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Paul Rassinier Le mensonge d’Ulysse

Le Mensonge d'Ulysse - Paul Rassinier, 1950

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Paul Rassinier

Le mensonge d’Ulysse

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LE MENSONGE D’ULYSSE

Le livre de Paul Rassinier, Le Mensonge d’Ulysse, qui est paru d’abord auxEditions bressanes en 1950. Cette premiĂšre partie Ă©tait parue auparavant sous le titrePassage de la ligne en 1948. L’ensemble a Ă©tĂ© plusieurs fois rĂ©Ă©ditĂ© par diffĂ©rentsĂ©diteurs, de droite comme de gauche. Nous utilisons l’édition procurĂ©e en 1980 parLa Vieille Taupe, Ă  Paris. Signalons qu’il existe une traduction anglaise un peuabrĂ©gĂ©e (il y manque les trois premiers chapitres) parue, avec d’autres textes deRassinier, sous le titre Debunking the Genocide Myth, parue en 1978 aux Etats-Unis.

Revue de presse concernant Le passage de la ligne (1948)

« DĂ©position saisissante Ă  l’heure oĂč les camps de concentration, devenusmoyen de gouvernement, se multiplient dans le monde. »

(Franc-Tireur)

« Le rĂ©quisitoire objectivement circonstanciĂ© d’un pacifiste et d’un socialisteinternationaliste... Le premier tĂ©moignage froidement et calmement Ă©crit, contre lessollicitations du ressentiment et de la haine imbĂ©cile ou chauvine. »

(La Révolution prolétarienne)

« Paul Rassinier, en nous rapportant ces choses, n’enfle pas la voix. Il les ditsimplement. Plus encore : il les dit sans haine. Et c’est peut-ĂȘtre par lĂ  que cessouvenirs de bagne se distinguent le plus de tous les autres. »

(J.-B. SĂ©verac, La RĂ©publique libre)

« Lucide, intransigeant, terriblement honnĂȘte, Rassinier poursuit une sĂ©rie detableaux cruels et vrais, des photographies d’un justesse, d’une exactitude quiĂ©tonnent tout au long du rĂ©cit. Bourreaux comme concentrationnaires passent aucrible de sa raison toujours prĂ©sente. Il compare les deux Ă©tats avec un esprit critiquetoujours froid. »

(Le Populaire-Dimanche)

« L’auteur a su garder la plus pure objectivitĂ© dans ces pages qui nous livrentenfin une interprĂ©tation humaine d’un phĂ©nomĂšne qui ne se situe que tropnormalement dans le cycle habituel aux frĂ©nĂ©sies guerriĂšres. À lire et Ă  faire lire pourdĂ©bourrer les crĂąnes. »

(SERGE, DĂ©fense de Monime)

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« Une mise au point discrĂšte Ă  certains tĂ©moignages oĂč la passion politique, lahaine ou le ressentiment l’ont trop souvent emportĂ© sur l’objectivitĂ©. »

(Le ProgrĂšs de Lyon)

« Passage de la ligne, de Paul Rassinier, ajoute un document Ă  tous ceux quenous connaissons, avec cette originalitĂ© qu’au lieu de s’en prendre Ă  ses bourreaux,c’est Ă  la pratique mĂȘme des camps de concentration qu’il s’attaque et Ă  toutes lesbassesses qu’elle engendre. Il ne parle que de ce qu’il a vu, de ce qu’il a endurĂ©, et ilen parle avec une Ă©mouvante bonne foi. »

(Parisien libéré)

« Ce qui ajoute Ă  ce rĂ©cit qui prendra sa place Ă  cĂŽtĂ© de ceux de David Roussetet d’Eugen Kogon, ce sont les trois croquis du camp, un schĂ©ma de la hiĂ©rarchie, etsurtout une sĂ©rie absolument Ă©tonnante d’articles cueillis dans les journaux de 47-48et qui visent Ă  dĂ©montrer, sans commentaires, que les horreurs des camps allemandsne sont pas un fait unique - que partout, dans ce monde, les S.S. ont fait et fontencore des adeptes, que ces invraisemblables nouvelles des abĂźmes du sadisme nousarrivent de tous les horizons et spĂ©cialement des plus inattendus ou des plusvolontairement oubliĂ©s. »

(Le Libertaire)

« Le document qui manquait à la collection littéraire sur les camps deconcentration. »

(École libĂ©ratrice)

« Importante mise au point aprÚs tant de rodomontades communistes ! »(Le Crapouillot)

« Ce livre est un livre rare. Il est rare parce qu’il est un tĂ©moignage trĂšs fortdans sa nuditĂ©, parce que la sincĂ©ritĂ© de ses accents est frappante, parce que Rassiniera passĂ© la ligne au-delĂ  de laquelle la haine n’a plus de sens. Vous sortirez de salecture maudissant seulement la servilitĂ©, l’imbĂ©cillitĂ©, le fanatisme, la haine et laguerre. C’est donc un livre, bienfaisant et fondamentalement humain... »

(J. Carrez, Bulletin du Syndicat des Instituteurs du Doubs)

« Ce Rassinier pousse l’objectivitĂ© Ă  la provocation. Il assure qu’il n’y avaitpas de chambre Ă  gaz Ă  Dora, ni Ă  Buchenwald. Et puis non, je n’ose pas direjusqu’oĂč il va, c’est du dĂ©lire et ça ferait pleurer tous les Mauriac. »

(Albert Paraz, Valsez Saucisses, chez Amiot-Dumont)

« Un livre bien Ă©crit, et oĂč l’esprit de vĂ©ritĂ© domine sans faiblir toute vaineimagination, tout faux lyrisme, la partialitĂ© politique et la haine. »

(L’EuropĂ©en)

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Revue de presse concernant Le mensonge d’Ulysse (1950-1976)

« C’est une utile et premiĂšre contribution critique Ă  cette histoire rationnelle etsolide des camps qui est encore dans les langes. Tant de mauvaise foi contre unhomme qui a le courage de la sincĂ©ritĂ© ne peut qu’inciter Ă  lire Le Mensonged’Ulysse. »

(Maurice Dommanget, L’École Ă©mancipĂ©e, octobre 50)

« Rassinier a raison d’ĂȘtre sĂ©vĂšre pour ceux qui brodent, qui romancent, qui enajoutent : la vĂ©ritĂ© suffit sana qu’on la sollicite, et elle m’eu est que plus frappante. »

(Jean Puissant (ex-Buchenwald), Faubourgs, juillet 51)

« On ne pourra pas ne pas considĂ©rer comme Ă©lĂ©ment Important du dossierl’ouvrage de Rassinier, dĂ©portĂ© Ă  Buchenwald et Ă  Dora, ce qui lui donne quelquedroit Ă  dire les choses comme il les comprend. »

(Georges Lefranc, RĂ©publique libre, 13 mai 1955)

« Paul Rassinier, qui a dĂ©crit son expĂ©rience de dĂ©portĂ© dans Le Passage de laligne et qui dans Le Mensonge d’Ulysse a tentĂ© de refaire sur le thĂšmeconcentrationnaire le travail accompli par Norton Cru au sujet des tĂ©moignages deguerre dans la littĂ©rature europĂ©enne de 1914 Ă  1930. Paul Rassinier n’est pas unInconnu dans les milieux d’avant-garde. Ancien rĂ©dacteur en chef du Travailleur deBelfort, passĂ© Ă  l’opposition communiste avec Souvarine et Rosmer, collaborateur dela presse S.F.I.O. puis Ă  divers organes libertaires et pacifistes, Il est restĂ© un franc-tireur du journalisme et de la politique, en marge de toutes les orthodoxies de parti etde secte. »

(André Prudhommeaux, Témoins, 1954)

« La souffrance suffit Ă  la souffrance rance ! Si le crime Ă©clabousse, sonexploitation avilit. La vĂ©ritĂ©, telle la coulĂ©e d’un mĂ©tal ardent, gagne Ă  s’ĂȘtredĂ©barrassĂ©e des scories qui, ternissent son Ă©clat. Paul Rassinier l’a compris. Sous sonburin, les formes ont perdu leur lourdeur, et il nous a livrĂ© une visionconcentrationnaire copieusement Ă©barbĂ©e. Pour cela, il lui fallait reconstituerl’histoire. Il l’a fait avec une rigueur qui Ă©carte du sujet le modelage douteux destĂącherons de la veine concentrationnaire. »

(Maurice Joyeux, L’UnitĂ©, fĂ©vrier 51)

« Ces lignes ont seulement pour but de dire tout le bien que je pense de l’Ɠuvrede Rassinier et cela pour la seule raison qui l’inspire et qui la justifie : la fidĂ©litĂ© Ă  lavĂ©ritĂ©. Nous nous devons de dĂ©fendre son Ɠuvre et de la faire connaĂźtre. »

(L. Roth, L’École Ă©mancipĂ©e, avril 55)

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« Lorsque, en 1950, Paul Rassinier, militant chevronnĂ© du socialismeinternational, publia Le Mensonge d’Ulysse, nous avons dit ici que cette sorte dethĂšse sur le rĂ©gime concentrationnaire allemand s’accordait remarquablement avecles thĂšses constantes du socialisme sur la rĂ©pression capitaliste, dans la tradition desBlanqui, Louise Michel, Guesde, Vaillant, etc., et rejoint dans ses conclusions AlbertLondres (Dante n’avait rien vu), le Dr Louis Rousseau (Un mĂ©decin au bagne),Belbenoit (Les compagnons de la belle), Mesclon (Comment j’ai fait quinze ans debagne), Ville de la Ware, etc.. »

(Correspondance socialiste internationale, octobre 54)

« Oui, d’accord avec Rassinier : J’ai souffert dans ma chair, et du S.S., et descaĂŻds qu’ils avaient choisis surtout (...) Constater, comme l’ont fait Rousset, Kogon,Martin-Chauffier puis Rassinier, ne peut que nous donner raison Ă  nous, chair dedĂ©portĂ©s, et Ă  vous, chair de dĂ©portĂ©s en puissance, quand nous accusons l’ÉtatTOTALITAIRE, quel qu’il soit, qui fait de l’homme un robot maniaque et cruel, Ă son image... »

(Henri Pouzol (ex-Dachau), Faubourgs, juillet 51)

Les actions judiciaires contre Le mensonge d’Ulysse : Ă©checcomplet

« Bourg-en-Bresse – M. Edmond Michelet, dĂ©putĂ©, qui avait introduit uneaction en dommages et intĂ©rĂȘts contre Le Mensonge d’Ulysse, de M. Paul Rassinier,s’est dĂ©sistĂ© de cette action... M. Michelet a, en outre, offert le remboursement desfrais occasionnĂ©s par la partie adverse. »

(Nouvelle Rép. du c.-ouest, 14 décembre 50)

« Paul Rassinier, en nous remerciant pour notre soutien, nous informe que lestrois organisations de la RĂ©sistance qui avaient engagĂ© des poursuites contre luiviennent d’ĂȘtre dĂ©boutĂ©es et condamnĂ©es aux dĂ©pens de la procĂ©dure, au tribunal deBourg-en-Bresse. Nous ne pouvons que nous en fĂ©liciter. Le Mensonge d’Ulysse adonc droit de citĂ©. »

(Le Libertaire, mai 51)

« M. Paul Rassinier, auteur de l’ouvrage que la FNDIR, partie civile,considĂ©rait comme une atteinte portĂ©e Ă  la RĂ©sistance, a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  quinze joursde prison avec sursis et Ă  100 000 francs d’amende et solidairement Ă  800 000 francsde dommages et intĂ©rĂȘts Ă  la FNDIR. La saisie et la destruction de tous lesexemplaires du livre ont Ă©tĂ© ordonnĂ©es. »

(Franc-tireur, 3 novembre 1951)

« Pour ne pas ignorer ce que veut dire la bureaucratisation (dans non sensPolitique et « asiatique »), sa progression et sa pérennité, trois livres qui semblent se

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suivre apportent des éclaircissements : Sans patrie ni frontiÚre, de Jan Valtin. rééditépar J.C. LattÚs ;

Le Mensonge d’Ulysse, de Paul Rassinier, livre maudit sur les camps deconcentration, qui ne risque pas d’ĂȘtre rĂ©Ă©ditĂ© parce qu’il montre bien l’horreur, nonseulement des faits, mais du systĂšme concentrationnaire dans ses composantesbureaucratiques. »

(Errata, avril 1976)

« Poursuivis en diffamation depuis 1951 l’auteur, le prĂ©facier et l’éditeur duMensonge d’Ulysse sont finalement relaxĂ©s par la cour de Grenoble.

L’affaire fut appelĂ©e en premiĂšre instance devant le tribunal correctionnel deBourg-en-Bresse, qui, le 9 mai 1951, avait rendu un jugement de relaxe condamnantles parties civiles aux dĂ©pens.

Sur appel des deux associations et du ministĂšre publie, la cour d’appel de Lyondevait rendre un arrĂȘt de culpabilitĂ© le 2 nov. 1951 — M. Rassinier Ă©tait condamnĂ© Ă quinze jours de prison avec sursis et 100 000 F d’amende, M. Paraz Ă  huit jours deprison et 100 000 F d’amende, M. Greusard Ă  50 000 F d’amende. Les parties civilesobtenaient 800 000 F de dommages et intĂ©rĂȘts. En outre, les exemplaires duMensonge d’Ulysse furent saisis par la police et dĂ©truits.

Cependant un pourvoi en cassation fut signĂ© contre l’arrĂȘt de la cour de Lyon,et le 16 dĂ©cembre dernier la Cour suprĂȘme l’annulait et renvoyait l’affaire devant lacour de Grenoble, oĂč le dĂ©bat recommença le 29 avril dernier. »

(Le Monde, 26 mai 1955)

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TABLE DES MATIERES

Table des matiĂšres ___________________________________________________________ 7Prologue __________________________________________________________________ 10PremiĂšre partie : L’expĂ©rience vĂ©cue ___________________________________________ 17

Chapitre I ______________________________________________________________ 17Un grouillement d’humanitĂ©s diverses aux portes des enfers_____________________ 17

Chapitre II _____________________________________________________________ 32Les cercles de l’enfer____________________________________________________ 32

Chapitre III_____________________________________________________________ 44La barque de Charon ____________________________________________________ 44

Chapitre IV_____________________________________________________________ 62Un havre de grĂące antichambre de la mort ___________________________________ 62

Chapitre V _____________________________________________________________ 73Naufrage _____________________________________________________________ 73

Chapitre VI_____________________________________________________________ 77Terre des hommes « libres » ______________________________________________ 77

Deuxieme partie : L’expĂ©rience des autres_______________________________________ 93Chapitre I ______________________________________________________________ 93

La littérature concentrationnaire ___________________________________________ 93Chapitre II ____________________________________________________________ 103

Les tĂ©moins mineurs ___________________________________________________ 103I – FrĂšre Birin ______________________________________________________ 103

Le dĂ©part en Allemagne (de la gare de CompiĂšgne) ______________________ 104L’arrivĂ©e Ă  Buchenwald____________________________________________ 104Le rĂ©gime du camp _______________________________________________ 104À Dora _________________________________________________________ 105Des erreurs graves ________________________________________________ 106Le destin des dĂ©portĂ©s _____________________________________________ 107

II – AbbĂ© Jean-Paul Renard ___________________________________________ 108III – AbbĂ© Robert Ploton _____________________________________________ 109

Appendice au Chapitre II ________________________________________________ 112La discipline Ă  la Maison Centrale de Riom en 1939 __________________________ 112Dans les prisons de la « libĂ©ration » _______________________________________ 113À Poissy_____________________________________________________________ 114Allemands prisonniers en France _________________________________________ 114

Chapitre III____________________________________________________________ 116Louis Martin-Chauffier _________________________________________________ 116

Type de raisonnement________________________________________________ 116Autre type de raisonnement ___________________________________________ 118Le régime des camps ________________________________________________ 118Mauvais traitements _________________________________________________ 121

Chapitre IV____________________________________________________________ 123Les psychologues _____________________________________________________ 123David Rousset et L’Univers concentrationnaire ______________________________ 123

Le postulat de la thĂ©orie ______________________________________________ 125Le travail__________________________________________________________ 126La HĂ€ftlingfĂŒhrung__________________________________________________ 127L’objectivitĂ© _______________________________________________________ 131

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Tradutore, traditore__________________________________________________ 136Appendice au Chapitre IV _______________________________________________ 138

DĂ©claration sous la foi du serment ________________________________________ 138Le rapport d’un sous-lieutenant Ă  un lieutenant ______________________________ 139

Chapitre V ____________________________________________________________ 142Les sociologues _______________________________________________________ 142Eugen Kogon et L’Enfer organisĂ©_________________________________________ 142

Le dĂ©tenu Eugen Kogon ______________________________________________ 143La mĂ©thode ________________________________________________________ 144La HĂ€ftlingfĂŒhrung__________________________________________________ 146Les arguments______________________________________________________ 148Le comportement de la S.S. ___________________________________________ 152Le personnel sanitaire________________________________________________ 156DĂ©vouement _______________________________________________________ 157CinĂ©ma, sports _____________________________________________________ 159La maison de tolĂ©rance_______________________________________________ 159Mouchardage ______________________________________________________ 160Transports_________________________________________________________ 162Tableau ___________________________________________________________ 162ApprĂ©ciations ______________________________________________________ 164Nota bene _________________________________________________________ 165

Conclusion _______________________________________________________________ 168Avant-propos de l’auteur pour la seconde et la troisiĂšme Ă©dition ____________________ 178La hiĂ©rarchie dans un camps de concentration __________________________________ 196PrĂ©face d’Albert Paraz Ă  la premiĂšre Ă©dition ____________________________________ 197

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LE MENSONGE D’ULYSSE

« Laissez dire ; laissez-vous blĂąmer,condamner, emprisonner ; ce n’est pas undroit, c’est un devoir. La vĂ©ritĂ© est toute Ă tous... Parler est bien, Ă©crire est mieux ;imprimer est excellente chose Si votrepensĂ©e est bonne, on en profite ; mauvaise,on la corrige et l’on en profite encore. Maisl’abus ? Sottise que ce mot ; ceux qui l’ontinventĂ©, ce sont eux vraiment qui abusent dela presse, en imprimant ce qu’ils veulent,trompant, calomniant et empĂȘchant derĂ©pondre. » Paul-Louis Courier.

« Écris comme si tu Ă©tais seul dansl’Univers et que tu n’aies rien Ă  craindre desprĂ©jugĂ©s des hommes. » La Mettrie

À Albert LONDRES Hommageposthume

et à JEAN-PAUL pour qu’il sacheque son pùre n’eut point de haine

Avec une grande abondance de dĂ©tails et plus ou moins de bonheur ou detalent, un certain nombre de tĂ©moins ont fait, depuis la LibĂ©ration, le tableau deshorreurs des camps de concentration. II ne peut avoir Ă©chappĂ© Ă  l’opinion quel’imagination du romancier, Les excĂšs de lyrisme du poĂšte, la partialitĂ© intĂ©ressĂ©e dupoliticien ou les relents de haine de la victime, servent tour Ă  tour ou de concert, detoile de fond aux rĂ©cits jusqu’ici publiĂ©s. J’ai pensĂ©, pour ma part, que le momentĂ©tait venu d’expliquer ces horreurs avec la plume froide, dĂ©sintĂ©ressĂ©e, objective, Ă  lafois impartiale et impitoyable, du chroniqueur — tĂ©moin, lui aussi, hĂ©las ! —uniquement prĂ©occupĂ© de rĂ©tablir la vĂ©ritĂ© Ă  l’intention des historiens et dessociologues de l’avenir.

P.R.

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PROLOGUE1

BĂąle, 19 juillet. — Buchenwald, que l’on croyait relĂ©guĂ© au rang des mauvaissouvenirs laissĂ©s par la pĂšgre nazie, est redevenu un camp de la mort lente, oĂčs’éteignent les individus jugĂ©s dangereux pour le rĂ©gime. Avec sept autres camps —dont les plus tristement fameux sont ceux d’Orianenburg et de Torgau — il abriteraitenviron 10.000 dĂ©portĂ©s.

Deux journalistes danois qui, au risque de leur vie, ont pu entrer en contactavec les prisonniers, rapportent des scĂšnes effarantes. À Torgau, par exemple, dansdes cases de 25 mĂštres carrĂ©s, sont entassĂ©es, comme des bĂȘtes, de 10 Ă  18personnes, dans des conditions d’hygiĂšne pitoyables. Pour tout repas, on sert Ă  cesmalheureux une soupe et un morceau de pain sec. Plusieurs rescapĂ©s ont expliquĂ©qu’ils avaient Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s en pleine nuit par des militaires russes qui opĂ©raient encollaboration avec la police allemande, et soumis, pendant des heures, sous lalumiĂšre intense des projecteurs, aux violences dont on pensait que les AllemandsdĂ©tenaient seuls le secret.

Militaires, anciens fonctionnaires, nazis, gros propriĂ©taires terriens, directeursd’usines et intellectuels, sont particuliĂšrement visĂ©s.

(Les Journaux, 20 juillet 1947)

Londres, 21 juillet (Reuter). — Le ComitĂ© central de l’E.A.M. a informĂ© lesgouvernements amĂ©ricain, russe, britannique et français, ainsi que le Conseil deSĂ©curitĂ© de la FĂ©dĂ©ration syndicale mondiale, que les quinze mille personnesrĂ©cemment arrĂȘtĂ©es et dĂ©portĂ©es par le Gouvernement central de GrĂšce, se trouvaientactuellement dans diffĂ©rentes Ăźles, sans abris et sans nourriture.

Le message de l’E.A.M. dit notamment : « Nous prenons Ă  tĂ©moin le mondecivilisĂ© en lui demandant de nous prĂȘter son appui pour mettre un terme auxsouffrances du peuple grec. La situation qui existe dans ce pays est une honte pour lacivilisation. »

(Les Journaux, 22 juillet 1947)

Washington, 20 aoĂ»t. — Des rapports rĂ©cemment parvenus de Roumanie auDĂ©partement de l’Etat ont rĂ©vĂ©lĂ© que prĂšs de 2000 victimes de la rĂ©cente rafle desdirigeants des partis de l’opposition, qui s’est Ă©tendue Ă  tout le pays et a Ă©tĂ© dirigĂ©epar le rĂ©gime Groza, contrĂŽlĂ© par les communistes, se trouvent actuellement dans des

1 Partie intégrante de la premiÚre édition de Passage de la Ligne (1918)

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prisons ou dans des camps de concentration oĂč ils sont soumis Ă  des traitementscruels et inhumains, apparemment « dans un but d’extermination ».

(Les Journaux, 22 août 1947)

« DĂ©sireux de jeter un coup d’Ɠil sur les prisonniers qui se rendaient Ă  leurtravail, je me levai de bonne heure. Une pluie froide tombait. Un peu aprĂšs sixheures, je vis arriver un contingent d’environ quatre cents prisonniers des deux sexes,ils marchaient en colonne par dix, sous bonne garde, et se dirigeaient vers les atelierssecrets.

Il y avait des annĂ©es que je voyais des malheureux de cet acabit et je ne pensaispas qu’il m’était rĂ©servĂ© de contempler un jour des crĂ©atures d’un aspect plustragique encore que celles que j’ai vues dans l’Oural ou en SibĂ©rie. L’horreur avaitici quelque chose de proprement diabolique et dĂ©passait tout ce qu’on pouvaitimaginer. Les visages exsangues et d’une horrible couleur jaunĂątre des dĂ©tenusressemblaient Ă  des masques mortuaires. On eĂ»t dit des cadavres ambulants,empoisonnĂ©s par les produits chimiques qu’ils manipulaient dans leur affreuxpurgatoire souterrain.

Parmi eux, il y avait des hommes et des femmes qui pouvaient bien avoircinquante ans et plus, mais aussi des jeunes ayant Ă  peine dĂ©passĂ© leur vingtiĂšmeannĂ©e. Ils allaient dans un silence accablĂ©, comme des automates, sans regarderautour d’eux, ils Ă©taient vĂȘtus d’une façon effarante. Plusieurs d’entre eux portaientdes galoches de caoutchouc attachĂ©es avec des ficelles, d’autres avaient les piedsenveloppĂ©s de chiffons. Certains Ă©taient affublĂ©s de vĂȘtements de paysans ; quelquesfemmes portaient des manteaux d’astrakan dĂ©chirĂ©s, et je reconnus sur certainsprisonniers les vestiges de vĂȘtements de bonne qualitĂ© et de provenance Ă©trangĂšre.Au moment oĂč la sinistre colonne passait devant l’immeuble d’oĂč je l’observais, unefemme s’affaissa soudain. Deux gardes la tirĂšrent hors des rangs, mais pas un desprisonniers n’eut l’air de s’en apercevoir. Toute sympathie, toute rĂ©action humaineĂ©taient mortes en eux.

Mais peut-ĂȘtre des hommes de bonne foi se demanderont-ils s’il ne s’agit paslĂ  de situations exceptionnelles, de faits atroces mais isolĂ©s. Jusque dans les milieuxouvriers les plus sincĂšres, des hommes ont cru voir Ă  ĂȘtre ainsi persĂ©cutĂ©s en Russie,uniquement une minoritĂ© de mĂ©contents, minoritĂ© qui serait trĂšs restreinte. Or, il estimpossible Ă  tout esprit se refusant au parti pris, de ne pas apercevoir le caractĂšred’extension, de tendance vers la gĂ©nĂ©ralisation du travail forcĂ© qui s’affirme enRussie. »

Voici les donnĂ©es de Kravchenko quant Ă  la masse humaine qui est l’objet dece travail forcĂ© :

« D’autres contingents, arrivant de diffĂ©rentes directions, se rendaient Ă  l’enfersouterrain. Ils venaient des colonies du N.K.V.D., cachĂ©es au loin, dans les forĂȘts, Ă plusieurs kilomĂštres de distance. Le soir, je vis une colonne deux fois plus longue

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que celle du matin, qui pataugeait dans la boue et sous la pluie, en route pour letravail de nuit.

Je ne fus pas autorisĂ© Ă  descendre sous terre et, en vĂ©ritĂ©, je n’en avais guĂšreenvie, mais les conversations que j’eus pendant les deux journĂ©es que je passai lĂ , mepermirent de me faire une idĂ©e assez prĂ©cise de toute la misĂšre qui rĂ©gnait dans cetendroit. L’usine souterraine Ă©tait mal aĂ©rĂ©e, ayant Ă©tĂ© construite en plein affolementet sans qu’on se souciĂąt le moins du monde de la santĂ© des ouvriers. AprĂšs quelquessemaines passĂ©es Ă  respirer ses vapeurs nocives et sa puanteur, l’organisme humainĂ©tait empoisonnĂ© Ă  jamais. Le taux de la mortalitĂ© Ă©tait extrĂȘmement Ă©levĂ©. L’usineconsommait la « matiĂšre humaine » presque aussi vite que les matiĂšres premiĂšresqu’elle transformait.

Le directeur de l’entreprise Ă©tait un communiste au visage rĂ©barbatif, quiportait sur sa tunique je ne sais quel ordre et toute une rangĂ©e de dĂ©corations.Lorsque j’en vins Ă  l’interroger sur ses ouvriers, il me regarda d’une façon Ă©trange,comme si je lui eusse demandĂ© des nouvelles d’un lot de mules destinĂ©es Ă l’équarrissage. »

(V. A. Kravchenko, J’ai choisi la LibertĂ©)

Lyon, 15 juin. — Le Commissaire Jovin a Ă©tĂ© Ă©crouĂ©, l’enquĂȘte menĂ©e Ă  sonsujet ayant Ă©tabli que le prĂ©venu y Ă©tait mort de coups reçus pendant soninterrogatoire.

(Les Journaux, 16 juin 1947)

Paris, 31 juillet. — Vingt-deux femmes dĂ©tenues pour des peines lĂ©gĂšres onttrouvĂ© la mort hier soir, vers 23 heures, dans un incendie qui, pour des causes encoreindĂ©terminĂ©es, s’est dĂ©clarĂ© dans le dortoir-atelier 12 de la prison des Tourelles.

L’ex-caserne des Tourelles, situĂ©e boulevard Mortier, Ă  la Porte des Lilas,n’était pas faite pour abriter des dĂ©tenus. Construction lamentable, elle avait Ă©tĂ©depuis longtemps abandonnĂ©e par la troupe, et ce n’est qu’aux Allemands qu’elle dutson utilisation. Construction lĂ©preuse et pratiquement dĂ©pourvue de toute installationsanitaire, l’ennemi y entassa pendant des annĂ©es les patriotes qu’il allait dĂ©fĂ©rer auxcours spĂ©ciales. Puis, Ă  la LibĂ©ration, les coupables Ă©taient incarcĂ©rĂ©s par milliers :aux premiers jours de l’épuration, les autoritĂ©s françaises expĂ©diĂšrent lĂ  de nombreuxcollaborateurs. Les geĂŽles Ă©taient trop peu nombreuses alors. Mais cela remonte Ă trois ans.

Depuis, avait-on apporté quelque changement à la détention des jeunes,hommes et femmes, inacceptables par Fresnes ou la Petite Roquette ? Aucune. Lesdétenues vivaient là dans des dortoirs (comportant des lits à étages identiques à ceuxdes P.G. en Allemagne), séparés par des cloisons en planches, le bois étant lematériau principal de la construction.

Cette prison, qui occupe le bùtiment central de la caserne, abrite actuellement380 détenus, employés dans la journée à des travaux manuels consistant àconfectionner des colliers de paillettes de celluloïd et de matiÚre plastique.

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Par groupes de 25 ou 30, ces femmes, il faut le souligner, toutes prévenues demenus délits, sont enfermées de 7 heures du soir à 9 heures du matin.

Or, hier soir, vers 22 h 15, un passant aperçut dans la rue de longues flammesqui apparurent immĂ©diatement aprĂšs une courte explosion et donna l’alarme,cependant que les dĂ©tenues affolĂ©es se cramponnaient aux barreaux des fenĂȘtres enappelant au secours.

Les gardiens, par veulerie, lĂąchetĂ©, ou afin de se conformer aux ordres qu’ilsavaient reçus, refusĂšrent d’ouvrir les portes, et ce furent les soldats du centre derassemblement du personnel 202 (C.R.A.P.) qui durent enfoncer les portes dudortoir-atelier n· 12, situĂ© au premier Ă©tage, pour se porter au secours desmalheureuses.

Mais cette manƓuvre prit du temps, et lorsque les soldats purent entrer, ils netrouvĂšrent que 21 cadavres. Seule une 22e dĂ©tenue, atrocement brĂ»lĂ©e, vivait encore,mais, transportĂ©e Ă  l’hĂŽpital Tenon, elle ne tarda pas Ă  succomber Ă  son tour. »

(Les Journaux, 1er août 1947)

Ceux de « l’Exodus », jetĂ©s d’une cage Ă  l’autre, roulent dans les camps
 —Quelle dĂ©tresse et quelle rage se peignent sur les visages de ces Ă©migrants crispĂ©s auxbarreaux de leurs cages, cependant que, sur la passerelle du navire, les soldatsassomment ceux qui rĂ©sistent. Dans une bagarre furieuse, les soldats assomment lesĂ©migrants du « Runnymede-Park » qui se refusaient Ă  dĂ©barquer Ă  Hambourg Ă  coupsde matraque, on persuade les Ă©migrants de descendre des bateaux-cages, etc., etc.. »

(Les Journaux, 9 et 10 septembre 1947)

AprĂšs la mutinerie du camp de La NoĂ«. — Au cours de son Ă©vasion du campde dĂ©tenus politiques de La NoĂ«, Ă  30 km de Toulouse, Roger Labat, ex-capitaine decorvette, internĂ© pour faits de collaboration, a Ă©tĂ© tuĂ© d’une balle en plein cƓur parun gardien M. Amor, directeur de l’administration pĂ©nitentiaire, a dĂ©clarĂ© : « LedĂ©tenu s’était dĂ©jĂ  rendu aux gardiens lorsqu’il fut abattu. Il y a donc eu meurtre. »

(Les Journaux, 18 septembre 1947).

La Rochelle, 18 octobre 1948. — Instruit de faits scandaleux dont il s’étaitrendu coupable l’ancien officier Max-Georges Roux, 36 ans, qui fut adjoint aucommandant du camp de prisonniers allemands de ChĂątelaillon-Plage, le juged’instruction de La Rochelle en a saisi le tribunal militaire de Bordeaux oĂč Roux aĂ©tĂ© transfĂ©rĂ©. L’ancien officier purge actuellement une peine de 8 mois de prison, quilui fut infligĂ©e en aoĂ»t dernier Ă  La Rochelle, pour abus de confiance et escroqueriesau prĂ©judice de diverses associations.

Infiniment plus graves sont les dĂ©lits commis par Roux au camp de prisonniers.Il s’agit de crimes authentiques et d’une telle ampleur qu’il apparaĂźt difficile queRoux en porte seul la responsabilitĂ© devant les juges. À Chatelaillon, l’ignoblepersonnage avait fait notamment dĂ©vĂȘtir plusieurs P.G. et les avait battus Ă  coups decravache plombĂ©e. Deux des malheureux succombĂšrent Ă  ces sĂ©ances de knout.

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Un tĂ©moignage accablant est celui du mĂ©decin allemand Clauss Steen, qui futinternĂ© Ă  Chatelaillon. InterrogĂ© Ă  Kiel, oĂč il habite, M. Steen a dĂ©clarĂ© que, de mai Ă septembre 1945, il avait constatĂ© au camp de P.G. les dĂ©cĂšs de cinquante de sescompatriotes. Leur mort avait Ă©tĂ© provoquĂ©e par une alimentation insuffisante, pardes travaux pĂ©nibles et par la crainte perpĂ©tuelle dans laquelle les malheureuxvivaient d’ĂȘtre torturĂ©s.

Le rĂ©gime alimentaire du camp, qui Ă©tait placĂ© sous les ordres du commandantTexier, consistait, en effet, en une assiette de soupe claire, avec un peu de pain. Lereste des rations allait au marchĂ© noir. Il y eut une pĂ©riode oĂč le pourcentage dedysentĂ©riques atteignit 80 p. 100.

Texier et Roux, avec leurs subordonnés, procédaient, en outre, à des fouillessur leurs prisonniers, leur enlevant tous leurs objets de valeur. On évalue à centmillions le montant des vols et des bénéfices effectués par les gangsters à galons, quiavaient si bien organisé leur affaire que les billets de banque et les bijoux étaientenvoyés directement en Belgique, par automobile.

On veut espĂ©rer qu’avec Roux les autres coupables seront bientĂŽt incarcĂ©rĂ©s aufort du HĂą et qu’une sanction exemplaire sera prise contre ces vĂ©ritables criminels deguerre.

(Les Journaux, 19 octobre 1948)

Au cours de l’annĂ©e 1944, une jeune femme de nationalitĂ© serbe, YellaMouchkaterovitch, nĂ©e le 11 janvier 1921, a Lyon, avait Ă©tĂ© abattue par la RĂ©sistancepour avoir dĂ©noncĂ© par lettre onze personnes de Pont-de-Veyle. Quelques jours plustard, son bĂ©bĂ© de 8 mois Ă©tait abattu Ă  son tour dans l’écurie d’une ferme, au hameaude Mons, Ă  GriĂšges.

La police mobile de Lyon apprĂ©henda, au mois de mars, deux des auteurs de cemeurtre : Gaston Convert, 31 ans, rue du Tonkin, Ă  Lyon, et Louis Chambon, 37 ans,originaire de Grand-Croix (Loire), propriĂ©taire de l’HĂŽtel de la Gare, Ă  Pont-de-Veyle.

Le Parquet de Bourg vient d’ĂȘtre dessaisi de cette affaire au bĂ©nĂ©fice duTribunal militaire. Les deux prĂ©venus ont Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s Ă  la prison de Montluc.

(Les Journaux, 28 avril 1948)

Se rendant parfaitement compte que tout le parti communiste est compromispar l’affaire Gastaud, ses dirigeants marseillais ont essayĂ© avec violence de justifierl’assassinat du commissaire de l’Estaque. Non sans quelque maladresse d’ailleurs.

Ils ont organisé en faveur de Marchetti un meeting de « masses », au coursduquel un orateur a eu le front de déclarer :

— Gastaud Ă©tait « impopulaire », et la population lui aurait fait un mauvaisparti si on le lui avait livrĂ©

Marchetti s’est contentĂ© de lui tirer une balle dans la nuque aprĂšs lui avoir faitcouper la langue et brĂ»ler les organes sexuels avec la flamme d’une bougie.

(Les Journaux, 27 octobre 1948)

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Le camp de concentration de Buchenwald, en zone soviétique, reçoit, depuis le14 septembre, de nouveaux détenus.

Les nouveaux prisonniers sont arrivés à la gare de Weimar dans trente-sixwagons de marchandises. Chaque wagon contenait de 40 à 50 hommes et femmes detous ùges, ainsi que des enfants et des vieillards, les prisonniers se sont rendus à piedde Weimar au camp de concentration.

Bien que les rues aient Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©es sur l’ordre de la police soviĂ©tique, lesdĂ©tenus cherchaient Ă  ameuter la population en criant qu’ils Ă©taient membres departis dĂ©mocratiques de Berlin.

Les jours qui suivirent, quatorze trains, comprenant 30 à 40 wagons, ontconduit directement les détenus de Weimar au camp de Buchenwald.

(A. F. P., 11 novembre 1948)

Treize cents personnes dĂ©placĂ©es, vivant dans le camp de Dachau (zoneamĂ©ricaine), ont demandĂ© aujourd’hui au gouvernement de BaviĂšre de les asphyxierdans les chambres Ă  gaz utilisĂ©es par les nazis « pour que leurs misĂšres prennentfin ».

Pour attirer l’attention sur leur sort et protester contre leurs conditionsd’existence, les rĂ©fugiĂ©s ont dĂ©jĂ  hier fait la grĂšve de la faim.

(Reuter, 14 novembre 1948)

Il existe dans le Sud-AlgĂ©rien, exactement Ă  AĂŻn-Sefra, un camp oĂč l’on aparquĂ©, pĂȘle-mĂȘle, des condamnĂ©s de droit commun et de jeunes condamnĂ©s desCours de justice qui, ayant purgĂ© leur peine, doivent accomplir leur service militaire.Ce n’est pas, bien sĂ»r, un camp de « dĂ©portĂ©s ». C’est un camp d’« exclus ».Nuance !

(Carrefour, 2 décembre 1948)

Etc., etc.

Voici maintenant deux opinions :

AprĂšs la LibĂ©ration, les dĂ©tenus politiques se sont comptĂ©s par dizaine demilliers, voire, au dĂ©but, par centaines de milliers. Ils ont Ă©tĂ© entassĂ©s dans des campsdont l’organisation est dĂ©plorable, dans des conditions qu’on a le droit de direinsupportables. Si le public connaissait ces conditions, il sortirait sans doute de sonindiffĂ©rence, qu’on lui reproche souvent, qui est en effet blĂąmable mais qui, le plussouvent, tient Ă  son manque d’information Le nombre et la condition de ces dĂ©tenusposent un problĂšme angoissant du quadruple point de vue du christianisme, de lajustice, de la concorde nationale et du relĂšvement du pays.

(Journal de GenÚve, 19 février 1949.)

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Puisque les camps demeurent, gris et grouillants abattoirs, nous sommes encoredans les camps.

La pensĂ©e que d’autres hommes, en ce prĂ©sent instant, rampent sous les mĂȘmesfouets, tremblent sous les mĂȘmes froids, meurent sous les mĂȘmes faims, est-ce pournous une pensĂ©e supportable, pour nous qui savons ?

(Léon Mazaud, Bulletin de la Fédération des Déportés de la Résistance, mars1949)

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PREMIERE PARTIE : L’EXPERIENCE VECUE1

« La vĂ©ritĂ©, c’est que la victimecomme le bourreau Ă©taient ignobles : que laleçon des camps, c’est la fraternitĂ© dansl’abjection ; que si toi, tu ne t’es pas conduitavec ignominie, c’est que seulement letemps a manquĂ© et que les conditions n’ontpas Ă©tĂ© tout Ă  fait au point ; qu’il n’existequ’une diffĂ©rence de rythme dans ladĂ©composition des ĂȘtres ; que la lenteur durythme est l’apanage des grands caractĂšres ;mais que le terreau, ce qu’il y a dessous etqui monte, monte, monte, c’est absolument,affreusement, la mĂȘme chose. Qui le croira ?D’autant que les rescapĂ©s ne sauront plus. Ilsinventeront, eux aussi, de fades imagesd’Epinal. De fades hĂ©ros de carton-pĂąte. LamisĂšre de centaine de milliers de mortsservira de tabou Ă  ces estampes. » (DavidRousset, Les Jours de notre mort)

CHAPITRE I

Un grouillement d’humanitĂ©s diverses aux portes desenfers

Six heures du matin : au jugĂ©. Nous sommes lĂ , une vingtaine d’hommes detous Ăąges et de toutes conditions, tous Français, affublĂ©s des plus invraisemblablesoripeaux et sagement assis autour d’une grande table Ă  trĂ©teaux. Nous ne nousconnaissons pas et nous n’essayons pas de faire connaissance. Muets ou Ă  peu prĂšs,nous nous contentons de nous dĂ©visager et de chercher, quoiqu’avec paresse, Ă  nousdeviner mutuellement. Nous sentons que, liĂ©s Ă  un sort dĂ©sormais commun, noussommes destinĂ©s Ă  vivre ensemble une Ă©preuve douloureuse et qu’il faudra bien nousrĂ©signer Ă  nous livrer les uns aux autres, mais nous nous comportons comme si nousvoulions le plus possible en retarder le moment: la glace a peine Ă  se rompre.

1 Paru en 1948 sous le titre Passage de la ligne

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AbsorbĂ©s chacun par son propre soi-mĂȘme, nous essayons de reprendre nosesprits, de rĂ©aliser ce qui vient de nous arriver : trois jours et trois nuits Ă  cent dans lewagon, la faim, la soif, la folie, la mort ; le dĂ©barquement dans la nuit, sous la neige,au milieu des claquements de revolvers, des hurlements des hommes et desaboiements des chiens, sous les coups des uns et les crocs des autres ; la douche, ladĂ©sinfection, la « cuve Ă  pĂ©trole », etc. Nous en sommes tout abrutis. Nous avonsl’impression que nous venons de traverser un No man’s land, de participer a unecourse d’obstacles plus ou moins mortels, savamment graduĂ©s et mĂ©ticuleusementminutĂ©s.

AprĂšs le voyage et sans transition, une longue enfilade de halls, de bureaux etde couloirs souterrains, peuplĂ©s d’ĂȘtres Ă©tranges et menaçants, ayant chacun sa nonmoins Ă©trange et humiliante formalitĂ©. Ici, le portefeuille, l’alliance [15], la montre,le stylo ; ici, la veste, le pantalon ; lĂ  le caleçon, les chaussettes, la chemise ; endernier lieu le nom : on nous a tout volĂ©. Puis le coiffeur qui a fait coupe blanchedans tous les coins, le bain de crĂ©syl, la douche. Enfin l’opĂ©ration inverse : Ă  ceguichet, une chemise en lambeaux, Ă  celui-ci un caleçon Ă  trous, Ă  cet autre unpantalon rapiĂ©cĂ©, et ainsi de suite jusqu’aux claquettes et Ă  la bande qui porte lematricule en passant par la redingote Ă©limĂ©e ou la vareuse hors d’usage, et le bonnetrusse ou le chapeau bersaglier. On ne nous a redonnĂ© ni un portefeuille, ni unealliance, ni un stylo, ni une montre.

– C’est comme Ă  Chicago, a laissĂ© tomber en brandissant son numĂ©ro, l’und’entre nous qui voulait faire un mot : Ă  l’entrĂ©e de l’usine ils sont cochons, Ă  lasortie boĂźtes de conserves. Ici, on entre en homme et on sort numĂ©ro.

Personne n’a ri : entre le cochon et la boĂźte de conserves de Chicago, il n’y asĂ»rement pas plus de diffĂ©rence qu’entre ce que nous Ă©tions et ce que nous sommesdevenus.

Quand nous sommes arrivĂ©s, tout ce premier groupe, dans cette grande salleclaire, propre, bien aĂ©rĂ©e, Ă  premiĂšre vue confortable, nous avons Ă©prouvĂ© comme unsoulagement : le mĂȘme, sans doute, qu’OrphĂ©e remontant des Enfers. Puis, nous noussommes laissĂ© aller Ă  nous-mĂȘmes, Ă  nos prĂ©occupations, Ă  celle qui domine etrefrĂšne toute envie de spĂ©culations intĂ©rieures et qui se lit dans tous les yeux :

– Aurons-nous Ă  manger aujourd’hui ? Quand pourrons-nous dormir ?Nous sommes Ă  Buchenwald, Block 48, FIĂŒgel a. Il est six heures du matin : au

jugĂ©. Et c’est dimanche — dimanche 30 janvier 1944. Sombre dimanche.

Le Block 48 est en pierre — bĂąti en pierre, couvert en tuiles — et,contrairement Ă  presque tous les autres qui sont en planches, il comprend un rez-de-chaussĂ©e et un Ă©tage. Aisances et commoditĂ©s en haut et en bas : toilettes avec deuxgrandes vasques circulaires Ă  dix ou quinze places, et jet d’eau retombant endouches, w.-c. avec six places assises et six debout. De chaque cĂŽtĂ©, communiquantpar un entre-deux, un rĂ©fectoire (Ess-Saal) avec trois grandes tables Ă  trĂ©teaux, et undortoir (Schlaf-Saal) qui contient trente ou quarante chĂąlits en Ă©tage. Un dortoir et un

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rĂ©fectoire jumelĂ©s composent une aile ou FlĂŒgel : quatre FlĂŒgel, a et b au rez-de-chaussĂ©e, c et d Ă  l’étage. Le bĂątiment couvre environ cent [16] vingt Ă  centcinquante mĂštres carrĂ©s, vingt Ă  vingt-cinq de long sur cinq Ă  six de large : lemaximum de confort dans le minimum d’espace.

Hier, en prĂ©vision de notre arrivĂ©e, on a vidĂ© le Block 48 de ses occupantshabituels. Il n’est restĂ© que le personnel administratif qui fait corps avec lui : leBlockĂ€ltester ou doyen, c’est-Ă -dire le chef de Block, son Schreiber ou comptable, lecoiffeur et les Stubendienst — deux par FlĂŒgel — ou hommes de chambrĂ©e. En tout,onze personnes. Maintenant et depuis l’aube, il s’emplit Ă  nouveau.

Notre groupe, qui est arrivĂ© le premier, a Ă©tĂ© casĂ© dans le FlĂŒgel mĂȘme du chefde Block. Petit a petit, il en arrive d’autres. Petit Ă  petit aussi, l’atmosphĂšre s’anime.Des compatriotes arrĂȘtĂ©s en mĂȘme temps ou dans la mĂȘme affaire se retrouvent. Leslangues se dĂ©lient. Pour ma part, j’ai retrouvĂ© Fernand qui vient s’asseoir Ă  cĂŽtĂ© demoi.

Fernand est un de mes anciens Ă©lĂšves, un ouvrier solide et consciencieux.Vingt ans. Sous l’occupation, il s’est tout naturellement tournĂ© vers moi. Nous avonsfait le voyage, enchaĂźnĂ©s l’un Ă  l’autre jusqu’à CompiĂšgne, et Ă  CompiĂšgne dĂ©jĂ ,nous avions formĂ© un Ăźlot sympathique parmi les dix-sept arrĂȘtĂ©s dans la mĂȘmeaffaire que nous. À vrai dire, nous les avions plaquĂ©s : d’abord, il y avait celui quis’était mis Ă  table Ă  l’interrogatoire ; ensuite, l’inĂ©vitable sous-officier de carriĂšredevenu agent d’assurances et qui, en mĂȘme temps qu’il s’était dĂ©corĂ© de la LĂ©giond’honneur, avait jugĂ© indispensable Ă  sa dignitĂ© de se promouvoir de lui-mĂȘme augrade de capitaine. Enfin, il y avait les autres, tous gens rangĂ©s et sĂ©rieux, dont lesilence et le regard disaient Ă  chaque instant la conscience qu’ils avaient de s’ĂȘtre misdans un mauvais cas. L’agent d’assurances, surtout, nous agaçait avec samĂ©galomanie, ses maniĂšres grandiloquentes, ses airs entendus d’ĂȘtre dans le secretdes dieux, et les bobards bĂȘtement optimistes dont il ne cessait de nous abreuver.

– Viens, m’avait dit Fernand, c’est pas des gens de not’monde.À Buchenwald, oĂč nous Ă©tions arrivĂ©s dans le mĂȘme wagon, nous nous

sommes Ă  nouveau accrochĂ©s l’un Ă  l’autre, et nous avons profitĂ© d’un momentd’inattention du groupe pour filer Ă  l’anglaise et offrir nos personnes l’une derriĂšrel’autre Ă  ce qu’il faut quand mĂȘme appeler les formalitĂ©s d’écrou. Un instant sĂ©parĂ©s,nous nous sommes retrouvĂ©s ensemble ici.

À huit heures du matin, il ne reste pas la place pour [17] caser un Ɠuf autourdes tables, et les bavardages, si bruyants qu’ils incommodent le chef de Block et lesStubendienst, vont leur train. Les prĂ©sentations se font, les professions s’annoncent,les unes aux autres par dessus les tĂȘtes, accompagnĂ©es des postes occupĂ©s dans larĂ©sistance : des banquiers, de gros industriels, des commandants de vingt ans, descolonels Ă  peine plus ĂągĂ©s, des grands chefs de la rĂ©sistance ayant tous la confiancede Londres et dĂ©tenant ses secrets, en particulier la date du dĂ©barquement. Quelquesprofesseurs, quelques prĂȘtres qui se tiennent timidement Ă  l’écart. Peu s’avouentemployĂ©s ou simples ouvriers. Chacun veut avoir une situation sociale plus enviableque celle du voisin, et surtout avoir Ă©tĂ© chargĂ© par Londres d’une mission de la plus

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haute importance. Les actions d’éclat ne se comptent pas. Nos deux modestespersonnes s’en trouvent Ă©crasĂ©es

– Du gratin, de la haute volĂ©e Mazette, me glisse Fernand Ă  l’oreille et tout,tout bas.

Au bout d’un quart d’heure, vraiment gĂȘnĂ©s, nous Ă©prouvons une irrĂ©sistibleenvie de pisser. Dans l’entre-deux qui conduit aux w.-c, une conversation trĂšs animĂ©eĂ  cinq ou six. En passant, nous entendons agiter des millions.

– Dieu, dans quel milieu sommes-nous donc tombĂ©s ?Aux w.-c. toutes les places sont occupĂ©es, on fait la queue et nous sommes

obligĂ©s d’attendre. Au retour, une bonne dizaine de minutes aprĂšs, le mĂȘme groupeest toujours dans l’entre-deux et la conversation roule toujours sur les millions. Il estquestion de quatorze maintenant. Nous voulons en avoir le cƓur net et nous nousarrĂȘtons ; c’est un pauvre vieux qui se rĂ©pand en lamentations sur les sommesfabuleuses que son sĂ©jour au camp lui fera perdre.

– Mais enfin, Monsieur, risquĂ©-je, qu’est-ce que vous faites donc dans le civilpour manipuler des sommes pareilles ? Vous devez avoir une situation considĂ©rable.

J’ai pris un air de commisĂ©ration admirative pour dire cela,– Ah ! Mon pauvre Monsieur, ne m’en parlez pas : ça !Et il me montre les claquettes qu’il a aux pieds. Je n’ai pas la force de ne pas

Ă©clater de rire. Il ne comprend pas et il recommence pour moi ses explications.– Vous comprenez, ils m’en ont d’abord commandĂ© mille paires qu’ils sont

venus chercher sans contrĂŽler ni le nombre, ni les factures. Puis mille autres paires,puis deux mille, puis cinq mille, puis... Ces temps derniers, les commandesaffluaient. Et jamais ils ne contrĂŽlaient. Alors, j’ai commencĂ© Ă  tricher un peu sur lesquantitĂ©s, puis sur [18] les prix. Dame : plus on leur prenait d’argent, plus on lesaffaiblissait, et plus on facilitait la tĂąche des Anglais. Ces sales boches, tout demĂȘme ! Un beau jour, ils ont collationnĂ© les factures et les comptes rendus de leursrĂ©ceptionnaires : il faut s’attendre Ă  tout de la part de ces gens-lĂ . Ils ont trouvĂ© qu’ilsavaient Ă©tĂ© volĂ©s d’une dizaine de millions. Alors ils m’ont envoyĂ© ici. Directement.Et sans le moindre jugement, Monsieur. Mais vous vous rendez compte : moi, unvoleur ? RuinĂ©, je vais ĂȘtre ruinĂ©. Monsieur ! Et sans le moindre jugement.

Il est vraiment scandalisĂ©. TrĂšs sincĂšrement, il a l’impression qu’il a accompliun acte d’un patriotisme indiscutable et qu’il est, comme tant d’autres, la victimed’un dĂ©ni de justice. Les autres compatissent manifestement Ă  sa douleur. L’un d’euxenchaĂźne sans sourciller :

– C’est comme moi, Monsieur, j’étais intendant Ă©conomique dans la ...– Allez, viens, me dit Fernand, tu vois bien !

Les jours passent. Nous nous familiarisons, autant que faire se peut, avec notrenouvelle vie.

D’abord, nous apprenons que nous sommes ici pour travailler, que nous seronstrĂšs prochainement affectĂ©s Ă  un kommando vraisemblablement extĂ©rieur au camp et

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qu’alors nous partirons « en transport ». En attendant, nous resterons en quarantainetrois ou six semaines, selon qu’il se dĂ©clarera ou non parmi nous une maladieĂ©pidĂ©mique.

Ensuite, on nous donne connaissance du rĂ©gime provisoire auquel nous serontsoumis. Pendant la quarantaine, interdiction absolue de quitter le Block ou sa petitecour d’ailleurs entourĂ©e de barbelĂ©s. Tous les jours, rĂ©veil Ă  quatre heures et demie,— en « fanfare », par le Stubendienst, gummi a la main pour ceux qui seraient tentĂ©sde traĂźnasser — toilette au pas de course, distribution des vivres pour la journĂ©e (250g de pain, 20 g de margarine, 50 g de saucisson ou de fromage blanc ou de confiture,un demi-litre de cafĂ©-ersatz non sucrĂ©), appel Ă  cinq heures et demie et qui durerajusqu’à six heures et demie ou sept heures. De sept Ă  huit heures, corvĂ©es denettoyage du Block. Vers onze heures, nous toucherons un litre de soupe derutabagas, et vers seize heures, le cafĂ©-trink. À dix-huit heures, nouvel appel quipourra durer jusque vers vingt-et-une heures, rarement au-delĂ , mais ordinairementjusqu’à vingt heures. Puis cou[19]cher. Entre-temps, livrĂ©s Ă  nous-mĂȘmes, nouspourrons, assis autour des tables et Ă  condition de n’ĂȘtre pas trop bruyants, nousraconter nos petites histoires, nos dĂ©couragements, nos craintes, nos apprĂ©hensions etnos espoirs.

En fait, du matin au soir, la conversation roulera sur la date de la cessationĂ©ventuelle des hostilitĂ©s et la façon dont elles prendront fin : l’opinion gĂ©nĂ©rale estque tout sera fini dans deux mois, l’un d’entre nous ayant gravement annoncĂ© qu’ilavait reçu un message secret de Londres lui donnant le dĂ©but de mars comme datecertaine du dĂ©barquement.

Progressivement, Fernand et moi, nous faisons connaissance avec notreentourage, tout en gardant nos distances et en restant sur la rĂ©serve. En deux jours,nous avons acquis la certitude que la moitiĂ© au moins de nos compagnons d’infortunene sont pas ici pour les motifs qu’ils avouent, et qu’en tout cas ces motifs n’ontqu’une parentĂ© assez lointaine avec la rĂ©sistance : le plus grand nombre des victimesnous paraĂźt venir du marchĂ© noir.

Ce qui est plus compliquĂ©, c’est de saisir le rythme de la ronde dans laquellenous venons d’entrer. Par la personne interposĂ©e d’un Luxembourgeois qui sait Ă peine le français, le chef de Block nous fait bien des discours explicatifs tous lessoirs Ă  l’appel, mais Ce chef de Block est le fils d’un ancien dĂ©putĂ© communiste auReichstag, assassinĂ© par les nazis. Il est communiste, il ne s’en cache pas — ce quim’étonne — et l’essentiel de ses palabres consiste dans l’affirmation rĂ©itĂ©rĂ©e que lesFrançais sont sales, bavards comme des pies, et paresseux ; qu’ils ne savent pas selaver et que ceux qui l’écoutent ont la double chance d’ĂȘtre arrivĂ©s au moment oĂč lecamp Ă©tait devenu un sanatorium, et d’avoir Ă©tĂ© affectĂ©s Ă  un Block dont le chef soitun politique au lieu d’ĂȘtre un droit commun. On ne peut pas dire que ce soit unmauvais garçon : il y a onze ans qu’il est enfermĂ© et il a pris les habitudes de lamaison. Rarement il frappe : ses manifestations de violence consistent gĂ©nĂ©ralementen vigoureux « Ruhe1 » lancĂ©s au milieu de nos bavardages et suivis d’imprĂ©cations

1 Du calme !


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dans lesquelles il est toujours question de Krematorium. Nous le craignons, maisnous craignons plus encore ses Stubendienst russes et polonais.

Du reste du camp, nous ne savons rien ou presque, notre champd’investigations se limitant aux quatre FlĂŒgel du Block. Nous pressentons qu’ontravaille autour de nous, que le travail est dur, mais nous n’avons que radio-bobard[20] pour nous fixer sur sa nature. Par contre, nous connaissons trĂšs rapidement tousles coins et recoins de notre Block et de ses occupants. Il y a de tout, lĂ -dedans : desaventuriers, des gens d’origine et de condition sociales mal dĂ©finies, des rĂ©sistantsauthentiques, des gens sĂ©rieux, des CrĂ©mieux, le Procureur du Roi des Belges, etc.Inutile de dire que Fernand et moi, nous n’éprouvons pas le dĂ©sir de nous agglutinerĂ  l’un quelconque des groupes d’affinitĂ©s qui se sont constituĂ©s.

La premiĂšre semaine a Ă©tĂ© particuliĂšrement pĂ©nible.Parmi nous il y a des Ă©clopĂ©s, des mutilĂ©s d’une jambe ou des deux, des

estropiĂ©s congĂ©nitaux qui ont dĂ» laisser leurs cannes, leurs bĂ©quilles ou leurs jambesartificielles Ă  l’entrĂ©e, en mĂȘme temps que leur portefeuille ou leurs bijoux : ils setraĂźnent lamentablement, on les aide ou on les porte. Il y a aussi de grands malades Ă qui on a pris les mĂ©dicaments indispensables qu’ils portaient toujours sur eux : ceux-lĂ , incapables de s’alimenter, meurent lentement. Et puis, il y a la grande rĂ©volutionprovoquĂ©e dans tous les organismes par le changement brutal de la nourriture et satragique insuffisance : tous les corps se mettent Ă  suppurer, le Block est bientĂŽt unvaste anthrax que des mĂ©decins improvisĂ©s ou sans moyens soignent ou fontsemblant de soigner. Enfin, sur le plan moral, des incidents inattendus rendent plusinsupportable encore la promiscuitĂ© qui nous est imposĂ©e : l’intendant Ă©conomiqueavec grade de colonel s’est fait prendre alors qu’il dĂ©robait le pain d’un malade dontil avait voulu ĂȘtre l’infirmier ; une violente dispute a opposĂ© le Procureur du Roi desBelges Ă  un Docteur, Ă  propos du partage du pain ; un troisiĂšme qui se promenait degroupe en groupe en brandissant sa qualitĂ© de PrĂ©fet pour aprĂšs la LibĂ©ration, a Ă©tĂ©surpris en train de prĂ©lever sur la ration commune au moment de son arrivĂ©e auBlock, etc. Nous sommes Ă  la Cour des Miracles.

Tout cela provoque le rĂ©veil des philanthropes : il n’y a pas de Cour desMiracles sans philanthropes et la France, riche en ce domaine, en a forcĂ©mentexportĂ© ici qui ne demandent qu’à rendre leur dĂ©vouement ostensible, et si possiblerĂ©munĂ©rateur. Un beau jour ils jettent un regard de commisĂ©ration hautaine sur cettemasse d’hommes en haillons, abandonnĂ©s Ă  toutes les constructions de l’esprit, etvictimes possibles de toutes les perversions. Notre niveau [21] moral leur paraĂźt endanger et ils volent Ă  son secours car, dans une aventure comme celle-ci, le facteurmoral est essentiel. C’est ainsi dans la vie : il y a des gens qui en veulent Ă  votre pain,d’autres Ă  votre libertĂ©, d’autres Ă  votre moral.

Un Lyonnais, qui se dit rĂ©dacteur en chef de L’Effort, — voyez rĂ©fĂ©rence ! —un colonel, si j’ai bonne mĂ©moire, un haut fonctionnaire du ravitaillement et un petitboiteux qui se dit communiste, mais que les Toulousains accusent de les avoir

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donnĂ©s Ă  la Gestapo lors de son interrogatoire, mettent sur pied un programme detours de chants et de confĂ©rences sur des sujets divers. Jusqu’au dimanche, nousentendons un exposĂ© sur la syphilis des chiens, un autre sur la production pĂ©trolifĂšredans le monde, et le rĂŽle du pĂ©trole aprĂšs la guerre, un troisiĂšme sur l’organisationcomparĂ©e du travail en Russie et en AmĂ©rique : ces discours n’arrivent pas jusqu’ànous

Le dimanche, un programme suivi de trois Ă  six, avec rĂ©gisseur. Une dizaine devolontaires y sont allĂ©s chacun de « la sienne », les sentiments les plus divers sontremontĂ©s du fond des Ăąmes, les personnalitĂ©s les plus variĂ©es se sont affirmĂ©es : duViolon brisĂ© au Soldat alsacien en passant par G.D.V., Margot reste au village, etCƓur de Lilas. Les gauloiseries les plus osĂ©es, les monologues les plus cocassesaussi. Ces pitreries jurent avec l’endroit, le public, la situation dans laquelle nousnous trouvons, et les prĂ©occupations qui devraient ĂȘtre les nĂŽtres : dĂ©cidĂ©ment, lesFrançais mĂ©ritent bien la rĂ©putation de lĂ©gĂšretĂ© que le monde leur a faite.

« Je sais une Ă©glise au fond d’un hameau » Des larmes montent aux yeux de tous, les visages reprennent des airs

d’humanitĂ©, ces dĂ©saxĂ©s redeviennent des hommes. Je rĂ©alise ce que « le lentGaloubet de Bertrandou, le Fifre ancien Berger », fut pour les Cadets de Gascognede Cyrano de Bergerac. Je pardonne aux philanthropes et, sur le champ, je voue unereconnaissance Ă©ternelle Ă  Jean LumiĂšre.

La deuxiĂšme semaine, changement de dĂ©cor : il y a encore des formalitĂ©s Ă accomplir. Le lundi matin, les infirmiers font irruption dans le Block, la lancette Ă  lamain : les vaccinations. Tout le monde Ă  poil dans le dortoir ; au retour dans lerĂ©fectoire, on est cueilli au passage, piquĂ© Ă  la chaĂźne. [22] L’opĂ©ration se rĂ©pĂšte troisou quatre fois, Ă  quelques jours d’intervalle. L’aprĂšs-midi, c’est le politischeAbteilung — bureau politique du camp — qui opĂšre une descente et procĂšde Ă  uninterrogatoire serrĂ© sur l’état civil, la profession, les convictions politiques, lesraisons de l’arrestation et de la dĂ©portation : ça prend trois ou quatre jours Ă  chevalsur les vaccinations et la « corvĂ©e de m ».

La corvĂ©e de m... : ah ! mes amis ! Toutes les dĂ©fĂ©cations des quelque trente Ă quarante mille habitants du camp convergent dans un contre-bas qui fait cĂŽne dedĂ©jection. Comme il faut que rien ne se perde, tous les jours, un kommando spĂ©cialrĂ©pand la prĂ©cieuse denrĂ©e sur des jardins qui dĂ©pendent du camp et produisent deslĂ©gumes pour les S.S. Depuis que les convois d’étrangers affluent Ă  jet continu, lesdĂ©tenus allemands qui ont la direction administrative du camp ont imaginĂ© de fairefaire ce travail par les nouveaux arrivĂ©s : ça leur tient lieu de la traditionnelle farcequ’on fait aux bleus dans les casernes de France, et ça les amuse Ă©normĂ©ment. CettecorvĂ©e est des plus pĂ©nibles : les dĂ©tenus, attelĂ©s deux Ă  deux Ă  une « trague »(bassin en bois en forme de tronc de pyramide Ă  base rectangulaire), contenant lachose, tournent en rond, du rĂ©servoir aux jardins, comme des chevaux de cirque,

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pendant douze heures consécutives, dans le froid, dans la neige, et, le soir, rentrent auBlock, fourbus et empuantis.

Un jour, on nous annonce que, sans que nous soyons pour autant affectĂ©s Ă  unkommando, notre Block devra fournir chaque matin et chaque aprĂšs-midi, pendanttout le reste de la quarantaine, une corvĂ©e de pierres. Le chef de Block a dĂ©cidĂ© qu’aulieu d’envoyer des groupes de cent hommes qui se relaieraient et travailleraientdouze heures d’affilĂ©e, il nous serait plus lĂ©ger d’y aller tous, c’est-Ă -dire les quatrecents, et de ne rester que deux heures dehors pour chaque service. Tout le monde estd’accord.

À partir de ce jour, tous les matins et tous les soirs nous dĂ©filons Ă  travers lecamp, pour nous rendre au Steinbruck — Ă  la carriĂšre — oĂč nous prenons une pierredont le poids est a la mesure de notre force : nous la ramenons au camp Ă  des Ă©quipesqui la cassent pour faire des avenues, et nous rentrons au Block. Ce travail est lĂ©ger,surtout en comparaison de celui des carriers qui extraient la pierre sous les injures etles coups des Kapos — K.A.Po., abrĂ©viation de Kontrolle Arbeit Polizei ou Police decontrĂŽle du travail. Quatre fois par jour, nous passons Ă  proximitĂ© des villas oĂč larumeur veut que LĂ©on Blum, Daladier, Raynaud, [23] Gamelin et la PrincesseMafalda, fille du Roi d’Italie, soient gardĂ©s Ă  vue. Nous envions tous le sort de cesprivilĂ©giĂ©s. À chaque passage, j’entends des rĂ©flexions :

– Les loups ne se mangent pas entre eux !– Selon que vous serez puissant ou misĂ©rable– Les gros, mon vieux, tu te fais crever la peau pour eux et ils se font des

politesses !– Les lois raciales d’Hitler s’appliquent à tous les juifs sauf un.Etc., etc.Dans nos rangs, il y a un ancien premier Ministre de Belgique, un ancien

Ministre français, d’autres personnages aussi, plus ou moins considĂ©rables. Ceux-lĂ sont plus mortifiĂ©s que nous du traitement dont bĂ©nĂ©ficient les habitants des villas.On raconte qu’ils ont chacun deux piĂšces, la T.S.F., les journaux allemands etĂ©trangers, qu’ils font trois repas par jour. Et on a la certitude qu’ils ne travaillent pas.

LĂ©on Blum est plus particuliĂšrement enviĂ©. Le hasard a voulu qu’à un voyage,Fernand et moi qui ne nous quittons jamais, nous nous trouvions Ă  cĂŽtĂ© du ministrefrançais :

– Pourquoi LĂ©on Blum et pas moi ? nous dit-il.À l’inflexion de sa voix, nous avons senti qu’il ne trouvait pas du tout Ă©trange

que nous soyons affectĂ©s Ă  ces basses besognes d’esclaves ; mais lui, voyons, Lui,Ancien Ministre !

Fernand hausse les épaules. Je suis perplexe.Un autre jour, au lieu de nous conduire à la corvée de pierres, on nous emmÚne

au service de l’anthropomĂ©trie oĂč on doit nous photographier (de face et de profil) etrelever nos empreintes digitales. Des individus gros et gras, bien fourrĂ©s, au restedĂ©tenus comme nous, mais portant au bras l’insigne d’une autoritĂ© quelconque et Ă  lamain le gummi qui la justifie, hurlent Ă  nos chausses. Devant moi marchent le

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Docteur X et le petit boiteux communiste qui est dans les grĂąces du chef de Block etpasse pour son homme de confiance aux yeux des Français. J’écoute la conversation.Le Docteur X, dont tout le monde sait que, dans son dĂ©partement, il fut Ă  plusieursreprises candidat de l’U.N.R., au Conseil gĂ©nĂ©ral ou Ă  d’autres Ă©lections, explique aupetit boiteux qu’il n’est pas communiste, mais pas non plus anticommuniste, bien aucontraire : la guerre lui a ouvert les yeux et peut-ĂȘtre, quand il aura eu le tempsd’assimiler la doctrine Depuis deux jours, on parle d’un transport possible Ă  Dora etle Docteur X commence Ă  poser des jalons pour rester Ă  Buchenwald. MisĂšre !

Soudain, je reçois un formidable coup de poing : absorbĂ© [24] dans lesrĂ©flexions nĂ©es de la conversation, j’ai dĂ» sortir un peu des rangs. Je me retourne etje reçois en plein visage une avalanche d’injures en allemand dans lesquelles jedistingue : « Hier ist Buchenwald, Lumpe, Schau mal, dort ist Krematorium ». C’esttout ce que je saurai sur la raison du coup de poing. Par contre et comme pourm’expliquer combien il Ă©tait justifiĂ©, le petit boiteux s’est retournĂ© vers moi :

– Tu pouvais pas faire attention : c’est Thaelmann !Nous arrivons Ă  l’entrĂ©e du bĂątiment de l’anthropomĂ©trie. Un autre personnage

Ă  brassard et Ă  gummi, nous colle brutalement en rangs contre la paroi. Cette fois,c’est le petit boiteux qui reçoit un coup de poing et qui est abreuvĂ© d’injures. L’oragepassĂ©, il se tourne vers moi :

– Ça m’étonne pas de ce c
-lĂ  : c’est Breitscheid.Je n’éprouve pas le moins du monde le besoin de vĂ©rifier l’identitĂ© des deux

lascars. Je me borne Ă  sourire Ă  la pensĂ©e qu’ils ont enfin rĂ©alisĂ© l’unitĂ© d’action dontils ont tant parlĂ© avant la guerre, et Ă  admirer ce sens aigu des nuances que le petitboiteux possĂšde jusque dans ses rĂ©flexes.

Je suis un pessimiste, du moins j’en ai la rĂ©putation.D’abord, je me refuse Ă  prendre pour argent comptant les nouvelles optimistes

que chaque soir Johnny rapporte au Block. Johnny est un nĂšgre. Je l’ai vu pour lapremiĂšre fois Ă  CompiĂšgne oĂč je l’ai entendu raconter avec un accent amĂ©ricainfortement prononcĂ©, qu’il Ă©tait capitaine d’une forteresse volante et qu’au cours d’unraid sur Weimar, son appareil ayant Ă©tĂ© touchĂ©, il avait dĂ» sauter en parachute. ArrivĂ©Ă  Buchenwald, il s’est mis Ă  parler le français couramment et il s’est donnĂ© commemĂ©decin. Il parle deux autres langues Ă  peu prĂšs aussi bien que le français :l’allemand et l’anglais. GrĂące Ă  cette supĂ©rioritĂ©, Ă  son imagination et Ă  uneindiscutable culture, il rĂ©ussit Ă  se faire affecter comme mĂ©decin au Revier avantmĂȘme que la quarantaine soit finie. Les Français sont persuadĂ©s qu’il n’est pas plusmĂ©decin que capitaine de forteresse volante, mais ils s’inclinent devant la maĂźtriseavec laquelle il a su se planquer. Chaque soir il est trĂšs entourĂ© : le Revier passe pourĂȘtre le seul endroit d’oĂč peuvent venir les nouvelles sĂ»res. Aussi, malgrĂ© sarĂ©putation de hĂąbleur, Johnny est-il pris au sĂ©rieux par tout le monde quand il parledes Ă©vĂ©nements de la guerre. Un soir, il revient avec la rĂ©volution [25] Ă  Berlin, unautre avec un soulĂšvement de troupes sur le front de l’Est, un troisiĂšme avec le

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dĂ©barquement des alliĂ©s Ă  Ostende, un quatriĂšme avec la prise en charge des campsde concentration par la Croix-Rouge internationale, etc., etc. Johnny n’est jamais Ă court de bonnes nouvelles qui font que chaque soir, aprĂšs son arrivĂ©e au Block,l’opinion gĂ©nĂ©rale est, en fĂ©vrier 44, que la guerre sera finie dans deux mois. IIm’excĂšde et les autres aussi avec leur crĂ©dulitĂ©. À ceux qui m’abordent avec lacertitude que leur insuffle Johnny, j’ai pris l’habitude de rĂ©pondre que, pour ma part,j’étais persuadĂ© que la guerre ne serait pas finie avant deux ans. Comme je suis parailleurs de ceux, trĂšs rares, qui n’avaient cru Ă  la chute de Stalingrad, pour ainsi direque sur le vu de la chose, et que je l’ai avouĂ© mĂȘme aprĂšs coup, je suis tout de suitecataloguĂ©.

De fait, j’accueille tout avec un scepticisme inĂ©branlable : les horreurs les plusraffinĂ©es qu’on raconte sur le passĂ© des camps, les suppositions optimistes sur lecomportement futur des S.S. qui sentent, dit-on, passer sur l’Allemagne le vent de ladĂ©faite, et qui veulent se racheter aux yeux de leurs futurs vainqueurs, les bruitsrassurants sur notre affectation ultĂ©rieure. Je nie mĂȘme ce qui paraĂźt ĂȘtre l’évidence,par exemple, la fameuse inscription qui se trouve sur la grille en fer forgĂ© qui fermel’entrĂ©e du camp. En allant Ă  la corvĂ©e de pierres, j’ai lu un jour : « Jedem dasSeine », et les rudiments d’allemand que je possĂšde m’ont fait traduire : « À chacunsa destinĂ©e ». Tous les Français sont persuadĂ©s que c’est la traduction de la cĂ©lĂšbreapostrophe que Dante place sur la porte des Enfers : « Vous qui entrez ici,abandonnez tout espoir »1.

C’est le comble et je suis un mĂ©crĂ©ant.

Le Block est partagĂ© en deux clans : d’un cĂŽtĂ©, les nouveaux arrivĂ©s, de l’autreles onze individus, chef de Block, Schreiber, Friseur et Stubendienst, Germains ouSlaves, qui constituent son armature administrative, et une sorte de solidaritĂ© qui faittable rase de toutes les oppositions, de toutes les diffĂ©rences de conditions ou deconceptions, unit [26] tout de mĂȘme dans la rĂ©probation, les premiers contre lesseconds. Ceux-ci, qui sont des dĂ©tenus comme nous, mais depuis plus longtemps, etpossĂšdent toutes les roueries de la vie pĂ©nitentiaire, se comportent comme s’ilsĂ©taient nos maĂźtres vĂ©ritables, nous conduisent Ă  l’injure, Ă  la menace et Ă  la trique. Ilnous est impossible de ne pas les considĂ©rer comme des agents provocateurs, ou deplats valets des S.S. Je rĂ©alise enfin et seulement ce que sont les Chaouchs, prĂ©vĂŽtsdes prisons et hommes de confiance des bagnes, dont fait Ă©tat la littĂ©rature françaisesur les pĂ©nitenciers de tous ordres. Du matin au soir, les nĂŽtres, bombant le torse, setarguent du pouvoir qu’ils ont de nous envoyer au Krematorium Ă  la moindreincartade et d’un simple mot. Et, du matin au soir aussi, ils mangent et fument cequ’ils dĂ©robent, au vu et au su de tous, insolemment sur nos rations : des litres de

1 ImmĂ©diatement aprĂšs ma libĂ©ration, en mai 1945, alors que j’étais encore en Allemagne et

sur le chemin du retour, j’ai entendu une causerie radiophonique par un dĂ©portĂ© — Gandrey Retty, sij’ai bonne mĂ©moire — et qui donnait cette traduction. Ainsi naissent les bobards.

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soupe, des tartines de margarine, des pommes de terre fricassĂ©es Ă  l’oignon et aupaprika. Ils ne travaillent pas. Ils sont gras. Ils nous rĂ©pugnent.

Dans ce milieu, j’ai fait la connaissance de Jircszah.Jircszah est tchùque. Il est avocat. Avant la guerre il fut adjoint au maire de

Prague. Le premier travail des Allemands prenant possession de la TchĂ©coslovaquiefut de l’arrĂȘter et de le dĂ©porter. Il y a quatre ans qu’il traĂźne dans les camps. Il lesconnaĂźt tous : Auschwitz, Mauthausen, Dachau, Oranienburg. Un accident banal l’asauvĂ© il y a deux ans et ramenĂ© Ă  Buchenwald, dans un transport de malades. À sonarrivĂ©e, un de ses compatriotes lui a trouvĂ© la place d’interprĂšte gĂ©nĂ©ral pour lesSlaves. Il espĂšre qu’il la conservera jusqu’à la fin de la guerre qu’il ne croit pas touteproche, mais qu’il sent enfin venir. Il vit avec les Chaouchs du Block 48 qui leconsidĂšrent comme Ă©tant des leurs, mais il nous donne tout de suite des gages quinous le font considĂ©rer comme Ă©tant des nĂŽtres : ses rations qu’il distribue, des livresqu’il se procure et qu’il nous prĂȘte.

Jircszah prend pour la premiĂšre fois contact avec les Français. Il les regardeavec curiositĂ©. Avec pitiĂ© aussi : c’est ça les Français ? C’est ça la culture françaisedont on lui a tant parlĂ© au temps de ses Ă©tudes ? Il est déçu il n’en revient pas.

Mon scepticisme et la façon dont je me tiens presque systĂ©matiquement Ă l’écart de la vie bruyante du Block le rapprochent de moi.

– C’est ça, la rĂ©sistance ?Je ne rĂ©ponds pas. Pour le raccommoder avec la France, je lui prĂ©sente

CrĂ©mieux.[27]Il n’approuve certes pas le comportement des Chaouchs, mais il n’en est plus

choquĂ© et il ne les mĂ©prise mĂȘme pas : ils font aux autres ce qu’on leur a fait.– J’ai vu pire, dit-il Il ne faut pas demander aux hommes trop d’imagination

dans la voie du bien. Quand un esclave prend du galon sans sortir de sa condition, ilest plus tyran que ses tyrans eux-mĂȘmes.

Il me raconte l’histoire de Buchenwald et des camps.– Il y a beaucoup de vrai dans tout ce qu’on dit sur les horreurs dont ils sont le

thĂ©Ăątre, mais il y a beaucoup d’exagĂ©ration aussi. Il faut compter avec le complexedu mensonge d’Ulysse qui est celui de tous les hommes, par consĂ©quent de tous lesinternĂ©s. L’humanitĂ© a besoin de merveilleux dans le mauvais comme dans le bon,dans le laid comme dans le beau. Chacun espĂšre et veut sortir de l’aventure avecl’aurĂ©ole du saint, du hĂ©ros ou du martyr, et chacun ajoute Ă  sa propre odyssĂ©e sansse rendre compte que la rĂ©alitĂ© se suffit dĂ©jĂ  largement Ă  elle-mĂȘme.

Il n’a pas de haine pour les Allemands. Dans son esprit, les camps deconcentration ne sont pas spĂ©cifiquement allemands et ne relĂšvent pas d’instincts quisoient propres au peuple allemand.

– Les camps — les Lagers, comme il dit — sont un phĂ©nomĂšne historique etsocial par lequel passent tous les peuples arrivant Ă  la notion de Nation et d’Etat. Onen a connu dans l’AntiquitĂ©, au Moyen Age, dans les Temps modernes : pourquoivoudriez-vous que l’Epoque contemporaine fasse exception ? Bien avant JĂ©sus-Christ, les Egyptiens ne trouvaient que ce moyen de rendre les Juifs inoffensifs Ă  leur

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prospĂ©ritĂ©, et Babylone ne connut son apogĂ©e merveilleuse que grĂące auxconcentrationnaires. Les Anglais eux-mĂȘmes y eurent recours avec les malheureuxBoers, aprĂšs NapolĂ©on qui inventa Lambessa. Actuellement, il y en a en Russie quin’ont rien Ă  envier Ă  ceux des Allemands ; il y en a en Espagne, en Italie et mĂȘme enFrance : vous rencontrerez ici des Espagnols et vous verrez ce qu’ils vous diront, parexemple, du camp de Gurs, en France, oĂč on les parqua au lendemain du triomphe deFranco.

Je risque une observation :– En France, tout de mĂȘme, c’est par humanitĂ© qu’on a recueilli les

RĂ©publicains espagnols, et je ne sache pas qu’ils furent maltraitĂ©s.– En Allemagne aussi, c’est par humanitĂ©. Les Allemands. quand ils parlent de

l’institution, emploient le mot Schutzhaftlager, ce qui veut dire camp de dĂ©tenusprotĂ©gĂ©s. [28] Au moment de son arrivĂ©e au pouvoir, le National-Socialisme, dans ungeste de mansuĂ©tude, a voulu mettre ses adversaires hors d’état de lui nuire, maisaussi les protĂ©ger contre la colĂšre publique, en finir avec les assassinats au coin desrues, rĂ©gĂ©nĂ©rer les brebis Ă©garĂ©es et les ramener Ă  une plus saine conception de lacommunautĂ© allemande, de sa destinĂ©e et du rĂŽle de chacun dans son sein. Mais leNational-Socialisme a Ă©tĂ© dĂ©passĂ© par les Ă©vĂ©nements, et surtout par ses agents. C’estun peu l’histoire de l’éclipse de lune qu’on raconte dans les casernes. Le colonel ditun jour au commandant qu’il y aura une Ă©clipse de lune et que les gradĂ©s devrontfaire observer le phĂ©nomĂšne Ă  tous les soldats en le leur expliquant. Le commandanttransmet au capitaine et la nouvelle arrive au soldat par le caporal sous cette forme :« Par ordre du colonel, une Ă©clipse de lune aura lieu ce soir Ă  23 heures ; tous ceuxqui n’y assisteront pas auront quatre jours de salle de police ». Ainsi en est-il descamps de concentration ; l’Etat-Major national-socialiste les a conçus, en a fixĂ© lerĂšglement intĂ©rieur que d’anciens chĂŽmeurs illettrĂ©s font appliquer par des Chaouchspris parmi nous. En France, le Gouvernement dĂ©mocratique de Daladier avait conçule camp de Gurs et en avait fixĂ© le rĂšglement : l’application de ce rĂšglement Ă©taitconfiĂ©e Ă  des gendarmes et gardes mobiles dont les facultĂ©s d’interprĂ©tation Ă©taienttrĂšs limitĂ©es.

« C’est le Christianisme qui a introduit dans le droit romain le caractĂšrehumanitaire qui est confĂ©rĂ© Ă  la punition, et lui a assignĂ© comme premier but Ă atteindre la rĂ©gĂ©nĂ©ration du dĂ©linquant. Mais le Christianisme a comptĂ© sans lanature humaine qui ne peut arriver Ă  la conscience d’elle-mĂȘme que sur un fond deperversitĂ©. Croyez-moi, il y a trois sortes de gens qui restent les mĂȘmes chacun dansson genre, Ă  tous les Ăąges de l’Histoire, et sous toutes les latitudes : les policiers, lesprĂȘtres et les soldats. Ici, nous avons affaire aux policiers. »

Évidemment, nous avons affaire aux policiers. Je n’ai eu maille Ă  partirqu’avec les policiers allemands, mais j’ai souvent lu et entendu dire que les policiersfrançais ne se distinguaient pas par une douceur particuliĂšre. Je me souviens qu’à cemoment du discours de Jircszah, j’ai Ă©voquĂ© l’affaire Almazian. Mais Almazian Ă©taitimpliquĂ© dans un crime de droit commun, et nous sommes des politiques. Les

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Allemands, eux, ne semblent pas faire de différence entre le droit commun et le droitpolitique, et cette promiscuité des uns et des autres dans les camps.

– Allons, allons, me dit Jircszah, vous semblez oublier [29] que c’est unFrançais, un intellectuel dont la France est fiĂšre, un fin lettrĂ©, un grand philosophe,Anatole France, qui a Ă©crit un jour : « Je suis partisan de la suppression de la peine demort en matiĂšre de droit commun, et de son rĂ©tablissement en matiĂšre de droitpolitique ».

Avant la fin de la quarantaine, les S.S. ne se mĂȘlant jamais de la vie propre ducamp qui semblait ainsi livrĂ© Ă  lui-mĂȘme, maĂźtre de ses lois et de ses rĂšglements,j’étais persuadĂ© que Jircszah avait en grande partie raison : le National-Socialisme,les S.S. Ă©taient revenus Ă  ce moyen classique de coercition, et les dĂ©tenus l’avaientd’eux-mĂȘmes rendu plus mauvais encore.

Nous avons agitĂ© ensemble d’autres problĂšmes, notamment celui de la guerreet de l’aprĂšs-guerre. Jircszah Ă©tait un bourgeois dĂ©mocrate et pacifiste :

– L’autre guerre a partagĂ© le monde en trois blocs rivaux, me disait-il : lesAnglo-Saxons capitalistes traditionnels, les Soviets et l’Allemagne, cette derniĂšres’appuyant sur le Japon et l’Italie : il y en a un de trop. L’aprĂšs-guerre connaĂźtra unmonde partagĂ© en deux, la dĂ©mocratie des peuples n’y gagnera rien et la paix n’ensera pas moins prĂ©caire. Ils croient qu’ils se battent pour la libertĂ© et que l’Age d’ornaĂźtra des cendres d’Hitler. Ce sera terrible aprĂšs : les mĂȘmes problĂšmes se poserontĂ  deux au lieu de se poser Ă  trois, dans un monde qui sera ruinĂ© matĂ©riellement etmoralement. C’est Bertrand Russell qui avait raison au temps de sa jeunessecourageuse : « Aucun des maux qu’on prĂ©tend Ă©viter par la guerre n’est aussi grandque la guerre elle-mĂȘme ».

Je partageais cet avis, et mĂȘme j’enchĂ©rissais.Dans la suite, j’ai souvent pensĂ© Ă  Jircszah.

10 mars, quinze heures : un officier S.S. entre au Block rassemblement dans lacour.

– Raus, los ! Raus, raus !Nous allons partir, et les formalitĂ©s vont commencer. Depuis une huitaine de

jours, le bruit courait de ce transport et les suppositions allaient leur train : Ă  Dora,disaient les uns, Ă  Cologne pour dĂ©blayer les ruines et sauver ce qui pouvait encorel’ĂȘtre, rĂ©cupĂ©rer ce qui pouvait ĂȘtre utilisĂ©, disaient les autres. C’est cette derniĂšresupposition qui l’emporte dans l’opinion : les gens bien informĂ©s mettent en avantque maintenant l’Etat-Major du National-Socialisme [30] sentant la partie perdue,laisse tomber le Kommando de Dora considĂ©rĂ© comme l’enfer de Buchenwald et n’yenvoie plus personne. Ils ajoutent qu’employĂ©s dĂ©sormais aux travaux dangereux dedĂ©blaiement, nous serons bien traitĂ©s. À tout moment, on risquera l’éclatement d’unebombe, mais on mangera Ă  sa faim, d’abord la ration du camp, et ensuite ce qu’ontrouvera dans les caves dont certaines sont pleines de denrĂ©es comestibles.

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Nous ne savons pas ce que c’est que Dora. Aucun de ceux qui y ont Ă©tĂ©envoyĂ©s jusqu’ici n’est jamais revenu. On dit que c’est une usine souterraine enperpĂ©tuel Ă©tat d’amĂ©nagement, et dans laquelle on fabrique des armes secrĂštes. Onvit lĂ -dedans, on y mange, on y dort et on y travaille sans jamais revenir au jour.Tous les jours, des camions ramĂšnent des cadavres Ă  plein charroi pour ĂȘtre brĂ»lĂ©s Ă Buchenwald, et c’est de ces cadavres qu’on dĂ©duit les horreurs du camp.Heureusement, nous n’irons pas lĂ -bas.

Seize heures : nous sommes toujours debout devant le Block, dans la positiondu Stillgestanden1 sous les yeux du S.S. Le chef de Block passe dans les rangs et enfait sortir un vieillard ou un Ă©clopĂ©, et les juifs. CrĂ©mieux, qui remplit Ă  lui tout seulcette triple condition, est du nombre. Le petit boiteux aussi et quelques autres figuresqui n’appartiennent ni Ă  des vieillards, ni Ă  des Ă©clopĂ©s, ni Ă  des juifs, mais dont noussavons tous que leurs propriĂ©taires s’étant fait passer pour communistes, ou l’étantrĂ©ellement, sont dans les grĂąces du chef de Block.

Seize heures trente : direction de l’infirmerie pour la visite de santĂ© – pour lavisite de santĂ©, c’est une façon de parler. Un mĂ©decin S.S. fume un Ă©norme cigare,affalĂ© dans un fauteuil ; nous passons devant lui Ă  la queue-leu-leu, et il ne nousregarde mĂȘme pas.

Dix-sept heures trente : direction de l’Effektenkammer2 : on nous habille deneuf, pantalon, veste et capote rayĂ©s, chaussures ad hoc (en cuir, semelle de bois)pour remplacer les claquettes impropres au travail.

Dix-huit heures trente : appel qui dure jusqu’à vingt et une heures. Avant denous coucher, nous devons encore coudre nos numĂ©ros sur les effets que nous venonsde toucher, Ă  hauteur du sein gauche pour la veste et la capote, sous la poche droitepour le pantalon.

11 mars, quatre heures trente : réveil. [31]Cinq heures trente : appel jusque vers dix heures. Ah ! ces appels ! En mars,

dans le froid, qu’il pleuve ou qu’il vente, rester des heures et des heures debout Ă  ĂȘtrecomptĂ©s et recomptĂ©s ! Celui-ci est un appel gĂ©nĂ©ral de tous ceux, Ă  quelque Blockqu’ils appartiennent, qui ont Ă©tĂ© dĂ©signĂ©s pour le transport, et il a lieu sur la place del’appel, devant la Tour.

À onze heures, la soupe.À quatorze heures, nouvel appel qui dure jusqu’à dix-huit ou dix-neuf heures :

nous avons perdu la notion de la durĂ©e.12 mars : rĂ©veil comme d’habitude, appel de cinq heures et demie Ă  dix heures.

Appel, toujours appel. Ils veulent nous rendre fous. À quinze heures, nous quittonsdĂ©finitivement le Block 48 et, aprĂšs un stage de quelques heures sur la place, noussommes dirigĂ©s sur le Block du cinĂ©ma oĂč nous passons la nuit, les plus favorisĂ©sassis, le plus grand nombre debout.

RĂ©veil le lendemain matin, Ă  trois heures trente, une heure plus tĂŽt qued’habitude. On nous conduit sous la tour oĂč nous attendons, debout, dans la nuit,

1 Garde-à-vous.2 Magasin d’habillement.

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dans le froid, rien au ventre depuis la veille Ă  onze heures, d’ĂȘtre embarquĂ©s. Entresept et huit heures, nous montons dans les wagons.

Voyage sans histoire : nous sommes Ă  l’aise et nous bavardons. ThĂšme : oĂčallons-nous ? Le train prend la direction de l’ouest : Ă  Cologne, ça y est, nous avonsgagnĂ© ! À seize heures environ, il s’arrĂȘte en pleins champs, dans une sorte de garede triage, oĂč, sous la neige, pataugeant dans la boue, des malheureux, hĂąves, sales, enguenilles rayĂ©es de la mĂȘme façon que nos habits neufs, dĂ©chargent des wagons,creusent des canalisations, vĂ©hiculent les dĂ©blais. Des gens Ă  brassard et Ă  numĂ©ros,bien vĂȘtus, pleins de santĂ©, les encouragent Ă  la menace, Ă  l’injure et au gummi.DĂ©fense de leur adresser la parole. En passant Ă  cĂŽtĂ© d’eux, si par hasard ils sont horsde portĂ©e de toute surveillance, nous risquons des questions Ă  voix aussi basse quepossible :

– Dis, oĂč est-on ici ?– À Dora, mon vieux, t’as pas fini d’en ch... !Fernand et moi, qui nous tenons par la main, nous nous regardons. Nous

n’avions cru que difficilement au bobard optimiste de Cologne. Un granddĂ©couragement nous saisit cependant, les bras nous tombent des Ă©paules, noussentons passer sur nous l’ombre de la mort. [32]

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CHAPITRE II

Les cercles de l’enfer

Le 30 juin 1933, Buchenwald n’était que ce que le mot signifie : une forĂȘt dehĂȘtres, un lieudit perchĂ© sur une colline des contreforts du Harz, Ă  neuf kilomĂštres deWeimar. On y accĂ©dait par un sentier rocailleux et tortueux. Un jour, des hommessont venus en voiture jusqu’au pied de la colline. Ils ont gagnĂ© le sommet Ă  pied,comme en excursion. Ils ont gravement inspectĂ© l’endroit. L’un d’eux a dĂ©signĂ© unclair-fourrĂ©, puis ils s’en sont retournĂ©s aprĂšs avoir fait un bon dĂ©jeuner, en repassantĂ  Weimar.

– Unser FĂŒhrer wird zufrieden werden, ont-ils dĂ©clarĂ©1.Quelque temps aprĂšs, d’autres sont venus. Ils Ă©taient enchaĂźnĂ©s par cinq les uns

aux autres et constituaient un dĂ©tachement de cent unitĂ©s, encadrĂ©s par une vingtainede S.S., l’arme au point : il n’y avait plus de place dans les prisons allemandes. Ilsont gravi le sentier sous les injures et les coups, comme ils ont pu. Arrivant ausommet, extĂ©nuĂ©s, ils ont Ă©tĂ© mis au travail sans transition. Un groupe de cinquante aderechef montĂ© des tentes pour les S.S. pendant que l’autre mettait en place un cerclede barbelĂ©s de trois rangs de hauteur et d’environ cent mĂštres de rayon. Le premierjour, c’est tout ce qui a pu ĂȘtre fait. On a mangĂ© en hĂąte, et presque sans arrĂȘter letravail, un maigre casse-croĂ»te et, le soir, trĂšs tard, on s’est endormi Ă  mĂȘme le sol,enroulĂ© dans une mince couverture. Le lendemain, le premier groupe de cinquante adĂ©chargĂ© tout le jour des matĂ©riaux de construction, des Ă©lĂ©ments de baraques enbois, que de lourds tracteurs rĂ©ussissaient Ă  amener jusqu’à mi-pente de la colline, etles a montĂ©s Ă  dos d’homme jusqu’au sommet, [33] Ă  l’intĂ©rieur des barbelĂ©s. Lesecond groupe lui, a abattu des arbres pour faire place nette. On n’a pas mangĂ© cejour-lĂ  car on n’était parti qu’avec un jour de vivres, mais la nuit on a mieux dormi, Ă l’abri des branchages et dans les anfractuositĂ©s des tas de planches.

