption et formulation d'un autre syntagme. Le mot réu.çsite est donc bienici un adjectif accordé par erreur au féminin.9 L'expression d'homologation. que j'utilise à plusieurs reprises dans cet article, n'est peut-être pas la plus heureuse qui soit. Il serait plus exact de dire que certaines interventionscréent des irréversibilités partielles et momentanées, c'est-à-dire un certain effet sur l'objetdont la construction est en cours.

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essai heureusement pas réussite de suicide par un enfant qui avait trop dedevoirs

essai de suicide heureusement pas réussite par ur; enfant qui avait trop dedevoirs

essai de suicide par un enfant qui avait trop de devoirs heureusement pasréussite

La deuxième séquence (531-544) est presque entièrementconsacrée à ce travail de linéarisation. Elle débute d'une façon trèssemblable à la première, en ce sens que sont d'abord formulées latête du syntagme puis sa détermination externe principale, quidonne lieu à diverses reformulations (mal réussite,malheureusement..., heureusement pas réussi). Son homologationpar F en 536-8 intègre en même temps une première déterminationinterne (de suicide), qu'elle insère entre la tête nominale et sadétermination externe (essai de suicide heureusement pas réussi).Les interventions suivantes visent à insérer la secondedétermination interne, dont les formulations antérieures sont d'unenfant (524), et par un enfant qui avait trop de devoirs (527). Henpropose une autre formulation encore (de la part d'un enfant), àlaquelle F oppose simplement d'un enfant. La répétition par H decette dernière proposition (543) est apparemment interprétée par Fcomme un accord. Toujours est-il que F enchaîne en adjoignant ladétermination externe, et en prenant l'initiative de rejeter dans unedeuxième partie de l'énoncé l'information explicative proposée parH en 527 (qui avait trop de devoirs, qui devient trop de travail à lamaison). Ce faisant, elle modifie le programme syntaxique projetépar l'intervention 527 de H.

La troisième séquence (549-550) est une sorte de récapitulationinteractive du résultat de ces opérations de linéarisation.Immédiatement après cet extrait, H revient sur son idée de toutmettre dans le même syntagme, comme le laissait entendre saproposition de 527 ; mais F argumente en faveur de sa solution àelle, qu'elle juge plus percutante. Vient alors la phase d'inscriptionproprement dite.

On notera ici qu'une certaine incertitude demeure quant auxmotifs du rejet dans une séqence syntaxiquement autonome del'information « trop de devoirs» ou « trop de travail à la maison ».À observer la seule séquence donnée ci-dessus, ce rejet apparaîtmotivé par des raisons syntaxiques: la longueur du syntagme et sacomplexité font de sa linéarisation une tâche difficile, aucune des

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solutions de la combinatoire n'étant vraiment satisfaisante.Pourtant, ce sont des motifs d'un tout autre ordre qu'évoque F pourjustifier sa formulation! Sur ces questions de changements deprogramme syntaxique, je renvoie le lecteur à Apothéloz & Zay(1999).

Les modes de reformulations, la syntaxe de l'expansion et sesobjets pratiques

L'analyse qu'on vient de lire me conduit à faire les observationssuivantes.

La première observation concerne l'expansion du syntagmenominal, telle qu'elle est accomplie conversationnellement. Àconsidérer la description qui précède, trois principes paraissentguider cette expansion. Ce sont les suivants:Ci)établir la liste des différents constituants du syntagme; à cetteétape-là, l'expansion tend à n'être que syntaxique, en ce sens quesa linéarisation dans une séquence n'est pas nécessairementpertinente pour les rédacteurs (du moins, il arrive qu'ils fassentcomme si elle ne l'était pas) ;Cii)formuler des séquencesconsistant en un segment « déterminé»et un segment « déterminant" » ;(iii) commencer au rang le plus élevé du syntagme pour descendreprogressivement vers les rangs les plus bas, quitte à transgresserl'ordre séquentiel des constituants.

Ce troisième principe explique par exemple qu'à un rang donnésoient traitées d'abord les déterminations externes et ensuiteseulement les déterminations internes.

On constate par ailleurs, dans ce bref extrait, que lareformulation est la technique par excellence qui permet d'élaborerle texte de manière coopérative, c'est-à-dire de s'approprier lesformulations proposées par le partenaire de manière à «construireun discours mono logique dans la forme dialogale» (de Gaulmyn,1987 ; voir également de Gaulmyn, 1998). Concrètement on peutdire que la coopération consiste, dans ces séquences, à exhibercontinûment, c'est-à-dire à chaque pas, la manière dont ce qui estformulé s'articule à ce qui a déjà été formulé. Un point intéressantà noter à cet égard est la signification qui paraît émerger, dans cesséquences, de l'opposition entre deux types de techniques:« répéter et continuer », d'une part, et « continuer sans répéter »,d'autre part. Quand l'un des protagonistes continue la formulation

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de son partenaire en commençant par répéter une partie de ce quecelui-ci a formulé (Le. «répéter et continuer»), cela signifiegénéralement qu'il modifie la formulation dont il hérite (parexemple en faisant une insertion) avant de la prolonger. Quand, enrevanche, sa formulation ne comporte pas de répétition (Le.«continuer sans répéter »), cela signifie qu'il ne fait qu'un ajout.En 536-8 par exemple, F, en reprenant à partir de essai, exhibe lefait qu'elle va modifier la formulation dont elle hérite (qu'eUe vientd'ailleurs elle-même de produire), et qu'elle est en traind'interrompre la logique de la concaténation pour proposer uneinsertion. Tandis qu'en 524, en ne faisant que continuer laformulation énoncée par H, elle homologue ipso facto cetteformulation (et exhibe du même coup son abandon de la syntaxephrastique qu'elle avait elle-même amorcée en 522). II faudraitajouter à ces deux techniques un troisième cas de figure, qui est« répéter» tout court. Dans l'extrait analysé, la simple répétitionest systématiquement interprétée, d'une part comme un signald'homologation, d'autre part comme un signal de « participation»à la recherche de la suite du texte (cf. 532, 535, 539, 542, 543).

Il est à noter que si « répéter» fonctionne régulièrement commeun signal de ratification, « répéter incomplètement» ne ratifie quece qui est répété (et signale potentiellement un désaccord avec cequi n'est pas répété). On en a une illustration en 539-541 :l'intervention de F y hérite du syntagme essai de suicideheureusement pas réussite, mais F ne reprend que essai de suicide;H insère alors immédiatement de la part d'un enfant, projetantainsi la variante essai de suicide de la part d'un enfantheureusement pas réussite.

Cette sémiotisation des modes de reformulation et dupiétinement me paraît caractéristique des séquences d'élaborationcoopérative du texte. Elle est par ailleurs intimement liée au modeautonymique des formulations du texte-cible. C'est bien sûr unpoint qu'il faudrait étudier minutieusement sur un grand nombre deséquences de ce type.

Ma troisième observation concerne les objets traités dans ceséchanges, donc la référence, au sens indiqué en 3.1. J'ai qualifié ci-dessus ces objets de « pratiques ». Ce qualificatif se justifie pourles raisons suivantes:(i) ces objets sont constitutifs du but affiché de l'interaction (Le. letexte-cible) ; ils en sont le « matériau» ;

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(ii) ils sont les objets «de travail» des interactants, les grandeurssur lesquels ceux-ci doivent nécessairement opérer compte tenu dubut qu'ils se sont fixé;(iii) ce sont des objets générateurs de «contraintes ». Cescontraintes sont continuellement manipulées et exploitées par lesacteurs. Ici, c'est d'abord à travers la syntaxe que se manifestentces contraintes, ainsi qu'on vient de le voir;(iv) ces objets sont par essence « éphémères ». Ils émergent du jeuconjoint du travail de la formulation-reformulation et descontraintes de la combinatoire syntaxique.

Du point de vue de leur grandeur G'entends ce terme à la fois ausens de « rang» et de « longueur»), ces objets pratiques sont desentités bifaces renvoyant à deux types d'unités, que j'appellerai« unité de travail» et « unité-cadre ».

Considérons le début de l'extrait analysé. Quand H, en 523,produit la séquence essai heureusement pas réussite en la terminantsur un intonème continuatif, il désigne de fait, en s'appuyant surune propriété syntaxique du nom essai, un paradigme d'itemslinguistiques susceptibles de «remplir» les rôles syntaxiquesimpliqués par ce nom. Ce paradigme d'items, plus exactement cesdeux paradigmes, ainsi que leur rapport avec le nom tête dusyntagme, c'est ce que j'appelle une unité de travail. Mais celle-cin'existe que comme fragment d'un tout syntaxique projeté, ici unsyntagme nominal; c'est ce que j'appelle une unité-cadre. C'estjustement sur la nature de l'unité-cadre que H et F divergent audébut de l'extrait, F projetant une proposition verbale et H unsyntagme nominal. Le remplissage du syntagme ne débute qu'unefois ce problème de l'unité-cadre réglé.

On pourrait donc voir la première séquence (521-527) commeun travail collectif dont le résultat est d'avoir fixé la nature (unsyntagme nominal, et non une proposition verbale) et les limites(les informations qui devront y figurer, le nombre approximatif demots) d'une unité-cadre. Et la deuxième séquence comme untravail sur la linéarisation de ce projet. Travail qui, au plan desobjets, se traduit par de constants déplacements de l'unité de travailà l'intérieur de la même unité-cadre.

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Pour conclure

Je conclurai en récapitulant les points qui, dans ce qui précède,me paraissent les plus importants.

Dans les rédactions conversationnelles, un type d'énonciationquantitativement et fonctionnellement important est représenté parles formulations du texte-cible. Celles-ci consistent à produire uneséquence de ce texte telle quelle, c'est-à-dire à la manière d'undiscours rapporté direct, sans aucune marque métalinguistiqueautre que la prosodie. Sémiologiquement, ces énonciations secaractérisent par un fonctionnement autonymique généralisé; ellesdésignent iconiquement le texte en cours d'élaboration. Cependant,en dépit de ce fonctionnement, elles sont investies d'une multitudede valeurs interactionnelles à l'intérieur même du cadre de laconversation. De fait, les formulations du texte-cible encapsulent ledispositif énonciatif du texte en cours d'élaboration dans ledispositif énonciatif de la rédaction conversationneIIe.

L'analyse d'une séquence au cours de laquelle un syntagmenominal du texte-cible (un titre) est formulé pas à pas etcollaborativement montre que l'expansion progressive de cesyntagme obéit à des principes syntaxiques non quelconques. Laprincipale technique permettant de co-construire Ie texte-cibleréside dans la manière dont ce qui est formulé s'articule à ce qui adéjà été formulé: «répéter et continuer », «continuer sansrépéter », « répéter », et « répéter incomplètement ». L'exhibitionde cette articulation fonctionne, dans ces séquences, comme unmétalangage implicite, qui signale le type de manipulation qui estfait sur le texte en cours d'élaboration et sur les élaborationsproposées par le partenaire. Tout se passe donc comme s'il y avaitici une sémiotisation de différentes formes de reformulations.

Les objets linguistiques traités dans ces séquences sontfondamentalement des objets pratiques, c'est-à-dire des objets «detravail », qui émergent de ce travail et agissent en retour sur letravail dont ils sont la cible. Cette circularité fait qu'ils sontfondamentalement des êtres éphémères. Par ailleurs, ils sont sourcede contraintes, notamment à travers la syntaxe. Du point de vue deleur grandeur, ils renvoient dualement à deux types d'unités: desunités de travail et des unités-cadres. Cette propriété est laconséquence de leur qualité de segments de syntagmes, donc deconstituants d'une combinatoire.

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Alain RabatelIUFM de Lyon

La dynamique de la structurationdu texte, entre oral et écrit

Enjeux énonciatifs des négociations autour du cadrede prédication, dans un énoncé bisegmental

Il faut environ 200 tours de parole à Méïté et Paulo(respectivement F et H) pour produire leur première phrase. Unedynamique de structuration du texte opère néanmoins, si l'onconsidère que ce terme vise un processus (de coopération) pourpasser des étapes tatonnantes de la recherche orale des idées autravail plus spécifique sur le matériau des verbalisationssusceptibles d'être transcrites. Ce processus, complexe dans unesituation monologale, est compliqué par la nature « dissensuelle »

des négociations jnteractionnelles entre F et H (cf. premier chapitreinfra).

Ce premier énoncé, en forme de titre de journal, est un énoncébi-segmentaI (Bosredon et Tamba, 1992). La profondeur dudissensus entre F et H explique l'importance des négociations surle choix des éléments situés en début de phrase. En effet lesinteractants ne négocient guère sur la deuxième partie de l'énoncéet consacrent beaucoup de tours à l'élaboration laborieuse de lapremière. Cette situation s'explique certes par un ensemble dedonnées textuelles: il s'agit du début du processus detextualisation, avec l'écriture de l'introduction, chose toujoursdélicate..., impliquant des choix stylistiques, eux-mêmestributaires du statut de ce premier énoncé comme mention d'untitre de journal. Mais faisons l'hypothèse que cette situation tientsurtout à des données plus structurelles: si, lors des trois phases destructuration du texte auxquelles nous nous intéressons, lesnégociations tournent autour des premiers constituants, c'est parcequ'en situation de dissensus, il apparaît indispensable aux. co-énonciateurs de trouver un point de départ acceptable pour lesdeux, qui justifie aux. yeux des deux une ligne argumentative loin

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d'être également partagée par les deux1. Ainsi, en créantlaborieusement le cadre de prédication, en construisant un universde discours en congruence avec l'affirmation implicite contenuedans la question formulée après les deux points, ainsi qu'avecl'orientation argumentative du plan établi et du texte final, H et Fse donnent les moyens de poursuivre dans la rédaction du texte, endépit de leurs désaccords (cf deuxième chapitre infra).

Les stratégies de positionnement des interactants

Ces négociations des rapports de place, évidemment plusmassives au début de cette nouvelle phase de l'interaction, setraduisent par les interventions initiatives (en matière de contrôlede l'interaction, de planification du message ou de formulation debribes d'énoncés), les interventions réactives du partenaire face àces propositions, et par celles qui sont finalement retenues: Fdirige l'interaction en étant à l'origine de la répartition des rôles, àl'origine du plus grand nombre de propositions -qui plus est despropositions ratifiées. De plus, ses réactions face à H, la manièredont elle parle sa parole sont des indices convergents de cetteaffirmation constante de sa position haute. Ces négociationstémoignent d'une interaction plutôt monogérée par F: l'échangedialogal est perçu par H comme monologaP dans la mesure où Fn'accepte pas de considérer que les propositions de son partenairepuissent faire l'objet d'une démarche coopérative de sa part.L'interaction est particulièrement dissensuelle, car F et H sont endésaccord sur la planification du texte, sans que la dynamique soitenrayée, tant H se montre coopératif.

H pratique la coopération micro-discursive, faute d'influer surles choix macro-discursifs

Les négociations autour de la direction de cette étape del'interaction se nouent d'abord, autour de la désignation dusecrétaire puis de la définition de sa charge (cf. l'échange

-------------------I Cf. A. Rabatel « Le récit malgré lui », à paraître2 Cf. M. Grandaty «Elaboration à plusieurs d'une conduite d'explication en sciences aucycle 2» in Repères nOl7, 1998 : Illsq.

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confirmatif sur le choix du scripteur, en 374/3753), tant il est vraique ce rôle peut se limiter à celui, passif, de notation de ce qui a étédécidé - F ne s'opposerait pas à une telle répartition des rôles4, ouil peut aller jusqu'à la prise d'initiative concernant la scansion denature métalinguistique des différents composants du texte(indications sur le titre, l'introduction, etc.), la formulationd'énoncés susceptibles d'être transcrits et la décision concurrentede noter - et c'est ainsi qu'initialement H conçoit son rôle. Audébut, H pose comme échappant à toute discussion, à toute co-énonciations un certain nombre de procédures: ainsi, en 379,l'impersonnel il faut a pour fonction d'éviter toute négociation enréférant aux consignes de passation de l'exercice. Ainsi encore, lechangement d'isotopie, en 377 (passage brutal de la tâche àl'éventuelle lassitude de F) peut être interprété comme un acte delangage indirect signifiant: « si tu en as marre, laisse moi faire eton en aura plus vite fini... » Bref, H prend au sérieux son rôle desecrétaire, prend l'initiative, comme si son rôle de scripteurimpliquait qu'il décide de ce qu'il faut écrire, et quand. Cetteconception active du rôle de scripteur se retrouve chez H à d'autresmoments, en 417, en ne transcrivant pas un titre qui ne lui convientpas; en 425, en invitant F à ratifier la proposition d'énoncéintroductif qu'il vient de faire en 423 ; en 481 en invitant F, unefois de plus, à commencer comme ça, et en reproposant en 485 et

-------------------3 C'est F qui prend l'initiative de l'échange; alors que les deux pronoms précédents étaient«on », ici le pronom est «tu ». L'acte de langage a la forme d'une demande, commel'indique l'intonation montante en fin d'énoncé; le sémantisme du verbe donne à cellequestion un tour libéral mais il est clair qu'il n'en est rien, pour H, comme l'indique saréponse qui reformule l'AL fort significativement : « si tu veux oui j=peux écrire' ». Bref, Hinterprètela questioncommeun ordre; c'est F qui « veut »,Iui, il « peut» (écrire).4 Vu la manière dont elle asserte et intone les énoncés, verbalise les signes de ponctuation;vu également ses réactions aux propositions de H.5 Ce terme est pris au sens de Jeanneret (1999; avant-propos, page IX) ; il y a co-énonciation lorsque «une intervention, c'est-à-dire un composant monologique, danslaquelle interviennent deux locuteurs, c'est-à-dire étant dialogale », ce qui revient à direqu'il y a« production d'une unité discursive par deux - au moins - locuteurs» (ibid. I), bref«discours monologique mais dialogal» (ibid. 5). La formulation n'est pas sans poser biendes problèmes car cette unité discursive produite par deux locuteurs relève plutôt d'uneconduite langagière... dialogique, en ce sens qu'elle révèle par le deuxième locuteur uneprise en compte (sinon toujours une prise en charge) du discours de l'autre. Au total il noussemble que la dénomination de co-formulation (de Gaulmyn) est plus satisfaisante, parceque plus neutre, et parce qu'elle laisse ouverte la question de savoir si la co-formulation

relève d'une polyphonie assumée ou non.

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487 moins une auto-reprise à distance qu'une auto-reformulationde 423.

Néanmoins, toutes ces tentatives se heurtent aux résistances deF. Ainsi, l'échange 397/403 confirme la proposition de F deréorienter la tâche; H ratifie la position haute de F, en verbalisantl'abandon de la consigne: «/etl on: on fait un: titre à nous» (403).Le jeu des pronoms est significatif: les on prononcés par H en397, 399,403, et par F en 400 et 402 indiquent une situation où H< F, sur le plan de l'interlocution, et où H = F sur celui de la co-énonciation, comme le confirme magistralement le nous de 403. Hparaît donc plus coopératif que F, ce qui ne signifie pas qu'ilabdique toute velléité de peser sur les choix macro- et, a fortiori,micro-discursifs: lorsque F propose en 404/416 un énoncé enaccord avec le modus operandi de sa proposition précédente, H faità nouveau preuve de résistance, en ne notant pas et en reportant àplus tard la rédaction du titre: nous sommes en plein dissensus,sans que la situation soit bloquée dans la mesure où les désaccÔrdsne se convertissent pas en conflit ouvert enrayant l'interaction,grâce aux réactions non agressives de H et aux rires quidédramatisent les coups de force de F.

H rencontre de nouveaux échecs dans sa tentative de diriger leséchanges macro-discursifs, lorsqu'il propose en vain d'abandonnerle schéma de F pour revenir au sien (423 et 425). H réitère satentative en 485/487. II s'agit de la seule séquence de structurationdu texte axée sur une production d'énoncé qui ait H comme originelocutoire et énonciative, sur les quatre du corpus: elle diffère decelles où F a l'initiative par le petit nombre de tours de parole etpar l'absence de coopération de F qui n'esquisse pas la moindrecollaboration pour que l'énoncé de H soit au moinsgrammaticalement correct, et complet, F se contentant de direabruptement qu'elle préfère sa version et sa vision.Bref, F marque on ne peut plus nettement son refus de coopérer,par ses critiques explicites (et peu amènes) ou par un silencedésapprobateur: le peu d'hétéro-reformulations de F, face auxpropositions de H, est inversement proportionnel à ses auto-reprises et reformulations lorsqu'elle est à l'initiative d'un énoncé.

Stratégies de F pour imposer et maintenir son rôle dominantF est peu coopérative, très directive, opposant à H un modèle

d'écriture en apparence plus accrocheur et plus moderne (et en

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réalité bien traditionnel...). Le corpus comporte pas moins de cinqcoups de force de p6 qui réorientent parfois brutalement ladiscussion, ce qui contraint H à coopérer en ne pesant (à cemoment de l'interaction) que sur des choix micro-discursifs.- Premier coup de force, en 384/397, lorsque F propose une autremanière de faire. Comme cela équivaut à un changementd'orientation de la tâche, F justifie cette réorientation, d'où lalongueur inhabituelle des tours 384 et, surtout, 390. En 384, Fexhibe son point de vue avec l'accentuation de son choix par ladécondensation de la forme tonique + forme atone du pronom depremière personne, la réitération du je dans deux énoncés noyaux,la présence dans chaque noyau d'adverbes très subjectifs, lesémantisme des verbes, ainsi que le tour passablement (etclassiquement) tautologique introduit par la conjonction parce que.La pratique mono logique de F, peu centrée sur la recherche del'assentiment du partenaire, est sensible au travers du rephrasageavec auto-reprises de F (384, 386, 390, 392), qui fait contraste avecles traces de co-énonciation de H (393, 395, 397).- Deuxième coup de force, en 404, lorsque F, sans le direexpressément, enjoint H de noter un titre qu'il n'a pas ratifié ni n'aété invité à ratifier: la verbalisation des signes de ponctuation etl'intonème ici descendant manifestent que F n'entend pas êtrecontrariée (ceci n'empêche pas H de faire de la résistance).- Troisième coup de force, en 416: F ne reprend pas la propositionde H sur la polémique, sans verbaliser son refus. Ce n'est que plusloin qu'on comprend que F veut adopter un style plus vif, plus« intéressant », plus «journalistique », avec une accrocheévénementielle, ce qui explique que le tour abstrait des énoncés deH (cf. le vocabulaire abstrait, les nominalisations, l'évocation de laloi etc.) soit incompatible avec son projet.- Quatrième coup de force, en 426, lorsque F interrompt leprocessus rédactionnel avec le refus de la proposition de H, en 423.- Cinquième coup de force en 486/492, lorsque F déclare aimermieux sa proposition que celle de H (483 est une reprise de 423), et

-------------------6 La liste pourrait en fait être allongée selon la nature plus ou moins extensivede cettenotion de coup de force (cf. infra le tour 432, dans lequel F reformule en le transformant letour 416, en supprimant le point d'interrogation, qui sera rétabli ultérieurement (550). Notreobjectif est de souligner des caractéristiques significatives (et variées) d'une conduitelangagière directive.

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use d'euphémismes bien peu coopératifs (ouais, c'est plus simple,c'est modeste, mais). Ici encore, F met en avant ses goûts, ce quifait que H se soumet une nouvelle fois, tout en opposant sespropres goûts personnels à ceux de F. Cette réitération du verbeaimer mieux en 490, 492, 493, 495 est l'indice d'une forte tension,à ce moment de l'interaction: c'est ce que confirme le jeu despronoms personnels de première et deuxième personnes, quiindiquent nettement des positions antagoniques, et l'apparition duon en 493 et 494 :

H 493 fil aimes mieux' 0 alors oll/(fait) l'autre,!

L'opposition des pronoms personnels montre bien que le onéquivaut à une situation où F > H, parce que F ne laisseapparemment pas d'autre choix à H que se soumettre ou sedémettre (même si, en fait, H résiste à d'autres moments et àd'autres niveaux). Cette inégalité est confirmée en 494, par laformulation paradoxale et le petit rire qui l'accompagne:

F 494 /PETIT RIRE! (all dira) ce que tu penses'

L'obstination de F à peser sur les choix7 se vérifie encore par lefait que, lorsque F échangera avec H son rôle de scripteur, ellerajoutera in fine, sans négociation, un titre qui correspond à sesattentes (<<devoirsà la maison: oui ou non»).

Ces phases de tension, suivies par des phases où H accepte decoopérer aux propositions de F sont à chaque fois accompagnéesde manifestations paraverbales de rire. Ces rires correspondent àdeux fonctions différentes: complicité et coopération dans lesphases de faible tension ou d'enjeux mineurs concernant des choixmicro-discursifs; dédrama-tisation tactique dans les phases deconflit concernant la planification macro-discursive. Ainsi, dans lesmoments de coopération, le rire signale une interactivité certaine(mais limitée) : en 433, 442-444, le rire souligne la complicité desauteurs qui s'essaient à trouver une formulation adéquate au style,comme en 510-514 : le rire partagé dénote la volonté de coopérer

-------------------1 Comme l'a montré A-C Berthoud, les jugements par lesquels le discours se prend pourobjet n'indiquent pas seulement une distance par rapport au discours: la thématisation des

actes de discours impose, de manière dissenssuelle, un mode de traitement argumentatif quiagrée à F (Berthoud, 1999) .

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même si F et H sont conscients qu'il s'agit d'un jeu; on est ici aucoeur d'échanges où la co-formulation fonctionne à plein.Toutefois, la coopération de H n'est pas un modèle d'irénismedésintéressé: ses contributions lexicales et syntaxiques de naturesciemment délirante, en 505/519, visent à discréditer F enexpansant à l'absurde ses propositions; et, de fait, les réactions trèsnégatives de F (négations réitérées, ça suffit, faut pas exagérer lessentiments) soulignent son rejet de ces expansions (alors qu'elle-même avait insisté en 440 sur le fait que l'exagération était licitepour faire intéressant, et que c'est H qui, en 445, trouvait une telledémarche « exagérée»). Autrement dit, dans ces tours 505/519, Hest bien le locuteur, mais il n'est pas l'énonciateur de ces proposqu'il attribue à F : si H est coopératif quand il s'agit d'épouser lapensée de F, en revanche, il l'est nettement moins quand il s'agitde noter. En outre, le rire accompagnant ces mouvementscoopératifs indique qu'ils ont une portée limitée: j] s'agit decontribuer à la finalisation lexicale et à la correction syntaxiqued'un embryon d'énoncé, sans que la coopération signifie un blanc-seing au sujet de la pertinence de l'énoncé, dont le critère est latranscription sur le papier. Bref, ces rires signifient une complicitétrès forte sur des fragments de portée très limitée, intra-séquentielle, et qui peuvent être d'ailleurs très excentrésrelativement au propos général, comme en 473/474, autour du titredu Monde. En revanche, en 404, 433(?), 494/495, les riressignalent une forte tension, et servent d'exutoire à une situation detension, soulignant l'agressivité potentielle de l'échange. Ces rires,bien connus des psychanalystes, sont ici plutôt à l'actif de F: ilscherchent à euphémiser le conflit et correspondent à une manièrede ménager les faces de H. Ils interviennent à des momentscharnières où se joue le statut d'une proposition d'énoncé candidatà la transcription, ou encore au moment où l'interaction changed'épisode.

La répartition des négations dans le corpus, plusparticulièrement celle du forclusif pas, confirme les différences decomportement entre F et H. Le forclusif est asserté par H en 457,507, SIt, 523, 549 : chacune de ces occurrences porte sur lesuicide, que H trouve exagéré (455), et vise à modaliser le terme,sous la forme « heureusement pas réussi» (que reprend F en 538,544). Il y a là une preuve supplémentaire que H se montrecoopératif dans les échanges, tout en essayant de faire prévaloir ses

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avis (dans un cadre proposé I imposé par F) ; le contraste avec lesforc1usifs assertés par F est on ne peut plus apparent: ils portenttous sur le rejet des propositions de H (378,384,406,416)8.

Ainsi, l'interaction révèle une situation profondémentdissensuelIe, sans blocage, toutefois. H, malgré ses désaccords,coopère pour réaliser la tâche, à partir des seuls énoncés proposéspar F puisque cette dernière refuse d'envisager les formulations deH. Ce déséquilibre interactionnel renvoie à la nécessité de trouverles bases minimales d'un consensus autour de la verbalisation dupremier énoncé (puisqu'il n'y a rien d'autre à négocier sur le planmacro-discursif) : ces bases minimales concernent les laborieusesnégociations autour des constituants initiaux de la structurebisegmentale, et qui jouent le rôle de cadre de prédication.

Les négociations autour des constituants initiaux de lastructure bisegmentale : la difficile création d'un univers dediscours rendant acceptable pour les deux co-énonciateurs laligne argumentative imposée par Méïté

Dans l'optique de la production d'énoncés écrits, préparés parune élaboration en commun, à l'oral, une première questionconcerne la présence éventuelle de signaux indiquant que telénoncé est une oralisation d'un futur énoncé écrit, tels autres uncommentaire qui n'a pas à être transcrit, etc. En règle générale, lestours de parole comportant des oralisations d'un possible énoncéécrit comportent des signaux linguistiques, tel un verbe de parolesignalant au co-locuteur le statut du futur énoncé: ainsi de 404 : ondit euh:. Ces marques lexicales apparaissent à chaque fois qu'ils'agit de signaler des énoncés écrits oralisés candidats à laratification cf 432 : on peut commencer avec quèq=chose de euh;438 : oui on peut commencer par quèq=chose comme ça donc c'est; 442: on vafaire ça; 447: on peut faire comme ça ; 457: donc làon dit qu=c'est ; 462 : on peut: à la rigueur' soit on écrit; 501 :donc on commence avec le titre; 503 : d'accord (entre les

-------------------8 L'enregistrement ne permet pas hélas de vérifier les analyses de Morel et Danon-Boileausur les valeurs d' égocentrage du forc1usif bas, ou sur le soulignement de la discordance avec

le forc1usif haut (Morel et Danon-Boileau. 1998: 122 sq). Tout au plus peut-on imaginerque la plupart des forc1usifs assertés par F soulignant une forte discordance sont prononcés

avec une hauteur intonative sensible.

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guillemets} Idoncl; 520 : ça on va dire; 540 : où est-ce qu'on metl'enfant' essai de suicide' ; 549 : hm, ouais: c'est ça,O donc. Cesverbes se distinguent par leur sémantisme : «faire », «dire »,« commencer» et « écrire» ont une fonction de bornage; pour lelocuteur, ils signalent un début d'énoncé digne d'être transcrit;pour l'interlocuteur, ils signalent qu'il faut écouter attentivement,voire, à certains moments (corrélé à un intonème descendant et àun allongement), qu'il faut noter... Quant à certaines occurrencesde «dire », à l'intérieur d'un échange, elles ont la valeur de~~ mettre », c'est-à-dire d'insérer. Par ailleurs, on notel'omniprésence du pronom personnel on, qui indique soit unscripteur collectif (et donc soit un accord sur une formulation, soitune volonté commune de passer à la rédaction après délibération),soit une stratégie de feindre l'accord du partenaire, même si cen'est pas le cas.

Ces marques de bornage initial s'accompagnent également,durant les réalisations des bribes d'énoncés, de segments modaliséssignalant une distance des locuteurs envers les énoncés (qu'ils'agisse soit d'une idée peu satisfaisante, soit d'une formulationinsatisfaisante) ; ainsi en 436: c'était; 440: lça peut être exagérélpour qUelqLtechose de sobre, mais: donc, 0 moi je trouve ça plusdrôle; 447 : ça serait vraiment pour ah:' on peut on peut fairecomme ça 00 mais là on prendra déjà une: 0 ; 449 comme ça, 0euh ça pourrait être 0 ça pourrait bien être 0 une; 459: mais: çaaurait bien pu'. Ces formes verbales expriment toutes undécentrement par rapport à la situation d'énonciation (y comprispour les présents permanents de 449). Leur valeur est interprétativeet dénote les calculs auxquels se livrent ceux qui tentent deproduire des énoncés acceptables pour être transcrits9. On notera(mais ce n'est pas un hasard) que ces marques d'objecÜvation et/oude distanciation sont plus nombreuses dans les deux premierséchanges, et tout particulièrement dans le deuxième: comme si, dufait de la réitération de l'échange, les formulations devaient êtreprises en considération; et, dès lors que certains blocages sontlevés après le rejet des propositions de H en 485/487, l'accord sefait plus facilement dans le dernier échange coopératif (5011550) :

-------------------9 Ainsi on observe une interaction nette entre la thématisation des topics du discours (cf. ici-même) et la thématisation des actes du discours (cf. supra) : dans les deux cas, la co-construction est dissenssuelle et dominée par la position halite de F (Cf. Berthoud, 1999).

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il n'y a plus vraiment à juger de la pertinence des énoncés, mais deleur seule correction syntaxique et lexicale. À côté de ces segmentsmodalisés signalant une position relative à des énoncés, on note laprésence de termes relevant de l'épilinguistique qui accompagnentces énoncés: arguments (390), conclusion (397), titre (403),introduction (419), guillemets (503), ainsi que l'oralisation de laponctuation (404, 415, 544, 550).

En l'absence de signal lexical, on note des signaux affectant ladurée des énoncéslO et l'on peut imaginer qu'interviennentégalement des marqueurs intonatifs, tels la montée du fondamental,mais la qualité de l'enregistrement ne permet pas d'avancer quoique ce soit de solide dans cette direction.

Avant de procéder à l'examen de quelques mécanismes destructuration du texte, quelques précisions d'ordre méthodologiquene seront pas inutiles. Comme on vient de le dire, certains énoncésse présentent comme des candidats à la transcription et sontd'ailleurs interprétés comme tels. Ces énoncés ont un statut ambigupuisqu'ils sont oralisés à des fins de transcription, au point qu'onpeut se demander si nous sommes d'emblée face à de l'écrit(oralisé) ou face à l'émergence orale d'une forme écritesatisfaisante, émergence lente et difficile, compte tenu de ladistance entre le vouloir dire et la réalisation linguistique effective,compte tenu également des négociations globales ou locales de F etH. C'est en pensant à ce flottement sur le statut de ces énoncés quenous avons évoqué dès le titre de ce travail que la structuration dutexte jouait « entre oral et écrit ». Il ne s'agit pas d'une précautionoratoire: relèvent notamment de l'écrit la structuration du titre,appartenant à un certain genre journalistique (exception faite desmaladresses de langage imputable à des non natifs), laverbalisation des signes de ponctuation, les nominalisations, lephrasé intonatif, qui indiquent que l'énoncé écrit est d'abord penséen tant que tel avant d'être oralisé pour discussion outranscription; relèvent de l'oral toutes les bribes précédant desformulations plus ou moins stabilisées, mises en lumière grâce auxempilements paradigmatiques, les retours en arrière, les incidentes,

-------------------10 Ces signaux de durée, d'allongement, dans la conversation, signalent un malaise dans lapensée: dans le cas des énoncés candidats à une transcription, les allongements, les « euh»et les répétitions de mots-outils signalent un éventuel malaise dans la pensée et aussi dans laformulation (Cf. Morel et Danon-Boileau, 1998: 78, 80, 82 sq).

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les incrémentations avant d'arriver à une formulation acceptablepour les deux interactants.

Donc: oral? écrit oralisé ? La question est incontournable (bienévidemment nous allons la contourner.. .), car elle renvoie au choixdes outils méthodologiques pour rendre compte de ces échanges:faut-HIes emprunter à une grammaire de l'écrit? A une grammairede l'oral? Du fait qu'il s'agit d'échanges oraUsés d'énoncéscandidats à la transcription, «entre oral et écrit », d'une structurebisegmentale instable, d'une formulation à l'autre, nous feronsréférence à un petit nombre d'instruments d'analyse qui ont lemérite de jouer à l'oral comme à l'écrit: il s'agit des structures[préfixe + noyau + suffixe] (Blanche-Benvéniste) ou [préambule +rhème + postrhème] (Morel, Danon-Boileau).

Précisons que ces structuresIJ nous servent ici à appréhenderd'un point de vue énonciatif un processus de négociation du cadrede prédication et que nous ne nous posons pas la question,importante par ailleurs, des éventuelles incompatibilités de cesstructures.

La première structuration de l'énoncé (tours 404 à 416)12On s'intéressera ici aux trois séquences initiées par F, puisque

ce sont celles qui seront sanctionnées par la transcription d'unephrase. Les empilements paradigmatiques pratiqués par le GARSpermettent de visualiser le lieu de structuration de l'énoncé:

F404H 405 la:H 407 la:F408H409H413H415

devoirs à la maison' [point d'interrogation,]

pour ou contre,

la polémique du devoir, à la maison,devoir(s)

à la maison, [virgule] vous êtes pour' ou contre,( : [point d'intelTogation]

pour ou contre,Pour ...I...

F4l6

-------------------11 Il est vrai que si la liste des constituants de la structure (préfixe + noyau + suffixe) estsensiblement la même que dans la structure (préambule + rhème + postrhème) (Cf. Blanche-Benveniste, 1997 : 120; Morel et Danon-Boileau, 1998 : 38 sq), en revanche les critèresparaissent moins directement fonctionnels avec les définitions du préambule et du rhème;

c'est pourquoi on privilégiera plutôt les critères syntaxiques de découpage en préfixe, noyauet suffixe, que l'on croisera avec les valeurs énonciatives du préambule, du rhème et dupostrhème.12 Cette première phase de structuration est désormais notée SI.

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pour ou contre,

pour'pour ou contre'( : les devoirs à lamaison,13

Le caractère directif de F apparaît au travers de sa conduitemono logique, notamment au travers du fait quelle verbalise desconsignes d'écriture, avant même de demander son avis à H : lecommentaire métalinguistique point d'interrogation, avec unintonème descendant, a entre autre pour fonction de signaler à Hqu'il ne doit pas se méprendre sur la signification de l'intonationmontante après devoirs à la maison', qui pourrait effectivementêtre interprétée par H comme une invitation de F à discuter puisratifier son énoncét4. Or il n'en est rien, la consigne est un ALindirect invitant H à noter. Ainsi, le on dit (404) équivaut à «Jepropose - et, comme tu ne peux pas ne pas être d'accord - tuécris... ».

Quant à H, il fait preuve de coopération en gardant le schémasyntaxique de F, tout en l' expansant à gauche (409) ou à droite parl'insertion d'un GV (415), et en acceptant que F ne reprenne pas saproposition d'expansion à gauche, qu'il ne reprend ni ne reformule.Comme les tours 413 et 415 peuvent être interprétés aussi biencomme la suite de la formulation de H en 409 (ce qui estvraisemblablement le cas), que comme une reprise de F404, Fintervient en 416 pour lever l'ambiguïté. Comme il est fréquent,quand on commence un énoncé par « oui », c'est qu'on n'est pasd'accord avec son interlocuteur, mais qu'on lui signale qu'on acompris ce qu'il voulait dire. Bref, F sans l'expliciter, fait entendrequ'elle « n'aime pas» la proposition « polémique» ; et pour que cesoit plus clair, sans pour autant verbaliser son refus, elle reformulel'énoncé/oui, pour ou contre,! 0 pour pour ou contre, 0 pour' 00ou contre' 0 les devoirs à la maison, 0 BAS bref, c'est pas grave.Dans ce tour, les intonèmes sont remarquables: l'intonationdescendante, ainsi que le soulignent Morel et Danon-Boileau, a

-------------------13

Les signes « ( : » marquent une continuité de l'énoncé.14 Bien évidemment, ces indications de ponctuation indiquent aussi que cet énoncé est unénoncé candidat à la transcription et donc que c'est déjà, à ce titre, de J'écrit, fût -il oralisé.Cette dimension est confirmée par la phrase nominale ou les nominalisations, sicaractéristiques de l'écrit.

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pour fonction iconique et conventionnelle, corrélée aux autresindices suprasegmentaux, de signifier, en matière d'énonciation, unégocentrage, une sortie de la co-énonciation, de signaler desénoncés dont le contenu n'est pas soumis à discussion. En 416,l'intonème montant sur une des réalisations de pour ou contresignifie très vraisemblablement que F concède que cette formulesoit avant ou après devoirs à la maison (même si la formule avecpour ou contre après a sa préférence, vu la réduplication desintonèmes descendants), à la condition expresse (et pourtant nonformulée) que la proposition «polémique» ne soit pas reprise,dans le texte, comme elle ne l'est pas dans son propos. Et Iecommentaire c'est pas grave, formulé sur un ton bas confirme quecette concession n'est pas énorme, pour peu que H consente àabandonner« polémique ».

La contribution la plus importante de H, ici comme ailleurs,porte sur le début de la phrase. Dans son esprit, devoirs à lamaison " comme le confirme l'intonation montante, est un préfixe,tandis que pour ou contre est un noyau!5. Si F ne retient pas lespropositions de H, cela tient à des raisons de style qu'elleexplicitera ultérieurement: en effet, « la polémique du devoir à lamaison» est une formulation très «scolaire» (tout commel'expansion « vous êtes pour ou contre»), en tout cas aux antipodesde l'accroche des titres journalistiques. C'est une difficulté quechacun a éprouvé en commençant une dissel1ation, un article, enréfléchissant à un titre... Faut-il un titre neutre, portant uniquementsur le thème? Ou plutôt un titre rhématique, précisant l'orientationargumentative du texte? Faut-il une accroche vivante,commençant par des faits, ou procéder d'emblée par desconsidérations abstraites? Les choix de F et de H sont, sur ce pointcomme sur d'autres, en contradiction. En effet, F propose d'embléeun énoncé bisegmental (F404 et 408). Lorsqu'en 416, F reformulel'énoncé, c'est vraisemblablement sous la forme d'un énoncémonorhème : elle fait passer devoirs à la maison dans le noyau,comme s'il s'agissait de mieux imposer le noyau pour ou contre,

-------------------15 C. Blanche-Benveniste insiste sur le fait que le noyau a comme propriété essentielle«l'affinité entre le noyau et les modalités}) (1997: 113). Elle donne comme exempled'énoncé sans verbe «le lendemain, grande surprise» et « ce soir, pas moyen}), danslesquels « le lendemain» et « ce soir }), du fait de leur intonation, indiquent une dépendanceet sont donc des préfixes, alors que « grande surprise » et « pas moyen» sont dotés d'uneintonation et d'une modalité qui leur permettent de faire énoncé à eux seuls (ibid. I 16).

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en y intégrant les devoirs à la maison. Ainsi, de 404 à 416, F neretient aucune proposition de H, même si elle fait mine de luiconcéder le changement de place (très provisoire) de devoirs à lamaison. . .

Le deuxième temps de la dynamique de structuration del'énoncé (tours 432 à 462)16

F 432 enfant trouvéH 434 totalement épuiséF 436 mûrH 437 enfant'

enfant s'est suicidéF 442 enfant: trouvéH 447 enfant s'est suicidéH453H455H457F 462 enfant

trop de travail à la maison,

pour l'hôpital,

parce qu'il avait trop de

à cause deà cause de;

de l'amplification dede l'augmentation des devoirs,

ses; devoirs'

trouvé,suicide, trop de travail à la maison,

Alors que SI laissait ouverte l'orientation argumentative dutexte, S2 privilégie la thèse selon laquelle il y a trop de devoirs à lamaison: 432 n'est donc pas une reformulation de 404 ou 416 ; en432, F impose comme allant de soi un point de vue que H nepartage pas. Ce coup de force supplémentaire opère dans le noyaude l'énoncé. Dès lors, il apparaît que les propositions de F commede H vont avoir pour fonction d'imposer ce coup de force (F436,464) ou d'accepter d'envisager cette orientation argumentative, etdonc de construire en amont du noyau un univers de discours qui lerende pensable (H434, 437, 447, 45317).

C'est ainsi qu'en H457 l'expansion maximale de la têtenominale enfant trouvé (F432), cherche à justifier le suicide parl'augmentation des devoirs à la maison, et l'ensemble de cetteproposition vise à créer la situation de discours à partir de laquellele choix du point de vue contre les devoirs à la maison paraîtjustifié: les empilements paradigmatiques objectivent nettementque la co-construction de ce nouvel énoncé porte essentiellementsur ses constituants initiaux et que le noyau trop de travail à la

-------------------16 Cette deuxième phase de structuration est désonnais notée 82.

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maison n'est mentionné que dans les énoncés ouvrants et fermantsde l'échange17.

L'idée du suicide est considérée comme accroche stylistiqueintéressante, même si le problème de la correction syntaxique n'estpas correctement réglé. C'est la seule proposition de H que Fretient, alors qu'il n'en est pas, fondamentalement, l'énonciateur ;ses autres propositions qui expansent le GN par un adverbe, et,surtout, insèrent un groupe prépositionnel ou une propositionsubordonnée dans le GV ne sont pas reprises car elles altèrent laphrase nominale si emblématique des titres journalistiques: ainsidu rejet de la verbalisation de l'explication causale par la nonreprise de la conjonction de subordination (H437) ou de la locutionprépositive (H447, 453), que F reformulera en 544 et 550 parl'oralisation des deux points. Bref, ce qui prime, c'est la logiqueinteractionnelle et le choix d'un genre de discours (directement enrelation avec cette même logique), plus que l'attention à lacorrection syntaxique, prématurée.

Le fait que les négociations portent sur les constituants initiauxne relève pas du hasard: il y a un désaccord persistant sur lamanière de planifier la controverse et sur son amorce stylistique.En installant un enfant, puis le suicide au cœur du cadre deprédication, F donne à ce dernier un poids émotionnel qui luipermet de justifier l'abandon de l'entrée en matière trop abstraitede H. Le problème est ainsi abordé à partir d'un vécu qui justifiepragmatiquement l'exercice, et non plus en référence auxconsignes du professeur. Cette empathisation sur l'enfant se doubled'une dramatisation autour du suicide, et c'est précisément ceschéma que confirme la troisième phase de structuration.

Troisième temps: la confirmation des négociations sur lesconstituants initiaux (tours 501 à 550)18

Entre 52 et 53, les ajouts de H portent d'abord sur uneexpansion à droite de la tête nominale « enfant» ; ces ajouts ne

-------------------17 Parler de noyau implique que les constituants initiaux de 462 forment un préfixe; ce n'estpas vraiment le cas, compte tenu de l'indépendance sémantique partielle de ces

constituants. Aussi est-il plus pertinent de les considérer comme un noyau averbal, qui jouele rôle de cadre de prédication, en principe dévolu au préfixe; telle est l'hypothèse qui seraconfirmée lors de la troisième phase de structuration.18 Cette troisième phase de structuration est désonuais notée 83.

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sont pas entérinés par F, qui réagit fortement en 520. Ensuite, lacontribution de H concerne la gauche de la tête nominale, etcherche à répondre au souhait, émis par F, de ne pas trop«exagérer les sentiments» : d'où les bribes concernant «essai» etses qualifications, qui cherchent à rendre acceptable (sur les plansénonciatif et syntaxique) le mouvement initié en 52 :

H505F506H507H509H513H515H517H519F520H521 essai'H522H523 essai'F524H525H527H531 essai'F 532 essaiF534

enfant trouvésuicidé

enfanttrouvée pendue'

avec les poignets ouverts'avec le styloavec laquelle il faisait

les devoirs'elle a essayé de se suicider,

enfant a essayé de seheureusement pas réussite

d'un enfantd'un suicide'

par un enfant qu'avait trop de devoirs,

H535F536

essaye de suicide'F538H539F540

essai de suicide'de la part d'un enfant

d'un enfantd'un enfant'

heureusement, pas réussite'

malmalheureusement

heureusementheureusementheureusement: pas réussi'

réussite'

heureusement: pas réussiheureusement pas réussite'

l'enfant'

F542H543F544 [double point'] trop de

( : travail à la maison,H549 essai de suicide d'un enfant, heureusement pas réussite'F550 [double point'] trop de

( : travail à la maison [point d'interrogation,]

On vérifie une fois de plus que les opérations linguistiques àl'oeuvre en 53 concernent les constituants initiaux avant les deuxpoints et que le noyau n'est pas mentionné, sauf en 527 et en 544 et550 lorsqu'il s'agit d'écrire la phrase: comme si la formulation de

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462 avait été mise en mémoire19 d'un commun accord par F et H,sans que cela ait été précisément ratifié (puisque H avait proposéensuite une formulation concurrente). C'est dire que ce qui faitproblème, une fois de plus, c'est la rédaction du début, c'est à dired'un début qui installe un univers de discours acceptable pour lesdeux co-énonciateurs. A côté de ces problèmes d'ancrageénonciatif et d'ajustement de visée, il faut encore ajouter ladifficulté spécifique de la tâche proprement linguistique: F et H,en tant qu'allophones, ont des difficultés avec la structurationsyntaxique compliquée autour du déverbal essai comme pivot desconstituants initiaux, alors que des natifs s'éviteraient lesnégociations autour de heureusement pas/malheureusementréussite en parlant d'emblée de tentative de suicide d'un enfant.Mais, une fois encore, ces négociations sur les constituants initiauxne s'expliquent pas seulement par la seule difficulté del'enchaînement syntagmatique autour du déverbal, ils portent sur lemodus et sur la nécessité d'euphémiser pour ne pas « exagérer lessentiments ».

Sur le plan énonciatif, il n'est pas anodin que les négociationsportent sur la qualification d'« essai ». L'enjeu fondamental résidedans le choix du cadre acceptable dans lequel viendra s'insérer laprédication ultérieure. M.-A. Morel et L. Danon-Boileau insistentsur le fait que le locuteur français construit ses énoncés(paragraphe oral) en décondensant souvent le préambule desénoncés20 alors que le rhème, qui est censé contenir l'information

-------------------19 Cette mise en mémoire renvoie au temps opératifanalysé par Ben'endonner (1992: 47).Celui-ci, institué par le déroulement du discours, signifie que le discours procède par«coups énonciatifs » selon un programme planifié. Dans cette optique, la mémoirediscursive M est la combinaison d'états transitoires de M et d'un état-but; lorque le projetintentionnel de l'énonciateur est atteint, M est stabilisé: « finalement, une période apparaît

structUrée comme un programme modulaire qui combine et ordonne des énonciations envue d'atteindre un état cognitif but, défini par le fait que le savoir partagé public y coïncide

momentanément avec un projet ou une intention de l'énonciateur. On aperçoit doncmaintenant un peu mieux comment se trouve instituée, dans et par les actionscommunicatives des interlocuteurs, une temporalité spécifique: en additionnant quelquesopérations énonciatives instantanées, ceux-ci composent des temps de parole, des momentsdiscursifs, qui rythment le texte par la saillance de leur fin et dont la durée coïncide avecl'exécution d'une étape dans le retraitement de l'information partagée» (1992: 54). Cettemanière de voir est convaincante mais elle pose problème dans le cadre d'une production àdeux d'un texte, dans la mesure où les modifications de M opèrent non seulement surplusieurs tours de parole, mais encore d'une phase de structuration à l'autre.20 Les négociations sur le préfixe, même s'il n'est pas décondensé, à l'écrit, signalenttoutefois J'importance énonciative du travail sur ce segment.

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principale21, est relativement court. Cette stratégie correspond ausouci du locuteur d'insister sur le point dont il part, et sur la valeurqu'il accorde à ce point (1998 : 37). La mise en ordre syntaxiquedu préfixe se double d'une valeur énonciative forte, telle que Morelet Danon-Boileau l'ont mise en valeur. L'attention portée aupréfixe correspond à une stratégie de construction du consensusautour de l'objet du discours et autour de la façon d'envisager lasuite - stratégie bien nécessaire si on la met en perspective avec lecaractère dissensuel de l'interaction (cf. supra).

Il y a une sorte d'analogie entre les stratégies du locuteur quientrent en jeu dans la structuration du paragraphe oral et laconstruction globale d'une interaction langagière plus étendue, àl'écrit. Si les tâtonnements sont si fréquents sur lescommencements, c'est parce que les incipit recèlent une ch~rgeargumentative indirecte majeure, du moins du point de vue dulocuteur. Aussi, le fait que le texte doive être perpétuellementnégocié, ratifié par deux interlocuteurs oblige-t-il à préciserminutieusement ces constituants initiaux. C'est pourquoi ceslongues négociations ne relèvent pas seulement d'unpositionnement de faces, au sens vulgairement sociologique etsuperficiel du terme, mais renvoient surtout au travail, aux calculsénonciatifs des locuteurs, qui, tout en se parlant, s'efforcent detrouver un discours commun acceptable pour chaque partenaire etpour un tiers lecteur.

Ainsi, de SI à S2, on observe d'abord un changement deséléments placés dans le noyau, tandis que l'attention se porte surles constituants initiaux, de plus en plus développé de S2 à S3. Lenoyau ne fait guère l'objet de négociations, pour ce premierénoncé, car il fait référence à la consigne du professeur: celle-ci,formulée d'abord de manière neutre (écrire un texte sur les devoirsscolaires), est orientée vers l'idée qu'il y a trop de devoirs, commele sous-entend le rappel historique qui suit. Le noyau de S2 et S3fait donc écho à cette orientation argumentative externe. Quant autravail sur les constituants initiaux, dans le prolongement des

-------------------21 Morel et Danon-Boileauprennent leurs distances avec les théories selon lesquelles lerhème représenterait une information nouvelle ou l'information la plus imp0l1ante. Pour eux,le rhème « exprime toujours un positionnement singularisé (du locuteur) par rapport aujugement que (ce dernier) prête à autrui.» (1998 : 45) ; il nous semble que si l'on centre ladéfinition du rhème sur les calculs énonciatifs du locuteur, les définitions précédentes sontlargement convergentes.

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motivations sus-mentionnées, il vise à construire un univers dediscours et un domaine mondain de référence qui justifientd'emblée cette orientation argumentative, et fonctionnent déjàcomme un cadre de prédication (cf. Siblot 1997, 1999). L'entréedans la tâche passe donc par une appropriation interne (construitepar F et H et acceptable pour chacun) de l'orientationargumentative; c'est pourquoi les négociations sur la nature et lestyle des constituants initiaux sont minutieuses. L'accord sur ceséléments porte en lui l'organisation générale du texte: d'une part,H et F proposent 4 arguments pour et 6 arguments contre, dontdeux sont transformés en conclusion. On ne saurait mieuxsouligner combien l'accord sur les constituants initiaux engage lasuite du texte, en congruence avec la consigne, avec le noyau, ainsiqu'avec le plan initial22. Le paradoxe (apparent), c'est que, alorsque ses rédacteurs sont engagés dans d'âpres négociations pourfaire prévaloir leur point de vue respectif, avant de tomberd'accord sur une formulation acceptable, celle-ci a un statut deparole rapportée (un titre de journal)... Le statut global de ceténoncé, qui est une sorte de citation, n'est pas sans signification surle plan énonciatif comme sur le plan interactionneJ. Le recours àune citation est un des procédés assez fréquemment utilisés dansles tout débuts d'une introduction: la citation de la parole d'untiers (célèbre, dans les sujets dits littéraires ou artistiques ouphilosophiques; éventuellement anonyme, mais au diresignificatif, dans les sujets de culture générale) aide puissammentle locuteur à amener le sujet, en situant sa propre parole par rapportà celle d'un autre - ce qui permet du même coup de motiverpragmatiquement sa prise de parole. En d'autres termes, le recoursà la parole d'autrui permet d'étayer sa prise de parole et offre unpoint de référence par rapport auquel sa propre pensée peut sedéployer, en étant acceptable pour l'interlocuteur comme pour lelecteur, tous deux suspects de faire de la résistance... Il estsignificatif que ce recours à un titre imaginaire soit le premier point

-------------------22 Tout ce qui tourne autour de la ponctuation confirme l'impOltance de J'articulation dupréfixe au noyau: en 5 1, le ponctuant entre préfixe et noyau est la virgule; en 53 les deuxsegments de l'énoncé global sont séparés par deux points: Bosredon et Tamba ont bienmontré, à propos des énoncés bisegmentaux dans les titres de presse, que « « virgule et deux

points sont des opératuers foncièrement opposés, le premier servant à disjoindre des

éléments liés, le second à les con joindre et à les intégrer en une unité dont il contrôle laclôture» (1992 : 44).

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sur lequel H et F tombent d'accord, dès lors qu'ils cherchenteffectivement à produire un énoncé. En effet, on peut émettrel'hypothèse que H n'accepte la proposition de F (formulée en 432)que dès Jors qu'j} considère qu'il s'agit d'une sorte de notice (451)dans un journal (453), un futur titre (464) à la première page duMonde (465). Au demeurant, lorsque l'accord sur l'énoncé sembleenfin atteint, F réitère le statut de titre imaginaire dans un journal(548), comme si cette mention était utile pour que H note enfinl'énoncé. Autrement dit, il est plus facile pour H d'accepter laproposition de F en lui donnant un statut de parole rapportée:ainsi, H ne paraît pas céder à F, mais accepte de se référer à untiers; et il est plus commode à F de faire ratifier ses propositionsen se retranchant derrière un tiers... Certes, dans cette comédieénonciative, les interactants semblent faire peu de cas du fait quecette proposition émane de F, mais ce simulacre est utile à lapoursuite de l'interaction...

Ainsi, en S2 et en S3, les constituants initiaux fonctionnentcomme des noyaux averbaux, et, sur le plan énonciatif,construisent un cadre de prédication et un univers de discours quirend acceptable pour les co-énonciateurs l'orientationargumentative. En ce sens, ce premier noyau averbal joue, àl'égard du deuxième segment de l'énoncé, le rôle du préfixe enversson noyau, ou du préambule envers le rhème: ces outilssyntaxiques, sémantiques, énonciatifs permettent d'appréhender auplus près les stratégies d'élaboration d'une forme linguistiqueacceptable pour un locuteur ou des interlocuteurs, à partir d'unvouloir dire qui se trouve stabilisé au terme de négociations plus oumoins laborieuses. Ces structures sont particulièrement utiles parcequ'elles permettent de saisir au plus près la dynamique destructuration et les négociations qui se jouent autour des questionsde support de prédication, et d'apport d'information. S'iJ est vraique la progression du discours va de gauche à droite, dans sondéroulement syntaxique, il est tout aussi vrai qu'en amont23de cetteactivité de mise en mots, les scripteurs décident de focaliser leuractivité de structuration sur tel ou tel segment du texte, enl'occurrence les constituants initiaux. Au rebours d'une traditionqui a minoré le thème au détriment du rhème, les travaux de Morel

-------------------23 Ou encore parallèlement ou postérieurement à une première mise en mots.

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et Danon-Boileau revalorisent heureusement le « thème» commecadre de prédication (sans pour autant sous-estimer la fonction durhème et du post-rhème) : le «thème» n'est en effet pas seulementni essentiellement ce qui représente l'information ancienne,connue, il offre un cadre de prédication qui engage la suite, et c'estpourquoi il est l'objet de si difficiles négociations, à l'oral, commeà l' écrit24. Ce qui est vrai dans les échanges oraux se vérifie àl'écrit, du moins dans ce genre d'écrit très spécifique qu'estl'introduction, voire l'accroche de l'introduction.

Ainsi, les négociations autour du cadre de prédication jouent iciun rôle essentiel, à l'oral comme à l'écrit. Les analyses de Morel etDanon-Boileau sur la signification énonciative de l'importance dupréambule en français parlé dépassent le cadre du français parlé.Elles se retrouvent aussi à l'écrit, notamment dans les phasesd'ouverture, y compris à propos d'énoncés bisegmentaux, danslesquels les constituants initiaux font l'objet d'un ajustementénonciatif plutôt réservé au préfixe: et, de fait, ces constituantsinitiaux, qui peuvent être analysés comme des noyaux averbaux,fonctionnent comme des préfixes ou des préambules, en ceci qu'ilsconstruisent le cadre de prédication ultérieur25. C'est aussi unepreuve supplémentaire que, au delà des spécificités de l'oral parrapport à l'écrit, les passerelles entre ces deux pratiques sont plusnombreuses qu'on ne le croit traditionnellement, du moins sousl'angle du rapport entre le vouloir dire et sa réalisationlinguistique; et c'est certainement un des mérites de l'écriturecoopérative de mettre en lumière l'importance de ces phénomènesénonciatifs.

*

-------------------24 En ce sens il nous semble que « poser un thème », comme le dit Siblot, va plus loin que laseule prédication de dénomination et de réalité, du fait de la direction argumentative qui estamorcée. Cela étant. nous partageons largement les analyses de Siblot : « "poser un thème"(...) consiste (...) à dresser les planches sur lesquelles peut être donnée la représentation

linguistique du "petit drame phrastique"» (Siblot, 1999: 43).25 C'est du moins une hypothèse à vérifier sur d'autres corpus.

