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SIE DANIEL KAMBOU
LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :
FONCTIONS ET ENJEUX D'UNE DÉMARCHE D'INITIATION
Tome I
Thèse présentéeà la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de doctorat en théologiepour l'obtention du grade de Philosophiae doctor (Ph. D.)
FACULTE DE THÉOLOGIE ET DE SCIENCES RELIGIEUSESUNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
NOVEMBRE 2006
© Sié Daniel Kambou, 2006
RÉSUMÉ COURT
Les études anthropologiques sur l'initiation traditionnelle lobi, le joro,
ont jusqu'ici cherché à décrire ses différentes séquences selon des approches
ethnographiques. Quand cette initiation est abordée sur le plan théologique,
ses composantes sont mises en rapport avec les données dogmatiques et
catéchétiques des communautés chrétiennes. Bien que ces études
mentionnent les dimensions éducatives du joro, aucune ne les intègre dans
une théorie pédagogique. Elles l'assimilent plutôt à un phénomène religieux.
Sans nier les aspects sacrés du joro, la présente thèse part de
l'hypothèse que sa fonction est tout autant identitaire et éducationnelle que
religieuse. Le joro contribue, en effet, à faire passer un individu d'un état à un
autre au sein d'une population donnée. Tout en prenant en compte les
déterminants anthropologiques et théologiques, le présent travail tente, dans
une perspective évangélique, de comprendre les indicateurs propres à la
stratégie éducative du joro et de voir comment ceux-ci peuvent, à certaines
conditions, contribuer à une démarche d'initiation et d'éducation chrétiennes.
RÉSUMÉ LONG
Le présent travail tente de mettre en évidences certains paramètres en
jeu dans une démarche d'initiation traditionnelle africaine, et de voir
comment ceux-ci peuvent, à certaines conditions, contribuer à une démarche
d'initiation et d'éducation chrétiennes. Considérée comme un frein à la
propagation de l'évangile, l'initiation traditionnelle (le joro en langue lobi) n'a
jamais fait l'objet d'une étude dans les milieux protestants évangéliques. Or,
étant la plus importante des institutions de formation chez les lobi du
Burkina Faso et de la Côte dIvoire en Afrique de l'Ouest, elle établit chez
l'initié, des représentations cognitives et des agirs qui président aux rapports
sociaux. Partant d'entrevues réalisées avec des anciens initiés lobi devenus
chrétiens, la thèse s'appuie sur une typologie pédagogique pour analyser,
dans un premier mouvement, les informations recueillies afin de saisir les
composantes pédagogiques de la démarche initiatique du joro. Dans un
second mouvement, elle se sert de cette typologie pour relire l'impératif
missionnaire de Matthieu 28, 18-20 dans le but de faire ressortir certaines
implications pédagogiques. Elle porte enfin un regard croisé sur ces deux
démarches pour dégager les substrats pédagogiques qu'elles partagent.
Partant de ces indicateurs pédagogiques, elle propose d'envisager
l'initiation traditionnelle comme un processus pédagogique pouvant
contribuer à une approche d'évangélisation renouvelée dans la société lobi.
Bien qu'elle partage les dimensions « enseigner », « former » et « apprendre »
mises en évidence dans le triangle pédagogique de Jean Houssaye, l'initiation
traditionnelle s'en démarque par les caractéristiques qui lui sont propres. Elle
vise la structuration symbolique de la personne, construit une identité fondée
sur la cohésion entre l'individualité et la communauté, et prend en compte
l'environnement physique et métaphysique. De tels éléments peuvent inspirer
et renouveler les stratégies pédagogiques mises en œuvre dans l'initiation et
l'éducation chrétiennes.
u
ABSTRACT
The }oro, the initiation practice of the Lobi people, has been studied by
anthropologists using the tools of ethnography. The analyses offered by thèse
social scientists hâve consisted largely of detailed descriptions of the various
séquences involved in this African tradition of initiation. When studied by
theologians, the components of the joro hâve been examined for their possible
relationships to dogmatic and catechetical data. Although theologians and
anthropologists may mention the educational dimensions of the joro, to date
no one has situated it within a gênerai theory of pedagogy. Both thèse groups
of researchers tend to approach the joro essentially as a religious
phenomenon.
Without denying the sacred aspects of the joro, the présent thesis
focuses on the éducative rôle that thèse practices play in the identity
formation of the Lobi people. The joro is the means by which initiâtes move
from one state to another, becoming fully integrated into the ethnie group.
Anchored in an evangelical Christian perspective, the présent study takes into
account both anthropological and theological perspectives, as it seeks to
throw light upon the joro as an educational strategy which, under certain
conditions, might contribute to the élaboration of a model of Christian
initiation for the Lobi people.
ni
AVANT-PROPOS
C'est par la grâce de Dieu que nous avons pu commencer et poursuivre
nos recherches sur l'initiation lobi. Cette grâce s'est manifestée à travers
plusieurs personnes à qui nous exprimons notre gratitude. Nous sommes
particulièrement reconnaissant au professeur Robert Hurley, à madame
Caroline Tard et à Christine Laflèche pour leur sympathie et gestes à notre
endroit. Nous sommes aussi reconnaissant à tout le personnel administratif,
en particulier au Doyen, M. Marcel Viau pour ses encouragements, et au
personnel d'entretien de la Faculté de Théologie et des Sciences Religieuses.
Sans Jack Robertson et son épouse Hélène, il serait difficile d'imaginer
ce que nous serions devenus. C'est grâce à eux que les portes des études nous
ont été ouvertes et Mady Vaillant nous a toujours encouragé et soutenu dans
notre parcours académique. Nous sommes reconnaissant à la mission
Worldwide Evangelization for Christ (WEC International) en Angleterre, à son
Bureau Régional en Afrique, à ses bases d'envoi en Allemagne, en France, en
Suisse et au Canada. Nous exprimons également notre gratitude à Tear Fund
et à Bôniger-Kramer-Stiftung en Suisse pour leur soutien financier. L'amitié
de Hans et Monique Lehmann nous a réconforté dans les moments
d'incertitude. Greti Oesch et ses sœurs, Robert et Martha Wûthrich, l'Église
Reformé de Schwartzenneg en Suisse et tous les amis de la Suisse se sont
donnés pour que notre séjour au Canada soit moins pénible. Grâce à Brian et
Lyn Woodford, nous avons reçu le soutien de leurs amis, Malcom et Carol
Frith, que nous remercions de tout cœur. Nos remerciements vont également
à Jill Karlik qui a toujours été présente dans nos moments difficiles. Par son
soutien nous avons pu effectuer deux voyages de recherches en Afrique.
À tous nos amis à Québec et à l'Église du Carrefour Chrétien de la
Capitale, nous disons merci. Nous exprimons toute notre gratitude à John
Entz et à sa famille, car c'est grâce à eux que notre arrivée à Québec a été
possible. Leur amitié et leur soutien nous ont encouragé dans les moments
d'épreuves. Bien qu'ils ne nous connaissaient pas, Peter et Cathy Dunn ont
IV
cru en nous et se sont investis pour nos études. En tant que famille, ils nous
ont soutenu financièrement, et depuis mars 2005, ils nous ont fait bénéficier
de la bourse de Barnabas Venture, qui nous a permis de terminer nos études.
Nous les remercions du fond du cœur. Nous exprimons toute notre gratitude
à l'Ambassade du Burkina Faso au Canada, qui nous a permis d'avoir la
bourse d'exemption afin de mener à bien nos études.
À Amélie Hien à Sudbury, à Jeanne Somé à New York, à Daisie Whaley
à Philadelphie, à Dan Durben et à sa famille, à nos neveux et nièces au
Burkina Faso et à l'Institut Pastoral Hébron, nous disons merci. À notre
épouse et à nos deux filles, nous exprimons toute notre reconnaissance pour
leur soutien et les sacrifices qu'elles ont consentis pour que nous puissions
travailler en toute quiétude. Leur compréhension et leur amour ont été d'un
grand réconfort dans nos moments de découragements.
Nous sommes redevables à nos directeurs de thèse, messieurs
Raymond Brodeur et Gilles Routhier. Ils ont su toujours nous redonner
confiance quand les difficultés nous faisaient douter de nous-mêmes. Grâce à
leurs conseils, nous pouvons, enfin, présenter les résultats de nos recherches
sur l'initiation lobi.
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ COURT i
RÉSUMÉ LONG ii
ABSTRACT iii
AVANT-PROPOS iv
TABLE DES MATIÈRES vi
LISTE DES CARTES x
LISTE DES GRAPHIQUES x
LISTE DES ILLUSTRATIONS x
LISTE DES PHOTOS x
LISTE DES SCHÉMAS xi
LISTE DES TABLEAUX xi
INTRODUCTION GÉNÉRALE 12
PREMIÈRE PARTIE L'INITIATION : JALONS POUR UNE APPROCHE D'ANALYSE 21
CHAPITRE I LE PAYS LOBI ET LES ÉVANGÉLIQUES 25
1 Le pays lobi au Burkina Faso 26
2. La pénétration missionnaire 31
3. Le courant évangélique 35
CHAPITRE II DÉMARCHES INITIATIQUES 48
1. L'initiation 491.1. Les rites de passage 491. 2. La notion chrétienne d'initiation 531. 3. Vers une perspective évangélique de l'initiation 64
2. Christianisme et initiations en Afrique 742. 1. Initiation chrétienne et inculturation en Afrique 752. 2. Lejoro et l'initiation chrétienne 872. 3. Vers une approche pédagogique du joro 93
CHAPITRE III DE LA CORRÉLATION AUX THÉOLOGIES CONTEXTUELLES 97
1. La méthode de la corrélation 991.1. La corrélation chez Paul Tillich 991. 2. La corrélation chez Edward Schillebeeckx 102
vi
1. 3. Démarche pour une approche de corrélation 104
2. Théologies contextuelles 1062. 1. L'inculturation 1062. 2. La contextualisation 1102. 3. L'incarnation et les théologies contextuelles 117
3. L'interactionnisme symbolique 1223. 1. Sens commun et savoir scientifique 1233. 2. Objectivité et subjectivité 126
CHAPITRE IV STRATÉGIE PÉDAGOGIQUE ET INITIATION 131
1. Définition de la stratégie 132
2. La stratégie pédagogique selon Legendre 133
3. Le triangle pédagogique selon Houssaye 138
4. La typologie du transmettre selon Pasquier 140
5. L'initiation et la situation pédagogique 143
DEUXIÈME PARTIE L'INITIATION LOBI : REPÈRES PÉDAGOGIQUES 152
CHAPITRE V À L'ÉCOUTE DE L'EXPÉRIENCE : DÉMARCHE ET RÉSULTATS 157
1. La méthode qualitative 1581. 1. Définition 1581. 2. Technique d'analyse de contenu 160
2. Collecte et analyse des données sur lejoro 1622. 1. Collecte des données sur le joro 1632. 2. Procédure de traitement des données par Nvivo 2.0 1662. 3. Difficultés et limites du travail avec NVivo 1682. 4. Rapports de codification 1702. 5. Survol quantitatif des résultats 171
CHAPITRE VI CADRE ET ACTEURS DU PROJET D1NITIATION 177
1. Environnement 1771. 1. Le village du joro 1781. 2. Le village lobi et le lieu de retraite 1811. 3. Les institutions du joro 183
2. Acteurs 1872. 1. Les néophytes 1892. 2. Les initiés 1922. 3. Les maîtres d'initiation 1942. 4. Les parents et proches 1962. 5. Les ravisseurs 198
3. Impératif missionnaire et joro : cadres et acteurs 1993. 1. Les indicateurs pédagogiques de l'impératif missionnaire 2003. 2. L'ecclésiologie et la communauté joro 2043. 3. Le maître et le disciple 206
v i l
CHAPITRE VII LA DÉMARCHE DU PROJET D'INITIATION 211
1. Préparatifs 2111. 1. Les dispositions préliminaires 2121. 2. Les rites préliminaires 215
2. Voies et moyens 2172. 1. La grande marche 2182. 2. Les rituels 2222. 3. La transmission des savoirs 239
3. Impératif missionnaire etjoro : Démarches 2483. 1. Le pèlerinage du disciple et celui dujorbi 2503. 2. Le baptême et les rites du joro 2513. 3. La formation du disciple et dujorbi 254
CHAPITRE VIII DE L'INITIATION AU « PROCESSUS INITIER » 257
1. Perception chrétienne du joro 2581. 1. Aspects constructifs 2611. 2. Aspects conflictuels 2621. 3. Similitudes 2661. 4. Évaluation 269
2. Le symbolisme du joro 2702. 1. Symbolique liée à la maison 2712. 2. Symbolique liée à l'espèce animal 2722. 3. Symbolique liée à la terre et aux eaux 2752. 4. Symbolique de la mort-renaissance 277
3. Spécificité du processus initiatique 2813. 1. Objectif: une dynamique identitaire 2843. 2. Voies et moyens : épreuves et structuration symbolique 2883. 3. La parole dans le « processus initier » 291
4. Propositions 2934. 1. Sur le plan des théories pédagogiques 2944. 2. Sur le plan de l'éducation à la foi 296
CONCLUSION GÉNÉRALE 299
BIBLIOGRAPHIE 305
ANNEXES 322
1. Questionnaire 3231.1. Identification du répondant 3231.2. Questions 3241.3. Questions d'entrevue (à enregistrer) 326
2. Entrevue E001FL 3272.1. Rapport de texte : 3272.2. Rapport de codification 334
3. Entrevue E002FL 3683.1. Rapport de texte : 3683.2. Rapport de codification 376
vm
4. Entrevue E003HL 4074.1. Rapport de texte : 4074.2. Rapport de codification 417
5. Entrevue E004HB 4585.1. Rapport de texte : 4585.2. Rapport de codification 461
6. Entrevue E005FL 4726.1. Rapport de texte : 4726.2. Rapport de codification 477
7. Entrevue E006FB 5007.1. Rapport de texte : 5007.2. Rapport de codification 508
8. Entrevue E007FB 5268.1. Rapport de texte 5268.2. Rapport de codification 533
9. Entrevue E008HL 5389.1. Rapport de texte 5389.2. Rapport de codification 548
10. Entrevue E009HL 57910.1. Rapport de texte 57910.2. Rapport de codification 588
11. Entrevue E010HL 61511.1. Rapport de texte 61511.2. Rapport de codification 624
12. Liste des nœuds 644
IX
LISTE DES CARTES
Carte 1-1 : Afrique de l'Ouest 27
Carte 1-2 : Burkina Faso 27
Carte 1-3 : Le pays lobi 28
Carte VI-1 : Aire d'emplacement probable du village joro 179
LISTE DES GRAPHIQUES
Graphique VI-1 : Composantes de la dimension «Acteurs» 188
Graphique VII-1
Graphique VII-2
Graphique VII-3
Graphique VII-4
Graphique VII-5
Graphique VII-6
Voies et moyens 218
Éléments rituels 228
Composantes du rituel de consécration 234
Sous-composante « Transmission des savoirs » 239
Composantes de la sous-dimension « Savoir-être » 243
Récapitulatif des indicateurs du savoir initiatique lobi... 246
Graphique VIII-1 : Rapport au christianisme 260
Graphique VIII-2 : Les objectifs du joro 284
LISTE DES ILLUSTRATIONS
Illustration VII-1 : Mouvement chiasmique des cérémonies du joro 236
Illustration VIII-1 : Mouvement chiasmique de filialité^r^ 278
LISTE DES PHOTOS
Photo 1-1 : Chrétiens lobi écoutant l'enseignement biblique 45
Photo 1-2 : Initiée et initié du buur. 13
Photo VI-1, 2 : Les jorbi parés de cauris 193
Photo VII-1 : Femmes à la recherche de l'or 224
Photo VII-2 : Tam-tam lobi 226
Photo VII-3 : Les cauris 226
Photo VIII-1 : Maison lobi 271
Photo VIII-2 : Enfants trayant une vache 274
LISTE DES SCHÉMAS
Schéma III-1 : Schématisation de l'interactionnisme 128
Schéma IV-1 : Schéma de la situation pédagogique A 134
Schéma IV-2 : Schéma de la situation pédagogique A' 136
Schéma IV-3 : Le triangle pédagogique 138
Schéma IV-4 : Les relations pédagogiques 144
Schéma VIII-2 : Schéma de la situation pédagogique 295
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1-1 : Cadre opératoire des rites de passage 51
Tableau IV-1 : Formules des relations pédagogiques 135
Tableau IV-2 : Mécanismes du transmettre 141
Tableau V-l : Tableau récapitulatif de la codification 172
Tableau VI-1 : Composantes de la catégorie « Environnement » 178
Tableau VI-2 : Descriptif de l'indicateur «Néophytes» 190
Tableau VII-1 : Composantes de la sous-catégorie « Préparatifs » 212
Tableau VII-2 : Composantes de la catégorie « Voies et moyens » 218
Tableau VIII-1 : Catégorie « Rapports avec le christianisme » 260
Tableau VIII-2 : Structure symbolique dujoro 271
Tableau VIII-3 : Tableau comparatif dujoro et de l'initiation chrétienne 282
Tableau VIII-4 : Similitude entre catéchuménat etjoro 297
xi
INTRODUCTION GÉNÉRALE
« Peut-on reconsidérer aujourd'hui l'initiation comme une démarche
pédagogique possible à côté des formes bien connues de l'enseignement et de
l'apprentissage1 ? » Cette question rejoint les préoccupations de la présente
thèse, lesquelles sont nées de nos expériences dans la pastorale et la
formation des formateurs dans les Églises protestantes du Burkina Faso et de
la Côte d'Ivoire. Deux situations sont à la base du choix de l'initiation comme
sujet de recherche. Premièrement, en milieu lobi du Burkina Faso, il est
fréquent d'entendre la question « a fv Naarjmin yuor 7 bo » (littéralement, « ton
nom de Dieu est quoi ? »). Bien de nouvelles personnes se tournant vers la foi
chrétienne chez les Lobi se sont trouvées confrontées à une telle question, et,
en prévision de cela, elles ont souvent sollicité auprès des responsables
d'Églises un « nom chrétien ». C'est le cas de cette dame qui vint après son
baptême nous demander de lui révéler son nom. D'où vient que ces nouveaux
chrétiens ainsi que leurs proches non-chrétiens demandent après un Naarjmin
yuor ? (nom de Dieu/nom chrétien) N'y aurait-il pas ici un rapprochement
conscient ou inconscient de ce qui se passe dans le joro et dans le vécu
chrétien ?
En effet, à la grande initiation, la dation de nom constitue un moment
très important ; car le nom reçu par leprbi (enfant du joro, c'est-à-dire l'initié)
vient généralement annuler le nom reçu à la naissance et constitue l'une des
marques de nouveauté de vie. Ceci est d'autant vrai que certains chrétiens
n'hésitent pas à faire le lien entre les rites baptismaux et l'initiation
traditionnelle. En 1991, dans l'Église protestante de Gaoua, pendant les cours
préparatoires au baptême, Palenfo Kodjo Jacques2 a attiré notre attention sur
le fait que leur situation était proche de celle des initiés dans la tradition lobi.
1 Denis VILLEPELET, « Initiation et pédagogie » dans Catéchèse, n°168, 2000, p. 15-23.2 Palenfo Kodjo Jacques est instituteur et suit actuellement une formation pour devenirconseiller pédagogique dans l'éducation national du Burkina Faso.
12
Il se demandait s'ils n'étaient pas eux aussi des Naarjmin baali, littéralement,
petits du baar3 de Dieu.
Photo 1-2 : Initiée et initié du baar
Cliché de H. Labouret, dans Fiéloux, 1993, p. 310.
Deuxièmement, nous avons constaté que les chrétiens protestants en
pays lobi ont un grand intérêt pour les conférences annuelles de Pâque.
Plusieurs faisaient environ 50 kilomètres à pieds sous un soleil de plomb pour
atteindre le lieu de la conférence. Des chrétiens lobi de la Côte d'Ivoire
rejoignaient ceux du Burkina Faso pour vivre ensemble et fraterniser pendant
une semaine. Curieusement, les non-chrétiens appellent ces rassemblements
le joro chrétien. Comment expliquer ces rapprochements ? Est-ce à dire que
les Lobi seraient favorables à un joro parallèle à celui connu jusqu'ici ou
même à une nouvelle forme de joro ? Jorpaate est le nom donné à un
ethnologue occidental qui avait été autorisé à suivre les rites initiatiques.
Composé de joro sous sa forme élidée, de paa qui signifie nouveau et du
suffixe te qui termine la plupart des noms reçus à l'initiation, ce nom est
chargé de sens. Est-il ironique ou prophétique ? L'évidence est tout le
symbolisme sous-jacent qui suggère l'avènement d'une nouvelle ère
initiatique. Si donc des temps nouveaux s'ouvrent pour le joro, de quoi cela
3 Le baar ou buur ou encore bagré est l'une des institutions d'initiation à la divination,surtout propre aux Birifor et aux Dagari.
13
aurait-il l'air et qui seraient les artisans ? Les chrétiens n'auraient-ils pas un
rôle à jouer ? Comment les préparer à un dialogue fructueux avec leurs frères
et sœurs ? C'est ici tout l'enjeu de la présente thèse qui vise à préparer le
milieu protestant évangélique à un tel dialogue.
Si bien de chrétiens chez les protestants du courant évangélique sont
conscients des rapprochements entre certaines valeurs traditionnelles et
celles de la vie chrétienne, dans la pratique, les attitudes démontrent
beaucoup d'ambiguïtés. En 1999, lors d'une consultation africaine d'un
groupe d'Églises protestantes à Bouaké en Côte d'Ivoire, dans notre
communication qui portait sur la formation des leaders, nous avions suggéré
de considérer la possibilité d'ajouter dans notre enseignement des doctrines
chrétiennes la question des ancêtres. Une certaine gêne s'est faite aussitôt
sentir, ce qui est paradoxal au discours sans cesse tenu sur la
contextualisation et l'apparente volonté de trouver les meilleurs moyens pour
enraciner l'évangile en milieu africain.
En revanche, la rencontre de Pretoria en Afrique du Sud en 1997, celles
de l'Association des Structures de Formation Biblique ou Théologique en Côte
d'Ivoire, celles de Bangui en République Centrafricaine (1995, 1997), Bouaké
(1999) et bien d'autres encore, témoignent de l'intérêt d'une reforme dans la
formation des formateurs. Les rencontres de Bangui et de Bouaké,
proposaient l'élaboration d'un programme minimum commun (PMC) pour
réglementer les passages d'un niveau d'étude à un autre et d'une institution à
une autre. Ces rencontres visent à trouver des voies et moyens qui soient
pertinents pour la formation à tous les niveaux dans l'Église. Là aussi, quand
nous avions proposé de prendre en compte l'oralité dans nos approches
d'enseignement, plusieurs n'en voyaient pas la nécessité. Cependant, notre
culture étant encore fortement orale, pourquoi vouloir écarter cet aspect de
nos projets éducatifs ? Le monde évangélique en Afrique occidentale
francophone se trouve ainsi tiraillé entre les valeurs africaines et la nouveauté
de vie que propose l'évangile. La solution qui semble plus facile est souvent le
rejet de ces valeurs jugées incompatibles à l'évangile sans que soient faits des
14
efforts sérieux pour comprendre celles-ci et les mettre en corrélation avec les
données bibliques. Cette attitude s'inscrit dans une situation générale que
vivent beaucoup d'Africains.
La littérature africaine regorge des écrits qui traitent de cette attitude
de rejet des valeurs traditionnelles. Le Père Hebga explique que bien des
Africains ont rejeté leurs valeurs, « pour les troquer contre les apports
étrangers4 ». Chinua Achebe, le romancier nigérian parle du « monde qui
s'effondre » pour décrire la tragédie des interactions entre les sociétés
traditionnelles africaines et les modèles occidentaux5. La même réflexion se lit
sous la plume de Cheikh Hamidou Kane dans L'aventure ambiguë où son
héros, Samba Diallo, se trouve aux prises avec une gestion difficile de sa foi et
de la pensée philosophique occidentale qu'il est tenu d'assimiler6. Partant, les
Africains se trouvent engagés dans une relation qui semble difficile à gérer. La
fascination du modèle occidental face à un modèle local affaibli, mais
imperturbable les plonge dans un état morbide. C'est à juste titre que Mercy
Amba Oduyoye écrit : « ce qui est ancien n'a pas la force de se maintenir et ce
qui est nouveau ne satisfait pas7. » C'est ainsi que bon nombre d'Africains se
trouvent tiraillés entre les modèles endogènes et les modèles exogènes.
Cette situation a fait l'objet de la thématique de plusieurs ouvrages
préoccupés par la situation africaine. En 1956, dans Peaux noires masques
blancs, le psychiatre martiniquais, Frantz Fanon, qui a séjourné en Algérie et
au Ghana, décrivait le complexe des Afro antillais comme une pathologie
psychosociale8. Beaucoup d'Africains aujourd'hui vivent encore ce malaise,
fléau qui explique en partie la position ambiguë de plusieurs vis-à-vis de leur
patrimoine culturel et des apports de l'extérieur. Le père Hebga décrit ce
4 Meinrad HEBGA, « Un malaise grave », dans Personnalité africaine et catholicisme, Paris,Présence Africaine, 1963, p. 13.5 Chinua ACHEBE, Le monde s'effondre, Paris, Présence africaine, 1966.6 Amadou HAMPATE BÂ, L'étrange destin de Wangrin, Paris, Union générale d'éditions,1973.7 Mercy Amba ODUYOYE, « Valeurs des croyances et des pratiques religieusesafricaines », dans Koffi APPIAH-KUBI, et. al, Libération ou adaptation? La théologieafricaine s'interroge, Paris, l'Harmattan, 1977, p. 134.8 Franz FANON, Masque blanc, peau noire, Paris, Éditions du Seuil, 1952, 1971.
15
malaise comme une « angoisse lancinante de toute une race humiliée qui
s'interroge devant la Croix9 ». Il ajoute que ce « mal dévore encore des milliers
de subconscients nègres ». Amadou Hampaté Bâ dans L'étrange destin de
Wangrin illustre cela en narrant comment son héros, pour s'être détourné des
coutumes a connu une fin tragique. Ce même thème constitue la toile de fond
de Malaise de l'écrivain nigérian Chinua Achebe10. Dans cet ouvrage, l'auteur
dépeint la corruption dans laquelle Obi sombre à cause de sa difficulté à
concilier tradition et modernité. Cette « pathologie psychosociale » fait monter
ça et là des cris d'alarme.
Conscient de cette crise, qui du reste touche l'Afrique dans son identité,
l'ancien Président du Burkina Faso, le Capitaine Thomas Sankara, prêche la
reconversion des mentalités. Son message et son exemple ont contribué à
refaire, du moins de son vivant, l'image du Voltaïque devenu Burkinabé
(homme d'intégrité). En outre, l'appel réitéré à la moralisation de la fonction
publique par plusieurs hommes politiques en Afrique traduit à quel point le
mal est viscéral et que trouver des remèdes s'avère la priorité des priorités.
C'est pourquoi il nous apparaît crucial de diriger la priorité sur l'éducation et
de reconsidérer à nouveaux frais les démarches initiatiques. C'est à juste titre
que Ernst Friedrich Schumacher choisit l'éducation comme la ressource
première dont l'homme a besoin. Il explique que « le facteur clé de tout le
développement économique est le fruit de l'esprit humain11. » Or la formation
de cet esprit ne peut se faire qu'à travers l'éducation. Renald Legendre
renchérit quand il souligne que « l'éducation a un rôle crucial à jouer dans la
solution des malaises humains12. » Pour faire face à cette situation en Afrique,
l'expérience née de la rencontre des projets d'éducation à la foi chrétienne et
des pédagogies initiatiques africaines constituent un potentiel à explorer, car
9 Meinrad HEBGA, op. cit. p. 7.10 Chinua ACHEBE, Malaise, Paris, Présence africaine, 1978.11 Ernst Friedrich SCHUMACHER, Small is Beautiful. Une société à la mesure de l'homme,Paris, Contretemps/Le Seuil, 1978, p. 79.12 Renald LEGENDRE, L'éducation totale, Montréal/Paris, Éditions Ville-Marie/ÉditionsFernand Nathan, 1983, p. 4.
16
toutes deux s'intéressent à l'initiation, institution qui favorise la construction
de l'identité.
La réflexion sur l'initiation connaît un intérêt tout particulier du côté
catholique en Afrique13. En revanche, du côté des protestants évangéliques,
beaucoup reste encore à faire. Les grandes déclarations évangéliques dites de
Lausanne I (1974)14 et Lausanne II (1989)15 ne portent aucune attention
explicite à la question de l'initiation. Certes, par inférence on pourrait déduire
une allusion implicite dans les articles qui touchent la culture ; toutefois, la
mention non explicite est révélatrice d'une certaine lacune. Ceci explique la
méconnaissance des démarches éducatives traditionnelles dans les milieux
éducatifs des protestants évangéliques du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire.
Cette méconnaissance rend difficile la contribution des pédagogies
endogènes dans les institutions de formation chrétienne. Dans ces
institutions, nous assistons la plupart du temps, à une répétition des
approches missionnaires ou à leur adaptation sans aucun souci de
comprendre l'épistémè qui les porte. Que de programmes d'éducation
chrétienne conçus en dehors de l'Afrique et proposés comme prêt à
consommer ! Ainsi, est-il rare de voir des efforts de dégager des corrélations
entre les pédagogies endogènes et exogènes. Beaucoup d'Africains continuent
de croire que ce qui vient d'ailleurs et principalement de l'Occident est
meilleur ; certes, les faits sont là et ce serait faire preuve de mauvaise foi que
de refuser d'admettre l'évidence. Cependant, est-ce suffisant pour renier son
patrimoine ? Les Bantu nous lancent cette remarque : « tu détruis la belle
ombre de ton village et tu cherches l'ombre des nuages qui passent16. » En
13 Anselme Titianma SANON et René LUNEAU, Enraciner l'Évangile. Initiations africaineset pédagogie à la foi, Paris, Éditions du Cerf, 1982, 225 pp. ; MVUANDA, Jean de Dieu,Inculturer pour évangéliser en profondeur, des initiations traditionnelles africaines à uneinitiation chrétienne engageante, Bern, P. Lang, 1998, 451 pp.14 Klauspeter BLASER, (dir.) Repères pour la mission chrétienne. Cinq siècles de traditionmissionnaire. Perspectives œcuméniques, Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 2000, p.112-122.15 Ibid, p. 445-464.16 Hyacinthe VULLIEZ, Tam-tam du sage Poèmes et proverbes africains, Paris, Cerf, 1972,p. 57.
17
effet, toute connaissance n'est-elle pas ombre passagère, trace de la réalité ou
mieux, mirage du réel ?
L'histoire de la construction des savoirs en Occident confirme notre
assertion. Les différents déplacements des paradigmes que d'aucuns
qualifient de ruptures traduisent cette course effrénée vers les mirages du
savoir. De temps en temps, quand les nuages voilent le soleil, l'homme se
ravise et, quand réapparaît le soleil scintillant, la course reprend. Car en
réalité, hormis certains cas, ce qui est considéré comme nouveau n'est rien
d'autre qu'un remaniement de l'ancien que ceux qui n'ont pas eu l'occasion de
voir avant s'illusionnent de nouveauté. Loin s'en faut, d'insinuer que ce qui
est ancien est mieux que ce qui est nouveau et vice versa. Nos propos se
résument plutôt dans ce que disent les Éwé : « c'est au bout de la vieille corde
qu'on tisse la nouvelle.17 » C'est d'un univers d'interactions et de corrélation
qu'il s'agit ici ; un lieu d'ouverture et de dialogue entre les acquis du passé et
ceux du présent. C'est en définitive, un voyage sur les traces des initiations
africaines et des pédagogies de l'éducation à la foi chrétienne. Un voyage en
quête de réponses à la question : en Afrique, qu'avons-nous fait de la vieille
corde dans nos projets éducatifs ?
En effet, la volonté de mieux faire n'est plus à démontrer dans les
milieux chrétiens du sud-ouest du Burkina Faso. Les milieux catholiques
parlent de « meilleur devenir chrétien lobi » et les protestants ne cessent de
parler de « réveil spirituel ». Pour rejoindre ces besoins, il importe de découvrir
les représentations lobi qui peuvent faciliter l'accueil et l'assimilation de
l'évangile. Une telle tâche est liée à la compréhension de la stratégie éducative
lobi. Cette stratégie se déploie dans le joro qui, cependant, est un sujet de
discorde parmi les chrétiens en pays lobi. Cette discorde vient du fait qu'on
assimile le joro à une divinité ou à une institution religieuse.
Pour notre part, nous partons de l'hypothèse que le joro vise tout autant
une fonction éducative que religieuse. Cette hypothèse entraîne la question
suivante : « quels indicateurs mettent en évidence la stratégie éducative du
17 ibid., p. 33.
18
joro comme un espace propice à une démarche d'initiation et d'éducation
chrétiennes ? » De cette question à laquelle la présente thèse s'atèle, découle
un certain nombre d'interrogations : quels sont les facteurs socioculturels qui
entrent en jeu dans la compréhension du joro ? Quels sont les paramètres
théologiques à prendre en compte? Quels sont les déterminants pédagogiques
des démarches initiatiques ? Quels sont les lieux possibles de dialogue entre
l'initiation traditionnelle lobi et l'initiation chrétienne? Ces deux approches
initiatiques peuvent-elles s'insérer dans une théorie pédagogique générale ? Si
oui, quelle serait leur spécificité dans une situation éducative ? Ces
interrogations servent de poteaux indicateurs pour une compréhension de
l'initiation lobi et de l'éducation à la foi en vue d'en déceler les substrats
pédagogiques. Ainsi, vont-elles permettre de déterminer la situation éducative
qui s'y dégage et de proposer si possible, un processus pédagogique.
Deux parties forment l'ossature du présent travail et s'organisent
autour de deux questions principales. La première partie cherche à montrer
par quelle approche la démarche initiatique peut être abordée dans une
perspective protestante évangélique africaine. Elle construit les assises de la
thèse en quatre chapitres. Le premier chapitre présente les contextes
sociogéographiques et confessionnels concernés par la question traitée. Le
deuxième chapitre traite de la démarche initiatique à travers la revue de
littérature pour mettre en évidence la question qui mérite d'être approfondie.
Les chapitres trois et quatre abordent les enjeux conceptuels et théoriques
que suppose l'examen de la question visée par la thèse en précisant les
présupposés théologiques, sociologiques et pédagogiques.
La deuxième partie interprète les résultats de l'analyse de dix entrevues
réalisées avec des chrétiens protestants évangéliques. Elle fait ressortir les
indicateurs pouvant contribuer à la compréhension de la place de l'initiation
dans une situation pédagogique et dans la formation chrétienne. Elle
s'organise en quatre chapitres. Le premier chapitre examine les questions
liées à la méthodologie. Le deuxième s'attache à comprendre les acteurs et
l'espace pédagogique du joro, tandis que le troisième analyse la démarche qui
19
caractérise l'initiation lobi. Chacun des deux chapitres (VI et VII) comporte un
volet de mise en parallèle entre les données pédagogiques de l'impératif
missionnaire de Matthieu 28, 18-20 et les indicateurs pédagogiques du joro.
Le dernier chapitre présente d'abord la perception d'anciens initiés devenus
chrétiens sur les rapports entre le christianisme et le joro pour ensuite faire
des propositions sur le plan pédagogique et celui de la formation chrétienne.
Compte tenu du contexte dans lequel les recherches ont été effectuées,
plusieurs termes des langues locales sont utilisés pour rester proche de la
pensée des répondants. Que le lecteur nous excuse des efforts
supplémentaires qu'une telle option pourrait engendrer. Nous avons placé
entre parenthèses la signification de ces termes quand cela s'est avéré
nécessaire.
20
PREMIERE PARTIE
L'INITIATION : JALONS POUR UNE APPROCHE D'ANALYSE
Toute société pour assurer sa survie se doit de rendre possibleentre ses membres, d'une génération à l'autre, dans le temps etdans l'espace, la communication d'un certain nombre d'acquis.Une telle opération est nécessairement et simultanémentpédagogique, politique et culturelle18.
Cette remarque de Jacques Audinet traduit bien la place de l'éducation
dans toute société et les aspects qui doivent être pris en compte. Il s'avère
cependant qu'en Afrique, les aspects culturels liés à l'héritage traditionnel, ont
longtemps été marginalisés, voire même dévalorisés, ou très peu pris en
compte dans les politiques et approches éducatives. Pourtant, « on ne peut,
dit Michelle Josse, envisager les problèmes de l'éducation de l'Afrique noire
contemporaine sans prendre en compte la source féconde d'enseignement
qu'est l'éducation africaine traditionnelle19. » Cette éducation se caractérise
par la transmission d'un patrimoine et l'équipement de l'individu pour son
intégration à la communauté, et constitue un facteur important de
changement social20. Abondant dans le même sens, Jean de Dieu Mvuanda
souligne la place qu'a l'initiation traditionnelle dans le processus éducatif
africain en la qualifiant de point culminant21. Louis-Vincent Thomas et René
Luneau renchérissent, quand ils affirment que « l'initiation a [...] une valeur
éducative de premier ordre22 ».
Sur le plan théologique ou pastoral, dans son message « Africae
terrarum » de novembre 1967, le Pape Paul VI, considère les valeurs
traditionnelles africaines comme une « base providentielle pour la
18 J a c q u e s AUDINET, «Du t r ansmet t r e ou la tradit ion comme pra t ique sociale» d a n sEssais de théologie pratique. L'institution et le transmettre, Paris , Beauchesne , collection«Le point théologique» n° 49 , 1988, p . 113.19 Michelle J O S S E , « Tradit ion orale et technologie éducative e n Afrique noire », d a n s Latechnologie éducative et le développement humain, J é s u s VÀZQUEZ-ABAD et Jean-YveLESCOP (dir.), Montréal, Télé-université, 1986, p . 117.20 Pierre ERNY, L'enfant et son milieu social en Afrique noire, Paris , Payot, 1972, p . 15-16.21 J e a n de Dieu MVUANDA, Inculturer pour évangéliser en profondeur, des initiationstraditionnelles africaines à une initiation chrétienne engageante, Bern, P. Lang, 1998, p.268.22 Louis-Vincent THOMAS et René LUNEAU, La terre africaine et ses religions, Paris,L'Harmattan, 1980, p. 41.
22
transmission du message Evangélique23 ». Parmi ces valeurs, il cite le respect
pour la dignité humaine et, tout en soulignant les aberrations et les pratiques
qui vont à l'encontre de cette dignité, il relève cependant les changements déjà
observables et ceux qui sont en perspective. Pour lui, la transmission du
respect passe entre autres, par les initiations traditionnelles africaines24. La
place qu'accorde le Souverain Pontife à ces initiations dans les systèmes
éducatifs en Afrique, montre à quel point le discours officiel de l'Église
catholique leur porte un intérêt particulier. L'un des articles de la
Constitution conciliaire sur la liturgie de Vatican II, confirme cet intérêt. Bien
que l'Afrique ne soit pas directement visée, l'article 65 témoigne de l'appel du
Concile à prendre en compte les éléments d'initiation propres à chaque
peuple25. C'est avec raison que des auteurs qui ont travaillé sur l'initiation en
Afrique s'y réfèrent26.
En plus de ces documents officiels, les efforts d'élaboration d'une
théologie africaine chrétienne au sud du Sahara, surtout du côté catholique,
démontrent, ne serait-ce que théoriquement, une réelle aspiration de prise en
compte des aspects culturels des peuples d'Afrique. Pour se convaincre de cet
effort d'incarner le message de l'Église en Afrique, il suffit de consulter les
travaux de recherche dans les facultés et écoles de théologie. Parmi ces
établissements, signalons du côté francophone, les plus représentatifs :
l'Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest à Abidjan en Côte d'Ivoire, la
Faculté de Théologie catholique de Kinshasa au Congo Démocratique. Du côté
protestant, nous avons la Faculté de Théologie de Yaoundé au Cameroun, la
Faculté de Théologie Evangélique de Bangui en République Centrafricaine, la
Faculté de Théologie Evangélique de l'Alliance Chrétienne à Abidjan en Côte
d'Ivoire. Les options de ces écoles s'insèrent bon gré mal gré, dans les
23 PAUL VI, « M e s s a g e "Africae terrarurri' » d a n s Documentation catholique, n ° 1 5 0 5 , 1967 ,§14.24 Ibid, § 9 .25 « Constitution conciliaire sur la liturgie », n°65 dans Vatican II. L'intégralité, Paris,Bayard Compact, 2002, p. 197.26 Cf. Anselme Titianma SANON et René LUNEAU, Enraciner l'Évangile. Initiationsafricaines et pédagogie à la foi, Paris, Éditions du Cerf, 1982 ; Jean de Dieu MVUANDA,op. cit., 1998.
23
orientations et les propositions de l'Association Œcuménique des Théologiens
Africains (AOTA) dont la tâche principale est de promouvoir la recherche
théologique concertée dans un univers culturel africain27.
Une telle tâche requiert des fondements théoriques et pratiques, qui
prennent en compte les contextes des différents milieux culturels et
confessionnels qui caractérisent la situation africaine. La complexité même de
l'Afrique jointe à celle de l'initiation dans ce continent nous imposent des
choix pour mieux cibler et baliser nos propos. C'est pourquoi dans cette
partie, la question suivante orientera nos réflexions : comment la démarche
initiatique peut-elle être abordée dans la perspective protestante évangélique
africaine ? La première partie qui construit les balises du présent travail
examine la question à travers quatre chapitres.
27 Tshishiku TSHIBANGU, La théologie africaine, Manifeste et programme pour ledéveloppement des activités théologiques en Afrique, Kinshasa, Éditions Saint Paul, 1987,p. 37.
24
CHAPITRE I
LE PAYS LOBI ET LES ÉVANGÉLIQUES
Ce chapitre vise à présenter les différents contextes socioculturels qui
orientent nos réflexions. La complexité du champ de l'éducation à la foi et
celle du contexte social, nous amènent à circonscrire les espaces
sociogéographiques et confessionnels dans et par lesquels nous entendons
mener les recherches. La précision de ces contextes s'impose pour deux
raisons. La première raison touche à la complexité de l'Afrique. En 1998, nous
étions en tournée dans des Églises protestantes évangéliques en Alsace en
France pour expliquer la situation des Églises africaines par rapport à la
formation. Dans une rencontre de jeunes, il nous avait été demandé de
chanter quelque chose en africain comme s'il existait une langue africaine
comme le français en France. Tout portait à croire que le jeune qui avait fait
cette requête ignorait que l'Afrique est un continent de diversités régionales,
culturelles, et linguistiques. C'est pourquoi lorsque nous parlons de ce
continent, il est important de préciser le contexte géographique et social visé.
Car l'Afrique de l'Ouest, au sud du Sahara, est bien différente de celle du
centre, de l'est et du sud. Cela n'exclut aucunement les aspects culturels
communs, que peuvent partager ces différentes parties de l'Afrique.
La deuxième raison vise le christianisme. Les divisions dans le
christianisme ont donné naissance à plusieurs confessions et courants de
pensées théologiques. Sans parler des trois grandes familles chrétiennes :
catholique, protestante et orthodoxe, les différents morcellements des
protestants exigent que soit précisé le lieu confessionnel à partir duquel un
discours théologique protestant est tenu, car les mêmes termes n'ont pas
nécessairement la même signification. Les divergences sur la compréhension
du corps et du sang du Christ dans l'eucharistie en sont un exemple. En
25
2003, nous avions rencontré une étudiante du courant évangélique dans un
cours d'initiation chrétienne. Avant la fin du premier cours, elle a dû y
renoncer à cause de l'approche et surtout du vocabulaire qui était totalement
étranger à son milieu chrétien.