À partir du troisiĂšme jour, les Ă©lĂ©ments de baraques se sont mis Ă  arriver Ă  unrythme accĂ©lĂ©rĂ© et Ă  s’entasser Ă  mi-pente. S’y trouvaient joints un attirail de cuisine,des habits rayĂ©s en nombre, des outils et quelques vivres. Les S.S. ont fait valoir dansleur rapport quotidien qu’avec cent hommes ils ne rĂ©ussissaient pas Ă  dĂ©charger aufur et Ă  mesure des arrivĂ©es : d’autres leur ont Ă©tĂ© envoyĂ©s. Les vivres sont devenusinsuffisants. À la fin de la semaine, une cinquantaine de S.S. se dĂ©battaient avec ungrand millier de dĂ©tenus qu’ils ne savaient oĂč loger la nuit, qu’ils pouvaient Ă  peinenourrir, et au milieu desquels ils Ă©taient dĂ©bordĂ©s dans l’organisation du travail. Ilsavaient bien fait plusieurs groupes ou kommandos affectĂ©s chacun Ă  une tĂącheparticuliĂšre : la cuisine des S.S. d’abord, et l’entretien de leur camp, la cuisine desdĂ©tenus, le montage des baraques, le transport des matĂ©riaux, l’organisation

1 Notre FĂŒhrer sera content !

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intĂ©rieure, la comptabilitĂ©. Tout cela s’appelait S.S. KĂŒche, HaftlingkĂŒche,Barrackenkommando, BauIeitung, Arbeitstatistik, etc. et, couchĂ© sur le papier, dansdes rapports, traduisait une organisation claire et mĂ©thodique. Mais, en fait, c’étaitune grande pagaille, un horrible grouillement d’hommes qui mangeaient pour laforme, travaillaient Ă  merci, dormaient, Ă  peine couverts, dans un fatras de plancheset de branchages. Comme ils Ă©taient plus faciles Ă  surveiller au travail qu’ensommeil, les journĂ©es Ă©taient de douze, quatorze et seize heures. Les gardes-chiourmes en nombre insuffisant avaient Ă©tĂ© dans l’obligation de choisir sur la mineun complĂ©ment de co-adjuteurs dans la masse des dĂ©tenus, et comme ils se sentaientmal Ă  l’aise devant leur conscience, ils faisaient rĂ©gner la terreur en maniĂšre d’excuseet de justification. Les coups pleuvaient et non seulement les injures et la menace.

Les mauvais traitements, la mauvaise et insuffisante nourriture, le travailsurhumain, l’absence de mĂ©dicaments, la pneumonie, firent que ce troupeau se mit Ă mourir Ă  une cadence effrayante et dangereuse pour la salubritĂ©. Il fallut songer Ă faire disparaĂźtre les cadavres autrement que par l’inhumation qui prenait trop detemps et se serait trop souvent rĂ©pĂ©tĂ© : on eut recours Ă  l’incinĂ©ration plus rapide etplus conforme aux traditions germaniques. Un nouveau [34] kommando devint Ă  sontour indispensable, le Totenkommando et la construction d’un four crĂ©matoires’inscrivit sur la liste des travaux Ă  effectuer avec l’ordre d’urgence commandĂ© parles circonstances : ainsi se trouva-t-il qu’on construisit l’endroit oĂč ces hommesdevaient mourir, avant celui oĂč on se proposait de leur permettre de vivre. Touts’enchaĂźne, le mal appelle le mal, et quand on est pris dans l’engrenage des forcesmauvaises.

Au surplus, le camp n’était pas conçu dans l’esprit de l’État-major national-socialiste pour ĂȘtre seulement un camp mais une collectivitĂ© devant travailler soussurveillance Ă  l’édification du IIIe Reich, au mĂȘme titre que les autres dĂ©tenus de lacommunautĂ© allemande restĂ©s dans la libertĂ© relative que l’on sait : aprĂšs lecrĂ©matoire, l’usine, la Guszlow. Par quoi on voit que l’ordre d’urgence de tous lesamĂ©nagements Ă©tait dĂ©terminĂ© d’abord par le souci de tenir sous bonne garde, ensuitepar celui de l’hygiĂšne, en troisiĂšme lieu par les besoins du travail rentable. Enfin, eten dernier ressort, par les droits prescriptibles de la personne humaine : le garde-chiourme, le crĂ©matoire, l’usine, la cuisine. Tout est subordonnĂ© Ă  l’intĂ©rĂȘt collectifqui piĂ©tine l’individu et l’écrase.

Buchenwald fut donc, pendant la pĂ©riode des premiers amĂ©nagements, unStraflager1 oĂč n’était envoyĂ©e que la population des prisons rĂ©putĂ©e incorrigible, puisĂ  partir du moment oĂč l’usine, la Guslow, fut en Ă©tat de fonctionner, un Arbeitslager2

ayant des Straf-kommandos, enfin un Konzentrationslager3, c’est-Ă -dire ce qu’il Ă©taitquand nous l’avons connu, un camp organisĂ© avec tous ses services mis en place, oĂčtout le monde Ă©tait envoyĂ© indistinctement. À partir de ce moment, il y eut des sous-camps ou kommandos extĂ©rieurs qui dĂ©pendaient de lui et qu’il achalandait en

1 Camp de punition.2 Camp de travail.3 Camp de concentration.

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matĂ©riel humain ou tout court. Tous les camps ont passĂ© par ces trois Ă©tapessuccessives. Il s’est malheureusement produit que, la guerre Ă©tant survenue, lesdĂ©tenus de toutes origines et de toutes conditions, de toutes infractions et de toutespeines disciplinaires, furent au petit bonheur la chance, au grĂ© de l’humeur des chefsou du dĂ©sordre des circonstances, indiffĂ©remment dirigĂ©s sur le Straflager,l’Arbeitslager ou le Konzentrationslager. Il en rĂ©sulta un effroyable mĂ©langed’humanitĂ©s diverses qui constitua, sous le signe du gummi, un gigantesque panierde crabes sur [35] lequel le National-Socialisme si maĂźtre de lui, si mĂ©thodique dansses manifestations, mais dĂ©bordĂ© de toutes parts par les Ă©vĂ©nements quicommençaient Ă  le maĂźtriser, jeta un non moins immense et gigantesque manteau deNoĂ©.

Dora naquit sous le parrainage de Buchenwald et dans les mĂȘmes conditions. IlcrĂ»t et prospĂ©ra en suivant le mĂȘme processus.

En 1903, des ingĂ©nieurs et des chimistes allemands s’étaient aperçus qu’à cetendroit la pierre du Han Ă©tait riche en ammoniaque. Comme aucune sociĂ©tĂ© privĂ©en’avait voulu risquer des capitaux dans son extraction, l’État s’en chargea. L’Étatallemand ne possĂ©dait pas, comme ses voisins, des colonies susceptibles de mettre Ă sa disposition des Cayenne ou des NoumĂ©a : ses bagnards, il Ă©tait obligĂ© de lesconserver Ă  l’intĂ©rieur et il les parquait dans des endroits dĂ©terminĂ©s oĂč il lesemployait Ă  des travaux ingrats. C’est dans ces conditions qu’un bagne semblable Ă tous les bagnes du monde, Ă  quelques nuances en mieux ou en plus mal prĂšs, naquit Ă Dora. En 1910, on ne sait trop pourquoi, mais probablement parce que le rendementen ammoniaque Ă©tait bien infĂ©rieur Ă  celui qu’on avait escomptĂ©, l’extraction de lapierre fut arrĂȘtĂ©e. Elle fut reprise pendant la guerre de 1914-1918, sous les espĂšcesd’un camp de reprĂ©sailles pour P.G., en un moment oĂč l’Allemagne pensait dĂ©jĂ  Ă s’enterrer pour limiter les dĂ©gĂąts des bombardements. De nouveau, elle futinterrompue par l’armistice. Pendant l’entre-deux-guerres, on oublia totalementDora : une vĂ©gĂ©tation dĂ©sordonnĂ©e masqua l’entrĂ©e de ce commencement desouterrain, et autour, d’immenses champs de betteraves poussĂšrent pour alimenter lasucrerie de Nordhausen, Ă  six kilomĂštres de lĂ .

C’est dans ces champs de betteraves que, le 1er septembre 1943, BuchenwalddĂ©gorgea un premier kommando de deux cents hommes sous bonne escorte :l’Allemagne sentant de nouveau le besoin de s’enterrer, d’enterrer au moins sesindustries de guerre, avait repris le projet de 1915. Construction du camp S.S., duKrematorium, amĂ©nagement du souterrain en usine, des cuisines, des douches, del’Arbeitstatistik, le Revier ou infirmerie en dernier lieu. Comme il y avait cesouterrain, on y dormit le plus longtemps possible, repoussant toujours Ă  plus tard letravail non rentable de construction des Blocks pour dĂ©tenus et lui prĂ©fĂ©rant le foragetoujours plus avant de la galerie du tunnel, pour permettre la mise Ă  l’abri d’usines entoujours plus grand nombre menacĂ©es Ă  ciel ouvert.

Quand nous sommes arrivĂ©s Ă  Dora, le camp Ă©tait encore [36] au stade duStraflager : nous en fĂźmes un Arbeitslager. Quand nous l’avons quittĂ© avec ses 170

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Blocks, son Revier, son ThĂ©Ăątre, son Bordel, ses services en place, son tunnelachevĂ©, il Ă©tait sur le point de devenir un Konzentrationslager. DĂ©jĂ , Ă  l’extrĂ©mitĂ© dudouble tunnel, un autre camp, Ellrich, Ă©tait nĂ© sous son parrainage et se trouvait, lui,au stade du Straflager. Car il ne pouvait y avoir de solution de continuitĂ© dansl’échelle descendante de la misĂšre humaine.

Mais les Anglo-Américains et les Russes en avaient décidé autrement et, le 11avril 1945, vinrent nous délivrer.

Depuis, le systĂšme pĂ©nitentiaire de l’Allemagne est aux mains des Russes quin’y ont pas changĂ© une virgule. Demain, il sera aux mains des


Car il ne faut pas non plus qu’il y ait solution de continuitĂ© dans l’Histoire.

Un camp de concentration, quand il est au point, est une vĂ©ritable citĂ© isolĂ©e dumonde extĂ©rieur qui l’a conçue par une enceinte de barbelĂ©s Ă©lectrifiĂ©s Ă  quintuplesrangs de hauteur, au long de laquelle tous les cinquante mĂštres environ, des miradorsabritent une garde spĂ©ciale armĂ©e jusqu’aux dents. Pour que l’écran entre elle et luisoit plus opaque encore, un camp de S.S. est Ă©galement interposĂ© et jusqu’à cinq ousix kilomĂštres alentour, des sentinelles invisibles sont disposĂ©es dans la pĂ©riphĂ©rie ;celui qui tenterait de s’évader aurait ainsi un certain nombre d’obstacles successifs Ă surmonter et il vaut mieux dire que toute tentative est matĂ©riellement vouĂ©e Ă  unĂ©chec certain. Cette citĂ© a ses lois propres, ses phĂ©nomĂšnes sociaux particuliers. LesidĂ©es qui y naissent isolĂ©ment ou en courants viennent mourir contre les barbelĂ©s etrestent insoupçonnĂ©es du reste du monde. De mĂȘme tout ce qui se passe Ă  l’extĂ©rieurest inconnu Ă  l’intĂ©rieur, toute interpĂ©nĂ©tration est rendue impossible par l’écran danslequel il n’y a pas une faille1. Des journaux arrivent : ils sont triĂ©s sur le volet et nedisent que des vĂ©ritĂ©s [37] spĂ©cialement imprimĂ©es pour les concentrationnaires. Ils’est trouvĂ© qu’en temps de guerre les vĂ©ritĂ©s pour concentrationnaires Ă©taient lesmĂȘmes que celles dont les Allemands devaient faire leur Evangile, et c’est pourquoiles journaux Ă©taient communs aux deux, mais c’est un pur hasard. La T.S.F. estchĂątiĂ©e. Il s’ensuit que la vie du camp, axĂ©e sur d’autres principes moraux etsociologiques, prend une orientation tout autre que la vie normale, que sesmanifestations revĂȘtent des aspects tels qu’elle ne peut ĂȘtre jugĂ©e avec les unitĂ©s demesures communes Ă  l’ensemble des hommes. Mais c’est une citĂ©, une citĂ© humaine.

À l’intĂ©rieur, — ou Ă  l’extĂ©rieur, — mais Ă  proximitĂ© une usine est la raison devivre du camp et son moyen d’existence : Ă  Buchenwald, la Guslow, Ă  Dora, letunnel. Cette usine est la clĂ© de voĂ»te de tout l’édifice et ses besoins qu’il fautsatisfaire sont sa loi d’airain. Le camp est fait pour l’usine et non l’usine pouroccuper le camp.

1 On a dit que l’Allemagne presque entiùre ignorait ce qui se passait dans les camps et je le

crois : les S.S., qui vivaient sur place en ignoraient une grande partie, ou n’apprenaient certainsĂ©vĂ©nements que longtemps aprĂšs coup. D’autre part, qui, en France, connaĂźt aujourd’hui les dĂ©tails dela vie des dĂ©tenus de CarĂšre, La NoĂ© et autres lieux ? (Cf. p. 137 en Appendice au Chap. II la relationde Pierre Bernard sur la Maison centrale de Riom et l’opinion de E. Kogon, p. 194).

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Le premier service du camp est l’Arbeitstatistik qui tient une comptabilitĂ©rigoureuse de toute la population et qui la suit unitĂ© par unitĂ©, jour par jour dans sontravail ; Ă  l’Arbeitstatistik on est capable de dire Ă  n’importe quel moment de lajournĂ©e Ă  quoi est employĂ© chaque dĂ©tenu et l’endroit prĂ©cis oĂč il se trouve. Ceservice, comme tous les autres d’ailleurs, est assurĂ© par des dĂ©tenus et il occupe unpersonnel nombreux et relativement privilĂ©giĂ©.

Vient ensuite le Politische-Abteilung, lequel tient la comptabilitĂ© politique ducamp et se trouve, lui, Ă  mĂȘme de donner pour n’importe quel dĂ©tenu quelquerenseignement que ce soit sur sa vie antĂ©rieure, sa moralitĂ©, les motifs de sonarrestation, etc. C’est l’anthropomĂ©trie du camp, son Sicherheitsdienst (police desĂ©curitĂ©) et il n’occupe qu’un personnel ayant la confiance des S.S. Encore desprivilĂ©giĂ©s.

Puis, la Verwaltung ou administration gĂ©nĂ©rale qui tient la comptabilitĂ© de toutce qui entre au camp : nourriture, matĂ©riel, vĂȘtements, etc. C’est l’intendance ducamp, le sergent-major de la compagnie. Le personnel, occupĂ© Ă  un travail de bureau,est toujours privilĂ©giĂ©.

Ces trois grands services coiffent le camp. Ils ont Ă  leur tĂȘte un Kapo qui enassure le fonctionnement sous la surveillance d’un sous-officier S.S. ouRapportfĂŒhrer. Il y a un RapportfĂŒhrer pour tous les services-clĂ©s, et chacun d’euxfait chaque soir son rapport au RapportfĂŒhrer gĂ©nĂ©ral du camp, qui est un officier,gĂ©nĂ©ralement un Oberleutnant. Ce RapportfĂŒhrer gĂ©nĂ©ral communique avec le campdes dĂ©tenus par l’intermĂ©diaire de ses sous-ordres et du LagerĂ€ltester ou doyen desdĂ©tenus, qui a la responsabilitĂ© gĂ©nĂ©rale du camp et qui rĂ©pond de sa bonne marchejusque et y [38] compris sur sa vie mĂȘme1.

ParallĂšlement, les services de seconde zone : le SanitĂ€tsdienst, ou service desantĂ©, qui comprend les mĂ©decins, les infirmiers, le service de la dĂ©sinfection, celuidu Revier et celui du Krematorium ; la Lagerschutzpolizei, ou police du camp ; laFeuerwehr, ou protection contre l’incendie ; le Bunker, ou prison pour dĂ©tenus prisen flagrant dĂ©lit d’infraction aux rĂšglements du camp ; le Kino-Theater, ou cinĂ©ma-thĂ©Ăątre, et le bordel, ou Pouf.

Il y a encore la KĂŒche ou cuisine, l’Effektenkammer ou magasin d’habillement,qui est rattachĂ© Ă  la Verwaltung ; la HĂ€ftlingskantine, ou cantine, qui fournit auxdĂ©tenus nourriture et boissons complĂ©mentaires contre espĂšces sonnantes, et la Bank,institut d’émission de la monnaie spĂ©ciale qui n’a cours qu’à l’intĂ©rieur du camp.

La masse des travailleurs, maintenant.Elle est rĂ©partie dans des Blocks construits sur le mĂȘme modĂšle que le

Buchenwald 48, mais en bois et ne comportant qu’un rez-de-chaussĂ©e. Elle n’y vitque la nuit. Elle y arrive le soir aprĂšs l’appel, vers 21 heures, et elle les quitte chaquematin avant l’aube, Ă  quatre heures trente. Elle y est encadrĂ©e par les chefs de BlockentourĂ©s de leurs Schreiber, Friseur, Stubendienst, qui sont de vĂ©ritables satrapes. Lechef de Block contrĂŽle la vie du Block sous la surveillance d’un soldat S.S. ouBlockfĂŒhrer qui rend compte au Rapport-fĂŒhrer gĂ©nĂ©ral. Les BlockfĂŒhrer ne se

1 Voir p. 256 et 257 le tableau de la hiérarchie dans un camp.

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montrent que trĂšs rarement : en gĂ©nĂ©ral, ils se bornent Ă  rendre une visite amicale auchef de Block dans la journĂ©e, c’est-Ă -dire en l’absence des dĂ©tenus, si bien quecelui-ci est en dernier ressort seul juge et que toutes ses exactions sont pratiquementsans appel.

Dans la journĂ©e, c’est-Ă -dire au travail, les dĂ©tenus sont pris dans les maillesd’un autre encadrement. Tous les matins, pour ceux qui ne travaillent que le jour, ilssont rĂ©partis dans des Kommandos ayant Ă  leur tĂȘte chacun un Kapo assistĂ© d’un, dedeux ou de plusieurs chefs d’équipe ou Vorarbeiter. Chaque jour, Ă  partir de quatreheures trente, les Kapos et les Vorarbeiter se trouvent sur la place de l’Appel, Ă  unendroit dĂ©terminĂ© — toujours le mĂȘme — et constituent leurs Kommandos respectifsqu’ils conduisent au pas cadencĂ© sur le lieu du travail oĂč un Meister ou contremaĂźtrecivil leur donne connaissance de la tĂąche qu’ils doivent faire effectuer Ă  leurshommes dans [39] la journĂ©e. Les Kommandos employĂ©s par l’usine font les deux 12et non les trois 8. Ils sont rĂ©partis en deux Ă©quipes ou Schicht : il y a le Tagschichtqui se prĂ©sente Ă  ses Kapos et Vorarbeiter, Ă  9 heures du matin, et la Nachtschicht, Ă 9 heures du soir. Les deux Schicht font Ă  tour de rĂŽle une semaine de jour et unesemaine de nuit.

Ainsi Ă©tait le Buchenwald que nous avons connu. La vie y Ă©tait supportablepour les dĂ©tenus dĂ©finitivement affectĂ©s au camp, un peu plus dure pour les passagersdestinĂ©s Ă  n’y sĂ©journer que le temps de la quarantaine. Dans tous les camps, il eĂ»tpu en ĂȘtre de mĂȘme. Le malheur a voulu qu’au moment des dĂ©portations massivesdes Ă©trangers en Allemagne, il y avait peu de camps au point, Ă  part Buchenwald,Dachau et Auschwitz, et que la presque totalitĂ© des dĂ©portĂ©s n’a connu que descamps en pĂ©riode de construction, des Straflager et des Arbeitslager et non desKonzentrationslager. Le malheur a voulu aussi que, mĂȘme dans les camps au point,toutes les responsabilitĂ©s fussent confiĂ©es Ă  des Allemands d’abord, pour la facilitĂ©des rapports entre la gens des Haftling et celle de la FĂŒhrung, Ă  des rescapĂ©s desStraflager et des Arbeitslager ensuite, qui ne concevaient pas le Konzett, comme ilsdisaient, sans les horreurs qu’ils y avaient eux-mĂȘmes endurĂ©es et qui Ă©taient bienplus que les S.S. des obstacles Ă  son humanisation. Le « Ne faites pas aux autres ceque vous ne voudriez pas qu’on vous fit » est une notion d’un autre monde qui n’apas cours dans celui-ci. « Faites aux autres ce qu’on vous a fait » est la devise de tousces Kapos, qui ont passĂ© des annĂ©es et des annĂ©es de Straftlager en Arbeitslager, etdans l’esprit desquels les horreurs qu’ils ont vĂ©cues ont crĂ©Ă© une tradition que, parune dĂ©formation bien comprĂ©hensible, ils croient avoir pour mission de perpĂ©tuer.

Et si par hasard les S.S. oublient de maltraiter, ces dĂ©tenus, eux se chargent derĂ©parer l’oubli.

La population du camp, sa condition sociale et son origine, sont aussi unĂ©lĂ©ment qui s’insurge contre son humanisation. J’ai dĂ©jĂ  notĂ© que le National-Socialisme ne faisait aucune diffĂ©rence entre le dĂ©lit politique et le dĂ©lit de droitcommun et que, par consĂ©quent, il n’y avait en Allemagne ni droit, ni rĂ©gime

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politique diffĂ©renciĂ©s. Comme dans la plupart des nations civilisĂ©es, il y a donc detout dans les camps — de tout et autre chose encore. Tous les [40] dĂ©tenus, dequelque catĂ©gorie de dĂ©lit qu’ils relĂšvent, vivent ensemble et sont soumis au mĂȘmerĂ©gime. Il n’y a pour les distinguer les uns des autres que le triangle de couleur quiest l’insigne de leur dĂ©lit.

Les politiques portent le triangle rouge.Les droits commun, le triangle vert : nu, pour les Verbrecher ou criminels

simples ; agrĂ©mentĂ© d’un S pour les Schwereverbrecher ou grands criminels, et d’unK pour les Kriegsverbrecher, criminels de guerre. Ainsi sont graduĂ©s les dĂ©lits dedroit commun du simple voleur Ă  l’assassin et au pilleur d’intendance ou de magasind’armement.

Entre les deux, toute une sĂ©rie de dĂ©lits intermĂ©diaires :– Le triangle noir (saboteurs, chĂŽmeurs professionnels) ; le triangle rose

(pĂ©dĂ©rastes) ; le triangle jaune fixĂ© Ă  l’envers sur le rouge, de façon Ă  former uneĂ©toile (juifs) ; le triangle violet (objecteurs de conscience).

– Les gens qui, ayant fini un temps de prison dĂ©terminĂ©, doivent ensuiteaccomplir ce que nous appellerions le doublage, ou la relĂ©gation Ă  temps ou Ă  vie, etqui portent en lieu et place de triangle, un cercle noir sur fond blanc avec un grand« Z » au centre : les libĂ©rĂ©s de la Zuchthaus ou maison de force.

– D’autres enfin et qui portent le triangle rouge la pointe en haut : les dĂ©litbĂ©nins commis Ă  l’armĂ©e et Ă  propos desquels une condamnation a Ă©tĂ© prononcĂ©e parun conseil de guerre.

Il y aurait encore Ă  ajouter quelques particularitĂ©s dans l’écussonnage desdĂ©tenus : le triangle rouge surmontĂ© d’une barre transversale de ceux qui sontenvoyĂ©s au Konzett pour la deuxiĂšme ou troisiĂšme fois, les trois petits points noirsportĂ©s en brassard sur fond jaune et blanc pour les aveugles, etc. Enfin, ceux qu’onappelait jadis les Wifo : le mĂȘme cercle que les Zuchthaus, mais Ă  l’intĂ©rieur duquelle « Z » Ă©tait remplacĂ© par un « W ». Ces derniers Ă©taient des travailleurs volontaires,Ă  l’origine. Ils avaient Ă©tĂ© employĂ©s par la firme Wifo qui fut la premiĂšre Ă  s’évertuerdans la rĂ©alisation des Vergeltungsfeuer, les fameuses V1, V2, etc. Un beau jour etsans motif apparent, ils touchĂšrent des habits rayĂ©s et ils furent mis en camp deconcentration. Le secret des V1 et V2 sortant de la phase d’essai, entrait dans la voiede la production intensive et il ne fallait pas qu’il circulĂąt librement, mĂȘme dans lapopulation allemande : les internĂ©s par raison d’État. Les Wifo constituaient la plusmisĂ©rable population du camp : ils continuaient Ă  toucher leur salaire, dont la moitiĂ©leur Ă©tait remise au camp mĂȘme, [41] le reste Ă©tant envoyĂ© Ă  leurs familles. Ilsavaient le droit de conserver des cheveux longs, d’écrire quand bon leur semblait, Ă condition de ne rien rĂ©vĂ©ler du sort qui leur Ă©tait fait et, comme ils Ă©taient les plusfortunĂ©s, ils introduisirent le marchĂ© noir dans les camps et en firent monter lescours.

Sous le rapport de la population, les camps de concentration sont donc devĂ©ritables tours de Babel dans lesquelles les individualitĂ©s se heurtent par leursdiffĂ©rences de nationalitĂ©s, par leurs diffĂ©rences d’origine, de condamnation et de

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conditions sociales antĂ©rieures. Les droits communs haĂŻssent les politiques qu’ils necomprennent pas, et ceux-ci le leur rendent bien. Les intellectuels regardent lesouvriers manuels de haut, et ceux-ci se rĂ©jouissent de les voir « enfin travailler ». LesRusses enveloppent dans le mĂȘme mĂ©pris de fer tout l’Occident. Les Polonais et lesTchĂšques ne peuvent pas voir les Français, en raison de Munich, etc. Sur le plan desnationalitĂ©s, il y a des affinitĂ©s entre Slaves et Germains, entre Germains et Italiens,entre Hollandais et Belges, ou entre Hollandais et Allemands. Les Français quiarrivĂšrent les derniers et qui se mirent Ă  recevoir les plus magnifiques colis devictuailles, sont mĂ©prisĂ©s par tout le monde, sauf par les Belges, doux, francs et bons.On considĂšre la France comme un pays de Cocagne, et ses habitants comme desSybarites dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s, incapables de travailler, mangeant bien et uniquement occupĂ©s Ă faire l’amour. À ces griefs, les Espagnols ajoutent les camps de concentration deDaladier. Je me souviens d’avoir Ă©tĂ© accueilli au Block 24, Ă  Dora, par unvigoureux :

– Ah ! les Français, vous savez maintenant ce que c’est que le Lager. Pasdommage, ça vous apprendra !

C’étaient trois Espagnols (il y en avait en tout 26 Ă  Dora) qui avaient Ă©tĂ©internĂ©s Ă  Gurs en 1938, embrigadĂ©s dans les compagnies de travail en 1939, etenvoyĂ©s Ă  Buchenwald au lendemain de Rethel. Ils soutenaient qu’il n’y avait entreles camps français et les camps allemands que le travail comme diffĂ©rence, les autrestraitements et la nourriture Ă©tant, Ă  peu de chose prĂšs, en tous points semblables.MĂȘme ils ajoutaient que les camps français Ă©taient plus sales.

O Jircszah !

Les S.S. vivent dans un camp parallĂšle. En gĂ©nĂ©ral, ils sont une compagnie. AudĂ©but, cette compagnie Ă©tait une [42] compagnie d’instruction pour jeunes recrues, etseuls les Allemands en faisaient partie. Dans la suite, il y eut aussi de tout dans lesS.S. : des Italiens, des Polonais, des TchĂšques, des Bulgares, des Roumains, desGrecs, etc. Les nĂ©cessitĂ©s de la guerre ayant fini par imposer l’envoi au front desjeunes recrues, avec une instruction militaire limitĂ©e, ou mĂȘme sans aucuneprĂ©paration spĂ©ciale, les jeunes furent remplacĂ©s par des vieux, des gens qui avaientdĂ©jĂ  fait la guerre de 14-18, et sur lesquels le national-socialisme n’avait qu’à peinemarquĂ© son emprise. Ceux-ci Ă©taient plus doux. Dans les deux derniĂšres annĂ©es de laguerre, la S.S. devenant insuffisante, les rebuts de la Wehrmacht et de la Luftwaffe,qui ne pouvaient ĂȘtre utilisĂ©s Ă  rien d’autre, furent affectĂ©s Ă  la garde des camps.

Tous les services du camp ont leur prolongement dans le camp S.S. oĂč tout estcentralisĂ© et d’oĂč partent directement sur Berlin, dans les services de Himmler, lesrapports quotidiens ou hebdomadaires. Le camp S.S. est donc en fait l’administrateurde l’autre. Dans les dĂ©buts des camps, pendant la pĂ©riode de gestation, il administraitdirectement ; dans la suite et dĂšs qu’il le put, il n’administra plus que par la personneinterposĂ©e des dĂ©tenus eux-mĂȘmes. On pouvait croire que c’était par sadisme et,aprĂšs coup, on n’a pas manquĂ© de le dire : c’était par Ă©conomie de personnel, et pour

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la mĂȘme raison, dans toutes les prisons, dans tous les bagnes de toutes les nations, ilen est de mĂȘme. Les S.S. n’ont administrĂ© et fait rĂ©gner l’ordre intĂ©rieur directementque tant qu’il leur fut impossible de faire autrement. Nous n’avons, nous, connu quele self-government des camps. Tous les vieux dĂ©tenus qui ont subi les deux mĂ©thodessont unanimes Ă  reconnaĂźtre que l’ancienne Ă©tait en principe la meilleure et la plushumaine, et que si elle ne le fut pas en fait, ce fut parce que les circonstances, lanĂ©cessitĂ© de faire vite, la prĂ©cipitation des Ă©vĂ©nements, ne le permirent pas. Je lecrois : il vaut mieux avoir affaire Ă  Dieu qu’à ses Saints.

Les S.S. donc n’assurent que la garde extĂ©rieure et on ne les voit pour ainsidire jamais Ă  l’intĂ©rieur du camp oĂč ils se contentent de passer en exigeant le salutdes dĂ©tenus, le fameux « MĂŒtzen ab ». Ils sont assistĂ©s dans cette garde par unevĂ©ritable compagnie de chiens merveilleusement dressĂ©s, toujours prĂȘts Ă  mordre etcapables d’aller rechercher un dĂ©tenu qui se serait Ă©vadĂ©, Ă  des dizaines dekilomĂštres. Tous les matins, les kommandos qui vont travailler Ă  l’extĂ©rieur, souventĂ  cinq, six kilomĂštres [43] Ă  pied — quand il fallait aller plus loin, on utilisait lecamion ou le train — sont accompagnĂ©s, selon leur importance, par deux ou quatreS.S., l’arme au poing et tenant, chacun, en laisse, un chien muselĂ©. Cette gardeparticuliĂšre, qui complĂšte l’encadrement par les Kapos, se contente de surveiller etn’intervient dans le travail qu’au cas oĂč il faut prĂȘter main-forte, rarement d’elle-mĂȘme.

Le soir, Ă  l’appel par Block, quand tout le monde est lĂ , un coup de sifflet, tousles BlockfĂŒhrer se dirigent vers le Block dont ils ont la responsabilitĂ©, comptent lesprĂ©sents et s’en retournent pour rendre compte. Pendant cette opĂ©ration, des sous-officiers circulent entre les Blocks et font respecter le silence et l’immobilitĂ©. LesKapos, chefs de Block et Lagerschutz1 leur facilitent grandement la tĂąche dans cesens. De temps Ă  autre, un S.S. se distingue des autres par sa brutalitĂ©, mais c’estrare, et en tout cas, jamais il ne se montre plus inhumain que les sus-nommĂ©s.

Le problĂšme de la HĂ€ftlingsfĂŒhrung2, domine des camps de concentration, et lasolution qui lui est apportĂ©e conditionne leur Ă©volution dans le sens du pire ou del’humanisation.

Au dĂ©but de tout camp, il n’y a pas de HĂ€ftlingsfĂŒhrung : il y a le premierconvoi qui arrive dans la nature, encadrĂ© par ses S.S., lesquels assument eux-mĂȘmestoutes les responsabilitĂ©s, directement et dans le dĂ©tail. Il en est ainsi jusqu’audeuxiĂšme, troisiĂšme ou quatriĂšme. Ça peut durer six semaines, deux mois, six mois,un an. Mais, dĂšs que le camp a pris une certaine extension, le nombre des S.S. qui yest affectĂ© n’étant pas extensible Ă  l’infini, ceux-ci sont obligĂ©s de prendre parmi lesdĂ©tenus le personnel complĂ©mentaire nĂ©cessaire Ă  la surveillance et Ă  l’organisation.

1 Policiers pris parmi les dĂ©tenus.2 Direction du camp par les dĂ©tenus eux-mĂȘmes. (Cf. p. 256, la hiĂ©rarchie dans un camp de

concentration)

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Il faut avoir vĂ©cu la vie des camps et assimilĂ© leur histoire pour biencomprendre ce phĂ©nomĂšne et l’aspect qu’à l’usage il a pris.

Au moment oĂč les camps naissent, en 1933, l’état d’esprit est tel en Allemagneque les adversaires du National-socialisme sont considĂ©rĂ©s comme les pires bandits.D’oĂč la facilitĂ© avec laquelle les nouveaux maĂźtres ont rĂ©ussi Ă  faire admettre qu’iln’y avait pas des crimes ou des dĂ©lits de [44] droit commun et des crimes ou desdĂ©lits de droit politique, mais seulement des crimes et des dĂ©lits tout court. Ils Ă©taientsi semblables les uns aux autres, mĂȘme et dans certains cas, il y avait si peu Ă  fairepour rendre les seconds apparemment plus odieux que les premiers, aux yeux d’unejeunesse fanatisĂ©e, enrĂŽlĂ©e dans les S.S. et Ă  laquelle avait Ă©tĂ© confiĂ©e la rĂ©alisationdu projet ! Mettez-vous maintenant Ă  la place des cinquante S.S. de Buchenwald, lejour oĂč, dĂ©bordĂ©s par un millier de dĂ©tenus et l’énorme masse du matĂ©riel Ă l’embouteillage, ils ont dĂ» constituer le premier encadrement de leurs victimes etdĂ©signer le premier LagerĂ€ltester. Entre un Thaelmann ou un Breitscheid, signalĂ©sparticuliĂšrement Ă  leur attention, et le premier criminel venu qui avait assassinĂ© sabelle-mĂšre ou violĂ© sa sƓur, mais qui Ă©tait docile et plat Ă  souhait, ils n’ont pashĂ©sitĂ©, ils ont choisi le second. À son tour, celui-ci a dĂ©signĂ© les Kapos et lesBlockĂ€ltester et, forcĂ©ment, il les a pris dans son monde Ă  lui, c’est-Ă -dire parmi lesdroits communs.

Ce n’est que lorsque les camps ont pris un certain dĂ©veloppement qu’ils sontdevenus de vĂ©ritables centres ethnographiques et industriels et qu’il a vraiment falludes hommes d’une certaine qualitĂ© morale et intellectuelle pour apporter Ă  laS.S.FĂŒhrung une aide efficace. Cette derniĂšre s’est aperçue que les droits communsĂ©taient la lie de la population, au camp comme ailleurs, et qu’ils Ă©taient bien au-dessous de l’effort qu’on leur demandait. Alors les S.S. ont eu recours aux politiques.Un jour, il a fallu remplacer un LagerĂ€ltester vert par un rouge, lequel aimmĂ©diatement commencĂ© Ă  liquider, Ă  tous les postes, les verts au profit des rouges.Ainsi est nĂ©e la lutte qui prit rapidement un caractĂšre de permanence, entre les vertset les rouges. Ainsi s’explique-t-on aussi que les vieux camps, Buchenwald, Dachau,Ă©taient aux mains des politiques quand nous les avons connus, tandis que les jeunes,encore au stade du Straflager ou de l’Arbeitslager, Ă  moins de hasards miraculeux,Ă©taient toujours aux mains des verts.

On a essayĂ© de dire que cette lutte entre les verts et les rouges, qui ne dĂ©bordad’ailleurs que trĂšs tard le contingent allemand de la population des camps, Ă©tait lerĂ©sultat d’une coordination des efforts des seconds contre les premiers : c’est inexact.Les politiques mĂ©fiants les uns vis-Ă -vis des autres, dĂ©semparĂ©s, n’avaient entre euxque de trĂšs vagues et trĂšs tĂ©nus liens de solidaritĂ©. Mais du cĂŽtĂ© des verts, par contre,il en Ă©tait tout autrement : ils formaient un bloc compact, puissamment cimentĂ© par laconfiance instinctive [45] qui existe toujours entre gens du milieu, piliers de prisonsou gibier de potence. Le triomphe des rouges ne fut dĂ» qu’au hasard, Ă  l’incapacitĂ©des verts et au discernement des S.S.

On a dit aussi que les politiques — et surtout les politiques allemands —avaient constituĂ© des comitĂ©s rĂ©volutionnaires, tenant des assemblĂ©es dans les camps,

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y stockant des armes et mĂȘme correspondant clandestinement avec l’extĂ©rieur, oud’un camp Ă  l’autre : c’est une lĂ©gende. Il se peut qu’un bienheureux concours decirconstances ait, une fois par hasard, permis Ă  un individu de correspondre avecl’extĂ©rieur, ou avec un compagnon d’infortune d’un autre camp, Ă  la barbe de la S.S.FĂŒhrung : un libĂ©rĂ© qui va porter avec beaucoup de prĂ©cautions des nouvelles d’undĂ©tenu Ă  sa famille ou Ă  un ami politique, un nouvel arrivant qui fait l’opĂ©rationinverse, un transport qui vĂ©hicule des nouvelles d’un camp Ă  l’autre. Mais il Ă©taitextrĂȘmement rare, pendant la guerre du moins, qu’un dĂ©tenu soit libĂ©rĂ©, et quant auxtransports, personne dans le camp, mĂȘme pas le commun des S.S., ne connaissait leurdestination avant qu’ils y fussent rendus. On apprenait gĂ©nĂ©ralement qu’un transportayant eu lieu, il y avait quelques semaines ou quelques mois, s’était rendu Ă  Dora, ouEllrich, par des malades qui, par exception, en revenaient, par les morts le plussouvent, qu’on ramenait au camp pour y ĂȘtre incinĂ©rĂ©s, et sur la poitrine desquels onpouvait lire le numĂ©ro et la provenance. Dire que ces liaisons Ă©taient prĂ©mĂ©ditĂ©es,organisĂ©es, suivies, relĂšve de la plus haute fantaisie. Passons sur les stockagesd’armes : dans les derniers jours de Buchenwald, grĂące Ă  la pagaille, des dĂ©tenus ontpu dĂ©tourner des piĂšces disparates d’armes, et mĂȘme des armes complĂštes, sur lafabrication courante, mais de lĂ  Ă  avancer qu’il s’agissait d’une pratiquesystĂ©matisĂ©e, il y a le monde qui sĂ©pare le bon sens du ridicule. Passons Ă©galementsur les comitĂ©s rĂ©volutionnaires et les assemblĂ©es qu’ils tenaient ; j’ai bien ri quand,Ă  la libĂ©ration, j’ai entendu parler du comitĂ© des intĂ©rĂȘts français du camp deBuchenwald. Trois ou quatre braillards communistes ; Marcel Paul1 et le fameuxcolonel ManhĂšs en tĂȘte, qui avaient rĂ©ussi Ă  Ă©chapper aux transports d’évacuation,ont fait surgir ce comitĂ© du nĂ©ant aprĂšs le dĂ©part des S.S. et avant l’arrivĂ©e desAmĂ©ricains. Ils ont rĂ©ussi Ă  faire croire aux autres qu’il s’agissait d’un comitĂ© nĂ© delongue [46] date2, mais c’est une pure galĂ©jade et les AmĂ©ricains ne l’ont pas prise ausĂ©rieux. Leur premier travail, Ă  leur entrĂ©e au camp, a Ă©tĂ© de prier les trublions de setenir cois, la foule qui s’apprĂȘtait Ă  les Ă©couter, de rentrer docilement dans les Blocks,et tout le monde de se plier par avance Ă  une discipline de laquelle ils entendaientrester seuls maĂźtres. Ensuite de quoi ils se sont occupĂ©s des malades, duravitaillement et de l’organisation des rapatriements, sans mĂȘme vouloir prendreconnaissance des avis et des suggestions que quelques importants de la derniĂšreheure essayĂšrent en vain de faire monter jusqu’à eux. Ce fut aussi bien d’ailleurs : iln’en a coĂ»tĂ© qu’une leçon d’humilitĂ© Ă  Marcel Paul et un certain nombre de vies ontpu ĂȘtre sauvĂ©es.

Enfin, on a dit que les politiques, quand ils avaient la haute main sur la H-FĂŒhrung, Ă©taient plus humains que les autres. À l’appui on tire argument de

1 Stubendienst au block 56, puis au block 24.2 En fait de comitĂ© nĂ© de longue date, il n’y en eut qu’un dans tous les camps : une association

de voleurs et de pillards, verts ou rouges, dĂ©tenant des S.S. les leviers de commande, par surcroĂźt. À laLibĂ©ration, ils ont essayĂ© de donner le change et il faut convenir qu’ils ont rĂ©ussi dans une honnĂȘtemesure.

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Buchenwald : c’est exact1, Buchenwald Ă©tait Ă  notre arrivĂ©e un camp trĂšs supportablepour les indigĂšnes de l’endroit dĂ©finitivement soustraits Ă  la menace d’un transport.Mais il le devait plus au fait qu’il Ă©tait arrivĂ© au terme de son Ă©volution, qu’à celuid’avoir une H-FĂŒhrung politique. Dans les autres camps en retard sur lui, ladiffĂ©rence entre les rouges et les verts n’était pas sensible. Il eĂ»t pu se produire que lecontact des politiques moralisĂąt les droits communs : c’est le contraire qui est arrivĂ©et c’est les droits communs qui ont dĂ©voyĂ© les politiques. [47]

1 Encore qu’il y ait lieu de porter Ă  l’actif de ce camp les retentissants « abat-jour en peau de

dĂ©tenus » dont Ilse Koch, dite la chienne de Buchenwald reste seule, aujourd’hui, Ă  porter l’effroyableresponsabilitĂ© la femme du Lager-Kommandant se promenait-elle dans le camps Ă  la recherche desbeaux tatouages dont elle dĂ©signait elle-mĂȘme les malheureux propriĂ©taires Ă  la mort ? Je ne puis niconfirmer, ni infirmer. Je prĂ©cise cependant, qu’en fĂ©vrier-mars 1944, la rumeur concentrationnaireaccusait les deux Kapos du Steinbruch et du Gartnerei, de ce crime, jadis perpĂ©trĂ© par eux, avec lacomplicitĂ© de presque tous leurs « collĂšgues ». Les deux compĂšres avaient industrialisĂ© la mort desdĂ©tenus tatouĂ©s dont ils vendaient, contre de menues faveurs, les peaux Ă  Ilse Koch et Ă  d’autres, parl’intermĂ©diaire du Kapo et du S.S. de service au Krematorium. De sorte que, la thĂšse de l’accusation,si elle Ă©tait fondĂ©e, n’en serait pas moins assez fragile.

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CHAPITRE III

La barque de Charon

Notre prise en compte par Dora s’est faite dans les rĂšgles habituelles au milieu.Descente des wagons, course effrĂ©nĂ©e Ă  travers le fatras des matĂ©riaux, dans la

boue jusqu’aux chevilles, sous la neige fondante, les injures et menaces hurlĂ©es, lesaboiements, les coups.

TraversĂ©e du S.S. Lager : une cinquantaine de Blocks amĂ©nagĂ©s, pas dechemins pour aller de l’un Ă  l’autre, — des sentiers boueux Ă  travers champs.

L’entrĂ©e du H-Lager : deux Blocks en bois (tout est en bois), de chaque cĂŽtĂ©d’un cheval de frise qui s’ouvre devant nous. On nous compte.

– Zu fĂŒnf ! Zu fĂŒnf ! Mensch blöde Hund ! Pan, un coup de poing. Pan, un coupde gummi. Pan, un coup de pied.

De l’autre cĂŽtĂ© du cheval de frise, le camp lui-mĂȘme. Une dizaine de Blocks,une douzaine tout au plus, dissĂ©minĂ©s, posĂ©s lĂ , au hasard, sans qu’apparaisse aucuneintention coordinatrice. Au passage, nous pouvons lire de loin les numĂ©ros sur lesBlocks : 4, 35, 24, 104, 17.

– OĂč sont les Blocks intermĂ©diaires ?Une piste marquĂ©e d’une multitude de piĂ©tinements, part de l’entrĂ©e et monte

la colline sans qu’on puisse dire qu’elle conduit quelque part : on nous la fait prendreet nous arrivons au Gemeinde Abort (w.c. public) oĂč nous sommes parquĂ©s enattendant les ordres. Le Gemeinde Abort est un Block dans lequel il n’y a que dessiĂšges, des pissotiĂšres et des lavabos-bassins. ImpossibilitĂ© de s’asseoir ou des’étendre, interdiction de sortir. Nous sommes harassĂ©s. AffamĂ©s aussi. Vers dix-huitheures, une soupe, 300 g de pain, un bĂąton de margarine, une rondelle de saucisson.Nous remar[48]quons que les rations sont plus fortes qu’à Buchenwald. Un ventd’optimisme souffle sur nous :

– On travaillera, mais au moins on mangera, se confie-t-on de bouche Ă  oreille.Les gens Ă  brassard apparaissent Ă  vingt heures : une table est dressĂ©e, un

scribouillard s’installe. Un Ă  un, nous passons devant la table oĂč nous dĂ©clinons notrenumĂ©ro matricule, nos noms, prĂ©noms, professions. Les gens Ă  brassard sont desTchĂšques et des Polonais internĂ©s pour des dĂ©lits divers : ils ont la main lourde,alourdie encore par le gummi dont ils font un gĂ©nĂ©reux usage.

– Hier ist Dora ! Mensch ! Blöde Hund ! Et pan, pan !À minuit, les opĂ©rations sont terminĂ©es. Tout le monde dehors : nous faisons le

chemin en sens inverse, dans la nuit, cette fois, et toujours encadrĂ©s de Kapos et deS.S. Soudain, nous nous trouvons devant une immense excavation qui s’ouvre Ă  flancde colline : le Tunnel. Les deux Ă©normes battants de fer s’ouvrent : ça y est, nousallons ĂȘtre enterrĂ©s, car il ne vient Ă  personne l’idĂ©e que les battants de fer puissent Ă 

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nouveau s’ouvrir devant nous avant la libĂ©ration. Les horreurs que nous avonsentendues Ă  Buchenwald sur ce « souterrain », nous torturent l’esprit.

Nous entrons de plain-pied. Vision dantesque : dehors, c’était l’obscuritĂ© — Ă I’intĂ©rieur, c’est la pleine lumiĂšre. Deux voies ferrĂ©es parallĂšles d’un mĂštre : lestrains font donc la navette dans le centre du monstre. Une rame de wagons chargĂ©s etbĂąchĂ©s : les torpĂ©dos, les fameuses V1 et V2 — immenses obus plus longs que leswagons qui les portent. On dit qu’elles font 13 m de longueur et, au jugĂ© leurdiamĂštre dĂ©passe la hauteur d’un homme.

– Ça doit faire un drĂŽle de travail oĂč ça tombe !La discussion se met Ă  rouler sur le mĂ©canisme et le mode de lancement des

V1 et V2 dont nous entendons parler et que nous voyons pour la premiĂšre fois. À magrande stupĂ©faction, je m’aperçois qu’il y a parmi nous des gens trĂšs renseignĂ©s quisortent sur les engins en question, avec l’air le plus sĂ©rieux, des dĂ©tails trĂšs prĂ©cis,mais qui se rĂ©vĂ©leront dans la suite comme Ă©tant les plus fantaisistes bobards.

Nous nous enfonçons vers l’intĂ©rieur. De chaque cĂŽtĂ©, des bureaux, desanfractuositĂ©s amĂ©nagĂ©es en ateliers. Nous arrivons dans la partie du Tunnel qui estencore en gestation : des Ă©chafaudages, des hommes hĂąves, maigres et diaphanes(des ombres) juchĂ©s un peu partout, collĂ©s aux parois comme des chauve-souris,forent la roche. Au sol, les S.S. se promĂšnent, l’arme au poing, les Kapos hurlentdans les allĂ©es et [49] venues en tous sens de malheureux qui portent des sacs ouvĂ©hiculent des brouettes pleines de dĂ©blais. Le bruit des machines, — des cadavresallongĂ©s sur les bas-cĂŽtĂ©s.

Une anfractuositĂ© est amĂ©nagĂ©e en Block d’habitation : Stop ! À l’entrĂ©e, deuxtinettes et une quinzaine de cadavres. À l’intĂ©rieur, des hommes qui courent affolĂ©s,des bagarres individuelles ou collectives entre des rangĂ©es de chĂąlits Ă  trois, quatreou cinq Ă©tages. Parmi eux, graves et imposants, des Stubendienst qui essaient en vainde rĂ©tablir l’ordre. C’est lĂ  que nous devrons passer la nuit. Les Stubendienstinterrompent leur mission policiĂšre pour s’occuper de nous.

– Los ! Los ! Mensch ! Hier ist Dora !Les gummis entrent en danse, ou plutît changent seulement de cible. Le chef

de Block, un gros Allemand, regarde faire, l’Ɠil Ă  la fois amusĂ©, goguenard etmenaçant. Nous nous jetons tout habillĂ©s sur les paillasses qu’on nous indique.Enfin ! À l’aube, nous nous rĂ©veillons : toutes nos chaussures, et ce qui nous restaitde la distribution de vivres de la veille, ont disparu. Nos poches mĂȘmes sont vidĂ©esde leur contenu : nous admirons la dextĂ©ritĂ© des Russes qui ont rĂ©ussi ce pillagegĂ©nĂ©ral sans nous rĂ©veiller. À peine si deux ou trois se sont fait prendre en flagrantdĂ©lit : les victimes les ont conduits au chef de Block et ont Ă©tĂ© ramenĂ©es Ă  leurpaillasse Ă  coups de gummi par les Stubendienst complices.

– Hier ist Dora, mein Lieber !Nous sommes, c’est bien certain, tombĂ©s dans un repaire de brigands dont la

loi est celle de la jungle.DÚs le réveil, nous sommes remontés au jour. Nous respirons : nous ne

sommes donc pas encore enterrés définitivement. La matinée, nous la passons debout

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devant l’Arbeitstatistik Ă  piĂ©tiner dans la boue et dans la neige ; nous sommesfrigorifiĂ©s, et de nouveau nous avons faim. L’aprĂšs-midi, on nous rĂ©partit enkommandos : Fernand et moi, nous Ă©chouons au Strassenbauer 52 (Constructeurs deroutes). Tous de suite, on nous met au travail : jusqu’à l’appel, nous transportons, augalop, des sapins, du camp Ă  la gare.

À dix-huit heures, appel : il durera jusqu’à vingt-et-une heures.Vingt-et-une heures : direction le Block 35. Cette fois, nous avons la certitude

que nous ne serons pas enterrĂ©s au Tunnel, mais nous apprenons que pas mal d’entrenous ayant annoncĂ© des professions fantaisistes de spĂ©cialistes pour ĂȘtre employĂ©s enusine, y ont Ă©tĂ© envoyĂ©s et n’en [50] remonteront, selon toute probabilitĂ©, pas avantla libĂ©ration.

Le chef du Block 35 est TchĂšque, les Stubendienst aussi, par voie deconsĂ©quence. Le Block lui-mĂȘme est encore nu : nous dormirons entassĂ©s, Ă  mĂȘme leparquet, sans couverture, tout habillĂ©s. Au prĂ©alable, on nous distribue, dans uneindescriptible bousculade, un litre de soupe de rutabagas que nous mangeons debout :c’est tout ce que nous avons mangĂ© ce jour-lĂ .

À vingt-deux heures nous pouvons nous endormir avec cette autre certitudeque nous faisons maintenant partie intĂ©grante de Dora.

– Dora !


La premiÚre journée de travail.Quatre heures trente, un gong résonne par quatre fois dans cet embryon de

camp, les lumiùres du Block s’allument, les Stubendienst, gummi à la main, fontirruption dans la Schlafsaal.

– Aufstehen ! Aufstehen ! Los ! Waschen !Puis, sans transition :– Los, Mensch, Los, Waschen !Les deux cents hommes se lùvent comme un seul, traversent en cohue la

Esszimmer, nus jusqu’à la ceinture et arrivent dans l’entre-deux, Ă  la porte du lavabo,en mĂȘme temps que les deux cents de l’autre FlĂŒgel. Le lavabo peut contenir unevingtaine de personnes. À l’entrĂ©e, deux Stubendienst, le jet d’eau Ă  la main,endiguent cette invasion :

– Langsam, Langsam Langsam, Lumpe !Et en mĂȘme temps, le jet d’eau entre en action. Les malheureux reculent

Cependant, deux autres Stubendienst qui ont prévu le coup endiguent à leur tour lerepli :

– Los ! Los ! Schnell, Mensch ! Ich sage : waschen !Et les gummis s’abattent impitoyables sur les Ă©paules nues et maigres.Tous les matins ce sera la mĂȘme tragi-comĂ©die. Elle ne s’arrĂȘte pas lĂ ,

toutefois. AprĂšs la toilette, la distribution des vivres pour la journĂ©e : on passe Ă  laqueue leu leu, tenant Ă  la main la contre-marque remise au lavabo (on ne peuttoucher sa nourriture qu’aprĂšs avoir prouvĂ© qu’on s’est lavĂ©) et qu’on doit donner Ă un Stubendienst. Nouvelle et tout aussi inĂ©narrable bousculade. L’heure qui est

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accordĂ©e par le rĂšglement pour l’accomplissement de cette double formalitĂ© est vitepassĂ©e. [51]

Cinq heures trente : les Kapos chaudement emmitouflĂ©s sont sur la place del’Appel et y attendent l’arrivĂ©e de la masse humaine. La voilĂ  qui se prĂ©cipite verseux, venant de tous les Blocks, courant dans le matin glacial en finissant de s’habilleret en avalant la derniĂšre bouchĂ©e de la maigre part qui a Ă©tĂ© faite, dans la rationquotidienne pour le dĂ©jeuner. Les Kapos procĂšdent au rassemblement deskommandos, font l’appel de leurs hommes : les coups et les injures pleuvent. L’appelterminĂ©, les kommandos se mettent en branle Ă  un tour calculĂ©, en tenant compte dela distance Ă  laquelle ils vont travailler. Il y en a qui vont Ă  six et huit kilomĂštres : ilspartent les premiers. Viennent ensuite ceux qui n’ont qu’une heure de marche, puisceux qui n’ont qu’une demi-heure. Le Kommando 52 est Ă  20 minutes : il part Ă  sixheures quarante. À sept heures prĂ©cises, tout le monde est sur le lieu de son travail.Les kommandos du Tunnel sont rĂ©glĂ©s par un autre horaire : rĂ©veil Ă  sept heures dumatin pour l’équipe de jour et Ă  sept heures du soir pour celle de nuit, et tous lesprĂ©liminaires du travail ont lieu au Tunnel mĂȘme.

Sept heures : voici donc le Kommando 52 sur son chantier de terrassement, yarrivant, aprÚs avoir participé aux opérations de la toilette et de la distribution desvivres, fait le pied de grue en grelottant, les pieds dans vingt centimÚtres de boue,dans la position du Stillgestanden pendant une heure et dix minutes, franchi au pascadencé les quelque deux kilomÚtres qui le séparent du camp, épuisé déjà bien avantde commencer le travail.

Le travail : construire une route qui va de la gare au camp, en empruntant leflanc de la colline. Une ellipse de voie ferrĂ©e Decauville dont le plus grand diamĂštrepeut ĂȘtre de 800 m., est posĂ©e lĂ , en dĂ©clivitĂ©. Deux rames de huit wagons Ă  bennesbasculantes, traĂźnĂ©es par une locomotive Ă  pĂ©trole, font une sorte de circuit perpĂ©tuelsur les rails. Pendant que 32 hommes — quatre par wagon — chargent la rame qui setrouve au sommet, 32 autres dĂ©chargent celle qui se trouve au pied, en ayant soin demettre les dĂ©blais Ă  niveau. Quand la rame vide arrive au sommet, l’autre doitrepartir pleine : toutes les vingt minutes. GĂ©nĂ©ralement, le premier dĂ©part est assurĂ©dans le temps prescrit. Au deuxiĂšme, il y a des retards qui provoquent lesgrognements du Meister, du Kapo et des Vorarbeiter. Au troisiĂšme, la rame vide estdĂ©jĂ  lĂ  depuis cinq minutes et il en faudra bien encore cinq avant qu’elle soit prĂȘte Ă partir : le Meister sourit ironiquement et hausse les Ă©paules, le Kapo hurle et [52] lesVorarbeiter se ruent sur nous. Personne n’y coupe de sa raclĂ©e. Le retard s’augmentedu temps qu’il faut Ă  trois hommes pour en rosser trente-deux, et Ă  partir de cemoment, il ne se rattrapera plus, la machine est dĂ©rĂ©glĂ©e pour le reste de la journĂ©e.

Au quatriĂšme voyage, nouveau retard, nouvelles raclĂ©es. Au cinquiĂšme, Kapoet Vorarbeiter comprennent qu’il n’y a rien Ă  faire, et se lassent de frapper. Le soir,au lieu de trente-six voyages prĂ©vus Ă  raison de trois par heure, on arrive pĂ©niblementĂ  en totaliser quinze ou vingt.

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Midi : un demi-litre de cafĂ© chaud est distribuĂ© sur le lieu mĂȘme du travail. Onle boit debout en mangeant le reste du pain, de la margarine et du saucissondistribuĂ©s le matin.

Midi vingt : reprise du travail.L’aprĂšs-midi, le travail se traĂźne. Les hommes affamĂ©s et gelĂ©s ont tout juste la

force de se tenir debout. Le Kapo disparaĂźt, les Vorarbeiter s’amollissent, le Meisterlui-mĂȘme a l’air de comprendre qu’il n’y a rien Ă  tirer des loques humaines que noussommes et il laisse aller. On fait semblant de travailler : c’est aussi pĂ©nible, il faut sefrotter les mains, battre la semelle pour lutter contre le froid. De temps Ă  autre, unS.S. passe : les Vorarbeiter, aux aguets, le voient venir de loin et le signalent ; quandil arrive Ă  hauteur du kommando, tout le monde est effectivement Ă  sa tĂąche. Il lanceun mot au Meister :

– Wie geht’s ?Un haussement d’épaule dĂ©couragĂ© lui rĂ©pond :– Langsam, langsam. Sehr langsam ! Schauen Sie mal diese Lumpen : Was

machen mit ?1

Le S.S. hausse les épaules à son tour, grogne et passe, ou bien, selon sonhumeur, se répand en injures, distribue au hasard quelques coups de poing, menacede son revolver et quitte les lieux. Quand il est hors de portée, le kommando sedétend à nouveau :

– Aufpassen ! Aufpassen !2, dit le Meister, presque paternellement.Six heures du soir arrivent dans un relĂąchement gĂ©nĂ©ral :– Feierabend3, dit le Meister.Le Kapo, rĂ©apparu depuis quelques instants, reprend ses hommes en mains,

pour le rangement des outils, pousse [53] quelques hurlements qui stimulent lesVorarbeiter, distribue quelques coups : retour Ă  la discipline par la terreur.

Six heures quarante : le kommando par cinq prend la direction du camp au pascadencĂ©. À sept heures, rangĂ©s par block et non par kommando, nous attendons denouveau en grelottant, les pieds dans la boue, que ces messieurs aient fini de nouscompter : ça prend deux ou trois heures.

Entre huit et neuf heures, nous arrivons au Block. Un Stubendienst, son gummiĂ  la main, se tient Ă  l’entrĂ©e : il faut se dĂ©chausser, laver les Holzschuhe4, entrer enles tenant Ă  la main, et seulement s’ils ont Ă©tĂ© reconnus bien propres. Au passagedans la Esszimmer, il faut les dĂ©poser, bien en rangs, tendre sa gamelle dans laquelleun autre Stubendienst verse thĂ©oriquement un litre de soupe, manger debout et dansune bousculade sans nom. Ces diverses formalitĂ©s accomplies, un troisiĂšmeStubendienst vous autorise Ă  gagner le Schlafsaal oĂč vous vous laissez tomber en tassur le peu de paille qui a Ă©tĂ© apportĂ©e pendant la journĂ©e. Il est dix heures et demie.Nous sommes restĂ©s dix-sept Ă  dix-huit heures debout, sans la moindre possibilitĂ© de

1 Doucement, doucement, trùs doucement ! Regardez-moi un peu ces loques : qu’est-ce qu’on

peut faire avec ?2 Attention ! Attention !3 Journée terminée.4 Souliers de bois.

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nous asseoir, nous sommes fourbus, nous avons faim et nous avons froid. En nousendormant, nous pensons que le travail qui nous est imposé entre pour bien peu dansnotre fatigue.

Le lendemain, ça recommence Ă  partir de quatre heures trente : Pendant la nuit,les Russes ont volĂ© les Holzschuhe que nous avions si soigneusement alignĂ©s dans laEsszimmer, sur injonction des Stubendienst : il faut, en plus de la toilette et de ladistribution des vivres, en « organiser », une autre paire avant de se jeter en courant,en finissant de s’habiller et en avalant la derniĂšre bouchĂ©e du maigre dĂ©jeuner, dansla nuit et dans le froid, pour gagner la place de l’Appel oĂč les Kapos attendent.

Le lendemain et tous les jours : Ă  la fin de la semaine, nous sommes devenusles ombres de nous-mĂȘmes.

Il y a des kommandos plus mauvais que le nĂŽtre : le Ellrich-Kommando, leTransport-Eins, et tous les kommandos de transport, le Steinbruch, le Gartnerei

À l’autre extrĂ©mitĂ© du tunnel, on construit le camp d’Ellrich. Un kommandotrĂšs important, mille hommes environ, s’y rend tous les matins par un train de ballastqui [54] quitte la gare de Dora Ă  quatre heures trente : il y a cinq kilomĂštres Ă  faire. Àpied, il suffirait de partir Ă  cinq heures trente pour ĂȘtre au travail Ă  sept heures, maisce serait trop simple : les S.S. ont dĂ©cidĂ© de se montrer humains et d’épargner aukommando la fatigue de la marche puisqu’il Ă©tait possible d’emprunter le train. LeEllrich-Kommando est donc rĂ©veillĂ© Ă  trois heures : il fait sa toilette, touche sesrations et se trouve sur la place de l’Appel Ă  quatre heures. DĂ©part Ă  la gare. Le train,qui doit passer Ă  quatre heures trente n’a jamais moins d’une heure de retard : attente.À six heures au plus tĂŽt, six heures et demie au plus tard, arrivĂ©e Ă  Ellrich. Travauxde terrassement toute la journĂ©e. À dix-huit heures, arrĂȘt du travail. ThĂ©oriquement,on devrait prendre le train du retour Ă  dix-huit heures trente, mais, comme celui dumatin, il n’a jamais moins d’une heure de retard : re-attente. Vers vingt heures trente,dans le meilleur des cas, souvent vingt-et-une heures et mĂȘme vingt-deux heures,rentrĂ©e Ă  Dora. FormalitĂ©s d’entrĂ©e au block, lavage des chaussures, distribution de lasoupe. Vers vingt-trois heures, les gens d’Ellrich peuvent enfin s’allonger et dormir :cinq heures de sommeil et de nouveau rĂ©veil, rassemblement, dĂ©part, attente. Laronde des jours est impitoyable, la mesure d’humanisation que les S.S. croient oufeignent de croire avoir prise, se traduit par une torture supplĂ©mentaire : on est tuĂ©par le dĂ©placement avant de l’ĂȘtre par le travail. Ajouter Ă  cela que les Kapos duEllrich-Kommando sont des brutes parmi les brutes, que les coups pleuvent plus druque n’importe oĂč ailleurs, que le travail est extrĂȘmement et rigoureusement contrĂŽlĂ© :c’est le kommando de la mort, tous les soirs il ramĂšne des cadavres.

Commencent dans la mĂȘme forme et le mĂȘme temps que tout le monde : ilsdĂ©chargent des wagons et portent Ă  dos d’hommes de lourds matĂ©riaux de la gare autunnel, ou de la gare au camp. On les voit du matin au soir, tourner en chevaux decirque par quatre, transportant de larges panneaux de bois, par groupes de deux avecdes traverses de chemin de fer, par files de huit ou dix, avec des rails, par un avec dessacs de ciment. Ils tournent lentement, lentement, ployant sous le faix. Sans arrĂȘt : ils

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tournent. Ils tournent. Leur Kapo est un Polonais à triangle rouge, il va des uns auxautres en jurant, menaçant et frappant.

Le Gartnerei ou Kommando du jardin : chevaux de cirque comme ceux duTransport-Eins, mais ils vĂ©hiculent des [55] excrĂ©ments au lieu de matĂ©riel. Le Kapoest un vert, mĂȘmes mĂ©thodes que le Polonais du Transport-Eins, mĂȘmes rĂ©sultats.

Le Steinbruch, la fameuse carriĂšre de tous les camps : on extrait la pierre, on lamet sur wagons et on tire ou pousse les wagons chargĂ©s vers des endroits oĂč elle estcassĂ©e pour servir Ă  l’empierrement des rues du camp. Les gens du Steinbruch ont lamalchance supplĂ©mentaire de travailler Ă  flanc de coteau dans l’ouverture de lacarriĂšre : le moindre incident qui leur vaut une gifle les prĂ©cipite en bas oĂč ils setuent. Tous les jours, ils ramĂšnent des morts sur la place de l’Appel : quatre d’entreeux portent le cadavre chacun par un pied ou un bras. Ein, zwei, drei, vier, fait en tĂȘtele Kapo qui rythme la marche du kommando ; ploc, ploc, ploc, ploc, fait en queue latĂȘte du cadavre contre le sol. De temps Ă  autre, on entend dire dans le camp qu’unmalheureux du Steinbruch, ayant reçu un coup de poing, a basculĂ© et est tombĂ© dansle concasseur ou la bĂ©tonneuse qu’on n’a mĂȘme pas arrĂȘtĂ©s.

Il y a aussi des kommandos qui sont meilleurs : tous ceux qui composentl’administration du camp, le Lager-Kommando, le Holzhof, le Bauleitung, lesSchwunk.

À l’Effektenkammer, on tient la comptabilitĂ© des habits enlevĂ©s aux dĂ©tenus Ă leur entrĂ©e dans le camp et on les maintient en Ă©tat de propretĂ© : c’est de tout repos.C’est lucratif aussi : de temps en temps, on peut voler un pantalon, une montre, unstylo, qui sont une prĂ©cieuse monnaie d’échange contre de la nourriture. À laWascherei, on lave le linge dont les dĂ©tenus changent en thĂ©orie tous les quinzejours. On est Ă  l’abri, au chaud et on a aussi pas mal de facilitĂ©s de se procurer Ă manger. À la Schusterei, on rĂ©pare les souliers, Ă  Schneiderei, on rĂ©pare lesvĂȘtements et le linge dĂ©chirĂ©, Ă  la KĂŒche

Le meilleur Kommando est sans conteste celui de la cuisine ou KĂŒche. On nemarchande pas la mangeaille Ă  ceux qui en font partie et le travail n’est pas pĂ©nible.Ils ont d’abord la ration de tout le monde qu’ils touchent au Block avant de partir autravail. Sur le lieu mĂȘme du travail, ils touchent officiellement une rationsupplĂ©mentaire. Ensuite, chaque fois qu’entre-temps ils ont faim, ils peuvent prendredans les vivres qu’ils manipulent, et manger. Enfin, ils volent pour se procurer dutabac, des chaussettes, des vĂȘtements, des faveurs. Par surcroĂźt, ils sont exemptsd’appel. Ils ont la vie des cuisiniers au rĂ©giment. Il faut un certain piston pour arriverĂ  se faire intĂ©grer au KĂŒche-Kommando : les [56] Français n’y ont pas accĂšs, lesplaces Ă©tant rĂ©servĂ©es aux Allemands, aux TchĂšques et aux Polonais.

Dans le mĂȘme ordre, il y a l’Arbeitstatistik et les gens du Revier. Pas d’appelni pour les uns, ni pour les autres. Les coups ne sont pas d’usage. À l’Arbeitstatistik,on fait un travail de bureau, on mange Ă  sa faim parce que ceux qu’on a planquĂ©spaient en nature, on est bien habillĂ© par le mĂȘme moyen, on a du tabac Ă  volontĂ©. J’aiconnu deux Français qui avaient rĂ©ussi Ă  s’introduire Ă  l’Arbeitstatistik, tous lesautres Ă©taient des Allemands, des TchĂšques et des Polonais comme Ă  la cuisine.

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Au Revier, il y a les médecins, les Pfleger et les Kalifaktor ; les premiersdiagnostiquent, les seconds soignent, les autres maintiennent en état de propreté. Ensupplément, un tas de scribouillards, généralement anciens malades, mangent à leurfaim, ne travaillent pour ainsi dire pas, ne sont pas battus.

Vient ensuite le Lagerkommando, ou kommando d’entretien du camp. Y sontaffectĂ©s tous les gens reconnus de santĂ© dĂ©licate : en principe. En fait, tous lespistonnĂ©s, les lopettes des Kapos et Lagerschutz, ceux qui ont un ami influent auRevier ou Ă  la cuisine, ceux qui reçoivent de beaux colis. Le Lagerkommando fournittoutes les corvĂ©es de ramassage de papiers, de balayage, de pluches aux cuisines desS.S., des HĂ€ftling et des travailleurs libres des environs, alimente l’Altverwertung ousection de rĂ©cupĂ©ration des vieilles choses. Au dĂ©but, quand le camp Ă©tait encorepetit, quand le kommando Ă©tait Ă  sa mesure, c’était une planque trĂšs recherchĂ©e.Dans la suite, la situation n’y fut plus tenable que pour les pistonnĂ©s, leLagerkommando en Ă©tant arrivĂ© Ă  comprendre des centaines et des centainesd’individus, parmi lesquels on puisait pour complĂ©ter les kommandos dĂ©ficitaires enmatĂ©riel humain.

Deux autres kommandos sont encore recherchĂ©s : le Tabakfabrik et leZuckerfabrik. Ils vont tous deux travailler Ă  Nordhausen et sont transportĂ©s parcamions. Le soir, ils rentrent, les gens du premier, les poches pleines de tabac qu’ilsĂ©changent contre du pain ou des soupes, ceux du second gorgĂ©s de sucre. Dans lasuite, un troisiĂšme kommando fut affectĂ© aux abattoirs de Nordhausen, qui introduisitdans le camp le commerce de la viande.

Avoir un bon ou un mauvais kommando est une question de chance que desrelations Ă  l’Arbeitstatistik favorisent puissamment : la chasse au bon kommando estla prĂ©occupation de tous les dĂ©tenus et se fait en permanence avec [57] utilisation desarmes et des moyens les plus incompatibles avec la dignitĂ© humaine.

Les kommandos du Tunnel sont considĂ©rĂ©s Ă  la fois comme Ă©tant le meilleur etle pire. Ils sont groupĂ©s dans un kommando unique : Zavatsky, du nom du chefd’entreprise ayant le Tunnel en commandite.

Ils ont Ă  leur tĂȘte un Kapo gĂ©nĂ©ral — le grand Georges — ayant sous ses ordrestoute une Ă©quipe de Kapos encadrant les dĂ©tenus par spĂ©cialitĂ©s. Etre affectĂ© Ă  unkommando qui travaille dans une des quelque dix ou quinze usines abritĂ©es dans leTunnel, c’est la certitude de faire un travail lĂ©ger, d’ĂȘtre protĂ©gĂ© du vent, de la pluieet du froid. Et c’est trĂšs apprĂ©ciable. C’est la certitude aussi de couper aux appels : iln’y a pas d’appel pour les gens du Tunnel. Mais c’est aussi celle de ne jamaisremonter au jour, de respirer dans les galeries mal ou pas du tout aĂ©rĂ©es, les miasmesde tous ordres, la poussiĂšre pendant des mois et des mois, et risquer de mourir avantla libĂ©ration. Tandis qu’à la terrasse, on travaille par tous les temps : qu’il pleuve,qu’il neige, qu’il vente, par un soleil de plomb, comme par l’orage, jamais onn’arrĂȘte le travail. Mieux : les appels eux-mĂȘmes ne sont ni supprimĂ©s, ni Ă©courtĂ©s.Par temps de pluie, il nous est arrivĂ©, pendant quinze jours, trois semaines, de ne pas

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pouvoir sĂ©cher les guenilles qui nous servaient de vĂȘtements : le soir, en rentrant auBlock, on les mettait sous la paille ou la paillasse, dans l’espoir que la chaleur ducorps arriverait Ă  vaincre l’humiditĂ©, et le lendemain matin, on les enfilait chaudsmais mouillĂ©s et on s’enfonçait Ă  nouveau dans la pluie. La pneumonie simple oudouble rĂ©gnait Ă  l’état endĂ©mique chez les gens de la terrasse et en conduisaitbeaucoup au KrĂ©matorium, mais du moins on vivait au grand air. Et, pendant la bellesaison L’opinion Ă©tait partagĂ©e entre le dĂ©sir de travailler au Tunnel et celui de resterĂ  la terrasse.

– Il faudrait pouvoir s’enfiler au Tunnel pour l’hiver et remonter pour l’étĂ©, medisait Fernand.

C’était Ă©videmment impossible et je n’étais pas sĂ»r qu’éventuellement c’eĂ»t Ă©tĂ©une bonne solution.

Ce qu’on appelait le Tunnel, c’était un systĂšme de deux galeries parallĂšlestraversant la colline de part en part. À une extrĂ©mitĂ©, il y avait Dora, et Ă  l’autre, sonenfer, Ellrich. Ces deux galeries principales, de chacune 4 Ă  5 kilomĂštres delongueur, Ă©taient reliĂ©es par une cinquantaine [58] de galeries transversales ou hallsde 200 m environ de longueur et de 8 m sur 8 m de section. Chacun des halls abritaitune usine. En avril 1945, le Tunnel Ă©tait terminĂ©, au point, et, n’eĂ»t Ă©tĂ© le sabotage,eĂ»t pu donner le maximum de rendement. On estime qu’à ce moment il totalisait 13 Ă 15 km de galeries creusĂ©es et amĂ©nagĂ©es contre les 7 Ă  8 qui existaient en aoĂ»t 1943,au moment de la naissance de Dora : ces deux chiffres donnent la mesure de l’effortqui a Ă©tĂ© imposĂ© aux dĂ©tenus. Encore faut-il tenir compte que les deux camps rĂ©unisde Dora et d’Ellrich n’ont jamais pu mettre au travail un effectif supĂ©rieur Ă  15 000hommes, lesquels devaient en outre monter les baraques et produire chacun unnombre donnĂ© de V1, de V2, de moteurs ou de carcasses d’avions et d’armessecondaires. Que si on veut par ailleurs Ă©tablir le prix de revient de ce travail, onajoute aux francs ou aux marks les 20 Ă  25 000 vies humaines qu’il a coĂ»tĂ©es enmoins de deux annĂ©es.

Tous les jours, deux fois donc, Ă  7 heures du matin et Ă  7 heures du soir, leskommandos du Tunnel, qui dorment dans les galeries ou portions de galeriesamĂ©nagĂ©es en blocks, sont rĂ©veillĂ©s par moitiĂ©. Ils disposent de moins d’eau, parconsĂ©quent l’hygiĂšne est plus dĂ©fectueuse, puces et poux sont Ă  leur aise.

À 9 heures du matin et à 9 heures du soir, selon la Schicht à laquelle ilsappartiennent, ils sont au travail.

Il y a aussi de mauvais kommandos au Tunnel : ceux qui forent les galeries,sont affectĂ©s au transport du matĂ©riel et des dĂ©blais. Ceux-lĂ  sont de vĂ©ritablesforçats qui meurent comme des mouches, les poumons empoisonnĂ©s par la poussiĂšreammoniacale, victimes de la tuberculose. Mais la plupart sont bons. La taylorisationest poussĂ©e Ă  l’extrĂȘme : un kommando passe son temps, assis devant des perceuses,Ă  pousser les unes aprĂšs les autres des piĂšces sous la mĂšche ; un autre vĂ©rifie desgyroscopes ; un troisiĂšme, des contacts Ă©lectriques ; un quatriĂšme lisse des tĂŽles ; uncinquiĂšme est composĂ© de tourneurs ou d’ajusteurs. Il y en a enfin qui ne sont nibons, ni mauvais : ceux qui montent les V1 et V2. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale le

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rendement est faible : on emploie dix hommes qui travaillent contre leur grĂ© oĂč ilsuffirait d’un ou de deux qui soient de bonne volontĂ©. Le plus pĂ©nible consiste Ă  fairetoujours semblant de travailler, Ă  ĂȘtre debout continuellement, Ă  prendre des airsaffairĂ©s, et surtout Ă  vivre dans ce bruit et dans ces miasmes, ne recevant d’air del’extĂ©rieur que parcimonieusement par de mauvaises et trop peu nombreusescheminĂ©es d’aĂ©ration. [59]

Vers la mi-mars, sur la demande de Zavatsky, lequel voulait supprimer une descauses essentielles Ă  ses yeux du mauvais rendement, on commença de remonter aujour les kommandos du Tunnel pour leur faire manger la soupe au camp au lieu de laleur descendre. À fin avril, dĂ©but mai, l’équipe de la terrasse avait mis sur pied Ă  peuprĂšs tous les blocks prĂ©vus jusqu’au numĂ©ro 132 : on dĂ©cida de ne plus faire coucherpersonne au Tunnel, tous les kommandos remontĂšrent et ne descendirent dĂ©sormaisplus que pour travailler, c’est-Ă -dire 12 heures par jour.

Pour ĂȘtre complet, il faut dire que des civils sont aussi employĂ©s dans lesdiverses usines du Tunnel. En avril 1945, ils sont six Ă  sept mille : des Allemands quisont Meister, des S.T.O. ou des volontaires venus de toutes les nations d’Europe. Ilssont, eux aussi, groupĂ©s en kommandos, ils vivent dans un camp Ă  2 km de Dora, ilsfont dix heures par jour, ils touchent de hauts salaires et une nourriture peu variĂ©e,mais saine et abondante. Enfin, ils sont libres dans un rayon de 30 km : au-delĂ , illeur faut un papier spĂ©cial. Parmi eux, il y a beaucoup de Français qui se tiennent Ă distance de nous et dans les yeux desquels on lit continuellement la peur qu’ils ont departager un jour notre sort.

31 mars 1944. Depuis une huitaine de jours, les Kapos, les Lagerschutz et leschefs de Blocks sont particuliĂšrement Ă©nervĂ©s, plusieurs dĂ©tenus sont morts sous lescoups : on a trouvĂ© des poux, non seulement au Tunnel mais dans les Kommandos del’extĂ©rieur et la S.S. FĂŒhrung a rendu la H-FĂŒhrung responsable de cet Ă©tat de choses.Par surcroĂźt, il a fait toute la journĂ©e un temps Ă©pouvantable : le froid est plusrigoureux qu’à l’accoutumĂ©e, et une pluie glaciale entremĂȘlĂ©e de giboulĂ©es esttombĂ©e sans arrĂȘt. Le soir, nous arrivons sur la place de l’Appel, gelĂ©s, trempĂ©s, etaffamĂ©s Ă  un point qu’on ne saurait dire : pourvu que l’appel ne soit pas trop long !Malheur : Ă  10 heures du soir nous sommes encore debout sous les giboulĂ©es Ă attendre le Abtreten1 qui nous libĂ©rera. Enfin, ça y est, c’est fini, nous allons pouvoirmanger en hĂąte la soupe chaude et nous laisser tomber dans la paille. Nous arrivonsau Block : nettoyage des chaussures, puis, nous maintenant dehors du geste, le chefde Block, debout dans l’encadrement de la porte, nous [60] fait un discours. Il nousannonce que, comme on a trouvĂ© des poux, tout le camp va ĂȘtre dĂ©sinfectĂ© Çacommence ce soir : cinq Block parmi lesquels le 35 ont Ă©tĂ© dĂ©signĂ©s pour passer Ă l’EntlaĂŒsung2 cette nuit. En consĂ©quence, ce soir, nous ne mangerons la soupe

1 Rompez les rangs !2 Exact.

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qu’aprĂšs l’opĂ©ration. Il nous indique les formalitĂ©s auxquelles nous devons noussoumettre, et passe Ă  l’exĂ©cution.

– Alles da drin ! Nous entrons dans la Esszimmer nos chaussures Ă  la main.– Ausziehen ! Nous nous dĂ©shabillons, mettons nos vĂȘtements en paquet, le

numĂ©ro apparent.– Zu fĂŒnf ! Nous sommes effrayĂ©s.– Zu fĂŒnf ! Nous exĂ©cutons. Les Stubendienst portant nos vĂȘtements dans des

couvertures, nous encadrent et, tout nus, dans le froid, sous la pluie et la neige, nousprenons la direction du bĂątiment oĂč nous allons ĂȘtre dĂ©sinfectĂ©s : il y a huit centsmĂštres environ Ă  franchir.

Nous arrivons. Les quatre autres Blocks, nus comme nous, se pressent dĂ©jĂ  Ă l’entrĂ©e : nous sentons la mort descendre parmi nous. Combien de temps cela va-t-ildurer ? Nous sommes lĂ  un millier environ, tout nus, grelottant dans le froid mouillĂ©de la nuit qui nous pĂ©nĂštre jusqu’aux os, Ă  nous presser contre les portes. Pas moyend’entrer. On ne peut passer que quarante par quarante. Des scĂšnes atroces seproduisent. On veut d’abord forcer l’entrĂ©e : les gens de l’EntlaĂŒsung nouscontiennent avec la lance Ă  eau. Alors on veut retourner au Block pour y attendre sontour : impossible, les Lagerschutz, gummi Ă  la main, nous ont encerclĂ©s. Il faut resterlĂ , coincĂ©s entre la lance Ă  eau et le gummi, arrosĂ©s et frappĂ©s. Nous nous serrons lesuns contre les autres. Toutes les dix minutes, quarante sont admis Ă  entrer dans unebousculade effroyable qui est une vĂ©ritable lutte contre la mort. On joue des coudes,on se bat, les plus faibles sont impitoyablement piĂ©tinĂ©s et on retrouvera leurscadavres Ă  l’aube. Vers deux heures du matin, je rĂ©ussis Ă  pĂ©nĂ©trer Ă  l’intĂ©rieur,Fernand derriĂšre moi au tour que j’ai conquis : coiffeur, crĂ©syl, douche. À la sortie,on nous donne une chemise et un caleçon dans lesquels nous nous lançons dans lanuit pour le retour au Block. J’ai l’impression d’accomplir un vĂ©ritable acted’hĂ©roĂŻsme. Nous arrivons au Block. Nous entrons dans la Esszimmer oĂč unStubendienst nous tend nos habits qui sont revenus de la dĂ©sinfection, avant nous. Lasoupe et au lit. [61]

Au rĂ©veil, la sinistre comĂ©die se termine Ă  peine. La moitiĂ© au moins du Blockn’est revenue que tout juste pour s’habiller, manger sa soupe, toucher la rationquotidienne et bondir sur la place de l’Appel pour se rendre au travail. Et il y a desmanquants : ceux qui sont morts pendant l’accomplissement mĂȘme de ce mauvaiscoup. D’autres n’y ont survĂ©cu que quelques heures ou deux Ă  trois jours et ont Ă©tĂ©emportĂ©s par la presque inĂ©vitable congestion pulmonaire consĂ©cutive : l’opĂ©ration avraisemblablement tuĂ© autant d’hommes que de poux.

Ce qui s’est passĂ© ?La S.S. FĂŒhrung s’est bornĂ©e Ă  dĂ©cider la dĂ©sinfection Ă  raison de cinq Blocks

par jour et la H-FĂŒhrung a Ă©tĂ© laissĂ©e maĂźtresse, entiĂšrement maĂźtresse, des modalitĂ©sd’application. Elle eĂ»t pu prendre la peine d’établir un horaire, un tour par Block : Ă 11 heures le 35, Ă  minuit le 24, Ă  1 heure le 32, etc. Les chefs de Blocks eussent pu,dans le cadre de cet horaire, nous envoyer par groupes de cent Ă  vingt minutes

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d’intervalle par exemple et, tout habillĂ©s, ce qui constituait dĂ©jĂ  quelque chosed’assez pĂ©nible aprĂšs la journĂ©e de travail. Mais non : c’était trop simple.

Et au lieu de cela ?Les événements de la nuit du 31 mars étant venus aux oreilles de la S.S.-

FĂŒhrung, celle-ci Ă©tablit elle-mĂȘme un horaire prĂ©cis, dĂšs le lendemain, pour lesBlocks qui restaient Ă  dĂ©sinfecter.

2 avril 1944 : PĂąques. La S.S.-FĂŒhrung a dĂ©cidĂ© 24 heures de repos qui neseront troublĂ©es que par un appel gĂ©nĂ©ral, c’est-Ă -dire auquel le Tunnel participeratout comme la terrasse. Le temps est magnifique : un soleil radieux dans un ciel puret serein. Joie : les Dieux sont avec nous !

Lever à 6 heures au lieu de 4 h 30 : toilette, distribution des vivres au ralenti,répit.

9 heures : tous les kommandos sont au Stillgestanden sur la place. LesLagerschutz circulent entre les groupes, les chefs de Block sont Ă  leur poste. LeLagerĂ€ltester bavarde familiĂšrement avec le RapportfĂŒhrer. Il a un papier Ă  la main :la situation dĂ©taillĂ©e des effectifs du camp Ă©tablie par l’Arbeitstatistik. Une trentainede S.S., casquĂ©s, Ă©tuis Ă  revolver, sont massĂ©s Ă  l’entrĂ©e du camp : les BlockfĂŒhrer.Tout semble devoir bien se passer.

Un coup de sifflet : les BlockfĂŒhrer se dirigent en Ă©ventail, [62] chacun vers leBlock qu’il a pour mission de contrĂŽler. Chacun compte et confronte le rĂ©sultat qu’ila constatĂ© avec la situation des effectifs du Block que lui tend, aprĂšs coup, le chef deBlock.

– Richtig1

Un Ă  un les BlockfĂŒhrer viennent rendre compte au RapportfĂŒhrer qui attend,crayon en main, et qui inscrit les rĂ©sultats au fur et Ă  mesure qu’ils lui arrivent.

Aucune note discordante, ça ne durera pas longtemps : les S.S. veulent profiterde ce dimanche, ils font vite. Nous exultons : un jour de repos, rien Ă  faire, manger sasoupe et aller s’étendre au soleil.

Minute : le total obtenu par le RapportfĂŒhrer ne concorde pas avec le chiffrefourni par l’Arbeitstatistik, il y a 27 hommes en moins sur la place de l’Appel que surle papier. ProblĂšme : que sont-ils devenus ?

Le Kapo de l’Arbeitstatistik est mandĂ© d’urgence. Il est priĂ© de refaire sestotaux sur le champ. Une heure aprĂšs, il revient : il a trouvĂ© le mĂȘme chiffre.

Peut-ĂȘtre, alors les S.S. se sont-ils trompĂ©s : on recompte une nouvelle fois etle RapportfĂŒhrer trouve encore le mĂȘme chiffre.

On fouille les Blocks, on fouille le Tunnel : on ne trouve rien.Il est midi. Les quelque dix mille détenus sont toujours sur la place à attendre

que l’Arbeitstatistik et la S.S.-FĂŒhrung tombent d’accord. On commence Ă  trouver letemps long, les uns s’évanouissent, ceux dont c’est le tour de mourir tombent pour neplus se relever, les dysentĂ©riques font dans leurs culottes, les Lagerschutz sentent le

1 Exact.

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relñchement venir et se mettent à frapper. Les S.S. dont le dimanche est compromissont furieux : soudain, ils prennent le parti d’aller manger, mais nous, nous restonslà. À 14 heures, ils reviennent.

Soudain, le Kapo de l’Arbeitstatistik arrive en courant : il a trouvĂ© un nouveauchiffre. Un murmure d’espoir monte de la masse. Le RapportfĂŒhrer se penche sur lenouveau chiffre et entre dans une violente colĂšre : il manque encore huit hommes. LeKapo de l’Arbeitstatistik repart. Il revient Ă  16 heures : il ne manque plus que cinqhommes. À vingt heures, il n’en manque plus qu’un et nous sommes toujours lĂ ,pĂąles, dĂ©faits, harassĂ©s par onze heures de station debout, le ventre creux : les S.S.dĂ©cident de nous envoyer manger. [63]

Nous partons : derriĂšre nous, le Toten-kommando ramasse une trentaine demorts.

À 21 heures, on recommence pour trouver le manquant : Ă  23 h 45, aprĂšsdiverses opĂ©rations, ce manquant est Ă  son tour trouvĂ©, la S.S.-FĂŒhrung etl’Arbeitstatistik sont d’accord. Nous rentrons au Block et nous pouvons aller nouscoucher, laissant encore une dizaine de morts derriĂšre nous.

Vous avez maintenant l’explication de la longueur des appels : les gensemployĂ©s Ă  l’Arbeitstatistik, illettrĂ©s ou quasi, ne sont devenus comptables que par lafaveur et sont incapables de dresser du premier coup une situation exacte deseffectifs. Le camp de concentration est un monde oĂč la place de chacun estdĂ©terminĂ©e par son entregent et non par ses capacitĂ©s : les comptables sont employĂ©scomme maçons, les charpentiers sont comptables, les charrons mĂ©decins et lesmĂ©decins ajusteurs, Ă©lectriciens ou terrassiers.

Tous les jours, un wagon de dix tonnes, plein de colis venant de toutes lesnations de l’Europe occidentale, sauf de l’Espagne et du Portugal, arrivait en gare deDora : Ă  quelques rares exceptions prĂšs, ces colis Ă©taient intacts. Cependant aumoment de la remise Ă  l’intĂ©ressĂ© ils Ă©taient totalement ou aux trois quarts pillĂ©s.Dans de nombreux cas, on ne recevait que l’étiquette accompagnĂ©e de lanomenclature du contenu, ou d’un savon Ă  barbe, ou d’une savonnette, ou d’unpeigne, etc. Un kommando de TchĂšques et de Russes Ă©tait affectĂ© au dĂ©chargementdu wagon. De lĂ , on conduisait les colis Ă  la Poststelle oĂč les Schreiber etStubendienst de chaque Block venaient en prendre livraison. Puis le chef de Blockles remettait lui-mĂȘme Ă  l’intĂ©ressĂ©. C’est sur ce parcours limitĂ© qu’ils Ă©taient pillĂ©s.

Le mĂ©canisme du pillage Ă©tait simple. D’abord, c’était surtout les colis françaisrĂ©putĂ©s pour la richesse de leur contenu qui en faisaient les frais. Sur le lieu mĂȘme dudĂ©chargement, le wagon Ă©tait ouvert par le Kapo du kommando, sous les yeux d’unS.S. chargĂ© du contrĂŽle des opĂ©rations. Le colis passait en trois mains : du wagon, unTchĂšque le lançait Ă  un Russe Ă  terre qui devait l’attraper au vol et le relancer Ă  unautre Russe ou Ă  un autre TchĂšque, lequel avait pour mission de le ranger sur lavoiture. De temps en temps, le Russe du wagon disait « Franzous » [64] et leTchĂšque Ă©cartait les mains : le colis tombait Ă  terre oĂč il s’écrasait, son contenu se

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rĂ©pandait sur le sol et Russes et TchĂšques s’emplissaient les poches ou la musette. Siquelque chose du colis Ă©ventrĂ© lui plaisait, le S.S. tendait la main, et ainsi Ă©taitachetĂ©e sa complicitĂ©.

La voiture pleine, tirĂ©e par six hommes, s’ébranlait en direction de laPoststelle ; sur ce premier parcours, nombre de colis disparaissaient ou Ă©taientĂ©ventrĂ©s Ă  leur tour.

Le rĂšglement prescrivait qu’à la Poststelle, les colis devaient ĂȘtreminutieusement fouillĂ©s et que devaient en ĂȘtre retirĂ©s les mĂ©dicaments, le vin, lesalcools, les armes ou objets divers pouvant ĂȘtre utilisĂ©s comme armes. Cette fouilleofficielle Ă©tait faite par une Ă©quipe de dĂ©tenus, Allemands ou Slaves, sous lasurveillance de deux ou trois S.S. : nouveau prĂ©lĂšvement. Les S.S. eux-mĂȘmes selaissaient tenter par un morceau de lard, une tablette de chocolat dont la petite amieavait envie, un paquet de cigarettes, un briquet : ils s’assuraient le silence des dĂ©tenusen fermant les yeux sur les vols qu’ils commettaient.

De la Poststelle au Block, les Schreiber et Stubendienst s’arrangeaient poureffectuer un troisiĂšme prĂ©lĂšvement et, Ă  la fin de la course, il y avait le chef de Blockqui effectuait le quatriĂšme et dernier, aprĂšs quoi, il remettait le reste Ă  l’intĂ©ressĂ©.

La cĂ©rĂ©monie de la remise Ă  l’intĂ©ressĂ© avait quelque chose de grotesque. LedĂ©tenu Ă©tait appelĂ© par son numĂ©ro et invitĂ© Ă  se rendre auprĂšs du chef de Block. Surle bureau de celui-ci, il y avait son colis ouvert et inventoriĂ©. Au pied du bureau unegrande corbeille surmontĂ©e d’une pancarte : « SolidaritĂ€t ». Chaque dĂ©tenu Ă©taitmoralement obligĂ© de laisser tomber un peu de ce qu’il recevait pour ceux qui nerecevaient jamais rien, notamment les Russes et les Espagnols, les enfants, lesdĂ©shĂ©ritĂ©s de toutes nationalitĂ©s qui n’avaient pas de parents ou dont les parentsignoraient l’adresse, etc. En thĂ©orie, car en pratique le chef de Block, aprĂšs chaquedistribution, s’appropriait purement et simplement ce qui Ă©tait tombĂ© dans lacorbeille et le partageait avec son Schreiber et les Stubendienst.

AprĂšs chaque arrivage, les S.S., les Kapos, les Lagerschutz, les BlockĂ€ltester,tout ce qui avait un grade quelconque dans la S.S.-FĂŒhrung ou dans la H-FĂŒhrung,Ă©taient abondamment pourvus de produits français, ce qui m’avait persuadĂ© que lespillages Ă©taient le fait d’une bande organisĂ©e.