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Anne-Claude Berthoud et Laurent GajoUniversité de Lausanne

Négocier des faits de languepour le discours

Dans ce texte nous nous proposons de traiter l'hypothèse selonlaquelle certains mécanismes discursifs échapperaient au contrôleconscient des apprenants (cf. notamment Trévise, 1996; Pekarek,1999) et relèveraient par là essentiellement du procédural et del'implicite plutôt que du déclaratif ou de l'explicite spontané (cf.Huot & Schmidt, 1996, pour une étude synthétique autour de la« conscience» ; cf. aussi Bialystok, 1981 et 199I ; Ellis, 1994 ;Gaonac'h, 1996; Trévise, 1996, pour une exploration de cesdistinctions ).

Cette hypothèse semble être soutenue par de nombreusesobservations, et notamment par le fait que les « zones de résistancede l'apprentissage» sont le plus souvent des structures liées à ladépendance contextuelle des énoncés ou à leur valeur énonciative.Ces opérations échappant au contrôle des sujets, il paraît doncdifficile, d'un point de vue didactique, d'avoir une action sur elles,dans la mesure où elles ne sont précisément pas posées commeproblèmes. Or l'objectif est ici de la vérifier en analysant desséquences discursives où apparaissent des négociations entreapprenants pour résoudre des problèmes de communication en vuede la rédaction commune d'un texte, en y observant en particulierles types d'objets négociés, ainsi que les modes de traitementproposés pour ces différents objets. Nous traiterons cesphénomènes à la fois pour leurs enjeux généraux et pour leur sensdans le cadre d'une tâche de rédaction conversationnelle.

Matérialité/fonctionnalité des formes linguistiques

La question consiste notamment à savoir s'il y a effectivementabsence de négociation autour d'objets discursifs (ou de structuresà dépendance contextuelle) - et dans ce cas d'expliquer les raisons

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de cette disparité de traitement entre unités dites de haut et de basniveau - ou s'il ne s'agirait pas d'un tout autre problème.

Plusieurs types d'explications peuvent être proposés pourexpliquer cette disparité:- ce phénomène pourrait être attribué aux représentations généralesque se font les sujets des langues et de leur apprentissage, unelangue étant perçue avant tout dans sa matérialité (lexicale,phono logique et accessoirement morphosyntaxique) et moins dansson fonctionnement ou dans sa nature opératoire;- on pourrait aussi l'imputer à l'image de la langue que véhiculel'école depuis l'aube des temps;- ou alors, serait-ce plutôt un problème de description, de point devue théorique adopté pour lire ces phénomènes?

C'est pour la troisième hypothèse que nous opterons ici ententant notamment d'interroger le type de lecture pouvant êtreappliquée aux faits observés.

Par exemple, au niveau même de la langue, suffit-il d'observerdes séquences autour d'un mot pour en conclure que l'on traite dulexique? Suffit-il de considérer une séquence autour d'un grouped'unités pour dire que l'on traite de syntaxe? Tout le problèmeréside dans l'interprétation que l'on aura de ce traitement.

Nous serons alors amenés à faire une distinction entre deuxmodes de traitement: traiter une unité lexicale vs traiter une unitécomme lexicale; traiter une structure syntaxique vs traiter unestructure comme syntaxique. Un même type d'unité peut être traitécomme forme linguistique ou comme trace d'opération discursive,à savoir, comme forme pour elle-même ou comme forme pour lediscours.

Un problème de description

La lecture de ces formes pose ici la question du cadre théoriquepragmatique de référence: selon que l'on se place dans uneperspective de disjonction ou de continuité entre composantelinguistique et composante discursive, l'analyse fera émerger desphénomènes différents. Dans une perspective de disjonction,phénomènes linguistiques et phénomènes discursifs seronteffectivement considérés séparément ou conçus dans !eurdétermination réciproque: par exemple, l'étude de l'effet du

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contexte sur la variation de la structure, l'effet du contexte sur lechoix de telle ou telle unité lexicale. Parler en termes d'effets ducontexte sur les modulations de la composante linguistiqueexprime bien ce hiatus entre les deux composantes- linguistique etdiscursive - la première existant indépendammentde la seconde etse trouvant ensuite soumise à des variations lorsqu'elle se trouveplongée dans la réalité du contexte. Dans cette conception, il estnaturel de saisir la matérialité linguistique indépendamment de savaleur opératoire en discours. Il est tout aussi évident de dire queles sujets traitent avant tout de cette matérialité et moins de l'aspectopératoire. Dans une perspective de continuité, la composantelinguistique est directement saisie dans son mode d'insertion dansle discours. Les formes et les structures, au-delà de leur matérialitélinguistique, sont des traces d'opérations de discours, des indicescontextuels, soit des formes orientées discursivement ou desformes pour le discours.

Mais comment expliquer dès lors que dans les séquences denégociation métalinguistique (séquences latérales ou séquencespotentiellement acquisitionnelles), les unités ou structures soientapparemment traitées par les apprenants uniquement commeformes?

Traiter une unité ou une structure pour elle-même relève de ceque l'on convient d'appeler un phénomène de décontextualisation(<<sortir» une unité de son contexte ou du fil du discours pour lasoumettre à examen et à questionnement). Or, que signifie«décontextualiser» ? Toute l'ambiguïté vient à notre avis du sensque l'on confère au processus visant à sortir une unité de son usagepour l'envisager en tant que telle, en elle-même. Car que signifieau juste « en tant que telle» et « en elle-même» ? Une unité priseuniquement dans sa forme, comme catégorie linguistique? Ou uneunité saisie comme trace d'opération, comme forme pour lediscours (c'est-à-dire en tant que forme dans ses potentialitésd'insertion dans le discours) ?

Sortir une unité du contexte pour la traiter ne préjuge pas dutype de travail que l'on va effectuer sur elle, dans la mesure où l'onpeut traiter cette unité aussi bien dans sa forme que dans sa viséediscursive. Par exemple, le travail de négociation sur undéterminant peut être aussi bien un travail linguistique qu'untravail discursif, c'est-à-dire aussi bien une interrogation sur l'unité

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lexicale en tant que telle qu'une interrogation sur l'appropriationdiscursive ou référentielle de cette unité. Ce n'est pas la mêmechose de demander: «C'est le chien ou la chien?» ou dedemander: «C'est un chien ou le chien? » S'il s'agit bien dansles deux cas d'un travail sur une unité linguistique, le mode detraitement est radicalement différent - linguistique, dans le premier,discursif ou référentiel dans le second.

Soulignons de plus qu'au sein même de la composantelinguistique, une même unité - une préposition, par exemple - peutêtre interrogée aussi bien comme objet lexical que comme objetgrammatical.

Une grille de lecture pour des formes à visée discursive

Or, si le type d'unité interrogé ne préjuge pas forcément duniveau d'analyse effectivement interrogé - dans la mesure où untraitement différent peut être effectué sur ces formes - la questionconsistera alors à se demander comment appréhender le travaileffectivement accompli dans ces séquences? Comment lire cetravail au travers des indices que nous fournissent les apprenants aufil de la séquence de négociation?

Nous tenterons de le faire en observant de façon très précise lafaçon dont les apprenants mettent en mots ces interrogations sur lalangue, tout en les lisant au travers d'une grille d'analyse qui neprojette pas une définition a priori des catégories mises en œuvre.

Il s'agit par conséquent de choisir entre une démarche déductive- qui à partir de catégories a priori va observer l'apparition decelles-ci dans la réalité du discours - et une démarche inductive -qui vise à appréhender on line l'émergence de catégories dans lediscours. Il convient en d'autres termes d'observer ce que lesapprenants traitent réellement comme telle ou telle catégorie et dese donner les moyens explicites de lire ces modes de traitement.

Dans nombre de travaux acquisitionnistes sur les séquenceslatérales ou séquences potentiellement acquisitionnelles. force estde constater que les cadres de référence restent le plus souventimplicites et peuvent conduire à des malentendus ou descontradictions sur les phénomènes observés. Or, si l'on observe detelles séquences selon la double entrée linguistique et discursivedécrite, il s'avère que le travail effectué par les apprenants sur les

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unités et structures linguistiques est hautement complexe et peutcomporter également les traces d'un questionnement discursif. Celaporterait à relativiser l'idée selon laquelle les apprenants tendraientà interroger presque exclusivement du lexique ou des unités de basniveau dans leur apprentissage linguistique.

Comme nous le verrons dans les exemples qui vont suivre, lequestionnement peut porter aussi bien sur l'ancrage d'une unité oud'une structure dans le discours que sur son adéquation pour lediscours. Et dans ce cas, ce n'est pas seulement le linguistique ou lediscursif qui est thématisé, mais encore la relation entre les deux,voire le processus même de leur intégration.

Rédaction conversationnelle et travail sur le discoursCertains types de discours, et a fortiori la transformation d'un

type de discours dans un autre, peuvent mettre plus ou moins enlumière ces différents modes de traitement. Dans le casprécisément du corpus qui nous est soumis, le passage du discoursoral au discours écrit permet trois types d'ancrage sur notreproblématique; (a) il mobilise l'attention des apprenants sur desprocessus généralement implicites à l'oral, il crée un effet de loupesur les phénomènes que nous interrogeons; (b) il permet d'ouvriret/ou d'observer une réflexion comparative sur l'articulation desdifférents niveaux de discours à l'oral et à l'écrit; (c) parmi leshauts niveaux, il laisse des traces de réflexion à propos des modes« oral» et « écrit» et de leurs contraintes énonciatives.

Dans ce sens, nous nous intéresserons par exemple auxprocessus de nominalisation, qui accompagnent souvent le passageà l'écrit et fournissent des observables pour les ancrages (b) et (c).Mais nous nous arrêterons aussi sur les balises ou les marques (parexemple: «je dirais », « donc », « ou bien », « en disant comme »,etc.) accompagnant la thématisation des différentes unitéslinguistiques et le changement de focalisation dans le travailmétalinguistique (<<métalinguistique» étant à comprendre ici ausens large, traversantles différents niveaux d'analyse).

Analyse de séquencesNous verrons dans ces séquences que le passage à l'écrit

demande ou débouche sur la thématisation des hauts niveaux, desfaits discursifs et de leurs liens avec les faits plus strictement

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linguistiques. Ce type de travail sur le discours correspond souventà un processus de stabilisation/déstabilisation orale des argumentspour l'écrit, fondamental dans une tâche de rédactionconversationnelle. Ce processus pourra porter aussi bien sur lesarguments eux-mêmes que sur leur forme, étant entendu que lesdeux dimensions s'interdéterminent largement.

Thématisation des hauts niveauxLe corpus offre de nombreux exemples de thématisation des

hauts niveaux, notamment des faits textuels. La brève séquence ci-dessous (extrait 1) en est une illustration, dans la mesure où lesinterlocuteurs gèrent explicitement l'organisation globale du texte.

390 F Ij'aime j'aimel mieux de de faire 0 un texte' pa=ce= que quand même on a pensé dede des deux arguments' 00 et j'aime mieux de faire un texte avec 0 un: un passageavec les arguments pour'

De manière générale, nous pouvons postuler que les situationsde double codage sont favorables à une thématisation des hautsniveaux. Par «double codage », nous entendons les situationsdiscursives où il s'agit de mener une tâche à travers deux modesd'expression, en superposition ou en alternance. Il est possible d'yregrouper, au-delà de la rédaction conversation ne lIe, lacommunication bilingue (cf. Gajo, 1999, Serra & Gajo, 1999 pourune présentation des liens entre enseignement bilingue et travaildiscursif). Dans cette séquence, le travail discursif (ou textuel)répond bien à un mouvement de stabilisation, certainement lisible àtravers quand même. Cette stabilisation ne vise toutefois pasdirectement les arguments, mais leur organisation textuelle, ce quiexplique probablement le caractère fortement explicite de lanégociation discursive.

Négociation d'unités linguistiques pour le discoursSous la négociation, implicite ou explicite, d'unités linguistiques

dites de bas niveau, on pourra identifier des enjeux relevant de lastructuration et de l'adéquation discursive.

117 F hm' 00 ce sont: on peut dire: 0 ce sont souvent les les mères' 0 à la maison qui 0 quiont les tâches de surveiller les: les les devoirs des enfants 0 et ça peut les embêter euh:vraiment beaucoup 0 donc euh: souvent c'est:/ce sont les mères qui doivent être:remplacées (le) non ça!

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Dans cette séquence (extrait 2), on s'interrogera sur le statut dela reformulation de c'est en ce sont, qui pourrait obéir certes à unnormativisme linguistique, mais peut-être aussi auconditionnement de l'écrit (qui constituera le support du produitfinal) et de ses règles sur la production orale. Cette reformulation,portant sur une transformation morphosyntaxique, marquerait ainsiimplicitement une réorientation discursive.

437 H /enfant'/ enfant s'est suicidé /pa=c= qu'il avait trop de (.. .)/438 F joui 0 on peut! commencer pal' quèq=chose comme ça donc c'est:439H pour 0 /pour qu= ça attire l'attention!440 F /ça peut être exagéré/ pour quelque chose de sobre, mais: donc, 0 mais moi je trouve

ça plus drôle, 00

Dans l'extrait 3 ci-dessus la négociation tourne autour du termesuicidé. Elle n'a pourtant rien de lexical, mais présente des enjeuxdiscursifs, en l'occurrence d'ordre stylistique. Nous reviendronsplus loin sur le rôle de quelque chose comme (438), qui marque lebasculement vers un traitement de haut niveau. Comme dansl'extrait 1, le travail discursif coïncide ici avec un moment destabilisation de l'argumentation et surtout de sa forme en vue del'écriture.

La nominalisationArrêtons-nous maintenant un peu plus longuement sur certains

cas de nominalisation, qui se laissent appréhender au croisemententre, d'une part, oral et écrit et, d'autre part, bas et hauts niveaux.La nominalisation permet à la fois de donner une forme écrite à unargument et de stabiliser ou d'arrêter la négociation orale, ce qui enfait un instrument privilégié dans k processus de rédactionconversationnelle. Elle marque une rupture dans l'organisationdiscursive en même temps qu'une continuité par rapport à desénoncés précédents, avec ksquels elle entretient des relationsanaphoriques (cf. Apothéloz, 1995, pour un examen des liens entrenominalisation et anaphore).

La nominalisation intervient de façon massive dans le passage àl'écrit, qui préfère les formulations synthétiques, à l'aide parexemple d'un substantif, aux formulations trap extensives d'unprocès par le biais d'une proposition. En outre, l'écrit passe aucrible la redondance propre à l'oral.

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Mais il faut considérer aussi que la nominalisation fonctionnede manière particulièrement importante lors de la prise de notes,qui constitue souvent le premier acte écrit et préstructure larédaction intégrale. Les premières inscriptions marquant unerédaction collective relèvent ainsi souvent de la prise de notes, ets'articulent en thèmes-titres ou en arguments formuléssynthétiquement. Les inscriptions ultérieures s'appuientévidemment aussi sur des nominalisations, mais qui sont cette fois-ci soumises à des contraintes en partie différentes. On souligneranotamment que l'écrit pousse à éviter la répétition rapprochée d'unmême morphème (Apothéloz, 1995).

Dans les lignes qui suivent, nous distinguons deux cas denominalisations la nominalisation avec antécédentmorphosyntaxique (Apothéloz, 1995, parle de dérivationmorphologique) et la nominalisation sans antécédentmorpho syntaxique.

- Avec antécédentes) morphosyntaxique(s) (extrait 4) :

25 F ça ça: à mon avis' si: tu travailles à la maison' 0 ça: te: ça t'aide à à apprendre detravailler. 0 euh: indépend= indépendamment 00 sans tu tu apprendre ne pas: seu!=menttravailler sous: sous quelqu'un qui t= qui te dirige qui: qui te dit euh Ic= qui faut faire,!

26 H Iqui te donne des ordresl ouais27 F tu es: 0 tu deviens plus responsable voilà à mon avis si tu travailles (à la)28 H donc ça serait le: l'apprentissage: de l'indépendance'

De 25 à 27, F et H négocient un argument proposé par F en vuede la rédaction. Les propositions de F sont ponctuées en 25 et 27par à mon avis qui relance à chaque fois une forme développée del'argument. F et H procèdent jusqu'en 27 essentiellement parreformulation, selon trois mouvements:- reformulation-développement : c'est ce qui se passe en 25, quandF reformule l'idée d'apprendre à travailler indépendamment etnotamment la notion d'indépendance;- reformulation-alternative: il s'agit de l'hétéroreformulation de Hen 26, qui propose à F son aide, sous forme de co-énonciation (cf.Jeanneret, 1999, pour le développement de cette notion) ; cettereformulation ne fait pas directement avancer l'argumentation et esten cela prototypique de la nature première d'une reformulation;elle permet toutefois à H de contribuer à l'argumentation de F etpeut-être déjà à en renforcer l'impact;

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- reformulation-synthèse: on en trouve une expression en 27,ponctuée par voilà; tu deviens plus responsable propose ainsi uneinterprétation de l'argument sous forme de conséquence ou desynthèse.

Tout ce travail de reformulation appartient à la négociationorale des arguments, sans s'inscrire encore clairement dans lapréparation du discours écrit. En revanche, H propose en 28 unereformulation sous forme de nominalisation, qui ne réinterprèteplus les arguments, mais commence à les fixer pour l'écrit. Cettenominalisation opère une dérivation morphosyntaxique à partird'éléments apparus dans le discours de F(apprendre/apprentissage, indépendamment/indépendance). Onpeut ainsi y voir un travail de transposition discursive en mêmetemps qu'un travail de transposition morphosyntaxique, le premierse servant du second. Notons encore le balisage important de lanominalisation à travers les marques donc ça serait, qui indiquent àla fois la rupture et la continuité.

- Sans antécédent morphosyntaxique (extrait 5)

91 F c'est pas= c'est pas seul=ment l'âge' j= crois que c'est euh: 0 même à la fac encore, =fiotu joues pas quand tu (PETIT RIRE) tu vas pas aller euh: jouer au ballon ou quèq= chosecomme ça mais quand même, 0 c'est assez. important d'avoir 0 du temps libre poud(...)/92 H 1(...)1 alors le: exagération du:

Cette séquence fournit aussi un exemple de nominalisation de lapart de H, mais cette nominalisation s'opère ici sans travail visibleà partir d'éléments morphosyntaxiques du cotexte immédiat. Dansce sens, on pourrait imaginer qu'elle concourt à stabiliser la formeécrite tout en contribuant à stabiliser l'argument lui-même, ce qui lamettrait fortement en rupture avec le discours précédent et lafragiliserait. Etrangement, cette rupture, pourtant forte, semble êtremoins marquée (cf. alors), moins préparée que dans l'extrait 4. Onpeut s'interroger sur cette apparente non-correspondance entreforce de la rupture et force du marquage, et faire les hypothèsessuivantes:- dans l'extrait 4, le parallélisme entre transposition discursive ettransposition morphosyntaxique donne à la nominalisation uncaractère plus stabilisant; le lien au discours de l'autre et à sesarguments est plus perceptible et le passage plus doux; c'est pour

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cela que le marquage doit se voir renforcé, afin d'indiquer le pointde rupture dans un ensemble relativement homogène; ce point derupture est ici d'ordre discursif (passage à l'écrit) ;- dans l'extrait 5, la nominalisation n'opère qu'une transpositiondiscursive, moins immédiatement stabilisante justement parcequ'elle amalgamerait stabilisation de la forme et stabilisation ducontenu de l'argumentation; le faible décrochement de alorsmontre ainsi une sorte d'ambivalence entre rupture et continuité.

Thématisation de la catégorie discursive et passage entre les"niveaux"

,r

Dans le travail négocié d'écriture, nous avons vu que l'onthématisait facilement les unités relevant de l'organisationdiscursive ou textuelle. Il en résulte une activité métalinguistiquetrès complexe, qui peut prendre en tout cas trois formes:thématisation d'une catégorie discursive outextuelle; thématisation d'un segment linguistique comme relevantd'une catégorie discursive; thématisation du passage entre lesegment et la catégorie.

Ces trois cas se laissent parfois lire dans des marques clairementidentifiables. Nous proposons maintenant d'en analyser quelquesmanifestations.

- «Du haut vers le bas» (adéquation discursive d'une unitélinguistique) cf. extrait 6 :

403 H let! on: on fait un: titre à nous' 0404 Foui pff 0 on dit euh: devoirs à la maison' point d'interrogation, (PETIT RIRE)[...J420 F oui, Ion fait unel421/H I lIe sujet'I422 F introduction' 0423 H en disant comme euh: 0 depuis la loi qui a été votée euh: quand ça été voté mil neuf

cent Icinquant-sixl [...]431 H n'importe quel texte' 0 qu'il soit: argumentatif ou: un autre' 0 s'il est intéressant en

plus' O/ça:1432F Id'accord,! oui mais on peut commencer avec quèq= chose de euh: 00 enfant trouvé 0

trop d= travail à la maison,

Dans cette séquence, on oscille entre un discours sur lacatégorie (titre, sujet, introduction, texte argumentatif, etc.) et undiscours dans la catégorie. Entre 403 et 404, on passe ainsi d'uneactivité métatextuelle à une activité textuelle, le pivot étant marqué

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par on dit. Très vite, le travail textuel cède à nouveau sa place àune négociation métatextuelle, qui consiste encore à expliciter lacatégorie discursive de référence. F parle d'ailleurs d'introductionlà où H parle de sujet, en se raccrochant peut-être davantage à lacatégorie précédente de titre. Le tour de parole 423 estparticulièrement intéressant, parce qu'il ressemble au tour de parole404 tout en s'en distinguant au niveau du pivot métalinguistique.En effet, en disant comme ne fonctionne pas comme on dit, dans lamesure où il thématise, à travers comme, le passage de la catégorieà l'un de ses éléments. Ceci confère au segment textuel qui suit unstatut de citation, d'exempIification plus que de proposition. Ontrouve le même genre d'effet un peu plus bas, en 432, avec quelquechose de. La catégorie discursive de référence demeure cependantimplicite cette fois.

Dans cette séquence, le travail métatextuel précède lespropositions textuelles. Il établit une grille de lecture desproductions discursives et des négociations qui peuvent s'y tisser.Dans la séquence suivante, on observe le mouvement inverse, dansle sens où la négociation se (re)calibre a posteriori par rapport à desenjeux discursifs particuliers.

- « Du bas vers le haut» (ancrage d'une unité linguistique dansle discours) cf. extrait 7 :

540 F ou est-c= qu'on met l'enfant' 0 essai de suicide'541 H de la Ipan d'un enfant!542/F1 Id'un enfant!543 H d'un enfant' 0544F heureus=ment, 0 pas 0 réussite' double point' trop de travail RIT à la maison, +

Ipa=c= que lesl545 IH Ilhen ça!546 F titres sont toujours euh:547 H ah mais tu veux mettre ça comme titre'548 F non on: c'est pas le titre' c'est l'introduction, mais: ça c'est: un titre imaginaire d'un:

journal,

Les deux co-rédacteurs se trouvent dans une phase denégociation foisonnante, qui voit de nombreux ajustementsmétalinguistiques. Même si en SOlon s'était dit explicitementqu'on commençait par élaborer le titre, les propositions vont bontrain et les deux interlocuteurs se prennent à échanger plusieursarguments ou formulations en lien plus ou moins indirect avec la

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tâche de rédiger un titre. Dans le passage ci-dessus, F est en traind'élaborer un segment textuel et H collabore en 541 à son travail demise en forme. Toutefois, l'un et l'autre ne semblent plus très auclair sur l'ancrage discursif de ce travail, sur ses enjeux plusstrictement textuels. Or, quand F en 546 (re)place son segmenttextuel par rapport à la catégorie «titre », une négociationmétatextuelle s'amorce. H met en doute la pertinence du lien entrece segment et la catégorie en question, ce qui débouche sur unesorte de rétractation de la part de F, qui réancre son segment parrapport à la catégorie «introduction» ou « titre imaginaire d'unjournal ».

Comme dans l'extrait précédent, on remarque en 547 un pivotmétalinguistique entre le segment textuel et la désignation de lacatégorie. La thématisation du passage se fait aussi à l'aide decomme mais c'est cette fois a posteriori qu'un segment de discoursse voit désigné (ça) comme élément d'une catégorie particulièredans l'organisation discursive.

On peut encore souligner que le mode de l'écrit appelledavantage un mouvement de stabilisation des arguments et de leurformulation. Ce mode apparaît notamment dans l'énonciation de laponctuation (544 dans l'extrait 7 et 404 dans l'extrait 6). Or, toutetentative de déstabilisation ou même de renforcement del'argumentation va à partir de ce moment-là exiger en principe lathématisation des hauts niveaux d'organisation du discours ou dutexte.

Conclusion

La stabilisation et la déstabilisation des arguments dans lepassage à l'écrit demandent un travail plus ou moins explicite surles hauts niveaux, sur les faits discursifs mais aussi sur leur lienavec les faits plus strictement linguistiques. On peut s'interrogerdès lors sur la fameuse hypothèse de Bialystok (1985 et 1993)selon laquelle l'apprenant doit automatiser le traitement des basniveaux avant de pouvoir traiter les hauts niveaux et gérer destâches complexes. On peut tout aussi bien s'interroger sur lapertinence générale de la métaphore des niveaux.

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Mais nous tenons à ne pas tirer de généralisations hâtives d'uneétude menée à propos de la tâche très spécifique qu'est la rédactionconversationnelle. Si cette tâche constitue une voie d'accèsremarquablement propice à l'observation de phénomènes souventrestés entre les mailles de l'analyse linguistique, nous devonstoutefois souligner qu'elle est elle-même constituée et/oudéterminée par ces phénomènes, qui s'y définissent certainement defaçon particulière.

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Sylvie PlaneIUFM de Poitou-Charentes - Forell /INRP

Problèmes de définition et négociationssémantiques dans la rédaction à deux d'un

texte argumenta tifTâches langagières prescrites / tâches langagières effectuées

lors de l'élaboration conversationnelle d'un écrit

Le corpus qui nous a été soumis comporte trois grandsblocs: la prescription orale d'une tâche d'écriture, les échangesoraux réalisés par deux scripteurs lors de l'exécution de cettetâche, et le texte co-produit par ces deux scripteurs. Deuxcaractéristiques notables font de cet ensemble formellementhétérogène une unité dont la structure est complexe.

Premièrement l'unité est assurée par le fait que les finalitéssont communes aux trois types de productions verbalesconstituant le corpus.

Le dispositif mis en place a été organisé de façon à permettrel'observation du travail langagier de deux étudiants alloglotteslors de la rédaction d'un texte en français, et l'analyse de leursverbalisations à des fins de recherche, selon une méthodologiedont les principes ont été explicités par de Gaulmyn (1994 : 73)et Bouchard (1996: 195). Mais au-delà du protocoleexpérimental, il s'agit d'une véritable situation didactique, c'est-à-dire d'une situation visant à favoriser un apprentissage et dontl'enjeu, en termes de profit cognitif, est connu de tous lesacteurs qui y participent. Cette particularité de la situation faitque les productions verbales obéissent à des règlescommunicationnelles spécifiques, propres aux situationsd'enseignement-apprentissage, qui sont gouvernées par des finsextrinsèques: on escompte de l'ensemble de ces productionsverbales qu'elles favorisent l'amélioration des compétenceslangagières des deux scripteurs. En raison de cette finalité, leséchanges oraux entre les deux scripteurs se distinguentnettement de ceux réalisés dans deux autres types de situations

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conversationnelIes, à savoir, d'une part, les conversationsfamilières que Traverso (1996 : 6) définit comme «ne [visant]pas à établir quelque chose qui [leur] serait extérieur (un accordtransactionnel, une décision,...) mais simplement à réaffirmer ouà élargir des liens sociaux », et, d'autre part, des échanges àcaractère professionnel dans lesquels ce qui compte, ce ne sontpas les transformations qu'opère le langage sur les locuteurs,mais le produit (diagnostic, jugement, interview, transactioncommerciale.. .) réalisé grâce au transfert d'informations entrelocuteurs ou grâce aux relations établies entre les partenaires dela communication.

L'analyse du corpus s'attachera notamment à mettre enévidence le poids de ce paramètre situationnel qui fait que leséchanges du corpus étudié sont en partie pilotés par la nécessitéqu'il y ait apprentissage.

En second lieu, sur le plan structurel, les trois éléments ducorpus constituent un ensemble thématique dont l'architectureprésente deux niveaux d'imbrication ou d'emboîtement:(a) la situation de rédaction conversation nelIe présente leséchanges oraux comme étant au service de la productiond'écrits et de son apprentissage. En effet, la mise en place de cetype de dispositif repose sur l'hypothèse que l'obligation decommuniquer a une fonction cognitive car elle permet «demieux appréhender un référent [et] de mieux appréhender lesconnaissances qui s'y rapportent» (Beaudichon et al.,1991 : 128). Cette hypothèse est corroborée par desexpérimentations, telles celles de Gilly et Deblieux (1996 : 258)qui ont comparé les performances réalisées à l'issue del'apprentissage d'une tâche rédactionnelle effectué par unscripteur isolé et celles obtenues à l'issue de l'apprentissage decette même tâche mais effectué cette fois en dyade: ces auteursont pu noter que l'entraînement en co-élaboration produit desrésultats plus efficaces que l'entraînement individuel, en raisondes confrontations de stratégies auxquelles il contraint lesscripteurs;

"(b) le thème qui est proposé, à savoir débattre de la question desdevoirs, joue un rôle de miroir, puisqu'il renvoie à la situationmême des scripteurs à qui il est prescrit d'accomplir une tâche

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langagière particulière, c'est -à-dire, en quelque sorte, de faire undevoir.

C'est pourquoi je prendrai comme point de repère pourobserver ce corpus les fonctionnements du mot devoir, termecentral, puisqu'il concerne à la fois l'objet du discours - il s'agitpour les co-scripteurs de s'insérer dans un débat ou unecontroverse portant sur le bien-fondé des devoirs scolaires - et,dans une certaine mesure, la situation de scription elle-même,puisque l'activité des co-scripteurs est commandée par uneprescription, et s'apparente donc à celle des sujets - les écoliers -dont ils sont tenus d'étudier le cas.

Cette observation portera sur deux objets:- la prescription de la tâche d'écriture et en particulier le modede donation du mot devoir dans la consigne, et, en corrélationavec cette prescription, la définition progressive par les co-scripteurs du texte à produire, avec les problèmes de référenceafférents;- le travail d'élaboration sémantique lié au mot devoir,élaboration mise en œuvre à des fins argumentatives dans lecorpus oral et dans le corpus écrit.

La visée de cette observation est d'essayer de dégager deséléments faisant apparaître que:- dans ce corpus composite, le sens du mot clef devoir seconstruit dans l'interlocution en corrélation avec celui du mottravail, si bien qu'ils finissent par échanger certains de leursattributs; mais l'écrit fige et cristallise les évolutionssémantiques;- dans les interactions entre les scripteurs, les négociationsconcernent plusieurs niveaux. En effet, les scripteurs cherchent àdéfendre non pas tant un point de vue auquel jls adhéreraient(pour ou contre les devoirs à la maison), mais la validité de leurargumentation, ce qui peut être interprété comme un effet del'artefact didactique. De plus, le souhait manifeste de préserverl'harmonie conversationnelle amène les deux scripteurs àrechercher un consensus, comme si la socialisation obligée par letravail de groupe importait plus que la défense d'une opinion, sibien qu'ils sont amenés à redéfinir leurs positionsargumentatives respectives pour assurer l'équilibre du coupledialogal qu'ils constituent. Ce choix de privilégier la dimension

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coopérative et relationnelle les conduit à adopter commeaboutissement ultime de leurs travaux une conclusionparadoxale qui pourrait se résumer par « oui aux devoirs, non autravail en classe» ;- dans les contenus traités lors des échanges oraux, une sélectionest opérée conjointement par les deux scripteurs, qui focalisentleur attention sur des points d'ordre méta-discursif ou méta-textuel, en raison sans doute du caractère artefactuel de lasituation, mais au détriment de l'analyse des contenuspropositionnels.

Formulation de la consigne et définitions de la tâche:complexité pragmatique et énonciative

Le statut de la consigneDans les situations didactiques, les consignes ne définissent

qu'une partie de la tâche car, si l'on veut qu'il y aitapprentissage, il est nécessaire que l'activité de l'apprenant ne seréduise pas à l'exécution d'une séquence d'actions entièrementprogrammée par la consigne, mais qu'elle exige de celui-ci unepart de recherche ou d'initiative qui constituera le foyer del'apprentissage. C'est pourquoi la formulation de consignes doitobéir à deux contraintes opposées: les consignes doivent d'unepart donner explicitement ou implicitement des orientations detravail qui cadrent l'activité de l'apprenant en lui indiquant soitla nature du produit à obtenir, soit certaines phases desprocédures à mettre en œuvre; d'autre part, elles doivent laisserdes vides à combler ou confier expressément à l'apprenant unproblème à résoudre.

Un autre impératif didactique consiste à associer l'apprenantau processus d'enseignement-apprentissage, en l'engageant às'investir dans l'activité, notamment en faisant en sorte qu'il soitconscient du profit cognitif, matériel ou symbolique qu'il tirerade l'apprentissage. Toutefois, si les visées ultimes del'apprentissage sont perceptibles à un apprenant, on ne peutattendre de lui qu'il participe à la définition des objectifs dans lamesure où, pour être capable de définir avec précision etpertinence les savoirs ou compétences pouvant être acquis au

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cours d'une séquence d'apprentissage, il faut au préalableévaluer et donc maîtriser ces savoirs ou ces compétences.

On peut considérer, dans le cadre des situationsd'enseignement, quatre niveaux de tâches:- la tâche prescrite, formulée en termes de consignes définissantle plus souvent le produit à fournir et les contraintes s'attachantà la production ou au produit; ici, il s'agit d'écrire à deux «untexte sur les devoirs scolaires ». Je reviendrai sur ce point nodaldu corpus;- la tâche cognitive escomptée, non communiquée comme telleaux apprenants, mais qui doit être telle que son effectuationparticipe au processus d'apprentissage. En l'occurrence, lesconcepteurs du dispositif attendent de la rédactionconversationnelle qu'elle contraigne les deux co-scripteurs àune activité métadiscursive contribuant à des apprentissageslinguistiques, discursifs et scripturaux, portant notamment sur ladimension dialogique de l'argumentation, de façon à favoriserl'appropriation d'une langue seconde;- la tâche effectuée par les apprenants, qui se manifeste sous laforme d'une activité constatable et d'un produit, observables icisous la forme de propos transcrits et d'un texte;- la tâche ou plutôt les tâches ou sous-tâches que les acteurs sedonnent, tâches qui peuvent contribuer à l'exécution de la tâcheprescrite ou s'y opposer, et qui ne sont, le plus souvent,perceptibles que de manière indirecte. Rarement explicites, ellesne peuvent être reconstituées que par inférence, à pal1ir desmatériaux langagiers observés. Par exemple, on peut considérerque le maintien de l'harmonie communicationnelle constitueune partie de la tâche que se sont donnée les co-scripteurs.

D'autres analystes (Goigoux, 1997), dans une perspectiveergonomique, font apparaître des degrés supplémentaires dans ladéfinition de la tâche en faisant entrer en ligne de compte laprescription institutionnelle, qui impose ses contraintes auxconcepteurs d'une séquence d'enseignement.

Ici on peut également prendre en considération le fait que laséquence de travail observée s'insère dans un dispositifexpérimental plus complexe, visant à permettre aux chercheursd'observer le travail de formulation, circonstance qui déterminecertains paramètres de l'activité: le fait que la conversation soit

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enregistrée à des fins d'observation modifie la nature de la tâcheet n'est pas sans influencer le déroulement des échanges. IIs'agit là d'un phénomène bien connu, à prendre en compte, aumême titre que n'importe quelle autre variable situationnelle.

Complexité énonciative de la consigne et complexité de latâche

La tâche qui est assignée aux co-scripteurs n'est passeulement une tâche d'écriture, même si c'est la productiond'écrits qui est signalée comme devant témoigner de l'exécutionde ce qui leur a été prescrit. Cette tâche exige d'eux qu'ilss'engagent simultanément dans des activités de plusieurs types.Ils doivent en effet:- construire une argumentation, c'est-à-dire, un dispositifconceptuel intrinsèquement dialogique, intégrant le point de vuedu destinataire, qui se révèle être double: l'auteur de lacommande, à savoir le formateur, et le lecteur virtuel del'article;- construire à deux un texte écrit dont le tissu doit être cohésif ;- construire, à deux, par le conflit ou la coopération, un tissu oraldialogal ;- construire le sens et la référence de termes au cœur de lanégociation.

La formulation de la consigne, qui renseigne les deuxétudiants sur ces différents aspects de la tâche à effectuer,s'opère par strates successi ves correspondant à desemboîtements énonciatifs, figurés de façon schématique dans letableau 1 qui présente les différentes formes discursives et lesdifférentes instances énonciatives convoquées dans la consigne.

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Discours 1Émetteur: professeur - Destinataire: étudiantsEnjeu: activité des scripteurs, apprentissagesContenu: injonction de produireAnnonce

Ordre

Annonce

Ordre

Allocution

Loi

Tableau 1 : La prescription de la tâche d'écriture

Annonce de l'acte de langaged'écrireÉmetteur: on - Destinataire: étudiantsContenu: injonction de produire

injonction1 :

Un texte 1(quelque chose)E =étudiants(0 = on '1)

Annonce de l'acte de langage 2Émetteur: locuteur (professeur)Destinataire: étudiantsContenu: consigne

Acte 2: injonction deproduire un texte 1E =étudiants(0 =on '1)contenu:

bn age 3(É :instituteurs)(0 : Élèves)(Enjeu: apprentissage)(Contenu: injonction defaire x)

Rappel (?) du discours 2 / acte de langage 4 :adresse aux instituteursÉmetteur: Ministre - Destinataire: instituteurs(Enjeu: modifier les pratiques d'enseignement)

Contenu: rappel de la loi =texte 2(E =Législateur)(0 = Universel)C =interdiction des

IDevoirs =acte de langage 5 =3~

--------------------------------------

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Ecrire un texte 3Émetteur; lecteursDestinataire: lecteursContenu:opinion sur devoirs = acte

de langage 8 =3

--------------------------------------Ordre

Relation de l'acte de langage 6:de devoirsÉmetteur: instituteursDestinataire: élèves(Contenu: injonction de faire x)

prescription

Controverse

Relation des discours 3, 3', 3", 3"":controverseÉmetteur: partisans/adversaires des devoirs(Destinataires: partisans/adversaires des devoirs)(Enjeu: modifier l'opinion)(Contenu: arguments

devoirs =acte de langage 7 =3fondant / discréditant les

Sollicitation

Relation des discours 4 /acte 8 : adresse auxlecteursÉmetteur: journaux - Destinataire: lecteurs(Enjeu: conserver le lectorat)(Contenu: incitation à

Ordre

Prédiction de production de discours 5:injonction d'écrireÉmetteur: étudiants Destinataires: élèves,parents, autorités scolaires ...Enjeu: modifier l'opinionMoyen: production d'un texte

sur les

émetteurs;étudiants

devoirs =actede langage 10=3?

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- Diversité des formes dialogiques prescrites:Les étudiants sont invités à s'engager dans plusieurs

structures dialogiques. En reprenant les catégories de FrancisJacques (1979), on notera qu'il s'agit pour eux de prendre partà une controverse, présentée comme initiée par la presse, c' est-à-dire à un système d'affrontement dans lequel chaqueinterlocuteur défend une position unilatérale. Mais le dispositifdidactique lui-même les conduit à un débat interne pour définirune orientation argumentative commune, et à des délibérations àvisée pratique, permettant de prendre les décisions d'écriture.Ces formes seront inégalement présentes dans le corpus.

Diversité des instances convoquées pour assumerl'injonction d'écrire:

Les reformulations de la prescription d'écrire correspondentpour partie à un changement d'instance prescriptive, assuméetour à tour par un actant dont l'identité est non précisée (on),puis par le locuteur Ge), puis par les journaux, avant de s'effacerpar le biais d'une tournure décrivant l'exécution de la consigne.Comme l'a montré Boutet (1997), le pronom on pose un certainnombre de problèmes d'interprétabilité. Ici, le contexteimmédiat incite à affecter à on une valeur référentielle incluantle locuteur, si l'on considère que le segment qui suit celui danslequel on est employé (on va vous demander de rédiger quelquechose / je vais vous dire la consigne) en est une reformulationrenvoyant au même référent; mais la suite de l'énoncé amène àune réinterprétation de ce pronom: ce sont les journaux quisont censés stimuler l'activité argumentative des personnesintéressées. Les reformulations correspondent principalement àdes changements de niveau énonciatif et mettent en scène desinstances hiérarchisées qui prononcent ou transmettentl'injonction d' écrire. (cf. numérotation sur le tableau 1)

- Diversité des contextes discursifs d'apparition du motdevoir:

Le mot «devoir» est employé dix fois, dans des contextesdiscursifs différents. Dans un seul cas de reprise (les devoirs sontnécessaires à l'école primaire, les devoirs sont nécessaires àl'école primaire) on peut considérer qu'i! s'agit d'unereformulation paraphrastique n'introduisant ni changement deniveau énonciatif ni variation sémantique, mais pouvant être

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interprétée soit en termes de changement de focalisation, soitcomme un marqueur du travail de production orale (Gülich,1994 ; Barberis & Maurer, 1998).

Dans tous les autres cas, on peut considérer que les variationscontextuelles (énonciatives et syntaxiques) sont telles que leséléments de la sphère sémantique de devoir sont activésdifféremment. Parmi les caractéristiques sémantiques _quiaffectent le mot devoir dans la consigne, on notera qu'il n'estassocié qu'une seule fois à la notion d'obligation, lorsqu'il estemployé comme objet d'une tournure factitive (les instituteursfont faire des devoirs); par ailleurs les enfants sont désignéscomme les bénéficiaires ou les récipiendaires des devoirs (lesdevoirs scolaires à la maison pour les enfants), non comme ceuxqui les prennent en charge. Il semble donc que, dans laconsigne, devoir réfère à l'objet d'une prescription, dontl'auteur est mentionné (les instituteurs) ainsi que les destinataires(les enfants) et le lieu de son exécution (à la maison). Dans lespropos de Méïté et Paulo, la référence se construiradifféremment.

Définitions de l'écrit et de la tâche par les co-scripteursLa complexité de la prescription influe sur les choix

stratégiques effectués par les co-scripteurs, mais son effet n'estpas mécanique: l'interprétation de la consigne est également leproduit de la dynamique conversationnelle qui prend commeobjet la définition du texte à produire et des devoirs. Laconsigne caractérise le produit à réaliser, mais confère auxscripteurs le choix des procédures, des modes d'argumentation,du paradigme communicationnel dans lequel s'inscrira leurproduit et de l'orientation argumentative. Les scripteursprendront en effet des décisions sur tous ces points. Mais, dansle dessein de rendre plus efficaces ou plus économiques lesnégociations, les scripteurs ne soumettront pas toutes lesdécisions à la négociation. Certaines décisions sont prises à lasuite de l'adhésion tacite d'un des interlocuteurs à uneproposition unilatérale faite par son partenaire.

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Poser le discutableAprès les préliminaires d'ouverture consacrés à un thème

adjacent, la répartition des rôles dans l'écriture à deux, Paulodélimite en 387 le champ du discutable et détermine de sonpropre chef l'orientation argumentative: C'est comme lesdevoirs à la maison il les faut. Cette assertion qui intervientprécocement dans la conversation constitue un coup de force,non violent mais ferme, qui impose une position et restreintd'emblée l'extension du débat à venir. Par défaut, puisquel'orientation argumentative a été décidée unilatéralement parPaulo, seules les modalités d'argumentation et lescaractéristiques génériques du texte à produire serontexplicitement objets de négociations.

Déterminer des caractéristiques génériques du texte: enjeuxpragmatiques et posture énonciative

Les propos enregistrés témoignent d'un travail decaractérisation du texte à produire, travail qui occupe une partimportante de la conversation. Il n'est pas sûr que dans lessituations de scription ordinaires les scripteurs prennent toujourssoin de définir avec précision les caractéristiques du texte àproduire. On peut penser que, lorsque le genre de texte estfamilier au scripteur, la planification s'appuie parfois sur desroutines, qui économisent cette partie du travail deconceptualisation et permettent au scripteur d'allouer plus deressources cognitives à d'autres tâches, telle que l'évaluation desarguments ou le tissage textuel.

Dans le cas présent, on peut faire sans risque l'hypothèse queles deux étudiants sont, par leur culture personnelle, familiarisésavec la lecture de textes correspondant aux différents genresévoqués par la consigne, mais que leur expérience de scripteursest très inégale vis à vis de ces genres: ce ne sont pas desjournalistes, mais des étudiants qui mobilisent toutes lesstratégies rédactionnelles et toutes les techniques de recherchequ'ils ont pu apprendre, d'où l'importance qu'ils accordent à laconstruction de l'image du texte à produire.

La consigne, par son contenu, engageait à adopter la postured'un lecteur qui écrit à un journal pour participer à unecontroverse, mais par son existence même rappelait aux

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scripteurs leur statut d'étudiants. Les co-scripteurs vont acceptercette double posture tout en la détournant partiellement: legroupe se positionne non comme lecteurs, mais commejournalistes tout en conservant des attitudes ou despréoccupations d'étudiants. Et dans la représentation que Pauloet Méïté construisent du texte à produire, celui-ci va conquérirprogressivement, par étapes, des attributs qui l'apparentent à unarticle de journal.

- Un texte obéissant à des normes structurelles enseignées àl'école (initiatives de Paulo) :

Dans un premier temps, une fois la décision imposée parPaulo, en 387, sur l'orientation argumentative, la discussions'engage autour des composants d'un objet appelé texte (390),puis texte argumentatif ( ce qui réfère aux typologies textuelleset non aux classifications par genre) et qui conservera ladénomination de texte, à une exception près, jusqu'à la fin deséchanges transcrit. Cet objet est alors caractérisé par des traitsqui le rattachent plus aux textes scolaires qu'aux textesjournalistiques: il doit comporter un passage avec lesarguments pour (F 390), un passage avec les arguments contre(F 392) et une conclusion (H 397) ainsi qu'une introduction (H419). Certains contenus, les arguments, restent à l'état de simplemention; en revanche le travail de formulation s'attache à lacréation d'une anecdote, sans pour autant la catégoriser commetelle. Le texte produit portera des marques de l'écriture scolaire,avec des formules introductrices comme ceux qui défendentl'augmentation des devoirs à la maison argumentent que... oucontrairement à cet argument qui, à l'inverse de l'usagejournalistique, soulignent les artifices rhétoriques.

- Un texte journalistique (initiative de Paulo) :Après un moment d'hésitation coUective (397-401) qui

constitue une sorte de piétinement, Paulo propose de passer à larédaction d'un titre (on fait un titre à nous 403), ce quiconstitue une première caractérisation du texte en tantqu'article. L'hypothèse d'un texte relevant du courrier deslecteurs n'est pas même abordée. Une fois le problème du titreprovisoirement résolu, Paulo s'essaie à la formulation d' undébut de texte commençant par une adresse au lecteur. C'estégalement Paulo qui définit explicitement le texte comme un

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article de journal, sans parvenir à trouver exactement le nomgénérique de l'article (notice, nouvelle). Son initiative entraînealors des échanges portant sur des titres de journaux, échanges àtonalité ludique, qui permettent à Paulo et Méïté de décliner lestitres de journaux qu'ils connaissent.

- Des problèmes de référence et de rapport au monde:La conversation aborde également les problèmes de rapport

au monde, aussi bien à propos du contenu des ariicles, qu'àpropos de l'existence même des articles: Méïté proposed'insérer une anecdote inventée, Paulo la suit sur ce terrain, maistient à ce que l'article signale qu'il s'agit d'une fiction.Toujours dans son entreprise de définition du texte, Paulofournit des éléments permettant de caractériser le texte àproduire comme étant journalistique - et donc soumisimplicitement à obligation de véridicité - tout en soulignant parl'emploi de conditionnels (ça pourrait être la première page...465) que le texte, dans son ensemble n'est qu'un artifice, unefiction de texte authentique. Le double marquage d'unemodalité épistémique par un procédé morphologique (la formeen -rait) et d'une modalité ontique par un procédé lexical (leverbe pouvoir), pour reprendre la typologie de Le QuerIer(1996), signale la difficulté identifiée par Paulo. Méïté clôt ledilemme en résumant leur production sous l' étiquette quasioxymorique : un titre imaginaire d'un journal (548).

On peut prendre comme points de repère pour découper laconversation en épisodes les progrès dans la constitution d'uneimage du texte à produire. D'autres analystes, comme François(1990), utilisent des instruments d'analyse plus subtils, quirendent mieux compte de l'hétérogénéité des paramètres dudialogue; d'autres encore, comme Bouchard (1996) fondent,dans le cas des situations oralographiques, le découpage desunités conversationnelles sur celui des segments écrits traités parles locuteurs. Ici l'approche est plus sommaire puisqu'elle nevise qu'à repérer les étapes de la constitution collective d'unereprésentation du texte à produire, ainsi schématisée dans letableau 2 ci-après, qui présente la définition progressive du texteà produire.

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Initiative Emprunts aux textes à Emprunts aux textes journalistiquesenieu d'apprentissage

379 Paulo Texte qui doit être muni d'un titre381 iljaut choi.fir l'UII...des dellx titres

387 Paulo Un texte dont l'orientation argumentative est déterminée

C'eM comme les devoirs il les faut390- Méïté Plan dialectique 7396 un texte avec un passage

avec les argumentspour... un passage avecles arguments contre

397 Paulo Muni d'une conclusionEt après une conclusion

403 Paulo 011fair 11//titre à IIOllS

-> épisode de formulation du I° titre

419- Paulo Muni d'une introduction422 ollIair IIlIe petire illtro.

423- Paulo -> épisode de formulation du début,425 avec une adresse au lecteur: VOIIS

savez salis dOllte que

426- Meïté Texte dont le style est incertain428 dalls qllel stvle ça doit être écrit? illtéressallt... 011sobre?

431- Paulo Un texte (argumentatif 7) qui doit intéresser439 N'importe quel texte qu'il soit argumentatif ... s'il est intéressant

432- Meïté [Un texte comportant un

448 élément fictionnel] ->épisode d'invention del'anecdote pour qlle çaattire l'attelltioll

449- Paulo Un article de presse453 Ça J1QYl!11il.être... lllle notice ...II/le

lIouvelle à Paris dalls IIlljoumal

457- Paulo [Un texte soumis à une obligation de464 véridicité)

-> remise en question de l'anecdoteinventée 011dit qlle ce Il 'est /Jas arrivé

465- Paulo La une d'un journal précis481 Ça pourrait être la première page

du...Mollde dll MOllde de l'éducatiollde Paris-Match de Gala

483- Paulo [Un texte qui réfère à des faits487 avérés]

- >épisode de formulation du débutmalgré l'interdictioll par le Millistère

-> 2°épisode de formulation du titre548 Meïté Changement de statut de la formule mise au point (titre->

introduction)Un texte .iournalistique, mais imal(inaire : llll titre imaf!,illaire

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Cette dualité générique présente dans la définition engestation sera lisible dans le produit final écrit. En effet, le textede Méïté et Paulo se rapproche par certaines caractéristiques dudevoir scolaire et par d'autres de l'écrit journalistique.

Font pencher le texte du côté de l'écrit scolaire le caractèreextrêmement visible des artifices de construction, et le fait queles arguments soient attribués à des argumentateurs noncaractérisés ou non identifiés. La constitution d'une classed'argumentateurs désincarnés dénommée ligne Il par lesyntagme «ceux qui défendent l'augmentation des devoirs» etréactivée ligne 28 par l'expression «contrairement à cetargument », s'inscrit dans une tradition rhétorique scolaire quivalorise la prétention à l'universalité de l'argumentation, avecpour corollaire le masquage de l'instance énonciative.

Du côté de l'écrit publiable dans un journal, on notequelques traits qui apparentent ce texte à un article de la pressepeople, presse dont on peut penser qu'elle avait été fugitivementsuggérée par Méïté lorsqu'elle oppose le style « intéressant» austyle « sobre », et qui se trouve explicitement évoquée par Paulolorsqu'il mentionne par plaisanterie le magazine Gala: lecaractère sensationnel de l'anecdote inventée, le titre et lesprocédés d'interpellation du lecteur, notamment par unequestion ligne 9, sont des caractéristiques fréquemmentattribuées à différents types d'articles de presse.

Toutefois un trait inciterait à rapprocher également ce textedes courriers de lecteurs, c'est l'emploi du possessif « nos» dansle syntagme «nos enfants» ligne 9, procédé fréquent dans leslettres de lecteurs adressés aux journaux de proximité, et quitémoigne ici du fait que Méïté et Paulo s'emploient à adopter laposition d'un scripteur ayant une expérience personnelledifférente de celle qu'ils ont en tant qu'étudiants.

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Manifester les habiletés rédactionnelles et argumentatives desscripteurs

Si les enjeux pragmatiques du texte fluctuent au cours de laconversation, au gré de l'évolution de la représentation du texte,il n'en demeure pas moins que la dimension didactique de lasituation reste toujours sensible, d'autant plus qu'elle estrappelée par le thème à traiter. En raison de la nature même ducontrat didactique qui lie entre eux les participants àl'expérimentation, les scripteurs ne perdent jamais de vue que laproduction du texte est destinée à leur permettre de développerou de manifester leurs compétences de scripteurs,particulièrement dans le domaine de l'argumentation. C'estpourquoi le texte exhibe de façon ostentatoire le travail deconstruction argumentative, notamment à travers le recours aumétalangage (argument, argumenter), agrémenté de jargonpédagogique (gérer [le] temps, activité, intégration.. .), etl'emploi d'une superbe collection de connecteurs placés le plussouvent en tête de paragraphes pour signaler l'organisationtextuelle (néanmoins, en outre, de surcroît, enfin, contrairementà cet argument, en plus...) et qui reproduisent une liste digne defigurer dans un manuel de méthodologie...

Cela explique aussi les contenus axiologiques qui serontdéfendus par les co-scripteurs dans leur constructionargumentative portant sur le bien-fondé des devoirs scolaires.

Trouver une stratégie argumentative: argument de quantité etnégociation sémantique

La question posée à Méïté et Paulo les engageait à seprononcer pour ou contre les devoirs à la maison. Maisl'expérience scolaire et universitaire des deux scripteurs les ahabitués à comprendre qu'on n'attendait pas d'eux une réponsemonologique, d'autant plus que la situation a été construite rourprovoquer des confrontations. L'une des contraintes implicitessera donc de prendre en compte, quelle que soit l'orientationadoptée, des contre-arguments qu'on réfutera ou dévalorisera.Par ailleurs la position des deux scripteurs ne peut pas êtreneutre, dans la mesure où ils sont eux-mêmes partie prenantedans un système prévoyant des modalités de travail proches parcertains traits de celles des devoirs scolaires. Paulo instaure

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rapidement }'orientation argumentative en faveur du maintiendes devoirs par une remarque apparemment annexe, mais quiconstitue une sorte de rappel du règlement, ou plutôt desrèglements, celui de l'école (les devoirs) et celui de l'écritured'un texte (journalistique?) qui doit commencer par un titre.Les deux mondes, celui de l'école et celui de l'écriture du textesont unis dans une comparaison qui les assemble (on va choisirl'un des deux titres... c'est comme les devoirs à la maison, il lesfaut) et par un verbe déontique qui s'applique aux deux etpermet de les caractériser.

Deux stratégies vont être mises en place pour intégrer lescontre-arguments, nombreux et parfois puissants, tout endéfendant finalement l'existence des devoirs, stratégies reposanttoutes deux sur un travail sémantique.

L'argument de quantité pour concilier des contrairesLa première stratégie argumentative concerne la quantité. On

sait que les questions de quantité sont très présentes dansl'argumentation, que ce soit par les formes subtiles que prendl'argumentation dans la langue et les problèmes d'inférence quien découlent (Ducrot, 1980; Anscombre et Ducrot, 1988) oupar les figures dites de confrontation répertoriées dans lesrhétoriques classiques (Robrieux, 1993).

- L'appel aux fonctions rhétoriques et logiques del'argument de quantité:

Dans l'arsenal disponible pour défendre une position, lesarguments a fortiori, qui utilisent la comparaison entre despropriétés quantitatives affectées à des objets de discours pourentraîner vers une conclusion, constituent des ressourcesaisément mobilisables. Pour Anscombre (1995 : 51), l'efficacitéde ce type d'argumentation tient au fait que tout discours meten œuvre des topoi', qui constituent les garants desenchaînements discursifs, et qui reposent non sur des propriétésintrinsèques des objets, mais sur des méta-prédicats attachés auxunités lexicales. Outre les topoï, des tropes et des formules sontdisponibles dans le répertoire de la sagesse populaire pourfournir des schémas d'utilisation d'arguments de quantité, avecdes orientations du type a minori ad majus ou sa réciproque amajori ad minus, représentées par des proverbes comme «qui

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vole un œuf vole un bœuf» ou, avec une orientation opposée,«qui peut le plus peut le moins ». Pour Perelman & Olbrechts-Tyteca, (1992 : 469), qui contrairement à Anscombre, se situentdans une perspective référentialiste, les arguments qui utilisentde tels enchaînements se fondent sur le principe physique selonlequel un changement quantitatif peut entraîner un changementqualitatif, le problème étant bien évidemment celui de la limiteau delà de laquelle il y a changement d'état, limite qui repose,selon ces auteurs, sur un acte de décision.

Dans l'argumentation de Paulo et Méité, le schéma utilisé estdu même type que celui qui avait été développé dans unecampagne de communication médiatique contre l'abus deconsommation alcoolisée, et pourrait se résumer par «un peu dedevoirs, ça va, trop de devoirs, bonjour les dégâts ». Ce choixpermet de sauver les devoirs et de diriger vers le quantificateurles arguments qu'on pourrait leur opposer.

Les termes relatifs à la notion d'excès abondent dans lecorpus écrit et sont présents dès le corpus oral (432, 437 trop detravail, 455 amplification, 457 augmentation, 462 trop detravail...). Et l'anecdote sensationnelle est destinée à illustrerprécisément les dégâts causés par l'excès de devoirs: le suicide(inventé) de l'enfant n'est pas dû aux devoirs eux-mêmes, maisà l'excès de devoirs. Les essais successifs de formulation du titretémoignent de l'émergence progressive de trois attributsquantitatifs des devoirs qui vont devenir la cible des reprochesqu'on peut adresser à cette pratique pédagogique, dégageantainsi cette dernière des accusations dont elle pourrait êtrel'objet:- la pluralité

409 : la polémique du devoir416: les devoirs (passage au pluriel, qui sera conservé)

- l'excès432: trop de travail437 : trop de447: Enfant s'est suicidé à cause de ses devoirs (effacement de la notion

d'excès)462 : trop de travail à la maison (retour de la notion, qui sera conservée)

- la croissance455 : de l'amplification457: l'augmentation

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Le texte définitif rédigé par Paulo et Méïté intègre ceséléments apparus au cours des échanges, puisque, après un titrerappelant le caractère global de la question (Devoir à lamaison: oui ou non), le sous-titre et les premières phrasesmettent en avant les problèmes de quantité par des formulescomme trop de devoirs (ligne 2), surcharge (ligne 5), augmenter(ligne 10), augmentation (ligne 11), déséquilibrant ainsi le débatqui leur était proposé.

- La genèse sémantique de l'argument de quantité: le devoir,un nom massif ou comptable?

Cet argument relatif à la quantité ne s'impose pas de lui-même. Rien dans la consigne ne la suggérait: sur les dixOCCUITencesoù i1 figure, Je mot devoir a été uniformémentemployé dans un syntagme au pluriel comportant undéterminant défini: «un texte sur les devoirs scolaires », «lesdevoirs à la maison étaient supprimés» etc. La question posée auscripteur les amenait non pas à s'interroger sur l'intérêtd'augmenter ou de diminuer les devoirs, mais à se positionnerpour ou contre les devoirs.

L'argument de quantité apparaît dans le dialogue à la suitede tâtonnements, qui font fluctuer le nom devoir entre le statutde massif et celui de comptable. Si pour les physiciens et lesmathématiciens, la distinction entre les grandeurs discrètes et lesgrandeurs continues renvoie à des propriétés des systèmes dereprésentations plus qu'à celles de la matière elle-même, pour lelinguiste a fortiori, la distinction entre noms massifs et nomscomptables résulte d'une opération langagière et non pas d'unsimple constat, comme le note Kleiber (1994 : 14): «II s'agit[...J de deux types fondamentaux de présentation référentielle etnon, comme on pourrait le penser, d'un engagementontologique en faveur de l'existence de deux types d'entitésdifférentes, les comptables et les massives. La même chose peutêtre «emballée» de façon individuante comme de façonglobalisante.