Ces expériences nous amènent à prendre quelques précautions, non
seulement dans le but d'offrir un contexte référentiel à nos propos, mais aussi
en vue de nous donner des balises. C'est pourquoi ce chapitre examine la
question suivante : quels sont les cadres sociogéographiques et confessionnels
que présupposent nos réflexions ? Un proverbe birifor dit : « ba bvro na ka a
naa jinaa nye saa na koro be ka » (on parle ici et celui-ci voit la pluie qui se
prépare là-bas.) Ce proverbe est énoncé pour montrer que toute prise de
parole requiert le respect du contexte, de peur d'être incompris. C'est
pourquoi, avant d'entrer dans le vif du sujet, il nous apparaît primordial de
préciser les contextes dans lesquels et pour lesquels nos réflexions
s'articulent.
1 Le pays lobi au Burkina Faso
Le Burkina Faso qui constitue le cadre géographique de cette recherche
fait partie de l'Afrique de l'Ouest et principalement de la partie située au Sud
du Sahara. Anciennement connu sous le nom de Haute-Volta, c'est un pays
enclavé. Distant de plusieurs centaines de kilomètres de la mer, il est bordé à
l'Est par le Niger, à l'Ouest par la Côte d'Ivoire, au Sud par le Ghana, le Togo
et le Bénin ; du Nord au Nord-Ouest par le Mali. Ce pays couvre une
superficie de 274.200 km2.
26
Carte 1-1 : Afrique de l'Ouest
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Carte tirée de l'Encyclopédie Microsoft Encarta 2000
Carte 1-2 : Burkina Faso
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Carte tirée de l'Encyclopédie Microsoft Encarta 2000
La population du Burkina Faso est estimée à 11.400.000 habitants
avec une croissance moyenne de 2,8 % par an. Environ une soixantaine
d'ethnies peuplent le pays. Les plus représentatives sont : les Mossi, les
27
Gourmantché, les Gourounsi, les Bissa, les Samo, les Peul, les Mandé, les
Bobo, les Sénoufo, les Dagari et les Lobi. Ces populations sont très attachées
aux pratiques religieuses traditionnelles ; plus de 32 % sont liées aux cultes
ancestraux, de 46 à 50 % sont islamisées et 18 % sont christianisées28.
Les Lobi qui constituent notre population cible, occupent un territoire
partagé entre trois États :
• le Nord-ouest du Ghana dans les districts de Laura, Wa et Bolè ;
• le Nord-est de la Côte d'Ivoire dans les provinces de Bouna et
Boundoukou ;
• le Sud-ouest du Burkina Faso dans les provinces de la Bougouriba,
la loba, le Noubièl et le Poni. La principale ville est Gaoua, chef lieu
de la Région.
Le territoire qu'occupent les Lobi est appelé par les autochtones, lobi dix
c'est-à-dire « pays lobi ». (cf. carte 1-3)
Carte 1-3 : Le pays lobi {cf. espace en pointillés)
; ...
k - j
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Carte tirée de l'Encyclopédie Microsoft Encarta 2000
28 Patrick JOHNSTONE 8s Jason MANDRYK, Opération World, Gerrards Cross, WEC Press,2001, p. 131.
28
Henry Labouret désigne la société lobi par les termes de « Tribus du
Rameau Lobi29 ». Elle se compose d'un « groupe d'individus ayant centré leur
organisation sociale sur une institution commune, un système matriclan
quadripartite30 ». Ces matriclans sont : Da, Hien, Kambou/Kambiré et Paie.
Des six tribus du « rameau lobi » (Lobi, Birifor, Dian, Téguessié, Gan et
Dogossé), notre intérêt porte sur deux d'entre elles : les Lobi et les Birifor. Les
premiers sont estimés au nombre de 373.000 et les autres à près de
210.00031. Les Lobi se seraient installés dans leur territoire actuel vers 1770,
en traversant le Mouhoun, fleuve qui sépare le nord du Ghana du sud et du
sud-ouest du Burkina Faso. Ils furent suivis vers 1800 par les Birifor32. Ces
populations vivent dans la portion qu'ils appellent eux-mêmes lobi dii c'est-à-
dire « pays lobi ». Par commodité, nous emploierons le terme « Lobi » pour
désigner les deux tribus ensemble sauf quand il s'agira de certaines
particularités ; car ceux qui ne sont pas du pays lobi considèrent les Birifor
comme des Lobi. Les Birifor eux-mêmes s'attribuent cette appellation quand
ils sont à l'étranger33 ou simplement quand ils se déplacent vers d'autres
régions du pays.
La pénétration coloniale n'a pas été facile dans cette région. Le
capitaine Labouret l'exprime en ces termes : « L'indigène lobi demeure
arrogant, tue nos partisans, nous refuse ses services et ses denrées [...] Nous
ne sommes réellement maîtres que du sentier que nous parcourons
momentanément et du poste que nous occupons34. » Cette situation a
29 Henri LABOURET, Les tribus du rameau Lobi, Paris, Institut d'ethnologie, 1931.30 Daniel Me. CALL, 2000 ans d'histoire africaine, le sol, la parole et l'écrit, Paris,L'Harmattan, 1981, p. 373.31 Patrick JOHNSTONE & Jason MANDRYK, op. cit., p. 131.32 Jean-Baptiste KIÉTHÉGA, «Mise en place des peuples du Burkina», dans Jean-BaptisteKIÉTHÉGA, Tintiga Frédéric PACÉRÉ, Oger KABORÉ, et. al, Découverte du Burkina, TomeI, Paris/Ouagadougou, SÉPIA/A.D.D.B., 1993, p. 22.33 Cécile de ROUVILLE, Organisation sociale des Lobi, Par i s , l ' H a r m a t t a n , 1987, p . 2 1 .34 ANCI, Abidjan, 5 E - E - 1 0 , Rappo r t d u Capi ta ine LABOURET, G a o u a , 15 sep t embre 1917 ,cité d a n s Michèle FIÉLOUX, et. al. (dir.), Images d'Afrique et Sciences Sociales, Les paysLobi, Birifor et Dagara, Paris, Karthala/Orstrom, 1993, p. 369-370.
29
entraîné une répression musclée et des pendaisons35. Cela amena les ancêtres
à jurer qu'aucun de leurs descendants ne suivrait de loin ou de près, la voie
tracée par les Blancs. Cet interdit est posé dans tout le pays. Aujourd'hui, les
fils en sont perplexes, car d'une part, ils sont attirés par le progrès, et d'autre
part, ils sont liés par l'interdit qu'ils appellent nuo (la bouche). Cet état de
choses a amené les colons et plusieurs de leurs prédécesseurs à attribuer aux
Lobi, l'image que Cécile de Rouville transmet ici, si fidèlement :
[...] les Lobis font figure auprès de l'Administration comme despopulations voisines plus ouvertes aux influences modernes de"sauvages", individualistes et batailleurs. Certains traits culturels etinstitutionnels ont contribué à donner d'eux une telle image : leursparures de feuilles ou de peaux, le port du labret par les femmes,l'absence de chefferie tant à l'échelon ethnique que local, la pratiquede la vengeance, la fréquence des conflits armés intervillageois...Leur longue résistance à la pénétration française, leur manqued'intérêt pour le développement des cultures de profit, le très faibletaux de scolarisation, l'échec quasi total des missions chrétiennes etl'influence pratiquement nulle de l'Islam sont autant de faits qui ontentretenu la vision d'une société rétive à toute autorité, repliée surelle-même et profondément attachée à ses coutumes36.
Cette image puise ses racines dans la « bouche » des ancêtres (l'interdit)
à laquelle, depuis quelques années, les aînés Lobi tentent de remédier en
offrant des sacrifices pour désengager les générations futures de l'interdit ;
mais, cela ne va pas sans difficulté. C'est ce que confirment les paroles de Da
Jogathé et de Da Koïbthé : « maintenant nous voudrions bien enlever cette
"bouche", mais celui qui l'a mise est notre père, nous sommes ses fils, et si
nous faisons cela nous risquons de mourir37. »
Ce lien étroit avec les ancêtres trouve sa sommité dans l'initiation du
joro. Parler des Lobi sans faire référence à la grande initiation est rare, et
Michel Dieu l'exprime en ces termes :
35 Des photos de ces pendaisons sont reproduites dans Michèle FIÉLOUX, et. al., op. cit.,1993, p. 84.35 Cécile de ROUVILLE, op. cit., p. 1.37 Madeleine PERE, Les Lobi, Tradition et changement. Burkina Faso, Laval, Siloë, 1988,p. xviii.
30
Comment pourrait-on parler des Lobi et de leur pays, de l'histoire deleur peuplement, du rôle de la guerre, de leur appropriation socialede l'espace, de leur architecture, de leur culture matérielle, de leuresthétique, comment pourrait-on tenter un panorama aussi large etcomplet de la société lobi sans dire au moins un mot du grand rituelinitiatique collectif qui, tous les sept ans mobilise toute la société[...] et pour ainsi dire la conforte, la régénère dans son intégrité enmanifestant de façon visible sur le terrain l'agencementsynchronique de ses éléments tout autant que le rappel précis del'histoire de sa mise en place. Oui! Comment ne pas parler du joropuisqu'il faut bien l'appeler par son nom, et comment en parler,puisque c'est interdit et qu'il n'est pas d'interdit plus strictementrespecté que cette consigne absolue de silence qui frappe tout initiévis-à-vis de tous les non-initiés38 ?
Ce regard d'un étranger traduit éloquemment la place, combien centrale
du joro, dans la société Lobi du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire. Il
constitue un lieu de cohésion qui permet « de maîtriser l'ordre et le désordre »,
de « resserrer les liens », de « vitaliser le groupe » en « sacralisant l'homme39 ».
La place qu'occupe le joro dans la vision du monde chez le Lobi, influence les
rapports de ce dernier à l'altérité. La sauvegarde et le maintien des liens avec
les ancêtres obligent les Lobi à prendre leurs distances par rapport à tout ce
qui est nouveau et qui tend à les éloigner de leurs sources. Cette méfiance
mêlée de fierté a été à la base des difficultés que le christianisme a
rencontrées en pays lobi. Les témoignages sur la pénétration missionnaire et
les efforts d'évangélisation révèlent les difficultés auxquelles la foi chrétienne
est confrontée.
2. La pénétration missionnaire
Les premières traces du christianisme en pays lobi remontent au temps
de la colonisation. « Tout a commencé le 7 novembre 1929 où, en vue d'une
fondation en pays Lobi, Mgr Esquerre amène de Bobo à Gaoua le jeune P.
Galland et un catéchumène de Sikasso, Abdoulaye40. » Dans un premier
38Michel DIEU, « Quelque chose de nouveau à l'initiation » dans Michèle FIÉLOUX, et al,(dir.), op. cit., p. 369-370.39 Louis -Vincent THOMAS e t R e n é LUNEAU, op. cit., p . 2 1 7 - 2 2 0 .40 Gaetano, CAZZOLA, et. al, Pour un meilleur devenir chrétien lobi, si, se, 1984, p. 7.
3 1
temps, les missionnaires visèrent le village de Bomoé pour commencer leur
œuvre, mais ils furent déconseillés par l'administrateur colonial. En effet,
environ deux semaines avant leur arrivée, le village venait de connaître une
scène de violence dans laquelle un homme avait perdu la vie. Comme
l'administration projetait une intervention de l'armée pour rétablir l'ordre, il
n'était donc pas prudent de s'y trouver là au moment de la répression. Après
quelques prospections, le village de Kampti fut finalement choisi pour
l'implantation de l'œuvre.
Curieusement, environ deux années plus tard, le site laissé par les
catholiques accueillera les premiers missionnaires protestants. Une fois de
plus, l'administration coloniale interviendra pour leur conseiller de partir de
là. Ils feront comme les premiers, mais iront s'installer dans un village facile
d'accès. Cela se passe en 1931, date à laquelle, Charles Benington, un
Irlandais de la Qua Iboe Mission, accompagné d'un Nigérian du nom de Kano,
commence l'œuvre missionnaire protestante en pays lobi. Lui et son
compagnon s'installent dans un village nommé Bouroum-Bouroum et
apprennent la langue lobi. Benington noue des relations avec le chef du
village. En juillet 1932, une grande sécheresse frappe la région. Le
missionnaire saisit l'occasion pour inviter les chefs de familles à se rassembler
chez lui pour leur révéler ce qu'il convient de faire pour qu'il pleuve. C'était
selon lui, l'occasion rêvée pour communiquer l'évangile. Quand il les invite à
recevoir le Christ dans leur vie, les personnes présentes lui lancent un défi.
Elles promettent que s'il prie pour la pluie et qu'il est exaucé, ils accepteraient
son Dieu. Benington prie, mais il ne tombe pas de pluie. Cependant, les chefs
reviennent une deuxième fois ; il leur annonce encore l'évangile, mais sa
prière pour la pluie reste toujours sans résultat palpable. Encore une fois, les
chefs reviennent, Benington annonce l'évangile, et invite les gens à accepter le
message du salut en Jésus-Christ. C'est alors que deux hommes se décident
pour Christ. Après une explication de l'économie du salut, le missionnaire
amène ces hommes à prier pour le pardon de leurs péchés et à recevoir le
Christ dans leur vie. À l'issue de cette prière, ils sont invités à détruire leurs
32
idoles, mais Benington est surpris d'apprendre qu'ils n'ont plus d'idoles. C'est
alors que Tijité, l'un des hommes raconte le récit suivant.
Dieu m'a parlé il y a 11 ans. J'allais être initié en tant que grandféticheur-devin (sorcier-guérisseur/devin-guérisseur ?). Tous lessacrifices avaient été préparés, mes épouses avaient fait de la bière.Tout était prêt et les chefs allaient arriver le lendemain matin pourl'initiation, de même que les sorciers guérisseurs de la région. Cettenuit là, alors que je dormais, Dieu est venu et m'a poussé en bas dutoit en terrasse où je dormais. Il a fait cela trois fois. La troisièmefois, Dieu m'a parlé en m'appelant par mon nom. Il m'a dit : Tijité,détruit tes idoles, les jours des sacrifices aux idoles sont passés. Jevais envoyer un homme blanc et sa femme dans ton village pourt'enseigner mon chemin.
Je me suis levé tôt le matin, je suis descendu et j'ai commencé àdétruire mes idoles. Bien sûr, mes idoles appartenaient également àla famille. Lorsque les gens ont entendu le bruit, mon père est sortibrusquement -il était chef du village en ce temps là- il m'a attrapé eta appelé mes frères et les gens de la maison, disant que Tijité, sonfils, était devenu fou. Ils m'ont saisi, m'ont ligoté et m'ont jeté dansla brousse... Dieu a poussé une vieille femme à venir dans labrousse cette nuit là et à me libérer en coupant mes liens.
J'ai alors commencé à aller de village en village et à raconter ce queDieu m'avait révélé. Dieu m'avait dit de ne pas prendre mon arc etmes flèches dans mes visites, mais de prendre 2 choses : une épée etun morceau de tissu rouge [...]41.
Accusé de détruire les coutumes lobi, et de préparer ainsi la tribu à la
révolte, Tijité fut amené devant le gouverneur de Ouagadougou, qui contre
toute attente, lui délivra une autorisation écrite lui permettant de continuer à
prêcher ce qu'il avait compris de ce Dieu qui lui avait parlé.
Curieusement, après le départ de ces deux hommes, le missionnaire vit
un nuage se former, et il tomba une forte pluie qui fit revivre toute la récolte
qui avait commencé à sécher. Les chefs reconnurent la main du Dieu du
missionnaire. C'est ainsi que commença l'histoire des rapports entre le
christianisme protestant et la société lobi. Vu l'ampleur de la tâche qui
41 Texte reproduit avec la permission de Mady VAILLANT, traductrice du récit transcrit enanglais par Stanley Benington et enregistré sur bande magnétique. Nous collaborons ence moment dans la rédaction de l'histoire des relations de la mission WorlwideEvangelization for Christ (WEC) et de l'Église Protestante Évangélique du Burkina Faso(EPEBF) d'où nous avons tiré le récit.
33
l'attendait, Bennington demanda du renfort auprès de la mision Worldwide
Evangelization Crusade42 (WEC). C'est ainsi que Jack Robertson qui était en
Côte d'Ivoire le rejoignit en 1936, et l'œuvre passa des mains de la Qua Iboe
Mission à la WEC et se développa sous sa direction. Les missionnaires
protestants installés en pays lobi sont issus de communautés chrétiennes
dont la grande majorité se réclame du courant évangélique. Ce témoignage
suscite deux remarques.
L'authenticité du récit reste à démontrer. Deux indices du texte peuvent
nous y conduire. Les contemporains de Tijité constituent une source de
vérification. Nous avons un récit semblable de Sinyalté Kambou43, un des
cousins de Tijité. Ce dernier est du village de Djégona à seize kilomètres de
Bouroum-Bouroum. Il avait lui aussi reçu des visions d'un dieu qui lui
annonçait des temps nouveaux et l'enjoignant de détruire les idoles. Comme
ce dernier hésitait, la voix lui a fait savoir que son cousin avait lui aussi reçu
la même révélation. Celui-ci eut aussi des démêlés avec la population et il a
fallu l'intervention de l'administration coloniale pour apaiser le climat.
Malheureusement, aucune date précise n'est donnée pour permettre une
vérification au niveau des archives coloniales. Puisque l'administration est
citée, nous avons là aussi un autre indice. Une recherche dans les archives de
1918 à 1923 pourrait aider à confirmer ou à infirmer les témoignages.
Le récit donne l'impression de déprécier les religions traditionnelles.
L'appel à détruire les idoles peut laisser croire que les religions traditionnelles
lobi sont à proscrire. On peut toutefois faire l'hypothèse, qu'il s'agit d'ôter de
ces religions ce qui constitue des obstacles à la religion, c'est-à-dire le
processus visant la proximité et l'intimité avec le divin. S'il n'y avait pas une
certaine valeur dans ces religions, comment expliquer ce pré-évangile avec
Tijité ? Son expérience s'est déroulée pendant qu'il était encore adepte et
42 Cette mission garde toujours les mêmes initiales, mais le Crusade a été remplacé parChrist ce qui donne Worlwide Evangelization for Christ. Son fondateur est Charles Sttud.La branche française quant à elle a choisi les initiales AEM, Action d'EvangélisationMondiale.43 Nous tenons ces renseignements de Daniel Narcisse Kambou, Directeur de la Radioévangélique du Sud-ouest. Il vient du même village que Sinyalté Kambou. Notre entrevueavec lui a eu lieu le 23 février 2003 à Gaoua.
34
pratiquant convaincu de la religion traditionnelle. C'est précisément de ce lieu
qu'il a reconnu un appel de Dieu. On est probablement ici en présence d'un
indicateur de théologie des « pierres d'attente44 ». Pour répondre à ces
questions, cela prendrait une autre recherche sur le dialogue interreligieux
dans une perspective du courant évangélique.
3. Le courant évangélique
Si la référence à la chrétienté constitue le contexte général de nos
recherches, le courant évangélique45 de la confession protestante demeure le
contexte proche de celles-ci. Ce courant est marqué par plusieurs tendances.
Les classifications ne manquent pas. En 1996, le journal Church of England
Newspaper proposait, sur un ton ironique, 57 variétés d'évangéliques par
analogie aux 57 produits Heinz46, mais, les études qui sont plus sérieuses en
suggèrent treize, douze et six47. Les évangéliques peuvent se subdiviser
comme suit :
• Les fondamentalistes : ceux-ci ont souvent une interprétation
littérale de la Bible et une attitude séparatiste48.
44 Tsh ish iku TSIBANGU, La théologie africaine, Manifeste et programme pour ledéveloppement des activités théologiques en Afrique, Kinshasa , Édit ions Saint PaulAfrique, 1987, p . 8.45 Pour u n a p e r ç u rapide de ce couran t , l'article de Alfred KUEN, «Qui son t lesÉvangéliques» d a n s Ichtus, 128, 1985, p. 15-21 , donne de préc ieuses informations. Cetauteur a également écrit tout un livre sur le sujet intitulé : Qui sont les évangéliques,identité, unité, diversité du mouvement, Saint-Légier, Éditions Emmaùs, 1998, 144 pp. Cf.également John STOTT, La vérité évangélique, un défi pour la foi, Valence, Éditions Liguepour la lecture de la Bible, 2000 ; Klauspeter, BLASER, La théologie du XXe siècle,Histoire-défis-enjeux, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1995, p. 393-433.46 J o n h STOTT, op. cit., 2 0 0 0 , p . 2 3 .47 Cf. Rowland CROUCHER, Récent Trends among Evangelicals, (si.), Albatros- Marc ,1986, p . 7 ; Clive CALVER et Rob WARNER, Together We Stand, (si.) Hodder & S tough ton ,1996, p . 128-130 ; Peter BEYERHAUS, cité p a r Stot t , op. cit. 2 0 0 0 , p . 2 3 ; GabrielFACKRE, Ecumenical Faith in Evangelical Perspective, G r a n d Rap ids , E e r d m a n s , 1993 .48 Le fondamentalisme est d'une grande portée pour la compréhension du mouvementévangélique qui nous intéresse. Plusieurs études y ont été consacrées : George M.MARSDEN, Reforming Fundamentalism, Fuller Seminary and the New Evangelicalism,Grand Rapids, Eerdmans, 1987 ; Understanding Fundamentalism and Evangelicalism,Grand Rapids, Eerdmans, 1991. Comme MARSDEN, James BARR donne un aperçu descaractéristiques du fondamentalisme dans Fundamentalism, London, SCM Press LTD,1977 ; Beyond Fundamentalism, Philadelphia, Westminster Press, 1984 ; Escaping from
35
• Les pentecôtistes et les charismatiques : cette branche insiste sur
une vie qui se veut conforme à celle des premiers chrétiens, avec des
accents très prononcés sur l'action de l'Esprit, ses dons, la
glossolalie, les miracles et les guérisons.
• Les évangéliques radicaux : ouverts à l'action socio-politique, ce
groupe tente de joindre au témoignage chrétien l'action sociale.
• Les évangéliques confessants : ils accordent un grand intérêt à une
confession de foi et à la juste doctrine.
• Les évangéliques œcuméniques : ceux-ci sont ouverts au dialogue
œcuménique, mais de façon très critique.
• Les néo-évangéliques : ils prennent des distances quant aux
positions fondamentalistes, encouragent la rigueur scientifique dans
les études et sont beaucoup plus ouverts dans leur collaboration
avec d'autres confessions.
Si ces différentes branches caractérisent les évangéliques, au Burkina
Faso, deux grandes ramifications sont présentes : les évangéliques fédérés et
ceux qui se démarquent de la Fédération des Églises et Missions Évangéliques
(FEME). Cette fédération créée en 1972 réunit le premier groupe. Elle est
affiliée à l'Association des Évangéliques d'Afrique (AEA) qui interdit à ses
membres toute collaboration officielle avec le Conseil Œcuménique des
Églises. L'Église Protestante Évangélique qui est particulièrement ciblée dans
cette thèse, est membre de la FEME. Au sein de la fédération, il existe trois
mouvements, les pentecôtistes, les évangéliques conservateurs qui se méfient
Fundamentalism, London, SCM Press LTD, 1984. La perception qu'a cet auteur desfondamentalistes, est plutôt négative. Le lecteur pourra également consulter l'ouvrage deJean-François MAYER, Les fondamentalistes, Genève, Georg, 2001. Bien que touchant lephénomène sur un plan général, l'auteur analyse l'origine protestante du terme et sesramifications dans les autres religions. Moktar Ben BARKA dans son ouvrage : Lesnouveaux rédempteurs, Le fondamentalisme protestant aux Etats-Unis, Genève, Labor etFides, 1998, décrit le mouvement dans son évolution historique, ses doctrines et sesrapports à la société. Deux autres études beaucoup plus théologiques se concentrent surle rapport des fondamentalistes à la Bible : Luc CHARTRAND, La bible au pied de la lettre.Le fondamentalisme questionné, Montréal, Médiaspaul, 1995 ; Richard BERGERON, Lesfondamentalistes et la Bible, Montréal, Fides, 1987.
36
des pentecôtistes et enfin les évangéliques charismatiques. Ce dernier
mouvement met l'accent sur l'action de l'Esprit, mais refuse que la glossolalie
soit le seul signe de la réception du Saint-Esprit, bien qu'il encourage ses
membres à rechercher le parler en langues. Le deuxième groupe des
évangéliques ne jouit pas d'une reconnaissance officielle comme le premier,
car en fait, il est diffus et sans organisation centralisée. Il est plutôt constitué
de diverses communautés chrétiennes protestantes, dont certaines sont
schismatiques.
Toutes ces branches du mouvement évangêlique, malgré leurs
particularités, peuvent être identifiées par six principes fondamentaux : la
suprématie de l'Écriture, la majesté de Jésus-Christ, la seigneurie du Saint-
Esprit, la nécessité de la conversion, la priorité de l'évangélisation et
l'importance de la communion fraternelle49. Le document final du congrès de
Manille 1989 sur la mission de l'Église déclare : « Notre mission est de prêcher
l'Évangile tout entier, c'est-à-dire l'Évangile biblique dans sa plénitude50. »
Cela justifie l'attitude de certains missionnaires qui, dans nos entretiens, ont
souvent attiré notre attention sur le fait qu'ils sont en Afrique pour aider les
Africains à comprendre les Saintes Écritures, et que leur tâche consistait à
faire l'exégèse pour nous permettre de contextualiser la parole. Le but est bien
louable, seulement, vouloir parvenir à la plénitude de l'Évangile ne relèverait-
il pas de l'utopie ? Qu'insinue-t-on par ces termes ? Les missionnaires, très
soucieux de la rectitude de l'interprétation des Saintes Écritures, laissent
croire, peut-être même inconsciemment, qu'ils détiennent la bonne
interprétation qu'ils ont la responsabilité de la transmettre fidèlement.
« Considérant la sola scriptura comme primordiale, plusieurs comprennent les
enseignements éthiques de la Bible de façon légaliste51. » L'interprétation est
très souvent littérale, en particulier chez les « fondamentalistes ». Cet
attachement aux Saintes Écritures prend ses origines dans la Réforme et
49 J a m e s I. PACKER, The Evangelical Anglican Identity Problem, an Analysis, Oxford,Latimer House, 1978, p. 15-23.50 Klauspe te r BLASER, (dir.), Repères pour la mission chrétienne. Cinq siècles de traditionmissionnaire, Perspectives œcuméniques, Paris, Éditions du Cerf, 2000, p. 448.51 Klauspeter BLASER, op. cit., 1995, p. 402.
37
aujourd'hui, bien des évangéliques en Afrique ont été formés selon cet
héritage. « Que dit la Bible ? » est la question qui revient souvent dans les
discussions, quand les arguments viennent à manquer pour convaincre de la
justesse d'une position.
Ce n'est pas la place accordée aux Saintes Écritures qui pose
problème, mais la position qui veut que toute interprétation soit
nécessairement calquée sur celle du missionnaire occidental ou de son Église
d'envoi, parce qu'elle serait la meilleure. D'une part, une telle vision risque de
réduire non seulement la liberté chrétienne, mais de façon plus large, la
liberté de pensée. En imposant une telle forme de contrôle, cette approche
peut générer un certain obscurantisme. D'autre part, à cause de l'attitude
positiviste qui la sous-tend, cette approche empêche de voir la richesse
qu'apportent différentes lectures de la Bible en fonction de contextes
socioculturels particuliers.
Lors d'une assemblée générale de l'Église, un homme ayant travaillé
pendant plusieurs années avec un missionnaire a fait une remarque qui
confirme ces difficultés. L'assemblée examinait la question du baptême des
polygames, quand un homme intervint, et pour montrer que l'assemblée
s'écartait de la vérité de l'Évangile, il dit : « vous êtes en train de nous prêcher
un autre Christ, le missionnaire nous avait déjà mis en garde. » Pour lui,
étant donné que le missionnaire était contre le baptême des polygames,
position qu'il soutenait certainement par des références bibliques, il ne voyait
pas la nécessité de remettre cela en question ; le faire était antibiblique et
propre à entraîner l'Église dans l'hérésie.
Certes, les tous premiers missionnaires qui n'avaient pas
d'interlocuteurs chrétiens africains capables de les aider à comprendre les
réalités sociales de la polygamie, exigeaient - du moins certains d'entre eux -
de tous les polygames qui désiraient le baptême, le renvoi de leurs femmes,
excepté la première. En outre, il faut ajouter que la volonté des missionnaires
d'avoir des leaders capables de diriger, les poussait à mettre le plus de monde
possible dans un conditionnement qui faciliterait l'émergence des vocations,
38
car il est écrit : « il faut que l'évêque soit irréprochable, mari d'une seule
femme [...] Les diacres doivent être maris d'une seule femme » (I Timothée 3 :
2,12). Aussi simpliste que soit le raisonnement, il convient de comprendre que
dans l'esprit de certains fondamentalistes chrétiens, épouser la littéralité
biblique est synonyme de fidélité à la Parole de Dieu. Quand sur le plan
pratique, un verset biblique semble être difficile à comprendre littéralement,
on se borne à soutenir que cela relève du mystère divin ; ou alors, on se lance
dans des constructions allégoriques pour sauver la face.
La fidélité à la Parole de Dieu ne doit pas être confondue avec les
interprétations dont elle peut faire l'objet. Car, toute interprétation est
fonction du présupposé lié au contexte du locuteur. Stanley Fish relève que le
« contexte intentionnel » y joue un rôle important52. Or, qui dit intention, dit
nécessairement acte interprétatif, car dit-il « l'intention du locuteur ne peut
être connue que de manière interprétative, le sens de son énoncé que
conditionne cette intention sera toujours susceptible d'être remis en cause sur
la base d'une interprétation différente de cette même intention53. » II rejoint
Hans-Georg Gadamer pour qui, la compréhension est un processus où
s'alternent le sens anticipé et le sens révisé. Pour lui, toute personne qui
s'approche d'un texte n'y va pas de façon désintéressée et indifférente. Le
regard qu'il y porte n'est pas neutre et sans intérêt ; au contraire, il lit avec un
« projet de sens », une compréhension anticipée. Au cours de cette lecture
s'établit un mécanisme de contrôle qui permet de réviser le sens préconçu afin
de l'infirmer ou le confirmer, ce qui débouche notamment sur le sens révisé54.
Une telle perspective changerait les positions évangéliques et enrichirait
la lecture de la Bible en Afrique. L'interprétation des missionnaires dans ce
continent a souvent été considérée comme la norme alors qu'elle a été faite
dans des contextes bien déterminés pour répondre à certaines questions
précises qui ne sont pas nécessairement celles des Africains qui se sont
52 Stanley FISH, Respecter le sens commun, Rhétorique, interprétation et critique enlittérature et en droit, traduit par Odiel Nerhot, Diegem/Paris, E. Story Scientia/L.G.D.J.,1995, p. 6.53Ibid, p. 7.54 Hans- Georg GADAMER, Vérité et méthode, Paris, Éditions du Seuil, 1976, p. 104-105.
39
tournés vers l'Évangile à travers l'œuvre missionnaire, second principe
fondamental des évangéliques.
La propagation de la foi chrétienne pour le salut des âmes est le but
ultime de la mission. À une certaine époque, pour bon nombre de protestants,
les évangéliques en particulier, seule l'évangélisation comptait, si bien que
John Stott écrit : « les évangéliques se distinguent depuis toujours par leur
souci d'évangéliser55. » Plusieurs missionnaires qui venaient en Afrique
s'adonnaient corps et âme au seul salut des âmes et paraissaient indifférents
aux besoins matériels des incroyants. Au Burkina Faso, le Pasteur Pierre
Dupret et son épouse avaient créé une vive tension parmi les tout premiers
missionnaires des Assemblées de Dieu, quand ils leur firent part de leur
intention de créer des écoles. Malgré l'opposition de certains collègues, ils ne
cédèrent pas et fondèrent plusieurs établissements dans le pays, et
aujourd'hui, beaucoup de cadres de l'Église sont des ressortissants de ces
écoles.
Depuis 1974, la situation a considérablement évolué parmi les
évangéliques après un certain parcours. Dans les années 1900, Walter
Rauschenbusch défendait ce qu'il a appelé « the social gospel ». Pour lui, le
royaume de Dieu proclamé par Jésus ne signifiait pas la communauté des
rachetés, mais la transformation de la société sur la terre. Il signifiait la
réforme sociale et l'action politique56. C'était justement contre cet évangile
social que les évangéliques ont réagi57. En 1970, dans une situation
d'exploitation économique et d'oppression politique, les Latino-américains
verront émerger la théologie de la libération. Le salut sera exprimé en terme
de libération politique, économique, socioculturelle et religieuse58, ce qui aura
des répercussions en Afrique. En outre, en 1973, à la conférence
oecuménique de Bangkok, le salut sera redéfini en des termes personnels avec
55 J o h n STOTT, Pour une foi équilibrée, Par is , Édi t ions Sator , collection «Les c a r n e t s decroire et servir», 1986, p. 33.56 C. An tony THISELTON, « An Age of Anxiety » d a n s Eerdman's Handbook to the History ofChristianity, Tim Dowley (dir.), Grand Rapids, Eerdmans,1985, p. 594.57 J o h n STOTT, op. cit., 1986, p . 3 3 .58 B r u n o CHENU, Théologies chrétiennes des Tiers Mondes, Latino-américaine, noireaméricaine, noire sud-africaine, africaine asiatique, Paris, Centurion, 1987, passim.
40
des accents sur l'engagement social, économique et politique59. Quelques
chrétiens en Afrique du côté catholique comme du côté protestant sont
largement influencés par ces perspectives qui mettent l'accent sur le
changement des structures. Si de telles perspectives inquiètent plusieurs
évangéliques, force est de reconnaître qu'elles ont contribué à renouveler leur
vision du salut en Christ. Les grands rassemblements évangéliques, Lausanne
I et Manille ou Lausanne II en sont les preuves.
Le congrès de Lausanne en 1974 sera un événement décisif dans
l'histoire des évangéliques. À cette occasion, ils ont confessé leur négligence
de l'action sociale et ont reconnu que parfois ils ont considéré l'évangélisation
et la responsabilité sociale comme s'excluant l'une l'autre60. Byang Kato, dans
ses propositions pour sauvegarder le christianisme en Afrique, relevait aussi
qu'il fallait se préoccuper de l'action sociale tout en n'oubliant pas que le
premier but de l'Église est la présentation du salut personnel61. Le congrès de
Manille de 198962 sera un prolongement de Lausanne I. Privilégiant le salut
personnel, ce congrès souligne ses implications sociales tout en précisant la
signification qu'il donne à l'engagement social. « Notre engagement permanent
dans l'action sociale ne nous fait pas confondre Royaume de Dieu et société
christianisée. Il signifie plutôt que nous reconnaissons les implications
inéluctables du message biblique. La mission véritable est toujours
incarnée63. » Comme Lausanne I, Manille reconnaît l'étroitesse de la vision
évangélique du salut et s'en repent. Le texte final déclare : « L'étroitesse de
notre vision, nous nous en repentons, nous a empêchés de proclamer la
59 J a c q u e s ROSSEL, Le salut aujourd'hui, Documents de la Conférence missionnairemondiale de Bangkok, Genève, Labor et Fides, 1973, p . 9 0 - 9 1 .60 J o h n STOTT, Mission chrétienne dans le monde moderne, Tradui t de l 'anglais pa rSylvain Duper tu i s , Neuchâtel , Groupes Missionnaires , 1977, p . 180. Cf. le documen tfinal d u congrès d a n s Klauspeter BLASER (dir.), op. cit., 2000 , p . 113-122. Des quinzearticles qui composent le texte, six sont consacrés à l'évangélisation sans oublier que lesautres articles en font mention.61 Byang KATO, Pièges théologiques en Afrique, Traduit de l'anglais par N. de Mestral-Demole, Abidjan, C.P.E., 1981, p. 226.62 Klauspe te r BLASER (dir.), op. cit., 2000 , p . 4 4 5 - 4 6 4 .63 Klauspe te r BLASER (dir.), op. cit., 2 0 0 0 , p . 4 5 2 .
4 1
seigneurie de Jésus-Christ sur tous les domaines de la vie, privée et publique,
locale et globale64. »
Cette étroitesse qui explique en partie l'attitude des évangéliques vis-à-
vis des différentes cultures, est intrinsèquement liée à la signification donnée
à la conversion et à l'importance qui lui est accordée. Il est rare de trouver un
livre de doctrine évangélique qui omet le sujet de la conversion et de son
corollaire, la nouvelle naissance ou régénération. En 1975, pour montrer
l'importance de la conversion, John Stott, prêtre anglican et ténor du
mouvement néo-évangélique, remarquait combien ce mot posait des difficultés
à cause d'une certaine approche évangélique. Relevant que la répulsion65 que
suscite la conversion vient en partie de la mauvaise approche de certains
évangéliques, il analyse le terme à partir des données bibliques en recourant
également aux rapports des rencontres œcuméniques et évangéliques.
Après avoir défini le terme, il le met en rapport avec la nouvelle
naissance, la repentance, l'Église, la société, la culture et le Saint-Esprit. Il
définit la conversion comme la réponse à la prédication de l'Évangile, c'est
pourquoi elle requiert la repentance et la foi. Dans le Nouveau Testament, dit-
il, elle désigne le fait de se tourner vers Dieu (èraoxpécpeiv). La conversion
relève surtout de l'action humaine même si la grâce divine y est pour
beaucoup, alors que la régénération est exclusivement l'œuvre de Dieu. La
nouvelle naissance est instantanée et échappe à la conscience humaine, car le
converti ne sait pas comment cela se passe. En revanche, la conversion est un
processus dont l'intéressé a conscience. Quant à la relation avec la
repentance, l'auteur explique qu'elle accompagne la conversion et détermine
sa vitalité. Elle traduit également les aspects touchant la renonciation et la
soumission au Christ. Pour Stott, il est nécessaire que ceux qui choisissent de
se tourner vers Dieu soient affiliés à une communauté chrétienne. Cette
incorporation ne doit pas consister à « ecclésiastiser » les convertis (pour
reprendre ses termes), mais être un lieu où le chrétien est préparé pour
assumer entre autres, ses responsabilités sociales. Car écrit-il, si « le premier
64 Ibid.65 John STOTT, op. cit, 1977, p. 149.
42
appel de Jésus était : "Venez!" il était suivi de l'ordre : "Allez"66! » C'est ainsi
qu'il comprend la relation entre la conversion et la société.
Abordant le rapport à la culture, ce qui nous intéresse particulièrement,
il prend position contre ceux qui ne voient pas la conversion comme un lieu
de profonds changements, mais aussi contre ceux qui croient qu'elle « devrait
complètement "désinfecter" le nouveau converti de la contamination de sa
culture. » Pour lui, même si la conversion implique des renoncements, adopter
une attitude trop négative envers sa propre culture pourrait comporter des
risques. « Les chrétiens dit-il, qui ont rompu complètement avec la société
dans laquelle ils ont été éduqués risquent de se trouver déracinés et mal dans
leur peau67. » Si Stott insiste sur le rapport conversion et culture, c'est parce
que dans le monde évangélique, la conversion implique pour beaucoup, une
vision négative de la culture et de la société. Pour quelqu'un qui ne connaît
pas ce milieu, cela peut paraître incompréhensible, cependant, c'est un fait et
aujourd'hui encore, bien que des progrès soient observables, il y a encore du
chemin à faire.
Pour finir, l'auteur examine la relation entre la conversion et le Saint-
esprit. Mettant en garde contre l'influence du slogan « do-it-yourself», il
souligne que la conversion est fondamentalement l'œuvre du Saint-Esprit
même si l'homme y a un rôle à jouer. Toute l'action missionnaire est appelée à
se fonder sur la confiance dans l'œuvre de l'Esprit. Toutefois, cette confiance
ne justifie pas la négligence de bien se préparer pour l'annonce de l'Évangile,
l'anti-mtellectualisme et la fuite des vrais problèmes. Elle n'implique pas non
plus une annihilation de la personnalité humaine. Il conclut en soulignant
que ce dont la mission chrétienne dans le monde moderne a le plus besoin
aujourd'hui est « une saine synthèse d'humilité et d'humanité, dans une
pleine confiance en la puissance du Saint-Esprit68 ».
En substance, il ressort deux orientations complémentaires dans
l'œuvre missionnaire chez les évangéliques, sociale et kérygmatique. La
66 Ibid., p. 164.e? Md., p. 167.68 Md., p. 175.
43
première est un signe qui authentifie les chrétiens et constitue la marque par
laquelle l'Église est identifiée dans son milieu de vie. Par elle, l'humanité
reconnaît les chrétiens comme envoyés du Dieu d'amour, créateur du ciel et
de la terre et de tout ce qui s'y trouve. À travers le social, le chrétien répond
présent à l'appel du Grand Commandement : « tu aimeras Dieu et tu aimeras
ton prochain comme toi-même. » La seconde est également un signe qui, une
fois manifesté, épanouit l'Église et entraîne la jubilation qui depuis la terre
s'élève jusque dans les lieux célestes et se répand dans l'univers. Elle est la
caractéristique de l'Église en tant que fidèle servante du Dieu qui sauve. Par
elle, l'Église prépare le glorieux retour du Ressuscité. À travers l'annonce du
salut, le chrétien répond présent à l'appel de la Grande Commission69 ou
l'impératif missionnaire : « faites de toutes les nations des disciples ».
Cet impératif fonde les activités des missions chrétiennes en Afrique, où
elles connaissent de grands succès au détriment de religions traditionnelles.
En général, les religions monothéistes, comme l'islam et le christianisme,
s'installent et croissent, pendant que les religions traditionnelles semblent
reculer devant leur puissance de recrutement. L'islam progresse et touche
plus de 42 % des populations. Il est suivi du christianisme (34 %) et la religion
traditionnelle compte apparemment 24 %70. Toutefois, qu'on ne se laisse
surtout pas leurrer par les chiffres ; car, bien que les religions traditionnelles
semblent être en perte d'audience, il convient de remarquer deux choses.
Premièrement, elles n'ont pas de stratégie d'expansion comme les autres et ne
s'en préoccupent même pas. Deuxièmement, elles ont une dynamique interne
d'accommodation aux autres religions ou des espaces d'accueil et
d'intégration de ce qui vient d'ailleurs.
69 L'impératif missionnaire est aussi appelé « la Grande Commission » chez lesévangéliques. Ces termes viennent de l'anglais, Great Commission.70 Pa t r i ck J O H N S T O N E , 8s J a s o n MANDRYK, op. cit., p . 1 3 1 .
44
Photo 1-1 : Chrétiens lobi écoutant l'enseignement biblique
Cliché S. D. Kambou : Chrétiens lobi, Conférence 2002 à Gaoua. Un signe dusuccès de l'œuvre missionnaire.
Cette capacité d'adaptation est évidente dans les rapports entre le
christianisme et la culture africaine, en l'occurrence dans le domaine de
l'éducation à la foi chrétienne. Les approches utilisées dans ce champ
proviennent de l'étranger, mais ont un succès apparent. Un effort
d'assimilation saute aux yeux de l'observateur. Toutefois, pour arriver à une
vraie intégration, beaucoup reste à faire surtout dans le courant évangélique.
En conclusion, deux principaux contextes constituent les lieux à partir
desquels nos propos sur l'initiation se tiennent. Premièrement, le pays lobi au
Burkina Faso, cadre sociogéographique de nos recherches, se présente comme
une région où la tension entre la tradition et le désir de changer demeure
encore vive. Cette situation est la conséquence de la fidélité aux ancêtres que
le Lobi entend sauvegarder. Il la réactualise chaque sept ans à travers la
grande initiation que le christianisme considère comme l'un des plus gros
obstacles à l'œuvre missionnaire. Il convient de souligner, cependant, que
l'initiation ne constitue qu'un élément, bien entendu non négligeable, d'un
ensemble dont le point focal est à chercher dans les rapports qui ont
caractérisé les autochtones et la campagne d'occupation coloniale de l'espace
des Lobi. La violence avec laquelle les colons ont traité les ancêtres a amené
45
ces derniers à jurer qu'aucun de leurs descendants ne devrait de loin ou de
près collaborer avec le Blanc, sous peine de malédiction. C'est ce qui explique,
en partie, les difficultés que rencontre le christianisme en pays lobi.