Je reçu mon premier colis le 4 avril 1944 ; il manquait tout le linge, unetablette de chocolat, je crois, et une boĂźte [65] de conserve, mais il restait troispaquets de cigarettes, un bon kilo de lard, une boĂźte de beurre et diverses autresmenues denrĂ©es comestibles. Nous avions changĂ© de Block l’avant-veille, nousĂ©tions au 11 et notre chef de Block Ă©tait un Allemand Ă  Ă©cusson noir. Je lui demandaice qui lui ferait plaisir :

– Nichts, geh mal !1

RĂ©solument, je lui tendis un paquet de cigarettes puis, montrant la corbeille de« SolidaritĂ€t », je l’interrogeai des yeux :

– Brauch nicht ! Geh mal, blöde Kerl !2

1 Rien, file !2 Pas la peine ! Va-t-en donc, sot voyou !

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J’avais misĂ© juste. Le surlendemain, j’étais de nouveau appelĂ© : j’avais troiscolis cette fois. De l’un d’eux, il ne restait que l’étiquette, mais les deux autresĂ©taient Ă  peu prĂšs intacts : dans l’un, un Ă©norme morceau de lard.

– Dein Messer, dis-je au chef de Block.J’en coupe la bonne moitiĂ© que je lui tends, puis je m’en vais sans mĂȘme

demander si je devais laisser quelque chose Ă  la « SolidaritĂ€t ». Il me regardem’éloigner en Ă©carquillant les yeux : les Français avaient la rĂ©putation que d’ailleursils justifiaient, d’ĂȘtre jaloux de leurs colis et peu gĂ©nĂ©reux. Soudain, il me rappelle :

– Dein Nummer ?Il inscrit, puis :– Höre mal, Kamerad, deine Paketten werden nie mehr gestollen werden, me

dit-il. Das sage ich. Geh mal jetzt !En effet, Ă  partir de ce jour, mes colis m’ont tous Ă©tĂ© remis et Ă  peu prĂšs

intacts : le chef de Block avait fait passer mon numĂ©ro aux diffĂ©rents stades de ladĂ©valisation, intimant l’ordre de « ne pas y toucher ». C’est Ă  cela que je dois d’avoirla vie sauve car, les colis venus de France, outre l’appoint qu’ils apportaient Ă  lanourriture du camp, Ă©taient une prĂ©cieuse monnaie d’échange avec laquelle onpouvait se procurer des exemptions de travail, des vĂȘtements supplĂ©mentaires, desplanques. Ils m’ont permis Ă  moi de passer Ă  l’infirmerie une huitaine de mois qued’autres, tout aussi malades, ont passĂ©s Ă  une gymnastique dont ils sont morts

À propos des colis, il s’est passĂ© un autre phĂ©nomĂšne tragique : la plupart desFrançais, mĂȘme de famille trĂšs aisĂ©e, en recevaient un au trois quarts pillĂ©, puis plusrien. C’est Ă  la libĂ©ration que j’ai eu l’explication : Ă  l’arrivĂ©e au [66] camp, lesdĂ©tenus Ă©crivaient une fois Ă  leur famille, en prĂ©cisant qu’ils avaient le droit d’écriredeux fois par mois. La famille envoyait un colis et, comme c’était le premier, avantd’envoyer le second, elle attendait d’avoir l’accusĂ© de rĂ©ception qui ne venait jamais,car hormis la premiĂšre, une sur dix seulement des lettres que nous Ă©crivions arrivait Ă destination. Au camp, le dĂ©tenu qui Ă©crivait rĂ©guliĂšrement se demandait ce qui sepassait, et pendant qu’il mourait d’inanition, en France, sa famille Ă©tait persuadĂ©e quece n’était pas la peine de lui envoyer un second colis : puisqu’il n’avait pas accusĂ©rĂ©ception du premier, sĂ»rement il Ă©tait mort. Ma femme qui m’envoya rĂ©guliĂšrementun colis tous les jours m’a dit qu’elle ne le faisait que par acquit de conscience etcontre toute espĂ©rance, ma mĂšre elle-mĂȘme ayant rĂ©ussi par ce raisonnement Ă  lapersuader qu’elle les envoyait Ă  un mort et qu’en plus du deuil certain, c’était bien del’argent perdu.

Le 1er juin 1944, le camp est mĂ©connaissable.Depuis le 15 mars, deux convois n’ont cessĂ© d’arriver (de huit cents, de mille,

de mille cinq cents), une ou deux fois par semaine, et la population est montĂ©e aenviron quinze mille unitĂ©s. Si elle n’a pas dĂ©passĂ© ce chiffre, c’est que la mort afauchĂ© dans une proportion trĂšs voisine de la totalitĂ© des arrivages : tous les jours,cinquante Ă  quatre-vingts cadavres ont pris la direction du Krematorium. La H-

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FĂŒhrung comprend Ă  elle seule le dixiĂšme de la population du camp : quatorze Ă  dix-huit cents planquĂ©s, omnipotents et pleins de leur importance rĂšgnent sur le vulgumpecus en fumant des cigarettes, en mangeant des soupes et en buvant de la biĂšre Ă volontĂ©.

On en est Ă  monter le Block 141, qui est destinĂ© Ă  devenir le Theater-Kino et leBordel est prĂȘt Ă  recevoir des femmes. Tous les Blocks, gĂ©omĂ©triquement etagrĂ©ablement disposĂ©s dans la colline, sont reliĂ©s entre eux par les rues bĂ©tonnĂ©es :des escaliers de ciment et Ă  rampe conduisent aux Blocks les plus Ă©levĂ©s ; devantchacun d’eux des pergolas, avec plantes grimpantes, de petits jardinets avec pelousesde fleurs, — par-ci, par-lĂ , de petits ronds-points avec jet d’eau ou statuette, La placede l’Appel, qui couvre quelque chose comme un demi-kilomĂštre carrĂ©, estentiĂšrement pavĂ©e, propre Ă  n’y pas perdre une Ă©pingle.

Une piscine centrale avec plongeoir, un terrain de sport, de frais ombrages Ă portĂ©e du dĂ©sir, un vĂ©ritable camp pour colonies de vacances, et n’importe quelpassant qui serait admis Ă  le visiter en l’absence des dĂ©tenus en sortirait persuadĂ©qu’on y mĂšne une vie agrĂ©able, pleine de poĂ©sie sylvestre et particuliĂšrementenviable, en tout cas hors de toute commune mesure avec les alĂ©as de la guerre quisont le lot des hommes libres. Les S.S. ont autorisĂ© la crĂ©ation d’un kommando de lamusique. Tous les matins et tour les soirs, une clique d’une trentaine d’instruments Ă vent soutenus par une grosse caisse et des cymbales, rythme la cadence deskommandos qui vont au travail ou en reviennent. Dans la journĂ©e, elle s’exerce etassourdit le camp des plus extraordinaires accords. Le dimanche aprĂšs-midi, elledonne des concerts dans l’indiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale, pendant que les planquĂ©s jouent aufootball ou font les acrobates au plongeoir.

Les apparences ont changĂ©, mais la rĂ©alitĂ© est restĂ©e la mĂȘme. La H-FĂŒhrungest toujours ce qu’elle Ă©tait : les politiques s’y sont introduits en nombre apprĂ©ciableet les dĂ©tenus, au lieu d’ĂȘtre brutalisĂ©s par les droits communs, le sont par lescommunistes ou soi-disant tels. Tout individu touche rĂ©guliĂšrement un salaire : deuxĂ  cinq marks par semaine. Ce salaire est encaissĂ© par la H-FĂŒhrung qui le distribue engĂ©nĂ©ral le samedi soir sur la place de l’Arbeitstatistik, mais en procĂ©dant de tellesorte, en organisant de telles cohues que manifester la prĂ©tention de le toucherĂ©quivaut Ă  poser sa candidature au Krematorium. TrĂšs peu nombreux sont lestĂ©mĂ©raires qui se prĂ©sentent. Les Kapos, chefs de Blocks, Lagerschutz, se partagentce qu’ils sont ainsi dispensĂ©s de rĂ©partir. On distribue aussi des cigarettes — douzecigarettes tous les dix jours — moyennant 80 pfennigs. On n’a pas d’argent pour lespayer et les chefs de Blocks chargĂ©s de la rĂ©partition exigent de ceux qui en ont, detelles vertus d’hygiĂšne et de maintien qu’il est Ă  peu prĂšs impossible d’entrer enpossession de sa ration. Enfin, on distribue de la biĂšre : Ă  tout le monde en principe,mais lĂ  encore, il faut pouvoir payer. Les familles des dĂ©tenus sont autorisĂ©es Ă  leurenvoyer chaque mois trente marks qu’ils ne reçoivent pas plus que leur salairehebdomadaire ou leurs cigarettes pour les mĂȘmes raisons. Et tout Ă  l’avenant : unjour, les gens de la H-FĂŒhrung ont dĂ©cidĂ© de se partager les vĂȘtements et objetsdivers dont nous avions Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©s Ă  notre arrivĂ©e Ă  Buchenwald.

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Il convient d’ajouter que pour obtenir ce rĂ©sultat des milliers et des milliers dedĂ©tenus sont passĂ©s par le Krematorium, soit qu’ils y soient allĂ©s tout naturellementen [68] consĂ©quence de la vie qu’on leur faisait mener, soit qu’on les y ait envoyĂ©spour des motifs divers, notamment le sabotage, en leur faisant emprunter le chemindes Strafkommandos, du Bunker et de la Potence. De mars 1944 Ă  avril 1945, il nes’est pas passĂ© de semaine qui n’ait vu ses trois ou quatre pendus pour sabotage. À lafin, on les pendait par dix, par vingt, sous les yeux les uns des autres. L’opĂ©ration sefaisait sur la place de l’Appel, en prĂ©sence de tout le monde. Une potence Ă©taitdressĂ©e, les patients arrivaient, un bĂąillon de bois en forme de mors dans la bouche,les mains derriĂšre le dos. Ils grimpaient sur un tabouret, passaient la tĂȘte dans lenƓud coulant. D’un coup de pied, le Lagerschutz de service faisait basculer letabouret. Pas d’à-coup : les malheureux mettaient quatre, cinq, six minutes pourmourir. Un ou deux S.S. surveillaient. L’opĂ©ration terminĂ©e, toute la population ducamp dĂ©filait devant les cadavres suspendus Ă  leur corde.

Le 28 fĂ©vrier 1945, ils en ont pendu trente qui sont montĂ©s par dix Ă  la potence.Les dix premiers ont passĂ© leur tĂȘte dans les nƓuds coulants, les dix suivantsattendant leur tour au garde-Ă -vous, prĂšs des tabourets, les dix derniers se tenant Ă cinq pas pour attendre le leur. Le 8 mars suivant, ils en ont pendu dix-neuf : cettefois, l’opĂ©ration a eu lieu au Tunnel et il n’y a que les kommandos du Tunnel qui enont Ă©tĂ© les tĂ©moins. Les dix-neuf patients ont Ă©tĂ© mis sur un rang en face du Hall 32.Un grand palan auquel Ă©taient fixĂ©es dix-neuf cordes s’est abaissĂ© lentement, au-dessus de leurs tĂȘtes. Le Lagerschutz a passĂ© les dix-neuf nƓuds coulants, puis lepalan est remontĂ© lentement, lentement : oh ! les yeux des malheureux quis’agrandissaient et leurs pauvres pieds qui cherchaient Ă  garder contact avec le sol !Le dimanche des Rameaux ils en ont pendu cinquante-sept, Ă  huit jours de lalibĂ©ration, alors que nous avions dĂ©jĂ  entendu le canon alliĂ© tout proche et que l’issuede la guerre ne pouvait plus faire de doute pour les S.S.

C’est encore ainsi : les S.S. dĂ©couvraient d’eux-mĂȘmes un certain nombred’actes de sabotage (en 1945, et depuis la mi-44, il Ă©tait devenu impossible Ă quiconque dans ou hors des camps de vivre sans saboter), mais la H-FĂŒhrung leur ensignalait impitoyablement un plus grand nombre encore. On aura d’ailleurs une justeidĂ©e de ce que pouvait ĂȘtre cette H-FĂŒhrung, quand on saura qu’à la libĂ©ration, aumoment des transports d’évacuation, tous les Allemands qui en faisaient partie,rouges ou verts, nous encadraient, brassard blanc et fusil chargĂ© sous l’épaule. Tousles Allemands, [69] dis-je, regardĂ©s avec quels yeux pleins d’envie par les autres,Russes, Polonais ou TchĂšques, dont les services avaient par avance Ă©tĂ© dĂ©clinĂ©s.

Inutile de s’appesantir sur le coĂ»t de l’entreprise en vies humaines ! Le 1er juin1944, la population du camp Ă©tait presque exclusivement constituĂ©e par des gensarrivĂ©s en mars ou postĂ©rieurement. On pouvait encore rencontrer sept dĂ©tenus dontles matricules Ă©taient compris entre treize et quinze mille : ils Ă©taient arrivĂ©s huitcents le 28 juillet 1943. On en comptait une douzaine dans les vingt et vingt et unmille : ils Ă©taient arrivĂ©s Ă  mille cinq cents en octobre. Des huit cents pris dans lestrente Ă  trente et un mille arrivĂ©s en dĂ©cembre-janvier, il restait une cinquantaine, des

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mille deux cents pris dans les trente-huit à quarante-quatre mille arrivés en février-mars, trois ou quatre cents survivaient. Les matricules quarante-cinq à cinquantemille arrivés dans le courant de mai étaient encore à peu prÚs au complet : pas pourlongtemps. [70]

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CHAPITRE IV

Un havre de grĂące antichambre de la mort

Le 28 juillet 1943, lorsque le premier convoi est arrivĂ© dans les betteraves, Ă l’entrĂ©e du Tunnel, il n’était pas question de Revier. On n’avait envoyĂ© que desdĂ©tenus de Buchenwald rĂ©putĂ©s en bonne santĂ© et il n’était pas prĂ©vu qu’ils pussenttomber malades tout de suite ; au cas oĂč cette Ă©ventualitĂ© se serait nĂ©anmoinsproduite, les S.S. avaient ordre de ne prendre en considĂ©ration que les cas graves, deles signaler par courrier et d’attendre la dĂ©cision. Naturellement, jamais les S.S. nedĂ©celĂšrent de maladies graves : tous ceux qui ont Ă©tĂ© militaires comprendrontaisĂ©ment cela.

Il fit un temps de chien cette annĂ©e-lĂ . Il pleuvait, il pleuvait. La pneumonie etla pleurĂ©sie se mirent de la partie : elles eurent beau jeu parmi ces affaiblismaltraitĂ©s, qui Ă©taient mouillĂ©s Ă  longueur de journĂ©e et qui, le soir, dormaient encoredans les anfractuositĂ©s humides de la roche. En huit jours, les malheureux Ă©taienttordus par ce qui semblait aux S.S. une petite fiĂšvre qui s’était compliquĂ©e sur la fin,ils ne savaient trop pourquoi. Le rĂšglement prĂ©voyait qu’on n’était pas malade au-dessous de 39·5, cas auquel on pouvait bĂ©nĂ©ficier d’un Schonung ou dispense detravail : tant qu’on n’atteignait pas cette tempĂ©rature, on Ă©tait astreint au travail, etquand on l’atteignait, c’était la mort.

Vint ce que nous appelions la dysenterie, mais qui n’était en rĂ©alitĂ© qu’unediarrhĂ©e incoercible. Un beau jour, sans raison apparente, on Ă©tait pris de troublesdigestifs qui se transformaient rapidement en une intolĂ©rance totale : la nourriture(les rutabagas cuits Ă  l’étuvĂ©e en permanence, [71] le pain de mauvaise qualitĂ©) et lesintempĂ©ries (une pluie ou un coup de froid en cours de digestion). Pas de remĂšdes : ilfallait attendre que ça s’arrĂȘte, sans manger. Ça durait huit, dix, quinze jours, selonl’état de rĂ©sistance du malade qui s’affaiblissait, finissait par tomber, ne plus avoir laforce de se mouvoir, mĂȘme pour ses besoins, puis Ă©tait emportĂ© par une fiĂšvreconnexe. Cette maladie, heureusement plus facilement dĂ©celable que la pneumonieou la pleurĂ©sie, amena les S.S. Ă  prendre, avec les moyens de bord, des mesures pourl’enrayer : ils ordonnĂšrent la construction d’un Bud oĂč les diarrhĂ©tiques Ă©taient admissur piĂšces justificatives et sans condition de tempĂ©rature, dans la mesure des placesdisponibles.

Le Bud pouvait contenir une trentaine de personnes : il y eut rapidementcinquante, cent candidats et plus, leur nombre augmentant sans cesse Ă  mesure quede nouveaux convois arrivaient de Buchenwald et que le camp prenait de l’extension.GĂ©nĂ©ralement, les diarrhĂ©tiques y Ă©taient envoyĂ©s au dernier stade et y allaientmourir. Ils Ă©taient entassĂ©s Ă  mĂȘme le sol, emboĂźtĂ©s les uns dans les autres, s’oubliantsous eux : c’était une infection. À tel point que, par souci d’hygiĂšne, les S.S.chargĂšrent la premiĂšre H-FĂŒhrung de dĂ©signer un Pfleger ou infirmier pour

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discipliner les malades et les aider Ă  se maintenir dans la propretĂ©. Le poste fut confiĂ©Ă  un vert — naturellement ! — menuisier de son Ă©tat et condamnĂ© pour meurtre : cefut du beau travail !.

À longueur de journĂ©es, on faisait la queue Ă  l’entrĂ©e du Bud : le Pfleger,gummi Ă  la main, calmait les impatiences. De temps Ă  autre un cadavre Ă©tait sorti dela puanteur et libĂ©rait une place qui Ă©tait prise d’assaut. Le nombre des diarrhĂ©tiquesne faisait que croĂźtre : les S.S. s’étant aperçus que le Pfleger Ă©tait au-dessous de satĂąche, celui-ci fit valoir qu’il Ă©tait seul pour beaucoup de travail et on lui adjoignit unaide dont les S.S. exigĂšrent qu’il fut de la partie. Le poste Ă©choua Ă  un mĂ©decinhollandais jusque-lĂ  employĂ© au transport de matĂ©riel, de la gare au Tunnel. À partirde ce moment, le Bud s’humanisa, le Pfleger devint Kapo, le Hollandais travaillasous ses ordres en faisant des prodiges de diplomatie ; il rĂ©ussit Ă  sauver undiarrhĂ©tique dont il eut soin de dissimuler la guĂ©rison pour le garder par devers lui autitre d’infirmier. À grand renfort de charbon de bois, la diarrhĂ©e fut enrayĂ©e, les S.S.se dĂ©clarĂšrent satisfaits, le Bud put servir Ă  autre chose : le premier Revier Ă©tait nĂ©.

Le Hollandais obtint, en effet, que dans la mesure des [72] places laissĂ©esdisponibles par les diarrhĂ©tiques, on admĂźt au Bud les pneumonies et les pleurĂ©siesdĂ©clarĂ©es, Ă  partir de 38° de tempĂ©rature : au prix de quelles discussions avec sonKapo ! MĂȘme il se mit Ă  prĂ©tendre qu’avec un peu de charbon, il Ă©tait possible desoigner efficacement les diarrhĂ©es sans hospitalisation, si elles Ă©taient prises Ă  temps,et qu’ainsi on pouvait faire de la place pour les pneumonies et les pleurĂ©sies. Le duelfut homĂ©rique. Un mĂ©decin S.S., qui avait Ă©tĂ© affectĂ© au camp et qui Ă©tait arrivĂ© ennovembre avec l’encadrement d’un convoi, aprĂšs ĂȘtre restĂ© longtemps indiffĂ©rent Ă ce conflit qui l’amusait, finit par donner raison au Hollandais : on entreprit laconstruction d’un Block, le Bud Ă©tait rapidement devenu trop exigu.

Puis ce fut le tour des nĂ©phrites. La nĂ©phrite Ă©tait inhĂ©rente Ă  la vie du camp :la sous-alimentation, les trop longues stations debout, les consĂ©quences desintempĂ©ries, des pneumonies, des pleurĂ©sies, le sel gemme — le seul qui existĂąt enAllemagne — dont les cuisiniers faisaient un usage immodĂ©rĂ© et qui, paraĂźt-il, Ă©taitnocif parce que ne contenant pas d’iode. Les ƓdĂšmes Ă©taient lĂ©gion, tout le mondeavait les jambes plus ou moins enflĂ©es.

– Ça passe, disait-on ; c’est le sel qui fait ça.Et on n’y prenait pas autrement garde. Quand il s’agissait d’un Ɠdùme banal, il

arrivait que cela passĂąt. Quand l’ƓdĂšme Ă©tait la consĂ©quence de la nĂ©phrite, un beaujour on Ă©tait emportĂ© dans une crise d’urĂ©mie.

Le Hollandais obtint que les néphrétiques fussent aussi hospitalisés : il fallutconstruire un autre Block.

Puis ce fut le tour des tuberculeux, et ainsi de suite.Tant et si bien que, le 1er juin 1944, le Revier comprend les Blocks, 16, 17, 38,

39, 126, 127 et 128, groupĂ©s au sommet de la colline. On y peut loger 1500 maladesĂ  raison d’un par lit, soit un dixiĂšme de la population du camp. Chaque Block estdivisĂ© en salles oĂč les maladies apparentĂ©es sont rassemblĂ©es.

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Le Block 16 est le centre administratif de tout l’édifice. Le Hollandais a Ă©tĂ©promu au grade de mĂ©decin-chef. Entre-temps, les S.S. ont remplacĂ© le LagerĂ€ltestervert par un rouge et il y a eu un grand branle-bas dans la H-FĂŒhrung. Le Kapo duRevier a Ă©tĂ© la premiĂšre victime du nouveau LagerĂ€ltester : on s’est arrangĂ© pour lesurprendre alors qu’il Ă©tait en train de voler la nourriture de ses malades, on l’aenvoyĂ© Ă  Ellrich, en reprĂ©sailles, et remplacĂ© par Pröll. [73]

Pröll est un jeune Allemand de 27 Ă  28 ans. En 1934, il se destinait Ă  lamĂ©decine. Fils de communiste et communiste lui-mĂȘme, il fut arrĂȘtĂ© alors qu’iln’était encore qu’un enfant. Il compte dix annĂ©es de camps divers.

D’abord envoyĂ© Ă  Dachau, il ne dut qu’à son jeune Ăąge de survivre auxrigueurs du camp naissant : les S.S. aussi bien que les dĂ©tenus, ne s’acharnaientgĂ©nĂ©ralement pas sur les enfants, les premiers par une sorte de recul devantl’innocence certaine, les seconds par une tendresse particuliĂšre qui nourrissait en euxl’espoir de les voir devenir des tapettes. GrĂące Ă  cette double circonstance, PröllrĂ©ussit Ă  s’infiltrer au Revier comme Pfleger, Ă  y rester quelques annĂ©es, puis Ă  ĂȘtreenvoyĂ© Ă  Mauthausen Ăšs-qualitĂ©. La H-FĂŒhrung verte de Mauthausen s’en dĂ©barrassaau profit d’Auschwitz qui le comprit dans le premier convoi en partance pourNatzweiler. C’est Ă  Natzweiler qu’il fit son plus long sĂ©jour : il y fut Kapo du Lager-kommando et adjoint au LagerĂ€ltester. Les dĂ©tenus, rares, il est vrai, qui l’avaientconnu dans ce camp, Ă©taient unanimes Ă  dĂ©clarer que jamais ils n’avaient vusemblable brute. Une rĂ©volution de palais dans la H-FĂŒhrung de NatzweilerdĂ©termina son envoi Ă  Buchenwald d’oĂč il fut expĂ©diĂ© Ă  Dora comme homme deconfiance des communistes et Kapo du Revier.

À Dora, Pröll se conduit comme tous les autres Kapos — ni meilleur, ni pire.Intelligent, il organise le Revier sorti de l’apostolat du Hollandais qui le considĂšremalgrĂ© tout comme un aide prĂ©cieux parce que compĂ©tent. Bien sĂ»r, il n’obĂ©it pastoujours aux commandements moraux de la mĂ©decine : il est brutal et, dans lacomposition de l’armĂ©e de Pfleger dont il a besoin pour assurer la marche del’entreprise, il fait passer les rĂ©fĂ©rences politiques avant les professionnelles. C’estainsi que le forgeron Heinz, qui Ă©tait communiste et qui avait rĂ©ussi Ă  s’infiltrer auRevier dĂ©jĂ  sous le rĂšgne du Kapo vert, comme Oberpfleger, eut toujours saconfiance entiĂšre contre l’avis de tous les autres mĂ©decins. C’est ainsi qu’à unĂ©tudiant en mĂ©decine dont il sait que les opinions politiques ne concordent pas avecles siennes, il prĂ©fĂšre toujours n’importe quel argousin allemand, tchĂšque, russe oupolonais. Il a une grande admiration pour les Russes et un faible pour les TchĂšques Ă ses yeux abandonnĂ©s Ă  Hitler par les Anglo-Saxons et les Français qu’il mĂ©prise.Mais c’est un organisateur de premier ordre.

En moins d’un mois, le Revier est conçu sur les principes des grands hĂŽpitaux :au Block 16, l’administration, les [74] entrĂ©es et les soins urgents ; au 17 et au 39, lamĂ©decine gĂ©nĂ©rale, les nĂ©phrites et les nĂ©vrites ; au 38, la chirurgie ; au 126, lespneumonies et les pleurĂ©sies ; au 127 et au 128, les tuberculeux. Dans chaque Block,un mĂ©decin responsable, assistĂ© d’un Oberpfleger1 ; dans chaque salle, un Pfleger

1 Surveillant général infirmier.

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pour les soins et un Kalifaktor pour les corvĂ©es diverses. Pour les malades, des lits Ă deux Ă©tages seulement, avec paillasse en copeaux de bois, draps et couvertures. TroisrĂ©gimes alimentaires, le Hauskost ou nourriture en tous points semblable Ă  celle ducamp pour les malades dont les voies digestives ne sont pas affectĂ©s ; le Schleimkostou soupe maigre de semoule (pas de pain, pas de margarine, pas de saucisson), pourceux dont l’état nĂ©cessite la mise Ă  la diĂšte ; le DiĂ€tkost qui consiste chaque jour endeux soupes dont une sucrĂ©e, pain blanc, margarine et confiture, pour ceux qui ontbesoin d’un fortifiant.

On ne peut pas dire qu’on soit trĂšs bien soignĂ© au Revier : la S.S.-FĂŒhrungn’alloue que trĂšs peu de mĂ©dicaments, et Pröll prĂ©lĂšve sur le contingent tout ce quiest nĂ©cessaire Ă  la H-FĂŒhrung, ne laissant filtrer jusqu’aux malades eux-mĂȘmes quece dont elle n’a pas besoin. Mais on est couchĂ© au propre, on est au repos et la rationalimentaire, quand elle n’est pas de meilleure qualitĂ© qu’au camp, est toujours plusabondante. Pröll lui-mĂȘme borne l’accomplissement de son mĂ©tier de Kapo Ă  unevisite qui, chaque jour, s’accompagne de quelques hurlements et de quelques coupsgĂ©nĂ©reusement distribuĂ©s au personnel et aux malades pris en flagrant dĂ©lit decontravention aux rĂšglements du Revier. La vie qu’on y mĂšne jurerait avec le rĂ©gimequi sĂ©vit dans le reste du camp si, Pfleger et Kalifaktor, autant par souci de zĂšle etpar fidĂ©litĂ© aux traditions, que par crainte du Kapo, ne mettaient toute leur volontĂ© Ă essayer de la rendre intolĂ©rable.

Tous les soirs, aprĂšs l’appel, la cohue s’organise Ă  l’entrĂ©e du Block 16. LeBlock 16 comprend, outre l’appareil administratif du Revier, une Aussere-Ambulanzet une innere-Ambulanz. La premiĂšre donne des soins immĂ©diats Ă  tous ceux,malades ou accidentĂ©s, qui ne remplissent pas les conditions requises pour ĂȘtrehospitalisĂ©s, la seconde dĂ©cide, aprĂšs [75] examen, de I’hospitalisation ou de la non-hospitalisation des autres.

À part les gens de la H-FĂŒhrung, tous les habitants du camp sont des maladeset, dans le monde normal, tous seraient hospitalisĂ©s sans exception et sans hĂ©sitation,ne serait-ce que pour faiblesse gĂ©nĂ©rale extrĂȘme. Au camp, il en va tout autrement, lafaiblesse gĂ©nĂ©rale ne compte pas. On ne soigne que le surplus, et encore, souscertaines conditions extra-thĂ©rapeutiques, ou quand il n’y a pas moyen de faireautrement. Chaque dĂ©tenu donc est un client plus ou moins attitrĂ© du Revier : il afallu Ă©tablir un tour qui revient tous les quatre jours en moyenne.

Il y a d’abord les furoncles : tout le camp suppure ; la furonculose,consĂ©quence de l’absence de viande et de cruditĂ©s dans I’alimentation, sĂ©vit Ă  l’étatendĂ©mique tout comme l’ƓdĂšme banal et la nĂ©phrite. Il y a ensuite les plaies auxmains, aux pieds, ou aux deux. Les Holzschuhe blessent et, avec les mains dont leschairs se dĂ©chirent si facilement, il faut souvent faire des travaux inattendus ! Il y aenfin les doigts coupĂ©s, les bras ou les jambes cassĂ©s, etc. Tout cela constitue laclientĂšle de l’Aussere-Ambulanz et, Ă  partir du 1er juin 1944, relĂšve du nĂšgre Johnnydont la compĂ©tence comme mĂ©decin avait fini par ĂȘtre tellement discutĂ©e au Revier

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de Buchenwald qu’en dĂ©pit des garanties politiques1 qu’il avait donnĂ©es, il nous futenvoyĂ© avec un transport. Comme mĂ©decin, naturellement, mais accompagnĂ© d’unenote prĂ©cisant qu’il Ă©tait plus prudent de l’employer comme infirmier. Pröll a pensĂ©que sa place Ă©tait tout indiquĂ©e Ă  l’Aussere-Ambulanz et il lui en a confiĂ© laresponsabilitĂ©.

Johnny a sous ses ordres tout une compagnie de Pfleger allemands, polonais,tchĂšques ou russes, qui ne connaissent rien au travail dont on les a chargĂ©s et quifont, dĂ©font et refont les pansements au petit bonheur. Furoncles ou plaies, il n’y aqu’un remĂšde : la pommade. Ces messieurs ont devant eux des pots de pommade detoutes les couleurs : pour le mĂȘme cas, ils vous mettent gravement un jour la noire,un autre la jaune ou la rouge, sans qu’on puisse deviner la raison intĂ©rieure qui adĂ©terminĂ© leur choix. Nous avons une chance extraordinaire que toutes lespommades soient antiseptiques !

À l’Innere-Ambulanz, se prĂ©sentent les gens qui ont [76] l’espoir d’ĂȘtrehospitalisĂ©s. Tous les soirs, ils sont cinq Ă  six cents, tous aussi malades les uns queles autres. Il y a parfois dix ou quinze lits disponibles : mettez-vous Ă  la place dumĂ©decin qui doit choisir les dix ou quinze Ă©lus Les autres sont renvoyĂ©s avec ou sansSchonung ; ils se reprĂ©sentent le lendemain et tous les jours jusqu’à ce qu’ils aient lachance d’ĂȘtre admis : on ne compte pas ceux qui meurent avant qu’il ait Ă©tĂ© statuĂ© surleur cas dans le sens de leur dĂ©sir.

J’ai connu des dĂ©tenus qui ne se prĂ©sentaient jamais aux douches parce qu’ilsavaient peur de voir les appareils vomir du gaz2 au lieu d’eau : un jour, Ă  la visitehebdomadaire au Block, les infirmiers leur trouvaient des poux On leur faisait alorssubir, en maniĂšre de dĂ©sinfection, un tel traitement qu’ils en mouraient. De la mĂȘmefaçon, j’en ai connu qui ne se prĂ©sentaient jamais au Revier : ils avaient peur d’ĂȘtrepris comme cobaye ou piquĂ©s. Ils tenaient, tenaient, tenaient envers et contre tous lesconseils et, un soir, leur kommando ramenait leur cadavre sur la place de l’Appel.

À Dora, il n’y avait pas de Block de cobayes et on ne pratiquait pas la piqĂ»re.GĂ©nĂ©ralement d’ailleurs et dans tous les camps, la piqĂ»re n’était pas utilisĂ©e contre lecommun des dĂ©tenus, mais par un des deux clans de la H-FĂŒhrung contre l’autre : lesverts employaient ce moyen pour se dĂ©barrasser Ă©lĂ©gamment d’un rouge dont ilssentaient l’étoile monter au ciel S.S., ou inversement.

1 J’ai su, dans la suite, que Johnny avait Ă©tĂ© assez astucieux pour obtenir en mĂȘme temps la

protection de Katzenellenbogen, ce dĂ©tenu qui se disait d’origine amĂ©ricaine, qui Ă©tait mĂ©decingĂ©nĂ©ral du camp et qui commit assez d’exactions pour ĂȘtre considĂ©rĂ©, Ă  la libĂ©ration, comme criminelde guerre !

2 Les chambres Ă  gaz que certains S.S. niaient, que d’autres justifiaient par les raisonnementsde Simone de Beauvoir, n’existaient pas Ă  Dora. Elles n’existaient pas non plus Ă  Buchenwald. Jenote, en passant, que de tous ceux qui ont si minutieusement dĂ©crit les horreurs de ce genre desupplice, par ailleurs parfaitement lĂ©gitime aux E.U., il n’y a aucun tĂ©moin de visu, Ă  ma connaissance(Cf. pp. 165 et suivantes).

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Un heureux concours de circonstances a fait que j’ai rĂ©ussi Ă  entrer au Revier le8 avril 1944 ; il y avait une bonne quinzaine de jours que je traĂźnais dans le camp uncorps fiĂ©vreux qui enflait Ă  vue d’Ɠil.

L’enflure avait commencĂ© aux chevilles :– Ich auch, blöde Hund ! avait dĂ©clarĂ© mon Kapo.Et il m’avait fallu continuer Ă  aller charger les wagonnets du Strassenbauer 52.

Un matin, je dus me prĂ©senter sur la place de l’Appel avec, sur le bras, mon pantalonque je n’avais pas rĂ©ussi Ă  enfiler : [77]

– Blöde Hund, dĂ©clara mon Kapo, du bist verrĂŒckt ! Geh mal zu Revier !Et il ponctua cet ordre de quelques vigoureux coups de poing. C’était le 2 avril.Au Revier je me trouvai dans la cohue. AprĂšs une heure d’attente, mon tour

vint de passer devant le mĂ©decin :– Tu n’as que 37° 8, impossible de t’hospitaliser : trois jours de Shonung.

Reste Ă©tendu au Block, les jambes en l’air, ça passera. Si ça ne passe pas, reviens.En fait de repos, je fus pendant trois jours employĂ© aux travaux de nettoyage

du Block par les Stubendienst impitoyables. À l’expiration du dĂ©lai, je mereprĂ©sentai dans un Ă©tat sensiblement aggravĂ©.

– Bien sĂ»r, il faudrait t’hospitaliser, me dit le mĂ©decin, mais il n’y a que troisplaces vacantes et vous ĂȘtes au moins trois cents candidats, parmi lesquels il y en aqui sont dans un Ă©tat pire que le tien. Encore trois jours de Schonung : tu reviendras

Je sentis entrer dans moi la certitude du crĂ©matoire. RĂ©signĂ©, je m’en retournaiau Block oĂč m’attendait mon premier colis grĂące auquel je pus obtenir desStubendienst qu’ils me laissassent allongĂ© sur mon lit au lieu de m’employer auxcorvĂ©es.

Le 8 avril, quand mon tour vint de me reprĂ©senter, un paquet de gauloises meclassa dans les trois ou quatre Ă©lus. Ce qu’il y a de pis dans mon cas, c’est que je n’aipas trouvĂ© le fait anormal.

Avant de gagner le lit qui m’était attribuĂ©, je dus encore dĂ©poser Ă  l’entrĂ©e meshabits et mes chaussures qui furent naturellement volĂ©s pendant mon sĂ©jour, et passersous une douche individuelle qu’un Kalifaktor polonais maintint aussi froide qu’ilput.

La douche Ă©tait la derniĂšre formalitĂ© Ă  remplir. Elle Ă©tait prĂ©vue chaude, maisquand il ne s’agissait ni d’un TchĂšque, ni d’un Polonais, ni d’un Allemand, leKalifaktor jurait ses grands dieux que l’appareil Ă©tait dĂ©traquĂ©. Le nombre deshospitalisĂ©s pour pneumonie ou pleurĂ©sie qui en sont morts est incalculable.

J’ai fait six stages au Revier : du 8 au 27 avril, du 5 mai au 30 aoĂ»t, du 7septembre au 2 octobre, du 10 octobre au 3 novembre, du 6 novembre au 23dĂ©cembre et du 10 mars 1945 Ă  la libĂ©ration. DĂšs le premier, j’ai perdu de vueFernand envoyĂ© en transport Ă  Ellrich oĂč il est mort.

J’étais malade c’était bien Ă©vident, gravement malade mĂȘme puisque je le suisencore, mais
 [78]

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La vie au Revier est minutieusement réglée.Tous les jours, réveil à 5 h 30, une heure aprÚs le réveil du camp. Toilette : à

quelque groupe de malades qu’on appartienne, avec 40° de fiĂšvre comme avec 37°, ilfaut se lever, aller au lavabo, puis de retour faire son lit. En principe, le Pfleger et leKalifaktor sont lĂ  pour aider ceux qui ne peuvent pas, mais, Ă  de rares exceptionsprĂšs, ils se bornent, sous la menace des coups, Ă  exiger des malades qu’ils procĂšdenteux-mĂȘmes Ă  ces soins.

Quand ce premier travail est fait, le Pfleger prend les températures pendant quele Kalifaktor lave la salle à grande eau.

Vers sept heures, le mĂ©decin du Block passe entre les lits, regarde les feuillesde tempĂ©rature, Ă©coute les remarques du Pfleger, les dolĂ©ances des malades, dit unmot Ă  chacun et ordonne les soins particuliers ou les mĂ©dicaments Ă  prendre dans lajournĂ©e. S’il n’est ni Polonais, ni Allemand, ni TchĂšque, le mĂ©decin est gĂ©nĂ©ralementun homme bon et comprĂ©hensif. Peut-ĂȘtre un peu trop confiant dans le Pfleger qui,lui, apprĂ©cie les malades en fonction de leurs opinions politiques, de leur nationalitĂ©,de leur profession ou des colis qu’ils reçoivent, mais il se laisse tout de mĂȘmerarement influencer par lui dans le mauvais sens, quoique toujours dans le bon. Ungrand malade risque parfois une question :

– Krematorium ?– Ja, sicher Drei, vier Tage1

On rit. Il passe sans se soucier de l’effet produit par sa rĂ©ponse sur l’intĂ©ressĂ©.Il arrive au dernier lit, quitte la salle ; c’est fini, on ne le reverra plus de la journĂ©e : Ă demain.

À 9 heures, distribution des mĂ©dicaments. Ça va trĂšs vite : les mĂ©dicamentsc’est le repos ou la diĂšte, — de temps Ă  autre, un cachet d’aspirine ou de pyramidontrĂšs parcimonieusement attribuĂ©s.

À 11 heures, la soupe. Le Pfleger et le Kalifaktor mangent copieusement, seservent Ă  chaque rĂ©gime et distribuent le reste aux malades : ça n’est pas grave, ilreste assez pour assurer une ration rĂ©glementaire honnĂȘte Ă  tout le monde, voire pourdonner un petit supplĂ©ment aux amis.

L’aprĂšs-midi, on fait la sieste jusqu’à 16 heures, aprĂšs [79] quoi, lesconversations vont leur train jusqu’à la prise de tempĂ©rature et Ă  l’extinction desfeux. Elles ne sont interrompues que lorsque notre attention est plus particuliĂšrementretenue par les longues files de cadavres que, passant sous nos fenĂȘtres, les gens duTotenkommando portent au Krematorium.

Quelques favorisĂ©s dont je suis reçoivent des colis : ils sont un peu plus pillĂ©squ’au camp parce qu’ils passent par un intermĂ©diaire de plus avant d’arriver audestinataire. Le tabac qu’ils contiennent n’est pas remis : il est dĂ©posĂ© Ă  l’entrĂ©e,mais les Pfleger sont arrangeants et, moyennant une honnĂȘte rĂ©tribution, un partageĂ©quitable, on peut toucher aussi son tabac et ĂȘtre autorisĂ© Ă  fumer en cachette. Par lemĂȘme procĂ©dĂ©, en partageant le reste, on obtient du Pfleger qu’il maquille lestempĂ©ratures et on prolonge son sĂ©jour au Revier.

1 Oui, sûrement Dans deux ou trois jours.

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En Ă©tĂ©, la sieste de l’aprĂšs-midi se fait au grand air, sous les hĂȘtres : leskommandos qui travaillent Ă  l’intĂ©rieur du camp nous regardent avec envie et nousapprĂ©hendons d’autant plus l’heure de la guĂ©rison qui nous renverra parmi eux.

En octobre 1944, on n’admet plus que trĂšs rarement les diarrhĂ©tiques auRevier : tous les soirs, ils se prĂ©sentent au Block 16, on les gorge de charbon de boiset on les renvoie. Il arrive que le mal passe. Il arrive aussi qu’il persiste au-delĂ  deshuit jours escomptĂ©s, qu’il se complique d’une fiĂšvre quelconque, et alors, ils sonthospitalisĂ©s dans la mesure oĂč les conjectures de tous ordres le permettent.

Ils sont rassemblĂ©s au Block 17, salle 8, dont le Pfleger est le Russe Ivan, quise dit « Docent » de la FacultĂ© de mĂ©decine de Karkhov, et le Kalifaktor, le PolonaisStadjeck. La salle 8 est l’enfer du Revier : tous les jours, elle fournit deux, trois ouquatre cadavres au Krematorium.

Pour tout diarrhĂ©tique entrant, le mĂ©decin ordonne, outre le charbon, un rĂ©gimede diĂšte surveillĂ©e : trĂšs peu Ă  manger, si possible pas du tout, aucune boisson. Ilconseille Ă  Ivan de ne rien donner le premier jour et de partager un litre de soupe Ă deux ou trois le lendemain, et ainsi progressivement, le retour Ă  la ration complĂšteĂ©tant dĂ©terminĂ© par la disparition du mal. Mais Ivan considĂšre qu’il est Pfleger pourse soigner lui et non les malades : les suivre est un travail trop pĂ©nible pour lui, entout cas, hors [80] de mise dans un camp de concentration ; il juge plus simpled’appliquer la diĂšte absolue, de partager avec Stadjeck les rations des malades, des’en nourrir abondamment et de faire du commerce avec le surplus. Les malheureuxne mangent donc rien, absolument rien : au troisiĂšme jour, Ă  de rares exceptions prĂšs,ils sont dans un tel Ă©tat qu’ils ne peuvent plus se lever et font sous eux, car Stadjeck aautre chose Ă  faire que de leur apporter la bassine quand ils la demandent. DĂšs lors ilssont condamnĂ©s Ă  mort.

Stadjeck se met Ă  surveiller plus particuliĂšrement le lit du malheureux Ă  qui ilvient de refuser la bassine. Tout Ă  coup, il sent l’odeur et il entre en fureur. Ilcommence par administrer une solide raclĂ©e au dĂ©linquant, puis il le sort de son lit, lepousse au lavabo attenant et lĂ , une bonne douche bien froide, car le Revier doitrester un endroit propre et les malades qui ne veulent pas se laver, il faut bien qu’onles lave Puis, en se rĂ©pandant en imprĂ©cations, Stadjeck enlĂšve le drap et lacouverture du lit, change la paillasse : Ă  peine de nouveau Ă©tendu, le malade est reprisde coliques, il redemande la bassine qu’on lui refuse, fait sous lui, est de nouveaupassĂ© Ă  la douche froide, et ainsi de suite. Vingt-quatre heures aprĂšs, gĂ©nĂ©ralement ilest mort.

Du matin au soir, on entend les cris et les supplications des malheureux quisont passĂ©s Ă  la douche froide par le Polonais Stadjeck. Deux ou trois fois, le Kapoou un mĂ©decin sont passĂ©s Ă  proximitĂ© pendant l’opĂ©ration. Ils ont ouvert la porte.Stadjeck a expliquĂ© :

– Er hat sein Bett ganz beschiessen. Diese blöde Hund ist so faul. Keine warmeWasser1.

Le Kapo ou le médecin ont refermé la porte et sont partis sans rien dire.

1 Il a complĂštement em
 son lit !. Ce chien bĂȘte est si paresseux !. Et je n’ai pas d’eau chaude.

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Car, bien sĂ»r, l’explication Ă©tait inattaquable : Il faut bien laver les maladesincapables de le faire et quand on n’a pas d’eau chaude

Au Revier, on est Ă  peu prĂšs tenu au courant des Ă©vĂ©nements de la guerre. Lesjournaux allemands, le Volkische Beobachter notamment, y arrivent, et tout lepersonnel Ă©coute rĂ©guliĂšrement la T.S.F. Évidemment on n’a que les nouvellesofficielles, mais on les a rapidement, et c’est dĂ©jĂ  ça. [81]

On est aussi tenu au courant de ce qui se passe dans les autres camps : desmalheureux, qui ont fait deux ou trois camps avant d’échouer Ă  Dora, racontent Ă longueur de journĂ©e la vie qu’ils y ont vĂ©cue. C’est ainsi qu’on connaĂźt les horreursde Sachsenhausen, Auschwitz, Mauthausen, Oranienburg, etc. C’est ainsi qu’onapprend qu’il existe aussi des camps trĂšs humains.

En aoĂ»t, pendant une dizaine de jours, l’Allemand Helmuth fut mon voisin delit. Il arrivait en droite ligne de Lichtenfeld prĂšs de Berlin. Ils Ă©taient neuf cents dansce camp et gardĂ©s par la Wehrmacht, ils procĂ©daient au dĂ©blaiement des faubourgsbombardĂ©s : douze heures de travail, comme partout, mais trois repas par jour et troisrepas abondants (soupe, viande, lĂ©gumes, souvent du vin), pas de Kapos, pas de H-FĂŒhrung, par consĂ©quent pas de coups. Une vie dure, mais trĂšs tenable. Un jour, on ademandĂ© des spĂ©cialistes : Helmuth Ă©tait ajusteur, il s’est levĂ©, on l’a envoyĂ© auTunnel de Dora oĂč on lui a mis en main l’appareil Ă  forer la roche. Huit- jours aprĂšs,il crachait le sang.

PrĂ©cĂ©demment, j’avais vu arriver Ă  cĂŽtĂ© de moi un dĂ©tenu qui avait passĂ© unmois Ă  Wieda et qui m’avait racontĂ© que les mille cinq cents occupants de ce campn’étaient pas trop malheureux. Naturellement, on travaillait et on mangeait peu, maison vivait en famille : le dimanche aprĂšs-midi, les habitants du village venaient danseraux abords du camp au son des accordĂ©ons des dĂ©tenus, Ă©changeaient des proposfraternels avec eux, et mĂȘme leur apportaient des victuailles. Il paraĂźt que cela n’apas durĂ©, que les S.S. s’en sont aperçu et qu’en moins de deux mois, Wieda estdevenu aussi dur et inhumain que Dora.

Mais la plupart des gens venus d’ailleurs ne racontent que des choseshorrifiques, et, parmi eux, ceux d’Ellrich sont les plus effrayants. Ils nous arriventdans un Ă©tat inimaginable et rien qu’à les voir on est persuadĂ© qu’ils n’inventent rien.Quand on parle des camps de concentration, on cite Buchenwald, Dachau,Auschwitz, et c’est une injustice : en 1944-45, c’était le tour d’Ellrich d’ĂȘtre le pirede tous. On n’y Ă©tait pas logĂ©, pas vĂȘtu, pas nourri, sans Revier et on n’y Ă©taitemployĂ© qu’a des travaux de terrassement sous la surveillance de la lie des verts etdes S.S.

C’est au Revier que j’ai fait la connaissance de Jacques Gallier dit Jacky,clown Ă  MĂ©drano. C’était un dur entre les durs. Quand on se plaignait des rigueurs dela vie au camp, il rĂ©pondait invariablement :

– Moi, tu comprends, j’ai fait deux ans et demi de Calvi ; [82] alors, j’ail’habitude.

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Et il enchaĂźnait :– Mon vieux, Ă  Calvi, c’était la mĂȘme chose : mĂȘme travail, mĂȘme insuffisance

de nourriture, il n’y avait que les coups en moins, mais il y avait les fers et le mitard,alors


Le marin de la Mer Noire, Champale, qui avait tirĂ© cinq annĂ©es Ă  Clairvaux, ledĂ©mentait Ă  peine, et, quant Ă  moi qui avais autrefois Ă©tĂ© tĂ©moin de la vie des Joyeuxen Afrique, je me demandais s’ils n’avaient pas raison1.

Le 23 dĂ©cembre, je suis sorti du Revier avec l’intention bien arrĂȘtĂ©e de ne plusy remettre les pieds. Divers incidents s’étaient produits.

En juillet, Pröll s’était fait lui-mĂȘme au bras une piqĂ»re de cyanure depotassium. On n’a jamais su pourquoi : le bruit a couru qu’il Ă©tait Ă  la veille d’ĂȘtrearrĂȘtĂ© et en passe d’ĂȘtre pendu pour complot. Il avait Ă©tĂ© remplacĂ© par Heinz, leforgeron communiste.

Heinz Ă©tait une brute : un jour, il surprit, en train de s’humecter les lĂšvres, unfiĂ©vreux Ă  qui l’eau Ă©tait dĂ©fendue, et il le roua de coups jusqu’à ce que morts’ensuive. On le disait capable de tout : au Block de la chirurgie, il se mĂȘlait d’opĂ©rerde l’appendicite, — Ă  l’insu du chirurgien responsable, le TchĂšque Cespiva. Onracontait que, dans les premiers temps du Revier, sous le rĂšgne du Kapo vert, il avaitdonnĂ© ses soins Ă  un AlgĂ©rien qui avait eu le bras broyĂ© entre deux wagons auTunnel : il avait dĂ©sossĂ© l’articulation de l’épaule, tout comme un boucher l’auraitfait d’un jambon, et au lieu d’anesthĂ©sier sa victime, il l’avait au prĂ©alable assommĂ©eĂ  coups de poing... Un an aprĂšs, le Revier tout entier rĂ©sonnait encore des hurlementsdu malheureux.

On racontait bien d’autres choses encore. Toujours est-il que les malades ne sesentaient pas en sĂ©curitĂ© avec lui. En ce qui me concerne, un jour, Ă  fin septembre, ilĂ©tait passĂ© prĂšs de mon lit avec Cespiva et il avait dĂ©cidĂ© que, pour me guĂ©rir, ilfallait m’amputer du rein droit : j’avais aussitĂŽt priĂ© un de mes camarades atteintd’une autre maladie d’uriner Ă  ma place, et obtenu une analyse nĂ©gative, [83] ce quim’avait valu, ainsi que je le dĂ©sirais, d’ĂȘtre renvoyĂ© en kommando. N’ayant pas putenir le coup au travail, je m’étais reprĂ©sentĂ© au Revier quelques jours aprĂšs, — justele temps de laisser passer l’orage, — et j’avais Ă©tĂ© facilement rĂ©admis.

Tout avait bien marchĂ© jusque vers dĂ©cembre, date Ă  laquelle Heinz fut a sontour arrĂȘtĂ©, pour complot, comme son prĂ©dĂ©cesseur, et remplacĂ© par un Polonais.Dans le mĂȘme coup de filet des S.S. figuraient : Cespiva, un certain nombre dePfleger, dont l’avocat Boyer de Marseille, et diverses personnalitĂ©s du camp. On n’ajamais su non plus pourquoi, mais il est vraisemblable que c’était pour avoir faitcirculer sur la guerre des nouvelles qu’ils disaient tenir de la radio Ă©trangĂšre, Ă©coutĂ©eclandestinement, et que les S.S. jugĂšrent subversives.

1 Dans La Lie de la Terre, Arthur Koestler fait, de la vie dans les camps de concentration

français un tableau qui a, par la suite, encore confirmĂ© mon point de vue. De mĂȘme, d’ailleurs que lelivre de Julien Blanc, Joyeux, fais ton fourbi.

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Avec le nouveau Kapo, les Polonais envahirent le Revier et de nouveauxmĂ©decins furent placĂ©s Ă  la tĂȘte des Blocks : le nĂŽtre Ă©tait un Polonais ignare. À sonarrivĂ©e, il dĂ©cida que la nĂ©phrite Ă©tait une consĂ©quence de la mauvaise dentition etdonna l’ordre d’arracher toutes les dents Ă  tous les nĂ©phrĂ©tiques. Le dentiste futmandĂ© d’urgence et commença d’exĂ©cuter sans comprendre, mais en s’étonnant et enprotestant. Pour sauver mes dents, je m’arrangeai une nouvelle fois pour sortir duRevier avec un billet de Leichte Arbeit ou travail lĂ©ger.

Le hasard de circonstances exceptionnellement favorables voulut que je fusseaffectĂ© comme Schwunk (ordonnance) auprĂšs du S.S. OberscharfĂŒhrer1 quicommandait la compagnie des chiens.

À mon retour Ă  la vie commune, je trouvai le camp bien changĂ©. [84]

1 Adjudant-chef

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CHAPITRE V

Naufrage

Ce qui s’est passĂ© ensuite est sans grand intĂ©rĂȘt.En dĂ©cembre 1944, Dora est un grand camp. Il ne dĂ©pend plus de Buchenwald,

mais Ellrich, Osterrod, Harzungen, Illfeld, etc., en voie de construction, dĂ©pendent delui1. Les convois y arrivent directement, comme autrefois Ă  Buchenwald, y sontdĂ©sinfectĂ©s, numĂ©rotĂ©s et rĂ©partis dans les sous-camps. On en est aux matricules quidĂ©passent 100 000. Tous les soirs, des camions ramĂšnent des cadavres des sous-camps pour ĂȘtre brĂ»lĂ©s au Krematorium. La roue tourne...

On achĂšve le Block 172 : le Theater-Kino et une bibliothĂšque fonctionnentpour les gens de la H-FĂŒhrung et leurs protĂ©gĂ©s ; les femmes installĂ©es depuisquelques mois au bordel font face aux besoins de la mĂȘme clientĂšle. Les Blocks sontconfortables : l’eau y arrive, la T.S.F. aussi, les lits sont en place, sans draps, maisavec paillasse et couverture. La pĂ©riode de presse est passĂ©e, les S.S. sont moinsexigeants, leur but, la mise au point du camp, Ă©tant atteint ; mais ils sont plus attentifsĂ  la vie politique, s’acharnent sur des complots imaginaires, et pourchassent les actesde sabotage qui, eux, sont rĂ©els et nombreux.

Toutes ces amĂ©liorations matĂ©rielles n’apportent cependant pas Ă  la masse desdĂ©tenus le bien-ĂȘtre qu’elles promettent : la mentalitĂ© des gens de la H-FĂŒhrung n’apas changĂ©, et tels des hommes des cavernes qui voudraient nous faire vivre dans lesBuildings, la vie qu’ils ont vĂ©cue avec les moyens de leur temps, ils s’acharnent Ă nous faire [85] une vie aussi proche que possible de celle qu’ils ont connue dans lesdĂ©buts des camps. Ainsi va le monde.

Dans la nuit du 23 au 24 dĂ©cembre, un kommando a montĂ© sous la trique, surla place de l’Appel, un gigantesque sapin de NoĂ«l qui resplendissait de ses lumiĂšresmulticolores, le lendemain matin, Ă  5 h 30, au moment du rassemblement pour ledĂ©part au travail. À partir de ce jour et jusqu’à l’Épiphanie, nous avons dĂ» entendretous les soirs Ă  l’appel le O Tannenbaum, jouĂ© par le Musik-Kommando, avant derompre les rangs... Écouter avec recueillement Ă©tait une obligation Ă  laquelle on nepouvait se soustraire qu’en risquant des coups.

Sous le rapport du bien-ĂȘtre, deux Ă©lĂ©ments inattendus entrent en ligne decompte : l’avance conjuguĂ©e des Russes et des Anglo-AmĂ©ricains a fait Ă©vacuer lescamps de l’Est et de l’Ouest sur Dora, et les bombardements de plus en plus intensifsempĂȘchent un ravitaillement normal.

À partir de janvier, les convois d’évacuĂ©s n’ont cessĂ© d’arriver dans un Ă©tatindescriptible2 : le camp conçu pour une population d’environ 15 000 personnes

1 La H-FĂŒhrung de ces sous-camps est aux mains des verts que la H-FĂŒhrung rouge de Dora y a

envoyĂ©s pour s’en dĂ©barrasser et prĂ©venir leur retour au pouvoir.2 Voir au chapitre suivant le rĂ©cit d’un transport d’évacuation.

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atteint parfois 50 000 et plus. On couche Ă  deux et trois par lit. On ne touche plus depain, la farine n’arrivant plus : au lieu et place on reçoit deux ou trois petites pommesde terre. La ration de margarine et de saucisson est rĂ©duite de moitiĂ©. Les silos sevidant dans la mesure oĂč la population augmente, il est question de ne plus distribuerqu’un demi-litre de soupe au lieu d’un litre. Plus d’habits pour remplacer ceux quisont hors d’usage : Berlin n’en envoie plus. Plus de chaussures : on tire le meilleurparti possible des vieilles. Et tout Ă  l’avenant. Sur le plan du travail, le camp estdevenu une vĂ©ritable entreprise de sabotage. Les matiĂšres premiĂšres n’arrivent plusau Tunnel, on travaille au ralenti. C’est l’hiver. Inutile de demander des vitres pourremplacer celles qui sont brisĂ©es : il n’y en a pas, mais n’importe quel dĂ©tenu s’enprocure clandestinement une au Tunnel. Il n’y a pas non plus de peinture pour faireles raccords des Blocks : le chef de Block qui en a besoin en fait voler dans unentrepĂŽt Zawatsky par un de ses protĂ©gĂ©s. Un jour on manque de fil Ă©lectrique pourla construction des V1 et V2 : tous les dĂ©tenus du tunnel en ont volĂ© un mĂštre chacunpour se faire des lacets de souliers. Un autre jour, il faut mettre en place une voie dechemin de fer supplĂ©mentaire. Depuis un an au moins [86] les traverses nĂ©cessairesĂ©taient lĂ , entassĂ©es aux abords de la gare. La S.S.-FĂŒhrung les y croit toujours etdonne l’ordre de construire enfin la voie, puisqu’on ne peut pas faire autre chose : ons’aperçoit alors que les traverses ont disparu, et une enquĂȘte rĂ©vĂšle qu’à l’entrĂ©e del’hiver, les civils les ont fait scier une Ă  une par les dĂ©tenus et les ont emportĂ©es petitĂ  petit dans leur RĂŒcksack pour pallier les dĂ©ficiences des rations de chauffage qui nesont plus distribuĂ©es parce qu’elles n’arrivent plus. On prend quelques sanctions, ondemande des traverses et on reçoit quelques jours aprĂšs des gyroscopes.

Au Tunnel, les actes de sabotage ne se comptent plus : les S.S. ont mis desmois Ă  s’apercevoir que les Russes rendaient un grand nombre de V1 et V2inutilisables en urinant dans l’appareillage radio-Ă©lectrique. Les Russes maĂźtres-pillards sont aussi des maĂźtres saboteurs et ils sont entĂȘtĂ©s : rien ne les arrĂȘte, aussifournissent-ils le plus fort contingent de pendus. Ils le fournissent pour une raisonsupplĂ©mentaire : ils ont rĂ©ussi Ă  mettre au point une tactique de l’évasion.

TrĂšs peu de dĂ©tenus ont eu l’idĂ©e de s’évader de Dora, et ceux qui l’ont tentĂ©furent tous retrouvĂ©s par les chiens. À leur retour au camp on les pendaitgĂ©nĂ©ralement, non pas pour tentative d’évasion, mais pour crime de guerre, car ilĂ©tait bien rare qu’on ne puisse mettre Ă  leur compte un vol quelconque commis dansun des endroits oĂč ils avaient passĂ©. Pour obvier Ă  cet inconvĂ©nient, les RussesinventĂšrent une autre mĂ©thode : un jour, ils se cachaient dans le camp, — sous unBlock, par exemple ; on les cherchait partout au dehors, et naturellement on ne lestrouvait pas ; alors, au bout de huit jours on abandonnait les recherches. À cemoment ils sortaient avec un kommando et s’évadaient rĂ©ellement avec touteschances de succĂšs puisqu’on ne les cherchait plus. Tout se gĂąta le jour oĂč au lieu defaire la tentative Ă  un, ils voulurent la faire plusieurs, — Ă  dix, je crois. Las d’ĂȘtrebernĂ©s, les S.S. eurent l’idĂ©e, devant une Ă©vasion si massive, de rassembler toute la

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population du camp sur la place de l’Appel et de lĂącher les chiens Ă  l’intĂ©rieur : enmoins de temps qu’il ne faut pour le dire, les Russes furent pris et le moyen Ă©ventĂ©1.

Le sabotage semble avoir gagnĂ© les sphĂšres les plus Ă©levĂ©es : les V1 et V2,avant d’ĂȘtre utilisĂ©es, doivent ĂȘtre [87] essayĂ©es et les « ratĂ©s » sont envoyĂ©s Ă Harzungen pour ĂȘtre dĂ©montĂ©s et vĂ©rifiĂ©s. À Harzungen, on les dĂ©monte donc, onmet les diffĂ©rentes piĂšces dans un emballage ad hoc qu’on rĂ©expĂ©die Ă  Dora oĂč on lesremonte de la mĂȘme façon. Il y a ainsi une trentaine de V1 et V2 qui ne cessentd’ĂȘtre montĂ©es et dĂ©montĂ©es et de faire la navette entre Harzugen, Dora et le lieu del’essayage.

La direction mĂȘme de Dora est Ă  la fois dĂ©bordĂ©e et dĂ©sorientĂ©e. À l’entrĂ©e duTunnel, Ă  Dora, il y a une sorte de magasin oĂč on rassemble toutes les piĂšcesinutilisables : Ă©crous, boulons, lames de tĂŽle, vis de tous genres, etc. Un kommandospĂ©cial rĂ©putĂ© de travail lĂ©ger est chargĂ© de trier toutes ces piĂšces et de les ranger parespĂšces : dans une caisse on met les boulons, dans l’autre les vis, dans cette troisiĂšmeles bouts de tĂŽle. Quand toutes les caisses sont pleines, le Kapo donne l’ordre de lesaller vider pĂȘle-mĂȘle dans un wagon. Quand le wagon est plein, il est accrochĂ© Ă  untrain, part pour une destination inconnue, puis deux jours aprĂšs, il Ă©choue Ă  l’entrĂ©ed’Ellrich oĂč on l’a envoyĂ© pour ĂȘtre dĂ©chargĂ© et triĂ©. Le kommando qui est chargĂ© dece travail brouette jusqu’au magasin de Dora les piĂšces qu’il a triĂ©es et les y videpĂȘle-mĂȘle. Il y a donc aussi tout un lot de rebuts qui ne cessent d’ĂȘtre gravement triĂ©saux deux extrĂ©mitĂ©s du Tunnel.

Ainsi, d’incidents en incidents, de bombardements en rarĂ©factions de lanourriture, de complots virtuels en sabotages et en pendaisons, nous atteignons lalibĂ©ration.

Toute cette pĂ©riode je l’ai vĂ©cue au titre de Schwunk de l’OberscharfĂŒhrercommandant la compagnie des chiens : travail facile qui consiste Ă  cirer ses bottes,brosser ses habits, faire son lit, tenir sa chambre et son bureau dans un Ă©tat depropretĂ© mĂ©ticuleuse, aller chercher ses repas Ă  la cantine S.S. Tous les matins, vershuit heures, ma journĂ©e est finie. Je passe le reste Ă  bavarder Ă  droite et Ă  gauche, Ă me chauffer au coin du feu, Ă  lire les journaux, Ă  Ă©couter la T.S.F. En mĂȘme tempsqu’il me donne la soupe de mon patron, le cuisinier S.S., Ă  chaque repas, m’en donnesubrepticement autant pour moi. Par surcroĂźt, les trente S.S. qui occupent le Blockm’emploient de temps Ă  autre Ă  de petits travaux, me font laver leurs gamelles, cirerleurs bottes, balayer leurs chambres, etc. En revanche, ils me donnent leurs restes queje remonte tous les soirs au camp pour les camarades. La belle vie.

Ce contact direct avec les S.S. me les fait voir sous un tout autre jour que celuisous lequel ils apparaissent vus [88] du camp. Pas de comparaison possible : enpublic, ce sont des brutes, pris individuellement, des agneaux. Ils me regardentcurieusement, m’interrogent, me parlent familiĂšrement, veulent mon opinion surl’issue de la guerre et la prennent en considĂ©ration : ce sont tous des gens, — anciensmineurs, anciens ouvriers d’usines, anciens plĂątriers, etc. — qui Ă©taient chĂŽmeurs en1933 et que le rĂ©gime a sorti de la misĂšre en leur faisant ce qu’ils considĂšrent comme

1 Je n’ai vu qu’une seule fois le phĂ©nomĂšne se produire, quelques semaines avant la libĂ©ration.

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un pont d’or. Ils sont simples et leur niveau intellectuel est excessivement bas : enĂ©change du bien-ĂȘtre que le rĂ©gime leur a apportĂ©, ils exĂ©cutent ses basses besogneset se croient en rĂšgle avec leur conscience, la morale, la patrie allemande etl’humanitĂ©. TrĂšs sensibles au mauvais coup du sort qui m’a frappĂ© en m’envoyant Ă Dora, il passent la tĂȘte haute, altiers, inflexibles et impitoyables au milieu des autresdĂ©tenus dont la garde leur est confiĂ©e : pas une fois, ne les effleure l’idĂ©e que ce sontdes gens comme eux, ou mĂȘme... comme moi !

Les anomalies du rĂ©gime du camp ne leur tombent pas sous les sens et quand,par hasard, ils les remarquent, trĂšs sincĂšrement ils en rendent responsable la H-FĂŒhrung1. Ils ne comprennent pas que nous soyons maigres, faibles, sales et enloques. Le IIIe Reich nous fournit cependant tout ce dont nous avons besoins : lanourriture, les moyens d’une hygiĂšne impeccable, un logement confortable dans uncamp modernisĂ© au possible, des distractions saines, de la musique, de la lecture, dessports, un sapin de NoĂ«l, etc. Et nous ne savons pas en profiter. C’est bien la preuveque Hitler a raison et qu’à quelques rares exceptions prĂšs, nous appartenons Ă  unehumanitĂ© physiquement et moralement infĂ©rieure ! Individuellement responsables dumal qui se fait sous leurs yeux, avec leur complicitĂ© ou leur coopĂ©ration, Ă  la foisinconsciente et dĂ©libĂ©rĂ©e ? SĂ»rement pas : victimes de l’ambiance — de cetteambiance particuliĂšre dans laquelle, Ă©chappant au contrĂŽle des individus et rompantcollectivement avec les traditions, tous les peuples, sans distinction de rĂ©gime ou denationalitĂ©, sombrent pĂ©riodiquement et Ă  tour de rĂŽle, aux carrefours dangereux deleur Ă©volution ou de leur Histoire.

Le 10 mars, un convoi de femmes Bibelforscher2 est arrivĂ© Ă  Dora, suivi d’uneordonnance de Berlin stipulant [89] que ces femmes — elles Ă©taient 24 — devaientĂȘtre employĂ©es Ă  des travaux lĂ©gers. DĂ©sormais, l’emploi de Schwunk sera tenu parelles. Je suis relevĂ© et renvoyĂ© au camp. Pour Ă©chapper Ă  un mauvais kommando, jejuge plus prudent de profiter de mon Ă©tat de santĂ© pour me faire hospitaliser auRevier, des fenĂȘtres duquel j’ai assistĂ© aux bombardements de Nordhausen, les 3 et 5avril 1945, — trois semaines aprĂšs, tout juste deux jours avant d’ĂȘtre pris dans un deces fameux transports d’évacuation. [90]

1 Ou la masse elle-mĂȘme des dĂ©tenus.2 Baptiste, tĂ©moin de JĂ©hovah, objecteur de conscience.

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CHAPITRE VI

Terre des hommes « libres »

Il pleut. Une pluie fine d’avril, froide, glaciale. RĂ©guliĂšre, entĂȘtĂ©e, inexorable.Ainsi depuis deux jours : on entame la troisiĂšme nuit.

Le convoi, une longue chaĂźne de wagons dĂ©glinguĂ©s qui grincent sur le rail,s’enfonce lentement dans le grand trou noir. La machine, une locomotive d’un autreĂąge, sue et souffle et peine, tousse et crache, patine et pĂ©tarade. Cent fois, elle ahĂ©sitĂ©, cent fois elle a eu l’air de refuser l’effort qu’on attend d’elle.

Il pleut, il pleut sans cesse.Dans le wagon à ciel ouvert, quatre-vingts corps affalés, recroquevillés,

s’enchevĂȘtrent et s’entassent, les uns dans les autres, les uns sur les autres. Vivants ?Morts ? Nul ne saurait le dire. Le matin, ils se sont encore Ă©veillĂ©s, gelĂ©s dans leurspauvres loques trempĂ©es, amaigris, transparents, hĂąves, leurs grands yeux dĂ©sorbitĂ©spleins de fiĂšvre et d’hĂ©bĂ©tude. Dans un effort surhumain, ils se sont comme Ă©brouĂ©s.Ils ont distinguĂ© le jour, ils ont senti la pluie, — les longs traits acĂ©rĂ©s de la pluie, —traverser la guenille, les chairs minces et durcies, puis se ficher dans l’os, en rangsserrĂ©s, impitoyables. Ils ont fait le gros dos dans un imperceptible frisson. Peut-ĂȘtreallaient-ils se laisser entraĂźner aux mille gestes instinctifs du rĂ©veil quand ils se sontvus, mirĂ©s les uns dans les autres. À travers le brouillard de la fiĂšvre et la trame d’eauqui tombe du ciel, ils ont aperçu des hommes en uniforme, armĂ©s jusqu’aux dents,plantĂ©s aux quatre coins du wagon, impassibles mais vigilants. Alors, ils se sontsouvenu : ils ont rĂ©alisĂ© leur destin et, sans un sursaut, mornes et accablĂ©s, ils sontretombĂ©s dans ce demi-sommeil, cette demi-vie, cette demi-mort. [91]

Il pleut, il pleut toujours. Un air lourd, chargĂ© de fĂ©tiditĂ©s, monte du tas descorps, s’évanouit dans le froid humide et dans la nuit.

Au dĂ©part, ils Ă©taient cent.RassemblĂ©s en hĂąte, les chiens aux trousses, jetĂ©s pĂȘle-mĂȘle et en paquets dans

la rame, sous les coups et dans les ordres hurlĂ©s, ils ont d’abord Ă©tĂ© atterrĂ©s quand ilsse sont retrouvĂ©s, prĂȘts Ă  partir, sur la plate-forme exiguĂ«, sans vivres pour le voyage.Toute de suite, ils ont compris qu’une grande Ă©preuve commençait.

— Achtung, Achtung ! les a-t-on prĂ©venus sans transition : debout le jour, assisla nuit ! Nicht verschwinden ! Toute infraction Ă  ce rĂšglement, sofort erschossen !1

compris ?Le wagon dĂ©couvert, le froid, la pluie, passe encore, on en avait vu d’autres.

Mais, rien Ă  manger : Rien Ă  manger !Pour comble de malheur, depuis des semaines, il n’était pas entrĂ© un gramme

de pain au camp et il avait fallu se contenter des ressources des silos : soupe claire de

1 Attention ! Attention ! Ne pas tenter de s’évader ! FusillĂ© sur-le-champ !

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rutabagas, un litre (parfois un demi-litre) et deux petites pommes de terre, le soir,aprĂšs la longue et dure journĂ©e de travail. Rien Ă  manger : tout s’est effacĂ© devantcette menace, c’est Ă  peine s’ils ont entendu arriver jusqu’à eux ce bruit selon lequelles AmĂ©ricains Ă©taient Ă  douze kilomĂštres.

– Rien à manger, debout le jour, assis la nuitAvant la fin de la premiùre nuit, trois ou quatre d’entre eux, qui avaient

manifesté trop précipitamment le désir de satisfaire un besoin pressant, ont été saisisau collet, plaqués brutalement contre la haute paroi du wagon et exécutés à boutportant :

– Craa-ack ! contre le bois, craa-ack !On a pris le parti de faire dans sa culotte, prĂ©cautionneusement d’abord, en se

retenant comme pour se souiller moins, puis progressivement on s’est laissĂ© aller.Trois ou quatre autres, tombĂ©s d’épuisement au long du jour suivant, ont Ă©tĂ©

froidement achevĂ©s d’une balle dans la tĂȘte.– Craa-ack ! contre le plancher, craa-ack ! Les corps ont Ă©tĂ© jetĂ©s par-dessus

bord, au fur et Ă  mesure, aprĂšs relevĂ© des numĂ©ros matricules : au seuil de latroisiĂšme nuit, les rangs sont considĂ©rablement Ă©claircis, on est passĂ© de l’effroi Ă  laterreur et de la terreur Ă  l’abandon complet. On a renoncĂ© Ă  sortir de cet enfer, on arenoncĂ© jusqu’à vivre : maintenant on se laisse mourir dans la sanie. [92]

Il pleut, il pleut, il pleut.Toutefois, un petit vent s’est levĂ© qui prend le convoi par le travers et gonfle la

toile de tente mal arrimĂ©e Ă  des montants de fortune sous laquelle, Ă  chaque coin duwagon, la sentinelle abrite ses longues heures de veille : il a comme balayĂ© desmiasmes, et les S.S., nerveux au dĂ©part, affairĂ©s quoique dĂ©cidĂ©s et pleins d’espoirencore, sont soudain devenus soucieux. Depuis un temps, on entend moins de coupsde fusils, moins de claquements de revolver. Les chiens eux-mĂȘmes — les chiens,oh, ces chiens ! — aboient et jappent moins aux nombreux arrĂȘts. En quarante-huitheures, d’avant en arriĂšre, de voie de garage en voie de garage, de changement dedirection en changement de direction, le convoi se trouve Ă  moins de vingtkilomĂštres de son point de dĂ©part. Tard dans la soirĂ©e, il a mis le cap sur le Sud-Ouest, aprĂšs avoir vainement essayĂ© du Nord, du Sud et de l’Est : si cette voie estcoupĂ©e comme les autres, cela signifie qu’on est cernĂ©, qu’on sera pris. Ils ont froncĂ©le sourcil, les S.S., puis ils se sont rĂ©percutĂ© la nouvelle de wagon en wagon, de latĂȘte Ă  la queue, aprĂšs quoi ils se sont repliĂ©s sur eux-mĂȘmes.

– On est cernĂ©, on va ĂȘtre pris !Ça les a tourneboulĂ©s : on va ĂȘtre pris, tous ces corps inconscients qui gisent

vont retrouver la vie, se lever pour accuser, le dĂ©lit sera flagrant.Au cours de la matinĂ©e encore, on les avait entendus s’interpeller frĂ©quemment

avec des cris gutturaux, dire des gaudrioles et lancer de gros rires aux filles qui, toutau long du parcours, tristes et dĂ©sabusĂ©es, ne leur accordaient dĂ©jĂ  plus que de rareset mĂ©lancoliques encouragements. Maintenant, il se taisent : seuls, un battement debriquet ou le point rouge d’une cigarette, viennent de temps Ă  autre Ă©rafler ce silence

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de mort, ou troubler l’épaisse et humide obscuritĂ© de la nuit. Il pleut, il pleuttoujours, il pleut sans cesse, il pleut sans fin : le ciel est inĂ©puisable.

Voici que, par surcroĂźt, le vent s’est fait plus fort. Il se met Ă  siffler aigrementdans les interstices des planches et l’eau arrive en trombe. Les toiles de tente des S.S.s’enflent dĂ©mesurĂ©ment, leurs montants plient. Tout Ă  coup, Ă  l’arriĂšre, une attache acĂ©dĂ©, puis une autre : la toile de tente se met Ă  flotter comme un drapeau, Ă  claquerde l’extĂ©rieur contre la paroi. Le S.S. pousse un juron. Puis, bougonnant et sacrant, ils’essaie Ă  rĂ©parer le dĂ©gĂąt. En vain : s’il rĂ©ussit d’un cĂŽtĂ©, le vent remporte l’autre !

– Gott verdamnt ! [93]Aprùs deux tentatives infructueuses, il renonce. Brusquement il se tourne vers

celui des malheureux qui est le plus proche. Une bourrade des genoux, un coup debottes dans les reins, puis :

– Du, crie-t-il, du ! Du, blöde Hund ! Blöde Hund : l’homme a entendu,compris d’oĂč venait l’appel, rassemblĂ© automatiquement tout ce qui restait de forcesen lui, et s’est levĂ© tout apeurĂ©. Quand il a vu ce qu’on attendait de lui, ça l’a un peurassurĂ©. Il s’est hissĂ©, — laissĂ© hisser ! — sur la ridelle, Ă©quilibrĂ© sur les genoux etsur les mains. Puis, avec beaucoup de prĂ©cautions pour ne pas tomber Ă  la renversesur le ballast — pour ne pas tomber sur le ballast ! — il a ramenĂ© la toile, aidĂ© l’autreĂ  en fixer Ă  nouveau les coins sur les montants.

– Fertig ?– Ja, Herr S.S.Alors, il se passe une chose extraordinaire : l’homme se retrouve. D’un coup,

dans un Ă©clair. N’eĂ»t Ă©tĂ© l’obscuritĂ© et la pluie, on aurait vu soudain une Ă©trangeflamme allumer ses yeux. Tout Ă  la fois il a rĂ©alisĂ© qu’il est Ă  genoux sur le rebord dela paroi, les deux jambes tournĂ©es vers l’extĂ©rieur, que le train ne marche pas trĂšsvite, qu’il pleut, que la nuit est noire, que les AmĂ©ricains sont peut-ĂȘtre Ă  douzekilomĂštres, que la libertĂ©.

– La libertĂ©, ĂŽ la libertĂ© !À cette Ă©vocation, une inexplicable folie s’empare de lui qui, tout Ă  l’heure,

avait peur de tomber à la renverse — î ironie ! — une grande lumiùre entre dans soncerveau, inonde, envahit tout son corps :

– Ia, rĂ©pĂšte-t-il. Puis il crie : Ia ! Ia ! Ia a ah !Avant que l’autre ait eu le temps, mĂȘme d’ĂȘtre surpris, l’homme, le squelette,

le demi-mort, bande ses muscles dans un suprĂȘme effort, arc-boute ses pauvres brassur le rebord de la planche et, d’un coup sec, il se projette en arriĂšre. Il entend uncrĂ©pitement de salve rĂ©sonner dans sa tĂȘte et il a encore la force, l’étonnante luciditĂ©,de penser qu’il tombe dans un angle mort. Il se sent happĂ© et, corps et Ăąme, il rouledans le nĂ©ant des inconsciences.

Tch ! Tch ! Clac ! Tcheretchstche ! Clac ! Tch ! Clac ! Taratatata ! Tche !Tche ! Tche ! Tche ! La machine sue, souffle, hĂ©site, patine, pĂ©tarade toujours. Lesarmes ont recommencĂ© Ă  cracher la mort. Peu Ă  peu, le grand silence indiffĂ©rent de lanature endormie se referme sur le drame qui se prolonge, troublĂ© seulement par lebruis[94]sement redevenu rĂ©gulier de la pluie dans le vent qui s’affaisse.

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Il pleut, il pleut, il pleut.

Il ne pleut plus.Des heures se sont Ă©coulĂ©es : deux, trois, quatre, peut-ĂȘtre. Le ciel s’est enfin

lassé. Dans le noir épais, spongieux, quelque chose a remué, là, en contrebas de lavoie ferrée.

Deux yeux d’abord ont essayĂ© de s’ouvrir, mais les paupiĂšres alourdies se sontrabattues dans un brusque rĂ©flexe, comme si la tĂȘte Ă©tait sous l’eau.

Une gorge assĂ©chĂ©e s’est contractĂ©e pour un appel de salive et a fait venir ungoĂ»t de terre sur la langue. Un bras a esquissĂ© un geste qui a Ă©tĂ© paralysĂ© Ă  mi-coursepar une douleur aiguĂ« au coude, sourde Ă  l’épaule. Puis, plus rien : l’homme s’estvidĂ© de nouveau dans la sensation d’un Ă©trange bien-ĂȘtre et, de bonne foi, il a cru serendormir.

Soudain, un frisson le parcourt et l’enveloppe. La peau, sur sa poitrine, s’estdĂ©collĂ©e du vĂȘtement mouillĂ© : br ! Il a voulu se pelotonner, ramener sa jambe souslui : AĂŻe ! Alors, il a cherchĂ© Ă  se rĂ©veiller, ses paupiĂšres ont battu nerveusement, il aforcĂ© ses yeux Ă  rester ouverts : il les a plantĂ©s dans le noir opaque, absolu, pesant.Une envie de tousser monte de ses poumons, brise tout en lui. Il en gardel’impression que son corps gĂźt en tronçons Ă©pars et endoloris, dans l’herbe ruisselanteet sur le sol boueux.

Il essaie de penser. Au premier effort, il reçoit comme un choc dans la tĂȘte :Les chiens.Cette fois il est rĂ©veillĂ©. Il revit tout. Une cascade d’évĂ©nements l’assaillent, se

succùdent et se chevauchent : l’embarquement, le convoi, l’enfer du wagon, le froid,la faim, la pluie, la toile de tente, le vent, le saut dans la nuit. Le convoi : s’il allaitrevenir une fois encore sur ses pas ? Les chiens : oh ! tout plutît que cette mort-là !

Il veut fuir : rien Ă  faire, les morceaux de son corps sont rivĂ©s lĂ . Il veut serassembler ; ça craque de partout, il entend ses os crisser les uns sur les autres.Pourtant, il faut sortir de lĂ . À tout prix.

Son raisonnement prend une autre direction : une voie ferrĂ©e, c’est un objectifmilitaire pour les assaillants, un accident du terrain Ă  utiliser pour les assaillis. LesAllemands [95] vont utiliser celle-ci, se replier sur elle, s’y accrocher : ils vont letrouver.

– Fuir, oh ! fuir ! S’éloigner de quelques centaines de mĂštres au moins etattendre lĂ , plus en sĂ©curitĂ©, l’arrivĂ©e des AmĂ©ricains : premiĂšrement se mettredebout !

PremiÚrement, se mettre debout. Il a pensé haut, sa voix a des résonancescaverneuses, le murmure de ses lÚvres fait sortir de sa bouche des granulationsterreuses. Il crachote : tt ! tt !

Avec d’infinies prĂ©cautions, il ramĂšne ses bras l’un aprĂšs l’autre : Ă  gauche,rien, mais Ă  droite, toujours cette douleur au coude et Ă  l’épaule.

– Tiens, on dirait qu’elle s’attĂ©nue

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Il rĂ©pĂšte le mouvement : c’est bien vrai, la douleur s’assouplit dans le jeu desmuscles et des articulations ; il n’a rien de cassĂ©. Sa poitrine respire mieux.

Aux jambes maintenant : il froisse doucement ses muscles, ça lui faithorriblement mal, il hurlerait. Enfin, c’est fait, rien de cassĂ© non plus de ce cĂŽtĂ©, —du moins il n’y paraĂźt pas. Il en devient plus calme. Plus mĂ©thodique aussi.

Il rĂ©ussit Ă  s’asseoir. Les meurtrissures de son corps se font plus douloureuses,le cataplasme de ses vĂȘtements plus glacĂ©. Il grelotte. Au creux de l’estomac, ilressent un tiraillement rond : il a faim, c’est bon signe. Il s’étonne de n’avoir pas eufaim plus tĂŽt. Il porte la main Ă  sa tĂȘte : son bĂ©ret de bagnard y est encore, ça le faitrire. Il pense Ă  ses claquettes : il les a perdues dans l’aventure, tant pis. Il tĂątonne surlui : il est couvert de boue et comme enroulĂ© dans un fatras de fils de fer dont ilentreprend tout de suite de se dĂ©pĂȘtrer. Il se tourne, se met Ă  quatre pattes, encore uneffort et il sera debout

Debout : il est debout, il va gagner le large, les Allemands pourront se replier,venir, s’accrocher Ă  la voie ferrĂ©e Pas si vite, la tĂȘte lui tourne, il a envie de vomir, ilsent qu’il vacille, qu’il va tomber et que seuls ses deux pieds enlisĂ©s le maintiennenten Ă©quilibre, qu’il ne faut pas compter les mettre l’un devant l’autre. Il se raidit, tientaussi longtemps qu’il peut, mais il voit qu’il va chavirer, se faire mal encore dans sachute. Alors doucement, tout doucement, il s’accroupit : puisqu’il ne peut marcher, ilse traĂźnera, mais il ne restera pas lĂ , non, il ne restera pas lĂ . Et il revient au convoi,aux chiens, aux Allemands qui vont se replier. Aux AmĂ©ricains. [96]

– Dire qu’ils sont Ă  douze kilomĂštres. Non, ce serait trop bĂȘte.Il dĂ©senlise ses pieds : pfloc, pfloc !Sur les genoux et sur les mains, rampant comme un gros ver torturĂ©, il achĂšve

de descendre une pente, traverse un semblant de fossĂ© plein d’une eau poisseuse, uncarrĂ© de prĂ©, aborde une parcelle fraĂźchement labourĂ©e : la terre s’enlĂšve par plaques,colle aux genoux, aux jambes, aux coudes. Il s’arrĂȘte, reprend son souffle

Cependant la nuit est devenue moins noire, le ciel plus haut. DĂ©jĂ  les formesdes buissons et des arbres isolĂ©s d’alentour se prĂ©cisent dans un brouillard tĂ©nu :

Le jour va se lever : autre danger.À quelques centaines de mĂštres, au sommet d’une montĂ©e de terrain, il

distingue une masse sombre : les bois, sans doute.Il se fixe comme premier but de les atteindre avant l’aube. Il se remet en

mouvement. L’effort a rĂ©chauffĂ© son corps, assoupli ses muscles et ses articulations,localisĂ© la douleur dans une bande tout le long du corps, du cĂŽtĂ© droit. Il arrive Ă  semettre debout, Ă  le rester, Ă  mettre l’un devant l’autre ses pieds dĂ©chaussĂ©s etinsensibles, Ă  marcher. À marcher lentement car sa jambe droite tire et son Ă©paule luifait bien mal. Mais il marche, il avance : penchĂ©, moulu, cassĂ©, tordu, il se hisse versla forĂȘt. Il veut, se raidit, s’efforce et se cramponne. Avant l’aube il y sera, il s’ytapira, il s’y terrera, les AmĂ©ricains arriveront, il sera sauvĂ©.

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Le reste s’est passĂ© dans un rĂȘve, — dans un rĂȘve Ă  deux temps, long,extĂ©nuant.

ArrivĂ© au bois, il a renoncĂ© Ă  s’enfoncer dans les taillis dont il redoutait latraĂźtrise, et jugĂ© plus sage de s’asseoir lĂ , un peu en retrait toutefois, entre lesbuissons rares d’oĂč il pourrait, comme d’un observatoire dĂ©robĂ©, voir venir de tousles cĂŽtĂ©s.

Le jour s’est levĂ©, la pente qui dĂ©valait Ă  ses pieds est peu Ă  peu sortie del’ombre, le damier de champs et de prĂ©s indistincts s’est prĂ©cisĂ©, la voie ferrĂ©e, lĂ -bass’est Ă©tirĂ©e, dĂ©roulĂ©e comme un long ruban. Au creux de deux collines dans lelointain, un rocher a pointĂ© sa flĂšche parmi les petites fumerolles, montant toutesdroites, d’invisibles cheminĂ©es.

TrĂšs vite, la nue encore grise mais irradiĂ©e d’une grosse [97] tache blanchedĂ©nonçant le soleil qui cherchait Ă  percer, s’est trouvĂ©e trĂšs haut dans le ciel. Lepaysage s’est peuplĂ©, par-ci, par-lĂ , de quelques attelages qui vont et viennent,tranquilles. Un homme, un civil aussi mais dont on distingue le brassard significatif,a entrepris, nonchalamment d’ailleurs, de faire les cent pas le long de la voie ferrĂ©e.

Il a Ă©voquĂ© un coin de nature semblable, par un mĂȘme temps, sous un mĂȘmeciel, avec le mĂȘme damier de champs et de prĂ©s, les mĂȘmes forĂȘts, les mĂȘmes arbresisolĂ©s, le mĂȘme clocher, la mĂȘme voie ferrĂ©e, quelque part aux confins de l’Alsace etde la Franche-ComtĂ©.

Il a pensĂ© que si sa mĂšre avait vu celui-ci Ă  cette mĂȘme heure, elle n’aurait pasmanquĂ© de remarquer que le ciel se « lavait » ou que le temps « s’essuyait ». Il aobservĂ© longtemps deux chevaux qui traĂźnaient, Ă  cinq cents mĂštres, une sorte deherse, sur un prĂ©, pour « Ă©tendre » les taupiniĂšres: ce vieux qui les conduisait, maparole, c’était le pĂšre Tourdot, et cette petite bonne femme qui tirait sur une cordefixĂ©e Ă  l’arriĂšre de la herse, c’était sa petite-fille dont le pĂšre, le Tony, Ă©taitprisonnier en Allemagne ! Par association d’idĂ©es, il a vu le visage soucieux de safemme se pencher sur un petit bout d’homme de deux ans Puis il est revenu Ă  luidans un sursaut d’inquiĂ©tude :

– Non, non, c’était un leurre ! Les AmĂ©ricains ne peuvent pas ĂȘtre Ă  douzekilomĂštres, tout est trop calme. À travers ces champs, ces prĂ©s, ces bois, rien nerespire une atmosphĂšre de guerre, Ă  plus forte raison de dĂ©bĂącle. En France, en1940...

Il a Ă©tĂ© atterrĂ© : qu’allait-il devenir ?Pas moyen de s’adresser Ă  ces gens tout de mĂȘme : avec un costume pareil !Il en a eu faim, trĂšs faim, et il a ramassĂ© une brindille qu’il a mise dans sa

bouche : c’était encore une recette de sa mĂšre quand il criait la soif dans ses jupes,les aprĂšs-midi de grande chaleur, pendant la moisson. Ça lui a changĂ© les idĂ©es.

Les heures ont coulĂ©, le soleil a rĂ©ussi Ă  percer la nue, Ă  morceler le ciel. Unecloche a sonnĂ© : midi, le finage s’est vidĂ©. L’aprĂšs-midi s’est Ă©coulĂ© de mĂȘme : lesattelages sont revenus plus nombreux par un soleil plus chaud qui a sĂ©chĂ©complĂštement ses vĂȘtements. Un homme est passĂ© prĂšs de lui, un coupe-gazon surl’épaule, et l’a presque frĂŽlĂ© : il n’a pas bronchĂ©, mais il en a dĂ©duit qu’il ne pourrait

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pas rester longtemps dans cette situation sans donner l’éveil. Il a rĂ©flĂ©chi lelendemain, c’était dimanche, il n’a pas eu de peine [98] Ă  l’établir en prenant commerepĂšre l’embarquement au camp, qui avait eu lieu un mercredi soir. Demain matin,donc, il serait tranquille, mais il aurait, l’aprĂšs-midi, beaucoup Ă  redouter desdispositions qu’ont les Allemands, grands et petits, Ă  se promener dans les bois.

Le soir est venu, puis la nuit. Le garde-voie avec son brassard n’a pas cessĂ©d’aller et venir. Pas une alerte, pas le moindre petit bruit de moteur dans le ciel,durant toute cette journĂ©e :

– Non, nonLa lune, une grosse lune couleur de braise, a rĂ©pandu son Ă©trange clartĂ© sur le

paysage. Des coups sourds ont rĂ©sonnĂ© dans le lointain :– Ils sont encore Ă  quarante ou cinquante kilomĂštres au moins. Les chiens, si

on les lĂąche sur moi, m’auront trouvĂ©, avant qu’ils ne soient ici. Il faudrait partir,aller Ă  leur rencontre, mais dans quelle direction d’abord ?

Il allait dĂ©sespĂ©rer de tout quand une alerte lui a redonnĂ© courage. Les avionsont tournoyĂ© des heures et des heures au-dessus de lui, laissĂ© tomber des bombesdans les environs immĂ©diats. Tranquillement, sans ĂȘtre le moins du monde inquiĂ©tĂ©s,pris en chasse, ou dans le feu de la D.C.A. Puis ils sont partis, puis d’autres sontrevenus : un va-et-vient continuel jusqu’à l’aube.

Une alerte, une vraie alerte, une bonne alerte !– Cette fois, tout de mĂȘme.Le jour, un brouillard qui se dissipe rapidement sous un soleil qui n’hĂ©site pas,

— tout de suite un ciel serein : un ciel de dimanche, un vrai ciel de vrai dimanche, devrai printemps.

Il pouvait ĂȘtre dix heures du matin quand le grand chambardement a enfincommencĂ©.

– Tac ! Tac ! Tacatacatacatac ! Tac ! Il a Ă©valuĂ© la distance : quatre Ă  cinqkilomĂštres au maximum. Ça venait de la direction du clocher, d’un peu au-delĂ .

– Tac ! Tac ! Tac tac tac ! Tac !La mitrailleuse a insistĂ©, une autre a rĂ©pondu :– Toc ! Toc ! Toc toc ! Toc toc ! Puis un grand fracas :– Boum ! boum ! boum ! Boum ! Le canon : les projectiles ne sont pas tombĂ©s

bien loin, mais au-delà du village encore. [99]– Boum ! Boum ! boum, boum Un temps Boum ! boum ! Un autre temps.

Boum ! Boum ! Boum ! Boum ! boum ! Boum !Les coups viennent droit contre lui, le tir est régulier, frais, sonore. Il va falloir

aviser.Une formidable explosion dĂ©chire l’air derriĂšre lui, presque sur lui.Brroum ! Puis une autre.Brroum !Il en a les tympans brisĂ©s :

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Brroum ! Brroum !Ça ne s’arrĂȘte plus. Et de lĂ -bas, en Ă©cho :– Boum ! Boum ! boum ! Boum !Le soleil est magnifique, le ciel est radieux, la campagne dĂ©serte, l’homme au

brassard a disparu. Personne, il est seul.– Brroum ! Boum, boum, boum, Brou,..Broum !Il est dans l’axe du tir que la voie ferrĂ©e coupe presque perpendiculairement et

sur laquelle les Allemands se replient : ils essaieront de la dĂ©fendre mais ils netiendront pas longtemps, ils se retireront sur la forĂȘt oĂč ils marqueront un tempsd’arrĂȘt. Sur la forĂȘt, c’est-Ă -dire sur lui. Ils le trouveront :

Non, il ne faut pas rester lĂ  !Il est dans l’axe du tir que la voie ferrĂ©e coupe presque pour sortir de l’axe. Sa

jambe ne traßne presque plus, la terre est sÚche, le sol est dur, il est en possession detoutes ses facultés. Le dernier acte de la tragédie va se jouer, il ne fera pas un fauxmouvement, il est sûr de lui, il descend :

– Pas trop prĂšs de la voie, pas trop prĂšs de la forĂȘt, dĂ©cide-t-il.Le duel se poursuit :– Boum ! Boum ! Boum ! Boum !– Brroum !Broum ! Boum ! Boum !Tiens, il a vu des fumĂ©es, en deçà du clocher : les AmĂ©ricains allongent le tir– Boum ! Boum ! Boum ! Boum ! Boum !Ils l’allongent encore : ça tombe sur la voie.Il voit la terre gicler en gerbes dans la fumĂ©e, sur une longue ligne qui la coupe

en oblique. Il sent l’odeur des obus.– Diable, il faut se coucher ;Il aurait voulu aller plus loin, mais Un buisson isolĂ© est Ă  proximitĂ© :– Mauvais refuge. [100]Et il prĂ©fĂšre le sillon profond qui sĂ©pare deux parcelles, devant lui, Ă  quinze

pas ; il s’y tapit :– Zz Boum ! Zz Boum !Il Ă©tait temps ! Ça siffle au-dessus, ça tombe autour. Le tonnerre qui s’était tu

derriĂšre lui reprend, les coups sont plus sourds, plus lointains :– Ils reculent !Pendant que les AmĂ©ricains allongent le tir, les Allemands le raccourcissent,

suivent la progression Ă  reculons Il se trouve tout Ă  coup comme au centre d’uneffroyable tremblement de terre, dans un nuage de fumĂ©e, de fer et de terre, Il estquasi recouvert de terre et il se demande quel miracle fait qu’il ne soit pas pulvĂ©risĂ©.