Dans notre corpus, la tentative de glissement qui fait passerdevoir de la catégorie des noms comptables à celle des massifsest issue d'une initiative de Paulo (H), qui saisit l'opportunitéque lui offre une formulation non marquée due à Méïté (F) :

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387 H c'est comme les devoirs

404 F on dit euh devoir(s) à la maison

409 H la polémique du devoir à la maison

413 H ou bien devoir(s)

416 F pour ou contre les devoirs

447 H à cause de ses devoirs

(pluriel marqué)

forme non marquée phonétiquement

glissement vers le nom massif

forme non marquée phonétiquement

adoption du pluriel par F

adoption du pluriel par H

Le syntagme du «devoir» en 409, que j'interprète commemarquant un glissement vers le statut de nom massif peutégalement être analysé comme provenant d'une simple erreurd'article, fait fréquent chez les locuteurs non francophonesd'origine. Toutefois, cette dernière hypothèse est contredite parl'attention que porte Paulo aux articles: dans les tours de parole465 à 477, Paulo se heurte à un problème, difficile à résoudremême pour des francophones, celui de l'amalgame de lapréposition de et du déterminant dans des groupes comportantun nom propre à déterminant joint:

464 H la première page du de le Monde

467 H du Monde non de le Monde

469 H du le Monde

470 F le Monde du Monde

473 H Le Monde

477 H Le Monde de l'Éducation

L'obstination de Paulo qui visiblement cherche à trouver laforme qui convient, soit par analyse, soit en recourant à ce quelui dicte sa fraîche expérience de locuteur pratiquant une langueseconde, incite à considérer que l'emploi de la forme du dans lapolémique du devoir en 409 doit être pris au sérieux car cetteforme joue un rôle dans le travail argumentatif, ne serait-cequ'en trahissant une hésitation sur le statut massif ou non dudevoir. Les traces de cette hésitation se retrouvent dans le textefinal, où on peut lire le singulier Devoir à la maison, ligne 2,sous la plume de Méïté, suivi du pluriel trop de devoirs ligne 3,noté de la main de Paulo, qui adopte définitivement le plurielpour toutes les autres occurrences, comme le fera Méïtélorsqu'eUe reprend la plume.

Une négociation sémantique pour sauver les devoirsLa deuxième stratégie argumentative est plus discrète, car eJle

repose sur une négociation et des glissements sémantiques. Je

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désigne par négociation sémantique deux activités langagières:d'une part le travail d'élaboration mené à deux ou plusieurslocuteurs pour cerner en cours de discours les traitsdéfinitionnels qu'ils affectent à un terme ou pour se mettred'accord sur le référent qu'ils construisent; d'autre part letravail de dénomination d'un objet effectué dans le cadred'échanges verbaux. Et j'appelle glissements sémantiques leschangements qui interviennent au cours d'un discours dans lestraits définitionnels caractérisant le référent auquel continue des'appliquer une même dénomination.

Dans les échanges entre Paulo et Méïté, ce qui va permettrede défendre les devoirs tout en condamnant l'excès de devoirs,c'est le fait que le référent «devoir» va être progressivementdésigné par deux termes distincts, l'un «devoir », employé ausein de contextes variés, l'autre «travail », introduit par Méïté,réservé aux contextes affectés de valeurs négatives.

Or comme l'a montré Rastier (1994 : 54) le contexte peutconstituer une instruction autorisant ou interdisant dans unlexème]' actualisation de sèmes afférents, et donc affecterl'interprétation qu'on en fait. Le corpus oral atteste de la genèsede cette distinction, comme le montre ci-après le tableau 3 :Répartition des occurrences de devoir et de travail dans lecorpus oral.

Il n'est pas étonnant que ce soit Méïté qui introduise lapartition entre devoir et travail, dans la mesure où eHe disposaitdans sa langue d'origine de la possibilité d'opérer unedistinction en recourant à des termes formés sur des radicauxdifférents - certains d'entre eux renvoyant directement à lanotion de travail- et même d'opposer Hausarbeit et Schularbeit(travail personnel décidé) à Schulaufgaben et Hausaufgaben(tâche à accomplir sur ordre), configurant ainsi un champnotionnel très précis.

Le texte écrit montre par les ratures que la désignation de cetobjet «devoir », (presque toujours envisagé du côté de l'élève,contrairement au point de vue adopté dans la consigne) ne vapas de soi. Par glissements successifs, et sans doute parcontamination sémantique, ce qui est désigné par «devoirs» vase dédoubler.

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Devoir, Travail, travailler

l Prof un texte sur les devoirs scolaires pourles enfantsles devoirs à la maison étaientsuppriméstous les instituteurs font faire desdevoirs à la maisonce problème des devoirs

4 Prof ceux qui sont contre les devoirs [...]en écrivant un texte qui a pour titrehalte aux devoirs ceux qui sont pourles devoirs écriront [...} un texte quia pour titre les devoirs sontnécessaires à l'école primaire

387 Pau c'est comme les devoirs à la maison illes faut

404 Méï on dit euh: devoirs à la maison pointd'interrogation

409 Pau la polémique du devoir à la maison413 Pau ou bien devoirs415 Pau à la maison virgule vous êtes pour ou contre416 Méï pour ou contre les devoirs à la maison

432 Méï Enfant trouvé trop de travail à lamaison

437 Pau enfant s'est suicidé parce Qu'il avait trop de447 Pau Enfant s'est suicidé à cause de ses

devoirs453 Pau à cause de

- de l'amplification de455457 Pau l'augmentation des devoirs462 Méï Enfant trouvé, suicide, trop de

travail à la maison513 Pau avec les poignets ouverts

- avec le stylo519 avec laquelle il faisait

les devoirs523 Pau essai heureusement pas réussite d'un

- suicide527 par un enfant Qu'avait trop de devoirs

540 Méï essai de suicide d'un enfant

- heureusement pas de réussite544 double point trop de travail à la

maison

550 Méï double point trop de travail à lamaison euh point d'integorainterrogation

Tableau 3 : Répartition des OCCUITencesde devoir et travail (COI:pUSoral)

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IÎlme scri nt Devoir, devoirs Travail, travaux, travailler

2 Paulo Devoir à la maison: oui ou non

Tron de devoirs à la maison? .

5-6 La surcharge en ce qui travaux à la maisonconcerne les de-v-

7 La loi [.. .J supprimant lesdevoirs à la maison

8 Les instituteurs insistent fi. à faire travailler nos enfants horséefl.ReF de l'école

10 Doit-on supprimer ou augmenter cestravaux?

11-12 Ceux qui défendent enfant en travaillant ~acquiriraitl'augmentation des devoirs à la la capacité ~delamaison argumentent qu'un réflexion individuelle

- - -. - -- ------------- ---------------

D'une part «devoirs» renvoie à ce qui est présenté commeune réalité: les tâches scolaires que les enfants accomplissent àla maison); d'autre part un objet nommé «devoir» est décrit,qui présente une caractéristique empruntée au monde du travail:il s'accomplit en groupe. Quant à «travail », il désignesuccessivement et parfois concurremment les tâches scolaires àaccomp}jr à la majson (un élève qui fait son travail 14), lestâches rémunérées accomplies dans le cadre de la vieprofessionnelle (les parents sont stressés après leur journée detravail 29), les structures économiques (le monde du travail 35),et finalement les tâches scolaires accomplies en classe (diminuerle travail à l'école 57). Le mot «travail» est en outre doublé parson verbe dénomjnatif qui se charge d'une partie de ses sèmes.Le travail est donc, dans le texte produit, une donnée du mondemoderne, qui a une certaine valeur, mais dont la projection oul'insertion dans le monde scolaire est néfaste.

Finalement on assiste à un échange de rôle accompagné d' unéchange de dénomination: les étudiants se plaignent de l'excèsdes devoirs à la maison mais ils recommandent la diminution dutemps de travail à l'école et ils plaident pour des modalités dedevoirs qui apparentent ces derniers à certaines formes detravail.

Tableau 4 : Répartition des occurrences de devoir et travail (corpus écrit)

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- - - -- - - - - --------------------- --- ---- ------- ----- -----14-15 les élèves (vent apprenBre)

apprendraient à organiser et gérertemps et travail par exemple lesuiviment de l'emploi du temps,

17 Un autre avantage est qu'un élèvequi fait son travail est toujours aucourant de la matière du cours [...]après avoir réfléchi tout seul

21 Cela -entfaÎR&engendre de surcroît un entraînement profond et régulierIpour face aux examens

23 Les devoirs peuvent créer uneproximité plus grande entre enfant

et parents24-25 Ces dérniers, en arrivant après

être arri vés à la maisoncorrigeraient les enfant devoirsdes enfants, tout en prennant uncontact plus fort avec eux

29-30 Méïté de nombreux parents sont déjàstressés et après leur journée detravail ainsi surchargés

35-40 En supprimant les devoirs à la Ie travail en l' aisence gf9HfJC€eftmaison on ne risquerait pas du travail en groupe, ce qui estd'avoir des problèmes(en) fortement exigé dans le monde duconcernant travail auiourd'hui

41 de devoir est surtout un problème La surcharge de travailpour les classes inférieures de lasociété où les conditions de travail sont

inadéquates

49 Ce qui apparaît commel'argument Ie plus fort, pellf-lesdéfenseurs de la pour se-€- ceuxqui sont contre le travail à lamaison, c'est l'exageration dutravail ce qui empêche les lesécoliers de suivre d'autresactivités comme la musique

57-59 si on veut garder le devoir à la il faudrait en même tempsmaison diminuer le travail à l'école,

pourquoi afin de ne passurcharger l'élève et de luiaccorder des moments de loisirs

63-64 Il est aussi à fort bien conseillé de capacité de travailler à plusieurs.créer des devoirs en groupe à lamaison pour ne pas nuir àl'intégration et à la

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Poser, comme cela a été fait ici, le problème de l'élaborationsémantique amène à prendre position dans le débat traditionnel,sur les rapports entre sens, référence et existence, débat qui n'apas cessé de préoccuper les linguistes, les philosophes dulangage et les logiciens, et qui s'est trouvé réactualisé par lareconfiguration récente du champ de la linguistique. Sur cedébat, Kleiber (1999) a apporté des clarifications sinondéfinitives, du moins capitales, en plaidant pour une positionmodérée consistant à considérer que d'une part le langageparticipe à la modélisation de la réalité ou de ce que nouscroyons être la réalité, et que d'autre part, les entités délimitéesou configurées par le langage sont traitées comme ayant uneexistence hors du langage.

Ici, dans le corpus oral, et plus encore dans le corpus écrit,nous n'avons pas l'impression que Meïté et Paulo parlenttoujours de la même chose quand ils parlent de «devoirs ». Celan'est sans doute pas di! seulement à la connaissance imparfaitequ'ils auraient du référent, mais aussi à la dynamiqueargumentative et conversationnelle qui les entraîne à modifierl'image qu'ils s'en font et finalement à préférer sauver leurargumentation plutôt que de défendre les devoirs tels qu'ilssont.

Dans le couple que forment les deux co-scripteurs, Pauloapparaît davantage comme un garant de la règle, laquelle semanifeste sous trois formes: un contrat didactique qui constituel'écriture du texte en obligation, les devoirs qui sont une tâchescolaire imposée, et des contraintes imposées par le genre detexte à produire. Il prend également en charge l'initiative de laformulation. Méïté, quant à elle, manifeste plus d'inventivité, encréant une anecdote et en injectant le mot «travail» qui vapermettre d'enrichir la représentation des devoirs.

*

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Page 128: Le Processus Rédactionel (2001)

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Page 129: Le Processus Rédactionel (2001)

Robert Bouchard1

UMR 56-12 CNRS-Université Lyon 2

Production et contrôle de la production en "fin"d 'apprentissage de l'écrit en langue étrangère

Les conflits entre usage et emploi,~ . 2preconstructzon et syntaxe

Introduction

L'appropriation des savoir-faire langagiers liés aux pratiques delecture-écriture est paradoxalement encore peu étudiéescientifiquement comme tous les apprentissages tardifs (cf.Gayraud, 2000), mais aussi peut-être parce qu'elle est vécueessentiellement comme une "simple" inculcation scolaireartificielle. Ce sont donc surtout les didacticiens ou lespsycholinguistes impliqués en didactique qui les ont pris pourcibles (pour une synthèse, cf. Milian 1999). Notre propos est icid'étudier, en tant que didacticien, le degré et le type d'expertiselangagière écIite auxquels parviennent des étudiants alloglottes en«fin» d'apprentissage, c'est-à-dire dans une étape de celui-ci oùle développement du système de la langue-cible leur permet d'êtreen contact avec une (plus) grande variété d'emplois langagiers et enconséquence, progressivement, de discriminer comme de mettre enoeuvre plusieurs registres contrastés en fonction des situations.Cette diversification est d'autant plus vraie que l'offre linguistiqueest forte, c'est-à-dire, qu'elle est plus manifeste chez les étudiantsde langue séjournant dans un pays où se parle cette langue quechez ceux qui poursuivent leurs études dans leur universitéd'origine. Les deux étudiants étrangers dont nous allons étudier lesprocédures de production écrite bénéficient des conditions les plusfavorables. II s'agit de jeunes adultes, de sexe et de nationalité

--------------------1

Les résultats ici présentés doivent beaucoup aux échanges réguliers avec mes collègueslyonnais du groupe de recherche Interactions, appremissage et acquisition du GRIC et toutparticulièrement bien sûr à une longue collaboration avec Marie-Madeleine de Gaulmyn.2

Ce travail est une version « refocalisée » d'un article pam dans les Etudes de LinguistiqueAppliquée (décembre 2000).

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différents (H est brésilien et F autrichienne) inscrits à des cours defrançais langue étrangère en France. Précisons qu'ils suivent desenseignements qui doivent leur permettre d'intégrer, dès l'annéesuivante, les formations « normales» de l'université destinées auxétudiants français, et que l'enregistrement étudié a été effectué enfin d'année universitaire.

Nous nous intéresserons plus particulièrement à l'étude de leurutilisation de différents types de préconstruits locaux (syntagmesfigés, formules...) ou globaux (genres...) - pour une typologie cf.Gülich & Krafft, 1997 - et à la manière dont cette utilisation despréconstruits contribue à cette nouvelle compétence (scripturale),voire caractérise et conditionne cette étape de l'apprentissage. Enanalysant un exemple précis de leur production écrite ce sontessentiellement des phénomènes syntaxiques que nous étudieronset surtout la manière dont, à ce niveau, se rencontrent, s'associentmais aussi s'affrontent nouvelles constructions syntaxiques etréutilisation de formes préconstruites.

Rédaction coopérative et étude du développement de lacompétence rédactionnelle en langue étrangère

C'est la déception relative causée par la transposition didactiquedes grammaires de texte (Bouchard 1985, 1989) à laquelle nousavions travaillé après beaucoup d'autres qui, pour une part aumoins, nous a amené à passer de la prescription à la description, ànous interroger sur la genèse effective de ces textes et sur lamanière de procéder d'écrivants présentant des niveaux différentsd'expertise. Mais nous avons continué à inscrire ce questionnementau sein des sciences du langage, en essayant d'esquisser unepragmatique de la production de discours (Bouchard 1992, 1996),impliquée en didactique. C'est ainsi qu'en même temps que d'autres(Gülich, Krafft et Dausendschôn-Gay, de Gaulmyn, Schneuwly,Camps...) nous avons développé notre propre protocole derecherche fondé sur la rédaction col1aborative, c'est-à-dire laproduction socialisée d'un même texte, pris en charge et négociécollectivement, par plusieurs co-scripteurs. Ce faisant noussommes cependant restés plus attentifs aux phénomènesproprement langagiers que d'autres didacticiens plus sensibles, eux,aux concepts et aux méthodes développés par la psycholinguistique

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cognitive (pour un état de la question récent cf. Piolat & Pélissier,1998) et/ou la psychologie du langage (cf. pour une synthèseMilian, 1999) .

L'écriture collaborative est déjà, soulignons-le, une pratique declasse courante et appréciée par les maîtres. Elle s'apparente àl'ensemble des situations de résolution collective de problèmesutilisées dans diverses disciplines (cf. Gilly et Trognon, 1999). Aucours de cette écriture collective qui doit s'opérer dans descontextes communicativement vraisemblables pour les participants(par exemple un projet d'article pour un journal scolaire ou unelettre de courrier des lecteurs sur un thème d'actualité: nécessitédes devoirs à la maison, rivalité petits commerces - grandessurfaces, égalité homme - femme, intérêt de la connaissance delangues étrangères, pollution et économie...), nous recueillons undouble corpus constitué pour une part des divers brouillons écrits etpour l'autre de l'enregistrement des négociations orales entre lesdeux partenaires. Notre travail consiste à étudier séparément lesdeux corpus en utilisant les concepts de la pragmatiquecontemporaine puis à confronter et analyser réciproquement lesdeux processus ainsi placés en miroir, chacun étant rendu« lisible» grâce à son reflet dans l'autre.

Une population d'apprenants spécifiqueNous nous intéresserons ici surtout à un type de situations

d'acquisition-apprentissage des langues qui se développeactuellement en Europe. C'est celle des étudiants dits d'échangesErasmus ou Socrates, qui viennent continuer des études entreprisesdans une discipline donnée mais en utilisant la médiation d'unelangue étrangère et en s'immergeant pendant un ou deux semestresdans la langue-sociétécorrespondante.Ces individus « lettrés », deniveau intermédiaire ou avancé dans la langue étrangère à leurarrivée, continuent leurs études dans un cadre universitaire, c'est-à-dire au sein d'une institution qui utilise massivement l'écrit. Ce sontà la fois des apprenants et des acquérants de langue étrangère ensituation de « submersion» linguistique. Ils sont en train de passerd'une compétence linguistique « scolaire» développée à l'étrangerdans un cadre purement didactique à une compétencecommunicative se développant naturellement au sein de lacommunauté d'accueil, tant civile (conversations et interactionssociales générales...) qu'universitaire (cours magistraux,

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interactions de travail en TO), en contact avec un grand choix deformulations langagières itératives.

Étude du processus de production des deux premières phrasesd'un texte

Nous avons longtemps travaillé surtout sur la rédaction globaled'écrits courts en étudiant les phénomènes de planification etd'organisation textuelle (cf par exemple Bouchard, 1994) qui nousavaient déjà intéressé du point de vue de l'intervention didactique.Notre intérêt se tourne plus actuellement vers les phénomènesmacro ou micro-syntaxiques. Ce sont ces derniers que nous allonsétudier à l'occasion de l'analyse de l'épisode de production desdeux premières phrases d'un texte. La consigne « vraisemblable»(que nous avons souvent utilisée) était: «Rédigez collectivementpour un journal scolaire un texte pour ou contre les devoirs à lamaison à l'école primaire ». II est incontestable que cette consigneest ambiguë, ... comme toute consigne pédagogique orientant versdes activités de simulation, activités largement utilisées en françaislangue étrangère depuis les travaux inauguraux du BELC (cfDebyser & Caré, 1970 et aussi Bouchard, 1989 pour l'explicitationde l'opposition entre exercice, activité et tâche au sein des pratiquesde classe de production écrite). Elle oriente fictivement vers un tonsinon un genre journalistique tout en restant une consigne donnéeen contexte didactique et aboutissant à un texte adressé au seulenseignant d'expression écrite de H et F. Pour certains apprenantscette consigne induit effectivement un minimum d'inspirationjournalistique. Nous utilisons volontairement le terme le plus floupossible; il ne s'agit en tout cas pas de genre sinon celui, grandpublic, du courrier des lecteurs. D'autres apprenants par contrerestent plutôt à l'intérieur des genres scolaires ou universitaires.Cette ambiguïté est d'ailleurs à l'origine dans notre corpus d'unediscussion sur le thème des «genres» se déroulant pendantpresque une centaine de tours de parole (426F-504 H).

Le résultat obtenu, qui reflète une résolution provisoire de cedilemme est le suivant pour les deux premières phrases du texte:(1) Essai de suicide d'un enfant heureusement pas réussite: trop de

travail à la maison?(2) Ce titre-là pourrait bien apparaître dans la presse française vu

la surcharge en ce qui concerne les travaux à la maison desécoliers.

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Processus de formulation et appui sur les préconstructionsLors de la production des énoncés écrits, nous avons déjà pointé

dans d'autres travaux les spécificités des phénomènes depréconstruction. Dans les enregistrements de négociations deformulations, ceux-ci se manifestent par une accélération durythme de production et par un mode de négociation différent, plusglobal et moins explicitement métalinguistique (Bouchard, 1997).On les trouve en particulier dans des positions stratégiques dutexte, début et fin par exemple, où ils ont pour effet de con figurercelui-ci en lui donnant des caractéristiques d'ensemble qui lerenforcent et l'homogénéisent (Bouchard, de Gaulmyn & Sadni-Jallab, 1998). Examinons ce qui se passe à ce propos lors de laréalisation de ce début de texte.

- Phrases, unités du processus, contexte et genres:Il est déjà intéressant dans cette étude de la production des deux

premières phrases de voir le rôle que les co-rédacteurs donnentprécisément à cette notion de phrase au cours de leur travailcollectif. Indiscutablement la phrase est l'unité graphique(préconstuite au cours d'une longue tradition typographique! )qu'ils visent à réaliser à terme: une construction grammaticalenormale et normée dont les extrémités sont bornées par unemajuscule et un point. Cette unité «de catégorisation pratique»(Berrendonner & Reichler-Béguelin, 1989), matérialisée à lasurface de l'objet écrit, comme le mot, le paragraphe, le texte..., estexplicitement mentionnée par beaucoup de rédacteurs qui, dans laplupart des cas d'ailleurs, quelque soit leur capital scolaire,éprouvent uniquement le besoin d'un métalangage « mondain» dece type, désignant des objets graphiques ordinaires plus que desentités grammaticales abstraites quand ils négocient la productiond'un texte écrit. (cf. Bouchard, 1997).

Mais on observe que cette phrase, chez les rédacteurs dotésd'une certaine expérience comme ici, n'est pas envisagée isolément.Elle est préalablement comprise comme faisant partie d'un tout, untexte, doté de caractéristiques globales: thème, orientationargumentative, genre, « style» en termes moins spécialisés... :

Extrait1426 F427 H428 F

(=fin) on peut savoir euh: dans quel style ça doit être écrit pa=c= que 0(...1...)1

lest-c= quel c'est pour,est -c= que ça doit être intéressant' 0

ou est-c= que ça doit être: plus sobre, 00

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En deçà de ce cotexte global, dès que les rédacteurs atteignentun certain degré d'expertise, ils tiennent compte aussi du cotexteplus local. Cette prise en compte se manifeste chez les natifs etalloglottes entraînés par de fréquentes relectures du déjà écrit. Sichaque phrase nouvelle s'intègre de manière cohérente à l'ensembletextuel déjà réalisé, c'est à ces relectures de tout ou partie ducontexte à gauche qu'on le doit pour une bonne part. Celles-ci sontde différents types qui s'opposent tant fonctionnellement (rôle devérification, de rappel, de tremplin...) que formellement(intonation, rythme, ton...). Elles soulignent le cas échéant leconnecteur initial, ou la rupture impliquée par un projet explicitede «retour à la ligne ». Nous avons remarqué dans des travauxprécédents que cette rupture comme cette connexion étaientproposées par les co-scripteurs sans pause, « dans la foulée» de laformulation de la phrase précédente comme des éléments deprogrammation de l'énoncé à venir (cf. Bouchard, 1996b)indispensables à préciser avant d'aller plus loin. Cette compétenceprocédurale de relecture discrimine clairement les populations descripteurs experts et non experts. En langue étrangère, on constate,par rapport à ce critère, des régressions de sujets, experts en languematernelle, qui «oublient» en L2 l'importance technique de cesrelectures (Bouchard, 1996 b).

Certes, ici, en début de texte, aucune relecture n'est possible.Aussi assiste-t-on à l'utilisation de la technique symétrique: cettepremière phrase, avant d'être achevée et pour être achevée, estpréalablement dotée d'un contexte à droite, avec l'esquisse encoreorale (cf. le ça dans l'exemple ci-dessous) de la phrase deux.

Extrait2462 F ... all écrit. 0 enfant trouvé, 0 suicide, 0 euh: trop d= travail à la maison,

o et après' 0 ça pourrait être le titre: dans:ouaispas mal: 0

lça pourrait! êtrele futur titre

le prem=la première page

l(dans)1463 H464 F465 H

du:de le IMondel

C'est l'ensemble formé par ces deux phrases qui globalementfait sens et qui constitue un épisode sémiotique du texte.

Du mot au discours et à l'interdiscours : le préconstruit contrela syntaxe

Pour avoir une idée de l'importance du travail ici fourni par les

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deux alloglottes, il n'est pas sans intérêt de noter que pour produirela première phrase, ils ont besoin de 144 tours de parole pourreformuler un premier énoncé lacunaire Enfant, trouvé 0: trop detravail à la maison (432 F) et aboutir à. Essai de suicide d'unenfant heureusement pas réussite: trop de devoirs à la maison?(576 H) après 21 formulations intermédiaires .,.

Au cours de ces étapes, cet énoncé, tout en gardant la mêmeforme globale de titre de presse ainsi que le même second segment(trop de travail à la maison), voit, par contre, son premier segment,incomplet (Enfant, trouvé 0), réaménagé formellement etsémantiquement. Son référent hypothétique est d'abord dramatiséironiquement par H (cf. extrait 9) pour être mieux édulcorécollectivement dans un second temps. Mais formellement cettepremière «phrase» reste, pour les deux coproducteurs,globalement définie par son genre fictif. Dès 432 F c'est « l'image»

du titre de la presse écrite qui sert de cadre aux propositions de Fen particulier. Elle en verbalise très précisément la formegraphique en 544 F, heureusement pas réussite double point tropde travail à la maison, puis en 550 F,

'"

trop de travail à la maisoneuh point d'integora= interrogation". Le moule formel qu'elle posedès le départ découle explicitement de sa connaissance dedifférents registres de l'écrit, et plus précisément ici de safréquentation, en dehors de la classe, de textes journalistiquesfrançais. F résiste d'ailleurs à la proposition de H de normaliser sontexte en remplaçant les deux points par la préposition à cause du(cf. ci-dessus) en expliquant:

Extrait3552 F Inon mais ça! ça doit être: (BRUIT ILLUSTRA TIF) pa=c= que c'est euh:554 F c'est un Pari.!!Match'

ça n= c'est pas:ça n= c'est pas

J( : de Isyntaxel qui est juste' Ic'estl

Son argumentation invoque la normalité d'un genre socialementadmis et en l'opposant à la norme syntaxiqueidéale-scolaire(<<unesyntaxe qui est juste») dont se réclame implicitement H. C'est aunom de l'impression potentielle qu'elle désire faire sur le lecteur(cf. le «bruit iIIustratif») que la structure formelle estsélectionnée. Ajoutons même que c'est parce que cette apprenante

--------------------3

Le signe« (:» marque une continuité de l'énoncé.

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en fin d'apprentissage est devenue elle-même sensible aux effetspragmatiques (perlocutoire : degré de force, type d'efficacité, etc.)d'une forme langagière qu'elle peut en proposer la réutilisation àson co-scripteur. Au delà d'une maîtrise linguistique elle faitmontre d'une maîtrise socio-culturelle. Elle n'organise plus sesénoncés par concaténation successive d'unités, en demeurant à unmême niveau microstructurel, mais grâce à un incessant passage duniveau microsyntaxique, au niveau macro syntaxique, local (laformule), ou global (le genre).

On en a vu un premier exemple, à un stade plus précoce de laformulation de la première phrase (cf. extrait 2 ci-dessus)lorsqu'elle interrompait le travail syntaxique en cours, au nom d'unproblème global, le « style» d'ensemble à donner au texte. À cestade de l'apprentissage, l'écriture maîtrisée devient un phénomèneholistique qui exige de savoir/pouvoir passer de manière constanted'opérations de « bas niveau» à des opérations de « haut niveau»pendant l'épisode central d'elocutio. Ceci reste vrai même chez cesécrivants experts où cet épisode est pourtant déjà précédé par unépisode initial d'inventio-dispositio, c'est-à-dire un épisodepréalable consacré uniquement à ces opérations de haut niveau,qui, dans le cas présent, a exigé 367 tours de parole.

On constate aussi l'importance du préconstruit dans laproduction de textes, pour des sujets alloglottes qui vivent enFrance et sont exposés à l'interdiscours quotidien, oral et écrit, desnatifs. En fait, dans cette situation de production collective, surcommande, ressentie par les participants comme très proche d'unesituation didactique, il existe même, du fait de l'ambiguïté de laconsigne, deux interdiscours concurrents dans l'esprit des sujets:celui de l'école (grosso modo ici, le genre « dissertation») et celuide l'extérieur de l'école (les genres de la presse dans le cas présent).Si F est plus sensible au second, H défend implicitement la secondehypothèse en invoquant sa/la norme argumentative:

Extrait 4392 F393 H394 F395 H396 F397 H

un passage avec les arguments contreça c'est le: les plus importants d'une: argumentation,

hmon peut être pour' 0 et après contre

et après contre I(bien sûr)1let aprèsl une conclusion. 0 ouais

Nous avions déjà rencontré ce type de débat entre bonne formescolaire et bonne forme sociale dans un autre corpus avec d'autres

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étudiants étrangers (cf. Bouchard, 1994). La discussion opposait la«(trop) belle» phrase grammaticale longue, manifestant la(supposée) « maturité syntaxique» du scripteur, à une phrase pluscourte mais plus efficace pragmatiquement. Ces discussions sontdes indices chez les apprenants, à ce stade d'appropriation de lalangue, d'une tentative de conciliation entre apprentissage guidé etacquisition naturelle, entre usage et emploi pour reprendrel'opposition classique de Widdowson.

La syntaxe contre le préconstruitLors de cette première négociation usage-emploi, c'est l'emploi

qui l'a emporté. Ce n'est pas toujours le cas et une secondenégociation similaire connaît la résolution inverse quelques toursde parole plus loin. Le problème se pose lors de la formulation dela deuxième phrase. Le travail de production du texte se prête à laréutilisation de l'expérience langagière extra-scolaire:

Extrait 5578 F ça579 H ce titre-là580 F euh:58! H

pourrait bien être'sur /(Pari:;)1

/pourrait/ bienpourrait bien

faire 0

582 F euh: m:583 H584F

s= apparaîtr~'apparaître sur lia première pagel

Isur leslsursurà la une de la :( : presse française'

585 H ouais /donc euh/586 F /quèq= chose/ comme ça 00587 H ÉCRIT

ce titre-/là' +/588 F /VOIX RADIO Francel Info589 /H I(RIT)/590F

là lai

une de !a presse, +

Mais dans ce deuxième temps l'intuition linguistique, encorefragile, de F. de l'acceptabilité et de l'efficacité sociales de la formefigée à la une s'oppose à sa grammaire apprise ( cf. ci-dessous613F : oui c'est s= je sais que ça marche pas, mais y disent çatoujours). Alors que pour le natif l'emploi langagier occultelargement l'usage, la conscience grammaticale explicite et leconduit à se fier à son intuition, l'apprenant avancé, encore ensituation d'insécurité linguistique, va finalement préférer la

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« leçon» de la grammaire explicite apprise à celle del'usage à l'emploi, la « bonne» syntaxe au préconstruit :

Extrait 6604 H apparaître' 0605 F606 H

rintuition,

607 F

quoi'àlaàlaààl=

uneune'Oune'

608 H non, àà laO(une

comme ça 0une 0 ah comment ça s'écrit,

deux)609 F pa=c= que 0 je n= sais pas' mais

àdans:

dans la radio ils d= disent( : toujours

àla une de la presse'610 H non611 F RIT si' +612 H àla une' non, 0

à l' une alors,613 F oui c'est s= je sais que ça marche pas, mais y disent ça toujours614 H (...) comme ça' à une' 0 de 0 presses les plus: célèbres'615 F àl' une

on va écrire la

l'àl'

une oui'une' 0 je crois pas non,tu n'as pas,tu n'as jamais entendu ça'une de la presse' 0 (sur) France Infotoujours (...) disent toujours, VOIXRADIO

à la une de la presse' + (PETIT RIRE)alors, on= on laisse tomber ça et on= on Ireformulel

I(RIT)I

àla

616 H617 F oui' mais ils disent ça'

618 H619 /FI620 H621 F622 H

commeOUI/(...)IIce titre/-Ià pourrait bien apparaître

Isur lesl623 /FI624 H625 F

1(...)1

médiasoui, 0 quèq= chose comme ça' 0

Idans les médiasl

Le « contrôleur» a posteriori (cf. Krashen), matérialisé par H,vient contredire l'intuition pourtant sodo-linguistiquement validede F. Une « règle» morpho-phonologique de base, celle de l'élisionde la voyelle de l'article défini placé devant un mot commençantlui-même par une voyelle s'oppose à la forme préconstruite globaleà la une injustifiable grammaticalement.

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Dans le cas examiné précédemment, l'hésitation entrel'utilisation parataxique des deux points du titre de presse standardet celle plus syntaxique d'une locution prépositive (à cause de, dufait de...) opposait deux procédés dont aucun n'apparaissait commeanti-grammatical. Le choix du «moins» grammatical restaitpossible même dans le contexte normatif de la situation deproduction (para)didactique. Dans le cas de à la une par contre lechoix entre emploi et usage devient un choix entre respect etviolation d'une règle de base. On constate alors que foree reste à laloi et que la forme déviante, bien qu'attestée, explicitement situéedans un de ses contextes d'utilisation (la revue de presse d'Europe1), remise en voix même, va être censurée. Quand usage et emplois'opposent trop directement, l'école, le (bon) usage, la grammaireexplicite l'emportent encore à ce niveau d'expertise langagière enL2 sur la confiance en l'emploi, sur l'appui sur l'interdiscours, lepréconstruit et l'intuition langagière implicite.

Expertise, préconstruction et travail final de linéarisationde l'énoncé

Mais revenons sur le travail linguistique précis effectué lors dela mise en mots finale de la première phrase, à partir du moment oùles deux partenaires sont explicitement d'accord sur leur « vouloir-dire» commun (520 H : on va dire elle a essayé de se suicider,point, ça suffit parce que (...) il faut pas exagérer les sentiments).H et F sont d'accord pour achever la mise au point du titre depresse.à sensation qu'ils ont décidé de construire, c'est-à-dire pourrédiger le début de ce titre en en conservant le second segment(trop de travail à la maison) articulé au premier par les deuxpoints.

Extrait 7434 F Enfant trouvé totalementépuisé (trop de travail à la maison)

.......................................................................................................................................

436F437 H Enfant s'est

mûr pour l'hopitalsuicidé

(trop de travail à la maison)parce qu'il avait trop de ...

.......................................................................................................................................

447 H Enfant s'est(+ projet 20 phrase)

suicidé à cause de ses devoirs

.......................................................................................................................................

462 H Enfant trouvé. suicideé trop de travail à la maison......................................................................................................................................

509 H Enfant trouvée pendue

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...................................................................................................................................

513 H avec les poignets ouverts....................................................................................................................................

515 H avec le stylo avec laquelle il faisait (ses devoirs)...............................................................................................................................

521 H Essai522 F Enfant a essayé de se...523 H Essai heureusement pas réussite524 F d'un enfant525 H d'un suicide

trop de travail à la maison

.....................................................................................................................................

527 H par un enfant qu'avait trop de devoirs

.....................................................................................................................................

540F Essai de suicide (de la paI1 d') d'un enfant heureusement pas réussi(te)

à cause du

Dans ce cadre préconstruit on constate que les coproducteurss'affrontent à deux difficultés:- l'élaboration d'une forme syntaxique adaptée au contexte quivienne reformuler le « elle a essayé de se suicider ». C'est alors unenominalisation qui s'impose dans ce genre journalistique;- la linéarisation et en conséquence la hiérarchisation descomposants de ce syntagme nominal lourd (cf. extrait 8 ci-dessus52IH-527H)

Dans le premier cas, deux manières de procéder s'opposent pouropérer ce qui est ressenti comme une «simplification» de laproposition complète «elle a essayé de se suicider ». Lessuggestions de F vont dans le sens d'une simplification quantitativepar élimination des «petits mots» déterminants, auxiliaires. Ils'agit d'une simplification superficielle que l'on pourrait taxer de« télégraphique» : elle est insuffisante pour donner naissance autitre de presse désiré qui, en français, en général, exige une formespécifiquement nominale. C'est H qui trouve la solution enretraitant le groupe verbal «elle a essayé », en le nominalisant,c'est-à-dire en plaçant en tête de l'énoncé-titre le nom déverbalessai. C'est lui encore qui répond à l'inquiétude de F (540 F: ou est-e: qu'on met l'enfant' 0 ) en réorganisant la suite des composantspar l'enchaînement hiérarchisé de quatre éléments, un nom, deuxgroupes nominaux prépositionnels et un groupe de l'adjectif: (N +(GNprepl + GNprep2) )+ GrAdj.

Les coproducteurs partent d'une forme « rhétorique» globaleévoquée, le titre de presse à sensations et d'un vouloir-écrire, unensemble pré-syntaxique, sémantique ment stable, d'éléments nonordonnés. Ce n'est que progressivement, par étapes, qu'ils

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parviennent à organiser le second au sein du premier, en lelinéarisant sous la forme soit d'une proposition simplifiée (F) soitd'un syntagme nominal complexe (H et F).

Au cours de cet ultime épisode de (re)formulation, qui conservele sens, le travail langagier des coproducteurs nous semblesignificativement différent. Juste auparavant en effet, H. pourdénoncer l'outrance de la proposition de F, se livre à unesurenchère ironique. Il procède alors par un simple allongement dusyntagme initial, en trois temps, au moyen de trois groupesnominaux prépositionnels consécutifs, introduits chaque fois par lamême proposition avec:

Extrait8 :Enfanttrouvée pendue

avec les poignets ouvertsavec Ie stylo

avec laquelle il faisait (ses devoirs)

On trouve avec ce procédé, transformé en jeu rhétorique, unexemple de la manière la plus simple, à l'écrit comme à l'oral, demodifier un énoncé: opérer une expansion à droite. Hayes (1996)note que « généralement les phrases sont composées de la gauchevers la droite, avec plus de 90% de parties de phrase ajoutées à lafin de la phrase ».

En revanche, quand H travaille plus sérieusement à l'élaborationcollective de l'énoncé qui figurera réellement en tête du texte, onconstate un travail de reformulation et d'enrichissement qui portebeaucoup plus sur la partie initiale de l'énoncé et sur lalinéarisation des éléments de ce segment «gauche ». Nous yvoyons une réélaboration caractéristique de la seule écriture où lelaps de temps disponible pour produire un énoncé est plusimportant qu'à l'oral, où la tension interactionnelle est plus bassequ'à l'oral et enfin où la mémoire de travail est aidée parl'inscription sur d'éventuels brouillons successifs. Ajoutons que laréélaboration de ce segment gauche de l'énoncé est aussi renduepossible parce qu'il s'agit non pas d'un énoncé continu mais d'unénoncé scindé en deux parties relativement indépendantes dontchacune finalement constitue un chantier différent. H tout comptefait ne travaille pas sur la partie gauche du titre de presse globalmais plutôt, plus classiquement sur l'expansion à droite à partir dela tête d'énoncé essai du seul segment gauche, autonome, de cetitre de presse coupé en deux par les deux points. Le comportement

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langagier de cet apprenant en « fin d'apprentissage» apparaît ainsicomme moins exceptionnel. Le moule préconstruit à deux placesdu titre de presse lui fournit d'entrée de jeu une facilité procédurale.Il n'en reste pas moins qu'il doit produire un énoncé s'inscrivanttrès précisément dans ce contexte et s'insérant dans la relationparataxique indiquée par les deux points.

La nominalisation opérée par H, essai de, est également unepreuve de sa capacité à respecter les règles du genre «titre depresse ». Remarquons cependant qu'il ne propose pas la« véritable» solution contextuelle qui aurait été celle du natif, lesyntagme figé «tentative de suicide ». Ajoutons enfin que cettecompétence (relative) à utiliser la nominalisation de manièrepragmatiquement efficace était déjà attestée au début de la séancede travail collectif, au cours de l'inventio, par sa capacité à noter lesidées à développer dans le texte final, sous la forme d'une liste desyntagmes nominaux.

Nous voyons enfin une manifestation intéressante du degréd'expertise de H. dans le fait que, lors de la (re)formulation de cepremier segment du titre, il est capable de travailler mentalementsur un ensemble d'une dizaine de mots. De ce point de vue en effetHayes (1996) déclare que « la longueur moyenne (en) est de 7,3mots pour les rédacteurs compétents et de I 1,2 mots pour lesrédacteurs très expérimentés ». On peut risquer l'hypothèse quecette capacité à manier des groupes lourds n'est pas sans lien aveccelle d'utiliser des préconstructions. Si les sujets sont capables detraiter simultanément un grand nombre de mots c'est sans douteparce qu'ils peuvent regrouper ces mots en unités « préconstruites »de plus grande taille, ce qui soulage d'autant la mémoire de travail

. 4des scnpteurs.

--------------------4

Ajoutons que H manifeste aussi à cette occasion une particulière virtuosité dans l'emploides prépositions - qui pourtant restent une difficulté jusqu'aux derniers stades de

l'apprentissage du français langue étrangère -, C'est lui qui par deux fois propose unereformulation de la proposition « incolore» de par pal' et même de la part de, c'est lui aussiqui veut expliciter la relation indiquée par les deux points en utilisant el calise de en lieu etplace de ceux-ci.

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Conclusion

Se manifeste ainsi, chez ces deux étudiants de FLE avancés unemême sensibilité au contexte et au préconstruit, agissantefficacement au moment de la production textuelle. Ils montrentcependant des profils de rédacteurs différents et complémentaires,qui viennent sans doute se renforcer dialectiquement à l'occasionde ce travail collectif. H apparaît comme le plus sensible à lanorme et aux «bonnes formes» scolaires (le modèle de ladissertation). F par contre éprouve le besoin de donner un tonparticulier au texte collectif en s'appuyant sur des préconstruitsfrançais extrascolaires, liés à la presse écrite et parlée. De ce pointde vue, elle correspond assez bien à l'image de l'expert en écriture-lecture que définissent Scardamalia et Bereiter (J 991). Celui-ci netravaille pas avec plus de facilité que le non-expert mais aucontraire met plus de temps à exécuter la tâche parce qu'il exprimeplus d'hypothèses, tente plus de voies différentes que le non-expelt.

Tous deux possèdent une maîtrise de la production de textesécrits en français qui se rapproche de celle des natifs (taille desunités traitées), même si des problèmes morpho syntaxiques(genres, accords...) demeurent. C'est en particulier, comme lesnatifs, en utilisant comme cadres de production des formespréconstruites «globales» ou locales qu'ils trouvent l'appuinécessaire au travail de (re)formulation de l'énoncé. qui s'inscritdans ce cadre. Ces cadres par ailleurs, du fait de leur nature de lieucommun, n'ont pas besoin de justification formelle et soulagent letravail métalînguistique. Les apprenants sont passés donc d'unecompétence linguistique générale à une diversification de leurcapacité langagière qui leur permet de mettre en rapport ces lieuxcommuns formels avec des genres, des styles, des situations decommunication écrite différentes.

Cette maîtrise rédactionnelle a deux sources principales, pources étudiants: l'enseignement qu'ils ont reçu et les modèlesscolaires correspondants, mais aussi leur exposition, en milieusocial à des organisations d'énoncés «saillantes» par leurfréquence comme par leur force pragmatique ou leur visibilité (lestitres de presse). Ces apprenants avancés, résidant en France,échappent progressivement à l'emprise didactique pour trouver uneautonomie qui les fait puiser différentieIIement, en dehors de

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l'école, dans les discours qu'ils rencontrent quotidiennement, lesmodèles qu'ils vont réutiliser en classe le cas échéant.

D'une certaine manière, on retrouve avec ces observations cequ'on savait déjà en didactique de la langue maternelle (cf. Halté,1992, pour un point de vue didactique et Lahire, 1993, pour unpoint de vue sociologique). L'enseignement de l'écrit, bien qu'aucentre de l'activité scolaire d'enseignement des langues tantmaternelle qu'étrangères, excède les seules possibilités de l'école.

Pour s'approprier vraiment la langue étrangère, l'apprenant,après s'être appuyé sur l'école, doit apprendre à échapper à sonemprise et à celle de ses moules discursifs forcément troprestrictifs. C'est sans doute beaucoup plus possible en apprenant lefrançais en pays francophone, là où l'appropriation peut/doitcontinuer au delà de la salle de classe, de manière beaucoup plusriche en possibilités de registres de dialectes et de styles. Maisencore faut-il que la conception de l'enseignement du FLE en paysfrancophone et en particulier en France, favorise cette prised'indépendance. « Jette mon livre, Nathanaël... ».

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Jean-Paul BerniéIUFM d'Aquitaine - U'1iversité de Bordeaux II

Problèmes posés par la co-construction d'uncontexte commun aux partenaires d'une

activité rédactionnelle

Enjeux et hypothèses d'une approche « contextualiste »

La présente contribution se limitera volontairement àl'exploration d'un aspect peu abordé du corpus proposé par lesorganisateurs: les relations entre les productions langagièresécrites et orales de Méïté et Paulo et la situation de production quiétait la leur. En raison même du caractère coopératif de la situation,ce corpus se prête à la formulation de questions concernant lanotion de « contexte », vue non comme une variable mais commeun élément déterminant de l'activité langagière.

Cette notion, encore peu théorisée, n'est ni le cotexte ni laconsigne. Nous chercherons précisément à l'articuler en remontantde la production écrite finale de Méïté et Paulo jusqu'à la situationde production,. L'étude passe bien entendu par la négociation quise mène entre eux à propos d'un élément textuel significatif.

La construction de la notion de contexte permet de caractériserles « processus» rédactionnels. Le terme de processus reste associéau courant cognitiviste qui l'a introduit en France et à desprésupposés intemalistes. La baisse d'influence de ce courant dansles recherches portant sur l'enseignement/apprentissage deslangues, sur les relations entre langage et culture, ne doit pas faireillusion. En effet une croyance tenace prétend ramener« l'intérieur» à une sorte de mécanique cognitive, plus ou moinsliée à une vision endogène du développement de l'être humain.Appuyée sur des postulats dualistes (au cœur, le «processus» ;autour, les « variables », dont le contexte), cette manière de voirinterpréterait la rédaction coopérative comme la pure rencontre dedeux subjectivités, comme elle voit les relations entre négociationset texte sous le seul angle de relations entre « l'oral» et « l'écrit»

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saisis à travers des descriptions techniquement linguistiques. Nousle verrons, il y a là deux formes d'une même résistance à laprimauté du contexte dans toute activité langagière. Notrecontribution s'inscrit quant à elle dans une perspective« externaliste », moniste, soutenant le caractère externe et social dudéveloppement conjoint du langage et de la pensée.

Nous nous inscrivons donc en rupture par rapport à diversesconceptions d'origine psychologique classique qui font dépendreles capacités cognitives d'une capacité à s'abstraire du contexte (cf.Donaldson, 1982, et pour la critique, Grossen, 1988: 59). Aucontraire, bien convaincu que le contexte n'agit pas sur l'activitécognitivo-Iangagière sur le mode linéaire stimulus-réponse, nousconsidérons les représentations sociales comme une médiationactive et déterminante entre le contexte social effectif et l'activitécognitivo-Iangagière, en fonction d'une polyopération quej'appelle «fictionalisation» (Bernié, 1998), qui est cognitive parceque d'abord discursive et dialogique.

Dans cette perspective, l'appropriation de l'écrit peut être vuecomme une construction simultanée de contextes discursifs et denouveaux contenus: l'énonciateur n'existe qu'en tant qu'il est à lafois sujet social et sujet cognitif (Bernié, ibid.). D'où le poids del'hypothèse « contextualiste ». La manière dont un sujet construitdes significations renvoie à la structure symbolique de la culture ausein de laquelle il construit, l'un par l'autre, son langage et sapensée. La propriété essentielle de toute production langagière estalors qu'elle constitue une réfraction du contexte. La question, àpartir de là, est de pouvoir identifier l'aspect du contexte qu'àtravers ses productions langagières le sujet parlant-écrivant aconsidéré comme focal ou « saillant ».

La relation entre contexte social immédiat et contexte culturel,qu'articule la fictionalisation, est l'un des objets de recherche lesplus importants pour une conceptualisation réelle de la notion. Ellese situe au cœur de la recherche d'une linguistique de l'activitélangagière appelée à réaménager l'arsenal des outils d'analyselinguistique, et en amont immédiat des questions didactiques.

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Le texte, une« intermédiaire» ?

production « secondaire» ou

La production de Méïté et Paulo est plutôt présentée comme lamanifestation d'une activité ne renvoyant à rien d'autre qu'à elle-même. Cette situation sera analysée ci-dessous pour cerner deseffets de contexte infiniment plus vastes que ceux qui relèvent dela seule consigne, à laquelle pourtant elle semble se réduire.

Il faut pourtant observer que cette dernière sollicite déjà untravail adaptatif complexe: il s'agit pour les deux scripteursd'accepter, d'intérioriser, un ~~faire comme si» exigeant d'eux lacapacité à concevoir un point de vue argumenté sur un thème dontrien ne dit qu'il corresponde à leurs préoccupations, et à l'organiserdiscursivement dans le format d'une pratique sociale dont rien nedit qu'elle corresponde à leurs pratiques ordinaires de lecteurs-scripteurs: le genre «courrier des lecteurs », qui varie d'ailleursconsidérablement selon la «communauté discursive» concernée(ici: les attentes, représentations et pratiques communes auxlecteurs d'un journal donné).

Texte intermédiaire ou genre secondairePour caractériser donc la production de Méïté et Paulo, nous

dirons que nous sommes en présence d'un «texte intermédiaire»alors que nous attendions l'apparition d'un «genre secondaire ».Balisons le terrain.

- Qu'entendre par « genre secondaire» ?Admettant avec Bakhtine (1984; 269-307) que le genre est la

propriété première, essentielle, de l'énoncé, nous intégrons diversaspects de ses « genres seconds ». Les genres seconds apparaissentdans des situations d'échange plus complexes que celles quimobilisent les «genres premiers» immédiatement etempiriquement disponibles (pour un sujet donné). Ils supposentune élaboration où interviennent des conventions linguistiquescomme médiation entre la situation et le texte. Cette médiationactive est un moyen d'agir sur la situation. Je J'ai montré à proposde l'élaboration d'une « lettre compte rendu» en situation scolaire(Bernié, à paraître). Ces genres sont également ~<fortementdialogisés », ce qui est la conséquence de « l'affaiblissement duprincipe monologique » qui est le propre des genres premiers. Nos«genres secondaires» diffèrent cependant des genres seconds

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bakhtiniens en ce qu'ils se situent dans une perspective génétique.Bakhtine, lui, fait surtout référence (1984: 264) à des genresconstitués, stabilisés historiquement. Par «genre secondaire »,nous entendons tout produit de la mise en interaction de « genrespremiers ». Ce sont des textes composites d'un point de vuegénérique mais discursivement organisés à partir d'un principe decoordination qui transmute leurs composantes. Ils ne sont donc pasforcément caractérisés par une juxtaposition habile de séquences-type, mais par leur fusion, qui fait souvent disparaître toutepossibilité d'identification typologique, toute pertinence desréférences typologiques (Bernié, à paraître). Un texte suppose eneffet un point de vue d'auteur, orchestrant l'hétéroglossieconstitutive du langage, qui est dialogique par nature (voir encoreBakhtine et l'articulation qu'il établit entre le point de vue d'autruiprésent dans l'objet, et le discours de l'autre présent dans saréponse anticipée). La construction de ce point de vue dans unesituation complexe aboutit à un résultat toujours singulier, maisd'une homogénéité communicative ou rhétorico-pragmatique (ausens, proposé par l'école de Neuchâtel dans la « Sémiologie duraisonnement », de refiguration d'un circuit communicatif)assurant sa cohésion macrostructurelle.

- La notionde « texte intermédiaire» :Mise à jour par tout un pan de recherches didactiques récentes,

elle n'est pas étrangère aux travaux en génétique des textes, bienque se situant sur un plan différent. Elle ne recouvre pas la notion,devenue classique, de « premier jet », car celle-ci amène toujours àconsidérer ce dernier comme moindre texte, appelé à uneamélioration en référence à un modèle. La spécificité d'uneproduction intermédiaire dans le cheminement d'un scripteur exigeau contraire une approche attentive aux diverses facettes d'un« brouillonnement» indiquant la construction progressive d'unepensée, voire de connaissances, à travers celles d'une postureénonciative et d'une forme textuelle. Le « texte intermédiaire », ludans sa spécificité, est le signe non d'un manque mais d'une miseen mouvement vers une intégration, valant pour une situationdonnée, de voix, de sémiotisations de l'objet et de formesgénériques, hétérogènes. La notion exclut donc, elle aussi, touteréférence à une norme typologique ou à un ensemble de critères decohérence se voulant universels. Au contraire, elle est attentive aujeu entre des modes singuliers de construction d'un point de vue

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orcheslrateur. Et elfe mohilise pour ce raire des genreshistoriquement constitués, déposés dans la culture, outilsincontournables de toute construction cognilivo-Iangagière.L'étude du «brouilfonnement» ne peut être prédicli\'equ'indirectement. dans la stricte mesure Olr elle pcrmet d'analyser ilquel mode de retraitement du contexte ren\'oie le texteintermédiaire, yia l'usage rail des genres.

ESI>acc discursif ct gcm'cs discUl'sifsAnalyser le produit d'une écriture plurielle dans celle

perspecti\'(,~ impose d'interroger l'espace discursif et les genresdiscursi l's.

- L'espace discursif:On observera cc qui s'est mis en moU\'ement entre les deux

scripteurs. II faut décrire le partage de significations, l'espacediscursif en soi. Réduire celle notion au «circuit» 11installer ou\'érifier, voire 11 la thématique de l'échange, reviendrai! 11 labanaliser et il la rendre inutile: dans toute cOllJnlllnicalionintervient une dimension phatique qui. \'lIe par Malinowski (llJ53)ou par Jakobson, correspond il ces propriétés. En réalité, il n'y ad'intérêt il parler d'cspace discursir que pour désigner le lieu OllpeuYent être circonscrites des significations partagées au prixd'opérations diverses. La notion est donc nellement distincte decelle d'« espace mental », qu'ellc soit YUCpar Fauconnier (llJR4)ou même par Wallon «< espace purement représentatir;\ l'inlérieurduquel le sujet se donne unc représentation du prohl~me », desproeéuures, un plan). Il s'agit d'une construction dynamique desinterlocuteurs. À raide de moyens linguistiques dont l'utilisationrepose sur les significations partagées, ils déploient un espace 11l'intérieur duquel de nouveaux ohjets pourront être posés et destransformations cITectuécs. L'espace discursi r. ce sont donc dessignifications actualisées ET les opérations effectuées sur elles(Brossard, 19(4). L'approche de la co-construction d'un espacediscursif dépend des indices qui témoignent. dans les productionslangagières, de la prise en charge par chacun dcs interlocuteurs dessignifications créées dans l'interlocution. I)'une prise en charge etde rien de plus: la notion n'implique pas coïncidence stricte ticsreprésentations, c'est-il-dire uu contexte intrapsychologique.LorslJue les interlocuteurs sont réunis autour d'un~ productioncommune, l'espace discursif peut rester hétérogène. mais il lie peul

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exister sans recherche d'un «contexte de pertinence », c'est-à-diresans accord, même à renégocier en permanence, sur lasémiotisation des objets ou des questions susceptibles d'y figurer.

-Les genres discursifs:Le matériau à partir duquel un tel espace peut être construit est

constitué de genres discursifs. Ceux-ci sont déposés dans la cultureet correspondent aux actions langagières possibles dans diversessphères d'échange. Chaque genre constitue une perspective socialedifférente et leur diversité est à l'origine de l'hétéroglossie. Lesdeux scripteurs peuvent être porteurs de perspectives socialesdifférentes. Tout ce qui se co-construit procède d'unefictionalisation du contexte et se traduit par un usage des genresdiscursifs qui reflète l'état de la construction du point de vuecommun. Cet état est considéré comme la condition sine qua nondu texte ET comme l'indicateur de la gestion de l'hétéroglossie, ledescripteur de l'espace discursif.

Caractéristiques du texte de Méïté et PauloIl peut être analysé comme un hybride générique et un

ensemble de ruptures.- Un hybride générique sans intégration:Deux genres au moins coexistent sans se mettre « en interaction

mutuelle» : l'article et la dissertation scolaire. La secondarité restelointaine. La consigne pose une exigence de point de vueargumenté, les scripteurs n'en retiennent que l'argumentation sanspoint de vue, mais ils conservent une accroche journalistiqueobservable dans le jeu des deux titres, celui qu'ils assument et celuiqu'il imaginent pour le citer. À l'exception du tout dernierparagraphe, étudié plus loin, la suite se conforme à un de cesgenres scolaires qui sont l'image de marque du systèmeacadémique français: la dissertation, mais avec un niveau deperformance analogue à celui de lycéens ayant assimilé ladispositio dialectique mais non ce qu'elle impose sur le plan desobjets discursifs et de leur transformation. Cette rhétoriqueformelle vient-elle d'un réel choix de ne pas choisir, comme ledisent les documents? Ou ce non-choix ne découle-t-il pas d'unrapport plus profond à la situation? L'analyse de la négociation etde la situation d'écriture fournira des indications à ce sujet. Laquestion se pose alors des conséquences que le repli sur lascolarisation de la tâche peut entraîner sur la nature cognitivo-

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langagière de leur activité. On peut légitimement poser unecorrespondance entre l'hybridation générique, l'hybridation desénoncés et les ruptures dans la construction des objets discursifs,que nous allons analyser rapidement, en référence à l'intégrationdes perspectives dont Bakhtine fait le caractère essentiel de« l'hybride bivocal ».

- Un ensemble de ruptures:Ces ruptures diverses laissent apparaître dans le texte des

perspectives hétéroclites sans principe de mise en coordination.La notion-outil de rupture peut être définie de la manière

suivante, qui renvoie à la situation du récepteur et à unereprésentation assez classique de son activité cognitive: «Lelecteur lisant un texte s'adonne à un travail de construction d'unereprésentation de ce texte. Le traitement local lui permet d'enrichir,voire de modifier cette représentation. Il y a rupture lorsque cecycle est interrompu: le lecteur ne parvient pas à intégrer lerésultat du traitement actuel dans la représentation en coursd'élaboration.» (Brossard et al., 1996: 74).

Les critères à partir desquels les ruptures peuvent êtredéterminées ont pour origine le postulat que la textualité signifiemise en coordination, au sens quasi-piagétien du terme, de donnéesde provenance hétérogène. Centre de conscience pluriel, l'auteurexiste à travers la manière de poser les voix les unes par rapportaux autres. La capacité d'orchestration de la polyphonie noussemble devoir être sollicitée de manière spécifique dans lessituations d'écriture plurielle, où rien ne dit a priori que l'instance« locuteur» puisse trouver une pleine homogénéité. Ce quiintéresse la théorie du contexte est précisément la manière dontl'instance « locuteur» cherche l'homogénéité: c'est ce que nousanalyserons à travers les ruptures observables et ce qu'ellesrévèlent comme rapport des scripteurs à la tâche. Les catégories ci-dessous distinguent, pour des raisons méthodologiques, des faits enimbrication constante.

Ruptures ENONCIATIVES. Sans nous prononcer sur lacompétence technique des scripteursl, nous désignerons sous ceterme des changements de repères pouvant perturberl'identification soit de la voix, soit de l'instance qui prend en--------------------1 Nous n'avons aucun moyen de déterminer s'il s'agit ici de problèmes strictementtechniques d'appropriation propres à des « non-natifs ».