Deuxièmement, le christianisme en milieu lobi est composé de deux
grandes familles, les catholiques et les protestants évangéliques ; cela nous a
amené à préciser la famille qui fera l'objet de cette étude. Celle des protestants
évangéliques constitue le cadre porteur de nos réflexions, et ce, en dialogue
avec la première quand cela s'impose. En pays lobi, il existe cinq principales
dénominations protestantes : l'Église de Pentecôte, l'Église Protestante
Évangélique, les Assemblées de Dieu, l'Église de Réveil et le Centre
Interdénominationnel d'Évangélisation. Très proche du fondamentalisme
comme les autres, l'Église Protestante Évangélique, notre milieu cible, se
définit comme héritière de la Réforme protestante et entend orienter toute sa
vie à la lumière de la sola scriptura. Ouverte au mouvement charismatique,
elle exerce un contrôle plus ou moins rigoureux quant aux manifestations
dites de l'Esprit.
L'attachement de l'Église Protestante Évangélique aux principes de la
sola scriptura, influence son regard sur l'initiation. Une certaine méfiance
caractérise l'utilisation du terme, car il ne relève pas directement du
vocabulaire biblique. Le respect de la Parole de Dieu entraîne la crainte de
transporter dans le « sanctuaire un feu étranger. » Cette crainte peut
constituer un frein qui empêche ou décourage toute lecture qui actualise les
données bibliques en corrélation avec le contexte culturel du milieu.
Cependant, les discours sur la nécessité de contextualiser le message biblique
reviennent très souvent dans les grandes rencontres. Face à ce paradoxe, on
peut se demander quel sens les évangéliques donnent à la contextualisation.
Faut-il peut-être rappeler que même si le mot « initiation » est absent de la
Bible, la réalité qu'elle recouvre y est bien attestée, comme c'est le cas de la
Trinité. L'attitude envers l'utilisation du terme « initiation » explique pourquoi
les évangéliques d'Afrique attachent peu d'importance à la question des
initiations traditionnelles. En outre, la signification que ce courant donne à la
46
conversion ainsi que les implications qui s'y rapportent expliquent cette
attitude généralement peu favorable à la culture africaine. C'est pourquoi la
littérature sur l'initiation au Burkina Faso est quasi inexistante dans ce
milieu. Le présent travail inaugure dans une perspective protestante la
recherche dans ce champ en pays lobi. Ainsi, voulons-nous emboîter les pas
de ceux qui ont travaillé avant nous dans une perspective catholique. Nous
sommes redevable aux travaux théologiques de Jean de Dieu Mvuanda et à
l'ouvrage collectif de Luneau et Sanon. La revue de littérature qui suit
s'appuiera sur ces travaux pour saisir leurs objectifs et leurs approches afin
de spécifier les nôtres.
47
CHAPITRE II
DÉMARCHES INITIATIQUES
Après avoir présenté les cadres sociogéographiques et confessionnels
qui portent nos réflexions, une question reste posée : sous quel angle
faudrait-il aborder le débat sur l'initiation en milieu protestant évangélique ?
Pour cela, nous ferons un tour d'horizon des travaux menés dans le champ de
l'initiation en rapport avec l'éducation à la foi chrétienne. Nous survolerons
quelques travaux anthropologiques et théologiques pour repérer des concepts
qui orienteront le reste du travail. Nous nous appuierons sur les ouvrages de
Arnold Van Gennep71 et de Victor W. Turner72 pour saisir le cadre opératoire
qui nous servira de base pour l'analyse des travaux et expériences autour de
l'initiation dans le contexte lobi. Nous présenterons également des auteurs qui
traitent de l'initiation dans le contexte chrétien pour ensuite discuter de la
possibilité d'une initiation chrétienne en milieu protestant évangélique. Le
dernier point de cette revue de littérature se concentrera sur l'ouvrage de Jean
de Dieu Mvuanda pour resituer les débats dans le contexte africain. Ensuite
elle survolera deux travaux réalisés sur l'initiation en pays lobi pour enfin
dégager la question qui mérite d'être approfondie, question qui constitue la
pierre angulaire de la présente thèse.
7 1 Arnold Van GENNEP, Les rites de passage, Étude systématique de rites de la porte et duseuil, de l'hospitalité, de l'adoption, de la grossesse et de l'accouchement, de la naissance,de l'enfance, de la puberté, de l'initiation, de l'ordination, du couronnement des fiançailleset du mariage, des funérailles, des saisons, etc., Réimpression 1969, Paris, Mouton 8s Co,1969, 288p.72 Victor W. TURNER, Le phénomène rituel, Structure et contre-structure, Traduit del'anglais par Gérard Guillet, Paris, Presse Universitaire de France, 1990, 206p.
48
1. L'initiation
L'approche structurale des rites qui depuis les études de Van Gennep,
offre un cadre méthodologique au chercheur, nous a permis d'avoir une grille
de lecture des travaux sur l'initiation. La théorie des rites de passage se fonde
sur des observations qui émanent de ce que nos sens perçoivent
quotidiennement. Par exemple, le soleil se lève, monte au zénith, et se
couche ; les saisons se succèdent, les hommes naissent, croissent et meurent.
Ainsi passe-t-on d'une étape à une autre et c'est ce que Van Gennep exprime
quand, il écrit : « La vie individuelle, quel que soit le type de société, consiste à
passer successivement d'un âge à un autre, d'une occupation à une autre73. »
Ce principe de passage n'est pas le propre du genre humain, l'auteur relève
qu'il est aussi observable sur le plan cosmique, ce qui l'amène à approfondir
la notion de rite de passage.
1.1. Les rites de passage
Dans son ouvrage, Les rites de passage, Van Gennep cherche à établir
de façon systématique les différentes séquences qui caractérisent les rites de
passage. Ces cérémonies se composent de trois principales séquences qui
sont : les rites préliminaires ou rites de séparation du monde antérieur, les
rites liminaires ou rites exécutés pendant le stade de marge, et enfin, les rites
postliminaires ou rites d'agrégation au nouveau monde74.
Au chapitre qui traite de l'initiation, l'auteur aborde les cérémonies
d'initiation touchant les classes d'âge, les sociétés secrètes, l'ordination du
prêtre et du magicien, l'intronisation du roi, la consécration des moines et
nonnes, ainsi que celle des prostituées. Tout d'abord, il lève la confusion qui
existe entre les rites de puberté et ceux de l'initiation en soulignant qu'il s'agit
de deux rites distincts. « II vaudrait donc mieux, dit-il, ne plus donner aux
73 Arnold V a n GENNEP, op. cit., p . 3 .74 Ibid., p . 2 7 .
49
rites d'initiation le nom de rites de la puberté75. » II démontre ensuite, par des
exemples, qu'il y a une différence entre la « puberté physique » et la « puberté
sociale ». Après un aperçu critique des travaux faits sur ce sujet, il consacre
un chapitre entier à développer les séquences qui offrent une structure à
l'initiation. Partant de plusieurs types d'initiations, il dégage différentes
séquences pour montrer à quel point on retrouve dans chaque phénomène
initiatique, les phases de séparation, de marge et d'agrégation.
Les critiques que fait Marcel Mauss des rites de passage nous amènent
à préciser l'approche développée par Van Gennep. Mauss critique la méthode
qu'il trouve trop portée sur la généralité76. Il aurait souhaité une analyse qui
part de « faits typiques que l'on peut étudier avec précision77 ». S'il est vrai que
Van Gennep met à contribution des rites d'horizons divers, de registres divers
et de buts différents, il est à noter qu'il ne s'agit pas de mettre sur un même
pied les contenus, mais plutôt de dégager de ces exemples de rites les
similitudes structurelles. C'est la structure tripartite : séparation, marge,
agrégation qui frappe l'auteur et il vérifie son observation à travers différents
types de rites d'initiation, ce qui nous paraît tout à fait pertinent pour le but
que l'auteur poursuit. Aujourd'hui, on dirait que ces exemples servent
d'expériences humaines ayant pour fonction de quantifier ou de qualifier les
indicateurs d'un phénomène social. Ils permettent de mettre en évidence les
similitudes possibles des activités humaines sans pourtant effacer leurs
différences. C'est un effort de faire ressortir dans la diversité ce qui peut être
partagé.
Pour saisir l'approche de Van Gennep, le tableau 1-1 offre un cadre
opératoire qui schématise la pensée de l'ethnologue. Relevons d'emblée que le
sujet abordé par l'auteur est très complexe ; il reconnaît lui-même la difficulté
de construire une typologie quand il souligne que malgré les progrès observés
dans les études des rites, il manque encore des indicateurs pouvant faciliter
7 5 Ibid., p . 9 6 .76 Marcel MAUSS, « Compte-rendu : Les rites de passage d'Arnold van Gennep », dansL'Année sociologique 11, 1906-1909, p. 201.77 Ibid., p. 202.
50
une catégorisation sûre78. L'auteur est parti de la notion de « rites de
passage » qu'il tente de systématiser. Pour cela, il dresse une liste de
différentes dimensions pouvant traduire une activité de « passage ». Dans
notre cas, ce serait l'initiation pour laquelle il a consacré le plus de place dans
son livre. Il identifie ensuite des sous-dimensions : les différentes séquences
qui sont, premièrement, la séparation ou phase préliminaire pendant laquelle
les candidats à l'initiation sont séparés de leur milieu social habituel.
Deuxièmement, étant mis à part, les novices se retrouvent dans la phase
liminaire ou la marge. Dans cette situation, ils se trouvent entre deux
sociétés, celle d'où ils ont été retirés et celle vers laquelle on tente de les
intégrer. Vient enfin, la phase postliminaire qui constitue le moment
d'agrégation. À partir de ces sous-dimensions, l'auteur repère différents
indicateurs qui sont des situations ou des faits concrets pour illustrer les
aspects qui se rapportent à l'initiation et à ses sous-dimensions.
Tableau II-1 : Cadre opératoire des rites de passage
RitesTYPE DE RITES
DE PASSAGE
n•ta.tion
* de pass>£LSCe'*'•"" c r >
SÉQUENCES
Préliminaire Liminaire Postliminaire
78 Arnold Van GENNEP, op. cit., p. 5.
51
C'est ainsi qu'il fait appel à différentes expériences humaines et cosmiques
pour arriver à ses fins79. Ce cadre opératoire sera appliqué à notre étude de
l'initiation pour voir comment il se traduit concrètement en pays lobi.
Si Van Gennep a mis en évidence la structure triade des rites de
passage, c'est à Victor W. Turner que revient l'approfondissement de la phase
liminaire. Cette phase se présente comme une situation transitoire, un entre-
deux. Les personnes en situation de liminarité ou « gens du seuil »
n'appartiennent, ni à la société de laquelle elles sont séparées, ni à la société
vers laquelle elles tendent. « Cette situation et ces personnes échappent ou
passent au travers du réseau des classifications qui déterminent les états et
les positions dans l'espace culturel80. » Cette période caractérisée d'une part,
par l'humilité, l'ambiguïté et le dénuement physique, voire social, est marquée
d'autre part, par la communitas. L'auteur préfère le terme latin communitas
pour désigner « une communauté non structurée ou structurée de façon
rudimentaire et relativement indifférenciée, ou même une communauté
d'individus égaux qui se soumettent ensemble à l'autorité générale des aînés
rituels81 ».
Abordant les attributs des personnes au stade de liminarité, Turner
relève le dépouillement, l'apparence asexuée, l'anonymat, l'état de soumission
et le silence, l'état d'ignorance (table rase), la continence sexuelle, la
modération, le lien au surnaturel82. Pour expliquer ces caractéristiques,
l'auteur part de l'exemple d'intronisation des chefs chez les Ndembu. Avant
son installation, le futur chef subit toutes sortes d'humiliations, insultes et
port de vêtements en lambeaux, qui sont des signes de dépouillement. Son
habillement, identique à celui de la femme qui l'accompagne dans la
cérémonie, montre la condition asexuée et anonyme à laquelle il est astreint.
Il y aurait donc une sorte de nivellement et, pour l'auteur, l'abstinence
79 Cette schématisation de l'approche de Van Gennep s'inspire des travaux de RichardLEFRANÇOIS, Stratégies de recherche en sciences sociales, Application à la gérontologie,Montréal, Les presses de l'Université de Montréal, 1992, p. 149-199.80 Victor W. TURNER, Le phénomène rituel, structure et contre-structure, Paris, PressesUniversitaires de France, 1990, p. 96.81 Ibid., p . 9 7 .82 Ibid.,p. 103-105.
52
sexuelle met en évidence le caractère indifférencié de la liminarité et constitue
un prolongement de cette condition asexuée. En outre, l'anonymat trouve
aussi son parallèle dans la condition de la tabula rasa de cette étape. Car, dit-
il, « il faut que le néophyte soit dans la liminarité une table rase, une page
vierge, sur laquelle on inscrit le savoir et la sagesse du groupe, eu égard à ce
qui concerne le nouveau statut83. » Cette condition, liée à la soumission et au
silence, dispose la personne à recevoir l'instruction à travers la parole. Pour
Turner, « la parole ne signifie pas simplement communication, mais aussi
pouvoir et sagesse. [...] ; elle a une valeur ontologique, elle refaçonne l'être
même du néophyte84. » II faut ajouter que cette parole qui transforme peut
être verbale et non verbale à travers préceptes et symboles85. Elle a pour
fonction d'amener les « gens du seuil » à prendre conscience de la profondeur
de leur être et à apprendre la modestie et la modération en tout. Aussi,
réalisent-ils leur caractère humain, mais également, le caractère surnaturel
du monde dans lequel ils sont introduits.
En consacrant son intérêt à la phase liminaire des rites de passage,
l'auteur met en évidence une importante notion qui peut rendre service à la
lecture des phénomènes sociaux en général et des manifestations religieuses
en particulier. Comment se vérifie-t-elle dans le protocole cérémoniel de
l'initiation lobi ? La deuxième partie nous le fera savoir. En attendant, voyons
à présent comment se comprend la notion d'initiation dans le christianisme
car cela nous aidera à préciser ses composantes en vue de les mettre en
rapport avec les valeurs de l'initiation lobi.
1. 2. La notion chrétienne d'initiation
Jacques Audinet rappelle que « c'est par la pédagogie que l'interrogation
critique, à l'époque contemporaine, fait son entrée dans le domaine du
83 ibid., p. 103.s ibid.85 Idem.
53
catéchisme.86 » Jean Vilnet renchérit en soulignant le lien entre la démarche
catéchétique et la pédagogie87. Gilles Routhier schématise les approches
pédagogiques mises en œuvre dans l'éducation à la foi des adultes dans le
contexte québécois, en trois temps. Au point de départ, il relève le modèle de
transmission du savoir qui privilégie l'enseignement avec « surtout le souci
d'instruire, de transmettre, de livrer un savoir.88 » Le deuxième temps, marqué
par le modèle de découverte ou d'andragogie, se présente comme un espace
où le « savoir n'est pas construit d'avance », mais « s'élabore, en faisant appel
aux ressources de celui qui apprend, au moyen d'une interaction dialectique
entre le savoir d'expérience et le savoir déjà élaboré.89 » II qualifie enfin le
troisième temps de modèle herméneutique s'opérant à travers une
« corrélation entre l'expérience humaine et le discours de la foi90 ». Cette
corrélation est essentielle, car en fait, elle consiste en un ensemble
d'interactions entre un milieu culturel, l'Église et le message que porte
l'Église.
Emelio Alberich et Ambroise Binz proposent un autre schéma à partir
des finalités pédagogiques articulées dans les termes du savoir, de l'agir et de
l'être. Ils soulignent que : « toute méthode catéchétique devra garantir cet
accès des sujets à l'autonomie, bien comprise dans l'ordre du savoir, du
savoir-faire et du savoir-être91. » Ce but ne pourrait être atteint que par les
objectifs suivants : l'éducation, l'enseignement et l'initiation, qu'il convient
d'articuler harmonieusement. Ces trois actions de l'éducation à la foi
constituent, en fait des modes du transmettre.92 Certains, comme André
86 J a c q u e s AUDINET, « Le catéchisme au carrefour des disciplines » d a n s RaymondBrodeur et Brigitte Caulier (dir.) Enseigner le catéchisme. Autorités et institutions. XVe-XXe
siècle, Paris, Cerf, 1997, p. 26.87 Propos avancés d a n s la préface de André FOSSION et Louis RIDEZ, Adulte dans la foi,pédagogie et catéchèse, Paris/Bruxelles, Declée/Lumen Vitae, 1987, p. 9.88 Gilles ROUTHIER, op. cit. p. 37.89 Ibid.9° Ibid.91 Emilio ALBERICH et Ambroise BINZ, Adultes et catéchèse, Éléments de méthodologiecatéchétique de l'âge adulte, Ottawa, Novalis, 2000, p.205.92 C'est a in s i q u e le voient Emelio ALBERICH e t Ambroise BINZ, ibid., p . 202 ; GillesROUTHIER, (dir.) L'initiation chrétienne en devenir, M o n t r é a l / P a r i s , Médiaspau l , 1997, p .24.
54
Fossion, préfèrent la trilogie, enseigner - animer - apprendre.93 Cette option se
comprend car l'auteur oriente son intérêt vers les sciences de la
communication, en ce sens qu'il cherche à mettre plus en évidence les
différentes opérations des agents de la communication.
Ces différents schémas montrent à quel point les approches en
éducation à la foi sont hétérogènes. Dans une telle complexité, comment peut-
on arriver à construire une connaissance en la matière, qui intègre tant
d'éléments ? La notion d'initiation nous est apparue comme un lieu
intégrateur des différents processus éducatifs mis en œuvre dans les projets
d'éducation à la foi chrétienne. Pour faire comprendre les apprentissages
proposés dans l'éducation à la foi, en particulier dans le catéchuménat, Henri
Bourgeois fait appel à la notion d'initiation. Il en relève la portée et fait un
tour d'horizon de cette notion. Bien que le terme soit absent du vocabulaire
biblique et très peu employé par les Pères de l'Église, la réalité qu'il désigne
est pourtant évidente dans le christianisme. Son adoption est révélatrice de la
volonté de l'Église d'enraciner l'Évangile dans les réalités culturelles. Ainsi,
dans « l'antiquité, une part au moins des responsables chrétiens, notamment
en monde grec, estima [...] que l'on pouvait parler d'initiation à propos du
christianisme94 ». Tournée vers la ponctualité dans l'Antiquité, l'initiation est
envisagée aujourd'hui comme un « parcours » ou les deux à la fois, c'est-à-dire
un acte ponctuel et un parcours. Cette troisième option ressort des
documents de Vatican II qui usent des termes « sacrement d'initiation95 ».
Disparue au Moyen-Âge, l'initiation chrétienne réapparaît en Europe à travers
trois phases. Le XVIe siècle marque la première phase pendant laquelle elle
est placée dans le même champ que le baptême des bébés et l'ordination au
ministère96. La deuxième phase est marquée par une réactualisation de
l'Antiquité caractérisée premièrement par un intérêt spirituel et catéchétique
et deuxièmement par le problème du rapport entre foi chrétienne et religion à
93 André FOSSION, La catéchèse dans le champ de la communication. Ses enjeux pourl'inculturation de la foi, Par is , Cerf, 1990, p . 4 2 3 .94 Henr i BOURGEOIS, Théologie catéchuménale, Par is , Éd i t ions d u Cerf, 1991 , p . 113.95 Ibid., p . 114 .96 Ibid.,p. 116.
55
mystères. La troisième phase consacre la renaissance de l'initiation en
christianisme portée par le contact du christianisme avec les initiations non
chrétiennes en terre de mission, la redécouverte de la pratique catéchuménale
et enfin le souci de cohérence de la foi. Ces différents déplacements qui
marquent la compréhension chrétienne de la notion de l'initiation ressortent
dans l'étude historique de Pierre-Marie Gy sur le sujet97.
Pour Gy, la problématique autour de la notion de l'initiation chrétienne
connaît deux temps forts à partir du début du 20e siècle dans la théologie
sacramentaire. Pendant la première moitié du siècle, les débats visent les
rapports de l'initiation chrétienne avec les religions à mystères ; mais, depuis
les années 1950 les recherches sur les origines juives du culte chrétien
influencent les réflexions sur la notion d'initiation. Pour cerner cette notion
dans le christianisme, Gy fait un survol historique du vocabulaire à partir des
apologistes des 2e et 3e siècles jusqu'à l'après Vatican II en passant par le
Moyen-Âge, la Renaissance et le Rationalisme. Les apologistes chrétiens
récusent tout rapport avec les religions à mystères. Même s'ils admettent des
analogies dans les formes rituelles, ils se sont investis à démontrer la
différence du christianisme avec les autres religions, en mettant en évidence
sa supériorité. Justin et Tertullien qualifient de contrefaçons démoniaques les
rituels païens98. Origène se voit dans l'obligation d'employer les termes
mustèria, teletai, mueô, mustagôgeô dans la controverse avec Celse. Malgré
ces réticences, il viendra une époque où le terme sera beaucoup plus présent
dans le monde chrétien, en particulier dans les catéchèses ; la Tradition
apostolique d'Hippolyte en est un exemple.
97 Pierre-Marie GY, «La notion chrétienne d'initiation. Jalons pour une enquête », dans LaMaison-Dieu, n°132, 1977, p. 33-54.98 Ibid., p. 34-35. Les rapports entre l'initiation chrétienne et les religions à mystère sontégalement traités par Denise LAMARCHE, Le Baptême une initiation? Montréal/Paris,Éditions Paulines/Cerf, 1984, voir en particulier les pages 28 à 50. Le lecteur trouvera deprécieuses informations sur un plan plus général sur les rapports entre les rites chrétienset les rites païens en se référant à André GOZIER, Dom Casel, Paris, Éditions Fleurus,1968. 190 pp. Cf. également Théodore FILTHAUT, La théologie des mystères. Exposé de lacontroverse, Tournai, Desclée & Cie, 1954.XIX/105 pp.
56
Pour mettre en évidence les occurrences du terme chez les Pères, Gy
examine les auteurs comme Saint Jean Chrysostome, Cyrille, Ambroise et
Augustin. Chrysostome emploie largement le mot initiation par son utilisation
des mots comme memuèmenoi, amuètoi, tnustagôgeô, mustagôgia et teletè.
Celui-ci fait des remarques importantes concernant l'initiation chrétienne.
• La nécessité d'expliquer la raison des différents groupes dans
l'Église. « II est nécessaire de dire pourquoi nous sommes appelés
fidèles, et les non-initiés catéchumènes". »
• Christ est le maître d'initiation. « ... la piscine est bien meilleure que
le paradis. Il n'y a pas ici de serpent, mais le Christ est là qui initie
pour la nouvelle naissance par l'eau et l'Esprit100. »
• L'acte de renonciation à Satan prononcé avant le baptême.
• Les initiés, mustagôgoumenoi sont renés de l'eau, nourris du sang et
de la chair.
Cyrille fait référence à la catéchèse mystagogique. Ambroise et Augustin
usent du vocabulaire de l'initiation pour désigner les sacrements introduisant
dans la vie chrétienne. Pour Ambroise les catéchumènes ne sont pas encore
initiés et pour Augustin, ils ne le sont qu'au moment du baptême. Pour
Chrysostome et Ambroise, il n'y a initiation que lors du baptême.
Le Moyen Âge semble être muet sur la notion d'initiation même s'il est
possible d'en discerner quelques traces ici et là. Gy écrit : « La notion
d'initiation est absente de la théologie sacramentaire de Saint Thomas d'Aquin
et une enquête analogue chez les autres scolastiques ne donnerait pas, je
pense, un résultat plus positif101. » À la Renaissance, l'initiation connaît un
emploi sacramentel. Il y a profusion du terme au 16e siècle et cela se vérifie
du côté des réformateurs protestants et du Concile de Trente. Le terme initiare
touche le baptême, mais la référence à la notion d'initiation reste littéraire ou
historique plutôt que théologique, et s'appuie sur les sources patristiques. Si
99 Mar ie-Pier re GY, « a r t . cit. » p . 3 7 .100 Ibid.101 Ibid., p. 44.
57
même on prend conscience d'un lien entre le baptême, la confirmation et
l'eucharistie, l'ensemble n'est pas désigné par le terme initiation chrétienne.
Le 18e siècle est marqué par une reprise de la notion d'initiation chez
les Pères et on y introduit la dimension de cheminement. Cela est attesté dans
les écrits de Joseph Hall qui plaide pour une initiation solennelle dans
l'Église102, et de Dom Charles Chardon qui introduit la dimension du
cheminement103. Au 19e siècle, le vocabulaire de l'initiation ressort « à la fois
dans le langage religieux, dans certains écrits allemands contemporains de
science liturgique et dans les critiques religieuses du catholicisme104. » À
partir de 1863, Ernest Renan, dans ses ouvrages : Vie de Jésus et Origines du
christianisme, propose la dépendance de l'initiation chrétienne envers les
mystères païens.
Pour ce qui est des composantes de l'initiation, L. Duchesne, dans
Origine du culte chrétien, relève : « L'initiation chrétienne, telle que nous la
décrivent les documents depuis la fin du deuxième siècle, comprenait trois
rites essentiels, le baptême, la confirmation et la première communion105. » II
serait le premier à utiliser le terme initiation chrétienne dans le but de
désigner l'ensemble des trois sacrements106. En 1951 des études sur le thème
« Communion solennelle et profession de foi » soulignent l'aspect inchoatif de
l'initiation chrétienne pour souligner le fait qu'elle ne s'achève jamais, mais se
poursuit tout au long de la vie du chrétien107. Les trois sacrements de
l'initiation ressortent également de ces études.
Gy expose comment l'usage du terme initiation s'est progressivement
installé dans le christianisme, quelle compréhension en ressort et sur quoi
ont porté les débats sur ses rapports avec les autres religions. Le dernier
aspect qui nous intéresse particulièrement, nous amène à poser une
102 Joseph HALL, An Apology ofthe Church of England, (1610), section 5, cité par Marie-Pierre GY, « art. cit. », p. 46.103 Marie-Pierre GY, « a r t . cit. », p . 4 6 .104 Ibid., p. 47105 Cf. Louis DUCHESNE, Origines du culte chrétien, Paris, Albert Fontemoing, 3e éd.1903, p. 292.106 Cf. également Denise LAMARCHE, op. cit., p. 32.107 Marie-Pierre GY, « art. cit. », p.50.
58
hypothèse quant aux interactions qui ont caractérisé ces rapports. Ce qui se
déroule au niveau des institutions se révèle être le reflet des opérations mises
en œuvre dans l'apprentissage chez les individus. Cette hypothèse se vérifie
quand on l'aborde du point de vue du constructivisme chez Jean Piaget. Tout
d'abord, le paradigme constructiviste part du postulat que l'apprenant n'est
pas un vase vide, il refuse le principe de la table rase. Ensuite, il met l'accent
sur le fait que « le sujet aborde les situations et les informations nouvelles
avec des structures de connaissances préexistantes qui vont orienter son
traitement cognitif de ces situations108 ». Enfin, le processus de traitement de
ces situations est soumis à un mécanisme fondamental qui est l'équilibration.
Ce modèle comporte deux processus, l'assimilation et l'accommodation. Par
l'assimilation, un élément de l'environnement vient s'incorporer à une
structure d'accueil109, la structure d'assimilation. Quant à l'accommodation,
elle traduit le processus par lequel, la structure d'accueil des éléments
extérieurs se modifie en fonction des particularités de ces éléments, sans
perdre pour autant ce qui lui est propre110. L'assimilation et l'accommodation
opèrent dans le but de construire de nouveaux équilibres, qui ne sont pas
statiques, mais ouverts à d'autres processus d'équilibration.
Si le modèle piagétien de l'équilibration vise surtout le mécanisme
mental de traitement des données au niveau de l'individu, nous convenons
avec Etienne Bourgeois et Jean Nizet, qu'il peut être aussi pertinent dans le
processus de construction des savoirs, qu'ils soient déclaratifs ou
procéduraux111. Piaget lui-même introduit son ouvrage Équilibration des
structures cognitives par ces termes : « Le but de cet ouvrage est de chercher à
expliquer le développement et même la formation des connaissances en
recourant à un processus central d'équilibration112. » Dans notre cas, puisqu'il
s'agit de faire le point sur un savoir procédural, voire déclaratif, ce modèle
108 Etienne BOURGEOIS et Jean NIZET, Apprentissage et formation des adultes, Paris,Presses Universitaires de France, 1997, p. 33.109 Jean PIAGET, Équilibration des structures cognitives, Paris, Presses Universitaires deFrance, 1975, p. 12.110 Ibid., p. 13.111 Etienne BOURGEOIS et Jean NIZET, op. cit. p. 47.112 Jean PIAGET, op. cit., 1975, p. 9.
59
nous éclaire sur les interactions entre la notion chrétienne d'initiation et celle
des différents milieux qui ont accueilli le christianisme. Il nous permet de
comprendre les mécanismes en jeu quand les chrétiens sont confrontés aux
croyances et aux pratiques de leurs milieux. Que ce soit au niveau individuel
ou institutionnel, il existe des processus inconscients ou conscients qui
coopèrent pour gérer les éléments « étrangers » ; car il s'agit non seulement de
les accueillir, mais aussi de les traiter de manière à rendre l'harmonie
possible. C'est l'équilibre qui est en jeu lorsqu'il s'agit de s'ouvrir à ce qui
provient de l'extérieur tant au niveau des individus qu'à celui des institutions.
C'est pourquoi, comprendre le mécanisme d'équilibration aide un tant soit
peu à gérer les relations avec les contextes auxquels on peut être confronté.
Dans le christianisme, pendant que les structures d'accueil avaient besoin de
consolidation, il était nécessaire de traiter les influences extérieures avec
beaucoup plus de prudence. Mais, à partir du moment où le christianisme
s'est forgé une tradition quant à ses doctrines et pratiques, ses interactions
avec les croyances et pratiques des sociétés allaient se comporter autrement.
Ce n'est donc pas fortuit que Vatican II, réaffirmant les acquis des
études sur l'initiation, ajoute un aspect important pour les pays de mission.
En premier lieu, les composantes de l'initiation chrétienne telles que
comprises en milieu catholique sont reprises et sont désignées comme les
« sacrements de l'initiation chrétienne », avec le souci d'une structure unifiée
de cette initiation. Deuxièmement, le catéchuménat est considéré comme
faisant partie de l'initiation chrétienne, étant à la fois doctrinal, moral et
rituel113. En troisième lieu, le Concile envisage les possibilités d'interactions
entre l'initiation chrétienne et certains rites d'initiation non chrétiens. « Dans
les pays de mission, propose-t-il, outre les éléments d'initiation fournis par la
tradition chrétienne, il sera permis d'admettre ces autres éléments d'initiation
dont on constate la pratique dans chaque peuple, pour autant qu'on peut les
adapter au rite chrétien114. » Cette ouverture, comme Gy le remarque si bien,
113 Pierre-Marie GY, « art. cit. », p. 51.114 « Constitution conciliaire sur la liturgie », n°65 dans Vatican II. L'intégralité, Paris,Bayard Compact, 2002, p. 197.
60
est loin de gagner l'approbation de certains protestants115, en l'occurrence
ceux du milieu évangélique. Comme nous l'avons déjà relevé, pour un grand
nombre des évangéliques, se convertir c'est vivre en quelque sorte, dans un
état de liminarité pour reprendre des termes appropriés à l'initiation. Cet état
requiert pour eux une nette séparation d'avec la société, surtout en ce qui
touche la morale et les rituels non chrétiens. En outre, la hantise du
syncrétisme les empêche de s'ouvrir aux pratiques des religions
traditionnelles. Cette peur suscite des questions ; si on est si convaincu de ce
qu'on croit comme on s'évertue à l'affirmer, et si on possède une bonne
structure d'accueil, comment expliquer ce sentiment ? Ne court-on pas le
risque de s'ériger en secte ou d'être piégé par un esprit sectaire ?
Ce sentiment et l'approche de la conversion chez les évangéliques,
attestent, sous réserve d'enquêtes approfondies, qu'il serait étonnant que la
proposition de Vatican II en rapport avec les initiations non chrétiennes fasse
l'unanimité dans ce milieu. À l'inverse, pour certains protestants membres du
Conseil Œcuménique des Églises (COE) et les catholiques d'Afrique, la
proposition du Concile ouvre la voie à la recherche du dialogue avec les
initiations traditionnelles. Avant d'examiner les études menées dans ce champ
en Afrique, nous allons survoler la position œcuménique sur l'initiation à
travers un article de Geoffrey Wainwright publié dans la revue La Maison-
Dieu1^.
L'article de Wainwright passe en revue quelques rencontres du COE où
la question de l'initiation chrétienne est abordée. La commission Foi et
Constitution est le lieu où les Églises débattent ces questions, parce qu'on
croit qu'un consensus dans ce domaine sera signe d'unité. « La question de la
reconnaissance de l'initiation à travers les frontières de la communauté
chrétienne divisée est à peu près au cœur de la recherche de l'unité
chrétienne117. » C'est ce qui explique la mission assignée au mouvement Foi et
us pierre-Marie GY, « art. cit. », p. 51-52.116 Geoffrey WAINWRIGHT, « L'initiation chrétienne dans le mouvement œcuménique »,dans Maison-Dieu, 132, 1977, p. 55-78.117 Ibid., p. 55.
61
Constitution. Le rapport de la Conférence d'Edimbourg (1937), gravite autour
de la question du baptême, de sa signification, de son mode d'administration
et de sa place dans l'acceptation d'un membre au sein de l'Église, tout en
mentionnant certains points sensibles118. Dans les années 1950 sortira un
rapport de 25 pages sur la signification du baptême, car l'orientation était de
chercher à mettre en lumière sa pertinence pour l'unité entre les Églises. En
1963, la Conférence de Montréal reviendra sur la signification du baptême et
en publiera les accords auxquels les Églises sont parvenues. Partant du
baptême de Jésus, la conférence a souligné les éléments qui marquent ce
baptême et sa signification en relevant les différences qui existent dans les
pratiques et les accords visant ses aspects communautaires et dynamiques. À
Montréal, les participants parviennent à des accords touchant les
composantes d'un service de baptême :
• La reconnaissance que Dieu prend l'initiative de notre salut, qu'il
nous est toujours fidèle, et que nous dépendons totalement de sa
grâce ;
• une déclaration du pardon des péchés en Christ et par le Christ ;
• une invocation du Saint-Esprit ;
• la renonciation au mal ;
• une profession de la foi en Christ ;
• une déclaration que la personne baptisée est un enfant de Dieu et
un membre du Corps du Christ, par quoi il devient un témoin de
l'Évangile.
Ces éléments pourront se situer au début ou à la suite du baptême
d'eau fait au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. À cela, le rapport ajoute
quelques recommandations sur les moments propices au service du baptême,
la place de l'instruction systématique et continue sur le baptême et ses
implications dans les rapports sociaux. En 1967, à Bristol, les théologiens
catholiques participent à la réunion dont l'objectif sera de rechercher des
compréhensions communes. Là aussi, un projet d'accord œcuménique sur le
118 Pour plus d'informations, cf. Lukas, VISCHER, Foi et Constitution, Paris, Delachaux &Niestlé, 1968, § 87-88.
62
baptême est discuté et le texte est ventilé pour recueillir les réactions des
Églises. En 1974, le texte est amendé à la rencontre d'Accra. Dans la
cinquième assemblée du COE à Nairobi en 1975, des déclarations sur le
baptême, l'eucharistie et le ministère sont faites et envoyées aux Églises
membres pour examen. Les réactions des Églises seront examinées dans une
rencontre d'experts à Crêt-Bérard en Suisse du 30 mai au 5 juin 1977 et il en
ressort un document intitulé : « Vers un consensus œcuménique sur le
baptême, l'eucharistie et la reconnaissance des ministères. »
Le reste de l'article commente la déclaration de 1975. Il relève les
progrès accomplis en vue de parvenir à certains accords, notamment ceux qui
visent la reconnaissance mutuelle. Il montre également les craintes et les
réactions des Églises concernant certains points de One Baptism, et
particulièrement, en ce qui concerne la signification du baptême, ses
implications, le baptême des petits enfants, le rapport entre baptême et
confirmation. Terminant par le document de Crêt-Bérard, l'article examine les
points de convergences, ceux qui restent à discuter tout en soulignant
l'importance qu'il conviendrait d'attacher aux contextes socioculturels du
baptême. L'article de Wainwright permet de suivre le développement des
débats sur le baptême à travers les documents officiels du COE, lesquels
confirment que l'initiation chrétienne comprend le baptême et l'eucharistie. Il
met en évidence les composantes de l'initiation chrétienne, les paroles et
gestes qu'il convient de prendre en compte dans le service du baptême.
En définitive, les travaux du côté catholique comme du côté
œcuménique laissent apparaître que l'initiation chrétienne est constituée
minimalement de rites, à savoir le baptême et l'eucharistie. Ils soulignent
également la place de la catéchèse. Si nous tenons compte de la confirmation
que pratiquent les catholiques, les anglicans et certains protestants, l'unité de
l'initiation chrétienne exigerait qu'on tienne ensemble la catéchèse, le
baptême, la confirmation et l'Eucharistie. Considérer l'initiation chrétienne
sous cet angle ne peut pas recueillir l'adhésion des protestants évangéliques.
63
1.3. Vers une perspective évangélique de l'initiation
Nous avons déjà expliqué les raisons de la réticence du courant
évangélique quant à l'utilisation du terme initiation. Avec ce survol de la
notion chrétienne d'initiation, la confirmation pose problème. Héritiers de la
Réforme protestante, les évangéliques ne pratiquent que deux sacrements, le
baptême et l'Eucharistie appelée Repas du Seigneur ou Sainte cène. Ils
estiment que ces deux sacrements ont été les seuls institués par le Christ. Les
principaux ouvrages de doctrines chez les évangéliques ne font pas de la
confirmation un point important dans leurs tables des matières. Lorsqu'on
rencontre le mot, c'est en notes infrapaginales et quand il est dans le texte,
c'est juste une allusion à titre informatif. Jacques-Marcel Nicole, en parle à
trois reprises119 pour informer qu'elle fait partie des sept sacrements chez les
catholiques, qu'elle est immédiatement administrée après le baptême des
enfants dans le rituel de l'Église grecque et que les réformateurs, surtout Jean
Calvin120, ont rejeté ce sacrement.
L'un des ouvrages de vulgarisation de la théologie évangélique qui vient
de paraître en français est celui de Charles C. Ryrie. Suivant la tradition du
courant évangélique l'ouvrage regorge de références bibliques pour chaque
thème théologique abordé. Les principales doctrines chrétiennes sont
examinées avec une très grande simplicité. À deux endroits, nous avons
repéré les termes « rite d'initiation » en rapport avec le baptême121 ; - c'est ici
l'exception qui confirme la règle -. Par contre, l'auteur ne fait aucun cas de la
119 Jacques-Marcel NICOLE, Précis de doctrine chrétienne, Nogent-sur-Marne, InstitutBiblique de Nogent, 5e éd., 1998, p. 266, note 4; p. 267, note 1; p. 274, note 5. Cetouvrage est un classique dans les institutions de formation en Afrique. Citons aussiHenry C. THIESSEN, Guide de doctrine biblique, Traduit de l'anglais par Marc Routhier,Lennoxville, Éditions Parole de vie, 3e éd. 1999. À la page 360 il informe que laconfirmation fait partie des cinq autres sacrements que les catholiques ajoutent aubaptême et à l'Eucharistie. Notons que l'ouvrage de Nicole et celui de Thiessen sont desréférences dans les milieux évangéliques.120 J e a n CALVIN, Institution de la religion chrétienne, édi tée p a r A. Lefranc, J . P a n n i e r e tH. Châtelain, Genève/Paris, Stakine Reprints/Honoré Champion, 1978, p. 670-678.121 Charles C. RYRIE, ABC de théologie chrétienne, Traduit de l'anglais par AntoineDoriath, Romanel-sur-Lausanne/Lyon, Maison de la Bible, 2005, p. 484.
64
confirmation ; cela se comprend, étant donné qu'il s'élève contre le baptême
des nourrissons.
Les positions des évangéliques par rapport à la confirmation nous
amènent à l'hypothèse suivante. L'initiation chrétienne dans une perspective
du courant évangélique ne peut comprendre l'étape de la confirmation à
moins qu'elle soit comprise autrement. Dans ce cas, la notion d'initiation chez
les protestants évangéliques aura un contenu différent de celle des
catholiques. On pourrait éventuellement garder le mot en lui donnant un
autre contenu. Mais, faisons-nous justice à l'unité de l'initiation telle que
connue jusqu'ici si nous passons sous silence la confirmation qui selon
certains, serait un sacrement qui confirme, achève ou parfait le baptême122 ?
André Haquin, dans un article sur ce sacrement, montre qu'il ne peut
être abordé de façon isolée123, qu'il fait partie des trois rites de l'initiation
chrétienne, et qu'il est caractérisé par une « profonde évolution et une grande
variété de pratiques » au cours des siècles. « Les premiers temps, dit-il, n'ont
pas connu de rite particulier correspondant à ce qu'on appellera par la suite
"confirmation"124. » II examine ce développement en commençant par le
Nouveau Testament. L'exemple des Samaritains atteste d'une part, le rite de
l'eau (Actes 8, 16), et d'autre part, l'imposition des mains des apôtres pour la
réception du Saint Esprit (Acte 8, 17). Si avec les Samaritains, l'Esprit est
reçu avec l'intervention des hommes, ailleurs ce n'est pas le cas. Chez le
centurion Corneille, lui et sa famille font l'expérience du don de l'Esprit avant
le baptême d'eau, et il n'y a pas d'évidence textuelle permettant de soutenir
une quelconque imposition des mains (Actes 10, 44-48). Tout ceci suggère que
l'Esprit Saint occupe une place centrale dans le processus qui conduit à
l'intégration dans l'Église. Ce processus comprend, entre autres, la nouvelle
naissance (Jean 3, 3) opérée par le Saint Esprit.
122 Olivier d e la BROSSE, Antoine-Marie HENRY et Phil ippe ROUILLARD, (dir.),Dictionnaire des mots de la foi chrétienne, Par i s , Édi t ions d u Cerf, 1989, colonne 179.123 André HAQUIN, « La confirmation a u c o u r s d e s âges », d a n s Lumen Vitae n° 3 , 1996, p .245.124ibid., p. 247.
65
André Haquin relève que « le Nouveau Testament ne connaît ni le mot ni
la pratique d'une confirmation séparée du mystère du baptême125. » Toutefois,
dès les premiers siècles, dans le souci de préciser la structure du baptême, il
sera question de rites pré-baptismaux et post-baptismaux qui généralement
ont un lien plus spécifique avec le don de l'Esprit. Quand on examine la
Tradition apostolique d'Hippolyte de Rome vers 220, il ressort qu'au terme du
baptême, l'évêque procède à une imposition des mains en prononçant cette
prière : « Seigneur Dieu qui les as rendus dignes d'obtenir la rémission des
péchés par le bain de la régénération, rends-les dignes d'être remplis de l'Esprit
Saint et envoie sur eux ta grâce, afin qu'ils te servent suivant ta volonté126. »
Jusqu'au IVe siècle la structure du baptême forme une unité, mais par la
suite, surtout en Occident, il y aura une dissociation des rites qui consacrera
le mot "confirmation" qui signifie « "achèvement", "accomplissement",
"affermissement" du baptême127 ». L'auteur relève deux raisons qui expliquent
cette séparation : le baptême reçu dans des cas de malades baptisés qui
retrouvent la santé et le baptême des chrétiens de campagne. Dans les deux
cas, l'absence de l'évêque explique le report de la confirmation128. À ces
raisons, il ajoute le baptême des enfants. Répandu à l'époque carolingienne, le
baptême des enfants entraîne la pratique de la confirmation. Dès lors, l'âge de
la confirmation et la place de l'instruction religieuse seront au centre des
réflexions et des décisions des conciles129.