Entre deux roulements, il risque un regard par-dessus son sillon : des formesgrises traversent la voie, l’une aprùs l’autre, en sauts rapides Elles se plaquent auremblai : un coup de feu Un plaquage, un coup de feu ! Un plaquage, un coup defeu ! Hop ! quinze pas en arriùre Hop ! Hop ! on dirait qu’ils se passent le mot etsautent à leur tour.

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Ils reculent sur lui, ils cherchent à quitter le découvert, à gagner les taillis.Hop ! Quinze pas en arriÚre, un coup de feu Hop !

– Pourvu que l’un d’eux ne vienne pas se plaquer Ă  cĂŽtĂ© de moi, ni sur moi !Un coup de feu claque Ă  moins de quinze pas Ă  sa gauche, un autre Ă  moins de

cinq Ă  sa droite. Il ne voit pas d’adversaires leur rĂ©pondre :– Sur quoi tirent-ils, bon Dieu ?Le tir des canons s’allonge peu Ă  peu, atteint la forĂȘt, la franchit d’un bond. Les

claquements se croisent par-dessus lui, depuis que lĂ -bas d’autres formes grises ontescaladĂ© la voie ferrĂ©e et progressent vers la forĂȘt : Hop ! quinze pas en avant, clacHop ! quinze pas en avant, clac Hop !

– Clac ! Clac ! Clac ! Clac ! Clac !Un feu nourri. Les assaillis faiblissent, la riposte qui part de la forĂȘt se fait de

plus en plus mince, finit par s’éteindre complĂštement.Soudain, une immense clameur :– Hurrah ! Hurrah ! Hurrah !Les canons continuent, leurs coups sont de plus en plus sourds, s’éloignent de

plus en plus, mais les fusils et les mitrailleuses se sont tus.– Hurrah ! Hurrah ! Hurrah ! [101]Ça part de tous les coins de l’horizon, ça se rĂ©percute de proche en proche, ça

n’en finit plus :– Hurrah ! Hurrah ! Hurrah !Une nuĂ©e d’hommes s’est Ă©levĂ©e, mitraillettes au poing. Tout Ă  l’heure, ceux

qui fuyaient Ă©taient quelques dizaines, une centaine tout au plus : ceux-ci sont aumoins un millier. Comme obĂ©issant Ă  une mĂȘme et impĂ©rieuse attraction, ils sedirigent, ils se concentrent tous sur le mĂȘme point.

– Hurrah aaah ! ! !Ils passent de part et d’autre, ils marchent, ils courent La fin du drame les a

grisĂ©s. Aucun ne l’a vu : il aime autant, on ne sait jamais ce qui peut arriver dans cesmoments d’excitation et d’énervement. Il prend garde de ne pas signaler trop tĂŽt saprĂ©sence, il attend que le flot soit tari. Enfin, il ose bouger.

Il s’assied. À huit cents mĂštres, des hommes nerveux, une quinzaine Ă  peine —les autres doivent s’ĂȘtre enfoncĂ©s dans les taillis — font la navette, sur leurs gardes,mitraillette aux aguets. Devant eux, le dos Ă  la forĂȘt, d’autres hommes sont alignĂ©s,les mains Ă  la nuque, raides. D’autres enfin, les bras levĂ©s, un fusil au bout, seprĂ©sentent un Ă  un, jettent leurs armes Ă  terre, Ă©troitement surveillĂ©s, se dĂ©sĂ©quipentet vont prendre rang dans l’alignement.

– Et que ça saute !L’un d’eux, trop lent, est rappelĂ© Ă  sa condition par un coup de bottes bien

placĂ©. Un autre par un coup de crosse. Un troisiĂšme a voulu parlementer, tergiverser,peut-ĂȘtre protester : Cra-a-ac ! une mitraillette s’est dĂ©chargĂ©e Ă  bout portant dans sapoitrine. Quelques coups de poings, de bottes et de crosses encore et le convoi estprĂȘt.

– En route vers le clocher !

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Le groupe passe Ă  sa hauteur, Ă  une centaine de mĂštres. Les prisonniers, enrangs de cinq, entiĂšrement dĂ©sĂ©quipĂ©s, vestes dĂ©boutonnĂ©es, souliers dĂ©lacĂ©s, lesmains toujours derriĂšre le dos, avancent, gĂȘnĂ©s, silencieux : et dociles. De chaquecĂŽtĂ©, un cordon armĂ© de sept Ă  huit hommes les accable de sarcasmes etd’avertissements. Il juge Ă  propos de s’annoncer, il se dresse d’un bond :

– Eho ! Eho !Et il lĂšve un bras dans un geste d’appel.Ça n’a pas traĂźnĂ© : le groupe a stoppĂ©, quatre hommes s’en sont dĂ©tachĂ©s au pas

de course, et avant qu’il ait eu le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait, lescanons de quatre mitraillettes ont Ă©tĂ© appuyĂ©es sur sa poitrine et dans son dos. [102]

– Comme ça, au moins, je suis sĂ»r qu’ils ne tireront pas ! pense-t-il.Les questions fusent, menaçantes, dans un langage qu’il ne comprend pas.– French man, dit-il. Tout ce qu’il sait d’anglais, et encore n’est-il pas sĂ»r de

son authenticitĂ©.On le regarde avec de grands yeux Ă©tonnĂ©s et mĂ©fiants. Il n’a manifestement

pas Ă©tĂ© compris. Alors :– Français !Il ne l’est pas davantage. Il risque sa derniĂšre ressource :– Französische HĂ€ftling ! Franzous !Cette fois ça y est, une des quatre mitraillettes s’abaisse :– Was ?Il explique briĂšvement, en phrases hachĂ©es, et il s’aperçoit qu’il est en prĂ©sence

d’un Allemand, de deux Espagnols et d’un Yougoslave dont un sabir italien est lalangue commune.

Ils ont compris, toutes les mitraillettes se sont abaissĂ©es, on lui tend unegourde. Il boit : un liquide Ăącre, froid, qu’il a envie de recracher. Il fait la grimace :

– KoffĂ©, dit l’Allemand, gut KoffĂ© ! Ils sortent tous des biscuits secs — durs,durs, ho, durs ! — du chocolat, des boĂźtes, des cigarettes Des cigarettes :

– D’abord une cigaretteMais il ne faut pas perdre de temps :– Schnell, a dit l’Allemand, Wir mĂŒssen. Ils se sont rendus compte de son Ă©tat.

À deux, — ils ont voulu se mettre Ă  deux, — ils l’ont hissĂ© sur leurs Ă©paules et,comme un trophĂ©e vivant, rapportĂ©, rieurs, vers le groupe qui attendait.

– Sin, sin ? a demandĂ© un des gars de l’escorte.– Yes, a-t-il rĂ©pondu, mais les autres n’ont pas fait Ă©cho, il n’y avait qu’un

Anglais — ou un AmĂ©ricain — dans l’équipe. Troupes de choc, a-t-il pensĂ©, brigadeinternationale, et il a Ă©voquĂ© la guerre d’Espagne.

Dans le soir qui tombait, la petite troupe s’est remise en marche vers le clocher,lui, tenant difficilement en Ă©quilibre sur deux Ă©paules appartenant Ă  deux hommesdiffĂ©rents et grignotant lentement, en salivant bien, des biscuits et du chocolat. Lessarcasmes et les avertissements, les jurons aussi, ont recommencĂ© Ă  pleuvoir sur lesprisonniers qui, toujours dociles, avancent, toujours gĂȘnĂ©s dans leurs souliersdĂ©lacĂ©s, la tĂȘte penchĂ©e, les deux mains croisĂ©es sur la nuque :

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– Porco Dio ! Gott verdamnt !De temps Ă  autre, l’Allemand prend la parole :– Du ! Blöde Hund ! Du Et il dĂ©signe un prisonnier. [103]Puis, sortant un revolver d’un Ă©tui et, se tournant vers celui qu’ils viennent de

dĂ©livrer :– Muss ich erschiessen ?1 lui demande-t-il.Le prisonnier roule de gros yeux effarĂ©s et suppliants, guettant la rĂ©ponse :

c’est un sourire neutre, rĂ©signĂ©.– Du hast GlĂŒck ! Mensch ! Blöde Hund et il crache de mĂ©pris : tt ! Lumpe !2

Les rÎles sont renversés.De sarcasmes en sarcasmes, de quolibets en quolibets, de menaces en menaces,

le cortĂšge, vainqueurs triomphants et vaincus dĂ©frisĂ©s, fait son entrĂ©e au villageencore avant la nuit. On est passĂ© devant une gare, toute petite, toute pareille Ă  uneautre, qu’il connaĂźt bien Ă  cheval sur la Franche-ComtĂ© et l’Alsace. Au fronton il a luMunschlof en lettres gothiques. On a traversĂ© un passage Ă  niveau. Il l’ont dĂ©posĂ© Ă terre, se sont dĂ©tachĂ©s du groupe avec lui, puis, lentement, les uns aidant l’autre, ilsse sont mis en marche dans le bruit assourdissant d’imposantes machines de guerre,lesquelles traversent en toute hĂąte et toutes griffes dehors, le village dĂ©sertquoiqu’intact, et se portent sur de nouvelles positions.

Les faibles, les dĂ©primĂ©s, ceux qui sont restĂ©s longtemps retirĂ©s de la vie dumonde sont souvent, comme les nerveux et les malades, d’une extrĂȘme sensibilitĂ©, etcette sensibilitĂ© se manifeste toujours Ă  rebours. HeurtĂ©, il fut heurtĂ© dĂšs lespremiĂšres reprises de contact avec la libertĂ©. Chez le commandant d’abord, quand ilretrouva le convoi ensuite, et, enfin, dans cette villa oĂč il passa deux nuits.

Un drĂŽle de bonhomme ce commandant : l’anglais, l’allemand, l’italien, lefrançais, toutes les langues semblaient lui ĂȘtre familiĂšres. Et puis ce ton, cette allure :

– PremiĂšrement, choisir un gĂźte, mon ami, manger, se restaurer, se reposer, unbon lit. AprĂšs, on verra Frappez Ă  la premiĂšre porte que vous jugez convenable Non,non, pas avec mes hommes, ils n’ont pas le temps, foutez-leur la paix Ă  mes hommes,maintenant. Frappez : si on vous ouvre, rĂ©clamez Ă  manger, — chaud, vous avezbesoin de quelque chose de chaud. On vous donnera un petit supplĂ©ment, nous, froidnaturellement. Si on ne vous rĂ©pond pas, entrez quand [104] mĂȘme, et qu’il y aitquelqu’un ou personne, faites comme chez vous, tous ces gens-lĂ  sont nosdomestiques, c’est bien leur tour. Ils n’ont qu’à bien se tenir ! Non, non, n’ayez paspeur, au moindre manque d’égard Hein, compris ? Revenez me voir demain. D’icilĂ ... Pas blessĂ© ?... Pas malade ?... Oui, bien sĂ»r, faible, faible seulement. À demaindonc. Et tĂąchez de trouver une paire de souliers par lĂ  et un autre smoking !

Le lendemain, il Ă©tait revenu. Le commandant, assis dans un fauteuil, sur leperron, Ă©tait en coquetterie avec deux fort jolies personnes qui riaient aux Ă©clats et

1 Je l’abats ?2 Tu as de la chance !
 DĂ©bris d’humanitĂ© !
 Chien idiot !
 Tt Voyou !


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qui paraissaient fort disposĂ©es « Ă  bien se tenir » au sens militaire de l’expressionquand on l’applique aux civils du sexe d’en face :

– La femelle, toujours, subit en riant la loi du vainqueur, pensa-t-il. En France,en 1940... Toutes, filles de Colas Breugnon.

Mais l’autre, tout de suite :– Ah, vous voilĂ  ! Dites donc, depuis hier soir, j’ai hĂ©ritĂ© de pas mal de gens

comme vous : depuis l’aube, mes hommes ne cessent d’en transporter Ă l’Arbeitsdienst1 Qu’est ce que je vais en faire. Bon Dieu ?.. Un train, qu’ils sont, untrain ! Et moi, je n’ai pas de moyens pour les transporter vers l’arriĂšre ! Ils vont touscrever, ma parole, ils vont tous crever ! Qu’est-ce que c’était donc la pension oĂč vousĂ©tiez ?... Ah ! les salauds ! T’en fais pas, mon pote, ces deux garces-lĂ .

Bon, reprit-il Vous pouvez marcher ?... Alors, n’allez pas Ă  l’Arbeitsdienst...Vers l’Ouest, mon ami, vers l’Ouest. ÉvadĂ©, arrivĂ© par ses propres moyens en terreamie, convention de La Haye, dĂ©portĂ©, prioritĂ©. À la premiĂšre ambulance que vousrencontrez, vous faites signe... Dans huit jours vous ĂȘtes Ă  Paris. Tous les droits, jevous dis. On va vous donner des vivres pour la route. Au fait, c’est tout ce que vousavez trouvĂ© depuis hier soir ? Mon vieux, vous allez faire peur aux filles en chemin !Il n’y avait donc rien oĂč vous avez dormi ? Nous avons gagnĂ© la guerre, nom deDieu ! Elle est bien bonne, celle-lĂ  ! Ah ! ces Français, jamais on ne leur apprendrarien Frantz !

Un planton, quelques mots en sabir anglo-allemand :– Also, bye, bye ! Suivez le guide, il va vous donner un petit viatique. Bonne

chance, mais tùchez de faire mieux la prochaine fois !Abondamment lesté de boßtes de conserves, de sucre, de [105] chocolat, de

biscuits, de cigarettes, etc., etc., qu’il ne savait oĂč mettre, il s’était retrouvĂ© dehors : ilvoulait voir le convoi, il se dirigea vers la gare.

Des gens, civils et soldats, allaient et venaient, affairĂ©s, sur les quais, faisaientdes colloques, s’empressaient. On s’écarta sur son passage : l’habit qu’il portait luivalait une sorte de considĂ©ration. Des Ă©quipes tiraient des wagons, des corps mi-vĂȘtus, loqueteux, dĂ©charnĂ©s, sales, barbus, fangeux, les civils aidaient et regardaient,pitoyables, horrifiĂ©s. On alignait les cadavres en bordure de la voie ferrĂ©e, aprĂšsavoir pris les numĂ©ros quand il y en avait sur les pauvres guenilles. Il chercha si,dans les morts, il n’y avait pas une figure connue... Deux hommes, deux civilsallemands, arrivĂšrent, portant un grand corps maigre :

– Kaputt ! disait l’un ; nein, rĂ©torquait l’autre, atmet noch
2

Il reconnut Barray : Barray !Barray était un ingénieur de Saint-Etienne : au camp, ils avaient dormi trois

semaines sur la mĂȘme paillasse, Ă©taient devenus amis ; on s’écrira, si on en sort,s’étaient-ils promis.

Il apprit d’un rescapĂ© que le malheureux avait succombĂ© sous les coups desdĂ©tenus allemands pour avoir, dans le dĂ©lire de la faim, du froid et de la fiĂšvre,

1 Camp du Service du Travail (Todt).2 Non, il respire encore.

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entonnĂ© la Marseillaise. Les S.S. avaient assistĂ© au drame avec un gros sourire,trouvant que c’était beaucoup plus amusant que le monotone et rituel coup derevolver.

– Barray ! Pas de chance, dit-il.Et il s’éloigna en songeant qu’il y avait vraiment une fatalitĂ© dans les choses et

que certaines prĂ©monitions se vĂ©rifiaient dans la vie : depuis quinze jours au moins,Barray jurait ses grands Dieux qu’on serait tous libres le lundi de Quasimodo... Il sepromit tout de mĂȘme d’écrire Ă  sa veuve et aux deux enfants dont ils s’étaient sisouvent entretenus le soir en s’endormant.

Le rescapĂ©, — il disait le rescapĂ© ! — lui raconta l’histoire du convoi. À deuxkilomĂštres aprĂšs avoir dĂ©passĂ© la gare, il avait Ă©tĂ© immobilisĂ©, le samedi au petitmatin. Les SS. avaient en hĂąte fait descendre tous les hommes valides, les avaientgroupĂ©s en une grande colonne qui n’en finissait plus et qui s’était enfoncĂ©e dans lanature, au milieu des hurlements des chiens et des coups de feu assassins. Ils avaientabandonnĂ© lĂ  les morts, les mourants et tous ceux qui, Ă  la faveur du dĂ©sarroi gĂ©nĂ©ral,avaient eu la chance [106] de passer pour tels : visiblement, il y en avait trop et ilsn’avaient pas eu le temps de les tuer un Ă  un — pas le temps ou pas le goĂ»t1.

Il continua son inspection. Dans un wagon grand ouvert et dont personne nes’occupait, des troncs vivants, grelottant malgrĂ© le grand soleil, Ă©mergeaient d’un tasde morts ; ils se serraient sur eux-mĂȘmes contre un froid qu’ils Ă©taient seuls Ă ressentir.

– Qu’est-ce que vous attendez ?– Ben on attend de crever, tu vois pas ?– Hein ?– Peuh ! On est encore quatorze vivants, tous les autres sont morts, on attend

son tour.Il ne comprit pas qu’ils fussent si peu accrochĂ©s Ă  la vie.– Ceux-lĂ  ont abandonnĂ©, pensa-t-il, pas la peine qu’on s’occupe d’eux Ils sont

dĂ©jĂ  de l’autre cĂŽtĂ© et ils s’y trouvent bien. Ils recevaient la vie comme une punitionqu’ils auraient hĂąte de voir levĂ©e.

Et il passa indiffĂ©rent. Combien en avait-il connu au camp, de ces ĂȘtres quitraĂźnaient derriĂšre eux une sorte de fatalitĂ© et qu’on ne pouvait jamais rencontrer sanspenser qu’ils Ă©taient dĂ©jĂ  morts, que leur cadavre se survivait, en quelque sorte, Ă  lui-mĂȘme. Ils ne manquaient jamais une occasion de vous aborder, de vous seriner que laguerre serait finie dans deux mois, que les AmĂ©ricains Ă©taient ici, les Russes lĂ ,l’Allemagne en rĂ©volution, etc. Ils Ă©taient irritants, excĂ©dants. Un beau jour on ne lesvoyait plus : les deux mois Ă©taient Ă©coulĂ©s, ils n’avaient rien vu venir, ils avaient« lĂąchĂ© la rampe » disait-on, ils s’étaient laissĂ©s mourir Ă  la date fixĂ©e. Ceux-cilĂąchaient la rampe au poteau, les deux mois finissaient lĂ , le jour de la libertĂ© ! Ilsavait par expĂ©rience qu’il n’y avait rien Ă  faire.

1 Depuis que ceci a Ă©tĂ© Ă©crit, il a Ă©tĂ© prouvĂ© qu’ils n’avaient pas non plus l’ordre : cf. Avant-

propos de l’auteur Ă  la deuxiĂšme et troisiĂšme Ă©ditions, p. 242 et en note. (Note de l’Auteur pour laseconde Ă©dition.)

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Deux pas plus loin, il eut un remords :– Restez pas comme ça, dĂ©gagez-vous, les AmĂ©ricains sont lĂ , ils vident le

wagon d’à cĂŽtĂ©, ils arrivent Ă  vous. Ils vont vous donner Ă  manger, il y a un hĂŽpitalau village. Ils ne le crurent pas, mais il Ă©tait en rĂšgle avec lui-mĂȘme. Dix, douze,quinze wagons, des morts, des mourants :

Mourir lĂ  ! Venir mourir lĂ  !En queue de train, les vivres : des sacs de petits pois, de farine, des boĂźtes de

conserves, des paquets de tous les ersatz imaginables, des alcools, de la biĂšre, desliqueurs, [107] des habits, des souliers, des accessoires, etc. Il prit un sac de soldat etune paire de souliers italiens, montants de toile, semelles plates, qui allaientmerveilleusement Ă  son pied, puis il partit, ayant hĂąte de quitter toute cette misĂšre.

Il voulut cependant voir encore ce camp de l’Arbeitsdienst, Ă  deux pas, oĂč lecommandant lui avait dit qu’on transportait les vivants : un grand espace de terrainentourĂ© de bĂątiments en bois, des squelettes qui allaient et venaient, pressant leursmains sur leurs boyaux qui se tordaient, des cadavres ici et lĂ  cinq ou six cents qu’ilsĂ©taient. Des infirmiers bĂ©nĂ©voles s’affairaient parmi eux, couraient de l’un Ă  l’autre,s’évertuaient en vain Ă  leur faire comprendre qu’ils devaient rester sagement Ă©tendussur les paillasses Ă  l’intĂ©rieur des baraquements. Rares Ă©taient ceux qui avaient gardĂ©dans leurs yeux la volontĂ© et au cƓur le goĂ»t de vivre. Ceux qu’on aurait encore pusauver commençaient Ă  mourir de diarrhĂ©e dysentĂ©rique pour s’ĂȘtre, dĂ©daignant lesconseils, jetĂ©s trop goulĂ»ment sur les vivres qu’on leur distribuait Ă  profusion : ilsmangeaient puis ils Ă©prouvaient un grand besoin d’air, voulaient partir, et ils allaientmourir dans la cour... Non, non, ce n’était pas un endroit pour lui. D’abord on Ă©taittrop prĂšs des lignes, on entendait encore les coups de canons trop frais. Il partirait. Àpied jusqu’au bout, s’il le fallait : il Ă©voqua le retour d’Ulysse...

Il s’achemina vers la villa oĂč il avait dormi la veille et oĂč un nouveauserrement de cƓur l’attendait. Entre-temps il trouva un soldat amĂ©ricain, Ă  la ported’une grange, qui voulut bien le raser, amusĂ©.

À vrai dire, ce n’était pas une villa mais une petite maison d’ingĂ©nieur ou deretraitĂ© comme il y en avait tant en France, grille et jardin autour. La veille, il l’avaittrouvĂ©e dĂ©serte, toutes portes ouvertes. Dans la cuisine, la table n’était pas mĂȘmedesservie : du fromage blanc dans une assiette, de la confiture — la marmelade desAllemands ! — dans une autre. Dans la salle Ă  manger, les portes d’armoirebaillaient, le linge et divers objets Ă©taient empilĂ©s sur le divan, sur la table, sur leschaises, tout Ă  trac, — une malle dont le couvercle bĂ©ait dans l’attente. La chambre Ă coucher Ă©tait en ordre parfait. Il avait respirĂ© lĂ -dedans la dĂ©tresse toute chaude degens aisĂ©s qui avaient espĂ©rĂ© jusqu’au bout et attendu la derniĂšre minute pour partir.

– Ils ne sont pas loin, avait-il pensĂ©, ils vont revenir d’un moment Ă  l’autre.Il avait dormi dans le grand lit de la chambre Ă  coucher, [108] il y avait paressĂ©

en fumant une cigarette, le matin ; il s’y Ă©tait Ă©tirĂ© dans la chaleur des draps, sous unlarge faisceau de soleil qui rebondissait sur les meubles laquĂ©s. En quittant cettemaison, pour se rendre chez le commandant, vers dix heures du matin, il avait pensĂ©Ă  ce qui lui Ă©tait arrivĂ© en 1940, quand il avait, se repliant d’Alsace, voulu passer une

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derniĂšre fois chez lui. Il s’était revu tenant un crayon pour Ă©crire une banderole qu’ilaurait affichĂ©e sur la porte si, au dernier moment, une sorte de fiertĂ© dont il avaittoujours cru qu’elle Ă©tait dĂ©placĂ©e ne l’avait retenu : « Usez de tout, ne volez rien, necassez rien. Ne vous vengez pas sur les choses de ce que vous avez Ă  reprocher auxindividus Ne faites pas payer aux individus ce que vous croyez ĂȘtre l’erreur de lacollectivitĂ© ». Et il n’avait pris dans l’armoire au linge que l’indispensable : unechemise, un caleçon, un mouchoir, sous le buffet de cuisine la paire de sandalessimili-cuir qui avait tant fait rire le commandant. Il avait mĂȘme surmontĂ© unetentation trĂšs forte quand, passant devant le garage dans le jardin, il avait, au derniermoment, avant de sortir, levĂ© le rideau sur une magnifique Opel.

Maintenant, tout avait disparu, la magnifique Opel était loin, les meubleséventrés, le linge envolé, la vaisselle cassée.

– Et moi qui ai eu tant de scrupules, pensa-t-il. La guerre, ah, la guerre !Sur la table de nuit, un rĂ©veil qu’il avait remarquĂ© la veille Ă©tait par miracle

restĂ©. Il marquait 18 h 30.Il se jeta tout habillĂ© sur le lit et il s’endormit.

Le lendemain matin de bonne heure, par un soleil dĂ©jĂ  haut, il prit la route Letonnerre des canons roulait toujours ; derriĂšre lui, les puissantes machines de guerremontaient toujours Ă  la rescousse. À la sortie du village, devant une maison Ă  l’écart,des civils faisaient cuire quelque chose dans un chaudron posĂ© sur deux pierres : ilsĂ©taient lĂ  une demi-douzaine, mal habillĂ©s, mal lavĂ©s, pas rasĂ©s, sales, et il vit quel’un d’eux alimentait le feu avec des livres qu’il prenait dans un tas. Il s’approcha,curieux : c’était des requis belges et hollandais, les livres Ă©taient ceux de la Hitler-Jugend-BĂŒcherei1.

Il jeta un coup d’Ɠil sur les titres :Kritik ĂŒber Feuer[109]bach, Die RaĂŒber de Schiller, Kant und der Moral,

Goethe, Hölderlin, Fichte, Nietzsche, etc. ils Ă©taient tous lĂ  comme Ă  un rendez-voustragique et ils attendaient parmi des seigneurs de moins noble lignĂ©e, des Goebbels etdes Streicher, qu’un sort leur fĂ»t fait. Le papier Ă©tait beau, la reliure modeste, laprĂ©sentation de bonne facture : il avait toujours eu un faible pour les livres quelsqu’ils soient. Il en avisa un : Du und die Kunst, par un leader du National-Socialisme.Il l’ouvrit machinalement et il vit une reproduction en couleurs de « La libertĂ©guidant le peuple », de Delacroix. Il feuilleta, plus attentif : des fleurs de Manet, undĂ©tail de Renoir, la Joconde, Mme RĂ©camier, le Martyre de Saint SĂ©bastien Lecontraste avec l’enfer dont il sortait lui fit mal, il demanda l’autorisation d’emporterce livre, fruit pourtant de cette civilisation qui avait Ă©tĂ© si cruelle pour lui et quiĂ©tonnera et scandalisera le monde jusqu’à la consommation des siĂšcles.L’autorisation lui fut accordĂ©e avec un sourire et un quolibet. Bien sĂ»r, c’étaitdifficile Ă  comprendre.

1 BibliothÚque de la jeunesse hitlérienne.

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Il reprit la direction de l’Ouest, avec le pressentiment qu’il ne rencontreraitjamais une ambulance de bonne volontĂ©, qu’il irait Ă  pied jusqu’au bout Brusquementil se sentit au seuil d’une nouvelle aventure et il eĂ»t bien voulu, quoique dans unautre temps et sous un autre ciel, elle ressemblĂąt Ă  celle d’Ulysse qu’il Ă©voquait hier.

Devant lui, il vit des routes, des paysans dans les champs, des buissons enfleurs, des arbres en bourgeons, des fermes, des gens qui lui demandaient son histoireet auxquels il la racontait volontiers, des routes, encore des routes et, lĂ -bas, autrĂ©fonds de cet horizon de mirage, une petite maison dans les thuyas, en banlieued’une petite ville. Dans la courette, un bambin qui avait toujours deux ans et quijouait avec du sable, levait de grands yeux Ă©tonnĂ©s en le voyant arriver dans sonhabit de bagnard Il eut la langue levĂ©e :

– Comment t’appelles-tu, mon petit ? OĂč est ta maman ?Et il pleura.

Saint-Nectaire, le 1er septembre 1948.

FIN [110]

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DEUXIEME PARTIE : L’EXPERIENCE DES AUTRES1

[111]

À tous ceux que n’ont jamais pusĂ©duire :

– ni ce patriotisme dĂ©suet dont lahaine est toute la substance,

– ni cet anti-fascisme sansprofondeur et sans portĂ©e,

qui se contente de se justifier par des« vérités » de circonstance...

... et Ă  quelques autres.

P.R.

[112]

CHAPITRE I

La littérature concentrationnaire

En politique, les camps de concentration allemands sont dĂ©passĂ©s. EnlittĂ©rature, ils sont « usĂ©s ». CĂ©dant comme Ă  une injonction occulte et franchissantallĂ©grement les Ă©tapes, l’opinion en est aux camps russes.

Parfaitement conscient de cet Ă©tat de fait, j’ai cependant tout rĂ©cemment publiĂ©sur le rĂ©gime concentrationnaire hitlĂ©rien, un tĂ©moignage rigoureusement limitĂ© Ă mon expĂ©rience personnelle. Bien entendu, j’arrivais avec quelque retard et c’estsurtout ce qu’on a soulignĂ©. Aujourd’hui, je rĂ©cidive sous une autre forme : on nemanquera pas de dire que je m’entĂȘte inconsidĂ©rĂ©ment et Ă  contre-courant. Ilconvient, en consĂ©quence, qu’avant toute chose, je fasse amende honorable.

Au camp mĂȘme, toutes les conversations que nos rares instants de rĂ©pit nouspermettaient, Ă©taient centrĂ©es sur trois sujets : la date probable de la cessation deshostilitĂ©s et nos chances individuelles ou collectives d’y survivre, des recettes decuisine pour les lendemains immĂ©diats, et ce qu’on pourrait appeler les « potins » du

1 Paru en 1950 sous le titre Le mensonge d’Ulysse

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camp, si le mot avait quelque rapport avec la tragique rĂ©alitĂ© qu’il dĂ©signe. Aucundes trois ne nous offrait de trĂšs grandes possibilitĂ©s de nous Ă©vader de notre conditiondu moment. Tous trois, par contre, sĂ©parĂ©ment ou ensemble, selon le temps dontnous disposions pour faire le tour de notre univers restreint, nous y ramenaient Ă  lamoindre tentative, par le truchement d’un « Quand on racontera ça... », prononcĂ© surun ton et ponctuĂ© dans les regards d’une telle lueur que j’en Ă©tais effrayĂ©. Avouant enquelque sorte mon impuissance Ă  Ă©lever ces rapides prises de conscience au-dessusde l’ambiance, [113] je me repliais alors sur moi-mĂȘme et me transformais en tĂ©moinobstinĂ©ment silencieux.

D’instinct, je me trouvais reportĂ© au lendemain de l’autre guerre, aux ancienscombattants, Ă  leurs rĂ©cits et Ă  toute leur littĂ©rature. À n’en pas douter cette aprĂšs-guerre aurait, au surplus, des anciens prisonniers et des anciens dĂ©portĂ©s quirĂ©intĂ©greraient leurs foyers avec des souvenirs plus horribles encore. La voie meparaissait libre devant l’anathĂšme et l’esprit de vindicte. Dans la mesure oĂč il m’étaitpossible d’abstraire mon sort personnel du grand drame qui se jouait, tous lesMontaigus, tous les Capulets, tous les Armagnacs et tous les Bourguignons del’Histoire, reprenant tous leurs dĂ©mĂȘlĂ©s par le commencement, se mettaient Ă  danserdevant mes yeux, une sarabande effrĂ©nĂ©e, sur une scĂšne agrandie Ă  l’échelle del’Europe. Je ne parvenais pas Ă  me reprĂ©senter que la tradition de haine en train denaĂźtre sous mes yeux, pĂ»t ĂȘtre endiguĂ©e quelle que soit l’issue du conflit.

Si je tentais d’en mesurer les consĂ©quences, il me suffisait de penser quej’avais un fils pour arriver, non seulement Ă  me demander s’il ne vaudrait pas mieuxque personne ne revĂźnt, mais encore Ă  espĂ©rer que les instances supĂ©rieures du IIIeReich prendraient assez tĂŽt conscience qu’elles ne pouvaient plus obtenir de pardonqu’en offrant, dans un immense et affreux holocauste, ce qui resterait de lapopulation des camps, Ă  la rĂ©demption de tant de mal. Dans cette disposition d’esprit,j’avais dĂ©cidĂ©, si je revenais, de prĂȘcher d’exemple ; et jurĂ© de ne jamais faire lamoindre allusion Ă  mon aventure.

Pendant un temps qui me paraĂźt trĂšs long, mĂȘme aprĂšs coup, j’ai tenu parole :ce ne fut pas facile.

D’abord, j’eus Ă  lutter contre moi-mĂȘme. À ce propos, je n’oublierai jamaisune manifestation que, dans les tout premiers temps, les dĂ©portĂ©s avaient organisĂ©e Ă Belfort pour marquer leur retour. Toute la ville s’était dĂ©rangĂ©e pour venir entendreet recueillir leur message. L’immense salle de la Maison du Peuple Ă©tait pleine Ă craquer. Devant, l’esplanade Ă©tait noire de monde. On avait dĂ» installer des haut-parleurs jusque dans la rue. Mon Ă©tat de santĂ© ne m’ayant permis d’assister Ă  cettemanifestation, ni comme orateur, ni comme auditeur, ma peine Ă©tait grande. Elle futplus grande encore le lendemain, quand les journaux locaux m’apportĂšrent la preuvequ’avec tout ce qui avait Ă©tĂ© dit, il Ă©tait absolument impossible de construire unmessage valable. Mes apprĂ©hensions du camp Ă©taient justifiĂ©es. La [114] foule,d’ailleurs ne fut pas dupe : jamais plus, dans la suite, on ne put la rassembler dans lemĂȘme dessein.

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Il fallut aussi lutter contre les autres. OĂč que j’aille il se trouvait toujours entrela poire et le fromage, ou devant la tasse de thĂ©, une perruche distinguĂ©e en mald’émotions rares ou un ami bienveillant qui croyait me rendre service en attirantl’attention sur moi, pour amener la conversation sur le sujet : Est-il vrai que ?...Croyez-vous que ?... Que pensez-vous du livre de ?... Toutes ces questions, quandelles n’étaient pas inspirĂ©es par une curiositĂ© malsaine, trahissaient visiblement ledoute et le besoin de confrontation. Elles m’excĂ©daient. SystĂ©matiquement, jecoupais court, ce qui n’allait pas sans provoquer, parfois, des jugements sĂ©vĂšres.

Je m’en rendais compte et, s’il arrivait que j’en Ă©prouvasse quelqueressentiment, j’en rendais responsables mes compagnons d’infortune, rescapĂ©scomme moi, qui n’en finissaient pas de publier des rĂ©cits souvent fantaisistes danslesquels ils se donnaient volontiers des allures de saints, de hĂ©ros ou de martyrs.Leurs Ă©crits s’amoncelaient sur ma table comme autant de sollicitations. Convaincuque les temps approchaient oĂč je serais contraint de sortir de ma rĂ©serve et de faireperdre moi-mĂȘme Ă  mes souvenirs leur caractĂšre de sanctuaire interdit au public, jeme suis, plus d’une fois, surpris Ă  penser que le mot attribuĂ© Ă  Riera et selon lequel,aprĂšs chaque guerre, il faudrait impitoyablement tuer tous les anciens combattants,mĂ©ritait plus et mieux que le sort d’une boutade.

Un jour, je me suis aperçu que l’opinion s’était forgĂ©e une idĂ©e fausse descamps allemands, que le problĂšme concentrationnaire restait entier malgrĂ© tout ce quien avait Ă©tĂ© dit, et que les dĂ©portĂ©s, s’ils n’avaient plus aucun crĂ©dit, n’en avaient pasmoins grandement contribuĂ© Ă  aiguiller la politique internationale sur des voiesdangereuses. L’affaire sortait du cadre des salons. J’eus soudain le sentiment qu’àm’obstiner, je me ferais le complice d’une mauvaise action. Et, d’un seul trait, sansaucune prĂ©occupation d’ordre littĂ©raire, dans une forme aussi simple que possible,j’écrivis mon Passage de la Ligne, pour remettre les choses au point et tenter deramener les gens, Ă  la fois au sens de l’objectivitĂ©, et Ă  une notion plus acceptable dela probitĂ© intellectuelle.

Aujourd’hui, les mĂȘmes hommes qui ont prĂ©sentĂ© les camps de concentrationallemands au public, lui prĂ©sentent les camps russes et tendent les mĂȘmes piĂšges sousses pas. De cette entreprise est dĂ©jĂ  nĂ©e, entre David Rousset, d’une part, Jean-PaulSartre et Merleau-Ponty, de l’autre, une [115] controverse dans laquelle tout nepouvait qu’ĂȘtre faux puisqu’elle repose essentiellement sur la comparaison entre lestĂ©moignages peut-ĂȘtre inattaquables — je dis : peut-ĂȘtre — des rescapĂ©s des campsrusses et ceux qui ne le sont, Ă  coup sĂ»r pas, des rescapĂ©s des camps allemands...Sans doute n’y a-t-il aucune chance de replacer cette controverse sur les voies qu’elleaurait dĂ» emprunter. Les jeux sont faits : les antagonistes obĂ©issent Ă  des impĂ©ratifsbeaucoup plus catĂ©goriques que la nature mĂȘme des choses dont ils disputent.

Mais il n’est pas interdit de penser que les discussions de l’avenir autour duproblĂšme concentrationnaire, gagneraient Ă  prendre leur dĂ©part dans unereconsidĂ©ration gĂ©nĂ©rale des Ă©vĂ©nements dont les camps allemands furent le thĂ©Ăątre,Ă  travers la foule des tĂ©moignages qu’ils ont suscitĂ©s. Au stade de la conviction, cetteidĂ©e me faisait une obligation de rĂ©unir et de publier les premiers Ă©lĂ©ments de cette

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reconsidĂ©ration. Ainsi s’explique et se justifie ce Regard sur la LittĂ©ratureconcentrationnaire.

Le lecteur comprendra maintenant que si, aprĂšs avoir tant tardĂ© Ă  parler, jetente encore, alors que tout le monde s’est tu, et qu’il semble bien que personne n’aitplus rien Ă  dire, de rajeunir un sujet, Ă  mes yeux prĂ©maturĂ©ment vieilli, je puisse mecroire en droit de lui demander le bĂ©nĂ©fice des circonstances attĂ©nuantes et que cesoit mon premier soin.

L’expĂ©rience des anciens combattants, si fraĂźche encore, pour avoir Ă©tĂ©gratuite, n’en offre pas moins la possibilitĂ© d’un parallĂšle que je crois probant.

Ils Ă©taient revenus avec un grand dĂ©sir de paix, jurant par tous les saints qu’ilsmettraient tout en Ɠuvre pour que ce fĂ»t la « der des der ». On leur en sut un grĂ©, onleur en tĂ©moigna une reconnaissance qui n’allaient pas sans une certaine admiration.Dans la joie et dans l’espoir, dans l’enthousiasme, toute une Nation leur fit un accueilaffectueux et confiant.

À la veille de cette guerre cependant, ils Ă©taient trĂšs discutĂ©s. LeurstĂ©moignages Ă©taient abondamment commentĂ©s dans des sens divers, et le moinsqu’on en puisse dire, c’est que l’opinion n’était pas tendre pour eux, si peu qu’ilss’en soient aperçus ou souciĂ©s. Souvent mĂȘme, elle fut injuste. Si elle faisait le dĂ©partentre leurs discours et leurs rĂ©cits, [116] elle n’en prononçait pas moins, sur les uns etsur les autres, des jugements dĂ©finitifs qui se rejoignaient dans la dĂ©sinvolture. Ellericanait des premiers, qu’il s’agĂźt de l’inĂ©vitable radoteur — c’était le mot qu’elleemployait — dont les souvenirs embouteillaient toutes les conversations, ou desleaders des associations dĂ©partementales et nationales, dont la mission semblait ĂȘtrelimitĂ©e Ă  la revendication dominicale. Sur les seconds, elle Ă©tait tout aussicatĂ©gorique, et il n’était qu’un tĂ©moignage qu’elle reconnĂ»t : Le Feu, de Barbusse.Quand, dans ses rares moments de bienveillance, il lui arriva de faire une exception,ce fut pour Galtier-BoissiĂšre et pour DorgelĂšs, mais Ă  un autre titre : en raison de sonpacifisme gouailleur et impĂ©nitent pour l’un, de ce qu’elle prit pour du rĂ©alisme chezl’autre.

Qui dira les raisons exactes de ce retournement ?À mon sens, elles s’inscrivent toutes dans le cadre de cette vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale : les

hommes sont beaucoup plus prĂ©occupĂ©s par l’avenir qui les aspire, que par le passĂ©dont ils n’ont plus rien Ă  attendre, et il est impossible de figer la vie des peuples surun Ă©vĂ©nement aussi extraordinaire soit-il, Ă  plus forte raison sur une guerre,phĂ©nomĂšne qui tend Ă  se banaliser et qui se dĂ©mode, en tous cas, trĂšs rapidementdans les caractĂšres qui lui sont propres.

À la veille de 1914, mon grand-pĂšre qui n’avait pas encore digĂ©rĂ© la guerre de1870, la racontait Ă  longueur de dimanche, Ă  mon pĂšre qui baillait d’ennui. À laveille de 1939, mon pĂšre n’avait pas encore fini de raconter la sienne et, pour ne pasĂȘtre en reste, chaque fois qu’il l’abordait, je ne pouvais m’empĂȘcher de penser que du

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Guesclin, surgissant parmi nous avec la fiertĂ© des exploits qu’il tirait de son arbalĂšte,n’eĂ»t pas Ă©tĂ© plus ridicule.

Ainsi les gĂ©nĂ©rations s’opposent-elles dans leurs conceptions. Elles s’opposentaussi dans leurs intĂ©rĂȘts. Ceci m’amĂšne Ă  dire, pour le dĂ©tail, qu’entre les deuxguerres, celles qui montaient eurent le sentiment qu’il leur Ă©tait impossible de tenterle moindre Ă©lan vers la rĂ©alisation de leur destin, sans se heurter Ă  l’anciencombattant, Ă  ses prĂ©tentions, Ă  ses droits prĂ©fĂ©rentiels. On lui avait reconnu « desdroits sur nous ». Il en profitait pour en rĂ©clamer sans cesse d’autres. Or, il est desdroits que mĂȘme le fait d’avoir souffert une longue guerre et de l’avoir gagnĂ©e neconfĂšre pas, notamment celui d’ĂȘtre seul dĂ©clarĂ© apte Ă  construire une paix, ou celui,plus modeste, de passer devant le mĂ©rite, qu’il s’agisse d’un bureau de tabac, d’unemploi de garde-champĂȘtre ou d’un concours d’agrĂ©gation. [117]

Le divorce fut consommĂ© sans espoir de retour, dans les annĂ©es 30, avec lacrise Ă©conomique. Il s’aggrava, vers 1935, de l’oubli par les uns, de leurs sermentsdu retour, de l’extrĂȘme facilitĂ© avec laquelle ils acceptĂšrent l’éventualitĂ© d’unenouvelle guerre et de la volontĂ© de paix des autres. C’est encore une loi del’évolution historique, que les jeunes gĂ©nĂ©rations sont pacifistes, que c’est par elles,qu’au long des siĂšcles, l’humanitĂ© s’affermit progressivement dans la recherche de lapaix universelle, et que la guerre est toujours, dans une certaine mesure la rançon dela gĂ©rontocratie.

Ceci Ă©tant avancĂ© avec la rĂ©serve qui convient, il semble bien, tout de mĂȘme,que les anciens combattants aient commis une erreur d’optique doublĂ©e d’une fautede psychologie. En tout Ă©tat de cause, aprĂšs vingt annĂ©es d’une agitation tenace etininterrompue, les problĂšmes de la guerre et de la paix, n’ayant Ă©tĂ© qu’à peineeffleurĂ©s, restaient entiers. Il est une justice, cependant, qu’il leur faut rendre : ils ontracontĂ© leur guerre, telle qu’elle fut. Pas un mot qu’à les lire ou Ă  les entendre, on nesentit profondĂ©ment vrai ou pour le moins, vraisemblable. On n’en saurait dire autantdes dĂ©portĂ©s.

Les dĂ©portĂ©s, eux, revinrent avec la haine et le ressentiment sur la langue ousous la plume. Ils commirent, certes, la mĂȘme erreur d’optique, la mĂȘme faute depsychologie que les anciens combattants. En plus, ils n’étaient pas guĂ©ris de la guerreet ils rĂ©clamaient vengeance. Souffrant d’un complexe d’infĂ©rioritĂ© — pour parler Ă 40 millions d’habitants, ils ne se trouvaient qu’à peine 30 000 et dans quel Ă©tat ! —pour inspirer plus sĂ»rement la pitiĂ© et la reconnaissance, ils se mirent Ă  cultiverl’horreur Ă  plaisir, devant un public qui avait connu Oradour et qui voulait toujoursplus de sensationnel.

L’un excitant les autres, ils furent pris comme dans un engrenage et ils enarrivĂšrent progressivement, Ă  leur insu pour certain, sciemment pour le plus grandnombre, Ă  noircir encore le tableau. Ainsi en avait-il Ă©tĂ© d’Ulysse qui travaillait dansle merveilleux et qui, au long de son voyage, ajoutait chaque jour une aventurenouvelle Ă  son odyssĂ©e, autant pour satisfaire au goĂ»t du public de l’époque que pourjustifier sa longue absence aux yeux des siens. Mais si Ulysse rĂ©ussit Ă  crĂ©er sa

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propre lĂ©gende et Ă  fixer sur elle l’attention de vingt-cinq siĂšcles d’Histoire, il n’estpas exagĂ©rĂ© de dire que les dĂ©portĂ©s Ă©chouĂšrent.

Tout alla bien dans les tout premiers temps de la LibĂ©ration. On ne pouvait pas,sans courir le risque d’ĂȘtre [118] suspectĂ©, discuter leurs tĂ©moignages et, si on l’avaitpu, on n’en aurait pas eu le goĂ»t. Mais, lentement et comme dans le silence d’uneconspiration, la vĂ©ritĂ© prit sa revanche. Le temps aidant et le retour Ă  la libertĂ©d’expression dans des conditions de plus en plus normales de vie, elle Ă©clata au grandjour. On put Ă©crire, avec la certitude de traduire le malaise commun et de ne pastromper :

« À beau mentir qui vient de loin... J’ai lu de nombreux rĂ©cits de dĂ©portĂ©s :toujours, j’ai senti la rĂ©ticence ou le coup de pouce. MĂȘme David Rousset, par moments,nous Ă©gare : il explique trop. » AbbĂ© Marius Perrin, Professeur Ă  la FacultĂ© catholique deLyon. (Le Pays Roannais, 27 octobre 1949)

ou encore :

« La DerniÚre Etape est un film imbécile ou raté » Robert PERNOT, (Parolesfrançaises, 27 novembre 1949)

toutes choses que personne n’eĂ»t jamais osĂ©, mĂȘme penser du Feu, des Croixde Bois, de La Grande Illusion, de À l’Ouest rien de nouveau, ou de Quatre del’Infanterie.

Les anciens combattants mirent quinze ans Ă  perdre leur crĂ©dit devantl’opinion : il en fallut moins de quatre aux dĂ©portĂ©s, cependant mieux armĂ©s, pourbrĂ»ler tous leurs vaisseaux. À cette diffĂ©rence prĂšs, leur sort politique fut commun.

Telle est l’importance de la vĂ©ritĂ© en Histoire.

Je voudrais encore conter une petite anecdote personnelle qui est typique en cequ’elle dit la valeur toute relative, qu’il faut accorder aux tĂ©moignages en gĂ©nĂ©ral.

La scĂšne se passe devant une cour de Justice, en automne 1945. Une femme estau banc des accusĂ©s. La RĂ©sistance, qui la soupçonnait de collaboration, n’a pasrĂ©ussi Ă  l’abattre avant l’arrivĂ©e des AmĂ©ricains, mais son mari est tombĂ© sous unerafale de mitraillette, au coin d’une rue sombre, un soir de l’hiver 1944-1945. Je n’aijamais su ce qu’avait fait le couple, sur lequel j’avais entendu avant mon arrestation,les plus invraisemblables ragots. De retour, pour en avoir le cƓur net, je me suisrendu Ă  l’audience.

Dans le dossier il n’y a pas grand-chose. Les tĂ©moins n’en sont que plusnombreux et plus impitoyables. Le principal [119] d’entre eux est un dĂ©portĂ©, ancienchef de groupe de la RĂ©sistance locale — qu’il dit ! Les juges sont visiblement gĂȘnĂ©spar les accusations qui viennent de la barre et dont la consistance leur paraĂźt trĂšsdiscutable.

L’avocat de la dĂ©fense cherche une faille dans les dĂ©positions.Arrive le principal tĂ©moin. Il explique que des membres de son groupe ont Ă©tĂ©

dĂ©noncĂ©s aux Allemands et que ce ne peut ĂȘtre que par l’accusĂ©e et son mari,lesquels vivaient dans leur intimitĂ© et connaissaient leurs activitĂ©s. Il ajoute qu’il a vu

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lui-mĂȘme l’accusĂ©e en conversation aimable et peut-ĂȘtre galante avec un officier dela Kommandantur qui logeait sur une cour, derriĂšre la boutique de ses parents, qu’ilsĂ©changeaient des papiers, etc.

L’AVOCAT – Vous frĂ©quentiez donc cette boutique ?LE TEMOIN – Oui, justement pour surveiller ce commerce.L’AVOCAT – Pouvez-vous en faire la description ?(Le tĂ©moin se prĂȘte au jeu de trĂšs bonne grĂące. Il place le comptoir, les rayons,

la fenĂȘtre du fond, dit les dimensions approximatives, etc. toutes choses qui nesoulĂšvent aucun incident).

L’AVOCAT – Par la fenĂȘtre du fond qui donne sur la cour, vous avez donc vul’accusĂ©e et l’officier Ă©changer des papiers.

LE TEMOIN – Exactement.L’AVOCAT – Vous pouvez alors prĂ©ciser oĂč ils se trouvaient dans la cour et oĂč

vous vous trouviez dans la boutique ?LE TEMOIN – Les deux complices Ă©taient au pied d’un escalier qui conduit Ă  la

chambre de l’officier, l’accusĂ©e accoudĂ©e Ă  la rampe, son interlocuteur trĂšs proched’elle, ce qui donne Ă  penser...

L’AVOCAT – Ceci me suffit. (S’adressant Ă  la Cour et tendant un papier) :Messieurs, il n’y a aucun endroit d’oĂč l’on puisse voir l’escalier en question : voiciun plan des lieux Ă©tabli par un gĂ©omĂštre-expert.

(Sensation. Le PrĂ©sident examine le document, le passe Ă  ses assesseurs,reconnaĂźt l’évidence, puis, au tĂ©moin) :

– Vous maintenez votre dĂ©position ?LE PRESIDENT – C’est-Ă -dire que... Ce n’est pas moi qui ai vu... C’est un de

mes agents qui m’avait fourni un rapport sur ma demande... Je...LE PRESIDENT (sec) – Vous pouvez disposer.La suite de l’affaire n’a aucune importance puisque le [120] tĂ©moin n’a pas Ă©tĂ©

arrĂȘtĂ© en pleine audience pour outrage Ă  magistrat ou faux tĂ©moignage, et puisquel’accusĂ©e, ayant reconnu qu’elle suivait les cours de l’Institut franco-allemand, ce quiavait crĂ©Ă©, disait-elle, un certain nombre de relations amicales entre elle et certainsofficiers de la Kommandantur, fut finalement condamnĂ©e Ă  une peine de prison pourun ensemble de circonstances qui ne l’accablaient qu’implicitement.

Mais, si on avait poussĂ© le tĂ©moin dans ses derniers retranchements, on seserait probablement aperçu que l’agent auquel il prĂ©tendait avoir demandĂ© un rapportĂ©tait inexistant et que sa dĂ©position n’était qu’un assemblage de ces « on dit » quiempoisonnent l’atmosphĂšre des petites villes oĂč tout le monde se connaĂźt.

Loin de moi l’idĂ©e d’assimiler tous les tĂ©moignages qui ont paru sur les campsde concentration allemands, Ă  celui-ci. Mon propos vise seulement Ă  Ă©tablir qu’il y eneĂ»t qui n’ont rien Ă  lui envier, mĂȘme parmi ceux auxquels l’opinion fit la meilleurefortune. Et qu’en dehors de la bonne ou de la mauvaise foi, il y a tantd’impondĂ©rables qui influent sur le rĂ©citant, qu’il faut toujours se mĂ©fier de l’HistoireracontĂ©e, particuliĂšrement quand elle l’est Ă  chaud. Les jours de notre mort, quiconsacrĂšrent le prestigieux talent de David Rousset, sont, de bout en bout, et pour la

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plupart des faits auxquels l’auteur se rĂ©fĂšre, sinon un rassemblement de « on dit » quicouraient dans tous les camps et qu’on ne pouvait jamais vĂ©rifier sur place, du moins,une suite de tĂ©moignages de seconde main, juxtaposĂ©s — harmonieusement, il faut lereconnaĂźtre — dans le dessein de servir une interprĂ©tation particuliĂšre.

Dans cet ouvrage, oĂč il est question de vĂ©ritĂ© et non de virtuositĂ©, on n’entrouvera aucun extrait.

Les textes que je cite sont littĂ©ralement transcrits. Ils sont, pour la plupart,prĂ©cĂ©dĂ©s ou suivis d’un commentaire personnel.

Pour la commoditĂ© de la confrontation, j’ai classĂ© leurs auteurs en troiscatĂ©gories : ceux que rien ne destinait Ă  ĂȘtre des tĂ©moins fidĂšles et que — sansaucune intention pĂ©jorative, d’ailleurs, — j’appellerai les tĂ©moins mineurs ; lespsychologues, victimes d’un penchant un peu trop prononcĂ© pour l’argumentsubjectif ; et les sociologues ou rĂ©putĂ©s tels.

En garde jusque contre moi-mĂȘme, pour n’ĂȘtre point [121] accusĂ© de parler dechoses qui se situeraient un peu trop Ă  l’écart de ma propre expĂ©rience, de tomberdans le dĂ©faut que je reproche aux autres et de risquer, Ă  mon tour, quelque entorseaux rĂšgles de la probitĂ© intellectuelle, j’ai renoncĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment Ă  prĂ©senter untableau complet de la littĂ©rature concentrationnaire. Il ne s’agit que d’un Regard, jele prĂ©cise encore, et il ne porte que sur des faits ou des arguments que j’ai puapprĂ©cier par moi-mĂȘme.

Le nombre des auteurs mis en cause est donc forcĂ©ment limitĂ© dans chaquecatĂ©gorie et pour l’ensemble : trois tĂ©moins mineurs (Note de l’auteur : Je prie qu’onne voie aucune intention maligne d’anticlĂ©ricalisme par la bande, dans le fait qu’ilssoient trois prĂȘtres.) (l’abbĂ© Robert Ploton, FrĂšre Birin, des Ă©coles chrĂ©tiennesd’Epernay, l’abbĂ© Jean-Paul Renard), un psychologue (David Rousset), unsociologue (Eugen Kogon). Hors catĂ©gorie : Martin-Chauffier. Un bienheureuxhasard ayant voulu qu’ils fussent les plus reprĂ©sentatifs, la clartĂ© de l’exposĂ© y gagneet les voies de la reconsidĂ©ration du problĂšme concentrationnaire n’en sont quemieux indiquĂ©es.

Le lecteur sera naturellement tentĂ© de situer ces mises au points dans le granddrame de la dĂ©portation, en regard de ses tragiques consĂ©quences d’ensemble, sur leplan humain, et peut-ĂȘtre de conclure que je me suis un peu trop arrĂȘtĂ© au dĂ©tail. Si jerelĂšve que les transports de France en Allemagne se faisaient Ă  cent par wagonsdestinĂ©s Ă  recevoir quarante personnes au maximum, et non Ă  cent vingt-cinq commel’ont prĂ©tendu certains, on observera que cela ne modifie pas sensiblement en mieuxles conditions gĂ©nĂ©rales du voyage. Si je prĂ©cise qu’un camp portait le nom deBergen-Belsen et non de Belsen-Bergen, je ne change, Ă  coup sĂ»r, rien au sort deceux qu’on y internait. Que le mot Kapo soit formĂ© Ă  l’aide des initiales de ceux quicomposent l’expression allemande Konzentrationslager Arbeit Polizei, ou dĂ©rive del’expression italienne Il Capo, n’a aucune importance en soi. Et les mauvaistraitements, la faim, la torture, etc., qu’ils aient eu lieu dans un camp ou dans un

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autre, que celui qui les rapporte les ait vus ou non, qu’ils aient Ă©tĂ© le fait des S.S.,directement ou par la personne interposĂ©e de dĂ©tenus triĂ©s sur le volet, restenttoujours de mauvais traitements.

J’observerai Ă  mon tour qu’un ensemble est composĂ© de dĂ©tails et qu’uneerreur de dĂ©tail de bonne ou de mauvaise foi, outre qu’elle est de nature Ă  fausserl’interprĂ©tation chez le spectateur, l’amĂšne logiquement Ă  douter du tout s’il la [122]dĂ©cĂšle. À douter seulement, quand il n’y a qu’une erreur : s’il y en a plusieurs...

On me comprendra mieux si on veut bien se reporter Ă  un fait divers quidĂ©fraya la chronique, il y a quelques annĂ©es. À la veille mĂȘme de cette guerre, unĂ©tudiant Ă©tranger, profitant d’un moment d’inattention des gardiens dĂ©roba, auLouvre un tableau de Watteau connu sous le nom de L’IndiffĂ©rent. Quelques joursaprĂšs, il le rapporta ou on le retrouva chez lui, mais il lui avait fait subir une petitemodification : importunĂ© par cette main qui s’élevait dans un geste que tous lesspĂ©cialistes disaient inachevĂ©, soit du fait du MaĂźtre lui-mĂȘme, soit de celui de ladĂ©prĂ©dation, il l’avait appuyĂ©e sur une canne. Cette canne ne changeait rien aupersonnage. Elle s’harmonisait au contraire merveilleusement avec son allure. Maiselle prĂ©cisait le sens de son indiffĂ©rence et modifiait sensiblement l’interprĂ©tationqu’on en pouvait donner dans ses causes ou dans son but. Notamment, on pouvaitsoutenir que cette interprĂ©tation eĂ»t Ă©tĂ© tout autre si, au lieu de la canne, on avait misdans sa main une paire de gants, ou si on en avait nĂ©gligemment laissĂ© tomber unbouquet de fleurs.

En dĂ©pit qu’on ne puisse jurer qu’à l’origine, si la canne n’avait pas existĂ©effectivement sur le tableau, elle n’avait pas Ă©tĂ© plus que la paire de gants, ou lebouquet de fleurs, dans les intentions de Watteau, on l’effaça et on remit le tableau Ă sa place. Si on l’avait laissĂ© subsister, personne n’eĂ»t jamais remarquĂ© unedissonance, ni dans le tableau lui-mĂȘme, ni dans l’aspect gĂ©nĂ©ral des galeries depeinture du Louvre. Mais si, au lieu de se borner Ă  la correction de L’IndiffĂ©rent,notre Ă©tudiant s’était avisĂ© de rĂ©soudre toutes les Ă©nigmes de tous les tableaux, s’ilavait placĂ© un loup de velours sur le sourire de la Joconde, des hochets dans lesmains tendues de tous ces petits JĂ©sus qui reposent, Ă©tonnĂ©s, sur les genoux et dansles bras de vierges figĂ©es, des lunettes Ă  Erasme ; et... si on avait laissĂ© subsister toutcela, on imagine l’aspect qu’eĂ»t pris le Louvre !

Les erreurs qu’on peut relever dans les tĂ©moignages des dĂ©portĂ©s sont dumĂȘme ordre que la canne de l’IndiffĂ©rent, ou un masque Ă©ventuel sur le visage de laJoconde : sans modifier sensiblement le tableau des camps, elles ont faussĂ© le sens del’Histoire. En passant de l’une Ă  l’autre et en les associant, le dĂ©portĂ© de bonne foi ala mĂȘme impression que s’il parcourait les galeries d’un Louvre d’atrocitĂ©sentiĂšrement revu et corrigĂ©. [123]

Il en sera de mĂȘme du lecteur s’il veut bien, avant de prononcer son jugementsur chacun des textes citĂ©s, se demander, abstraction faite de toutes autres

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considérations, si son auteur pourrait le maintenir intégralement devant un TribunalréguliÚrement constitué et qui serait minutieux par surcroßt.

MĂącon, le 15 mai 1950. [124]

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CHAPITRE II

Les témoins mineurs

Ces tĂ©moins ne racontant que ce qu’ils ont vu ou prĂ©tendent avoir vu, sanscommenter beaucoup, la critique ne porte, ici, que sur des dĂ©tails souvent petits. Lelecteur m’en excusera : les grandes Ă©nigmes du problĂšme concentrationnaire nepeuvent ĂȘtre abordĂ©es qu’avec les tĂ©moins majeurs, mais on ne peut oublier lesautres.

I – Frùre Birin

(De son vrai nom : Alfred UNTEREINER)

Publia un rĂ©cit chronologique de son passage Ă  Buchenwald et Dora :Titre : 16 mois de bagneParu chez Maillot-Braine Ă  Reims, le 20 juin 1946. PrĂ©face d’Emile Bollaert.En prologue, les circonstances qui ont motivĂ© son arrestation et sa dĂ©portation.En appendice, un poĂšme en vers libre de l’AbbĂ© Jean-Paul Renard : « J’ai vu,

j’ai vu, et j’ai vĂ©cu. »Et, en Ă©pilogue, deux citations comportant, l’une l’attribution de la Croix de

guerre, l’autre la promotion dans l’ordre de la LĂ©gion d’honneur ainsi qu’un extraitdu discours prononcĂ© par M. Emile Bollaert, alors commissaire de la RĂ©publique Ă Strasbourg, lors de la remise de cette derniĂšre.

ArrĂȘtĂ© en dĂ©cembre 1943, dĂ©portĂ© Ă  Buchenwald le 17 jan[125]vier 1944, Ă Dora le 13 mars suivant. Nous avons fait partie des mĂȘmes convois de dĂ©portation etde transport d’un camp Ă  l’autre. Nos numĂ©ros matricules se suivaient d’ailleurs debien prĂšs : 43 652 pour lui, 44 364 pour moi.

Nous avons Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s ensemble. Mais, Ă  l’intĂ©rieur du camp, nos destins ontdivergĂ© : grĂące Ă  la connaissance parfaite de la langue allemande qu’il tenait de sonorigine alsacienne, il rĂ©ussit Ă  se faire affecter comme secrĂ©taire de l’Arbeitstatistik1,poste privilĂ©giĂ© par excellence, tandis que je suivais un sort commun que seule lamaladie interrompit.

Comme secrĂ©taire Ă  l’Arbeitstatistik, il rendit d’innombrables services Ă  unnombre considĂ©rable de dĂ©tenus et particuliĂšrement aux Français. Son dĂ©vouementĂ©tait sans bornes. ImpliquĂ© dans un complot que j’ai toujours cru virtuel, il futincarcĂ©rĂ© dans la prison du camp pendant les quatre ou cinq derniers mois de sadĂ©portation.

Enseigne actuellement — sauf erreur — dans les Ă©coles chrĂ©tiennes d’Epernay.

1 Statistique du travail (Bureau de la).

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16 mois de bagne prĂ©tend ĂȘtre une relation fidĂšle. « Je ne veux cependantrelater que ce que j’ai vu », Ă©crit l’auteur (page 38). Peut-ĂȘtre, d’ailleurs, le croit-iltrĂšs sincĂšrement.

On en va juger.

Le départ en Allemagne (de la gare de CompiÚgne)

« On nous fit entrer dans un wagon « 8 chevaux 40 hommes » mais au nombre de125. » (page 28).

En rĂ©alitĂ©, au dĂ©part du camp de Royallieu, on nous avait rangĂ©s en colonnepar cinq et par paquets de cent, chaque paquet Ă©tant destinĂ© Ă  un wagon. Unequinzaine ou une vingtaine de malades avaient Ă©tĂ© amenĂ©s Ă  la gare en voiture et ilsbĂ©nĂ©ficiĂšrent d’un wagon complet pour eux seuls. Le dernier paquet de la longuecolonne qui dĂ©fila ce matin-lĂ  dans les rues de CompiĂšgne, entre des soldatsallemands armĂ©s jusqu’aux dents Ă©tait incomplet. Il comprenait une quarantaine depersonnes qui furent rĂ©parties dans tous les wagons en fin d’embarquement. NoushĂ©ritĂąmes de trois, dans notre wagon, ce qui porta notre nombre Ă  cent trois. Je doutequ’il y ait eu des raisons spĂ©ciales pour que le [126] wagon dans lequel se trouvait leFrĂšre Birin hĂ©ritĂąt de vingt-cinq. De toutes façons, mĂȘme s’il en avait Ă©tĂ© ainsi, il eĂ»tfallu prĂ©senter honnĂȘtement le fait comme une exception.

L’arrivĂ©e Ă  Buchenwald

« Tout arrivant doit passer Ă  la dĂ©sinfection. Tout d’abord, Ă  la tonte gĂ©nĂ©rale, oĂčdes barbiers improvisĂ©s, ricanants, s’amusent de notre confusion et des entailles dont, parhĂąte ou maladresse, ils lardent leurs patients. Tel un troupeau de moutons privĂ©s de leurtoison, les dĂ©tenus sont prĂ©cipitĂ©s pĂȘle-mĂȘle dans un grand bassin d’eau crĂ©sylĂ©e Ă  fortedose. MaculĂ© de sang, souillĂ© d’immondices, ce bain sert Ă  tout le dĂ©tachement. HarcelĂ©espar des matraques, les tĂȘtes sont obligĂ©es de plonger sous l’eau. En fin de chaque sĂ©ance,des noyĂ©s sont retirĂ©s de cet abject bassin ». (page 35)

Le lecteur non prĂ©venu pense immanquablement que ces barbiers improvisĂ©squi ricanent et qui lardent sont des S.S., et que les matraques qui harcĂšlent les tĂȘtessont tenues par les mĂȘmes. Pas du tout, ce sont des dĂ©tenus, Et, les S.S. Ă©tant absentsde cette cĂ©rĂ©monie qu’ils ne surveillent que de loin, personne ne les oblige Ă  secomporter comme ils le font. Mais la prĂ©cision est omise et la responsabilitĂ© serejette d’elle-mĂȘme en totalitĂ© sur les S.S.

Cette confusion que je ne relĂšverai plus est entretenue tout au long du livre parle mĂȘme procĂ©dĂ©.

Le régime du camp

« Lever trÚs matinal, nourriture nettement insuffisante pour douze heures detravail : un litre de soupe, deux cents à deux cent cinquante grammes de pain, vingtgrammes de margarine » (page 40)

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Pourquoi, diable avoir oubliĂ© ou nĂ©gligĂ© de mentionner le demi-litre de cafĂ© dumatin et du soir et la rondelle de saucisson ou la cuillerĂ©e de fromage ou de confiturequi accompagnaient rĂ©guliĂšrement les vingt grammes de margarine ? Le caractĂšred’insuffisance de la nourriture quotidienne n’en eĂ»t pas Ă©tĂ© moins bien marquĂ© etl’honnĂȘtetĂ© de l’information en eĂ»t moins souffert. [127]

« Depuis mars, douze cents Français dont j’étais, furent dĂ©signĂ©s pour unedestination inconnue. Avant le dĂ©part, nous reçûmes des habits de forçats, Ă  rayuresbleues et blanches : veste et pantalon seulement, qui ne pouvaient nous garantir dufroid. » (page 41)

J’étais de ce convoi. Tout le monde avait, en outre, une capote. Si cethabillement ne pouvait nous garantir du froid, ce n’était pas en raison du nombre despiĂšces qui le composaient, mais parce que ces piĂšces Ă©taient en fibrane.

À Dora

« Le camp de Dora commença Ă  s’installer en novembre 1943 » (page 46)

Le premier convoi y arriva le 28 août 1943, trÚs exactement.

« LĂ , comme Ă  Buchenwald les S.S. nous attendaient Ă  la descente des wagons.Un chemin sillonnĂ© d’orniĂšres pleines d’eau, conduit au camp. Il fut parcouru au pas decourse. Les nazis, chaussĂ©s de grandes bottes, nous pourchassaient et lĂąchaient leurschiens sur nous Cette corrida d’un nouveau genre se ponctuait de nombreux coups defusils et de hurlements inhumains ». (pages 43-44)

Je n’ai pas souvenance que des chiens furent lĂąchĂ©s sur nous, ni que des coupsde fusils aient Ă©tĂ© tirĂ©s. Par contre, je me souviens trĂšs bien que les Kapos et lesLagerschutz1 qui vinrent nous prendre en compte Ă©taient beaucoup plus agressifs etbrutaux que les S.S. qui nous avaient convoyĂ©s.

Avant de passer à des erreurs trÚs graves, je voudrais encore en citer deux quile sont moins, mais qui accusent la légÚreté du témoignage, surtout quand on sait queleur auteur était, de par ses fonctions dans le camp, en possession de la situation deseffectifs, ce qui lui enlÚve toute excuse :

« Je ne citerai que ce bon vieux docteur Mathon surnommé papa Girard. » (page81)

« Pendant dix mois, j’ai toujours portĂ© sur moi la Sainte RĂ©serve. Des prĂȘtress’exposant constamment Ă  la mort, m’ont sans cesse rĂ©approvisionnĂ©. Je doisnom[128]mer ici l’AbbĂ© Bourgeois, le R.P. Renard, trappiste, et ce cher AbbĂ© Amyotd’Inville
 » (page 87)

D’une part, il y avait Ă  Dora un docteur Mathon et un docteur Girard. Lesecond Ă©tait trĂšs vieux et c’est lui que nous avions surnommĂ© le bon papa Girard. Del’autre, l’AbbĂ© Bourgeois est mort dans le deuxiĂšme mois aprĂšs son arrivĂ©e Ă  Dora,entre le 10 et le 30 avril 1944, avant le dĂ©part d’un transport de malades pour lequelil avait Ă©tĂ© dĂ©signĂ©. Il n’a donc pas pu approvisionner FrĂšre Birin pendant dix mois.

1 Chef de Kommandos et policiers, dĂ©tenus eux-mĂȘmes.

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On pourrait encore ajouter que si les prĂȘtres Ă©taient maltraitĂ©s pour les mĂȘmes raisonsque les autres dĂ©portĂ©s et, en sus, en raison de leur appartenance religieuse, ils nes’exposaient cependant pas Ă  la mort, en conservant par devers eux la Sainte RĂ©serve.

Des erreurs graves

« Les femmes S.S. dĂ©signaient aussi leurs victimes et avec plus de cynismeencore que leurs maris. Ce qu’elles dĂ©siraient, c’était de belles peaux humaines,artistement tatouĂ©es. Pour leur complaire, un rassemblement Ă©tait ordonnĂ© sur la place del’Appel, la tenue adamique Ă©tait de rigueur. Puis, ces dames passaient dans les rangs et,comme Ă  l’étalage d’une modiste, faisaient leur choix. » (pages 73-74)

Il n’est pas exact que ces choses se soient produites Ă  Dora. Il y a eu une affaired’abat-jour en peau humaine tatouĂ©e Ă  Buchenwald. Elle figure au dossier d’IlseKoch dite la chienne de Buchenwald. Et, mĂȘme Ă  Buchenwald, FrĂšre Birin ne peutavoir assistĂ© au choix des victimes, ainsi que le prĂ©tend sa dĂ©claration, dĂ©jĂ  citĂ©e dela page 38, les faits incriminĂ©s Ă©tant antĂ©rieurs Ă  notre arrivĂ©e, — si tant est qu’ils sesoient rĂ©ellement produits.

Il reste qu’il donne Ă  ce choix des victimes un caractĂšre d’habitude et degĂ©nĂ©ralisation, et qu’il en fait une description d’une remarquable prĂ©cision.Comment ne pas penser que si celui qui a situĂ© le fait Ă  Buchenwald sur le vu ducorps du dĂ©lit (les abat-jour en question), l’a fait par le mĂȘme procĂ©dĂ©, l’accusationqui pĂšse sur Ilse Koch Ă  ce propos, est bien fragile ?1. [129]

Pour en finir avec ce sujet, je prĂ©cise qu’en fĂ©vrier-mars 1944, la rumeurconcentrationnaire Ă  Buchenwald accusait les deux Kapos du Steinbruch2 et duGĂ€rtnerei3 de ce crime, jadis perpĂ©trĂ© par eux avec la complicitĂ© de presque tousleurs collĂšgues. Les deux compĂšres avaient, disait-on, industrialisĂ© la mort desdĂ©tenus tatouĂ©s, dont ils vendaient contre de menues faveurs, les peaux Ă  Ilse Koch etĂ  d’autres, par l’intermĂ©diaire du Kapo et du S.S. de service au Krematorium.

Mais, la femme du commandant du camp et les autres femmes d’officiers sepromenaient-elles dans le camp, Ă  la recherche de beaux tatouages dont ellesdĂ©signaient elles-mĂȘmes les propriĂ©taires Ă  la mort ? Organisait-on des appels dans latenue adamique, pour leur faciliter cette recherche ? Je ne puis ni confirmer niinfirmer. Tout ce que je puis dire, c’est que, contrairement Ă  ce qu’affirme FrĂšreBirin, cela ne s’est jamais produit Ă  Dora, ni Ă  Buchenwald, durant notre internementcommun.

« Quand le sabotage semblait certain, la pendaison se faisait plus cruelle. LessuppliciĂ©s Ă©taient enlevĂ©s de terre par la traction d’un treuil Ă©lectrique qui les dĂ©collaitdoucement du sol. N’ayant pas subi la secousse fatale qui assomme le patient et souventlui rompt la nuque, les malheureux passaient par toutes les affres de l’agonie.

D’autres fois, un crochet de boucher Ă©tait plantĂ© sous la mĂąchoire du condamnĂ©qui Ă©tait suspendu par ce moyen barbare. » (page 76).

1 Si fragile, mĂȘme que la cour d’Assises d’Augsbourg qui eut Ă  en connaĂźtre, ne la retint pas

contre l’accusĂ©e
 faute de preuves ! (Note pour la 2e Ă©dition).2 La carriĂšre.3 Le jardinage.

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Il est exact qu’à la fin de la guerre, Ă  fin 1944-dĂ©but 1945, les sabotages Ă©taientdevenus si nombreux que les pendaisons se faisaient en groupe. On prit l’habituded’exĂ©cuter au tunnel mĂȘme, Ă  l’aide d’un palan actionnĂ© par un treuil, et non plusseulement sur la place de l’Appel, avec des bois de justice qui ressemblaient Ă  ceuxd’un terrain de football. Le 8 mars 1945, dix-neuf patients ont Ă©tĂ© pendus de cettefaçon, et le Dimanche des Rameaux, cinquante-sept — le Dimanche des Rameaux, Ă huit jours de la LibĂ©ration, alors que nous avions dĂ©jĂ  entendu le canon alliĂ© toutproche et que l’issue de la guerre ne pouvait plus faire de doute pour les S.S. !

Mais l’histoire du crochet de boucher, qui a Ă©tĂ© racontĂ©e pour Buchenwald, oĂčon a retrouvĂ© l’instrument au four [130] crĂ©matoire, a bien des chances d’ĂȘtre fausseen ce qui concerne Dora. En tout cas, je n’en avais jamais entendu parler sur les lieuxmĂȘmes et elle ne cadre pas avec les mƓurs habituelles du camp.

« Sur l’instigation du fameux OberscharfĂŒhrer Sanders, S.S. avec lequel j’eusaffaire, d’autres modes d’exĂ©cution furent employĂ©s pour les saboteurs.

Les malheureux Ă©taient condamnĂ©s Ă  creuser d’étroits fossĂ©s, oĂč leurs camaradesĂ©taient contraints de les enterrer jusqu’au cou. Ils restaient abandonnĂ©s dans cette positionpendant un certain temps. Ensuite, un S.S. armĂ© d’une hache Ă  long manche, coupait lestĂȘtes.

Mais le sadisme de certains S.S. leur fit trouver un genre de mort plus cruel. Ilsordonnaient aux autres dĂ©tenus de passer avec des brouettes de sable sur ces pauvrestĂȘtes. Je suis encore obsĂ©dĂ© par ces regards que, etc. » (page 77)

Ceci non plus, ne s’est jamais produit Ă  Dora. Mais l’histoire m’a Ă©tĂ© racontĂ©eĂ  peu prĂšs dans les mĂȘmes termes, au camp mĂȘme, par des dĂ©tenus venus entransport de divers camps et qui prĂ©tendaient tous avoir assistĂ© Ă  la scĂšne :Mathausen, Birkenau, Flossenburg, Neuengamme, etc. De retour en France, je l’airetrouvĂ©e chez divers auteurs : il n’y avait pas intĂ©rĂȘt Ă  la faire figurer, dans untĂ©moignage Ă©crit, au compte d’un camp oĂč elle ne s’est pas produite. Prenant unauteur en flagrant dĂ©lit d’erreur, l’opinion française en doute pour tous les camps etl’opinion allemande tire argument du mensonge.

Le destin des déportés

« Comme GeheimnistrĂ€ger (porteurs du secret des V1 et V2) nous nous savionscondamnĂ©s Ă  mort et destinĂ©s Ă  ĂȘtre massacrĂ©s Ă  l’approche des AlliĂ©s. » (page 97)

Ici, il ne s’agit pas d’un fait, mais d’un argument. Il a Ă©tĂ© utilisĂ© par tous lesauteurs de tĂ©moignages, jusques et y compris LĂ©on Blum dans Le Dernier Mois . Il atrouvĂ© quelque apparence de justification dans les noyades de la Baltique, desdĂ©portĂ©s ayant Ă©tĂ©, peu de temps avant la LibĂ©ration, chargĂ©s sur des bateaux quiprirent la mer et qu’on coula [131] de la rives1, ainsi que dans une dĂ©claration du

1 Voir Avant-Propos de l’auteur pour la 2e Ă©dition, p. 242, thĂšse de M. Sabille et note 13. Sur

les noyades de la Baltique elles-mĂȘmes, la thĂšse actuellement admise par le monde entier est quel’Arcona, navire qui transportait des dĂ©portĂ©s en SuĂšde a Ă©tĂ© coulĂ© par les forces aĂ©ro-navales alliĂ©esqui attaquĂšrent le convoi sans connaĂźtre sa nature. La riposte des batteries cĂŽtiĂšres allemandes deD.C.A. serait Ă  l’origine de la confusion, les tĂ©moins horrifiĂ©s ayant cru qu’elles tiraient sur l’Arconaalors qu’elles tiraient sur les avions alliĂ©s.

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docteur S.S. de Dora qui affirma l’existence d’ordres secrets dans ce sens et qui eneut la vie sauve.

Le problĂšme posĂ© est de savoir si les noyades de la Baltique sont un fait isolĂ©dĂ» Ă  des initiatives trop zĂ©lĂ©es de subalternes en derniĂšre heure, ou si elles faisaientpartie d’un plan de massacre gĂ©nĂ©ral Ă©laborĂ© dans les services du ReichsfĂŒhrer S.S.Himmler, chef du dĂ©partement de la Police. À ma connaissance, il ne semble pas quedes textes aient existĂ© en faveur de la seconde hypothĂšse et l’historien peutsoupçonner le docteur S.S. de Dora de n’avoir fait cette dĂ©claration que pour avoir lavie sauve1.

En tout Ă©tat de cause, les GeheimnistrĂ€ger de Dora n’ont pas Ă©tĂ© massacrĂ©s. Leconvoi dans lequel se trouvait LĂ©on Blum non plus. On peut toujours dire que s’il ena Ă©tĂ© ainsi Ă  peu prĂšs partout ailleurs que sur la Baltique, c’est uniquement parce quedans la bousculade de la dĂ©bĂącle allemande, les S.S. n’ont eu ni le temps, ni lesmoyens de mettre leurs sinistres projets Ă  exĂ©cution.

Mais le raisonnement est gratuit.D’autant qu’en ce qui concerne les noyades de la Baltique elles-mĂȘmes, la

thùse allemande (cf. note 6) paraüt aussi plausible que la thùse française, l’accueil quelui a fait le monde entier en fait foi.

II – AbbĂ© Jean-Paul Renard

DĂ©portĂ© sous le numĂ©ro matricule 39.727. A prĂ©cĂ©dĂ© FrĂšre Birin et moi-mĂȘmede quelques semaines Ă  Buchenwald, puis Ă  Dora oĂč nous l’avons retrouvĂ©.

Publia un recueil de poĂšmes inspirĂ©s d’un mysticisme parfois Ă©mouvant, sousle titre ChaĂźnes et LumiĂšres. Ces poĂšmes constituent une suite de rĂ©actionsspirituelles bien plus qu’un essai de tĂ©moignage objectif.

L’un d’eux, cependant, Ă©numĂšre des faits : J’ai vu, j’ai vu [132] et j’ai vĂ©cu
FrĂšre Birin le publie en appendice de son propre tĂ©moignage, ainsi que je le dis parailleurs.

On y peut lire :

« J’ai vu rentrer aux douches mille et mille personnes sur qui se dĂ©versaient, enguise de liquide, des gaz asphyxiants.

J’ai vu piquer au cƓur les inaptes au travail ».

En rĂ©alitĂ©, l’AbbĂ© Jean-Paul Renard n’a rien vu de tout cela, puisque leschambres Ă  gaz n’existaient ni Ă  Buchenwald, ni Ă  Dora. Quant Ă  la piqĂ»re qui ne sepratiquait pas non plus Ă  Dora, elle ne se pratiquait plus Ă  Buchenwald au moment oĂčil y est passĂ©.

Comme je lui en faisais la remarque au dĂ©but de 1947, il me rĂ©pondit :– D’accord, mais ce n’est qu’une tournure littĂ©raire et, puisque ces choses ont

quand mĂȘme existĂ© quelque part, ceci n’a guĂšre d’importance.Je trouvai le raisonnement dĂ©licieux. Sur le moment, je n’osai pas rĂ©torquer

que la bataille de Fontenoy Ă©tait, elle aussi, une rĂ©alitĂ© historique, mais que ce n’était

1 Voir note 6

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pas une raison pour dire, mĂȘme en « tournure littĂ©raire », qu’il y avait assistĂ©. Ni que,si vingt-huit mille rescapĂ©s des camps nazis se mettaient Ă  prĂ©tendre qu’ils avaientassistĂ© Ă  toutes les horreurs retenues par tous les tĂ©moignages, les camps prendraient,aux yeux de l’Histoire, un tout autre aspect que si chacun d’eux se bornait Ă  direseulement ce qu’il avait vu. Ni non plus qu’il y avait intĂ©rĂȘt Ă  ce qu’aucun d’entrenous ne fĂ»t pris en flagrant dĂ©lit de mensonge ou d’exagĂ©ration.

Par la suite, en juillet 1947, J’ai vu, j’ai vu et j’ai vĂ©cu
 parut dans ChaĂźnes etLumiĂšres. J’eus la satisfaction de constater que, si l’auteur avait laissĂ© subsisterintĂ©gralement son tĂ©moignage sur la piqĂ»re, il y avait cependant honnĂȘtement affectĂ©,celui qui concerne les chambres Ă  gaz d’un renvoi qui en reportait la responsabilitĂ©sur un autre dĂ©portĂ©.

III – AbbĂ© Robert Ploton

Était curĂ© de la NativitĂ©, Ă  Saint-Etienne. Actuellement curĂ© de Firminy. [133]DĂ©portĂ© Ă  Buchenwald sous le numĂ©ro matricule 44.015, en janvier 1944, dans

le mĂȘme convoi que moi. Nous Ă©chouĂąmes ensemble au Block 48, que nousquittĂąmes, ensemble aussi, pour Dora.

Publia De Montluc Ă  Dora, en mars 1946, Ă  St-Etienne, chez Durnas.TĂ©moignage sans prĂ©tention qui tient en 90 pages. L’AbbĂ© Robert Ploton dit

les faits simplement, comme il les a vus, sans rien approfondir et souvent sans secontrĂŽler. Manifestement, il est de bonne foi, et s’il pĂšche, c’est par uneprĂ©disposition naturelle au superficiel, aggravĂ©e de l’empressement qu’il mit Ă  conterses souvenirs.

Au moment de la dĂ©bĂącle allemande, il fut dirigĂ© sur Bergen-Belsen : il Ă©critBelsen-Bergen, tout au long du chapitre qui relate l’évĂ©nement, ce qui fait qu’on nepeut mĂȘme pas penser Ă  une erreur typographique.

Au Block 48, Ă  Buchenwald, il a entendu dire que :

« Nous sommes sous les ordres d’un dĂ©tenu allemand, ex-dĂ©putĂ© communiste auReichstag » (page 26)

et il l’a admis. En rĂ©alitĂ©, ce chef de Block, Erich, n’était que le fils d’undĂ©putĂ© communiste.

Pour ce qui est de la nourriture, c’est dans les mĂȘmes conditions, sans doute,qu’il Ă©crit :

« En principe, le menu quotidien comportait un litre de soupe, 400 grammes d’unpain trĂšs dense, 20 grammes de margarine tirĂ©e de la houille et un dessert variable : tantĂŽtune cuillerĂ©e de confiture, tantĂŽt fromage blanc, ou encore un ersatz de saucisson. »(Pages 63-64)

Tant de gens ont dit que la margarine Ă©tait tirĂ©e de la houille, tant de journauxl’ont Ă©crit sans ĂȘtre dĂ©mentis, que la question ne se posait plus de l’origine exacte dece produit. AprĂšs tout, Louis Martin-Chauffier a fait mieux qui Ă©crivait :

« Il semble que rien ne leur plaise (aux S.S.) qui ne soit artificiel : et la margarinequ’ils nous distribuaient chichement prenait pour eux toute sa saveur d’ĂȘtre un produit tirĂ©

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de la houille. (La boĂźte en carton portait : « Garanti sans matiĂšre grasse »). » L’Homme etla BĂȘte (page 95)

Si l’AbbĂ© Ploton entreprend de parler de l’écussonnage des dĂ©tenus, il trouvehuit catĂ©gories sans se rendre compte qu’il y en a effectivement une trentaine, et qu’ilest incomplet. [134]

S’il parle du rĂ©gime du camp, il Ă©crit :

« Un des moyens les plus efficaces et les plus ignobles de dégradation morale,inspiré des consignes de Mein Kampf est de confier à quelques détenus choisis de façonpresque exclusive parmi les Allemands, la police du camp. » (page 28)

car il ne sait pas que ce procĂ©dĂ© ignoble est utilisĂ©, prĂ©cisĂ©ment parce qu’il estefficace, dans toutes les prisons du monde, et qu’il l’était bien avant que HitlerĂ©crivĂźt Mein Kampf1. Est-il besoin de rappeler que le Dante n’avait rien vu, d’AlbertLondres, fixe la part de la France dans son application Ă  ses prisons et a ses bagnes ?

Pour la longueur des appels qui a frappĂ© tous les dĂ©tenus, voici l’explicationqu’il en donne :

« Nous attendons que les chiffres soient vĂ©rifiĂ©s, besogne laborieuse dont la durĂ©edĂ©pend de l’humeur du S.S. Rapport-FĂŒhrer ». (page 59)

Or, la longueur des appels, si elle dĂ©pendait de l’humeur du Rapport-FĂŒhrerS.S., dĂ©pendait aussi des capacitĂ©s des gens chargĂ©s d’établir chaque jour la situationdes effectifs. Parmi eux, il y avait les S.S. qui savaient gĂ©nĂ©ralement compter, mais ily avait aussi et surtout les dĂ©tenus illettrĂ©s ou quasi, qui n’étaient devenus secrĂ©tairesou comptables Ă  l’Arbeitstatistik que par faveur. Il ne faut pas oublier que l’emploide chaque dĂ©tenu dans un camp de concentration Ă©tait dĂ©terminĂ© par son entregent etnon par ses capacitĂ©s. À Dora, comme partout, il se trouvait que les maçons Ă©taientcomptables, les comptables maçons ou charpentiers, les charrons mĂ©decins ouchirurgiens, et il pouvait mĂȘme arriver qu’un mĂ©decin ou un chirurgien fussentajusteurs, Ă©lectriciens ou terrassiers2.

Pour la piqĂ»re, l’AbbĂ© Robert Ploton se range Ă  l’opinion commune :

« Cependant l’infirmerie avait dĂ» s’étendre et multiplier ses baraques Ă  flanc decolline. Les tuberculeux incurables y terminaient leur pauvre existence sous l’effet d’unepiqĂ»re euthanasique. » (page 67)

[135]ce qui est faux3.

À ces remarques prĂšs, ce tĂ©moin improvisĂ© n’est pas obnubilĂ© par la manied’exagĂ©rer. Il est seulement Ă©crasĂ© par une expĂ©rience qui le dĂ©passe. Et lesinexactitudes dont il s’est rendu coupable ne sont que de moindre grandeur en

1 Voir en Appendice à ce chapitre : « La discipline à la Maison centrale de Riom », en 1939,

par Pierre Bernard qui y fut interné et Dans les prisons de la « Libération », un témoignagecommuniqué par A. Paraz.

2 Cf. 1e partie page 64 et ci-dessus.3 Voir page 133.

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comparaison de celles de FrÚre Birin : elles portent beaucoup moins à conséquenceaussi.

Le souci de l’objectivitĂ© obligeait cependant Ă  les noter.[136]

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APPENDICE AU CHAPITRE II

La discipline Ă  la Maison Centrale de Riom en 1939

« Trois Ă©lĂ©ments notables doivent ĂȘtre retenus quant aux moyens de discipline.Le premier est l’institution d’une hiĂ©rarchie intĂ©rieure de prisonniers qui

concourent avec les gardiens au maintien du bon ordre. J’ai entendu souvent des Françaiss’indigner de l’institution, dans les bagnes nazis, de ces auxiliaires bĂ©nĂ©voles des gardes-chiourmes : ce sont les mĂȘmes qui ne peuvent admettre que des Allemands ignoraient cequi se passait sur leur sol, et qui ne savent pas ce qui se passe en France. Aux kapos, auxschreibers, aux vorarbeiters, aux stubendiensts, etc., il y a pourtant des prĂ©cĂ©dents. Lescomptables d’atelier, les contremaĂźtres (encore qu’il en existe aussi de civils), toutel’administration, sont pris parmi les dĂ©tenus, et jouissent Ă©videmment de certainsavantages. Il faut mettre Ă  part les prĂ©vĂŽts, explicitement chargĂ©s de maintenir l’ordre.Cela va du prĂ©vĂŽt du dortoir, qui a prĂšs de son lit un bouton d’appel alertant les gardienslorsqu’il se passe quelque chose d’anormal (fumĂ©e, lecture, conversations, etc.), et quiheureusement en use peu — jusqu’au bourreau officiel, le prĂ©vĂŽt du Quartier.

II me faut dire maintenant ce qu’est le Quartier fort : la prison spĂ©ciale del’intĂ©rieur de la prison, et en fait le lieu de torture (j’affirme que le mot n’est pas exagĂ©rĂ©).Ce deuxiĂšme Ă©lĂ©ment de la discipline comporte, comme « l’Enfer » de Dante, des cerclesdivers. Cela part de la salle de discipline, oĂč en principe, on se contente de faire marcherles condamnĂ©s en rond avec de trĂšs brĂšves pauses, Ă  un rythme soutenu par une rationspĂ©ciale Ă  l’entraĂźneur — alors que les diminutions de nourriture sont la rĂšgle pour lesautres : en fait, les coups pleuvent. J’ai eu la chance d’y Ă©chapper moi-mĂȘme, maisj’affirme avoir vu frĂ©quemment les pauvres bougres revenir de la « Salle » avec des [137]traces apparentes de coups rĂ©cents. Cela va jusqu’à la cellule — en principe jusqu’à 90jours consĂ©cutifs, pratiquement Ă©quivalents Ă  la peine de mort — Avec une gamelle desoupe tous les quatre jours, et des raffinements de cruautĂ© qui rĂ©pugnent Ă  l’expression.J’affirme en particulier que la torture dite de la « camisole », camisole de force rĂ©unissantles bras derriĂšre le dos, et trĂšs souvent ramenĂ©s ensuite vers le cou a Ă©tĂ© frĂ©quemmentappliquĂ©e. J’affirme, pour avoir rĂ©uni des tĂ©moignages concordants sans nombre quecertains gardiens — aidĂ©s particuliĂšrement par le prĂ©vĂŽt — frappent avec diversinstruments, y compris le tisonnier, et parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. J’affirmeque les nazis n’ont apportĂ© que des perfectionnements de dĂ©tail Ă  l’art de tuer lentementles hommes.

Or, et c’est le troisiĂšme instrument de la discipline, ces condamnations« accessoires », qui vont parfois jusqu’à la peine de mort implicite, ne sont pasprononcĂ©es par les tribunaux instituĂ©s par la loi, mais par une juridiction qu’à maconnaissance elle ignore, le PrĂ©toire. C’est un tribunal interne Ă  la prison, prĂ©sidĂ© par ledirecteur, lequel est assistĂ© du sous-directeur, (en argot pĂ©nitentiaire, le sous-mac) et legardien-chef faisant fonction de greffier. Pas de plaidoirie, pas de dĂ©fense, une accusationparfois inintelligible, pas de rĂ©ponse sinon le rituel « Merci, Monsieur le Directeur » quisuit la condamnation. J’ai pu, pour ma part, m’en tirer toujours avec une simple amende,rĂ©duisant seulement le droit d’achat Ă  la cantine ; les ressources sont limitĂ©es au salaire,ou plutĂŽt Ă  une part disponible, trĂšs faible, et Ă  un secours extĂ©rieur extrĂȘmement rĂ©duitalors ; en ce temps il n’y avait aucun colis autre que de linge de corps. Mais lescondamnations sĂ©vĂšres pleuvent, mĂȘme pour simple inexĂ©cution de la tĂąche imposĂ©e. »(Pierre Bernard, RĂ©volution prolĂ©tarienne, juin 1949)

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Dans les prisons de la « libération »

« Tous les Français ont voulu ceci, disent nos « patriotes » ».Édouard Gentez, imprimeur Ă  Courbevoie, condamnĂ© en juillet 46, non comme

criminel, mais comme [138] imprimeur, est transfĂ©rĂ© de Fresnes Ă  Fontevrault enseptembre 46. À la suite de coups, de privations et de froid, il a contractĂ© un point depleurite, ce qui l’a fait rayer de la liste du transfert pour Fontevrault.