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charge telle énonciation: on se doute donc qu'elles interfèrent avecplusieurs autres types de ruptures:- plusieurs ruptures de prise en charge énonciative et doncd'univers de croyance (Martin, 1985 et 1987) : entre « ceux qui»et « un autre avantage », les arguments sont assumés par un tiers audébut, par le scripteur ensuite. La forme en « -rai» indique unerelégation, non dans un univers contrefactuel mais dans un mondepossible: il serait excessif de parler d'incohérence, beaucoupmoins de constater un effet d'hétéroglossie. De même, mais à undegré moindre, le dernier argument de la première partie estmodalisé d'une manière qui situe sa valeur de vérité dans unmonde possible: «peuvent ». De ce point de vue, il faut soulignerl'ambiguïté de «corrigeraient» : y a-t-il mise en scène indirectede leur projet ou rapport d'un argument non partagé?- apparition finale d'une voix sans correspondance dans le reste dutexte, donc étrangère à la «dramaturgie discursive» (BonnesVacances, etc...) : qui parle à qui et dans quel lieu social? La voixpourrait être la même que celle qui énonce ce qui apparaît (quipose un problème analogue), sans un changement de genre quiremet en question la mise en scène journalistique initiale. Ellepourrait être la même que celle qui assume heureusement pasréussie si celle-ci, la négociation le montrera, n'était pas sous-tendue par un souci stylistique normatif et ne pouvait donc êtreassumée par un sujet-scripteur déjà partiellement entré dans unnouveau contexte. Ces voix viendraient s'ajouter aux trois voixsocialement identifiables: la voix du journaliste fictif (celle quiintroduit) ; la voix scolaire (qui énonce les arguments puis leur« synthèse»); et une voix «commentative» qui se superposetantôt à la première (heureusement pas réussie), tantôt à l'autre (lescas ci-dessus), sans que son homogénéité puisse être garantie.

Ruptures STRUCTURELLES.Elles tiennent à la difficulté à fairefonctionner les organisateurs textuels, et sont donc repérables auniveau des relations entre mouvements discursifs. Ce type derupture prend en compte le fonctionnement inhérent au genreadopté. En effet, s'inscrire dans la forme argumentative scolairestandard (matérialisée par la dissertation) n'est pas innocent: ungenre-témoin de la culture scolaire (comme, sous d'autres formes,le résumé ou le compte rendu) fonctionne, comme tout genre,comme cadre à partir duquel des hypothèses anticipatoires peuventêtre formulées en fonction de normes fonctionnelles qui lui sont

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propres (<<Si les genres du discours n'existaient pas (...), l'échangeverbal serait quasiment impossible» écrit Bakhtine, qui renvoie àla structure compositionnelle pour « prévoir la fin », 1984: 285).Il en va de même de tous les autres outils sémiotiqueshistoriquement déposés dans une culture. Le problème est ici celuides relations entre première et deuxième partie, et deuxième partieet clôture, reliées par des enchaînements «locaux» ou deproximité non extensibles, ce qui bloque l'interprétation dumouvement discursif. :- pour la conclusion: me référant à diverses analyses duconnecteur «donc », je dirai que la relation de pertinenceénonciative, qu'il organise, ne peut fonctionner qu'en direction duseul dernier argument « contre », mais en direction ni de la secondepartie entière, ni, a fortiori, de l'ensemble. On conclut sur la seulequestion du temps libre parce qu'elle vient d'être évoquée. Lesarguments « contre» sont complètement ignorés par il faudrait...,qui ne répond qu'à un seul et ne peut jouer aucun rôlerécapitulatif;- même enchaînement local pour la seconde partie. Le changementde scripteur peut être considéré comme un indice macrostructurel.Or, Méïté commence en répondant au dernier argument écrit parPaulo, ce qui ressemble plus à une réplique ponctuelle qu'à uneplanification écrite.

Ruptures DANSLACONSTRUCTIONDESOBJETSDISCURSIFS.Onconstate des changements d'objets discursifs dont on ne peutrendre compte ni par mouvement argumentatif (par exemplel'examen d'un contre-exemple), ni à l'aide des opérations deconstruction d'objet de la logique naturelle (Grize et al., 1984 et1985):- la reprise de la dispositio formelle de la dissertation, conditionnéepar le refus de choisir, conduit les deux scripteurs à bâtir unmouvement thèse-antithèse-synthèse qui aboutit à un pur collageverbal: les travaux en groupe à la maison, sémantiquementinconsistant surtout après l'argument selon lequel la suppressiondes devoirs à la maison ne compromettrait pas l'aisance du travailen groupe! On peut y voir le résultat inévitable du refus de seconstruire un point de vue: penser la synthèse se réduit à une salverhétorique supposant la compatibilité d'objets construitsinitialement dans des logiques contradictoires, mais sans qu'ils

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aient été reconstruits ou sémiotisés de manière à pouvoir entrerdans la logique d'un point de vue nouveau;- deux autres aspects du texte témoignent de surgissementsanalogues: dans l'argument « la surcharge de devoir », on glissede trop de devoirs à pas assez de place, alors que le début appelaitpas de possibilité de se faire aider par les parents. Enfin, le dernierargument (Ce qui apparaît ...) introduit une rupture avec les«classes défavorisées », car il fait essentiellement mentiond'activités de loisir pour classes aisées. La mise en coordination deces éléments issus de points de vue différents est inexistante.

Ruptures ARGUMENTATIVES2.Le second titre, inventé pourintroduire le débat en développant provisoirement un registrejournalistique, présente un dysfonctionnement patent qui peut êtreinterprété à partir de l'hypothèse d'un conflit de contextes.Argumentativement, il est autophage : heureusement pas réussiedétruit en bonne partie l'effet recherché, alors que «tentative»suffisait. C'est une autre voix non intégrée ou mal intégrée: elleapparaît comme énoncé-commentaire, peu compatible de surcroîtavec les normes du titrage (heureusement), sans articulation avecune prise en compte de la dimension pragmatique globale de l'écrità produire. Mais le problème est plus complexe, et mérite d'êtrerepris sous l'éclairage suivant.

Ruptures GÉNÉRIQUES.Elles sont le lieu où se concentrent àpeu près tous les types de ruptures, vu que les genres peuvent êtrevus comme des «jeux de langage» (Wittgenstein) propres à unesphère d'échange; ils incluent indissolublement un style et ledicible de cette sphère. Leur manipulation est lourde deconséquences sur le plan des figures sémiotiques, de laconstruction des objets discursifs et par conséquent de la tenue del'orientation argumentative. Les deux titres sont un remarquableexemple de cette concentration, d'autant plus significative quedans l'élaboration d'un écrit le titrage joue souvent un rôle d'outilpsychologique, de lieu de régulation de la conformité du texte à sa« base d'orientation» :--------------------2 J'exclus le curieux fonctionnement de «néanmoins », dû peut-être à une maîtriseinsuffisante de l'aspect. Apparemment, il y a rupture argumentative: la pratique desinstituteurs présentée comme une loi fondant la possibilité de se poser une question... Maisavec «reste posée » au lieu de « se pose », plus de problème: «malgré la pratique desinstituteurs, un état questionnant demeure ». Y a-t-il vraiment, dans les pratiques discursiveseffectives, des problèmes de connecteurs seuls?

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- le premier titre écrit en tête par Méïté déplace dans un premiertemps le «faire comme si », mais vers quelle situation? Faitesvotre choix, sorte d'incitation à la consommation, introduirait uneerreur générique dans le cadre de la consigne d'écriture, ensupposant un destinataire et un lieu social inadéquats. D'un pointde vue à la fois générique et pragmatique (impossibles à séparerdans l'optique bakhtinienne), on se rapproche davantage du« chapeau» d'un courrier des lecteurs que d'une lettre citée;- le titre imaginé peut être caractérisé sur deux plans. Sur un planfonctionnel, il annonce soit une orientation opposée aux devoirs àla maison, soit la critique à venir d'un lieu commun. Mais rien neconfirme la première hypothèse passées les premières lignessuivantes, ni la seconde: cela reste un énoncé hétéroglosse quin'est pas intégré au texte et qui semble guidé par le refus dechoisir. Son caractère autophage, dû à l'irruption d'unemodalisation d'orientation pragmatique opposée à celle du début,fait cohabiter deux voix énonciati ves argumentant chacune enfaveur d'une conclusion opposée (la tentative de suicide doit ounon retenir l'attention). L'analyse de la négociation montreral'origine de ce dysfonctionnement, qui entérine la rupture avec laconsigne sur le plan des significations: la modalisationproblématique appartient en propre à une position énonciativeétrangère à la «dramatisation discursive ». On observe donc unecoexistence entre l'absence de point de vue (mais cettemanifestation-ci relève-t-elle vraiment d'une « décision» ?), et unrapport difficile aux pratiques sociales de référence sur lequel onpeut faire deux hypothèses: (i) non-natifs, Méïté et Pauloconnaissent mal les supports dont ils parlent; (ii) il y a là unnouvel indice de leur incapacité à se construire une positionénonciative dans le cadre d'un «faire comme si ». II y aprobablement interférence entre les deux: leur difficulté à gérerl'hétéroglossie et la méconnaissance des normes fonctionnelles desgenres et usages de référence, ce qui accréditerait la conception desgenres discursifs comme outils psychologiques indispensables.

Etat du texte communLes choix qui peuvent enclencher l'orchestration de

l'hétéroglossie semblent avoir été jusqu'à présent évités. Le staderédactionnel sur lequel s'arrête le corpus permet de pointer desindices de ce qui peut se révéler facilitateur ou bloquant au stade

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intermédiaire de la construction d'une posture de scripteur. L'on apu dire que Méïté et Paulo transgressent la consigne: sans doute,mais pas les divers contrats qui la sous-tendent. Ils conservent de laconsigne son implicite: ils sont en situation d'enseignés et leurrejet reste conditionné par ce qu'ils s'estiment autorisés à faire decette situation, c'est-à-dire par des représentations sociales lourdesde conséquences,

Valsiner l'a montré, sur la sémiotisation de l'objet: latransgression s'arrête en route, comme le développement linéairede leur texte l'illustrerait métaphoriquement. Comme l'a dit Maria-Luisa Schubauer-Leoni3, les sujets ne peuvent être décrits commeassujettis essentiellement à « l'horloge de leur cognition intra-individuelle », mais, mutatis mutandis, ils «importent dans lesexpériences ou les entretiens les comportements de quelqu'un qui aacquis des règles de comportement d'enseigné. Même si l'onvoulait étudier l'enfant qui apprend, on trouverait, le temps d'unentretien expérimental, un élève qui se croit enseigné. »

Tel est donc l'état intermédiaire du « brouillonnement ». D'unélément à l'autre, tout se passe comme si on ne parlait ni depuis nià l'intention de la même communauté discursive. Au total, estabsente la (seule) condition sine qua non de toutecohérence possible: un principe de mise en interaction mutuelledes contextes en présence. Cela ne veut dire ni qu'une cohérence« totale» soit un objectif, surtout lorsque l'on écrit à deux, niqu'un principe de mise en coordination ne puisse apparaître dansune phase ultérieure: la co-construction d'un contexte communn'est pas un « pré-requis» ! Mais de cette transformation, nous nepourrons évidemment rien dire.

Négociation et source immédiate du « brouillonnement »

Rôle de la négociationLa négociation entre les scripteurs autour des titres permet-elle

de rendre compte du « brouillonnement » ? Les arguments négatifsne seraient pas sans poids: cette négociation ne concerne ni lemoment où ils décident de ne pas choisir entre les deux thèses, ni

--------------------3 Neuchâtel, 10 Septembre 1996, conférence prononcée dans le cadre du colloque «Penserle temps» pour le centenaire de Jean Piaget, sous le titre: « Rapport au temps et intentiond'enseigner» .

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l'élaboration des arguments, ni l'écriture du texte, notammentl'invention du «travail en groupe à la maison» ou des « Bonnesvacances» finales. Quelle signification lui accorder? Sans doutecelle qui a justifié sa transcription: l'élaboration d'un incipit esttoujours censée concentrer les représentations que le scripteur sefait du contrat qu'il tente de nouer avec son lectorat potentiel, etrévéler ainsi la manière dont le but et le destinataire sontfictionalisés. De plus, comme nous l'avons dit, la réflexion sur untitre peut être considérée comme la mise en œuvre d'un outilpsychologique permettant de réguler les relations entre le texte etsa base d'orientation. Enfin, la « curiosité» de la situation estévidemment l'enchaînement de deux titres, l'un repris à leurcompte par Méïté et Paulo, l'autre représentant pour eux le Tiers-Parlant, la base doxale à partir de laquelle le débat peut êtreinstruit: la distance entre eux, quelle qu'elle soit, peut aider àdécrire l'espace discursif au sein duquel la production est élaborée.

Au niveau superficiel des contenus, l'affaire peut sembler viteentendue: les considérations organisationnelles ou formellesdominent: un accord non motivé sur celui qui va écrire, (368-376) ; puis, à partir du sort à faire aux deux titres proposés, sur lanature du texte à produire (377-403) ; suit la discussion sur le« vrai» titre (apparemment abandonné en 417 sur un c'est pasgrave 1,mais la conception a été maintenue dans le texte) puis surle «faux », à partir, non du contenu, mais du style (426), puis desréférences censées cadrer sa formulation (465 sqq.), pour revenirsur des considérations sur la justesse de la formulation (entre autres511) ou sur le statut rédactionnel de ce titre (546-548)accompagnant l'écriture proprement dite. À première vue, lessignifications négociées concernent donc le ton, le style et larelation avec des normes formelles de la rhétorique scolaire (418-419: normalement, on fait une petite introduction), enfin laformulation.

Rôle des conflits de contexteEn filigrane se lisent des conflits de contextes portant sur le

triple plan cognitif, langagier et pragmatique. Ils mettent en jeu ladimension psycho-affective de l'activité scripturale. C'est lecaractère non assumé de ces conflits qui caractérise cet espacediscursif-là, dans son hybridation.

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- Le plan cognitif:Il concerne leur relation au référent (ce que les deux scripteurs

savent et pensent du problème posé par les devoirs à la maison) etleur perception des enjeux de la tâche. Les négociations reproduitesne concernent pas directement le premier point. En revanche, laquestion de savoir pourquoi on leur demande cette productionoccupe indirectement une bonne partie de l'espace discursif. Lascolarisation de la tâche constitue une première réponse: on écrit,non pas forcément pour l'enseignant qui a distribué la consigne,mais en référence à une norme textuelle dont l'institution scolaireest détentrice. La manière dont émerge cette interprétation estsignificative.

- Le plan langagier:Révélant l'interprétation, il s'inscrit pour partie dans le

prolongement du précédent. Le conflit sous-jacent des contextesaffecte les deux aspects de ce plan: la question du modèle d'écrit àconvoquer et celle des formes discursives à mettre en œuvre. Laraison pour laquelle les deux scripteurs rejettent les deux titresentre lesquels choisir, selon la consigne, est d'abord formulée parMéïté : le décalage entre le type d'écrit à produire (un point de vuejustifié) et le fait qu'ils ont trouvé des arguments en faveur desdeux thèses opposées. La justification d'un point de vue n'exclutpas la prise en compte du point de vue opposé, et la consign~ nespécifiait rien sur ce plan: nous sommes donc en présence d'unereprésentation et non d'une donnée objective du contexte, quiévolue dès lors que cette position est, même tacitement, admise.Cette raison propre à Méïté est, en effet, immédiatement relayéepar Paulo qui reformule ses positions sur un tout autre registre: unjugement de pertinence épistémique (393), la reformulation d'uneloi compositionnelle (395, 397, 419). Nous sommes ici dans uneintrication étroite de la représentation de la tâche, de la« posture» et de la planification: Paulo est celui des deux qui, aulong de cette négociation, concentre à la fois une attitude de non-engagement par rapport à la finalité de la tâche et à latextualisation (387 qui éclaire la signification réelle de 377,417,429 et surtout 547, où l'on constate qu'il est resté à côté de ce quis'élabore depuis 496: le « faux» titre) et aussi l'attitude la plusnette de scolarisation de la tâche, en particulier par son emploi dumétalangage de la dissertation (393, 397, 419). Méïté a construitpour sa part une représentation de la tâche bien différente. Ses

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interventions sur les formes discursives le montrent, d'abord parceque, d'un point de vue quantitatif, elle y est infiniment plus« présente» que Paulo. Ensuite parce qu'elle y montre unefictionalisation qualitativement différente de la tâche, ce qu'éclairele point suivant.

- Le plan pragmatique:destinataire permettent de dire qu'une partie de l'espace discursifest centrée sur la construction d'une image d'énonciateur par lebiais de calculs stylistiques, donc d'un travail de l'image dedestinataire. C'est le plan que nous avons appelé pragmatique.Nous précisons qu'il présente pour le scripteur des enjeux auniveau psycho-affectif. Rappelons en effet que, dans uneperspective moniste, le style ne relève en rien de l'ornementationdu contenu, mais qu'il constitue le lieu où se reconstruit un circuitde communication, et qu'il est en relation essentielle avec lesobjets discursifs réellement construits (Bernié, 1994). Pourreprendre en la détournant une expression d'Anne Reboul (1992),le style, ce n'est pas l'homme mais la relation locuteur -destinataire, même si l'on doit ajouter: médiatisée par le contextereconstruit et par les genres disponibles. De ce fait, le styleconditionne la réponse à fournir à l'une des questionsdéterminantes de toute fictionalisation, «En tant que qui écris-je? », « Quelle image de moi-scripteur veux-je donner? ».

La négociation portant sur les titres, surtout le second titre, estsous-tendue par des références explicites (426) mais non réflexivesà des normes stylistiques qui engagent l'ensemble de ces aspects.Les échanges 426-445 et 486-495 sont émaillés de jugementsstylistiques (intéressant, sobre, attirer l'attention, exagéré, tropexagéré, simple, modeste, aimer, aimer mieux ...), qui montrent quel'espace discursif est partiellement occupé par une fictionalisation.Si le résultat est ce que nous avons vu, c'est que la fictionalisationn'est jamais débattue en tant que telle. Et c'est la manière dont sonttraitées les références à des supports donc à des pratiques sociales,à des communautés discursives (Le Monde, Le Monde del'Éducation, Paris-Match, Gala) qui le démontre. Les différences,les raisons des préférences ne sont pas évoquées; tout se passecomme si les normes stylistiques auxquelles les deux scripteurs necessent de se référer renvoyaient à une image de l'argumentationflottant sub specie aeternitatis : il faut pas exagérer les sentiments,

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dit Méïté. Allons-nous assister à la résurrection de débats sur le« goût» ? Ce risque académique ne se concrétisera pas.Une double conclusion

Premier point: ces préoccupations et leurs «blancs» sontégalement partagés par les deux scripteurs. Paulo est le principalporte-parole de la scolarisation de la tâche, mais Méïté l'admet,voire devance sur ce point son équipier; elle est le principalinitiateur des considérations stylistiques (426) mais Paulo lesreprend à son compte (445). C'est en ce sens que le conflit decontextes se distingue d'un conflit des subjectivités ou desrôles (tel que le voit l'ethnométhodologie) : il traverse les deuxscripteurs, inégalement selon les aspects du problème en jeu à telou tel moment. La construction du contexte est une dynamique quifait varier également ces effets fond / figure.

Deuxième point: ignoré, le contexte se venge. S'il y a bien co-construction d'un espace discursif, celui-ci n'est pas de nature àmettre en interaction mutuelle les fictionalisations respectives deMéïté et de Paulo; surtout, il ne saurait être assimilé à un«contexte de pertinence ». Entre les «événements de parole»(Hymes), ancrés dans un contexte quotidien, et les genressecondaires, bout et but du «faire comme si» des situationsprovoquées, le scripteur doit construire un contexte de pertinencelui permettant de mettre en relations les données de la situation, lesgenres premiers dont il dispose, l'interdiscours hétéroclite et lespratiques de référence qu'il connaît.

La difficulté de la rédaction conversationnelle réside sans doutedans le dédoublement des opérations nécessaires, puisque lecontexte de pertinence est à construire entre l'enseignant et lesdeux scripteurs d'une part, et entre chacun des deux scripteursd'autre part. Mais son intérêt réside aussi dans cette propriétéconsistant à faire passer par une contrainte situationneIle ce travaild'orchestration, par une situation dialogale cette élaborationdialogique, de permettre à chacun des deux scripteursl'intériorisation des contextes et des rôles -du fait qu'ils sont, dansun premier temps, extériorisés. D'où le rôle des écritsintermédiaires, qui rendent possible ce mouvement: dans quellesconditions? C'est là qu'interviendra la situation.

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Situation d'écriture et mise en scène de l'enseignant:ostension ou sémiotisation de l'objet

La situation se révèle tout aussi hybride que le texte. Tout enrenvoyant au «faire comme si» caractéristique de l'écriturescolaire, elle ne prétendait pas être une situation d'apprentissage.La présentation de la consigne, son mode de passation, sesmanques le disent: il n'est question que de faire exécuter une tâcheisolée, non inscrite dans un processus d'acquisition ou dans unprojet communicatif clarifiant les paramètres contextuels. Pourquoipas? L'important me semble être d'éviter de croire que ce type desituation autorise à prendre les productions qui y naissent commeun observatoire possible de problèmes linguistiques ou deprocessus rédactionnels «purs» (dont la réalité même estd'ailleurs des plus hypothétiques). Compte tenu du fait que lecontexte n'y a fait l'objet d'aucun «travail », que peut-on enattendre? Le propre de l'écriture est de rendre impitoyables leseffets de contexte: les productions obtenues dans des situationsprovoquées, mais non spécialement « travaillées », montrent avanttout le caractère central du contexte, mais par la négative ...Etudierplus avant ces effets supposerait d'autres protocoles4. Dans unevisée plus praxéologique, de telles productions peuvent servir àenclencher un processus de prise de conscience chez les scripteurs,ce qui légitime l'étude du «texte intermédiaire ». Hors de tellesperspectives, le risque de dérapage vers les ornières intemalistesnous semble réel.

Le fonctionnement de la situation peut être décrit comme suit:l'enseignant choisit un mode de passation relevant de l'ostensionde l'objetS, démarche fréquente dans les situations scolaires toutvenant, lorsque l'enseignant entreprend de traiter « ouverture» et« motivation» par évocation d'un objet socialement attesté.S'ensuivent deux effets:--------------------4 Mis en oeuvre à Bordeaux autour des conduites argumentative (Brossard et al., 1996) ouexplicative (DEA de Martine Jaubert), et de mes recherches sur les genres du « travail del'école» - résumé, compte rendu, synthèse, etc. Dans tous les cas, les production obtenuesdans des situations « tout venant» sont, pour être utiles à la recherche, confrontées à desproductions obtenues dans des situations aménagées pour étudier les aspects focaux ducontexte.S Terme que je préfère à celui de « monstration ", qualifiant le raisonnement en languenaturelle, vs démonstration: « Un objet, écrit J-B. Grize en conclusion de la « Sémiologiedu Raisonnement », ne se démontre pas, il se montre ».

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- la situation d'écriture repose sur une dissociation entre consigneet sémiotisation de l'objet (Ie texte à produire), alors que rendre cedernier maniable supposerait une clarification des différentssystèmes de sémiotisation dans lesquels s'inscrivent ses usages(sans qu'il y ait nécessairement là une phase préalable, comme il adéjà été dit). En effet, on ne peut enclencher de processus de co-construction d'un contexte de pertinence si les parties en présencene distinguent pas les deux systèmes de sémiotisation de l'objet:celui qui vient de l'usage social et celui qui vient de la situationdans laquelle l'activité productive est sollicitée. Ce qui, comme leremarquent Dolz et Schneuwly (1997) entraînera un dédoublementdu genre discursif impliqué. Sans cette différenciation, il sembledifficile d'initier la construction du champ axiologique dans lequelva s'inscrire l'argumentation, du contexte de pertinence. Or laprésentation balaye de manière monologale toutes sortes dereprésentations hétérogènes attachées à l'objet, de l'institution auxmédias, puis de la Loi à la Pratique. Et le deuxième système desémiotisation reste ignoré... On ne peut s'étonner du traitementqu'une fois seuls les scripteurs font subir à l'objet;- l'ostension laisse le champ au contexte étroit (au premier sensproposé par Rogoff, 1984, celui que crée l'interaction sociale danslaquelle a lieu la passation - et qui spécifie, même dans notre dos,le contrat didactique, le contrat de communication, etc.), c'est-à-dire à des représentations de l'objectif traversées, dominées parcelles de la situation de production, puisque les scripteurs n'ont pasde moyen de recul pour les raisons évoquées supra. Ce quiexplique la permanence d'un contrat de type scolaire même lorsquela consigne est abandonnée.

Le conflit peut faciliter la production ou lui faire obstacle. Lesdeux aspects de la mise en activité de Méïté et Paulo convergentpour compromettre leur possibilité d'adopter un point de vue« surplombant» pour gérer le conflit de contextes d'une manièrequi le ferait évoluer vers la « mise en interaction mutuelle ». Lavoie serait à chercher du côté des situations permettant au scripteurde reprendre à son compte plusieurs rôles, dans un sens suggéré parJ. Wertsch (1991), malgré l'écart entre ses publics et celui-ci. Unapprenant qui maîtrise une situation langagière complexe yparvient lorsqu'il peut assumer pour son propre compte les rôlesdiscursifs des différents participants à l'interaction. Il ne réduit pasle langage à une fonction purement instrumentale. Les étapes et

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productions intermédiaires favorisent cette maîtrise lorsqu'ellesfont entrer progressivement l'apprenant scripteur dans le «jeu delangage» de ses partenaires. Il peut alors identifier les fonctions dujeu de langage et en intégrer l'implicite au point de devenir capabled'effectuer toutes les inférences nécessaires. Encore faut-il quepuisse se développer entre les partenaires cette « compréhensionresponsive active », dont Bakhtine fait la condition de la mise eninteraction mutuelle des contextes. Acculturation et institution dusujet - d'un sujet situé - telles en sont les conditions. Ce principepeut inspirer la réponse à la question: que signifie l'espace du« faire comme si » ?

L'intérieur, l'extérieur et le « focal discursif»

Le contexte joue un rôle déterminant sur l'activité langagière,dans un fonctionnement qui montre que sa structure ne relève enrien de la «pelure d'oignon », de l'at1ichaut ou des poupées russes.Ceci vaut pour les rapports du contexte social étroit et du contextelarge, comme pour les différents paramètres fictionalisés par lescripteur, qui bougent au fil de la construction en faisant varier lesrapports fond-figure.

Apprendre le langage, c'est entrer sans cesse dans de nouveauxcontextes, avec tous les réaménagements linguistiques et« posturaux» que cela implique. Mais le contexte «étroit»(linguistique chez Vygotski, social immédiat chez Rogoff) n'estpas toujours «central» par rapport au contexte culturel et àl'interdiscours (Bakhtine, Wertsch), donc aux genres que lescripteur mobilise afin d'objectiver sa représentation de lasituation. Ainsi, au delà de l'enjeu psychologique (fondement d'unpoint de vue extemaliste), il y a ouverture d'une voie à l'analysedes productions langagières dans une perspective proche de lasociolinguistique interprétative, celle de Goodwin, Gumperz ouHymes, pour qui le contexte social n'est pas un donné objectif,mais peut être accédé en tant que produit des actions langagièresconjointes des interactants.

Ce qui est premier dans le langage, ce sont des usagescontextualisés, donc des genres, à travers lesquels notre languenous est donnée. C'est à travers les genres vus comme outilsd'évaluation des situations que se forge la pensée: ce que tente dedécrire notre « fictionalisation ». La notion est proche à la fois des

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«jeux de langage» du second Wittgenstein et des éclairagesrendus possibles par la conception peircienne du «signe-inférence» sur la manière dont les objets font sens. Le chemin àfaire pour théoriser plus complètement ce point de vue estassurémentlong, en liaison avec les tentativespour reconstruirelesliens entre langue et activité humaine. Pourtant, le besoin d'unelinguistique de l'activité langagière est pressant, comme celui derompre avec le carcan épistémologique imposé par la vision d'unsystème linguistique certes soumis à évolution sociale ethistorique, mais toujours déjà là pour la « masse parlante» qui seborne à l'actualiser sans jamais pouvoir agir sur lui. Prendre cetteoption, est-ce sortir de «la linguistique»? Peut-être, vu lescontours épistémologiques actuels du terme. Mais des « sciencesdu langage» ? Sûrement pas. Cette option exclut l'idée de parlerdu produit sans parler du processus, en saisissant celui-ci danstoute sa complexité, avec toutes les médiations qu'il met en jeu etque nous essayons de conceptualiser sous le nom de« fictionalisation ».

D'où l'intérêt didactique. L'élucidation du rôle du contextecoïncide avec les conditions requises pour comprendre ce dont ontbesoin les apprenants pour devenir auteurs de leurs textes... Lecontexte étant un concept en action plus que formellement défini,tout un terrain est à explorer à la lumière de la question: « Qu'est-ce qui, dans telle situation, conduit à penser que c'est telévénement ou tel aspect, qui est focal» ? La dimension pertinentevarie selon l'activité en jeu. Une recherche didactique doit prendreen compte cette variation. Au fil de nos recherches de ces dernièresannées, nous avons été amené à étayer quelques hypothèsesparadoxales concernant l'aspect focal, variant même dans diversgenres scolaires proches: rôle de l'image de destinataire dans lerésumé ou du « poids» historique du genre dans un écrit parfoisréduit au degré zéro de la textualité comme le compte rendu. Lesrecherches sur ce plan devront prendre en compte le noeud desrelations entre l'objet et sa sémiotisation, le processus dedévolution de la tâche et sa gestion, la représentation d'unesituation toujours «institutionnalisée» et l'orchestration del'hétéroglossie. Telle nous semble être la voie privilégiée poursaisir le rôle actif des productions langagières (orales ou écrites,bien que chacune le fasse différemment) dans les processusd'élaboration des connaissances.

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DEUXIEME PARTIE

Processus rédactionnel,cognition et apprentissage

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Christian BrassacUniversité Nancy 2

Rédaction coopérative: un phénomène decognition située et distribuée

Introduction

Dans ce texte nous abordons le processus de rédactioncoopérative comme un processus cognitif collectif. Plusprécisément, nous nous y intéressons en tant qu'il s'agit d'un casparticulier de conception distribuée d'une inscription. En effet,deux sujets en situation de rédaction coopérative sont en position,tout à fait concrètement, de produire conjointement l'écriture, lascription d'un texte, que cela soit sur une feuille de papier, sur untableau noir ou sur un écran d'ordinateur. Lors de cette activitéscripturale, ils conçoivent quelque chose, ils se placent dans unprocessus de création (au sens non sacralisé du tenne), ils réalisentune altération du monde; ils produisent une inscription modifiantl'état de choses dans lequel ils interagissent. IJs le font de tellesorte qu'ils sont co-responsables de l'action d'écrire, action parconséquent distribuée sur les deux scripteurs. C'est en ce sens quenous soutenons que la rédaction coopérative est un exemple, parmid'autres, de conception distribuée d'une inscription. Maintenant, ilest clair que le terme «rédaction» renvoie naturellement à laproduction d'un texte. Nous nous proposons d'élargir cetteacception à des inscriptions relevant non seulement du systèmesymbolique linguistique mais aussi à des représentationsgraphiques, ici relatives au dessin technique. De fait, le produitgraphique que les sujets, dont nous étudions ici les conduites,réalisent consiste en la cotation d'un dessin industriel. Plusprécisément, nous proposons une analyse d'un processus conjointde marquage d'une face de référence sur un dessin de définitiond'un dispositif électrique.

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Pour ce faire nous adoptons une position de psychologue desactivités cognitives collaboratives. Il s'agit pour nous de capter, ensituation naturelle, les conduites (verbales et non verbales) que lesdessinateurs-projeteurs constituant le groupe de travail mettent enœuvre dans cette activité conjointe finalisée. Inscrite dans unparadigme interactionniste en psychologie, empreinte d'uneposture constructiviste (versus cognitiviste) en sciences de lacognition, la méthodologie que nous mettons en œuvre nousconduit à analyser de façon intriquée et les actions langagières etgestuelles, et les manipulations d'objets du monde que les sujetshumains agissent dans la séance de travail.

Dans un premier temps nous allons exposer le point de vue depsychologue des processus cognitifs collaboratifs que nousadoptons pour aborder l'étude de l'inscription conjointe qui nousoccupe. Dans un second temps nous présentons la situation derecueil des données et nous proposons une analyse détaillée de ladynamique du marquage tel qu'il s'est réalisé dans l'ici etmaintenant de la séance. Nous conclurons ensuite en avançantquelques idées relatives à la question plus générale des processuscognitifs situés et distribués.

Point de vue de psychologue sur la conceptioncollaborative

La démarche que nous adoptons s'inscrit dans le domaine del'étude des processus de conception collaborative. Domaine quipeut, et doit selon nous, intéresser toute conception de produit oude système de production. La rédaction coopérative est un casparticulier de ce type de situation. Celle qui nous intéresse ici meten présence des experts relevant de métiers différents. L'étude del'intégration de ces expertises différenciées, en moments et lieuxdonnés, au cours du processus d'élaboration, conduit à analyser enprofondeur la dynamique des échanges entre les acteurs concernéspar le processus de conception. Ce sont ces moments et lieux,étapes cruciales, qui sont l'objet de nos investigations.

Nous agissons en tant que psychologue analysant des processuscognitifs. Les situations étudiées sont nécessairement des momentsoù sont co-présents des acteurs. Ces acteurs, humains et artefacts,

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sont placés en situation d'interaction. Les interactions entre lesindividus sont médiées à la fois par l'usage du langage et par lamanipulation des objets. C'est sur cette double médiation ques'appuie notre travail d'analyse.

Notre entrée privilégiée dans le concret de ces échanges estconstituée par l'interlocution. Notre méthode d'analyse prend pourobjet l'enchaînement conversationnel et, par ailleurs, s'attache àrendre compte de la manipulation des objets, présents initialementet apparaissant au cours de la séance de travail. Nous allonsprésenter cette méthode en commençant par l'étude de l'échangeconversationnel. Nous donnerons ensuite quelques éléments sur lesmanipulations des artefacts.

Conception distribuée et logique interIocutoireNotre angle d'attaque relève de l'analyse des conversations. Le

postulat est le suivant: il est possible d'atteindre les processuscognitifs humains en analysant les productions langagières dessujets en situation interlocutoire. Mieux, une description fine del'enchaînement conversationnel, à fin modélisatrice, est uneméthode fiable de mise à jour des mécanismes de la cognitionhumaine.

C'est la notion d'acte de langage, en tout cas primitivement, quinous sert de point de départ. Lorsque le sujet, en contexteconversationnel, profère un énoncé, il accomplit un acte dit delangage. Cet acte est le maillon élémentaire qui fonne la trame del'enchaînement conversationnel. La théorie des actes de langageaura abouti, dans un premier temps, à son axiomatisation en unelogique illocutoire (Searle et Vanderveken, 1985), puis dans unsecond temps à l'élaboration d'une sémantique formelle générale(Vanderveken, 1988). Certes cette théorie est et a été vivementcritiquée de toutes parts. Un, parce qu'elle est empreinte d'unmonologisme radical et, deux, parce qu'elle est souvent considéréecomme tout à fait inadéquate quant au rôle d'unité d'analyse del'interaction verbale qu'elle fait jouer à l'acte de langage. Nous nepourrons ici développer ces débats (pour plus de détails voir parexemple Brassac, 1992b) mais il est clair qu'une des principalescritiques est que cet appareillage formel qui modélise tout à faitcomplètement, via l'étude approfondie de l'acte de langage,l'expression et la compréhension du langage par des sujets

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humains, faillit gravement à rendre compte de l'usage du langageen situation de dialogue. À cela deux raisons principales: la nonprise en compte des aspects non littéraux, tout à fait fondamentauxdans l'intersubjectivité, et le caractère statique d'une analyse quin'aborde pas du tout le processus se jouant dans le déroulementconversationnel. Car l'enjeu est bien là pour qui veut tirer profit decette théorie pour modéliser l'interaction dans son déploiement,pour qui veut rendre compte du processus interactionnel. Laréponse consiste en ce que l'on pourrait appeler une«dialogisation» de cette sémantique formelle générale.Dialogisation dont l'objectif est de conduire à circonscrire et lagestion de la non littéralité et la dynamique de l'échangeinterlocutoire.

C'est cette dialogisation qui constitue la logique interlocutoire -exposée en détail dans (Trognon et Brassac, 1992; Brassac,1992a) ou dans (Ghiglione et Trognon, 1993). L'idée fondamentaleest que l'énoncé initial (contrairement à la théorie classique) n'apas de statut illocutoire indépendamment de son traitement, au longde la conversation, par les deux interactants. Ce statut n'est pas leseul fait de son locuteur, il n'est pas non plus le seul fait del'auditeur, il est élaboré à travers la négociation de sens paf lecouple d'interlocuteurs. Un énoncé donné, dans une conversation,ne possède pas un sens que son locuteur lui aurait attribué une foispour toutes (que ce sens soit le sens littéral ou non) ; cet énoncén'acquiert un sens que dans le jeu subtil de négociations, jeu dontles deux conversants sont les acteurs et qui conduit à lastabilisation provisoire d'un sens dont aucun des deux n'estpropriétaire.

Co-responsables de cette stabilisation du statut interlocutoiredes énoncés successivement produits, les acteurs de l'échangeinterlocutoire participent à la co-construction du sens de ces formeslangagières qui tissent la conversation. En reposant sur l'idéeessentielle que le sens est co-construit, de façon processuelle etradicalement dialogique, cette façon de modéliser la conversationparticipe d'une perspective constructiviste (Brassac et Stewart,1996). Point n'est besoin de postuler l'existence d'un senspréexistant tant à l'expression qu'à la compréhension de la formelinguistique proférée en contexte. Il suffit d'accepter l'idée simpleselon laquelle les interactants, immergés dans un potentiel

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subtilement impermanent de sens, le façonnent conjointement etprocessuellement et ainsi en font émerger un sens provisoire ettoujours négociable. C'est cette façon d'appréhender l'échangeconversationnel que nous mettrons en œuvre pour développer nosanalyses. Mais voyons d'abord le second versant del'enchaînement des actions des acteurs: la manipulation d'objets.

Conception située et objets intermédiairesFaire intervenir les objets intermédiaires dans nos analyses des

agissements des acteurs fait l'objet d'une théorisation beaucoupplus fruste et beaucoup plus récente de notre part. C'est leurévidente importance dans les échanges entre les acteurs ensituation de conception, importance qui nous est apparue au coursdes nombreuses analyses de corpus que nous avons réalisées(Grégori, 1999; Grégori et al., 1998; Brassac et al., 1997;Grégori, 1996), qui nous a conduit à prendre en compte leur intérêtthéorique.

Le couplage au monde physique de l'entité cognitive estéminemment central dans l'ensemble du paradigme de la cognitionque les micro-sociologues d'obédience ethnométhodologique ontqualifié de «située» (Conein et Jacopin, 1994). Ce couplagerenvoie à la relation entre cognition et technique (Havelange et al.,1999), c'est-à-dire qu'il donne une place essentielle à l'outil, àl'instrument, à la prothèse et plus généralement à l'objet dans lephénomène cognitif humain. C'est dans cet ordre d'idées que lestravaux menés au sein du laboratoire CRISTO(inspirés des thèseslatouriennes) auront abouti à la notion d'objets intermédiaires(Jeantet et Vinck, 1995, Jeantet et al., 1996). Sans détaillerl'argumentation développée pour en montrer l'importance dans lesdispositifs industriels touchant à la conception - voir pour celal'exceHent article de Jeantet (1998) - nous allons brièvementexposer en quoi cette notion nous est utile et comment nousproposons, dans le cas de nos mises en situation, de déclinerl'adjectif « intermédiaire ».

Il est clair que différents types d'objets sont mobilisés dans lesdiscussions entre acteurs. À étudier les phénomènes en jeu dans cesconcertations autour de l'artefact à élaborer, il apparaît que certainsde ces objets jouent un rôle capital dans une prise de décision,fixée par exemple par l'inscription de tel ou tel signe dans un

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schéma, l'écriture de tel ou tel mot sur un programme de travail oul'ouverture à l'écran de telle ou telle fenêtre qui fait surgir unpossible de développement. Nous avons déjà discuté de cettequestion à divers endroits et à propos de diverses situations deconception. Ainsi, le rôle et l'enchaînement dynamique de diverstypes de dessins et maquettes dans le processus de conception d'undispositif de mise en place et de maintien de plaques en bois surune machine-outil a été mis en évidence (Grégori et al., 1998). Plusprécisément, nous avons décrit comment un tableau dessiné parl'un des participants devient un objet qui ponctue un instant décisifdu processus de conception par le fait qu'il rassemble des famillesde solutions technologiques potentielles, tout en soutenant dans lecours de son utilisation un processus de décision portant sur lechoix d'une des familles de solutions.

Nous avons également observé, lors d'une rédaction distribuéed'un manuel utilisateur (Grosjean et Brassac, 1998),l'irréversibilité produite par le traçage d'un trait séparant deuxparties distinctes. Ce faisant, le rédacteur, interprétant en acte lesouhait de l'utilisatrice, rend perceptible par les acteurs le fait quele manuel comportera deux parties alors que la discussions'orientait vers une solution en deux volumes. Dans ces cas,l'usage de l'objet 'papier-crayon' constitue un intermédiaireefficace entre eux, qui s'actualise en une décision en acte quiéchappe à l'analyse du seul enchaînement interlocutoire.

Première conclusionEn fait dans les travaux que nous avons déjà conduits sur cette

question (qui ne sont pas tous liés à une situation de rédactioncoopérative), nous montrons en quoi les objets mobilisésacquièrent une fonction d'intermédiation sur trois plans: unintermédiaire entre le sujet et le monde (permettant l'ancrage duprocessus cognitif sur l'environnement physique, le versant situé),un intermédiaire entre les acteurs (permettant la constructioncommune d'une cognition dont ils sont co-responsables, le versantdistribué), un intermédiaire temporel entre l'avant et l'après-décision, agie conjointement.

Nous envisageons systématiquement les acteurs comme étantco-responsables de la suite de décisions formant le processus deconception en prenant en compte le fait que le déroulement

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phénoménologique s'étaye sur la manipulation par ces mêmesacteurs d'objets du monde. Autrement dit, ce SQntles agissementsdes interactants, sous leur double aspect «langagier» et« manipulation du monde physique », qui sont l'objet de notreanalyse de l'interaction cognitive, mise au centre de la situation deconception collaborative.

Un exemple de rédaction collective

Avant de présenter le cas qui nous occupe ici, nous évoqueronsrapidement les projets de conception conduits en interdisciplinaritéde notre point du vue de psychologues. L'objectif de ces six projetsest de proposer aux acteurs industriels une mise en situation où desopérateurs, à expertises différenciées, sont placés autour d'unproduit ou d'un système de production à concevoir. Certains de cesproduits sont des objets «concrets », «matériels» (une table decontournage, un outil pédagogique multimédia), d'autres sont plusprécisément des textes (un document-utilisateur, un programme detravaux forestiers). Dans les premiers cas, il y a évidemment desproductions de traces écrites, sans que cela soit le but de la tâche;dans les seconds, le produit ultime est à proprement parler untexte... qui n'est pas produit lors de la séance même (seuls desbrouillons le sont). Dans celui qui nous occupe ici, les acteursréalisent effectivement, dans l'ici et maintenant de la réunion, uneaction de scription. C'est cette action conjointe, dont nous allonsd'abord présenter le cadre, qui fait l'objet de notre analyse.

Une situation de multi-expertiseL'objectif du projet est d'étudier la reconception d'une cotation

fonctionnelle d'un dessin industriel. Ce projet se déroule dans lecadre du service de formation d'une grande entreprise grenobloisequi produit du matériel électrique. Il a été financé par leprogramme GIS-Sciences de la Cognition. Ce travail est réaliséavec la collaboration des laboratoires suivants:- Ie CRISTO (Centre de Recherche: Innovation Socio- Techniqueet Organisations industrielles), laboratoire de SociologieIndustrielle de l'Université Pierre Mendès-France (Grenoble),associé au CNRS,

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- le L3S (Laboratoire Sols, Solides et Structures), laboratoire demécanique associé à l'Université Joseph Fourrier (Grenoble), àl'Institut National Polytechnique de Grenoble et au CNRS,- l'Université de Technologie de Belfort Montbéliard,- le GREYC (Groupe de Recherche en Informatique, Image etInstrumentation de l'Université de Caen), département des Sciencesde l'Ingénieur, CNRS/URA 1526.

La situation de conception rassemble cinq individus, quatredessinateurs-projeteurs de l'entreprise et un chercheur enmécanique qui y occupe une position d'observation participante.Ces cinq acteurs sont autour d'une table sur laquelle est posé undessin de type industriel. Ce dessin est un plan de définitionl qui aété créé par un bureau d'études de cette entreprise. Ce plan a faitl'objet d'un nombre important d'allers et retours entre lefournisseur et le bureau d'études, car il présentait de nombreusesdéfaillances.

Les dessinateurs sont réunis là à l'occasion d'une session deformation sur la cotation fonctionnelle qui a débuté par une sortede cours sur ce sujet dispensé par un formateur. L'exercice, réel,consiste pour eux à reconcevoir l'ensemble de la cotationfonctionnelle du plan de définition en s'appuyant sur un dispositifde normes dont le «réapprentissage constitue le sujet de lasession2. L'ensemble de la séance est filmé à l'aide de deuxcaméras; l'une est pointée sur le groupe, l'autre est fixée auplafond de la salle et permet de voir le plan et les bras et mains desacteurs qui agissent sur ce plan. La séance dure une heure et quinzeminutes. Elle est immédiatement suivie d'une séance de retourd'expérience qui est aussi filmée et dure quarante minutes. Nous neprésentons ici qu'une petite partie de l'analyse que nous avonsréalisée, relative à un moment important de la recotation

--------------------I Le dessin de définition détennine complètement et sans ambiguïté les exigences fonctionnellesauxquelles doit satisfaire le produit dans l'état de finition prescrit. Il est destiné à faire foi lors ducontrôle de réception du produit. Un dessin de définition doit être coté fonctionnellement"(Chevalier, 1999).2 Destiné au fabricant, le dessin de définition doit être .. coté fonctionnellement " afin d'assurerau bout du compte les conditions normales de fonctionnement du produit. .. Coterfonctionnellement un dessin, c'est faire un choix raisonné entre ses diverses dimensionsgéométriquement équivalentes et ne coter et tolérancer que celles d'entre elles (dites "dimensionsfonctionnelles") qui expriment directement les conditions d'aptitude du produit par l'emploi prévu(dites "cotes conditions")" (Chevalier, 1998).

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fonctionnelle d'un plan, la détermination d'une face de référence3.Voyons d'abord le cadre.

Les quatre domaines d'activités de l'entreprise sont représentésdans la séance: la basse tension terminale (BTT), la basse tensionpuissance (BTP), la moyenne tension (MT) et la haute tension(HT). Les acteurs correspondants sont respectivement nommés(dans le corpus et l'analyse) S3, S4, SI et S5. L'ingénieurmécanicien a pour nom S2. On peut décrire rapidement lesdifférences entre les domaines d'expertise à l'aide des paramètrescaractérisant les produits qui y sont réalisés.

Taille indicative des produitsBIT boîte d'allumettesBTP petite valiseMT armoireHT transformateur, pylône

Caractéristiques techniquesBIT JOOampèresBTP 6000 ampèresMT 36 kilovolts, 17 000 ampèresHT 600 kilovolts

Quantité d'exemplairesBITBTPMTHT

plusieurs millions300 0005000quelques unités

Ces différentes branches relèvent de cultures distinctes (leterme de culture est utilisé spontanément par les acteurs).L'éparpillement est bien traduit par le formateur qui dit, à la fin decette description, « Ils ont tous un métier de dessinateur mais avecdes problématiques très, très différentes» (lh49'32"). Enpoursuivant, il insiste sur leurs positions communes vis-à-vis de laconception: « C'est des activités qui n'ont rien à voir,effectivement, ils n'ont pas du tout les mêmes problèmes, maisd'une manière globale, les problèmes de conception sont lesmêmes quoi qu'on dise, ils sont amenés à déterminer les mêmescotes fonctionnelles.» (lh50'24"). En fait, et malgré ce «quoiqu'on dise », il est clair que les origines-métiers des dessinateursles placent de façons très différenciées vis-à-vis, précisément, deces questions de cotations. Beaucoup de leurs dires, énoncés au

--------------------3 On trouve l'analyse complète dans (Brassac, 2000).

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SI

S2

PLAN

S3

cours même de la séance de reconception, le prouvent. Nousverrons plus loin que ces appartenances, corrélées aux « habitudespratiques» des uns et des autres, font le ciment de l'inscriptionconjointe du repérage d'une face de référence que nousanalyserons.

Les acteurs sont disposés de la façon suivante autour de la table.La distance entre les acteurs fait en sorte que chacun d'entre euxpeut écrire sur les trois quarts du plan. La caméra qui filme legroupe est située face à SI. L'autre surplombe la table.

S5

S4

Dans le dispositif matériel qui forme le cadre del'enregistrement (salle, tables et chaises, caméras et microphones,paperboard), trois catégories d'objets sont particulièrementimportantes pour ce qui concerne le travail effectué par lesparticipants:- la première catégorie est la documentation personnelle oucollective des dessinateurs. Au sein de cette dernière, bien sûr ladocumentation fournie par le formateur au cours du coursinaugural. Elle a trait à des systèmes de normes en vigueur dansl'entreprise et à une sorte d'algorithme de conception d'unecotation bien faite;- la seconde catégorie d'objets est constituée par des espacesd'inscription: des blocs-notes personnels et surtout le plan àrecoter. Il s'agit d'un plan de définition d'un capot de disjoncteurqui relève du domaine de la moyenne tension. Les acteursregardent le dessin de définition quasi constamment; ils pointent,avec le doigt ou avec des crayons de papier, sur telle ou telle de sesparties de façon extrêmement fréquente; tous les acteurs, à unmoment ou à un autre, écrivent sur ce plan;- la troisième catégorie d'objets est constituée par les instrumentsd'inscription. Plusieurs crayons de papier sont disponibles, ils sontutilisés par les uns et les autres; une gomme est utilisée une fois.

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Une intense activité de traçage marque l'ensemble de la séance.Cette activité est distribuée sur tous les membres, elle accompagnele discours collectif de façon continue. Elle s'appuie sur des outilsd'aide à l'inscription (la documentation), sur les instrumentsd'inscription (les crayons de papier et la gomme) et sur le supportd'inscription (principalement le plan).

La progression de la séance de travailRappelons que la tâche du groupe est de prendre connaissance,

d'analyser et de recoter fonctionnellement le plan. Seul SIleconnaît déjà; il provient de son domaine d'expertise. Les acteursont l'édition originale. En tout début de séance, SIen fait unebrève présentation synthétique d'une minute, alors qu'il est sousles yeux de tous. Deux grandes périodes marquent la séance. Dansla première, les participants accomplissent la procédure indiquéesur la « grille d'analyse des plans» fournie lors de la formation (deOhO'O" à Oh55' 10"). Dans la deuxième, ils procèdenteffectivement à la recotation (de Oh55'10" à IhI6'45").

La première période se termine sur la détermination desréférentiels à propos de laquelIe les acteurs ont des habitudes, destraditions différentes relativement à cette question. Voyons parexemple cet échange qui apparaît au temps Oh39'57" :

55,1 CeUe là ceUe là moi je la coterais pas comme ça personnellement [pointage actif

avec le crayon (tapotement sur la cote concernée)]84,1 on vient de deux secteurs différents55,2 ouais c'est ça le problème84,2 et c'est vrai que nous on (:) [geste des deux maills dirigé vers le torse du locuteur]

83,1 on part toujours on fait les référentiels et on part tout du référentiel84,3 on part d'un référentielS 1,1 tandis que nous on peut avoir cinq référentiels différents sur la même pièce c'est pas

gênant

Dans cet extrait, les quatre domaines s'expriment par la voix deleur représentant. Le premier triplet d'énoncés marque l'écart HT(55) et BT (54) ; le second triplet, la proximité entre les deuxcatégories de basse tension (BTT et BTP, S3 et 54) ; la dernièreintervention indique la pratique particulière du domaine MT (S1).Quelques minutes plus tard, il s'agit de déterminer de façonconcrète la première face de référence qu'ils nommeront A. C'estce que nous allons examiner maintenant.

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L'inscription conjointe d'une face de référence

- Première étape:Comme nous l'avons déjà dit, la détermination de la nature

fonctionnelle ou non d'une cote nécessite la désignation des facesde références (ou faces d'appui) à partir desquelles cette cotationfonctionnelle pourra s'effectuer. Il y aura au bout du compte quatrefaces de références. Dans les douze premières minutes de laséance, les acteurs discutent de certaines caractéristiques endésignant le plan, vaguement ou précisément, avec le doigt, lamain ou le crayon, Un long silence de quinze secondes clôt ladiscussion relative aux trois premiers points de la grille d'analyse,À ce moment, rien n'a été écrit sur le plan. La décision de noter cesfaces de références se noue alors en un instant au cours de cetéchange à trois (à OhI2'43") :

S3,I est-ce qu'on pourrait peut-être marquer au crayon sur le plan ou j'sais pas quoi lesfaces de références non de départ pour pouvoir

SI,I oui ouiS3,2 après réagir sur la cotation [mouvement circulaire de la main tellallt le crayon]S 1,2 donc là tu peux mettreS5,I tiens [tend Wi crayon à Si]SI,3 je n'ai qu'un stylo rouge (.) [prend le crayon] donc [et l'approche du plan]S3,3 on fait là [pointage sur l'ouverture avec son crayon]

L'énoncé S3,1 dont la forme syntaxique est celle d'une question(est-ce-que), est traité simultanément par SI et S5 de deux façons.En disant oui oui, alors même que S3 continue à parler en donnantla justification de ce qu'il dit, SI donne un élément de validationd'une part à cette justification et d'autre part au bien fondé de laquestion. Plus, SI en s'appuyant sur le pronom personnel on utilisépar S3, instancie l'énoncé de S3 (littéralement une question)comme une suggestion, une proposition d'action collective. Defait, c'est à deux qu'ils vont, conjointement, y satisfaire (au senstechnique), En effet, SI agit doublement dans ce sens: (i) aprèsavoir acquiescé, en surimpression du tour de parole de S3, ilpoursuit en utilisant un donc là tu peux mettre; ce faisant il débutela satisfaction effective de la suggestion (qu'il est en train de faireémerger); (ii) il saisit l'instrument de marquage, le crayon,nécessaire à l'action que S3 mentionne dans son dire (peut-êtremarquer au crayon). Cette action de saisissement est le résultat

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d'une coordination fine entre SI et S5. Habitués à avoir lapossibilité de gommer les inscriptions sur un plan, ces deuxdessinateurs savent qu'il faut écrire au crayon. S5, depuis le débutde la séance a vu son voisin immédiat écrire sur son bloc-notesavec un stylo rouge. Alors que SI est en train de manifester unaccord avec l'idée de marquage des faces de références, 55propose l'outil adéquat à 51 : il tend le crayon de papier. C'estdonc conjointement qu'ils se mettent en posture de répondrepositivement à ce qu'est en train de devenir S3,1, une suggestiond'action collective. Tout au long de cet échange, les acteurs ont lesyeux rivés sur une partie du plan (qui va être le point defocalisation pendant un bon moment) : l'ouverture située en bas dudessin.

Il est important de noter que l'énoncé 53,1 aurait tout aussi bienêtre suivi d'un « oui oui on poulTait » qui aurait été parfaitement àsa place comme réponse positive à ce que serait resté (tout dumoins localement) une question. La non-maturité du grouperelativement à cette décision d'action, ou l'insuffisance de lacoopération entre les acteurs aurait pu par exemple motiver cetteréponse certes positive (à la question littérale), mais constituantune fin de non-recevoir par rapport à une éventuelle suggestionimplicite. Ce qui est encore plus important selon nous, c'est quec'est l'action conjointe des acteurs qui aura finalement donné àS3,1 un statut interlocutoire de proposition d'action. C'est parceque SId' abord, de façon simplement langagière, puis S 1 et S5ensuite, en manipulant un instrument d'inscription, interprètent enactes le dire de S3, que la décision (tout à fait centrale pour cegenre de discussion de travail) est agie. On a là, très clairement,une intrication de dires et de faires qui attribuent une valeuractionneIle à un énoncé. Cette attribution est crucialement située et,bien sûr, elle est distribuée en ce sens où les acteurs en sont co-responsables. Nous n'assistons pas à une action groupaleséquentielle du type: a) on discute, b) on prend une décisiond'inscription, c) on se donne le moyen, d) on inscrit.

Nous assistons à une action collective de décision portée par lerapport qu'entretiennent les acteurs entre eux et qu'ils entretiennentavec le monde physique. La décision et sa mise en œuvre sontintrinsèquement liées. Le processus ne se situe pas dans un espaceintersubjectif qui mettrait en scène les seuls locuteurs idéaux gérant

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logiquement une idée; il s'ancre sur des objets (le plan existant, lecrayon) manipulés par des entités cognitives incorporées et ancréesdans le monde. À cet instant la partie du plan concerné n'a pas ététouchée et elle se présente comme suit:

Figure 1 : État de la marque au temps t1

+0.12 Lumi~res6.1 -0 xl0

de La i L ech .. 2

Les interventions de SI et S5, en fait entrelacées et reliées parl'action de coordination gestuelle, constituent le deuxième tempsde la co-construction de sens. En réplique à S3,1 (l'énoncé estlittéralement une question et devient en temps réel une suggestion),les énoncés et l'action conjointe (autour du crayon) constituent laproposition d'actualisation d'un des éléments du potentielsignifiant de S3,1. Cette simple proposition est-elle ratifiée par lelocuteur initial? Oui, elle l'est... là encore de double façon. S3marmonne un on fait là qui avalise l'interprétation en actes de sescollègues d'autant qu'il joint le geste à la parole en pointant trèsprécisément avec la pointe de son stylo le trait qui fait axe del'ouverture. À ce moment seulement, le groupe aura stabilisé unsens: la valeur actionnelle de suggestion de S3,1.

Ce mouvement intercognitif est évidemment tout à faitfondamental pour la suite de la séance. N'oublions pas en effetdeux choses: (i) rien n'a pour l'instant été écrit sur le plan, (ii) latâche de ce groupe est de recoter ce plan. La décision prise à troisouvre la voie à toute une série d'inscriptions dont les premièressont les faces de références. À cet instant précis (Oh12'58"), SI n'aencore rien tracé. Les acteurs se sont mis en position de tracer mais

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le processus n'est pas encore finalisé. La décision est prise demarquer la face de référence A. Nous allons voir que l'écritureeffective de cette référence est encore plus intéressanterelativement aux caractéristiques cognitives qui nous occupent.

-L'inscription de la face de référence :Effecti vement réalisée au temps Oh15' 34", elle s'effectue en deuxtemps: une marque incomplète (M I) à Oh13' 14" par SI, unemarque complète (M2) à OhI5'34" par S3. Encore une foisl'analyse de la dynamique rend manifeste l'intrication des énoncéséchangés et des traçages au crayon effectués. L'histoire de cetteinscription s'articule comme suit

t3 Oh14'04"

simulacre d'inscriptiontraçage de la marque Ml

discussion à propos de la face A

S3" hein donc c'est cette face-là après dO/lc ça va /lOllS... "discussion sur la face Btraçage de la marque M2traçage de la marque analogue pour la face B

t\t2

Oh13'08"Oh13'14"

t4t5

Oh15'34"OhI5'44"

Pour le dire rapidement, quatre moments sont des moments-clés. En t1, 51 fait, sous les yeux de tous, un simulacre de traçage(il fait le mouvement du crayon à l'endroit où il faut mais sans leposer sur la feuille). En t2, il répète le mouvement en posant lamine (marque incomplète Ml, non normalisée). En t3, une petiteminute après, 51 clôt la discussion à propos de cette face A et unediscussion à propos de la face B s'amorce. En t4, 53 effectue letracé final (marque complète M2, normalisée) sans que cette faceA soit verbalement évoquée. En t5, en pleine discussion sur la faceconcernée, S3 inscrit la référence B. On voit immédiatement que letraitement de la face B est très différent de celui de la face A,comme si l'autre avait 'profité' de l'histoire de l'une. En tout cas, iln'y a pas d'écart entre la discussion et l'inscription pour la face Balors qu'il existe pour la face A. C'est cet aspect différé que nousallons analyser maintenant.La marque incomplète Ml

Voici l'extrait conversationneI qui comprend les temps tl et t2(à OhI2'59").SI,1 donc même en théorie du fait qu'elle est montée [mouvement de la main refermée sur

le stylo vers l'autre ouverture] dans ce sens là ça serait YU le poids ça serait même

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plutôt qu'être l'axe ça serait le sommet du (:) [tl] [mouvement alternative de la poillte

du crayon au dessus de ce sommet el! regardant 83]S3,I ah oui bien sûrSl,2 hein on est d'accord là-dessus tout le monde [se tourne vers 84 et 85]S3,2 absolumentS4/SS, loui ouiS 1,3 donc [t2J ce serait cette face là [tracé du trait]quillSS,2 celle du dessus/!