Au cœur de ces réflexions, il sera question du statut de l'officiant et de
la signification de la confirmation. Avec le concile Vatican II et la réforme
liturgique, le droit de conférer ce sacrement ne sera plus réservé aux
ministres dits « originaires » c'est-à-dire les évêques, mais il s'étendra à
,p. 247 .126 Md., p. 248.127 Md., p. 249.128 Pour la ques t ion de dissociat ion voir Paul de CLERCK, « La dissociat ion d u bap tême etde la confirmation a u h a u t Moyen Âge » d a n s Maison-Dieu 164, 1986; Andréas HEINZ,« La Célébrat ion de la confirmation selon la t radi t ion romaine » d a n s Questions liturgiques,t. 70, 1989/1-2, pp.29-50.™ André HAQUIN, « art. cit. », pp. 251-252.
66
d'autres ministres, les « ministres extraordinaires » comme les prêtres130. Le
souci théologique de cette disposition est ecclésiologique, car il est important
que le baptisé soit conscient de son appartenance à une Église locale, mais
aussi du fait qu'il est membre d'une communauté plus large, soumise à une
hiérarchie.
La signification de la confirmation est quant à elle, liée à la
pneumatologie. Par l'Esprit, le baptisé est préparé au combat. Le Catéchisme
de l'Église catholique réserve plusieurs paragraphes à ce sujet. « II ressort de
la célébration que l'effet du sacrement de la Confirmation est l'effusion
spéciale de l'Esprit, comme elle fut accordée jadis aux apôtres au jour de la
Pentecôte131. » Un tel point de vue ne manquera pas l'adhésion des tendances
pentecôtistes et charismatiques des évangéliques, lesquelles placent au centre
de la vie chrétienne l'action de l'Esprit. C'est ici un point de rapprochement,
mais avant de le développer, voyons d'abord la position des protestants sur la
confirmation.
Léopold Schûmmer donne un sommaire de cette position132, en
soulignant que tous les réformateurs ont rejeté l'idée d'un sacrement
indépendant à côté du baptême et celle de l'onction du saint chrême par
l'évêque conférant le don du Saint-Esprit133. Il s'appuie sur Luther, Zwingli,
Bucer et Calvin pour soutenir sa remarque. Le premier propose en quoi un
sacrement peut être considéré comme tel. Pour lui, l'institution d'un
sacrement requiert une parole ou une promesse de Dieu sur laquelle la foi
s'exerce. Or, dans le cas de la confirmation, Luther ne trouve pas de promesse
divine qui l'institue. Ainsi, refuse-t-il la conception catholique de la
confirmation telle que comprise à son époque ; toutefois, il ne rejette pas
l'imposition des mains aux enfants professant leur foi.
130 Cf. Catéchisme de l'Église catholique, Paris, Centurion/ Cerf/ Fleurus- Marne /LibrairieÉditrice Vaticane, 1998, § 1312-1314.131 Ibid., § 1302, cf. § 1285-1289.132 Léopold SCHUMMER, « La Confi rmat ion. Point d e vue d u p r o t e s t a n t i s m e », d a n sLumen Vitaen" 3, 1996, pp. 287-301.133 Ibid., p . 2 8 8 .
67
Zwingli, tout en reconnaissant la pratique de la confirmation dans
l'Église, la lie au baptême des enfants. Cherchant à rétablir la confirmation
primitive, il place, au centre de celle-ci, la catéchèse. De tous ces
réformateurs, Bucer est celui qui proposera une confirmation réformée134. Il la
lie au baptême des enfants et la place entre le baptême et la Sainte Cène.
Pour lui, il faut l'instruction à travers le catéchisme pour que les enfants
puissent confesser leur foi. Cette confession faite devant toute l'assemblée est
suivie de la prière de toute la communauté, de l'imposition des mains et de la
participation au repas du Seigneur. Calvin, emboîte la voie tracée par Bucer et
les autres réformateurs. Comme Luther, il soutient qu'il faut la Parole pour
que soit institué un sacrement135. En outre, se démarquant de la signification
catholique de la confirmation, il refuse une sorte d'apprivoisement du Saint
Esprit par l'Église et relève les conditions dans lesquelles une confirmation est
envisageable. Pour lui, c'est la confession de l'enfant ayant appris et compris
le catéchisme qui donne lieu à cette cérémonie.
Somme toute, la position des réformateurs du XVIe siècle est fidèle à la
sola scriptura. C'est pourquoi l'enseignement du catéchisme est
intrinsèquement lié à la confirmation. Le souci de donner une connaissance
fondée sur la Parole de Dieu aux personnes désirant suivre le Christ, les a
amenés à chercher des attestations bibliques à toute croyance et à tout geste
dans l'Église. Cela explique en partie leur rejet de la conception catholique de
la confirmation. Toutefois, leurs réactions et les propositions qui en découlent
attestent le caractère évolutif de la confirmation au fil des âges. En rejetant la
théologie et les pratiques catholiques de ce rite, ils ont aussi forgé une
pratique qui leur est propre. Certes, les compréhensions sont différentes, car
si pour les uns la confirmation constitue un sacrement, pour les autres, elle
ne l'est nullement et ne peut être dissociée du baptême, même si dans la
pratique elle peut être célébrée des années après le baptême. Les réformés
évacuent l'aspect sacramentel pour ne garder que l'aspect rituel. Les
134 Ibid., p . 2 8 9 .135 Cf. J e a n CALVIN, L'Institution chrétienne, Livre IV, Genève , Labor e t F ides , 1958 , p .268, 420.
68
évangéliques, en revanche, vont plus loin en rejetant et la conception
sacramentelle des catholiques, et le ritualisme des réformés. Ces rejets ont
pour conséquence l'évacuation de la confirmation des pratiques évangéliques.
Pourtant, une observation poussée dans ce milieu révèle que la réalité de la
confirmation n'est pas aussi absente des pratiques comme on le croirait. Il
existe une constante qui, malgré les variables, réunit les frères séparés dans
la question de la confirmation ; c'est le baptême du Saint Esprit.
Que ce soit du côté protestant ou catholique, il est évident que la
confirmation, malgré ses diverses pratiques et interprétations, est une réalité
dans l'Église qui a un rapport étroit avec le Saint Esprit qui est bien attestée
dans la Bible. Kilian McDonnell et George T. Montague font ressortir ce lien en
rapport avec l'ensemble des rites de l'initiation chrétienne136. Leur approche
nous permet d'expliquer en quoi les évangéliques pourraient accepter la
notion d'initiation chrétienne, quitte à ce que sa structure actuelle soit
repensée. McDonnell et Montague passent en revue les témoignages
néotestamentaires et « postbibliques » pour repérer les occurrences ayant trait
au Saint Esprit afin de démontrer que le baptême du Saint Esprit est une
composante de l'initiation chrétienne. Dans les synoptiques, le baptême de
Jésus fait apparaître deux éléments, l'immersion et la descente de l'Esprit. Ils
notent que l'Esprit descend après et non pendant l'immersion, et soulignent
que « le don de l'Esprit fait intégralement partie du rite d'initiation137. » C'est
ce qui ressort également des Actes des apôtres où apparaît un rapport entre
l'imposition des mains et le baptême du Saint Esprit. Là aussi les attestations
textuelles semblent suggérer que recevoir l'Esprit n'exclut pas la possibilité de
le recevoir de nouveau138. Les lettres de Paul et celle aux Hébreux attestent,
elles aussi, que le don de l'Esprit est intimement lié à l'initiation chrétienne.
La tradition johannique qui présente un vocabulaire varié sur l'Esprit à
travers un riche symbolisme montre qu'il est donné au moment du baptême
136 Kilian McDONNELL et George T. MONTAGUE, Baptême dans l'Esprit et initiationchrétienne, Témoignage des huit premiers siècles, Paris, Desclée de Brouwer, 1993, 371pp.137 Ibid., p. 333.l3s Ibid., p. 51.
69
et se manifeste dans la communauté par les dons de prophétie et de
guérison139. L'étude des textes bibliques qui traitent de l'initiation chrétienne
et du baptême dans le Saint Esprit conduit les auteurs aux conclusions
suivante s14o :
• Malgré la difficulté de reconstituer avec certitude le rite complet de
l'initiation chrétienne dans le Nouveau Testament, on peut
cependant repérer les éléments essentiels qui sont le baptême d'eau
et le don de l'Esprit. Quand l'imposition des mains accompagnait le
baptême, elle symbolisait probablement la communication de
l'Esprit Saint.
• Le don de l'Esprit constitue le premier fruit de l'union au Christ (en
sa mort et en sa résurrection), ce qui débouche sur une nouvelle
naissance.
• La réception du Saint Esprit est davantage une question
d'expérience qu'une question de doctrine et devrait se manifester par
des effets.
• L'Esprit s'exprime de manière charismatique dans et par la personne
qui le reçoit. Cela prend son fondement dans le baptême de Jésus
pendant lequel l'Esprit l'avait oint pour prêcher, guérir, exorciser et
faire des miracles.
• Le don initial de l'Esprit n'est pas statique, mais doit croître et la
vision sacramentelle pourrait s'enrichir en s'inspirant de l'expérience
des pentecôtistes.
• L'initiation des adultes devrait s'inspirer du modèle
néotestamentaire et encourager non seulement l'expérience de
l'Esprit, mais aussi les manifestations charismatiques.
• La dimension charismatique de l'Église est cruciale pour la survie et
la croissance de l'Église. Les charismes ne sont pas des accessoires
139 Ibid., p. 74-75.., p. 90-94.
70
à option, mais l'équipement indispensable à la construction de
l'Église.
Les auteurs abordent ensuite des témoins des huit premiers siècles
qu'ils estiment importants pour le sujet, notamment Tertullien (198), Hilaires
de Poitiers (350), Cyrille de Jérusalem (364), Grégoire de Naziance (380),
Philoxène (fin Ve et début VIe siècle), Jean le solitaire (430-450), Théodoret
(444), Joseph Hazzaya (début VIIIe siècle), Jean Chrysostome (392-393),
Sévère d'Antioche (fin VIe - début VIIe siècle). Ces témoins attestent malgré les
variantes, que l'expérience du baptême dans le Saint Esprit est partie
intégrante de l'initiation chrétienne141. Il ressort de leurs témoignages trois
modèles du baptême, celui de Jésus dans le Jourdain, celui axé sur la mort et
la résurrection de Jésus et enfin celui de la Pentecôte. Si les auteurs du
Nouveau Testament montrent que le baptême de Jésus constitue le modèle du
baptême chrétien, au cours de l'histoire, un glissement s'est produit,
privilégiant le modèle du baptême comme mort et résurrection au détriment
du premier142. Or, disent McDonnell et Montague, « le baptême de Jésus
ordonne et structure le baptême chrétien143 », et si ce baptême qui lie l'Esprit
et Jésus est écarté, l'Église perd le caractère spécifique du baptême chrétien.
Chez les témoins cités, même si la Pentecôte n'a jamais eu l'importance du
baptême de Jésus ou de sa mort et résurrection, elle se présente pour certains
comme un autre modèle. Elle permet de voir la place des charismes dans
l'initiation chrétienne. Certains témoins comme Tertullien, recommandent la
prière pour recevoir les charismes au cours du rite. Bien que l'exercice de ces
charismes puisse entraîner des excès, Philoxène refusait de les interdire.
Pour conclure, les auteurs relèvent trois constantes chez les témoins
étudiés144 :
• L'imposition des mains ou l'onction comme signe accompagnant la
prière pour la réception de l'Esprit.
»« Ibid., p. 330.142 Ibid., p. 323.143 Ibid.144 Ibid., p. 331.
71
• Une prière pour demander à l'Esprit Saint de descendre.
• Une attente et une expérience réelle de la manifestation des
charismes.
Si l'utilisation du terme initiation chrétienne par McDonnell et
Montague semble anachronique quand ils parlent de sa réalité
néotestamentaire, ces auteurs posent cependant, dans le cadre de la présente
étude, un point d'ancrage important avec les évangéliques, en particulier ceux
des mouvements pentecôtiste et charismatique. Nous avions relevé que la
majorité des évangéliques ignore la confirmation, ce qui rend difficile toute
tentative de réflexion sur la notion d'initiation dans une approche propre à ce
milieu. Car, une telle tentative devrait tenir compte de la structure actuelle de
l'initiation chrétienne telle que comprise et élaborée par ceux qui la pratiquent
avant de chercher à la modifier et l'adapter si possible. Cette tâche requiert
des points d'ancrage et, dans le cas la confirmation, l'aspect pneumatologique
semble plus suggestif que l'aspect ecclésiologique.
Léopold Schûmmer relève que la liturgie réformée de la confirmation a
évolué, et, bien qu'elle soit une consécration à Dieu qui engage la
participation de toute la communauté, elle est aussi un moment de prière
pour le don de l'Esprit145. Ainsi, même s'il existe plusieurs manières de
comprendre l'action de l'Esprit et la manière pour l'homme de recevoir le Saint
Esprit, catholiques, réformés et évangéliques sont unanimes quant à son
importance dans la vie de l'Église et de celle du chrétien. Les pratiques
évangéliques, en particulier celles des pentecôtistes, nous enseignent que
ceux-ci croient qu'après le baptême il est crucial de faire l'expérience du
baptême du Saint Esprit.
Par conséquent, une notion évangélique de l'initiation chrétienne
suivrait le scénario suivant : cours de baptême, baptême et Sainte Cène. En
ce moment, il y aurait une partie catéchétique et une partie rituelle. La
pratique de l'Église Protestante Évangélique est éclairante à ce propos. Quand
le pasteur ou le Conseil de l'Église le juge opportun, une annonce est faite
Léopold SCHUMMER, « art. cit. », p. 299.
72
pour informer que des cours de baptême seront bientôt offerts à ceux qui
désirent se faire baptiser. Une liste est alors ouverte et celui qui le désire se
fait inscrire. Quelques semaines après l'annonce, les candidats suivent les
cours de baptême pendant quelques semaines, soit une fois par semaine. Ces
cours composés de 53 leçons en lobiri146 abordent les sujets suivants147 :
• Le péché (9 leçons)
• Le salut (7 leçons)
• L'Église ( 11 leçons)
• Le Saint Esprit (6 leçons)
• Les principes de vie chrétienne (7 leçons)
• La vie chrétienne au quotidien (13 leçons)
À l'issue de ces enseignements, chaque candidat au baptême passe
devant un comité des membres baptisés pour être examiné. Sa vie morale,
sociale et spirituelle est passée en revue et si rien de grave ne lui est reproché,
et que tous confirment que sa vie a changé, alors, il est accepté pour le
baptême et une prière est prononcée par un membre de l'assemblée. Les
personnes qui ne sont pas acceptées ont la possibilité de s'inscrire de
nouveau aux cours de baptême.
Le jour de la cérémonie du baptême, les chrétiens et les candidats
descendent tous à la rivière en chantant, sans accoutrement spécial. Une fois
au lieu où le baptême doit être célébré, une prière est faite, suivie d'une
courte exhortation. Après cela, des chrétiens aident les candidats à descendre
à tour de rôle dans l'eau, où un pasteur consacré et son assistant les
attendent. Le pasteur demande au candidat : pourquoi veux-tu te faire
baptiser ? Le candidat répond par ses propres mots et le pasteur déclare : sur
ton témoignage, je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Sur
ce, les officiants le plongent une seule fois dans l'eau et le relèvent. Cet acte
146 La langue lobi est appelée lobiri.147 Thâgba fil dur sebe. Catéchisme, Gaoua, Page Imprimé Lobi, 1989, 86 pp. Nous avonstrouvé une version en langue birifor qui place en début du catéchisme la confession de foide l'Église Protestante Évangélique. La version lobi a remplacé cette confession par lestrois premiers chapitres de Genèse.
73
symbolise l'union au Christ par sa mort et sa résurrection, et marque
l'engagement public d'appartenir au Christ et à son Église. Un chant est
ensuite entonné pour saluer le nouveau baptisé. Après cette cérémonie, la
procession reprend le chemin pour se rendre au temple. Des places sont
réservées en avant pour les personnes qui viennent de passer par les eaux du
baptême. Le culte se déroule comme à l'accoutumée, suivi exceptionnellement
de la Sainte Cène pour convier les nouveaux baptisés au Repas du Seigneur.
Par la Sainte Cène, la communauté locale actualise l'accueil que le Christ
réserve à ceux qui viennent de s'unir à lui, commémore la mort et la
résurrection de Jésus et annonce la joyeuse rencontre avec lui pour les noces.
Après ces cérémonies, l'Église offre une série de formation pour la maturation
de la foi et pour le témoignage.
Il arrive qu'avant ou après le baptême, certaines personnes fassent
l'expérience du baptême dans le Saint Esprit. Celles qui passent par cette
expérience aspirent la plupart du temps à être baptisées d'eau sans tarder.
Elles manifestent une passion pour la Parole de Dieu, passent beaucoup plus
de temps dans les jeûnes et la prière, recherchent toujours des occasions
pour témoigner de leur foi en Christ et sont très engagées dans les activités de
l'Église locale. En revanche, ces personnes n'ont pas toujours une vie facile ;
elles sont souvent éprouvées sur le plan social, voire économique. Ces
pratiques de l'Église protestante évangélique ont besoin d'être repensées en
tenant compte de la culture initiatique du milieu et de l'héritage chrétien. Les
travaux menés sur l'initiation dans une perspective anthropologique et
théologique en Afrique et en pays lobi constituent des mines de
renseignements et ouvrent des pistes pour une telle tâche.
2. Christianisme et initiations en Afrique
L'ouvrage collectif de Luneau et Sanon148 et celui de Mvuanda149,
constituent des références de base pour une recherche sur la démarche
148 Anselme Titianma SANON et René LUNEAU, op. cit., 225 pp.149 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit., 451 pp.
74
initiatique en Afrique. Le premier ouvrage qui est largement cité par le second
a le mérite d'esquisser les rapports entre les initiations traditionnelles
africaines et l'initiation chrétienne et d'en rechercher la conciliation. Cet
ouvrage, en plus d'offrir un aperçu sur les rapports qui ont caractérisé la
culture africaine et la mission chrétienne en général, touche plus
particulièrement le Burkina Faso. Toutefois, l'ouvrage qui a retenu notre
attention est celui de Mvuanda qui est largement tributaire du premier, mais
qui a le mérite d'être plus récent et axé sur une approche théologique, celle de
l'inculturation.
2. 1. Initiation chrétienne et inculturation en Afrique
Mvuanda se préoccupe de l'intégration du chrétien africain dans
l'Église. Posant l'inculturation comme exigence d'une évangélisation en
profondeur, il relève que malgré les avancées dans ce domaine, les difficultés
d'intégration des Africains dans l'Église persistent. Partant du fait que tout
initié dans la tradition africaine s'intègre ipso facto à son milieu et lui voue
fidélité et loyauté, il propose de se tourner vers les initiations traditionnelles
africaines pour s'en inspirer afin d'asseoir une initiation chrétienne,
promotrice d'une vie évangélique. Son ouvrage se divise en deux grandes
parties. Dans la première partie, il analyse les concepts sur lesquels se
fondent les préoccupations missionnaires dans leur projet d'édification des
Églises locales. Ainsi part-il de la précision des termes adaptation ou
accommodation, indigénisation ou implantation, incarnation et
interculturation pour ensuite aborder l'inculturation.
Après ces clarifications terminologiques, l'auteur explique la genèse et
l'évolution de l'inculturation en Afrique. Commençant par la mission de Dieu
dans le milieu juif, il y voit une certaine continuité dans la mission judéo-
chrétienne. À travers un bref parcours historique, il relève que l'Église s'est
adaptée aux différentes cultures et mentalités tout en respectant les
sensibilités des personnes ayant accepté la Parole. Il expose ensuite les
75
théologies qui ont ponctué l'évangélisation en Afrique pendant les croisades,
la traite négrière et la conquête coloniale.
Pour faire comprendre ces théologies, il prend comme point de départ,
la théologie dite du salut des âmes. Mobile de la mission, le salut des âmes
consiste à convertir les infidèles. Il est en plein essor pendant la traite
esclavagiste et durant la période coloniale et se circonscrit comme un courant
théologique fondé sur « des visions ecclésiologiques et sotériologiques
entachées (sic) de préjugés occidentaux de l'époque et de sa prétention de
représenter le modèle chrétien imposable à tous150. » Cette approche se
caractérise par une négation des valeurs de la culture africaine et se trouve
étroitement liée à la théologie de l'implantation de l'Église. Cette deuxième
théologie part du préalable que l'Église en Afrique devrait être la réplique de
celle de l'Occident. D'une part, elle est proche de la première, mais d'autre
part, elle s'en écarte par sa préoccupation d'édifier des Églises locales
« autosuffisantes ». Toutefois, un déplacement important se produira avec la
théologie dite de l'adaptation, de l'indigénisation ou « des pierres d'attente151 ».
Il s'agit selon ce point de vue, d'adapter au mieux possible les pratiques de
l'Église évangélisatrice à la vie socioculturelle des peuples africains. Cette
théologie part des questions africaines pour leur donner des réponses
occidentales à l'aide des éléments socioculturels du contexte. C'est en quelque
sorte un christianisme préfabriqué, « un prêt à consommer ». Le témoignage
du père Hebga rapporté par Mvuanda, illustre à quel point la culture
occidentale s'impose comme modèle de l'expression de la foi définie et
proposée à tous les peuples de la terre.
Du temps où j'étais étudiant en théologie à Rome, nousassistâmes un dimanche d'octobre à une journée missionnaireprésidée par le cardinal Fumasoni Biondi, préfet de laPropagande. Un séminariste camerounais un peu facétieuxdéclara, à la grande consternation des prélats présents, qu'il nese sentait pas concerné par les canons du premier Concile duVatican. Sommé de s'expliquer, il sourit : "Le sacro-saint concile
150 Ibid., p. 65.151 Ibid., p. 82.
76
dit textuellement : Si quelqu'un ne rougit pas de dire qu'endehors de la matière il n'y a rien, qu'il soit anathème! Moi je nerougis jamais! " Si le Concile eût compté quelques pères "decouleur", le texte eût été probablement : "si quelqu'un n'a pashonte" 152.
Insignifiant peut-être! Ce témoignage atteste cependant, la couleur
qu'on veut donner au christianisme. Quoique mue par de bonnes intentions,
celles d'instaurer de nouvelles Églises « autonomes », l'adaptation dans le
contexte de l'Afrique est assujettie à une certaine domination occidentale. Elle
contribue néanmoins à faire prendre conscience de la nécessité de traduire le
message et la vie chrétienne dans des catégories accessibles aux Africains.
Cette préoccupation sera au centre des réflexions, notamment celles des
artistes noirs, des prêtres africains et des rencontres épiscopales en Afrique.
Leur but consiste à proposer « des solutions à l'étrangeté et à la superficialité
du christianisme en Afrique, ainsi qu'au danger de son rejet par plusieurs
Africains sans aucune forme de procès, au moins sous sa forme
occidentaliste153 ». Ces solutions démontrent les efforts d'incarner le
christianisme en terre africaine.
Ainsi, préconise-t-on « "une catéchèse enracinée dans la vie des
catéchisés", "sans vouloir complètement effacer leur passé culturel et
religieux" et sans "les obliger à accepter une forme de christianisme qui leur
restera étrangère et qui ne cadre pas avec leur façon de concevoir le monde
temporel et spirituel"154. » Mvuanda propose de contextualiser la théologie si
on veut donner une base sociologique africaine au christianisme. Il passe en
revue les documents provenant des rencontres épiscopales africaines, ceux du
Concile Vatican II, les exhortations pontificales, en particulier celles des papes
Paul VI et Jean Paul H, pour montrer la volonté de l'Église de favoriser une
réelle inculturation du christianisme155. Cette inculturation est comprise
152 Meinrad HEBGA, Émancipation d'Églises sous-tutelle. Essai sur l'ère post-missionnaire,Paris, 1976, p. 13, cité par Jean de Dieu MVUANDA, Ibid. p. 81-82.153 Md., p. 139.154 Actes de la Vie assemblée de l'Épiscopat du Congo. Léopoldville, 1961 (20 novembre -2 décembre, p. 186, cité par Jean de Dieu MVUANDA, op. cit. p. 140.155 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit., cf. particulièrement les pages 162-238.
77
« comme l'actualisation permanente et continue du mystère que constitue
l'événement Jésus-Christ dans l'humanité dans son unité ontologique et sa
diversité socio-culturelle156 ». Contrairement à ceux qui voient dans
l'inculturation un retour au passé, Mvuanda la perçoit comme un lieu
d'émergence de solutions où les valeurs traditionnelles encore valables dans le
monde d'aujourd'hui, peuvent s'assumer dans le domaine de la foi
chrétienne157.
Malgré les avancées sur le plan liturgique, l'auteur observe un écart
entre la vie à l'Église et celle de la vie de chaque jour et s'interroge alors sur la
pertinence de l'initiation chrétienne du baptisé en Afrique. Pour lui, si le
chrétien a été initié, comment se fait-il que son intégration dans l'Église pose
problème ? Ne faut-il donc pas se tourner vers les initiations traditionnelles
africaines pour s'en inspirer ? La deuxième partie du livre examine ces
questions à partir de ces initiations.
Selon son point de vue, les rites d'initiation chrétienne tels que
pratiqués en Afrique, échouent ou réussissent difficilement dans leur projet
d'amener l'Africain à une transformation ontologique effective. Pourtant, les
initiations traditionnelles parviennent, quant à elles, à introduire dans une
vision du monde et de la vie qui influence la personnalité individuelle et
collective. Partant de ces constats, il propose que l'Église s'inspire des
expériences initiatiques africaines pour une inculturation de l'initiation
chrétienne. Des études comparatives ont déjà défriché le terrain montrant la
possibilité de christianiser les initiations traditionnelles africaines158. L'auteur
vise dans son travail à saisir le dynamisme et la valeur des rites initiatiques
africains. Pour cela, il fait un tour d'horizon de l'initiation en général, puis de
celles de l'Afrique pour enfin aborder un exemple d'inculturation de l'initiation
chrétienne au Congo.
156 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit. p. 180.157 Ibid., p. 240.158 L'auteur cite entre autres deux ouvrages en français : C. Mubengayi LWAKALA,Initiation africaine et initiation chrétienne, Léopoldville, Éditions du CE.P., 1966, 101 pp. ;Anseme Titiana SANON et René LUNEAU, op. cit., 1985.
78
Conscient de la complexité de la notion d'initiation, il souligne les
caractéristiques communes de la réalité multiforme de ce phénomène.
L'initiation est marquée par un processus de transformation et d'intégration et
ses rites jouent un rôle pédagogique d'une grande efficience159. Si elle se fait
une fois pour toutes et ne se répète pas pour le même individu, elle a
essentiellement un caractère inchoatif et se définit comme un point de départ,
un commencement, une mise en route, une rentrée dans une dynamique de
croissance et de dépassement ponctuée de trois grandes étapes :
préinitiatique, initiatique et postinitiatique. La deuxième étape a prévalu dans
les études. Elle comprend un temps d'épreuves, un temps de rupture, un
temps de passage d'un état inférieur à un état supérieur. En d'autres termes,
elle traduit « le temps de la mort symbolique préalable à toute nouvelle
naissance160 ». Malgré l'importance de l'étape initiatique, la dissocier des
autres étapes risque de la rendre insignifiante ; c'est pourquoi il s'avère
important de maintenir le lien qui les unit.
Cet aperçu général débouche sur une précision de quatre types
d'initiation en Afrique :
• Les initiations occultes ou ésotériques opposées à celles qui sont
publiques. Elles introduisent dans la sorcellerie, l'envoûtement, la
divination, le fétichisme et sont entourées de secrets.
• Les initiations spirito-psycho-somato-thérapeutiques. Elles touchent
la vocation médicinale et mystique.
• Les initiations d'intégration sociale de la jeunesse. Celles-ci sont les
plus connues.
• Les initiations sociopolitiques et professionnelles. Elles visent la
transmission des pouvoirs et l'équipement nécessaire pour l'exercice
de l'autorité, et l'apprentissage des savoirs pour la pratique des
métiers.
!59 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit., p. 247.160 Ibid. p. 248.
79
De ces types d'initiation, l'auteur examine celui qui touche l'intégration
sociale pour en dégager la structure générale et les principes communs. Son
étude reprend les trois étapes de l'initiation pour montrer leurs fonctions et
leurs particularités. L'étape préinitiatique commence à la naissance et prend
fin avec la période initiatique. Pendant cette étape, les membres de la famille
nucléaire et de la famille étendue jouent le rôle d'agents d'éducation. Cette
éducation consiste à faciliter une participation à la vie de la famille et du
village à travers certains travaux, puisage d'eau, labour, etc. Les jeux sont
aussi des occasions de formation et d'apprentissage. Dans la préinitiation,
l'éducation se donne sans nécessairement recourir au cadre rituel comme
c'est le cas de la période initiatique.
La période d'initiation prolonge la précédente et constitue un temps très
fort dans le processus de maturation humaine161. Elle est ponctuée de trois
étapes : l'entrée, la réclusion et la sortie ; la deuxième étape est le pivot.
L'entrée annonce le début des cérémonies préparatoires. Les candidats et
candidates à l'initiation sont mis à part pour souligner l'aspect sacré de
l'événement et les rassemblements sont souvent accompagnés de festivités.
Cette mise à part débouche sur la phase de réclusion, véritable moment
d'épreuves, d'enseignements et d'apprentissages. Le corps et l'esprit sont
beaucoup sollicités à cette étape qui est marquée par le mystère. Les épreuves
et les marques corporelles ainsi que le climat d'angoisse, soumettent les
néophytes à rude d'épreuve. La formation de la personnalité passe également
par la structuration symbolique du monde et de la personne tout en révélant
les significations profondes des réalités visibles et invisibles. La fin ou la sortie
de l'initiation est marquée par des festivités et des danses, ce qui conduit à
l'étape postinitiatique.
Cette dernière étape est étroitement liée à la sortie de l'initiation qui
réintroduit l'initié dans son milieu habituel. À cette étape, l'initié fait partie de
la fraternité promotionnelle. Il est promu à un rang qui l'autorise à exercer
pleinement ses responsabilités sociales dans l'écoute attentive des personnes
Ibid., p. 277.
80
âgées et des aînés. Pour Mvuanda, loin d'être un moment isolé ou une
réduction à la mutilation physique, l'initiation est un événement central d'un
processus complexe qui vise l'harmonie de l'individu et du groupe.
Après cette étude descriptive, l'auteur propose différentes significations
de l'initiation, sa fonction, le symbolisme qui la caractérise pour ensuite
aborder la problématique des initiations traditionnelles africaines avec
l'initiation chrétienne. Pour lui, l'initiation cherche à renforcer le lien de la
communauté et des générations à travers la communion-participation au
même principe vital. Elle prend également en compte la formation du
caractère moral et le bien-être physique, et ce, dans un climat éprouvant. Elle
se donne, enfin, comme accès à la dimension transcendantale. On y parvient,
d'une part, à travers le dépassement de soi pour s'ouvrir aux autres et les
intégrer dans son univers personnel de relations tout en acceptant ce même
mouvement de leur part. D'autre part, ce mouvement touche aussi la relation
au monde invisible qui apparaît comme un support vital. Dieu et les ancêtres
sont les acteurs de ce monde que dévoilent les mythes, l'histoire, les
informations sur le culte des ancêtres et le mystère de la vie. L'écoute et
l'obéissance occupent une place importante dans ce processus de
dévoilement. Si ces différentes significations déterminent déjà certains aspects
fonctionnels de l'initiation, la catharsis, la pédagogie, l'intégration, la
libération et la fraternisation consacrée en constituent les fonctions
principales.
Pour clore le chapitre des interprétations, l'auteur s'attache à dégager le
symbolisme des initiations dont les sources sont : le corps humain, le monde
animal, le monde végétal, les éléments minéraux, le monde astral et les objets
culturels. La symbolique générale en Afrique puise aussi dans ces éléments.
Ce symbolisme suit les différentes phases de la période initiatique qui sont :
• La symbolique de l'entrée se réfère à la mort et à la naissance par le
fait que les candidats et candidates sont séparés de leur
communauté. Elle sous-tend également la symbolique et la réalité
du pèlerinage.
81
• La symbolique de la réclusion annonce la mort rituelle et exprime la
mort au monde passé.
• La symbolique de la sortie est le signe de la résurrection ou de la
nouvelle naissance.
Cette symbolique initiatique vise à déployer le sens profond de la
rencontre de l'humain et du sacré, et ce, aux niveaux langagier, affectif et
relationnel. Elle permet une compréhension globale et unifiée de la vie dans
sa totalité. La signification symbolique ainsi que les fonctions assumées par
les initiations traditionnelles expliquent la place qu'occupent celles-ci dans la
vie des Africains. Elles permettent aussi de comprendre la problématique des
rapports entre l'initiation chrétienne et celles africaines. On ne peut
comprendre ces rapports qu'en les. replaçant dans leur contexte de la
dépréciation des cultures africaines par les Occidentaux. Mvuanda résume sa
pensée en ces termes : « Les initiations à travers lesquelles les sociétés
traditionnelles renforçaient leur identité, leur autonomie socio-politique,
économique et religieuse, en transmettant les valeurs de leur tradition,
constituaient pour l'administration coloniale et pour l'œuvre missionnaire un
point d'achoppement162. »
Cette observation explique les temps forts qui ont marqué la rencontre
des initiations traditionnelles avec celle des chrétiens153. Dans un premier
temps, les missionnaires ne voyaient dans les initiations traditionnelles
africaines que déviance, abus, immoralités et sauvagerie. Il fallait donc les
rejeter et ce rejet ne venait pas uniquement des étrangers, mais aussi des
Africains eux-mêmes qui y voyaient des pratiques rétrogrades. Cependant, vu
la résistance de ces pratiques quant à la nouveauté, et compte tenu des
études anthropologiques, les esprits réfractaires se sont quelque peu ravisés.
Dès lors, même si les initiations africaines ne sont pas rejetées en bloc, elles
sont tolérées avec l'espoir qu'elles disparaîtront de toute façon.
«2 Ibid., p. 315.163 René LUNEAU relève trois temps forts : celui du refus, de la controverse et des effortsde conciliations dans Anselme Titiana SANON et René LUNEAU, op. cit., p. 20-59.
82
C'est dans cette situation de tolérance que s'amorcent des efforts
d'inculturation. Les expériences révèlent deux principales approches. La
première se sert des éléments des initiations traditionnelles qui ont une
certaine analogie avec l'initiation chrétienne pour faire comprendre
l'enseignement ou les pratiques chrétiennes pendant le temps du
catéchuménat. Les enseignements pouvaient être dispensés, soit en dehors
ou dans les lieux mêmes des initiations. Cette approche est une
«juxtaposition de deux traditions initiatiques qu'on cessait d'opposer avec
exclusivité. » La deuxième approche est marquée par une volonté de dialogue
entre les chrétiens et les maîtres des initiations en vue de trouver un terrain
d'entente pour que les chrétiens ne se soumettent pas à certains rites jugés
incompatibles avec la foi chrétienne. Ces expériences faites au Burkina Faso
et au Tchad n'ont pas tenu le coup, car étioler le rite originel ne fait
qu'appauvrir son sens symbolique164.
L'auteur propose une troisième voie à partir des expériences positives
dans la liturgie congolaise. L'inculturation de la liturgie s'est opérée par une
prise en compte des éléments rituels romains, des anaphores orientales et des
us et coutumes positifs sociaux et religieux du monde africain. Le rite romain
a servi de base pour repenser et créer une nouvelle structure du rite congolais
en partant des rites positifs socioreligieux africains aptes à favoriser la
participation ou la communion aux mystères divins. De l'orient, les anaphores
qui sont proches de la structure dialogique africaine ont inspiré l'approche de
transmission dans l'homélie qui accorde une place de choix aux proverbes,
aux chants et aux contes.
Après avoir montré comment l'Église au Congo a tenté d'inculturer la
liturgie de la messe en partant des éléments positifs socioreligieux, l'auteur
soulève la question du baptême et de la confirmation. Constatant que
l'initiation chrétienne telle que généralement pratiquée au Congo n'arrive pas,
dans bien des cas, à intégrer les Africains dans l'Église, il propose de se
tourner vers les initiations traditionnelles. « Nous croyons, écrit-il, que
164 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit., p. 327.
83
l'initiation africaine perçue comme un processus global, dont le rite est certes
le temps fort, mais pas l'instant déterminant la qualité initiatique et la qualité
d'initié, rend possible une approche de l'initiation chrétienne comme
processus dynamique165. » II part de l'expérience de Bilenge Ya Mwinda
(Enfant de la Lumière) pour montrer qu'une telle entreprise est possible.
Cette expérience recourt aux initiations traditionnelles africaines en
partant de l'esprit qui les anime dans le sens de l'ambiance, du climat général
qui les oriente et des techniques qui leur permettent d'atteindre leurs
objectifs. Mvuanda cite le témoignage du fondateur en ces termes : « II ne
s'agit pas bien sûr de retourner à toutes les pratiques initiatiques d'autrefois.
Il faut recourir à un certain esprit et à certaines techniques qui présentent de
réelles valeurs même dans notre monde moderne166. » Ainsi se sert-on des
étapes des initiations traditionnelles, du mystère qui les entoure, de
l'approche de communication et des épreuves, pour former les jeunes. Trois
grandes étapes structurent la formation : la lucidité, l'option fondamentale et
le rayonnement. Celles-ci sont précédées de deux phases, les sympathisants
et les débutants. Les sympathisants sont ceux qui désirent en savoir sur le
Bilenge Ya Mwinda. Ils sont admis aux réunions pour écouter la Parole de
Dieu et se joindre à des groupes de prière, mais pas aux petits groupes où se
déroule l'initiation. À cette étape, les jeunes échangent sur leurs expériences
de la vie, positives ou négatives, qu'ils soumettent au jugement de la Parole de
Dieu. C'est un moment d'examen de conscience et de la morale, à la lumière
de la Parole, qui peut déboucher sur une prise de conscience de son état de
perdition. À cette étape, le jeune peut décider de poursuivre ; alors, il s'inscrit
pour être débutant en faisant la promesse de la « disponibilité totale167 ».
Exprimant leur disponibilité à se faire initier, les débutants entrent
dans des réflexions pour discerner entre le vrai et le faux afin de voir clair.
«« Md., p. 384.166 Matondo Kua NZAMBI, À l'assaut de l'Himalaya, Kinshasa, 1976, p. 23, cité parMVUANDA, op. cit., p. 403.«7 Md., p. 407.
84
Ces réflexions vont se poursuivre et s'approfondir à l'étape de « lucidité ».
Mvuanda explique :
Pendant la lucidité, il faut se découvrir dans le double sens de ladécouverte initiatique : sous la Lumière qu'est le Christ, les zonesles plus cachées et les plus secrètes de notre existence sont à nu ;on se voit tel qu'on est, on s'ouvre au Christ, on fait confiance auxfrères et sœurs et particulièrement aux initiateurs. Les slogans "Abas les hypocrites", "laissez tomber le masque", "si tu m'aimes, dis-moi la vérité", rappellent l'urgence de cet acte d'humilité et decourage si l'on veut vraiment progresser168.
Cette étape place les jeunes dans des conditions leur permettant de
découvrir le « Christ comme "Lumière" du monde169 » à travers des mystères170
à élucider. Le but est de susciter la conversion. C'est cette métanoïa
recherchée qui marquera le passage à l'étape de « l'option fondamentale ». Elle
est l'étape d'un approfondissement spirituel pendant lequel le Nouveau
Testament tient une place centrale dans la vie des « fondamentalistes ». Ces
derniers sont responsables des lucides et collaborent avec les Abu et le
Bagaza (initiateurs) pour préparer les rencontres de sympathisants et des
débutants. C'est la période où l'accent est mis sur l'engagement à imiter le
Christ avec l'aide de son Esprit pour que les jeunes se placent dans « une
relation directe et plus consciente de l'Initiateur Principal, le Christ. [...] Il faut
absolument passer de l'attrait du "moi humain" que doit constituer l'initiateur
à l'attrait du "moi christique" que seul le Christ Jésus est171 ». Ainsi, les
jeunes à cette étape prennent la résolution de suivre le Christ leur vie durant
en se mettant à son école et en s'identifiant sans cesse à lui.
Cette option résolue pour le Christ débouche sur la troisième étape, le
« rayonnement ». Le but est de persévérer dans la vie d'initié à travers
l'engagement pour là mission prophétique dans le monde. « II appartient au
rayonnant de faire montre de son baptême, de son initiation, de continuer à
168 ibid., p. 411.169 Ibid., p. 408.170 Jean de Dieu MVUANDA rapporte 16 mystères, cf. p. 408-407.171 ibid., p. 412.
85
approfondir son expérience mystique et de la communiquer autour de lui172. »
Cette étape traduit concrètement le sacrement de la Confirmation. Divers
engagements découlent de cette étape, c'est pourquoi le Bilenge Ya Mwinda ne
s'est pas seulement limité aux jeunes, mais a pénétré les différentes étapes
qui jalonnent la vie, naissance, adolescence, adulte, vieillesse. Il touche
également les grands événements de la vie soumis ou non à la ritualisation,
tel le mariage.
Mvuanda nous offre non seulement une méthode pour aborder des
thématiques dans une perspective d'inculturation, mais il nous donne une
approche de construction d'un modèle d'initiation chrétienne africaine. Cette
initiation se fait en Église, prend en compte l'héritage initiatique chrétien,
l'héritage initiatique traditionnel africain en se fondant résolument sur les
valeurs africaines et bibliques. Il s'écarte des compromis avec les initiations
traditionnelles pour proposer de la nouveauté à partir des données de la foi
chrétienne vécue dans un contexte africain. Son travail offre un aperçu d'un
certain nombre de théologies173 en Afrique. Tout en prenant en compte les
classiques traitant des rapports entre les initiations traditionnelles et
l'initiation chrétienne, l'auteur montre comment la théologie de l'inculturation
peut contribuer à rendre plus dynamique l'approche initiatique chrétienne en
Afrique. Bilenge Ya Mwinda semble avoir du succès au Congo et en dehors
même du continent. Nous sommes cependant surpris que lors de nos
rencontres avec des prêtres au Burkina Faso, personne n'ait fait mention de
cette initiation. En pays lobi, une telle approche ne pourrait-elle pas inspirer
les communautés catholiques et protestantes évangéliques dans leurs
approches des rapports entre lejoro et l'initiation chrétienne174 ?
172 Ibid., p. 413.173 Le lecteur pourra compléter sa connaissance des théologies africaines en se référant àBruno CHENU, Théologies chrétiennes des Tiers Mondes, Paris, Centurion, 1987 ;Klauspeter BLASER, La théologie au XXe siècle, histoire-défis-enjeux, Lausanne, L'Âged'Homme, 1995, voir spécialement les pages 268-280 ; Kâ Mana KANGUDIÉ, Théologieafricaine pour un temps de crise : christianisme et reconstruction en Afrique, Paris,Karthala, 1993.174 Deux travaux théologiques sont actuellement disponibles sur l'initiation traditionnellelobi. Antoine de Padou POODA, « Le Joro et l'initiation chrétienne : de la confrontation àl'intégration », Mémoire en théologie, Koumi, Grand Séminaire Régional, 1998, 59 pp.; Le
86
2. 2. Lejoro et l'initiation chrétienne
Le travail de Mvuanda dans sa partie sur les rapports entre les
initiations africaines et le christianisme est largement tributaire de l'ouvrage
de Anselme Titianma Sanon et René Luneau. Ces auteurs décrivent ces
rapports en termes de temps de refus, de controverses et de conciliation. Les
témoignages reproduits illustrent éloquemment les différents déplacements
qui marquent ces relations. Luneau rapporte le témoignage suivant :
Quelques jours après notre arrivée à G., écrit le narrateur, avait lieuau village une grande fête païenne : c'était la réception triomphaledes jeunes initiés après sept mois de réclusion. Ils défilent devant lafoule en délire, tout pimpants, sur deux rangs, parés de leursinsignes, le buste marqueté de stries aux lignes élégantes qui leurresteront comme l'empreinte ineffaçable des griffes du démon auquelils sont voués. Les sorciers masqués, personnification de ce démon,viennent souvent la nuit donner à leurs affidés des séancesagrémentées d'une musique infernale. Bref, c'est une vraie débauchede sorcellerie : le démon veut nous prouver qu'il règne en maîtreincontesté et que nous allons avoir affaire à forte partie175.