Une heure avant le dĂ©part, les condamnĂ©s de la S.P.A.C. qui Ă©taient sur cette listeen sont rayĂ©s sur ordre ; on a encore besoin d’eux. On les remplace et Gentez est parmiles nouveaux inscrits.

ArrivĂ© Ă  la Centrale, deux heures et demie debout en plein soleil, puis huit joursenfermĂ© dans un trou appelĂ© mitard ; aprĂšs ce dĂ©lai, Gentez est admis Ă  l’infirmerie oĂčrĂšgne en maĂźtre un boucher assassin, Ange Soleil, mulĂątre qui avait dĂ©coupĂ© et emmurĂ© samaĂźtresse, ce qui le prĂ©parait aux fonctions de prĂ©vĂŽt-infirmier-docteur de prison, bienplus puissant que le jeune mĂ©decin civil, un pommadin, nommĂ© Gaultier ou Gautier.

Soleil admettait Ă  l’infirmerie les malades s’ils partageaient avec lui les deux tiersde leurs colis et renvoyait ceux dont les colis Ă©taient les plus petits, par une rĂšgleextrĂȘmement claire et simple.

Gentez, n’ayant ni colis ni mandat, ne peut payer et, malgrĂ© la gravitĂ© de samaladie, est mutĂ© aux « inoccupĂ©s », astreints Ă  trois quarts d’heure de marche rapide,coupĂ©e d’un quart d’heure de repos, du matin au soir, tous les jours, y compris ledimanche.

Gentez, trop faible, est dispensĂ© de cette torture, mais n’est pas pour cela autorisĂ©Ă  se coucher ni mĂȘme Ă  s’asseoir ; il doit rester, durant la marche, debout, immobile, lesmains derriĂšre le dos, sans pardessus.

Le froid aggravant sa pleurite, Gentez va chaque semaine Ă  la visite oĂč on luiremet de l’aspirine, de l’huile foie de morue, et oĂč on lui pose des ventouses sans jamaisl’admettre Ă  l’infirmerie.

Il se plaint sans cesse au long de la nuit. Les deux docteurs dĂ©tenus, le chirurgienPerribert et le docteur Lejeune, l’auscultent le samedi matin, lui dĂ©couvrant une broncho-pneumonie double.

Gentez Ă©tant tombĂ© dans la cour, l’infirmier alertĂ© va chercher Ange Soleil qui semet Ă  hurler, le traite de simulateur et le fait jeter au cachot, ainsi que le docteur Perribert,coupable d’avoir auscultĂ© sans autorisation.

Gentez est mis à nu pour la fouille et jeté en cellule par 15· au-dessous de zéro. Ilfrappe toute la nuit pour appeler, personne ne vient. Le lendemain 14 jan[139]vier 1947,on le trouve mort.

On le transporte, enfin, Ă  l’infirmerie oĂč on le dĂ©clare mort en cet endroit d’unecrise cardiaque. On l’enterre sous un simple numĂ©ro : 3479.

Mais il y a un tĂ©moin gĂȘnant, le fils Gentez que j’ai connu en prison et aux cĂŽtĂ©sduquel j’ai vĂ©cu les pĂ©ripĂ©ties de ce sombre drame. Il obtint une enquĂȘte. Celle-ci futcorrecte. Ange Soleil fut transfĂ©rĂ© Ă  Fresnes, mais a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© par suite des mesuresd’amnistie (sic). Les directeurs Dufour, VessiĂšres et Guillonet ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s.

André Marie avait promis de ramener la peine du fils Gentez à trois ans, à la suitede cette tragique affaire. Il y a de cela plus de trois ans et, si je suis bien renseigné il esttoujours enfermé ». Signé : Benoßt C.

« Ceci est extrait d’une lettre qui m’est adressĂ©e de la prison d’X quelque part enFrance. (Ma discrĂ©tion s’explique par le souci que j’ai de ne pas exposer son auteur Ă  lajurisprudence dont il est question dans le document prĂ©cĂ©dent).

Benoüt C. n’a pas lu Valsez, saucisses, qu’il ne connaüt pas, mais Vertiges.Il me renseigne sur la proportion (10%) des assistantes sociales qui glougloutent

— point ne le dis pour le leur reprocher — et me narre sans trop s’en plaindre les

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curieuses maniĂšres de certains « messieurs de l’Ɠuvre de Saint-Vincent-de-Paul, auxdoigts chargĂ©s de chevaliĂšres ».

Ce tĂ©moignage, venant d’un obsĂ©dĂ© du sexe et nullement de la politique, n’en estque plus concluant. » (CommuniquĂ© par Albert Paraz.)

À Poissy

« En fĂ©vrier 1946, le crĂąne rasĂ©, en sabots et droguet, Henri BĂ©raud se retrouve Ă l’atelier 14, au second Ă©tage de la maison centrale de Poissy. Sous l’Ɠil d’un surveillantqui doit faire respecter « la loi du silence », une loi qui pĂšse sur la prison nuit et jour, ilconfectionne des Ă©tiquettes avec nƓud amĂ©ricain ou fil de fer torsadĂ©, moyennant 0,95 Fle mille.

StupiditĂ© pĂ©nitentiaire : le chef de la table est un cambrioleur professionnel qui asous ses ordres outre [140] BĂ©raud, le gĂ©nĂ©ral Pinsard, un colonel, deux prĂ©sidents deCour, un avocat gĂ©nĂ©ral, le rĂ©dacteur en chef du Journal de Rouen, un professeurd’universitĂ© et des journalistes parisiens.

Dans son livre Je sors du bagne, l’un de ses compagnons de dĂ©tention Ă  Poissy,comme Ă  l’üle de RĂ©, relĂšve les gains du forçat BĂ©raud pendant le mois d’avril 1945 :Main d’Ɠuvre : 15 F. PrĂ©lĂšvement de l’administration pĂ©nitentiaire : 12 F. Reste : 3 F.Mise en rĂ©serve 1 F 50. Disponible pour le dĂ©tenu =1 F 50.

II s’agit d’un travail de plus de sept heures par jour » (La Bataille, 21 septembre1949.)

Allemands prisonniers en France

La Rochelle, 18 octobre 1948. — Instruit de faits scandaleux dont s’était renducoupable l’ancien officier Max-Georges Roux, 36 ans, qui fut adjoint au commandant ducamp de prisonniers allemands de ChĂątelaillon-Plage, le juge d’instruction de LaRochelle en a saisi le tribunal militaire de Bordeaux ou Roux a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©. L’ancienofficier purge actuellement une peine de 18 mois de prison, qui lui fut infligĂ©e en aoĂ»tdernier Ă  La Rochelle, pour abus de confiance et escroqueries au prĂ©judice de diversesassociations1.

Infiniment plus graves sont les dĂ©lits commis par Roux au camp de prisonniers. Ils’agit de crimes authentiques et d’une telle ampleur qu’il apparaĂźt difficile que Roux enporte seul la responsabilitĂ© devant les juges. À ChĂątelaillon, l’ignoble personnage avaitfait notamment dĂ©vĂȘtir plusieurs P.G. et les avait battus Ă  coups de cravache plombĂ©e.Deux des malheureux succombĂšrent Ă  ces sĂ©ances de knout.

Un tĂ©moignage accablant est celui du mĂ©decin allemand Clauss Steen, qui futinternĂ© Ă  ChĂątelaillon. InterrogĂ© Ă  Kiel, oĂč il habite, M. Steen a dĂ©clarĂ© que, de mai Ă septembre 1945, il avait constatĂ© au camp de P.G. les dĂ©cĂšs de cinquante de sescompatriotes. Leur mort avait Ă©tĂ© provoquĂ©e par une alimentation insuffisante, par destravaux pĂ©nibles et par la crainte perpĂ©tuelle dans laquelle les malheureux vivaient d’ĂȘtretorturĂ©s. [141]

Le rĂ©gime alimentaire du camp, qui Ă©tait placĂ© sous les ordres du commandantTexier, consistait, en effet, en une assiette de soupe claire, avec un peu de pain. Le restedes rations allait au marchĂ© noir. II y eut une pĂ©riode oĂč le pourcentage des dysentĂ©riquesatteignit 80 p. 100.

1 Actuellement, ce Roux est un haut fonctionnaire de l’Administration dans le Sud-Est de la

France. En récompense de ces hauts faits, sans doute ( !).

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Texier et Roux, avec leurs subordonnés, procédaient, en outre, à des fouilles surleurs prisonniers, leur enlevant tous leurs objets de valeur. On évalue à cent millions lemontant des vols et des bénéfices effectués par les gangsters à galons, qui avaient si bienorganisé leur affaire que les billets de banque et les bijoux étaient envoyés directement enBelgique, par automobile.

On veut espĂ©rer qu’avec Roux les autres coupables seront bientĂŽt incarcĂ©rĂ©s aufort du HĂą et qu’une sanction exemplaire sera prise contre ces vĂ©ritables criminels deguerre. (Les Journaux, 19 octobre 1948).

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CHAPITRE III

Louis Martin-Chauffier

Il est intermĂ©diaire entre les tĂ©moins mineurs qu’il dĂ©passe en essayant dedominer ou tout au moins d’expliquer doctement les Ă©vĂ©nements qu’il a vĂ©cus, et lesgrands tĂ©nors comme David Rousset dont il n’a pas la puissance d’analyse ou commeEugen Kogon, dont il n’a ni la prĂ©cision, ni la minutie. À ce titre, et compte tenu dela place qu’il occupe dans la littĂ©rature et le journalisme d’aprĂšs-guerre, il ne pouvaitĂȘtre classĂ© ni dans les premiers, ni dans les seconds. C’est un littĂ©rateur de mĂ©tier.

Il appartient Ă  cette catĂ©gorie d’auteurs qu’on dit engagĂ©s. Il s’engage, mais ilse dĂ©gage aussi souvent — pour se rĂ©engager, car l’engagement est chez lui uneseconde nature. On l’a connu communisant — sur le tard — il est maintenantanticommuniste. Probablement, d’ailleurs, pour les mĂȘmes raisons et dans les mĂȘmescirconstances : la mode.

Il ne pouvait pas ne pas tĂ©moigner sur les camps de concentration. D’abordparce que sa raison sociale est d’écrire. Ensuite, parce qu’il avait besoin de se donnerĂ  lui-mĂȘme une explication de l’évĂ©nement qui l’avait frappĂ©. Il en a fait profiter lesautres. Sans doute ne s’est-il pas aperçu qu’il disait comme tout le monde, Ă  la façonde s’exprimer prĂšs.

Titre du tĂ©moignage : L’Homme et la BĂȘte, 1948, chez Gallimard.OriginalitĂ© : A vu les boĂźtes de carton qui contenaient la margarine — tirĂ©e de

la houille, bien entendu — qu’on nous distribuait, affublĂ©es de la mention : « Garantisans matiĂšre grasse » (Page 95, DĂ©jĂ  citĂ©).

TĂ©moignage qui est un long raisonnement par rĂ©fĂ©rence Ă  des faits que l’auteurcaractĂ©rise antĂ©rieurement Ă  toute rĂ©flexion morale ou autre. [143]

Type de raisonnement

Avant d’ĂȘtre dĂ©portĂ© Ă  Neuengamme, Louis Martin-Chauffier a sĂ©journĂ© Ă CompiĂšgne-Royallieu ; il y a connu le capitaine Douce, qui Ă©tait alors doyen ducamp. Voici le jugement qu’il porte sur lui :

« M. le Capitaine Douce, « doyen » du camp et zĂ©lĂ© serviteur de ceux qui luiavaient confiĂ© cette place de choix, juchĂ© sur une table, faisait son compte Ă  haute voix,en fumant sans arrĂȘt des cigarettes qui nous avaient Ă©tĂ© refusĂ©es contre le rĂšglement. »(Page 51)

À Neuengamme, il a connu AndrĂ© qui Ă©tait un des premiers personnages ducamp, fonctionnaire d’autoritĂ© choisi par les S.S. parmi les dĂ©tenus. Voici le portraitqu’il en fait :

« Étroitement surveillĂ© par les S.S., espĂšce des plus mĂ©fiantes, il Ă©tait, pourpouvoir tenir le rĂŽle qu’il avait choisi, et non sans peine, obtenu de jouer, contraint de

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parler rude aux dĂ©tenus, de se montrer brutal en paroles, insensible, inflexible. Il savaitque la moindre faiblesse entraĂźnerait une dĂ©nonciation et son renvoi immĂ©diat. La plupartse laissaient prendre Ă  ses façons, le croyaient complice des S.S., leur crĂ©ature, notreennemi. Comme il Ă©tait responsable des dĂ©parts et des attributions de postes, on luiimputait Ă  charge tous ceux qu’il envoyait aux Kommandos, avec une indiffĂ©renceapparente, sans tenir compte des priĂšres, des plaintes, des rĂ©criminations Quant un millierde dĂ©portĂ©s devaient partir en Kommandos et que 990 seulement Ă©taient enfournĂ©s dansdes wagons Ă  bestiaux, on ne se reprĂ©sentait pas toutes les ruses qu’avait employĂ©esAndrĂ©, tous les risques qu’il avait courus, pour soustraire dix hommes Ă  une mortprobable Il se savait gĂ©nĂ©ralement dĂ©testĂ© ou suspect. Il avait choisi de l’ĂȘtre, prĂ©fĂ©rant leservice rendu Ă  l’estime

Tel que j’ai vu AndrĂ©, il acceptait d’une Ăąme Ă©gale la cordialitĂ© menaçante desS.S., la servilitĂ© complice des Kapos et des chefs de block, l’hostilitĂ© de la masse. Je croisqu’il avait surmontĂ© l’humiliation, remplacĂ© sa propre vertu par une sorte de puretĂ©glacĂ©e, Ă©trangĂšre Ă  lui-mĂȘme. Il avait renoncĂ© Ă  son ĂȘtre, en faveur d’un [144] devoir qui,Ă  ses yeux, mĂ©ritait cette soumission. » (Pages 167-168-169)

Ainsi, de deux hommes qui remplissent les mĂȘmes fonctions, l’un a droit Ă  lasĂ©vĂ©ritĂ© laconique et au mĂ©pris de l’auteur, tandis que l’autre bĂ©nĂ©ficie, nonseulement de son indulgence approbative, mais encore de son admiration. Si onapprofondit, on apprend, Ă  la lecture de l’ouvrage, que le second a rendu un serviceapprĂ©ciable Ă  Martin-Chauffier, dans une circonstance qui mettait sa vie en danger.Je n’ai pas connu le capitaine Douce Ă  CompiĂšgne, mais il est fort probable que, parrapport Ă  AndrĂ©, son seul tort est de n’avoir pas su choisir les gens auxquels il rendaitdes services — car il avait certainement, lui aussi, ses clients et d’avoir desconnaissances littĂ©raires trop limitĂ©es pour savoir qu’il y avait, dans son doyennĂ©, uncertain nombre de Martin-Chauffier et Martin-Chauffier lui-mĂȘme.

Il n’est d’ailleurs pas superflu d’ajouter que ce raisonnement postule :

« J’ai toujours admirĂ©, avec un peu d’effroi et quelque rĂ©pulsion, CEUX qui, pourle service de leur patrie ou d’une cause qu’ils estiment juste, choisissent toutes lesconsĂ©quences de la duplicitĂ© : ou la dĂ©fiance mĂ©prisante de l’adversaire qui les emploie,ou sa confiance S’IL LES abuse ; et le dĂ©goĂ»t de ses compagnons de combat, qui voienten LUI un traĂźtre ; et la camaraderie abjecte des traĂźtres authentiques ou des simplesvendus qui, LE voyant attachĂ© Ă  la mĂȘme besogne, LE considĂšrent comme L’UN desleurs. Il y faut un renoncement Ă  soi-mĂȘme qui me dĂ©passe, un artifice qui me confond etme rebrousse. »1 (Page 168)

On se demande ce que les avocats de PĂ©tain attendent pour prendre texte de cetargument qui tient toute sa saveur [145] d’ĂȘtre nĂ© sous la plume d’un des plus beaux

1 Cette citation n’est pas tronquĂ©e, en dĂ©pit de la faute de syntaxe qui le pourrait faire croire et

que mettent en Ă©vidence les mots soulignĂ©s. Dans Le Droit de vivre, du 15 dĂ©cembre 1950, M. Martin-Chauffier a prĂ©tendu en ces termes que ce texte Ă©tait correctement Ă©crit : « Inutile d’ajouter que lafaute de syntaxe n’existe pas — un mensonge de plus — mais qu’un point et Virgule, glissĂ© par M.Rassinier en place des deux points que j’avais mis peuvent abuser ceux qui ne sont pas trĂšs sĂ»rs deleur grammaire ». Car, M. Martin-Chauffier est persuadĂ© qu’un clou chasse l’autre. Et il est trop « sĂ»rde sa grammaire » pour qu’on lui en puisse facilement conter sur les rapports qui existent entre leverbe et son sujet ou le pronom et son antĂ©cĂ©dent. MoralitĂ© : un Monsieur qui sort de l’École desChartes n’est apparemment pas obligĂ© de savoir ce qu’on exige d’un enfant de dix ans pour l’admettreen 6e. Pas chicanier pour un sou, nous avons rĂ©tabli les deux points rĂ©clamĂ©s par M. Martin-Chauffieret qu’une malencontreuse coquille avait effectivement remplacĂ©s par un point et virgule dans lapremiĂšre Ă©dition : le lecteur qui verra ce qu’ils changent Ă  l’affaire est priĂ© de nous l’écrire (contrerĂ©compense !).

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fleurons du crypto-communisme. Si la mode revient au PĂ©tainisme, Martin-Chauffier, en tout cas, pourra en retirer quelque fiertĂ©, et peut-ĂȘtre quelque profit.

Autre type de raisonnement

Au camp, l’auteur converse avec un mĂ©decin qui lui dit :

« Il y a actuellement dans le camp trois fois plus de malades que je n’en puisaccueillir. La guerre sera finie dans cinq ou six mois, au plus tard. Il s’agit pour moi defaire tenir le coup au plus grand nombre possible. J’ai choisi. Vous et d’autres, vous vousremettez lentement. Si je vous renvoie au camp dans cet Ă©tat et dans cette saison (on Ă©taitĂ  la fin de dĂ©cembre), vous serez morts en trois semaines. Je vous garde. Et — Ă©coutez-moi bien — je fais entrer ceux qui ne sont pas trĂšs gravement atteints, qu’un sĂ©jour auRevier peut sauver. Ceux qui sont perdus, je les refuse1. Je ne peux pas me payer le luxede les accueillir pour leur offrir une mort paisible. Ce que j’assure, c’est la garde desvivants. Les autres mourront huit jours plus tĂŽt : de toutes façons, ils seraient morts troptĂŽt. Tant pis, je ne fais pas de sentiment, je fais de l’efficacitĂ©. C’est mon rĂŽle.

Tous mes confrĂšres sont d’accord avec moi, c’est la voie juste
 Chaque fois queje refuse l’entrĂ©e Ă  un moribond et qu’il me regarde avec stupeur, avec effroi, avecreproche, je voudrais lui expliquer que j’échange sa vie perdue contre une vie peut-ĂȘtresauvĂ©e. Il ne comprendrait pas, etc. » (Page 190)

Sur place, j’avais dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ© qu’on pouvait entrer au Revier2 et y ĂȘtre soigné— relativement — pour des motifs parmi lesquels la maladie ou sa gravitĂ© n’étaientparfois que secondaires : entregent, piston, nĂ©cessitĂ© politique, etc. Je portais le faitau compte des conditions gĂ©nĂ©rales de vie. Si par surcroĂźt, des mĂ©decins dĂ©tenus ontfait le raisonnement que Martin-Chauffier prĂȘte Ă  celui-ci, il convient de l’enregistrercomme argument philosophique, et de la faire [146] entrer comme Ă©lĂ©ment causal Ă cĂŽtĂ© du « sadisme » des S.S., dans l’explication du nombre des morts. Car, il fautbeaucoup de science, d’assurance et aussi de prĂ©somption Ă  un mĂ©decin pourdĂ©terminer en quelques minutes, qui peut ĂȘtre sauvĂ© et qui ne le peut pas. Et j’ai bienpeur que, s’il en a Ă©tĂ© ainsi, les mĂ©decins ayant fait ce premier pas vers uneconception nouvelle du comportement dans la profession, ne soient progressivementarrivĂ©s Ă  en faire un second, Ă  se demander, non plus qui peut, mais qui doit ĂȘtresauvĂ© et qui ne le doit pas, et Ă  rĂ©soudre ce cas de conscience par rĂ©fĂ©rence Ă  desimpĂ©ratifs extra-thĂ©rapeutiques.

Le régime des camps

« Le traitement que nous infligeaient les S.S. Ă©tait la mise en Ɠuvre d’un planconcertĂ© en haut lieu. Il pouvait comporter des raffinements, des embellissements, desfioritures, dus Ă  l’initiative, aux fantaisies, aux goĂ»ts du chef de camp : le sadisme a desnuances. Le dessein gĂ©nĂ©ral Ă©tait dĂ©terminĂ©. Avant de nous tuer ou de nous faire mourir,il fallait nous avilir. » (Page 85)

Sous l’occupation, il existait en France une Association des familles deDĂ©portĂ©s et d’InternĂ©s politiques. Si une famille s’adressait Ă  elle pour avoir des

1 Souligné dans le texte.2 Infirmerie.

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renseignements sur le sort de son déporté, elle recevait, en transmission, un rapportvenant de ce « haut lieu » allemand.

Voici ce rapport1 :

« Camp de Weimar. — Le camp est situĂ© Ă  9 km de Weimar et y est reliĂ© par unevoie ferrĂ©e. Il est Ă  800 m d’altitude.

Il comporte trois enceintes de barbelĂ©s concentriques. Dans la premiĂšre enceinte,les baraques des prisonniers, entre la premiĂšre et la deuxiĂšme enceinte, les usines et lesateliers oĂč l’on fabrique des accessoires de T.S.F., des piĂšces de mĂ©canique, etc.

Entre la deuxiĂšme et la troisiĂšme enceinte s’étend un terrain non bĂąti que l’on finitde dĂ©boiser et oĂč l’on exploite les routes du camp et du petit chemin de fer. [147]

La premiĂšre enceinte de barbelĂ©s est Ă©lectrifiĂ©e et jalonnĂ©e de myriades demiradors en haut desquels se trouvent trois hommes armĂ©s. Pas de sentinelles Ă  ladeuxiĂšme et Ă  la troisiĂšme enceintes, mais, dans l’enclos des usines, il y a une caserne deS.S. ; ils font, pendant la nuit, des patrouilles avec les chiens, ainsi que dans la troisiĂšmeenceinte.

Le camp se dĂ©veloppe sur 8 km et contient 30.000 internĂ©s environ. Au dĂ©but durĂ©gime nazi, des opposants y Ă©taient internĂ©s. Sur la population, il y a moitiĂ© Français,moitiĂ© Ă©trangers, Allemands antinazis, mais qui restent Allemands et qui fournissent laplupart des chefs de block. Il y a aussi des Russes, parmi lesquels des officiers del’ArmĂ©e rouge, des Hongrois, des Polonais, des Belges, des Hollandais, etc.

Le rÚglement du camp est le suivant :4 h 30 : Lever, toilette surveillée torse nu, lavage du corps obligatoire.5 h 30 : 500 cm3 de potage ou café, avec 450 g de pain (parfois ils ont moins de

pain, mais ils ont une ration de pommes de terre de bonne qualité, abondante) ; 30 g demargarine, une rondelle de saucisson ou un morceau de fromage

12 heures : Un café.18 h 30 : Un litre de bonne soupe épaisse.Le matin, à 6 heures, départ pour le travail. Le rassemblement se fait par emploi,

usine, carriĂšre, bĂ»cheronnage, etc. Dans chaque dĂ©tachement les hommes se placent parrang de cinq et se tiennent par le bras pour que les rangs soient bien alignĂ©s et sĂ©parĂ©s.Puis l’on part, musique en tĂȘte (constituĂ©e de 70 Ă  80 exĂ©cutants, des internĂ©s enuniforme : pantalon rouge, veste bleue Ă  parements noirs).

L’état sanitaire du camp est trĂšs bon. À la tĂȘte se trouve le professeur Richet,dĂ©portĂ©. Visite mĂ©dicale chaque jour. Il y a de nombreux mĂ©decins, une infirmerie et unhĂŽpital, comme au rĂ©giment. Les internĂ©s portent le costume des forçats allemands endrap artificiel relativement chaud. Leur linge a Ă©tĂ© dĂ©sinfectĂ© Ă  l’arrivĂ©e. Ils ont unecouverture pour deux hommes.

Il n’y a pas de chapelle au camp. Il y a pourtant de nombreux prĂȘtres parmi lesinternĂ©s, mais qui, en gĂ©nĂ©ral, ont dissimulĂ© leur qualitĂ©. Ces prĂȘtres rĂ©unissent les fidĂšlespour des causeries, rĂ©citation de chapelets, etc. [148]

LOISIRS. — LibertĂ© complĂšte dans le camp le dimanche aprĂšs-midi. Cette soirĂ©eest agrĂ©mentĂ©e de reprĂ©sentations donnĂ©es par une troupe thĂ©Ăątrale organisĂ©e par lesinternĂ©s. CinĂ©ma, une ou deux fois par semaine (films allemands), T.S.F. dans chaquebaraque (communiquĂ©s allemands). Beaux concerts donnĂ©s par l’orchestre desprisonniers.

Tous les prisonniers sont d’accord pour trouver qu’ils sont mieux Ă  Weimar qu’ilsne l’étaient Ă  Fresnes ou dans les autres prisons françaises.

1 À ma connaissance, il n’a Ă©tĂ© citĂ© que par Jean Puissant dans son livre La Colline sans

oiseaux (Editions du Rond-Point, 1945), Monographie honnĂȘte et minutieuse — le meilleurtĂ©moignage sur les camps.

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Nous rappelons aux familles des dĂ©portĂ©s que le bombardement alliĂ© des usinesde Weimar, qui a eu lieu vers la fin aoĂ»t, n’a fait aucune victime parmi les dĂ©portĂ©s ducamp.

Nous rappelons aussi que la plupart des trains partis de CompiÚgne et de Fresnes,en août 1944, étaient dirigés sur Weimar. »

Jean Puissant, qui a cité ce texte, le fait suivre de cette appréciation :monument de fourberie et de mensonges.

Évidemment, il est Ă©crit dans un style bienveillant. On n’y dit pas que, dans lesateliers de Buchenwald, les piĂšces dĂ©tachĂ©es de mĂ©canique qu’on fabrique sont desarmes. On n’y parle pas des pendaisons pour sabotage, des appels et contre-appels,des conditions de travail, des chĂątiments corporels. On ne prĂ©cise pas que la libertĂ©du dimanche aprĂšs-midi est limitĂ©e par les alĂ©as de la vie de quartier, ni que si lesprĂȘtres rĂ©unissent leurs fidĂšles pour des causeries ou des priĂšres, que l’ambiancepourrait assimiler Ă  des complots, c’est clandestinement et au risque de cruellestracasseries. On y ment mĂȘme quand on prĂ©tend que les dĂ©portĂ©s s’y trouvaientmieux que dans les prisons françaises, que le bombardement d’aoĂ»t 1944 n’a faitaucune victime parmi les internĂ©s, ou que la plupart des trains partis de CompiĂšgneou de Fresnes Ă  cette date Ă©taient dirigĂ©s sur Weimar.

Mais, tel qu’il est, ce texte est plus prĂšs de la vĂ©ritĂ© que le tĂ©moignage de FrĂšreBirin, notamment quant Ă  la nourriture. Et il reste qu’il est un rĂ©sumĂ© du rĂšglementdes camps tel qu’il a Ă©tĂ© Ă©tabli dans les sphĂšres dirigeantes du nazisme. Qu’il n’aitpas Ă©tĂ© appliquĂ© est certain. L’Histoire dira pourquoi. Vraisemblablement elleretiendra la guerre comme cause majeure, le principe de l’administration des campspar des dĂ©tenus eux-mĂȘmes, et aussi les altĂ©rations que, dans une administrationhiĂ©rarchisĂ©e, tous les ordres subissent en descendant du sommet vers la base. Ainsien est-il, au [149] rĂ©giment, des ordres du colonel traduit sur le front des troupes parl’adjudant et dont la responsabilitĂ© incombe au caporal quant Ă  l’exĂ©cution : tout lemonde sait que, dans une caserne, c’est l’adjudant qui est dangereux et non lecolonel. Ainsi en est-il en France, des rĂšglements d’administration publique quiconcernent les colonies : ils sont rĂ©digĂ©s dans un esprit qui concorde avec la peinturede la vie aux colonies que font tous les maĂźtres de toutes les Ă©coles de village ; ilsmettent en Ă©vidence, la mission civilisatrice de la France, et il n’en faut pas moinslire Louis-Ferdinand CĂ©line, Julien Blanc, ou FĂ©licien Challaye, pour avoir une idĂ©eexacte de la vie que les militaires de notre Empire colonial font aux civils indigĂšnespour le compte des colons.

Je suis, pour ma part, persuadĂ© que, dans les limites rĂ©sultant du fait de guerre,rien n’empĂȘchait les dĂ©tenus qui nous administraient, nous commandaient, noussurveillaient, nous encadraient, de faire de la vie dans un camp de concentrationquelque chose qui aurait ressemblĂ© d’assez prĂšs au tableau que les AllemandsprĂ©sentaient par personnes interposĂ©es, aux familles qui demandaient desrenseignements.

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Mauvais traitements

« J’ai vu de mes malheureux compagnons, coupables seulement d’avoir les brasdĂ©biles, mourir sous les coups que leur prodiguaient les dĂ©tenus politiques allemandspromus contremaĂźtres et devenus complices de leurs anciens adversaires. » (Page 92)

L’explication suit :

« Ces brutes, en frappant, n’avaient pas d’abord l’intention de tuer ; ils tuaientcependant, dans un accĂšs de joyeuse fureur, les yeux injectĂ©s, la face Ă©carlate et la baveaux lĂšvres, parce qu’ils ne pouvaient s’arrĂȘter : il leur fallait aller jusqu’au bout de leurplaisir. »

Il s’agit d’un fait qui, par extraordinaire, est imputĂ© aux dĂ©tenus sans aucunfaux dĂ©tour. On ne sait jamais : il est possible qu’il y ait des gens qui tuent « dans unaccĂšs de joyeuse fureur » et qui n’ont d’autre but que « d’aller jusqu’au bout de leurplaisir ». Dans le monde, sinon normal, du moins habituel et admis par tradition, il ya des anormaux : il peut bien y en avoir aussi dans un monde oĂč tout [150] estanormal. Mais je suis plutĂŽt portĂ© Ă  croire que si un Kapo, un chef de Block ou undoyen de camp, se laissaient aller jusqu’à cette extrĂ©mitĂ©, ils obĂ©issaient Ă  desmobiles relevant de complexes plus accessibles : le besoin de vengeance, le souci deplaire aux maĂźtres qui leur avaient confiĂ© un poste de choix, le dĂ©sir de le garder Ă n’importe quel prix, etc. J’ajoute mĂȘme que, s’ils brutalisaient, ils se gardaientgĂ©nĂ©ralement de provoquer mort d’homme, ce qui Ă©tait susceptible de leur attirer desennuis avec les S.S., du moins Ă  Buchenwald et Ă  Dora.

En dĂ©pit de cette explication, il faut faire rĂ©mission Ă  Martin-Chauffier d’avoircitĂ© encore deux faits dont le caractĂšre criminel ne peut aucunement ĂȘtre considĂ©rĂ©comme rĂ©sultant de la « mise en Ɠuvre d’un plan concertĂ© en haut-lieu » :

« Chaque semaine, le Kapo du Revier passait la visite (il n’y connaissait rien,examinait les feuilles de tempĂ©rature dont les marges Ă©taient couvertes d’observationsautour d’un diagnostic inquiĂ©tant, regardait les malades : si leur tĂȘte ne lui revenait pas, illes dĂ©clarait sortants, quel que fĂ»t leur Ă©tat. Le mĂ©decin essayait de prĂ©venir ou d’inclinersa dĂ©cision, qu’il Ă©tait difficile de prĂ©voir, car le Kapo Ă  qui des impressions tenaient lieude science Ă©tait en outre lunatique. » (Page 185)

et :

« Le courant d’air polaire, la toilette obligatoire le torse nu, Ă©taient des mesuresd’hygiĂšne. Chaque procĂ©dĂ© de destruction se couvrait ainsi d’une imposture sanitaire.Celui-ci se rĂ©vĂ©lait des plus efficaces. Tous ceux qui souffraient de quelque mal depoitrine Ă©taient emportĂ©s en quelques jours. »(Page 192)

Rien n’obligeait le Kapo Ă  adopter ce comportement, ni les Stubendienst,Kalifaktor et Pflegers1 du Revier Ă  faire souffler ce courant d’air polaire, ou Ă  fairepasser Ă  la toilette, torse nu, eau froide, et sans distinction, les malheureux confiĂ©s Ă leurs soins.

Ils le faisaient cependant, dans le dessein de plaire aux S.S. qui l’ignoraient laplupart du temps, et de conserver une place qui leur sauvait la vie. [151]

1 Hommes de chambrées et infirmiers, détenus.

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On eĂ»t aimĂ© que Martin-Chauffier dirigeĂąt son acte d’accusation contre euxavec autant de vigueur que contre les S.S., ou tout au moins partageĂąt Ă©quitablementles responsabilitĂ©s. [152]

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CHAPITRE IV

Les psychologues

David Rousset et L’Univers concentrationnaire

De tous les tĂ©moins, aucun n’atteignit Ă  ce savoir-faire, Ă  cette puissanced’évocation et Ă  cette prĂ©cision dans la reconstitution de l’atmosphĂšre gĂ©nĂ©rale descamps, dont il est le grand tĂ©nor reconnu, Ă  l’échelle mondiale. Mais aucun non plusn’a, ni plus, ni mieux romancĂ©. L’Histoire retiendra son nom : j’ai peur que ce soitsurtout au titre littĂ©raire. Sur le plan historique proprement dit, l’emballage a faitpasser le produit. Il l’a d’ailleurs pressenti et il a pris les devants :

« Il m’est arrivĂ© de rapporter certains faits tels qu’ils Ă©taient connus Ă Buchenwald, et non comme les prĂ©sentent les documents publiĂ©s ultĂ©rieurement.

Des contradictions de dĂ©tails existent surtout, non seulement entre lestĂ©moignages, mais entre les documents. La plupart des textes publiĂ©s jusqu’ici ne portentque sur des aspects trĂšs extĂ©rieurs de la vie des camps, ou sont les apologies quiprocĂšdent par allusions, qui affirment des principes plus qu’elles ne rassemblent des faits.De tels documents sont prĂ©cieux mais Ă  condition de connaĂźtre dĂ©jĂ , intimement ce dontils parlent ; alors, ils permettent souvent de trouver un chaĂźnon encore inaperçu. Je mesuis prĂ©cisĂ©ment efforcĂ© de rendre les rapports entre les groupes dans leur complexitĂ©rĂ©elle et dans leur dynamique. » (Les Jours de notre Mort, Annexe page 764)

[153]Ce raisonnement lui a permis de négliger totalement, ou presque, les

documents, et, prenant texte du fait que ceux qui concernent les camps de l’Est sont Ă la fois rares et pauvres, de dĂ©clarer que :

« Le recours aux témoignages directs est la seule méthode sérieuse deprospection. » (Ibid.)

puis de choisir, entre ces témoignages directs, ceux qui servaient le mieux samaniÚre de voir du moment,

« Il s’agissait, dans ces conditions, convient-il, d’une tentative hardie — hasardĂ©e,dirait-on peut-ĂȘtre — que de vouloir un panorama d’ensemble du mondeconcentrationnaire. » (Ibid.)

On ne saurait mieux le caractĂ©riser qu’il ne le fait lui-mĂȘme. Mais alors,pourquoi avoir prĂ©sentĂ© les camps dans cette forme qui procĂšde de l’affirmationcatĂ©gorique ?

L’Univers concentrationnaire (Pavois 1946) eut un succĂšs mĂ©ritĂ©. Dans leconcert des tĂ©moins mineurs qui hurlaient la vengeance et la mort aux chausses des

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Allemands vaincus1 il tentait de reporter les responsabilitĂ©s sur le nazisme et ilmarquait un tournant, une orientation nouvelle. La France pacifiste futreconnaissante Ă  David Rousset d’avoir conclu en ces termes :

« L’existence des camps est un avertissement. La sociĂ©tĂ© allemande, en raison Ă  lafois de la puissance de sa structure Ă©conomique et de l’ñpretĂ© de la crise qui l’a dĂ©faite, aconnu une dĂ©composition encore exceptionnelle dans la conjoncture actuelle du monde.Mais il serait facile de montrer que les traits les plus caractĂ©ristiques de la mentalitĂ© S.S.et des soubassements sociaux, se retrouvent dans bien d’autres secteurs de la sociĂ©tĂ©mondiale. Toutefois, moins accusĂ©s et, certes, sans commune mesure avec lesdĂ©veloppements connus dans le Grand Reich. Mais ce n’est qu’une question decirconstances. Ce serait une duperie, et criminel, que de prĂ©tendre qu’il est impossible auxautres peuples de faire une expĂ©rience semblable pour des raisons [154] d’opposition denature. L’Allemagne a interprĂ©tĂ© avec l’originalitĂ© propre Ă  son histoire, la crise qui l’aconduite Ă  l’univers concentrationnaire. Mais l’existence et le mĂ©canisme de cette crisetiennent aux fondements Ă©conomiques et sociaux du capitalisme et de l’impĂ©rialisme.Sous une figuration nouvelle, des effets analogues peuvent demain encore apparaĂźtre2. Ils’agit en consĂ©quence d’une bataille trĂšs prĂ©cise Ă  mener. » (Page 187)

Les Jours de notre Mort (1947), qui reprennent les donnĂ©es de L’Universconcentrationnaire et les poussent dans les derniers retranchements de la spĂ©culation,sont assez Ă©loignĂ©s de cette profession de foi que, par ailleurs, Le Pitre ne rit pas(1948) oublie totalement. D’oĂč il faut conclure que David Rousset a Ă©voluĂ© sous lecouvert de se prĂ©ciser, ce qui a fait que son Ɠuvre a fini par prendre un caractĂšrebeaucoup plus anti-allemand qu’anti-nazi, aux yeux du public. Cette Ă©volution futd’autant plus remarquĂ©e que nuancĂ©e de certaines faiblesses pour le bolchevisme, Ă son point de dĂ©part, elle a trouvĂ©, sur le tard, sa conclusion dans un antibolchevismedont il serait aventurĂ© de dire qu’il ne muerait point en russophobie pure et simple, sila crise mondiale se prĂ©cipitait au point de se rĂ©soudre dans la guerre.

L’originalitĂ© donc, de L’Univers concentrationnaire a Ă©tĂ© de distinguer entrel’Allemagne et le nazisme dans l’établissement des responsabilitĂ©s. Elle s’est doublĂ©ed’une thĂ©orie qui fit sensation en ce qu’elle justifiait le comportement des dĂ©tenuschargĂ©s de la direction des affaires du camp, par la nĂ©cessitĂ© de conserver, pourl’aprĂšs-guerre, l’élite des rĂ©volutionnaires avant tout3. Martin-Chauffier justifiant le

1 « Les Français doivent savoir et doivent retenir que les mĂȘmes erreurs amĂšneront les mĂȘmes

horreurs, Ils doivent rester avertis du caractĂšre et des tares de leurs voisins d’outre-Rhin, race dedominateurs, et c’est pourquoi le N° 43.652 a Ă©crit ces lignes, Français, soyez vigilants et n’oubliezjamais. » (FrĂšre Birin, 16 mois de bagne, page 117). Par ailleurs, « le boche » avait refleuri sur toutesles lĂšvres, avec la hargne qui s’attache au mot, quand on le prononce bien.

2 La preuve. — « Alors que plusieurs centaines de milliers de « personnes dĂ©placĂ©es » adultesont rĂ©ussi Ă  quitter les camps et Ă  partir pour les deux AmĂ©riques, des milliers d’enfants sont restĂ©s,avec les vieillards, sous le contrĂŽle de I’I.R.O., dans les sinistres baraquements d’Allemagne,d’Autriche et d’Italie. Mais l’organisation internationale des rĂ©fugiĂ©s cessera dĂ©finitivement sestravaux dans quelques mois et on se demande quel sera le sort de ces orphelins deux fois abandonnĂ©s.

Leur situation est d’ores et dĂ©jĂ  tragique, car, dans certains camps, ils ne recevaient, pourtoute alimentation, que la valeur de trois cents Ă  quatre cents calories par jour, et personne ne sait sicette ration insuffisante pourra ĂȘtre maintenue. La mortalitĂ©, dans de telles conditions, exerce desravages terribles. » (La Bataille, 9 mai 1950). Le journal prĂ©cise qu’ils sont 13 millions Ă  vivre ainsi,dans une Europe dĂ©barrassĂ©e de Hitler, de Mussolini et de toute prĂ©pondĂ©rance fasciste avouĂ©e. Jedemande qu’on enquĂȘte sur les traitements auxquels les soumettent leurs gardiens. – P.R.

3 Cette théorie est encore plus nettement affirmée, dans Les jours de notre Mort.

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mĂ©decin qui veut sauver le plus grand nombre possible de dĂ©tenus en faisant porterses efforts sur certains malades d’abord, [156] David Rousset justifiant la politiquequi veut sauver la qualitĂ© et non le nombre, mais une qualitĂ© dĂ©finie en fonction decertains impĂ©ratifs extra-humanitaires, cela fait beaucoup d’arguments, et non desmoindres, qui s’acharnent sur la masse anonyme des concentrationnaires. Et si, Ă propos de l’un et l’autre cas, on parle un jour d’imposture philosophique, il n’y auralĂ  rien d’étonnant. Les esprits malins pourront mĂȘme ajouter que David Rousset aprobablement Ă©tĂ© sauvĂ© de la mort par le kapo communiste allemand Emile KĂŒnder,qui le considĂ©rait comme appartenant Ă  cette Ă©lite rĂ©volutionnaire, qui lui tĂ©moignaune grande amitiĂ© Ă  ce titre et qui le renie aujourd’hui.

Ceci dit sans préjudice de quelques autres réserves.

Le postulat de la théorie

« Il est normal, lorsque toutes les forces vives d’une classe sont l’enjeu de labataille la plus totalitaire encore inventĂ©e, que les adversaires soient mis dansl’impossibilitĂ© de nuire et, si nĂ©cessaire, exterminĂ©s. » (Page 107)

Il est inattaquable. Sa conclusion, Ă©noncĂ©e sans transition, l’est beaucoupmoins :

« Le but des camps est bien la destruction physique. » (Ibid.)

On ne peut pas ne pas remarquer que, dans le postulat lui-mĂȘme, la destructionphysique est subordonnĂ©e Ă  la nĂ©cessitĂ© et non dĂ©crĂ©tĂ©e par principe : envisagĂ©eseulement dans les cas ou la mesure d’internement ne suffirait pas Ă  mettre l’individuhors d’état de nuire.

AprĂšs un enjambement ou une dĂ©duction cavaliĂšre de cette taille, il n’y a pasde raison de s’arrĂȘter, et on peut Ă©crire :

« L’ordre porte la marque du maĂźtre. Le commandant du camp ignore tout. LeBlock-fĂŒhrer1 ignore tout. Le LagerĂ€ltester2 ignore tout. Les exĂ©cuteurs ignorent tout.Mais l’ordre indique la mort et le genre de mort et la durĂ©e qu’il faut mettre Ă  fairemourir. Et dans ce dĂ©sert d’ignorance, c’est suffisant. » (Page 100)

[156]ce qui est une façon, à la fois de corser le tableau, de reporter la responsabilité

sur le « haut-lieu » de Martin-Chauffier, et de permettre de conclure Ă  un plan prĂ©-Ă©tabli de systĂ©matisation de l’horreur, qui se justifie par une philosophie.

« L’ennemi, dans la philosophie S.S., est la puissance du mal intellectuellement etphysiquement exprimĂ©e. Le communiste, le socialiste, le libĂ©ral allemand, lesrĂ©volutionnaires, les rĂ©sistants Ă©trangers sont les figurations actives du mal. Maisl’existence objective de certaines races : les Juifs, les Polonais, les Russes, estl’expression statique du mal. Il n’est pas nĂ©cessaire Ă  un Juif, Ă  un Polonais, Ă  un Russe,d’agir contre le national-socialisme : ils sont, de naissance, par prĂ©destination, deshĂ©rĂ©tiques non assimilables, vouĂ©s au feu apocalyptique. La mort n’a donc pas de senscomplet. L’expiation seule peut ĂȘtre satisfaisante, apaisante pour les seigneurs. Les camps

1 Responsable S.S. de la vie d’un Block.2 Doyen du camp, dĂ©tenu choisi par les S.S.

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de concentration sont l’étonnante et complexe machine de l’expiation. Ceux qui doiventmourir vont Ă  la mort avec leur lenteur calculĂ©e pour que leur dĂ©chĂ©ance physique etmorale, rĂ©alisĂ©e par degrĂ©s, les rende enfin conscients qu’ils sont des maudits, desexpressions du mal, et non des hommes. Et le prĂȘtre justicier Ă©prouve une sorte de plaisirsecret, de voluptĂ© intime, Ă  ruiner les corps. » (Pages 108-109)

Par quoi on voit que, partant des camps de concentration entendus commemoyens de mettre les opposants hors d’état de nuire, on peut aisĂ©ment en faire desinstruments d’extermination par principe et broder Ă  l’infini sur le but de cetteextermination. À partir du moment oĂč on en vient lĂ , ce n’est plus qu’une questiond’aptitude aux constructions de l’esprit, et de virtuositĂ©. Mais l’effort littĂ©raire quiproduit de si heureux effets de sadisme est parfaitement inutile et point n’est besoind’avoir vĂ©cu l’évĂ©nement pour le dĂ©peindre ainsi : il n’était que de se reporter Ă Torquemada et de recopier les thĂšses de l’Inquisition.

Je ne m’arrĂȘte pas Ă  la premiĂšre partie de l’explication qui assimile les Russeset les Polonais aux Juifs dans l’esprit des dirigeants nazis : la fantaisie saute auxyeux.

Le travail

« Le travail est entendu moyen de chĂątiment. Les [157] concentrationnaire-main-d’Ɠuvre sont d’intĂ©rĂȘt second, prĂ©occupation Ă©trangĂšre Ă  la nature intime de l’universconcentrationnaire. Psychologiquement, elle se raccroche par ce sadisme de contraindreles dĂ©tenus Ă  consolider les instruments de leur asservissement.

C’est en raison d’accidents historiques que les camps sont devenus aussi desentreprises de travaux publics. L’extension de la guerre Ă  l’échelle mondiale exigeant unemploi total de tout et de tous, des boiteux, des sourds, des aveugles et des P.G., les S.S.embrigadĂšrent Ă  coups de fouet dans les tĂąches les plus destructives, la meute aveugle desconcentrationnaires Le travail des concentrationnaires n’avait pas pour fin essentielle larĂ©alisation des tĂąches prĂ©cises, mais le maintien des « dĂ©tenus protĂ©gĂ©s »1 dans lacontrainte la plus Ă©troite, la plus avilissante. » (Pages 110-111-112)

Si on a dĂ©cidĂ© que le but des camps Ă©tait d’exterminer, il est bien Ă©vident quele travail n’entre plus que comme un Ă©lĂ©ment nĂ©gligeable en lui-mĂȘme dans lathĂ©orie de la mystique exterminatrice. Eugen Kogon, dont il est question au chapitresuivant, partant du mĂȘme principe quoique avec beaucoup moins de raffinement dansla forme, Ă©crit Ă  ce propos dans l’Enfer organisĂ© :

« 
On dĂ©cida que les camps auraient un but secondaire, un peu plus rĂ©aliste, unpeu plus pratique et plus immĂ©diat : grĂące Ă  eux, on allait rĂ©unir et utiliser une main-d’Ɠuvre composĂ©e d’esclaves, appartenant Ă  la S.S. et qui, aussi longtemps qu’on leurpermettrait de vivre, ne devraient vivre que pour servir leurs maĂźtres. Mais, ce que l’on aappelĂ© les buts secondaires (effrayer la population, utilisation de la main-d’Ɠuvred’esclaves, maintien des camps comme lieu d’entraĂźnement et terrain d’expĂ©rimentationpour la S.S.), ces buts Ă©taient venus peu Ă  peu au premier plan, pour ce qui est desvĂ©ritables raisons d’envoi dans les camps, jusqu’au jour oĂč, la guerre dĂ©chaĂźnĂ©e parHitler, envisagĂ©e et prĂ©parĂ©e par lui et la S.S., d’une façon toujours plus systĂ©matique,provoqua l’énorme dĂ©veloppement des camps. » (Pages 27-28)

1 En allemand, les camps Ă©taient des Schutzhaftlager, c’est-Ă -dire des camps de dĂ©tenus

protégés (contre la fureur du peuple).

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De la juxtaposition de ces deux textes, il ressort que, pour le premier, c’estl’accident historique de la guerre, et encore, seulement au moment de son extension Ă l’échelle mondiale, qui a fait passer l’utilisation des dĂ©tenus comme main-d’Ɠuvre,au premier plan dans les buts des camps, tandis que pour le second, ce rĂ©sultat Ă©taitatteint avant la guerre, celle-ci n’ayant fait que lui donner plus d’importance.

J’opte pour le second : la division des camps en Konzentrationslager1,Arbeitslager2 et Straflager3 Ă©tait un fait accompli au moment de la dĂ©claration deguerre. L’opĂ©ration d’internement, avant et pendant la guerre, se faisait en deuxtemps : on concentrait les impĂ©trants sur un camp prĂ©vu ou organisĂ© pour le travail,et qui jouait en sus le rĂŽle de gare de triage ; de lĂ , on les dirigeait sur les autres,selon les besoins du travail. Il y avait un troisiĂšme temps pour les dĂ©linquants encours d’internement : l’envoi en punitions dans un camp gĂ©nĂ©ralement enconstruction, qui Ă©tait considĂ©rĂ© comme camp de reprĂ©sailles, mais qui, au momentde son achĂšvement, devenait Ă  son tour un camp ordinaire.

J’ajoute qu’à mon sens le travail a toujours Ă©tĂ© prĂ©vu. Ceci fait partie du codeinternational de rĂ©pression : dans tous les pays du monde, l’État fait gagner leur vieet suer des bĂ©nĂ©fices Ă  ceux qu’il emprisonne, Ă  quelques exceptions prĂšs (rĂ©gimepolitique dans les nations dĂ©mocratiques, dĂ©portĂ©s d’honneur dans des rĂ©gimes dedictature). Le contraire ne se conçoit pas : une sociĂ©tĂ© qui prendrait en charge ceuxqui enfreignent ses lois et la sapent dans ses fondements, est un non-sens. Seules lesconditions du travail varient selon qu’on est en libertĂ© ou internĂ© — et la marge desbĂ©nĂ©fices Ă  rĂ©aliser.

Pour l’Allemagne, il s’est produit ce cas particulier qu’il a fallu construire lescamps du premier au dernier et que la guerre est survenue par surcroĂźt. Pendant toutela pĂ©riode de construction, on a pu croire qu’ils avaient pour but uniquement de fairemourir : on a continuĂ© pendant la guerre et il est bien portĂ© de le croire encore aprĂšs.L’escroquerie est d’autant moins Ă©vidente que la guerre ayant rendu nĂ©cessaire untoujours plus grand nombre de camps, la pĂ©riode de construction ne s’est jamaisachevĂ©e et que les deux circonstances, en se superposant dans leurs effets, ont permisd’entretenir la confusion, Ă  bon escient dans les apparences. [159]

La HĂ€ftlingfĂŒhrung4

On sait que les S.S. ont dĂ©lĂ©guĂ© Ă  des dĂ©tenus la direction et l’administrationdes camps. Il y a donc des Kapos (chefs des Kommandos), des BlockĂ€ltester (chefsdes Blocks), des Lagerschutz (policiers), des LagerĂ€ltester (doyens ou chefs decamps), etc., toute une bureaucratie concentrationnaire qui exerce en fait toutel’autoritĂ© dans le camp. C’est encore une rĂšgle qui fait partie du code de la rĂ©pressiondans tous les pays du monde. Si les dĂ©tenus auxquels Ă©choient tous ces postes avaient

1 Camp de concentration.2 Camp de travail.3 Camp de punition (travail et conditions d’existence plus durs).4 Direction du camp par les concentrationnaires eux-mĂȘmes, la self-bureaucratie (Voir page

44).

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la moindre notion de solidaritĂ©, le moindre esprit de classe, cette dispositioninterviendrait partout comme un facteur d’allĂ©gement de la peine pour l’ensemble.Malheureusement, il n’en est jamais ainsi nulle part : en prenant possession du postequ’on lui confie, partout, le dĂ©tenu dĂ©signĂ© change de mentalitĂ© et de clan. C’est unphĂ©nomĂšne trop connu pour qu’on y insiste et trop gĂ©nĂ©ral pour qu’on l’imputeseulement aux Allemands ou aux nazis. L’erreur de David Rousset a Ă©tĂ© de croire, entout cas, de faire croire qu’il pouvait en ĂȘtre autrement dans un camp deconcentration, et qu’en fait il en avait Ă©tĂ© autrement — que les dĂ©tenus politiquesĂ©taient d’une essence supĂ©rieure au commun des hommes et que les impĂ©ratifsauxquels ils obĂ©issaient Ă©taient plus nobles que les lois de la lutte individuelle pour lavie.

Ceci l’a conduit Ă  poser en principe que la bureaucratie concentrationnaire nepouvant sauver le nombre eut le mĂ©rite de sauver la qualitĂ© au maximum :

« Avec la collaboration Ă©troite d’un Kapo, on pouvait crĂ©er des conditions bienmeilleures de vie, mĂȘme dans l’Enfer... » (Page 166, en renvoi)

Mais il ne dit pas comment on pouvait obtenir la collaboration Ă©troite d’unKapo. Ni que cette collaboration ne dĂ©passait jamais que par exception, ce Kapo fĂ»t-il un politique, le stade des rapports individuels du praticien au client. Ni non plusque, par voie de consĂ©quence, elle ne put bĂ©nĂ©ficier qu’à un nombre infime dedĂ©tenus.

Tout s’enchaüne :

« La dĂ©tention de ces postes est donc d’un intĂ©rĂȘt capital, et la vie et la mort debien des hommes en dĂ©pend. » (Page 134)

Puis ceux qui les dĂ©tiennent s’organisent, puis les meilleurs de ceux quis’organisent sont les communistes, puis ils montent de vĂ©ritables complots politiquescontre les S.S., puis ils dressent des programmes d’action pour aprĂšs la guerre. Voici,pĂȘle-mĂȘle :

« À Buchenwald, le comitĂ© central secret de la fraction communiste groupait desAllemands, des TchĂšques, un Russe et un Français. » (Page 166)

DĂšs 1944, ils se prĂ©occupaient des conditions qui seraient crĂ©Ă©es par la liquidationde la guerre. Ils avaient une grosse crainte que les S.S. ne les tuent tous auparavant. Et cen’était pas une crainte imaginaire. » (Page 170)

À Buchenwald, en dehors de l’organisation communiste qui atteint lĂ , sans doute,un degrĂ© de perfection et d’efficience unique dans les annales des camps, il y eut desrĂ©unions plus ou moins rĂ©guliĂšres entre des Ă©lĂ©ments politiques allant des socialistes Ă l’extrĂȘme-droite, et qui aboutirent Ă  la mise en forme d’un programme d’action communepour le retour en France. » (Pages 80-81)

Tout cela est logique : c’est le fait qui sert de point de dĂ©part, qui estdiscutable.

Il y eut, certes, dans tous les camps des rapprochements de dĂ©tenus, desconstitutions discrĂštes de groupe : par affinitĂ©s et pour supporter mieux le sortcommun (dans la masse) par intĂ©rĂȘt, pour conquĂ©rir le pouvoir, pour le conserver oupour mieux l’exercer (dans la HĂ€ftlingsfĂŒhrung).

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À la libĂ©ration, corroborĂ©s en cela par David Rousset, les communistes ont pufaire croire que le ciment de leur association Ă©tait leur doctrine Ă  laquelle ils avaientconformĂ© leurs actes. En rĂ©alitĂ©, ce ciment Ă©tait le profit matĂ©riel qu’en pouvaientretirer ceux qui en faisaient partie, quant Ă  la nourriture et Ă  la sauvegarde de la vie.Dans les deux camps que j’ai connus, l’opinion gĂ©nĂ©rale Ă©tait que, politique ou non,communiste ou pas, tout « ComitĂ© » avait d’abord le caractĂšre d’une association devoleurs de nourriture, sous quelque forme que ce soit. Rien ne venait infirmer cetteopinion. Tout, au contraire, Ă©tait Ă  son appui : les groupuscules de communistes oude politiques s’affrontant ; [161] les modifications dans la composition de celuid’entre eux qui dĂ©tenait le pouvoir, et intervenaient toujours Ă  la suite de diffĂ©rendssur la rĂ©partition et le partage des pillages ; la distribution des postes de commandequi suivait le mĂȘme processus, etc., etc.

Pendant les quelques semaines que j’ai passĂ©es Ă  Buchenwald au Block 48, surla suggestion du chef de Block ou avec son autorisation, un groupe de dĂ©tenusnouveaux arrivants, avait dĂ©cidĂ© de prendre en main le moral de la masse. Peu Ă  peuil avait acquis une certaine autoritĂ© et, en particulier, les relations entre le chef deBlock et nous avaient fini par ne plus se faire que par son intermĂ©diaire. IlrĂ©glementait la vie au Block, organisait des confĂ©rences, dĂ©signait des corvĂ©es,rĂ©partissait la nourriture, etc. C’était pitiĂ© de voir le concert de flagorneries en tousgenres qui montait de ceux qui en faisaient partie, vers le chef de Block omnipotent.Un jour, le principal animateur de ce groupe fut pris par quelqu’un de la masse entrain de partager avec un autre des pommes de terre qu’il avait dĂ©robĂ©es sur la rationcommune.

Eugen Kogon raconte que les Français de Buchenwald, qui étaient seuls àrecevoir des colis de la Croix-Rouge, avaient décidé de les partager équitablementavec le camp tout entier :

« Lorsque nos camarades français se dĂ©clarĂšrent prĂȘts Ă  en distribuer une bonnepartie au camp tout entier, cet acte de solidaritĂ© fut accueilli avec reconnaissance. Mais larĂ©partition fut organisĂ©e de façon scandaleuse pendant des semaines : il n’y avait, en effet,qu’un seul paquet par groupe de dix Français, tandis que leurs compatriotes chargĂ©s de ladistribution, ayant Ă  leur tĂȘte le chef du groupe communiste français dans le camp1,rĂ©servaient pour eux des monceaux de colis, ou les utilisaient en faveur de leurs amis demarque. » (L’Enfer organisĂ©, page 120)

David Rousset perçoit d’ailleurs un cĂŽtĂ© malfaisant de cet Ă©tat de choses, s’iln’en fait pas une cause dirimante ou capitale de l’horreur, lorsqu’il Ă©crit :

« La bureaucratie ne sert pas seulement Ă  la gestion des camps : elle est, par sessommets, tout embrayĂ©e dans les trafics S.S. Berlin envoie des caisses de ciga[162]retteset de tabac pour payer les hommes. Des camions de nourriture arrivent dans les camps.On doit payer toutes les semaines les dĂ©tenus ; on les paiera tous les quinze jours, ou tousles mois ; on diminuera le nombre de cigarettes, on Ă©tablira des listes de mauvaistravailleurs qui ne recevront rien. Les hommes crĂšveront de ne pas fumer. Qu’importe ?Les cigarettes passeront au marchĂ© noir... De la viande ? Du beurre ? Du sucre ? Dumiel ? Des conserves ? Une plus forte proportion de choux rouges, de betteraves, de

1 Cette qualitĂ© lui avait Ă©tĂ© accordĂ©e par la Clique rĂ©gnante. Il s’agit de Marcel Paul (Voir

pages 46 et 17).

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rutabagas assaisonnĂ©s d’un peu de carottes, cela suffira bien. C’est mĂȘme de la bontĂ©pure... Du lait ? Beaucoup d’eau blanchie, ce sera parfait. Et tout le reste : viande, beurre,sucre, miel, conserves, lait, pommes de terre, sur le marchĂ© pour les civils allemands quipaient et sont de corrects citoyens. Les gens de Berlin seront satisfaits d’apprendre quetout est bien arrivĂ©. Il suffit que les registres soient en ordre et la comptabilitĂ© vĂ©rifiable...De la farine ? Mais comment donc, on diminuera les rations de pain. Sans faire semblant.Les parts seront un peu moins bien coupĂ©es. Les registres ne s’occupent pas de ceschoses. Et les maĂźtres S.S. seront en excellents termes avec les commerçants del’endroit. » (Pages 145-146-147)

VoilĂ  dĂ©mentie, au moins en ce qui concerne la nourriture, la lĂ©gende qui veutqu’un plan ait Ă©tĂ© Ă©tabli en « haut-lieu » pour affamer les dĂ©tenus. Berlin envoie toutce qu’il faut pour nous servir les rations prĂ©vues, conformĂ©ment Ă  ce qu’on Ă©crit auxfamilles, mais Ă  son insu, on ne nous le distribue pas1. Et qui vole ? Les dĂ©tenuschargĂ©s de la distribution. David Rousset nous dit que c’est sur ordre des S.S.auxquels ils remettent le produit du vol : non, ils volent pour eux d’abord, segobergent de tout sous nos yeux et paient tribut aux S.S. pour acheter leur complicitĂ©.

Ainsi donc, ces fameux comitĂ©s rĂ©volutionnaires, de dĂ©fense des intĂ©rĂȘts ducamp ou de prĂ©paration de plans politiques pour l’aprĂšs-guerre, se rĂ©duisent Ă  cela etont pu nĂ©anmoins abuser l’opinion Ă  ce point. Je laisse Ă  d’autres le soin derechercher les raisons pour lesquelles il en a Ă©tĂ© ainsi. Je me permettrai cependantd’ajouter encore que ceux qui avaient rĂ©ussi Ă  les constituer, Ă  en faire partie ou Ă 

1 Le mĂȘme phĂ©nomĂšne a Ă©tĂ© mis en Ă©vidence par le procĂšs rĂ©cemment intentĂ© Ă  l’« ƒuvre des

mĂšres et des enfants », de Versailles, dont l’animatrice Ă©tait la gĂ©nĂ©rale Pallu. L’instruction del’affaire a rĂ©vĂ©lĂ© que :

« Les enfants Ă©taient mal vĂȘtus, laissĂ©s dans une saletĂ© repoussante, dans une salle oĂčgrouillait la vermine. Les paillasses Ă©taient pourries par les excrĂ©ments, l’urine ; les vers parfois ygrouillaient. Il y avait un seul drap, une couverture. Tous les cabinets Ă©taient bouchĂ©s. Les enfantsfaisaient oĂč ils se trouvaient. Ils Ă©taient pleins de gourme, de poux.

VoilĂ  pour le dĂ©cor. LĂ , 13 enfants sont morts de faim. Pourtant, l’Ɠuvre de la gĂ©nĂ©ralereconnue d’utilitĂ© publique, recevait, outre les rations normales, des attributions supplĂ©mentaires. Detout cela, les enfants ne voyaient rien : le lait Ă©tait coupĂ© d’eau par moitiĂ©, les matiĂšres grassesutilisĂ©es pour la nourriture du personnel, le sucre sur-rationnĂ©.

– Les enfants en avaient trop, a dit une surveillante.La gĂ©nĂ©rale se faisait livrer un litre et demi de lait par jour, du chocolat, du riz, de la viande

— et de premier choix.La directrice, petite femme brune, envoyait Ă  sa famille des colis de « vingt kilos » sur ses

rĂ©serves personnelles.Tout ce monde Ă©tait bien nourri et ne s’étonnait pas de cette nourriture de choix Ă  l’époque du

rutabaga quotidien.Et les enfants ? Oh ! c’était si facile. Ils ne rĂ©clamaient rienIl n’y avait donc pas de mĂ©decin ? Mais si. Ils se contentaient peut-ĂȘtre d’une visite hĂątive...– Ce cas de rougeole ? dit le Dr Dupont. Il Ă©tait courant. Je l’ai soignĂ© normalement. (Sur une

paillasse pourrie, avec une seule couverture ! Alors il y a eu broncho-pneumonie et mort).Le substitut interroge l’autre mĂ©decin, le Dr Vaslin :– Vous ĂȘtes donc accouru lorsqu’on vous a fait connaĂźtre que le jeune Dagorgne Ă©tait

transportĂ© Ă  l’hĂŽpital oĂč il est mort le surlendemain ?– Je ne pouvais pas. C’était l’heure de mon dĂ©jeuner Je veux dire de « ma consultation ». (Le

Populaire, 16 mai 1950).Cette page est digne des meilleurs rĂ©cits des camps de concentration. Le drame s’est passĂ© en

France et l’opinion n’en a rien su, ni non plus l’administration dont relevait l’« ƒuvre des mĂšres etdes enfants » ; les enfants y mouraient comme des concentrationnaires, dans les mĂȘmes conditions etpour les mĂȘmes raisons... dans un pays dĂ©mocratique, cependant !

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leur assurer l’autoritĂ© qu’ils eurent dans tous les camps, entretenaient l’esprit deflagornerie dont ils se rendaient eux-mĂȘmes coupables vis-Ă -vis des S.S. À proposdes confĂ©rences organisĂ©es au Block 48 et auxquelles il est fait allusion ci-dessus,David Rousset raconte encore :

« J’organisai donc une premiĂšre confĂ©rence ; un Stubendienst russe, de vingt-deuxou vingt-trois ans, ouvrier de l’Usine Marty, Ă  LĂ©ningrad, nous exposa longuement lacondition ouvriĂšre en U.R.S.S. La discussion qui suivit dura deux aprĂšs-midi. La secondeconfĂ©rence fut faite par un kolkhozien, sur l’organisation agricole soviĂ©tique. Je fis moi-mĂȘme, un peu plus tard, une causerie sur l’Union SoviĂ©tique, de la RĂ©volution Ă  laGuerre. » (Page 77)

J’ai assistĂ© Ă  cette confĂ©rence : c’était un chef-d’Ɠuvre de bolchevikophilie,assez inattendu si on connaissait les activitĂ©s trotskystes antĂ©rieures de DavidRousset. Mais Erich, notre chef de Block, Ă©tait communiste et il avait un grand crĂ©ditauprĂšs du « noyau » qui exerçait l’influence prĂ©pondĂ©rante dans la HĂ€ftlingsfĂŒhrungdu moment : il Ă©tait habile d’attirer son attention et de la prĂ©venir pour le jour oĂč ilaurait des faveurs Ă  distribuer. [164]

« Trois mois aprĂšs, poursuit Rousset, je n’aurais certainement pas recommencĂ©cette tentative. La corde Ă©tait au bout. Mais, Ă  l’époque, nous Ă©tions, tous encore trĂšsignorants. Erich, notre chef de block, grommela mais ne s’opposa pas Ă  l’affaire. » (Page77)

Bien sĂ»r. Au surplus, trois mois aprĂšs, c’était du Kapo Emil KĂŒnder qu’ilfallait faire le siĂšge, le temps des confĂ©rences Ă©tait passĂ©, la parole Ă©tait aux colisvenus de France. Si j’ai bien compris Les Jours de notre Mort, Rousset en usa et jesuis loin de le lui reprocher : je ne dois, moi-mĂȘme, qu’à ceux que j’ai reçu d’ĂȘtrerevenu et je n’en ai jamais fait mystĂšre1.

On peut soutenir, et peut-ĂȘtre on le fera, qu’il n’était pas capital d’établir, fĂ»t-ce au moyen de textes empruntĂ©s Ă  ceux qui tiennent le fait pour nĂ©gligeable, ou quile justifient, que la HĂ€ftlingsfĂŒhrung nous a fait subir un traitement plus horribleencore que celui qui avait Ă©tĂ© prĂ©vu pour nous dans les sphĂšres dirigeantes dunazisme et que rien ne l’y obligeait. J’observerai alors qu’il m’a paru indispensablede fixer exactement les causes de l’horreur dans tous leurs aspects, ne serait-ce quepour ramener Ă  sa juste valeur l’argument subjectif dont on fit un si abondant usage,et pour orienter un peu plus vers la nature mĂȘme des choses, les investigations dulecteur dans l’esprit duquel ce problĂšme n’est qu’imparfaitement ou incomplĂštementrĂ©solu.

L’objectivitĂ©

« Birkenau, la plus grande citĂ© de la mort. Les sĂ©lections Ă  l’arrivĂ©e : les dĂ©cors dela civilisation montĂ©s comme des caricatures pour duper et asservir. Les sĂ©lectionsrĂ©guliĂšres dans le camp, tous les dimanches. La lente attente des destructions inĂ©vitablesau Block 7. Le Sonderkommando2 totalement isolĂ© du monde, condamnĂ© Ă  vivre toutes

1 Voir premiÚre partie, chap. IV.2 Kommando particulier, affecté au crématoire.

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les secondes de son Ă©ternitĂ© avec les corps torturĂ©s et brĂ»lĂ©s. La terreur brise sidĂ©cisivement les nerfs que les agonies connaissent toutes les humiliations, toutes lestrahisons. Et lorsque, inĂ©luctablement, les puissantes portes de la chambre Ă  gaz seferment, tous se prĂ©cipitent, s’écrasant dans [165] la folie de vivre encore, si bien que, lesbattants ouverts, les cadavres s’effondrent, inextricablement mĂȘlĂ©s en cascades sur lesrails. » (Page 51)

Dans un panorama d’ensemble comme Les Jours de notre Mort, romancĂ© et,par surcroĂźt, reconstituĂ© Ă  l’aide de moyens dont l’auteur a lui-mĂȘme et quoiqu’à soninsu, avouĂ© l’ingĂ©nuitĂ© (cf. ci-dessus, pages 153-154), ce passage ne choquerait pas.Dans L’Univers concentrationnaire qui a, par tant de cĂŽtĂ©s, le caractĂšre d’un rĂ©citvĂ©cu, il paraĂźt dĂ©placĂ©. David Rousset n’a, en effet, jamais assistĂ© Ă  ce supplice dontil donne une description Ă  la fois si prĂ©cise et si saisissante.

Il est encore trop tĂŽt pour prononcer un jugement dĂ©finitif sur les chambres Ă gaz : les documents sont rares, et ceux qui existent, imprĂ©cis, incomplets ou tronquĂ©s,ne sont pas exempts de suspicion. Je suis persuadĂ©, pour ma part, qu’un examensĂ©rieux de la question avec les matĂ©riaux qu’on ne manquera pas de dĂ©couvrir si labonne foi prĂ©side aux recherches, ouvrira des horizons nouveaux en ce qui lesconcerne. Alors, on sera Ă©tonnĂ© par le nombre des gens qui en ont parlĂ© et par lestermes dans lesquels ils en ont parlĂ©. De tous les tĂ©moins, Eugen Kogon est celui quis’est penchĂ© sur l’affaire avec le plus de sĂ©rieux et dont le tĂ©moignage revĂȘt Ă  mesyeux le plus d’intĂ©rĂȘt. Dans L’Enfer organisĂ© (dĂ©jĂ  citĂ©), il Ă©crit :

« Un trÚs petit nombre de camps avaient leurs propres chambres à gaz. » (Page154)

Et, exposant le mĂ©canisme de l’opĂ©ration, il poursuit :

« En 1941, Berlin envoya dans les camps les premiers ordres1 pour la formationdes transports spĂ©ciaux d’extermination par les gaz. On choisit en premier lieu les dĂ©tenusde droit commun, des dĂ©tenus condamnĂ©s pour attentat aux mƓurs et certains politiquesmal vus de la S.S. Ces transports partaient vers une destination inconnue. Dans le cas deBuchenwald, on voyait revenir, dĂšs le lendemain, les vĂȘtements, y compris le contenu despoches, les dentiers, etc. Par un sous-officier d’escorte2, On apprit que ces transportsĂ©taient arrivĂ©s Ă  Pirna et Ă  Hohenstein et que les hommes qui les composaient avaient Ă©tĂ©soumis aux essais d’un nouveau gaz et avaient pĂ©ri
 [166]

Au cours de l’hiver 1942-43, on avait examinĂ© tous les Juifs au point de vue deleur capacitĂ© de travail. À la place des transports mentionnĂ©s ci-dessus, ce furent alors lesJuifs invalides qui, en quatre groupes de 90 hommes, prirent le mĂȘme chemin, maisaboutirent Ă  Bernburg, prĂšs de Kothen. Le mĂ©decin-chef de la maison de santĂ© del’endroit, un certain Docteur Eberl, Ă©tait l’instrument docile de la S.S. Dans les dossiersde la S.S., cette opĂ©ration porta la rĂ©fĂ©rence « 14 F. 13 »3. Elle semble avoir Ă©tĂ© menĂ©esimultanĂ©ment avec l’anĂ©antissement de tous les malades des maisons de santĂ©, qui segĂ©nĂ©ralisait peu Ă  peu en Allemagne sous le National-Socialisme. » (Pages 225-226)

Ayant affirmĂ© le fait sous cette forme qui laisse peser le doute, quant auxordres d’utilisation des chambres Ă  gaz, en particulier en ce sens qu’elle ne procĂšde

1 A-t-on retrouvé ces ordres? Si oui, pourquoi ne pas les publier ? Si non, aucun historien

n’acceptera jamais qu’on en fit Ă©tat.2 Si son nom Ă©tait publiĂ©, on pourrait peut-ĂȘtre l’interroger.3 IndiquĂ©e, mais non publiĂ©e.

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que par rĂ©fĂ©rence Ă  des documents dont on peut se demander s’ils existent, EugenKogon en cite cependant deux autres, sans doute parce qu’ils lui ont paru plusprobants :

« Nous avons pu conserver le double des lettres échangées entre le DocteurHoven (de Buchenwald) et cette étonnante maison de santé :

Weimar-Buchenwald, 2-2-1942.K. L. BuchenwaldLe médecin du camp.Objet : Juifs inaptes au travail dans le camp de concentration de Buchenwald

Références : Conversation personnellePiÚces jointes : 2

À la Maison de SantĂ©Bernburg a. d. Saale

Boßte postale 263Me référant à notre conversation personnelle, je vous remets ci-joint, en double

exemplaire et Ă  toutes fins utiles, la liste des Juifs malades et inaptes au travail, setrouvant dans le camp de Buchenwald.

Le MĂ©decin de Buchenwald,SignĂ© : HOVEN,S.S. ObersturmsfĂŒhrer d. R. »

On remarquera que les deux piĂšces annoncĂ©es comme devant faire partie del’envoi, ne sont pas publiĂ©es.

Voici le second document : [167]

« Bernburg, le 5 mars 1942.Maison de Santé BernburgRéf. Z. Be. gs. pt.

Monsieur le Commandant du campde Concentration de Buchenwald par Weimar.

Référence : Notre lettre du 3 mars 1942.Objet : 36 détenus, 12e liste du 2 février 1942. « Par notre lettre du 3 courant, nous vous demandions de mettre à notre

disposition les 36 derniers dĂ©tenus, Ă  l’occasion du dernier transport, le 18 mars 1942.Par suite de l’absence de notre MĂ©decin-chef qui doit procĂ©der Ă  l’examen

médical de ces détenus, nous vous demandons de ne pas nous les envoyer le 18 mars1942, mais de les joindre au transport du 11 mars 1942, avec leurs dossiers qui vousseront retournés le 11 mars 1942.

Heil Hitler !Signé : GODENSCHWEIG. »

On conviendra qu’il faut singuliĂšrement solliciter les textes pour dĂ©duire, decet Ă©change de correspondance, qu’il Ă©tait relatif Ă  une opĂ©ration d’extermination parle moyen des chambres Ă  gaz. MĂȘme si on le complĂšte par un rapport que le DocteurHoven adressait, dans le mĂȘme temps, Ă  un de ses chefs hiĂ©rarchiques, et qui disaitceci, d’aprĂšs Eugen Kogon :

« Les obligations des mĂ©decins contractants et les nĂ©gociations avec les servicesd’inhumation, ont souvent amenĂ© des difficultĂ©s insurmontables. C’est pourquoi je memets aussitĂŽt en liaison avec le docteur Infried Eberl, mĂ©decin-chef de la Maison de SantĂ©de Bernburg-sur-Saale, boĂźte postale 252, tĂ©lĂ©phone 3 169. C’est le mĂȘme mĂ©decin qui aexĂ©cutĂ© l’opĂ©ration « 14 F. 13 ». Le docteur Eberl a fait preuve d’une extrĂȘmecomprĂ©hension et d’une grande amabilitĂ©. Tous les corps des dĂ©tenus dĂ©cĂ©dĂ©s Ă 

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Schoneberg-Wernigerode seront transportĂ©s chez le docteur Eberl Ă  Bernburg, et serontincinĂ©rĂ©s, mĂȘme sans bulletin de dĂ©cĂšs. » (Page 227)

Eugen Kogon fait aussi Ă©tat des chambres Ă  gaz de Birkenau (Auschwitz). Ilraconte comment on procĂ©dait Ă  l’extermination par ce moyen, d’aprĂšs letĂ©moignage :

« d’un jeune Juif de Brno, Janda Weiss, qui appar[168]tenait, en 1944, auSonderkommando (du crĂ©matoire et des chambres Ă  gaz) dont proviennent les dĂ©tailssuivants, d’ailleurs confirmĂ©s par d’autres personnes. » (Page 155)

À ma connaissance, ce Janda Weiss est le seul personnage de toute lalittĂ©rature concentrationnaire dont on dise qu’il a assistĂ© au supplice et dont on donnel’adresse exacte. Et il n’y a qu’Eugen Kogon qui ait profitĂ© de ses dĂ©clarations. ÉtantdonnĂ© l’importance historique et morale de l’utilisation des chambres Ă  gaz commeinstrument de rĂ©pression, peut-ĂȘtre aurait-on pu prendre des dispositions1 qui eussentpermis au public de connaĂźtre sa dĂ©position, autrement que par personnesinterposĂ©es, tout en l’étendant Ă  des dimensions un peu plus grandes que celles d’unparagraphe amenĂ© par incidence, dans un tĂ©moignage d’ensemble.

Une opĂ©ration qui Ă©tait pratiquĂ©e pĂ©riodiquement dans tous les camps sous lenom de « Selektion » n’a pas peu contribuĂ© Ă  rĂ©pandre dans le public une opinion quia fini par gagner sa faveur, quant au nombre des chambres Ă  gaz et Ă  celui de leursvictimes.

Un beau jour, les services sanitaires du camp recevaient l’ordre de dresser laliste de tous les malades considĂ©rĂ©s comme inaptes au travail pour un tempsrelativement long ou dĂ©finitivement et de les rassembler dans un Block spĂ©cial. Puis,des camions arrivaient — ou une rame de wagons — on les embarquait et ilspartaient pour une destination inconnue. La rumeur concentrationnaire voulait qu’ilsfussent dirigĂ©s tout droit sur des chambres Ă  gaz et, par une sorte de dĂ©rision cruelle,on appelait les rassemblements pratiquĂ©s dans ces occasions, desHimmelskommandos, ce qui signifiait qu’ils Ă©taient composĂ©s de gens en partancepour le ciel. Naturellement, tous les malades cherchaient Ă  y Ă©chapper.

J’ai vu pratiquer deux ou trois « Selektion » Ă  Dora : j’ai mĂȘme Ă©chappĂ© dejustesse Ă  l’une d’entre elles. Dora Ă©tait un petit camp. Si le nombre des maladesinaptes y fut toujours supĂ©rieur aux moyens dont on disposait pour les soigner, iln’atteignit qu’en de trĂšs rares occasions des proportions susceptibles de gĂȘner letravail ou d’embouteiller l’administration.

À Birkenau, dont parle David Rousset dans l’extrait qui fait l’objet de cettemise au point, c’était diffĂ©rent. Le camp Ă©tait trĂšs grand : une fourmiliĂšre humaine.Le nombre des [169] inaptes Ă©tait considĂ©rable. Les « Selektion », au lieu de se fairepar la voie bureaucratique et par le canal des services sanitaires, comme Ă  Dora, sedĂ©cidaient sur le moment, quand les camions ou la rame de wagons arrivaient. EllesĂ©taient nombreuses au point de se rĂ©pĂ©ter Ă  une cadence voisine d’une par semaine etelles se pratiquaient sur la mine. Entre les S.S. et la bureaucratie concentrationnaire

1 Par un singulier hasard, il se trouve en zone russe !..

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d’une part, et la masse des dĂ©tenus qui cherchaient Ă  leur Ă©chapper de l’autre, onpouvait donc assister Ă  de vĂ©ritables scĂšnes de chasse Ă  l’homme dans uneatmosphĂšre d’affolement gĂ©nĂ©ral. AprĂšs chaque « Selektion », ceux qui restaientavaient le sentiment d’avoir Ă©chappĂ© provisoirement Ă  la chambre Ă  gaz.

Mais rien ne prouve irrĂ©futablement que tous les inaptes ou rĂ©putĂ©s tels, ainsirecrutĂ©s, soit par le procĂ©dĂ© de Dora, soit par celui de Birkenau, Ă©taient dirigĂ©s surdes chambres Ă  gaz. À ce sujet, je veux rapporter un fait personnel. Dans l’opĂ©rationde « Selektion » Ă  laquelle j’ai Ă©chappĂ© Ă  Dora, un de mes camarades n’eut pas lamĂȘme chance que moi. Je le vis partir, et je le plaignis. En 1946, je croyais encorequ’il Ă©tait mort asphyxiĂ© avec tout le convoi dont il faisait partie. En septembre de lamĂȘme annĂ©e, je le vis avec Ă©tonnement se prĂ©senter chez moi pour m’inviter Ă  je nesais plus quelle manifestation officielle. Comme je lui disais le sentiment dans lequelj’avais vĂ©cu en ce qui le concernait, il me raconta que le convoi en question avait Ă©tĂ©dirigĂ©, non sur une chambre Ă  gaz, mais sur Bergen-Belsen dont la mission Ă©tait,paraĂźt-il, plus particuliĂšrement alors, de recevoir en convalescence1 les dĂ©portĂ©s detous les camps. On peut vĂ©rifier : il s’agit de M. Mullin, employĂ© Ă  la gare deBesançon. À Buchenwald, d’ailleurs, j’avais dĂ©jĂ  rencontrĂ©, au Block 48, unTchĂšque qui Ă©tait revenu de Birkenau dans les mĂȘmes conditions.

Mon opinion sur les chambres Ă  gaz ? Il y en eut : pas tant qu’on le croit. Desexterminations par ce moyen, il y en eut aussi : pas tant qu’on l’a dit. Le nombre,bien sĂ»r n’enlĂšve rien Ă  la nature de l’horreur, mais le fait qu’il s’agisse d’unemesure Ă©dictĂ©e par un État au nom d’une philosophie ou d’une doctrine, y ajouteraitsinguliĂšrement. Faut-il admettre qu’il en a Ă©tĂ© ainsi ? C’est possible, mais ce [170]n’est pas certain. La relation de cause Ă  effet entre l’existence des chambres Ă  gaz etles exterminations n’est pas Ă©tablie indiscutablement par les textes que publie EugenKogon2 et j’ai peur que ceux auxquels il se rĂ©fĂšre sans les citer ne l’établissent quemoins encore. Je le rĂ©pĂšte : l’argument qui joua le plus grand rĂŽle dans cette affairesemble ĂȘtre l’opĂ©ration « Selektion » dont il n’est pas un dĂ©portĂ© qui ne puisse parleren tĂ©moin sous une forme ou sous une autre et qui ne le fasse en fonction,principalement, de tout ce qu’il en a redoutĂ© sur le moment. Les archives duNational-Socialisme ne sont pas encore complĂštement dĂ©pouillĂ©es. On ne peutavancer avec certitude qu’on y dĂ©couvrira des documents de nature Ă  infirmer lathĂšse admise : ce serait tomber dans l’excĂšs contraire. Mais si, un jour, elleslaissaient Ă©chapper un ou plusieurs textes ordonnant la construction des chambres Ă gaz Ă  tout autre dessein que celui d’exterminer — on ne sait jamais, avec ce terriblegĂ©nie scientifique des Allemands — il faudrait bien admettre que l’utilisation qui ena Ă©tĂ© faite dans certains cas, relĂšve d’un ou deux fous parmi les S.S., et d’une oudeux bureaucraties concentrationnaires pour leur complaire, ou vice-versa, par une

1 En fait, aprÚs un voyage effectué dans des conditions épouvantables, il était arrivé dans un

Bergen-Belsen sur lequel convergeaient, venant de toute l’Allemagne, des convois d’inaptes, qu’on nesavait ni oĂč loger, ni comment nourrir, ce qui avait le don d’exciter les S.S. et les matraques desKapos Il y vĂ©cut des jours horribles et fut finalement remis dans le circuit du travail.

2 Elle ne l’a pas Ă©tĂ© davantage par les tĂ©moignages produits Ă  la barre du Tribunal deNuremberg.

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ou deux bureaucraties concentrationnaires, avec la complicitĂ©, achetĂ©e ou non, d’unou deux S.S. particuliĂšrement sadiques.

Dans l’état actuel de l’archĂ©ologie des camps1, rien ne permet d’attendre oud’espĂ©rer semblable dĂ©couverte, mais rien non plus ne permet de l’exclure. Un faitsymptomatique, en tout cas, n’a Ă©tĂ© que trĂšs peu soulignĂ© : dans les rares camps oĂčon a retrouvĂ© des chambres Ă  gaz, elles Ă©taient annexĂ©es aux blocks sanitaires de ladĂ©sinfection et des douches qui comportaient des installations d’eau, plutĂŽt qu’auxfours crĂ©matoires, et les gaz utilisĂ©s Ă©taient des Ă©manations de sels prussiques,produits qui entrent dans la composition des matiĂšres colorantes, notamment du bleu,dont l’Allemagne en guerre fit un si abondant usage.

Bien entendu, ceci n’est qu’une supposition. Mais, dans [171] l’Histoirecomme dans les sciences, la plupart des dĂ©couvertes n’ont-elles pas pris leur dĂ©part,sinon dans la supposition, du moins dans un doute stimulateur ?

Si on objecte qu’il n’y a aucun intĂ©rĂȘt Ă  procĂ©der de cette maniĂšre avec leNational-Socialisme dont les mĂ©faits sont par ailleurs solidement Ă©tablis, on mepermettra de prĂ©tendre qu’il n’y en a pas davantage Ă  Ă©tayer une doctrine ou uneinterprĂ©tation peut-ĂȘtre vraie, sur des faits incertains ou faux. Tous les grandsprincipes de la DĂ©mocratie meurent, non pas de leur contenu, mais de trop prĂȘter leflanc par des dĂ©tails qu’on croit aussi insignifiants dans leur portĂ©e que dans leursubstance, et les dictatures ne triomphent gĂ©nĂ©ralement que dans la mesure oĂč onbrandit contre elles des arguments mal Ă©tudiĂ©s. À ce propos, David Rousset cite unfait qui illustre magistralement cette maniĂšre de voir :

« Je parlais avec un mĂ©decin allemand Ce n’était visiblement pas un nazi. il Ă©taitrepu de la guerre et ignorait oĂč se trouvaient sa femme et ses quatre enfants. Dresde, quiĂ©tait sa ville, avait Ă©tĂ© cruellement bombardĂ©e. « Voyons, me dit-il, a-t-on fait la guerrepour Dantzig ? » Je lui rĂ©pondis que non. « Alors, voyez-vous, la politique de Hitler dansles camps de concentration a Ă©tĂ© affreuse (je saluai) ; mais, pour tout le reste, il avaitraison. » (Page 176)

Ainsi donc, par ce tout petit dĂ©tail, parce qu’on avait cru malin de dĂ©clarerqu’ont partait en guerre pour Dantzig et que cela s’était rĂ©vĂ©lĂ© faux, ce mĂ©decinjugeait de toute la politique de Hitler et l’approuvait. Je me demande avec effroi cequ’il doit en penser, maintenant qu’il a lu David Rousset.

Tradutore, traditore

Ceci est sans grande importance :

« L’expression Kapo est vraisemblablement d’origine italienne et signifie la tĂȘte :deux autres explications possibles : Kapo, abrĂ©viation de Kaporal, ou venant de la

1 Deux autres textes sont cités par David Rousset dans Le Pitre ne rit pas. Ce premier est une

dĂ©position d’un certain Arthur Grosch Ă  Nuremberg : il est relatif Ă  la construction des chambres Ă  gazet non Ă  leur utilisation. Le second, relatif Ă  des voitures automobiles munies d’un dispositifasphyxiant, qui auraient Ă©tĂ© utilisĂ©es en Russie, porte la signature d’un sous-lieutenant et il est adressĂ©Ă  un lieutenant. Ni l’un ni l’autre ne permettent d’accuser les dirigeants du rĂ©gime nazi d’avoirordonnĂ© des exterminations par les gaz. On les trouvera tous les deux en appendice Ă  ce chapitre.

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contraction de l’expression Kamerad Polizei, employĂ©e dans les premiers mois deBuchenwald. » (Page 131)

Eugen Kogon est plus affirmatif : [172]

« Kapo : de l’italien Il capo, la tĂȘte, le chef » (L’Enfer organisĂ©, page 59)

Je suggĂšre une autre explication qui fait dĂ©river le mot de l’expressionKonzentrationslager Arbeit Polizei, dont elle rassemble les initiales, comme SchupodĂ©rive de Schutz Polizei et Gestapo de Geheim Staat Polizei. L’empressement deDavid Rousset et d’Eugen Kogon Ă  interprĂ©ter plutĂŽt qu’à analyser au fond, ne leur apas permis d’y penser. [173]

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APPENDICE AU CHAPITRE IV

DĂ©claration sous la foi du serment

Je soussigné Wolfgang Grosch, atteste et déclare ce qui suit :

« En ce qui concerne la construction des chambres Ă  gaz et des fours crĂ©matoires,elle eut lieu sous la responsabilitĂ© du groupe de fonction C, aprĂšs que le groupe defonction D en eĂ»t fait la commande. La voie hiĂ©rarchique Ă©tait la suivante : le groupe defonction D se mettait en rapport avec le groupe de fonction C. Le bureau C.I. Ă©tablissaitles plans pour ces installations, dans la mesure oĂč il s’agissait des constructionsproprement dites, les transmettait alors au bureau C. III qui s’occupait de l’aspectmĂ©canique de ces constructions, comme par exemple la dĂ©saĂ©ration des chambres Ă  gaz,ou l’appareillage pour le gazage. Le bureau C. III confiait alors ces plans Ă  une entrepriseprivĂ©e, qui devait livrer les machines spĂ©ciales ou les fours crĂ©matoires. Toujours par lavoie hiĂ©rarchique, le bureau C. III avisait le bureau C. IV, lequel transmettait lacommande par le truchement de l’inspection des constructions Ouest, Nord, Sud et Est,aux directions centrales des constructions. La direction centrale des constructionstransmettait alors l’ordre de construction aux directions respectives de constructions descamps de concentration, lesquelles faisaient exĂ©cuter les constructions proprement ditespar les dĂ©tenus que le bureau du groupe D. III mettait Ă  leur disposition. Le groupe defonction D. donnait au groupe de fonction C. les ordres et les instructions concernant lesdimensions des constructions et leur but. Au fond, c’était le groupe de fonction D. quidonnait les commandes pour les chambres Ă  gaz et les fours crĂ©matoires. SignĂ© :Wolfgang Grosch. » (D’aprĂšs David Rousset, Le Pitre ne rit pas)

Cette dĂ©position a Ă©tĂ© faite au Tribunal de Nuremberg. S’il n’est pasexclusivement de son fait, le charabia dans [174] lequel elle est rĂ©digĂ©e semble avoirĂ©tĂ© scrupuleusement respectĂ© par le traducteur, visiblement pour entretenir laconfusion.

Il ne peut cependant pas Ă©chapper au lecteur :1° qu’il n’est question que de la construction des chambres Ă  gaz, et non de

leur destination et de leur utilisation ;2° que le tĂ©moin renvoie Ă  des faits dont il serait facile d’établir la matĂ©rialitĂ©

et Ă  des « instructions » qu’on pourrait publier et que, cependant, on semblesoigneusement Ă©viter de le faire, notamment en ce qui concerne le but des chambresĂ  gaz, auquel il est fait allusion ;

3° que de l’ensemble des constructions pour les camps, dont l’étude et larĂ©alisation Ă©tait confiĂ©e au groupe de fonction D (Blocks d’habitation, infirmeries,cuisines, ateliers, usines, etc.), les chambres Ă  gaz et les fours crĂ©matoires ont Ă©tĂ©isolĂ©s et singuliĂšrement rapprochĂ©s dans le but de mieux frapper une opinion quiaccepte facilement que les fours crĂ©matoires lui soient prĂ©sentĂ©s comme desinstruments de torture spĂ©cialement inventĂ©s pour les camps de concentration parcequ’elle ne sait pas que la pratique de la crĂ©mation est d’un usage courant — aussicourant que l’inhumation — dans toute l’Allemagne.

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Pour toutes ces raisons, aucun historien n’acceptera jamais cette dĂ©positiondans son intĂ©gralitĂ©.

Le rapport d’un sous-lieutenant à un lieutenant

« N° du secteur postal : 32.704.501.P.S.

B.N. 40/42Kiew, le 16 avril 1942.

(Affaire secrĂšte du Reich)Au S.S. OberturmfĂŒhrer Rauff,

Berlin, Prinz Albrechts, 8.

La rĂ©vision des voitures des groupes D. et du groupe C. est complĂštementterminĂ©e. Alors que les voitures de la premiĂšre sĂ©rie peuvent ĂȘtre utilisĂ©es, mĂȘme parmauvais temps (il faut cependant qu’il ne le soit pas trop), les voitures de la deuxiĂšmesĂ©rie (Saurer) s’embourbent complĂštement par temps de pluie1. Lorsque, par exemple, il aplu, ne fĂ»t-ce qu’une demi-heure, la voiture [175] est inutilisable, elle glisse toutsimplement. Il n’est possible de s’en servir que par temps tout Ă  fait sec. La seulequestion qui se pose est celle de savoir si l’on peut se servir de la voiture sur le lieu mĂȘmede l’exĂ©cution lorsqu’elle est arrĂȘtĂ©e. Il faut, tout d’abord, conduire la voiture jusqu’àl’endroit en question, ce qui n’est possible que s’il fait beau.