Sl,4 la face entre les deux hein( : parce quell

SS,3 c'est celle du dessus [poilltage avec le doigt] pas celle du dessous il descendSI,S [dépose le crayon sur la table]

Il s'agit pour le groupe de repérer la première référence à partirde laquelle l'ensemble de la cotation s'effectuera. C'est un momenttechniquement très important pour ces dessinateurs en formation.SI, qui provient de la moyenne tension et qui a apporté le plan,propose un emplacement. Ce capot est une pièce d'aspect quirecouvre un mécanisme électrique qu'il faut cacher. Il est fixé àl'aide de vis qui passent dans les ouvertures (que nous avons déjàévoquées). Il explique que donc c'est le sommet du... qui forme laréférence. Là encore l'absence de vidéo et d'indications de lagestuelle rendrait impossible l'analyse. En faisant le mouvementavec la main il signifie à tous que l'effet de la pesanteur s'effectuedu bas du dessin vers le haut du dessin. Autrement dit, allié àl'assertion au conditionnel ça serait vu le poids, le geste forme lacondition préparatoire à ce qu'il profère après ça serait le sommetdu Il est clair qu'il n'y a pas d'ambiguïté pour le groupe sur lecontenu de ce du. Le pointage précis avec la pointe du crayon surla zone du plan la rend impossible. Voici, soit dit en passant, unefonction très pertinemment médiatrice de l'objet intermédiairequ'est le plan. En disant ah oui bien sûr, S3 satisfait, avec un degréde force élevé (le bien sûr) l'assertif ainsi réalisé effectivement parSI. Le meneur de jeu réagit à cet assentiment en le reformulant(S 1,2). Il le fait en se tournant vers les deux autres acteurs (lemoment est techniquement fondateur de la suite des discussions,tout le monde «doit» être d'accord). Ceci a pour fonction derelancer la suggestion vers l'ensemble des dessinateurs.L'acquiescement collectif, répété par S3 (avec augmentation de saforce, absolument) et proféré à l'unisson par 54 et S5, stabilisedéfinitivement la force décisionnelle ainsi que la pertinencetechnique de SI, 1.

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Il est très important de noter qu'à cet instant, la trace n'est pasréalisée! La véritable actualisation de la décision, qui vient d'êtreco-construite dans la seule interlocution qui met en scènel'ensemble des quatre dessinateurs sans exception, ne s'agitmatériellement que lorsque le crayon, objet tout à fait fondamentald'inscription, laisse des traces de graphite à l'endroit voulu.

SI écrit effectivement après l'énonciation d'un donc résumantl'accord général, alors même qu'il dit ce serait cette face-là.L'indexical est là encore non ambigu du fait de l'ancrage immédiatsur l'état du monde, l'ouverture concernée. Ce faisant, il a acquis laresponsabilisation du groupe sur cette première face de référence.Si le processus cognitif conjoint n'était, avant cette inscription, quediscursif, il restait encore bien labile. Il devient plus stable après letraçage - ce qui ne veut pas dire qu'on ne pourra revenir en arrière(c'est d'ailleurs ce qui arrivera à la face de référence B pargommage). Mais la discussion de la redéfinition de ce qui estfonctionnel ou non s'appuie sur une irréversibilité qui est unealtération pérenne du monde: le dessin a été modifié (ce fut lapremière fois dans la séance). Le plan acquiert une dynamique quiva étayer la dynamique cognitive du groupe. Le plan acquiert unevie d'objet qui devient, de ce fait, acteur de la conception. La tracea alors la forme suivante:

Figure 2: État de la marque au temps t2

+0.12 lumières 6.1-0 xl0

---. .......-

...r.:.., . .

detdiL ech 2

Cette forme n'est pas aux normes. Elle est le résultat d'unprocessus marqué par I'hésitation et par la nécessité de consensus

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général. Il s'agira de la normaliser. C'est la seconde étape de sadynamique d'objet que nous allons voir maintenant.

La marque complète M2Une discussion sur la validité du choix de cette face pour

référence suit le marquage incomplet. Cette discussionmontre la relative hésitation du groupe à son égard. En fait,au bout d'une demi-minute l'accord se réalisera, condensédans l'énoncé suivant de S3 (à Oh14'05")

S3 hein donc c'est cette face-là [pointage avec crayon] après donc ça va nous euh(mouvement avant-arrière de la main] nous guider comme ça

suivi immédiatement de l'assentiment général. Ce momentd'accord, qui fait s'évanouir l'hésitation du groupe, n'est pasaccompagné de marquage sur le plan. Ce moment au contraire sepoursuit au plan simplement langagier par une discussion relative àla seconde face de référence à repérer. À cet instant, la notati0!5està moitié réalisée, en tout cas de façon non normalisée, l'hésitationa disparu, la suite du déroulement de la conception est en marche.Ce n'est qu'une minute et vingt secondes plus tard que l'inscriptionsera réalisée correctement.

Voici l'extrait conversationnel comprenant les temps t4 et t5(début à Oh15'17") :

SI,I pas ici hein il appuie au niveau de la tôle là c'est le plastron de la commande qui enfin

il peut être en appui sur la le plastron de la commande c'est ce qui limite son effet mais

c'est pas fonctionnel çaS3,I d'accordSI,2 ça c'est en fait que ça vient recouvrirllS5,1 c'est ta face de derrière (t4] [53 écrit .wus forme

normalisée la marque de la face Al qui est fonctionnelle ça vient taper euhSI,3 oui83,2 on a une face iciSI,4 hmmS5,2 l'autre elle est derrièreS3,3 on a une face là on une face ici81,5 ben moi j'aurais mis plutôt c'est la fixation qui fait hein//83,4 c'est la fixation hein (tS]

[écrit sous/orme nonnalisée la marque de la/ace B]8 l ,6 quifait la hauteur83,5 et il nous reste un axe à noter

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Dans toutes les interventions de cet extrait, une seule concernela face A, il s'agit de S3,2. Nous sommes là au cœur de ladiscussion concernant la face B. On en voit des traces dans le faitque les acteurs cherchent l'endroit où appuie le capot dudisjoncteur. C'est en effet cet appui qui détermine la référence B.En voici les traces langagières:

- il appuie au niveau de la tôle là

- il peut être ell appui sur la le plastroll

- ça viellt taper euh

La conduite de S3 est alors tout à fait intéressante. Ayantparticipé en amont à cette discussion sur la face B, il entérine sonaccord en S3,1. Ce faisant, il commence la notation relative à laface A alors même que l'échange se poursuit entre SI et S5. Iltermine l'inscription au moment où il dit S3,2. Autrement dit, le icide cette intervention renvoie à la face A (dont on ne parIe pasdepuis une minute et vingt secondes). En fait il agit de la sorte defaçon quasi subreptice; il est nécessaire pour la suite du travail dugroupe que cette référence (qui est à cet instant à moitié marquée)soit correcte. Il annonce langagièrement cette action manuelleaprès avoir produit l'inscription. On voit là une différenceconsidérable avec le début de la discussion à propos de cette facelorsque SIen faisait un simulacre! On voit là également un écartimportant avec ce qu'il va advenir de la notation normalisée de laface de référence B.

Contrairement à la face A, le marquage normalisé de la face Bva en effet se nouer en quelques secondes. La décision et l'actiond'écrire, toujours largement intriquées, se produisent en effetimmédiatement. Juste après S3,2, on ne parle plus de la face A.Lorsque S3 poursuit en disant on a une face là on une fact! ici il nepointe plus du tout au même endroit. Il désigne la zone dont i1vientd'être question dans la discussion qui se termine. Les là et ici deS3,3 sont référés à l'aide du crayon de façon identique. Toutl'effort est dirigé vers la seconde face. Je ne détailJe pas ici leprocessus d'inscription de cette dernière. En quelques instants, ilest finalisé. En disant il nous reste en S3,5, S3 fait, comme à sonhabitude, avancer le travail vers les deux dernières faces deréférence à déterminer. À cet instant, la marque est complète etnormalisée; eUe se présente comme suit:

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face de référence A face de référence B

tl 0'0" simulacre

t2 0'6" traçage non normé

t2 ---> t3 discussion

t3 0'54" acte décisif langagier

t3 ---> t4 discussion

t4 2'26" traçage normé discussion

t5 2'36 traçage normé

Figure 3 : État de la marque au temps t4

+0.12 Lumières 6.1-0 xl0

I

ech 2 I< I

I"

Nous n'avons pas proposé d'analyse détaillée de la discussion-inscription de la face de référence B. Nous avons été un peu plusen profondeur pour ce qui concerne la face de référence A. Celadit, il est clair que les processus intercognitifs qui se sont déployéssont très différents. Le tableau suivant tente de le montrer (le vided'une case signifie que rien ne s'est passé).

Tableau 1 : Déroulement des traçages des deux marques

Dans le cas de la référence A, la discussion est une discussionqui suit et justifie la proposition et sa première stabilisation partraçage (au cours du laps de temps t2-t3). En revanche pour laréférence B, la discussion précède et prépare la décision-inscriptionqui est, en fait, le choix de la face d'appui (au cours du laps detemps t3-t5).

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Dans le cas de la référence A, la décision s'effectue en troisétapes espacées dans le temps; il y a discontinuité du processus quiaboutit à l'irréversibilité. Ce n'est pas le cas pour la face B, pourlaquelle la décision s'opère dans la continuité temporelle. Pourcette dernière il n'y a pas d'hétéronomie de nature de l'action ni detemporalité. L'intrication des dires et des faires s'inscrit dans unespace-temps compact. La concertation relative à la face As'organise en revanche de façon hétéronome. Certes les actionslangagières et non langagières sont présentes. Mais elles sontparfois contiguës (lors du simulacre suivi par le tracé non normé),parfois non contiguës (décision finale en deux temps: t3 et t4distants d'une minute trente).

Nous avons pu montrer ce type de mécanismes différenciés deprise de décision en menant de front une analyse micro et uneanalyse macro des phénomènes conversationnels en jeu. Il n'estqu'à examiner les deux premières colonnes du tableau pour s'enconvaincre. Au plan micro (l'analyse intitulée La marqueincomplète M1) nous avons montré comment le groupe est parvenude façon conjointe à produire une première trace matérielle de sonavancée cognitive. Au plan macro (l'analyse intitulée La marquecomplète M2), nous avons exposé comment cette construction s'eststabilisée dans le temps et en parallèle à un autre travailuniquement langagier de concertation.

Conclusion

Nous conclurons en évoquant l'épistémologie sous-jacente ànotre approche. En terme de phénomènes communicationnels, nousinsistons sur le fait que les interactants en général (et en particulierles acteurs de la situation de conception que nous avons étudiée ici)co-construisent rétroactivement le sens des actes (qu'ils soient delangage ou non). Ainsi, par exemple, lorsque S3 énonceinitialement ce qui peut apparaître comme étant une questionrelative au marquage (qui est si crucial pour le groupe), ce sont lesacteurs du moment conversationnel qui, conjointement, instancientcet énoncé comme ayant un statut interlocutoire de suggestiond'action de groupe. Ce processus rétroactif de stabilisation de sensrepose sur de la gestualité (la coordination des actions de S5 et SI

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autour du crayon qui deviendra l'instrument du traçage). De lamême façon, lorsque plusieurs dizaines de secondes plus tard S3successivement annonce (donc c'est cette face-là) et inscrit lanotation normée de la face, il ratifie à rebours et la pertinence et lesconclusions de la concertation collective. Cette ratification ne sesatisfait pas de la seule diction, elle s'actualise simultanément dansune inscription radicalement altératrice des conditions d'usage dela matérialité ambiante. On a là une construction de sens quis'appuie sur une activité distribuée et située. Ce ne sont pas deslocuteurs qui s'échangent des pensées, qui confrontent leur ditelogique mentale, qui calculent interactionnellement sur desreprésentations. Ce sont des agents qui agissent conjointement, quimodifient continûment le monde physique, qui font advenirinteractionnellement des traces d'opérations cognitives. Nousn'avons pas affaire là à une situation de communication, nous

sommes en présence d'une arène de communiaction@ (Bras sac,2000). Nous adoptons une approche des phénomènesinterlocutoires d'un point de vue épistémologique constructiviste etnon pas cognitiviste.

*

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Johanna Miecznikowski-FünfschillingLorenza Mondada

Université de Bâle

Les pratiques d'écrituredans la recherche scientifique:

planifier et rédiger collaborativement des arguments

Nous nous proposons de développer ici une approchepraxéologique et interactionnelle des pratiques d'écriturescientifique. Pour ce faire, nous allons analyser les activitésscripturales que les membres d'un groupe de recherche collaborantau sein d'un projet scientifique commun déploient au cours de leurtravail ordinaire.

Cette approche nous porte à insister sur la dimension située del'écriture, ainsi que sur son imbrication dans d'autres activités parrapport auxquelles elle se finalise, qui sont notamment des activitésde coordination et de collaboration, où l'interaction sociale joue unrôle fondamental. En introduction nous allons brièvement situercette approche par rapport aux débats en cours dans le domaine dela literacy et par rapport à la question des activités d'inscription ensociologie des sciences. Puis nous allons décrire le terraind'enquête sur lequel porteront nos analyses, constitué de réunionsde travail durant lesquelles des chercheurs planifient et élaborentpar oral et par écrit un ensemble d'arguments en vue de leurprésentation à un colloque. L'analyse, en deux temps, de donnéesenregistrées et transcrites sur ce terrain permettra d'esquisser aufinal une approche des pratiques collaboratives de rédaction enmilieu scientifique.

L'écriture comme activité sociale située

L'intérêt pour les processus d'écriture - et plus spécifiquementpour les pratiques rédactionnelles dans l'interaction - et non pluspour les seuls résultats de ces pratiques, sur lesquels se sont

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focalisées longuement et souvent exclusivement les analyses dutexte et de la textualité, invite à jeter un regard spécifique sur laliteracy en général et sur l'écriture scientifique en particulier.

Les travaux sur la literacy ont en effet souligné depuislongtemps les caractéristiques fondamentales du support del'inscription écrite et ses conséquences cognitives: on a ainsiidentifié parmi les propriétés fondamentales de l'écrit son pouvoirde décontextualisation - permettant des opérations d'archivage, demémoire, de classement, de comparaison et de raisonemmentspécifique - en les opposant à celles de l'oral qui reste lié à lalabilité de la temporalité du flux verbal. Cette approche, que Street(1984) appelle le « modèle autonome» de la literacy, valorise untype de rationalité qui serait spécifique aux cultures lettrées etpropose ainsi une nouvelle version de la thèse du « grand partage»entre cultures primitives et cultures modernes. Si elle a eu le mérited'attirer l'attention sur le rôle fondamental de la matérialité de laparole et sur le rapport entre cette matérialité et les façons deconcevoir le monde (cf. Goody, 1977 ; Ong, 1982), si elle a permisde dégager les traits spécifiques de la langue orale et écrite (Chafe,1987 ; Halliday, 1985), elle a aussi eu tendance à négliger ladimension des activités d'inscription et des usages sociaux del'écriture. Leur reconnaissance permet en revanche de resituerl'écriture dans des contextes praxéologiques socio-historiquesparticuliers, ainsi que dans des «communautés de pratiques»spécifiques (Street, 1984; Baynham, 1995).

Dans ce cadre l'écriture se définit comme un ensembled'opérations pratiques, faisant intervenir des acteurs particuliers,épousant des finalités diverses et pouvant rechercher, entre autres,des effets de décontextualisation, de stabilisation ou d'abstraction.La décontextualisation propre à l'écrit apparaît ici comme unaccomplissement social assuré et conçu comme tel par des acteursen contexte, à travers des procédés situés. Cette conceptionconverge avec un intérêt plus récent de l'ethnométhodologie pourle « texte actif », selon l'expression de D. Smith, qui considère letexte comme organisant le cours d'une action sociale (1990: 121),ainsi que pour les pratiques interprétatives des lecteurs qui leconstituent (McHoul, 1982; Livingston, 1995; Barthélémy, 1999).

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Les activités scripturales - l'élaboration, la lecture, la discussion,la compilation, la citation de textes - marquent de nombreux typesd'activités sociales dans notre culture, parmi lesquelles les activitésscientifiques occupent une place particulière: si on a amplementreconnu que l'écriture et l'imprimé étaient une des conditionsd'émergence de la science occidentale moderne (Goody, 1977 ;Eisenstein, 1991 ; Bazerman, 1987), ce présupposé acquiert uneimportance spécifique dans une conception de la science commeactivité située, incarnée, socialement ancrée. En particulier, laconception que Latour (1985) développe des inscriptions poursuitles débats sur la literacy, en prenant en compte aussi bien lesinscriptions elles-mêmes, les techniques auxquelles elles fontrecours, les processus qui les constituent et qui les transforment, lesréseaux dans lesquelles elles circulent, au sein d'une sociologie desusages.

L'activité scientifique est caractérisée par la transformationincessante des objets de savoir au fil d'inscriptions qui garantissentà leurs re-présentations le statut de « mobiles immuables », i.e. à lafois mobiles pour être diffusés, échangés, communiqués, etimmuables, garantissant la stabilité de leur forme dans sa répétition- tout en pouvant, comme dans le cas des controverses, être ànouveau déstabilisés. Par les pratiques d'inscription, lesscientifiques accumulent des données chiffrées, visuelles et écritesde toutes sortes, font des rapports d'expériences, les reprennentdans des textes personnels ou des brouillons d'articles, en discutentdans des réunions auxquelles ils arrivent avec des notespréparatoires et dont ils repartent avec les notes qu'ils y ont prises,les mentionnent dans des e-mails avec des collègues, après en avoirdiscuté informellement durant le travail ou les pauses, etc. On voitbien que ces processus se situent en amont de la rédaction del'article scientifique: celui-ci n'est que l'aboutissement d'unelongue chaîne de transformations de représentations discursives etvisuelles, le produit de la rencontre, du conflit, de la fusion, de lanégociation de versions antérieures (Mondada, 1995)1.

--------------------1 Cf. par exemple l'analyse par Law (1983) d'une réunion rédactionnelle d'une équipe signantcollectivement un article; ou par Knorr-Cetina (1981) de brouillons successifs d'un articleen ingénieurie alimentaire.

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Le texte ainsi conçu devient un acteur à part entière dans lesprocessus d'élaboration des connaissances comme des décisions -concevable au sein d'un modèle de l'inter-objectivité et nonseulement de l'intersubjectivité (Latour, 1994 ; Vinck, 1999 ;Brassac et alii, 1997 ; Krafft & Dausenschon-Gay, 1999), qui rendcompte de l'intelligence distribuée non seulement entre les acteursmais aussi entre eux et des objets intermédiaires, dont le texte.

Dans ce qui suit nous allons en tenir compte dans une analyseconversationnelle des activités rédactionnelles (cf. Dausendschon-Gay, Gülich & Krafft, 1992 ; Krafft & Dausendschon-Gay, 1997 ;Bouchard & de Gaulmyn, '1997) et plus particulièrementd'interactions au cours desquelles des acteurs sociaux élaborentconjointement des objets de savoir en s'orientant vers leurformulation écrite présente ou future.

Les activités oralo-graphiques dans les réunions derecherche

Les interactions analysées dans cet article ont été enregistréeslors du suivi ethnographique d'un groupe de recherche en histoireancienne, réunissant des chercheurs suisses, français et allemandsdes universités de la région du Haut-Rhin qui travaillent sur les« grands hommes» ayant marqué l'histoire romaine2. Le travailcollaboratif de ce groupe se caractérise par une série de réunions detravail pendant lesquelles des décisions sont prises quant audéroulement du projet, des exposés sont présentés et discutés, descolloques sont organisés. Ces activités peuvent être décritescomme une série ordonnée d'événements oralo-graphiques (cf.Miecznikowski-Fünfschilling, Mondada, Müller, Pieth, à paraître).

Dans le cadre de cette collaboration scientifique entre plusieurspartenaires d'universités différentes, le projet articule des visées

--------------------2 Les données analysées font partie du corpus d'enregistrements et de textes rassemblé dansle cadre du projet de recherche FNRS sur « La construction interactive du discoursscientifique en situation plurilingue» dirigé par Mondada (subside no 1214-051022.97).Nous remercions vivement le groupe de recherche sur les « Grands Hommes» qui nous aaccueillies lors de ses séances de travail, en nous permettant de suivre ses activités et ennous aidant à les comprendre. Sans cette précieuse collaboration, notre analyse aurait étéimpossible.

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communes et des contributions individuelles. En particulier, leschercheurs travaillent sur plusieurs figures de « grands hommes »,sur leur fonction dans la société romaine et sur leur constructiondiscursive dans l'historiographie, en développant chacun uneenquête particulière sans pour autant se spécialiser exclusivementsur une figure ou sur un auteur ou sur une problématique. Ce modede fonctionnement, qui privilégie les échanges et les croisementspar rapport à une division étanche du travail entre les membres dugroupe, pose des problèmes intéressants de coordination et deplanification. L'organisation des activités oralo-graphiques quirythment la vie du groupe joue un rôle important dans leurrésolution pratique.

Les réunions du groupe sont en effet centrées sur des activitésoralo-graphiques qui comportent à la fois la fixation d'objetsscientifiques et leur mise en discussion. Dans ce cadre, la repriserépétée de certains thèmes centraux dans les discussions en groupetend à remettre en question des résultats acquis, alors que les écritsde chaque chercheur sont un moyen de stabilisation. Lesdocuments collectifs décrivant le projet de recherche, ainsi que lesprocès-verbaux détaillés des discussions, destinés à archiver et àprolonger l'état de la réflexion collective, témoignent du mêmesouci de fixation et de stabilisation; les écrits qui émergent de ladiscussion collective et qui sont mis en circulation structurent aussibien l'organisation du travail présent et futur que le fond de savoircommun développé au cours de la recherche.

Dans ce cadre, nous nous intéresserons aux effets configurantsdes écrits tels qu'ils sont rendus observables dans une réunion detravail ayant le but d'organiser un colloque qui marquera la clôturedu programme de recherche. La préoccupation de capitaliser lesacquis sans pour autant renoncer au potentiel créatif inhérent à ladiscussion scientifique a en effet conduit les chercheurs àentreprendre l'organisation d'un colloque final où ils présenterontl'état de leurs recherches - sous la forme d'exposés et, plus tard,d'articles publiés dans les actes -à un public d'expertsextérieurs.

Nous avons choisi d'analyser ici un moment important de lapréparation de ce colloque. Il s'agit d'une réunion d'une journée,organisée le matin autour de trois sous-groupes (a, b et c)travaillant en séances parallèles et autour d'une discussion plénière

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l'après-midi. Elle vise deux buts principaux: la coordination de lapréparation des exposés prévus pour le colloque et la formulationd'un ensemble de thèses résumant les positions du groupe parrapport à trois thèmes structurants du colloque, fixés préalablement(la définition du «grand homme », la problématique de sa« fonction fondatrice» et le rapport entre le « grand homme» et lesnormes sociales romaines à différentes époques). Ces deux tâchesdonnent lieu à des processus complexes de transformation detextes, qui sont représentés de façon schématique (schéma 1) ci-dessous (les données enregistrées correspondent aux moments IIIet IV).

II III IV v VI VII

- projet - textes d'exposés discussions en petitsde recherche provisoires groupes (a, b et c)

- PV > (gr. b, c) moo> ex. la, lb,- anicles - notes prép. 2a, 3a, 3b,- exposés individuelles 4a, 4b, 4d

-transparents --->ex.3c,4c- notes indiv. --->ex. 3d, 3e,3f

visualisésen plenumverbaliséesen plenumex. 2b, 3g, 4'

I

ICoL >ActesLoQ

uEI

Inotes -- m >exposés desindiv. membres du groupe

II--->doc. prép.

envoyé à tous--->discussionles panicip. du exposéscolloque à venirex.3h

Ce schéma montre la façon dont les manipulations de l'écrit etles interactions s'imbriquent et se succèdent dans l'activitéscientifique analysée ici. Les discussions sont précédées etpréparées par des types d'écrits hétérogènes, allant des articles oudes exposés préalablement rédigés aux notes préparatoires, qui sontlus, consultés, cités durant la discussion elle-même; celle-ci laissedes traces écrites dans les notes individuelles prises par lesparticipants ainsi que dans des textes communs (transparents et

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procès-verbaux par exemple) qui contraindront et configureront lesactivités futures du groupe. Il y a donc une multiplicité de textesintermédiaires qui précèdent les articles; c'est sur eux, entenduscomme des lieux d'observation privilégiés des processus derédaction de la « science en train de se faire» que nous allons noustourner - les textes finaux n'existant d'ailleurs pas encore aumoment où nous rédigeons cette analyse.

Nous allons nous concentrer sur deux problématiquesparticulières, en nous penchant d'abord sur les activités deplanification des exposés au colloque, en montrant la façon dontelles comportent des décisions quant à la structuration future dutexte; en analysant ensuite les activités de discussion visant untexte collectif, qui comportent la rédaction immédiate d'écritsintermédiaires et une première formulation d'objets de savoir oùdes positions éventuellement divergentes peuvent être neutraliséesou préservées. Alors que les premières permettent de poser desquestions d'organisation d'activités rédactionnelles futures, lessecondes permettent d'analyser des activités de rédaction effectuéesdans le présent de l'interaction.

Intégrer un exposé dans un colloque: activités deplanification

La planification coUaborative des exposés3 du coUoque est unmode de rédaction conversationnelle projetée dans le futur; lesparticipants s'orientent vers un texte à venir, non encore écrit et quine sera pas écrit durant la séance, où il sera toutefois discuté etpréfiguré. La planification de cet événement touche des dimensionshétérogènes, qui ne concernent pas uniquement les objets de savoirà traiter mais aussi la gestion d'une succession d'arguments,l'allocation du temps de parole, la distribution des responsabilitésdes intervenants, etc. Elle prend en compte l'insertion de chaqueexposé dans le coJloque à venir en tant que réseau de textes oraux-écrits où s'exprimeront des voix individuelles et collectives, où

--------------------3 Les exposés sont des événements oralo-graphiques comportant une performance orale quiexploite un texte préparatoire comme ressource: cf. Bovet (1999); Miecznikowski-Fünfschilling, Mondada, Müller, Pieth (à paraître).

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seront coordonnés des intervenants différents ayant des viséesdifférentes - le projet collectif tel qu'il est conçu par chacun, maisaussi les projets individuels - et réordonnant par leur action et leursdécisions textuelles une série de textes antérieurs en vue d'un textefutur (les Actes du colloque).

La succession des contributions du groupe au colloque estconçue par les acteurs comme créant une architecture thématiquecomplexe. Le colloque sera structuré en trois blocs thématiques,occupant chacun une journée. Ces blocs ne sont pas organisés parla distribution dans chacun d'entre eux d'un objet de savoir distinctet exclusif par rapport aux autres, mais par le traitement de troisaspects différents des «grands hommes» romains sur lesquelstravaillent les participants (cf. supra). Ces trois aspectscorrespondent aux trois lignes directrices du projet de collaborationdu groupe; cette architecture a été choisie pour présenter de lafaçon la plus efficace les résultats élaborés par le groupe au coursde ce projet. Ainsi les participants, qui sont organisés en sous-groupes (a, b, c) de chercheurs travaillant sur le même « grandhomme »ou bien sur une série de « grands hommes» mineurs (c'estle cas du sous-groupe a), vont traiter durant le colloque les troisaspects thématiques proposés par rapport à leur personnage deréférence. Dans ce cadre, un des problèmes de planification lesplus importants qui se pose à eux est celui de décider d'une partquels aspects de «leur(s)>> personnage(s) seront traités dans lecadre de quel bloc thématique et d'autre part quels aspects seronttraités par quel chercheur. Le groupe (a) se trouve confronté à desproblèmes supplémentaires parce qu'il doit présenter plusieurspersonnages à la fois.

Dans ce qui suit, nous proposons l'analyse des extraits dediscussions des sous-groupes (a) et (c) pour illustrer ces problèmesplanificatoires et rédactionnels. Les deux exemples que nous avonschoisis révèlent l'orientation des acteurs vers des postulatsnormatifs généraux tels que la clarté ou l'absence de redondance(extrait 1), mais aussi vers des propriétés plus spécifiques del'hypertexte que constitue le colloque, comme la progressionargumentative du général vers le particulier, ou le passage d'uneprésentation de faits historiques vers une problématisation desconcepts scientifiques utilisés pour décrire ces faits (extrait 2).

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«Parler à deux» : l'orientation vers des normes textuellesgénérales

Le premier exemple consiste en deux passages tirés de la séancede planification du groupe Ca), illustrant deux stades d'un longprocessus de négociation. Le problème qui se pose à ses membres,A, R, M et B, est celui de décider s'ils veulent faire un seul exposésur les cinq «grands hommes» ou deux exposés sur les trois« aspirants à la tyrannie» d'une part et les deux « homines novi »de l'autre.

1M23456M789lOA11 (2,5 s)12M ils ils forment uneentité/13A mhm«6 lignes omises»20 R d'un autre côté/ .enfin je sais pas si: un exposé de cette

21 manière-LA avec une si stricte euh: dichotomie22 A est-ce qu'on pourrait justement23 R <l'idéal ça serait de se trouver une problématique commune «en riant»> )4

Extrait la (HR30049/BAlgr.A1/217-44

=à moins de faire euh q- quand même un les les bon euh. jedirais deux deux sous- parties/ enfin les les aspirants à latyrannie proprement dits/ . et puis ensuite euh vos vos deuxhomines novi/(4s)

avec quand-même un point bon un dénominateur communi maisquand-même peut-être faire une différenciation/ . parce que.ce qui m'embête les trois les nos trois aspirants ils formentquand-même toujours un groupe/ du moins [à p3l1ir de Cicéron/

[oui

Cet extrait contient deux premières propositions d'organisation,l'une énoncée par M et l'autre par R un peu plus loin. Juste avantson début, R avait posé le problème pour la première fois. M

--------------------4 Conventions de transcription:[ chevauchements pauses(2 s) pauses en secondes xxx segment inaudible

/ \ intonation montante/descendante exTRA segment accentué«rire» phénomènes non transcrits: allongement vocalique< > délimitation des phénomènes notés entre « »par- troncation& continuation du tour de parole enchaînement rapide(Les documents écrits sont reproduits en tenant compte de la disposition originale; ils sontencadrés.)

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exprime sa préférence pour la solution consistant à distinguer deuxsous-parties (2). Faute de réaction de la part des autres (5), elleenchaîne en nuançant son propos par l'intégration de deux critères -un dénominateur commun et une différenciation - qui apparaissentà la fois comme opposés et compatibles par les deux quand-mêmeintroductifs (6-7). À la fin, M souligne encore une fois sapréférence pour la «différenciation », en la justifiant par unecaractéristique empirique de l'objet traité (7-9), répétée à la ligne12 (ils forment une entité). De son côté, R s'exprime en faveurd'une organisation thématique dotée d'une problématique commune(23). Elle n'apporte pas d'arguments supplémentaires, mais invoqueun modèle textuel, en se situant au niveau des exposés en généralpar l'usage de l'article indéfini (20-21 : un exposé de cette manière-LA) et fait référence à un idéal textuel (23).

Alors que M essaie de maintenir un équilibre entre ce qui estcommun et ce qui différencie les deux groupes de personnages(comme le montre la profusion de quand-même dans son discours),R le rompt en parlant de dichotomie (21). Est ainsi mise en périll'unité même de l'exposé à construire, qui reste pourtant la viséedes deux participantes: M parle de deux sous-parties enprésupposant donc leur intégration dans un seul texte hiérarchisé, Rde « un exposé de cette manière-LA» (mais elle s'interrompt avantd'énoncer le prédicat).

L'idéal invoqué par R, qui peut être considéré commel'expression d'un postulat général de cohérence textuelle, a uneinfluence très forte sur les délibérations qui suivent5. Pendant unediscussion d'environ une demi-heure, les participants essaient detrouver une problématique commune qui leur permettrait de traiterles cinq personnages dans un seul exposé cohérent.

Leurs efforts n'aboutissent pourtant pas; A, qui a eu uneposition dominante dans la conversation, se voit contrainte àabandonner l'idée d'un exposé unique (extrait Ib, 1-2) :

--------------------5 Cf. les modèles textuels invoqués par Krafft et DausendschOn-Gay (1997).

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Extrait lb (HR30049/BA/gr.A1I83l-47)I A [alors il faut parler à deux]2 il faut parler peut-être ensemble\3 M je crois! .et moi je crois qu'il faut absolument faire UN4 paquet! . aspirants à la tyrannie et un deuxième paquet\ ..5 parce que sinon on va on va enlever! quelque chose! au bloc6 aspirants à la tyrannie\7 (4s)8 A (h) après notre discussion et vous êtes.. extérieur. qu'est-9 ce que vous nous conseillerieZ!10 «rit»Il R <oui comment trancher «en riant»>

.

12 (2s)13 A faire deux paquets effectivement! . parler à deux! .. ça14 paraît plus simple non!15 B <oui «en riant»> c'est celtainement plus simple c'est ça16 sera surtout beaucoup plus clair17 M il me semble hein [parce que il y a18 B (oui il y a il y a risque de confusion

Cette décision est aussitôt approuvée par M (3-4) ; mais avantd'être ratifiée définitivement, elle est encore soumise à une courtenégociation sous forme d'une demande d'avis à un expert extérieur,B, qui n'avait pas pris part à la discussion jusque là. Après que A etR ont posé des questions ouvertes (8-9, II), A formule unedemande de confirmation (13-14), en reprenant les deux formulesproposées par M et par elle-même (faire deux paquets et parler àdeux), et ajoute comme justification l'argument de la simplicité.Cet argument est ratifié en riant par B (15) qui ajoute un autreargument, celui de la clarté (16) et de l'évitement de tout risque deconfusion (18).

En invoquant comme postulat la simplicité et la clarté, opposéesà la confusion, les locuteurs ont transféré à un niveau textuell'argument formulé au début par M en termes d'une propriétéinhérente à l'objet traité; grâce à la subdivision thématique del'exposé - accompagnée, dans le cadre polyphonique du colloque,par un dédoublement de voix - il Y a adéquation réflexive de laforme du texte-exposé et de la forme de l'objet de savoir. Cettetransformation est le résultat de la longue discussion qui s'estrévélée sans issue, emblème du «risque de confusion ».L'argumentation par référence à un modèle textuel permet augroupe d'avancer dans sa planification; par la suite, ses membresprendront des décisions pratiques quant à la longueur des deux

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parties de l'exposé et leur distribution à des intervenantscorrespondants.

"Ein problemorientierter Überblick" :l'orientation vers un modèle spécifique du texte à venir

Le deuxième exemple est extrait de la séance du groupe (c),dont les travaux portent sur le «grand homme» Camille. Lesparticipants W, M, V (qui n'intervient pas dans cet extrait) et Dsont en train de terminer la préparation de l'exposé sur Camilleprévu pour le premier jour du colloque, intégré donc dans le blocthématique I. Pendant cette phase, ils ont décidé que ce sera D quifera cet exposé, sur la base d'un texte provisoire qu'elle avaitpréparé, auquel elle intégrera des éléments de la discussion encours ainsi que des réflexions formulées par M dans son propretexte préparatoire.

Extrait 2a (HR30049/BAlgr.Cl/893-919)I W aber im . rahmen des kon- des des ah: kolloquiums im ganzen2 glaube ich .sollteman am am e- in der erstens- im ersten3 block schon auch einmal nochmal den Überblick geben\ .. ahm ..4 ah ... ah also wo WO ist er und so . und ihre conclusion die5 würde ich also ah .. vielleicht ANdeuten aber ...die konnte6 man dann eben in der drItten sitzung=7 M =mhm8 W noch einmal[ ziehen\9 D [oui10 M mhmII W also so sehe ich sehe ich einen gewissen unterschied zwischen12 der ersten und <drit[ten «en riant»> sitzung\13 D [«rit»> xx14 M ja15 D d'accord=16 M =ja17 W und also überblick zuerst18 (6s)19 M ja ein überblick SCHON aber. aber der der durchaus auch zu20 gewissen[: fol]gerungen geführt [werden KANNI]21 W [<ja natürlich] «rapide»> rein PROblem-] ein kon- ein22 M ein problemorientierter [überblick\23 W [proBLEMorientierter überblick24 [«rit»]25 D [«rit».. oui. oui]

La première partie de l'extrait (1-17) est constituée par uneintervention de W, accompagnée par de nombreux signesd'acquiescement de la part de D et M. Cette intervention propose

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une solution pour un problème de rédaction soulevé avant, c'est-à-dire le placement de certaines réflexions théoriques de M, qui, dupoint de vue thématique, pourraient figurer aussi bien dans l'exposédu bloc thématique I que dans le bloc III. Ce problème estétroitement lié à la façon dont est traitée l'intégration de l'exposédans l'organisation thématique hiérarchique du colloque, quifonctionne comme un hypertexte» auquel fait référence W enrenvoyant au rahmen des koUoquiums im ganzen (1). Il en découledes catégorisations correspondantes et finalisées de l'exposé entrain d'être planifié.

W propose de concevoir l'exposé comme un überblick (une vued'ensemble). Cette catégorisation est justifiée par une exigencenormative, signalée par la tournure impersonnelle du verbe 'sollen'à la ligne 1 (soUte man), qui semble liée au placement de l'exposédans le bloc thématique I, donc dans une position séquentielleinitiale par rapport aux autres exposés prévus sur le mêmepersonnage dans les blocs thématiques II et III. Un indiceimportant pour cette interprétation est la répétition conclusive àvaleur impérative und also überblick zuerst (17), qui retient commeinformation essentielle la position initiale de l'überblick.

La catégorisation de l'exposé comme vue d'ensemble est un actede planification rédactionnelle qui a des conséquences surl'organisation interne du contenu de l'exposé: ce dernier ne devraitpas contenir, selon W, un certain nombre de réflexions théoriquesélaborées par M. Ces réflexions - auxquelles W fait ici référenceégalement par une catégorisation qui privilégie le genre textuel surle contenu (4: ihre conclusion) - seraient à développer en détaildans le dernier bloc thématique (4-6).

Après une longue pause (18), M initie une courte séquence denégociation pendant laquelle la catégorisation de l'exposé estmodifiée: sa proposition (19-20) est acceptée par les troisparticipants dans la version reformulée ein problemorientierterüberblick, co-produite par Wet M (21-23).

La constatation d'une règle normative de portée plus généralemet en évidence que la catégorisation de cet exposé implique uncertain modèle du colloque. Une reprise de la même thématiquepar W lors de la discussion successive au plenum confirme cetteconception du colloque, en la justifiant d'ailleurs ultérieurement

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comme étant motivée par la visée communicative des contributionsdu groupe envers leurs destinataires, les « invités» :

Extrait 2b (HR30049/BA plenuml/979-89)I W eigentlich so ungeflihr das muster\ . (h) ganz kurz nochmal zu2 skizzierenl zu jeder .der figuren wie ist die3 Uberlieferungslage und wie kann man sieh . !th in kurzen zUgen4 ungefahr die entwieklung vorstellen\ ieh glaub !th wir sprechen5 ja nieht nur fUruns sondern auch fur die. eingeladenen6 referenten oder auch fUr g!tstel . also ieh glaube man muss das7 schon nochmals rekapitulieren zum schluss\ also einfach mal8 kurz vorstellen das resultatl es w!ire nur vielleicht gut wenn9 es am schluss in irgend welche fragen auslaufen wUrde\ .

Cette reprise révèle, en outre, que ce modèle textuel n'est pasrigide, mais modifiable au cours du processus de planification. Unajout dans la forme d'une construction concessive modalisée par leconditionnel et par vielleicht (8-9) constitue ici la trace de lamodification négociée préalablement avec D et M. W incorporeainsi, dans sa conception générale des exposés du bloc thématiqueI, la catégorisation élaborée par rapport à un exposé particulier.

La rédaction collaborative d'arguments communs

Si l'on passe maintenant du travail de planification d'exposésfuturs au travail de rédaction collaborative dans le hic et nunc del'interaction, celui-ci constitue un lieu d'observabilité intéressantpour la description de la façon dont une intelligence collectiveconstruit des objets de savoir en exploitant des ressourceslinguistiques liées à différentes matérialités - de l'oral comme del'écrit.

Notre analyse du travail de formulation repose sur l'hypothèseselon laquelle le savoir ne préexiste pas à sa formulation, n'est passimplement verbalisé ou encodé après avoir été élaboré dans lapensée, mais est au contraire configuré dans les choix discursifsqui sont effectués par ses énonciateurs lors de sa formulation(Mondada, 1995). L'observation d'une situation de rédactioncollaborative permet d'observer comment interviennent lesressources écrites dans ce processus d'émergence du savoir.

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Les variations de la formulation d'un objet de savoir et leurtraitement

Nous allons donc suivre l'élaboration progressive d'un argumentpar plusieurs énonciateurs au cours d'une discussion sur ladéfinition des «grands hommes ». Ce débat s'articule en deuxparties, délimitées toutes les deux par une référence à desdocuments écrits. La première partie est introduite par M et D, quirenvoient collaborati vement aux notes préparatoires desparticipants:

Extrait 3a (HR30049/BA/GR.Cl)I M also zur definition m- euh: tout le monde a a préparé ses petites2 euh ((ri[t))]3 D [petites notes oui]

La deuxième partie est introduite en mentionnant le résumé àfaire (konnen wir die [hier noch zusammenfassen\] , exemple 3b,ligne 1). La discussion est ainsi encadrée par la référence auxactivités scripturales, dans le premier cas à un écrit passé,préparatoire, individuel (les petites notes), dans le second à un écrità venir, à produire ensemble (le résumé). Cette référence eststructurante pour les activités; elle a des effets sur la façon dont lesformulations d'objets de savoir sont proposées et sur la valeurqu'elles y acquièrent. La première séquence en effet est consacrée àune discussion où les divergences se creusent avant d'êtreéventuellement résorbées; la deuxième, dont 3b est un extrait, estconsacrée à un accord sur la formulation, où des divergencessubsistent mais doivent trouver une solution dans le cadre de latâche:

Extrait 3b (HR30049/BA/GR.Cl!1399;1414-)1 M konnen wir die [hier noch zusammenfassen\]((omission d'une quinzaine de lignes))15 M I1hund ich war ganz froh! ah: wenn wir das jetzt nochmals . vielleicht16 systematisch zusammenfassen\ was wir17 W jal [mhm18 M [was wir gesagt haben\. also ich glaube wir sind uns. a!le einig19 darin! .. dass die grossen manner. I1h: .. die die die figuration sozialer20 . idealer sozialer werte sind\21 D oui. ça22 (1 s)23 M jal24 D oui ...1...

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25 (lOs. M note sur Ie transparent)26 W ja27 0 figuration d'ideaux euh ci- . civiques! je dirais peut-être: . non28 sociaux ... hein en français ça n'a pas la même euh

29 . [la même connotation [quand on dit idéal social ça a un sens trop dilué&30 W Uaja .jaja jaja Ua ja310 &trop vague [VOUS vous32 M [gesellschaftlich bürgerlicher . wer[te\330 [oui34 W also ich würde schon bürgerliche dazunehmen\ so[ziale-35 0 [on dirait plutôt civique\36 W ja. bUErgerlich auch aristokratisch natürlich [xxx ((rit))37 D [oui civique artistocratique!38 mais à l'époque ça ne vaut plus non plus ((rit))39 W also wir konnen ja alles zur wahl stellen\ bürgerlich und aristokra<tisch40 ((en riant))>41 (5 s. M note sur le transparent)

Le résultat de cette séquence est la notation sur le transparentpar M de l'argument suivant:

Le passage au résumé oblige à être systématique (I6) et àadopter une seule position (supposée par M dans wir sind uns. aileeinig darin/ 18). L'interaction orale est le lieu de la négociation dela formulation, qui a lieu en mode bilingue (Miecznikowski-FünfschilIing, Mondada, Müller, Pieth, 1999) : la formulationproposée par M rencontre d'abord un accord général (21-26), puissuscite une reformulation de la part de D : sozialer est rejeté enfaveur de civique par une invocation de la valeur que D attribue aumot français social, dont la mention déclenche un travail desubstitution du mot allemand (soziale r -- > gesellschaftlichbürgerlicher, bürgerlich) et un ajout (aristokratisch).L'intervention de D problématise donc la formulation initiale etdéclenche un travail sur les formulations qui joue sur lescorrespondances ou les non-correspondances entre les deuxlangues. L'écriture du transparent marque l'arrêt de la discussionsur ce point, considéré alors pratiquement comme résolu: dans cesens, il fonctionne comme un outil de stabilisation, d'intégration dedifférentes variantes et de résolution d'éventuelles divergences. Le

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transparent, rédigé en allemand par M, est un écrit qui peut êtreprésenté publiquement comme une version collective; alors qu'iln'est marqué par aucune biffure ou hésitation, les notes desparticipants portent la trace de ces variantes:

Extrait 3d (notes prises durant la séance par V)

BürgerlicheIl figuration idealIer und sozialen

aristokratischenWelten (idéaux civiques)

Extrait 3e (notes rises durant la séance ar D)

gd ho-: figurO idéaux sociaux ou civiques ou aristocratiques (ou repoussoir?)

Extrait 3f (notes rises durant la séance ar W)

Grosse Manner Verkorperung idealer sozialer Weltebürgerll aristokratisch

L'exploitation de la rature, de la juxtaposition dans l'espace dutexte permet une visualisation spécifique de ce que chaqueparticipant a retenu de la discussion.

Il y a donc plusieurs versions de ce sur quoi la discussion aporté et des décisions qui y ont été prises: si le transparent est uneversion collective écrite, la présentation du résumé durant leplenum est une version collective orale présentée par un porte-parole:

Extrait 3g (présentation en plenum) (HR30049IBAlpl)D donc la première idéel euh: . euh la plus simple\ . c'est que le grand homme est ullefiguration d'idéauxl . euh civiquesl . aristocratiques\ . alors figuration positive ou négative!évidemment euh:: et il faudra envisager la question des héros repoussoi- enfin des figuresrepoussoir et: des figures positivesl ... (h) la deuxième idée qui prolonge celle-cil. c'est que:euh ces grands hommes figurations des: idéaux sociauxl . et des civiquesl déterminent descomportements\ déterminent des conduites ... «M va vers le rétroprojecteur»

Ce résumé est effectué en français par D, qui l'énonce sur labase non pas du transparent mais de ses propres notes -alors qu'enmême temps M projette pour le public le transparent en allemand.Les qualificatifs retenus en français sont ci v ique s etaristocratiques. On a donc dans un même espace de performancedevant le public la coexistence de différentes versions qui se

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manifestent différemment et simultanément - même là oùl'événement était configuré de sorte à n'en produire qu'une seule.

Les versions peuvent ainsi se consolider comme se labiliser;une phase ultérieure de ce mouvement est l'écrit qui suit cettejournée et qui exerce à la fois une action rétrospective sur elle enretenant une certaine version des choses et une action prospectiveen énonçant un thème qui sera traité lors du colloque qui suivra:

Extrait 3h (document diffusé our la ré aration du futur collo ue)

1. Le "grand homme" à Rome est la figuration positive ou négative des idéaux civiquesaristocratiques, figuration de l'habifus sénatorial qui détermine les comportements.

Ce document, préparé par M et D, retient à nouveau les deuxadjectifs civiques et aristocratiques - stabilisant ainsi uneformulation qui a été introduite en alternative à la première versioncollective écrite et qui s'est consolidée d'abord non pas dans lestraces écrites mais dans sa répétition orale. On voit ici l'importancestructurante de choix relevant de ce qu'on appelle la « politique dela représentation », entendue dans un double sens, commerenvoyant au choix d'une formulation spécifique de la référenceparmi d'autres formulations possibles et au choix des signes ou despersonnes qui fonctionnent comme des porte-paroles légitimes. Lechoix de la langue et de la participante qui formule l'argumententraîne en effet la stabilisation d'une version (française) plutôtqu'une autre (allemande).

La gestion pratique des divergences de formulationDe façon plus radicale que pour les variations de formulation,

les conflits entre versions rendent observables les modes pratiquesde sélection des versions adoptés par les participants. Nous allonsretracer le déploiement d'une divergence entre plusieurs auteurs,notamment D et M, afin d'observer les traces orales et écrites quimanifestent la façon dont elle a été gérée in situ.

Dans la discussion sur la définition du grand homme, alors queM considère qu'un grand homme est une construction postérieure,D défend l'idée que le grand homme peut aussi s'imposer de sonvivant ou se réincarner en un autre homme du vivant de celui-ci.Cette dissension est présente dès l'introduction du topic par D dansla discussion:

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Exemple 4a (HR30049illAlGR.ClII018-)D euh moi je dois dire je suis un peu embarassée\ . pour la définition: euh du grandhomme\ . je trouve que c'est quelque chose de très comp1exe\ «rit» .. et: j'ai j- a- j'ai. y ajuste un aspect que j'ai euh.. euh. un un petit peu: ... un petit peu creusé. mais pasbeaucoup/ . c'est euhm: .. enfin DEUX aspects\ . c'est le:: .. le rapport VEcu\ . au grandhomme\

L'introduction du topic appelle deux remarques. D'une part elleest effectuée par une préface qui exhibe des traces d'uneformulation non préférentielle (de Fomel, 1988): la nomination dutopic (le rapport vécu au grand homme) est retardée par une sériede justifications, évaluations, hésitations, répétitions,modalisations. D'autre pa11elle introduit un topic qui est d'embléedédoublé Uuste un aspect réparé en DEUX aspects). Cesphénomènes exhibent une difficulté, un conflit qui est manifestépar la forme de la préface avant d'être exprimé explicitement (plustard: là/ je (ne suis) pas tout à fait d'accord\, dit à la fin durésumé fait par D de la thèse de M). Les deux thèses vont ainsis'opposer explicitement dans leurs reprises contradictoires par lesdeux participants (ainsi par exemple, plus tard dans la discussion,D dira: moi je pense quand même! qu'il y a une volonté de le v- dele Reincarner et M: je ne crois pas/ qu'un qu'on peut.<réincarner ((articulé)» un grand homme\).

On peut se demander à quoi peut aboutir une telle discussionlorsqu'il s'agit de rédiger collectivement une thèse commune:

Extrait 4b (HR30049illAlGR.Cl/1684-)I M also wir k6nnten vielleicht einfach auch mal. festhalten aIs2 dritten punkt/ 1Ih:zum grossen mann wird man durch die anerkennung/3 ..seiner mitbürger .. sei es zu lebzeiten OD[ER . [nach dem tod\4 D [mhm5 W [jaja6 D [oui reconnu de son vivant\7 W [ja gut. dann haben wir ja auch einige negative beispiele .8 ja ..die tyrannenaspiranten

Les dissensions sont à la fois résorbées et maintenues grâce à unprocédé consistant à maintenir une structure binaire, articulant lesdeux thèses opposées par le connecteur ODER (3). Ce procédélaisse plusieurs types de traces: alors que dans les discussions lesdeux thèses semblent plutôt équilibrées, tel n'est pourtant pas le casde la version écrite sur le transparent:

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Extrait 4c (transparent).Zum "Grossen mann" wird man

durch die Konstruktion derNachwelt (allenfalls schondurch die Mitbürger?) -> wichtig-

keit Medium

Cette formulation mentionne en première position la version deM et ajoute ensuite celle de D, doublement modalisée en étantplacée entre parenthèses et exprimée en forme interrogative. Lesdeux versions sont ainsi toujours co-présentes, tout en étant cettefois hiérarchisées.

Le transparent constituera le point de départ d'un nouveaurésumé proposé par M vers la fin de la séance :

Extrait 4d (HR30049/BA/GR.Cl/19S0-)1 M ah drittens zum grossen mann wird man durch die konstruktion der2 nachwelt/ . klammer allenfalls schon durch die mitbürgerl (h)3 D attends=attends. x4 M euh on on devient grand homme! . par la construction. de la5 postérité. éventuellement déjà par les contemporains\6 D ah d'accord\ oui. mhml7 V ah also hier vielleicht konntest du auch ah so hinzufügen dass . die8 MEdien eine wichtige rolle gehabt haben so\ ich meine: das ist so:9 . ich glaube es würde kein grands"homme sein wenn . die andere nieht10 das verbrEItet\ ..oder wenn die: ijffentliche reprasentationIl W mhmmhm12 V [nicht so so stark ware13 M [klar

Ce résumé final est l'occasion pour V, qui est très peuintervenue dans la discussion jusque-là, de proposer un ajout autransparent: elle effectue ainsi une opération qui est une sorte de«réparation» de la formulation (7-10). Cet ajout introduit ainsiune nouvelle voix à côté de celles déjà présentes de D et de M ;elle est démarquée typographiquement et située aux marges. Vsaisit donc le résumé de M comme une occasion pour faireaccepter une modification in extremis.

D Y intervient aussi en interrompant M (3) : il réagit à soninterruption en l'interprétant comme une demande de clarificationet en proposant une traduction en français: celle-ci ne mentionnepas les parenthèses présentes dans la verbalisation en allemand

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(klammer 2) mais retient la modalité (éventuellement). D donne sonaccord.

Durant le plenum c'est D qui, en tant que porte-parole,présentera cette « thèse» :

Extrait 4e (HR30049/BA/plenum)D le troisième point/ , c'est que c'est la manière dont se construit/ la figure du grandhomme/ . avec euh la question/ qui est est-ce que le grand homme, est construit est uneconstruction de la postérité/ .. est-ce que le grand homme, est déjà constru- est-ce quel'Image du grand homme est déjà construite du VIVant! , du personnage et là il Y auranécessairement des réponses différentes/ , suivant le type de grands hommes que nous avonsétudiés les uns et les autres/ et il est évident pour euh des per- des personnages commeCamille ou euhm ou les: les aspirantsà la tyrannie/ , c'est la postéritéqui les crée/ , et onpeut guère imaginer que: ils soient euh constituant le grand homme de leur vivant. peut-êtreque pour d'autres/ le problème va se poser différemment\ .. (h) donc on devient un grand

homme par une construction postérieure/ et cette constructÎon/ , résulte de circonstancesparticulières/ (h)

Les traces de la dissension subsistent dans la formulation del'argument sous forme de question, dans la mention de différentesréponses possibles, relativisées non pas en rapport avec despositions théoriques mais à des terrains d'enquête; la thèse de lapostérité est énoncée d'abord, modalisée comme évidente, la thèsede la (ré)inearnation est énoncée en deuxième position,accompagnée de modalités hypothétiques. La reformulation finale(donc) ne retient que la première6,

Cet exemple montre que des versions différentes,éventuellement divergentes, peuvent coexister très longtemps sousdes formes diverses, sans être nécessairement absorbées par uneversion unique.

On peut en conclure que si l'écrit a des vertus stabilisatrices -enpermettant une extraction décontextualisante d'un argument parrapport à la situation d'interaction où elle a été produite ainsi que sacirculation, citation, répétition - et contraint dans ce sens lesinteractions, on peut dire aussi que l'écrit et l'écriture restentprofondément situés:- la forme de l'écrit et les conditions de son écriture exhibent lestraces de conflits, compromis, divergences en ne les résolvant pastoujours et en les maintenant éventuellement par des ambiguïtés et

--------------------6 Dans les documents ultérieurs qui résument les « thèses » en vue du colJoque, cet aspect nefigure plus: il disparaît momentanément ..,

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zones d'indétermination qui pourront être comblées ad hoc par lespratiques interprétatives de chaque lecteur;- ces documents sont eux-mêmes (ré)utilisés de façon située: cecipourra redestabiliser un accord, réintroduire d'anciennes versions,introduire de nouvelles variations. L'écrit, même imprimé, n'est pasun « mobile» aussi «immuable» que les visualisations étudiéespar Latour (1985).

Conclusions

Le caractère situé et collaboratif de l'écrit investit plusieursdimensions:- les activités scientifiques sont traversées par différents typesd'écriture: notes, brouillons, esquisses, transparents... Les pratiquesde production/consultation, telles que les acteurs eux-mêmes lescatégorisent, permettent de distinguer par exemple des écrits plusou moins (in)formels, plus ou moins privés ou publics, ayant desdurées de vie et d'usage variables, certains écrits n'ayant qu'uneexistence momentanée au cours d'une séance, d'autres circulant defaçon plus durable dans le groupe;- les usages variés de l'écriture l'exploitent non seulement d'unefaçon orientée vers l'archivage, la consultation, la fixationd'arguments scientifiques, mais aussi dans des processusd'argumentation, de focalisation, d'affirmation d'une autorité oud'une expertise, de distribution des voix et de leurs droits etobligations;- les processus rédactionnels dans un groupe de recherche sontcaractérisés par leur dimension temporelle complexe (qui devientun enjeu pour une analyse soucieuse de suivre des trajectoiresd'objets de savoir) : les activités scientifiques constituent desévénements oralo-graphiques où s'imbriquent des activitésd'écriture présentes, passées et futures. Plus particulièrement, lesparticipants déploient des orientations prospectives etrétrospectives envers l'écrit: rétrospectivement ils convoquent destextes déjà écrits, en les recadrant, recatégorisant, réutilisant àtoutes fins pratiques; prospectivement ils projettent l'écriture de

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textes futurs et cette référence à l'écrit à produire organise leuractivité présente.

Ces caractéristiques, que ne sauraient épuiser les analysesponctuelles auxquelles nous nous sommes livrées, permettent demieux caractériser le « texte actif» (Smith, 1990) non seulementcomme lieu de résolution momentanée des divergences mais aussiet surtout comme repère en fonction duquel on organise son actionet qui, en tant que tel, exerce un effet configurant puissant sur lesactivités en cours.

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Annie Piolat, Nathalie Bonnardel et Aline ChevalierUniversité de Provence, PsyCLÉ (Centre de Recherche en Psychologie de

la Connaissance, du Langage et de l'Émotion)

Rédaction collaborative sur Ie WEBAnalyse des interactions entre auteur, reviewers,

commentateurs et éditeurpendant l'expertise d'un article soumis

Objectifs de l'étude

Le développement d'Internet et la possibilité de présenter desdocuments scientifiques sur Ie World Wide Web (WEB) sont entrain de modifier, non seulement les habitudes de lecture desarticles, mais aussi celles de conception et de rédaction de cesdocuments (Bonnardel & Sumner, 1996; Bonnardel, 1999;Bonnardel & Chevalier, 1999), ainsi que les interactions entre lespersonnes qui créent des documents et celles qui les consultent(Sumner & Buckingham Shum, 1998a; Sproull & Kiesler, 1986;Piolat & Pélissier, 1998).

De nombreuses recherches portent actuellement sur l'accès auxdocuments WEB et sur la navigation au sein de ces documents(Tricot & Rouet, 1998; van Oostendorp & de Mul, 1996).Toutefois, peu d'entre elles concernent l'activité d'élabqration dedocuments scientifiques multimédias et les interactions qui peuventêtre développées dans le cadre d'Internet. Aussi l'étude présentéeici vise+el1e à analyser plus spécifiquement les interactions quiont lieu entre l'auteur d'un document scientifique multimedia, lesexperts désignés par les éditeurs d'une revue électronique sur leWeb et des commentateurs, à l'occasion du processus d'expertised'un article soumis à publication. Il s'agit ainsi d'étudier la natured'échanges grapho-graphiques produits dans l'environnement« D3E » (Digital Document Discourse Environment) utilisable surle WEB et qui est employé pour consulter la revue électronique«JIME» (Journal of Interactive Media in Education, adresse:www-jime.open.ac.uk). Ces échanges, constitutifs du processus

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d'évaluation, ont comme fonction de favoriser l'amélioration decet article et donc sa transformation avant sa publication définitive.

Dans le cadre de cette étude, les principaux questionnementsseront les suivants. Le processus d'expertise canonique (Cichetti,1991) est-il transformé de façon importante par l'environnement dedialogue offert sur le site de lIME? Les experts et lesauteurs parviennent-ils à dialoguer par écrit afin d'améliorer le« fond» et la « forme »de l'article soumis? Quelle est la structureet la temporalité des dialogues instaurés? L'ouverture à descommentateurs autres que les experts a-t-elle des conséquencesnotables sur la mise au point de l'article?

Le contexte technologique de la revue JIME

Sumner et Buckingham Shum (1998b) ont développé à l'OpenUniversity, le système «D3E» dont la première fonction estd'aider les éditeurs et/ou les auteurs de journaux interactifs pour leWEB à intégrer dans les articles de nouveaux médias, tels que lesliens hypertextes ou hyperimages, ou des démonstrationsinteractives. Cet environnement rend aussi possible les interactionsentre auteurs, experts (appelés ici reviewers) et lecteurs dedocuments scientifiques, protagonistes qui, une fois connectés surle site de lIME, peuvent communiquer à loisir par courrierélectronique« autour» et à propos de l'article.