La conclusion que tire ce témoignage dénote un climat conflictuel et
une vision négative de cette initiation traditionnelle africaine. Bien que cette
vision de 1927 connaisse un grand changement aujourd'hui grâce aux
recherches anthropologiques, elle demeure encore bien vivace dans certains
esprits et engendre des positions quelque peu partagées. Tandis que les uns
sont convaincus de la justesse d'avoir écarté les initiations traditionnelles,
d'autres confessent leur ignorance de celles-ci. Ainsi René Bureau176 justifie
avec prudence l'abolition de ces initiations, tandis que Xavier Seumois allègue
que la vision chrétienne du monde « exige une adhésion absolue et opère une
plus récent à notre connaissance est le mémoire de licence de Beterbanfo Modeste SOMÉ,« Approche pèlerine de l'initiation pan-ethnique Djoro et esquisse d'une théologiechrétienne des pèlerinages », Mémoire de licence canonique en théologie dogmatique,Abidjan, Institut Catholique de l'Afrique de l'Ouest, 2000, 165 pp. Nous nous y référonsdans la troisième partie quand nous traiterons du Joro dans les discours chrétiens.175 Témoignage r a p p o r t é p a r Anse lme T i t i ana SANON et René LUNEAU, op. cit., p . 2 0 .176 René BUREAU, « Les missions en question », dans Christus n° 34, 1962, p. 225-226cité par SANON et LUNEAU, op. cit. p. 24.
87
brisure violente vis-à-vis de tout ce qui ne concorde pas avec elle177 ». Le
milieu protestant évangélique, aujourd'hui plus respectueux des cultures,
adhérerait sans hésitation à une telle déclaration. Car, « si quelqu'un est en
Christ, il est une nouvelle créature, le monde ancien est passé, voici qu'une
nouvelle réalité est là. » (H Corinthiens 5, 17) Hugo Huber ne partage pas ces
perceptions négatives et recherche plutôt une bonne manière de traiter les
initiations traditionnelles en Afrique178. Ces différentes positions traduisent
bien les hésitations qui aujourd'hui semblent être largement dépassées dans
les milieux catholiques mais persistantes chez les protestants évangéliques.
Si les premiers prennent très au sérieux la question des rapports entre
les initiations traditionnelles et l'initiation chrétienne, force est de reconnaître
que sur le terrain, la pratique rencontre quelques difficultés en particulier en
pays lobi du Burkina Faso. Contrairement au pays bobo où une certaine
conciliation semble caractériser ces rapports, l'Église parmi les Lobi vit une
toute autre situation. Chez les catholiques, nos entrevues dégagent une
grande prudence quand il s'agit de la question du joro. Les gens ne se sont
pas remis du fait que cette institution initiatique est un frein à l'évangile. Un
travail de fond reste à faire et des prêtres aussi bien que des laïcs s'y attèlent.
Des efforts pour faire comprendre le phénomène sur le plan anthropologique
et théologique sont amorcés. L'Abbé Modeste Kambou179 nous a confié ses
réflexions sur Pétymologie du joro, qui constitue une piste intéressante pour
éclairer la compréhension de l'initiation lobi. Le travail de mémoire de Antoine
de Padou Pooda est une des perles qui permet de mener les discussions sur
les corrélations possibles entre les aspects anthropologiques et théologiques
du joro.
177 Xavier SEUMOIS, « La structure de la liturgie baptismale romaine et les problèmes ducatéchuménat missionnaire », dans La Maison-Dieu, n°58, 1959, p. 89-90, auteur cité parSANON et LUNEAU, p. 25.178 Hugo HUBER, « L'initiation ch ré t i enne e n Afrique. P rob lèmes et p ropos i t ions », d a n sLiturgie en Mission, Desclée de Brouwer , 1964, p . 89 , cité p a r Anse lme T i t i anma SANON etRené LUNEAU, p . 2 6 .179 Nous a v o n s r e n c o n t r é le 29 avril 2 0 0 3 , l'Abbé Modeste KAMBOU d i rec t eu r d ' u n pet i tséminaire près de Dano au Burkina Faso.
88
Les travaux académiques qui traitent du joro dans une perspective
théologique sont rares. Nous avons cependant eu le privilège de rencontrer
Modeste Kambou qui nous a gracieusement offert un exemplaire du mémoire
en théologie de Antoine de Padou Pooda180, qui est une vraie mine
d'informations pour nos recherches. Deux parties constituent l'essentiel du
mémoire. La première partie suit une démarche anthropologique qui examine
la notion du joro et ses séquences pour aboutir à une systématisation du
phénomène. En conclusion de la première partie, l'auteur résume la
compréhension du joro en ces termes : « souffrir, c'est mûrir et mûrir, c'est
mourir, c'est-à-dire avoir subi une mutation essentielle et existentielle qui
habilite à exercer des fonctions au sein de la société lobi, dans une attitude
communionnelle et expansive face au numineux181. »
La deuxième partie porte sur une réflexion théologico - pastorale qui
tente de repérer les « semences du Verbe »182 dans l'initiation du joro. Elle
croise dans un premier volet la marche vers le village du joro avec l'Exode
d'Israël, la mort - résurrection symbolique avec le mystère de la Pâques et les
rites de réintégration sociale avec le concept de l'Église - Famille de Dieu.
Dans un second chapitre, il poursuit la même démarche en rapport avec les
sacrements du baptême, de la confirmation et de l'eucharistie. Le dernier
chapitre part d'une approche pastorale et plaide pour une prise en compte des
atouts du joro dans la catéchèse et dans la liturgie. Il finit par une
interpellation pour un meilleur devenir chrétien lobi.
L'auteur part d'une approche anthropologique pour saisir les
composantes du joro afin de dégager les valeurs pouvant être mises en rapport
avec certaines données bibliques et théologiques. Il fait une relecture du joro à
partir de la foi et des pratiques chrétiennes. Son approche théologique est
basée sur l'inculturation avec une orientation prononcée vers la théologie des
180 Antoine de P a d o u POODA, « Le Joro e t l ' initiation ch ré t i enne . De la confronta t ion àl ' intégrat ion » Mémoire d e théologie, G r a n d Sémina i re Régional d e Koumi, B u r k i n a Faso ,1998, 59 pp.181 Ibid., p . 2 3 .182 Cf. Antoine de Padou POODA, pp. cit., p. 24, 27, 32, 35. Terme que l'auteur empruntede Paul VI, Evangelium Nutiandi, Paris, Centurion, 1976, n°53.
89
« pierres d'attentes ». La partie théologique est parsemée de termes comme
« semina Verbi » (p. 24, 27, 32, 35) « germes de salut » (p. 35) « prolongement »
(p. 37), « preparatio evangelica » (p. 40). Ces différents termes traduisent la
volonté de Pooda de faire ressortir une continuité entre le joro et l'initiation
chrétienne ; il écrit :
Si aujourd'hui, les 'Lobe passent pour un peuple à la nuqueraide, hostiles et réfractaires au christianisme, c'est que cettenouvelle religion brime leur histoire résumée dans le joro ; elle metun hiatus entre leur initiation traditionnelle et l'histoire du salut, aulieu d'établir entre eux un trait d'union, une continuité progressiveet accomplissante.183
Les différents rapports qu'il établit entre les valeurs du joro et les
doctrines et pratiques chrétiennes restent fidèles à cet esprit de continuité.
L'auteur est cependant conscient du danger d'un retour au paganisme que la
prise en compte de ses propositions peut entraîner, (p.48) C'est pourquoi il
souligne que cela requiert une sérieuse sensibilisation. L'attitude de Pooda
vis-à-vis du joro se comprend, car pendant que les voisins Dagari trouvent
normal d'inculturer l'initiation du bvvr qui selon nos informateurs est
beaucoup plus lié à la divination184, il s'ensuit une certaine réticence à
accepter les éléments inculturables du joro dans le même diocèse où tous sont
censés prendre en considération l'article 65 de la Constitution sur la Sainte
Liturgie de Vatican II. Cet article en effet, laisse clairement apparaître une
position qui encourage le dialogue avec les initiations non chrétiennes185.
Comment comprendre de telles réticences quand les textes officiels de l'Église
témoignent d'une position qui se veut conciliante ?
Cette attitude a amené des mesures disciplinaires à rencontre de ceux
qui avaient laissé leurs enfants aller à l'initiation lobi. Ces mesures ont placé
beaucoup de chrétiens catholiques dans une situation inconfortable. « Sur 50
183 Antoine de P a d o u POODA, op. cit., p . 27 .184 Les informations reçues proviennent de répondants Birifor qui ont cette institutioninitiatique. Il est donc possible que l'expression dagari de cette initiation ait une autrecompréhension que celle livrée par nos répondants.!ss « Constitution conciliaire sur la liturgie », n°65 dans Vatican IL L'intégralité, Paris,Bayard Compact, 2002, p. 197.
90
chrétiens interrogés, 39 regrettent de n'avoir pas été au joro186 ». Ce regret
vient du fait que plusieurs sont insatisfaits de ce qu'offre le christianisme,
qu'ils considèrent la nouvelle religion comme un « pays étranger ». L'auteur
remarque que le christianisme est une menace à l'être et à l'existence du Lobi.
« [...] au lieu de lui apporter quelque chose, dit-il, le christianisme semble [...]
soumettre à une certaine servitude spirituelle et cherche même à lui ôter ce
qu'il a de cher : son joro.187 ». Par conséquent, il plaide pour une levée des
sanctions188, afin que le Lobi se sente chez lui dans l'Église.
Même si, jusqu'ici, envisager une conciliation entre le joro et l'initiation
chrétienne semble difficile, nos répondants catholiques ont tous relevé que le
pèlerinage à des lieux spécifiques de la région constitue pour eux un aspect
important qui relie leurs pratiques chrétiennes à l'initiation lobi. Le pèlerinage
est justement le sujet de mémoire de licence canonique en théologie
dogmatique de Beterbanfo Modeste Somé189. Relevant l'approche
socioculturelle et religieuse qui caractérise les études du joro, il propose une
autre approche, celle qui part de la notion de pèlerinage. S'appuyant sur les
verbes qui désignent l'initiation lobi, ur hvo en lobiri qui signifie littéralement
« marcher la route » ou « lever la route » et ir sor en birifor qui veut dire « frayer
le chemin » ou « lever la route », il propose la question de recherche suivante :
« le djoro ne serait-il pas aussi, si ce n'est d'abord et surtout un pèlerinage
pan-ethnique aux sources ancestrales cristallisées et symbolisées par le site
(sic.) du djoro qui se trouve être le point de chute des ancêtres à leur arrivée
sur la rive droite du Mouhoun au Burkina Faso190 ? »
L'approche de Somé conjoint anthropologie et doctrine chrétienne. Elle
a le mérite de partir d'un cadre théorique axé sur la notion de pèlerinage selon
ses acceptions anthropologique et théologique. Partant de l'origine et de la
186 Antoine d e P a d o u POODA, op. cit., p . 46 .187 Ibid.188 Ibid. p . 4 8 .189 Beterbanfo Modes te SOMÉ, « Approche pèlerine de l ' init iation p a n - e t h n i q u e Djoro etesquisse d'une théologie chrétienne des pèlerinages », Mémoire de licence canonique enthéologie dogmatique, Abidjan, Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest, juin, 2000,165 pp.«° Beterbanfo Modeste SOMÉ, op. cit., p. 8.
91
définition du joro, l'auteur relève ses valeurs socio-éducatives, religieuses et
spirituelles pour en dégager les limites et les zones d'ombres191. Au deuxième
chapitre, il se consacre à l'examen de la dimension pèlerine du joro, signale
les limites des approches qui visent la dimension initiatique et la parenté
entre l'initiation traditionnelle lobi et l'initiation chrétienne pour proposer de
l'évangéliser. Il est convaincu que cette évangélisation est possible à partir
d'une approche qui privilégie le pèlerinage192. Pour atteindre son objectif,
Somé analyse les expériences bibliques et chrétiennes de pèlerinage afin de
découvrir les lieux d'enracinement du joro. Soulignant que le christianisme
n'est pas une religion à pèlerinage193, bien qu'interpellant les chrétiens à un
esprit pèlerin, il montre à travers l'expérience le bien-fondé de cette pratique
dans l'Église. Partant de la théologie chrétienne du pèlerinage, il propose un
«joro inculturée194 ». Ce joro est compris comme une initiation lobi
christianisée ou rénovée195 comme il le désigne. Ce type d'initiation cherche à
dépasser la dimension identitaire ethnique pour s'élever à l'universelle.
Somé a opté pour une dimension particulière du joro en vue de
l'approfondir pour proposer une pratique dans l'Église. Le bien-fondé d'une
telle entreprise comporte un risque. Car, isoler un élément d'un phénomène
socioculturel risque fort bien d'occulter le fait que sa signification repose sur
les relations entretenues avec l'ensemble. Se focaliser sur la dimension
pèlerine n'a pas aidé à cerner ce rapport. Contrairement à Pooda qui est plus
respectueux du joro, et envisage une continuité entre l'initiation traditionnelle
et l'initiation chrétienne, Somé, par son attitude critique et sa volonté
d'évangéliser le joro semble être plus en faveur d'une discontinuité. Les
protestants évangéliques seraient plus à l'aise avec la position de ce dernier
que celle du premier à cause de la discontinuité qu'il accentue. Si nous nous
en tenons à la distinction tillichienne196 de « substance catholique » et de
i9i ibid., cf. p. 13-34.W2 Ibid., p. 60.193 Ibid., p. 65, 93.M Ibid., p. 135, 141.»s Ibid., p. 141.196 p o u r u n aperçu rapide de la pensée de Tillich, cf. André GOUNELLE, (dir.), Paul Tillich,Substance catholique et principe protestant, Paris/Genève/Québec, Éditions du
92
« principe protestant » il serait difficile de voir un grand écart entre l'approche
de Pooda et celle de Somé. Les deux voient des manifestations de Dieu dans
les dimensions initiatique et pèlerine du joro, qu'ils tentent de structurer en
restant fidèles à la « substance catholique » de façon centripète pour le
premier et de façon centrifuge pour le second. Si le premier est en pleine
logique catholique, le second s'en éloigne un tant soit peu en se rapprochant
de la vision protestante.
Pour conclure ce point sur le joro en contexte chrétien, relevons que
Somé, bien qu'ayant opté pour la dimension pèlerine de l'initiation lobi, n'a
pas omis de souligner sa dimension éducative197. Pooda fait également
référence à cette dimension198. Cependant, ces auteurs n'ont pas assez mis en
évidence l'éducation comme élément de structuration du joro. Il reste un
travail à faire dans ce domaine.
2. 3. Vers une approche pédagogique du joro
Comme nous l'avons déjà relevé, en Afrique, les travaux sur
l'initiation199 en contexte chrétien proviennent surtout des milieux
catholiques200. Luneau et Sanon, Mvuanda, Pooda et Somé insistent sur les
contributions possibles des initiations traditionnelles africaines à l'éducation
à la foi chrétienne, mais n'insèrent pas leurs recherches dans une théorie
pédagogique pour montrer les corrélations possibles entre les démarches
éducatives endogènes et exogènes. Leurs approches se fondent sur
Cerf/Labor et Fides/Presses de l'Université Laval, 1995, voir particulièrement les pages 3-12.l97Ibid.,p. 18, 27, 41.198 Antoine d e P a d o u POODA, op. cit., p . 10, 17.199 Henri BOURGEOIS, op. cit., donne une liste de quelques principaux ouvrages quitraitent de l'initiation chrétienne, p. 111.200 En plus du travail de Somé cité ci-dessus, l'Institut Catholique de l'Afrique de l'Ouestdevenu Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest compte quelques travaux sur le sujet.Simone NOLIN, « Les techniques initiatiques traditionnelles et les techniques initiatiqueschrétiennes », Mémoire présenté à l'Institut Supérieur de Cultures Religieuses, Abidjan,1975, 139 pp.; Emile MEGOROGO, « Poro et initiation chrétienne » Mémoire de licence,Abidjan, 1973, 138 pp.; Bernard DJAFALO, « L'initiation chrétienne et l'initiationtraditionnelle des jeunes Kabye. Problèmes d'inculturation » Mémoire de licence canoniqueen théologie pastorale, Abidjan, Institut Catholique de l'Afrique de l'Ouest, 1986; 98 pp.
93
l'inculturation qui valorise davantage la culture locale, mais pas
nécessairement les interactions des composantes d'une situation éducative.
Ces interactions mettent pourtant en évidence des valeurs pédagogiques
capables d'enrichissements et de transformations. C'est pourquoi la présente
thèse gravite autour de la question : quels indicateurs du joro, en corrélation
avec les données bibliques, déploient une stratégie pédagogique pouvant
contribuer à une démarche d'initiation et d'éducation chrétiennes en milieu
protestant évangélique du Burkina Faso ? Ainsi, tente-t-elle de décrypter les
stratégies pédagogiques à la base des pratiques initiatiques et la place qu'elles
pourraient occuper dans la construction d'une situation éducative pouvant
contribuer à l'enracinement de l'évangile. Elle s'assigne donc les objectifs
suivants :
• Décrire les composantes des démarches initiatiques du joro et de
l'éducation chrétienne à travers l'analyse des discours théologiques,
mais surtout à travers les témoignages d'une vingtaine de
répondants.
• Dégager des composantes du joro, les fonctions en corrélation avec
l'impératif missionnaire de Matthieu 28, 18-20.
• Repérer, de ces corrélations, des substrats pédagogiques pouvant
contribuer à la construction d'une situation éducative, inspiratrice
d'une démarche d'initiation chrétienne.
Dès lors, la particularité de la présente thèse repose principalement sur
la dimension pédagogique du joro, contrairement aux autres travaux qui
reconnaissent dans les initiations une vocation éducative, mais se
concentrent surtout sur les corrélations théologiques. Dans ces travaux, bien
que l'aspect éducatif soit mentionné ici et là, il ne s'insère guère dans une
théorie pédagogique générale, car là n'est pas leur but. Ici par contre, nous
cherchons à saisir les valeurs et les fonctions des composantes pédagogiques
de la démarche initiatique pour proposer un processus pédagogique, le
processus « initier ». Une telle composante devrait pouvoir se trouver une
94
place au sein du triangle pédagogique à côté des processus « enseigner »,
« former » et « apprendre ».
Ce projet invite à revisiter des lieux où la démarche initiatique tient
encore une place dans les projets éducatifs. C'est ce qui explique notre choix
de l'initiation traditionnelle lobi et l'éducation à la foi chrétienne. Si la
première se veut ethnique ou locale, la deuxième se prévaut d'un caractère
universel. Les deux, bien que relevant de registres différents, s'intéressent à
ce qui est humain et divin et dégagent des valeurs qui peuvent s'éclairer
mutuellement. C'est pourquoi les similitudes ne manqueront pas ; cependant,
lorsque nous nous en référons, ce n'est nullement dans un esprit de
concordisme, mais plutôt dans un souci de retrouver dans les expériences
humaines de l'immanent et du transcendant, ce qu'elles peuvent partager
quels que soient les contextes.
En conclusion, le vaste champ que recouvre l'initiation impose une
sélection qui s'est orientée vers les initiations traditionnelles africaines, en
particulier celle du pays lobi appelée joro. Les Lobi, peuple occupant le Sud-
ouest du Burkina Faso, le Nord-ouest du Ghana et le Nord-est de la Côte
d'Ivoire parviennent à garder la cohésion du groupe à travers les rites
initiatiques qui ont lieu tous les sept ans. Aujourd'hui, cette tradition se voit
confrontée aux réalités des mutations culturelles. Les discours chrétiens sont
partagés à son sujet. Les uns s'en méfient, les autres y voient un lieu de
dialogue pour un meilleur devenir chrétien.
La conciliation de ces positions semble difficile malgré les efforts
ethnographiques de décrire le phénomène comme étant un élément culturel
important à ne pas négliger. Dans certains cas, beaucoup de chrétiens lobi
interprètent consciemment ou inconsciemment les vérités de leur foi à l'aide
des représentations qui émanent de l'initiation. En outre, la société entière
comprend certaines activités chrétiennes en référence à ce qui se passe dans
les rites initiatiques. Malgré cela, le milieu protestant évangélique, se tient loin
des débats, et semble être inconscient de la place que peut avoir l'initiation
95
traditionnelle lobi dans le vécu des chrétiens. Il importe donc d'ouvrir le débat
dans ce milieu pour renouveler, si possible, la formation chrétienne. Pour
aborder ce sujet, il faudrait d'abord comprendre la réalité de l'initiation telle
que vécue par les chrétiens d'aujourd'hui, et celle que les données bibliques
permettent de saisir afin qu'elles s'éclairent par les fonctions et valeurs
qu'elles véhiculent.
Même si les protestants évangéliques n'usent pas du terme « initiation
chrétienne », rien n'interdit de le leur proposer. Pour ce faire, il s'avère
nécessaire de revoir les composantes actuelles de cette initiation à la lumière
du baptême de Jésus dans le Jourdain et des expériences des premiers
chrétiens par rapport au baptême dans le Saint Esprit. En outre, la réflexion
pourrait s'inspirer des pratiques traditionnelles africaines. C'est donc pour
préparer cette prise en compte que la présente recherche, au lieu d'opter pour
une approche anthropologique et doctrinale, s'est orientée vers une approche
pédagogique du joro. Cette option vise à mettre en évidence les éléments
pédagogiques endogènes et exogènes pouvant ouvrir de nouveaux horizons
dans la situation éducative. L'approche d'investigation qui nous a paru
appropriée pour atteindre cet objectif est la recherche qualitative. Le chapitre
cinq en fera le point, mais avant, il importe d'examiner les cadres théoriques
qu'implique le présent travail.
96
CHAPITRE III
DE LA CORRÉLATION AUX THÉOLOGIES CONTEXTUELLES
Dans le chapitre qui précède, nous avons proposé que les débats sur
l'initiation en milieu protestant évangélique soient menés sous l'angle de la
pédagogie. Cependant, ils devront prendre en considération les apports des
démarches initiatiques en éducation à la foi et en milieu traditionnel africain.
Comme nous l'avons dit plus haut, le champ de l'éducation à la foi
s'avère complexe, et les études menées jusqu'ici dénotent un caractère
multidisciplinaire. En plus de la théologie, l'éducation à la foi puise dans les
sciences de l'éducation201, les sciences de la communication202, la
psychologie203 et bien d'autres disciplines. Ces champs d'études offrent des
concepts utiles à l'élaboration d'un cadre opératoire pour l'analyse de
l'initiation. Les relations pédagogiques en sciences de l'éducation que nous
privilégions peuvent éclairer notre compréhension de la situation pédagogique
dans l'initiation. Il en est de même des rapports entre les agents de
communication, possibilité explorée par André Fossion. Quant à la
psychologie, ses théories sur le développement humain constituent des
espaces de mise en parallèle avec les rites de passage. Elle permet également
de comprendre le climat dans lequel les apprentissages sont effectués et
l'impact qu'il a sur la formation des personnes.
201 Ambroise BINZ et Sylviane SALZMANN, Documents d'andragogie, outils pour laformation et la catéchèse des adultes, Lausanne, CCRFP, 2000. Office de Catéchèse duQuébec, Dossiers d'andragogie religieuse, Ottawa, Novalis, 1981-1985, dix dossiers.202 André FOSSION, La catéchèse dans le champ de la communication : ses enjeux pourl'inculturation de la foi, Paris, Éditions du Cerf, collection «Cogitatio fidei», 1990.2 0 3 Cf. Paul-André GIGUÈRE, Une foi d'adulte, Ottawa, Novalis, 1991. J a m e s FOWLER,«Théologie et psychologie d a n s l 'étude du développement de la foi», d a n s Concilium n 176,1982 ; «Une introduction progressive à la foi», dans Concilium, n° 194, 1984 ; RaymondGIRARD, Éducation à la foi chrétienne et développement humain, Sainte-Foy, Presses del'Université du Québec, 1992.
97
À ce « monde hétérogène et complexe204 », viennent se greffer les
déterminants culturels, car son activité est située dans le temps et l'espace
humain205. Elle s'inscrit dans une dynamique des modèles de sociétés qui ont
ponctué l'histoire de l'humanité206 et des relations que l'Église a entretenues
avec les différents milieux sociaux. D'ailleurs, le choix que nous portons sur
l'initiation traduit un penchant anthropologique, qui, d'après Henri Bourgeois,
est « aujourd'hui le plus suggestif et le plus prometteur pour une théologie
catéchuménale207 ». Emilio Alberich et Ambroise Binz soutiennent aussi que le
terme « catéchuménat » désigne j'ustement l'initiation à la foi et à la vie
chrétienne208. Or, qui parle de catéchuménat se réfère entre autres à la
catéchèse qui implique des enjeux pédagogiques209.
Ces remarques indiquent que l'angle par lequel l'étude est abordée
oriente les choix des disciplines privilégiées ainsi que les penchants pour les
cadres théoriques. C'est pourquoi, le présent chapitre tente de préciser le
cadre théorique de ce travail à partir de la question suivante : quels sont les
enjeux théoriques des objectifs proposés dans le chapitre précédent ?
Cinq mots clés serviront à articuler les grands axes de ce chapitre. La
corrélation, l'inculturation (terme anthropologique, sociologique et
théologique210), la contextualisation, l'incarnation qui est une importante
204 Emilio ALBERICH et Ambroise BINZ, Adultes et catéchèse. Éléments de méthodologiecatéchétique de l'âge adulte, Ot tawa, Novalis, 2000 , p . 45 .205 Elisabeth GERMAIN, 2000 ans d'éducation de la foi, Paris, Desclée, 1983, 204 pp. ;Raymond BRODEUR et Jean-Paul ROULEAU, (dir.), Une Inconnue de l'histoire de laculture : la production des catéchismes en Amérique française, Sainte-Foy, Éditions A.Sigier, 1986, 480 pp. ; Gilles ROUTHIER, (sous dir.y L'éducation de la foi des adultes.L'expérience du Québec (Montréal : Médiaspaul, 1996) 381 pp.206 Elisabeth GERMAIN, Langages de la foi à travers l'histoire : mentalités et catéchèse,approche d'une étude des mentalités, Tours, Fayard-Marne, 1972, 241 pp.207 Henr i BOURGEOIS, Théologie catéchuménale, Par is , Éd i t ions d u Cerf, 1 9 9 1 , p . 120.208 Emilio ALBERICH e t Ambroise BINZ, op. cit. p . 50 .209 J a c q u e s AUDINET, « Problèmes de théologie p ra t ique », d a n s Adr ian M. VISSCHER,(dir.), Les études pastorales à l'université, perspectives, méthodes et praxis,O t t a w a / P a r i s / L o n d r e s , Les Presses de l'Université d 'Ottawa, 1990, p . 67 .210 Hervé CARRIER, Lexique de la culture pour l'analyse culturelle et l'inculturation,Tournai, Desclée, 1992, p. 195. L'auteur lie le terme inculturation à l'acculturation quiest un terme très connu chez les anthropologues. Aujourd'hui l'inculturation est un termedont se sert la théologie chrétienne pour désigner l'interaction entre l'Évangile et uneculture donnée.
98
doctrine chrétienne et l'interactionnisme sont développés en vue de répondre
à la question posée.
1. La méthode de la corrélation
La corrélation est ici perçue comme une « démarche théologique, où
sont mis en relation réciproque (quoique non symétrique) l'homme et
Dieu211. » Elle se présente comme une tension entre culture et foi ; vie et foi ;
vie et foi de l'Église ; expérience historique et révélation. Deux courants
marquent la théologie de la corrélation. Premièrement, le courant ontologique,
dont les tenants sont Paul Tillich et Karl Rahner, vise à mettre en relation
l'essence de l'homme et l'absolu. Pour ces deux théologiens, « l'homme est par
essence ouvert sur l'absolu : pour Tillich du fait des limites de l'homme aliéné
dans l'existence ; pour Rahner du fait de la capacité de l'homme à
s'appréhender lui-même. L'expérience de l'absolu est une réalité intérieure à
l'homme212. » Deuxièmement, le courant historique représenté par
Schillebeeckx ou Gisel, part de l'être historique de l'homme mis en relation
avec la révélation. Nous allons nous appuyer sur trois auteurs principaux
pour faire le tour de la question : Paul Tillich, Edward Schillebeeckx et Marc
Donzé. Ce choix repose sur le fait que les deux premiers ont posé les
fondements dont le troisième s'est servi pour construire une méthode dans le
cadre de la théologie pratique.
1. 1. La corrélation chez Paul Tillich
Guylaine Deschamps tente de retracer la méthode de corrélation dans
la Dogmatique de Tillich dans le but d'apporter un éclairage sur son origine213.
211 Marc DONZÉ, «Théologie pratique et méthode de corrélation», dans Adrian M.VISSCHER, (éd.) Les études pastorales à l'université, perspectives, méthodes et praxis,Ottawa/Paris/Londres, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 1990, p. 86.212 Marc DONZÉ, « a r t . cit. », p . 8 7 .213 Guylaine DESCHAMPS, «La méthode de corrélation dans la Dogmatique de PaulTillich, 1925» dans Jean RICHARD, André GOUNELLE et Robert P. SCHARLEMANN,(dir.), Études sur la Dogmatique (1925) de Paul Tillich, Québec/Paris, Les Presses del'Université Laval/Les Éditions du Cerf, 1999.
99
Son point de départ est l'ouvrage de John Paul Clayton, The Concept of
Corrélation. Paul Tillich and The Possibility of a Mediating Theology, (1980). Ce
dernier cherche à remonter à l'origine de la méthode de corrélation, ainsi que
son développement dans l'œuvre de Tillich, en « portant une attention
particulière au modèle question /réponse214 » tels qu'articulés dans sa
Théologie systématique. Dans son effort pour concilier la culture et le message
chrétien, Tillich propose la dialectique question/réponse ; le pôle de la
question étant celui de la situation à laquelle le message chrétien devrait
apporter une réponse215.
En fait, il partirait d'une critique de la théologie dialectique de Barth
dans deux textes intitulés : «What is Wrong with the "Dialectic" Theology» et
«Natural and Revealed Religion». De là, il relève que la théologie dialectique de
Barth est fausse du fait qu'elle sépare le Oui et le Non, l'humain et le divin.
Ainsi, propose-t-il une théologie dialectique qui va relier les questions et les
réponses. Cela pourrait être considéré comme les premiers pas d'une méthode
de corrélation qu'en 1947 dans « The Problem of Theological Method » il définit
comme suit :
La méthode de corrélation est spécifiquement la méthode dela théologie apologétique. Question et réponse doivent être mises encorrélation d'une telle façon que le symbole religieux soit interprétécomme la réponse adéquate à la question implicite à l'existencehumaine [...]. La forme des questions [...] est décisive pour la formethéologique dans laquelle la réponse est donnée. Et inversement, lasubstance de la question est déterminée par la substance de laréponse. Personne ne peut poser une question concernant Dieu, larévélation, le Christ, etc., sans avoir préalablement reçu uneréponse216.
« « Ibid., p . 4 2 .215 p o u r la m é t h o d e de corré la t ion de Tillich, on c o n s u l t e r a avec profit L. RACINE,L'Évangile selon Paul Tillich, Par is , Édi t ions d u Cerf, 1970, p . 7 7 - 1 2 5 a ins i q u e le Mémoirede Guyla ine DESCHAMPS, «Aux origine de la mé thode de corré la t ion d a n s la Dogmatique(1925) de Paul Tillich », Mémoire d e Maîtr ise p ré sen té à l 'Université Laval, Québec , 1995,124 p p . Voir éga lemen t la thèse d e Ikonga WETSHAY, « Crise sociale et v a l e u r s africaines.Pour un apport de l'œuvre de Paul Tillich à la théologie africaine de reconstructionsociale », 2 volumes, Université Laval, Québec, 1999.216 J o h n Pau l CLAYTON, The Concept of Corrélation. Paul Tillich and the Possibility ofMediating Theology, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1980, p. 169, cité par Guylaine
100
Ce philosophe et théologien « a toujours essayé de concilier la foi et la
culture, la civilisation et la religion217 ». L'ubiquité de la théologie dans tous
les domaines de la connaissance est un aspect déterminant de sa réflexion.
C'est pourquoi, dans La dimension religieuse de la culture, il émet « l'idée
d'une théologie de la culture ». Dans cet écrit, il aborde la relation entre la
théologie et la culture comme un rapport corrélatif. Pour lui, même si la
culture peut s'exprimer indépendamment de la religion et vice versa, cette
dernière demeure cependant la « substance de toute culture218 ». Trois états
caractérisent le rapport entre elles :
• l'état dtiétéronomie où la religion s'est imposée comme l'instance de
contrôle des fonctions de la culture ;
• l'état d'autonomie dans lequel les fonctions de la culture
s'émancipent de la religion à partir de leurs formes ;
• l'état de théonomie où la religion s'actualise dans chaque région de
la culture en donnant un contenu à leurs formes.
Cette perspective théonome est un maillon important dans le système
théologique de Tillich219, et se définit comme l'irruption de l'inconditionné
dans le fini, la réalité absolue dans le relatif, le sacré dans le profane. Il existe
pour ainsi dire une corrélation entre culture et religion étant donné que
« dans chaque province de la vie de l'esprit, il y a [...] un périmètre particulier,
une sphère particulière dans laquelle s'exprime l'influence du religieux220 ».
Il s'ensuit une triple tâche qui consiste en une analyse générale de la
culture, une typologie et une philosophie historique religieuses de la culture.
Pour illustrer cela, l'auteur donne des exemples concrets à partir desquels il
DESCHAMPS, «Aux origine de la méthode de corrélation d a n s la Dogmatique (1925) dePau l Tillich » Mémoire de Maîtrise p résen té à l 'Université Laval, Québec , 1995, p . 6.217 J ean -Lou i s KLEIN, « Tillich » d a n s Encyclopedia Universalis, Dictionnaire desphilosophes, Par is , Encyclopedia Universalis, 1998, p . 1501-1502.218 J ean -Lou i s KLEIN, op. cit., p . 1503.219 Félix-Alexandro PASTOR, « Tillich, Paul » d a n s Dictionnaire de théologie fondamentale,Latourelle e t Rino Fisichella René (dir.), Montréal, Édit ions Bellarmin, 1992, p . 1426.220 Paul TILLICH, La dimension religieuse de la culture. Écrits du premier enseignement(1910-1926), traduit de l'allemand par une équipe de l'Université Laval,Paris/Genève/Québec, Éditions du Cerf/ Labor et Fides/Presses de l'Université Laval,1990, p. 35.
101
interprète les implications religieuses sous-jacentes à différents champs de la
production scientifique. Il y ressort de façon évidente le fil conducteur de la
réflexion de Tillich caractérisé par le rapport d'interdépendance qu'il exprime
en ces termes : « [...] l'un ne peut pas exister sans l'autre ; une forme qui ne
forme rien est aussi inconcevable qu'un contenu qui ne tient pas dans une
forme221 ». Si Tillich a le mérite d'avoir proposé la méthode de la corrélation,
d'autres l'ont développée à partir d'une perspective historique. C'est le cas de
Schillebeckx.
1. 2. La corrélation chez Edward Schillebeeckx
Schillebeeckx cherche à comprendre comment le salut en Jésus-Christ
est vécu dans l'histoire des hommes. Pour lui, « le milieu vital ou la matrice
dans lesquels la foi chrétienne se développe n'est pas seulement l'Église, mais
aussi - et en même temps - l'expérience humaine quotidienne que nous
faisons du monde, ces deux expériences étant constitutivement rapportées
l'une à l'autre dans une corrélation critique réciproque222 ». Schillebeeckx met
l'accent sur l'expérience comme point de départ du christianisme. Elle
concerne la rencontre d'hommes avec Jésus. Il relève que « l'acception
biblique du salut ne peut être parlante pour nous directement, sans
médiations. Précisément parce qu'il s'agit d'expérience, les auteurs expriment
ce salut dans les concepts qui étaient ceux de leur environnement et de leur
milieu, en fonction de leur propre manière de poser les questions - bref, en
référence à ce qui était leur champ d'expérience à eux223. » Au lieu de
s'accrocher aux données interprétatives du passé, les chrétiens feront mieux
de traduire l'expérience avec Jésus dans les mots qui sont appropriés
aujourd'hui, à partir de leurs expériences.
Schillebeeckx parle de nommer Jésus à notre tour de manière à ce que
l'expérience du salut en Jésus soit constamment renouvelée au sein d'une
221 ibid. p . 37 .222 Edward SCHILLEBEECKX, Expérience humaine et foi en Jésus Christ, Paris, Éditionsdu Cerf, 1981, p. 43.223 Md., p. 46.
102
tradition qui se veut tradition vivante. « Ce qui fut pour d'autres, hier,
expérience est maintenant pour nous tradition ; et ce qui, aujourd'hui, est
pour nous expérience sera à son tour tradition pour d'autres demain. Mais ce
qui a été une fois expérience ne peut être transmis que dans des expériences
renouvelées ; du moins si l'on a affaire à une tradition vivante224. » Ce dont il
s'agit, dit-il, « c'est plutôt d'établir une corrélation critique recherchant
l'accord et la convergence entre : d'une part notre foi et notre agir ici et
aujourd'hui dans le cadre de notre sphère d'existence propre, et d'autre part
ce qui est rapporté dans la tradition biblique225. » Cette corrélation exige :
• une analyse du monde de notre expérience aujourd'hui ;
• une mise à jour des structures constantes de l'expérience chrétienne
fondamentale dont parlent le Nouveau Testament et la tradition
d'expérience chrétienne postérieure ;
• la mise en relation, sur un mode critique, des deux sources.
Pour lui, ce sont les éléments bibliques qui devraient structurer les
expériences actuelles des chrétiens. Structurer chrétiennement le monde de
notre expérience actuelle revient à expliciter premièrement l'expérience que
nous faisons du monde. Car aujourd'hui, les religions ne sont plus les seules
à proposer le salut, il existe d'autres instances qui en font l'objet de leurs
préoccupations. Deuxièmement, il convient de voir quelle contribution
particulière le christianisme peut apporter à ces efforts de proposer le salut. Il
s'agira de s'ouvrir et d'intégrer, de manière critique, les nouvelles
expériences226. Il serait question de percevoir la parenté étroite entre d'une
part les paroles et les actes de Jésus, sa vie et sa mort et, d'autre part, notre
propre expérience. La vie et la mort de Jésus viennent éclairer notre propre
vécu afin que nous puissions, de façon critique, discerner les véritables
possibilités humaines qui émergent de notre vie. « Ainsi le christianisme se
présente-t-il comme l'intégration de l'humain dans et par une expérience de
ressourcement : cette expérience dans laquelle, en confrontation avec
224 ibid., p. 50.™ Ibid., p. 51.226 ibid., p. 57.
103
l'homme Jésus, on relie le monde, le « nous » humain et son propre moi, au
Fondement absolu, le Dieu vivant qui est notre salut227. » Deux dimensions
s'imposent dans la foi chrétienne. Cette foi se veut d'abord confessante de
l'agir de Dieu ratifiant la manière de vivre de Jésus. Ensuite, elle réclame une
pratique conforme au Règne de Dieu qui implique la marche sur les traces de
Jésus, le risque d'être opprimé et mis à l'écart par ce monde, et l'accueil
réservé à ceux qui marchent sur les traces de Jésus.
L'approche de Schillebeeckx est beaucoup plus axiologique que celle de
Tillich qui vise les conditions d'être. Pendant que le deuxième s'attache à une
philosophie religieuse pour démontrer comment la culture doit son existence
à la religion, le premier s'intéresse à la théologie chrétienne, et en particulier à
la pratique. Les deux se rejoignent cependant par le fait qu'ils proposent une
interaction entre l'anthropologie et la théologie. Cette interaction occupe une
grande place dans notre démarche, mais avant d'en examiner les implications,
il importe d'abord de saisir la manière d'appliquer la corrélation à une étude
théologique.
1.3. Démarche pour une approche de corrélation
Donzé résume l'approche de Schillebeeckx en ces termes :
« L'expérience chrétienne est une relecture de l'expérience religieuse de la
communauté à laquelle on se réfère, elle est "expérience d'expériences", c'est-
à-dire réflexions sur des expériences religieuses les transformant en nouvelles
expériences228. » Se situant dans ce courant, Donzé définit la méthode de
corrélation « comme une interaction constante entre les requêtes du temps
présent, les pratiques du peuple chrétien et les références fondatrices229 ».
Pour l'application de la démarche, il propose cinq phases230.
227 Ibid., p . 6 0 .22s Marc DONZÉ, « a r t . cit. », p . 8 9 .229 Marc DONZÉ, « La théologie p r a t i q u e e n t r e corré la t ion e t p r o p h é t i e », d a n s S. AMSLER,K. BLASER, P. BONNARD, et. al, Pratique et théologie, Genève , Labor e t Fides , 1989, p .185.230 Ibid. p . 187-190 . cf. éga lement s a c o m m u n i c a t i o n d a n s M. VISSCHER, (éd.) op. cit.,1990, p. 94-99.
104
• La phase préliminaire consiste à partir d'une pratique de l'Église qui
pose problème, à déterminer un aspect spécifique de ce problème à
travers une question précise, des objectifs à atteindre, et ce, à partir
d'un champ spécifique de l'agir de l'Église. Cette phase débouche sur
les hypothèses, solutions provisoires à soumettre à la vérification.
• La deuxième phase est celle de l'analyse qui fait appel à l'apport des
sciences humaines pour la saisie du problème dans une approche
critique.
• La troisième phase est celle de la corrélation qui permet de
confronter de façon critique des situations semblables ou parallèles.
Ici, l'auteur fait appel à la notion dtiomologie structurale de Gisel231.
Cette homologie met en rapport les données de la Bible et le contexte
historique qui les porte, qu'il convient de mettre en parallèle avec les
interprétations actuelles portées elles aussi par nos contextes
d'aujourd'hui. Le recours à l'exégèse, à l'histoire et à la dogmatique
s'avère nécessaire à cette étape.
• La quatrième phase est l'étape du projet qui consiste à proposer une
pratique renouvelée à travers les données scientifiquement réfléchies
pour permettre aux instances concernées, d'avoir des éléments
fiables pouvant contribuer à des prises de décision.
La méthode de corrélation telle que proposée par Donzé met en évidence
des interactions entre les textes bibliques, le contexte qui a porté sa
production et le message biblique interprété aujourd'hui dans le contexte
actuel.
231 pierre GISEL, Vérité et histoire. La théologie dans la modernité. Ernst Kâsemann,Paris/Genève, Éditions Beauchesne/Labor et Fides, Collection, Théologie historique,1977, p. 273s et 603s, cité par Marc DONZÉ, « art. cit. », 1989, p. 189.
105
2. Théologies contextuelles
L'approche corrélative nous place d'une part, devant deux contextes
socioculturels, celui de la Bible et le nôtre ; d'autre part, elle présente le texte
biblique ainsi que les différentes compréhensions historiques qui en découlent
et son message qu'il est possible d'appliquer dans les situations d'aujourd'hui.
Comprise de cette façon, la méthode de la corrélation a des affinités avec
l'inculturation ou la contextualisation.
2. 1. L'inculturation
L'inculturation se présente comme une démarche de grande portée
pour la théologie africaine. J. Masson serait le premier à façonner l'expression
« catholicisme inculture » en 1962, expression qui deviendra courante parmi
les jésuites sous la forme d'inculturation232. Hervé Carrier fait remonter
l'usage de ce terme parmi les catholiques vers 1930, mais selon lui, « c'est
seulement à partir des années 70 que les textes officiels de l'Église
l'emploient233 ». Dans sa forme vulgarisée en rapport avec le contexte de
l'Afrique, l'inculturation peut être rattachée au mot d'ordre de la négritude
lancé par Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire en 1934. En effet, la
négritude favorisera la prise de conscience de jeunes prêtres étudiant en
Europe, Vincent Mulago, Meinrad Hebga, Alexis Kagamé, Engelbert Mveng.