Le lieu de l’exĂ©cution se trouve en gĂ©nĂ©ral Ă©loignĂ© de 10 Ă  15 km des routesprincipales, et est dĂ©jĂ  choisi, peu accessible. Il l’est complĂštement lorsque le temps esthumide ou pluvieux. Si l’on conduit les personnes Ă  pied ou en voiture sur le lieu del’exĂ©cution, elles se rendent compte aussitĂŽt de ce qui se passe et deviennent inquiĂštes,chose qu’il convient d’éviter autant que possible. Il ne reste que la seule solution quiconsiste Ă  les charger dans des camions sur le lieu du rassemblement et de les mener alorsau lieu de l’exĂ©cution.

J’ai fait maquiller la voiture du groupe D en roulotte, et Ă  cette fin, j’ai fait fixerde chaque cĂŽtĂ© des petites voitures une petite fenĂȘtre, telles qu’on les voit souvent Ă  nosmaisons de paysans Ă  la campagne, et deux de ces petites fenĂȘtres de chaque cĂŽtĂ© desgrandes voitures. Ces voitures se sont fait remarquer si vite qu’elles reçurent le surnom de« voitures de la mort ». Non seulement les autoritĂ©s, mais encore la population civile, lesdĂ©signaient par ce sobriquet dĂšs qu’elles faisaient leur apparition. À mon avis, mĂȘme cemaquillage ne saurait longtemps les prĂ©server d’ĂȘtre reconnues.

Les freins de la voiture Saurer que je conduisis de SimfĂ©ropol Ă  Taganrog, serĂ©vĂ©lĂšrent dĂ©fectueux en route. Le S.K. de Marioupol constata que le manche du frein estcombinĂ© Ă  huile et Ă  compression. La persuasion et la corruption du H.K. P. rĂ©ussirent Ă elles deux Ă  faire confectionner une forme d’aprĂšs laquelle on a pu couler deux manches.Lorsque j’arrivai quelques jours plus tard Ă  Stalino et Gerlowka, les conducteurs desvoitures se plaignaient de la mĂȘme dĂ©fectuositĂ©2. AprĂšs une entrevue avec lescommandants de ces kommandos, je me rendis derechef Ă  Marioupol pour faire faire deuxautres manches pour chacune de ces voitures. Aux termes de notre accord, deux manchesseront coulĂ©s pour chaque voiture et six autres resteront en rĂ©serve Ă  Marioupol pour legroupe D., et six autres encore [176] seront envoyĂ©s au S.S. UntersturmfĂŒhrer Ernt pourles voitures du groupe C. Pour les groupes B. et A., les manches pourraient nous parvenirde Berlin, car leur transport de Marioupol vers le Nord est trop compliquĂ© et prendraittrop de temps. De petites dĂ©fectuositĂ©s aux voitures sont rĂ©parĂ©es par des techniciens deskommandos ou des groupes, dans leur propre atelier.

1 Souligné dans le texte.2 Souligné dans le texte.

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Le terrain cahoteux et la condition Ă  peine concevable des chemins et des routes,usent peu Ă  peu les points de suture et les endroits impermĂ©abilisĂ©s. On me demanda s’ilfallait alors faire effectuer la rĂ©paration Ă  Berlin. Mais cette opĂ©ration coĂ»terait trop cheret demanderait beaucoup trop d’essence. Afin d’éviter ces dĂ©penses, je donnai l’ordred’effectuer sur place de petites soudures et au cas oĂč cela s’avĂ©rerait impossible, detĂ©lĂ©graphier aussitĂŽt Ă  Berlin, en disant que la voiture P.O.L. n°
 Ă©tait hors de service.De plus, j’ordonnai d’éloigner tous les hommes au moment des gazages, afin de ne pasexposer leur santĂ© par les Ă©manations Ă©ventuelles de ces gaz. Je voudrais, Ă  cetteoccasion, faire encore l’observation suivante : plusieurs kommandos font dĂ©charger lesvoitures par leurs propres hommes, aprĂšs le gazage. J’ai attirĂ© l’attention du S.K. enquestion sur les dommages, tant moraux que physiques, qu’encourent ces hommes, sinontout de suite, du moins un peu plus tard. Les hommes se plaignaient Ă  moi de maux detĂȘte aprĂšs chaque chargement. On ne peut pourtant pas modifier l’ordonnance1 parce quel’on craint que les dĂ©tenus2 employĂ©s Ă  ce travail ne puissent choisir un moment favorablepour prendre la fuite. Pour protĂ©ger les hommes contre cet inconvĂ©nient, je vous prie depromulguer des ordonnances en consĂ©quence.

Le gazage n’est pas effectuĂ© comme il se devrait. Afin d’en terminer au plus tĂŽtavec cette action, les chauffeurs appuient toujours Ă  fond sur l’accĂ©lĂ©rateur3. Cette mesureĂ©touffe les personnes Ă  exĂ©cuter, au lieu de les tuer en les endormant. Mes directives sontd’ouvrir les manettes de telle sorte que la mort [177] soit plus rapide et plus paisible pourles intĂ©ressĂ©s. Ils n’ont plus ces visages dĂ©figurĂ©s et ne laissent plus d’éliminations,comme on a pu les constater jusqu’ici.

À ce jour, je me rends sur les lieux de stationnement du groupe B., et desnouvelles Ă©ventuelles peuvent m’atteindre lĂ -bas.

SignĂ© : Dr BECKER.S.S. UntersturmfĂŒhrer. » (D’aprĂšs David Rousset, Le Pitre ne rit pas)

Ce rapport vient Ă  l’appui d’une affirmation d’Eugen Kogon qui Ă©crit dans sonEnfer organisĂ© :

« 
elle (la S.S.) utilisait aussi les chambres Ă  gaz ambulantes : c’était des autosqui, du dehors, ressemblaient Ă  des voitures cellulaires, et qui, Ă  l’intĂ©rieur, avaient reçul’amĂ©nagement adĂ©quat. Dans ces voitures, l’asphyxie par les gaz ne semble pas avoir Ă©tĂ©trĂšs rapide, car elles roulaient d’habitude assez longtemps avant de s’arrĂȘter et dedĂ©charger les cadavres. (Page154)

Eugen Kogon, qui ne dit pas si on a retrouvé de ces voitures de la mort, ne citepas non plus ce rapport.

Quoi qu’il en soit, il faut fĂ©liciter le traducteur qui, s’il n’a pas rĂ©ussi Ă  comblercertaines lacunes et Ă  satisfaire certaines curiositĂ©s, a du moins donnĂ© Ă  la forme uneextraordinaire physionomie latine dans l’expression de la pensĂ©e.

Et il faut remarquer :1° qu’il est plus facile aux chercheurs actuels de documents d’en retrouver sur

ce qui se passait Ă  Marioupol que sur ce qui se passait Ă  Dachau ;2° que, nĂ©gligeant une ordonnance Ă©manant d’un ministre, on met en Ă©vidence

la simple lettre relative à la question d’un sous-lieutenant à son lieutenant ;

1 Il est curieux qu’on ait retrouvĂ© ce rapport de sous-lieutenant, et pas l’ordonnance Ă  laquelle

il se rapporte, — du moins qu’on publie l’un et pas l’autre.2 Quels dĂ©tenus ?3 Le gazage se faisait donc par les vapeurs de carburant : la parole est aux techniciens.

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3° que si on a retrouvĂ© un texte, il ne semble pas qu’on ait retrouvĂ© desvoitures, - du moins que si on en a retrouvĂ©, l’évĂ©nement n’a fait que trĂšs peu debruit. [178]

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CHAPITRE V

Les sociologues

Eugen Kogon et L’Enfer organisĂ©1

Je ne connais pas Eugen Kogon. Tout ce que je sais de lui, je l’ai appris, lors dela publication de son ouvrage, par ce qu’il dit lui-mĂȘme de lui, et par les comptesrendus de presse. Sous rĂ©serves : journaliste autrichien, de type chrĂ©tien social ouchrĂ©tien progressiste, arrĂȘtĂ© en consĂ©quence de l’Anchluss, dĂ©portĂ© Ă  Buchenwald.PrĂ©sentĂ© au public français comme sociologue.

L’Enfer organisĂ© est le tĂ©moignage le mieux achalandĂ© et il est Ă©crit dans laforme. Il porte sur une quantitĂ© considĂ©rable de faits, pour la plupart vĂ©cus. S’il n’estexempt, ni de certaines naĂŻvetĂ©s, ni de certaines exagĂ©rations, il est faux surtout dansl’explication et dans l’interprĂ©tation. Cela tient, d’une part, Ă  la façon de rapporter del’auteur qui procĂšde « en esprit politique » (Avant-propos, page 14), de l’autre Ă  cequ’il a voulu justifier le comportement de la bureaucratie concentrationnaire, d’unemaniĂšre plus catĂ©gorique encore et plus prĂ©cise que David Rousset.

Pour le reste, Eugen Kogon expose les Ă©vĂ©nements, dit-il, « sans mĂ©nagementsen homme et en chrĂ©tien » (Avant-propos, page 14), sans aucune intention d’écrire« une histoire des camps de concentration allemands » et « pas davantage unecompilation de toutes les horreurs commises, mais une Ɠuvre essentiellementsociologique, dont le contenu humain, politique et moral, d’authenticitĂ© Ă©tablie,possĂšde une valeur d’exemple. » (Introduction, page 20)

L’intention Ă©tait bonne. [179]Il se croyait qualifiĂ© pour cette mission, et peut-ĂȘtre l’était-il. Il se prĂ©sente

comme :

« ayant au moins cinq ans de captivitĂ©, venu d’en bas dans les conditions les pluspĂ©nibles et, peu Ă  peu parvenu Ă  une position qui lui avait permis d’y voir clair etd’exercer une influence, n’ayant jamais appartenu Ă  la classe des vedettes du camp,n’étant souillĂ© par aucune infamie dans son comportement de dĂ©tenu. » (page 20)

Dans la pratique, aprĂšs avoir Ă©tĂ© affectĂ© pendant un an au Kommando del’Effektenkammer (atelier de coupe de vĂȘtements), emploi privilĂ©giĂ©, il Ă©tait devenusecrĂ©taire du S.S. MĂ©decin-chef du camp, Docteur Ding-Schuller, emploi plusprivilĂ©giĂ© encore. À ce dernier titre, il eut Ă  connaĂźtre dans le dĂ©tail toutes lesintrigues du camp pendant les deux derniĂšres annĂ©es de son internement.

AprĂšs avoir lu, j’ai refermĂ© le livre. Puis je l’ai rouvert. Et, sous la reprise dutitre en page de garde, j’ai Ă©crit en sous-titre : ou Plaidoyer pro domo.

1 La Jeune Parque, novembre 1947.

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Le détenu Eugen Kogon

À Buchenwald, il y avait une « Section pour l’étude du typhus et des virus ».Elle occupait les Blocks 46 et 50. Le responsable en Ă©tait le S.S. MĂ©decin-chef decamp, Docteur Ding-Schuller.

Voici comment elle fonctionnait :

« Dans le Block 46 du camp de Buchenwald — qui Ă©tait d’ailleurs un modĂšle depropretĂ© apparente et qui Ă©tait fort bien amĂ©nagĂ© — on ne pratiquait pas seulement desexpĂ©riences sur des hommes, mais on isolait Ă©galement tous les typhiques qui avaient Ă©tĂ©contaminĂ©s dans le camp par la voie naturelle, ou qui avaient Ă©tĂ© amenĂ©s dans le campalors qu’ils Ă©taient dĂ©jĂ  atteints. On les y guĂ©rissait, dans la mesure oĂč ils rĂ©sistaient Ă cette terrible maladie. La direction du Block avait Ă©tĂ© confiĂ©e cĂŽtĂ© dĂ©tenus Ă  ArthurDietzch, qui avait acquis des connaissances mĂ©dicales seulement par la pratique1.Dietzch Ă©tait un communiste qui Ă©tait [180] prisonnier politique depuis prĂšs de vingtans2. C’était un ĂȘtre trĂšs endurci qui naturellement Ă©tait l’une des personnes les plus haĂŻeset les plus redoutĂ©es du camp de Buchenwald3.

Comme la direction S.S. du camp et les sous-officiers avaient une crainteinsurmontable de la contagion et qu’ils pensaient que l’on pouvait aussi contracter letyphus par simple contact, par l’air, par une toux de malade, etc., ils ne pĂ©nĂ©traient jamaisdans le Block 46 Les dĂ©tenus profitaient de cela, en collaboration avec le Kapo Dietzch :la direction illĂ©gale du camp s’en servait, d’une part pour se dĂ©barrasser des personnesqui collaboraient avec la S.S. contre les dĂ©tenus (ou qui semblaient collaborer, ou toutsimplement qui Ă©taient impopulaires)4, d’autre part, pour cacher dans le Block 46,certains prisonniers politiques d’importance dont la vie Ă©tait menacĂ©e, ce qui Ă©tait parfoistrĂšs difficile et trĂšs dangereux pour Dietzch, car il n’avait comme domestiques etinfirmiers que des verts (Page 162)

Dans le Block 50, on préparait du vaccin contre le typhus exanthématique, avecdes poumons de souris et de lapins, selon le procédé du professeur Giroud (de Paris). Ceservice fut fondé en août 1943. Les meilleurs spécialistes du camp, médecins,bactériologues, sérologues, chimistes, furent choisis pour cette tùche, etc. » (Page 163)

Et voici comment Eugen Kogon fut affecté a son poste.

« Une habile politique des dĂ©tenus eut pour but, dĂšs le dĂ©but, d’amener dans ceKommando les camarades de toutes nationalitĂ©s, dont la vie Ă©tait menacĂ©e, car la S.S.Ă©prouvait autant de crainte respectueuse devant ce Block que devant le Block 46. Aussibien par le capitaine S.S. Dr Ding SchuIler, que par les dĂ©tenus, et pour diffĂ©rentesraisons, cette crainte fĂ©tichiste de la S.S. fut entretenue (par exemple en plaçant desĂ©criteaux sur la clĂŽture de barbelĂ©s qui isolait le Block). Des candi[181]dats Ă  la mort,tels que le physicien hollandais Van Lingen, l’architecte Harry Pieck et d’autresNĂ©erlandais, le mĂ©decin polonais Dr Marian Ciepielowski (chef de production dans ceservice), le professeur Dr Balachowsky, de l’Institut Pasteur de Paris, l’auteur de cet

1 Pendant ce temps, le Docteur Seguin ne put jamais se faire prendre en considération Ús-

qualitĂ©, par la HĂ€ftlingsfĂŒrung. Le Dr Seguin est le Dr X
 de la page 63 : il est mort de n’avoirjamais Ă©tĂ© reconnu comme mĂ©decin par les communistes qui l’avaient envoyĂ© au Steinbruch(CarriĂšre).

2 Le National-Socialisme l’avait pris en compte Ă  la RĂ©publique de Weimar, par consĂ©quent.Ce trait ne manque pas d’humour en ce qu’il caractĂ©rise un but commun aux deux rĂ©gimes.

3 Il ne semble pas avoir rencontrĂ© un Martin-Chauffier.4 Ou plus simplement encore, qui la gĂȘnaient, qui menaçaient d’accĂ©der Ă  des postes

importants. L’argument de collaboration avec la S.S. est d’ailleurs sans valeur : cette « directionillĂ©gale » (sic) collaborait ouvertement avec les S.S., ainsi qu’il sera dĂ©montrĂ© par ailleurs.

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ouvrage, en sa qualitĂ© de publiciste autrichien, et sept camarades juifs, trouvaient un asiledans ce Block, avec l’approbation du Dr Ding-Schuller. » (Page 163)

Il faut admettre qu’Eugen Kogon avait donnĂ© des gages sĂ©rieux au noyau« communiste » qui exerçait la prĂ©pondĂ©rance dans le camp — contre d’autresagglomĂ©rats verts, politiques, voire communistes ! — pour obtenir d’ĂȘtre dĂ©signĂ© parlui Ă  ce poste de confiance. Et il faut retenir ce « avec l’approbation du DocteurDing-Schuller ».

Voici maintenant ce qu’il pouvait se permettre à ce poste :

« À la suite de requĂȘtes que, chaque fois, je suggĂ©rais, rĂ©digeais et soumettais Ă  lasignature, ils furent protĂ©gĂ©s contre de soudaines rafles, transports d’extermination, etc. »(Page 163)

Ou encore :

« Pendant les deux derniĂšres annĂ©es que j’ai passĂ©es en qualitĂ© de secrĂ©taire dumĂ©decin, j’ai rĂ©digĂ©, avec l’aide de spĂ©cialiste du Block 50, au moins une demi-douzainede communications mĂ©dicales signĂ©es du Dr Schuller, sur le typhus exanthĂ©matique Je nementionnerai qu’en passant le fait que j’étais Ă©galement chargĂ© d’une partie de sacorrespondance privĂ©e, y compris lettres d’amour et de condolĂ©ances. Souvent, il ne lisaitmĂȘme plus les rĂ©ponses, il me jetait les lettres aprĂšs les avoir ouvertes, et il me disait :« RĂ©glez donc cela, Kogon. Vous saurez bien ce qu’il faut rĂ©pondre. C’est quelque veuvequi cherche une consolation. » » (Page 270)

Et il pouvait déclarer :

« J’avais dans ma main le Dr Ding-Schuller. » (Page 218)

Ă  tel point que d’ĂȘtre « en mauvais termes avec le Kapo du Block 46 » ne ledĂ©rangeait mĂȘme pas.

Il ressort de tout ceci qu’ayant su s’attirer les grĂąces de l’équipe influente dansla HĂ€ftlingsfĂŒhrung, il avait, en mĂȘme temps, su s’attirer celles d’une des plus hautesautoritĂ©s S.S. [182] du camp. Tous ceux qui ont vĂ©cu dans un camp de concentrationconviendront qu’un pareil rĂ©sultat n’était guĂšre susceptible d’ĂȘtre obtenu sansquelques entorses aux rĂšgles de la morale habituelle hors des camps.

La méthode

« Pour dissiper certaines craintes et montrer que ce rapport (c’est ainsi qu’ildĂ©signe son Enfer organisĂ©) ne risquait pas de se transformer en acte d’accusation contrecertains dĂ©tenus qui avaient occupĂ© une position dominante, je le lus, au dĂ©but du mois demai 1945, dĂšs qu’il eĂ»t Ă©tĂ© couchĂ© sur le papier, et alors qu’il ne manquait que les deuxderniers chapitres sur un total de douze, Ă  un groupe de quinze personnes, qui avaientappartenu Ă  la direction clandestine1 du camp, ou qui reprĂ©sentaient certains groupementpolitiques de dĂ©tenus. Ces personnes en approuvĂšrent l’exactitude et l’objectivitĂ©.

Avaient assisté à cette lecture :1. Walter Bartel, communiste de Berlin, président du comité international du

camp.

1 Eugen Kogon emploie tantÎt le mot « illégale », tantÎt le mot « clandestine » pour

caractĂ©riser la HĂ€ftlingsfĂŒhrung. En rĂ©alitĂ© il n’y avait rien, ni de moins illĂ©gal, ni de moins clandestin.

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2. Heinz Baumeister, social-démocrate, de Dortmund qui, pendant des années,avait appartenu au Secrétariat de Buchenwald ; deuxiÚme secrétaire du Block 50.

3. Ernst Busse, communiste, de SoIingen, Kapo de l’infirmerie des dĂ©tenus.4. Boris Banilenko, chef des jeunesses communistes en Ukraine, membre du

comitĂ© russe.5. Hans Eiden, communiste, de TrĂšves, premier doyen du camp.6. Baptiste Feilen, communiste, d’Aix-la-Chapelle, Kapo du lavoir.7. Franz Hackel, indĂ©pendant de gauche de Prague. Un de nos amis, sans fonction

dans le camp.8. Stephan Heymann, communiste, de Manheim, membre du bureau

d’informations du camp.9. Werner Hilpert, centriste de Leipzig, membre du comitĂ© international du camp.[183]10. Otto Harn, communiste de Vienne, membre du comitĂ© autrichien.11. A. Kaltschin, prisonnier de guerre russe, membre du comitĂ© russe.12. Otto Kipp, communiste de Dresde, Kapo supplĂ©ant de l’infirmerie des

détenus.13. Ferdinand Römhild, communiste de Francfort-sur-le-Main, premier secrétaire

de l’infirmerie des dĂ©tenus.14. Ernst Thappe, social-dĂ©mocrate, chef du comitĂ© allemand.15. Walter Wolff, communiste, chef du Bureau d’informations du camp. » (Pages

20-21)

À elle seule, cette dĂ©claration, en quelque sorte liminaire, suffit Ă  rendre tout letĂ©moignage suspect :

« Pour dissiper certaines craintes et montrer que ce rapport ne risquait pas de setransformer en acte d’accusation contre certains dĂ©tenus qui avaient occupĂ© une positiondominante dans le camp. »

Eugen Kogon a donc Ă©vitĂ© de rapporter tout ce qui pouvait accuser laHĂ€ftlingsfĂŒhrung, ne retenant de griefs que contre les S.S. : aucun historienn’acceptera jamais cela. Par contre, on est fondĂ© de croire qu’agissant ainsi, il a payĂ©une dette de reconnaissance envers ceux qui lui avaient procurĂ© un emploi de toutrepos dans le camp et avec lesquels il a des intĂ©rĂȘts communs Ă  dĂ©fendre devantl’opinion.

Par surcroĂźt, les quinze personnes citĂ©es qui ont dĂ©cidĂ© de son « exactitude etde son objectivitĂ© » sont sujettes Ă  caution. Elles sont toutes communistes oucommunisantes (mĂȘme celles qui figurent sous la rubrique social-dĂ©mocrate,indĂ©pendant ou centriste) et si, par hasard, il y avait une exception, elle ne pourraitrĂ©sulter que du fait d’un obligĂ©. Enfin, elles constituent un tableau des plus hautspersonnages de la bureaucratie concentrationnaire de Buchenwald : doyen de camps,Kapos, etc.

Je tiens pour insignifiants ou fantaisistes les titres de prĂ©sident ou de membredu comitĂ© de ceci ou de cela, dont elles sont affublĂ©es : elles se les sont elles-mĂȘmes,entre-dĂ©cernĂ©es au moment de la libĂ©ration du camp par les AmĂ©ricains, voirepostĂ©rieurement. Et je ne m’arrĂȘte pas Ă  la notion de « comitĂ© » qui est introduitedans le dĂ©bat dont j’ai dĂ©jĂ  fait justice par ailleurs : ils ont dit cela et ils ont [184]rĂ©ussi Ă  le faire admettre en invoquant des motifs trĂšs nobles1.

1 Cf. 1e partie, pp. 46 et 47.

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À mon sens, ces quinze personnes ont Ă©tĂ© trĂšs heureuses de trouver en EugenKogon une plume habile pour les dĂ©charger de toute responsabilitĂ©, aux yeux de lapostĂ©ritĂ©.

La HĂ€ftlingfĂŒhrung

« Ses tĂąches Ă©taient les suivantes : maintenir l’ordre dans le camp, veiller Ă  ladiscipline pour Ă©viter l’intervention S.S., etc. Pendant la nuit — ce qui permettait desupprimer les patrouilles des S.S. dans le camp — leur tĂąche Ă©tait d’accueillir lesnouveaux arrivants, ce qui, peu Ă  peu Ă©vita les brutales chicanes des S.S. C’était une tĂąchedifficile et ingrate. La garde du camp de Buchenwald frappait rarement, bien qu’il y eĂ»tsouvent de brutales empoignades. Les nouveaux arrivants, qui venaient d’autres camps,Ă©taient effrayĂ©s tout d’abord quand ils Ă©taient reçus par les gens de la garde du camp deBuchenwald, mais ils savaient toujours apprĂ©cier, ensuite, cet accueil plus douxqu’ailleurs. Il y avait certes toujours tel ou tel membre de la garde du camp qui, d’aprĂšs safaçon de s’exprimer, pouvait passer pour un S.S. manquĂ©. Mais cela importait peu. Seul lebut comptait : MAINTENIR UN NOYAU DE PRISONNIERS CONTRE LA S.S. Si lagarde du camp n’avait pas fait rĂ©gner une impeccable apparence d’ordre, face Ă  la S.S.,que ne serait-il pas advenu du camp tout entier, et des milliers de prisonniers, lors desopĂ©rations punitives et last not least, dans les derniers jours avant la libĂ©ration ? » (Page62)

Si je ne m’en rapporte qu’à mon expĂ©rience personnelle quant Ă  l’accueil quifut fait Ă  mon convoi dans deux camps diffĂ©rents, il ne m’est pas possible deconvenir qu’il fut meilleur Ă  Buchenwald qu’à Dora, bien au contraire. Mais je doisreconnaĂźtre que les conditions gĂ©nĂ©rales de vie Ă  Buchenwald et Ă  Dora n’étaient pascomparables : le premier Ă©tait un sanatorium par rapport au second, En dĂ©duire quecela tenait Ă  une diffĂ©rence de composition, d’essence et de convictions politiques ouphilosophiques entre les deux HĂ€ftlingsfĂŒhrung serait une erreur : si on les avaitinterverties en bloc, le [185] rĂ©sultat eĂ»t Ă©tĂ© le mĂȘme. Dans l’un et l’autre cas, leurcomportement Ă©tait commandĂ© par les conditions gĂ©nĂ©rales d’existence et il ne lescommandait pas.

À l’époque dont parle Eugen Kogon, Buchenwald Ă©tait au terme de sonĂ©volution. Tout y Ă©tait achevĂ© ou presque : les services Ă©taient en place, un ordre Ă©taitau point. Les S.S. eux-mĂȘmes, moins exposĂ©s aux tracasseries que le dĂ©sordre traĂźnederriĂšre lui, insĂ©rĂ©s dans un programme rĂ©gulier et quasi sans alĂ©as, y avaient lesnerfs beaucoup moins Ă  fleur de peau. À Dora, au contraire, le camp Ă©tait en pleineconstruction, il fallait tout crĂ©er et tout mettre en place avec les moyens limitĂ©s d’unpays en guerre. Le dĂ©sordre Ă©tait Ă  l’état naturel. Tout s’y heurtait. Les S.S. Ă©taientinabordables et la HĂ€ftlingsfĂŒhrung ne sachant quoi inventer pour leur complaire,dĂ©passait souvent leurs dĂ©sirs. Seulement, Ă  Buchenwald, les exactions d’un Kapo oud’un doyen de camp, identiques dans leurs mobiles et dans leurs buts, Ă©taient moinssensibles dans leur portĂ©e, parce que, dans un Ă©tat des lieux en tous points meilleur,elles n’entraĂźnaient pas des consĂ©quences aussi graves pour la masse des dĂ©tenus.

Il convient d’ajouter comme preuve supplĂ©mentaire, voire superfĂ©tatoire, qu’enautomne 1944, le camp de Dora Ă©tait Ă  son tour Ă  peu prĂšs au point, et laHĂ€ftlingsfĂŒhrung n’ayant en rien modifiĂ© son comportement, les conditions

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matĂ©rielles et morales d’existence pouvaient soutenir la comparaison avecBuchenwald. À ce moment, la fin de la guerre se prĂ©cipita, les bombardementslimitĂšrent les possibilitĂ©s de ravitaillement, l’avance des AlliĂ©s sur les deux frontsaugmenta la population de celle des camps Ă©vacuĂ©s de l’Est et de l’Ouest, et tout futremis en question.

Il reste le raisonnement selon lequel il Ă©tait important, pour maintenir un noyaucontre la S.S., de se substituer Ă  elle : tout le camp Ă©tait naturellement contre la S.S.et je ne comprends pas. On pourrait soutenir, qu’il eut Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rable de maintenir envie tout le monde contre la S.S., et non seulement un noyau Ă  ses ordres, ne serait-ceque pour lui susciter des difficultĂ©s supplĂ©mentaires Au lieu de cela, on a employĂ© unmoyen qui, s’il a sauvĂ© ce prĂ©cieux noyau, a fait mourir la masse. Parce que commele reconnaĂźt Eugen Kogon, aprĂšs David Rousset, l’urbanitĂ© n’était pas seule Ă intervenir dans le dĂ©bat :

« En fait, les dĂ©tenus n’ont jamais reçu les faibles rations qui leur Ă©taient destinĂ©esen principe. Tout d’abord, la S.S. prenait ce qui lui plaisait. Puis les [186] dĂ©tenus quitravaillaient dans le magasin Ă  vivres et dans les cuisines « se dĂ©brouillaient » pourprĂ©lever amplement leur part. Puis les chefs de chambrĂ©e en dĂ©tournaient une bonnequantitĂ© pour eux et pour leurs amis. Le reste allait aux misĂ©rables dĂ©tenus ordinaires. »(Page 107)

Il y a lieu de prĂ©ciser que tout ce qui dĂ©tenait une parcelle d’autoritĂ© dans lecamp Ă©tait par-lĂ  mĂȘme, placĂ© pour « prĂ©lever » : le doyen de camp qui dĂ©livraitglobalement les rations, le Kapo ou le chef de Block qui se servaient copieusementen premier lieu, le chef d’équipe ou l’homme de chambrĂ©e qui coupaient le pain oumettaient la soupe dans les Ă©cuelles, le policier, le secrĂ©taire, etc. Il est curieux queKogon ne le mentionne pas.

Tous ces gens se gobergeaient littĂ©ralement des produits de leurs vols, etpromenaient dans le camp des mines florissantes. Aucun scrupule ne les arrĂȘtait :

« Pour l’infirmerie des dĂ©tenus, il y avait dans les camps une nourriture spĂ©cialepour les malades, ce qu’on appelait la diĂšte. Elle Ă©tait trĂšs recherchĂ©e comme supplĂ©mentet sa plus grande part Ă©tait dĂ©tournĂ©e au profit des personnalitĂ©s du camp : Doyens deBlocks, Kapos, etc. Dans chaque camp, on pouvait TROUVER DES COMMUNISTESOU DES CRIMINELS QUI, PENDANT DES ANNÉES, RECEVAIENT, EN PLUS DELEURS AUTRES AVANTAGES, LES SUPPLÉMENTS POUR MALADES. C’étaitsurtout une affaire de relations avec la cuisine des malades composĂ©e exclusivement degens appartenant Ă  la catĂ©gorie de dĂ©tenus qui dominaient le camp, ou une affaired’échange de bons services : les Kapos de l’atelier de couture, de la cordonnerie, dumagasin d’habillement, du magasin Ă  outils, etc., livraient, en Ă©change de cette nourriture,ce que leur demandaient les autres. Dans le camp de Buchenwald, de 1939 Ă  1941, prĂšsde quarante mille Ɠufs ont Ă©tĂ© ainsi dĂ©tournĂ©s, Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme du camp. » (Pages 110-111-112)

Pendant ce temps, les malades de l’infirmerie mouraient d’ĂȘtre privĂ©s de cettenourriture spĂ©ciale que la S.S. leur destinait. Expliquant le mĂ©canisme du vol, Kogonen fait un simple aspect du « systĂšme D », indistinctement employĂ© par tous lesdĂ©tenus qui se trouvaient sur le circuit alimentaire. C’est Ă  la fois, une inexactitude etun acte de bienveillance Ă  l’égard de la HĂ€ftlingsfĂŒhrung. [187]

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Le travailleur d’un Kommando quelconque ne pouvait pas voler : le Kapo et leVorarbeiter, prĂȘts Ă  le dĂ©noncer, le surveillaient Ă©troitement. Tout au plus pouvait-ilse risquer, la distribution des rations Ă©tant faite, Ă  prendre quelque chose Ă  un de sescompagnons d’infortune. Mais le Kapo et le Vorarbeiter pouvaient de concertprĂ©lever sur l’ensemble des rations, avant la distribution, et ils le faisaientcyniquement. ImpunĂ©ment aussi parce qu’il Ă©tait impossible de les dĂ©noncerautrement que par la voie hiĂ©rarchique, c’est-Ă -dire en passant par eu. Ils volaientpour eux-mĂȘmes, pour leurs amis, pour les fonctionnaires d’autoritĂ© desquels ilstenaient leur poste et aux Ă©chelons supĂ©rieurs de la hiĂ©rarchie, pour les S.S. dont ilstenaient Ă  s’assurer ou Ă  conserver la protection.

Pour ce qui est de la diĂšte des malades, le Kapo de l’infirmerie — celui qui asanctionnĂ© l’exactitude et l’objectivitĂ© du tĂ©moignage de Kogon ! — en prĂ©levait uneimportante quantitĂ© Ă  l’intention de ses collĂšgues et des communistes accrĂ©ditĂ©s1.Pendant mon sĂ©jour Ă  Buchenwald, tous les matins il fit tenir une quantitĂ© de lait,voisine d’un litre, et incidemment, quelques autres friandises, Ă  Erich, chef du Block48. Si on reporte cette opĂ©ration Ă  l’échelle du camp, on peut dĂ©jĂ  mesurer la quantitĂ©de lait dont les malades de l’infirmerie Ă©taient ainsi privĂ©s. En comparaison, les petitschapardages sur le circuit Ă©taient insignifiants.

Ainsi donc, qu’il s’agisse du menu ordinaire ou de la diĂšte, malade ou non, lesdĂ©tenus avaient, pour mourir de faim, deux raisons qui s’ajoutaient : les prĂ©lĂšvementsdes S.S.2 et ceux de la HĂ€ftlingsfĂŒhrung. Ils avaient aussi deux raisons de recevoirdes coups, et d’ĂȘtre malmenĂ©s en gĂ©nĂ©ral. Dans ces conditions, il Ă©tait peu de dĂ©tenusqui ne prĂ©fĂ©rassent avoir affaire directement au S.S. : le Kapo qui volait plus que demesure, frappait aussi plus fort pour plaire aux S.S., et il Ă©tait rare qu’une simplerĂ©primande d’un S.S. n’entraĂźnĂąt, de surcroĂźt, une volĂ©e de coups du Kapo.

Les arguments

[188]Les arguments qui justifient la pratique du sauvetage d’un noyau, avant tout et

Ă  tout prix, ne sont pas plus probants que les faits.

« Que ne serait-il pas advenu du camp tout entier, surtout au moment de laLibération ? » (Op. Cit., voir page 273)

commence par se demander Kogon avec effroi. De ce qui prĂ©cĂšde, il ressortdĂ©jĂ  que le camp tout entier n’aurait eu qu’une raison de moins de « crever » Ă  cerythme. Il ne suffit pas d’ajouter :

« C’est ainsi que les premiers chars amĂ©ricains, venant du Nord-Ouest, trouvĂšrentBuchenwald libĂ©rĂ© » (Page 304)

1 Il est bien des communistes qui ne l’étaient pas, — ceux qui Ă©taient, avant tout, d’honnĂȘtes

gens. Ils Ă©taient perdus dans la masse et suivaient le sort commun.2 Il y a lieu de remarquer que les S.S. ne prĂ©levaient gĂ©nĂ©ralement pas eux-mĂȘmes ou trĂšs

timidement : ils laissaient prélever pour leur compte et ils étaient ainsi, mieux servis.

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et d’en faire rejaillir le mĂ©rite sur la HĂ€ftlingsfĂŒhrung, pour que ce soit vrai. Àce compte, on pourrait aussi dire qu’ils sont entrĂ©s dans une France libĂ©rĂ©e, et ceserait ridicule. La vĂ©ritĂ©, c’est que les S.S. ont fui devant l’avance amĂ©ricaine et que,tentant d’emmener avec eux le plus possible de dĂ©tenus, ils ont lancĂ© laHĂ€ftlingsfĂŒhrung, gummi Ă  la main, Ă  la chasse Ă  l’homme dans le camp.

GrĂące Ă  cela, l’opĂ©ration s’est faite dans un minimum de dĂ©sordre. Et si, par unmiraculeux hasard, l’offensive des AmĂ©ricains avait Ă©tĂ© stoppĂ©e devant le camp, aupoint qu’une contre-offensive allemande vigoureusement menĂ©e ait pu dĂ©cider del’issue de la guerre dans un autre sens, le raisonnement offrait un avantage certainqui transparaĂźt dans ces lignes :

« Les Directions S.S. des camps n’étaient pas capables d’exercer sur des dizainesde milliers de dĂ©tenus un contrĂŽle autrement qu’extĂ©rieur et sporadique. » (Page 275)

Autrement dit, dans une Allemagne victorieuse, chacun des fonctionnairesd’autoritĂ© du camp eĂ»t pu exciper de sa contribution personnelle au maintien del’ordre, de son dĂ©vouement, etc., pour obtenir sa libĂ©ration.

Et le texte qu’on vient de lire eĂ»t pu paraĂźtre sans qu’une virgule y soitchangĂ©e.

« Par un combat incessant, il fallait briser et rendre inopĂ©rante la mĂ©thode de laS.S. qui mĂ©langeait les diverses catĂ©gories de dĂ©tenus, entretenait les oppositionsnaturelles et en provoquait d’artificielles. Les [189] raisons de cela Ă©taient claires chezles rouges. Chez les verts, ce n’était nullement des raisons politiques ; ils voulaientpouvoir donner libre cours Ă  leurs pratiques habituelles : corruption, chantage etrecherche des avantages matĂ©riels. Tout contrĂŽle leur Ă©tait insupportable, en particulier uncontrĂŽle venant de l’intĂ©rieur du camp mĂȘme. » (Page 278)

Il est bien Ă©vident que n’importe quelle mĂ©thode de la S.S. ne pouvait quedevenir inopĂ©rante, Ă  partir du moment oĂč, pratiquĂ©e par d’autres dans le mĂȘme but,elle s’appliquait au mĂȘme objet dans la mĂȘme forme. Mieux : elle Ă©tait inutile. LaS.S. n’avait plus besoin de frapper puisque ceux auxquels elle avait dĂ©lĂ©guĂ© sespouvoirs frappaient mieux ; ni de voler, puisqu’ils volaient mieux et que le bĂ©nĂ©ficeĂ©tait le mĂȘme quand il n’était pas plus substantiel ; ni de faire mourir Ă  petit feu pourfaire respecter l’ordre, puisqu’on s’y employait Ă  sa place et que l’ordre n’en Ă©taitque plus rutilant.

Par ailleurs, je n’ai jamais observĂ© que l’intervention de la bureaucratieconcentrationnaire ait effacĂ© les oppositions naturelles, ni que les diverses catĂ©goriesde dĂ©tenus aient Ă©tĂ© moins mĂ©langĂ©es qu’il en Ă©tait dĂ©cidĂ© par la S.S.

Les mĂ©thodes employĂ©es, on en conviendra, n’étaient pas propres Ă  obtenir cerĂ©sultat. Et le but poursuivi — avouĂ© — n’était pas celui-lĂ  :diviser pour rĂ©gner, ceprincipe qui vaut pour tout pouvoir dĂ©sireux de tenir, valait autant pour laHĂ€ftlingsfĂŒhrung que pour les S.S. Dans la pratique, tandis que les secondsopposaient indistinctement la masse des dĂ©tenus Ă  ceux qu’ils avaient choisis pourles gouverner, la premiĂšre jouait de la nuance politique, de la nature du dĂ©lit et de lasĂ©lection d’un noyau d’une certaine qualitĂ©.

Ce qui est amusant — à distance ! — dans cette thùse, c’est la distinctionqu’elle fait entre les rouges et les verts au pouvoir, accusant ces derniers de

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corruption, de chantage et de recherche des avantages matĂ©riels : que faisaient doncles rouges qui ne fĂ»t pas tout cela ? Et, pour le dĂ©tenu ordinaire, quelle Ă©tait ladiffĂ©rence, s’il lui Ă©tait impossible de la mesurer Ă  un rĂ©sultat ?

Dans un monde byzantinisĂ© par des dĂ©cades d’un enseignement petit-bourgeois, la juxtaposition des propositions abstraites prend plus d’importance quel’impitoyable enchaĂźnement des faits. Une morale qui, pour Ă©tablir un contraste entrele dĂ©lit de droit commun et le dĂ©lit politique, a besoin de supposer une diffĂ©renced’essence entre les coupables, ne prĂ©pare pas Ă  retenir une identitĂ© des mobiles ducompor[190]tement chez les uns et chez les autres, en quelque circonstance que cesoit. Elle pousse Ă  nĂ©gliger trop l’influence du milieu et, dans un milieu qui metquotidiennement la vie en danger, les rĂ©actions des individus les plus dĂ©sintĂ©ressĂ©s etles plus irrĂ©prochables, si on les y transplante.

C’est ce qui s’est produit dans les camps de concentration : les nĂ©cessitĂ©s de lalutte pour la vie, les appĂ©tits plus ou moins avouables, ont pris le pas sur tous lesprincipes moraux. À la base, il y avait le dĂ©sir de vivre ou de survivre. Chez lesmoins scrupuleux, il s’est accompagnĂ© du besoin de voler de la nourriture, puis des’associer pour mieux voler. Les plus habiles Ă  s’associer pour se mieux nourrir —les politiques puisqu’en l’occurrence l’opĂ©ration requĂ©rait plus d’adresse que deforce — ont Ă©tĂ© les plus forts pour conquĂ©rir le pouvoir, parce que les mieux nourris.Et ils ont Ă©tĂ© les plus forts aussi pour le conserver parce qu’intellectuellement lesplus habiles. Mais, aucun principe moral, au sens oĂč nous l’entendons dans le mondenon concentrationnaire, n’est intervenu dans cet enchaĂźnement de faits, autrementque par son absence.

AprĂšs cela, on peut Ă©crire :

« Dans chaque camp, les dĂ©tenus politiques s’efforcĂšrent de prendre en mainsl’appareil administratif interne ou, le cas Ă©chĂ©ant, luttĂšrent pour le conserver. Ceci afin dese dĂ©fendre par tous les moyens contre la S.S., non seulement pour mener le dur combatpour la vie, mais aussi pour aider, dans la mesure du possible, Ă  la dĂ©sagrĂ©gation et Ă l’écrasement du systĂšme. Dans plus d’un camp, les chefs des dĂ©tenus politiques ontaccompli, pendant des annĂ©es, un travail dans ce genre, avec une admirable persĂ©vĂ©ranceet un mĂ©pris complet de la mort. » (Page 275)

Mais ce n’est qu’un quitus dont la forme, pour laudative qu’elle soit, ne rĂ©ussitpas Ă  masquer qu’il assimile tous les dĂ©tenus politiques — mĂȘmes ceux qui n’ontjamais cherchĂ© Ă  exercer aucune autoritĂ© sur leurs compagnons d’infortune — aumoins scrupuleux d’entre eux. Ni l’aveu : Se dĂ©fendre par tous les moyens.

Par tous les moyens, voici ce que cela pouvait signifier :

« Quand la S.S. demandait aux politiques qu’ils fissent une sĂ©lection des dĂ©tenus« inaptes Ă  vivre »1 [191] pour les tuer, et qu’un refus eĂ»t pu signifier la fin du pouvoirdes rouges et le retour des verts, alors, il fallait ĂȘtre prĂȘt Ă  se charger de cette faute. Onn’avait que le choix entre une participation active Ă  cette sĂ©lection ou un retrait probabledes responsabilitĂ©s dans le camp, ce qui, aprĂšs toutes les expĂ©riences dĂ©jĂ  faites, pouvaitavoir des consĂ©quences encore pires. Plus la conscience Ă©tait accessible, plus cettedĂ©cision Ă©tait dure Ă  prendre. Comme il fallait la prendre et sans tarder, il valait mieux la

1 Entre guillemets dans le texte.

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confier à des tempéraments robustes, afin que nous ne fussions pas tous transformés enmartyrs. » (Page 327)

J’ai dĂ©jĂ  observĂ© qu’il ne s’agissait pas de sĂ©lectionner les inaptes Ă  vivre, maisles inaptes au travail. La nuance est sensible. Si on veut la nĂ©gliger Ă  tout prix, jeprofesse qu’il valait mieux « risquer un retrait probable1 des responsabilitĂ©s dans lecamp », que de charger sa conscience de cette « participation active », toujours zĂ©lĂ©edans la pratique. Les verts seraient revenus au pouvoir ? Et aprĂšs ? D’abord, ilsn’étaient pas de taille Ă  le conserver. Ensuite, dans ce cas prĂ©cis, ils n’auraient pasfait plus de zĂšle, au regard de la masse. Ils n’auraient pas dĂ©signĂ© un plus grandnombre d’inaptes et ils n’auraient pas tenu moins compte de la qualitĂ© car, dans cessĂ©lections, les rouges ne se souciaient pas plus que les verts de la couleur politique, sila HĂ€ftlingsfĂŒhrung n’y Ă©tait pas intĂ©ressĂ©e par quelqu’un des siens.

DĂšs lors, et si c’était pour se charger de la mĂȘme faute, aux yeux de la morale,pourquoi prendre le pouvoir aux verts ou vouloir le conserver contre eux ? Il estpossible que, les verts Ă©tant au pouvoir, les inaptes ainsi sĂ©lectionnĂ©s, Ă  quelquesunitĂ©s prĂšs, n’eussent pas Ă©tĂ© les mĂȘmes. Mais rien n’était changĂ© quant au nombre,lequel Ă©tait dĂ©terminĂ© par la statistique gĂ©nĂ©rale du travail et d’aprĂšs la possibilitĂ©matĂ©rielle, pour le camp, de supporter un nombre plus ou moins grand de non-travailleurs. Eugen Kogon lui-mĂȘme n’eĂ»t peut-ĂȘtre pas eu la latitude de devenir oude rester le secrĂ©taire familier du S.S. MĂ©decin-capitaine Docteur Ding-Schuller, et,rejetĂ© dans la masse, Ă  force d’y ĂȘtre frappĂ© et d’y avoir faim, peut-ĂȘtre fĂ»t-il lui aussitombĂ© au nombre de ces inaptes. Vraisemblablement, il en eĂ»t Ă©tĂ© de mĂȘme desquinze autres qui ont donnĂ© l’absolution Ă  son tĂ©moi[192]gnage. Alors, seraitsurvenue la plus impensable des catastrophes : il n’aurait pu se produire que :

« Nous ne fussions pas tous transformés en martyrs, mais puissions continuer àvivre comme témoins. » (Déjà cité.)

Comme si, au regard de l’Histoire, il importait que Kogon et son Ă©quipefussent tĂ©moins plutĂŽt que d’autres — que Michelin de Clermont-Ferrand, queFrançois de Tessan, que le Docteur Seguin, que CrĂ©mieux, que Desnos, etc. car, cenous et ce tous ne s’appliquent, bien entendu, qu’aux privilĂ©giĂ©s de laHĂ€ftlingsfĂŒhrung et non Ă  tous les politiques qui constituaient, en dĂ©pit qu’on en ait,la plus grande partie de la masse. Pas un instant il n’est venu Ă  l’idĂ©e de l’auteurqu’en se contentant de moins manger et de moins frapper, la bureaucratieconcentrationnaire eĂ»t pu sauver la presque totalitĂ© des dĂ©tenus, qu’il n’y aurait,aujourd’hui, que des avantages Ă  ce qu’ils fussent, eux aussi tĂ©moins.

Qu’un homme aussi averti et qui affiche par ailleurs une certaine culture, ait puen arriver Ă  d’aussi misĂ©rables conclusions, il faut en voir la cause dans le fait qu’il avoulu juger les individus et les Ă©vĂ©nements du monde concentrationnaire avec desunitĂ©s de mesure qui lui sont extĂ©rieures. Nous commettons la mĂȘme erreur lorsquenous voulons apprĂ©cier tout ce qui se passe en Russie ou en Chine, avec des rĂšgles demorale qui sont propres au monde occidental, et les Russes comme les Chinois nous

1 Probable, seulement — je souligne.

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le rendent. Ici et lĂ , il s’est crĂ©Ă© un Ordre et sa pratique a donnĂ© naissance Ă  un typed’homme dont les conceptions de la vie sociale et du comportement individuel sontdiffĂ©rentes, voire opposĂ©es.

De mĂȘme dans les camps de concentration : dix annĂ©es de pratique ont suffipour crĂ©er un Ordre en fonction duquel tout doit ĂȘtre jugĂ©, et principalement entenant compte que cet Ordre avait donnĂ© naissance Ă  un nouveau type d’hommeintermĂ©diaire entre le dĂ©tenu de droit commun et le dĂ©tenu politique. LacaractĂ©ristique de ce nouveau type d’homme rĂ©sulte du fait que le premier a dĂ©voyĂ©le second et l’a rendu Ă  peu prĂšs semblable Ă  lui-mĂȘme, sans trop laisser entamer saconscience, au niveau de laquelle le camp Ă©tait adaptĂ© par ceux qui l’avaient conçu.C’est le camp qui a imprimĂ© un sens aux rĂ©actions de tous les dĂ©tenus, verts ourouges, et non l’inverse.

En regard de cette constatation et dans la mesure oĂč on voudra bien admettrequ’elle n’est pas une construction de l’esprit, les rĂšgles de la morale en cours dans lemonde [193] non-concentrationnaire peuvent intervenir pour pardonner, en aucun caspour justifier.

Le comportement de la S.S.

Je rapproche deux affirmations :

« Des dĂ©tenus qui maltraitaient leurs camarades, ou mĂȘme les frappaient jusqu’àla mort, n’étaient Ă©videmment jamais punis par la S.S. et devaient ĂȘtre abattus par lajustice des dĂ©tenus. » (Page 98)

« Un matin, on trouva un dĂ©tenu pendu dans un Block. On ouvrit une enquĂȘte etl’on s’aperçut que le « pendu » Ă©tait mort aprĂšs avoir Ă©tĂ© horriblement frappĂ© et piĂ©tinĂ©, etque l’homme de chambrĂ©e, dirigĂ© par le doyen de Block Osterloh1 l’avait ensuite pendupour simuler un suicide. La victime avait protestĂ© contre un dĂ©tournement de pain parl’homme de chambrĂ©e. La direction du camp S.S. parvint2 Ă  Ă©touffer l’affaire et ellereplaça le meurtrier Ă  son poste, de sorte que rien ne changea. » (Page 50)

Il est exact que la direction du camp S.S. n’intervenait gĂ©nĂ©ralement pas dansles discussions qui opposaient les dĂ©tenus les uns aux autres, et qu’il Ă©tait vaind’attendre d’elle une quelconque dĂ©cision de justice. Il n’en pouvait ĂȘtre autrement :

« Elle ignorait ce qui se passait réellement derriÚre les barbelés. » (Page 275)

La HĂ€ftlingsfĂŒhrung, en effet, multipliait les efforts pour qu’elle l’ignorĂąt.S’érigeant en vĂ©ritable « justice des dĂ©tenus », profitant de ce qu’aucun appel nepouvait ĂȘtre interjetĂ© contre ses dĂ©cisions pour prendre les plus invraisemblables, ellen’avait jamais recours aux S.S. que pour renforcer son autoritĂ© si elle la sentaitfaiblir. Pour le reste, elle n’aimait pas les voir intervenir, redoutant Ă  la fois qu’ilsfussent moins sĂ©vĂšres, ce qui eĂ»t mis son autoritĂ© en discussion dans la masse, etleurs apprĂ©ciations quant Ă  son aptitude Ă  gouverner, ce qui eĂ»t posĂ© le problĂšme deson renvoi dans le rang et de son remplacement. Pratiquement, tout cela se rĂ©solvait

1 Un vert, et c’est pourquoi l’incident est relatĂ© comme ayant « une valeur d’exemple ».2 SoulignĂ© par nous.

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dans un compromis, la HĂ€ftlingsfĂŒhrung « Ă©vitant les histoires » en les empĂȘchant detraverser l’écran qu’elle constituait, la S.S. ne cherchant pas Ă  savoir sous rĂ©serve quel’ordre rĂ©gnĂąt et qu’il fĂ»t inattaquable.

Dans le cas prĂ©cis, qui est rapportĂ©, si le chef de Block Osterloh avait Ă©tĂ© unrouge, rien ne serait arrivĂ© aux oreilles de la S.S. autrement que dans la version dusuicide de la victime, ce qui ne souffrait pas de difficultĂ©s. Mais il Ă©tait un vert et ilreprĂ©sentait une des derniĂšres parcelles du pouvoir que sa catĂ©gorie dĂ©tenait dans lecamp : les rouges l’ont dĂ©noncĂ© dans l’espoir de l’éliminer. La S.S. n’a pas tranchĂ©dans le sens de leur dĂ©sir. Ainsi le voulait l’Ordre : un chef de Block, mĂȘmecoupable, ne pouvait ĂȘtre ni suspectĂ©, ni puni que par l’autoritĂ© supĂ©rieure, en aucuncas sur plainte ou sur rĂ©action de la masse. Qu’il fĂ»t vert ou rouge, il en eĂ»t Ă©tĂ© ainsi.

On peut renverser les termes de la proposition, transformer l’accusĂ© en victimeet la victime en meurtrier : dans ce cas la HĂ€ftlingsfĂŒhrung elle-mĂȘme eĂ»t fait ceraisonnement. Sans se soucier de la couleur d’Osterloh, elle se fĂ»t considĂ©rĂ©e commeatteinte ou menacĂ©e dans ses prĂ©rogatives et elle eĂ»t signalĂ© Ă  la S.S. en demandantun chĂątiment exemplaire — Ă  moins, ce qui est plus probable, qu’elle n’eĂ»t d’abordappliquĂ© le chĂątiment et, seulement ensuite, demandĂ© Ă  la S.S. d’entĂ©riner. Dans lapremiĂšre Ă©ventualitĂ©, la S.S. transmettait Ă  l’échelon supĂ©rieur et attendait ladĂ©cision : je passe sur les coups venant de partout qui accompagnaient le meurtrierau Bunker1. Dans la seconde, elle homologuait l’attitude de la HĂ€ftlingsfĂŒhrung,prĂ©cisĂ©ment pour Ă©viter des demandes d’explications, de justification, etc. et desennuis de toutes sortes de la part de cet Ă©chelon supĂ©rieur. Dans les deux, rien qui nefĂ»t compatible avec l’Ordre, mĂȘme revu et corrigĂ© sur place, dans le sens de lafacilitĂ©.

Dans l’affaire Osterloh Ă  laquelle les rouges avaient imprudemment donnĂ© lecaractĂšre d’un dĂ©bat de conscience dans lequel l’honnĂȘtetĂ© battait l’Ordre en brĂšche,Berlin eut Ă  intervenir et suscita tant de difficultĂ©s que, de l’aveu, du tĂ©moin, ladirection S.S. de Buchenwald ne put que parvenir Ă  Ă©touffer l’affaire. Aussi, d’unemaniĂšre gĂ©nĂ©rale, les direc[195]tions S.S. n’aimaient pas lui en rĂ©fĂ©rer. Elles enredoutaient des lenteurs, des curiositĂ©s, voire des scrupules qui pouvaient prendre desallures de tracasseries, Ă  la clĂ© desquelles il y avait l’envoi dans une autre formation,ce qui, en temps de guerre, Ă©tait gros de consĂ©quences. Tenant Berlin dans uneignorance presque totale, ne l’informant que de ce qu’elles ne pouvaient lui cacher2,elles rĂ©glaient sur place au maximum.

1 La prison intérieure du camp. Si on en croit Kogon. « Ce ne fut pas la S.S., mais le premier

Doyen du camp Richter qui l’inventa » (p. 174), alors que la S.S. n’y pensait mĂȘme pas.2 Au lecteur qui trouverait ce point de vue un peu aventurĂ©, je me permets me rappeler mon

renvoi de la page 163. En France, le MinistĂšre de la Justice et celui de l’Éducation nationale ignorent Ă peu prĂšs tout de ce qui se passe dans les prisons et maisons dites de redressement : les rĂšgles pratiquesde la discipline y sont gĂ©nĂ©ralement en flagrant dĂ©lit constant de violation des instructions officielleset personne n’en connaĂźt qu’à l’occasion de scandales pĂ©riodiques. Dans tous les pays du monde, il enest ainsi : il y a un « univers » des dĂ©linquants qui vit en marge de l’autre, en position de relĂ©gation etdans lequel le chaouch est roi. Aux confins de cet « univers » se situent les peuples coloniaux Ă  proposdesquels les ministĂšres des colonies et de la guerre dont ils dĂ©pendent, ignorent tout aussi totalementle comportement de leurs adjudants qu’ils abreuvent cependant de circulaires humanitaires.

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Si on en doute, voici un autre texte :

« Des visites de S.S. avaient frĂ©quemment lieu dans les camps. À cette occasion,la direction S.S. appliquait une Ă©tonnante mĂ©thode : d’une part, elle dissimulait tous les Ă -cĂŽtĂ©s ; de l’autre, elle organisait de vĂ©ritables exhibitions. Tous les dispositifs quipouvaient faire deviner que l’on torturait les dĂ©tenus Ă©taient passĂ©s sous silence par lesguides, et on les cachait. C’est ainsi que le fameux chevalet qui se trouvait sur la placed’Appel Ă©tait dissimulĂ© dans une baraque d’habitation jusqu’au dĂ©part des visiteurs. Unefois, semble-t-il, on oublia de prendre ces mesures de prudence : un visiteur ayantdemandĂ© quel Ă©tait cet instrument, l’un des chefs de camp rĂ©pondit que c’était un modĂšlede menuiserie servant Ă  fabriquer des formes spĂ©ciales. Les potences et les pieux auxquelson pendait les dĂ©tenus Ă©taient Ă©galement rangĂ©s chaque fois. Les visiteurs Ă©taient conduitsdans des « exploitations modĂšles » ; infirmerie, cinĂ©ma, cuisine, bibliothĂšque, magasins,blanchisserie et section d’agriculture. S’ils entraient vraiment dans un block d’habitation,c’était le block oĂč habitaient « en dĂ©tachement », coiffeurs et domestiques des S.S. etquelques dĂ©tenus privilĂ©giĂ©s, blocks qui, pour cette raison, n’étaient jamais surpeuplĂ©s etĂ©taient toujours propres. Dans le potager, ainsi que dans l’atelier de sculpture, lesvisiteurs S.S. recevaient des cadeaux comme souvenirs. » (Page 258) [196]

Ceci pour Buchenwald. Si on veut savoir quels Ă©taient ces visiteurs, voici :

« Il y avait des visites collectives et des visites particuliĂšres. Ces derniĂšres Ă©taientparticuliĂšrement frĂ©quentes en pĂ©riode de vacances, quand les officiers S.S. montraient lecamp Ă  leurs amis ou parents. Ceux-ci Ă©taient Ă©galement, pour la plupart, des S.S. ou deschefs de la S.A., parfois aussi des officiers de la Wehrmacht ou de la police. Les visitescollectives Ă©taient de diffĂ©rentes sortes. On voyait frĂ©quemment venir des promotions depoliciers ou de gendarmes d’un centre de formation voisin, ou des promotions d’aspirantsS.S. AprĂšs le dĂ©but de la guerre, les visites d’officiers de l’armĂ©e n’étaient pas rares, enparticulier d’officiers-aviateurs. De temps Ă  autre, on voyait Ă©galement des civils. On vitarriver une fois Ă  Buchenwald des dĂ©lĂ©gations de jeunesses des pays fascistes quis’étaient rendues Ă  Weimar pour quelque « congrĂšs culturel ». Des groupes de jeunesseshitlĂ©riennes venaient aussi dans le camp. Des visiteurs de marque, tels que le gauteiterSauckel, le prĂ©fet de police Hennicke de Weimar, le prince de Waldeck Pyrmont, lecomte Ciano, ministre des Affaires Ă©trangĂšres d’Italie, des commandants decirconscription militaire, le Docteur Conti, et autres visiteurs de cette qualitĂ©, restaient leplus souvent jusqu’à l’appel du soir. » (Page 257)

Ainsi donc, on cachait soigneusement les traces ou les preuves de sĂ©vices, nonseulement au commun des visiteurs Ă©trangers ou autres, mais encore aux plus hautespersonnalitĂ©s de la S.S. et du IIIe Reich. J’imagine que si ces personnalitĂ©s s’étaientprĂ©sentĂ©es Ă  Dachau et Ă  Birkenau on leur eĂ»t fourni, sur les chambres Ă  gaz, desexplications aussi pertinentes que sur le « chevalet » de Buchenwald. Et je pose laquestion : Comment peut-on affirmer aprĂšs cela que toutes les horreurs dont lescamps ont Ă©tĂ© le thĂ©Ăątre faisaient partie d’un plan concertĂ© « en haut lieu » ?

Dans la mesure oĂč, en dĂ©pit de tout ce qu’on lui cachait, Berlin dĂ©celaitquelque chose d’insolite dans l’administration des camps, des rappels Ă  l’ordreĂ©taient adressĂ©s aux directions S.S.

L’un d’entre eux, Ă©manant du chef de Section D, stipulait en date du 4 avril1942 :

« Le chef ReichsfĂŒhrer S.S. et chef de la police alle[197]mande, a ordonnĂ© quelors de ses ordres de bastonnade (aussi bien chez les hommes que chez les femmes endĂ©tention prĂ©ventive) il convient, au cas oĂč le mot « aggravĂ© » serait ajoutĂ©, d’appliquer

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la peine sur le postĂ©rieur mis Ă  nu. Dans tous les autres cas, on en restera Ă  la mĂ©thode enusage jusqu’à prĂ©sent, conformĂ©ment aux instructions antĂ©rieures du ReichfĂŒhrer S.S. »

Eugen Kogon, qui cite cette circulaire, ajoute :

« En principe, avant d’appliquer la bastonnade, la direction du camp devaitdemander l’approbation de Berlin et le mĂ©decin du camp devait certifier au S.S. W.V.H.que le dĂ©tenu Ă©tait en bonne santĂ©. Mais cela fut l’usage pendant longtemps dans tous lescamps, jusqu’à la fin dans un grand nombre d’entre eux, de commencer par envoyer ledĂ©tenu « au chevalet » et de lui distribuer autant de coups qu’on jugeait bon. Puis, aprĂšsavoir reçu l’approbation de Berlin, on recommençait, mais cette fois officiellement. »(Page 99)

Il va sans dire que la bastonnade Ă©tait presque toujours appliquĂ©e sur lepostĂ©rieur mis Ă  nu et que c’est pour lutter contre cet abus et non pour aggraver lapeine, que la circulaire en question fut envoyĂ©e dans tous les camps.

On peut certes s’étonner et trouver barbare que la bastonnade ait fait partie deschĂątiments prĂ©vus. Mais ceci est une autre histoire : dans un pays commel’Allemagne oĂč, jusqu’à la fin de la guerre 1914-1918, elle Ă©tait prĂ©vue pour tout lemonde, au titre de chĂątiment le plus bĂ©nin, sous le nom de « Schlague », il n’est pastellement surprenant qu’elle ait Ă©tĂ© maintenue par le National-Socialisme pour lesdĂ©linquants majeurs, surtout si on tient compte que la RĂ©publique de Weimar ne s’enest pas autrement Ă©mue. Il l’est plus, que dans un pays comme la France, oĂč desmonceaux de circulaires ont confirmĂ© sa suppression depuis un siĂšcle, des millionsde nĂšgres continuent Ă  y ĂȘtre exposĂ©s et la subissent effectivement, « le postĂ©rieurmis Ă  nu », puisqu’ils ont, par surcroĂźt, la malchance de vivre dans des rĂ©gions de laTerre oĂč ils n’auraient besoin de s’habiller que pour cette raison.

Une autre circulaire datĂ©e du 28 dĂ©cembre 1942, Ă©manant de l’office centralS.S. de gestion Ă©conomique (enregistrĂ©e dans le livre des plis secrets sous le n°66/42. RĂ©fĂ©rences D/III/14h/82.42.Lg/Wy et portant la signature du gĂ©nĂ©ral Kludre,de la S.S. et de la Waffen S.S.), dit : [198]

« 
Les mĂ©decins des camps doivent surveiller davantage qu’ils ne l’ont faitjusqu’à prĂ©sent, la nourriture des dĂ©tenus et, en accord avec les administrations, ilsdoivent soumettre au commandant du camp leurs propositions d’amĂ©lioration. Celles-cine doivent toutefois pas rester sur le papier, mais ĂȘtre rĂ©guliĂšrement contrĂŽlĂ©es par lesmĂ©decins des camps.


Il faut que le chiffre de mortalitĂ© soit notablement diminuĂ© dans chaque camp,car le nombre des dĂ©tenus doit ĂȘtre ramenĂ© au niveau exigĂ© par le ReichfĂŒhrer S.S. Lespremiers mĂ©decins du camp doivent tout mettre en Ɠuvre pour arriver Ă  cela. Le meilleurmĂ©decin dans un camp de concentration n’est pas celui qui croit utile de se faireremarquer par une duretĂ© dĂ©placĂ©e, mais celui qui maintient au plus haut degrĂ© possible lacapacitĂ© de travail sur chaque chantier, en surveillant la santĂ© des ouvriers et en procĂ©dantĂ  des mutations. » (Pages 111 et 141, citĂ© en deux fois)

Il est peut-ĂȘtre d’autres documents qui viendraient Ă  l’appui de la thĂšse que jesoutiens : ils dorment encore dans les archives allemandes ou, s’ils sont dĂ©jĂ  mis aujour, ceux qui ont eu la chance de les compulser ne les ont pas rendus publics. LamĂ©thode qu’on emploie pour effectuer ce travail est Ă©tonnante. Exemple : sous letitre Le Pitre ne rit pas, David Rousset a publiĂ© un recueil de documents relatifs auxatrocitĂ©s allemandes dans tous les domaines ; il est muet sur la seconde des deux

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circulaires prĂ©citĂ©es parce qu’elle dĂ©truit en grande partie son argumentation ; et s’ilcite la premiĂšre, il en dĂ©nature complĂštement le sens1. À cet Ă©gard, s’il y a lieu de semĂ©fier des explications et interprĂ©tations d’Eugen Kogon, il faut se fĂ©liciter qu’il aiĂ©tĂ© assez objectif — fĂ»t-ce Ă  son insu — pour soulever le voile.

Le personnel sanitaire

« Dans les premiĂšres annĂ©es, le personnel sanitaire [199] n’avait aucunecompĂ©tence. Mais il acquit peu Ă  peu une grande expĂ©rience pratique. Le premier Kapode l’infirmerie de Buchenwald Ă©tait, de son mĂ©tier, imprimeur ; son successeur WalterKramer Ă©tait une forte et courageuse personnalitĂ©, trĂšs travailleur et ayant le sens del’organisation. Avec le temps il devint un remarquable spĂ©cialiste pour les blessures etpour les opĂ©rations. Par sa position le Kapo de l’infirmerie exerçait dans tous les campsune influence considĂ©rable sur les conditions gĂ©nĂ©rales d’existence. AUSSI LESDÉTENUS2 NE POUSSÈRENT-ILS JAMAIS UN SPÉCIALISTE À CETTE PLACE,BIEN QUE CELA EUT ÉTÉ POSSIBLE EN DE NOMBREUX CAMPS, MAIS UNEPERSONNE QUI FUT ENTIÈREMENT DEVOUÉE À LA COUCHE RÉGNANTEdans le camp. Lorsque, par exemple, en novembre 1941, le Kapo Kramer et son plusproche collaborateur Peix furent fusillĂ©s par la S.S., la direction de l’infirmerie ne passapas Ă  un mĂ©decin, mais elle fut confiĂ©e, au contraire Ă  l’ancien dĂ©putĂ© communiste auReichstag, Ernst Busse qui avec son adjoint Otto Kipp, de Dresde, s’attacha au cĂŽtĂ©purement administratif3 de ce service dont l’activitĂ© ne cessait de croĂźtre, et participagrandement Ă  la stabilisation grandissante des conditions d’existence. Un spĂ©cialiste,placĂ© Ă  la tĂȘte de ce service, aurait sans aucun doute menĂ© le camp Ă  une catastrophe car iln’aurait jamais pu ĂȘtre capable de dominer toutes les intrigues compliquĂ©es et allant fortloin, dont l’issue Ă©tait bien souvent mortelle. » (Page 135)

On frĂ©mit Ă  la pensĂ©e que semblable raisonnement ait pu ĂȘtre produit sanssourciller, par son auteur, et rĂ©pandu dans le public sans soulever d’irrĂ©sistiblesmouvements de protestations indignĂ©es. Pour en bien saisir toute l’horreur, il importede savoir qu’à son tour le Kapo choisissait ses collaborateurs en fonctiond’impĂ©ratifs qui n’avaient, eux non plus, rien de commun avec la compĂ©tence. Et derĂ©aliser que ces soi-disant « chefs des dĂ©tenus », exposant des milliers de malheureuxĂ  la maladie, en les frappant et en leur volant leur nourriture, les faisaient soigner, enfin de circuit, sans que la S.S. les y obligeĂąt, par des gens qui Ă©taient absolumentincompĂ©tents. [200]

Le drame commençait à la porte de l’infirmerie :

« Quand le malade y Ă©tait enfin arrivĂ©, il lui fallait d’abord faire la queue dehorspar n’importe quel temps et avec des chaussures nettoyĂ©es. Comme il n’était pas possibled’examiner tous les malades, et comme il se trouvait d’ailleurs parmi eux toujours des

1 David Rousset a Ă©galement fait Ă©tat d’une ordonnance du IIIe Reich sur la protection des

grenouilles, et il en a rapprochĂ© le texte de l’impensable rĂ©gime imposĂ© aux concentrationnaires. Est-ilbesoin de remarquer que la France rĂ©publicaine possĂšde, elle, des recueils entiers de textes lĂ©gifĂ©rantsur la protection des grenouilles, des poissons, etc. tous les ans rĂ©percutĂ©s Ă  tous les Ă©chos par toutesles PrĂ©fectures ? Et qu’on en pourrait tirer d’heureux effets de plume, si on les rapprochait de ceux quiconcernent l’enfance malheureuse, ou le sort des peuples coloniaux, voire le rĂ©gime pĂ©nitentiaire ?

2 Cette gĂ©nĂ©ralisation est abusive : il s’agit seulement de ceux qui s’étaient improvisĂ©s leurschefs Ă  la faveur de l’autoritĂ© qu’ils dĂ©tenaient des S.S..

3 Tous les détenus de Buchenwald peuvent témoigner que son point de vue était prédominanten matiÚre sanitaire et médicale.

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dĂ©tenus qui n’avaient que le dĂ©sir comprĂ©hensible en soi de fuir le travail, un robusteportier dĂ©tenu procĂ©dait Ă  la premiĂšre sĂ©lection radicale des malades. » (Page 130)

Le Kapo, choisi parce qu’il Ă©tait communiste, choisissait un portier, non parcequ’il Ă©tait capable de discerner les malades des autres ou, entre les malades, ceux quil’étaient le plus de ceux qui l’étaient le moins, mais parce qu’il Ă©tait robuste etpouvait administrer de solides raclĂ©es. Il va sans dire qu’il l’entretenait en forme pardes soupes supplĂ©mentaires. Les raisons qui prĂ©sidaient au choix des infirmiers, sielles n’étaient pas de mĂȘme nature, Ă©taient d’aussi noble inspiration. S’il y eut desmĂ©decins sur le tard, dans les infirmeries des camps, c’est que les S.S. l’imposĂšrent.Encore fallut-il qu’ils vinssent, eux-mĂȘmes, les sĂ©parer de la masse, Ă  l’arrivĂ©e desconvois. Je passe sur les humiliations, voire les mesures de rĂ©torsion, dont cesmĂ©decins furent victimes, chaque fois qu’ils opposĂšrent les impĂ©ratifs de laconscience professionnelle aux nĂ©cessitĂ©s de la politique et de l’intrigue.

Eugen Kogon voit des avantages au procédé : le Kapo Kramer était devenu« un remarquable spécialiste pour les blessures et pour les opérations » et ajoute-t-il :

« Un bon ami Ă  moi, Willi Jellineck, Ă©tait pĂątissier Ă  Vienne. À Buchenwald, ilĂ©tait croque-mort, c’est-Ă -dire un zĂ©ro dans la hiĂ©rarchie du camp. En sa qualitĂ© de Juif,jeune, de haute taille et d’une force peu ordinaire, il avait peu de chances de survivre autemps de Koch. Et pourtant qu’est-il devenu ? Notre meilleur expert de tuberculose, unremarquable praticien qui a portĂ© secours Ă  maints camarades et, en plus, unbactĂ©riologue du Block 50 » (Page 324)

Je veux bien Je veux bien faire abstraction de l’utilisation et du sort desmĂ©decins de mĂ©tier que la HĂ€fttingsfĂŒhrung jugea, individuellement etcollectivement, moins intĂ©ressants que MM. Kramer et Jellineck. Je veux bien, demĂȘme faire abstraction aussi du nombre de morts qui ont payĂ© la remarquableperformance de ces derniers. Mais, s’il est admis que ces considĂ©rations sontnĂ©gligeables, il n’y a [201] plus de raison de ne pas Ă©tendre cette expĂ©rience aumonde non-concentrationnaire et de ne pas la gĂ©nĂ©raliser. On peut, en touttranquillitĂ©, prendre tout de suite deux dĂ©crets : le premier supprimerait toutes lesFacultĂ©s de mĂ©decine et les remplacerait par des centres d’apprentissage des mĂ©tiersde pĂątissier et de tourneur sur mĂ©taux ; le second enverrait dans les entreprises detravaux publics, tous les mĂ©decins qui encombrent les hĂŽpitaux ou qui tiennentcabinet pour les remplacer par des pĂątissiers ou des tourneurs sur mĂ©tauxcommunistes ou communisants.

Je ne doute pas que ces derniers s’en tireraient honorablement : au lieu de leurfaire grief des morts en tous genres qu’ils provoqueraient, on mettrait Ă  leur crĂ©dit ledoigtĂ© avec lequel ils triompheraient dans toutes les intrigues de la vie politique.C’est une maniĂšre de voir.

DĂ©vouement

« DĂšs le dĂ©but, les dĂ©tenus appartenant au personnel des services dentaires ontcherchĂ© Ă  aider autant que possible leurs camarades. Dans tous les centres dentaires, ilstravaillaient clandestinement en encourant de graves risques et d’une façon qu’on a peine

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à imaginer. On fabriqua des dentiers, des appareils de prothÚse, des bridges, pour desdétenus auxquels les S.S. avaient brisé les dents, ou qui les avaient perdues en raison desconditions générales de vie. » (Page 131)

C’est exact. Mais les « camarades » aidĂ©s Ă©taient toujours les mĂȘmes : unKapo, un chef de Block, un doyen de camp, un secrĂ©taire, etc. Ceux de la masse quiavaient perdu leurs dents pour les raisons indiquĂ©es sont morts sans en avoir rĂ©cupĂ©rĂ©d’artificielles, ou ont dĂ» attendre la libĂ©ration pour ĂȘtre soignĂ©s.

La clandestinitĂ© de ce travail Ă©tait d’ailleurs bien particuliĂšre et comportaitl’accord prĂ©alable de la S.S. :

« Au cours de l’hiver 1939-1940, on parvint Ă  crĂ©er une salle d’opĂ©rationclandestine grĂące Ă  l’étroite collaboration d’une sĂ©rie de Kommandos, et Ă  l’accord tacitedu S.S. docteur Blies. » (Page 132)

On mesurera sa portĂ©e et ses consĂ©quences si on tient compte que lesinstallations dentaires et chirurgicales Ă©taient prĂ©vues Ă  l’intention de tous les dĂ©tenusde tous les camps. [202] Et que grĂące Ă  la complicitĂ© de certains S.S. bien placĂ©s,elles ont pu ĂȘtre dĂ©tournĂ©es de leur but au profit de la seule HĂ€ftlingsfĂŒhrung. Monopinion est que, si ceux qui procĂ©daient Ă  ce dĂ©tournement « encouraient de gravesrisques », il n’y a lĂ  rien que de trĂšs juste vu d’en bas.

Eugen Kogon sent de lui-mĂȘme la fragilitĂ© de ce raisonnement :

« La derniĂšre annĂ©e, l’administration interne de Buchenwald Ă©tait si solidementorganisĂ©e que la S.S. n’avait plus le droit de regard sur certaines questions intĂ©rieures fortimportantes. FatiguĂ©e, la S.S. Ă©tait maintenant habituĂ©e Ă  « laisser aller les choses » et, engros, elle laissait faire les politiques.

Certes, c’était toujours la couche dirigeante, qui s’identifiait plus ou moins1 avecles forces antifascistes actives, qui profitait le plus de cet Ă©tat de choses : la masse desdĂ©tenus ne bĂ©nĂ©ficiait qu’à l’occasion, et indirectement, d’avantages gĂ©nĂ©raux, le plussouvent, en ce sens qu’on n’avait plus Ă  redouter l’intervention de la S.S. lorsque ladirection des dĂ©tenus avait pris, de sa propre autoritĂ©, des mesures dans l’intĂ©rĂȘt de tous. »(Page 284)

On peut Ă©videmment traduire que si, « en gros, la S.S. laissait faire lespolitiques » et « aller les choses », c’est parce qu’elle Ă©tait « fatiguĂ©e » ou« habituĂ©e » : c’est encore une maniĂšre de voir Je n’en reste pas moins persuadĂ© quec’est parce que les politiques lui avaient donnĂ© de nombreuses et sensibles preuvesde leur dĂ©vouement au maintien de l’ordre, de quoi elle avait dĂ©duit qu’elle pouvaitleur faire confiance en un trĂšs grand nombre de cas.

Quant aux « mesures prises dans l’intĂ©rĂȘt de tous », elles Ă©vitaient peut-ĂȘtrel’intervention de la S.S., mais c’est prĂ©cisĂ©ment dans ce singulier « avantage » querĂ©sidaient les causes de toutes les catastrophes qui s’abattaient sur la masse : il vautmieux ĂȘtre traitĂ© par Dieu que par ses saints. En outre, si le pouvoir se consolide dansla mesure oĂč il rĂ©ussit Ă  diviser les oppositions possibles, rĂ©ciproquement, ils’affaiblit des dissensions entre ceux qui le partagent : sous cet angle, une S.S.pratiquant un contrĂŽle constant et mĂ©ticuleux sur tout ce qui se passait dans le camp,eĂ»t substituĂ© la mĂ©fiance Ă  l’esprit de connivence, dans tous les rapports qu’elle

1 Délicieux euphémisme.

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entretenait avec la HĂ€ftlingsfĂŒhrung. De cela, [203] elle ne voulait pas, on le conçoitaisĂ©ment. Mais l’autre n’en voulait pas davantage : elle avait dĂ©libĂ©rĂ©ment franchi leRubicon et, Ă  une situation qui l’eĂ»t assimilĂ©e au commun des concentrationnaires,elle prĂ©fĂ©rait, quelle qu’en fĂ»t la rançon collective, la possibilitĂ© de pratiquer uneflagornerie dont les menus bĂ©nĂ©fices lui sauvaient la vie, en s’ajoutant les uns auxautres.

Cinéma, sports

« Une ou deux fois par semaine, avec parfois d’assez longues interruptions, lecinĂ©ma prĂ©sentait des films divertissants et des documentaires. Étant donnĂ©es lesaffreuses conditions d’existence qui rĂ©gnaient dans les camps, plus d’un camaraden’arrivait pas Ă  se rĂ©soudre Ă  aller au cinĂ©ma. » (Page 128)

« Chose Ă©trange, il y avait dans les camps quelque chose qui ressemblait Ă  dusport. Pourtant les conditions de vie ne s’y prĂȘtaient pas particuliĂšrement. Mais il y avaitcependant des jeunes gens qui croyaient encore avoir des forces Ă  dĂ©penser et ilsrĂ©ussirent Ă  obtenir de la S.S. l’autorisation de jouer au football.

Et les faibles qui pouvaient tout juste marcher, ces hommes décharnés, épuisés, àdemi-morts sur leurs jambes tremblantes, les affamés assistaient avec plaisir à cespectacle !.. » (Pages 124-125)

Ces faibles, ces affamĂ©s, ces demi-morts dont Eugen Kogon se rend comptequ’ils assistaient avec plaisir quoique debout, Ă  une partie de football, sont les mĂȘmesdont il pense qu’étant donnĂ©es les affreuses conditions d’existence, ils n’avaient pasle cƓur d’aller au cinĂ©ma oĂč l’on Ă©tait assis.

La rĂ©alitĂ©, c’est qu’ils n’allaient pas au cinĂ©ma parce que, chaque fois qu’il yavait sĂ©ance, toutes les places Ă©taient retenues par les gens de la HĂ€ftlingsfĂŒhrung.Pour le football, c’était diffĂ©rent : le terrain Ă©tait en plein air, exposĂ© Ă  la vue de toutle monde, et le camp Ă©tait grand. Tout le monde pouvait y assister. Encore fallait-ilque quelque Kapo ne s’avisĂąt pas de faire irruption dans la foule des assistants et,matraque Ă  la main, de refouler tous ces malheureux vers les Blocks, sous prĂ©textequ’ils feraient mieux de profiter de leur aprĂšs-midi du dimanche pour se reposer !

Quant aux jeunes gens qui croyaient avoir des forces Ă  dĂ©penser et quiconstituaient les Ă©quipes de football, il [204] s’agissait des gens de laHĂ€ftlingsfĂŒhrung ou de leurs protĂ©gĂ©s : ils s’empiffraient de la nourriture volĂ©e Ă ceux qui les regardaient, ils ne travaillaient pas et ils Ă©taient en pleine forme.

La maison de tolérance

« Le bordel Ă©tait connu sous la pudique appellation de Sonderbau1. Pour les gensqui n’avaient pas de hautes relations, le temps de visite Ă©tait fixĂ© Ă  20 minutes De la partde la S.S., le but de cette entreprise Ă©tait de corrompre les politiques La direction illĂ©galedu camp avait donnĂ© la consigne de ne pas s’y rendre. Dans l’ensemble, les politiques ontsuivi la consigne, si bien que l’intention de la S.S. fut dĂ©jouĂ©e. » (Pages 170-171)

1 Maison spéciale.

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Comme le cinĂ©ma, le bordel n’était accessible qu’aux gens de laHĂ€ftlingsfĂŒhrung, les seuls d’ailleurs qui fussent en Ă©tat de lui trouver quelque utilitĂ©.Personne ne s’en est jamais plaint et toutes les discussions qui pourraient s’instituerautour de cette rĂ©alisation n’ont aucun intĂ©rĂȘt. Je veux cependant remarquer que :

« Des dĂ©tenus sans moralitĂ©, et parmi eux un assez grand nombre de politiques,ont nouĂ© d’affreuses liaisons aprĂšs l’arrivĂ©e des enfants. » (Page 236)

Mon opinion est que les politiques en question eussent mieux fait d’aller aubordel puisqu’on leur en offrait la possibilitĂ©. Le raisonnement qui consiste Ă  leslouer d’avoir dĂ©clinĂ© l’offre sous prĂ©texte de ne pas se laisser corrompre (!..) devientune monstrueuse imposture Ă  partir du moment oĂč il comporte la corruption desenfants. J’ajoute que c’est justement pour enlever toute excuse et toute justification Ă cette corruption des enfants que la S.S. avait prĂ©vu le bordel dans tous les camps.

Mouchardage

« Les directions S.S. plaçaient des espions dans les [205] camps pour ĂȘtreinformĂ©es des Ă©vĂ©nements internes La S.S. n’obtenait de rĂ©sultats qu’avec des espionschoisis dans le camp mĂȘme : droits communs, asociaux et parfois aussi politiques » (Page276)

« Il Ă©tait trĂšs rare que la Gestapo choisĂźt dans les camps, des dĂ©tenus pour en fairedes espions et des mouchards. La Gestapo a probablement fait de si mauvaisesexpĂ©riences avec des tentatives de ce genre, qu’elle n’a heureusement employĂ© ce moyenque dans des cas trĂšs rares. » (Page 255)

Il paraĂźt assez surprenant qu’un procĂ©dĂ© qui donnait des rĂ©sultats quand il Ă©taitemployĂ© par la S.S., pĂ»t Ă©chouer au service de la Gestapo. En fait, il est pourtantexact que la Gestapo n’y eut qu’exceptionnellement recours : elle n’en avait pasbesoin. Tout concentrationnaire qui dĂ©tenait une parcelle de pouvoir ou un emploipar faveur, Ă©tait plus ou moins un mouchard qui renseignait la S.S. directement oupar personne interposĂ©e : quand la Gestapo voulait un renseignement, il lui suffisaitde le demander Ă  la S.S..

ExaminĂ©s Ă  la loupe, les camps Ă©taient pris dans les mailles d’un vaste rĂ©seaude mouchards. Dans la masse, il y avait les petits, les margoulins du mĂ©tier quirenseignaient les gens de la HĂ€ftlingsfĂŒhrung par servilitĂ© congĂ©nitale, pour unesoupe, un morceau de pain, un bĂąton de margarine, etc., ou mĂȘme inconsciemment.Pour grands qu’ils aient Ă©tĂ©, leurs mĂ©faits ne sont pas encore entrĂ©s dans l’Histoire,faute d’historiens. Au-dessus d’eux, il y avait toute la HĂ€ftlingsfĂŒhrung quimouchardait la masse Ă  la S.S. quand besoin Ă©tait. Enfin la HĂ€ftlingsfĂŒhrung Ă©taitcomposĂ©e de gens qui se mouchardaient entre eux.

Dans ces conditions, la délation prenait souvent de singuliers aspects :

« Wolf (ancien officier S.S. homosexuel, doyen de camp en 1942) se mit Ă dĂ©noncer pour le compte de ses amis polonais (il Ă©tait l’amant d’un Polonais) d’autrescamarades. Dans un cas mĂȘme, il fut assez insensĂ© pour profĂ©rer des menaces. Il savaitqu’un communiste allemand de Magdebourg devait ĂȘtre libĂ©rĂ©. Lorsqu’il lui dit qu’ilsaurait bien empĂȘcher sa libĂ©ration, en le signalant pour activitĂ© politique dans le camp,

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on lui rĂ©pondit que la S.S. apprendrait ses pratiques pĂ©dĂ©rastiques. La querelles’envenima au point que la direction illĂ©gale du camp devança l’action des fascistespolonais en les livrant Ă  la S.S. » (Page 280) [206]

Autrement dit, la dĂ©nonciation qui Ă©tait une ignominie quand elle Ă©taitpratiquĂ©e par les verts, devenait une vertu, mĂȘme Ă  titre prĂ©ventif, quand elle Ă©taitpratiquĂ©e par les rouges. Heureux rouges qui peuvent s’en tirer en collant l’étiquette« Fasciste » sur le front de leurs victimes !

Voici mieux :

« À Buchenwald, en 1941, le cas le plus fameux et le plus sinistre dedĂ©nonciations volontaires1 a Ă©tĂ© celui de l’émigrĂ© russe blanc Grogorij Kushnir-Kushnarev, qui prĂ©tendait ĂȘtre un ancien gĂ©nĂ©ral tzariste, et qui, pendant des mois, gagnala confiance de nombreux milieux, puis se mit Ă  livrer au couteau des S.S. toutes sortes decamarades, en particulier des prisonniers russes. Cet agent de la Gestapo, responsable dela mort de centaines de dĂ©tenus, osait aussi dĂ©noncer, de la maniĂšre la plus infĂąme2 tousceux avec lesquels il Ă©tait entrĂ© en conflit, mĂȘme pour des raisons secondaires Pendantlongtemps il ne fut pas possible de le surprendre seul pour l’abattre, car la S.S. veillaittout particuliĂšrement sur lui. Finalement, elle fit de lui le directeur, en fait, du secrĂ©tariatdes dĂ©tenus. Une fois Ă  ce poste, il ne se contenta pas de provoquer la chute de tous ceuxqui ne lui plaisaient pas, mais il entrava l’utilisation en faveur des dĂ©tenus des services del’organisation autonome des dĂ©tenus. Enfin, dans les premiers jours de 1942, il se sentitmalade et fut assez stupide pour se rendre Ă  l’infirmerie. Il se livra ainsi Ă  ses adversaires.Avec l’autorisation du S.S. Docteur Hoven, qui avait Ă©tĂ© longuement travaillĂ© dans cetteaffaire et Ă©tait aux cĂŽtĂ©s des politiques, on dĂ©clara aussitĂŽt que Kushnir Ă©tait contagieux,on l’isola, et quelques heures plus tard, on le tua par une injection de poison. » (Page 276)

Le dĂ©nommĂ© Grogorij Kushnir-Kushnarev Ă©tait probablement coupable de toutce dont on l’accuse, mais tous ceux qui ont gravi les Ă©chelons de la hiĂ©rarchieconcentrationnaire et occupĂ© le mĂȘme poste, avant ou aprĂšs lui, se sont comportĂ©s demĂȘme façon et ont la conscience chargĂ©e des mĂȘmes crimes. Celui-ci n’avait pasl’approbation d’Eugen Kogon Quoi qu’il en soit, il est difficile d’admettre que [207]la S.S. ait pris gratuitement une part aussi active Ă  son Ă©limination, en la personne duS.S. Docteur Hoven.

Eugen Kogon ajoute :

« Je me souviens encore du soupir de soulagement qui passa Ă  travers le camp,lorsque avec la rapiditĂ© de l’éclair, la nouvelle se rĂ©pandit que Kushnir Ă©tait mort Ă l’infirmerie. »

Le clan dont faisait partie le tĂ©moin poussa sans doute un soupir desoulagement, et cela se conçoit puisque cette mort signifiait son avĂšnement aupouvoir. Mais le soupir fut seulement de satisfaction dans le reste du camp oĂč la mortpar voie d’exĂ©cution de n’importe quel membre influent de la HĂ€ftlingsfĂŒhrung Ă©taittoujours accueillie avec quelque espoir de voir s’amĂ©liorer enfin le sort commun. Aubout de quelque temps, on s’apercevait que rien n’était changĂ© et, jusqu’à l’exĂ©cution

1 Car cette philosophie admet sans doute une dénonciation
 involontaire ! Comme on le voit,

les portes de sortie ne manquent pas !2 Car il y a encore des maniÚres de dénoncer qui le sont moins, ou qui ne le sont pas,

Ă©videmment !


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suivante, il Ă©tait indiffĂ©rent Ă  tout le monde d’ĂȘtre sacrifiĂ© sur l’autel de la vĂ©ritĂ© ousur celui du mensonge, confondus dans l’horreur.

Transports

« On sait que, dans les camps, le bureau de la statistique du travail, composĂ© dedĂ©tenus, rĂ©gissait l’utilisation de la main-d’Ɠuvre sous le contrĂŽle et les instructions duchef de la main-d’Ɠuvre et du service du travail. Avec les annĂ©es, la S.S. fut dĂ©bordĂ©e parles Ă©normes demandes. À Buchenwald, le capitaine S.S. Schwartz n’essaya qu’une fois deformer lui-mĂȘme un transport de mille dĂ©tenus. AprĂšs avoir fait sĂ©journer presque tout lecamp une demi-journĂ©e sur la pace d’Appel pour passer les hommes en revue, il parvint Ă rassembler 600 hommes. Mais les gens examinĂ©s qui avaient dĂ» sortir du rang filĂšrentdans d’autres directions, et nul ne resta aux mains de Schwartz. » (Page 286)

À mon sens, il n’y avait aucun inconvĂ©nient Ă  ce que l’expĂ©rience Schwartz serĂ©pĂ©tĂąt chaque fois qu’il Ă©tait question d’organiser un transport vers quelque lieu detravail : si les S.S. n’avaient jamais pu y arriver, il n’en eĂ»t que mieux valu. Mais :

« À partir de ce moment, le chef de la main-d’Ɠuvre abandonna aux dĂ©tenus de lastatistique du travail toutes les questions de la rĂ©partition du travail. » (Ibid.)

Et aprĂšs avoir Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ© sur la place d’Appel, il ne fut plus possible de« filer dans toutes les directions » comme avec Schwartz : gummi Ă  la main, tous lesKapos, tous les chefs de Blocks, tous les Lagerschutz1, etc., dressaient un barragemenaçant contre toute tentative de fuite. AuprĂšs d’eux, le S.S. Schwartz paraissaitdĂ©bonnaire. Ils Ă©taient communistes, anti-fascistes, anti-hitlĂ©riens, etc., mais ils nepouvaient tolĂ©rer que quelqu’un troublĂąt l’ordre hitlĂ©rien des opĂ©rations ou tentĂątd’amoindrir l’effort de guerre du IIIe Reich en cherchant Ă  lui Ă©chapper. Enrevanche, ils avaient le droit de dĂ©signer les dĂ©tenus qui feraient partie des transportset ils en dressaient les listes avec un zĂšle qui Ă©tait au-dessus de tout Ă©loge : voirprĂ©cĂ©demment.

Tableau

« Une possibilitĂ© rĂ©sultant du « pouvoir obtenu par la corruption » Ă©taitl’enrichissement d’un homme ou de plusieurs aux dĂ©pens des autres. Cela prit parfois desproportions honteuses dans les camps, mĂȘme dans ceux oĂč les politiques Ă©taient aupouvoir. Plus d’un qui profitait de sa position a menĂ© une vie de prince, tandis que sescamarades mouraient par centaines. Quand les caisses de vivres destinĂ©es au camp, avecde la graisse, des saucissons, des conserves, de la farine et du sucre, Ă©taient passĂ©es enfraude hors du camp par des S.S. complices, pour ĂȘtre envoyĂ©es aux familles des dĂ©tenusen question, on ne peut certes pas dire que cela Ă©tait justifiĂ©. Mais le plus exaspĂ©rant,c’était, Ă  une Ă©poque oĂč les S.S. territoriaux ne portaient dĂ©jĂ  plus les hautes bottes, maisde simples souliers de l’armĂ©e, lorsque des membres de la mince couche de « caĂŻds » sepromenaient fiĂšrement avec des vĂȘtements Ă  la mode et taillĂ©s sur mesure, comme desgandins, et certains mĂȘme, tirant un petit chien au bout de sa laisse ! Cela dans un chaosde misĂšre, de saletĂ©, de maladie, de famine et de mort ! Dans ce cas « l’instinct deconservation » dĂ©passait toute limite raisonnable et aboutissait Ă  un [209] pharisaĂŻsme

1 Policiers détenus.

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certes ridicule, mais dur comme pierre, et qui s’accommodait bien maI avec les idĂ©auxsociaux et politiques proclamĂ©s en mĂȘme temps par ces personnes. » (Page 287)

Il en Ă©tait ainsi dans tous les camps. À I’indulgence et Ă  certaines rĂ©ticencesprĂšs, on ne saurait exposer mieux, ni en moins de mots, toutes les raisons del’horreur : l’instinct de conservation. Et tous ses moyens : la corruption.

Si on peut arrĂȘter lĂ  le commentaire de ce tableau, on en peut aussi prendretexte pour prĂ©ciser que l’instinct de conservation, thĂšme fort ancien, est bien autrechose et tout autre chose que ce qu’une morale puĂ©rile enseigne. Du faroucheGuitton qui, dans la Rochelle assiĂ©gĂ©e par Richelieu, se faisait des saignĂ©es pournourrir son fils de son sang cuit, Ă  Saturne qui dĂ©vorait ses enfants Ă  leur naissance,pour Ă©chapper Ă  la mort dont le Titan le menaçait, il est susceptible des rĂ©actionshumaines les plus variĂ©es. Dans une sociĂ©tĂ© qui assure d’entrĂ©e, la vie Ă  tous lesindividus, on peut croire qu’il y a plus de Guitton que de Saturne : le comportementindividuel ne permet en rien, sinon par l’exception d’affirmer le contraire. Mais cecomportement n’est qu’un vernis qu’un rien Ă©rafle et il suffit de le gratter un peu :que les conditions sociales changent brutalement et la nature humaine apparaĂźt avectout le prix qu’elle attache a la vie.