En éditant JIME, les concepteurs de ce journal poursuivent, au-delà de la mise à disposition sur le WEB d'un support depublication électronique, deux grands objectifs. Ils veulent, toutd'abord, changer la conception et la lecture des publications enutilisant dans les articles scientifiques les procédés multimédias. Ilssouhaitent, de plus, favoriser sur le WEB les débats autour del'article proposé pendant le processus de soumission de l'article,puis pendant la lecture de l'article accepté.

Plus concrètement, la page-écran de JIME a été configurée defaçon à promouvoir ces deux objectifs. Succinctement sa structureest la suivante: accessible via un navigateur, une fois franchil'accès à la revue et son sommaire, l'article est affiché dans ,~nefenêtre au centre de la page; à sa gauche, une autre fenêtre favorisel'entrée dans l'article via son plan; à sa droite, une autre fenêtrepermet un affichage de courriers électroniques dans des rubriquespréformées par les éditeurs. Les trois fenêtres sont de taille

222

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modulable et les liens hypertextes permettent des va-et-vient, intra-et inter-fenêtres (pour une description plus détaillée del'environnement et de sa gestion, cf. Sumner & BuckinghamShum, 1998).

Le processus d'expertise d'un article soumis à JIMESumner, Buckingham Shum, Wright, Bonnardel, Piolat et

Chevalier (2000) ont synthétisé (cf. tableau 1) les écarts notablesconcernant les pratiques habituelles du processus d'expertise d'unarticle et le processus tel qu'ils souhaitent le développer pourJIME.

Tableau 1 : Comparaison des pratiques d'expertise

Modèle d'expertisecollaborative

Technologies proposées

- www, téléconférence

- interface intégrant de façon visible ledocument soumis à publication et lescommentaires le concernant- interface utilisant des procédéssimples pour structurer les débats

- interface dynamisant /es débats enconnectant les interactions et ledocument à l'aide d'hyperliensPratiques proposées

- dialogue direct entre les participants(experts, auteurs, éditeurs, lecteurs)

- courte durée d'expertise (quelquessemaines)- encouragement à des échangesdynamiques et ouverts au public aucours du processus d'expertise

(plusieun

Modèle général des pratiqueshabituelles d'expertise

Technologies prédominantes

-papier, système postal, e- mail

Pratiques dominantes

- commentaires monologiques par

des individus anonymes

- communications médiatisées parles éditeurs-unique cheminementdes commentaires (expert vers éditeuvers auteur)- longue durée d'expertisemois)- processus à huis closSystèmes de connaissances Système modifié de connaissances

- expertise conçue comme un processus -expertise conçue comme un processusd'examen évaluatif afin de préserver la de conception constructif concernant lequalité scientifique champ scientifique- agrément sur J'insertion de l'article - améliorationde l'article à travers ladans un espace thématique discussion et la négociationde publication fini en ressource(papier)

223

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Le processus d'expertise de ce journal est réalisé selon lachronologie suivante: (a) soumission de l'article par le (oules) auteur(s) ; (b) vérification par les éditeurs de la pertinence del'article pour le journal et désignation des 2 ou 3 reviewers; (c)expertise privée d'une durée d'un mois pendant laquelle reviewerset auteur(s) peuvent communiquer par e-mail, les messages mis àdisposition sur le site ne sont, alors, accessibles qu'aux auteurs,reviewers et éditeurs; (d) si l'article est en voie d'acceptation, leséditeurs trient les commentaires des experts pouvant encore figurerdans l'expertise ouverte et publique. Celle-ci dure environ un mois,durée pendant laquelle l'article est étiqueté sur le site comme ayantle statut de « soumis pour publication» ; (e) élaboration d'unesynthèse publique par les éditeurs favorisant l'amélioration del'article; (f) révision de l'article par l'(les) auteur(s) ; (g)vérification par les éditeurs de la prise en compte des remarques;(h) publication officielle de l'article ainsi que de la plupart descommentaires d'expertise, avec possibilité pour les lecteurs depoursuivre la discussion autour de l'article.

Pour faciliter l'expertise de l'article, les éditeurs ont prévu queles interactions entre les différents protagonistes soient structuréesen fonction de deux groupes de rubriques. Le premier, utilisableavec toute proposition de publication, comporte cinq rubriques quipermettent un jugement d'ensemble: (a) Originalité et importancedes idées; (b) Clarté des objectifs poursuivis; (c) Choix desméthodes; (d) Clarté et crédibilité des résultats; (e) Qualitérédactionnelle. Le second axe tient compte des spécificités del'article puisqu'il est dépendant de son plan, plan disponible dansle corps du texte ainsi que dans une fenêtre spéciale.

C'est en utilisant cette double structure, qui sert de cadretechnique de dialogue, que les protagonistes des deux phases del'expertise peuvent s'envoyer des e-mails dans la fenêtre réservée àcet effet.

Corpus disponible et corpus étudiéDepuis sa création, les éditeurs de la revue JlME ont archivé

dix-neuf propositions de publication en enregistrant la chroniquedes commentaires qui ont été envoyés par les différentsparticipants (auteurs, experts, commentateurs, éditeurs) au fur et àmesure de leur apparition sur le site. Les messages contenus danscette chronique sont structurés à plusieurs niveaux. Ils sont

224

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identifiés temporellement (date et heure précise d'envoi) etnominativement (lorsque le rédacteur du message le souhaite, il faitfigurer son identité et son adresse électronique). Les messages sontaussi catégorisés en fonction des rubriques prédéfinies que leséditeurs du journal JIME proposent aux experts et aux autrescommentateurs.

Pour réaliser les analyses quantitatives et qualitatives présentéesci-après, un article a été tiré au hasard. Son titre est « Integratinginteractive media in courses: WinEco Review Debate ». Cet articlemet en évidence l'intérêt d'associer plusieurs médias lors desituations d'apprentissage. L'auteur montre comment différentssupports de cours, via l'utilisation du logiciel WinEco associé à sonWorkbook, peuvent aider des étudiants en Economie à acquérir denouvelles connaissances.

L'ampleur verbale des échanges (cf. Corpus en Annexe)concernant le processus d'expertise de cet article est la suivante:50 e-mails ont été mis sur le site selon la double structured'expertise (5 rubriques générales et 12 rubriques reprenant le plande l'article). La longueur des e-mails varie de 2 à 278 mots avecune longueur moyenne de 80,6 mots (volume verbal du corpus =4784 mots). Ce sont ces 50 e-mails qui ont été analysés ci-après.

Analyse des échanges durant le processus d'expertise

La première série d'analyses des échanges d'e-mails présentéeci-après a pour fonction d'évaluer si les possibilités d'échangesoffertes par J1ME sont explohées. Le processus d'expertise est-ilcollaboratif? Les protagonistes travaillent-ils les uns « avec» lesautres pour améliorer la rédaction de l'article soumis? La secondesérie d'analyses est centrée sur les demandes de 'modification dutexte. De quels types sont ces demandes? Comment l'auteur del'article les gère-t-il ? Ces interactions constituent-elles d'efficacesoutils grapho-graphiques de réécriture ?

Quantité de messages envoyée par les différents pourvoyeurspendant l'expertise

L'objectif de cette première mise en forme très synthétique, estde repérer le profil du cours des envois de messages, tout au long

225

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des deux phases d'expertise. Quels sont les protagonistes qui sesont exprimés, à quel rythme et avec quelle ampleur?

L'analyse du volume global des messages écrits échangéspendant les deux phases d'expertise, et selon leur répartitiontemporelle (Tableau 2), donne plusieurs types d'informations:

TOTAL 1L.moy.en mots 51 114 44 73 156 172 2 \3 3 135 80,6

(R =reviewer; A =auteur; C =commentateur identifié; CA =commentateuranonyme; E =éditeur) (longueur moyenne en mots).

Phase

29-015-0211-0213-0218-02ss-totalPhaseouverte19-025-0310-0417-0422-0425-04ss-total

Tableau 2 : Répartition temporelle des 50 envois entre les phasesd'expertise ouverte et fermée selon les différents pourvoyeurs

RI R3 A CI C2 CA CA CA EI 2 3

Total

R2

\3IlIIlI37

1

8 11 18

- Commentaires:L'essentiel des envois de messages a eu lieu pendant la phase

privée de l'expertise (76% versus 24% en phase ouverte). Lalongueur moyenne des messages est de 80,6 mots.

Les reviewers ont été actifs seulement durant la phase privée(20 envois versus

°envoi pendant la phase ouverte). Ils ont été

actifs à des degrés divers (RI: 1 envoi de 51 mots; R2 : 10 envoisde 114 mots en moyenne; R3 : Il envois de 44 mots en moyenne).

Dès que le processus d'expertise privée a débuté, les reviewersont commencé à envoyer leurs remarques à des dates trèsdifférentes (délai de 9 jours pour le reviewer R2 ; de 6 jours pour le

226

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reviewer R3 ; de 29 jours pour le reviewer RI). Comme le supportsur lequel les reviewers adressent leurs commentaires favorisel'immédiateté de la lecture, les reviewers R3 et RI ont donc étéinformés de l'opinion de R2, avant même de proposer leur proprepoint de vue sur l'article.

L'auteur a été actif, lui aussi, pendant la phase privée (17 envoisde 74 mots en moyenne, contre l envoi de 60 mots pendant laphase ouverte; ce message étant adressé à RI). Il a donc interagiavec les reviewers désignés par les éditeurs de la revue, mais pasavec les commentateurs extérieurs.

Seuls cinq commentateurs ont donné leur avis sur l'articledurant la phase d'expertise ouverte qui a été prolongée d'un mois.Le volume des envois est très faible pour les commentateursanonymes (de 2 à 13 mots). Le commentateur CI (4 envois d'unelongueur moyenne de 156 mots) a écrit très tardivement (deuxmois environ après le commencement de la phase ouverte del'expertise). C2 a fait un envoi de 172 mots.

L'éditeur a fait part de ses commentaires d'arbitrage (4commentaires de 135 mots en moyenne), alors que la phased'expertise ouverte, suscitant peu de commentaires, était écouléedepuis un mois et demi (elle est prévue pour une durée de 1 moisseulement) et que seul un commentateur s'était exprimé.

Types d'interactionL'objectif de cette mise en forme quantitative est d'évaluer si le

contexte de communication grapho-graphique favorise desinteractions entre les différents partenaires impliqués dans leprocessus d'expertise. Le support autorise, en effet, tous les typesde connexions interpersonnelIes. Autrement dit, tous lesprotagonistes pourraient dialoguer par écrit dans l'objectif detransformer l'article (reviewer(s) et auteur(s) ; coinmentateur(s) etauteur(s) ; reviewer(s) et commentateurs; reviewers entre eux;auteurs entre eux; commentateurs entre eux; etc.).

La lecture de la chronique du contenu des envois de messagesindique une activité dialogique, entre les pourvoyeurs de messages,limitée à la structure dyadique «reviewer - auteur» (la dyade

«commentateur - auteur» n'ayant pas été pratiquée). Les tableaux3 et 4 ont été réalisés afin de visualiser la dynamiqueinteractionnelle des échanges de messages (R2/A ; R3/A) durant laphase d'expertise privée (RI, n'ayant produit qu'un message, n'a

227

Page 228: Le Processus Rédactionel (2001)

pu être pris en compte). Ils mettent en évidence que les modalitésd'interaction entre R2 et A (tableau 3) et R3 et A (tableau 4) sonttrès contrastées. Nous ferons les commentaires suivants:(1) Le reviewer R2 a été le premier à envoyer sur le site une petitesalve de trois commentaires (le 29 janvier; [1] , [2] et [20]). Sesremarques n'ont concerné que deux rubriques préétablies par leséditeurs de la revue. Le contenu de ces commentaires est trèscritique.

Tableau 3 : Répartition temporelle des 13 envois du 29 janvier entre lereviewer R2 et l'auteur A en fonction des rubriques d'évaluation

9.34

9.35

9.36

9.419.429.439.449.459.469.479.489.499.509.519.529.539.549.559.56

W.S10.610.710.810.910.1010.il10.1210.1310.1410.15

228

Page 229: Le Processus Rédactionel (2001)

L'auteur a réagi ((21]) en premier lieu à renvoi le plus critique.Avec le message [20] (cf. annexe), R2 disait que l'absence derésultats dans l'article constitue un «réel problème«. Troisminutes seulement après le retour de l'auteur, R2 a répliqué ànouveau ([22] Puis l'auteur a changé de thème en réagissant ([3]) àun commentaire situé dans une autre rubrique. Ce retour a étéencore très rapidement commenté par R2 [4]), puis par l'auteur([5]), puis, par R2 ([6]), commentaire suivi d'une autre réactionrapide de A ([7] ) Cet échange dyadique est le plus interactif detout le corpus. Ainsi, deux noyaux conversationnels, quasi-synchrones, ont été instaurés par R2 et A. Par la suite, R2 aenvoyé, à propos d'une troisième thématique, un autre message([40]). Un autre noyau conversationnel a été alors instauré([41[42]). Au total trois rubriques, soit un taux de répartitionthématique de 17,6% a seulement été exploité par R2, mais lacontroverse était vive. Mais, c'est seulement sous la pression dureviewer R3 que l'auteur a accepté de modifier son texte (e.g.,insertion d'un résumé).

La stratégie du reviewer R2 est focalisée non pas sur le simplefait d'annoncer à l'auteur les imperfections concernant son article,mais aussi sur la nécessité de dialoguer autour des problèmesdétectés puisqu'il a réagi très rapidement à chacun des retours deA. Enfin, R2 a clôturé son dernier retour par une invitation audialogue des autres experts: «I'd like to hear what the otherreviewers think about these issues ». Ce mode de critiqueclairement dialogique d'un article soumis à publication est trèsnouveau.(2) Comparativement au mode dialogal de R2, la stratégie dureviewer R3 a été très différente. Ce dernier a envoyé, le mêmejour (le 5 février), une longue salve de Il messages durant uneheure de temps (cf. Tableau 4). Il a utilisé, pas à pas, les rubriquesétablies par les éditeurs de la revue JIME. Le taux de répartitionthématique de ses envois est de 64,7%.

L'auteur lui a répondu une semaine après (le 13 février)pendant près de trois heures. Confronté aux Il messages, ilorganise la succession de ses réponses selonun ordre différent decelui choisi par le reviewer. Avec un premier faisceau de réponseset pendant une demi-heure, il réagit à six rubriques (1.1. puis 1.4.encore 1.4. puis 1.2 puis 1.3. puis 2.2.). Avec un second faisceau

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de réponses, produit après un arrêt de deux heures, il a répondu àquatre autres rubriques (2.3. puis 2.4. puis 2.8. puis 2.1). Il n'a pasréagi à deux rubriques (l.5. et 2.9.). La reprise de la discussionautour de la rubrique problématique (l.4.) a été quasi-immédiate.Les réponses aux commentaires concernant les rubriques « 2 » ontété les plus différées.

Tableau 4 : Répartition temporelle des échanges entre le reviewer R3 (Je 5février) et l'auteur A (le 13 février) en fonction des rubriques d'évalwition

NB: .. 5 février 15 :53" indique que R3 a envoyé un message pour la rubrique 1.1. et.. 13

février 8 :59" indique que l'auteur n'y a réagi qu'à ce moment-là.

Le reviewer R3 n'a pas relancé le débat en répliquant auxréponses de l'auteur. Il se comporte comme dans le cadre d'une

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Page 231: Le Processus Rédactionel (2001)

expertise classique où le dialogue n'est pas requis. Seule lasoumission à la lecture temporellement successive des Ilcommentaires a constitué une nouvelle modalité d'action. Pour unautre journal, ce reviewer aurait, sans doute, procédé à un seulenvoi groupé de ses remarques sur papier.(3) Durant l'expertise ouverte, les commentateurs ont poursuiviponctuellement un dialogue sur quelques rubriques clés, thèmesdes interactions précédentes (1.1.,1.4.,2.1.,2.2.). Seule la rubrique2.7. a été ici nouvellement exploitée. Au total, les noyauxconversationnels entre les reviewers R2 et R3 et l'auteur n'ont étéamplifiés, chacun, que par un envoi.

Les échos thématiques dans les messages et leurs titresLes interactions décrites dans le paragraphe précédent

concernent 68% des messages envoyés. Elles permettent d'avancerque les experts n'ont pas cherché à coopérer, c'est-à-dire àtravailler conjointement, via le dialogue. Toutefois, comme lesupport sur le WEB favorise l'accès en temps réel par tous lesprotagonistes aux messages échangés, il est impo11antd'évaluer si,en l'absence d'un dialogue patent entre les reviewers, ces derniersont cependant collaboré. Il leur a été, en effet, possible de« travailler avec» les autres, en intégrant des remarques déjà faites.Cette attention portée par les experts à leurs avis respectifs, ainsiqu'aux réactions de l'auteur, est impossible dans le cadre d'uneexpertise traditionnelle. Aussi est-il important d'analyser si, dansles messages envoyés, une référence est explicitement faite à unavis déjà donné par l'un des protagonistes.

- Les titres:Quarante-sept envois (sur 50 au total) ont été précédés d'un titre

(NB: on constate une absence de titre de l'auteur dialoguant avecR2 le 29 janvier et deux absence de titres pour les commentateursextérieurs anonymes du 17 avril). La fonction « traditionnelle» deces titres a été de résumer le contenu du message sous forme de« thème-titre ». Mais, il apparaît que les titres ont rempli deuxautres rôles, clairement plus dialogiques:(a) La plupart des titres établis par les reviewers (et lecommentateur CI) ont été écrits sous forme interrogative (RI =100% ; R2 = 55% ; R3 = 54%; CI = 50%). Voici quelquesexemples: RI : " WinEcon as a 'plug-in' modular resource?" ;R2: " Where is the empiricial data?" ; R3 : " How do students

231

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discover learning styles? " ; CI : " Weak for what and strong forwhat?". Une incitation à un possible dialogue a été ainsifréquemment induite par les reviewers et les commentateurs.L'auteur n'a titré aucun de ses envois en utilisant la formeinterrogative.(b) Dans de nombreux cas, au moins un des items lexicaux du (oudes) titre(s) précédentes) a (ont) été repris dans le nouveau titre afinde renforcer la cohérence dialogique. Ce chaînage thématiqueapparaît dans les dialogues quasi-synchrones ainsi que dans lesdialogues différés, qu'ils soient dyadiques ou plus ouverts.

- Exemple concernant deux éléments lexicaux du titre du premierenvoi mis en écho pour une même rubrique lors des deux phasesd'expertise (dyade R2-A, puis participation de l'éditeur)

29 janvier29 janvier29 janvier13 février10 avril

10:0910:1310:15Il :3716:08

R2AR2AE

WinEcon designed only for individual use?BUT individual understanding is importantNeed more on how it actually gets usedUse of WinEconbalancing group work with individual work

- Exemple d'une reprise différée d'éléments lexicaux par lecommentateur CI :

29 janvier22 avril

9 :3416:38

R2CI

'Weak' as opposed to 'strong' multimedia? at?Weak for what and strong for what?

- Exemple d'une reprise thématique qui coordonne les envois deplusieurs protagonistes (R2, A, R3, C2, CAl & CA2) sur un délaitemporel de 3 mois (NB: CA I et CA2 ne titrent pas leur message;le contenu de leur très bref message consiste en une approbationsur le fait de résumer, dans l'article, des données déjà publiées parailleurs) :

29janvier29janvier29janvier

5 février13 février13 février19 février17 avril17 avril

9:429:449:47

16 :129:039:0615 :206:306:33

R2AR2

Where is the empirical data ?Evaluation data already published...Summary of evaluation stilI needed, plus futurestudiesReferences to published data are not enoughSummary of evidence can be addedStudent knowledge of learning stylesClarification: Evaluation Data(commentaire anonyme, sans titre)(commentaire anonyme, sans titre)

R3AAC2CAlCA2

232

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-Les messages:Dans le cadre des messages, d'autres indices permettaient

d'inférer que les différents protagonistes ont fait écho auxinformations concernant l'évaluation de l'article en expertise,mises à disposition sur le site.

Cinq références à des messages envoyés préalablement,effectuées par l'éditeur E et le commentateur CI, ont été réaliséesen citant dans le e-mail le prénom de certains des protagonistes,faisant ainsi référence de façon économique (par un étiquetagenominatif) à des points de vue déjà exprimés. Ces renvoisnominatifs peuvent aussi être encouragés par le délai temporelexistant entre, d'une part, les propos des reviewers lors de la phaseprivée et, d'autre part, ceux des commentateurs pouvant s'exprimerseulement lors de la phase ouverte d'expertise:

10 avril10 avril10 avril22 avril25 avril

EEECICI

mentioned by JeanI agree with Jean's comment!As Greg points out" " Also, as Jean points outI agree with Jean

a reflection stimulated by Agnes

Etonnamment, aucun des reviewers n'a utilisé ce mode dechaînage avec les messages déjà envoyés sur le site, alors mêmeque R2 avait fait une demande explicite d'interaction dès le débutde l'expertise (<<I'd like to hear what the other reviewers thinkabout these issues»).

Une autre forme de chaînage inter-messages pouvait êtreassurée par le jeu des embrayeurs (l/yoU,. my/your). Cettepossibilité est, elle aussi, très peu usitée. Elle l'a été seulementdans la dyade (R2/A) qui a dialogué de la façon la plus synchroneet sous les impulsions explicites de R2 (<<this is supposed to be adiscussion, right? ») :

29janvier29janvier

29 janvier29 janvier29 janvier

AR2

My university is

A few comments about your reply to m y review (this issupposed to be a discussion, right ?) ... your points about...with your thougthsMore importantly than my above concernMy above comments (under 'Originality ofIdeas')My web-discussion suggestion

R2R2R2

Enfin, une autre façon de faire référence aux propos déjà missur le site consiste à les intégrer par un "couper-coller" dans son

233

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propre message, leur donnant ainsi un statut de citation. Cettepotentialité n'a été employée qu'à deux reprises par l'auteur A ausein du même message [3]. Ce procédé, très fréquent dans le cadredes échanges par courrier électronique (Severison-Eklund, *trouverarticle*), a été abandonné dans le cadre de cette expertise sansdoute en raison de l'importante redondance qu'il impose auxmessages qui sont toujours disponibles sur le site.

Les incitations à transformer Je texte écritLa simple lecture des e-mails échangés montre que l'objectif

des intervenants «évaluateurs» (reviewers, commentateurs,éditeur) n'est pas de d'inciter systématiquement à une modificationdu texte. Les intervenants explicitent leurs points de vue noncompatibles avec celui qui a été proposé par l'auteur (cf. parexemple, les échanges soutenus et vifs sur ce qu'est un systèmed'enseignement multimédia fort et faible). La fonction première deces formulations d'avis n'est donc pas orientée vers l'imposition demodifications du texte, elle reste strictement argumentative dans lecadre d'un débat d'idées.

Dans le tableau 5, seules figurent les demandes explicites dechangement du texte. Ainsi, seulement 32% des messages sontfocalisés sur l'amélioration du produit écrit (il faut noter que trois[27, 28, 32] sur cinq des messages des commentateurs sont desimple approbations à la nécessité d'un changement (mis entreparenthèses dans le tableau 5) alors que les messages [26] et [35]constituent des argumentations).

L'auteur ne fait pas écho à toutes les demandes (pas de réactionaux messages [29] et [50] du reviewer R3). Il se contente depoursuivre le débat d'idées, particulièrement avec le reviewer R2.Il reconnaît la nécessité de transformer son texte seulement dans lecadre d'un" dialogue" avec R3. Ce dernier propose desmodifications dans la ligne de celles formulées par R2, mais il lefait sans les associer à des critiques importantes du contenu del'article. Aucune demande ne concerne une révision de la nature dela mise en texte (choix lexicaux, syntaxiques, stylistiques).D'ailleurs, la rubrique «Quality of writing» n'est pas exploitée parles reviewers. Le reviewer R3 a fait une remarque sur certainschoix typographiques [29]. Les demandes de modifications sontstrictement centrées sur des adjonctions d'informations, l'auteur del'article n'ayant pas présenté de données quantifiées concernant les

234

Page 235: Le Processus Rédactionel (2001)

rubrique RI R2 R3 A CI C2 CA CA CA E totalI 2 3

1.1 4 8 9 31.2 16 19 21.3 01.4 20.22 23 24 26 (27) (28) 5

(3)

1.5 29 I2.1 30 31 (32) 32.2 35 I

2.3-2.4 02.5 42 \

2.6à 02.112.12 50 ITotal I 4 5 4 I I (I) (I) (I) 16

(3)

effets de l'outil multimédia WinEcon, données qu'il dit aVOIrpubliées dans des articles précédents.

Tableau 5 : Répartition des demandes explicites de changement du texte

Le numéro correspond à celui du message; les ( ) indiquent une simple approbation), selon

les différents pourvoyeurs (R = reviewer; A = auteur; C = commentateur identifié; CA =commentateur anonyme; E =éditeur) (longueur moyenne en mots) et selon les rubriques.

Exemples de demande de modification:

Message [20J: .. (...) Where is the data? (...) in the absence of results based upon student

perfonnance or attitude measures, it's all vacuous. (.. .). Without this data. the claims madein this paper are just wishful thinking (. . .)."Message [30] : .. Can we have a bit more information about the quality of the coursewareC..) "Message [42] : .. I would like to hear more in the paper (...)"Exemples de réponse:

Message [24].. (...)1 am happy to add short summary (...) ".

Cette demande de modification par simple ajout d'informationsest~elIe conjoncturelle à la soumission de cet article? Une autresoumission a été tirée au hasard dans le lot des dix-neuf corpusdisponibles (<< Learn to Communicate and Communicate toLearn»). Les demandes de modification de l'article concernenttoujours des adjonctions d'informations (<<... improve theconclusion... »). Mais elles ont aussi été focalisées sur latransformation même du texte: « (1) The arguments in sections 1& 2 should either be radically edited, or tightened up. (2) Revisethe text to make it flow from one section to the next more easily

235

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... ». « There are problems with over-long paragraphs in a numberof places, and" flavor" of the writing seems to change in somesections (I'm thinking in particular of 5 .1.2.) ». «I had troublewith the authors' notion of acessibility ».

Dans tous les cas, il s'agit seulement d'incitation à la révision.Seule l'acceptation ou le rejet de cette incitation est négocié par leséchanges de messages. La réalisation même de la modification,c'est-à-dire la mise en place verbale d'une nouvelle formulationn'est pas prise en charge. Il ne s'agit pas d'une rédactioncoopérative, mais d'une incitation collaborative au changement.

Conclusion

Les observations qui sont faites ici des interactions entre auteur,reviewers, commentateurs et éditeur ne permettent pas de conclureà une transformation massive du processus d'expertise.

Les experts ont fait preuve de stratégies variées dans le mode detransmission de leur évaluation à l'auteur. Seul l'un d'entre eux(R2) a suscité et favorisé une interaction dialogique. Le deuxièmereviewer (R3) a communiqué ses remarques selon une stratégieplus classique: rafale de onze messages et absence de retour auxréactions tardives de l'auteur. Le reviewer RI est intervenu, poursa part, de façon très ténue. Pour sa part, l'auteur a fait preuved'une attitude plutôt circonspecte, en répondant aux remarques defaçon différée. Au total, malgré les potentialités offertes par le sitedu Journal of Interactive Media in Education, le moded'interaction n'a été que ponctuellement dialogique entre un desreviewers et l'auteur. Les habitudes d'expertise paraissentdifficilement transformables. D'ailleurs, pour une large part de leuractivité, les reviewers se sont cantonnés à exercer leur expertise defaçon plutôt habituelle. De plus, le faible effectif de commentateursspontanés ayant réagi pendant la phase d'expertise ouverte indique,là encore, que le support n'incite pas de façon cruciale à remodelerle processus d'évaluation d'un article. Ce processus reste l'apanagedes experts désignés par les éditeurs. Alors que le dialogueponctuel entre le reviewer R2 et l'auteur laisse à penser que lespratiques d'expertise peuvent être remodelées, l'objectif d'unemise à disposition de la diversité des points de vue concernant la

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teneur de l'article n'a pas été suffisamment atteint (Sumner et al.,2000).

Les propositions de transformations du texte ont été de l'ordredu diagnostic (souvent en termes de manque pouvant être comblépar un résumé, une explicitation). Pourtant, le processus derévision engage d'autres opérations comme, par exemple, le fait detrouver une solution verbale plus acceptable et appliquerconcrètement cette solution (Piolat, 1998). Aucune tentative de co-rédaction n'a été entreprise. La régulation de la co-rédaction estcertes plus pratique lorsqu'elle est opérée sur un mode oralo-graphique (échanger oralement pour écrire ensemble). Elle restepossible avec des échanges écrits (transferts de manuscritscontenant les traces du processus d'amendement comme les ajouts,suppressions, déplacements, substitutions concernant tous lesniveaux langagiers). Elle est très coûteuse dans le cadre de l'usaged'un traitement de texte qui permet la saisie dactylographique desmessages (Piolat, 1991). Tout d'abord parce que les types derévision pratiquées sur le papier sont difficilement transposables àl'écran même si les logiciels de traitement de texte tachentd'intégrer ce type de fonctions (cf. la possibilité, par exemple, deraturer à l'écran et d'intégrer des notes associées). Ensuite, parceque le contourne ment de ces différentes difficultés impose aux co-réviseurs des commentaires explicatifs trop complexes pour que lespropositions de modifications langagières soient comprises etnégociables dans des délais suffisamment rapides.

Le constat d'échos thématiques, traversant les choix lexicauxdes titres et certaines caractéristiques des messages (référencenominative, référents pronominaux, inclusion d'extraits demessages précédents), sont les prémisses d'un remodelage duprocessus d'expertise. L'attention des protagonistes portée auxdifférents messages a été partagée «en contrepoint », chacunréalisant sa partition tout en faisant attention à celle des autres. Lemode d'interaction asynchrone sur le site WEB permet leretranchement dans une non-intervention, tout en favorisantcontinûment l'accès aux réactions des divers protagonistes. Cepartage des points de vue, bien que faiblement manifesté sur leplan verbal, a favorisé une forme de collaboration simultanée maisindépendante. Les protagonistes se sont « accompagnés» lors duprocessus d'amélioration de la production écrite soumise àexpertise (et donc à transformation), sans toutefois coopérer.

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CORPUS

Echanges de e-mails pendant le processus d'expertise privée etouverte de l'article "Integrating Interactive Media in Courses:

WinEco Review Debate"Author (A) (Jean B.S.) ; Reviewers ( R) (R I : Edith E. ; R2 : Greg K. ; R3 : Agnes K.H.)

Discussion about .TIME review CRITERIA

1.1. Originamy and Importance ofIdeas

(1) R2 : 'Weak' as opposed to 'strong' multimedia? (Greg K.) 29 Jan 1997 09:34

"First let me say that I think WinEcon and the associated workbook discussed in this paperare undoubtedly very valuable teaching/learning materials and the paper does a nice jobillustrating the program and its various instructional features. Perhaps it should be publishedin JlME for that reason alone.However, WinEcon is a relatively weak example of multimedia -- it's really just interactivegraphics --there are no audio or video components, which makes any and all claims in thepaper about the power of MM a bit circumspect as far as I'm concerned. While I suspect thatinteractive graphics is the most appropriate form of multimedia for the subject (economics isall about visualizing concepts and relationships), WinEcon does not give us much idea abouthow multimedia in its full form would help people learn economics. When I was at theWorld Bank, we did fool around with these stronger forn1s of multimedia and they can havesignificant impact on understanding of economics, so its not just an idle speculation.

(2) R2 : Need for more powerful, exploratory computational tools? (Greg K.) 29 Jan

1997 09:36

"More importantly than my above concern, WinEcon, which is basically tutorial in nature, isa pretty limited form of computer-based education. One lesson we have learned from 2 or 3decades of educational computing is that the use of computers to present material (no matterhow well its done) is nowhere near as effective as the use of computers as tools orcommunication devices. So it would probably be much more valuable if students were givensome kind of powerful computational tool such as Mathematic or Maple (or perhaps, a goodgraphing program) and given problems to solve using it."

(3) A: WinEcon was designed for accessible student technologies (Jean S.) 29 Jan

1997 09:51

"First let me say that I think WinEcon and the associated> workbook discussed in thispaper are undoubtedly very> valuable teachinglIearning materials and the paper does a >

nice job illustrating the program and its various> instructional features. Perhaps it shouldbe published in > JlME for that reason alone.Thank you for this suggestion!> However, WinEcolI is a relatively weak example o/multÎmedia > ...WinEcon does not use audio and video because it was designed for the technology which webelieved UK universities would have available when it was ready. My University is areasonably high ranking 'old' university, and our computer facilities compare quite well withmany others. We have an excellent campus network and quite high spec machines, but Isuppose partly because there has not been much multi media material that people wanted touse, none of our student machines has a sound card. For computer copyright/ security

reasons there is a requirement for all packages to be centrally installed and down loadedover the network, which is a problem for video. I suggest it is more useful to have a packagewhich includes important aspects of multimedia and which many people can use, rather than

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one which has some extra bells and whistles, but which is much more restrictive in its use. Ialso suggest that the Workbook is another form of 'media', and should also be included inwhat is now available as a WinEcon 'package'."

(4) R2: Discuss current constraints, and future media (Greg K.) 29 Jan 199709:53

"HI Jean,A few comments about your reply to my review (this is supposed to be a discussion, right?)I cornpletely understand your points about how implementation considerations limit themultimedia featUres that can used

--how about including this discussion in the paper itself

--

along with your thoughts about additional multimedia features that might be desirable if theappropriate hardware/software was available to students? (Also how about multimediafeatures in the workbook itself, especially if it was web-based?) Greg"

(5) A : (1) Students lacked maths expertise (2) WinEcon does have intel'activeproblems (Jean S.) 29 Jan 1997 09:56

"The students at whom WinEcon is aimed do not have nearly enough mathematicalbackground (in general) for the use of Mathematica or Maple to be realistic. I don't knowwhether you have the full version of WinEcon (and unfortUnately if you don't I can onlysuggest you might like to buy it!) but in the full version there are quite a lot of screens where

students interact in the solution of an economic problem and then can alter parameters andtry the solution again. I suggest this does give them experience in solving problems, and

because it is structured as it is. they also discover the correct answer."

(6) R2 : Put WinEcon on the web and use for group discussions? (Greg K.) 29 Jan1997 10:06"Why not put all this stuff on the web and ask students to use it as a basis for groupdiscussions or projects?"

(7)A: copyright, and limits of the web (Jean S.) 29 Jan 1997 10:07

"Nice suggestion, on the web ... but I'm afraid you'd have to pay for a password. There is alot of material in WinEcon, and again at present technology levels it needs to be downloadedto be run successfully."

(8) R3 : Does all courseware need a workhook? (Agnes K.H.) 05 Feb 1997 15:53ni am starting to wonder whether it is possible to have really successful courseware withouta workbook. How generaIisable is the experience being reported here? It would be good tohave a clearer picture of the circumstances that have made the workbook a necessity in thiscontext.Agnes"

(9) A: Untitled (Jean S.) 11 Feb 199709:26

"I am happy to add a brief justification for the multimedia featUres WinEcon uses (and thoseit doesn't use). "(.. .)"

3103 A : Courseware users need guidance (Jean S.) 13 Feb 1997 08:59(...)

(11) E2 : Mix 'n' match approach to designing Web.based materials (Tamara S.) 10Apr 1997 16:00"We are also experimenting with using more web-based course materials and haveexperienced difficulties such as those mentioned by Jean (see copyright, and limits of theweb). (...)."

(12) CI : Weak for what and strong for what? (Josie T.) 22 Apr 1997 16:38

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~Whilst I would not want to get into an arid debate about what multimedia definitely is andwhat multimedia definitely isn't, I do think that applications need not have to comprise allpossible media to 'qualify' as strong multimedia (and therefore somehow 'better'?). I agreewith Jean that it very much depends upon what teaching is taking place and which media areessential for that teaching - and usually discipline in use of media is more appropriate thanusing everything just because its possible.

Horses for courses, perhaps, is a stronger form of multimedia teaching rather than adefinition of multimedia based upon the constraints (or otherwise) of the machinery."

(13) CI : Does guidance equal print? (Josie T.) 25 Apr 1997 10:54

"Sorry, this comment is a bit of a reflection stimulated by Agnes' remark. I agree that alllearners need guidance, and support, and workbooks are one way to do that. But inconsidering the phrase 'successful courseware without workbook' I got into a tangle becausethe fonns in which workbooks could come might be many and varied. As in WinEcon, theworkbook forms a triangulation point between the package, the student and the student'soutput. Students need workbooks (of some description) to keep track of what they are doing,why they are doing it, record their findings, log how much progress they have made, write

notes for revision etc.(oo.). But I don't think it is the only way.There is no reason in principle why this workbook could not be electronic, is there? Or doyou mean to exclude this in the telm 'workbook'? I don't think in agreeing with the generalprinciple that I am committing myself to text-only workbooks. I would also envisage a slewof different degrees of integration between electronic workbooks and package so that insome cases they could sit between the larger package and the learner providing all kinds oftutorial support (sound familiar, huh?) Josie'

1.2. Clarity of Goals

(14) R3: Learning and teaching are different (Agnes K.H.) 05 Feb 1997 15:58"If this courseware was designed as a way of implementing a teaching strategy, can it alsoserve as an aid to independent learning? Or was it designed to be both? Is that possible?"

(15) A: Designers' ambitions (Jean S.) 13 Feb 199709:18 GMT

"The funding body was primarily concerned with a teaching strategy, and that therefore hadto be at the forefront of our plans. (...) The primary concern of most of the designers was toprovide material that would offer students a new and in some ways better way of learning.Since one student uses one computer, independent learning was a primary aim, but therewere many other subsidiary aims as well. (...)

(16) RI: WinEcon as a 'plug-in' modular resource? (Edith E.) 18 Feb 199709:49

"It was not clear to me how the system would be typically integrated into a course orwhether it had been thought of as a kind of modular resource which might be 'plugged in' ina variety of contexts. Perhaps some indication of that in the text would be useful.Edith"

(17) A : Ways in which WinEcon can be used in courses (Jean S.)09:35 .

"WinEcon is a large package. The tutorial screens are of different types, (...)"

05 Mar 1997

1.3. Appropriateness of Methods

(18) R3: Development first, then theory? (Agnes K.H.) 05 Feb 1997 16:04"(oo.)"

(19) A : Experience and theory (Jean S.) 13 Feb 199709:22"(oo.)"

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1.4. Clarity & Credibility of Results

(20) R2: Where is the empirical data? (Greg K.) 29 Jan 1997 09:42

"My above conunents (under 'Originality of Ideas') don't really address what I feel is the realproblem with this paper. The main focus of the paper is about how the workbook improvesthe instnlctional value of WinEcon...and the paper is full of well reasoned and substantiatedarguments for the various benefits of the program and workbook. Where is the data? At thevery end of the paper, there are references to studies on the evaluation of the program, but Iwant to see the evidence in this paper! Its very easy to make claims about the potentialbenefits of various program features, but in the absence of results based upon studentperformance or attitude measures, it's all vacuous. In most cases when you try to nail downthese potential benefits with hard data, they tend to evaporate in a haze of speculation.In particular, I'd like to see some data that the workbook does improve student performanceor satisfaction using the WinEcon program

-- in tenns of any or all of the speci fiefeatures/functions discussed in the paper. That shouldn't be too difficult since its wellestablished in the distance education literature that a workbook (aka study guide) canimprove the effectiveness of any other materials, regardless of whether they're audio orvideo tapes, traditional print or textbooks, or even, multimedia. Without this data, the claimsmade in this paper are just wishful thinking

--and the literature is already plenty full of

this."

(21) A: Evaluation data already published... (Jean S.) 29 Jan 1997 09:44

"This sounds like a request for duplicate publishing of results! I think it's usual simply to

refer to results that are already available. If you have a problem with accessing thereferences please let me know.The evaluation at Leicester did not use the actual Workbook (which was not then publishcd)but used as it were the fore runner of it in the form of specially prepared tutorial sheets to thetrial group of students.Thanks for the opportunity of this replyJean Soper"

(22) R2 : Summary of evaluation still needed, plus future studies (Greg K.) 29 Jan

1997 09:47

"I think many readers are going to want to see some evidence of impact on learning orstudent satisfaction to be convinced that any/all of the benefits you discuss are valid...even ifit does mean recapitulating some results already published (at least a one paragraphsummary). If you don't have any results yet on the effects of the workbook...how about atleast outlining how you might go about evaluating this...or reporting some preliminaryqualitative impressions from its use so far. (As a side.note...we won't pass a doctoralcandidate in ed tech unless their research is empirically substantiated. Unsupported claimsfor the benefits of technology belong in vendor promotional materiaL)

I'd like to hear what the other reviewers think about these issues,"

(23) R3 : References to published data are not enough (Agnes K.H.) 05 Feb 1997

16:12"There is a definite need for some hard evidence in this article to support claims made aboutwhat makes for effective use of materials, how learning styles are supported (assumingstudents know their style - do they?), and so on. References to existing publications are OKbut not enough in themselves -a short summary would be much nicer for the reader."

(24) A: Summary of evidence can be added (Jean S.) 13 Feb 1997 09:03"Thank you for the suggestion. I am happy to add a short summary of the evidencepublished elsewhere."

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(25) A: Student knowledge of learning styles (Jean S.) 13 Feb 1997 09:06(.. .)

(26) C2 : Clarification: Evaluation Data (Ziggy MacD.) 19 Feb 1997 15:20

"The evaluation of WinEcon mentioned in the text did not involve the use of the workbookwhich was not available at the time. For the purposes of the evaluation we directed the pilotgroup (a proportionate sample of the 1995/96 intake) through the relevant material in

WinEcon via special problem sheets which I wrote. (...) Perhaps the paper should indicate

'how' the workbook should be evaluated, although I should mention that we are in theprocess of surveying the 260 students who have used the WinEcon-and-Workbookcombination this academic session."

(27) CAl: comment (Anon) 17 Apr 1997 06:30

" good idea!"

(28) CA2: extra comment (Anon) 17 Apr 199706:33"Again I must agree with the proposition. The line of argument is irrebutable."

1,5. Quality of Writing

(29) R3 : Screenshots as punctuation (Agnes K.H.) OSFeb 1997 16:17

"In the printed version I read, screenshots provide a kind of punctuation mechanism - eachscreenshot gives rise to one or two short paragraphs on a new topic. The effect is somewhatdisjointed. I would prefer to see longer learning sequences described, shown in screens, anddiscussed."

Discussion about TIME review SECTIONS

Introduction

(30) R3: Software awards - great. let's hear more (AgnesK.H.) 05 Feb 199716:21"Can we have a bit more information about what qualities of the courseware gave rise to theawards? (...)"

(31) A : Software qualities (Jean S.) 13 Feb 1997 11:50

"Thank you for the suggestion. Information about this was not included because asubstantial number of papers describing the software were published at thedevelopment stage, one or two of which are referenced in the paper. I would be happy to

include a short summary of some of the developers' ideas. I'm not sureto what extent I can speak for the award judges, but where there is a citation I can add a

little."

(32) CA3: Personal overview (Anon) 17 Apr 1997 06:40

"It seems sound."

Interactivity Allows Different Styles of I.earning

(33) R3 : How do students discover learning styles? (Agnes K.H.) OSFeb 1997 16:31"(...)"

(34) A: Study skills courses (Jean S.) 13 Feb 1997 09:27 GMT"(.. .)"

(35) CI : Explanations of terms (Josie T.) 22 Apr 1997 15:56

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"I think that I would like to have a brief explanation of the terms describing learners whichare used here. What is a reflector? This would help me understand the paragraph lowerdown on this page about what a reflector might typically do. Otherwise the discussion justfloats around the interface pages we can see."

Multimedia Courseware and the Learning Proces

(36) R3: Critical assessment -does WinEcon help? (Agnes K.H.) 05 Feb 1997 16:34(.. .)

(37) A: WinEcon offers alternatives (Jean S.) 13 Feb 1997 11:25(.. .)

Interactivi(y and Understanding Concepts

(38) R3: Watching, understanding, articulating (Agnes K.H.) 05 Feb 1997 16:41(. ..)

(39) A : Students writing economic analysis (Jean S.) 13 Feb 1997 11:33(.. .)

An Aid to Independant Learning

(40) R2: WinEcon designed only for individual use? (Greg K.) 29 Jan 1997 10:09(...)

(41) A : BUT individual understanding is important (Jean S.) 29 Jan 1997 10:13(...)

(42) R2: Need more on how it actually gets used (Greg K.) 29 Jan 1997 10:15

I would like to hear more in the paper about the problem-solving and group-based activitiesassociated with the use of the program and workbook. One of the things we know from edtech research is that how a program is used in the classroom (i.e., associated teachingstrategies) is just as important as the inherent features/functionality of the software itself. Soplease tell us more about how it actually gets used.(43) A: Use of WinEcon (Jean S.) 13 Feb 1997 11:37 GMT

Thank you for the suggestion. I think the 'how it is used' relates to students needing directionin using it. I would be pleased to add a little more to the paper about this.

(44) E2 : balancing group work with individual work (Tllmarll S.) 10 Apr 199716:08Greg raises several issues in the comment above: one, supporting individual versus groupwork and two, the issue of trendiness in research topics. Here, (.. .). I *do* think suppOltingcollaboration is very important, but I prefer to think about augmenting rather thansupplanting individual activities. Thus, I agree with Jean's comment!

(45) E2 : It's OK not to be trendy! (Tllmllrll S.) 10 Apr 1997 16:13

As Greg points out, the trend in educational technology research is towards supportingcollaboration. (...). Also, as Jean points out, an interesting issue is thinking about theinterplay between these two modes of activity and how learning tools and situations can bedesigned to support both modes in a synergistic way. Does the WinEcon experience shedany light on this issue?

(46) E2 : Strengths and wellknesses of action research approachesApr 1997 16:20

(Tllmara S.) 10

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"(.. .)"

2.6. Individual Pace of Learning

2.7. Software and Teaching Strategies(47) CI : Selecting your preferred tutor symbol (Josie T.) 22 Apr 1997 16:24"(.. .)"

2.8. Use of Question(48) R3: Who marks longer answers? (Agnes K.R.) 05 Feb 1997 16:47

"(.. .)"(49) A: Teaching Assistants mark answers (Jean S.) 13 Feb 1997 11:43(...)

2.9. Efficiency Gains

2.10. Inte~ratin~ software in courses

2.11. Summary

2.12. References(50) R3: Roney & Mumford. what sort of document? (Agnes K.R.) 05 Feb 1997

16:51The Honey & Mumford reference is non-standard. What sort of document is it?

*

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Anthony Moulin, Université Lumière Lyon 2

Jacqueline Vacherand-Revel, Ecole Centrale de Lyon

Jean-Marie Besse, Université Lumière Lyon 2

L'écriture médiatisée et distanteen téléconception multisites

Introduction

La représentation commune que nous avons de l'écriture estcelle d'un acte singulier permettant à une personne decommuniquer avec une autre personne de manière différée dans letemps et l'espace. En tant qu'artefact cognitif, l'écriture est uneaide précieuse à la pensée et lui permet d'organiser, de planifier etde réviser l'ensemble des représentations qu'elle expose. De plus,les fonctions de l'écriture sont multiples: elles changent, évoluent,compte tenu des situations culturelles et sociales, des destinataires,des intentions et des compétences de l'auteur.

Actuellement, la médiatisation de l'activité humaine collective,par ses systèmes coopératifs associés à des réseaux hauts débits,suscite de nouveaux liens entre les individus et donne une nouvelledimension à l'interaction interhumaine où l'écriture collaborativedevient une véritable modalité de cette interaction, un moyen et unsupport important de l'activité collective collaborative.

Aussi l'objectif de cette recherche est-il de mieux cerner lesmodalités et les processus de l'écriture collaborative lorsqu'elle estmédiatisée par des systèmes coopératifs à hauts débits, et plusprécisément de mettre en évidence s'il y a ou non interaction entrela révision de texte (et plus particulièrement des différentesopérations de révision qui la caractérisent) et les échanges verbauxoraux produits par l'ensemble des experts participant aux séancesde travail synchrone (en temps réel).

Problématique

La plupart des recherches effectuées dans le champ de lapsychologie sur les processus cognitifs impliqués dans la

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production de texte proprement dite s'inscrivent dans le paradigmecognitiviste du Système de Traitement de l'Information (S.T.I.) etdes modèles du fonctionnement cognitif humain lors d'une tâched'écriture ont été développés (Hayes & Flower, 1980; Bereiter &Scardamalia, 1987 ; Sharples, 1989).

Quelles que soient les populations concernées par les recherches(populations d'enfants/novices ou d'experts/adultes) et la naturedes tâches proposées (écriture manuscrite ou écriture sur traitementde texte), la plupart des travaux réalisés considèrent l'écriture entant qu'acte individuel, c'est-à-dire en tant que réalisée par uneseule personne isolée de toute interaction interhumaine(Scardamalia & Bereiter, 1991 ; Piolat, 1993; Espéret, 1995; Anis,1995; Hayes, 1996; Fayol, 1997).

Parallèlement, avec l'insertion de systèmes coopératifs associésà des réseaux hauts débits au sein des différentes organisations, letravail collaboratif prend une nouvelle dimension. En effet,l'utilisation de collecticiels (visioconférence, éditeurs partagés... )associés à des réseaux hauts débits favorise la réalisation de projetsà l'échelle internationale: plusieurs groupes géographiquementdistants peuvent ainsi réaliser des travaux de télé-écriturecollaborative sans se soucier ni de l'espace, ni du temps. Ce modede travail se développe autour d'un ensemble de technologiesappelées groupware ou collecticiel dont l'un des principaux intérêtsest l'élaboration de tâches coordonnées entre plusieurs partenaires.Ce type de médiatisation technologique peut prendre plusieursformes: elle peut être visuelle ou textuelle et elle permet unecommunication en temps réel dite synchrone (visioconférence avecpartage d'application) ou une communication différée diteasynchrone (courrier électronique, forum... ).

Peu de recherches en psychologie cognitive ont tenté de rendrecompte de la dynamique de l'écriture collaborative (Posner, 1991 ;Barbier, Jaljal et Piolat, 1993; Sharples, 1993; Beck, 1994) etencore moins dans une situation médiatisée par des systèmescoopératifs associés à un réseau haut débit. C'est pourquoi il nous asemblé intéressant d'aborder l'écriture dans ce double contexte à lafois collaboratif et médiatisé.

Notre recherche se propose d'appréhender une situation detravail de télé-ingénierie de conception d'un module multimédia deformation sur réseau ATM (Asynchronous Transfert Mode), oùl'écriture collaborative est une des modalités de l'interaction entre

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les différents experts qui se retrouvent dans une situation imposéede collaboration à distance et qui interagissent à travers l'utilisationdes outils technologiques. L'observation de cette situation detravail collaboratif multisite et médiatisée par un dispositiftechnologique a fait émerger un certain nombre de questions sur lapratique partagée, par les différents sujets, de l'écriture: quels sontles processus cognitifs mis en jeu à travers l'écriture collaborativeconsidérée comme une modalité de l'interaction médiatisée? Peut-on considérer les processus liés à la collaboration indépendammentde ceux liés à l'écriture même? Autrement dit, pouvons-nous fairel'économie des interactions verbales entre les personnes et neconsidérer que les performances écrites pour comprendre ce qu'estl'écriture collaborative? Quelle est la fonction et quel est le statutde l'écriture collaborative?

À partir de ce questionnement, nous formulons deux hypothèsesrelatives à une situation de travail collaboratif et distant detéléconception :- la première concerne les échanges verbaux oraux entre lesdifférents locuteurs. Chaque catégorie d'occurrences verbales nesera pas systématiquement suivie d'une transformation au niveaudu texte. Autrement dit, le nombre d'occurrences verbales suiviesd'une opération de révision sera nettement inférieur au nombred'occurrences verbales non suivies par une opération de révision;- dans le cas d'une réelle interaction entre l'oral et l'écrit, ladeuxième hypothèse postule qu'il n'y a pas de relation entre lanature des opérations de révision effectuées sur le texte et la naturedes différentes catégories d'occurrences verbales.

Démarche méthodologique

La situation observéeLa recherche s'est inscrite au sein d'un projet pluridisciplinaire

et international (dans le cadre du projet VERSO, projet «Autoroutede l'Information» du ministère des Affaires étrangères) dontl'objectif initial était d'étudier l'interaction collaborative sur unréseau haut débit dans le cadre d'un projet de télé-ingénierie deconception collective, dite «co-conception », d'un produitmultimédia de téléformation conduite dans un contexteinternational francophone et multisites. Ce projet de télé-ingénierie

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s'est déroulé sur six mois. Le produit réalisé est un coursmultimédia sur les réseaux ATM dans l'environnementd'apprentissage d'un campus virtuel. Pour sa conception, il a réunitrois équipes d'experts (ingénieurs et chercheurs entélécommunication et informatique) issues de trois sitesinstitutionnels différents: laboratoire LICEF à Montréal,laboratoire ICTT à l'Ecole Centrale de Lyon et CNET de FranceTelecom à Lannion. Les trois équipes (qui ne se sont jamaisrencontrées sur un même site géographique durant tout le processusde téléconception) ont travaillé au moyen d'un dispositif composéd'une visio-conférence et d'un éditeur partagé avec l'applicationcoopérative Neetmeeting et le réseau ATM. Pendant six mois, lesconcepteurs ont disposé de trois séances synchrones de 2h30 parsemaine, soit 7h30 de connexion. On comptabilise environ unecentaine d'heures en session synchrone sur ATM, avec unemoyenne de deux participants actifs par session et par site,auxquelles s'ajoutent une vingtaine d'heures environ de séancessynchrones tenues au travers de liaisons RNIS (avecPictureTelLive) en dehors des plages horaires allouées sur ATM.

À chaque séance de visio-conférence, les participants avaient unordre du jour en commun (tâche prescrite) qui correspondait à l'undes contenus pédagogiques du module multimédia écrit par l'undes experts en mode asynchrone. L'ensemble des sessionssynchrones a été filmé. Un gros plan fixe a permis de conserver lesprocédures et le contenu du travail avec précision; l'écran desacteurs avec l'enregistrement sonore a permis de conserver lestraces des échanges verbaux. Notre analyse a porté surl'enregistrement de douze heures trente de travail effectif ensessions synchrones réparties temporellement sur l'ensemble duprocessus de télé-conception. Ces fenêtres d' observa~iontemporalisées depuis le début jusqu'à la fin du processuspermettent d'observer l'évolution du travail.

Parmi l'ensemble des experts mobilisés par ce projet, nous noussommes focalisés sur le travail de co-écriture des experts traitant ducontenu pédagogique du cours multimédia sur ATM dans lesséances de travail synchrone.

Le choix des unités d'analyseL'objectif de cette recherche était de mettre en évidence

l'interaction entre la révision de texte (et plus précisément des

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différentes opérations de transformation qui la caractérisent) et leséchanges verbaux oraux. Toute la difficulté était de déterminer desunités d'analyses de même niveau de granularité pour rendrecompte de l'interaction entre ces deux types de processus. Pourappréhender notre objet d'étude (l'écriture collaborative) enfonction de la problématique que nous avions élaborée, nous noussommes centrés sur des unités d'analyse correspondant à deuxprocessus qui interviennent lors de l'écriture collaborative dans lasituation professionnelle observée de téléconception d'un produitlogiciel multimédia de formation.

La première unité d'analyse concerne la révision de texte. Auregard des recherches précédemment effectuées (Piolat, 1987;Espéret; 1995; Anis, 1995), le processus de révision seradécomposé en cinq opérations fondamentales pratiquées sur le texteà réviser: (a) la suppression d'une partie du texte, (b) la substitutioncorrespond à la réécriture ou reformulation d'un mot, d'un groupede mots, d'une phrase, d'un ou plusieurs paragraphes, (c)l'insertion, (d) le déplacement, (e) la repagination.

La deuxième unité d'analyse: les occurrences verbales orales.L'un des intérêts de prendre en compte les protocoles verbauxproduits pendant l'activité de révision est de pouvoir se focalisernon plus seulement sur les transformations finales que les expertsapportent au texte, mais aussi sur la compréhension des processuscognitifs à l'origine de ces modifications.

Rendre compte des interactions verbales orales entre lesdifférents experts en situation de télé-conception collaborative estcomplexe. En effet, la médiatisation de t'activité collaborativeentraîne un changement radical dans l'organisation même de lacommunication. Ainsi, l'organisation proxémique de lacommunication médiatisée subit une transformationcomparativement à une situation classique face à face. Lacoordination des tours de parole n'aura plus la même configurationpar rapport à une situation classique.

Parmi l'ensemble des outils théoriques proposés pour aborderles échanges verbaux entre les experts, la linguistique del'énonciation, et plus particulièrement l'analyse conversationnelle(Kerbrat-Orecchioni, 1990; Bange, 1992) a semblé être l'outilméthodologique le plus pertinent par rapport à notre objet car sonprincipe fondamental est de pouvoir rendre compte de «l'usagecommunicationnel du langage». Dans ce cadre, tout discours est

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une construc6on coJ]ective ou une réalisation interactive. Commele souligne C. Kerbrat-Orecchioni «l'occurrence des actes delangage en situation interlocutive en fait des interactes de langage,comme elle fait des locuteurs des interlocuteurs c'est-à-dire desinteractants par le discours.» (1990: 11). Dans le contexte de cetterecherche, l'unité choisie est le tour de parole. En travaillant àpartir de la retranscription écrite des enregistrements vidéos, nousavons pu établir différentes catégories d'occurrences verbalesorales qui concernaient le sens à apporter au texte et quiaboutissaient finalement à une transformation ou non du texte. Ence qui concerne la nature des différentes catégories établies, nousnous sommes inspirés des travaux réalisés par Daiute et Dalton(1988, 1989) mais aussi de l'analyse de la retranscription desconversations enregistrées, dont un certain nombre de sous-catégories récurrentes ont émergé. Ces dernières se répartissentselon deux grandes catégories générales correspondant à deuxniveaux différents de l'activité: un premier niveau que l'onpourrait qualifier de «procédural» où les échanges verbaux orauxconcernent à la mise en œuvre de différentes procédures liées àl'usage du dispositif technologique (une procédure pouvant êtredéfinie comme une suite organisée d'actions permettant de réaliserun but) et un deuxième niveau où les échanges verbaux orauxrenvoient beaucoup plus à la signification à apporter au texte:- la lecture correspond à la lecture à haute voix par un des expertsd'une partie du texte apparaissant à l'écran;- la procédure d'écriture correspond à une demande ou à uneindication de l'un des experts de l'une des opérations d'écriturequ'il va ou qu'il devrait effectuer (exemple: « est-ce que jesupprime ce terme» ou «... bon je vais le déplacer par ici. ., ») ;- la procédure commande est une verbalisation orale explicite del'un des experts qui indique aux autres partenaires une action ou unensemble d'actions qu'il va effectuer à partir des commandes dudispositif technologique (exemple: «je prends la main» ou «jevais enregistrer ce que l'on vient d'écrire pour être sûr de ne rienperdre») ;- la répartition du travail correspond uniquement à la réalisation dutexte par les différents experts, qui auront chacun leur partie àécrire en mode asynchrone. Nous nous sommes focalisés ici sur larépartition du travail concernant l'écriture du texte mais bienentendu cette notion de répartition peut être appréhendée plus

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globalement en terme d'organisation du travail à différentsmoments de l'activité: ce dernier point dépasse le cadre de notretravail ;- la demande d'indication à l'écran d'une partie du texte (cettepartie du texte peut aller de la virgule au paragraphe) par un desexperts qui n'arrive pas à situer à l'écran ce que mentionne un deses partenaires.- l'indication à l'écran correspond à la réponse apportée à lademande précédente;- la demande d'explication correspond à la demande explicite deprécision du sens du texte à différents niveaux (du mot à la phrasejusqu'au paragraphe) d'un des experts à l'un de ses partenaires,scripteur de la partie du texte concernée par cette demande;- l'explication correspond, suite à la demande précédente, à lajustification de la part d'un des experts du sens qu'il a voulu donnerdans la partie du texte concernée.- la demande d'évaluation diffère de la demande d'explication dansle sens où elle se focalise sur la demande explicite de précision dusens apporté au texte par l'un des experts à l'un de ses pmtenairesqui n'est ici pas forcément le scripteur de la partie du texteconcernée par la demande. Cela correspond à des occurrencesverbales du type «qu'est-ce que tu en penses?»;- l'évaluation correspond, suite à la demande d'évaluationprécédente, à la mise en sens de la partie du texte concernée de lapart d'un des experts;- la suggestion sur la forme est l'émission de la part d'un desexperts d'une proposition sur J'agencement global du texte pour samIse en page;- la suggestion sur le contenu correspond à J'émission de la partd'un des experts d'une proposition de sens à intégrer au texte. Cettecatégorie-là est entièrement indépendante des autres catégoriesdans le sens où elle peut être émise à tout moment au sein de laconversation sans répondre spécialement à une demande antérieure.Ici l'expert prend l'initiative d'émettre son opinion sur le sens àapporter au texte sans que l'on puisse trouver un quelconque indicedéclencheur dans les occurrences verbales qui précèdent;- le consensus est une catégorie d'occurrence verbale particulièredans le sens où elle peut être émise après différentes catégoriespossibles. Sur le plan explicite, cela correspondra à une émissionorale du type «je suis d'accord» ou tout simplement par un «oui !»