Dès 1956, ceux-ci publieront un ouvrage, Des prêtres noirs s'interrogent, qui
initiera les premiers essais des modèles de la théologie africaine, précurseurs
de l'inculturation en Afrique. Dans les milieux catholiques, l'inculturation
constitue un modèle important pour l'action missionnaire étrangère et locale.
Elle recouvre cependant des acceptions différentes selon les aires
géographiques.
232 David BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne, Histoire des modèlesmissionnaires, Lomé/ Par is /Genève , Haho /Kar tha l a /Labo r et Fides, 1995, p . 599.233 Hervé CARRIER, Lexique de la culture pour l'analyse culturelle & l'inculturation,Tournai-Louvain-la-Neuve, Desclée, 1992, p. 196. Pour plus d'informations surl'introduction du terme dans l'Église, se référer à Raymond JOLY, « Inculturation et vie defoi », dans Spiritus, Tome XXVI, n° 98, 1985, p. 3-5.
106
Kweshi Bimwenyi relève, qu'en Afrique, le problème de l'inculturation se
pose différemment qu'en Europe. Pour lui, « en Afrique inculturation signifie
une démarche qui permettrait au message de Jésus-Christ d'être, enfin,
réellement accueilli par l'Africain - en quête - de plénitude ; un Africain bien
situé dans son univers socio-culturel propre, et non plus un déplacé, un
arraché à son propre milieu234. » L'accent porte sur une démarche à suivre
pour une appropriation du message évangélique sans pour autant renier les
valeurs culturelles de celui qui accueille l'Évangile. Ailleurs, l'inculturation est
perçue comme un produit de la rencontre de l'Évangile avec les cultures. Pour
Pedro Arrupe, elle se définit comme :
[...] l'incarnation de la vie et du message chrétiens dans une aireculturelle concrète, en sorte que non seulement cette expériences'exprime avec les éléments propres à la culture en question (ce neserait qu'une adaptation superficielle), mais encore que cetteexpérience se transforme en un principe d'inspiration, à la foisnorme et force d'unification, qui transforme et recrée cette culture,étant ainsi à l'origine d'une « nouvelle création »235.
Cela pourrait être représenté par l'image biblique de la semence où, le
message chrétien, grandissant de l'intérieur d'une culture, signifie à la fois sa
mort et sa résurrection. David Bosch remarque qu'il n'est vraiment pas
question de « l'expansion de l'Église mais de l'Église naissant à nouveau dans
chaque nouveau contexte et chaque nouvelle culture236 ». Pour lui,
« l'inculturation présuppose un double mouvement, à savoir à la fois
l'inculturation du christianisme et la christianisation de la culture. » C'est
aussi l'opinion de Hervé Carrier qui souligne qu'il « s'agit spécifiquement de
l'interaction du Message du Christ et d'une culture donnée237 ». Ce point de
234 O. Kweshi BIMWENYI, « Incul tura t ion en Afrique e t a t t i t ude des agen t s del'évangélisation » d a n s Cahier des religions africaines, vol. 14, n° 2 7 - 2 8 , 1980, p. 4 7 .235 J ean-Yves CALVEZ, Pedro Arrupe, Écrits pour évangéliser, Par i s , Desclée d e Brouwer ,1985, p. 169.236 David BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne, Paris/Lomé/Genève,Karthala/Haho/Labor et Fides, 1995, p. 608.237 Hervé CARRIER, Lexique de la culture pour l'analyse culturelle & l'inculturation,Tournai-Louvain-la-Neuve, Desclée, 1992, p. 195-196.
107
vue est aussi celle de la Commission Théologique Internationale qui dans La
Foi et l'Inculturation, n° 11 la définit comme
l'effort de l'Église pour faire pénétrer le message du Christ dans unmilieu socio-culturel donné, appelant celui-ci à croître selon toutesses valeurs propres, dès lors que celles-ci sont conciliables avecl'Évangile. Le terme inculturation inclut l'idée de croissance,d'enrichissement mutuel des personnes et des groupes, du fait de larencontre de l'Évangile avec un milieu social. L'inculturation estl'incarnation de l'Évangile dans les cultures autochtones et, enmême temps, l'introduction de ces cultures dans la vie de l'Église238.
Un rapport trilogique entre l'Évangile, l'Église et les cultures se dégage
de ces différentes définitions. L'Église se pose comme médiation, car c'est par
elle que la culture entre en symbiose avec l'Évangile, d'autant plus que la
mission qui lui est assignée est celle de faire de toutes les eGvri, (nations,
peuples, ethnies...) des disciples (Matthieu 28, 19). Ce programme qui lui est
confié ne concerne pas des individus anhistoriques, mais des personnes en
devenir social en tension entre socialisation et individualisation. C'est
pourquoi celles-ci s'inscrivent dans une culture qui les construit et qu'à leur
tour elles construisent. Ce qui est engagé dans cette construction mutuelle est
rendu possible à travers les institutions qui se créent et se recréent. Parmi
celles-ci se trouve l'Église, caractérisée par une réalité eschatologique. Trace
de la réalité du Christ dans chaque ethnie, elle est une entité en devenir ;
mais ce devenir dépend de l'appropriation du message dont elle est porteuse.
Cette appropriation entraine la métanoia, qui avec l'inculturation quitte
désormais le domaine purement subjectif pour viser la conversion des
cultures. C'est bien d'une conversion de la culture dont il s'agit, puisque
Carrier souligne que le but de l'inculturation est l'évangélisation de la
culture239.
Que l'inculturation soit prise dans le sens d'une démarche ou d'un
produit de la rencontre de l'Évangile avec une culture donnée, il demeure
certaines difficultés à élucider. Tout d'abord, David Bosch relève à juste titre
238 Cité p a r Hervé CARRIER, op. cit., p . 196.239 Ibid., p . 199 .
108
que « lïnculturation ne peut jamais être un fait accompli. On ne peut jamais
user du terme "inculture"240. » II explique cela par les mutations des cultures
et l'aspect dynamique de l'Église. Pour ce qui est des mutations des cultures,
l'histoire elle-même lui donne raison. L'Afrique des empires noirs n'est plus
celle de la colonisation, ni celle de l'euphorie des premiers jours des
indépendances et encore moins celle du troisième millénaire. Elle a changé et
continuera de changer. Partant, aucune culture n'est statique tant qu'elle est
sujette aux inscriptions des représentations des sujets qu'elle allaite et qui la
nourrissent. Dès lors, toute inculturation — si inculturation il y a — n'est que
momentanée et éphémère. Car à chaque fois qu'un changement s'opère, des
ajustements ou mieux des réajustements sont à refaire. Si l'inculturation est
comprise dans un sens dynamique, comme un processus, cela nous paraît
tout à fait indiqué, car c'est le propre même de la vie et de l'expérience
humaine.
Si elle est comprise comme un processus inchoatif, la difficulté est
levée ; mais si elle est considérée comme un produit fini, une conséquence,
une finalité, alors le problème demeure. Tout d'abord, la mission chrétienne
ne consiste pas en une conversion de la culture, mais en la conversion
d'individus vivant dans une culture dont ils peuvent se servir pour mieux
s'approprier l'évangile et le communiquer. C'est une utopie que de vouloir
convertir une culture, car dans une société donnée, il y a des sous-cultures.
Et s'attaquer à une sous-culture ou à des éléments particuliers d'une culture
ne signifie pas nécessairement une conversion de la culture. La métanoia
biblique concerne une totalité et implique une décision ou une confirmation.
S'il y a une conversion de la culture, cela passe nécessairement par celle des
individus capables d'inscrire les éléments de leur identité nouvelle dans les
sous-cultures auxquelles ils appartiennent.
Enfin, si l'inculturation implique une interaction entre la culture et le
message qu'annonce l'Église, n'y aurait-il pas altération de ce message
quelque part ? Lorsque le message biblique est proclamé dans un contexte, il
240 David BOSH, op. cit. p. 610.
109
entre en relation avec une culture et il s'opère ipso facto un mouvement
herméneutique, car toute lecture est acte d'interprétation ou mieux
représentation, ou même altération. C'est pourquoi, la réalité de l'Évangile
saisie dans l'expérience humaine, constituant des traces de la Parole, se
trouve en constant mouvement de discontinuité et de continuité. Or, pour une
certaine approche d'inculturation, l'interaction dont il est question semble
unilatérale. C'est l'Église et son environnement qui doivent être affectés par le
message de l'Évangile, puisqu'on parle de conversion de la culture.
Cependant, l'expérience montre que non seulement le message biblique
transforme l'environnement et l'Église, que cet environnement transforme
l'Église, mais qu'aussi l'Église et l'environnement peuvent transformer le
message ou le déformer à travers les interprétations et les pratiques. Les
principes de communication nous enseignent que le message passe toujours
par des filtres au niveau du récepteur. Les différents conciles et les réformes
au cours de l'histoire de l'Église constituent des indicateurs de continuité et
de discontinuité qui montrent les ruptures ou les différents déplacements
herméneutiques que connaît le message biblique.
Ces déplacements relèvent justement de la dynamique même qui
caractérise les interactions entre le message biblique et le milieu qui
l'accueille. Ainsi, l'environnement socioculturel et l'Église altèrent un tant soit
peu le message prêché. Ce message est comme cette semence qui, jetée dans
la terre du cosmos, meurt pour pousser et porter des fruits, signes de vitalité
dont l'Église traduit la réalité (Jean 12, 24). Avec l'inculturation, le milieu qui
accueille le message est mis à contribution ; ce projet est également au cœur
de la contextualisation qui est souvent confondue à l'inculturation.
2. 2. La contextualisation
Lorsque nous traitons de l'inculturation, il convient de relever que
même si elle est admise dans les milieux protestants, son origine est surtout
110
catholique241. C'est pourquoi il convient de voir dans quel sens elle pourrait
être acceptée ou adoptée en milieu évangélique. Citant Justin Ukpong, David
Bosch avance que l'inculturation constituerait un second modèle de la
théologie contextualisante242. L'inculturation et les théologies révolutionnaires
comme la théologie de la libération seraient les modèles de la
contextualisation, qui en serait le paradigme. Il en ressort une dépendance et
même une certaine confusion comme le remarque Jean-François Zorn243.
Valeer Neckebrouck, par exemple, ne semble pas voir une différence entre
inculturation et contextualisation244. Son chapitre qui traite de la
contextualisation pourrait être intitulé « inculturation ». Il écrit que c'est dans
« l'intention de ne pas esquiver dans la réalisation du projet d'inculturation, la
réalité de la mutation des structures et des mentalités, que certains
théologiens et missiologues en sont venus à préférer aux termes d'adaptation
et d'incarnation celui de la contextualisation245. » Justin S. Ukpong va dans le
même sens, quand il part du préalable que la contextualisation de la théologie
constitue le cadre porteur de la théologie de l'inculturation, de la théologie
noire et de la théologie africaine de la libération246. Nous retrouvons le même
écho chez Klauspeter Blaser pour qui l'inculturation et la libération font partie
du projet de la contextualisation247.
Le caractère englobant de la contextualisation ne pose aucun problème
ici. Ce qui suscite des interrogations est surtout cette tendance au
nivellement de deux approches venant de deux sources différentes. Une prise
en compte de ces sources contribuerait à créer « les conditions véritables d'un
241 David BOSCH, op. cit., p . 5 9 9 .242 Ibid., cf. éga lement J u s t i n UKPONG, « Wha t is Contex tua l iza t ion ? » d a n s NeueZeitschrift fur Missionswissenschaft, vol. 43, 1987, p. 161-168.243 J e a n - F r a n ç o i s ZORN, « La contextual isa t ion : u n concept théologique ? », d a n s Revued'histoire et de philosophie religieuses, vol. 77 , 1997, p . 173 .244 Valeer NECKEBROUCK, « La tierce église devant le problème de la cu l tu re », d a n sNouvelle revue de science missionnaire, vol. XXVI supp lémen t , p . 9 -164 . cf. en part icul ierles pages 63-74.245 Ibid., p . 6 8 , 7 5 .246 J u s t i n S. UKPONG, « C u r r e n t Theology. The Emergence of African Théologies », d a n sTheological Studies n ° 4 5 , 1984, p . 5 0 1 .247 Klauspe te r BLASER, La théologie au XXe siècle, Histoire-défis-enjeux, L a u s a n n e ,Édi t ions l'Age d 'Homme, 1995 , p . 2 5 2 , 2 6 0 .
1 1 1
dialogue interconfessionnel et inter-théologique248 ». C'est pourquoi, Zorn,
partant de la distinction tillichienne de « principe protestant » et de
« substance catholique », soutient que la contextualisation serait d'origine
protestante et l'inculturation d'origine catholique. Bosch reconnaît sans
ambages l'origine catholique de l'inculturation, mais quant à l'origine
protestante de la contextualisation, nous l'avons trouvé assez vague. Il est vrai
qu'il écrit que Friedrich Schleiermacher est « le premier à dire que toute
théologie est influencée, sinon déterminée, par le contexte dans lequel elle
s'est développée249 », mais cela n'établit pas clairement l'origine protestante de
la contextualisation telle que nous la vivons aujourd'hui.
Cependant, Bosch relève un fait que d'autres reconnaissent aussi, la
place qu'ont jouée les théologies du Tiers Monde dans la percée décisive de ce
paradigme250. C'est surtout dans les années 1970 que le néologisme
« contextualisation » va apparaître, et ce, au cours d'une assemblée générale
du Fonds pour l'Enseignement Théologique en 1972251. L'avènement de ce
terme va marquer un déplacement que d'aucuns qualifient de rupture
épistémologique, surtout dans les Églises du Tiers Monde252. Dans une
rencontre à Dar-es-Salam, l'Association Œcuménique des Théologiens du
Tiers Monde d'un ton virulent déclare :
Les théologies d'Europe et d'Amérique du Nord sont encoredominantes dans nos Églises ; elles représentent une forme dedomination culturelle [...]. Nous rejetons comme insignifiant un typeacadémique de théologie séparée de l'action. Nous sommes prêtspour une rupture épistémologique radicale qui fasse de l'engagementle premier acte théologique253.
248 J e a n - F r a n ç o i s ZORN, « a r t . cit. », p . 1 8 1 , 176.249 David BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne, Lomé/ Paris/ Genève,Haho/Karthala/Labor et Fides, p. 567.«o Ibid., p. 568.251 Jean-François ZORN, « La contextualisation : un concept théologique ? », dans Revued'histoire et de philosophie religieuses, vol. 77, 1997, p. 173. Cf. également David BOSCH,op. cit., p. 565 ; Stephen B. BEVANS, Models of Contextual Theology, Maryknoll, OrbisBooks, 1992, p. 21.252 David BOSCH, op. cit., p . 5 6 8 .253 Du conformisme à l'indépendance. Le Colloque de Dar-es-Salam, Paris, Harmattan,1977, p. 255, cité par Klauspeter BLASER, op. cit., 1995, p. 255.
112
Ce ton, peut-être choquant pour qui n'a pas vécu le contexte des
participants à ce colloque, traduit l'esprit dans lequel la contextualisation a
émergé dans les milieux des Églises du Tiers Monde. Un certain impérialisme
théologique de la part des missionnaires occidentaux a frustré les Églises
d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique. Cet impérialisme touche, et au
sentiment de supériorité des missionnaires, et à la production théologique, et
à toute la vie pratique des Églises. En Afrique, tous ces aspects sont reliés,
car le missionnaire occidental témoin des avancées technologiques,
industrielles et intellectuelles de son pays se trouve souvent pris au piège, et
certains, moins que d'autres, ont été piégés par l'esprit de supériorité. C'est à
juste titre, qu'Eugène Nida remarque que « le mot missionnaire implique, aux
yeux de beaucoup, une relation irritante de supérieur à inférieur254. » Cette
supériorité s'est manifestée dans l'imposition plus ou moins subtile des
théologies élaborées en Occident et considérées comme vérités objectives et
universelles que les chrétiens des autres parties du monde doivent accepter et
mettre en application. Qu'un depositum fidei soit inséparable de la vie
chrétienne est compréhensible, mais considérer cela comme statique et
définissable que par le missionnaire occidental est discutable. La foi est
dynamique, elle est loin de la lettre qui sans esprit est morte ; elle est
également situationnelle, d'où contextuelle et contextualisable et ce, dans un
esprit d'humilité.
C'est pourquoi la contextualisation est considérée comme « un
processus dynamique, et non un processus statique [sic]. Elle constate que
toute situation humaine évolue sans arrêt et elle reconnaît la possibilité d'un
vrai changement ; en cela, elle ouvre le chemin pour l'avenir255. » Cette
perception prend en compte l'aspect évolutif de tout contexte sur le plan
social, culturel, politique et économique. Stephen B. Bevans rapporte :
254 Eugène A. NIDA, Coutumes et cultures. Anthropologie pour mission chrétienne, Traduitde l'anglais par Edouard Somerville, 5è édition, Annemasse/Bruxelles/Neuchâtel ,Éditions des Groupes Missionnaires, 1978, p. 269.255 Theological Education Fund, Ministry in Context. The Third Mandate Programme of theTEF, Bromley, New Life Press, 1972, p. 19-20, cité dans Klauspeter BLASER, Repèrespour la mission chrétienne. Cinq siècles de tradition missionnaire. Perspectivesoecuméniques, Paris, Editions du Cerf/Labor et Fides, 2000, p. 134-135.
113
[...] indigenization focused on the purely cultural dimension ofhuman expérience, while contextualization broadens theunderstanding of culture to include social, political, and économiequestions. In this way, culture is understood in more dynamic,flexible ways and is seen not as closed and self-contained, but asopen and able to be enriched by encounter with other cultures andmovements256.
Pour Stephen B. Bevans, le terme contextualisation est préférable à
l'indigénisation et à l'inculturation du fait qu'il traduit une compréhension
large et dynamique de la culture et tient compte des mutations. Zorn prend
aussi la même option quand il écrit : « [...] pour des raisons tant
méthodologiques que théologiques, je préfère utiliser le terme de
contextualisation, plus ouvert et plus critique que celui d'inculturation et
assumant mieux que lui la tension entre réalité du monde et expression de la
foi257. » Comprise sous cet angle, la contextualisation sera pour la théologie
évangélique un véritable paradigme. Si son origine protestante est bien
établie, les évangéliques préféreront ce terme à l'inculturation. Dans le
premier chapitre, nous avions expliqué les réticences de ce courant quant à la
culture. Il prône une discontinuité entre le monde et la foi chrétienne, et
comme la contextualisation exprime cela et permet de maintenir la tension
entre l'évangile et le contexte qui l'accueille, il n'est pas étonnant que ce terme
circule dans les milieux évangéliques.
En 1978, le groupe d'Éducation et de Théologie du Comité de Lausanne
organise une consultation à Willowbank aux Bermudes sur les rapports entre
l'Évangile et la culture. Le sous-titre de la consultation était :
« Contextualisation de la Parole et de l'Église en situation missionnaire258 ».
Deux aspects ressortent du rapport, la communication de la Parole et la
fondation des Églises. Pour ce qui concerne la Parole, le rapport parle
256 S t e p h e n B. BEVANS, Models ofContextual Theology, Maryknol l , Orb is Books , 1992, p .22.257 J e a n - F r a n ç o i s ZORN, « ar t . cit. », p . 183.258 La culture au risque de l'évangile. Rapport de Willowbank, Lausanne, Presses BibliquesUniversitaires, 1978, p. 47.
114
d'approche contextuelle qui vise la corrélation entre le contexte culturel des
lecteurs et celui des textes bibliques259. Le rapport dit :
Le lecteur ne peut pas et ne doit pas interroger les Écritures commes'il se trouvait en vase clos. Dans son approche, il doit être conscientde son arrière-plan culturel, de sa situation personnelle et de saresponsabilité envers les autres. Ce sont ces facteurs quidétermineront sa manière d'interroger les Écritures. À leur tour, lestextes bibliques ne se borneront pas à lui donner des réponses. Ilsl'interpelleront, révéleront ses présupposés culturels et corrigerontsa manière de formuler ses questions. Il sera aussi pris dans unprocessus d'interaction260.
Cette approche herméneutique prend en considération le texte biblique
et le contexte. C'est la même démarche qui se déploie dans la fondation des
Églises. Elle cherche non pas à imposer un modèle étranger, mais à ouvrir les
possibilités d'échanges pour que soient édifiées des communautés enracinées
dans la Bible et dans leurs propres réalités locales. Cette approche emprunte
sa méthode d'une théorie de la traduction basée sur « l'équivalence
dynamique ». Cette théorie « cherche à rendre pour le lecteur contemporain le
sens équivalent à celui que pouvaient saisir les destinataires originels d'un
texte261 ». Ainsi, elle permet « d'édifier une Église [sic] qui, dans sa culture,
correspondra à une bonne traduction de la Bible, grâce à la connaissance et à
l'utilisation des formes culturelles appropriées262 ». La perception de
Willowbank est reprise par Tite Tiénou dans son livre, Tâche théologique de
l'Église en Afrique263.
Malgré les propositions de la consultation, Tiénou ressent les
hésitations voire l'opposition de ses pairs quant à l'approche contextuelle.
Ainsi écrit-il :
259 Ibid., p . 2 2 .2«> Ibid., p . 2 3 .261 Rapport de Willowbank, p . 4 8 .262 Ibid., p . 4 8 - 4 9 .263 Tite TIÉNOU, Tâche théologique de l'Église en Afrique, Abidjan, Cen t r e de Publ ica t ionsÉvangél iques , 2 è m e impres s ion , 1986, 5 6 p p .
115
Une approche contextuelle, que nous aimions ce terme ou non, estnécessaire et elle a en fait toujours été appliquée (plus ou moinsconsciemment et énergiquement) dans la théologie chrétienne. Ils'agit de savoir comment empêcher la contextualisation de tomberdans l'hérésie. Une bonne approche contextuelle prend au sérieux àla fois le texte biblique et le contexte culturel où le message estproclamé264.
Ce théologien burkinabé, défenseur de la contextualisation, était l'un
des participants de la consultation de Willowbank. Son livre que nous venons
de citer fut produit à la suite d'une conférence prononcée au Nigeria les 17-20
avril 1978. Il souligne que les débats sur les rapports entre le christianisme,
la culture africaine, la religion africaine et la théologie africaine ainsi que la
contextualisation ne visent autre chose que de « rendre le christianisme plus
actuel dans une situation africaine. » II ajoute : « c'est ce que nous désirons,
nous évangéliques. Nous voulons que le christianisme soit dans le cœur,
l'esprit et les actes des membres de nos Églises. Nous ne devons économiser
aucun effort pour atteindre ce but255. » Nous voyons bien que l'acceptation de
la contextualisation dans les milieux évangéliques n'a pas été une tâche facile.
Nous nous demandons même si jusqu'aujourd'hui elle ne constitue pas un
slogan pour certains au lieu d'un vrai modèle explicatif qui permet de cerner
la pensée et l'action évangélique dans le monde.
Même si évangéliques, protestants et catholiques usent du mot
contextualisation avec des accents différents, tous se rejoignent dans cette
intention de tenir compte des sources du christianisme et du contexte dans
lequel celles-ci sont relues. Ainsi, l'accent porte sur la Bible, les articulations
théologiques historiques et les contextes. Une théologie contextuelle reflétera
nécessairement les couleurs locales, aura un caractère contingent et produira
une pluralité de théologies266. Cela pose un problème pratique et un problème
théologique. Le malaise de la théologie africaine chrétienne réside dans le fait
que celui qui monte sur la scène théologique voudrait éliminer les autres
approches pour imposer la sienne. L'impérialisme théologique occidental est
264 Md., p. 29.265 Tite TIÉNOU, op. cit. p . 2 9 .266 Jean-François Zorn, « art. cit. », p. 185-187.
116
reproduit inconsciemment, au lieu de reconnaître les chemins que les autres
ont tracés dans la situation qui était la leur, pour en faire une relecture afin
de proposer de nouvelles avenues. Du reste, au lieu de chercher à niveler les
tendances, il vaudrait mieux comprendre leurs rapports, non pas pour tendre
à une homogénéité, mais pour retrouver, en chacune, ce qui pourrait
contribuer à une compréhension mutuelle et un enrichissement capables de
déclencher des aménagements possibles en vue de répondre adéquatement
aux questions des différents contextes.
L'autre problème réside dans le fait que la pluralité de théologies locales
peut occulter la dimension universelle de la théologie. Par cette dimension,
nous nous référons, non pas à une théologie objective dans une acception
positiviste, mais plutôt une théologie « pour nous », celle qui se livre à
l'expérience humaine dans ce qu'elle a d'ancien et de nouveau, mais aussi de
transcendant. Ainsi est-il important de maintenir ensemble le contingent et le
permanent, la diversité et l'unité, le spécifique et le commun. Cela serait
possible si, dans sa tâche, le théologien prend en compte les interactions des
théologies d'expressions locales et historiques de la foi chrétienne. Cette
orientation permettra de marquer l'unité et la diversité telles que déployées
dans l'incarnation, fondement même de toute inculturation (perspective
catholique) ou contextualisation (perspective protestante). C'est à juste titre
que d'aucuns voient une parenté entre les mots incarnation et inculturation
et pensent que cela n'a rien de fortuit267.
2. 3. L'incarnation et les théologies contextuelles
Pour Gilles Langevin, l'inculturation s'opère dans le prolongement de
l'incarnation et désignerait « la rencontre de la révélation chrétienne avec les
cultures, il veut à la fois marquer la parenté de ce contact avec le phénomène
de l'acculturation et signifier l'originalité de ce qui imite et continue
267 Gilles LANGEVIN, « Incarnation et inculturation », dans Le Christ et les cultures dans lemonde et l'histoire, Québec, Bellarmin, 1991, p. 25. Cf. également Jean-Paul II, «Allocution du 26 avril 1979 à la commission biblique pontificale», dans Foi et culture à lalumière de la Bible, Turin, 1981, p. 24.
117
l'Incarnation268 ». Vatican II va dans le même sens quand il souligne :
« L'Église, afin de pouvoir présenter à tous, le mystère du salut et de la vie
apportée par Dieu, doit s'insérer dans ces groupes humains pour le même
motif qui a mené le Christ lui-même, en vertu de son Incarnation, à se lier
aux conditions sociales et culturelles des hommes avec lesquels il a vécu » (Ad
Gentes, n°10). Cette perception est également celle du Pape Jean-Paul II
quand il écrit que « le terme "acculturation" ou "inculturation" a beau être un
néologisme, il exprime fort bien l'une des composantes du grand mystère de
l'Incarnation269 ». Ernest Piryn abonde dans le même sens, quand il propose
l'incarnation comme modèle de toute inculturation270, et désigne la personne
de Dieu et le message du Royaume comme étant les éléments incultures de
l'incarnation.
L'incarnation s'origine du à Aôyoç oàpÇ èyéveio (Jean 1 : 14) et a connu
au cours de l'histoire de l'Église, un développement qui la place parmi les
articles de la foi chrétienne interprétés et compris diversement. Différentes
appellations désignent l'Incarnation : Incorporation, Humanation,
Assomption, Économie, Dispensation, Abaissement, Descente,
Anéantissement, Mission, Epiphanie, Théophanie271. De toutes ces
expressions, celle qui jouit d'une place de choix dans la théologie chrétienne
est sans conteste l'Incarnation. Elle exprime « l'ineffable union de la nature
divine et de la nature humaine en l'unique personne du Verbe272 ». Plusieurs
textes bibliques attestent cette union : Jean 1, 1-18 ; 1 Jean 1-3 ; Romains 1,
1-4 ; 8, 3 ; 1 Timothée 2, 5 ; Philippiens 2, 5-11... Les grandes confessions de
foi dans l'histoire de l'Église y recourent et plusieurs applications en sont
faites. Elle constitue le « dogme fondamental du christianisme273 ».
268 Gilles LANGEVIN, Ibid.269 JEAN-PAUL II, « Allocution d u 2 6 avril 1979 à la c o m m i s s i o n bibl ique pontificale »,d a n s Foi et culture à la lumière de la Bible, Tur in , 1981 , p . 5-7.270 E rnes t D. PIRYNS, « vers u n e théologie j apona ise . Condi t ions , l imites, perspect ives ,dans Spiritus, n°90, 1983, p. 5.271 E d o u a r d HUGON, Le mystère de l'incarnation, Par is , Pierre Téqui , 1946, p . 4 .272 Ibid.273 Karl RAHNER, Écrits théologiques, Tome III, Par is , Desclée De Brouwer , 1 9 6 3 , p . 9 2 ;cf. Anne Marie REIJNEN, L'ombre de Dieu sur terre, Un essai sur l'incarnation, Genève,Labor et Fides, 1998, p. 11.
118
Consacrée par les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381),
l'Incarnation est promulguée comme article de la foi chrétienne. Le Symbole
dit de Nicée-Constantinople souligne dans son paragraphe concernant le
Christ les affirmations suivantes :
[...] Vrai Dieu venu du vrai Dieu,engendré, non pas créé,consubstantiel au Père ;par lui tout a été fait.Pour nous et pour notre salut il descendit des cieux ;par le Saint-Esprit il a pris chair de la Vierge Marieet il s'est fait homme274.
Ces affirmations sont scellées par le concile de Chalcédoine (451). La
confession chalcédonienne met l'accent sur les deux natures du Fils et affirme
la parfaite divinité de Jésus et sa parfaite humanité, « sans confusion, ni
transformation, ni division, ni séparation ». Ces affirmations vont meubler les
réflexions théologiques et surtout christologiques à travers l'histoire de
l'Église275. De nos jours, pendant que les uns tentent de démontrer la
permanence de Chalcédoine276, d'autres prennent du recul pour la
questionner277 et d'aucuns parlent même de « procès »278.
Les discours contemporains sur le Christ semblent se détacher
difficilement des acquis des anciens symboles de foi et démontrent à quel
274 Conseil Œ c u m é n i q u e d e s Églises, Confesser la foi commune, Par is , Édit ions d u Cerf,collection « Foi e t Cons t i tu t ion » n°153 , 1993 , p . 52. Cf. p o u r les tex tes en grec e t lat in A.DUVAL, B. LAUREL, H. LEGRAND, et. ai, (dir.), Les conciles œcuméniques, Paris , Édi t ionsdu Cerf, 1994, p. 73.275 Karl Heinz OHLIG, Christologie. Des origines à l'Antiquité tardive, t I, Du Moyen Âge àl'époque contemporaine, t. II. Paris, Éditions du Cerf, 1996. L'auteur met à la dispositiondu chercheur des textes bibliques, ceux des conciles, des Pères de l'Église et des penseurschrétiens sur les questions autour du Christ à travers l'histoire.276Pierre COURTHIAL, « Actualité de Chalcédoine », dans Foi et Vie, 75, n° 1, Paris, 1976,sous une trame conflictuelle montre la pertinence de Chalcédoine aujourd'hui pour venirà bout des « Idoles que l'humanisme ne cesse d'ériger et de substituer au Dieu de laRévélation » p. 62.277 Cf. A n n e Marie REIJNEN, op. cit. ; Wolfhart PANNENBERG, Esquisse d'unechristologie, Pa r i s , Éd i t i ons d u Cerf , 1971 ; R. MARLÉ « Cha lcédo ine ré in te r rogé » d a n sVisages du Christ, Les tâches présentes de la christologie, Paris, Desclée, 1977, p. 15-43.278 Bernard SESBOUÉ, « Le procès contemporain de Chalcédoine », dans Visages duChrist ; « Les tâches présentes de la christologie », dans Recherches de Science Religieuse,Paris, Desclée, 1977, p. 45-79.
119
point l'incarnation est essentielle dans la théologie chrétienne. Cela se voit
dans les différentes élaborations théologiques et les confessions de foi. Du
côté catholique, Karl Rahner la place au centre de la foi chrétienne279, et
Joseph Moingt attire l'attention sur le fait qu'à une certaine époque, enseigner
la christologie revenait à parler du « traité du Verbe incarné » qui consistait à
commenter la formule dogmatique : « le Christ est une seule personne en deux
natures » en partant de la longue tradition de l'Église jusqu'aux auteurs
contemporains autorisés280. Barthélémy Adoukonou dans sa proposition de
repères pour une théologie africaine perçoit le mystère de l'incarnation comme
« sommet à la fois de la Théo-logie et de l'Anthropo-logie281 ».
Du côté protestant, Anne Marie Reijnen relève que « la confession de
l'incarnation est la caractéristique la plus remarquable du christianisme, par
laquelle il semble se distinguer radicalement des autres religions du Livre282 ».
Pierre Courthial est convaincu de la permanence de Chalcédoine. Après avoir
introduit sa christologie par les divers points de vue à propos de la personne
de Jésus-Christ, Henry C. Theissen souligne que « le Concile de Chalcédoine,
en 451, a établi ce qui a été depuis la position de l'Église chrétienne. Il y a un
seul Jésus-Christ, mais il a deux natures, une humaine et une divine283 ».
Chez les chrétiens du Conseil Œcuménique des Églises, après son
travail sur l'initiation chrétienne, la Commission Foi et Constitution ouvre un
nouveau chantier centré sur l'actualisation du Symbole de Nicée-
Constantinople (381) en vue de concrétiser l'unité entre les Églises. On pense
qu'une reconnaissance de ces affirmations essentielles de la foi chrétienne
pourrait aider à la reconnaissance mutuelle du baptême, de l'eucharistie et du
279 Karl RAHNER, op. cit. p . 8 1 .280 Joseph MOINGT, L'homme qui venait de Dieu, Paris, Éditions du Cerf, 1993, p. 7.281 Barthélémy ADOUKONOU, Jalons pour une théologie africaine. Essai d'uneherméneutique chrétienne du Vodun dahoméen, Paris, Éditions Lethielleux, 1980, p. xiv.282 A n n e Mar ie REIJNEN, L'ombre de Dieu sur terre. Un essai sur l'incarnation, Genève ,Labor et Fides, 1998, p. 11.283 Henry C. THEISSEN, Esquisse de théologie biblique, Fon tenay - sous -Bo i s , Farel , 1987,p. 233. Dans les milieux évangéliques, des traités de doctrines s'alignent sur la confessionde Chalcédoine ; cf. par exemple J. M. NICOLE, Précis de doctrine chrétienne, Nogent-sur-Marne, Institut Biblique de Nogent, 1998, 345 pp.
120
ministère284. Enfin, l'Alliance Évangélique Mondiale stipule en son troisième
article de sa confession de foi qu'elle croit : « En Jésus-Christ, notre Seigneur,
Dieu fait homme, né de la vierge Marie, à son humanité exempte de péché, ses
miracles divins, sa mort expiatoire et substitutive, sa résurrection corporelle,
son ascension, son œuvre médiatrice et son retour personnel dans la
puissance et la gloire285. » Le même article se lit dans les différentes
confessions en milieux évangéliques et cela ressort dans la Constitution de
l'Église Protestante Évangélique du Burkina Faso286.
Somme toute, ce parcours nous amène à deux remarques.
Premièrement, la reconnaissance de l'incarnation comme vérité essentielle du
christianisme est un fait partagé par l'ensemble des chrétiens, quelle que soit
la compréhension qu'on en donne et les applications qu'on en tire. C'est donc
à juste titre que Bernard Besret souligne que dans l'action chrétienne,
l'incarnation a été à la base « d'un déploiement d'activités sociales en vue
d'une diffusion plus grande, non pas formellement, de la religion chrétienne
[...] mais de la conception chrétienne de la vie temporelle287 ». Il est ici
question pour les chrétiens de s'impliquer dans la vie de leurs concitoyens et
de partager simplement leur existence. Cette implication ne s'arrête pas
seulement à l'action. Elle suscite un vaste programme de réflexion sur les
appropriations explicites du message biblique par les contextes qui
l'accueillent et le propagent. C'est alors que s'établit une connexion entre
l'incarnation, la théologie noire288, la théologie de la libération289 et les
théologies dites des Tiers Mondes, théologies qui se rattachent toutes au
paradigme de la contextualisation ou de l'inculturation. Comme nous l'avions
284 Conseil Œcuménique des Églises, op. cit., 1993, p. 2, 10.285Alliance Évangélique Mondiale, Déclaration de foi, juillet 2002, Site :<http://www.worldevangelicalalliance.com/down/statefaith_fr.doc> consulté le 17octobre 2005.286 Église Protestant Évangélique, Statuts, Article 4-c, du 18 décembre 2002.287 Be r na r d BESRET, Incarnation ou eschatologie, Contribution à l'histoire du vocabulairereligieux contemporain, Par i s , Édi t ions d u Cerf, 1964, p . 4 4 .288 Anne Marie REIJNEN voit d a n s le Chr is t noir de la théologie u n e prax is d u dogme del'Incarnation, op. cit., p. 163-192.289 Leonardo BOFF, Jésus Christ, Libérateur, Tradu i t d u Brési l ien p a r François MALLEY,Paris, Éditions du Cerf, 1974, s'appuie sur l'incarnation pour donner au Christ lesappellations de notre frère aîné, comme Dieu des hommes et Dieu-avec-nous, p. 241-243.
121
déjà montré, les théologies de la contextualisation expliquent leur raison
d'être et d'agir en se fondant sur l'incarnation. Elles la considèrent comme un
exemple, ou un paradigme duquel la pensée et l'agir chrétiens tirent leurs
modèles.
Deuxièmement, que nous soyons dans une perspective catholique ou
protestante, une constante s'impose, l'interaction. Dans la corrélation comme
dans l'inculturation ou la contextualisation, il est toujours question
d'interactions entre le message biblique et le contexte de sa réception. Pour la
compréhension de cette notion et la place qu'elle tient dans notre approche de
l'initiation, nous avons fait appel à l'interactionnisme symbolique. Il nous
servira dans la construction du schéma ou grille, qui nous permettra de lire
les rapports dans une situation éducative.
3. L'interactionnisme symbolique
L'interactionnisme symbolique est un courant sociologique qui met en
évidence l'importance de l'aspect symbolique de la vie sociale.290 Il souligne
que « les gens interagissent par l'intermédiaire de symboles et partagent des
perspectives ou des manières de considérer la réalité sociale qui leur sont
particulières291 ». Ce courant prend en compte les acteurs, les interactions, les
symboles, une vision partagée et la réalité sociale. Attaché à l'École de
Chicago avec le nom de G. Mead comme inspirateur et H. Blumer comme
diffuseur292, l'interactionnisme symbolique se donne comme un espace de
conciliation entre savoir scientifique et savoir populaire ou ordinaire dont
nous allons relever quelques caractéristiques.
290 Cf. Alex MUCCHIELLI, Les méthodes qualitatives, Pa r i s , PUF, 1 9 9 1 , p . 14 e t AlainCOULON, « In te rac t ionn i sme symbolique», d a n s Alex MUCCHIELLI (dir.), Dictionnaire desméthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin/Masson,2002, p. 107.291 Yves POISSON, La recherche qualitative en éducation, Sillery, P re s se de l 'Université d uQuébec, 1990, p. 26.292 Alain, COULON, op. cit., 2 0 0 2 , p . 107.
122
3. 1. Sens commun et savoir scientifique
Pendant longtemps, on a cru que la compréhension de la réalité sociale
ne peut être appréhendée que par un certain travail d'érudition. Selon
Durkheim, « s'il existe une science des sociétés, il faut bien s'attendre à ce
qu'elle ne consiste pas dans une simple paraphrase des préjugés
traditionnels, mais nous fasse voir les choses autrement qu'elles
n'apparaissent au vulgaire293. » Cette vision de la construction du savoir, bien
que compréhensible, discrédite la connaissance ordinaire, écartant du même
coup une grande majorité des acteurs. Ainsi, les scientifiques semblent être
les seuls habilités à offrir une connaissance crédible. L'interactionnisme
symbolique prend le contre-pied pour réclamer une construction des savoirs
beaucoup plus démocratique, par conséquent, il prône l'implication effective
de tous les acteurs et la prise en compte du sens commun. L'intérêt est
désormais centré sur les acteurs eux-mêmes et non seulement sur une classe
de spécialistes qui croient avoir le monopole du savoir. Une nouvelle
maïeutique émerge, et comme Socrate avait l'habitude de rappeler, que le
savoir n'était pas plus à lui qu'à son interlocuteur, et qu'il se donnait le devoir
d'accoucher les âmes, ainsi pourrait-on présenter l'interactionnisme
symbolique aujourd'hui. Il s'élève contre les nouveaux sophistes pour
réclamer le droit à tous d'être acteurs, dans la construction des savoirs. Car
« l'étude de la culture sous-entend que soit compris le sens que les acteurs
attribuent eux-mêmes à leurs comportements, à leurs croyances et aux rituels
propres à leur société294. »
293 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Par i s , F l ammar ion , 1988, p .7 1 , cité p a r Alvaro P. PIRES, « De que lques enjeux ép i s témolog iques d ' u n e méthodologiegénéra le p o u r les sc iences sociales » d a n s J e a n POUPART, J e a n - P i e r r e DESLAURIER,Lionel-Henri GROULX, et. al. (dir.), La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques etméthodologiques, Bouchervil le, Gaé tan Morin Édi teur ltée., 1997, p . 2 8 .294 J a c q u e s HAMEL, « Bref rappe l his tor ique de l 'é tude monograph ique en sociologie et enanthropologie », d a n s Études de cas en sciences sociales, 1997, p . 27 .
123
Le film "l'enfant de la paix" de Richardson295 offre une bonne
illustration de la place qu'il convient d'accorder à l'interactionnisme
symbolique. L'histoire se passe en champ de mission chrétienne, en Nouvelle
Guinée Occidentale. Un missionnaire arrive dans un village et constate que
les gens se livrent très souvent à des conflits armés contre les villages voisins.
Pour lui, ces personnes étaient les cibles appropriées du message chrétien.
Alors, il entreprend d'abord l'apprentissage de la langue et commence à
évangéliser. Il leur parle du Christ qui s'est offert pour le salut des hommes,
raconte comment il a été trahi par son ami Judas et dépeint sa mort et sa
résurrection. À son grand étonnement, les gens prenaient Judas pour un
héros et l'appréciaient plus que le Jésus qu'il tente de faire accepter.
N'arrivant pas à comprendre ce comportement, il cherche à saisir la logique
sous-jacente à la manière de ces populations de comprendre son message.
C'est alors qu'il découvre que pour ces tribus, arriver à trahir un ami signifiait
faire preuve de beaucoup de courage et d'intelligence. À présent, il comprenait
que son message n'atteignait pas le but escompté.
Un jour, il est témoin d'une scène qui va transformer sa façon de voir
les choses. Deux villages se livrent à des combats violents et meurtriers.
Beaucoup des guerriers tombent sur le champ de bataille. Une femme voyant
que la guerre tournait en défaveur de son village, amène son bébé et l'offre au
village ennemi et les combats cessent. Le missionnaire décide de comprendre
ce geste. On lui explique que l'enfant que la femme a offert est l'enfant de la
paix et que tant que cet enfant vivra dans le village ennemi, la paix va régner
et personne ne doit créer le moindre problème dans les villages liés par
l'enfant de la paix.
Ces informations furent une source d'inspiration pour le missionnaire.
Dès lors, pour faire comprendre l'évangile il montra aux gens que pour la paix
entre Dieu et les hommes, Dieu envoya Jésus comme l'enfant de la paix aux
hommes. Après avoir entendu ce message, ceux-ci changèrent de
295 Ce film est une interprétation du livre de Don RICHARDSON, Peace Child, Ventura,Régal Books, 1974. La traduction française a paru sous le titre de L'Enfant de la PaixMiami, Vida, 1981.