Par la voix de tous les enfants de France, le bon sens populaire clame Ă  tous lesĂ©chos qu’Il Ă©tait un petit navire et se console dans la mesure oĂč il croit diminuerI’horreur de la situation en affirmant que, pour savoir qui sera mangĂ©, On tira-t-Ă  lacourte paille, plutĂŽt que de laisser la dĂ©cision Ă  une conjuration, ou de la prendre« dĂ©mocratiquement » en assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. Mais il n’en fut pas moins indignĂ©lorsqu’il apprit qu’à l’expĂ©rience le petit navire Ă©tait devenu l’avion, Ă©chouĂ© dans lesglaces polaires du GĂ©nĂ©ral italien Nobile et que celui-ci avait pu ĂȘtre accusĂ© den’avoir survĂ©cu jusqu’à l’arrivĂ©e de l’expĂ©dition de secours qui repĂ©ra l’épave, queparce qu’il avait mangĂ© un ou plusieurs de ses camarades. S’il ne rĂ©agit pasviolemment contre les rĂ©cits des camps de concentration, c’est parce qu’il n’enressort pas clairement que la bureaucratie concentrationnaire utilisant tous lesmoyens de la corruption, gardant pour elle toutes les courtes pailles et faisantprocĂ©der au tirage par les S.S., a mangĂ© la masse des dĂ©tenus.

Avant cette guerre, j’ai moi-mĂȘme connu beaucoup de gens [210] qui« aimaient mieux mourir debout que vivre Ă  genoux ». Sans doute Ă©taient-ils sincĂšresmais, dans les camps, ils ont vĂ©cu Ă  plat-ventre et certains d’entre eux ont commis lespires forfaits. Rendus Ă  la vie civile et Ă  la vie tout court, inconscients de la dĂ©faitequ’ils ont subie, dans l’exemple qu’ils ont eux-mĂȘmes donnĂ©, ils sont toujours aussiintransigeants sur le prĂ©cepte, ils tiennent toujours les mĂȘmes discours et ils sontprĂȘts Ă  recommencer avec le bolchevik ce qu’ils ont fait avec le nazi.

En rĂ©alitĂ©, on sent trĂšs bien qu’en dehors de l’instinct de conservation qui ajouĂ© Ă  tous les Ă©chelons, aussi bien chez le simple dĂ©tenu devant le bureaucrate, quechez le bureaucrate devant le S.S., de mĂȘme que chez le S.S. devant ses supĂ©rieurs, iln’est pas d’explication valable aux Ă©vĂ©nements du monde concentrationnaire. On lesent trĂšs bien, mais on ne veut pas l’admettre. Alors, on a recours Ă  la psychanalyse :les mĂ©decins de MoliĂšre, dĂ©jĂ , parlaient Ă  leurs malades un latin qu’ils ne

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connaissaient pas mieux que leur mĂ©tier, et dĂ©jĂ  ils avaient l’assentiment rĂ©signĂ© del’opinion.

Appréciations

« Les Ă©vĂ©nements dans les camps de concentration sont pleins de singularitĂ©spsychologiques, aussi bien du cĂŽtĂ© S.S. que des dĂ©tenus. En gĂ©nĂ©ral, les rĂ©actions desprisonniers paraissent plus comprĂ©hensibles que celles de leurs oppresseurs. En effet, lespremiĂšres restaient dans le domaine de l’humain, tandis que les autres Ă©taient marquĂ©espar l’inhumain. » (Page 305)

À mon sens, il serait plus juste de dire que les rĂ©actions des uns et des autresĂ©taient toutes du domaine de l’humain, au sens biologique du mot, et qu’en ce quiconcerne plus particuliĂšrement la HĂ€ftlingsfĂŒhrung et la S.S., elles Ă©taient toutesmarquĂ©es par l’inhumain, au sens moral.

Plus loin, Eugen Kogon précise :

« Ceux qui se sont le moins transformĂ©s dans les camps sont les asociaux et lescriminels professionnels. La raison doit en ĂȘtre recherchĂ©e dans le parallĂ©lisme entre leurstructure psychique et sociale, et celle de la S.S. » (Page 320)

Peut-ĂȘtre. Mais il faut aussi convenir que le milieu [211] concentrationnaire,s’il n’était pas de nature Ă  faire naĂźtre la mentalitĂ© d’un politique chez un asocial ouun criminel professionnel, fournissait par contre de multiples raisons Ă  un politiquede se transformer en coquin. Ce phĂ©nomĂšne n’est pas particulier au camp deconcentration : il est d’observation constante dans toutes les maisons de redressementet dans toutes les prisons oĂč l’on pervertit, sous prĂ©texte de rĂ©gĂ©nĂ©rer.

La thĂ©orie des refoulements du Pr Freud explique trĂšs bien tout cela et il seraitpuĂ©ril d’insister. Celle de la valeur de l’exemple n’y contredit pas : dans tous cesĂ©tablissements, la mentalitĂ© d’ensemble rĂ©sultant d’une pratique systĂ©matique de lacontrainte, a tendance Ă  se modeler sur le niveau le plus bas, gĂ©nĂ©ralement reprĂ©sentĂ©par le gardien, trait d’union entre tous les dĂ©tenus. Il n’y a pas de quoi s’étonner : lemilieu social dans lequel nous vivons et qui rejette le concept concentrationnaireavec tant de vertueuse indignation tout en le pratiquant Ă  des degrĂ©s divers, a bienpermis au politique devenu voyou de faire — momentanĂ©ment je l’espĂšre — figurede hĂ©ros !

C’est sans doute parce qu’il a pressenti le reproche dans cet ordre d’idĂ©esqu’Eugen Kogon prenant les devants, a Ă©crit dans son Avant-propos :

« C’était un monde en soi, un État en soi, un ordre sans droit dans lequel on jetaitun ĂȘtre humain qui, Ă  partir de ce moment, en utilisant ses vertus et ses vices - plus devices que de vertus ! — ne combattait plus que pour sauver sa misĂ©rable existence.Luttait-il contre la S.S. ? Certes non ! Il lui fallait lutter autant, sinon plus, contre sescompagnons de captivitĂ©1.

Des dizaines de milliers de survivants que le rĂ©gime de terreur exercĂ© pard’arrogants compagnons de captivitĂ© a peut-ĂȘtre fait souffrir davantage encore que les

1 Généralisation abusive : contre ceux qui exerçaient le pouvoir pour le compte de la S.S. en se

méfiant des autres.

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infamies de la S.S. me sauront grĂ© d’avoir Ă©galement mis en lumiĂšre un autre aspect descamps, de n’avoir pas craint de dĂ©voiler le rĂŽle jouĂ© dans divers camps par certains typespolitiques qui, aujourd’hui, font grand bruit de leur antifascisme intransigeant. Je sais quecertains de mes camarades ont dĂ©sespĂ©rĂ© en voyant que l’injustice et la brutalitĂ© Ă©taientparĂ©es, aprĂšs cela, de l’aurĂ©ole de l’hĂ©roĂŻsme par de braves gens qui ne se doutaient derien. Ces profiteurs des camps ne sortiront [212] pas grandis de mon Ă©tude ; elle offre lesmoyens de faire pĂąlir ces gloires usurpĂ©es. Dans quel camp Ă©tais-tu ? Dans quelKommando ? Quelle fonction exerçais-tu ? À quel parti appartenais-tu ? etc. » (Page 17)

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le tĂ©moin n’a pas tenu sa promesse :on chercherait en vain, dans tout son ouvrage, un type politique prĂ©cis, mis en cause.Par contre, d’un bout Ă  l’autre, il plaide pour le parti communiste, soit indirectement,soit expressĂ©ment :

« Ce mur élastique dressé contre la S.S.. Ce furent les communistes allemands quifournirent les meilleurs moyens de réaliser cette tùche.

Les Ă©lĂ©ments antifascistes, c’est-Ă -dire, en premier lieu, les communistes ». (Page286)

Etc., et pour la bureaucratie concentrationnaire par voie de consĂ©quence,puisque ceux qui se disaient communistes pouvaient seuls prĂ©tendre Ă  y entrer et Ă  ydemeurer. Dans une certaine mesure il plaide aussi pour lui et je doute fort qu’aprĂšsavoir refermĂ© le livre, le lecteur le moins averti n’ait pas une irrĂ©sistible envie de luiappliquer la mĂ©thode qu’il conseille : quelles fonctions exerçais-tu ?

La conclusion de tout cela ? Voici :

« 
Les rĂ©cits des camps de concentration Ă©veillent gĂ©nĂ©ralement, tout au plus,l’étonnement ou un hochement de tĂȘte ; c’est Ă  peine s’ils deviennent une chose touchantla comprĂ©hension et, en aucun cas, ils ne bouleversent le cƓur. » (Page 347)

Évidemment, mais Ă  qui la faute ? Dans l’ivresse de la libĂ©ration, exhalant unressentiment accumulĂ© pendant les longues annĂ©es de l’occupation, l’opinion a toutadmis. Les rapports sociaux se normalisant progressivement et l’atmosphĂšres’assainissant, il est devenu de plus en plus difficile de la subjuguer. Aujourd’hui, lesrĂ©cits des camps de concentration lui paraissent tous, beaucoup plus des justificationsque des tĂ©moignages. Elle se demande comment elle a pu se prendre au piĂšge et,pour un peu, elle ferait passer tout le monde au banc des accusĂ©s.

Nota bene

J’ai passĂ© sous silence un certain nombre d’histoires [213] invraisemblables ettous les artifices de style.

Au nombre des premiĂšres, il faut faire figurer la plus grande partie de ce quiconcerne l’écoute des radios Ă©trangĂšres : je n’ai jamais cru qu’il fĂ»t possible demonter et d’utiliser un poste clandestin Ă  l’intĂ©rieur d’un camp de concentration. Si lavoix de l’AmĂ©rique, de l’Angleterre ou de la France libre y pĂ©nĂ©trĂšrent parfois, ce futavec l’assentiment de la S.S., et seuls un trĂšs petit nombre de dĂ©tenus privilĂ©giĂ©s enpurent profiter dans des circonstances qui relĂšvent exclusivement du hasard. Ainsi,cela m’est personnellement arrivĂ© Ă  Dora pendant la courte pĂ©riode durant laquelle

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j’ai occupĂ© les nobles fonctions de Schwung (ordonnance) auprĂšs del’OberscharfĂŒhrer (adjudant, je crois) commandant le Hundesstaffel (compagnie ousection des chiens).

Mon travail consistait Ă  entretenir en Ă©tat de propretĂ© tout un Block de S.S. plusou moins gradĂ©s, Ă  cirer leurs bottes, Ă  faire leurs lits, Ă  nettoyer leurs gamelles, etc.,toutes choses que je faisais le plus humblement et le plus consciencieusement dumonde. Dans chacune des piĂšces de ce Block, il y avait un poste de T.S.F. : pour toutl’or du monde, jamais je ne me serais permis de tourner le bouton, mĂȘme quandj’avais la certitude absolue d’ĂȘtre parfaitement seul. Par contre, vers huit heures dumatin, quand tous ses subordonnĂ©s Ă©taient partis pour le travail, il est arrivĂ© deux outrois fois Ă  mon OberscharfĂŒhrer de m’appeler dans sa chambre, de brancher le postesur la B.B.C. en français et de me demander de lui traduire ce que j’entendais ensourdine.

Le soir, de retour au camp, je le communiquais Ă  voix basse Ă  mes amisDelarbre (de Belfort) et Bourguet (du Creusot) en leur recommandant bien, ou de legarder pour eux, ou de ne le transmettre qu’à des camarades trĂšs sĂ»rs, et encore, dansune forme assez Ă©tudiĂ©e pour ne pas attirer l’attention et pour ne pas permettre deremonter aux sources.

Il ne nous est rien arrivĂ©1. Mais, dans le mĂȘme temps, il y eut dans le camp uneaffaire d’écoute de radios Ă©trangĂšres Ă  laquelle, je crois, fut mĂȘlĂ© DebeaumarchĂ©. Jen’ai jamais su de quoi il s’agissait exactement : un des membres de ce groupem’avait abordĂ© un jour en me racontant qu’il y avait un poste clandestin dans lecamp, qu’un mouvement politique y recevait des ordres des Anglais, etc., et il avaitcorroborĂ© ses dires en me donnant des nouvelles que j’avais [214] entendues le matinmĂȘme ou la veille chez mon OberscharfĂŒhrer. J’avais avouĂ© mon scepticisme en destermes tels qu’il ne me considĂ©ra plus que comme quelqu’un dont il fallait se mĂ©fier.Bien m’en prit : quelques jours aprĂšs, il y eut des arrestations massives dans le camp,dont l’intĂ©ressĂ© et DebeaumarchĂ© lui-mĂȘme. Tout cela se termina par quelquespendaisons. Vraisemblablement, il s’agissait, Ă  l’origine, d’un dĂ©tenu dans mon casqui avait trop parlĂ© et dont les propos s’étaient imprudemment rĂ©percutĂ©s jusqu’auSicherheitsdienst (service de la police secrĂšte des S.S.) en passant par un mouchardde la HĂ€fttingsfĂŒhrung.

Quand Eugen Kogon Ă©crit :

« J’ai passĂ© bien des nuits avec quelques rares initiĂ©s devant un poste Ă  5 lampesque j’avais pris au S.S. Docteur Ding-Schuller « pour le faire rĂ©parer dans le camp ».J’écoutais la voix de l’AmĂ©rique en Europe ainsi que le Soldatsender2 et je stĂ©nographiaisles nouvelles d’importance. » (Page 283)

1 Nous n’avions pas constituĂ© un « comitĂ© » et, ni l’un ni l’autre nous ne disions Ă  tout venant

que nous étions en relations avec les Alliés.2 Poste américain de langue allemande.

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Je le crois volontiers. Encore que je sois plus enclin Ă  penser qu’il a surtoutĂ©coutĂ© les Ă©missions en question en compagnie du Docteur Ding-Schuller1. Mais,tout le reste n’est qu’une façon de corser le tableau, d’une part pour faire croire Ă  uncomportement rĂ©volutionnaire de ceux qui dĂ©tenaient le pouvoir, de l’autre pourmieux excuser leurs monstrueuses exactions.

Quant aux artifices de style, j’ai nĂ©gligĂ© aussi des affirmations comme :

« Que l’on se rappelle les prestations de serment des aspirants S.S., Ă  minuit, dansla cathĂ©drale de Brunschwig. LĂ , devant les ossements de Henri 1er, l’unique empereurallemand qu’il apprĂ©ciĂąt, Himmler aimait Ă  dĂ©velopper la mystique de la « CommunautĂ©des conjurĂ©s ». Puis il se rendait ensuite, sous le gai soleil, [215] dans quelque camp deconcentration, pour voir fouetter2 en sĂ©rie les prisonniers politiques. » (Page 24)

ou comme :

« Mme Koch, qui avait été auparavant sténotypiste dans une fabrique decigarettes, prenait parfois des bains dans une baignoire emplie de madÚre. » (Page 266)

qui fourmillent Ă  propos de tous les grands personnages du rĂ©gime nazi et quiproduisent d’heureux effets de sadisme. Elles me paraissent relever du mĂȘme Ă©tatd’esprit qui poussa Le Rire Ă  publier en septembre 1914, une photographie del’enfant aux mains coupĂ©es, Le Matin, du 15 avril 1916, Ă  prĂ©senter comme unparanoĂŻaque cancĂ©reux, ayant tout au plus quelques mois de vie devant lui,l’empereur Guillaume Il qui finit ses jours quelque vingt annĂ©es plus tard dans uneretraite dorĂ©e du cĂŽtĂ© de Hammerongen, et Henri Desgranges dans L’Auto, enseptembre 1939, Ă  « faire la nique » Ă  un Goering manquant de savon noir pour selaver. La banalitĂ© du procĂ©dĂ© n’a d’égales que la crĂ©dulitĂ© populaire etl’imperturbabilitĂ© avec laquelle ceux qui l’emploient se rĂ©pĂštent Ă  propos de tous lesennemis, dans toutes les guerres. [216]

1 Dans sa thÚse Croix Gammée contre Caducée, le Dr François Bayle rapporte ce curieux

tĂ©moignage de Kogon Ă  Nuremberg : Ding Schuller, MĂ©decin chef de camp Ă  Buchenwald lui auraitdemandĂ© de s’occuper de sa femme et de ses enfants, en cas de dĂ©faite de l’Allemagne (!..). Si cettedemande comportait une contrepartie semblable — ce que Kogon ne dirait pas de toutes maniĂšres ! —la situation privilĂ©giĂ©e de ce singulier dĂ©tenu s’expliquerait par un contrat de collaboration dontl’inspiration et les buts seraient beaucoup moins nobles qu’il n’a jusqu’ici, Ă©tĂ© convenu de l’admettre.SpĂ©culer sur cette hypothĂšse serait aventureux ; bornons-nous donc Ă  enregistrer que la collaborationKogon — S.S. fĂ»t, de son aveu mĂȘme, effective, amicale et souvent intime. Le prix que l’a payĂ©e lamasse des dĂ©tenus est Ă©videmment une autre histoire. Car il y avait aussi une collaboration Kogon –P.C.

2 Si on cachait le chevalet de Buchenwald au PrĂ©fet de police de Weimar, il n’est guĂšreprobable qu’on le montrait Ă  son ministre !

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CONCLUSION

D’autres aprĂšs moi se pencheront sur la littĂ©rature concentrationnaire : cela nefait aucun doute. Peut-ĂȘtre s’engageront-ils dans la mĂȘme voie et, poussantl’investigation, se borneront-ils Ă  Ă©toffer l’argumentation. Peut-ĂȘtre adopteront-ilsune autre classification et une autre mĂ©thode. Peut-ĂȘtre accorderont-ils plusd’importance au cĂŽtĂ© purement littĂ©raire. Peut-ĂȘtre mĂȘme quelque nouveau Norton,s’inspirant de ce que fit l’autre Ă  propos de la littĂ©rature de guerre, au lendemain de1914-1918, prĂ©sentera-t-il un jour une « somme » critique Ă  tous Ă©gards et sous tousles aspects, de tout ce qui a Ă©tĂ© Ă©crit sur les camps de concentration, Peut-ĂȘtre

Mon ambition n’ayant Ă©tĂ© que d’ouvrir la voie Ă  un examen critique, moneffort ne pouvait que se limiter Ă  certaines observations essentielles, et il se devait deporter, en tout premier lieu, sur le point de dĂ©part du dĂ©bat, c’est-Ă -dire sur lamatĂ©rialitĂ© des faits. S’il ne fait Ă©tat que de quelques cas types, que j’ai la faiblessede croire judicieusement choisis, il n’embrasse pas moins toute la vieconcentrationnaire Ă  travers ses points sensibles, et il n’en permet pas moins, nonplus, au lecteur de se faire une opinion sur tout ce qu’il a pu lire ou lira sur le sujet. Àce titre, son but est atteint.

Par ricochets, il en peut atteindre d’autres.Un livre vient de paraĂźtre qui ne s’insĂšre pas directement dans l’actualitĂ© et

auquel la critique n’a en consĂ©quence pas cru devoir s’attarder outre mesure : GhettoĂ  l’Est. Son auteur, Marc Dvorjetski, survivant d’un certain nombre de massacres,traĂźne derriĂšre lui un passĂ© qu’il sent d’autant plus lourd que sa conscience luidemande sans cesse : « Allons, parle : comment es-tu restĂ© vivant quand desmil[217]lions d’ĂȘtres sont morts ? » La conscience des tĂ©moins des camps deconcentration ne semble pas avoir de ces exigences et ne leur pose pas de questionsaussi indiscrĂštes. Mais on n’échappe pas facilement Ă  une question qui est dans lanature des choses, et si la conscience individuelle ne la fait pas monter d’elle-mĂȘmesur les lĂšvres des intĂ©ressĂ©s sous la forme d’un reproche, il y a le public qui est lĂ ,qui n’a que de rares moments de bienveillance et qui la pose dans celle d’uneinterrogation directe : « Allons, parle : comment peux-tu ĂȘtre encore vivant ?.. » Onm’excusera si j’ai l’impression d’avoir apportĂ© la rĂ©ponse.

Tout s’enchaĂźne : une question en appelle une autre, et quand le publiccommence Ă  en poser un comment, toujours amĂšne un pourquoi quand il ne le suitpas et, en l’occurrence, celui-ci se prĂ©sente tout naturellement : pourquoi certainsdĂ©portĂ©s ont-ils donnĂ© un tour si discutable Ă  leurs dĂ©positions ? Ici, la rĂ©ponse estplus dĂ©licate : pour faire le dĂ©part entre ceux qui ont Ă©tĂ© dominĂ©s, voire Ă©crasĂ©s, par

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l’expĂ©rience qu’ils ont vĂ©cue, et ceux qui ont obĂ©i Ă  des mobiles politiques oupersonnels, il faudrait psychanalyser — puisqu’on a prononcĂ© le mot — tout lemonde, et encore, ne devrait-on confier ce travail qu’à des spĂ©cialistes Ă©prouvĂ©s.

On peut affirmer cependant que les communistes y avaient un indiscutableintĂ©rĂȘt de parti : dĂšs lors, qu’un cataclysme social fond sur l’humanitĂ©, si lescommunistes sont ceux qui rĂ©agissent le plus noblement, le plus intelligemment et leplus efficacement, le bĂ©nĂ©fice de l’exemple se reporte sur l’organisation et ladoctrine qu’elle affiche. Ils y avaient aussi un intĂ©rĂȘt politique, Ă  l’échelle mondiale :en rivant l’opinion sur les camps hitlĂ©riens, ils lui faisaient oublier les camps russes.Ils y avaient enfin un intĂ©rĂȘt personnel : en prenant d’assaut la barre des tĂ©moins eten criant trĂšs fort, ils Ă©vitaient le banc des accusĂ©s.

LĂ  comme partout, ils ont donnĂ© l’exemple d’une solidaritĂ© indissociable et lemonde civilisĂ© a pu fonder toute une politique Ă  l’égard de l’Allemagne sur desconclusions qu’il tirait de renseignements fournis par de vulgaires gardes-chiourmes.Il ne demandait d’ailleurs pas mieux, Ă  l’époque le monde civilisĂ© : en mĂȘme temps,il pouvait prĂ©senter ses propres chiourmes comme des modĂšles d’humanitĂ©

Pour les non-communistes, c’est diffĂ©rent, et je ne voudrais pas me prononcer Ă la lĂ©gĂšre. Aux cĂŽtĂ©s de ceux qui n’ont pas rĂ©alisĂ© leur aventure, il y a ceux qui ontrĂ©ellement cru a la moralitĂ© des communistes, ceux qui ont rĂȘvĂ© une entente possibleavec la Russie des Soviets pour l’établisse[218]ment d’une paix mondiale, fraternelleet juste dans la libertĂ©, ceux qui ont payĂ© une dette de reconnaissance, ceux qui ontsuivi le vent de la saison et dit certaines choses parce que c’était la mode, etc., etc. Ily a ceux aussi qui ont pensĂ© que le communisme submergeait l’Europe et qui, l’ayantvu Ă  l’Ɠuvre dans les camps de concentration, ont jugĂ© prudent de prendre quelquesassurances sur l’avenir.

L’Histoire, une fois de plus, s’est moquĂ©e des petites impostures Ă  l’échelle del’imagination humaine. Elle a suivi son cours, et maintenant, il faut s’y adapter. Lesrevirements ne sont pas faciles et ce ne sera pas le moindre travail.

Il reste Ă  fixer l’importance des faits dans leur matĂ©rialitĂ© et Ă  juger del’opportunitĂ© de cet ouvrage. Dans un article1 qui fit sensation2, Jean-Paul Sartre etMerleau-Ponty ont pu Ă©crire :

« Ă  lire les tĂ©moignages d’anciens dĂ©tenus, on ne trouve pas dans les campssoviĂ©tiques le sadisme, la religion de la mort, le nihilisme qui — paradoxalement joints Ă des intĂ©rĂȘts prĂ©cis et tantĂŽt d’accord, tantĂŽt en lutte avec eux — ont fini par produire lescamps d’extermination nazis. »

Si on accepte la version officialisĂ©e par une unanimitĂ© complice dans lestĂ©moignages sur les camps allemands, il faut convenir que Sartre et Merleau ontraison contre David Rousset. On voit alors oĂč cela peut conduire, aussi bien dansl’apprĂ©ciation du rĂ©gime russe que dans l’examen du problĂšme concentrationnaire ensoi. Ceci ne veut pas dire que, si on ne l’accepte pas, on donne par-lĂ  mĂȘme raison Ă 

1 Les Jours de notre Vie — « Les Temps modernes » — (janvier 1950).2 Au cafĂ© de Flore (Note d’Albert Paraz).

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David Rousset : le propre des faits discutables dans leur contenu est, prĂ©cisĂ©ment,qu’ils ne sont pas susceptibles d’interprĂ©tations valables.

La meilleure conclusion que je pouvais donner Ă  cet ouvrage c’est l’aperçud’ensemble que m’avait suggĂ©rĂ© Ă  l’époque la confrontation des points de vue deDavid Rousset et de Jean-Paul Sartre et Merleau-Ponty, avec ma propre expĂ©rience1

et que voici :On peut opposer Ă  David Rousset les arguments concrets de la raison pratique.

Ils sont trĂšs accessibles car ils se [219] rĂ©solvent dans l’affirmation que son Appeln’a de valeur particuliĂšre, ni par son origine, ni par son contenu, ni par les voies qu’ilemprunte, ni par les gens auxquels il s’adresse, ni par le but qu’il poursuit, ni surtoutpar ce qu’on en peut espĂ©rer ou redouter selon l’angle sous lequel on se place. Defait, aucun des secteurs de l’opinion ne s’y est trompĂ© : l’entreprise tourne court, et,deux mois2 aprĂšs sa mise sur pied, ne garde plus de faveur que celle du FigarolittĂ©raire3, c’est-Ă -dire l’audience de 100 000 lecteurs dont j’imagine que quelques-uns sont passablement dĂ©sabusĂ©s.

Si on a recours Ă  la raison pure, et si on soulĂšve l’objection philosophique oudoctrinale, on tombe dans la rhĂ©torique et on devient trĂšs vulnĂ©rable. La rhĂ©torique afacilement tendance au sophisme, Ă  la ratiocination, voire Ă  la divagation. Sescoquetteries pour sĂ©duisantes qu’elles soient, toujours discutables, sont rarementconvaincantes. Et ses abstractions exclusivement spĂ©culatives tombent d’autantmoins sous le sens qu’elles procĂšdent de mĂ©thodes plus rigoureuses.

Aussi, les raisons de sens commun sont-elles d’un autre poids que celles de laScholastique, bien que de moindre valeur dans l’absolu ou l’intrinsùque.

L’irruption tapageuse de David Rousset sur le devant de la scĂšne avec son« Au secours des dĂ©portĂ©s soviĂ©tiques », titrĂ© sur huit colonnes en premiĂšre page duFigaro littĂ©raire, a d’étranges rĂ©sonances. Sa forme est celle de tous les ralliementsguerriers : au secours de la Pologne martyre, au secours des SudĂštes, au secours dupeuple allemand opprimĂ© (1939), au secours de la malheureuse Serbie (1914), etc.On pourrait remonter jusqu’à la premiĂšre croisade que Pierre l’Ermite prĂȘcha dansles mĂȘmes termes en prenant le tombeau du Christ comme thĂšme central. ÉtantdonnĂ© le nombre des concentrationnaires dans le monde, en GrĂšce, en Espagne, enFrance — les États-Unis en sont-ils exempts ? La double forfaiture est Ă©clatante etles esprits avertis ne se sont pas fait faute de le remarquer. Il suffisait de la soulignerpour les autres.

Saisir l’occasion pour poser le problĂšme du travail forcĂ© partout et notammentdans les colonies, c’est Ă©largir le dĂ©bat, ce qui ne peut, Ă©videmment, ĂȘtredommageable, bien au contraire. Discuter de tout le systĂšme russe ou de tout le [220]

1 Sous le titre « Des raisons de la philosophie aux impĂ©ratifs du sens commun », cet aperçud’ensemble avait Ă©tĂ© adressĂ© aux Temps modernes, en rĂ©ponse Ă  l’article de Sartre et Merleau-Ponty,et il n’avait naturellement pas Ă©tĂ© publiĂ©. CommuniquĂ© au Libertaire, il l’a Ă©tĂ© dans le n° du 9 fĂ©vrieret La RĂ©volution prolĂ©tarienne en a donnĂ© de larges extraits.

2 Écrit le 10 janvier 1950.3 Depuis, Le Figaro littĂ©raire Ă  son tour, a mis une sourdine. En dĂ©finitive, le seul bĂ©nĂ©fice de

l’opĂ©ration semble bien ĂȘtre La LĂ©gion d’honneur attribuĂ©e Ă  David Rousset — au titre militaire, s’ilvous plaĂźt !

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systĂšme amĂ©ricain, c’est dĂ©jĂ  le faire dĂ©vier. Aller jusqu’aux diffĂ©rences qui lesopposent, aux rapports qu’ils entretiennent et Ă  l’injustice sociale en gĂ©nĂ©ral, c’est letransposer sur un autre terrain, et rien n’empĂȘche plus, dĂ©sormais, qu’il aille seperdre, comme l’eau dans le sable, dans des dissertations sans fin sur la troisiĂšmeguerre mondiale ou sur les classes de voyageurs en chemin de fer. Par quoi il sembledĂ©montrĂ© que si le sujet ne souffre aucune localisation gĂ©ographique, il en est une aumoins qui s’impose : celle qui en fait exclusivement une affaire de dĂ©portations, decamps de concentration et de travail forcĂ©.

Dans le cadre de ces considĂ©rations qui situent Ă  leurs deux extrĂȘmes, leslimites de la controverse, il n’est peut-ĂȘtre pas indiffĂ©rent de s’arrĂȘter, avant toutechose, aux aspects de la riposte qui consolident la position de David Rousset au lieude l’affaiblir.

Sans aucun doute, la psychose crĂ©Ă©e en France depuis la libĂ©ration, par certainsrĂ©cits discutables en ce qu’ils sont, pour la plupart, des interprĂ©tations bien plus quedes tĂ©moignages, permet-elle d’écrire Ă  peu prĂ©s impunĂ©ment :

« Ă  lire les tĂ©moignages d’anciens dĂ©tenus, on ne trouve pas dans les campssoviĂ©tiques le sadisme, etc., etc1. »

Mais elle n’assure la tranquillitĂ© de la conscience qu’à ceux dont l’attitude estgĂ©nĂ©ralement antĂ©rieure Ă  toute rĂ©flexion et qui n’ont, par surcroĂźt, vĂ©cu ni l’une, nil’autre des deux expĂ©riences. D’une part, il ne peut Ă©chapper qu’en France et dans lemonde occidental, les rescapĂ©s des camps soviĂ©tiques sont beaucoup moinsnombreux que ceux des camps nazis, et que si on ne peut pas dire de leurstĂ©moignages qu’ils sont, a priori, inspirĂ©s d’une meilleure foi ou d’un sentiment plusacceptable de l’objectivitĂ©, il n’est cependant pas niable qu’ils voient le jour en destemps plus sains. De l’autre, tous les concentrationnaires qui ont vĂ©cu dans lapromiscuitĂ© des Russes en Allemagne, ont rapportĂ© la conviction que ces gensavaient une longue pratique de la vie des camps.

Pour ma part, je me suis trouvĂ©, seize mois durant, au milieu de quelquesmilliers d’Ukrainiens, au camp de concentration de Dora : leur comportementaffirmait qu’ils n’avaient, [221] dans leur trĂšs grande majoritĂ©, que changĂ© de campet, dans leurs discours, ils ne cachaient pas que le traitement Ă©tait le mĂȘme dans l’unet l’autre cas. Dirai-je que le livre de Margarete Buber-Neuman, rĂ©cemment publiĂ©,ne s’inscrit pas en faux contre cette observation personnelle ? Pour ce qui est dureste, il faut laisser Ă  l’Histoire le soin de dire comment les camps allemands, conçus,eux aussi, selon « les formules d’un socialisme Ă©dĂ©nique » sont devenus en fait —mais en fait seulement — des camps d’extermination.

La rĂ©alitĂ© sur ce point, c’est que le camp de concentration est un instrumentd’État dans tous les rĂ©gimes oĂč l’exercice de la rĂ©pression garantit celui de l’autoritĂ©.Entre les diffĂ©rents camps, il n’y a, d’un pays Ă  l’autre, que des diffĂ©rences de

1 Sartre et Merleau-Ponty, op. cit. Ă  la note 2.

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nuance qui s’expliquent par les circonstances — mais non d’essence. En Russie, ilsressemblent trait pour trait Ă  ce qu’ils Ă©taient dans l’Allemagne hitlĂ©rienne etvraisemblablement Ă  ce qu’ils sont en GrĂšce, parce que, indĂ©pendamment dessimilitudes possibles ou non de rĂ©gime, dans les trois cas, l’État est aux prises avecdes difficultĂ©s d’égale grandeur : la guerre pour l’Allemagne, l’exploitation dusixiĂšme du globe avec des moyens de fortune pour la Russie, la guerre civile pour laGrĂšce.

Si la France en vient, Ă©conomiquement, au mĂȘme point que l’Allemagne de1939, ou que la Russie et la GrĂšce d’aujourd’hui — ce qui n’est pas exclu —CarrĂšre, La NoĂ©, La Vierge, etc., ressembleront, eux aussi, et trait pour trait, Ă Buchenwald, Karaganda et Makronissos : il n’est d’ailleurs pas prouvĂ© que la nuancesoit plus qu’à peine sensible, aujourd’hui dĂ©jĂ 1.

L’erreur appelle l’erreur et prolifĂšre par l’artifice dans un raisonnement viciĂ© Ă la base par une premiĂšre affirmation gratuite. Du particulier, on passe au gĂ©nĂ©ral etde l’examen de l’effet, Ă  celui de la cause. Ainsi est-il naturel qu’on en vienne Ă Ă©crire, Ă  propos du systĂšme russe :

« Quelle que soit la nature de la prĂ©sente sociĂ©tĂ© soviĂ©tique, l’U.R.S.S. se trouvegrosso modo situĂ©e, dans l’équilibre des forces, du cĂŽtĂ© de celles qui luttent contre lesformes d’exploitation de nous connues. »

ou encore :

« Le fascisme est une angoisse devant le bolchevisme dont il reprend la formeextĂ©rieure pour en dĂ©truire plus sĂ»rement le contenu : la Stimmung internationaliste etprolĂ©tarienne. Si l’on en conclut que le communisme est le fascisme, on comble, aprĂšscoup, le vƓu du fascisme qui a toujours Ă©tĂ© de masquer la crise capitaliste et l’inspirationhumaine du marxisme. »

ou enfin :

« Cela signifie que nous n’avons rien de commun avec un nazi et que nous avonsles mĂȘmes valeurs qu’un communiste. »

La premiĂšre objection est sans valeur. Une importante partie de l’opinion larenversant dans ses termes avant la lettre, pensait dĂ©jĂ  que :

« Quelle que soit la nature de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine, les E.-U. se trouvent grossomodo situĂ©s, [222] dans l’équilibre des forces, du cĂŽtĂ© de celles qui luttent contre lesformes d’exploitation de nous inconnues. »

Et, pour se justifier ajoutait :

« 
en se comportant de telle sorte que les autres soient de moins en moinssensibles. »

1 Surtout si on prend pour unitĂ© de mesure son comportement dans ses colonies oĂč, depuis les

derniers Ă©vĂ©nements d’Indochine et d’Afrique du Nord, personne n’est plus assez tĂ©mĂ©raire pour oseraffirmer que sa police et son armĂ©e s’y conduisent trĂšs diffĂ©remment de la façon dont la police etl’armĂ©e allemande se conduisaient en France, Ă  l’endroit des rĂ©sistants dans les plus terribles annĂ©esde l’occupation. (Note de l’auteur pour la 2e Ă©dition et les suivantes)

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On voit le danger : s’il est admis que les formes d’exploitation « de nousinconnues » sont plus meurtriĂšres et plus nombreuses que celles qui jouissent duprivilĂšge d’ĂȘtre « de nous connues », s’il peut ĂȘtre prouvĂ© que les premiĂšres sont enprogression constante et les secondes en rĂ©gression ou simplement Ă  un niveauconstant, il faut convenir que cette importante fraction de l’opinion est abondammentpourvue dans le domaine de la justification morale. Elle l’est d’autant mieux qu’ellene fait qu’emprunter ses moyens Ă  l’un des signataires de l’objection, M. Merleau-Ponty, lequel Ă©crivait, dans sa thĂšse sur l’Humanisme et la terreur, ceci ou Ă  peu prĂšs,que je cite de mĂ©moire :

« Ce qui peut servir de critĂšre dans l’apprĂ©ciation d’un rĂ©gime sur le plan del’Humanisme, ce n’est pas la terreur, ou sa manifestation, la violence, mais le fait [223]que l’une et l’autre soient en progression et appelĂ©es Ă  durer ou, au contraire, enrĂ©gression et appelĂ©es Ă  disparaĂźtre d’elles-mĂȘmes. »

Pourquoi ce qui est vrai de la terreur et de la violence ne le serait-il pas descamps qui ne sont qu’un de leurs rĂ©sultats, mais qui font, par leur nombre, la preuvede plus ou moins de terreur et de plus ou moins de violence ? Et, dĂšs lors, pourquoice distinguo en faveur de la Russie ? Ceci pour permettre de mesurer combien il eĂ»tĂ©tĂ©, Ă  la fois plus prudent et plus conforme Ă  la tradition socialiste, de prendrel’avantage sur David Rousset en se dĂ©clarant contre toutes les formes d’exploitation,qu’elles soient connues ou inconnues de nous.

La seconde objection, introduite dans la forme du syllogisme parfait, procĂšdede la confusion des termes : « Le fascisme est une angoisse devant le bolchevisme »,dit la majeure, — « Si l’on en dĂ©duit que le fascisme est le communisme » poursuit lamineure. Sous la plume d’un rhĂ©teur de second ordre, l’astuce provoquerait tout auplus un haussement d’épaules. Quand on la trouve sous celles de M. Merleau-Pontyet de J.-P. Sartre, on ne peut pas s’empĂȘcher de penser aux rĂšgles impĂ©ratives de laprobitĂ© et Ă  l’entorse qui leur est faite1.

C’est le bolchevisme que ses contempteurs identifient au fascisme, et non lecommunisme. Encore ne le font-ils que dans ses effets, et prennent-ils la prĂ©cautionde dĂ©finir le fascisme par des caractĂšres qui en font autre chose, et bien plus qu’une« angoisse » devant le bolchevisme.

Ceci veut dire que si on rĂ©tablit les deux propositions sur le plan de la propriĂ©tĂ©des termes, la conclusion s’écarte d’elle-mĂȘme et que, dĂšs lors, il ne reste plus dusyllogisme que la perfection de sa forme. Si l’on veut Ă  toutes forces bĂątir unsyllogisme sur le thĂšme, le seul qui soit valable est celui-ci :

« 1. – Le fascisme et le bolchevisme sont une angoisse devant le communisme (oule socialisme dont ils reprennent les formes extĂ©rieures — Hitler ne parlait-il pas denational Socialisme et Staline ne continue-t-il pas Ă  parler de Socialisme dans un seulpays ? — pour en dĂ©truire plus sĂ»rement le contenu : la Stimmung internationaliste etprolĂ©tarienne.

[224]2. – Si l’on en conclut que le fascisme et le bolchevisme sont le communisme (ou

le socialisme).

1 Pas si on lit L’AgitĂ© du Bocal (Note d’Albert Paraz.)

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3. – On comble aprĂšs coup le vƓu du fascisme et du bolchevisme qui est demasquer la crise capitaliste et l’inspiration humaine du marxisme. »

lequel, si on voulait rĂ©futer l’identification du fascisme et du bolchevisme qu’ilpose apparemment en principe, en appellerait aux choses fort substantielles que,prenant d’autres unitĂ©s de mesures, James Burnham en dit dans L’Ère desOrganisateurs (chez Calmann-LĂ©vy, collection « La LibertĂ© de l’Esprit » p. 189 etsuivantes).

Je ne dirai rien de la troisiĂšme objection qui pĂšche vraisemblablement par lamĂȘme confusion des termes, Ă  moins que ses auteurs ne prĂ©cisent aprĂšs coup quec’est : « nous avons les mĂȘmes valeurs qu’un bolcheviste » qu’ils ont voulu dire. Jene dirai rien non plus de cette affirmation Ă©trangement mĂȘlĂ©e au dĂ©bat et selonlaquelle le communisme chinois serait « seul capable de faire sortir la Chine duchaos et de la misĂšre pittoresque oĂč le capitalisme Ă©tranger l’a laissĂ©e. » Ni de lasouscription ouverte par Le Monde « pour qu’il ne fĂ»t pas dit qu’il Ă©tait insensible Ă la misĂšre », d’un ouvrier communiste, ni de l’électrification en U.R.S.S., ni desconversations fructueuses qu’on peut avoir avec les ouvriers martiniquais, ni Au fait,pourquoi pas des Pyramides d’Egypte ou de la gravitation universelle ?

À insister trop, on finirait par tomber dans la recherche de la meilleurediversion et par cĂ©der Ă  la tentation d’écrire une nouvelle MisĂšre de la PhilosophieadaptĂ©e aux circonstances.

Il reste le drame de l’opinion radicale qui ne trouve la possibilitĂ© des’intĂ©resser au problĂšme concentrationnaire, par le truchement de cette controverse,qu’en participant Ă  la prĂ©paration idĂ©ologique de la troisiĂšme guerre mondiale, si ellesuit l’un, ou de revenir au bolchevisme par le biais d’un alignement de sophismes, sielle suit les autres.

Le Figaro littĂ©raire et David Rousset s’étant mis en position d’infĂ©rioritĂ© entirant les premiers, offraient par surcroĂźt une excellente occasion de la rallier. Mais iln’y avait quelque chance de succĂšs qu’en demeurant sur le terrain qu’ils avaientchoisi, Ă  savoir : le prĂ©texte et les mobiles.

Le prĂ©texte est une niaiserie. D’une part, le Kremlin [225] n’acceptera jamaisqu’aucune commission d’enquĂȘte sur le travail forcĂ© circule librement en territoiresoviĂ©tique. De l’autre, aucune aide sĂ©rieuse ne peut ĂȘtre apportĂ©e auxconcentrationnaires russes tant que subsiste le rĂ©gime stalinien. Or, je ne fonde monespoir de le voir disparaĂźtre que sur trois Ă©ventualitĂ©s : ou bien il s’écroulera de lui-mĂȘme (ceci s’est dĂ©jĂ  vu dans l’Histoire : la GrĂšce antique Ă©tait morte avant qued’ĂȘtre conquise par les Romains), ou bien il sombrera dans une rĂ©volution intĂ©rieure,ou bien, enfin, il sera anĂ©anti dans une guerre. La Russie Ă©tant en plein essorindustriel et semblant limiter avec une grande maĂźtrise ses ambitions Ă  ses moyens,les deux premiĂšres sont irrĂ©mĂ©diablement exclues pour une trĂšs longue pĂ©riode et ilne reste que la troisiĂšme : trĂšs peu pour moi, je sors d’en prendre, et l’expĂ©riencequ’on se vante d’avoir si bien rĂ©ussie contre Hitler, me suffit.

Le fait que David Rousset Ă©tende depuis peu — et notamment depuis un rĂ©centdĂ©jeuner Ă  lui offert par la presse anglo-amĂ©ricaine — la mission d’investigation des

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enquĂȘteurs « Ă  tous les pays oĂč des camps de concentration peuvent se trouver », nechange rien ni au caractĂšre, ni au sens de l’affaire : il y a le titre qui reste sur le lieudu crime : « Au secours des dĂ©portĂ©s soviĂ©tiques ». Par ailleurs, ni la GrĂšce, nil’Espagne — ni mĂȘme la France ! — n’accepteront qu’on vienne « espionner » chezelles sous couvert d’enquĂȘtes sur le travail forcĂ©. Il faudrait que l’initiative parte del’O.N.U. et soit appuyĂ©e par des menaces d’exclusion pour ceux qui ne voudraientpas se soumettre, ce qui n’est pas concevable, car il ne resterait plus personne,hormis peut-ĂȘtre la Suisse qui n’en fait pas partie.

Tout ceci est d’ailleurs bien regrettable, car on ne saura jamais Ă  quelle place etsur quelle surface Le Figaro littĂ©raire aurait rendu compte des travaux de laCommission d’enquĂȘte visant les autres pays que la Russie.

On ne peut discerner clairement les mobiles si on ne sait pas que Le FigarolittĂ©raire est le journal dans lequel Claude Mauriac, rendant compte d’une piĂšce dethĂ©Ăątre, Ă©crivait il y a quelque temps :

« La torture, l’occupation, les dĂ©portations, sont encore trop proches de nous pourque nous puissions en parler sur le ton de l’objectivitĂ©. » (Octobre 1949)

ce qui, traduit en clair, signifie : on en peut dire tout ce qu’on veut, s’ils sontrusses, un peu moins (maintenant !) s’ils [226] sont allemands, et rien du tout s’ilssont grecs, espagnols ou français.

On ne le peut guĂšre mieux si on n’a pas une idĂ©e d’ensemble sur l’Ɠuvre deDavid Rousset. Dans L’Univers concentrationnaire, il prĂ©senta les camps commerelevant d’un problĂšme de rĂ©gime et on lui fit un succĂšs mĂ©ritĂ©. Depuis, dans LesJours de notre Mort et de nombreux autres Ă©crits Ă©pars, il s’attacha surtout Ă  mettreen Ă©vidence et Ă  louer le comportement des dĂ©tenus communistes, articulant des faitsnon contrĂŽlĂ©s, et qui n’ont pu trouver dans le public cet immense crĂ©dit qu’en raisondu trouble et de la confusion nĂ©s de la guerre. Une fois, il s’est risquĂ© dans ledocument pur, au moyen de son recueil, Le Pitre ne rit pas, qui met en causel’Allemagne seule. Il ne pouvait cependant pas ignorer les camps russes dont on ditque des documents traduits du russe Ă©taient en vente en librairie dans les annĂ©es1935-1936, et dont par ailleurs l’existence n’a pu manquer de lui ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©e auxtemps plus lointains encore oĂč il militait dans les rangs du Trotskysme. De proposdĂ©libĂ©rĂ©, donc, il a trĂšs efficacement contribuĂ© Ă  crĂ©er, sur le plan intĂ©rieur, cetteatmosphĂšre. « Embrassons-nous, Folleville », qui a permis aux bolchevistes dont lesmĂ©faits en Russie Ă©taient estompĂ©s ou passĂ©s sous silence, de se hisser au pouvoir enFrance. Sur le plan extĂ©rieur, il a surtout creusĂ© un peu plus encore le fossĂ© entre laFrance et l’Allemagne.

DĂ©couvrant les camps russes dans la facture que l’on sait, il ne fait que suivrele mouvement de translation latĂ©rale qui est la caractĂ©ristique essentielle de lapolitique gouvernementale, depuis le dĂ©part de l’équipe Thorez. Son attituded’aujourd’hui est la suite logique de celle d’hier et il Ă©tait naturel qu’ayant fourni unargument au tripartisme bolchevisant, il fournisse aux Anglo-AmĂ©ricains la baseidĂ©ologique indispensable Ă  une bonne prĂ©paration Ă  la guerre. Il ne l’était pas moinsque Le Figaro littĂ©raire et David Rousset ne finissent par se rencontrer. Il suffit de

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remarquer que l’un portant l’autre, leur intervention concertĂ©e venant aprĂšs lestĂ©moignages authentiques de Victor Serge, Margaret Neuman, Guy Vinatrel, Monami Vassia, etc., ne verse rien au dĂ©bat, n’apporte rien de neuf qu’une fois de plus untĂ©moignage sur des Ă©vĂ©nements non vĂ©cus, et ne fait qu’enregistrer la faillite d’unepolitique au profit d’une autre qui fera immanquablement faillite, sinon Ă  nos yeux,du moins devant l’Histoire.

À ces Ă©lĂ©ments de suspicion qui relĂšvent, le premier du machiavĂ©lisme d’unjournal, le second de l’aptitude d’un [227] homme Ă  modeler son comportement surles dĂ©sirs des maĂźtres du moment dans les diffĂ©rents univers qui le comptent tour Ă tour au nombre de leurs sujets, s’ajoutent ceux qui ressortissent Ă  l’expĂ©rience. En1939, et dans les annĂ©es qui prĂ©cĂ©dĂšrent, on a mis de mĂȘme façon les exactions del’Allemagne hitlĂ©rienne en Ă©vidence. Dans la presse, il n’était plus question qued’elles. Tout le reste, on l’oubliait : personne ne se doutait qu’on prĂ©paraitidĂ©ologiquement la guerre pour laquelle on se croyait matĂ©riellement prĂȘt.

Effectivement, on fit la guerre.Aujourd’hui, dans toute la presse, il n’est question que des exactions de la

Russie soviĂ©tique sur le plan de l’Humanisme et exclusivement de celles de la RussiesoviĂ©tique. On en oublie tout le reste et principalement les problĂšmes posĂ©s par lapratique extensible Ă  l’infini du camp de concentration comme moyen degouvernement. Les mĂȘmes causes produisant les mĂȘmes effets.

L’opinion radicale, dĂ©sabusĂ©e par Ă  peu prĂšs tout ce qu’on lui a dit des campsallemands, par la forme dans laquelle, de part et d’autre, on lui prĂ©sente les campsrusses, et par le silence qu’on fait sur les autres, pressent toutes ces choses et sembleattendre qu’en les lui faisant toucher du doigt, on lui tienne le langage del’objectivitĂ©.

Or, en la matiĂšre, le langage de l’objectivitĂ© n’a besoin, ni de beaucoup deprĂ©cautions, ni de beaucoup de mots. Le cas des camps de concentration, du travailforcĂ© et de la dĂ©portation, ne peut ĂȘtre examinĂ© que sur le plan humain et dans lecadre de la dĂ©finition des rapports de l’État et de l’individu. Dans tous les pays, lescamps existent en puissance ou sont lĂ  qui changent de clientĂšle au hasard descirconstances et au grĂ© des Ă©vĂ©nements. Tous les hommes en sont menacĂ©s partout,et, pour ceux qui y sont prĂ©sentement enfermĂ©s il n’y a de chances d’en sortir quedans la mesure oĂč ceux qui n’y sont pas sont destinĂ©s Ă  y entrer.

C’est contre cette menace qu’il faut s’insurger et c’est le camp lui-mĂȘme, ensoi, qu’il faut viser, indĂ©pendamment de l’endroit oĂč il se trouve, des fins auxquellesil est utilisĂ© et des rĂ©gimes qui l’emploient. De la mĂȘme façon, que contre la prisonou la peine de mort. Tout particularisme, toute action qui dĂ©signe Ă  la vindicte unenation plutĂŽt qu’une autre, qui tolĂšre le camp dans certains cas, explicitement ou paromission calculĂ©e ou non, affaiblit la lutte individuelle ou collective pour la libertĂ©,la dĂ©tourne de son sens et nous Ă©loigne du but au lieu de nous en rapprocher.

Sous cet angle, on mesurera un jour le tort qui fut fait Ă  [228] la cause desDroits de l’Homme quand la IVe RĂ©publique admit que les collaborateurs, ou rĂ©putĂ©s

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tels, fussent parquĂ©s dans des camps, comme le furent les non-conformistes de 1939et les rĂ©sistants de l’occupation.

Pour tenir ce langage, il faut Ă©videmment se soucier assez peut d’ĂȘtre classĂ©dans le clan des anti-staliniens ou des anti-amĂ©ricains et il faut avoir assez d’empiresur soi-mĂȘme pour sĂ©parer dans son esprit, aussi bien le rĂ©gime soviĂ©tique de lanotion de socialisme, que le rĂ©gime amĂ©ricain de celle de dĂ©mocratie : qu’un desdeux rĂ©gimes soit moins mauvais que l’autre est indiscutable mais prouve seulementque l’effort Ă  fournir sera moins grand d’un cĂŽtĂ© que de l’autre du rideau de fer Et cen’est pas une fidĂ©litĂ© d’anciens dĂ©portĂ©s, laquelle ne peut que placer l’opinion devantle choix Ă  faire entre deux positions anti ou entre deux positions pro, qu’il fautinvoquer ici : c’est la fidĂ©litĂ© d’une Ă©lite Ă  sa tradition qui est de se dĂ©finir elle-mĂȘmeĂ  travers sa propre mission, et non d’accomplir celle des autres.

MĂącon, 15 mai 1950.

FIN [229]

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AVANT-PROPOS DE L’AUTEUR POUR LA SECONDE ET LA TROISIEME

EDITION

Les armes de l’ennemi ne sont pasaussi meurtriĂšres que les mensonges dont leschefs des victimes remplissent le monde lechant haineux de l’ennemi est moinsdĂ©sagrĂ©able Ă  l’oreille que les phrases qui,comme une salive dĂ©goĂ»tante, coulent deslivres des nĂ©crologistes. (ManĂšs SPERBER∗

Et le Buisson devint cendre)

Les deux parties de cet ouvrage ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© publiĂ©es, mais sĂ©parĂ©ment, — lapremiĂšre, ou l’expĂ©rience vĂ©cue (Passage de la Ligne), en 1949, — la seconde, oul’expĂ©rience des autres (Le Mensonge d’Ulysse, proprement dit), en 1950, dans laforme d’une Ă©tude critique de la littĂ©rature concentrationnaire : j’avais pensĂ© que, surun sujet aussi dĂ©licat, il convenait d’administrer la vĂ©ritĂ© Ă  petites doses.

C’est de cette disposition d’esprit que d’aucuns ont tentĂ© de profiter pour jeterla suspicion sur mes intentions : si Le Passage de la Ligne gĂ©nĂ©ralement accueilliavec sympathie, ne provoqua que des grincements de dents sourds et sansconclusion, d’un certain cĂŽtĂ©, Le Mensonge d’Ulysse fut en effet l’occasion d’uneviolente campagne de presse dont le dĂ©part fut donnĂ© Ă  la Tribune mĂȘme del’AssemblĂ©e Nationale.

ParallĂšlement, Albert Paraz, auteur de la PrĂ©face, l’éditeur et moi-mĂȘme,Ă©tions traĂźnĂ©s en correctionnelle oĂč [231] nous fĂ»mes acquittĂ©s, puis en Cour d’AppeloĂč nous fĂ»mes condamnĂ©s1 bien que, faisant droit Ă  nos conclusions, M. l’AvocatgĂ©nĂ©ral lui-mĂȘme eĂ»t requis la confirmation pure et simple du jugementcorrectionnel.

La Cour de cassation est maintenant appelĂ©e Ă  trancher le diffĂ©rend, mais,l’opinion dont l’information se fait Ă  sens unique est dĂ©sorientĂ©e et, aussi peu enclinqu’on soit Ă  descendre dans la polĂ©mique, il est devenu indispensable de dĂ©mĂȘlerpour elle, les circonstances assez troubles qui ont crĂ©Ă© le climat de cette affaire. On

∗ Note de l’AAARGH : ManĂšs Sperber Ă©tait l’oncle de Nadine Fresco, l’auteur du chef-

d’Ɠuvre du genre littĂ©raire bien connu, « Pourqoi qu’lezautres i m’aiment pas », intitulĂ© Comment M.Rassinier devint antisĂ©mite, janvier 1999. En attendant les comptes rendus du poulet par l’AAARGH,nous vous invitons Ă  lire un article de ladite Fresco et de son associĂ© Baynac, « Comment s’endĂ©barrasser », Le Monde, juin 1987.

1 Prison avec sursis, 100 000 fr. d’amende, 800 000 fr. de dommages et intĂ©rĂȘts.

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fera ainsi d’une pierre deux coups, car en mĂȘme temps, on ne peut manquer de mettreles piĂšces Ă  conviction sous les yeux du lecteur1.

Tombant en plein dĂ©bat sur l’amnistie, Le Mensonge d’Ulysse qui la justifiait Ă sa maniĂšre fut accueilli, par certains, comme une affaire essentiellement politique etc’est par le petit cĂŽtĂ© qu’on tenta de lui donner ce caractĂšre exclusif.

Par un fĂącheux hasard, la PrĂ©face d’Albert Paraz contenait une assertionjuridiquement insoutenable2 quant aux circonstances de l’arrestation et de ladĂ©portation de M. Michelet alors dĂ©putĂ© et leader parlementaire du R.P.F. : M.GuĂ©rin alors dĂ©putĂ© M.R.P. de Lyon s’en saisit, non pas pour protester contre lapublication de l’ouvrage, en dĂ©pit qu’il s’en soit habilement donnĂ© l’apparence, maispour tenter de discrĂ©diter un des principaux militants du mouvement qui lui faisait laplus redoutable concurrence Ă©lectorale. Ainsi donc, Le Mensonge d’Ulysse futd’abord exploitĂ© par un mouvement politique contre un autre et, lĂ  dĂ©jĂ , il y avaitsuffisamment pour dĂ©sespĂ©rer l’historien.

C’est sur une incidente de l’intervention de M. GuĂ©rin que se greffa l’actionextra-parlementaire en vue de saisir l’opinion. À la Tribune de l’AssemblĂ©eNationale, le dĂ©putĂ© de Lyon m’avait rangĂ© parmi « les responsables de lacollaboration avec l’occupant et les apologistes de la trahison3 ».

PathĂ©tique, il s’était Ă©criĂ© : [232]

« Il paraĂźt, mes chers collĂšgues, qu’il n’y a jamais eu de chambres Ă  gaz dans lescamps de concentration. VoilĂ  ce qu’on peut lire dans ce livre. » (J.O. du 2 novembre1950 — DĂ©bats parlementaires.)

Or M. GuĂ©rin n’avait pas lu l’ouvrage !Sans le lire davantage, tous les journaux dans lesquels sĂ©vissent les journalistes

improvisés par une certaine Résistance4 à la Libération, reprirent le thÚme et mefirent dire les choses les plus invraisemblables.

Trois associations de dĂ©portĂ©s, internĂ©s, et victimes de l’occupation allemande,demandĂšrent au Tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse, d’ordonner la saisie du

1 La Cour de Cassation s’est Ă  son tour prononcĂ©e : elle a acquittĂ© — juste assez tĂŽt pour qu’il

en puisse ĂȘtre fait mention par cette note, dans cette Ă©dition — mais l’explication n’en reste pas moinsnĂ©cessaire.

2 M. Michelet avec lequel nous nous en sommes expliquĂ©s a retirĂ© la plainte qu’il avait dĂ©posĂ©econtre nous et cette assertion ne figure pas dans cette Ă©dition, non plus d’ailleurs que, pour coupercourt Ă  toute nouvelle tentative de diversion, et sur sa propre suggestion, la PrĂ©face de Paraz elle-mĂȘme. Pour Ă©viter toute nouvelle diversion seulement, car, depuis que la Cour de Cassation s’estprononcĂ©e, rien ne s’opposait plus Ă  ce que cette prĂ©face, couverte par l’immunitĂ© qui protĂšge la chosejugĂ©e, fĂ»t republiĂ©e. L’auteur n’a pas cru devoir cĂ©der aux hurlements de rĂ©probation d’une poignĂ©ed’intĂ©ressĂ©s et faire subir d’autres modifications aux textes.

3 En rĂ©alitĂ©, l’auteur fut parmi les fondateurs du Mouvement LibĂ©ration-Nord en France, lefondateur du Journal clandestin La IVe RĂ©publique auquel les radios de Londres et d’Alger firent leshonneurs en son temps, dĂ©portĂ© de la RĂ©sistance (19 mois) Ă  Buchenwald et Dora. Invalide Ă  100% +5degrĂ©s des suites, il est titulaire de la carte de RĂ©sistant n° 1 016 0070, de la mĂ©daille de vermeil de laReconnaissance française et de la Rosette de la RĂ©sistance, qu’il ne porte d’ailleurs pas. Et ceci ne luia enlevĂ©, ni l’amour de la vĂ©ritĂ©, ni le sens de l’objectivitĂ©.

4 Car, l’unitĂ© de la RĂ©sistance est un mythe, comme Ă©tait un mythe aussi l’unitĂ© de laRĂ©volution française. Il y eut non pas seulement deux mais plusieurs « RĂ©sistances », personne n’enpeut plus disconvenir aujourd’hui Ă  moins d’y ĂȘtre intĂ©ressĂ© ! Il y eut mĂȘme la voyoucratie qui trouvacommode de s’abriter derriĂšre le titre !

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livre, la destruction des exemplaires dĂ©jĂ  mis en vente et de nous condamnersolidairement Ă  la coquette somme d’un million de dommages et intĂ©rĂȘts. MieuxavisĂ©, le ComitĂ© d’action de la RĂ©sistance s’abstint de toute manifestation hostile,non point que l’envie ne l’en dĂ©mangeĂąt, mais par crainte du ridicule. Le Particommuniste, ayant esquissĂ© une offensive, s’aperçut Ă  temps qu’il risquait Ă  nouveaude mettre Marcel Paul, Casanova, le colonel Manhes, etc. en situation dĂ©licate etopĂ©ra une prudente retraite. Mais le Parti socialiste que j’ai reprĂ©sentĂ© au Parlement,aprĂšs avoir Ă©tĂ© pendant de longues annĂ©es le leader d’une de ses fĂ©dĂ©rationsdĂ©partementales, m’exclut de son sein, « malgrĂ© le respect qu’impose ma personne »dit la sentence qui m’a Ă©tĂ© transmise par le ComitĂ© Directeur1.

Telles furent les premiĂšres escarmouches d’une offensive peu glorieuse et quifit long feu. La mauvaise foi qui la caractĂ©rise, pas un instant ne se dĂ©mentit dans lasuite.

M. Louis Martin-Chauffier qui dansa sur la corde [233] raide dans presque tousles mouvements de pensĂ©e du demi-siĂšcle, prit le commandement de la secondevague d’assaut.

Parce que j’avais signalĂ© (en passant), une de ses maladresses de plume, il secrut obligĂ© de la corriger par une autre (cf. p. 105 et note), de reprendre le thĂšme deM. Maurice GuĂ©rin et de dĂ©montrer qu’en sus il ne savait pas lire.

« Tous les dĂ©portĂ©s ont menti, affirme Paul Rassinier qui nie l’existence deschambres Ă  gaz », Ă©crivit-il en tĂȘte d’un article dont le titre « Un faussaire etcalomniateur pris en flagrant dĂ©lit » (Droit de vivre, 15-11, 15-12-1950), Ă  lui seulm’eĂ»t permis — si je m’étais senti en goĂ»t de lui faire la rĂ©ponse de la bergĂšre —d’obtenir de substantielles rĂ©parations de n’importe quel tribunal correctionnel.

Le porte-drapeau de la troisiĂšme vague fut M. RĂ©my Roure en ces termes :

« Ce Rassinier dĂ©crit comme suit le camp de Buchenwald : Tous les Blocks,gĂ©omĂ©triquement et agrĂ©ablement disposĂ©s dans la colline, sont reliĂ©s entre eux par desrues bĂ©tonnĂ©es : des escaliers de ciment et Ă  rampe conduisent aux Blocks les plusĂ©levĂ©s ; devant chacun d’eux des pergolas, avec plantes grimpantes, de petits jardinetsavec pelouses de fleurs, par-ci, par-lĂ , de petits ronds-points avec jet d’eau ou statuette.La place de l’Appel, qui couvre quelque chose comme un demi-kilomĂštre carrĂ©, estentiĂšrement pavĂ©e, propre Ă  n’y pas perdre une Ă©pingle. Une piscine centrale avecplongeoir, un terrain de sport, de frais ombrages Ă  portĂ©e du dĂ©sir, un vĂ©ritable camp pourcolonies de vacances, et n’importe quel passant qui serait admis Ă  le visiter en l’absencedes dĂ©tenus en sortirait persuadĂ© qu’on y mĂšne une vie agrĂ©able, pleine de poĂ©siesylvestre et particuliĂšrement enviable, en tout cas hors de toute commune mesure avec lesalĂ©as de la guerre qui sont le lot des hommes libres


Je fais appel à mes camarades de Buchenwald : reconnaissent-ils leurcamp ? »(Force OuvriÚre, jeudi 25 janvier 1951).

1 Une demande de réintégration soutenue par 11 fédérations départementales et par Marceau

Pivert, au CongrÚs de novembre 1951, fut repoussée aprÚs intervention de Daniel Mayer et GuyMollet.

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M. RĂ©my Roure peut faire appel Ă  ses camarades de Buchenwald : ceci ne setrouve pas dans Le Mensonge d’Ulysse. Pris en flagrant dĂ©lit devant le tribunalcorrectionnel de Bourg-en-Bresse, il s’excusa et voulut bien convenir (Le Monde, 26avril) que, n’ayant pas lu l’ouvrage, il me citait [234] seulement d’aprĂšs M. MauriceBardĂšche1. Or, s’il est exact que M. Maurice BardĂšche cita ce passage dans sonNuremberg II, il ne l’est pas moins qu’il le prit dans Le Passage de la ligne — oĂč ilse trouve pour donner une idĂ©e de l’installation matĂ©rielle, non du camp deBuchenwald, mais de celui de Dora en fin de course — et que, trĂšs honnĂȘtement, ilne chercha pas Ă  le dĂ©tourner de son sens en l’isolant de son contexte.

J’ajoute que, n’en dĂ©plaise Ă  M. RĂ©my Roure, en l’absence des dĂ©tenus, — jedis bien : en l’absence des dĂ©tenus ! — le camp de Dora ressemblait bien Ă  ladescription que j’en donne, tous ceux qui l’ont connu en conviennent. Quand lesdĂ©tenus y rentraient, aprĂšs une longue et harassante journĂ©e de travail, la bureaucratieconcentrationnaire lui donnait une tout autre allure, ce qui prĂ©cĂšde et ce qui suit lepassage qu’assez lĂ©gĂšrement on me reproche -- et que, pour les besoins de la cause,M. RĂ©my Roure remplace habilement par des points de suspension ! — le dit entermes trĂšs prĂ©cis.

Je pardonne volontiers cette mauvaise action Ă  M. RĂ©my Roure. Ne serait-ceque parce que, dans le mĂȘme article, il a Ă©crit ceci :

« 
les cadres K.Z.2, les Kapos, chefs de Blocks, Vorarbeiter, Stubendienst,dĂ©tenus eux-mĂȘmes qui vivaient de la mort lente de leurs camarades »

qui est un des thĂšmes du Mensonge d’Ulysse ainsi justifiĂ© d’éclatante façon et,trĂšs exactement le contraire de ce que, David Rousset en tĂȘte, tous les tĂącherons de lalittĂ©rature concentrationnaire avaient Ă©crit jusqu’ici.

Mais je pose cette question : ce qui est une calomnie et une diffamation venantde moi, serait-il parole d’Évangile et respectable, venant de M. RĂ©my Roure ?

[235]Ou bien serait-ce qu’il ne me pardonne pas d’avoir Ă©tĂ© le premier Ă  tenter de

faire sortir de son puits, cette horrible vérité ?

1 On m’a dit que M. Maurice BardĂšche Ă©tait d’extrĂȘme-droite et que, dans de nombreuses

autres circonstances, il n’avait pas fait preuve du mĂȘme souci d’objectivitĂ© : c’est certain et je ne mesuis jamais fait faute de le dire chaque fois que j’ai cru en avoir sujet. Mais ce n’est une raison, ni pourcontester son mĂ©rite en l’occurrence, ni pour refuser de reconnaĂźtre qu’à une page prĂšs dans ses deuxouvrages sur Nuremberg, — tout aussi injustement condamnĂ©s que Le Mensonge d’Ulysse — il traitedu problĂšme allemand Ă  partir des mĂȘmes impĂ©ratifs qui Ă©taient au lendemain de la guerre de 1914-1918 ceux de Mathias Morhadt, de Romain Rolland et de Michel Alexandre, lesquels Ă©taient bien,eux, de gauche. Et ce n’est pas ma faute Ă  moi, si, par un curieux balancement historique, les gens degauche, adoptant Ă  partir de 1938-39 le nationalisme et le chauvinisme qui Ă©taient de droite, ont par lĂ mĂȘme, obligĂ© la vĂ©ritĂ© qui Ă©tait de gauche, Ă  chercher asile Ă  droite et Ă  l’extrĂȘme droite. De toutesfaçons, le chroniqueur ne peut pas accepter de se prononcer sur la matĂ©rialitĂ© des faits historiques enfonction des impĂ©ratifs changeants de la politique et, Ă  l’exemple de M. Merleau-Ponty (cf. page 239)ne reconnaĂźtre un fait pour vrai que si cela sert une propagande.

2 Abréviation de KonzentrationsIager, le mot allemand qui désigne les Camps deConcentration.

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Je passe sous silence les entrefilets venimeux inspirĂ©s par les Associations dedĂ©portĂ©s que, pour maintenir l’opinion en Ă©tat d’alerte, des journaux comme Franc-Tireur, l’Aube, l’Aurore, le Figaro, etc. publiĂšrent complaisamment tous les huit ouquinze jours : ils en arrivĂšrent Ă  prendre de telles licences avec l’objectivitĂ©, que letitre de l’ouvrage Ă©tait devenu : « La lĂ©gende des camps de concentration ».

En mars, l’offensive menĂ©e contre nous s’essouffla dans le dĂ©lire.Un petit besogneux du journalisme Ă©crivit dans Le ProgrĂšs de Lyon, en me

prĂȘtant gĂ©nĂ©reusement la thĂšse :

« Les sévices, une légende ! Les fours crématoires, une légende ! Les clÎturesélectriques, une légende ! Les morts par paquets de dix, une légende. »

Et M. Jean Kreher lui-mĂȘme, l’avocat que les Associations de dĂ©portĂ©s avaientchoisi, venait Ă  la rescousse, dans le RescapĂ©, organe des dĂ©portĂ©s, avec ceci qui luisemblait couler de source de mon Ă©tude :

« Car, si nous Ă©tions gorgĂ©s de saucisson, d’excellente margarine, si tout Ă©taitprĂ©vu pour nous donner les soins et les distractions nĂ©cessaires, si le crĂ©matoire est uneinstitution que l’hygiĂšne commande, si la chambre Ă  gaz est un mythe si, en un mot, lesSS Ă©taient pour nous pleins de prĂ©venances, de quoi se plaint-on ? »

Le lecteur dĂ©cidera lui-mĂȘme, si on peut dĂ©duire cela de ce que j’ai Ă©crit.Tous ces gens, d’ailleurs, se sont dĂ©pensĂ©s en pure perte. La « vĂ©ritĂ© » qu’ils

voulaient faire prĂ©valoir n’a pas prĂ©valu et le discrĂ©dit qu’ils ont vainement tentĂ© dejeter sur nous rejaillit aujourd’hui sur eux, dĂšs lors que, outre le cuisant Ă©chec queleur vient d’infliger la Cour de Cassation, dans le Figaro LittĂ©raire du 9-10-54, M.AndrĂ© Rousseaux qui porta cependant aux nues et indistinctement tous les tĂącheronsde la littĂ©rature concentrationnaire, en Ă©tait dĂ©jĂ  lui-mĂȘme — probablement sousl’influence du sentiment public — Ă  se poser cette question :

[236]

« Mais, pour les survivants de l’enfer, la condition d’anciens dĂ©portĂ©s, n’est-ellepas devenue trĂšs vite analogue Ă  celle des anciens combattants de toutes les guerres :beaucoup plus des victimes que des tĂ©moins. »

Car cette maniĂšre de dire qui n’emprunte visiblement la forme de la questionque par une prĂ©caution de style, est, devant l’Histoire, une condamnation en bloc,sans appel et bien plus prĂ©cise que l’arrĂȘt de la Cour de Cassation, de tous cestĂ©moignages aussi orientĂ©s qu’intĂ©ressĂ©s contre lesquels j’ai Ă©tĂ© le premier Ă  mettre lepublic en garde.

Le malheur est — hĂ©las ! — qu’elle vienne un peu tard.Et qu’une littĂ©rature aussi suspecte que la littĂ©rature concentrationnaire l’était

dans son inspiration mĂȘme, qu’une littĂ©rature que personne aujourd’hui dĂ©jĂ  ne prendplus au sĂ©rieux et qui sera un jour la honte de notre temps, ait pendant des annĂ©esfourni ses principes fondamentaux Ă  une morale (qui Ă©tait l’apologie du bolchevisme

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— ceci a son importance !) et Ă  une politique1 sa caution (qui Ă©tait le banditisme,justifiĂ© par la Raison d’État — ceci dĂ©coule naturellement de cela).

Et maintenant voici le fonds du dĂ©bat qu’un exemple rendra plus accessible
Un nouveau tĂ©moignage sur les camps de concentration allemands vient de

paraĂźtre en Hongrie dont Les Temps Modernes ont entrepris la vulgarisation enFrance : « S.S. ObersturmfĂŒhrer, Docteur Mengele » par le Dr Nyiszli Miklos. Ilconcerne le camp d’Auschwitz-Birkenau.

La premiĂšre pensĂ©e qui vient Ă  l’esprit c’est que ce tĂ©moignage n’a pu paraĂźtreen Hongrie qu’avec l’assentiment de Staline par la personne interposĂ©e des Martin-Chauffier de lĂ -bas, dont les pouvoirs, au titre de PrĂ©sidents de ce qui correspond Ă notre C.N.E., sont assez Ă©tendus pour leur permettre d’empĂȘcher des Mensonged’Ulysse d’y voir le jour.

À ce seul titre donc, il serait dĂ©jĂ  suspect.Mais lĂ  n’est pas la question. [237]Entre autres choses, ce Dr Nyiszli Miklos prĂ©tend que, dans le camp

d’Auschwitz-Birkenau, quatre chambres Ă  gaz2 de 200 m de long (sans prĂ©ciser lalargeur) doublĂ©es de quatre autres de mĂȘmes dimensions pour la prĂ©paration desvictimes au sacrifice, asphyxiaient 20 000 personnes par jour et que quatre fourscrĂ©matoires, chacun de 15 cornues Ă  3 places les incinĂ©raient au fur et Ă  mesure. Ilajoute que, par ailleurs, 5 000 autres personnes Ă©taient, chaque jour aussi, supprimĂ©espar des moyens moins modernes et brĂ»lĂ©es dans deux immenses foyers de plein vent.Il ajoute encore que, pendant une annĂ©e, il a personnellement assistĂ© Ă  ces massacressystĂ©matiques.

Je prĂ©tends que tout ceci est manifestement inexact et qu’à dĂ©faut d’avoir Ă©tĂ©soi-mĂȘme dĂ©portĂ©, un peu de bon sens suffit Ă  l’établir.

Le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau ayant en effet Ă©tĂ© construit Ă partir de fin 1939 et Ă©vacuĂ© en janvier 1945, si on en devait croire le Dr Nyiszli-Miklos, au rythme de 25 000 personnes par jour, il faudrait admettre que, pendantcinq annĂ©es, environ 45 millions de personnes y sont mortes dont 36 millions ont Ă©tĂ©incinĂ©rĂ©es dans les quatre fours crĂ©matoires aprĂšs asphyxie, et 9 millions dans lesdeux foyers de plein vent.

S’il est parfaitement possible que les quatre chambres Ă  gaz aient Ă©tĂ© capablesd’asphyxier 20 000 personnes par jour (Ă  3 000 par fournĂ©e, dit le tĂ©moin), il ne l’estabsolument pas que les quatre fours crĂ©matoires l’aient Ă©tĂ© de les incinĂ©rer au fur et Ă mesure. MĂȘme s’ils Ă©taient Ă  quinze cornues de trois places. Et mĂȘme si l’opĂ©ration

1 Depuis, les choses ont bien changĂ©. Au gouvernement, la politique est toujours faite par lesmĂȘmes hommes d’État (sic) ou peu s’en faut, mais elle repose sur l’anti-bolchevisme et, en ce sens,elle est exactement le contraire de ce qu’elle Ă©tait Ă  cette Ă©poque. Par voie de consĂ©quence, dans lapresse et dans la littĂ©rature, les procureurs de l’AntibolchĂ©visme sont ceux-lĂ  mĂȘmes qui en faisaientjadis l’apologie. Ce qui est remarquable, c’est que si quelqu’un parlait du sabre de M. Prudhomme ourappelait l’histoire de ce Guillot qui criait au loup, personne ne comprendrait.

2 Dans Le Monde du 9 janvier 1952, le procureur général André Boissarie traduit : quarante-six !

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ne nécessitait que 20 minutes, comme le prétend le Dr Nyiszli Miklos, ce qui estencore faux.

En prenant ces chiffres comme base, la capacitĂ© d’absorption de tous les foursfonctionnant parallĂšlement, n’eĂ»t malgrĂ© tout Ă©tĂ© que de 540 Ă  l’heure soit 12 960 parjour de 24 heures. Et, Ă  ce rythme, il n’eĂ»t Ă©tĂ© possible de les Ă©teindre que quelquesannĂ©es aprĂšs la LibĂ©ration. À condition, bien entendu, de ne pas perdre une minutependant prĂšs de dix ans. Si maintenant, on se renseigne au PĂšre-Lachaise, sur ladurĂ©e d’une incinĂ©ration de 3 cadavres dans une cornue, on s’apercevra que les foursd’Auschwitz brĂ»lent encore et qu’on n’est pas prĂšs de les Ă©teindre !

Je passe sur les deux foyers de plein vent (qui avaient, [238] dit notre auteur 50mÚtres de long, 6 de large et 3 de profondeur) au moyen desquels on aurait réussi àbrûler 9 millions de cadavres pendant les 5 ans


Il y a d’ailleurs une autre impossibilitĂ©, au moins en ce qui concernel’extermination par les gaz : tous ceux qui se sont penchĂ©s sur ce problĂšme sontd’accord pour dĂ©clarer que « dans les rares camps oĂč il y en eut » (E. Kogon dixit)les chambres Ă  gaz ne furent dĂ©finitivement en Ă©tat de fonctionner qu’en mars 1942et qu’à partir de septembre 1944, des ordres qu’on n’a pas plus retrouvĂ©s que ceuxqu’ils annulaient, interdirent de les utiliser pour asphyxier. Au rythme avancĂ© par leDr Nyiszli Miklos, on arrive encore Ă  18 millions de cadavres pour ces deux annĂ©eset demie, chiffre que, on ne sait par quelle vertu des mathĂ©matiques, M. TiborKrĂ©mer, son traducteur, ramĂšne d’autoritĂ© Ă  6 millions1.

Et je pose cette nouvelle et double question : quel intĂ©rĂȘt pouvait-il y avoir Ă exagĂ©rer ainsi le degrĂ© de l’horreur et quel a Ă©tĂ© le rĂ©sultat de cette maniĂšre deprocĂ©der qui fut gĂ©nĂ©rale ?

On m’a dĂ©jĂ  rĂ©pondu que, ramenant les choses Ă  leurs proportions rĂ©elles dansune thĂ©orie universelle de la rĂ©pression, je n’avais d’autre dessein que celui deminimiser les crimes du nazisme.

J’ai moi, une autre rĂ©ponse qui est toute prĂȘte et que je n’ai, maintenant, plusaucune raison de ne pas rendre publique. Avant de la donner, je voudrais encoresoumettre Ă  l’apprĂ©ciation du lecteur un incident significatif de l’état d’esprit denotre temps.

Lecteur des Temps Modernes, j’ai naturellement fait part aussi Ă  cette revuedes rĂ©flexions que la publicitĂ© qu’elle faisait au Dr Nyiszli Miklos m’avait suggĂ©rĂ©es.

Voici la réponse que je reçus de M. Merleau-Ponty :

« Les historiens auront Ă  se poser ces questions. Mais dans l’actualitĂ©, cettemaniĂšre d’examiner les tĂ©moignages a pour rĂ©sultat de jeter la suspicion qu’on serait endroit d’en attendre. Et, comme Ă  l’heure oĂč nous sommes, la tendance est plutĂŽt Ă  oublierles camps allemands, cette exigence de vĂ©ritĂ© historique rigoureuse encourage unefalsification, massive celle-lĂ , qui consiste Ă  admettre en gros que le nazisme est unefable. »

1 J’ai Ă©crit au Dr Nyiszli Miklos pour lui signaler toutes ces impossibilitĂ©s. Voici ce qu’il m’a

rĂ©pondu : 2 500 000 victimes ! Sans autre commentaire. Cela qui est plus prĂšs de la vĂ©ritĂ© et que leschambres Ă  gaz sont sĂ»rement loin d’ĂȘtre seules Ă  expliquer, constitue dĂ©jĂ  une certaine sommed’abominations !

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[239]Je trouvai cette réponse savoureuse et négligeai de répondre à M. Merleau-

Ponty qu’il oubliait, lui, les camps russes et mĂȘme français !Car s’il faut admettre cette doctrine et que l’exigence d’une vĂ©ritĂ© historique

rigoureuse encourage dĂ©jĂ  une falsification massive dans l’actualitĂ©, on se demandeavec anxiĂ©tĂ© Ă  quelle monstruositĂ© la falsification massive de l’actualitĂ© risqued’aboutir sur le plan de l’Histoire. Qu’on imagine seulement ce que penseront leshistoriens de l’avenir de l’abominable procĂšs de Nuremberg dont il tombe dĂ©jĂ  sousle sens qu’il a reportĂ© Ă  deux mille annĂ©es en arriĂšre l’évolution de l’HumanitĂ© sur leplan culturel, c’est-Ă -dire Ă  la condamnation prĂ©sentĂ©e comme un crime dans tous lesmanuels d’Histoire, de VercingĂ©torix par Jules CĂ©sar.

Les relations que M. Merleau-Ponty, Professeur de philosophie, Ă©tablit entreles effets et les causes ne semblent pas d’une exceptionnelle rigueur et ceci prouveque, chacun faisant son mĂ©tier, en philosophie aussi
 nos vaches sont bien gardĂ©es !

Avec ma thĂšse sur la bureaucratie concentrationnaire dont j’ai mis en lumiĂšrele rĂŽle dĂ©terminant dans la systĂ©matisation de l’horreur, c’est le jour nouveau souslequel je prĂ©sente les chambres Ă  gaz qui a le plus douloureusement banderillĂ© lesimagiers d’Epinal des camps de concentration. Les deux choses sont intimementliĂ©es et ceci explique cela.

Il y a un certain nombre de faits, concernant cette irritante question, qui nepeuvent absolument pas avoir Ă©chappĂ© aux honnĂȘtes gens.

D’abord, tous les tĂ©moins sont d’accord sur cette Ă©vidence que dix d’entre eux-- citĂ©s contre moi par la partie civile1 [240] — sont venus confirmer Ă  la barre du

1 Deux tĂ©moins qui avaient offert leurs services Ă  l’accusation ne se sont pas dĂ©rangĂ©s : M.

Martin-Chauffier et l’inĂ©narrable R. P. Riquet, prĂ©dicateur de Notre-Dame. Le premier dont oncomprend aisĂ©ment qu’il ait Ă©tĂ© gĂȘnĂ© de venir tenir Ă  la barre et sous les feux de la rampe le langage« si sĂ»r de sa grammaire » qu’il tient, loin des yeux dans ses bouquins, limita de lui-mĂȘme son rĂŽle Ă un tĂ©lĂ©gramme par lequel il rĂ©clamait une impitoyable condamnation. Quant au second, au moyend’une longue lettre adressĂ©e au Tribunal, il attesta que nous Ă©tions, Paraz et moi, des ĂȘtres infĂąmes.Cette attestation prend toute sa valeur et toute sa saveur, si on sait qu’en juin 1953, un dĂ©nommĂ©Mercier, dont le R.P. Riquet avait cautionnĂ© l’honorabilitĂ©, et certifiĂ© les qualitĂ©s de patriote et derĂ©sistant, fĂ»t arrĂȘtĂ© dans la rĂ©gion de Lyon. Or, Mercier qui Ă©tait, sous l’occupation chauffeur auservice d’un organisme allemand n’avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et dĂ©portĂ© que pour « indĂ©licatesse ». De retour, ilse servit de l’attestation que lui avait ingĂ©nument dĂ©livrĂ©e le R.P. Riquet pour capter la confiance desmilieux religieux et des groupements de dĂ©portĂ©s et de rĂ©sistants auxquels il extorqua quelquesmillions. Si nous aimons autant avoir contre nous le tĂ©moignage de cet Ă©trange prĂȘtre qui dĂ©livre descertificats de rĂ©sistance aux collaborateurs authentiques et d’honorabilitĂ© aux escrocs auxquels ilfournit si lĂ©gĂšrement des moyens d’exercer leur « mĂ©tier » Ă  moindre risque, Dieu sera le premier Ă nous le pardonner. Et, si, dans sa mansuĂ©tude, il pardonne aussi au R. P. Riquet, nous serons, nous, lespremiers Ă  nous en rĂ©jouir. À la dĂ©charge du R.P. Riquet, il n’est pas le seul Ă  avoir dĂ©livrĂ© descertificats de RĂ©sistance de complaisance : M. Lecourt, dĂ©putĂ© M.R.P. et ancien garde des Sceaux endĂ©livra un Ă  Joinovici, agent de l’Abwehr, M. Pierre Berteaux Professeur de FacultĂ© et ancienDirecteur de la SĂ»retĂ© nationale en dĂ©livra un autre Ă  l’agent de la Gestapo Leca, impliquĂ© dans le voldes bijoux de la Begum, et l’escroc Dilasser put extorquer un milliard de francs avec la bĂ©nĂ©diction detous les ministres d’un gouvernement au moyen de certificats de ce genre dont on a tu trĂšsprudemment les noms des signataires vraisemblablement trĂšs haut placĂ©s dans la hiĂ©rarchie du rĂ©gime.Nous en sommes lĂ  !

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tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse : aucun dĂ©portĂ© vivant — j’en demandebien pardon Ă  M. Merleau-Ponty qui cautionne si lĂ©gĂšrement le Dr Nyiszli Miklos —n’a pu voir procĂ©der Ă  des exterminations par ce moyen. J’ai personnellement faitcent fois l’expĂ©rience et confondu en public les hurluberlus qui prĂ©tendaient lecontraire : le dernier en date est le fameux G dont parle Albert Paraz. Je suis doncfondĂ© Ă  dire que tous ceux qui, comme David Rousset ou Eugen Kogon se sontlancĂ©s dans de minutieuses et pathĂ©tiques descriptions de l’opĂ©ration, ne l’ont faitque sur des ragots1. Ce — je le prĂ©cise encore pour Ă©viter tout nouveau malentendu— ne veut absolument pas dire qu’il n’y a pas eu de chambres Ă  gaz dans les camps,ni qu’il n’y a pas eu d’extermination par les gaz : une chose est l’existence del’installation, une autre sa destination et une troisiĂšme son utilisation effective.

En second lieu, il est remarquable que, dans toute la littĂ©ratureconcentrationnaire et pas davantage au tribunal de Nuremberg, aucun document n’aitpu ĂȘtre produit, attestant que les chambres Ă  gaz avaient Ă©tĂ© installĂ©es dans les campsde concentration allemands, sur ordre du gouvernement dans le dessein de les faireutiliser pour l’extermination massive des dĂ©tenus.

Des tĂ©moins pour la plupart officiers, sous-officiers et mĂȘme simple S.S. sontcertes venus dire Ă  la barre qu’il avaient procĂ©dĂ© Ă  des exterminations par les gaz etqu’ils en avaient reçu ordre : aucun d’entre eux n’a pu produire l’ordre derriĂšrelequel il s’abritait et aucun de ces ordres — Ă  part ceux dont je fais Ă©tat dans cetouvrage et qui ne prouvent absolument rien — n’a Ă©tĂ© retrouvĂ© dans les archives descamps Ă  la LibĂ©ration. Il a donc fallu croire ces tĂ©moins sur parole. Qui me prouvequ’ils n’ont pas dit cela pour sauver leur vie dans l’atmosphĂšre de terreur quicommença de rĂ©gner sur l’Allemagne, dĂšs le lendemain de son Ă©crasement ? [241]

À ce sujet, voici une petite histoire qui fait Ă©tat d’un autre ordre soi-disantdonnĂ© par Himmler et sur lequel la littĂ©rature concentrationnaire est trĂšs prolixe :celui de faire sauter tous les camps Ă  l’approche des troupes alliĂ©es et d’y exterminerainsi tous leurs occupants, gardiens y compris.

Le MĂ©decin-chef SS du Revier de Dora le Dr Plazza le confirma dĂšs qu’il futcapturĂ© et en eut la vie sauve2. Au tribunal de Nuremberg, on le brandit contre les

1 Y compris Janda Weiss dont il est question plus loin.2 Au procĂšs du Struthof, le Dr Boogaerts, MĂ©decin-Major Ă  Etterbeck (Belgique) est venu

dĂ©clarer le 25 juin 1954 : « J’avais rĂ©ussi Ă  me faire affecter Ă  l’infirmerie du camp et, Ă  ce titre,j’étais placĂ© sous les ordres du mĂ©decin SS Plazza, le seul homme de Struthof ayant quelquessentiments humains. » Or, Ă  Dora oĂč ce Dr Plazza vint, dans la suite, exercer les fonctions deMĂ©decin-chef du camp, l’opinion unanime lui attribuait la responsabilitĂ© de tout ce qui Ă©tait inhumaindans la reconnaissance et le traitement des maladies. La chronique du Revier regorgeait de ses mĂ©faitsque, disait-on, son adjoint le Dr Kuntz ne rĂ©ussissait que trĂšs difficilement Ă  attĂ©nuer. Ceux quil’avaient connu au Struthof en parlaient en termes horrifiants. Personnellement, j’ai eu affaire Ă  lui etje suis de l’avis de tous ceux qui ont Ă©tĂ© dans ce cas : c’était une brute parmi les brutes. De retour enFrance, quelle ne fut pas ma surprise de voir que tant de brevets de bonne conduite Ă©taient dĂ©cernĂ©s —par des dĂ©tenus privilĂ©giĂ©s, il est vrai ! — Ă  un homme que, au camp, tout le monde et jusqu’au mieuxintentionnĂ©s, parlait de pendre. J’ai seulement compris quand j’ai su qu’il avait Ă©tĂ© le premier, etlongtemps le seul, Ă  affirmer l’authenticitĂ© de l’ordre de faire sauter tous les camps Ă  l’approche destroupes alliĂ©es et d’y exterminer tous leurs occupants y compris les gardiens : c’était la rĂ©compensed’un faux tĂ©moignage dont on ne pouvait savoir Ă  l’époque ce qu’il valait, mais qui Ă©tait indispensableĂ  l’échafaudage d’une thĂ©orie elle-mĂȘme indispensable Ă  une politique.

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accusés qui niÚrent. Or, dans le Figaro Littéraire du 6 janvier 1951, sous le titre « UnJuif négocie avec Himmler », et sous la signature de Jacques Sabille, on a pu lire :

« C’est grĂące Ă  la pression de Gunther, exercĂ©e sur Himmler par l’intermĂ©diairede Kersten (son mĂ©decin personnel) que l’ordre cannibale de faire sauter les camps Ă l’approche des alliĂ©s — sans mĂ©nager les gardiens est restĂ© lettre morte. »

Ce qui signifie que cet ordre, reçu par tout te monde et abondammentcommentĂ© n’a jamais Ă©tĂ© donnĂ©.

S’il en est ainsi des ordres d’extermination par les gaz
Alors, me dira-t-on, pourquoi ces chambres à gaz, dans les camps de

concentration ?Probablement, — et tout simplement — parce que l’Allemagne en guerre,

ayant dĂ©cidĂ© de transporter le maximum de ses industries dans les camps pour lessoustraire aux bombardements alliĂ©s, il n’y a pas de raison qu’elle fĂźt exception pourses industries chimiques.

Que des exterminations par les gaz aient Ă©tĂ© pratiquĂ©es me paraĂźt possiblesinon certain : il n’y a pas de fumĂ©e sans feu. Mais qu’elles aient Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©es aupoint oĂč la littĂ©[242]rature concentrationnaire a tentĂ© de le faire croire et dans lecadre d’un systĂšme aprĂšs coup mis sur pied est sĂ»rement faux. Tous les officiers decavalerie de nos colonies ont une cravache dont ils sont autorisĂ©s Ă  faire usage, Ă  lafois selon la conception personnelle qu’ils ont de la coquetterie militaire et selon letempĂ©rament de leur cheval : la plupart s’en servent aussi pour frapper lesautochtones des pays oĂč ils sĂ©vissent. De mĂȘme il se peut que certaines directions decamps1 aient utilisĂ© pour asphyxier, des chambres Ă  gaz destinĂ©es Ă  un autre usage.

À ce moment du discours, la derniĂšre question qui se puisse poser est lasuivante : pourquoi les auteurs de tĂ©moignages ont-ils accrĂ©ditĂ© avec un siremarquable esprit de corps la version qui a cours ?

Voici : parce que, nous ayant volĂ©s sans vergogne sur le chapitre de lanourriture et de l’habillement, malmenĂ©s, brutalisĂ©s, frappĂ©s Ă  un point qu’on nesaurait dire et qui a fait mourir 82% — disent les statistiques — d’entre nous, lessurvivants de la bureaucratie concentrationnaire ont vu dans les chambres Ă  gazl’unique et providentiel moyen d’expliquer tous ces cadavres en se disculpant2.

Ce n’était pas plus malin que cela : le comble est qu’ils aient trouvĂ© deshistoriographes complaisants.

Quant au reste, le voleur qui crie plus fort que sa victime et Ă©touffe sa voix,pour dĂ©tourner l’attention de la foule, ce thĂšme n’est pas nouveau dans notrelittĂ©rature.

1 Et ceci ne met pas seulement la S.S. en cause !2 Cette thÚse a été confirmée de façon éclatante le 22 juillet 1953, à la tribune du Conseil de la

RĂ©publique par M. de Chevigny, sĂ©nateur d’un dĂ©partement de l’Est, lequel ex-dĂ©portĂ© deBuchenwald a rĂ©vĂ©lĂ© que « les Allemands avaient laissĂ© les dĂ©tenus faire leur propre police et quepour accomplir les exĂ©cutions hĂątives — sans chambre Ă  gaz ! — on trouvait toujours des amateurspassionnĂ©s. Tous ou presque tous ces acharnĂ©s de justice ont Ă©tĂ© pris plus tard en flagrant dĂ©lit »ajoutait le SĂ©nateur (JO. du 23 juillet 1953 – DĂ©bats parlementaires). L’auteur ne reprochera pas Ă  M.de Chevigny de ne lui avoir pas offert spontanĂ©ment son tĂ©moignage et de l’avoir laissĂ© condamner.

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Personne ne s’est jamais demandĂ© pourquoi — hormis du temps des ticketssupplĂ©mentaires de rationnement qui jouaient le rĂŽle apparent de ciment — il n’ajamais Ă©tĂ© possible de constituer, ni sur le plan dĂ©partemental, ni sur le plan national,des associations viables de dĂ©portĂ©s : c’est que la masse des rescapĂ©s n’incline pasvolontiers Ă  se rassembler dans des groupements fraternels sur les injonctions desthurifĂ©raires de ses anciens gardes-chiourmes qui sont, comme par hasard, lesprotagonistes des diffĂ©rents mouvements qui la sollicitent.