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confirmant ce qui vient juste d'être émis par un autre expert. Ilpeut donc y avoir, en effet, consensus après une explication, aprèsune évaluation ou après une suggestion sur le contenu émis par unautre expert. Nous obtenons ainsi treize sous-catégoriesd'occurrence verbale qui nous permettront de coder l'ensemble destours de parole suivant la nature des activités. L'objectif est depréciser à quel niveau se situe exactement l'interaction entre lesoccurrences verbales et les opérations de révision, c'est-à-dire dedéterminer exactement par quelle opération de révision est suiviechaque catégorie d'occurrence verbale.

Résultats

Pour une lecture synthétique des résultats, nous avons opté pourune représentation graphique sous forme d'histogramme. L'exposédes résultats progressera de la manière suivante: nous exposeronsdans un premier temps les résultats portant sur les occurrencesverbales pour ensuite les aborder en fonction des différentesopérations de révision. Une analyse globale de l'ensemble desrésultats nous conduira vers une définition de ce qu'est l'écriturecollaborative dans le cadre de notre recherche.

Résultats en fonction des occurrences verbales

Histogramme n01 ; répartition des résultats suivant les différentescatégories d'occurrences verbales

Répartition des résultats suivant lesdifférentes catégories

d"occurences verbales

60

50

40

30

20

10

o

I!IIII sans opération derévision

. avec opérationsde révision

ABCDEFGHIJKLMOccur_nces verbales

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Pour une lecture plus synthétique de l'histogramme, nous avonscodé chacune des catégories des occurrences verbales par une lettrede l'alphabet. Nous aurons donc: A =Lecture; B = Demanded'explication; C = Explication; D =Demande d'évaluation; E =Evaluation; F = terme d'effectifs.

- Les catégories d'occurrences verbales non suivies d'opérations derévision:

Parmi les treize catégories d'occurrences verbales établies,seule la catégorie procédure d'écriture n'apparaît pas: ce résultataurait pu être prévisible puisque nous nous intéressons dans cettepartie de l'analyse aux occurrences verbales non suiviesd'opérations de révision et que cette catégorie correspond à lademande explicite de la part d'un des experts d'une modification àapporter au texte. En revanche les catégories, demanded'explication, explication, suggestion sur la forme, demanded'indication à l'écran, indication à l'écran et procédurecommande ont des résultats faibles (<10) c'est-à-dire qu'elles necorrespondent pas à des moments d'échanges signifiants pour lacollaboration. Mises à part les deux catégories de man ded'explication et explication, les quatre autres correspondent,comme nous l'avons souligné dans la partie méthodologique (cfsupra), à la mise en œuvre de différentes procédures liées à l'usagedu dispositif technologique. On peut en conclure ici que l'usage dudispositif technologique ne semble pas être une véritable contraintepour l'activité collaborative (ce résultat serait sans doute différentsi les participants n'avaient pas les mêmes compétencestechniques).

Cette constatation prend d'ailleurs tout son sens lorsque nousobservons les résultats obtenus pour les catégories demanded'évaluation (L=49, soit 26,6%), évaluation (L=36, soit 19,5%),suggestion sur le contenu (L=18, soit 9,7%), consensus (L=16, soit8,7%) et répartition du travail (L =19, soit 10,3%) qui sontproportionnellement beaucoup plus importants.

Les catégories d'occurrences verbales les plus signifiantes pourl'écriture collaborative sont celles dont le locus d'intérêt porteuniquement sur le texte. De plus, les deux catégories demanded'évaluation et évaluation sont celles qui interviennent le plusmassivement (respectivement 26,6% et 19,5%) et il se trouvequ'elles correspondent toutes les deux à l'explicitation des

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différents concepts contenus dans le texte: concepts techniques etpédagogiques liés à la conception du module multimédia deformation. Dans le même ordre d'idées, les deux catégoriessuggestion sur le contenu et consensus sont aussi significatives surl'ensemble des résultats (respectivement 9,8% et 8,7%) et viennentrenforcer la constatation que l'écriture collaborative se définitsurtout par l'élaboration du sens du texte. Dans une situationmédiatisée par un système coopératif associé à un réseau hautdébit, elle est à la fois support et moyen de la collaboration. Parailleurs, la catégorie répartition du travail intervient aussi demanière non négligeable puisqu'elle correspond à 10,3% del'ensemble des résultats. En effet, il semble que la répartition desdifférentes parties du texte à écrire par chaque expertindividuellement, en mode asynchrone, soit une part importanteaussi de la collaboration entre les experts. Cette répartition se ferasurtout en fonction des compétences de chacun.

- Les catégories d'occurrences verbales suivies d'opérations derévision:

Il s'agit d'analyser ici les catégories d'occurrences verbales quisont suivies immédiatement d'une opération de révision sur letexte. La répartition des résultats obtenus est très contrastée etpermet de tirer des conclusions tout à fait intéressantes pour notreobjet d'étude. En effet, sur l'ensemble des treize catégoriesd'occurrences verbales, les résultats sont véritablement significatifspour quatre catégories: seules les catégories évaluation, suggestionsur le contenu, consensus et procédure d'écriture se démarquenttrès nettement des autres dont les résultats sont nuls ou égaux à un,ce qui correspond à un résultat non significatif sur l'ensemble.

Nous pouvons en déduire que les opérations de révisions'effectuent soit après une évaluation du sens d'une partie du texte,soit après une émission de la part d'un des experts d'uneproposition du sens à apporter au texte (suggestion), soit après unconsensus établi explicitement par l'ensemble des experts quant ausens à apporter au texte ou après une demande ou une suggestionexplicite de l'opération de révision à effectuer. Autrement dit, lanature des occurrences verbales (précédant chaque opération derévision) correspond uniquement au sens à apporter au texte.

Pour résumer l'ensemble des résultats obtenus en fonction desoccurrences verbales, nous pouvons dire que l'écriture

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collaborative médiatisée par les technologies de l'information et dela communication est une tâche de haut niveau qui s'élabore dansun espace partagé par l'ensemble des experts et dont le texte(support et moyen de la collaboration) est porteur de sens tant surl'élaboration collective de son contenu que sur la pratique partagéedu dispositif technologique.

Résultats en fonction des différentes opérations de révisionNous aborderons ici la nature des opérations de révision

effectuées sur l'ensemble des catég01ies d'occurrences verbales.L'objectif est de mieux cerner comment se matérialisent les

occurrences verbales sur le texte. La question est alors decomprendre quelle est la nature des opérations de révision: est-ceque les différentes opérations interviennent en quantité homogèneou, au contraire, est-ce que certaines opérations interviennent plusmassivement que les autres?

Histogramme n02 : résultats concernant les opérations de révision surl'ensemble des occurrences verbales

~ -.--_.--

Répartition des opérations de révisionsur l'ensemble des occurrences

verbales6050

4030 .

20

10o

suppression substitution insertion déplacement repagination1

Les résultats obtenus sont très hétérogènes mais apportent uncomplément intéressant aux analyses précédentes. Les opérationsde suppression, substitution et déplacement n'interviennent pas demanière significative sur l'ensemble des résultats puisqu'elles nesont pratiquement pas utilisées. Cela signifie que le texte originalne subit que très peu de modifications. En revanche, ce qui vasurtout caractériser l'activité de révision est l'utilisationprépondérante de l'opération d'insertion (elle intervient dans

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83,3% des cas), qui ne correspond pas à une modification du textedéjà écrit mais à un rajout au sens apporté initialement au texte. ~

Une autre constatation, surprenante mais finalement révélatricede la nature de la collaboration entre les experts, est l'absencetotale d'opérations de repagination : les experts ne semblent paspréoccupés par la forme de « leur» texte mais bien plutôt de sonsens. Nous rappelons qu'il s'agit d'un même texte partagé entemps réel par l'ensemble des experts se situant chacun sur un sitegéographique différent et très distant, d'où l'utilisation du terme«leur» pour indiquer ce processus d'appropriation par l'ensembledes experts du contenu d'un même texte.

Analyse globale

L'analyse de ces résultats permet de dégager un certain nombrede constats signifiants pour l'activité d'écriture collaborative.

Les interactions verbales entre les différents experts peuventêtre définies globalement comme un processus de négociation:négociation du sens à apporter au texte. Bien que provenant d'unmême domaine d'expertise, les experts (qui sont en théorie censéspartager des savoirs scientifiques communs) ont des représentationsdifférentes du domaine et de la manière de l'enseigner. En effet, laco-conception multisites d'un module multimédia de formation surréseau ATM pour des apprenants de type ingénieur nécessite pourchaque expert de rendre explicite leurs connaissances scientifiqueset par là-même de les partager avec leurs partenaires pour queceux-ci valident ou non la signification donnée.

Sur l'ensemble des différentes occurrences verbales, seulement25,2% aboutissent à une opération de révision sur le texte. Cettenégociation du sens n'aboutit donc pas immédiatement à unetransformation du texte et nécessite des échanges préalables assezlongs. Cette constatation vient valider notre première hypothèse derecherche: l'ensemble des occurrences verbales ne sera pasforcément suivi d'une transformation au niveau du texte.

À l'inverse, les résultats obtenus à partir du tableau nOl nousconduisent à rejeter notre deuxième hypothèse suivant laquelle,dans le cas d'une interaction entre l'oral et l'écrit, il n'y a pas derelation entre la nature des opérations de révision effectuées sur letexte et la nature des différentes catégories d'occurrences verbales.

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Nous avons pu constater que les résultats sont nettementsignificatifs et que les modifications apportées au texte (etprincipalement l'opération d'insertion) ne s'effectuent qu'aprèscertaines catégories d'occurrences verbales et plus pal1iculièrementcelles qui portent sur la signification du texte (évaluation,suggestion sur le contenu et consensus).

Par ailleurs, on constate que la médiatisation de l'activitéintervient dans les échanges entre les différents acteurs: en effet, lamédiatisation du travail collaboratif de co-écriture suppose la miseen place de méthodes de travail plus explicites qu'en face-à-face.Ce qui, en face-à-face, est implicite doit devenir explicite àdistance. Ce qui d'habitude est accepté dans une situation face àface (comme le chevauchement de deux discours) peutdifficilement l'être dans une situation de communicationmédiatisée. Avec l'utilisation d'un dispositif comme le collecticieI,les tours de parole doivent être respectés avec plus de rigueur etceci confère à l'écriture collaborative une organisation originale.

Conclusion

Notre objectif était d'appréhender les processus cognitifs del'écriture collaborative médiatisée par un dispositif technologique(système coopératif associé à un réseau haut débit ATM) dans unesituation de télé-ingénierie de co-conception d'un modulemultimédia de formation. Il s'agissait de rendre compte d'uneaction humaine (l'écriture collaborative) médiatisée qui s'inscrivaitdans une dynamique professionnelle.

La recherche a permis de mettre en évidence que l'activité desexperts correspond principalement à une révision de texte dont laproduction originale est réalisée par l'un des expertsindividuellement en mode asynchrone et dont le sens sera ensuitenégocié collectivement en séance de travail synchrone. Cettenégociation vise à établir une compréhension partagée parl'ensemble des acteurs impliqués dans l'interaction et c'est untravail long et exigeant en terme d'attention, notamment parl'élaboration de référentiels communs et de méthodes de régulationde l'activité.

Par ailleurs, en nous centrant sur le travail collaboratif en modesynchrone, nous n'avons abordé qu'une partie de l'écriture

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collaborative. Il serait intéressant dans les recherches futuresd'aborder cet objet d'étude dans sa globalité c'est-à-dire à la fois enmode synchrone comme nous]' avons fait ici, mais aussi en modeasynchrone où il s'agirait, par exemple, d'observer et d'analyser leflux des messages électroniques que s'envoient l'ensemble descollaborateurs dans la période de conception. L'approche du travailcollaboratif en mode synchrone pourrait être envisagée aussi àtravers l'étude des processus attentionnels, ce qui permettrait derendre compte de la façon dont les experts s'approprient etcoordonnent mutuellement leurs actions dans cet environnementmédiatisé.

Dans une autre perspective, les incidences de l'utilisation d'undispositif technologique sur l'écriture collaborative nousconduisent à repenser les relations entre savoirs des expertsimpliqués et tâche à accomplir. En effet, les experts ont chacunleurs connaissances du dispositif technologique utilisé, desconnaissances pédagogiques et des connaissances liées à leurdomaine d'expertise, mais nous constatons aussi la constructiond'une connaissance collective qui n'est pas forcément en totalitéintégrée par chacun des membres du groupe.

L'écriture collaborative devient un acte situé dans le sens oùl'environnement est déterminant pour le bon déroulement del'action. En effet, les experts ne s'engagent pas dans l'action avecune série d'objectifs pré-spécifiés rationnellement. Ils recherchentles informations dans leur environnement et plus particulièrementici sur la base du texte. C'est également en prenant en compte lesavis des autres partenaires, en échangeant ou en confrontant leursdifférents points de vue qu'ils essayent de trouver un terraind'entente sur le sens à apporter au texte - l'intérêt étant de voircomment les experts utilisent et sélectionnent les informations etressources disponibles: sociales, symboliques et matérielles.

Ainsi, il y a mise en œuvre de l'action dans son contexte: lesexperts ne peuvent planifier le déroulement exact de leur réunionen visioconférence. Ils ont effectivement un ordre du jour encommun qui correspond à l'un des contenus du module multimédiasur lesquels ils travaillent, mais ils ne savent pas à l'avanceexactement sur quelles notions, sur quels concepts clés, ou mots, ouphrases portera leur conversation. Ils ne peuvent prévoir, parexemple, si le dispositif technologique va bien fonctionner sur letemps prévu. Il y a une part d'imprévu qui fait de l'écriture

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collaborative une action située dans un environnement qui changeet évolue. Dans cette perspective, la théorie de la cognitiondistribuée (Hutchins, 1989; Norman, 1993) semble être uneapproche pertinente pour aborder cet objet d'étude. Cette approchede la cognition distribuée est actuellement développée au sein dessciences cognitives et son objectif explicite est de contribuer à laconception de technologies. L'idée centrale de ce modèle est que lesavoir n'est pas à imputer à un individu solitaire: il est socialementdistribué (parmi les gens), techniquement distribué (entre les genset les artefacts) et temporellement distribué. L'intérêt d'aborderl'écriture collaborative du point de vue de la cognition distribuéeserait de pouvoir rendre compte à la fois des processus liés à unindividu et des processus liés à un groupe d'individus. Ainsi,lorsque les experts écrivent en collaboration, en ayant plus oumoins conscience de l'ensemble des représentations qui sontvéhiculées par ce qui structure leur relation, ils vont devoir exercerleurs habiletés cognitives I liées à la pratique de l'écriture eJle-même et en même temps leurs habiletés cognitives à pouvoir gérerau mieux les relations interpersonnelIes et la relation aux altefactstechnologiques.

*

--------------------I Nous définirons les habiletés cognitives comme l'aptitude à appliquer des connaissances,aptitude qui se manifeste dans des actions sur des connaissances etlou des objets et quipermet donc à une personne d'exécuter des tâches à un niveau d'efficacité plus ou moinsélevé.

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Pierre Coirier, CNRS - Université de PoitiersJerry Andriessen, Université d'Utrecht

Une approche fonctÎonnelle de la production destextes argumenta tifs élaborés:

une activité « coopérante» ?

Envisagée sous l'angle de la psychologie cognitive, la rédactionargumentative relève-t-elle de processus spécifiques? Dans lecadre d'une approche fonctionnelle des types de textes, la viséecommunicative du scripteur constitue un paramètre central dans lagestion des traitements rédactionnels (Coirier, 1999). Rédigerindividuellement une argumentation élaborée ne constitue bien sûrpas, par définition, une activité coopérative, mais on peut toutefoisconsidérer qu'il s'agit d'une activité «potentiellementcoopérante ». La prise en compte d'un destinataire, même virtuel, yjoue en effet un rôle essentiel. En témoigne la fréquence croissantedes marques énonciatives de prise en charge (je pense que, à monavis...) et de la contre-argumentation dans les protocoles écrits, auxenvirons de 13-14 ans (Espéret, Coirier, Coquin- Viennot &Passerault, 1987); le rédacteur ne se positionne plus, dès lors,comme énonciateur universel. Surtout, et bien que les traceslinguistiques n'en soient pas fréquentes, l'opération la pluscaractéristique dans les protOcoles recueillis est aussi celle quiexprime le plus directement la dimension polyphonique dudiscours, la mention d'une source énonciative autre que le scripteurlui-même: «certains disent que », «vous prétendez que », «onsoutient parfois que»... Presque totalement absente chez les plusjeunes (11-14 ans), cette opération est réalisée dans un tiers des caschez les plus âgés (15-18 ans) (Marchand, 1993); on peut y voir laprésence d'un destinataire comme co-énonciateur, au sens deBronckart, Bain, Schneuwly, Daviaud et Pasquier (1985). En quoiune telle coopération potentielle constitue-t-elle une caractéristiquefonctionnelle nécessaire pour la production d'argumentationsécrites élaborées?

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Une approche fonctionnelle des types de textes

Dans leur théorisation des types de textes, Bronckart et al.(ibid) ont clairement défini les relations entre les paramètrescontextuels de la situation et les caractéristiques du discours. Lerôle de la situation énonciative (la nature du couple énonciateur-destinataire), le lieu social ou institutionnel, l'intentioncommunicative, apparaissent, in fine, comme les principauxdéterminants de la différenciation entre les types discursifs.L'articulation entre les composantes pragmatique et rhétorique dudiscours et les processus mis en œuvre dans la rédaction estégalement intégrée dans les modèles psychologiques classiques dela production de textes, notamment avec Hayes et Flower (1980) ;et mieux encore dans le modèle de Bereiter et Scardamalia (I987),où ces composantes permettent de distinguer deux stratégiesfondamentales de composition: le knowledge telling consiste, enquelque sorte, à transcrire l'information présente en mémoire«comme elle vient »; dans le knowledge transforming, l'espacerhétorique va au contraire induire une réorganisation du contenumental de façon à l'adapter aux contraintes correspondantes: but,destinataire... Les sous-processus cognitifs mis en jeu à ce niveaurestent cependant très peu détaillés dans ces modèles,contrairement à celui de Bronckart et al. Inversement, ces derniersnous semblent attribuer un rôle trop restreint à la viséecommunicative, à la fonction du texte. (Cf. Alamargot etChanquoy - sous presse - pour une analyse critique détaillée desdifférents modèles psychologiques de la production écrite).

Une approche plus fonctionnelle de la spécificité des différentstypes de textes, inspirée en partie des travaux de Brewer (1980),conduit à souligner trois points:(1) Il existe une relation spécifique entre la visée communicative,le but du texte, sa fonction, et les paramètres contextuels. À ladifférence de Bronckart, nous considérons en effet qu'il n'y a pasindépendance entre le contexte discursif et la fonction du texte: onne parle pas à n'importe qui, de n'importe quoi, sans un butdéterminé; et ce but, déterminé par, et déterminant, aussi, lasituation, nous semble constituer le paramètre central dans lagestion des processus rédactionnels.(2) Un but discursif spécifique implique le recours à des outilstextuels eux-mêmes (relativement) spécifiques, qu'il s'agisse de

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modèles textuels préétablis, comme le schéma narratif, ou destructures linguistiques plus fines, telles celles de la concession,fortement associée à la contre-argumentation.(3) Les activités cognitives impliquées dans la rédaction sontsusceptibles de varier fortement en relation aux deux aspectsprécédents.

On peut en proposer un exemple rapide en se demandant queltype de traitement de l'information va être engagé si l'on considèrequatre types de textes différents:- dans le cas de la narration, dont une fonction première est dedistraire, peu importe que l'information soit vraie, ce qui comptec'est qu'elle intéresse le destinataire ;- dans le cas de la description, la véracité de l'information devientau contraire une propriété cruciale;- dans le cas des textes décrivant des procédures, le problème estcelui de l'efficacité;- dans le cas de l'argumentation, l'acceptabilité par le destinatairedevient le critère décisif.

Les structures mentales mises en jeu varieront en conséquence:recherche d'information en mémoire, analyse des relationslogiques ou causales, activation des affects, confrontation des idéesproposées aux croyances établies, mise en jeu de schèmesopératoires.. .

Le cas du texte argumentatif

Les travaux qui se sont développés depuis plus de 20 ansmaintenant dans le domaine de la rédaction argumentativepermettent de définir plusieurs caractéristiques importantes dans laperspective fonctionnelle décrite ci-dessus (Cf. Coirier, Andriessen& Chanquoy, 1999). On distinguera d'une part des préconditions,c'est-à-dire un certain nombre de paramètres contextuels requis parl'émergence d'une conduite argumentative, et d'autre part lesconstituants textuels minimaux exigés par la fonction de ce type detexte: «construction par le locuteur d'une représentation, d'uneschématisation logico-discursive visant à modifier la représentationdu destinataire sur un objet donné» (Grize, 1982).

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Préconditions de l'argumentationPour que se développe une conduite argumentative effective il

faut tout d'abord que l'existence d'un conflit soit reconnue. Unetelle clause peut paraître banale, mais il n'est pas toujours clairpour de très jeunes enfants que deux demandes, ou deux opinions,soient incompatibles dans la réalité (Stein & Miller, 1993b ; VanEemeren & Grootendorst, 1984).

Ce conflit doit en outre porter sur un thème « discutable ». Il estbien connu, en effet, que certaines questions relèvent de champs oùl'opinion dominante du groupe (social, familial) interdit toute prisede distance: l'expression du Révisionnisme est illégale en France.Sans aller aussi loin, plusieurs études indiquent que nombre dethèmes se prêtent parfois difficilement au débat: le racisme, ladrogue, l'avortement, lorsqu'ils sont proposés à la discussion, danscertains contextes, conduisent à des protocoles souvent trèspauvres et surtout mono-orientés: seuls les arguments favorables àla doxa sont retenus (Golder, 1996 ; Gombert, 1998).

Au plan de la situation énonciative, il faut encore qu'existe unevolonté de résoudre le conflit, sous peine de se trouver dans unesituation soit d'affrontement «physique », soit d'évitement pur etsimple. Cela présuppose un contexte favorable à la négociation, etdépend donc de nombreux facteurs psychosociaux : l'éducation,l'âge des locuteurs, la hiérarchie entre les partenaires (Cf. sur cepoint Charolles, 1980). Le degré de décentration psychosociale,entendu comme la connaissance et l'admission de la possibilité decroyances différentes des siennes, joue un rôle crucial, ce quipourrait expliquer (en partie), le caractère tardif de la production detextes argumentatifs élaborés (Golder, 1992).

Il faut enfin vouloir résoudre ce conflit au moyen du discours(Charolles, 1980; Perelman & Olbtrechts-Tyteca, 1988), voired'un discours «raisonné », qui ne se réduise pas à la simple(ré)affirmation d'une prise de position, ni non plus à un dialogueconstitué en fait par l'alternance de deux monologues autonomes(Golder, ibid).

Ces préconditions peuvent apparaître comme relativementnormatives. Van Eemeren et Grootendorst (1999) ont d'ailleursélaboré un modèle du texte argumentatif qui va dans ce sens (Cfégalement Lapintie, 1998). Cependant, l'analyse de nombreusessituations argumentatives montre que, normatives ou non, de tellespréconditions caractérisent spécifiquement l'émergence avec l'âge

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de textes argumentatifs élaborés. On peut aussi penser que ces« normes» sont progressivement intégrées comme règles socialesraisonnables car adaptées à la plupart des situations de conflitrencontrées, des règles fonctionnelles, donc.

Des constituants textuels indispensablesRésoudre le conflit au moyen du discours implique la mise en

jeu d'un certain nombre d'opérations textuelles.Argumenter suppose a minima de prendre position sur un point

donné, de faire un choix. L'expression de ce choix est d'ailleurssuffisante à elle seule, à 12-13 ans, pour décider qu'un texte estargumentatif (Golder & Coirier, 1994). Oostdam (1990) note deson côté que la simple présence d'une formule comme « selonmoi» conduit les enfants à juger qu'une phrase est argumentative.Mais l'étayage de la prise de position (le claim-backing deTou1min, 1958) constitue l'étape généralement reconnue commeminimale, le constituant fondamental des organisations raisonnéesde Grize (1982) (voir également Adam, 1992; Antaki & Leudar,1990 ; Apotheloz & Mieville, 1989 ; Stein & Miller, 1990). Unetelle structure devient systématique aux environs de 14 ans dans lesprotocoles recueillis (Coirier & Golder, 1993).

Attribuer une valeur minimale à la position opposée, lareconnaître au moins comme envisageable (Brassart, 1988 ; Grize,1982; Stein & Miller, 1993b), voilà sans doute le constituant quicaractérise le mieux une argumentation élaborée. Il autorise eneffet la prise en compte d'un destinataire ayant des croyancesdistinctes « respectables », d'un destinataire avec lequel il devientdonc possible de débattre, ce qui le transforme du même coup enco-constructeur, ou du moins co-énonciateur de l'argumentation.D'où le constituant suivant.

La contre-argumentation, c'est-à-dire, nécessairement, la priseen compte des arguments opposés, leur réfutation ou leuratténuation, peut alors être considérée comme la structurefondamentale de l'argumentation élaborée (Adam, 1992;Crammond, 1998; Gombert, 1997; Moeschler, 1985 ; Perkins,Farady & Bushey, 1991). Elle peut se manifester de façon trèsdiverse; concessions, restrictions, modulations des argumentsopposés ou des siens propres. Les traces linguistiques de cesopérations sont peu fréquentes avant 16-17 ans dansl'argumentation écrite (De Bernardi & Antolini, 1996; Coirier &,

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1993 ; Golder, 1992; Marchand, 1993). Mais cette émergencetardive peut recevoir différentes interprétations, on y reviendra plusloin.

Spécificité des processus de production dans le cas dutexte argumentatif

Les modèles classiques de la production de textes distinguenttrès généralement trois grands groupes de processus (Cf.Alamargot & Chanquoy, sous presse; Piolat & Pélissier, 1998) :un processus de planification, ou conceptualisation, d'une part; unprocessus de « traduction linguistique », d'autre part; un processusde révision, enfin (mais nous n'évoquerons pas ce dernier ici).

Le processus de conceptualisation se décompose en trois sous-processus: récupération et/ou génération de l'information enmémoire; évaluation et sélection de cette information;organisation des éléments retenus. Le processus de traductionlinguistique comporte, lui, deux sous-processus: celui delinéarisation (parfois intégré dans la planification), qui assure latransformation d'une organisation souvent complexe ethiérarchisée en une séquence définissant tout à la fois l'ordre desinformations et leur empaquetage; la traduction linguistiqueproprement dite de la séquence: syntaxe, ponctuation, choixlexicaux, etc.

Voyons quelles sont les particularités de la compositionargumentative sur ce plan.

Quelle information récupérer et comment?Il semblerait, à première vue, que la connaissance du domaine

joue un rôle capital. Un minimum d'informations est naturellementindispensable, mais il apparaît qu'au delà de ce minimum laquantité d'informations disponibles n'entraîne pas l'usage d'unplus grand nombre d'arguments dans la rédaction, ni mêmed'arguments (que l'expert pourrait juger) plus forts, ni non plusune meilleure organisation du texte (Andriessen, Coirier, Roos,Passerault & Bert-Erboul, 1996; Kuhn, 1991). Cela dit, laconnaissance minimale des arguments du destinataire conduitquand même à des argumentations plus élaborées (Stein & Mi1ler,1993b). En revanche, la familiarité du domaine, l'acceptabilitésociale, ainsi que les dimensions de motivation et d'implication

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subjective associées au contenu (malgré quelques donnéescontradictoires), ou encore la polémicité du domaine, constituentdes facteurs nettement favorables à la récupération en mémoire et àla richesse résultante des protocoles (De Bernardi, 1996 ; Gombert,1998). D'une façon générale, les arguments congruents à laposition du locuteur sont récupérés de façon privilégiée, quoiquenon exclusive (Stein, Bernas, Calicchia & Wright, 1995) ; surtout,selon Voss, Perkins et Segal (1991), leur récupération s'effectueplus rapidement. Elle semble donc demander moins d'efforts.

Sur cette question de la récupération, les recherches effectuéessemblent insuffisantes pour formuler une conclusion assurée, sinonsur le point suivant: la recherche de l'information en mémoiren'est pas un processus du type « thème => activation automatiquede tous les éléments associés ». Au contraire, il est très probablequ'il y ait recherche dirigée, sélective, à partir de critères decongruence, d'adaptation rhétorique à l'interlocuteur, ou auxstratégies propres à un domaine particulier (ainsi dans lescontroverses judiciaires, Cf. Stratman, 1994).

Sélection et évaluationLa sélection et l'évaluation de l'information posent des

problèmes spécifiques dans le domaine de l'argumentation. Lesrecherches dans ce domaine sont nombreuses et variées (voir sur cepoint Golder & Pouit, 1999; Santos et Santos, 1999).Globalement, deux courants s'opposent quant à la définition de ceque serait un bon argument.

Blair et Johnson (1987) proposent trois règles pour en décider:(i) l'adéquation de la relation entre les prémisses et la conclusion;(ii) le fait que les prémisses fournissent une évidence suffisante enfaveur de la conclusion; (iH) l'acceptabilité associée à desprémisses vraies, probables, ou dignes de confiance. Cetteperspective, tout à la fois logiciste et normative, est fortementnuancée par Voss, Perkins et Segal (1991). Selon eux, une bonneargumentation doit satisfaire les critères de vérité, et de congruenceavec les croyances les plus répandues (c'est nous qui soulignons).On n'est pas très loin ici du rôle attribué classiquement aux topoi ;il est en effet raisonnable de penser qu'une bonne argumentations'appuie sur les croyances communes au groupe social de référencede l'auteur; mais cela n'induit pas automatiquement laconvergence avec les croyances du destinataire, sinon au travers

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d'un pari risqué sur ses affiliations idéologiques. On entrevoit ici lerôle crucial joué dans ce cas par la connaissance du dit destinataireet du même coup le rôle positif joué par la familiarité de lasituation et du contenu (Stein & Miller, 1993a). Voss et al. ajoutentune règle nettement plus contestable de par sa normativité:s'adapter aux idées socialement acceptées, mais aussi aux règlesscientifiques. On peut s'interroger sur la nature exacte de cetteadaptation: tenir compte de... ou rester « politiquement correct» ?Mais les auteurs introduisent une troisième règle, qui nous paraîtnettement plus satisfaisante: prendre en compte les contre-exemples et les perspectives différentes sur la question.

À l'opposé de ces positions, Apotheloz & Mieville (1989)définissent d'une façon clairement anti-normative ce qui constitueun bon argument. Il ne saurait y avoir de définition a priori, un bonargument est un argument accepté par le destinataire, ou à tout lemoins pris en considération. Aucune règle logique, sociale,éthique, ne peut ici en décider: tout dépend du degré deconvergence entre les univers de croyance des interlocuteurs. Lerôle des topoi est ici évident, à condition naturellement que ceconcept ne soit pas dissocié de celui de groupe de référence où cestopoi fonctionnent effectivement.

Ces remarques amènent à souligner trois points critiquesrelativement à la notion de bon argument:- le rôle souvent fondamental de l'implicite dans l'argumentation;- le rôle de la représentation de l'auditoire: qu'est-il prêt àreconnaître comme «faits» et à accepter comme règlesd'enchaînement?- le rôle de la négociation discursive, et par exemple le jeu fréquentdes reformulations, ou des modulations.

Organisation et cohérenceL'argumentation naturelle met en jeu des croyances, des

opinions, des valeurs subjectives, qui constituent des pointscentraux dans la structuration du discours. Il s'agir là d'objetsmentaux sans support concret, précis, d'objets particulièrement« mous» au sens de Grize (1982), dont la définition est établiedans et par le discours lui-même. Il en résulte une caractéristiqueimportante pour le texte argumentatif: sa structure ne repose passur une organisation référentielle préalable, à la différence du récit,fondé sur une trame chronologique, ou du texte descriptif, qui peut

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s'appuyer sur l'organisation de l'objet décrit. Pas d'organisation apriori, donc, mais de nombreuses lignes possibles pour établircelle-ci. Il en va ainsi des stratégies fondées sur le balancement desarguments favorables ou défavorables (Bromberg & Doma, 1985),sur la ptise en compte des relations logiques (Dellerman, Coirier &Marchand, 1996), sur les agencements rhétoriques (Stratman,1994), voire encore sur le respect de la continuité thématique. Cesdifférentes lignes d'organisation sont potentiellement conflictuelleset constituent une source majeure de difficulté dans l'établissementde la cohérence globale d'un texte (Andriessen et al., 1996).

La mise en œuvre de schémas cognitifs préétablis, tel celui deToulmin (1958), peut éventuellement fournir un cadre àl'organisation des informations. Différents travaux confirmentl'aide apportée dans ce cas (Piolat, Roussey & Gombert, 1999). Sil'on suit l'idée de Bakhtine (1981), celle du discours argumentatifconçu comme un dialogue intégré dans du monologue, alors lacaractéristique la plus critique pour l'organisation du texte est cellede la gestion de la polyphonie énonciative: comment assembler defaçon cohérente les différentes lignes argumentativespotentiellement contradictoires? Il apparaît alors que la structure laplus fondamentale des textes argumentatifs élaborés repose surl'agencement des arguments et des contre-arguments (Adam,1992 ; Charolles, 1986; Moeschler, 1980; Perkins et al., 1991).Gombert (1998) a pu montrer comment cet agencement secomplexifie progressivement avec l'âge des scripteurs; elle aétabli une distinction qui nous paraît particulièrement intéressanteici entre types d'organisation argumentative: l'une, chez les plusjeunes de ses rédacteurs, repose sur une simple procédure dejustification, l'étayage de la prise de position par les seules raisonsfavorables; l'autre, qui s'établit plus tardivement, est caractériséepar l'assemblage des arguments et des contre-arguments. Elle parlealors de « vraie» argumentation, là où nous utilisons le conceptd'argumentation élaborée. L'essentiel, en tout cas, c'est quel'analyse développementale des productions argumentativesindividuelles montre clairement l'évolution vers une coopérationavec le destinataire, même virtuel, dans la rédaction argumentativeindividuelle.

La complexité du processus d'organisation dans le texteargumentatif, la difficulté, en particulier, à gérer plusieursdimensions organisatrices concurrentes, voire conflictuelles,

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conduit à insister sur la spécificité de ce type de texte quant auxprocessus de production. Cette complexité justifie largementl'émergence tardive de formes élaborées du texte argumentatif.Elle a une autre conséquence: les processus de linéarisation et detraduction linguistique vont s'avérer d'autant plus malaisés àmettre en œuvre.

Linéarisation et traduction linguistiqueLe processus de linéarisation constitue un problème majeur

dans la production du discours (Fayol, 1991 ; Levelt, 1981). On nepeut énoncer, ou écrire, plusieurs idées à la fois. Il convient doncde leur imposer un ordre, ce qui peut soulever de nombreuxproblèmes au plan linguistique. L'exemple le plus simple est sansdoute celui où un narrateur doit évoquer deux événementssimultanés: comment les ordonner sans les hiérarchiserartificiellement, et donc comment signaler au destinataire leursimultanéité? Le système de la langue offre naturellement uncertain nombre d'opérateurs permettant de (re)construire lastructure mentale d'origine: connecteurs, syntaxe, organisateurstextuels, etc. Mais l'exemple est ici excessivement simple. On peutadmettre que, le plus souvent, l'organisation des informations enmémoire est complexe, multidimensionnelle, plus ou moinshiérarchisée. Et c'est tout particulièrement le cas del'argumentation élaborée.

On a ainsi observé que lorsqu'une rédaction argumentativecontraint le scripteur à prendre en compte deux points de vueopposés se pose le problème de deux modalités concurrentes delinéarisation. L'une est fondée sur le respect de la continuitéthématique: assembler en deux séquences différentes lesinformations relatives à un point de vue donné, qu'elles soientfavorables ou défavorables à ce point de vue; l'autre consiste àrespecter les polarités argumentatives : regrouper séparément leséléments favorables et défavorables. Ainsi, dans le paradigmeexpérimental alpha-oméga utilisé par Brassart (1988) le rédacteurdoit écrire un texte commençant par alpha (la vitesse c'est utile) etaboutissant à omega (la vitesse c'est dangereux). La conflictualitéentre les deux stratégies de linéarisation est alors clairementétablie: les plus jeunes scripteurs ne parviennent pas à trouver unagencement qui respecte simultanément les deux contraintes, parexemple une séquence du type « Alpha, car alpha+ ; mais alpha-,

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alors, même si omega-, toutefois omega +, donc Omega» Nousavons obtenu des résultats similaires sur ce plan. Ils conduisent àmettre en évidence deux sources de difficulté: la charge cognitiveimposée par la nécessité de prendre en compte deux organisationsincompatibles dans l'organisation et la linéarisation del'information; le recours à des dispositifs linguistiques complexes,qui ne sont le plus souvent pas disponibles chez les jeunes enfantset peu automatisés même chez certains adultes (Coirier, Andriessen& Chanquoy, 1999).

Un exemple, plus proche des situations naturelles, a été analysépar Marchand (1993). Elle proposait aux élèves huit argumentsqu'ils étaient invités (mais non obligés) à utiJiser pour soutenir laposition: «c'est bien de faire du sport régulièrement ». Lesarguments étaient les suivants:- le sport permet de mieux travailler;- le sport prend du temps;- le sport permet d'être en meilleure santé;- certains sports sont dangereux;- Ie sport est un bon moyen de relaxation;-les sports d'endurance sont dangereux pour le cœur;- le sport est un loisir agréable;- le sport peut gêner le travail scolaire.

Quand on examine la diversité des relations « logiques» entreces différents arguments, la structure multidimensionnelle duraisonnement qu'ils sollicitent, les difficultés cognitives ettextuelles deviennent plus évidentes. Comment calculer et tenircompte de toutes les relations possibles, sinon lesquellesprivilégier? Comment organiser ces relations dans une séquencelinéaire? La tâche se révèle difficile pour des élèves de 14 ans, et,même pour des adultes, elle exige un certain temps pour êtreréalisée. On peut trouver pourtant, mais avec un minimum detemps de traitement, une textualisation « optimale» : «Le sportpeut gêner le travail scolaire, car il prend du temps; cependant,même si certains sports sont dangereux, et en particulier les sportsd'endurance, la pratique du sport assure une meilleure santé. Ellepermet donc un meilleur travail à l'école. En outre, le sport est unbon moyen de relaxation et un loisir agréable. C'est pourquoi il fautfaire du sport régulièrement ».

Une telle textualisation est ici considérée comme optimale, carelle prend en compte les relations logiques essentielles, d'une part ;

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d'autre part elle constitue un texte cohésif et cohérent, sansredondance des arguments, et avec une bonne «économierédactionnelle»: pas (beaucoup) plus de mots qu'il n'estnécessaire. Mais cette textualisation requiert l'utilisation d'outilstextuels complexes: concessives, enchâssement syntaxique,gestion anaphorique, etc. Il n'est donc pas surprenant que lessolutions optimales ne soient pas réalisées, sinon par des experts;et même dans ce cas cela demande un temps de traitementimportant. Les protocoles expérimentaux recueillis auprès desenfants les plus jeunes (11-12 ans) ne manifestaient pas la prise encompte de plus de deux ou trois relations. Qui plus est, leurrédaction était caractérisée par de nombreuses erreurs au plan de lacohésion. Cet exemple illustre donc tout à la fois les difficultésliées à l'organisation argumentative d'un côté, et celles liées à lalinéarisation et à la traduction linguistique finale de laconceptualisation établie. Là encore il convient de souligner que leproblème est largement associé à l'exigence de prendre en comptedes arguments opposés, des points de vue différents, et donc àétablir la coopération potentielle qui est au cœur del'argumentation élaborée.

Conclusion

Envisagée sous l'angle de sa fonctionnalité typologique, larédaction individuelle d'un texte argumentatif élaboré présente unespécificité marquée au niveau des différents processus cognitifs dela production. Cette spécificité peut se formuler de différentesfaçons: intégration du dialogue dans le monologue, agencementdes arguments pro et contra, gestion de la polyphonie énonciative...Elle nous semble tenir fondamentalement au fait qu'un discoursvisant à modifier la représentation d'autrui doit tenir compte desreprésentations de ce destinataire et intégrer dans le discours deséléments qui traduisent cette prise en compte. Naturellement, la«visée vers le destinataire », la recherche d'un terrain commun,sont des contraintes propres à tous les types de discours (Clark &Haviland, 1977). Ce qui distingue ici l'argumentation, c'est que ledestinataire, par construction, représente un point de vue différent,(plus ou moins) conflictuel, et que le terrain commun ne peuts'établir que par des procédures de négociation discursive et de

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mise en rapport complexe d'informations plus ou moinsincompatibles. Il ne s'agit pas seulem~nt d'apporter uneinformation complémentaire dont le destinataire ne disposerait pas,mais de tenter de modifier celles dont il dispose déjà. Faute, alors,d'une stratégie rédactionnelle coopérante, il est peu probabled'assurer pleinement la fonction de l'argumentation.

Cette fonction introduit des caractéristiques spécifiques auniveau de tous les processus impliqués dans la production dutexte: recherche en mémoire d'arguments relevant de points devue différents; sélection et évaluation de l'information récupérée àpartir d'un ca1cul risqué sur les représentations du destinataire;organisation de cette information mettant en jeu des lignesargumentatives opposées mais qui doit conduire à la prédominancede l'une d'entre elles; enfin linéarisation et traduction linguistiqueimpliquant l'usage d'outils souvent complexes et dont certains sontrelativement spécifiques (les opérateurs de concession,notamment).

Certes, l'on observe très tôt, (dès huit ans, selon Stein & Miller,1993a) des argumentations complexes, prenant en compte lesopinions contraires du destinataire. Mais cela n'est vrai que dansdes conditions privilégiées: forte familiarité du thème et dudestinataire, situations orales... Il n'est nullement étonnant qu'endépit des apprentissages scolaires, le texte argumentatif élaborésoit rarement observé avant 17-18 ans, voire non maîtrisé parcertains adultes, si l'on prend en considération les particularités del'argumentation écrite au niveau des différents processus de laproduction du texte.

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Jacques DavidIUFM Versailles-Cergy, Léaple (UMR 8606) CNRS-Paris V

Typologie des procédures métagraphiquesproduites en dyades entre 5 et 8 ansL'exemple de la morphographie du nombre

Présentation: cadre de référence et méthodologie

L'étude présentée ici s'inscrit dans le cadre de la linguistiquegénétique de l'écrit, et principalement sous l'angle de l'ontogenèsede l'écriture!. Les données sont extraites d'un large corpuscomprenant à la fois les productions écrites d'élèves d'écolematernelle et élémentaire (âgés de 4 à 7 ans) et des explicationsmétagraphiques produites par ces jeunes élèves immédiatementaprès l'activité d'écriture. Plus précisément, la méthodologieemployée relève d'une démarche « naturaliste» qui met les sujetsen situation de production. Les textes qui en résultent font l'objetde révisions où s'expriment un certain nombre de procédures derésolution de problèmes (ortho)graphiques. Les sujets observés sontdonc entraînés à la fois à écrire, à réviser et à commenter leursécrits. Pendant qu'ils effectuent ces révisions, ou un court momentaprès, ils doivent expliquer, voire justifier leurs décisions. Pourfaciliter ces révisions, nous avons créé des groupes de deux ou troissujets comprenant l'auteur du texte et celui qui le révise, avecpermutation des rôles. Les corpus génétiques ainsi obtenus sontensuite analysés, comparés, mis en système, et les procéduresmétagraphiques, qui sont alors identifiées, contribuent à laconstruction d'un modèle d'acquisition de l'orthographe. Celaimplique entre autres que les corpus soient traités en séquencesélémentaires où coexistent un problème linguistique et une (ouplusieurs) procédure(s) de résolution. Chaque corpus comporte

--------------------I II s'agit plus précisément d'un programme de recherche du CNRS intitulé «Linguistique de

l'écrit et acquisition» (LÉA) qui a déjà fait l'objet de plusieurs publications (voir Jaffré J.-P. ,

1994; David J.. 1995; Jaffré J.-P. & Ducard D., 1996; David J., 1996 et Jaffré J.-P. & DavidJ., 1999).

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ainsi plusieurs centaines de ces séquences et parfois plus d'unmillier, pour certains niveaux d'âges.

Il nous faut indiquer que certaines séquences se limitentquelquefois à une révision pure et simple et font état decomportements ou de commentaires spécifiques qui ne concernentque l'un des sujets de la dyade, en l'occurrence Marion:

SqIl1 Je vèe a pelé mes copine... (Trad. : «Je vais appeler mes copines ») Marion ajoute un« S » à « *copine » : « il faut un "s" à "copine" elles sont plusieurs. » (texte Marion, révisionMarion & Jérémie, CP)

D'autres séquences en revanche mettent enparticipation conjuguée de tous les enfants, commesituation en triade:

scène ladans cette

Sq2 II mes copine[.ri les sorcière... Problème de « *sorciere ». Marion: « À "les" il y a unaccent» Jérémie: « Non» Marion: « J'aurais dû mettre le nom des copines. » Jérémie:« Non ça me choque pas. » Julien: « Il faut un "s" elles sont plusieurs. » Marion ajoute le« s ». (texte Marion, révision Marion, Julien & Jérémie, CP).

Dans le cadre de cette étude, nous avons opté pour ce deuxièmetype de séquences où interviennent plusieurs sujets, parce qu'ellessont à la fois majoritaires et qu'elles sont les plus représentativesdes enseignements à tirer d'une coopération entre de jeunes élèvesconfrontés à la résolution d'un même problème linguistique. Nousavons ainsi choisi de présenter une analyse représentative deplusieurs dialogues heuristiques, fussent-ils minimaux.

Si l'on regarde les travaux publiés dans le domaine, on constateimmédiatement que cet aspect de l'activité métalinguistique n'estpas souvent abordé, peut-être parce qu'il implique des observationssuivies et, finalement, un trop grand investissement à long terme.Nous devons cependant noter l'apport essentiel d'études relatives àl'écriture conversationnelle entre enfants (Pontecorvo, 1991) ouentre adultes ou adolescents (Bouchard & de Gaulmyn, Cf. leurscontributions au présent volume) et à l'écriture en atelier à l'écoleprimaire (David, 1992, 1996; Pouder, 1992). Cependant, cestravaux analysent peu les modes et caractéristiques du dialogue, etsurtout ils portent avant tout sur les différentes procédures detextualisation (gestion de l'anaphore, de la cohésion temporo-verbale...) ; ils envisagent de façon plus marginale l'acquisition del'orthographe.

Notre ambition sera, ici, de présenter les composantes majeuresd'une typologie des dialogues métagraphiques, appliquée à la

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genèse du nombre en français écrit. De fait, nous ne prétendons pasproposer une analyse exhaustive; le cadre nécessairement limité decette étude ne nous le permet pas. Nous souhaitons plusmodestement formuler un essai de typologisation sur la base d'unensemble de séquences représentatives issues de notre corpus. Nouspourrons alors, en conclusion, tirer les enseignementsépistémologiques et didactiques d'une approche qui se veut d'abordessentiellement descriptive.

Typologie des différentes composantes

Justification versus révisionNous avons remarqué que les dialogues de résolution de

problèmes relèvent, dans un premier temps, d'une partition majeureentre des procédures de «justification» et des procédures de« révision ». Les procédures de justification portent sur des faitsdéjà là, sur les traces réalisées, qu'elles soient normées ou non. Lesprocédures de révision, quant à elles, portent sur le changementd'une forme graphique initiale, quelle que soit la nature de cechangement (suppression, ajout, remplacement, déplacement).Dans la séquence suivante, Yann n'est pas l'auteur du texte, cela nel'empêche pas d'expliquer le «x» à « animaux ». Il est donc dansune démarche de justification d'une marque graphique, et cettejustification entraîne chez Morgane une réaction en terme derévision, même si cette révision est erronée.

Sq3 Il avec tou les animaux.', «<avec tous les animaux ») Yann justifie Je « x» à

«animaux» : « Parce qu'il y en a plusieurs. » Morgane réplique: « Ben non j'ai oublié le

"s" -- j'ai regardé dans mon cahier et j'ai oublié le "s". » Elle ~oute un « S » à « animaux »,(Texte Morgane, révision Morgane & Yann, CP)

Cette première partition, entre justification et révision, noussemble utile, mais elle ne semble pas d'une importance décisive.Comme on va le voir, les procédures de justification et de révisionfont appel aux mêmes composantes2.

--------------------2 Signalons au passage que, chez les sujets plus âgés (9-10 ans de CM I), les procédures derévision sont bien plus nombreuses (5 fois plus) que chez les plus jeunes (6-7 ans de CP), (Cf.J. David & J.-P. Jam'é, 1997, pour une étude comparative de ces deux populations d'élèves).

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Accord vs désaccordIl est en effet capital d'évaluer la «portée» du dialogue

heuristique afin de savoir si les sujets sont d'accord ou non. Avecces jeunes enfants, les éléments d'accord ou de désaccordn'apparaissent pas toujours clairement. Les justifications sesuccèdent sans forcément s'enchaîner, les arguments fluctuent,comme entre Jean-Baptiste et Laëtitia :

Sq4 Il bonjour I papa et maman I Est-ce-que vau pouvé ... Laëtitia : « Je crois qu'il manque

une lettre à la fin de "vou". » Jean-Baptiste: « Il faut peut-être un "t" ». Laëtitia : « Moi, jecrois c'est un 'e' III parce que le "t" il peut pas avoir de trait là (en fait un accent commedans un autre mot montré par L.). » Jean-Baptiste: « Je sais pas» (Texte Jean-Baptiste,révision Jean-Baptiste & Laëtitia, GS)

Le plus souvent, les enfants ne peuvent, bien évidemment,s'entendre sur une norme reconnue ou sur des connaissancesstabilisées et les explications tirent parti: (i) des procéduressupposées de l'autre, (ii) du référent (i.e. l'image support du texte),(iii) de pseudo-règles phono- ou morphologiques, (iv) d'amorces derègles qui peuvent apparaître, même si elles ne s'appliquent pasnécessairement aux bons éléments graphiques. Les explicationspeuvent également s'ajouter les unes aux autres ou bien s'annuler,comme entre Steeve, Juan et Christopher:

Sq5 Il les peti copin chollte delis I la rue ... Juan: « Il y a des choses avec lesquelles je suispas d'accord --par exemple euh

--» Christopher enchaine : « Et ben peut-être qu'il a essayé

de euh --» Juan reprend la parole: « Ici il a oublié le "t" ici (Juan montre '*peti') --- il fautun "t" pour dire qu'ils sont plusieurs. » Christopher réplique: « Un "s" tu veux dire» Juan:« Moi je pense un "t".» Christopher conciliant: « Un "t" et un "s"» et lorsqu'on luidemande de se justifier, Christopher répond: « Parce qu'il y en a plusieurs. » Steeve ajoute:« Et le "t" qu'on (n')entend pas. » Juan complète: « Il

y a le "t" et le "s" qu'on (n')entendpas. » Steeve pensant régler la question: « On met pas de "s" et on met pas de "t" ou onmet un "t". » Christopher: « Si a "*peti" -- et pi on met un "s" parce qu'il y a plusieurscopains (il pointe sur l'image) il y a trois garçons et une fille. » Juan hors d'argument: « Moije sais pas. » Steeve reprend: « Il manque un "s" à la fin de "*copin" -- parce qu'il y en aplusieurs il y en a quatre copains - trois garçons et pi une fille. » (Texte Steeve, révisionSteeve, Juan & Christopher, CP)

Avec ces jeunes élèves, quelques dialogues (1 sur 10 environ)comportent tout de même des accords. Ceux-ci reposent alors,souvent, sur une distribution des rôles; l'un des enfants révisependant que l'autre justifie:

Sq6 ... elle lanse le I balon dan leau .__ I Problème de « *dan ». Steeve: « Il y a un "s" à la

fin. » Yann : « Oui ou sinon il y a les dents là (II montre les siennes) mais ici c'est pas lesmêmes. » On lui demande de justifier et il répond: « Parce qu'il y a plusieurs _, il Y a

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les dents qu'on a là et puis -- » Steeve vient à son secours:" "dans" comme dans une

histoire comme dans une maison une brosse à dents. » Yann revient au texte et explique:«Alors là "elle lanse le balon dan leau" (insiste sur "dan") e! ben parce qu'il y a beaucoupd'eau.» Steeve:« Ouije suis d'accord.» (Texte Steeve, révision Steeve & Yann, CP)

Il est évident que les échanges portant sur de tels désaccordspeuvent être très longs. Si aucun des protagonistes ne parvient àl'emporter, les discussions s'écartent de l'analyse des tracesgraphiques et ne débouchent que rarement sur des révisionseffectives. Des savoirs orthographiques parviennent cependant àémerger; les explications qui les portent nous informent sur lesprocédures privilégiées à cet âge et sur les bases possibles d'unapprentissage ajusté.

Au-delà des différences relevées entre ces dialogues,l'opposition accord/désaccord constitue une source d'informationsprécieuses pour l'étude des procédures. On peut penser en effetqu'un accord rapidement mis en œuvre traduit un haut degré demaîtrise linguistique et/ou procédurale. L'analyse d'un désaccordpeut toutefois apporter des informations fort utiles pour évaluer ledegré d'habileté métagraphique. Dans ce cas, il ne s'agit plusseulement de résoudre un problème graphique mais bien deconvaincre l'autre de la validité de son point de vue.

Faits versus commentairesL'accord/désaccord a nécessairement un objet. Il porte sur un

contenu, autre composante du dialogue heuristique. Avec cesjeunes scripteurs, ce contenu se limite généralement à des faitsgraphiques. Nous avons ainsi observé de nombreux échanges,comme entre Charles et Jordan, où les sujets en accord/désaccordparviennent à évoquer des acquisitions récentes, comme ici dans ledomaine phonographique:

Sq7 Il les sept sorcière renconte un noizo... Problème de « *un noizo ». Jordan: « Il faut

retirer le "n" - si tu retires le "n" ça fait "un oiseau" quand même. » Charles convient: « Oui

c'est ça.» (texte Charles, révision Charles & Jordan, CP)

Cependant, le commentaire métagraphique peut resterélémentaire comme avec Morgane et Jean:

Sq8 Il un gâteau au chocolat I pour set quatre-en .., Problème de « *quatre-en ». Morgane:« Il faut un "s" a "en" ---

parce que quatre ans ça fait grandir. » Moins assuré, Jean: « Moi jesais pas » Morgane: « Ben on peut mettre parfois mais souvent on le met pas on le met pastout le temps quand on n'a pas envie de le mettre on le met pas IlIon le met et ben s'il y a

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deux ans trois ans quatre ans cinq ans - et là il Y en a que quatre et on met un "s". » (Texte

Morgane, révision Morgane & Jean, CP)

Ces enfants avancent des explications tâtonnantes qui réfèrent,au plus, au contenu du texte, plus rarement à des points de langue,comme cela arrive fréquemment avec des sujets plus âgés3. Unaccord/désaccord qui porte sur des faits peut être qualifié de« faible» dans la mesure où seule la surface graphique estconcernée. Les procédures de justification/révision ne sont peut-être pas maîtrisées, mais dans tous les cas une interprétationdécisive est impossible. Au contraire, quand on a affaire à desexplications métagraphiques, on peut poser un accord/désaccord«fort », c'est-à-dire dépourvu de toute ambiguïté; mais c'est plusrare avec des scripteurs débutants.

Participation explicite versus participation impliciteCette composante vise à qualifier la forme de l'échange

heuristique, c'est-à-dire la contribution respective de chaquemembre de la dyade ou de la triade. Les sujets de notre étudepeuvent en effet difficilement exprimer leur choix ou leur point devue. Il est encore plus rare que l'un des membres signifie sonaccord ou son désaccord avec l'autre membre, par soncomportement ou par son propos. Un examen attentif descommentaires montre cependant des participations implicites quel'on ne doit pas sous-estimer. L'analyse systématique de plusieursséquences, mettant en scène les mêmes sujets, montre que cessavoirs implicites peuvent référer à des compétences émergentesqui, plus tard, deviendront explicites.

Dans les échanges entre les jeunes élèves, tout se passe commesi l'un des membres de la dyade s'en remettait totalement à l'avisde l'autre. On aborde là les rôles cognitifs que jouent les élèvesd'une classe et les représentations qu'ils génèrent. Le plus souvent,l'un des sujets dirige et oriente la révision, l'autre (ou les autres) secontentent d'approuver ou d'exprimer son (leur) ignorance commeentre Steeve, Juan et Christopher:

--------------------3 A 9-10 ans, les élèves recourent plus volontiers à l'analogie ou à la dérivation, et emploientrapidement une métalangue, manifestant par la même un plus haut degré de compétencemétalinguistique (1. David & J.-P. Jaffré, 1997, ibid.).

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Sq9 I et les éléphant chellfe. Commentaires sur le« t» de« *éléphant». Steeve: «Parceque je l'ai vu sur le texte - le texte de "les éléphants" -- et parce que c'est un "t" qu'on(n')entend pas. » Christopher: «Ou parce que euh - parce qu'il y en a qu'un. » Steeve:« Oui je dis pareil. » Juan: « Pareil. » (Texte Steeve, révision Steeve, Juan & Christopher,CP)

Parfois, les dialogues montrent une participation forte desélèves. Dans ce cas, les commentaires sont particulièrementexplicites et révèlent des procédures graphiques plus affirmées.Cependant, malgré l'implication des acteurs, les explications nemobilisent guère la métalangue et débouchent rarement sur unedécision commune, comme dans cette séquence:

Sql0 Il Le gateall ail chocolat d'anniversaire... Jean s'interroge sur le pluriel possible à« chocolat» : « On pourrait mettre un "s". » Morgane réplique aussitôt: « Ben non parce queça irait pas. » Jean justifie: « Ça ferait des (insistant) gâteaux aussi -- ça ferait plein de

chocolat ça ferait. » Morgane reprend en insistant sur les déterminants: «Oui y en abeaucoup mais mais y a juste un (insistant) grand chocolat, c'est du gâteau au (insistant)chocolat. » (Texte de Jean, révision Jean & Morgane, CP)

Décision versus non décisionL'ensemble des données présentées jusque-là convergent

finalement vers un but unique: prendre une décision, qu'il s'agissede confirmer ou d'infirmer une graphie présente, de valider oud'invalider une révision. Mais tous les dialogues heuristiquesn'aboutissent pas, loin s'en faut, à une décision effective,

Nous avons vu que pour ces jeunes apprenants, ]es désaccordsapparaissent très nombreux, entraînant de fait une absence dedécision. Cependant, c'est le recours à des informations extérieures(la référence du texte, du texte déjà inscrit ailleurs, et/ou l'adulte)qui légitime une décision graphique ou une révision. Il reste quel'approximation qui caractérise encore les savoirs orthographiquesde ces élèves est un facteur supplémentaire expliquant tout autantl'absence de décision que la longueur parfois impressionnante deséchanges, comme ici entre Juan, Stéphane et Christophe:

Sqll I les animaux danse en la ru ...I Problème de « *ru ». Juan: « "ru" il y a un "e" qu'on(n ')entend pas. » Christophe: «C'est pareil que "éléphant" (Christophe évoque le texteprécédent) ». On demande pourquoi on n'entend pas le« e» et Christophe reprend: «Je saispas -- paree qu'il a oublié un - le -- » Stéphane justifie: « Il a oublié le "e", » Christophe

précise: «Parce qu'on l'entend pas », mais Stéphane réplique: «Oui ça on l'a déjà dit. »Christophe change alors d'argument: «Parce qu'ils sont plusieurs.» Stéphane changeantégalement d'argument: «Paree que c'est écrit sur une feuille. » Christophe reprend le mêmeargument: «Le mot il se termine avec "e" -c'est comme ça. » Stéphane complète: «Moi jelui avais dit que c'était un "e". » (Texte Juan, révision Juan, Stéphane & ChIistophe, CP)

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Pour conclure

Cette typologie élémentaire déclinée en cinq composantesbinaires nous permet de rendre compte d'un ensemble de dialoguesheuristiques dont le but est de résoudre des problèmesorthographiques.