124
comportement envers son Jésus et envers Judas. Ils trouvèrent alors que ce
que Judas avait fait était inadmissible, car on ne doit jamais faire du mal à
l'enfant de la paix. Depuis ce temps, les villages ayant la tradition de l'enfant
de la paix acceptèrent en masse le message du missionnaire.
Ce film permet de voir que lorsque des cultures se rencontrent, il
s'engage un processus de dialogue d'où des interactions qui permettent une
bonne communication et offrent une compréhension plus juste de la réalité.
Chaque phénomène, chaque événement culturel est riche de significations
que seuls les acteurs peuvent mieux saisir et transmettre. Pour faire passer
son message, le missionnaire a dû être attentif aux gestes et comportements
de la société dans laquelle il s'est retrouvé. Tant qu'il n'avait pas encore
compris les représentations que se faisaient ces gens de leurs gestes et
comportements, il était difficile de se faire comprendre ; il fallait qu'il soit
attentif et observe de façon participative, afin d'arriver à des corrélations
constructives. Ainsi a-t-il réussi à mettre en pratique une approche
contextuelle.
Cette illustration nous permet en outre de comprendre pourquoi dans
l'interactionnisme symbolique une place de choix est laissée aux acteurs. En
mettant l'accent sur les acteurs, justice est faite à ceux-là mêmes qui sont
comme « les matières premières du savoir » ou les sources attitrées du savoir
local, afin qu'eux aussi soient actionnaires directs des usines de fabrication
des savoirs. Rien d'étonnant, que les esprits imbus d'exploitation se voient
menacés car désormais ils ne pourront plus jouir tout seuls des honneurs que
leur procurait leur statut de spécialistes296 !
Certes, cette place accordée aux acteurs directs pose un certain nombre
de difficultés notamment celles du subjectivisme et de la crédibilité de leur
savoir. L'opposition objectivité et subjectivité refait surface dans les
296 Ici nous faisons référence aux positions sur la neutralité en sciences sociales,notamment celles d'Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Paris,Flammarion, 1988 ; Alvaro. P. PIRES fait un tour de la question dans son article« Recentrer l'analyse causale ? Visages de la causalité en sciences sociales et en recherchequalitative » dans Sociologie et sociétés, vol. 25 n° 2, 1993, p. 191-209.
125
discussions. Le positivisme considère que pour tout travail crédible, il importe
d'être objectif, de garder une certaine distance avec l'objet d'étude. Mais, est-
ce possible d'écarter toute subjectivité ?
3. 2. Objectivité et subjectivité
A. Laperrière relève que « l'importance de la subjectivité dans l'analyse
des phénomènes sociaux a été fortement soulignée par les approches
interprétative (Weber), phénoménologique (Schutz) et interactionniste (Mead et
Blumer)297 ». Raymond Lemieux soutient que la condition d'existence de
l'objectivité serait la subjectivité298. Stanley Fish va dans le même sens
lorsqu'il aborde la question de la théorie de l'interprétation. Il insiste qu'un
pur subjectivisme et un pur objectivisme ne sont qu'illusoires. Il explique cela
en partant des « penchants personnels » et des « contraintes externes299 ». Il
relève qu'en voulant mettre ces termes en opposition, cela implique que les
penchants personnels « trouveraient leur origine dans le sujet individuel en
dehors de toute influence d'un contexte normatif, public ou social [...]. Mais
comment imaginer que de telles préférences puissent se développer en dehors
de tout contexte conventionnel300 ? » Par conséquent, les préférences
personnelles sont le produit d'un conditionnement ; ce qui fait que l'homme se
trouve, qu'il le veuille ou non, sous une contrainte inhérente à sa situation
d'existant dans une société dans laquelle il est tenu d'inscrire son imaginaire
pour la construire. Il déduit de son argumentation la conséquence qui
s'impose au niveau de la société en rapport avec les contraintes externes que
le sujet expérimente. Pour lui, la société elle-même n'a rien d'objectif étant
donné qu'elle est aussi le produit des inscriptions des préférences
297 Anne LAPERRIÈRE, «Les cr i tè res de scientificité d e s m é t h o d e s qualitatives», J e a nPOUPART, J e a n - P i e r r e DESLAURIER, Lionel-Henri GROULX, et. al, (dir.), La recherchequalitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Boucherville, Gaétan MorinÉditeur ltée., 1997, p. 367-368.298 R a y m o n d LEMIEUX, L'intelligence et le risque de croire. Théologie et sciences humaines,Québec, Fides, 1999, p. 40.299 Stanley FISH, Respecter le sens commun. Rhétorique, interprétation et critique enlittérature et en droit, Paris, LGDJ, 1995, p. 10.300 Idem.
126
personnelles. Partant, l'action d'interpréter démontre que l'objectivité et la
subjectivité, loin d'être inconciliables, sont, dans le concret, les deux ailes du
même oiseau. Dès lors, les expériences sociales conjuguent à la fois et la
compréhension des acteurs et les contraintes que leur impose le milieu. C'est
pourquoi tout acteur s'inscrit dans une culture qui le construit et qu'à son
tour, il contribue à construire.
L'interaction se vit entre les individus d'un même milieu social à travers
les symboles qu'ils interprètent dans leurs rapports301. En interagissant, les
gens construisent mutuellement leurs savoirs, mais aussi leurs identités. Ces
interactions s'opèrent non seulement sur un plan individuel à travers les
représentations intériorisées, mais elles se vivent avec l'altérité, le semblable
et tout l'environnement local et universel ; elles sont au centre même de
l'expérience humaine.
Le courant interactionniste peut éclairer la démarche heuristique en
théologie, par le fait qu'il prône la production des savoirs proches des acteurs
directs. Dépassant les oppositions subjectivité/objectivité, savoir
scientifique/sens commun, il plaide pour un savoir qui part du terrain, et non
pas uniquement ou nécessairement d'un laboratoire. Le chercheur entre dans
une relation empathique avec les acteurs pour observer de façon participative
en vue de déceler la compréhension propre au milieu d'étude. Cette
compréhension se donne à travers les interactions des gens entre eux et des
objets qui les entourent. Le schéma III-1 synthétise notre compréhension de
l'interactionnisme. Ce schéma constitue pour nous un cadre de référence et
de lecture des thématiques qui sont abordées dans la présente thèse.
301 Yves POISSON, op. cit., p. 26.
127
Schéma III-1 : Schématisation de l'interactionnisme
Les différents cercles tentent d'illustrer les composantes d'une situation
d'interactions, sur le plan de la construction des savoirs. D'une part, nous
avons l'objet qui se donne à l'expérience c'est-à-dire la réalité ou l'en-soi pour
nous ou phénomène dans une perspective kantienne. Ces objets peuvent être
matériels ou immatériels et se donnent à la perception sous forme de
représentations, résultantes d'une herméneutique. D'autre part, nous
trouvons l'ego et l'alter ego ou le moi et son vis-à-vis qui interagissent
mentalement et verbalement, mais aussi avec les objets qui les entourent et
qui s'offrent à leurs expériences quotidiennes. Ces interactions sont
représentées par les différents espaces créés par les points de rencontre des
cercles. Celles-ci sont vécues dans différents contextes : géographique,
historique, politique, économique, social, culturel... Ainsi, partant de la
situation en jeu, des interactions entre les différentes composantes
découleront des résultantes, qui elles aussi, dans la logique interactionniste
déboucheront sur une résultante centrale ou fondamentale.
En conclusion, le survol de la méthode de la corrélation, de
l'inculturation et de la contextualisation sont des approches intrinsèquement
liées à la vérité de l'incarnation. Les interactions dont parlent ces approches
128
dénotent leur ancrage sociologique. Ces interactions qui fondent les rapports
dans la société, président à la construction des savoirs et pratiques ainsi qu'à
la construction des identités. Le courant interactionniste vient en ce moment
éclairer la compréhension de ces relations mises en œuvre dans les approches
théologiques302. Partant, ces différentes approches et l'interactionnisme
constituent des repères théoriques pour une théologie qui vise les pratiques
chrétiennes dans une société donnée. Ils permettent de comprendre les bases
théologiques, sociologiques et pédagogiques sur lesquelles nos propos
s'appuient.
Théologiquement, ces propos s'enracinent dans les méthodes,
approches et paradigmes qui mettent l'accent sur le rôle que jouent les
situations locales dans les discours et les pratiques de l'Église. Ils cherchent à
comprendre les rapports qu'entretient le christianisme avec les cultures
locales, en l'occurrence, celle des Lobi du Burkina Faso. Pour ce faire, les
sources du christianisme, en particulier la Bible et les élaborations
théologiques historiques qui en découlent, ainsi que les pratiques éducatives
de l'Église en milieu lobi, et l'initiation traditionnelle lobi sont mises à
contribution pour voir ce qui résulte de leurs interactions.
Sociologiquement, l'accent porte sur les enjeux de ces interactions. La
réception du message biblique passe nécessairement par des filtres, ce qui
implique la prise en compte des individus qui communiquent entre eux, de
leurs acquis personnels et sociaux, leur environnement et leurs approches
dans le traitement des informations. En plus, la compréhension que se font
les individus d'un phénomène, réside dans les référents qu'ils partagent et
leur capacité de les mettre en rapport avec les nouveaux éléments auxquels ils
peuvent être confrontés. En milieu lobi, les évangéliques semblent avoir oublié
que pour que le Lobi s'approprie le message biblique dans sa profondeur, son
espace éducatif doit être pris en compte. Il est donc important de comprendre
302 Peut-être qu'un jour, on pourrait parler de théologies interactionnistes dans lathéologie pratique! Pour donner un cadre théorique des différentes corrélations entre lesdonnées bibliques et les contextes de réception, l'interactionnisme pourrait offrir despistes intéressantes.
129
cet espace et les valeurs qu'il prône. Pour cela, une grille de lecture s'avère
nécessaire afin d'aller chercher les informations de façon précise. Le chapitre
qui suit prolonge notre cadre théorique et offre les composantes nécessaires à
la construction de cette grille.
130
CHAPITRE IV
STRATÉGIE PÉDAGOGIQUE ET INITIATION
Le général André Beaufre303 et Jean-Paul Charnay304 soulignent que le
terme stratégie fait partie du vocabulaire militaire. D'origine grecque,
orpcrcavoç (stratagos), il se compose de deux mots, atpaxoç (stratos) = armée
et ccyeiv (agein) = conduire. De là viennent les idées d'art militaire, de direction
d'une expédition armée, desquelles découlent plusieurs autres définitions.
Partant d'une étude philologique du terme, Charnay fait un parcours
historique pour démontrer son évolution sémantique recouvrant les aspects
pratiques et conceptuels. L'auteur parle d'une « explosion lexicale » et de
« débordement » à l'époque contemporaine, du fait que la stratégie est
assimilée à toutes sortes de notions. Ainsi, recouvre t-elle des politiques
d'actions, des attitudes et comportements à tenir, des dispositifs, des règles
de jeux, des méthodes, des théories, des moyens, des tactiques, des
processus, des démarches, etc. En outre, elle couvre des domaines politiques,
économiques, littéraires, scientifiques et religieux. Charnay exprime cette
évolution en ces termes :
Ainsi se délite, dans le langage contemporain, le concept destratégie. La multiplicité de ces applications lexicales à desdomaines hétérogènes, mais que le langage courant pense vivifier,dramatise en leur décernant des métaphores guerrières (économie,religion, publicité...) détermine un affadissement des significationspuisque le mot stratégie désigne maintenant des éventails d'actionset de conduites s'étendant : des règles et des modes d'emploi auxprocessus de recherche et de création les plus élevés ; des pratiquesindividuelles et des pratiques sectorielles aux attitudes et auxorientations finalisées par une vision philosophique ou religieuse
303 André BEAUFRE, Introduction à la stratégie, Paris, Economica, 1985.3<* Jean-Paul CHARNEY, Critique de la stratégie, Paris, Hernes, 1990.
131
globale ; des moyens et des techniques aux méthodes et destactiques305.
En dépit de l'appauvrissement que ces différents emplois peuvent faire
subir au terme dans son acception originelle, son irruption dans d'autres
domaines s'avère enrichissante. Une des définitions, qui tout en gardant
l'esprit militaire, offre un plus grand éventail sémantique est celle du général
Beaufre pour qui la stratégie serait « l'art de la dialectique des volontés
employant la force pour résoudre leur conflit306 ». Cette définition souligne
quatre composantes de l'acte stratégique : une situation, une relation, un but
à atteindre et des moyens déployés. Comment ces éléments peuvent-ils
s'appliquer à une situation éducative pour créer un espace pour l'initiation ?
Partant des indicateurs d'une action stratégique, nous verrons leur ancrage
dans une stratégie pédagogique pour enfin construire une grille qui servira à
mettre en évidence les différents espaces d'une situation éducative afin de
déterminer quelle place peut être réservée à l'initiation.
1. Définition de la stratégie
Étroitement lié au vocabulaire militaire, le mot stratégie a vu son
champ sémantique élargi par son utilisation multidisciplinaire. Plusieurs
domaines de la culture s'y réfèrent en lui redonnant un contenu nouveau, ce
qui entraîne une certaine complexité. De l'art et de la science militaire elle se
définit aussi comme une démarche, un processus, des dispositifs, des
méthodes, etc. Ensuite, il met en évidence cinq composantes qui permettent
d'identifier une action stratégique. Le facteur déclencheur qui pourrait se
comprendre comme le désir de se mettre en valeur, implique une recherche
d'identité. Or, qui parle d'identité pose conséquemment la question d'altérité,
et donc celle de la relation à l'autre, qui peut être gérée dans ce cas, soit par
la négation de l'autre, soit sa réification, soit par la rationalisation. Cette
gestion vise un but, celui d'amener l'autre à une décision qui ne mette pas en
305 J e a n - P a u l CHARNEY, op. cit., p . 5 1 .306 André BEAUFRE, op. cit., p . 16.
132
péril la relation telle que perçue par le plus fort. Enfin, pour atteindre ce but
des ressources sont mobilisées. Celles-ci comprennent deux éléments, d'une
part, les moyens matériels et psychologiques et d'autre part, les institutions.
Si une action stratégique se caractérise par un facteur déclencheur, un
but, des ressources et des relations, il en ressort une certaine organisation ou
plan pour reprendre l'expression de Legendre307. Partant, quelle application
les pédagogues en font-ils dans le cadre de la situation éducative et plus
particulièrement à la pédagogie ? En quoi peut consister une stratégie
pédagogique ?
2. La stratégie pédagogique selon Legendre
La stratégie pédagogique est comprise comme un « plan d'action où la
nature et les interrelations des éléments du sujet, de l'objet, de l'agent et du
milieu sont précisées en vue de favoriser les adéquations les plus
harmonieuses entre ces quatre composantes d'une situation pédagogique308 ».
Cette situation est illustrée par trois sous-ensembles dans un grand
ensemble, le tout représenté par le schéma309 ci-après.
L'explication de ce schéma part d'un modèle systémique310 appliqué à la
situation pédagogique. Ainsi définit-il le système comme « une façon
rationnelle de classifier des éléments différents et d'illustrer les interrelations
entre eux311 ». Trois composantes importantes ressortent de cette définition :
307 Lucie SAUVÉ, « Éléments d'une théorie du design pédagogique en éducation relative àl'environnement. Élaboration d'un supramodèle pédagogique », Vol. I, Thèse de doctoratprésentée à l'Université du Québec à Montréal, avril, 1992, 400 pp. reprend la définitionde Legendre dans son étude sur la question de l'environnement dans l'éducation.308 Renald LEGENDRE, Dictionnaire actuel de l'Éducation, M o n t r é a l / P a r i s , Guér in /ESKA,1993, p. 1187.309 Nous avons tiré ce s c h é m a de Renald LEGENDRE, L'éducation totale, Mont réa l /Par i s ,Édit ions Vil le-Marie/Édit ions Fe rnand Nathan , 1983, p . 2 7 1 .310 Pour comprendre la systémique dans l'acception pédagogique, ChristianeMONTANDON, Approches des dispositifs pédagogiques. Enjeux et méthodes, Paris,L'Harmattan, 2002, y réserve un chapitre à ce sujet, p. 55-80.311 Renald LEGENDRE, op. cit., p. 338. Pour les auteurs de L'éducateur et l'approchesystémique. Manuel pour améliorer la pratique de l'éducation, Paris, UNESCO, 1981, p. 9-10, le système est « un ensemble d'éléments distincts qui réagissent les uns sur les autresen fonction d'un but déterminé. Chaque système constitue donc une totalité, c'est-à-dire
133
le caractère construit du système, la diversité des parties constitutives et le
caractère interactionniste de ces parties. Ludwig Von Bertalanffy, à qui est
attribuée la paternité de la notion du système, donne la définition suivante :
« un complexe d'éléments en interaction312 ». Il convient évidemment d'ajouter
le caractère d'unité, car à la base de la théorie sur les systèmes, était la
volonté de saisir dans la complexité des sciences ce qui les rapproche ou les
unit313.
Schéma IV-1 : Situation pédagogique A
Relationd'apprentissage
Relationd'enseignement
un ensemble cohérent et indivisible, susceptible d'être distingué dans son environnement.Cette totalité est une totalité organisée, l'organisation résultant de l'interactiondynamique et réciproque de ses différents éléments constitutifs. Aussi toutetransformation d'un élément déterminera-t-elle la modification des autres éléments et,par suite celle du système entier. » Pour Chantale BOILY, « Un système est un ensembled'éléments solidaires les uns des autres et formant un tout. », Guide pratique d'analysesystémique, Montréal/Paris, Gaétan Morin, 2000, p. 11.312 Ludwig Von BERTALANFFY, Théorie général des systèmes, Traduit par Jean BenoîtChabrol, Paris, DUNOD, 1973, p. 53, cf. également p. 3.313 Ibid., p. 35-37.
134
Après cette mise au point, Legendre explique chaque entité du schéma.
Pour lui, le Sujet serait central dans une situation pédagogique. Celui-ci est
perçu sous trois dimensions. Il s'applique premièrement à toute personne en
situation d'apprentissage (étudiant, enseignant). Deuxièmement, il touche les
différentes opérations qui entrent en jeu dans les apprentissages (activités
menées pour s'éduquer). Troisièmement, il concerne les moyens comme les
outils didactiques qui servent à atteindre les objectifs d'apprentissage. Pour ce
qui est de la constante Objet, il la définit comme l'ensemble des objectifs
généraux qui justifient la raison d'être d'un système éducatif314. Ces objectifs
sont soumis à la décision des personnes impliquées et planifiés à l'aide
d'opérations bien définies. L'Agent quant à lui, constitue l'ensemble des
ressources humaines et matérielles nécessaires au Sujet pour atteindre
l'Objet. Ainsi, peut-il désigner les personnes, les moyens et les processus mis
à contribution dans la situation pédagogique. Enfin, ces trois dimensions sont
portées par le Milieu ou l'environnement éducatif dans lequel se déroule
l'action pédagogique. Partant de ces explications, Legendre en construit des
relations à partir des formules suivantes315.
Tableau IV-1 : Formules des relations pédagogiques
S = f(O, M, A):
O = f(S, M, A):
A = f (S, 0, M) :
M = f (S, 0, A) :
le développement du SUJET est tributaire de la nature del'OBJET d'apprentissage, des ressources réunies par l'Agent àcet effet et de la qualité du MILIEU éducationnel du SUJET ;
la nature de l'OBJET d'apprentissage est soumise au niveaude développement et des attributs du Sujet, aux objectifsgénéraux et aux disponibilités d'un MILIEU éducationnel etest fonction des ressources disponibles dans la composanteAGENT ;
la nature et l'agencement des éléments de l'AGENT doiventcorrespondre à l'état du développement du SUJET, à lanature de l'OBJET concerné et aux possibilités humaines,matérielles et financières d'un MILIEU éducationnel ;
Les caractéristiques d'un MILIEU doivent tenir compte del'état de développement des trois composantes fondamentalesde l'apprentissage : SUJET, OBJET ET AGENT.
Renald LEGENDRE, op. cit., p. 273.ibid., p. 277-278.
135
Cette construction met en évidence l'interrelation et l'interdépendance
des composantes de la situation pédagogique. En effet, l'un des objectifs de
l'auteur était de substituer aux regards atomisant sur l'éducation une vision
globale316. Toutefois, à vouloir mettre l'emphase sur les relations, et surtout
sur la totalité, le risque de perdre de vue le caractère particulier de chaque
composante de la situation éducative n'est pas à négliger. C'est pourquoi,
prenant conscience de ce risque, nous adoptons néanmoins ce schéma, car il
se rapproche de la grille de lecture que nous avions pu dégager plus haut. En
revanche, une petite modification s'impose en rapport avec cette grille. Il
serait intéressant de croiser les ensembles pour montrer les éléments entrant
en relation et ceux des ensembles que les relations pédagogiques n'épuisent
pas. Il suffirait de remplacer les flèches par des croisements, ce qui donnerait
des sous-ensembles. Ainsi, nous aurons le schéma ci-après.
Schéma IV-2 : Situation pédagogique A'
316 Ibid, p . 11.
136
Il conviendrait également de veiller à ce que certains termes ne prêtent
pas à confusion. Les termes SUJET et AGENT se recoupent car dans les
définitions, le Sujet est assimilé à l'étudiant ou à l'enseignant. « La
composante SUJET peut également inclure tout éducateur qui profite de
l'exercice de sa profession pour en tirer continuellement de précieux
enseignements317. » Si cela est juste, il faut ajouter que le SUJET est aussi
facilitateur de ses apprentissages et que cela n'est pas uniquement l'apanage
de l'AGENT. D'ailleurs, l'auteur semble le reconnaît, car, des personnes
impliquées dans cette composante, il relève la présence des élèves318. Pour
plus de clarté, nous avons préféré le terme ACTEURS pour désigner ces deux
entités comme ressources humaines de la stratégie éducative, car le SUJET et
l'AGENT sont en définitive ceux qui agissent et interagissent dans la situation
d'apprentissage. En outre, mettre les ressources humaines et les ressources
matérielles sous le registre AGENT, bien que légitime, pourrait être mieux
compris si elles étaient détachées. Dans le cadre de nos analyses du joro,
nous nous sommes servi des termes voies et moyens pour désigner les
ressources non humaines mises en œuvre pour atteindre les objectifs de
l'initiation.
En somme, plusieurs typologies ont été élaborées pour rendre compte
des connaissances en matière de pédagogie319. Les typologies qui nous ont
apparu plus indiquées pour le présent travail sont celles construites par
Legendre dont il a déjà été question, et celles de Jean Houssaye et d'Abel
Pasquier.
317 ibid.,p. 272.318 Ibid., p . 274 .319 Yves BERTRAND dans son ouvrage Théories contemporaines de l'éducation, Montréal,Éditions Nouvelles AMS, 1998, donne un aperçu des auteurs qui ont travailler sur lesclassifications (p. 13).
137
3. Le triangle pédagogique selon Houssaye
Un des cadres théoriques qui permet de comprendre les fondements qui
sous-tendent les projets d'éducation à la foi est le triangle pédagogique320.
Dans Théorie et pratiques de l'éducation scolaire (1) Le triangle pédagogique321,
Jean Houssaye donne un aperçu des pratiques et théories pédagogiques à
partir d'un triangle. Les angles du triangle représentent : le savoir, le
professeur et l'étudiant, (cf. schéma ci-après)
Schéma IV-3 : Le triangle pédagogique
Les côtés représentent les différentes relations qui caractérisent ces
composantes, et Houssaye considère cela comme un processus322. « Les
processus sont au nombre de trois : « enseigner », qui privilégie l'axe
professeur-savoir ; « former », qui privilégie les rapports professeur-élèves ;
« apprendre », qui privilégie l'axe élèves-savoir323. » Dans le processus
« enseigner », l'accent porte sur la personne de l'enseignant, les contenus, les
programmes, les cours magistraux. C'est le propre de la pédagogie
320 Cf. FOSSION, A n d r é e t RIDEZ Louis, Adultes dans la foi. Pédagogie et catéchèse,Bruxel les , L u m e n Vi tae , Collection «Théologies p ra t iques» , 1987; Abel PASQUIER,«Typologie des mécanismes du transmettre» dans Essais de théologie pratique. L'institutionet le transmettre, Paris, Beauchesne, Collection «Le point théologique» n° 49, 1988.321 J e a n HOUSSAYE, Théorie et pratique de l'éducation scolaire, Le triangle pédagogique, 3 e
édition, Bern/Berlin/Bruxelles/Frankfort/New York/ Oxford/Wien, Peter Lang, 2000,299 pp.322 Ibid., p . 3 5 . Cf. é g a l e m e n t J e a n HOUSSAYE, La pédagogie : une encyclopédie pouraujourd'hui, Paris, ESF éditeur, 1996, p. 17.323 J e a n HOUSSAYE, op. cit., 1996 , p . 16.
138
traditionnelle. Quand la situation pédagogique privilégie ce processus, les
autres processus se trouvent marginalisés ou alors restructurés autour de la
composante dominante324.
Le processus « former » privilégie le rapport formateur-formé en
excluant dans un premier temps le rapport au savoir. L'objectif est moins le
savoir que des procédures, l'accent est placé sur la méthode, sur
l'entraînement d'où le nom « former ». Une distance est prise par rapport à
l'attitude directive, pour une mise en place de structure proche de la
pédagogie institutionnelle. Ce type de pédagogie remet en cause le
fonctionnement actuel de l'école pour que des groupes se constituent et
s'organisent pour trouver un mode de fonctionnement leur permettant
d'acquérir les connaissances désirées325.
Le processus « apprendre », mieux toléré par l'institution selon
l'expérience de Houssaye326, est centré sur le rapport de l'apprenant au savoir.
Les derniers courants pédagogies semblent s'orienter vers ce processus. « Le
professeur se veut alors organisateur de situations de formation où il met
directement les élèves en contact avec le savoir327 ». Il n'est plus le médium
direct par lequel passe le savoir. Les cours magistraux peuvent continuer à
condition qu'ils s'inscrivent dans un ensemble de moyens et de méthodes à la
disposition des élèves.
Le mérite de l'auteur est d'avoir réussi à établir une grille de lecture de
la « situation éducative », ce qui lui a permis de couvrir un grand nombre de
concepts, d'auteurs et de pratiques pédagogiques en éducation. Son principe
organisateur a été l'opposition du processus « enseigner » aux autres
processus du triangle pédagogique. La démarche dialectique lui permet de
démontrer que le processus « apprendre » introduit l'ère de la synthèse,
laquelle s'approche préférentiellement de l'antithèse, le processus « former »,
324 Ibid., op. cit., 2 0 0 0 , p . 3 5 .325 Ibid., p . 3 6 .326 Ibid., p. 36, 167. Dans ce cas il s'agit du collège dans lequel il était professeur, mais lanotion d'institution est beaucoup plus complexe. Houssaye développe cette notion dansles pages 119-126. Cf. en particulier les pages 125 et 126; op. cit., 1996, p. 19-20.327 Ibid., p . 36 .
139
et s'éloigne inexorablement de la thèse, le processus « enseigner ». Toute la
démonstration vise la décapitation de la pédagogie traditionnelle, mais comme
il n'est pas bienséant de « jeter le bébé avec l'eau du bain » force est de
reconnaître que la nuance est compagne du dialogue et le dialogue signe de
maturité, encore faut-il qu'il s'insère et se tienne dans le respect d'autrui.
Le schéma dont se sert Houssaye pour illustrer la situation
pédagogique ouvre des pistes pour notre réflexion sur l'ancrage de l'initiation
dans la situation éducative. Il requiert cependant des modifications si nous
voulons le repenser dans un contexte africain. L'auteur est parti de son
expérience d'enseignant de philosophie pour analyser sa propre pratique. Il
traduit en même temps les pratiques de bon nombre de professeurs à partir
d'indicateurs précis (savoir, professeur, étudiant), et nous offre une grille pour
la recherche en pédagogie. La grande lacune de son expérience touche
l'initiation. Denis Villepelet relève à juste titre que les « approches
philosophiques et scientifiques de la pédagogie se sont construites à distance
du champ des pratiques initiatiques.328 » En effet, cela se vérifie dans
l'approche de Houssaye. Cependant, est-il vrai que l'initiation est absente des
différents processus ? Nous n'en sommes pas si convaincu. Nous y
reviendrons, mais pour le moment examinons un auteur qui donne une place
à l'initiation. Abel Pasquier dans sa typologie des mécanismes du transmettre
offre des éléments importants, qui pourraient aider à modifier le triangle
pédagogique.
4. La typologie du transmettre selon Pasquier
Examinant les différents modes du transmettre, Pasquier propose une
trilogie axée sur : l'instruction, l'apprentissage et l'initiation. Chacun de ces
modes fonctionne à quatre niveaux : les interlocuteurs en présence, les
contenus véhiculés, les modalités de communication et les objectifs
poursuivis. Il relève que même si chaque mode du transmettre possède des
328 Denis VILLEPELET, « Initiation et pédagogie » dans Catéchèse, n°161, 2000, p. 15.
140
particularités propres dans ses opérations, on ne peut en saisir l'intelligence
qu'à partir de leur interdépendance. « Chaque processus est diversement
régulé dit-il, en fonction de l'interaction et de l'entrecroisement ininterrompus
qu'il entretient avec les deux autres329. » Bien qu'il soit possible d'isoler
chaque forme pour la cause de la taxonomie, l'accès à la compréhension de
chaque mode se révèle intimement lié aux éclairages qu'offrent les autres. Il
schématise ces mécanismes du transmettre à l'aide du tableau330 ci-après.
Tableau IV-2 : Mécanismes du transmettre
FORMES DE TRANSMISSION
FONCTIONNEMENT 1 ENSEIGNEMENT
ACTEURS (qui à qui ?)
CONTENU (quoi ?)
MODALITÉS (comment ?)
OBJECTIFS (dans quels buts)
CLEF DU MÉCANISME
Maître
Élève
Contenu (matières,idées, vérités)
Discours verbalisé(exposition,démonstration,mémorisation)
Compréhension
Application
Représentationconceptuelle
APPRENTISSAGE
Maître d'œuvreApprentis
Tours de mainsProcéduresAptitudesExercices répétés etmotivés
Transformation
Pratique
INITIATION
Maître d'initiationNovices
Épreuves
Affrontement
Franchissementd'une étape
Structurationsymbolique
S'agissant de l'enseignement, les sujets en présence sont les
dispensateurs du savoir et les consommateurs de ce savoir. « Le maître est
celui qui détient le savoir en tous les domaines et qui le distille goutte à goutte
avec plus ou moins d'art pédagogique. [...] Il possède le savoir et il y a intérêt
329 Abel PASQUIER, « Les formes d u t ransmet t re contemporain » d a n s Essais de théologiepratique. L'institution et le transmettre, Paris, Beauchesne , Collection «Le pointthéologique» n° 49 ,1988 , p . 135.330 Nous e m p r u n t o n s ce t ab l eau de l 'article de Abel PASQUIER, «Typologie d e smécanismes du transmettre» dans Essais de théologie pratique. L'institution et letransmettre, Paris, Beauchesne, Collection «Le point théologique» n° 49,1988, p. 133.
141
à l'écouter331. » Les contenus transmis consistent en l'ensemble des
connaissances acquises, qu'il convient de transmettre avec clarté et
cohérence. Les modalités de communication sont essentiellement basées sur
le discours verbalisé (explication, démonstration et mémorisation). Les
objectifs visent à aider à comprendre, à s'approprier ce qui est dit et à voir
comment tout se tient ensemble.
Pour ce qui est de l'apprentissage, les sujets en présence sont le maître
d'oeuvre et les apprentis. Le premier a un certain savoir-faire à passer à ceux
qui ont le désir d'apprendre. Regarder faire, écouter, poser des questions et
chercher à reproduire, constituent le propre de l'apprenti. Le contenu qui lui
est transmis vise des procédures, des aptitudes. Quant aux modalités, c'est
« faire et en faisant, se faire », l'habitude est de mise. Les objectifs poursuivis
sont la transformation de la matière, mais aussi de l'apprenant. Ainsi,
« procédures, exercices répétés, transformation, tels sont les éléments
constitutifs de l'apprentissage332 », dont le but consiste à « transformer et, en
transformant, se transformer soi-même333. »
Dans l'initiation, les personnes en présence sont le maître initiateur et
ses novices. « Le rapport hiérarchique basé sur le droit d'aînesse est un
rapport clef dans le processus initiatique334. » Le contenu qui est transmis est
constitué d'épreuves en général, et il n'y a pas de « contenu formulable en
terme de matière enseignée335 ». L'initiation vise la vie de tous les jours et
l'intimité. Elle consiste à forger le caractère, ce qui suppose au préalable des
douleurs, car il s'agit de passer par un enfantement, une mort. L'individu est
soumis symboliquement à un statut de défunt336. Les modalités se résument
dans « l'affrontement, la victoire sur la peur de la souffrance et de la mort, et
l'acceptation du risque », exigeant une participation active337. Dès lors, les
331 Ibid., p. 118.332 Ibid., p. 127.333I&id.,p. 128.334 Ibid., p. 129.33s Ibid.33* Ibid., p. 130.337 Ibid., p. 131.
142
objectifs visent l'accès total à la vie. La réflexion de l'auteur rejoint en grande
partie ce qui se vit dans le joro. Nous y reviendrons aux chapitres six et sept.
Il est curieux que le processus « former » soit absent chez Pasquier. L'a-
t-il remplacé par le processus « initier » ? Nous ne pouvons l'affirmer.
Cependant, étant donné que la notion de formation revient dans certaines
typologies et qu'elle constitue une action éducative, nous pensons que le
processus « former » a bien sa place dans une situation éducative. Par
exemple, Amadeo Cencini propose trois types d'intervention dans l'action
pédagogique : éduquer, former et accompagner338. Si ici, sa notion de former
n'a pas le même contenu que celle de Houssaye, il n'en demeure pas moins
que les deux lui accordent une place dans l'action pédagogique. La question
qui reste posée est de savoir comment rendre compte des relations qui
régissent les composantes du triangle pédagogique et l'acte d'initiation.
5. L'initiation et la situation pédagogique
La perspective de Pasquier est orientée vers les principes de
communication alors que celle de Houssaye est principalement pédagogique.
L'analyse de ce dernier met en évidence deux objectifs de l'éducation : le
savoir (savoir déclaratif) et le savoir-faire (savoir procédural). Cependant, ce
savoir-faire est plus théorique que pratique. Pasquier par contre vise le savoir,
le savoir-faire pratique et le savoir-être. La théorie du triangle pédagogique
telle qu'élaborée par Houssaye constitue un cadre pour une lecture de la
démarche initiatique en Afrique. Toutefois, pour que les composantes de
l'initiation lobi s'intègrent dans cette théorie, des ajustements s'imposent et
Pasquier nous permet de faire ces ajustements.
Tout d'abord, sur le plan de la figure géométrique, le triangle avec ses
traits rectilignes pourrait faire place à des figures circulaires ; car dans la
majorité des cas la pensée africaine fonctionne de façon synthétique et
circulaire. « L'idée est saisie dans son entier et énoncée dans son entier. Puis
338 Amadeo CENCINI, Les sentiments du fils, Chemin de la formation à la vie consacrée,Toulouse, Éditions du Carmel, 2003, p. 9, 56.
143
elle se développe pour revenir au point de départ, se réaffirmer, se préciser. La
répétition devient la lame de fond.339 » En remplaçant le triangle par trois
cercles, nous obtenons des relations intéressantes entre les différentes
composantes de la « situation éducative ». Dès lors, nous proposons le schéma
suivant.
Schéma IV-4 : Situation pédagogique B
L'espace créé par les croisements du cercle qui représente le
« professeur » et celui qui représente le « savoir » désigne le
processus « enseigner » ;
L'espace créé par les croisements du cercle qui représente le
« professeur » et celui qui représente « l'étudiant » désigne le
processus « former » ;
L'espace créé par les croisements du cercle qui représente
« l'étudiant » et celui qui représente le « savoir » désigne le processus
« apprendre ».
339 Isidore de SOUZA, « Bible et culture africaine », dans Black Africa and theBible/L'Afrique Noire et la Bible, Jérusalem, The Israël Interfaith Commitee, 1972, p. 87.
144
La question qui se pose, touche l'espace du milieu. Nous proposons les
relations suivantes :
S. n P. -> PE. (lire S interagissant avec?40 P il en résulte PE)
P. n E. -> PF
E . f l S . ^ PA
s. n p. n E . - • P ?.
S. désigne la composante savoir
P- désigne la composante professeur
E. désigne la composante étudiant
PE désigne le processus « enseigner »
PF désigne le processus « former »
PA désigne le processus « apprendre »
P ? désignerait quel processus ?
Toutes ces composantes résultent de l'ensemble « situation éducative »
ou « situation pédagogique », dont l'une des principales composantes est
l'environnement. Si ces relations tiennent, que pouvons-nous proposer pour
combler l'espace au centre, lieu commun des trois ensembles de la « situation
éducative »? À quelles conditions cela serait-il possible ? Quelle contribution
les valeurs des initiations africaines en l'occurrence le joro, peuvent-elles
apporter ? Peut-on envisager que l'espace du centre soit occupé par un
processus qu'on désignerait par l'appellation, « processus initier » ? Le
chapitre huit en fera le point.
Somme toute, du simple art ou de la technique, on en est venu à
considérer les possibilités pour la stratégie d'être perçue comme une science ;
ce qui la déplace de la pure pratique vers la théorie. Dans ce mouvement se
340 Le signe mathématique D (intersection) est ici pris dans le sens d'interaction. En lisantinter, nous abrégeons interagissant. Le signe mathématique dans son emploi classique nenous aidera pas à exprimer le caractère récapitulatif de l'élément, ni son caractèreparticulier par rapport aux autres résultantes.
145
pose indubitablement la question du rapport aux autres domaines d'activités
humaines, lequel rapport se trouve soumis à « la dynamique de la
métaphore »341. Dans la construction des sciences, les concepts connaissent
un caractère nomade. Pris dans un sens métaphorique, certains deviennent
des « concepts techniques d'une discipline, à la fois par leur fécondité dans
certains contextes et par l'oubli de la métaphore qu'ils étaient342. » La stratégie
n'a pas été épargnée par ce caractère nomade, ce qui explique ses
connotations comme dispositifs, processus et démarches ; ces significations
sont largement exploitées dans le présent travail.
Dès lors, la notion de stratégie nous permet d'opérationnaliser la
dimension que nous privilégions dans notre approche du joro. Aborder
l'initiation lobi sous l'angle pédagogique comporte bien des atouts. Tout
d'abord, cette approche ne fait qu'approfondir la dimension éducative que la
quasi-totalité des anthropologues relèvent dans leurs travaux sur les
initiations. Ensuite, elle intègre assez facilement tous les indicateurs qui
décrivent le phénomène de l'initiation. En effet, les études descriptives font
ressortir différentes étapes dans lesquelles les cérémonies se déroulent. Elles
présentent également les objectifs, les acteurs, les moyens et les institutions
porteuses de l'action initiatique (cf. chapitre V et VI). Le survol de la stratégie
pédagogique a mis en lumière un cadre qui aide à relire ces indicateurs de
façon systématique. Enfin, le cadre pédagogique ouvre des voies intéressantes
pour une intégration possible de la démarche initiatique dans une théorie
générale. Le triangle pédagogique, nous semble-t-il, offre cette possibilité,
mais cela requiert des recherches sur le terrain avec les acteurs en éducation.
Malgré ces atouts, il ne faut pas négliger les limites. Le choix d'une
grille de lecture, bien qu'aidant à saisir synthétiquement la dimension
abordée, n'explique pas tout. Elle court le risque de la simplification au
détriment de la complexité du phénomène étude. La simplification est très
341 Gérard FOUREZ, La construction des sciences. Les logiques des inventions scientifiques.Introduction à la philosophie et à l'éthique des sciences, Bruxelles, De Boeck, 1996, p. 51.342 Isabelle STENGERS, D'une science à l'autre, des concepts nomades, Paris, Éditions duSeuil, 1987, citée par Gérard FOUREZ, ibid.
146
réductionniste et peut empêcher de voir que la question abordée comporte
bien des aspects qui ne sont pas nécessairement pris en considération. Aussi,
elle nivelle les données complexes pour ne garder que l'essentiel, car le but
poursuivi est de permettre une saisie rapide des éléments qui pourraient
mieux traduire une réalité donnée. Les figures circulaires que nous avons
construites comportent effectivement des limites, car si nous prenons le cercle
qui représente le professeur, ses fonctions se révèlent être l'enseignement et la
formation tandis que l'apprentissage se trouve hors de son domaine. Une telle
séparation ne traduit pas correctement la réalité. Il en est de même des autres
éléments de la figure. Faut-il pour autant rejeter cette grille ?
Nous n'en sommes pas certain. Car la personne du professeur
récapitule et l'enseignement qui implique l'apprentissage, et la formation qui
implique aussi l'apprentissage et enfin l'apprentissage par laquelle la
personne est devenue professeur. De même, la personne de l'étudiant renvoie,
il est bien vrai, à l'apprentissage et à la formation, lesquelles impliquent un
enseignement. Enfin, quand il s'agit de savoir, les trois dimensions (enseigner,
apprendre, former) se rencontrent. Certes, tout cela a besoin d'être confirmé
ou infirmé par une recherche pédagogique poussée, ce qui pourrait être le
sujet d'une recherche ultérieure. Pour le moment il s'agit de se doter d'un
cadre qui contribuerait à la poursuite de telles études dans un contexte
africain. Le présent travail s'y attelle. Pour cela, la méthodologie qui répond
mieux à un tel projet et qui s'est avérée féconde dans notre approche a été la
recherche qualitative qui est abordée dans le chapitre qui suit.
147
CONCLUSION PARTIELLE
S'il est généralement délicat de parler des initiations traditionnelles en
Afrique, cela l'est davantage quand il s'agit de parler du joro dans un contexte
protestant évangélique. Les quatre chapitres qui précèdent ont tenté de
préparer le terrain. Tout d'abord, le pays lobi et le courant protestant
évangélique ont été présentés comme les deux principaux contextes qui
orientent les réflexions. Ensuite, après une sélection de certains ouvrages
estimés importants pour la compréhension de la démarche initiatique, la
problématique a précisé l'angle sous lequel le sujet sera abordé.
Au terme de ce parcours, il ressort que pour aborder la question de
l'initiation dans une perspective protestante évangélique, certains préalables
s'imposent. Il convient d'abord de définir l'initiation et ses composantes de
manière à ce que la référence au terme trouve sa raison d'être dans la bible et
dans les pratiques chrétiennes dans l'histoire. Il faut ensuite veiller à ce que
l'angle sous lequel la question est traitée s'enracine dans un cadre théorique
dont les concepts facilitent son opérationnalisation. Enfin, l'examen de la
question doit prendre en compte, non seulement les expertises des
spécialistes, mais aussi les opinions des acteurs de base, c'est-à-dire les
premiers concernés par le sujet, de sorte qu'un dialogue s'établisse entre eux
et les spécialistes.
Prendre en considération ces préalables dans le cadre du joro, soulève
cependant quelques difficultés qu'il convient de relever. L'étude des
démarches initiatiques plonge le chercheur dans une sphère nécessairement
anthropologique. Ceci peut laisser entendre que l'initiation relève
principalement du ressort de l'humain. Certes, c'est de l'homme et de ses
méthodes d'intégration dans la société dont il s'agit. Les acteurs sont des
hommes et des femmes agissant dans un environnement qui, de toute
évidence, est humain. Les rites qui sont accomplis font un large usage
d'éléments provenant de la culture d'une population donnée et de
l'environnement qui la porte. Cependant, force est de reconnaître que
148
l'initiation, bien qu'étant une affaire humaine, veut transcender l'homme pour
le mettre en relation avec d'autres réalités.