On trouvera dans le corps de l’ouvrage et plus particu[243]liĂšrement enconclusion, les autres Ă©lĂ©ments de la rĂ©ponse Ă  la double question que je posais tout Ă l’heure.

Il est cependant un des Ă©lĂ©ments de cette rĂ©ponse qui ne figure pas dansl’ouvrage : le procĂšs du camp de Struthof qui n’avait point encore eu lieu aux datesauxquelles en furent Ă©crites les deux parties.

Tout comme le livre du Dr Nyiszli Miklos, ce procĂšs met en Ă©vidence uncertain nombre d’invraisemblances quant aux raisons de mourir de ceux qui Ă©taientdĂ©tenus dans ce camp.

Si je lis le rĂ©quisitoire prononcĂ© par le Commissaire du gouvernement contreles accusĂ©s qui Ă©taient des mĂ©decins de la FacultĂ© de Strasbourg auxquels onreprochait des expĂ©riences mĂ©dicales qu’ils avaient faites sur des dĂ©tenus, j’y trouve,d’aprĂšs le journal Le Monde :

« 1) Qu’à l’un d’entre eux, on reproche la mise Ă  mort sur son ordre « des quatre-vingt-sept israĂ©lites, hommes et femmes, arrivĂ©s d’Auschwitz et exĂ©cutĂ©s dans la chambreĂ  gaz pour ĂȘtre ensuite envoyĂ©s Ă  Strasbourg afin de garnir les collections anatomiques duprofesseur allemand » ;

2) Qu’on dit du second : « J’accorde volontiers que la premiĂšre sĂ©ried’expĂ©riences n’a pas provoquĂ© de mort » ;

3) Ce commentaire : « Il s’agit maintenant de savoir si les expĂ©riences sur letyphus ont provoquĂ© des dĂ©cĂšs. Le Capitaine Henriey (c’est le commissaire dugouvernement qui requiert) reconnaĂźt qu’il ne peut peut-ĂȘtre pas en apporter la preuve,mais il pense que le tribunal peut appuyer sa conviction sur des prĂ©somptions lorsqu’ellessont suffisantes, comme c’est le cas ici. Ces prĂ©somptions, il les trouve dans lestĂ©moignages, dans les attendus du jugement de Nuremberg1 ; dans les mensonges deHaagen (c’est le docteur en cause) et ses dissimulations au cours des premiersinterrogatoires. Il pense que ces faits doivent permettre au tribunal de rĂ©pondreaffirmativement Ă  la question posĂ©e ; Haagen s’est-il rendu coupabled’empoisonnements ? »

Ceci prouve de toute Ă©vidence, qu’on n’a pu mettre que [244] quatre-vingt-septmorts au compte de la chambre Ă  gaz du Struthof et des expĂ©riences qui y ont eu lieu.Si ce nombre, relativement restreint au regard des affirmations de la littĂ©ratureconcentrationnaire Ă©tendues Ă  la gĂ©nĂ©ralitĂ© des camps, n’enlĂšve rien Ă  l’horreur dufait (Ă©tant bien entendu admis que contrairement aux allĂ©gations de l’accusĂ©, il ne

1 Ceci ne peut manquer de frapper le lecteur s’il sait que le Tribunal de Nuremberg avait

prĂ©cisĂ©ment fait le mĂȘme raisonnement.

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s’agit pas d’un incident indĂ©pendant de sa volontĂ©) il ne peut ni faire oublier que desmilliers et des milliers — des dizaines de milliers, peut-ĂȘtre — de dĂ©tenus sont mortsdans ce camp, ni empĂȘcher qu’on se demande comment et pourquoi ils sont morts.

Que j’aie Ă©tĂ© Ă  peu prĂšs le seul Ă  orienter les esprits vers ce tragique aspect duproblĂšme concentrationnaire en leur fournissant en mĂȘme temps les Ă©lĂ©mentsd’apprĂ©ciation, c’est-Ă -dire les raisons qui ont fait de chaque camp un grand Radeaude la MĂ©duse, dit assez la misĂšre de notre temps.

Les mĂ©decins du Struthof se sont dĂ©fendus en allĂ©guant que les expĂ©riencesauxquelles ils s’étaient livrĂ©s avaient Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es dans les mĂȘmes conditions desĂ©curitĂ© que des expĂ©riences semblables faites Ă  Manille par les Anglais, Ă  Sin-Sinpar les AmĂ©ricains et dans leurs colonies par les Français. Un Ă©minent professeur deCasablanca est venu le confirmer Ă  la barre, comme d’autres avant lui l’avaientconfirmĂ© au tribunal de Nuremberg, si on en croit la magistrale thĂšse de Doctorat dumĂ©decin de la Marine Française François Bayle, (Croix gammĂ©e contre CaducĂ©e),publiĂ©e en France en 1950. Ce professeur de Casablanca a mĂȘme racontĂ© commentun certain nombre de noirs Ă©taient morts d’un vaccin essayĂ© sur 6 000 d’entre eux.

Cet argument est sans valeur, certes : on ne peut excuser ses propres méfaitspar ceux des autres.

Mais l’argument du Commissaire du gouvernement requĂ©rant la condamnationdes uns sur des prĂ©somptions — c’est lui qui l’avoue ! — et ignorant les autres surlesquels il possĂšde des faits tout aussi rĂ©prĂ©hensibles et matĂ©riellement Ă©tablis estaussi sans valeur : on ne saurait mieux dire que les uns sont coupables parce qu’ilssont allemands et les autres innocents parce qu’ils sont anglais, amĂ©ricains etfrançais.

C’est cette maniĂšre de penser et de juger dont la justification est le plus primitifdes chauvinismes, qui permet de dĂ©clarer que six cents personnes brĂ»lĂ©es dans uneĂ©glise et un village dĂ©truit Ă  Oradour-sur-Glane (France) sont victimes du plusabominable des crimes tandis que des centaines et des centaines de milliers depersonnes — femmes, enfants et [245] vieillards, aussi ! — exterminĂ©es Ă  Leipzig,Hambourg, etc. (Allemagne), Nagasaki et Hiroshima (Japon) dans les conditions quel’on sait, c’est-Ă -dire, tout aussi atroces, constituent un indiscutable et hĂ©roĂŻqueexploit.

C’est elle aussi qui permet d’éviter la mise en accusation du grand et vĂ©ritableresponsable de tout : la guerre !

La guerre : celle de 1914-18 dont la consĂ©quence a Ă©tĂ© le nazisme lequel autilisĂ© — et non inventĂ©, comme on le croit gĂ©nĂ©ralement1 — les camps deconcentration, au sein desquels la guerre de 1939-45 a rendu possible contre lavolontĂ© des hommes, des bourreaux comme des victimes, l’atroce rĂ©gime que l’onsait.

Mais ceci n’est plus dans le sujet que par raccroc.

1 Les bolcheviks qui ne les ont pas davantage inventĂ©s les ont utilisĂ©s bien avant qu’il soit

question du nazisme !

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Bien entendu, nous aurons l’élĂ©gance ou le front de penser qu’il ne dĂ©pend nidu Tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse, ni de la Cour d’Appel de Lyon, nimĂȘme de la Cour de Cassation que nous eussions raison ou tort : Me Dejean de laBatie a fort judicieusement fait remarquer en notre nom que le dĂ©bat auquel on nousavait provoquĂ©s ne se concevait qu’aux SociĂ©tĂ©s savantes ou en tout autre endroit oĂčles hommes ont accoutumĂ© de disputer des problĂšmes sociaux, non devant untribunal.

Mais les dirigeants improvisĂ©s des Associations fantĂŽmes de dĂ©portĂ©s enfaveur desquels les leviers de l’État jouent si complaisamment ne conçoivent d’autresvĂ©ritĂ©s que celles qui sont dĂ©crĂ©tĂ©es et auxquelles le gendarme donne cours forcĂ©dans l’opinion. Ils ne sont pas contre le camp de concentration parce qu’il est lecamp de concentration, mais parce qu’on les y a, eux-mĂȘmes, enfermĂ©s : Ă  peinelibĂ©rĂ©s, ils ont rĂ©clamĂ© qu’on y mĂźt les autres. Il n’y a donc pas de risques : Ă  la salledes SociĂ©tĂ©s savantes, ils se garderont bien de nous convier !

Or, je me refuse pour ma part Ă  me laisser condamner au silence entre le dĂ©batsans issue qu’on nous a proposĂ© devant les juges et celui qu’on nous refuse devantl’opinion.

Écrivant Le Mensonge d’Ulysse, j’avais l’impression de faire Ă©cho Ă  Blanqui,Proudhon, Louise Michel, Guesde, Vaillant, JaurĂšs et de me rencontrer avec d’autrescomme Albert Londres (Dante n’avait rien vu), le Dr Louis Rousseau [246] (UnmĂ©decin au bagne), Will de la Ware et Belbenoit (Les Compagnons de la Belle),Mesclon (Comment j’ai subi 15 ans de bagne), etc. qui, tous, ont posĂ© le problĂšme dela rĂ©pression et du rĂ©gime pĂ©nitentiaire Ă  partir des mĂȘmes constatations et dans lesmĂȘmes termes que moi, ce pourquoi ils avaient, tous aussi, reçu un accueilsympathique du mouvement socialiste de leur Ă©poque.

Que les adversaires les plus acharnĂ©s de l’ouvrage se soient prĂ©cisĂ©menttrouvĂ©s parmi les dirigeants du Parti Socialiste et du Parti Communiste — unitĂ©d’action ? — s’explique peut-ĂȘtre par la curieuse et prĂ©tendue loi des balancementshistoriques. Toujours est-il qu’Alain Sergent ayant apprĂ©ciĂ© le rĂ©gime pĂ©nitentiairefrançais, en prenant, lui aussi, ses unitĂ©s de mesures dans le mouvement socialistetraditionnel (Un anarchiste de la Belle Ă©poque, Ed. du Seuil), c’est surtout en dehorsdu mouvement socialiste qu’il trouva des Ă©chos.

Et que dans, le dĂ©bat qui eut rĂ©cemment lieu sur l’amnistie Ă  l’AssemblĂ©enationale, l’attitude des reprĂ©sentants du Parti Socialiste et du Parti Communiste a puĂȘtre enregistrĂ©e comme une preuve superfĂ©tatoire qu’il s’agissait d’une prise deposition systĂ©matique et quasi doctrinale.

Je regrette que cette prise de position n’ait d’autres rĂ©fĂ©rences que les notionspĂ©rimĂ©es de Nation, de Patrie et d’État. Pour cette raison, ceux qui se targuent d’ĂȘtreles hĂ©ritiers spirituels des Communards, de Jules Guesde et de JaurĂšs ontinsensiblement Ă©tĂ© conduits Ă  cautionner une littĂ©rature qui, en Ă©touffant les donnĂ©esĂ©lĂ©mentaires du problĂšme de la rĂ©pression dans une culture de l’horreur, appuyĂ©e sur

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le faux historique, ont Ă  la fois crĂ©Ă© une atmosphĂšre de meurtre en France et creusĂ©un insondable fossĂ© entre la France et l’Allemagne.

IndĂ©pendamment d’autres rĂ©sultats tout aussi paradoxaux dans de nombreuxautres domaines. Dans un de ses moments de sincĂ©ritĂ©, David Rousset les avaitcependant prĂ©venus :

« La vĂ©ritĂ©, c’est que la victime comme le bourreau Ă©taient ignobles ; que la leçondes camps, c’est la fraternitĂ© dans l’abjection ; Que si toi, tu ne t’es pas conduit avecignominie, c’est que seulement le temps a manquĂ© et que les conditions n’ont pas Ă©tĂ© toutĂ  fait au point ; qu’il n’existe qu’une diffĂ©rence de rythme dans la dĂ©composition desĂȘtres ; que la lenteur du rythme est l’apanage des grands caractĂšres ; mais que [247] leterreau, ce qu’il y a dessous et qui monte, monte, monte, c’est absolument, affreusementla mĂȘme chose. Qui le croira ? D’autant que les rescapĂ©s ne sauront plus. Ils inventeront,eux aussi, de fades images d’Epinal, de fades hĂ©ros de carton-pĂąte. La misĂšre de centainesde milliers de morts servira de tabou Ă  ces estampes. » (Les Jours de notre mort, p. 488,Ed. de Paris, 1947).

Ils ont fait semblant de ne point entendre.Et lui-mĂȘme, trop prĂ©occupĂ© de traĂźner devant les tribunaux correctionnels, les

communistes dont il avait fait l’apologie, l’avait sans doute oubliĂ©.Le lecteur pourra encore utilement mĂ©diter sur quelques faits du genre de ceux-

ci :– Le 26 octobre 1947, tous les journaux publiùrent l’entre-filet suivant :

« Encore un drame des camps de concentration devant le tribunal militaire :Un Italien, Pierre Fiorelini fut accusĂ© d’avoir, au temps de Bergen-Belsen, tuĂ©

sept de ses compagnons.Il Ă©tait infirmier, un infirmier d’ailleurs aux mĂ©thodes mĂ©dicales assez curieuses.

Son plaisir Ă©tait de jouer de l’harmonica et de faire danser au son de cet instrument lescodĂ©tenus. S’ils refusaient, il les frappait Ă  coups de bĂąton.

Un jour, ayant Ă  soigner un lieutenant malade, il le conduisit au lavabo, le lava,puis, comme l’autre protestait contre la brusquerie de ses gestes, il l’assomma Ă  coups debĂąton. Les compagnons de celui-ci essayĂšrent alors de l’en empĂȘcher. Fiorelini en abattitsuccessivement six.

Il est aujourd’hui accusĂ© par les rescapĂ©s de ce bloc. »

– Dans le journal Le Monde du 18 janvier 1954, rendant compte du procĂšs duStruthof, M. Jean-Marc ThĂ©olleyre — un des rares chroniqueurs judiciaires de notretemps, dont l’objectivitĂ© ne puisse guĂšre ĂȘtre mise en doute — fait le portrait d’undes rares dĂ©tenus qui ait eu Ă  rĂ©pondre devant la justice de son comportement dansles camps :

« De tous ces accusĂ©s il en Ă©tait un dont on attendait [248] l’interrogatoire aveccuriositĂ©. C’était Ernst Jager, car Jager n’était pas S.S. DĂ©tenu, il appartint Ă  cette raceaussi dĂ©testĂ©e — sinon plus — dans les camps, celle des Kapos. En fait, il avait auStruthof le titre exact de « Vorarbeiter », c’est-Ă -dire de dĂ©tenu responsable d’un groupede travail sous les ordres d’un Kapo. À ce titre il a frappĂ©, cognĂ©, assommĂ©, autant etpeut-ĂȘtre plus qu’un S.S..

Jager est l’incarnation de ce que peut faire d’un homme la vie concentrationnaire.Quelle fut sa vie ? À quarante ans il en a passĂ© vingt-quatre en prison· De la libertĂ© il agardĂ© seulement le souvenir d’un temps oĂč il Ă©tait marin, sans pouvoir en dire plus, et dujour de 1930 oĂč sur un quai de port il blessa mortellement un S.A. au cours d’une rixe. Onle condamna Ă  sept annĂ©es de rĂ©clusion. L’avĂšnement du nazisme, il en eut de vagues

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Ă©chos en prison. Il ne devait le dĂ©couvrir vraiment que lorsque sa peine expirĂ©e ils’entendit annoncer par le nouveau rĂ©gime qu’il serait maintenu en dĂ©tention sousl’étiquette d’asocial. DĂšs lors il porta sur sa veste le triangle noir et ce furent les campssuccessifs. Mais avant de l’y jeter la Gestapo commença par le stĂ©riliser. Du mondeconcentrationnaire il a connu la pĂ©riode la plus horrible. Il fut de cette Ă©poque oĂč lescamps comptaient pour toute population des juifs, des tziganes, des asociaux, despĂ©dĂ©rastes, des souteneurs et des voleurs. C’était dĂ©jĂ  le temps de l’extermination, et seuly Ă©chappait celui qui avait assez de courage pour se faire loup afin de ne pas ĂȘtre dĂ©vorĂ©1.

Tous voulaient vivre, mais chacun d’entre eux voulait vivre contre les autres. Àtout prix, n’importe comment. Ils instaurĂšrent et dĂ©veloppĂšrent dans les camps toutes lesmĂ©thodes du gang. Quand on le [249] nomma Vorarbeiter au Struthof c’est qu’on savaitqu’il avait les capacitĂ©s requises. ContaminĂ© par cette existence avilissante, il s’est noyĂ©dans ce fleuve de boue. Ses nerfs n’ont pas tenu. Il a dĂ» ĂȘtre de ceux, car il y en a eu, quien arrivĂšrent Ă  prendre cette vie concentrationnaire en telle haine que tous les ĂȘtres qui enportaient le costume, ces fantĂŽmes famĂ©liques et dĂ©sespĂ©rĂ©s, leurs Ă©taient devenus odieux.Alors c’étaient les coups, les accĂšs de rage. »

C’est une explication que, sans doute, ne renierait pas Freud, mais elle ne vautque ce qu’elle vaut.

Au surplus, oĂč M. Jean-Marc Theolleyre se trompe, cette fois sĂ»rement, c’estlorsqu’il Ă©crit :

« Alors qu’avaient de commun avec eux ces dĂ©tenus politiques, ces trianglesrouges : communistes et socialistes allemands, rĂ©sistants français, polonais ou tchĂšques ?MaĂźtres dans le camp, ils entendaient le rester. Ce fut alors le temps oĂč les dĂ©tenus dedroit commun tapaient, tuaient Ă  tour de bras, oĂč les « politiques » s’arrangeaient pourorganiser leur rĂ©sistance, pour montrer leur discipline, leur aptitude Ă  diriger et finissaientpar contre-attaquer en enlevant un Ă  un les postes-clĂ©s dans la vie intĂ©rieure du camp. »

Ce qu’ils avaient de commun ? Mais, cher Jean-Marc Theolleyre, une fois aupouvoir, dans les camps, ils se comportùrent exactement comme les droits communset c’est Jager qui vous le dit en ces termes que, trùs honorablement, vous rapportezdans votre compte rendu :

« Je n’ai pas commis de sĂ©vices. Bien au contraire, c’est moi qui ai Ă©tĂ© frappĂ© parles politiques. Ce sont eux qui se sont montrĂ©s les pires, mais Ă  eux on ne leur disaitjamais rien. Pourquoi en veut-on tellement Ă  des gens comme nous, les triangles verts oules triangles noirs ? Quand je suis arrivĂ© au Struthof ce ne sont pas les S.S. qui m’ontcognĂ©, mais les politiques. Or, jusqu’ici on n’a jamais vu un seul d’entre eux devant untribunal. Et pourtant le Kapo chef du Struthof, qui en Ă©tait, et qui a fait pire que moi, abĂ©nĂ©ficiĂ© d’un non-lieu. »

1 Un trĂšs grand nombre des rescapĂ©s des camps — sinon le plus grand nombre, — sont ceux

qui ont observĂ© cette rĂšgle jusqu’à la fin ou qui, sans se faire loups — il y en eĂ»t ! — ont bĂ©nĂ©ficiĂ© dela bienveillance ou de la protection des loups. Car, on l’ignore, on feint de l’ignorer ou on l’oublie —les camps Ă©taient administrĂ©s par des dĂ©tenus qui s’étaient fait loups et qui, par dĂ©lĂ©gation des S.S. yexerçaient une autoritĂ© de satrapes : Il n’est pas sans intĂ©rĂȘt de noter accessoirement que ces loupsĂ©taient communistes, se disaient tels ou servaient les desseins du Communisme. C’est ce qui expliqueque la plupart des rescapĂ©s soient communistes : hormis ceux qu’ils ont oubliĂ©s ou qu’ils n’ont pasdĂ©couverts, les communistes ont envoyĂ© tous les autres Ă  la mort. Et, imperturbables, ils mettentaujourd’hui la responsabilitĂ© de toutes les morts et de toutes les horreurs, non pas sur le rĂ©gime nazi,— ce qui ne pourrait dĂ©jĂ  se soutenir que trĂšs difficilement car il faudrait admettre que le rĂ©gime naziest seul responsable de l’institution concentrationnaire quand on sait qu’elle existe dans tous lesrĂ©gimes, y compris le nĂŽtre, — mais sur des SS pris individuellement et qu’ils dĂ©signent nommĂ©ment.

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– Dans un autre journal et toujours à propos du procùs du Struthof, un autrechroniqueur judiciaire rapporte :

« Plusieurs autres tĂ©moins sont venus Ă©voquer la [250] mort d’un jeune Polonaisqui, endormi, n’avait pas rejoint assez vite la place d’appel. RamenĂ© Ă  force de coups parHermanntraut, il fut jetĂ© aussitĂŽt sur l’espĂšce de table qui servait pour administrer lesbastonnades. Il reçut ainsi vingt-cinq coups terribles, que deux autres dĂ©tenus furentcontraints de lui donner. »

On trouvera dans cet ouvrage, l’histoire de Stadjeck, curieuse rĂ©plique Ă  Dora,du Fiorelini, de Bergen-Belsen et celle de quelques autres dont le comportement futle mĂȘme que celui de Jager ou de ces deux malheureux qui furent contraints — ous’offrirent ! — Ă  appliquer 25 coups terribles de bĂąton Ă  un de leurs compagnonsd’infortune : droits communs ou politiques les seconds prenant la suite des premiersĂ  la tĂȘte de la self-administration pĂ©nitentiaire, il y eut dans les camps des milliers etdes milliers de Fiorelini, de Stadjeck, de Jager et de bastonneurs.

On connut quelques droits communs auxquels on demanda des comptes.On ne demanda pas de comptes aux politiques et c’est pourquoi on n’en connut

pas. Si on veut tout savoir, il n’était pas possible de demander des comptes auxpolitiques : profitant de la confusion des choses et du dĂ©sarroi des temps, lespolitiques, qui avaient dĂ©jĂ  eu l’habiletĂ© d’évincer les droits communs dans lescamps — par des mĂ©thodes qui ressortissaient aux lois du milieu et qui consistaienten mĂȘme temps Ă  inspirer confiance aux SS, ceci n’est pas nĂ©gligeable — eurentaussi, le moment venu, celle de se muer en procureurs et en juges, tout Ă  la fois, et ilse trouva qu’ils furent seuls habilitĂ©s Ă  demander des comptes. Dans leur rage de voirdes coupables partout, ils eussent fusillĂ© tout le monde et ils ne s’aperçurent mĂȘmepas qu’ils n’avaient pas jouĂ©, Ă  la tĂȘte des camps de concentration, un autre rĂŽle — eten pire ! — que celui qu’ils reprochaient par exemple Ă  PĂ©tain, de s’ĂȘtre offert Ă  jouetĂ  la tĂȘte de la France occupĂ©e.

Tels Ă©taient ces temps que, sur le moment, personne ne s’en aperçut pour eux.Des gens dĂ©couvrirent dans la suite qu’ils s’étaient un peu trop hĂątĂ©s de

reconnaĂźtre au Parti communiste le rĂŽle d’un Parti de gouvernement, que la plupartdes procureurs et des juges Ă©taient communistes et que, par lĂąchetĂ©, par inconscienceou par calcul, ceux qui, de hasard ne l’étaient pas, jouaient quand mĂȘme le jeu duCommunisme. Par cette voie dĂ©tournĂ©e de la nĂ©cessitĂ© politique, on finit pardĂ©couvrir [251] aussi une partie de la vĂ©ritĂ© sur le comportement des dĂ©tenuspolitiques dans les camps de concentration. Mais cette nĂ©cessitĂ© politique n’estencore Ă©vidente que dans l’esprit d’une certaine classe : la classe dirigeante qui neretient du communisme que ce qui la menace directement et elle seulement. C’estpourquoi on ne connaĂźt toujours qu’une partie de la vĂ©ritĂ© : on ne la connaĂźtra touteque le jour oĂč les autres classes de la sociĂ©tĂ© et notamment la classe ouvriĂšre seront Ă leur tour fixĂ©es sur les non moins sombres desseins du communisme en ce qui lesconcerne et sur sa vĂ©ritable nature.

Ce sera Ă©videmment long.

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Nous avons toutefois des chances, maintenant, de voir se multiplier dans lalittĂ©rature, les aveux du genre de celui-ci que ManĂšs Sperber place dans la bouched’un de ses personnages, ancien dĂ©portĂ© politique :

« Sur le plan politique, nous n’avons pas cĂ©dĂ©, mais, sur le plan humain, nousnous sommes trouvĂ©s du cĂŽtĂ© de nos gardiens. L’obĂ©issance, en nous, allait au devant deleurs dĂ©cisions. » (Et le buisson devint cendre).

À la longue, ces aveux se dĂ©gageront comme d’une gangue, de la contradictionqui consiste Ă  penser qu’on peut faillir sur le plan humain sans cĂ©der sur le planpolitique et il ne restera plus que « Nous nous sommes trouvĂ©s du cĂŽtĂ© de nosgardiens ». Sans doute auront-ils alors perdu ce caractĂšre d’excuse absolutoire qu’ilsse voulaient eux-mĂȘmes donner, mais ils auront gagnĂ© dans le sens d’une sincĂ©ritĂ© siĂ©mouvante que l’excuse absolutoire viendra du public et que ce sera beaucoupmieux.

Quand on en sera lĂ , rien ne sera plus facile que de trouver une explicationhonnĂȘte du phĂ©nomĂšne concentrationnaire sur le plan moral.

Chose Ă©trange, lĂ  encore, tandis que la littĂ©rature dans son ensemble et nonseulement la concentrationnaire, ne cherche toujours cette explication qu’en essayantde se surclasser elle-mĂȘme dans la description des cruautĂ©s en tous genres del’ennemi, tandis qu’historiens, chroniqueurs et sociologues cĂšdent toujours Ă  cefĂ©tichisme de l’horreur qui est le signe-clĂ© de notre temps, le sentiment public Ă l’opposĂ©, se manifeste dĂ©jĂ  par des rĂ©actions d’un sĂ©rieux inattendu ainsi qu’en faitfoi cet extrait d’une lettre de lecteur publiĂ©e par Le Monde, le 17 juillet 1954 :

« Que tout cela ait pu ĂȘtre ne s’explique pas seulement par la bestialitĂ© deshommes. La bestialitĂ© est [252] limitĂ©e, Ă  son insu, par la mesure de l’instinct. La natureest loi sans le savoir. L’épouvante qui nous a de nouveau saisis Ă  la lecture des comptesrendus de Metz fut engendrĂ©e dans nos paradoxes d’intellectuels, dans notre ennuid’avant-guerre, dans notre pusillanime dĂ©ception devant la monotonie du monde sansviolence, dans nos curiositĂ©s nietzschĂ©ennes, dans notre mine blasĂ©e Ă  l’égard des« abstractions » de Montesquieu, de Voltaire, de Diderot. L’exaltation du sacrifice pour lesacrifice, de la foi pour la foi, de l’énergie pour l’énergie, de la fidĂ©litĂ© pour la fidĂ©litĂ©, del’ardeur pour la chaleur qu’elle procure, l’appel Ă  l’acte gratuit, c’est-Ă -dire hĂ©roĂŻque :voilĂ  l’origine permanente de l’hitlĂ©risme.

Le romantisme de la fidĂ©litĂ© pour elle-mĂȘme, de l’abnĂ©gation pour elle-mĂȘme,attachait Ă  n’importe qui, pour n’importe quelle besogne, ces hommes qui — ceux-lĂ vĂ©ritablement — ne savaient pas ce qu’ils faisaient. La raison, c’est prĂ©cisĂ©ment savoir ceque l’on fait, penser un contenu. Le principe de la sociĂ©tĂ© militaire oĂč la discipline tientlieu de pensĂ©e, oĂč notre conscience est en dehors de nous, mais qui, dans un ordrenormal, se subordonne Ă  une pensĂ©e politique, c’est-Ă -dire universelle, et en tire sa raisond’ĂȘtre et sa noblesse, se trouvait — dans la mĂ©fiance gĂ©nĂ©rale Ă  l’égard de la pensĂ©eraisonnable, prĂ©tendument inefficace et impotente — seul Ă  rĂ©gir le monde.

DĂšs lors il a pu tout faire de l’homme. Le procĂšs du Struthof nous rappelle, contreles mĂ©taphysiques trop orgueilleuses, que la libertĂ© de l’homme succombe Ă  la souffrancephysique et Ă  la mystique. Pourvu qu’il accepte sa mort, tout homme naguĂšre pouvait sedire libre. VoilĂ  que la torture physique, la faim et le froid ou la discipline, plus forts quela mort, brisent cette libertĂ©. MĂȘme dans ses derniers retranchements, lĂ  oĂč elle se consolede son impuissance d’agir, de demeurer pensĂ©e libre, la volontĂ© Ă©trangĂšre pĂ©nĂštre en elleet l’asservit. La libertĂ© humaine se rĂ©duit ainsi Ă  la possibilitĂ© de prĂ©voir le danger de sapropre dĂ©chĂ©ance et Ă  se prĂ©munir contre elle. Faire des lois, crĂ©er des institutions

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raisonnables qui lui Ă©viteront les Ă©preuves de l’abdication, voilĂ  la chance unique del’homme. Au romantisme de l’hĂ©roĂŻque, Ă  la puretĂ© des Ă©tats d’ñme, qui se suffisent, ilfaut Ă  nouveau substituer et placer Ă  sa place, qui est la premiĂšre — lacontem[253]plation des idĂ©es qui rend possibles les rĂ©publiques. Elles s’écroulentlorsqu’on ne lutte plus pour quelque chose, mais pour quelqu’un. » Emmanuel LĂ©vinas.

Tout y est : le principe de la sociĂ©tĂ© militaire oĂč la discipline tient lieu depensĂ©e qui se trouvait seul Ă  rĂ©gir le monde ; la libertĂ© de l’homme qui succombe Ă  lasouffrance physique et Ă  la mystique : la bestialitĂ© limitĂ©e seulement par la mesure del’instinct ; les lois et les institutions raisonnables nĂ©cessaires susceptibles d’éviter Ă l’homme les Ă©preuves de l’abdication, lois qui n’existaient pas, qui n’existent pasencore et qui sont sa seule chance.

Le raisonnement, certes, n’est construit que sur l’homme qui a abdiquĂ© et setransforme en bourreau. Il vaut pour la victime :

« Quant à la question de savoir si la souffrance prouve quelque chose pour celuiqui la subit, écrit encore ManÚs Sperber, elle me paraßt fort difficile. En revanche, il meparaßt certain que la souffrance ne réfute pas son auteur, au moins en Histoire. » (op. cit.)

Cela est si vrai que les victimes d’hier sont les bourreaux d’aujourd’hui et vice-versa.

Il ne me reste plus maintenant qu’à remercier indistinctement et en bloc, tousceux qui se sont courageusement battus pour Le Mensonge d’Ulysse.

On m’a dit que, parmi eux, il y avait des fascistes et j’ai souri doucement :ceux qui me le jetaient Ă  la face Ă©tant prĂ©cisĂ©ment ceux qui rĂ©clamaient parallĂšlementla saisie de l’ouvrage et, dans tous leurs journaux, que fussent dĂ©crĂ©tĂ©es contre unpeu tout le monde des interdictions d’écrire, de parler et mĂȘme de se dĂ©placer,comment n’aurais-je pas pensĂ© que, s’il suffisait de croire pour ĂȘtre baptisĂ©, il nesuffisait pas de refuser le baptĂȘme pour n’ĂȘtre point fasciste ?

On m’a dit aussi qu’il y avait des collaborateurs du temps de l’occupation et jeme suis consolĂ© en constatant qu’ils Ă©taient surtout rĂ©putĂ©s tels et qu’en tout cas, ilsvoisinaient avec un nombre impressionnant de rĂ©sistants authentiques.

En fin de compte, j’ai surtout observĂ© que, dans le vaste champ de l’opinionqui va de l’extrĂȘme-droite Ă  l’extrĂȘme-gauche, beaucoup de gens continuaient ourecommençaient Ă  penser tous les problĂšmes, non plus conformĂ©ment aux [254]rĂšgles Ă©troites des sectes, chapelles et partis, mais par rĂ©fĂ©rence aux valeurshumaines.

Et ceci me paraĂźt de nature Ă  autoriser tous les espoirs.

Paul RASSINIER

Mùcon, décembre 1954

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LA HIERARCHIE DANS UN CAMPS DE CONCENTRATION

BERLIN (Gestapo)

(1) Direction S.S. ; (2) Rapporteur gĂ©nĂ©ral de la vie au camp ; (3) Rapporteur de la marched’un service ; (4) Responsable S.S. de la vie d’un block ; (5) Direction par les concentrationnaires : (6)Doyen ou chef de camp, choisi par les S.S. parmi les dĂ©tenus ; (7) Chef d’un kommando de travail ;(8) Chef d’une Ă©quipe d’un kommando ; (9) Doyen ou chef de block dĂ©signĂ© par les S.S. ; (10)Comptable du block ; (11) Homme de chambre au block ; (12) La masse des dĂ©tenus.

Sous-camps

Auschwitz

Sous-camps

Dachau

DORA

Buchenwald

Sous-camps

Mathausen

Sous-camps

Etc.

I. - S.S. FĂŒhrung (1)

Lager Kommandant ou commandant du camp

GĂ©nĂ©ral RapportfĂŒhrer (2)

RapportfĂŒhrer (3)Arbeitstatistik

RapportfĂŒhrer (3)Verwaltung

RapportfĂŒhrer (3)Kontrolle Arbeit

Etc. BlockfĂŒhrer (4)Etc.

II. - HĂ€ftlingsfĂŒhrung (5)

LagerÀltester (6)

Kapo (7)

VorarbeiterVorarbeiter (8)

Kapo

Etc.

Kapo

Etc.

Etc.

Etc.

Etc.

Etc.

III. - HĂ€ftling (12)

BlockÀltester (9)

Schreiber (10)Stubendienst (11)

HĂ€ftling au repos

Encadrement desdétenus au repos

Encadrement des détenus au travailHÀftling en équipe

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PREFACE D’ALBERT PARAZ A LA PREMIERE EDITION

Allons bon ! Qu’est-ce que le fascisme ne va pas inventer ? Faire prĂ©facer unlivre sur les camps par un type qui n’a pas beaucoup cru en la rĂ©sistance, qui n’amĂȘme pas daignĂ© en faire partie, comme tout le monde, quand les « boches » Ă©taientloin, qui a prĂ©tendu en noter tout de suite l’imposture et n’a jamais cessĂ© derevendiquer bien haut, le gars, avoir Ă©tĂ© le premier Ă  l’écrire : les honnĂȘtes gens ne lepermettront pas.

Je suis bien de cet avis, c’est pourquoi cette prĂ©face je ne la fais pas. Je veuxseulement vous raconter par quelle lĂ©zarde invisible dans le mur de la fable, desrĂ©sistants, mais alors des vrais, sont venus me dire la joie que je leur avais faite enexprimant ce qui Ă©tait depuis toujours leur point de vue.

Ils sont venus comme ça, ils m’ont Ă©crit. Un jour, dans France-Dimanche oĂčj’étais nettement visĂ© par l’adjudant Rosenbach, un rĂ©sistant a pris ma dĂ©fense.

Puis une sĂ©rie de nouvelles relatant des exploits d’espionnage au profit del’Angleterre m’ont Ă©tĂ© dĂ©diĂ©es par leur auteur, un nommĂ© GrĂ©goire, sans que j’ensusse rien. J’avais bonne mine !

Et des rĂ©sistants dĂ©corĂ©s que j’engueulais se jetaient sur moi, non pourm’étrangler, comme je l’aurais cru, mais pour m’étouffer (l’effet Ă©tait le mĂȘme) enme pressant sur leur cƓur : « Jamais on ne le dira assez, mon cher monsieur, quelssalauds abjects nous fĂ»mes, on saura un jour que nous avons tous Ă©tĂ© des criminels. »

Et ce Rassinier, que je prends à partie1 dans Valsez, Saucisses, me demande dele préfacer.

Je lui réponds :« Citoyen,Tous les soirs, dans les rues de Morlaix, le bon Carette, en 1945 (voir le Gala)

criait de sa voix cĂ©lĂšbre : « La rĂ©sistance nous emm.... »« Elle nous emm parce qu’elle nous fait ch.... »« Elle nous fait ch.... parce qu’elle nous emm.... ! »Admirez la richesse de la pensĂ©e et la concision de la forme. On ne saurait

mieux dire. Simple, clair, français. C’est du Chamfort, pas du Sartre.Les dĂ©portĂ©s font partie de la rĂ©sistance. VoilĂ  cinq ans qu’ils nous infectent et

vous avec. Il n’y a aucune raison pour que les dĂ©portĂ©s aient plus le droit de se mettreen avant que les anciens combattants, les blessĂ©s du poumon, les prisonniers, les

1 À propos de son Passage de la ligne, un rĂ©cit sur les camps dans lequel il fait dĂ©jĂ  preuve

d’une objectivitĂ© qui frise la provocation.

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Ă©vadĂ©s et mĂȘme les dĂ©serteurs, les cocus de guerre ou les maris de tondues. Je vouspisse au train. Salut et fraternitĂ©. »

À quoi Paul Rassinier me rĂ©pondit qu’il Ă©tait entiĂšrement d’accord, que meconnaissant il n’en attendait pas moins de moi, qu’il ne s’était pas trompĂ© sur moncompte et qu’il me demandait seulement de lui dire quelles idĂ©es et quelles imagesm’avait suggĂ©rĂ©es son petit travail.

Voici donc comment je vois les choses, en ce curieux demi-siÚcle.Il est prouvé maintenant que la résistance officielle était composée de trÚs

basses fripouilles, fort heureusement peu nombreuses1. Regardez ce grotesque procÚsHardy, escamoté par une presse complice. On découvre avec stupeur que la plupartdes héros faisaient partie de la gestapo.

Plus ou moins.C’est mĂȘme lĂ -dessus que porte la discussion de ces accablants polichinelles.

Le conjurĂ© nommĂ© Claude Bourdet s’écrie : « Ce que je reproche Ă  RenĂ©, c’est de nepas nous avoir avouĂ© qu’il travaillait pour les Fritz. On aurait compris, on lui auraitpardonnĂ©. »

C’était la moindre des choses.Mais, cher chacal, il y a quarante-deux millions de Français qui n’ont jamais

travaillĂ© pour la Gestapo, et justement ceux-lĂ  n’ennuient personne. Le jour oĂč ça vase retourner, petit scorpion, tu seras aplati.

Ah !Ce Hardy aurait empĂȘchĂ© la « rĂ©union de Caluire ». Mais nul ne s’est avisĂ©

dans les deux hĂ©misphĂšres que si la rĂ©union de Caluire avait eu lieu, cela n’auraitabsolument rien changĂ© Ă  rien, pas d’un milliardiĂšme le rĂ©sultat final, en bien ou enmal.

Nos zĂšbres auraient peut-ĂȘtre assassinĂ© quelques Français de plus, et c’est tout.Oh ! pardon, liquidĂ© quelques fascistes, excusez-moi, la langue m’a fourchĂ©.

Quand il m’arrive de demander Ă  un de ces extraordinaires « patriotes » cequ’ils ont fait de vraiment utile pendant la guerre, je m’aperçois que personnellementj’en ai fait beaucoup plus qu’eux. Mais l’idĂ©e ne m’est jamais venue de le crier surles toits pour me donner le droit d’occire les concurrents dont je convoitais la place.

Ça s’explique peut-ĂȘtre tout simplement en ce que je ne convoitais la place depersonne.

Vous allez me dire : le monde entier est d’accord avec vous extrĂȘmement saitdepuis longtemps la diffĂ©rence entre la vraie rĂ©sistance et le rĂ©sistantialisme.

Je rĂ©pondrai : pas du tout, et la preuve c’est que vous trouvez cette prĂ©faceparadoxale et scandaleuse, alors que depuis longtemps et bien avant moi, les vraisrĂ©sistants auraient dĂ» se dresser pour exiger que les hideux assassins d’aoĂ»t,septembre, octobre 44, cessent de nous faire la loi.

1 Il y avait 475 résistants armés à Paris le 17 août. Le 20, grùce à Joinovici et aux armes

vendues par les Fritz, il y en avait 3.000, et le 25, 3 trois millions.

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Mais c’est tellement difficile de basculer la lĂ©gende. Il faut d’abord y penser. Ilfaut voir la grande lumiĂšre. C’est le fait d’une toute petite Ă©lite, les Ă©cƓurĂ©s dutroupeau, les rĂąleurs, les « jamais-contents », les gens qui n’aiment pas lĂ©cher lesbottes et rĂ©clamer des dĂ©corations. Il y en a, bien entendu, dans la rĂ©sistance, la vraie,mais si l’on s’avise de toucher le moins du monde Ă  quelque chef de bande,chauffeur, violeur, Ă©trangleur pris la main dans le sac et dĂ©noncĂ© par vingt tĂ©moinsdepuis cinq ans, on voit se dresser l’unanimitĂ© du Comac, du C.N.E., du C.N.R. quise sent visĂ©e.

Il est bien Ă©vident et ils en ont des cauchemars, les bougres, que dĂšs qu’on enaurait pendu un, les autres suivraient.

Vous remarquerez, par exemple, les fausses indignations des décromatestréchiens et des socialistes [sic] contre les communistes.

Du bidon tout ça, la seule force qui protĂšge la clique rĂ©sistance au pouvoir, cesont les militants communistes, assez organisĂ©s pour empĂȘcher dans les villages, lespetites villes et les grandes, les Français ordinaires de faire Ă©clater un peubrutalement la vĂ©ritĂ©.

Car enfin, comme disait l’autre, de quoi s’agit-il ? De ça, pas d’autre chose. Degarer leurs fesses, pour les rĂ©sistants qui ont liĂ© leur sort au rĂ©sistantialisme.

VoilĂ  des malheureux qui prĂ©tendent avoir le monopole du patriotisme. Euxseuls ont des droits, parce qu’ils l’ont dĂ©crĂ©tĂ© et les quarante-deux millions deFrançais non inscrits sur les listes sont suspects.

Avez-vous jamais vu un culot pareil au cours de l’histoire ?Tous les Français, quels qu’ils soient, pendaient de mĂȘme sous l’occupation, ils

auraient bien voulu que les Allemands s’en aillent, sauf ceux qui trafiquaient aveceux et à qui ça rapportait gros, un point c’est tout.

Je n’affirmerais mĂȘme pas qu’un Sartre et un Camus, par exemple, qui ont faitleur situation et pris toute leur place du temps des Allemands, n’aient passincĂšrement souhaitĂ© leur dĂ©part.

D’autant plus qu’ils se sont arrangĂ©s pour garder ces places et ces situations, cequi est humain. Il est un tout petit peu rĂ©pugnant qu’ils aient signĂ© une liste dĂ©signantleurs confrĂšres au poteau, il est exagĂ©rĂ©ment rĂ©pugnant qu’ils l’aient fait au nom desgrands principes d’humanitĂ©, du christianisme, de socialisme, de marxisme, deprogressisme. Feu et sang, mort aux gars qui pourraient prendre ma place, Ă  bas larĂ©action.

Et Notre TĂŠnia d’écrire des piĂšces de tĂŠnia, qui rĂ©pondaient Ă  l’époque Ă  unbesoin, Ă  de la demande, oĂč l’on voit exalter l’hĂ©roĂŻsme des assassins les plusimbĂ©ciles.

Cela nous amĂšne Ă  notre objet. Il y avait en 45, 46, 47 (avant le « Gala desVaches » pour fixer les idĂ©es, dit-il modestement) une demande de rĂ©cits sur lesexploits de la rĂ©sistance, avec pour corollaire tout ce qu’on pouvait imaginer surl’abjection propre et essentielle aux Teutons.

Ça avait dĂ©jĂ  commencĂ©, avant 44, en Angleterre par une sĂ©rie d’infamies dePeter Cheyney, prompt tout comme un Sartre Ă  humer le vent et qui divisait les

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Français en deux groupes : d’un cĂŽtĂ© les espions en cheville avec Londres, de l’autreles traĂźtres de Vichy. De quoi je me mĂȘle ? Passons.

Un peu plus loin, en AmĂ©rique, l’image d’Epinal n’était pas encore biendessinĂ©e, on avait gardĂ© le goĂ»t d’une certaine rĂ©alitĂ© et An. Girard (le dessinateur deDuco) pouvait publier un livre trĂšs lu dans tous les milieux1 oĂč il avouait naĂŻvementque la plupart des rĂ©seaux (qu’on n’avait appelĂ©s ainsi qu’en 46) ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s par laGestapo. De mĂȘme, tous les rĂ©seaux de Werwolf, en Allemagne occupĂ©e, ont Ă©tĂ©organisĂ©s par la police amĂ©ricaine.

En 45, l’Europe a vu l’explosion de la littĂ©rature la plus basse qu’elle ait jamaissubie. Honte, EcƓurement. Heureusement, tout cela est illisible et rien n’en restera ?

Les Ă©diteurs rĂ©clamaient de la rĂ©sistance, il leur en fallait. Écrire contre, il n’enĂ©tait pas question, les « patriotes » auraient fait sauter la maison et Ă©corcher vifs lesvampires, le personnel et l’auteur, aux applaudissements d’une foule enragĂ©e.

Pour vivre, je dus bĂącler en un mois (26 jours) un petit livre, Le PoĂšte Ă©cartelĂ©,dont j’avais prudemment situĂ© l’action au XVIe siĂšcle, afin de m’enlever toutetentation de dire ce que je pensais des gueules au pouvoir. Rien que cela paraissait dela provocation. Pourquoi le XVIe ? Pourquoi ne pas vouloir parler des hĂ©ros de lanuit, des assassins fantĂŽmes et de l’armĂ©e des ombres ?

Je faisais grincer des dents et je devais raser les murs. Vous pensez, dans uneatmosphÚre pareille, comment ça se demandait les horreurs sur les camps.

Nice-Matin publiait en 45 le reportage d’une dame de mes amies qui racontaitcomment elle avait Ă©chappĂ© de justesse Ă  la chambre Ă  gaz, elle Ă©tait dans la file, onl’avait appelĂ©e par miracle.

Elle avait souffert, sans aucun doute, mais elle en rajoutait, c’était visible, ettout le monde en la voyant Ă©tait stupĂ©fait de sa mine Ă©clatante, de ses dents parfaiteset de ses magnifiques cheveux. Je l’entendis un jour se disputer avec une femme quiavait, elle aussi, un chiffre gravĂ© sur le bras et qui lui reprocha d’avoir Ă©crit toute sasĂ©rie d’articles dans Nice-Matin, sans mentionner que les mauvais traitements dontelle se plaignait Ă©tait le fait de dĂ©tenues comme elles, des juives et des Polonaises.

À quoi notre journaliste amateur rĂ©pondit avec une simplicitĂ© splendide qu’onne pouvait pas en ce moment accabler des juifs et des Polonais, le journal ne l’auraitpas laissĂ© passer, tandis qu’on pouvait bien coller tout sur les Fritz qui en verraientbien d’autres et avaient le dos large.

Je ne la blĂąme pas ; je crois, en effet, qu’elle n’aurait pas pu faire autrement,mais il est vrai que son tĂ©moignage ne saurait ĂȘtre retenu par l’histoire, et qu’il ne lesera pas, mĂȘme Ă  propos de dĂ©tails, de dates, pour lesquels on possĂšde des documentsplus prĂ©cis.

Et maintenant, j’en viens au travail de Paul Rassinier.Il est une partie oĂč je refuse absolument de le suivre : celle oĂč il a l’imprudence

d’ergoter, chipoter, chicaner sur les tĂ©moignages, Ă  propos des chambres Ă  gaz.

1 Bataille secrùte en France. Éditions Brentano’s, New York.

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Un petit Mauriac disait dans Le Figaro (naturellement) qu’il Ă©tait encore troptĂŽt pour parler de tout cela avec objectivitĂ©. VoilĂ  pour une fois une forte parole, tropbelle pour n’ĂȘtre pas Ă©chappĂ©e Ă  ce vitulet autrement que par distraction.

Il est Ă©ternellement vrai que pour remonter la pente de cinq ans de mensongesil faut au moins pendant cinq ans frapper sur le mĂȘme clou. Et les premiers quis’avisent de le faire risquent tous les massacres.

Je vous parlerai de notre gang des basculeurs de légende, né aprÚs « Valsez »1,formé avec des durs résistants. Mais il est des légendes qui basculent toutes seules,celle de la résistance par exemple. Elle a coulé comme un furoncle.

En revanche, il y en a qui durent mille ans, le droit de cuissage, les seigneursobligeant leurs serfs Ă  empĂȘcher leurs grenouilles de gueuler. (Ils avaient bougrementraison. Moi, fĂ©odal, j’enverrais mes serfs tirer les motocyclistes et descendre lesavions qui m’empĂȘchent de faire ma sieste, et je ferais hisser les autocars par desbƓufs dans un rayon de trois kilomĂštres autour de mon auguste domicile. Je ne suispas marxiste comme Rassinier, je suis pour l’homme.)

AprĂšs les oubliettes, Torquemada, les jĂ©suites et les francs-maçons, le masquede fer, il est une autre histoire Ă  laquelle il ne faut absolument pas croire : c’est celledes chambres Ă  gaz. La croĂ»te terrestre en est Ă  vif pour des siĂšcles. J’ai failli mefaire assassiner trois fois hier, rien que pour avoir soumis le texte de Rassinier Ă  desvoisins, le tout en marchant Ă  peu prĂšs Ă  cent mĂštres de chez moi.

Seul un extraordinaire masochiste peut s’aviser d’écrire, maintenant, que lestĂ©moignages sur les chambres Ă  gaz ne sont pas tout Ă  fait assez concluants, pour songoĂ»t, qu’il n’y en a qu’un seul dans la littĂ©rature concentrationnaire, celui de Weiss,mais encore rapportĂ© en seconde main, et que personne n’a pensĂ© Ă  interroger ceWeiss d’une maniĂšre sĂ©rieuse qui puisse ĂȘtre retenue par un historien.

C’est de la dynamite. Une femme que je croyais Ă  moitiĂ© saine d’esprit s’estmise Ă  vocifĂ©rer derriĂšre moi. Heureusement pour mes os, elle le faisait dans unelangue Ă©trangĂšre oĂč revenait dix fois le mot nazi jetĂ© Ă  ma tĂȘte avec des « pfoui » etdes sifflements dĂ©mentiels. Il lui faudra des semaines pour s’en remettre.

Je me suis esquivĂ© habilement, faisant un dĂ©tour par les Ă©coles, j’ai sonnĂ© chezReilhac qui n’a pas trop tiquĂ© en lisant le texte oĂč il dĂ©pistait la mĂ©thode marxiste il ale flair mais m’a assurĂ©, olympien, que la chose Ă©tait dĂ©montrĂ©e, les coupables ayantavouĂ© au tribunal de Nuremberg !

Vous allez voir comment il est facile encore de nos jours de se faire aplatir.Vous pensez bien qu’à Nuremberg on aurait pu pendre tout le monde dix fois et letribunal avec et les journalistes itou, je m’en fusse foutu, absolument, infiniment,dĂ©licieusement, n’empĂȘche que j’eus l’inconscience de me dĂ©livrer dans l’oreille deReilhac d’une vĂ©ritĂ© Ă©ternelle, Ă  savoir que les aveux des accusĂ©s devant n’importequel tribunal n’ont jamais rien prouvĂ© !

Et maintenant, ajoutĂ©-je, trompĂ© par sa suffocation que je prenais pour del’intĂ©rĂȘt, maintenant encore moins qu’aux Ă©poques les plus joyeuses de l’histoire.

1 Valsez, Saucisses, chez Amiot-Dumont, vient de paraĂźtre.

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Je n’ai dĂ» mon salut, je vous le jure, qu’à la disposition des lieux et Ă  mapromptitude Ă  jeter la table et deux chaises entre ses pattes la maladie m’a enseignĂ©l’économie des gestes et Ă  m’enfermer dans un local sombre, humide et fort Ă©troit.

Avec le temps, j’ai pu parlementer et on m’a laissĂ© sortir. Il y avait lĂ  uncrapaĂŒtĂ© trĂ©chien au nez comme aplati par une citrouille. Il Ă©cartait les mains dans legeste persuasif des apĂŽtres en disant : « Mais moi, Monsieur, les chambres Ă  gaz, jeles ai vues Ă  Dachau. »

J’étais ravi. Bravo ! lui dis-je. Je vais l’écrire Ă  ce triste conneau de Rassinier,je lui dirai que la premiĂšre personne Ă  qui j’en ai parlĂ© les a vues elle-mĂȘme et peutdonner son nom. L’incident est clos.

À ce moment, G.... gĂącha un peu la valeur de son tĂ©moignage en s’empressantd’ajouter : « Mais non seulement moi, des millions de personnes les ont vues aussi. »

J’écrivis Ă  Rassinier qui me rĂ©pondit par retour : « Dites Ă  votre G...., et sur leton le plus affirmatif, qu’il n’a jamais vu fonctionner la chambre Ă  gaz de Dachaupour asphyxier. De retour en France, il a peut-ĂȘtre vu la photo publiĂ©e par tous lesjournaux. Mais pendant son sĂ©jour au camp il n’a pu voir que l’écriteau « Achtung !Gaz ! Gefahr ! » et c’est tout. »

Je soumis, de loin, le texte Ă  G...., et celui-ci qui Ă©tait dans un de ses bons joursme dit, onctueux : « Je ne l’ai, en effet, pas vue moi-mĂȘme, mais c’est Michelet quim’en a parlĂ©, et il m’a mĂȘme dit : « Ils sont en train de l’agrandir. » »

Il ajouta, dĂ©cidĂ©ment guilleret, ce dĂ©tail croustilleux : « Il avait trouvĂ©,Michelet, une belle planque au camp, les Allemands n’ont jamais su quel personnageimportant il Ă©tait ; pensez qu’ils l’avaient arrĂȘtĂ©, seulement pour leur avoir vendu del’épicerie trop cher ! »

Elle est bien bonne.Les quarante-deux millions de français « non rĂ©sistants », qui n’ont jamais

trafiquĂ© avec les Fritz et qui n’ont jamais Ă©tĂ© de ce fait, ministres, vont l’apprĂ©cier etla savourer. Mais ceci n’est pas encore notre propos. Nous y reviendrons.

En fait, nous comprenons ce qu’a voulu dire Rassinier, et l’affaire G.... leprouve. Il a voulu dire que beaucoup de gens parlent des chambres Ă  gaz et ne les ontjamais vues, ce qui est agaçant pour qui veut faire un travail d’historien. Mais letravail d’historien n’est pas fait pour la place publique : je conjure Rassinier de bienprĂ©ciser que des chambres Ă  gaz il y en a eu, d’y insister et, s’il ne le fait pas, je meretire de ce guĂȘpier.

Parce que, figurez-vous, mĂȘme si elles n’avaient pas servi, ou si elles avaientservi Ă  la dĂ©sinfection, ou servi par hasard, sans ordre d’en haut, ça n’a aucuneimportance. Ce qui compte, c’est que les nazis ont dĂ©portĂ© des tas d’innocents qui nesont jamais revenus. Ne donnons pas dans le panneau de discuter les supernazis quiles ont condamnĂ©s, nous faisons le jeu de la bĂȘte.

J’ai grande mĂ©fiance, depuis dix ans, quinze ans, de la maladie qui gangrĂšnel’Europe, du nazi avec un faux nez, du Malraux qui crie : « La libertĂ© est Ă  qui l’aconquise », du partisan privilĂ©giĂ© qui oblige Ă  coup de trique le non-partisan Ă 

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travailler pour lui, ou l’oblige Ă  coups de bobards Ă  payer des impĂŽts. C’est kif. Si jene prĂ©fĂšre pas les coups de trique, je reconnais que c’est plus franc.

Vous pensez bien que dans cette collection d’écorcheurs je n’ai aucunpenchant Ă  justifier qui que ce soit. Tous se valent, les nazis pas plus que les autres.Et c’est travailler pour eux, sans le vouloir, que de rectifier Ă  la loupe lesinexactitudes publiĂ©es sur leur compte, si on ne hurle pas, d’abord, que c’est paramour de la vĂ©ritĂ©, mais qu’on les tient et les a toujours tenus pour des vampiresimbĂ©ciles et sinistres.

VoilĂ  en quoi un ingĂ©nieux farceur comme Malaparte est fort coupable avecses inventions de bassines pleines d’yeux arrachĂ©s Ă  des juifs, ou ses juifs crucifiĂ©sdans les arbres d’une forĂȘt hantĂ©e. On est bien obligĂ© de dire que cela n’est passĂ©rieux, et tout de suite on se fait classer comme un adorateur du diable, deBelzĂ©buth-Himmler Ă  Hitler-Satan.

Et encore ça peut aller si vous en parlez entre Français : le Français a gardĂ©,malgrĂ© dix ans de pernicieux mensonges, un embryon de sens critique qui a disparuchez l’EuropĂ©en de l’Est, auprĂšs de qui, aujourd’hui encore, il est strictement,totalement, absolument interdit de risquer la moindre plaisanterie sur Goebbels ouGoering sans se faire assassiner.

Les Allemands ont Ă©tĂ© plus maladroits envers les Polonais, les TchĂšques, lesRoumains, mais la propagande des AlliĂ©s a su en tirer un tel parti qu’il est dĂ©fendu Ă un citoyen français, en train de prendre son pastis, de souhaiter une union France-Allemagne de l’Ouest, sans risquer le pire de la part de Hongrois, par exemple, etplus encore de Hongroises que l’on voit dĂ©jĂ  comme leur nom l’indique vous sauterdessus pour vous arracher ce que vous avez au monde de plus prĂ©cieux.

Elles n’ont absolument pas la moindre gĂȘne, la moindre hĂ©sitation (je ne parlepas lĂ  de juives mais d’aristocrates) Ă  vous engueuler en public et Ă  vous expliquerchez vous ce que vous devez penser dans votre propre pays sur les affaires qui vousconcernent.

Bravo ! TrĂšs bien ! c’est dĂ©jĂ  un peu faire l’Europe.Mais je dis Ă  Rassinier : « Ne touchez pas Ă  ça, d’autant plus que les

tĂ©moignages français sont rares. Il y en a trop du cĂŽtĂ© polonais, par exemple, et votretravail n’est qu’une partie de ce qu’il faut faire pour l’ensemble de l’Europe.

C’est encore plus vrai pour les dĂ©portĂ©s anglais qui, en gĂ©nĂ©ral, ont Ă©tĂ© bientraitĂ©s. Nos trois cent mille dĂ©portĂ©s ne comptent guĂšre Ă  cĂŽtĂ© des millions de juifspolonais qui ne sont plus lĂ .

J’ai parlĂ© tout Ă  l’heure des Hongroises enragĂ©es. Il est essentiel d’en tenircompte. Rien n’est sans raison, en ce bas monde. Cinquante ans de propagande, çafait des rĂ©flexes ancestraux. Mes comtesses hongroises sont « conditionnĂ©es ». Ellessouffrent d’ĂȘtre obligĂ©es de me cracher dessus quand elles me rencontrent. Il n’y apas tellement de monde Ă  Vence. Tout cela est clinique au fond. Anaphylaxie, dosestrop fortes dans le sang, intoxication, dĂ©sintoxication, longues cures.

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La vieille haine contre l’Autriche, la haine du nazi tournĂ©e en haine del’Allemand, voilĂ  une image d’Epinal difficile Ă  extirper de ces cƓurs ardents, etcertes il importe grandement de faire comprendre Ă  ces nations ombrageuses quedans l’union franco-allemande, aucune aspiration Ă  dominer le monde ne serapossible, tolĂ©rĂ©e, et mĂȘme exprimable pour les nazis.

Pensez Ă  l’effet produit sur ces Ă©corchĂ©s quand ils entendent la dĂ©claration dugrand dĂ©mocrate Thomas Mann qui s’écrie : « Nous, les Allemands, qui sommesdepuis toujours appelĂ©s Ă  exercer notre hĂ©gĂ©monie sur l’Europe et sur le monde !.... »

Quel con ! madame.Ah ! ils sont lourds !Ceci n’est qu’une parenthùse. Elle compte, il faut faire l’Europe, mais bien

faire entrer dans les crñnes allemands que c’est l’Europe, et non la plus grandeAllemagne. Cela est notre tñche, elle est difficile.

Chercher la petite bĂȘte dans les informations inexactes qui ont Ă©tĂ© Ă©crites surles camps n’est donc pas, en notre siĂšcle, un travail scientifique ordinaire. Lechercheur, aussi consciencieux soit-il et de quelque façon qu’il s’y prenne, aura l’airde travailler pour les nazis. La faute en est aux premiers fabulistes, Ă  ceux qui ontrendu le mensonge possible et l’ont cru nĂ©cessaire Ă  la justice de leur cause, commesi une cause juste pouvait avoir besoin de mensonge.

Mon Dieu, que tout cela est banal ! et pourtant nous devons le formuler pour yvoir bien clair. La bibici avait-elle le droit de rendre les EuropĂ©ens enragĂ©s de hainecontre les Allemands ? Cela peut se dĂ©fendre, elle avait au moins besoin de persuaderses propres troupes et les soldats de la libre AmĂ©rique qu’ils partaient en croisadecontre le diable, sinon les gars n’auraient pas eu l’enthousiasme.

C’était une recette pratique, cela facilitait le bon fonctionnement de l’armĂ©e,cela rĂ©duisait l’objection de conscience et poussait le public Ă  dĂ©noncer les traĂźtres.

Ainsi voyons-nous dĂšs maintenant la mĂȘme propagande se mettre enmouvement contre l’Union soviĂ©tique. Mais ne pourrait-on persuader une bonne foisces propagandistes professionnels qu’ils devront renverser la vapeur aussitĂŽt lavictoire obtenue, et sans attendre une minute ?

C’est mieux que de se faire hara-kiri, c’est se donner du pain sur la planche.Quoi de plus simple que de dire simplement : nous avons beaucoup exagĂ©rĂ©, il lefallait, mais maintenant nous allons rechercher la vĂ©ritĂ© tous ensemble.

La recherche de cette vĂ©ritĂ©, de nos jours, fait hurler voyez BardĂšche arrĂȘtĂ©pour avoir doutĂ© de l’auguste tribunal de Nuremberg. Est-ce Ă  dire que l’on doivejeter un voile Ă©ternel sur la question ? Jamais de la vie, il faut s’y prendre autrementet savoir grĂ© Ă  Rassinier d’avoir attachĂ© un grelot dangereux.

La vĂ©ritĂ© doit ĂȘtre connue au plus vite, et voici pourquoi : parce que si lesmillions de juifs qui manquent en Pologne ne sont pas tous passĂ©s par les chambres Ă gaz, il est encore plus inquiĂ©tant de savoir qu’ils ont quand mĂȘme disparu.

Un seul million de personnes Ă  supprimer par an, cela reprĂ©sente un travail decauchemar si on essaie de se l’imaginer : trois mille tous les jours, trois cents toutes

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les heures pendant dix heures, sans une minute d’arrĂȘt, ça laisse des traces, mĂȘme aufond d’une forĂȘt.

Un groupe d’historiens doit ĂȘtre rĂ©uni d’urgence, avec des crĂ©dits et despouvoirs Ă©tendus, pour apporter des chiffres dont on connaĂźtra le pourcentaged’erreurs. Il en est encore temps, il existe encore des tĂ©moins. Mais il est tout justetemps.

Je dois suggĂ©rer, bien entendu, qu’aucun reprĂ©sentant des races et des nationsintĂ©ressĂ©es n’y figure (autrement qu’en curieux) si l’on veut que la vĂ©ritĂ© soit biennue et non dirigĂ©e. Des Hindous, des Chinois, des Noirs, des Japonais.

Quand je dis qu’il est juste temps, je puis vous donner un petit exemplesimple : j’ai Ă©tĂ© mis Ă  la porte du mĂȘme sana d’oĂč D.H. Lawrence a Ă©tĂ© renvoyĂ© il y avingt ans. Il en est mort Ă  peine une semaine aprĂšs.

Je sais que moi on m’a jetĂ© dehors par un temps Ă©pouvantable et dansl’intention Ă©vidente de me faire crever, pour sauvegarder le prestige d’un adjudantdirecteur et les bĂ©nĂ©fices de docteurs commerçants, mais pour Lawrence j’ai voulume renseigner avant d’écrire, et aprĂšs, Ă  la faveur du bruit fait (dans Vence) par monlivre.

Vingt ans, ce n’est pas si vieux, je suis sur place les tĂ©moins se sont rĂ©veillĂ©s.Je n’ai pas pu rĂ©unir une version unique. Et, fĂ»t-elle unique, ce ne serait pas la preuvequ’elle soit bonne.

Les docteurs nient avoir jetĂ© Lawrence dehors, mais ils ont intĂ©rĂȘt Ă  le nier. Ilsnient aussi l’avoir traitĂ© de crĂ©tin et d’ivrogne, mais j’ai moi-mĂȘme entendu ivrogne,et Merlin a entendu crĂ©tin. Il y a une version Katherine Caldwell, une versionHuxley, une version Frieda Lawrence. Des gens qui prenaient alors pension avecLawrence assurent que la maison n’était pas encore un sana, et pourtant les mĂ©decinsavouent. On ne saura jamais la vĂ©ritĂ©, mĂȘme pas dans mille ans, comme ditRassinier. Vingt ans, ça commence Ă  ĂȘtre vraiment tard, mais non seulement vingtans, dix ans, six ans, c’est la limite.

J’ai interrogĂ© moi-mĂȘme, avec toute la patience dont je suis capable, et elleexiste, tous les dĂ©portĂ©s que j’ai pu rencontrer. Six ans de recul, c’est dĂ©jĂ  beaucouptrop chez des Liguriens ou des Bretons ou des Ardennais qui n’ont pas le sens et lareligion de la vĂ©ritĂ© millimĂ©trique. Les femmes surtout. J’en ai une sous la main quine bat nullement les records, j’ai vu pire. Ayant Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e Ă  la fois par la Gestapo etpar les fifis, elle mĂ©lange tout.

Pourquoi arrĂȘtĂ©e par les deux ?MĂ©ditez cette phrase Ă©crite naĂŻvement par l’exquis commissaire (pouah)

Charpentier, dans France-Soir, le 6 juin 50 : « « La Cotillon » ([sic] ! on est régence à la maison Poulailla) a été fusillée par

les maquisards en 44. Elle avait possĂ©dĂ© plus de 40 millions d’avant 1940. »Donc, ma boulangĂšre, qui a Ă©tĂ© matraquĂ©e dans les deux cas, par les fritz et les

miliciens, puis par les fifis, n’est absolument plus capable de distinguer en 1950 quil’a tondue, qui lui a fait creuser sa tombe, qui lui a cassĂ© des dents, qui lui a sautĂ© sur

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le ventre, qui lui a extorquĂ© le plus de fric, et dans l’absolu son tĂ©moignage est le seulĂ  atteindre Ă  la vĂ©ritĂ© transcendante, car les tortionnaires sont toujours les mĂȘmes,c’est une espĂšce, l’homo bourricus, roi sous tous nos rĂ©gimes.

Ce qui m’a fait tiquer naturellement, c’est que les fifis, elle les situait en 42 etles miliciens en 44, sans ça j’aurais enregistrĂ© sans sourciller, d’autant plus qu’elleest parfaitement sensĂ©e, Ă©quilibrĂ©e, logique, prĂ©cise un sou c’est un sou absolumentnormale.

Cela m’apporte la preuve (un magistrat honnĂȘte, s’il en reste, doit le savoir)que chez des hommes qui n’ont pas l’habitude des spĂ©culations et des examens deconscience, il arrive que le plus honnĂȘte confonde avec une bonne foi entiĂšre ce qu’ila vu et ce qu’il a entendu raconter.

C’est au point qu’on ne peut guĂšre interroger les gens sans ĂȘtre mufle et rĂ©pĂ©terconstamment : « En ĂȘtes-vous bien sĂ»r, ne l’avez-vous pas lu ou rĂȘvĂ© » surtout si l’ons’adresse Ă  des citoyens comme on en rencontre beaucoup par ici, dont les souvenirssont rendus un peu vagues par la radio, le tabac, le pastis, et le Tour de France.

Il faudra que ce livre de Rassinier ait pour consĂ©quence la formation d’uneĂ©quipe de loyaux prudhommes pas rendus fous par les bobards et les passions,capables d’écarter sec tout ce qui n’est pas vĂ©ritĂ© vraie, de taille Ă  s’abstraire, Ă  sedĂ©guiser en Martiens, Ă  s’imaginer qu’ils sont d’une autre planĂšte et Ă  ne rĂ©colter quede l’incontestable.

Il doit y en avoir encore, la mĂšre des Thucydide n’est pas morte. « C’est envain que NĂ©ron prospĂšre, Tacite est dĂ©jĂ  nĂ© dans l’empire.... »

Mais le diable gagne Ă  tous les coups. Il ne reste guĂšre de tĂ©moins qui n’aientĂ©tĂ© façonnĂ©s, il n’en reste guĂšre qui ne s’imaginent pas que la vĂ©ritĂ© doive passeraprĂšs leur race ou leur clan et par dessus tout, lĂ  oĂč le diable s’étale triomphant, lepublic en a tellement marre de ces histoires de camps, de bagnes et de prison que, lejour oĂč le tĂ©moignage vraiment pur comme le cristal pourra naĂźtre, il n’intĂ©resseraplus personne.

Il ne se vendra pas, aucun succĂšs public. Mais il en restera bien un quelquepart. Il Ă©chappera aux saisies, peut-ĂȘtre enfoui au fond d’une jarre, et sera mis au jourqui sait, dans deux mille ans, comme ce livre d’Habacuc dĂ©couvert en 1947 et quirecule Ă  63 avant J.-C., sous Aristobule II, toute la lĂ©gende du Christ.

PrĂ©figuration, disent les orthodoxes. Allons donc ! Une nouvelle preuve queJĂ©sus-Christ Ă©tait un dieu plus qu’un homme. Mais aussi, notez-le bien, un argumentqui ne convaincra personne. Les tenants de JĂ©sus homme historique, qui vont deRenan Ă  Daniel-Rops, continueront Ă  nous le reprĂ©senter avec l’insigne du syndicatdes charpentiers.

Les « mythistes » vont triompher, mais ils ne seront pas suivis, et pas compris.Et c’est mieux ainsi. Être suivi sans ĂȘtre compris, c’est la vraie croix des prophĂštes.

Donc, nous laisserons nos historiens travailler en silence, nous les laisseronsdresser le tableau de ce que fut la dĂ©portation, nous les laisserons, comme l’a faitNorton Cru pour les livres de la guerre 14-18, et comme Rassinier nous l’a montrĂ©dĂ©jĂ , nous prouver que tous les Rousset ont Ă©tĂ© des menteurs. La grande vĂ©ritĂ©

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apparaĂźtra au moment prĂ©cis oĂč tout le monde s’en foutra, comme pour le travail deNorton Cru, parce qu’alors un moyen d’oppression tout neuf et fignolĂ© aurarapprochĂ© encore plus de la termitiĂšre les ivrognes zooĂŻdes qui nous entourent et,malheureusement, nous entraĂźnent.

En revanche, il est un terrain oĂč je veux bien suivre Rassinier, c’est quand ilĂ©tablit d’une façon Ă©tonnante que les responsables des camps (la HĂ€ftlingsfĂŒhrung)cette Ă©lite de dĂ©portĂ©s qui nous a fourni nos gouvernants, nos censeurs, nos patrioteset nos juges, constitue la plus prodigieuse collection de fripouilles de l’Histoire.

On s’en doutait Ă©normĂ©ment quand on les a vus au pouvoir depuis 45.D’apprendre qu’ils se faisaient dĂ©jĂ  la main en 42 Ă©claire le tout d’une splendidelumiĂšre.

C’est le triomphe du hideux salaud, si infect, si dĂ©gradĂ© et si bas qu’il netrouve plus qu’une seule place oĂč se cacher, la plus haute puisqu’il sait qu’on lecherchera par terre, dans l’égout et dans le ruisseau, et que personne ne pensera auxbancs des ministres, aux comitĂ©s des C.N.E. et C.N.R. et C.O.M.A.C., aux fauteuilsdes SociĂ©tĂ©s nationalisĂ©es, Ă  la direction des journaux.

Ces grands politiques, ces surhommes, se sont mis Ă  la disposition des nazispour faire rĂ©gner l’ordre dans les camps, pour matraquer leurs frĂšres d’infortune,pour conserver leurs planques, leur filon, leur fromage.

Tous les bobards Ă  la Rousset pour nous faire croire qu’il s’agit lĂ  d’une chosetoute nouvelle, une crĂ©ation de l’univers concentrationnaire, spontanĂ©ment Ă©closeentre les barbelĂ©s, vers 40-45, est un effort pour justifier une trĂšs vulgaire espĂšce decoquins.

La dĂ©lation et la platitude ont toujours existĂ© dans les bagnes, dans leschiourmes, sur les galĂšres, mĂȘme autrefois les criminels n’avaient pas eu l’idĂ©egĂ©niale de s’en prĂ©valoir pour devenir ministres.

J’attends d’ailleurs le livre d’un « vert », d’un « droitco », qui me dira tout cequ’il pense des « rouges », des politiques. Dans Valsez, une lettre d’Ange C.... nousĂ©claire dĂ©jĂ .

Avant d’attirer votre attention sur un fait un peu plus gros, sourions un peu.Voici une page qui eĂ»t enchantĂ© Lesage.

Rassinier nous cite avec indignation un texte d’Eugen Kogon oĂč il est dit quela direction mĂ©dicale de l’immense infirmerie ne fut pas confiĂ©e Ă  un mĂ©decin maisau dĂ©putĂ© communiste Busse, qui choisissait du personnel communiste capabled’administrer des raclĂ©es aux malades dont il bouffait les rations pour se maintenir enforme, personnel pris au hasard chez des zingueurs, croquemorts et pĂątissiers.

Les S.S. (brutes nazies) ayant imposĂ© de vrais mĂ©decins, ceux-ci furentrapidement mis au pas. Et Kogon s’émerveille qu’avec tout ça les malades nemouraient en somme ni plus ni moins qu’ailleurs.

Parbleu ! MoliĂšre et Gil Blas l’ont dĂ©jĂ  dit.... C’est l’histoire du maladeimaginaire un peu retournĂ©e, le faux mĂ©decin administre des coups de bĂąton au clientpour qu’il s’avoue guĂ©ri. Il y a lĂ  un petit sketch Ă  Ă©crire, du plus savoureux comique.

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Rassinier note encore un passage de Kogon (p. 286) qui m’avait dĂ©jĂ  paruĂ©norme, Ă©touffant, inavalable, qui me semblait ouvrir un jour sur une vĂ©ritĂ© terrible :

« Le capitaine S.S. Schwartz n’essaya qu’une fois de rĂ©unir mille dĂ©tenus pourle travail. AprĂšs une demi-journĂ©e il n’en avait plus que six cents qui trouvĂšrent lemoyen de filer, et nul ne resta entre ses mains.

À partir de ce moment, on abandonna aux dĂ©tenus responsables les questionsde la rĂ©partition du travail. »

Et alors, plus possible de « filer ». Un barrage d’antihitlĂ©riens, matraque Ă  lamain, conduisait au boulot les esclaves et assommait, au nom des lendemains quichantent, ceux qui tentaient de se soustraire Ă  l’effort de guerre du IIIe Reich.

N’est-ce pas grand comme du Dante ?Ugolinesque.Je t’étends sur place, mon fils, pour te conserver un ministre.S’il n’y avait pas eu ces volontaires empressĂ©s, l’expĂ©rience Schwartz se serait

rĂ©pĂ©tĂ©e chaque fois qu’il Ă©tait question d’organiser un transport vers quelque lieu detravail, et les S.S. auraient peut-ĂȘtre dĂ» y renoncer, comme dans certains camps deprisonniers. Cet empressement n’allait pas sans rapporter quelques avantages :quarante mille Ɠufs dĂ©tournĂ©s en deux ans au profit de ces messieurs nos futursmaĂźtres, ces Ɠufs ayant Ă©tĂ© mis Ă  la disposition des malades par la S.S. (Attention,S.S. ne signifie pas sĂ©curitĂ© sociale mais les vrais S.S., les criminels hitlĂ©riens...)

On aurait le plus grand tort de coller toutes ces infamies sur le dos descommunistes. Un Martin-Chauffier, chrétien, trouve cela épatant.

« J’ai toujours admirĂ© avec un peu d’effroi et de rĂ©pulsion ceux qui, pour lapatrie ou une cause.... choisissent toutes les consĂ©quences de la duplicitĂ©, le dĂ©goĂ»tde leurs compagnons de combat qui voient en eux un traĂźtre.... »

LĂ  oĂč Martin-Fauchier nous double, c’est quand il assure que ces gens-lĂ faisaient cela pour une cause ou pour la patrie, alors que le rĂ©sultat immĂ©diat,incontestable et immanent de leur attitude Ă©tait de les maintenir, eux, en pleineforme, grĂące aux colis de ceux qui n’étaient pas leurs complices.

Vous allez me dire que ça me va bien, Ă  moi qui n’ai pas (encore) Ă©tĂ© dĂ©portĂ©,d’écrire ça. Mais pardon, je me borne Ă  rĂ©pĂ©ter ce qu’a dit Rassinier qui, lui, l’a vĂ©cuet a le droit d’en parler.

Il m’a demandĂ© une prĂ©face parce qu’il nous dĂ©couvre une communautĂ©d’esprit, bon, mais je suis trĂšs loin d’ĂȘtre toujours de son avis.

D’abord, Ă  un moment, voilĂ  que le gars se met Ă  prendre Sartre au sĂ©rieux. Etil s’amuse Ă  lui « rĂ©pondre ». RĂ©pondre Ă  qui ? Au nĂ©ant ? Ça m’a dĂ©jĂ  mis en boule.

Pour moi, il y a deux humanitĂ©s : les gens bien, ceux qui appellent Sartre le« TĂŠnia » ou l’« AgitĂ© du bocal », et les autres.

Cela est si vrai que notre Rassinier qui, jusqu’à sa conclusion a Ă©tĂ© d’une clartĂ©parfaite, se met Ă  Ă©crire en charabia1 dĂšs qu’il s’avise Ă  commenter un quelconque

1 De l’inconvĂ©nient qu’il peut y avoir Ă  suivre l’adversaire sur son propre terrain. – P.R.

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bafouillage du TĂŠnia. Vous pouvez lire la page 225, vous ĂȘtes carrĂ©ment dans lespleines tĂ©nĂšbres.

La pensĂ©e qui Ă©tait solide devient floue, vague, glissante. Notre auteur, quiparaissait objectif, se met Ă  revendiquer « l’inspiration humaine du marxisme ». Maisje m’en fous, moi du marxisme. Pourquoi pas le TaoĂŻsme ? le Christianisme ? laMonarchie ? le Bonapartisme ? la Synarchie ? le Plan Monnet ?

Quand j’entends ça, j’ai envie de proclamer, comme La Brige : Je suis pourPhilippe-Auguste et pour Louis X dit le Hutin.

Pourvu que Rassinier lisant ce passage ne s’avise pas de corriger sa rĂ©ponse !Vous verrez tout de suite l’influence fuligineuse du bigleux agissant par sa seuleprĂ©sence.

Mais ça alors, recta.Comme disait ce latiniste qui Ă©crit sanatoria pour sanatoriums.On m’a dit : Si l’on essaie de traduire le tĂŠnia en bon langage français, on

dĂ©couvre des vĂ©ritĂ©s premiĂšres mĂȘlĂ©es Ă  d’incroyables niaiseries.On y dĂ©couvre aussi d’inĂ©vitables infamies qui semblent Ă  ces coprophages Ă 

peu prĂšs aussi nĂ©cessaires que le jargon dont ils les enveloppent.Le TĂŠnia et un certain Merleau-Ponty n’hĂ©sitent pas Ă  Ă©crire, en janvier 1950,

qu’« on ne trouve pas dans les camps soviĂ©tiques le sadisme, la religion de la mort, lenihilisme qui ont produit les camps d’extermination nazis ».

J’aime mieux les croire que d’aller y voir. Et vous ?Mais que penser de ces « philosophes » Ă  qui l’instrument de la dialectique fait

dĂ©couvrir que le nihilisme et le sadisme sont propres aux compatriotes de Kant, deMarx et de Goethe et, en particulier, inconnus chez ceux de Pierre le Grand, deGengis Khan et d’Ivan le Terrible ?

C’est de cela qu’il s’agit, lisez bien. La pensĂ©e sartrizenne, autant en emportela chasse d’eau, et si la Wehmarcht existait il ne serait plus question pour elle dedouter des vertus allemandes mais, enfin, voilĂ  ce que l’on Ă©crit de nos jours, et trĂšsfroidement.

Vous me direz : cela est fait par de plats imbĂ©ciles que nul ne s’avise deprendre au sĂ©rieux, mais leur imbĂ©cillitĂ© mĂȘme les place d’instinct dans le troupeau.Ils n’expriment jamais que ce que tous les imbĂ©ciles pensent autour d’eux. EnconsĂ©quence, cela reprĂ©sente une certaine « opinion ».

Vous voyez bien qu’il est tout de mĂȘme important d’établir par d’autresmĂ©thodes que celle des on-dit, de quelles actions particuliĂšres, de quelles tentations,de quels pĂ©chĂ©s, les Teutons sont capables, Ă  l’exclusion des autres peuples, et sipossible d’en apporter une explication soit gĂ©ographique, soit ethnique, soitbiologique, ou mĂȘme d’établir clairement qu’il s’agit lĂ  d’influences infrahumainestrĂšs spĂ©ciales, rĂ©sultat d’une malĂ©diction qui leur est propre.

Quand on sera fixé là-dessus, mais alors sérieusement fixé, cela sera une bonnechose de faite.

DĂšs que le cestode est loin (p. 228), Rassinier revenu Ă  la lumiĂšre s’exprimeavec force et clartĂ©.

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Une autre des raisons qui me font ĂȘtre assez rĂ©ticent, c’est que le gars a Ă©tĂ©arrĂȘtĂ© comme rĂ©sistant !

Il y a, entre le rĂ©sistant actif et moi, un fossĂ© qui se creuse toujours davantage.Moi, pacifiste, je ne continue pas la guerre en civil. La guerre me fait peur sousn’importe quel uniforme, sous aucun uniforme sĂ»rement encore plus. Poignarder unesentinelle et faire fusiller des otages, ça pour moi c’est le comble.

« Alors, sifflent mes Hongroises conditionnées, vous étiez content que lesBoches soient là ? Vous les aimez bien, ils ont dû vous rapporter gros, vous lesregrettez.

– Non, madame, je savais qu’ils ne pourraient tenir tĂȘte au monde entier, qu’ilss’en iraient plus vite qu’ils n’étaient venus, qu’ils ne rĂ©sisteraient pas Ă  une mĂąchoirede vingt millions de combattants d’un cĂŽtĂ©, et vingt millions de l’autre, armĂ©sjusqu’aux dents, qui n’avaient nullement besoin de mes V et de mes Croix deLorraine dans les pissotiĂšres, qui avaient beaucoup plus fort que ça, des tanks, desavions et de l’essence.

Et tous les Français le savaient comme moi, Ă  part une minuscule poignĂ©e defous, Ă  part ceux qui faisaient semblant de ne pas le croire parce qu’ils Ă©taientcouverts par le double jeu.

« Tous les Français sont des Gaullistes », publiait Ă  Paris, ouvertement, en1941, le plus courageux des Ă©crivains. Et c’est la vĂ©ritĂ©.

La vĂ©ritĂ© qu’il est urgent de publier pendant qu’il y a encore des millions detĂ©moins.

À partir du mois de mai, quand il faisait beau, en sortant Ă  21h15 du mĂ©tro,place des FĂȘtes, par exemple, on allait jusqu’à la porte de MĂ©nilmontant, Ă  pied, enĂ©coutant, qu’on le veuille ou non, brailler tous les haut-parleurs de toutes lesmaisons, par les fenĂȘtres grandes ouvertes, qui diffusaient la radio de Londres.

Ça faisait bien passer le temps, ça donnait de l’espoir, ça promettait qu’onserait libĂ©rĂ©s, que les choses iraient mieux.

Tous les Français le savaient. Le crime des gens de Londres a Ă©tĂ© de fairecroire qu’il n’en a pas Ă©tĂ© ainsi et qu’en France il y avait des millions de traĂźtres.

Et alors, direz-vous, ils voulaient prendre les places, c’était normal ! Qu’est-ceque vous faites, vous ? Vous voulez qu’on les pende pour prendre les places Ă  leurtour, c’est kif.

Eh bien, non. Je n’ai envie d’aucune place et je ne veux pendre personne, je neveux faire assassiner personne dans l’ombre, je fais partie du gang des basculeurs delĂ©gendes.

J’aurais plaisir Ă  voir rĂ©tablir la vĂ©ritĂ© sans qu’il soit besoin de saigner mĂȘmeun Bayet ou un Soustelle. Mais l’imposture a Ă©tĂ© si Ă©norme qu’il faut tout de mĂȘmeun procĂšs monstre pour la dĂ©voiler Ă  tous.

L’imposte est encore plus franche que vous ne le supposez ; la plus belle c’estaujourd’hui, quand nous voyons des ministres ou des ministrables faire de

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l’anticommunisme en priant le Bon Dieu qu’il garde surtout bien en place les troupeset les militants communistes.

Je l’ai dĂ©jĂ  dit.On ne le redira jamais assez.Cent fois il faut frapper le mĂȘme clou. Le jour oĂč mĂȘme pas dans une guerre

U.S.A.-Union soviĂ©tique, mais oĂč la guerre froide poussĂ©e un peu loin fera mettrehors-la-loi les communistes, arrĂȘter leurs chefs et ce jour est proche il ne faut plus sele cacher, absolument rien ne se dressera pour empĂȘcher que les millions de Françaisqui ont inscrit les noms de ceux qui les ont emprisonnĂ©s Ă  la libĂ©ration, ne se lĂšvent,aillent chercher par le bras leurs dĂ©lateurs et, dans le meilleur des cas, les remettesains et saufs entre les mains de la justice trĂšs ordinaire.

Pas besoin de tribunaux spĂ©ciaux, il n’en est pas question.Est-ce que vous croyez que j’exagĂšre ?Non, n’est-ce pas, je suis trĂšs modĂ©rĂ©, je parle en observateur, comme Bourdet,

qui dit la mĂȘme chose que moi. Du reste, Teitgen avoue quatre mille plaintesdĂ©posĂ©es d’ores et dĂ©jĂ  et arrĂȘtĂ©es par ses soins.

Comme les voleurs et les assassins ne manqueront pas, emportĂ©s eux-mĂȘmespar l’habitude d’invoquer la rĂ©sistance, c’est le principe de la rĂ©sistance qui seradiscutĂ©.

Et l’on s’apercevra vite (huit jours de baratin presse et radio suffisent) que ceprincipe est contraire aux lois de la guerre et de l’honneur.

Tuer dans le dos et laisser fusiller les otages, pas besoin de gĂ©nie pour fairecomprendre aux enfants et mĂȘme aux Hongroises que c’est mal.

C’est contraire au socialisme : le travailleur n’a pas de patrie.C’est contraire Ă  l’enseignement du Christ : « Rendez Ă  CĂ©sar... »

Notre Rassinier, qui m’a demandĂ© une prĂ©face, est un rĂ©sistant, lui, et ça se voitĂ  des tas de petites rĂ©flexions par ci par lĂ . Il est logique. Il est pour les nĂšgres contreles blancs, pour le Viet-Minh, il est pour les Indiens contre les Yankees1. Il est tout Ă fait d’accord pour que les Arabes se rĂ©veillent une belle nuit pour Ă©gorger tous lesEuropĂ©ens en Afrique du Nord2, comme Sinistrus Couillonnus le leur a si bienappris. Car ils Ă©coutaient la radio de Londres et celle d’Alger, nos bons indigĂšnes.

Quand les Arabes feront paĂźtre leurs brebis sur les villes rasĂ©es, sur les jardinsrendus Ă  la brousse, Rassinier sera pour les BerbĂšres qui se dresseront pour renvoyerchez eux les Arabes envahisseurs3. Car, enfin, ces gars-lĂ , comme leur noml’indique, viennent d’Arabie, et l’Arabie c’est encore plus loin que Marseille.

1 Je jure que mes instincts sont beaucoup moins sanguinaires et mon Ăąme bien moins noire : je

suis pour Candide contre les Bulgares. À condition, Ă©videmment, que ce point de vue n’entraĂźneaucune complication diplomatique. Si on me dit que la Bulgarie s’en trouve offensĂ©e et mobilise, jesuis tout de suite pour GalilĂ©e. D’autre part, s’il en est besoin, je dirai un jour pourquoi et comment lepacifiste que je suis a Ă©tĂ© rĂ©sistant. S’il en est besoin, seulement parce que ce n’est pas marrant.

2 Cf. note 6.3 Cf. note 6.

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Rassinier aurait Ă©tĂ©, dans le Jura, pour le capitaine Lacuzon qui avait jurĂ©d’exterminer tous les Français aprĂšs le traitĂ© de NimĂšgue (1679) et qui voulait rendrela Franche-ComtĂ© aux Espagnols1.

Enfin, il ne peut pas le nier le salaud, on le tient ; du moment qu’il a Ă©tĂ©dĂ©portĂ© il a rĂ©sistĂ©. S’il a rĂ©sistĂ© il a tuĂ© du boche ou sabotĂ© son matĂ©riel2. Àl’époque, moi, crĂąne bourrĂ© aussi, je l’aurais peut-ĂȘtre aidĂ©. Maintenant, fini.

J’ai compris.Ma doctrine est simple. Qui que ce soit qui arrive, je baisse mon froc. Russes

ou Algonquins. Je suis pour CĂ©sar. Pas d’armes. Il n’a absolument rien Ă  craindre demoi, CĂ©sar. Tous ceux qui viennent sont des amis. Buvons un coup, buvons-en deux.Toujours ! Laissons les Ă©migrĂ©s beugler au micro. S’ils veulent dĂ©barquer je ne lesempĂȘche pas. Amis avec eux quand ils arrivent3.

Ça c’est de la doctrine.Est-ce Ă  dire qu’il a gagnĂ© CĂ©sar ? Non, il est cuit. J’ai mon arme secrĂšte, une

anarchie indestructible. Les occupations, il y en a qui durent mille ans et les occupĂ©sse libĂšrent. Les Corses et les Jurassiens ne voulaient pas tous ĂȘtre français, et puis çac’est passĂ©4.... Besançon, vieille ville espagnole.... On l’eĂ»t oubliĂ©, sans Hugo.

Il faut laisser les courants s’établir. Si on veut crĂ©er une vĂ©ritable amitiĂ©franco-allemande, il y a des Ă©lĂ©ments, c’est une vieille tradition, ça remonte trĂšs haut,Charlemagne, Roland, le conte de l’amitiĂ© Amice et Amile, les Ă©changes n’ontjamais cessĂ©, lettres, arts, musique et surtout les sciences. Liebig, le grand chimisteallemand Ă©tait un vrai Parisien.

Qu’on me donne deux journaux, un français et un allemand, et la radio, en dixmois je commence Ă  baratiner les nerfs europĂ©ens pour qu’il n’y ait plus de guerrepossible, pensable, puisque les petits Fritz grinceront des dents si on leur dit qu’il yavait des salauds de Fritz autrefois qui voulaient dominer l’Europe, leur patrie.

Mais si on me donne six ans, dix ans et la bibici, là alors, je veux les voirconditionnés comme les chiens de Pavlov bavant de colÚre au mot « résistant ».

On fait l’Europe. On organise des Ă©changes. On franchit le Rhin avec desfleurs, on explique bien Ă  tous ces gens-lĂ  qu’ils sont frĂšres. Ils ne parlent pas lamĂȘme langue, mais elle a des racines communes, du sanscrit. Et puis quand ils sonten petits groupes, ils s’entendent bien. On ne voit aucune raison pour qu’ils aillent semassacrer. Pardon, il y en a qui ne veulent pas de ça, ils se liguent, ils conspirent, ils« rĂ©sistent » ?

1 Cf. note 6.2 Cf. note 6.3 Note de l’AAARGH : Les « Ă©migrĂ©s » de Paraz ne sont pas les « Nord-Africains » qui

n’arrivĂšrent en France que plus tard, mais ceux de la RĂ©volution française, nobles effrayĂ©s et rĂ©fugiĂ©sĂ  l’étranger oĂč ils organisent une armĂ©e des Ă©migrĂ©s cherchent Ă  convaincre les puissanceseuropĂ©ennes de faire la guerre Ă  la RĂ©volution française et de les ramener en France pour y reprendrele pouvoir. La premiĂšre coalition, en septembre 1792, comprenait cette armĂ©e des Ă©migrĂ©s qui entra enFrance Ă  l’arriĂšre des troupes de François I. Sur toute cette affaire, il faut lire les MĂ©moires d’Outre-tombe, livre neuviĂšme, pour un tĂ©moignage plein de panache et pour l’histoire, J. Godechot, LaContre-RĂ©volution, Paris, PUF, 2e Ă©d., 1984. Les Ă©migrĂ©s de Londres de 1940 qui « beuglent aumicro » et « veulent dĂ©barquer » ne font ainsi que suivre une tradition bien connue.

4 Note de l’AAARGH : c’était avant le FNLC.

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Non. Ce n’est plus possible. On oublie que l’infernale tornade qui a saccagĂ©l’Europe est nĂ©e des patries agressives.

La patrie, il faut la faire passer tout doucement avec de grandes prĂ©cautions,sur le plan de l’Europe entiĂšre et, cela ne va pas ĂȘtre facile, il faudra d’abord rassurer,il faudra passer son temps Ă  rassurer. Montrer que les unions franco-allemandes nevisent personne, mais invitent tout le monde. Et la prĂ©sence par moitiĂ© (pas moins)de la France est seule capable d’apaiser les États d’Europe plus petits, qui ont gardĂ©mĂ©fiance des Teutons.

Est-ce lĂ  une vision d’avenir ? Vous savez bien que non. C’est platementbanal. VoilĂ  des siĂšcles qu’on en parle. Mais alors, il faut faire la lumiĂšre sur lesquestions irritantes, il faut dĂ©brider les plaies infectĂ©es, et la littĂ©ratureconcentrationnaire est une de ces plaies.

La tentative de Rassinier n’est pas seulement un mouvement d’historien, unrĂ©flexe d’homme libre, c’est aussi un acte qui s’inscrit dans nos tĂąches les plusingrates. L’Europe doit se faire, elle ne se fera pas avec les nazis ou les antinazisĂ©galement fanatisĂ©s, elle se fera avec le tiers-parti, avec le fond solide du bon paysanqui ne veut emm.... personne et qui veut que personne ne l’emm....

Ça fait du monde.Vous allez me dire que voilà encore de vilaines expressions. Je regrette, j’ai

beau chercher, je n’en trouve pas d’autres.

A. Paraz

Vence, le 15 juin 1950