Pour être tout à fait complet, il convient d'ajouter une sixièmecomposante, plus strictement orthographique, qui viserait àqualifier la décision. Il ne suffit pas en effet qu'une séquence sesolde par une décision effective pour que celle-ci soit conforme à lanorme orthographique, loin s'en faut, et ce point mériterait uncomplément d'analyse que nous n'avons pas le temps dedévelopper ici.

Ce n'est pas par hasard que nous qualifions ces séquencesd'« élémentaires ». Il peut arriver en effet qu'un dialogueheuristique combine plusieurs séquences (voir la séquence notéeSq5 ci-dessus). À vrai dire, si l'on s'en tient à l'analyse du corpusdont nous disposons, ce cas de figure n'est pas rare. Cela tientnotamment à notre méthode d'observation qui n'interdit pas àl'observateur de questionner les sujets ou de leur donner uneinformation et donc de relancer le dialogue.

Autrement, la combinaison des composantes de cette typologieest un excellent indicateur du degré de maîtrise linguistique dessujets observés. C'est tout spécialement le cas quand on croise lacomposante accord/désaccord et la composante linguistique. Avecdes élèves de fin de primaire, on a ainsi de nombreuses séquencesprésentant des accords sur les problèmes de nombre, notammentpour les noms; on en a en revanche beaucoup moins pour leshomophones verbaux. Avec les plus jeunes, comme ceux évoquésici, ces combinaisons comportent plus de désaccords que d'accords,car les savoirs sont instables. Les commentaires renvoient àplusieurs procédures souvent concurrentes. Les arguments peuventrenvoyer à la logographie, mais aussi la phonographie, au rapportau sens et au référent. À travers ces successions d'explications,nous voyons que des apprentissages sont accessibles. Si, parexemple, l'évocation du « multiple» ou du « plusieurs» permet dejustifier la marque « S » du nombre, elle peut également servir àexpliquer toutes les autres finales en «s ». Certes, cettegénéralisation ne va pas sans poser des problèmes, elle montre

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pourtant que des procédures sont privilégiées dans l'accès à lamorphographie.

Au delà, on pourrait considérer que la séquence optimale decompétence correspond à un accord explicite sur un commentairemétalinguistique avec au bout une décision effective. Mais, pourvalider une telle hypothèse, il faudrait mettre à chaque fois lesenfants dans des situations qui les obligent à produire une telleséquence. Les faits sont moins idéaux et, comme on l'a vu, il arriveque des comportements implicites masquent des compétencesréelles. La procédure de désaccord est parfois plus informative, à lacondition qu'elle contienne une part d'explicitation.

Quand on veut décrire les mécanismes fondamentaux del'acquisition, c'est donc bien la présence de commentairesmétagraphiques conjoints au texte qui constitue à coup sûr lasource explicative la plus fiable. Les faits graphiques ne fournissentle plus souvent que des indications partielles, et parfois même peufiables, sur les mécanismes cognitifs sous-jacents. Comme on l'amontré, un accord «faible », c'est-à-dire limité aux faitsgraphiques, peut cacher un désaccord profond que seuls lescommentaires métagraphiques permettent de révéler. Des universcognitifs totalement différents peuvent donner naissance à unedécision apparemment identique.

Au delà de cette étude - ou dans son prolongement, nousmontrons que l'enseignant peut conduire des apprentissagesorthographiques qui prennent en compte les procédures révéléespar les commentaires métagraphiques des élèves. Rappelonscependant que notre approche se veut essentiellement descriptive.Dans cette perspective, nous entendons apporter des éclairages surles processus d'écriture, les modes d'appropriation de la langueécrite, les démarches et progressions susceptibles d'aider lesenseignants à organiser les apprentissages en écriture.

Tout d'abord, il nous semble que la méthodologie mise au point,et visant l'explicitation des procédures graphiques, peut inspirerdes démarches d'apprentissage. Les élèves sollicités dans notreétude acquièrent rapidement des habiletés orthographiques enconvoquant les procédures accessibles. On peut dès lors concevoirdes séquences d'enseignement-apprentissage, individuelles oucollectives, qui recourent également à la formulation de telscommentaires, voire qui provoquent des échanges obligeant desexplications étayées et argumentées; le but étant, par delà

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l'observation des traces, de mettre à jour autant le travail cognitifque les savoirs construits ou émergents. Dans ce sens, notre étudemontre que les connaissances se construisent progressivementavant de se stabiliser. C'est le cas notamment du marquage desnoms par le « s » qui semble fonctionner en toute clarté, très tôtdans l'apprentissage et par référence au sens (la pluralité), pourensuite se grammaticaliser dans le repérage des chaînes d'accord(Cf. aussi Jaffré & David, 1999). En revanche, d'autres savoirsparaissent plus instables; ils sont l'objet d'échanges plus longs; ilsréfèrent à des règles grammaticales décalées ou s'appuient sur desarguments souvent spécieux, notamment dans la sphère verbale.

Ensuite, nous mettons en évidence que la réflexion des élèvesgagne en précision lorsque les problèmes orthographiques sont misà distance, aussi bien par l'auteur du texte que par l'autre, le« réviseur» de la dyade. De fait, les connaissances apparaissentsouvent disponibles en situation de commentaire distancié, alorsmême qu'elles semblaient inaccessibles lors de la production. Enfait, nombreux sont les échanges qui montrent que la tâched'écriture occupe une surface cognitive très étendue, qu'ellesuppose la maîtrise d'habiletés complexes et exige la mobilisationparfois simultanée de compétences et de sous-compétenceslinguistiquement différentes. Dans ce sens, nous devrions proposerdes situations d'écriture, de relecture et de réécriture qui prennenten compte ces phénomènes et distribuent dans le temps de laproduction, comme dans celui de l'apprentissage, la maîtrise de cescompétences linguistiques. Il convient, notamment, d'articuler laproduction écrite à la réflexion sur des faits de langue précis,d'amener les élèves à inscrire leur pensée dans ce rapport à lalangue écrite et dans ce rapport à l'autre, que cet « autre» soitsimple lecteur, réviseur plus ou moins expert ou co-producteur dutexte à venir.

De plus, il nous semble important de montrer que laconstruction des savoirs en écriture ne suit pas une logique interneà la langue. Certes, les procédures sont accessibles à des âges plusou moins précis et en fonction des expériences de chacun, maiselles n'apparaissent pas dans une chronologie stricte ethiérarchisée. Nous ne saurions en effet évoquer des étapesd'apprentissage. De fait, dans les échanges analysés, différentesprocédures sont mises en œuvre, qui renvoient à des logiquessouvent différentes. Il est fréquent, par exemple, que les élèves

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recourent à des principes ou à des savoirs logographiques etphonographiques. De même, ils peuvent avancer des explicationsqui associent les niveaux sémantique et morphologique, dans laproduction d'un texte à l'autre mais aussi dans la composition d'unmême texte.

Enfin, certaines solutions orthographiques sont précocementinstallées, alors même qu'elles n'ont fait l'objet d'aucunenseignement; c'est souvent le cas du « s » pour le pluriel desnoms, comme nous l'avons montré dans la présente étude. Nosjeunes scripteurs sont dès lors capables d'étendre des règles defonctionnement, de réfléchir en système à partir de quelquesoccurrences, à condition bien sûr qu'elles aient fait l'objet d'uneréflexion heuristique au cours ou à l'issue d'expériences d'écriturerégulières et raisonnées.

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Anna Camps, Orial Guasch, Marta Milian, Teresa RibasDépartement de didactique de la langue et de la littérature

Université Autonome de Barcelone

L'écrit dans l'oral: le texte proposé

Introduction

Les objectifs de la recherche de notre groupe au Departament deDidàctica de la Llengua i la Literatura à l' Universitat Autonomade Barcelona se centrent sur les processus d'enseignement etd'apprentissage de la langue écrite dans le cadre d'un objectif plusgénéral: la connaissance des processus de développement etd'apprentissage de la langue en situation scolaire.

Les curricula d'enseignement actuels, ainsi que les orientationsprédominantes dans la conceptualisation de l'enseignement etl'apprentissage de la langue, ont comme priorité l'usagelinguistique, auquel ils subordonnent les connaissances sur lalangue, le discours et la communication. Ceci dit, nous croyons queles relations entre l'usage et les connaissances explicites n'ont pasété suffisamment explorées par la recherche. Notre intention est decontribuer à le faire.

De cet objectif général nous détachons d'autres objectifsspécifiques qui donnent lieu à trois lignes de recherche qui sont enrapport les unes avec les autres.(1) L'élaboration d'un modèle d'enseignement de la compositionécrite. Ce modèle intègre et permet de mettre en rapport deux typesd'activité (comprises dans le sens de la théorie de l'activité deLeontiev) : une activité de production textuelle qui a ses propresobjectifs (Ie texte a une fonction communicative qui va au delà dufait d'être un exercice académique ou scolaire) et une activitéd'enseignement / apprentissage de contenus spécifiques qui seréfèrent au genre discursif qui fait l'objet de l'enseignement. Lesactions qui se mènent pendant le développement de ce que nousappelons les séquences didactiques prennent du sens et deviennentsignificatives par rapport aux deux types d'objectifs envisagés et

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partagés par tous les participants: professeur et élèves (Camps,1994 b; Colomer, Ribas, Utset, 1993 ; Fort, Ribas, 1994 ; Colomereta/. 1998; Milian, 1995, 1996).(2) La connaissance des processus d'évaluation formative dansl'enseignement et l'apprentissage de la composition écrite. Verscette idée s'oriente la recherche des mécanismes de régulation del'activité de l'écriture dans les séquences didactiques (Camps,Ribas, 1996; Camps, Ribas, Guasch, Milian, 1997 ; Ribas, 1996,1997).(3) La connaissance de l'activité métalinguistique dans lesprocessus d'apprentissage du langage écrit. Nous comprenons cetteactivité non seulement comme l'usage des termes de métalangage,mais comme le contrôle et l'analyse de l'activité d'usage de lalangue, qui peuvent être développés à plusieurs niveaux deconscience (Camps, Milian - Amsterdam; Guasch, Milian, 1998).

L'interaction pour la composition écrite

L'analyse du discours produit pour créer le discours s'avèreabsolument utile dans le cadre de la recherche didactique. Ellepermet d'observer le processus de production pendant sondéveloppement et d'accéder ainsi aussi bien aux opérations menéespar les étudiants dans l'élaboration d'un texte écrit qu'aux facteursqui interviennent pendant le processus. Parallèlement, le fait deplacer la situation dans le contexte scolaire offre la possibilitéd'accéder aux caractéristiques du processus d'apprentissage de lacomposition écrite à partir de la mise à jour des connaissances etdes procédés qui interviennent dans la réalisation de la tâche. Cetteanalyse permet d'observer de même les stratégies que suivent lesélèves dans la résolution des problèmes qui apparaissent à plusieursniveaux et à différents moments du processus, et qui deviennentexplicites à partir du discours oral partagé par les participants.L'intersection des deux processus, celui de la composition écrite etcelui de l'apprentissage de la composition écrite, s'avère un pointd'observation privilégié pour connaître les situationsd'enseignement et d'apprentissage et pour proposer des lignesd'intervention éducatives.

La situation de production de textes écrits en collaboration,objet de nos analyses, est encadrée dans le modèle de

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l'enseignement et de l'apprentissage de la composition écritedéveloppé et expérimenté dans nos différents travaux. Lescaractéristiques du modèle de séquence didactique (SD) fontréférence à l'importance accordée aux conditions discursives dutexte que l'on produit et à la situation de production en groupe, quipermet non seulement la collaboration des participants pourenvisager, négocier et résoudre les problèmes inhérents à lacomplexité du processus de composition à plusieurs niveaux, maisqui montre le dynamisme du processus et permet en même temps laconstruction et la régulation des apprentissages.

Cette situation de production en groupe envisage donc uncontexte spécifique dans lequel s'entrecroisent des contextes ou desdomaines qui apportent leurs caractéristiques particulières audiscours créé par les participants pendant le processus. Lesnégociations effectuées dans le contexte de production se réfèrentaux domaines suivants.(1) Négociation pour la production du texte. Cette négociation seproduit à deux niveaux différents. Le premier correspond àl'élaboration du texte comme objet, et les négociations qu'il créefont référence au contenu ou au sujet, au mode discursif écrit et à lasituation de communication dans laquelle le texte est inséré. Ledeuxième niveau de négociation concerne le processus deproduction en soi, l'organisation de l'action et la gestion duprocessus(2) Négociation entre l'émetteur et le destinataire. Lareprésentation de la tâche demande d'établir clairement l'intentionde l'écriture, la connaissance du destinataire du texte et de lasituation de réception, ainsi que le rapport constant entre cesparamètres dans la situation de production.(3) Négociation de la situation d'apprentissage. Le modèle deséquences didactiques comprend l'explicitation et la négociationdes objectifs d'apprentissage, qui contribuent à la représentation dela tâche et permettent de guider sa réalisation tout le long duprocessus.

Parler pour écrire représente une situation différente de celle quis'établit entre des interlocuteurs dans une situation de conversation,c'est une situation de «conversation rédactionnelle» (de Gaulmyn,1994), dans laquelle on met l'accent sur la «tâcheconversationnelle» qui définit un contrat et qui oblige lesparticipants à l'accomplissement d'un objectif déterminé,

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l'élaboration d'un texte écrit adapté à une situation rhétoriquespécifique (Krafft et Dausendschôn-Gay, 1993: 105).

L'analyse des aspects du dialogue qui contribuent à laconstruction du discours écrit a plusieurs facettes; celles-cipermettent d'envisager plusieurs paramètres. Nous porteronsmaintenant notre attention aux énoncés oraux à travers lesquels lediscours écrit est véhiculé.

L'écrit dans l'interaction orale: texte proposé et texteécrit

Matsuhashi (1981) et Bereiter, Fine et Gartshore (1979)signalent que dans la production d'énoncés écrits on peut distinguertrois stades différenciés: un premier moment où les écrivains n'ontqu'une idée générale de ce qu'ils vont exprimer, un deuxièmemoment où ces idées adoptent des formes lexicales qu'on peutrendre explicites et un troisième moment où elles deviennent desunités graphémiques.

Matsuhashi indique que dans le développement d'une phrase lesproducteurs travaillent au début avec des unités sémantiques quicontiennent le type de structure qui se produira, mais necontiennent pas les unités lexicales spécifiques qui y serontutilisées. De cette façon les écrivains partent d'un schémaspécifique de rapports temporels ou logiques et peuvent choisirentre des concrétisations alternatives de ce schéma. D'aprèsBereiter, Fine et Gartshore (1979), la concrétisation graphémiquede ces structures se produira en fonction des besoins d'adéquation àla situation discursive et de correction des productions.

Dans cette ligne, Camps (1994a) identifie deux types d'énoncésde production d'un texte écrit dans l'interaction pour lacomposition écrite des textes: le texte proposé (Tp), des énoncésformulés oralement pour être écrits, et le texte écrit (Te), ensembled'énoncés oraux qui accompagnent l'action d'écrire ou l'activité dedonner une forme graphique aux idées élaborées. On fait ainsi ladifférence entre le texte qui correspond aux processus deplanification - auquel correspond le Tp - et celui formulé dans lesprocessus de mise en texte et de révision, représentés par Te(Milian, 1999).

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Le texte proposéNous comprenons par texte proposé (Tp) les propositions de

texte écrit formulées en fonction des récepteurs du texte, maisénoncées oralement dans l'interaction du groupe afin de lessoumettre à la considération des copains et de l'énonciateur lui-même avant de leur donner une forme graphique. Dans laconversation le Tp se distingue des énoncés de planification dutexte et son contenu est élaboré selon plusieurs caractéristiques:

a) On produit Tp principalement après des expressions comme:« on pourrait écrire» , « on pourrait dire », « mets»:

Exemple132. Francese: bueno pues pon tftedo (...) [bon ben mets titre' C..)]33. Elisabet: després hem de fer el guiol eh (...) [après on doit faire le schéma! d'accord(...)]

34. Francese: va posa gui6 I el titulo ya 10 pensaremos despuésl tU pon gui6 [allez metsschémal le titre on va y penser après I mets schéma.]

b) La proposition de Tp coïncide avec un changement de registre.Les énoncés de planification du texte ou d'élaboration du contenu,dans la mesure où ils sont destinés à des interlocuteurs présents,.ont souvent des caractéristiques d'oralité, alors que les propositionsde texte, destinées à des interlocuteurs non présents, ont lescaractéristiques propres de la langue écrite: une teneur plusimpersonnelle, une tendance à produire des phrases complètesdéveloppées au point de vue syntactique selon les modèles qui sontpropres à l'écriture:

E"emple 2360. Francese: no sabia leerl 0 ponla cosas con muchas faltas de ortografia! pero sabiamucho calculoll ens va dir que peI' la porta trasera en el seu temps es podia I al/à es podiaentraI' i sortir quan vo/iesll veil! allaI' allà pem estava tallcada [il ne savait pas lire I ouécrivait avec plein de fautes d'orthographe I mais i! était fort en calcul Il il nous a dit que parla porte de derrière à son époque on pouvait I là on pouvait I ellfrer et sortir quand all

voulait Il all y est allé I mai.ç elle était femfée ]361. Elisabet: y no es mas faci! hacer pi:: I y se abre una- I y hago chi chi chi y se abre unapuerta I y pasamos y adios I y ahl acabamos [et c'est pas plus facile de faire pi:: I et i! y ena une-I qui s'ouvre I ct puis je fais chi chi chi est une porte s'ouvre I et on passe et au revoirI et on finit là ]

c) L'énonciation du Tp entraîne un changement de l'intonation: leton est plus élevé et plus régulier, elle a souvent une intonationfinale en ascendance ou avec un final coupé et elle est très souventproduite plus lentement par rapport aux autres énonciations.

--------------------I En italiques le texte proposé

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d) Dans les situations de conversation biIingue2 (Py, 1994) où lalangue d'écriture ne coïncide pas avec la langue base del'interaction entre les interlocuteurs, les propositions de texteproposé se distinguent, aussi, parce que l'on emploie une languedifférente de celle plus habituelle dans les rapports entre lesproducteurs pour les formuler (Guasch, 1997) :

Exemple3346. Francesc : a ver Il es va carregar a tots / /10 (...) abans de que vinguessill filés /l'emmarxar (...)per la porta trasera del forat /legre [(en espagnol) voyons Il (en catalan) il les aliquidés tous / n'est-ce pas (...) avallt que d'autres arrivent / 0/1 est partis (...) par la portede derrière du trou /loir]347. Simôn : (riu) (...) no lia eU va obrir I//la porta amb els seus poder.v I ti:: Il y habfa comouna cosa azul y nosotros zum [(il rit) (en catalan) non I eU ol/vrÎt une porte grâce el sespal/vairs I ti:: Il (en espagnol) et il y avait une espèce de chose bleue et nous zoum]

Le texte écritDans les processus de composition, le Te et le Tp sont très en

rapport et il y a des moments où il est très difficile de faire ladifférence entre l'un et l'autre. Le Te peut être repéré à partir de lacorrespondance avec les différents brouillons et le texte final; lesmarques d'intonation qui le caractérisent à l'oral correspondent soità la dictée - énonciation lente et répétée, ou l'on reprend le textepar des fragments coupés et répétés pendant qu'on écrit, soit aumoment matériel de l'écriture - sous-vocalisation ou lecturedécodante en coïncidence avec l'inscription des signes graphiques,soit aux différents moments de relecture - pour réviser, pourreprendre le fil du discours, pour vérifier.

Voyons quelles sont les fonctions du Texte proposé (Tp) et duTexte écrit (Te).

Les producteurs emploient le Tp et le Te pour remplir desfonctions diverses. S'agissant du texte proposé, les élèves peuvent:proposer le texte, accepter la proposition, la répéter pour se donnerles temps de l'évaluer, accepter la proposition, mais en introduisantdes changements, faire une autre proposition.

S'agissant du texte écrit, les élèves peuvent: dicter (rappeler laproposition, la dicter à celui qui est en train d'écrire, mettrel'accent sur des aspects phonographiques), autodicter(autocontrôler l'écriture elle-même, attirer et retenir l'attention descopains sur la tâche à réaliser, tenir les copains régulièrementinformés sur ce que l'on est en train d'écrire), relire (évaluer ce que

--------------------2 En Catalogne, on est bilingue catalan et espagnol.

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l'on a écrit, reprendre ce qui a été écrit pour le lier à la nouvelleproduction).

Dans le passage suivant le texte proposé est formulé pourproposer du texte

Exemple431. Simon; XXX (...) no Il primero un poco de Il para entrar I a ver I qué podemos paner (...)[non Il d'abord un peu de Il pour entrer I voyons I qu'est-ce qu'on peut mettre]

32. Francese: mira molt facill una noia I que eau en forat negre lion Ion les tmba amb /1/10IIOU la:mb dos nois Il et coneixia a tu [regarde très facile I une jïlle I qui tombe dans un trounoir Il oÙ 10Ù I elle rencontre IUle nef I avec deux garçons Il elle te connaissait]

et dans celui-ci il est répété pour montrer le désaccord (178) etl'accord (180) avec les propositions d'un copain

Exemple5175. Francese: aquesla histbria // passa l'à [cette histoire /1 se passera}

176. Elisabet: no no no I no comienza [non non non I elle ne commence pas]177. Simon: um I e::h la:: lia dimensiô deseoneguda rum I e::h la:: lia dimensionincollnue}178. Elisabet; la dimensiô desconeguda I pera 1110 que hay aquf abajo (...) [la dimensioninconnue I mais Il ce qu'il y a là-bas (...)]179. Francese: la histbriajàlllàlica. (l'histoirefalllastique}180. Simon: sf I histbriafantàstica [oui I l'histoirefanlastique}

Voyons maintenant successivement un exemple de texte écritsous forme de dictée et un passage où il apparaît sous la formed'autodictée (303) :

Exemple 6195. Miriam; urn I (dicta) el quinze de febrer de l'clI1Ydos mil [mm I (elle dicte) le quinze

février de l'ail deux mille]196. Alberto: XXX el diccionario [le dictionnaire]197. Zaida: ",XXX=198. Miriam: =copia= I (dicta) el quillze defebrerde l'ClIlYdos mil.199. Alberto: joder I tengo que copiar yo (...) [merde I faut que ce soit moi qui copie]

Exemple 7302. Mhiam : (continua dictant) enuna- Il cambiamos por una clase de quimica I parque en

una universidad estudiar sociales es es un poco:: Il mosti! (...) [(elle dicte toujours) dans tl/I-

lion change et on met un cours de chimie I parce que étudier des sciences sociales à

l'université c'est un peu:: ]

303. Alberto: (copia) clase de:: (...) [(il écrit) cours de:: (...)]304. Zaida : qu(mica ( ) [chimie]305. Miriam: (dicta) l'alberto- I no-la miriam/I'alber/o Y la zaMa Il coma Il alberlo. (...)[(dicte) albert I non- miriam/ alberta et zaMa Il virgule Il alber/o...(...)]

Finalement, voici un exemple de texte écrit qui apparaît dans ledialogue à travers la relecture du texte pour reconsidérer ce qui aété écrit et pour mettre en rapport le texte écrit et sa suite:

Exemple86. Francese: (llegeix) aquesta historia passa I a l'allY dos- I a l'allY Ires mil (...) va! (...)amb dos nais que van en una nau- / nau / i troben una allra en perjecte eslat (...) [(H lit)

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cette histoire se passe Il'all deux-Il'all trois mille (...) ok (...) et il Y a deu2 garçons qui sontdam une lIet IlIef et ell trouvellt ulle autre ell parfait état (...)]7. Simon; és que ahf posapassarà (...) i és I va pas- (...) [mais là on a mis pas.fera (...) et

c'est I s'est pass- (...)]8. Francese: estamos (...) noventa y seis [nous sommes (...) quatre-vingt seize]

9. Simon: ya pero I es que luego la historia I esta en aba (. . .) pone I vall sorti::,. y van fer nosé qué no sé qué (...) tenfamos que poner un comenzamiento I por ejemplo I estamos ell elallY cuatro mil Il on I on no sé qué no sé qué [ok mais ce qu'il y a I c'est qu'après l'histoire Iest en -ait (...) il y a I ils sOllt sortis et Olltfait patati patata. (...) nous devions mettre un débutI par exemple I c'est l'an quatre mille Il et I patati patata]

Lors de la formulation et de la reformulation des propositions, lacoopération entre les étudiants dans le groupe est très étroite et letexte final est le résultat de ce qu'ils y ont tous apporté pendant untravail intense de recherche des mots et des structures les plusappropriées pour exprimer ce qu'ils veulent transmettre.

Étude des reformulations

Dans une étude sur l'évaluation formative pendant le processusde la composition écrite (Camps, Ribas, 1996), l'observation desépisodes de mise en texte qui peuvent être identifiés dans lesconversations des groupes nous a permis de constater que le Tpconnaît plusieurs changements tout au long du processus decomposition. Nous appelons «reformulations» les changementsqui se produisent dans le texte, que nous signalons de façongraphique sous forme de « grille ». Leur analyse peut apporter desinformations sur les mécanismes sous-jacents aux opérations demise en texte et de révision.

La présentation des reformulations selon l'axe paradigmatiquedes changements progressifs dans une même position syntactiquepeut contribuer à la création d'une perspective de l'analyse del'écrit dans l'oral orientée grammaticalement, tout en consolidanten même temps une certaine idée de phrase dans la présentationlinéale des composantes que l'on ajoute au texte proposé. Notresystème de présentation, qui prend le modèle de Marty (1991) etqui est similaire à celui que le G.A.R.S. utilise (Blanche-Benveniste et Jeanjean, 1986) pour recueillir ce qu'ils appellentl'avant-texte à l'oral, n'exclut pas le point de vue syntactique dansl'analyse des données, mais leur objectif n'est pas celui de faire unesyntaxe de l'oral, plutôt d'observer le processus de production d'untexte écrit à partir de l'oral et poursuivre, par les changements qui

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903.M: solucia liquidar les fanàtiques(solution) (liquider) (les fanatiques (fém.))

905. P: i els fanàtics(et les fanatiques(masc))

906. M: Solud6908. M: treure

(enlever)aniquilar(anénatirl)

909. MA: aniauiIar91O.M: aniQuilar912.M: aniquilar el fanatisme mascuU i femen{

( le fanatisme) (masculin et féminin)el fanatisme

Phrase écrite Solud6: AniQuilar el fanatisme masculf i femen£.

se produisent, les facteurs qui interviennent et qui ont uneincidence sur la tâche envisagée et sur le contexte d'apprentissage.

La présentation des reformulations suppose une sélection del'écrit dans l'oral. La confrontation de ces données avec le contexteconversationnel dans lequel elles apparaissent permet d'avoir uneapproche globale du processus. La délimitation des épisodes dereformulation sous forme de grilles correspond à la délimitationétablie pour les étudiants quand ils élaborent le texte; elle coïncidegénéralement avec les fragments textuels ayant un contenupropositionnel clair, même si ceci ne correspond pas toujours à unepériode textuelle structurellement fermée (314). En voici unexemple:

Tableau I ; Episodes de reformulations

Milian (1999) mène à bien une révision des acceptions de lanotion de reformulation envisagées à partir de plusieurs contextesd'étude des différents usages linguistiques et souligne sescaractéristiques partagées:

- la reformulation a une fonction rétroactive, de retour sur ce qui aété dit ou écrit, pendant le processus d'élaboration du discours:

Les élèves de cet exemple, trois garçons de 15 ans qui écriventun texte d'argumentation sur la discrimination de la femme, fontplusieurs remplacements pour trouver un registre plus formel. Ilscommencent par proposer les formes «liquider» et « enlever »,appartenant au langage oral plus parlé, pour les remplacerfinalement par un synonyme: «anéantir ». Cette expression estbeaucoup plus frappante que celle que l'on obtiendrait avec

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« enlever ». Ce remplacement du verbe « enlever» par « anéantir »,cependant, oblige à remplacer «les fanatiques masc. et fém. »par « le fanatisme », nom référé à quelque chose qui peut et quidoit être anéanti, même si, afin de conserver la référence auxpersonnes qui partagent les idées qu'il faut anéantir, les étudiantsajoutent la précision «masculin et féminin» ;- la reformulation est un phénomène qui a lieu en collaboration, elleest essentiellement dialogique à cause de l'intervention directe desinterlocuteurs ou par son incidence indirecte à travers lareprésentation que le producteur fait des récepteurs.

Le terme « reformulation », lorsqu'il est appliqué au discours encollaboration pour écrire, a une particularité essentielle. La notionde « contrat de tâche », proposée par Krafft et Dausenschôn-Gay(1993) pour faire référence à la négociation entre les interlocuteurspar rapport aux objectifs à atteindre au moyen de la conversation etla distinguer de la négociation dont l'objectif est la poursuite de laconversation (le contrat de conversation), prend ici un sens spécial.Dans la conversation pour l'écriture, le « contrat de tâche» placel'interaction sur un niveau différent par rapport au «contrat deconversation », parce qu'il fait référence à la construction d'undiscours écrit pour un interlocuteur qui n'est pas présent. Comme ledit Milian (1999: 310): «La négociation entre les participantspour construire un sens social, partagé par eux pendant laconversation, a lieu non seulement en fonction du contexte où laconversation a lieu, mais aussi en fonction d'un contextereprésenté, le contexte de réception du texte. Il y a donc là undouble niveau dans la négociation conversationnelle: le niveauqu'accomplit le contrat de conversation et celui qu'accomplit lecontrat de tâche ».

Les caractéristiques de la tâche demandent aussi de la part desparticipants une négociation sur l'adéquation de la langue, d'uncôté, à ce contexte représenté et de l'autre, au canal decommunication écrite. Les appellations «rédactionconversationnelle» (de Gaulmyn, 1994) et «conversationrédactionnelle» (Bouchard, 1996) essaient de constater ce doublecontexte -conversation et tâche - et le centre d'attention quereprésente la langue écrite dans cette situation;-la reformulation est un indice de l'activité métalinguistique.

L'activité de reformulation comprend toutes les opérationsappartenant au processus de révision contemplé dans les modèles

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cognitifs du processus de composition écrite: prendre du recul parrapport au texte, l'observer, l'évaluer et le modifier, si nécessaire.Camps CI994a) souligne le fait que dans le modèle de révision deBereiter et Scardamalia on parle d'opérations très proches(comparer, diagnostiquer et opérer) auxquelles nous venons defaire référence, et qui ne sont pas comprises exclusivement enfonction du texte transcrit mais qui sont conçues en tantqu'opérations applicables à la gestion du texte avant d'être écrit,c'est à dire, sur l'écrit dans l'oral.

La construction en collaboration du discours facilite laproduction du texte et favorise ainsi les opérations de révision àplusieurs niveaux et à des moments différents de la part desparticipants à la tâche. Les auto-reformulations et les hétéro-reformulations en constituent la preuve. Ces reformulations sontsouvent accompagnées d'énoncés qui rendent explicite une activitéde réflexion sur la langue. La situation discursive, le contexte deproduction et les participants à la construction du discours sont desfacteurs déterminant le degré d'explicitation de l'activité deréflexion.

Les caractéristiques des reformulations

Nous envisageons deux aspects des procès de reformulation: (a)comment les reformulations montrent l'activité métalinguistiquedes étudiants pendant le processus de rédaction, (b) quelle est leurcause et quel est le sens de son développement.

L'activité métalinguistiqueLes études sur l'activité métalinguistique montrent que cette

activité ne se produit pas seulement lorsque, de façon explicite,l'objet auquel font référence les énoncés - au moyen d'uneterminologie spécifique ou du langage courant - est le langagemême qui les constitue. Les activités implicites de comparaison oude changement d'un mot pour un autre, les reformulations,supposent également une activité métalinguistique.

Dans nos analyses nous nous rapprochons des processus deproduction et de révision des étudiants travaillant par groupes pourdécouvrir quelles sont les activités métaIinguistiques qui seproduisent et qui se développent pendant ces processus. D'après

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1. Reformulation simple, sans aucun pas J : aixo I ho veus si mires pei forat [tu vois çaintermédiaire apparent entre une Isi tu regardes dans le trou]formulation et la suivante E : aixo ho veus I aixo ho veuràs I ho veuràs I

si mires peI' el forat [tu vois I tu verras ça Iverras I si tu reKardes dans le trou]

2. Reformulation avec négation explicite P: (rellegeix) la imatge [(relit) l'image]préalable de la forme proposée, ou B : (proposa) que veiem [(propose) que nousexpression de doute, qui débouche voyons]parfois sur une activité intense de P : la imatge I que es projecta (l'image Icomparaison entre formes, mais qui n'est projetée]accompagnée d'aucune réflexion O. no I que es projecta no [non I projetée non]métalinguistique explicite B : que veiem dejora [que nous voyons de

l'extérieur]0: sf I Queda millor [oui I ça passe mieux]

3. Reformulation et/ou comparaison J : dÙltre del tub I ells verten [dan.f Ie tube I ilsaccompagnée de réflexion voient]métalinguistique sans utiliser des termes E: pero [mais]métalinguistiques spécifiques J : dÙltre del tub [dalls le tubeJ

E: no podemos poner ells veuell porque Iporquel que haremos nosotros para ellos I en

parte I decir qué es el calidoscopi [nous nepouvons pas mettre ils voient parce que I ceque nous ferons pour eux I en partie I dire ceque c'est que le kaléidoscope J

4. Reformulation et/ou comparaison avec X : i aleshores I no I un altre que dirialno I noréflexion explicite accompagnée de pot ser I sino sempre estarem igual I i ara hem

l'usage de termes métalinguistiques canviat I 0 algo aixf I com si fos també unexplicites diàleg I pero [et alors I non I un autre qui

dirait I non I c'est pas bon I sinon ce seratoujours pareil I et maintenant nous avonschangé I ou un huc comme ça I comme si

c'était comme un dialogue I mais]A : ah! 0 sigui I corn si I corn si ho expliqués Icorn si estiguéssim començant a argumentarper [ah I c'est à dire I comme s'il racontait ça.

I comme si on commençait à arj1;umenter par]

notre hypothèse, les activités métalinguistiques ne sont pas toujoursexplicites, même si dans les situations de production en groupeelles apparaissent dans la conduite extérieure des étudiants. Pourprogresser dans la connaissance de l'activité métalinguistique dansce processus de mise en texte, nous avons établi une catégorisationqui nous permet de décrire les manifestations en considérant si ellessont accompagnées ou non d'énoncés ayant une fonctionmétalinguistique explicite et selon les caractéristiques de cettemanifestation. Les catégories, au nombre de quatre, sont présentéesdans le tableau suivant:

Tableau 2 : Catégories de reformulations

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Motifs des reformulations et sens de leur développementOn a pu déterminer que les motifs habituels des changements

des énoncés sont (Cf. Milian, 1999) : Ca) la correction normativedes écrits, Cb)la cohésion, centrée très souvent sur la ponctuation etla réorganisation des éléments (la suppression des répétitions parl'utilisation de pronoms, la suppression des éléments répétés ou lasimplification des constructions embrouillées, par exemple), Cc)laposition énonciative des étudiants qui écrivent en tant qu'émetteurset le rapport qu'ils doivent établir avec les futurs lecteurs, Cd)l'adéquation des énoncés aux destinataires et aux contextessociaux, c' est~à-dire, le réglage des structures syntactiques, deschoix lexicaux, des degrés de formalité, etc., aux situationsrhétoriques.

L'observation des reformulations que réalisent les étudiantsmontre l'incidence des contextes qui participent à la réalisation dela tâche. En fonction de ceci, Milian (ibid.) propose que les butsprincipaux de son développement sont d'une part l'adéquation à latâche qu'on est en train de réaliser, d'autre part l'adéquation aucontexte de production. La première prend la forme de l'adéquationau sujet et au contexte de réception - au destinataire, à l'intentiondiscursive, ainsi qu'aux exigences et aux conventions de la langueécrite. La deuxième est le résultat de la non-coïncidence dans lareprésentation du texte de la part des membres d'un même groupede production. L'interaction entre ces contextes est constante et, enconséquence, il n'est pas possible d'attribuer de manière séparéeles reformulations à chacun d'eux.

L'exemple ci-après (Tableau 3) montre que les changements quise produisent dans le texte obéissent autant à l'adéquation au sujetqu'aux différentes représentations que les élèves qui écrivent ontfaites par rapport au texte.

Deux visions de l'objet kaléidoscope apparaissent, l'unepurement visuelle, externe - rectangulaire, rond - et l'autre,fonctionnelle, qui fait référence au besoin des formes polyédriquesdans la composition du kaléidoscope. L'adéquation aux récepteursest montrée dans le tableau suivant. Les changements leXicaux quiexpliquent la fonction du kaléidoscope vont de la proposition laplus formelle - ceci est l'effet du kaléidoscope - jusqu'à laproposition la plus compréhensible pour les lecteurs, des enfantsplus petits qui ne sont pas habitués au langage éloigné des usagesplus parlés: ceci est ce que font les miroirs du kaléidoscope.

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171 E el calidoscopi és un objecte que pot ser de moites formes (qui peut

(le (est) (un objet) avoir plusieurs formes)kaléidoscope)

173 E moItes formes(plusieurs formes)

rectangular(rectanJ!;ulaire)

177 E el calidoscopi és un objecte que pot ser triangular rod6 0 hexagonal(qui peut être triangulaire rond ou

hexaJ!;onal)

179 J el calidoscopi és un objecte que pot ser(qui peut être)que pot ser triangular(qui peut être triangulaire)que és(qui est)

181 J Que és trianJ!;ular

Tableau 3

En définitive, les reformulations constituent des indices de lanégociation pour le contrat de conversation (entre les participants)et du contrat de communication (entre émetteurs et destinataire':') etde la réflexion sur la langue et son adaptation à la situation decommunication, à conséquence du fait de la mettre en considérationdes étudiants qui écrivent dans le contexte de production. Lesreformulations créées pour ces raisons se produisentindépendamment des caractéristiques des groupes de production.En revanche, en tant qu'indice de négociation socio-cognitive, ellesdépendent des relations établies entre les membres des groupes detravail et d'autres facteurs interviennent, qui ne sont passpécifiquement en rapport avec la production des textes écrits.

La reformulation constitue une sorte de brouillon oral quipermet de rendre objectif et de partager le texte que l'on est en trainde produire. Les limitations de la mémoire de travail et del'attention font que la portée des changements est limitée. Malgrécela, les propositions de texte proposé attirent l'attention de tous lesmembres du groupe et leur permettent de découvrir aussi bien dessolutions aux problèmes qui apparaissent comme n'ayant pas étédépistés de façon individuelle.

La portée et le sens des reformulations montrent la dynamiquedu processus de production. Dans la plupart des cas, lesreformulations sont l'expression d'un processus cumulatif qui faitque le texte augmente de façon linéale vers la droite. Mais cecin'empêche pas que souvent des réorganisations se produisent à

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447 B i aixo és l'efecte del calidoscopi(et ceci) (est) (l'effet) (du kaléidoscope)

449 P i aixo450M j aixo és l'efecte del calidoscopi4510 aixo455 P i aixo4560 és igual que el calidoscopi

(pareil) (au kaléidoscope)457 B és 10que fa el calidoscopi

(ce Que fait)

459B és el que fan els miraJls del(ce que font) calidoscopi

(les miroirs dukaléidoscope)

462P aixo és el que fan463 B els mira!1s de!

calidoscopi466P és el Que fan.467 B els miralts del

calidoscopÎ468A ca-li-dos-co-pi

partir des éléments donnés au début, et que l'on cherche la façon deles adapter à la représentation que les étudiants ont sur le produit,ou que l'on devine une projection du texte qui doit être encoreécrit, mais qui commence à prendre forme à partir d'un élément quicommence à l'ébaucher.

Tableau 4

Conclusion

Tout ce que nous venons d'exposer permet de formulerquelques conclusions sur le phénomène de l'écriture collaborativeet sur ses effets sur le processus de production et son apprentissage.S'ensuivent à notre avis cinq points de référence importants pour laplanification de l'enseignement de la composition écrite à l'école:- le concept de texte proposé et l'analyse des reformulations se sontmontrés d'une grande utilité pour se rapprocher de l'activitélinguistique et metalinguistique des apprenants dans le processus deproduction textuelle en collaboration;- le texte proposé et le texte écrit sont utilisés avec des fonctionsdifférentes pour réaliser des activités groupaI es liéesfondamentalement aux opérations de textualisation et de révisiondans le processus de composition écrite;

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- les reformulations sont un phénomène dialogique avec unefonction de retour sur de qui a été dit ou écrit et constituent desindices de l'activité métaIinguistique menée par les producteurs;- les changements que subissent les textes proposés dans lesreformulations visent les mécanismes de cohésion et d'adéquationdes textes, la position énonciative des locuteurs et la correctionnormative des écrits;- l'analyse des reformulations nous permet d'envisager l'hypothèseque le travail de rédaction en groupe est l'un des instruments pourfaire apparaître une grande partie de l'activité métaIinguistique,ainsi qu'un important instrument d'apprentissage.

*

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Résumés des articles

PREMIERE PARTIE

Marie-Madeleine DE GAULMYNRecherche lyonnaise sur la rédaction conversationnelIePrésentation du corpus

L'équipe lyonnaise du Oric 2, Interaction, acquisition, apprentissage des langues,conduit depuis dix ans une série de recherches sur les rédactionsconversationnelles. Elle étudie les pratiques conjointes de l'écrit et de l'oral dansles situations oralo-graphiques de rédaction coopérative. Ces recherches dépassentl'analyse des seuls produits écrits, brouillons raturés et textes achevés pour décrirele processus dynamique de la production d'écriture au cours des activités deformulation et de rédaction. Sur le versant didactique, elles sont un observatoiredes pratiques d'écriture et de l'apprentissage en interaction. Sur le versantthéorique, elles mettent en évidence les processus cognitifs d'apprentissage d'unetâche, explicités par l'interaction. Les corpus recueillis présentent des caractèresspécifiques; les formes de langue et de discours relèvent d'usages intermédiairesentre oral et écrit, la structure de l'interaction est déterminée parl'accomplissement de la tâche, l'argumentation se déploie sur deux niveaux, dansla situation conversationnelle et à l'intérieur du texte écrit. Des analysesparticulières sont menées dans quatre directions; l'évolution des relations entre lespartenaires et l'établissement du contrat de collaboration; le scénario qui ordonneles opérations de production du texte; les activités métaIangagières, implicitesplus souvent qu'explicites; les procédures de reformulation. La formulationdéfinitive naît de tâtonnements et d'essais successifs dans un processus négociéqui se présente sous des aspects différents, pendant la gestation du texte avant soninscription, pendant l'acte de dictée et d'inscription, ou pendant la relecture et larévision. Les co-rédacteurs experts savent gérer simultanément des unitéstextuelles de différents niveaux et conduire parallèlement des activités différentesde façon apparemment désordonnée. Ils se servent d'objets intermédiaires, plans,listes d'arguments notés, croquis, schémas. Ils recourent à des fOlmules de langageet à des moules de phrases pré-construits. Ils utilisent efficacement les relectures.Un passage de l'un des corpus lyonnais de rédaction conversationnelle sert de based'étude aux contributions de la première partie du volume. Une brève présentationdu corpus général est suivie de la présentation de l'extrait de la transcription del'enregistrement.

Denis ApOTHELOZLes formulations colIaboratives du texte dans une rédactionconversationnelle : modes d'expansion syntaxique, techniques méta-langagières, grandeurs discursives manipulées, etc

Le corpus dont il est question dans cet article provient de la rédactionconversationnelle Meïté/Paulo. Cette étude a pour objet les séquences durantlesqueIJes les deux acteurs formulent ensemble, pas à pas et en col1aboration, le

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texte qu'ils sont en train d'élaborer. L'analyse détaillée d'une de ces séquencespermet de montrer selon quels principes syntaxiques un syntagme nominal estdéveloppé conversationnellement. On montre également comment différents typesde formulations et/ou de reformulations (répétition puis expansion, expansionseule, répétition incomplète, etc.) marquent différents modes d'intervention sur letexte en cours d'élaboration et sur les formulations proposées par le partenaire.Les objets linguistiques que manipulent les interactants sont analysés commerenvoyant dualement à des unités de travail et à des unités-cadres.

ALAIN RAB ATEL

La dynamique de la structuration du texte, entre oral et écrit: enjeuxénonciatifs des négociations autour du cadre de prédication, dans un énoncébisegmental

Dans le cadre d'un processus d'écriture coopérative dissensuel, on observe que lesdeux interactants font porter l'essentiel de leurs négociations, pour l'écriture deleur première phrase, sur les constituants du préfixe plutôt que sur le noyau. Cettesituation, à rebours des représentations sur les relations thème/rhème, invite às'interroger sur les raisons de cette focalisation sur le préfixe. Au delà dedifficultés syntaxiques locales, on s'interrogera sur les motivations énonciatives ettransactionnelles de cette centration sur le préfixe d'une phrase très spéciale,puisqu'il s'agit de l'amorce de l'introduction: le travail sur le préfixe correspond àla recherche d'un consensus entre interactants, à ]a construction d'un univers dediscours et d'un domaine de référence en congruence avec l'orientationargumentative du noyau, en sorte que le préfixe fonctionne d'emblée comme uncadre de prédication, ce pourquoi il requiert de multiples négociations.

Anne-Claude BERTHOUD& Laurent GAlONégocier des faits de langue pour le discours

L'article montre comment certaines unités linguistiques sont traitées dans le cadrede leurs enjeux discursifs. La tâche de rédaction conversationnelle, notamment àtravers la stabilisation des arguments oraux pour l'écrit, offre un terrain propice àl'observation de ces phénomènes, mais y trouve en même temps une de sesspécificités. L'analyse porte entre autres sur le processus de nominalisation et surla dialectique entre la thématisation des catégories discursives et de leurs unités.

Sylvie PLANEProblèmes de définition et négociations sémantiques dans la rédaction à deuxd'un texte argumentatif. Tâches laflgagières prescrites et tâches laflgagièreseffectuées lors de l'élaboration conversationnelle d'un écrit

L'article se propose d'examiner un corpus complexe, rendant compte de larédaction par deux scripteurs d'un texte argumentatif discutant le bien fondé desdevoirs scolaires. L'analyse prend particulièrement en compte deux paramètres de

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la situation, à savoir le fait qu'il s'agit d'une situation didactique, c'est-à-direvisant à l'apprentissage, et le fait que le thème à traiter par les deux scripteursrenvoie à leur situation d'étudiants, puisqu'ils sont amenés à traiter des devoirsscolaires tout en rédigeant un texte qui peut s'apparenter à un devoir.L'observatÏon porte d'abord sur ]a donation de ]a consigne, de façon à en faireapparaître la complexité énonciative. Puis eUe s'attache à déterminer les tâcheslangagières que se donnent les scripteurs, et tout particulièrement ]a manière dontils définissent progressivement ]e genre de texte à produire en lui affectant descaractéristiques empruntées aux genres scolaires et aux genres journalistiques.Enfin l'analyse se focalise sur deux des stratégies argumentatives employées parles scripteurs pour défendre un point de vue qui se constitue progressivement:l'introduction d'un argument concernant ]a quantité qui permet de détourner lesobjections, et le recours à deux dénominations différentes pour traiter d'un mêmeobjet.

Robert BOUCHARDProduction et contrôle de la production en fin d'apprentissage de l'écrit enlangue étrangère. Les conflits entre usage et emploi, préconstrllction et syntaxe

L'article s'intéresse au corpus d'une manière spécifique en y étudiant lesphénomènes de production écrite caractéristiques de la phase finale del'apprentissage du français chez des apprenants étrangers résidant en France. Ilinsiste donc sur les indices de maturité grammaticale que montrent les étudiantsobservés mais aussi sur les conflits entre cette compétence linguistique etméta1inguistique, montée par un apprentissage guidé, et l'acquisition spontanée enmilieu social de formes préconstruites, locales ou globales, caractéristiquesd'emplois « sajJIants » chez les natifs. Ces emplois, pragmatiquement efficaces,peuvent s'opposer aux usages enseignés et déclencher des conflits cognitifs ousoda-cognitifs chez les apprenants avancés. C'est la résolution de ces conflits aubénéfice de l'usage ou de l'emploi qui nous intéressera tout particulièrement.

Jean-Paul BERNIEProblèmes posés par la co-constructionpartenaires d'une activité rédactionnelle.

d'un contexte commun aux

L'objectif est de montrer qu'une conduite langagière n'existe pas en soi dansJ'esprit du locuteur-scripteur, mais en référence à des situations. Il n'y réagit pasdirectement mais par la médiation d'un travail d'interprétation de sa signification,passant lui-même par l'usage de genres, outils grâce auxquels, également, ilIa re-traite. De ce point de vue, la rédaction coopérative éclaire le processus enl'extériorisant. Elle semble très sensible à ses perturbations. Les différentsniveaux d'hybridation observables dans le corpus renouvellent l'éclairage possiblede divers faits discursifs et des objets de l'intervention didactique.

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DEUXIEME PARTIE

Christian BRASSACRédaction coopérative: un phénomène de cognition située et distribuée

Le texte concerne un processus de production d'un produit écrit. Ce produit estl'inscription réalisée par un collectif de sujets qui sont à la fois en situationprofessionnelle et en situation d'apprentissage. Cette inscription est envisagée etanalysée en tant qu'elle est une trace d'un processus cognitif. Ce processus est à lafois distribué sur les acteurs (ils sont co-responsables de sa production) et situé ence sens qu'i! se déploie dans un monde d'artefacts qui supportent et constituent ladynamique de son élaboration conjointe. Inscrite dans un paradigmeinteractionniste en psychologie, empreinte d'une posture constructiviste (versuscognitiviste) en sciences de la cognition, la méthodologie que nous mettons enœuvre s'attache à rendre compte de l'activité collective de conception del'inscription. Pour ce faire on analyse de façon intriquée et les actions langagièreset les manipulations d'objets du monde. Nous présentons une analyse détaillée duprocessus de marquage qui se déroule sur une vingtaine de minutes. Nousmontrons comment les formes langagières et les formes scripturales produites aucours de la séance, sont sujettes à négociations, à modelages et à manipulationspar le collectif. Celles-ci constituent des mécanismes, radicalement conjoints etancrés sur le monde physique, qui permettent l'engendrement de cognitionssituées et distribuées. Nous terminons en défendant l'idée que les situations derédaction coopérative ne sont pas des situations de communication mais des

arènes de communiaction@.

Johanna MIECZNIKOWSKI-FüNFSCHILLlNGet Lorenza MONDADALes pratiques d'écriture dans la recherche scientifique: planifier et rédigercollaborativement des arguments

Cette contribution analyse les pratiques d'écriture d'un groupe de chercheurs lorsde la préparation d'un colloque; elle adopte une perspective praxéologique etinteractionnelIe qui permet d'aborder ces pratiques dans leur dimensioncollaborative et située et d'nsister sur la diversité et la complexité temporelle desévénements oralo-graphiques s'enchaînant lors des activités observées. L'analysese focalise en particulier sur une réunion de travail pendant laquelle lesparticipants planifient collaborativement leurs exposés au colloque en manipulantdes textes préparatoires et en rédigeant des notes personnelles ainsi que destransparents qui résument les arguments discutés oralement. La planification desexposés comporte la distribution des droits et obligations des différents chercheurset la coordination des contributions dans le cadre thématique du colloque. Ellerévèle une orientation normative des participants vers des propriétés générales destextes futurs telles que la clarté ou la cohérence te;.;tuelle et est en même temps lelieu de négociations portant sur le modèle global de l"'hypertexte" du colloque. Sile travail de planification est orienté vers un ensemble de textes futurs, larédaction collaborative d'arguments communs aboutit à des versions écritesd'objets de savoir pendant la réunion même. Le travail de rédaction produit des

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formulations des objets de savoir variables, voire conflictuelles: cette variationn'est pas entièrement résorbée par l'écriture, mais laisse au contraire des tracessous forme de ratures, de modalisations et d'ambiguïtés non seulement sur lestransparents et dans les notes produits lors de la réunion, mais encore dans la (ré-)utilisation située de ces documents à des moments ultérieurs du processus depréparation.Cette analyse nourrit donc à la fois Ja description des pratiques scientifiques, où laliteracy et les pratiques d'inscription jouent un rôle fondamental, et la descriptiondes activités situées de manipulations de l'écrit et leur pouvoir structurant sur lesobjets de discours.

Annie PIOLAT, Nathalie BONNARDELet Aline CHEVALIERRédaction collaborative sur Ie WEB. Analyse des interactions entre auteur,reviewers, commentateurs et éditeur pendant l'expertise d'un article soumis

Comment \es technologies nouvelles de communication transforment-elles leprocessus d'expertise d'un article soumis à publication? Comment les différentsprotagonistes (auteur, reviewers, commentateurs) régulent-ils leurs échangesd'informations lors de cette expertise? De quelle nature sont les propositions demodifications faites à l'auteur pour améliorer son texte? Pour répondre à cesquestions, un corpus (volume = 4784 mots) a été analysé. Il est constitué deséchanges de 50 e-mails réalisés par 10 personnes sur le site du journal JIME(Journal of Interactive Media in Education) à propos d'un article multimédia encours d'expertise (Integrating interactive media in courses: WinEco ReviewDebate). Un descriptif de la quantité des messages envoyés et de leurs principauxpourvoyeurs a été réalisé. Les stratégies de communications des reviewers et decinq commentateurs avec l'auteur de l'article ont été décrites. Les interactionscoopératives entre les différents protagonistes étant de faible amplitude, lesdifférents types de référence aux propos lus sur le site ont été pointés (écho desthèmes titres, références nominatives, embrayeurs, inclusion d'extrait) afin derepérer des formes « estompées» de collaboration. Enfin, la nature des incitationsà transformer le texte a été recensée. L'ensemble des informations obtenues laisseà penser que les reviewers parviennent difficilement à changer leur comportementhabituel d'expertise (classiquement monologal, non interactif bien que, via lenouveau support technologique qui leur est proposé, ils tentent de Je faire (cf lerewiewer R2). L'auteur reste plus circonspect, ses réponses sont toutes largementdifférées, sauf lorsqu'elles s'adressent au reviewer R2. Les propositions detransformations du texte consistent plus en des suggestions d'ajoutsd'informations susceptibles de soutenir des points de vue clés qu'en dessuggestions de reformulation du texte. Seule l'acceptation (ou le rejet) de lamodulation de la quantité d'information est négociée à l'aide des échanges demessages. La réalisation même de la modification associée aux ajouts demandés,c'est-à-dire la mise en place verbale d'une nouvelle formulation, n'est pas prise encharge. L'ensemble des observations permet de conclure que dans ce cadrespécifique de communication sur un site Web, avec cette tâche particulièred'expertise d'article, les protagonistes ont plus fait preuve d'un travail collaboratifd'incitation à modifier le contenu du texte que d'une réécriture coopérative.

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Anthony MOULIN, Jacqueline VACHERAND-REVEL,BESSEL'écriture médiatisée et distante en téléconceptionmuJtisites

Jean-Marie

L'usage des technologies à haut débit au sein des différentes organisations, et plusparticulièrement dans la conduite de projets de recherches pluridisciplinaires etinternationaux, nous amène à reconsidérer l'écriture dans sa fonction decommunication. Elle est, en effet, dans ce nouveau contexte, un acte coJlectif, unedes modalités de l'interaction interhumaine : devenant une écriture au service dela collaboration, les processus qui la caractérisent demandent à être repensés.Appréhendée en situation réelle et professionnelle de téléingénierie de conceptioncollective ou « co-conception» d'un logiciel multimédia de formation, l'écriturecollaborative médiatisée par les technologies de l'information et de lacommunication est une tâche de haut niveau qui s'élabore dans un espace partagépar l'ensemble des sujets/experts et dont le texte est porteur de sens tant surl'élaboration collective de son contenu que sur la pratique partagée du dispositiftechnologique. L'ensemble des résultats obtenus dans le cadre de notre recherchenous permet de proposer une définition à un niveau de granularité beaucoup plusfin de ce qu'est l'écriture collaborative médiatisée par les Technologies del'Information et de la Communication: nous avons mis en effet en relief que dansun contexte de co-conception médiatisée et distante de multimédia, l'écriturecollaborative est une construction élaborée à partir d'interactions verbales orales(entre les différents participants aux séances de travail synchrone) qui secaractérisent principalement par un ensemble d'opérations de révision effectuéessur le texte.

Pierre COIRIER et Jerry ANDRIESSENUne approche fonctionnelle de la productionélaborés: fme activité « coopérallte » ?

des textes argumentatifs

Dans une perspective fonctionnelle, la production d'un texte de type argumentatifse caractérise par: (1) la mise en relation du but du texte et des paramètres de lasituation où un tel but est pertinent; (2) l'articulation entre ce but et les outilsconceptuels, rhétoriques, et linguistiques permettant de l'atteindre. En quoi larédaction argumentative individuelle est-elle une activité «coopérante ». Unecontrainte fonctionnelle majeure de l'argumentation réside dans la prise en comptedu destinataire. Or la coopérativité avec un destinataire potentiel constitue un traitcaractéristique du développement avec l'âge de l'argumentation monologale. Celaapparaît au niveau des différents processus envisagés par les modèlespsychologiques de la production de textes: récupération en mémoire d'uneinformation tenant compte des différents points de vue possibles, évaluation etsélection de cette information en fonction de son acceptabilité pour le destinataire,organisation assurant de façon modulée l'expression des raisons contraires, enfinlinéarisation et traduction linguistique marquée par les contraintes conceptuelles ettextuelles associées à la gestion complexe de la contre-argumentation. La viséecoopérante d'une argumentation élaborée se traduit par une spécificité certainedes processus de production, relativement à d'autres types de textes. Elle est pour

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une large part à J'origine des difficultés maintes fois constatées dans la productionde ['argumentation écrite.

Jacques DAVIDTypologie des procédures méta graphiques produites en dyades entre 5 et 8ans. L'exemple de la morpltograpltie du nombre

L'étude propose une typologie des interactions produites par des élèves âgés de 5à 8 ans placés en situation de révision d'un texte écrit par l'un d'entre eux.L'analyse de ces interactions et des explications métagraphiques ainsi énoncéesfait apparaître des composantes récurrentes que nous pouvons décrire de façonbinaire en terme de : a) justification vs révision; b) accord vs désaccord; c) faitsFScommentaires; d) participation explicite vs participation implicite; e) décisionFSnon décision. Ces composantes, qui n'ont pas toutes le même poids ni le mêmecaractère obligatoire, constituent une séquence élémentaire d'apprentissage. Nousavons focalisé notre attention sur l'expression du nombre en français etl'émergence de procédures de grammatisation spécifiques. Les données sont alorsinterprétées dans le cadre de la linguistique de l'écrit qui combine ontogenèse etmorphogenèse de l'écriture. L'étude ouvre ainsi des prolongements didactiques quisupposent la prise en compte du caractère fondamentalement dynamique elinteractif des acquisitions en jeu, le statut des fonctionnements cognitifs mis enoeuvre et la complexité des contraintes linguistiques propres à une langue et unsystème d'écriture.

Anna CAMPS, Griol GUASCH, Marta MILIAN, Teresa RIBASL'écrit dans l'oral: le texte proposé

Dans les situations de conversation rédactionnelle l'interaction entre lesproducteurs apparaît comme une négociation pour la production des textes, unenégociation entre J'émetteur et le récepteur, et une négociation de la situationd'apprentissage. L'article analyse J'une des caractéristiques spécifiques del'interaction produite pendant la négociation pour la rédaction du texte:l'adaptation du discours oral à des modèles propres à l'écrit. Les formulations etles reformulations de ce que nous appelons le texte proposé et le texte écrit dansles énoncés oraux des producteurs en sont une manifestation évidente. À travers leprocès d'adaptation à des modèles propres à l'écrit, se produit une activitémétalinguistique implicite très notable. déterminée par les contraintes qui dériventdes processus de rédaction. Cette activité métalinguistique implicite, en mêmetemps que l'activité explicite, est probablement un élément fondamental dans lerapport entre J'usage et l'aprentissage linguistique.

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