Cet anthropocentrisme colore l'esprit englobant et le but même de
l'initiation. Si en effet, l'homme semble occuper une place centrale dans la
démarche initiatique, c'est simplement dans le but de l'amener à se connaître
en se confrontant aux réalités qui l'entourent, en l'occurrence le monde
matériel et spirituel, en d'autres termes, les réalités physiques et
métaphysiques. Car l'espace et le temps qui s'offrent à l'homme africain sont
aussi occupés par d'autres réalités avec lesquelles il interagit consciemment
ou inconsciemment. Les esprits bons et mauvais, les esprits des décédés,
ceux des ancêtres et Dieu agissent sur lui, et il agit lui aussi avec eux pour
que son environnement lui soit propice. C'est donc un espace où se
rencontrent l'anthropologie et la théologie. Car, l'initiation traditionnelle
africaine opère dans un cadre spatio-temporel où se déploie une interaction
entre le visible et l'invisible, ce qui explique en partie son caractère global. Elle
ne se limite pas seulement à un niveau purement humain, mais veut
comprendre l'homme à partir d'un ensemble dont certains éléments se situent
au-delà de l'humain. Ce sont justement ces éléments pris isolément, qui
suscitent des appréhensions chez la plupart des protestants évangéliques.
Les éléments liés au culte des divinités tels que les sacrifices, soulèvent
des questions. Le Dieu de la bible n'est-il pas perçu comme le Dieu jaloux qui
invite son peuple à se séparer des autres dieux ? Établir un dialogue avec les
initiations traditionnelles ne serait-il pas contraire au principe de la mise à
part du chrétien ? Comment définir ce dialogue avec les initiations
africaines ? Comment s'y prendre pratiquement sans s'enliser dans un
syncrétisme ? Ces interrogations montrent à quel point le dialogue s'avère
important dans une recherche sur les rapports entre les initiations
traditionnelles africaines et l'éducation à la foi chrétienne. Cependant, dans le
cadre du présent travail, il ne nous a pas été possible de prendre cela en
compte dans notre cadre théorique. En revanche, le travail en lui-même
149
explore et propose les conditions nécessaires à une pratique du dialogue avec
l'initiation traditionnelle lobi.
Dans le contexte du courant protestant évangélique, une telle tâche ne
peut se passer des apports méthodologiques des théologies contextuelles.
Généralement acceptée par les évangéliques, la contextualisation implique la
référence au contexte dans lequel l'évangile est accueilli. Mais comment peut-
on contextualiser l'évangile sans tenir compte de la culture de ce contexte ? Si
les aspects essentiels de cette culture sont méconnus, négligés ou écartés du
projet de l'éducation à la foi, comment serait-il possible d'atteindre le cœur
même de l'Africain ? En pays lobi, les anthropologues reconnaissent la
centralité du joro, or les missions chrétiennes l'ont jusqu'ici combattu ou sont
très distantes vis-à-vis de sa contribution pour une bonne formation
chrétienne.
En contexte protestant surtout, personne ne se pose la question de
savoir comment le chrétien qui n'a pas été à l'initiation se sent au milieu des
siens. Tout se passe comme si ce dernier était arrivé "vide" dans le
christianisme, sans un bagage culturel avec lui. Aussi s'étonne-t-on que
beaucoup de chrétiens adoptent des attitudes légalistes comme si la vie que
propose le Christ était une vie exclusivement basée sur l'observance des
interdits. Cette attitude ne proviendrait-elle pas des réminiscences du joro ?
En revanche, certains adoptent un comportement dissolu, conséquence d'une
certaine compréhension de la liberté qu'offre la vie chrétienne par rapport à
l'éthique que propose la culture. Une question qui demeure cruciale et reste à
explorer est celle de savoir comment, dans la contextualisation, s'opèrent les
mécanismes d'appropriation du message biblique au niveau des individus et
des communautés ?
Cette exploration ne relèvera pas, comme nous l'avons déjà dit, de la
seule expertise du théologien, du ministre du culte, du catéchiste ou du
missionnaire ; elle devrait impliquer tous les acteurs concernés, de la base
jusqu'au sommet. Les recherches prendront aussi en considération les
cultures et les situations présentes de ces acteurs. Bien qu'apparemment, de
150
telles propositions rencontrent l'agrément des évangéliques, sur le terrain la
réalité se présente autrement. Il ressort des contextes sociogéographique et
confessionnel que nous avons examinés, que certains Lobi ont ouvert leur
cœur à l'évangile. Toutefois, les positions du courant protestant évangélique, à
moins d'une sérieuse révision et d'une prise en compte réelle de la
contextualisation, donnent l'impression de pousser au mépris et au reniement
de la culture lobi. Une telle impression se vérifie t-elle chez les chrétiens lobi
issus du milieu évangélique ? La partie qui suit nous le révélera.
151
DEUXIEME PARTIE
L'INITIATION LOBI : REPÈRES PÉDAGOGIQUES
Le terme joro est diversement transcrit par les ethnologues et
anthropologues. Dyoro chez Henri Labouret343, gyoro chez Cécile de RouviUe344
et joro dans les ouvrages qui se sont alignés sur l'alphabet national. Cette
dernière transcription est privilégiée dans le présent travail. La transcription
de RouviUe semble être plus phonétique et facilite la prononciation à ceux qui
sont étrangers à la langue lobi ou lobiri. Relevons cependant, que la
prononciation n'est pas la même dans toutes les régions. La plupart des Lobi
prononcent "guioro" (prononcer les o comme o dans botte en français ou hot
en anglais). Ceux des régions Centre-Nord et Nord-Ouest prononcent "zoro".
Nous avons opté pour la transcription basée sur l'alphabet national car elle
nous rapproche de la politique générale du Burkina Faso en matière de
transcription des langues locales.
Malgré la discipline de l'arcane, la curiosité et le courage des
chercheurs ont produit quelques écrits sur le joro. Henri Labouret se présente
comme l'auteur du plus important classique en matière de la connaissance
des Lobi. Ses études ethnographiques, bien que parsemées de plusieurs
erreurs de jugement constituent cependant un joyau pour comprendre la
perception qu'avaient les colons du peuple lobi et de ses coutumes. Cette
perception se voit beaucoup modifiée dans les ouvrages de Madeleine Père,
ouvrages scientifiquement plus équilibrés que le précédent. En plus de ces
deux grands classiques, il existe d'excellents ouvrages sur les traditions et
coutumes lobi ; parmi ceux-ci nous retenons Cécile de RouviUe et Michèle
Piéloux345. Tous ces ouvrages font référence au joro, et insistent sur la place
combien centrale de cette institution chez les Lobi. Bien que les auteurs lobi
soient liés au respect de la tradition, il en existe qui ont aussi cherché à faire
connaître la grande initiation à travers des études anthropologiques et
343 Henri LABOURET, Les tribus du rameau Lobi, Paris , Ins t i tu t d 'ethnologie, 1931 , p .414-436.344 Cécile de ROUVILLE, Organisation sociale des lobi: une société bilinéaire du BurkinaFaso et de Côte d'Ivoire, Par is , L 'Harmat tan , 1987, p . 185-193 .345 Michèle FIÉLOUX, J a c q u e s LOMBARD, Jeanne -Mar i e KAMBOU-FERRAND, (dir),Images d'Afrique et sciences sociales. Les Lobi, Birifor et Dagara, Paris, Karthala/Orstrom,1993, 567 pp. ; Michèle FIÉLOUX, Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales lobi de laHaute-Volta vers la Côte d'Ivoire, Paris, ORSTOM, 1980, 199 pp.
153
théologiques (cf. chapitre 2). À ceux-ci, il faut ajouter la thèse de Joseph-
Antoine Kambou qui aborde le joro dans une perspective sociale et
éducationnelle346. Son article : « Histoire d'un rite de passage : le joro lobi » a
retenu notre attention. Dans leurs récits du joro, tous les auteurs cités sont
fidèles aux divisions séquentielles telles qu'élaborées par Van Gennep pour les
rites de passage : le temps de séparation, celui de la transition et enfin celui
de la réintégration347.
Les études du joro chez les ethnologues s'attachent souvent à des
analyses descriptives. Cela permet de suivre les différentes séquences des
rites pour tirer les interprétations qui s'imposent. Cependant, de telles études
ne tiennent pas toujours compte des situations particulières des
informateurs. Ainsi donnent-elles l'impression que tous les Lobi, quelles que
soient leurs expériences religieuses, leurs rapports à la modernité ou à la
tradition voient le joro de la même manière. C'est pourquoi, dans le présent
travail, nous avons choisi d'aborder le sujet à partir de personnes partageant
la foi chrétienne et les mêmes expériences initiatiques. En outre, aucune
étude du joro ne s'appuie sur une grille pédagogique pour saisir ses
caractéristiques éducatives. Cette recherche tente de poser des repères pour
une telle approche.
Il s'ensuit que les approches théologiques se bornent elles aussi, dans
la majorité des cas, à comprendre les vérités théologiques à partir des valeurs
du joro et vice versa. Aucune étude ne part d'une lecture basée sur un livre
particulier de la Bible qui s'arrime à une situation éducative pour voir
comment cela peut éclairer la compréhension des dimensions pédagogiques
des initiations non chrétiennes. Dans une approche contextuelle et surtout
évangélique, une telle démarche s'impose. C'est pourquoi, nous avons choisi
de mettre en dialogue l'impératif missionnaire de Matthieu 28, 18-20 pour
346 II ne nous a pas été possible de nous procurer cet ouvrage. « Le dyoro ou initiationsociale au sud de le Haute-Volta », Mémoire, Paris, 1972. Cependant nous avons traité unde ses articles sur l'initiation lobi qui nous sert ici de point de départ. « Histoire d'un ritede passage : le joro lobi » dans Michèle Fiéloux, et al (dir.), Images d'Afrique et sciencessociales. Les Lobi, Birifor et Dagara, Paris, Karthala/Orstrom, 1993, p 361-367.347 Arnold V a n GENNEP, The Rites of Passage, Chicago, The Universi ty of Chicago P res s ,1961, p. 81-82.
154
dégager les corrélations avec l'initiation en pays lobi. Le choix de cet évangile
repose sur le fait qu'il se prête bien à l'éducation à la foi.348 Premièrement,
d'aucuns avancent l'hypothèse d'une « École matthéenne349 » et d'autres
proposent cet évangile comme une « somme pédagogique350. » Arias Mortimer
soutient que la mission dans Matthieu serait d'ordre catéchétique, et que sa
méthode serait l'éducation chrétienne351. Cette perspective amène l'auteur à
opter pour une structure basée sur les discours de Jésus. Il y décèle cinq
discours précédés par des narrations et conclus par le refrain : ôxc tièlzvtv ô
'Ir)aoOç nàvxa xoùç Xôyovq TOÛTOUÇ (quand Jésus eut achevé ces discours, cf.
Mathieu 7, 21 ; 11, 1 ; 13, 53 ; 19,1 ; 26,1).
Deuxièmement, l'impératif missionnaire qui est particulier à
Matthieu352 est perçu par certains spécialistes comme un sommaire, le point
focal ou la clef pour la compréhension de l'évangile353. Deux parties
construisent cette conclusion : l'apparition du Ressuscité (16-18a) et le
message du Ressuscité (18b-20). Cette dernière partie retiendra notre
348 Élian CUVTLLIER, « L'Évangile selon Matthieu », d a n s Introduction au NouveauTestament. Son histoire, son écriture, sa théologie. Daniel MARGUERAT (dir.) Genève,Labor et Fides, 2000, p. 63.349 Krister STENDAHL, The School of St. Matthew and Its Use of the Old Testament,Philadelphia, For t ress , 1968. Cf. Anselm GRÛN, Jésus, le Maître du salut. Évangile deMatthieu, T radu i t de l 'Allemand pa r Claude Louis, Paris , Bayard , 2 0 0 3 , p .8 .350 Victor P. FURNISH, Theology and Ethics in Paul, Nashville, Abingdon Press , 1978 ,p.98ss.351 Arias MORTIMER, « C h u r c h in the World. Rethinking the Grea t Commiss ion », d a n sTheology Today n° 4 7 , J a n 1991 , Princeton, Princeton Theological Seminary , 1991 , p .412 .352 Cf. Chr i s t i an-Bernard , AMPHOUX, L'évangile selon Matthieu. Codex de Bèze. Lls le-sur- la -Sorgue , Le bois d'Orion, 1996; La synopse de M-E. BOISMARD le confirme.Synopse des quatre évangiles en français, tome II, Paris , Édi t ions d u Cerf, 1972. Pourl'histoire de la rédaction, cf. Jean ZUMSTEIN, «Matthieu 28,16-20», dans Revue deThéologie et de Philosophie, 1972, p . 15-22, cf. également La condition du croyant dansl'évangile selon Matthieu, Fribourg, Édit ions Universi taires de Fribourg, 1977, p .86 -106 ;J o h n , p . , MEIER, « Two Disputed Quest ion in Matt », d a n s Journal of Biblical Literature,Missoula, Society of Biblical Literature, 1977, p. 407-424 . J a c k Dean , KINGSBURY, « Thecomposi t ion a n d Christology of Matt. 2 8 , 16-20 » d a n s Journal of Biblical Literature,Missoula, Society of Biblical Literature, 1974, p. 573-584 .353 J o h n MEIER, « a r t . cit. », 1977, p . 4 0 7 ; J e a n ZUMSTEIN, « ar t . cit. » 1972, p . 15; op.cit., p . 9 4 - 9 5 ; Daniel J . HARRINGTON, The Gospel of Mat thew, Collegeville, LiturgicalPress , Collection « Sac ra pagina » 1, p . 416 . Pour u n ape rçu d e s différentes appréc ia t ionsde la finale de Mat th ieu , cf. également David BOSCH, op. cit. 1995, p . 7 8 .
155
attention. Elle se subdivise en trois parties. Jean Zumstein la divise comme
suit354 :
v. 18b la révélation de la toute-puissance de Jésus ;
w. 19-20a l'ordre de mission aux disciples ;
v. 20b la promesse d'assistance de Jésus.
La même structure ressort chez Frederick Dale Bruner355. Le fil
conducteur de sa division repose sur l'élément « commandement ». Les versets
18 et 20 se réfèrent à celui qui donne le commandement et, entre les deux, se
trouve le commandement lui-même (v. 19). Tout en prenant en compte ces
structures, nous appliquerons notre grille de lecture basée sur les indicateurs
pédagogiques pour organiser les différentes composantes qui orientent notre
compréhension de l'impératif missionnaire.
C'est donc à partir des indicateurs pédagogiques du joro et de
l'impératif missionnaire que seront articulés les chapitres de cette partie. Elle
examine la question suivante : en quoi le joro dans les discours des chrétiens
protestants évangéliques contribue-t-il à la compréhension de la place que
pourrait occuper l'initiation dans une situation pédagogique et dans la
formation chrétienne ? Quatre chapitres y sont consacrés. Le chapitre cinq
présente l'approche par laquelle la recherche s'est effectuée et les outils
utilisés pour récolter et analyser les discours des entrevues réalisées sur
l'initiation en pays lobi. Les chapitres six et sept examinent le cadre, les
acteurs du projet de l'initiation du joro et sa démarche. Chacun de ces deux
chapitres fera appel à la perspective mathéenne de la formation du disciple
pour voir comment ces deux approches peuvent s'éclairer à travers leurs
similarités et leurs discontinuités, et contribuer à la compréhension d'une
situation pédagogique. Le dernier chapitre proposera quelques repères pour
un processus pédagogique et pour une formation chrétienne contextualisée.
354 J e a n ZUMSTEIN, op. cit., 1977, p .87.355 Frederick Dale BRUNER, Matthew, a Commentary, Grand Rapids , Ee rdmans , 2004 , p .805.
156
CHAPITRE V
À L'ÉCOUTE DE L'EXPÉRIENCE : DÉMARCHE ET RÉSULTATS
« L'effritement de la perspective positiviste ne s'est pas fait sans débats
entre ses tenants et ses adversaires. Ces débats se poursuivent encore
aujourd'hui. On le voit principalement dans l'opposition entre recherche
quantitative et recherche qualitative356. » Cette opposition a amené certains
chercheurs à interpréter l'audience accordée à la recherche qualitative comme
une quête d'accréditation académique. Bourdieu rapporte que cette approche
permet « à beaucoup de chercheurs de convertir en refus collectif certains
manques de leur formation357 ». Mauger y voyait déjà des « positions-refuges,
bien faites pour attirer à elles des héritiers et parvenus, porteurs de titres
scolaires dévalués en quête de reclassement358 ». Malgré ces critiques,
plusieurs disciplines se tournent vers la recherche qualitative. Dans ce
chapitre, nous proposons de voir comment elle se définit et en quoi elle
pourrait être pertinente dans le champ de la théologie ? En partant de la
définition, des techniques d'enquête et des méthodes d'analyse, nous ferons
ressortir les avantages qu'offre cette approche ainsi que les critiques dont elle
fait l'objet. Nous appliquerons ensuite ces techniques de collecte et d'analyse
au joro.
356 Chr i s t i an LAVILLE et J e a n DIONNE, La construction des savoirs Manuel deméthodologie en sciences humaines, Montréal/Toronto, Chenelière/McGraw-Hill, 1996, p.38.357 Pierre BOURDIEU, La noblesse d'État. Grandes écoles et esprit de corps, Par i s , Édi t ionsd e Minuit , 1989 , p . 10, cité pa r Lionel-Henri GROULX, « Con t r ibu t ion de la r eche rchequal i ta t ive à la r e c h e r c h e sociale », d a n s J e a n POUPART, J e a n - P i e r r e DESLAURIERS,Lionel-Henri GROULX, et. al, (dir.), La recherche qualitative Enjeux êpistémologiques etméthodologiques, Q u é b e c , G a é t a n Morin, 1997, p . 76 .358 Gé ra rd MAUGER, « L 'approche b iograph ique e n sociologie » d a n s Les Cahiers del'Institut d'histoire du temps présent, n°ll , avril, Paris, L'Institut, 1989, p. 92, cité parLionel-Henri GROULX, « art. cit. », p. 76.
157
1. La méthode qualitative
Dans son introduction à la recherche qualitative, Jean-Pierre
Deslauriers écrit : « On ne peut plus étudier les transformations sociales et les
microsystèmes sociaux avec un instrument qui mise sur la régularité, la
stabilité et le grand nombre : il faut s'approcher du terrain, se faire plus
inductif et se laisser imprégner de l'air du temps359. » L'objectif qui est ici visé
dénote une certaine démarcation avec la recherche quantitative qui se veut
accumulatrice de preuves, et privilégie la recherche qualitative. S'il est juste
que celle-ci s'éloigne de l'approche quantitative, force est de reconnaître
qu'elle ne proscrit pas l'utilisation de données quantitatives dans son
approche. Seulement, celles-ci ne sont pas utilisées pour prouver, mais pour
permettre une compréhension du phénomène étudié360.
1. 1. Définition
Steven J. Taylor et Robert Bogdan définissent la recherche qualitative
en ces termes : « Qualitative methodology refers in the broadest sensé to
research that produces descriptive data : people's own written or spoken
words and observable behavior361. » Cette définition implique les deux temps
forts de cette recherche qui sont : la collecte des données et leur analyse362.
Pour ce qui est de la technique de collecte des données, le chercheur se trouve
lui-même fortement impliqué dans ce qu'il fait pour recueillir les informations
permettant de comprendre le phénomène social objet de ses recherches. C'est
à juste titre qu'on parle de proximité avec le terrain et d'empathie pour
359 Jea -P ie r re DESLAURIERS, Recherche qualitative guide pratique, Montréa l /Toronto ,Chenel ière/McGraw-Hil l , 1991 , p . 5.360 pierre PAILLÉ, « Fidélité en recherche quali tat ive », d a n s Alex, MUCCHIELLI, (dir.),Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, ArmandColin/Masson, 2002, p. 82.361 Steven J . TAYLOR et Robert BOGDAN, Introduction to Qualitative Research Methods.The Search for Meanings, New York, A. Wiley-Interscience Publ icat ion, 1984, p . 5, cite pa rJean-P ie r re DESLAURIERS, Recherche qualitative guide pratique, Montréa l /Toronto ,Chenel ière/McGraw-Hil l , 1991 , p . 6.362 Alex, MUCCHIELLI, (dir.), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaineset sociales, Paris, Armand Colin/Masson, 2002, p. 182.
158
montrer la relation qu'entretient le chercheur avec ses informateurs et la
place de la subjectivité dans son entreprise. L'intérêt est désormais centré sur
les acteurs eux-mêmes et non seulement sur une classe de spécialistes qui
croient avoir le monopole du savoir.
Outre cet avantage anti-discriminatoire en ce qu'« attentive à la
pluralité de constructions de sens, la démarche qualitative oblige [...] à
acquérir une perception davantage holistique des problèmes363 ». Cette vision
holistique s'oppose au réductionnisme positiviste et recherche, à travers
l'échantillonnage, les unités sociales significatives pour parvenir à la
connaissance de l'ensemble. On part du principe que « pour savoir si un plat
est cuit, il est inutile de le manger au complet, il suffît de le goûter364 ». Il ne
sera plus question de représentativité dans la recherche qualitative, mais
plutôt de la notion de saturation365. Cette façon de procéder n'est nullement
comparable à la segmentation ou à l'isolement des parties d'un tout dans le
but de saisir les particularités pour remonter à la réalité qu'on croit
ontologique. La recherche qualitative opère là un déplacement par rapport au
positivisme par le rejet d'une ontologie des phénomènes qui s'imposent et qu'il
convient de découvrir. Il est plutôt question d'une construction dans laquelle
l'individu et son milieu sont pleinement engagés. Dans la démarche
qualitative, une place de choix est accordée à l'autonomie individuelle.
Mucchielli parle de réhabilitation de l'individu et de l'accent porté sur sa
capacité de modifier le cours des événements366. La vérité-correspondance et
son corollaire, que véhicule la notion d'objectivité, sont remis en question
pour faire place à l'interprétation et à la subjectivité dans la compréhension
des faits sociaux. Cette compréhension passe par des techniques d'analyse.
363 Lionel-Henry GROULX, « Contr ibut ion de la recherche qual i ta t ive à la recherchesociale », d a n s J e a n POUPART, Jean-P ie r re DESLAURIERS, Lionel-Henri GROULX, et. al,(dir.), La recherche qualitative Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Québec ,Gaé tan Morin, 1997, p . 57 .364 J ean-P ie r re DESLAURIERS, Recherche qualitative guide pratique, Montréa l /Toronto ,Chenel ière/McGraw-Hil l , 1991 , p . 57 .365 Alex MUCCHIELLI, Les méthodes qualitatives, Par is , P resses Univers i ta i res de France ,collection « Que sais-je », 1991 , p . 18.3(* Ibid., p . 13.
159
Plusieurs techniques caractérisent les recherches qualitatives, cependant,
nous nous sommes intéressés principalement à l'analyse de contenu.
1.2. Technique d'analyse de contenu
L'analyse de contenu passe d'abord par la collecte des données qu'il
s'agit d'analyser par la suite. Ces données peuvent être constituées
d'entrevues enregistrées, des écrits, des photos etc. suivant certains critères.
Une fois la collecte faite, les données sont codifiées et soumises à l'analyse.
Cette analyse basée sur les contenus (textes, photo...) procède par
catégorisation, classification, et saturation. Le texte est lu et relu dans le but
de repérer les unités minimales d'information. À ces unités sont attribués des
codes367 en veillant à ce que deux catégories ne disent pas la même chose.
Dans l'analyse de contenu, le chercheur et les informateurs interagissent pour
parvenir à un savoir qui intègre harmonieusement les interprétations des
acteurs et celles du chercheur368. Le principe qui dirige toutes les actions
d'analyse est celui de l'induction. C'est le texte qui doit orienter la
détermination de telle ou telle catégorie. Le chercheur scrute minutieusement
les informations jusqu'à ce qu'il n'arrive plus à y voir du nouveau dans le
processus, c'est la saturation369. Dans notre cas, nous avons eu une vingtaine
d'entrevues sur l'initiation lobi. Nous nous sommes limité à ce chiffre à cause
de ce principe de saturation, car les personnes interrogées disaient presque
les mêmes choses et comme nous n'arrivions plus à trouver d'informations
pertinentes totalement nouvelles, nous avons mis fin à nos entrevues.
367 Jean-Pier re DELAURIERS, op. cit., 1991 , p . 70-78 . Cf. Laurence BARBIN, L'analyse decontenu , 9 e édition, Paris , Presses Universitaires de France , collection « Le psychologue »,1998, p. 134-149.368 Anne LAPERRIÊRE, « Les cri tères de scientifîcité des mé thodes qual i tat ives », d a n sJ e a n POUPART, Jean-Pie r re DESLAURIERS, Lionel-Henri GROULX, et. ai, (dir.), op. cit.,p . 3 6 9 - 3 7 1 . J e a n POUPART, « L'entretien de type qualitatif», Ibid., p . 178.369 Jean-Pier re DELAURIERS, op. cit., 1991 , p . 8 3 . cf. Alex MUCCHIELLI, op. cit., 1991 , p .114-115; Alex MUCCHIELLI, (dir.), op. cit., 2002 , p . 204 . Cf. également Alvaro P. PIRES,« Échant i l lonnage et recherche qualitative : Essai théorique et méthodologique », d a n sJ e a n POUPART, Jean-P ie r re DESLAURIERS, Lionel-Henri GROULX, et. al, (dir.), op. cit.,p. 156-164.
160
Missionnaires, pasteurs et prêtres africains, enseignants
d'établissements publics et privés, chrétiens laïcs ont formé notre groupe
d'informateurs. Nous avons effectué deux voyages au Burkina Faso, et compte
tenu de la distance, nous avons pris sur place un instituteur, Kambou
Sansan Winceslas, qui nous a suivi dans tous nos déplacements pour nous
servir d'interprète quand cela s'avérait nécessaire. Nous lui avions expliqué le
but que nous poursuivons, les questions du protocole de recherche et il a
appris en pratiquant avec nous comment faire des entrevues à partir de notre
approche. Quand nous ne comprenions pas certaines expressions lors de la
traduction, nous faisions appel à lui et, au téléphone, il nous donnait les
explications nécessaires. Aussi servait-il de pont entre nous et les répondants
au Burkina Faso.
Dans la recherche qualitative, l'avantage d'être proche du terrain peut
être une source de force ou de faiblesse. Les critiques n'ont pas manqué de
relever la question de validation scientifique. Gérard Mauger y voit une vision
trop romanesque370. Mais comment peut-on être des acteurs au
développement des peuples si les situations qu'ils vivent nous laissent froids ?
Si les sciences humaines veulent aider les acteurs sociaux à se comprendre,
ou à s'éduquer, la recherche qualitative leur offre une autre manière d'aborder
la réalité, celle qui est proche des acteurs de cette réalité. Cette approche
donne la priorité à la proximité du terrain et implique les acteurs directs à la
construction des savoirs. Dans une recherche comme la nôtre, elle ouvre les
possibilités à la vérification de certaines théories ou idées véhiculées à propos
d'un phénomène lié à un milieu déterminé. Si nos lectures sur l'initiation lobi
nous ont permis d'orienter nos recherches, il s'ensuit que, confrontées à la
réalité du terrain, certaines données ethnographiques se sont avérées très
tendancieuses voire fausses. À ce propos, le classique des études sur les Lobi
a soutenu la thèse suivante sur l'initiation :
370 Gérard MAUGER, « L'approche biographique en sociologie », dans les Cahiers del'Institut d'histoire du temps présent, n°ll , avril, Paris, L'Institut, 1989, p. 87, cité parLionel-Henry GROULX, « Contribution de la recherché qualitative à la recherche sociale »,dans Jean POUPART, Jean-Pierre DESLAURIERS, Lionel-Henri GROULX, et. ai, (dir.), op.cit. p. 78.
161
Ainsi qu'on l'a vu, il ne semble pas que ces diverses cérémoniesaient une influence particulière sur l'éducation, la morale ou lamentalité de ceux qui s'y soumettent. Il s'agit pour eux d'acquérir laprotection d'une divinité, l'opération essentiellement religieuse n'a,selon moi, aucune répercussion sur la société371.
Aujourd'hui, une telle thèse est dénuée de tout fondement eu égard aux
études entreprises par la suite372. La position de Labouret ci-dessus citée a
pourtant influencé les premiers missionnaires en pays lobi. Nous avions
trouvé dans les archives de la mission protestante un exemplaire de ce
classique que tout missionnaire est censé lire. Il n'est donc pas étonnant que
plusieurs se méfient du joro à cause de ses aspects sacrificiels. En outre, les
chrétiens lobi et birifor emboîtent le pas de ces derniers et vont jusqu'à
qualifier le joro de diabolique. Toutefois, pour ce qui touche les aspects
politico-éducatifs, les positions restent partagées ; nous laisserons les
entrevues elles-mêmes confirmer ou infirmer les allégations de Labouret et
des études subséquentes. Les chapitres six et sept se prêteront à cette tâche,
mais avant d'y parvenir, il importe de saisir la démarche qui a orienté
l'exercice.
2. Collecte et analyse des données sur le joro
Avant de recueillir les premiers témoignages des acteurs sur le
phénomène de l'initiation, nous avons d'abord interrogé une quinzaine de
personnes et fait une recherche documentaire en bibliothèque pour avoir une
idée de l'état actuel de la question du rapport entre éducation à la foi
chrétienne, initiation traditionnelle africaine et théories pédagogiques. Ce
premier repérage a permis de préciser la question à laquelle nous voulons
371 Henr i LABOURET, op. cit., p . 4 3 4 .372 Antoine de Padou POODA, « Le Joro et l'initiation chrétienne, De la confrontation àl'intégration » Mémoire de théologie, Grand Séminaire Régional de Koumi, Burkina Faso,1998, p. 9-11, résume les positions de Madeleine Père dans Les Lobi, Traditions etchangements, Tome 2, Paris, 1988, p. 40-41 et de T. J. KAMBOU, « Le dyoro ou initiationsociale au Sud de la Haute-Volta », Mémoire, Paris, 1972, p. 40-41. Ceux-ci,contrairement à LABOURET, voient dans le Joro, un élément important ayant desconséquences sur toute la vie individuelle et sociale. Kambou y voit un « système politico-éducatif ».
162
apporter un éclairage, le but que nous poursuivons, les outils de collecte et
d'analyse des données, ainsi que l'orientation théorique de la recherche. C'est
donc après notre premier voyage au Burkina Faso, et le cours que nous
avions suivi sur la recherche qualitative, que nous nous sommes orienté vers
la méthode qualitative373. Ajoutons que le deuxième examen de doctorat et les
entretiens avec nos directeurs de recherche et nos professeurs et collègues
ont contribué énormément à préciser notre angle d'étude. C'est après ce
parcours que nous avions précisé les questions qui ont orienté la collecte des
données sur le joro.
2. 1. Collecte des données sur lejoro
Un premier voyage au Burkina Faso en février 2002 a permis de nous
entretenir avec quinze répondants. Nous avions demandé aux gens de nous
dire ce qu'ils savaient sur la grande initiation lobi et sur le projet d'éducation
chrétienne de la mission Worldwide Evangelization for Christ (WEC
International) qui travaille parmi les Lobi et dont le siège international se
trouve à Londres avec des antennes dans plusieurs pays du monde. Aussi
avons-nous pu photocopier des portions de procès-verbaux de la mission sur
la formation et entrer en possession de plusieurs documents édités dans le
cadre de l'éducation chrétienne. Ces entretiens nous ont conduit à poser de
manière plus précise les critères de choix de nos interlocuteurs, les moyens de
collecte et l'outil d'analyse des données. En outre, les difficultés que nous
avions rencontrées ont aussi contribué dans ces choix. Le manque de
personnes disponibles pour nous parler librement de la grande initiation lobi,
le manque de temps dû aux exigences administratives qui nous obligeaient à
revenir à Québec avant l'expiration de notre visa de séjour nous ont conduit à
opter pour un échantillon qui ne mise pas sur le grand nombre. De retour à
373 Ce qui nous a ramené à l'Université était moins les contenus des cours que leursapproches et leurs méthodologies. Le but que nous poursuivons est surtout de nous doterd'une approche de recherche et d'une démarche qui nous permettront d'étudier ce qui sepasse dans la formation en Afrique. Cette thèse constitue une tentative de construire uneapproche personnelle et la recherche qualitative nous a introduit dans une aventure quine fait que commencer.
163
Québec en avril, par intuition nous avons cherché dans le département
d'anthropologie un cours de méthode, étant donné que notre sujet portait sur
l'initiation, et nous avons découvert le cours sur la recherche qualitative vers
laquelle nous nous sommes finalement orientés.
Nous avons ensuite effectué un deuxième voyage au Burkina Faso en
février 2003 en vue de mener des enquêtes complémentaires. Le protocole
comprend deux sections, la première se compose de dix questions fermées et
ouvertes, {cf. Annexe : Questionnaire) La deuxième est constituée d'entrevues
axées sur trois questions visant à recueillir les opinions des répondants sur la
grande initiation lobi et sur la possibilité d'une initiation chrétienne « version
lobi ». Toutefois, les exigences du terrain nous ont amené à plus
d'observations et d'entrevues. Le questionnaire n'a pas du tout fonctionné
comme souhaité à cause du temps qui nous était imparti. Il fallait traduire les
questions en langues lobi et birifor pendant les entrevues, car la grande
majorité de nos répondants ne comprenait pas le français. Procéder à une
traduction prenait énormément du temps. Il était possible d'avoir une version
écrite dans les deux langues, mais cela posait également quelques difficultés.
Si les 90 % de nos informateurs savent lire dans les deux langues, la majorité
aurait de la peine à transcrire leurs réponses. Étant donné que nous avons à
faire à une société à tradition orale, il faut s'y adapter. Ainsi, nous avons
cherché à saisir par des entretiens informels et des entrevues formelles les
opinions que les répondants ont de l'initiation lobi et des rapports qu'ils ont
pu observer entre l'initiation traditionnelle et la foi chrétienne. Après les
salutations usuelles, les rencontres étaient introduites en ces termes :
« racontez-nous ce que vous savez du joro, c'est-à-dire, comment les gens se
préparent, quel est le parcours suivi, qu'est-ce qui se fait pendant les
cérémonies d'initiation et comment les initiés sont réintégrés dans la vie de
chaque jour ». Vers la fin de l'entrevue, nous posions la question suivante :
« avez-vous remarqué dans le christianisme des choses que vous avez vu dans
\ejoro? »
164
Ces questions ont ainsi orienté nos entrevues, et nous avons pu nous
entretenir avec vingt-sept personnes qui ont constitué le cercle de nos
informateurs. Même si toutes les entrevues ont été prises en compte, dix ont
été privilégiées pour les analyses à cause du type d'initiation pour lequel nous
avions finalement opté. Notre choix s'explique par le fait que nous avons
voulu prendre en considération et les opinions des hommes et celles des
femmes de façon équitable. En outre, comme les analyses se basent sur la
traduction des entrevues réalisées en lobiri et en birifor, nous avons essayé de
rester fidèles au style oral et à la pensée des répondants. Cependant, quelques
difficultés se sont posées dans la traduction de certaines entrevues. Certaines
parties des bandes sonores sont difficiles à saisir, soit à cause de la diction
des répondants, soit à cause des expressions idiomatiques qu'il est difficile
pour nous de rendre correctement français. Cette difficulté a aussi milité dans
le choix des entrevues à prendre en compte.
De plus, le souci de rester fidèle à la pensée des répondants nous a mis
dans une situation de tiraillement entre une traduction littérale et une
traduction dynamique. Finalement, nous avons opté pour la traduction
dynamique afin que les textes soient plus compréhensibles en français.
Néanmoins, dans le souci de respecter le style oral et les nuances de certains
termes propres aux langues lobi et birifor, il nous est arrivé de nous coller
davantage au texte. Dans ce cas, nous avons gardé le mot ou l'expression
dans ces langues, en mettant entre parenthèse ou en note de bas de page
l'explication.
Les entrevues ont reçu les cotes suivantes : E001FL, E002FL, E003HL,
E005FL, E006FB, E008HL, E009HL, E010HL. Les entrevues E008HL et
E009HL constituaient au départ une seule entrevue, car les intervenants ont
sollicité d'être ensemble pour nous parler de ce qu'ils savent du joro. Dans la
première codification nous les avions gardées ensemble sous la cote E008-
009HL. C'est dans la seconde codification qu'elles ont été scindées, car non
seulement le texte était long, mais cela créait aussi des problèmes dans les
recherches sur les occurrences. Afin d'éviter la surcharge des notes
165
infrapaginales, les références à ces entrevues seront insérées dans le texte.
(E001FL, §1) désignera l'entrevue classée 001 faite avec une femme lobi (F =
femme, H = homme ; L = lobi, B = birifor), la citation venant du paragraphe 1.
Ces entrevues ont été soumises à un traitement informatisé à l'aide du logiciel
NVivo 2.0.
2. 2. Procédure de traitement des données par Nvivo 2.0
Le logiciel NVivo est une version de NUD*IST dont la première version a
été développée en 1999 à Melbourne en Australie, par la compagnie QSR
international374. Il se fonde sur un principe d'analyse qui relève de la
décontextualisation et de la recontextualisation375. La décontextualisation
consiste à extraire d'un corpus, des unités traitant d'un même thème et à les
ranger dans un même groupe thématique. Ces extraits ainsi isolés de leurs
structures ou contextes, d'où le terme décontextualisation, sont ensuite
classés ou restructurés dans des ensembles conceptuels376. Ce travail
implique donc une segmentation et une catégorisation377, et consiste à lire et
à relire les entrevues pour les découper en petites unités en assignant à
chacune un thème qui traduit avec le plus de précision possible le contenu.
Ces thèmes sont ensuite classés dans des rubriques ou catégories. Ainsi se
créent des nœuds entre les documents et les rubriques.
374 Raphaël CANET, « Analyse quali tat ive des données : cons t ru i re u n e représen ta t ion àl'aide d u logiciel NVivo », <h t t p : / /www.cha i r e -mcd . ca /> . p . 10.375 Te rmes ut i l isés p a r Tesch cité pa r Frédéric DESCHENAUX et Sylvain BOURDON,Introduction à l'analyse qualitative informatisée, Québec , Les cah ie r s pédagogiques del'Association pour la recherche qualitative, 2005, p. 7.375 Lorraine SAVOIE-ZAJC, « L'analyse des données qualitative : pratiques traditionnelleet assistée par le logiciel NUD*IST » dans Recherches qualitatives, Vol. 21, 2000, p. 103.377 Renata TESCH, Qualitative Research: Analysis Types and Sofware Tool, New York, ThePalmer Press, 1990, cité par Lorraine SAVOIE-ZAJC, « L'analyse des données qualitative :pratiques traditionnelle et assistée par le logiciel NUD*IST » dans Recherches qualitatives,Vol. 21, 2000, p. 101.
166
NVivo offre trois possibilités pour la création des nœuds378. Il existe des
« nœuds libres », des « nœuds hiérarchisés » et des « nœuds cas »379. Les
nœuds libres permettent de créer des thèmes qui ne se rattachent pas à une
structure prédéfinie. Bien que cette option permette de regrouper des thèmes
afin de retrouver facilement l'information, nous avons opté pour les « nœuds
hiérarchisés ». Ainsi avons-nous placé au cours de la lecture, chaque extrait
de texte dans des catégories précises. Il est arrivé qu'après avoir choisi un
terme à partir d'un document, celui d'un autre document soit beaucoup plus
approprié. Alors nous avons révisé le premier terme en le renommant. Cette
opération n'altère pas la codification de l'autre document. La même procédure
a été également appliquée aux catégories dans lesquelles les différents thèmes
sont classés. En lisant les entrevues, nous cherchions à faire ressortir les
idées des répondants, à voir quel thème elles traduisent et dans quelle
catégorie elles peuvent être placées. Dès lors, une structure arborescente se
construit, de nouvelles catégories se créent, et certaines sont supprimées ou
remplacées par d'autres. Cette flexibilité a permis de passer de huit catégories
à sept à la fin de la codification. Nous avons ainsi réaménagé les catégories en
tenant compte de notre question de recherche qui vise les aspects
pédagogiques du joro. Les éléments de la catégorie « Caractéristiques » ont
cependant été repartis dans diverses catégories. C'est ce qui explique les six
catégories du tableau V-l. Les catégories de départ étaient :
• Préparatifs ;• Retraite ;• Société initiatique joro ;• Réintégration sociale ;• Le joro vu des chrétiens ;
378 Pour savoir c o m m e n t fonctionne NVivo, le lecteur p o u r r a consu l te r FrédéricDESCHENAUX et Sylvain BOURDON, Introduction à l'analyse qualitative informatisée,Québec, Les cahiers pédagogiques de l'Association pour la recherche qualitative, 2005, 45pp. Le texte est sur le Web et peut être consulté à l'adresse : <www.recherche-qualitative.qc.ca>. C'est l'un des meilleurs documents d'accompagnement au logiciel enfrançais. Cf. également Sylvain BOURDON, Le logiciel d'analyse de données qualitativesQSR NVivo, Québec, Université de Sherbrooke, 2001, 28 pp. Site web : <www.chaire-mcd.ca>. Nous sommes surtout redevables à Laurent LUX, « Guide d'introduction aulogiciel d'analyse qualitative NVivo », Notes de cours automne 2002, Québec,Département d'anthropologie. Faculté des sciences sociales de l'Université Laval.379 Frédér ic DESCHENAUX et Sylvain BOURDON, op, dt, p . 2 3 - 2 6 .
167
• Espace d'éducation ;• Village du joro ;• Interdits dujorD ;
Pour ce qui est des « nœuds cas », il s'agit en fait de nœuds hiérarchisés
qui sont traités selon des cas spécifiques. Par exemple, si l'analyste veut
savoir tout ce qu'un répondant a dit sur un sujet, ce type de nœud lui sera
utile. Bien que nos rapports de codification partent de chaque document, le
présent travail n'a pas opté pour ce type de nœud, car il s'est plus intéressé
aux thématiques qu'il est possible de retrouver chez tous les répondants. Pour
retrouver les informations, NVivo offre un outil de recherche. Ainsi, à partir de
chaque catégorie, nous avons pu retracer chez tous nos répondants, toutes
les informations qui s'y rapportent. Les résultats de la recherche sont ensuite
exportés dans une feuille de calcul Excel pour être illustrés à travers tableaux
et graphiques. Les commentaires se fondent sur ces résultats.
2. 3. Difficultés et limites du travail avec NVivo
Malgré les facilités qu'offre l'analyse qualitative à l'aide de NVivo, il
demeure un problème lié à la démarche. À première vue, la
décontextualisation et la recontextualisation comportent des risques. Le fait
d'isoler un extrait de son contexte est déjà une opération suspecte, car le
chercheur peut facilement s'éloigner de la signification que les contextes
proches et éloignés de l'extrait autorisent. Ne dit-on pas « qu'un texte hors
contexte est un prétexte ? » Ainsi, risque-t-on de faire dire aux extraits ce
qu'ils ne veulent pas dire en réalité.
En outre, le danger d'harmoniser ou de dissocier des éléments en
provenance de sources diverses ou même incompatibles n'épargne pas la
recontextualisation. Ce n'est pas parce que deux individus prononcent les
mêmes termes qu'ils veulent nécessairement signifier la même chose. André
Vergez et Denis Huisman rapportent l'anecdote suivante. Un journaliste
demande un jour à Einstein s'il croyait à l'existence de Dieu. Avant de lui
répondre le savant répliqua en ces termes : « définissez-moi d'abord ce que
168
vous entendez par Dieu et je vous dirai si j'y crois.380 » La réplique du savant
est révélatrice. Deux personnes qui soutiennent que Dieu existe, même si elles
parlent de la même réalité, n'y inscrivent pas nécessairement le même
contenu sémantique. Car le mot Dieu peut renvoyer chez l'un et chez l'autre à
des idées fort différentes. Quand par exemple, un musulman prononce Alla
(Dieu en arabe) et un chrétien arabe dit Alla, parlent-ils vraiment du même
Dieu ? En revanche, deux termes morphologiquement différents peuvent
traduire une même réalité ; les synonymes en sont un exemple.
En effet, la démarche de décontextualisation-recontextualisation
comporte des risques ; cependant, il convient de rappeler que l'approche
qu'elle sous-tend présente des caractéristiques qui permettent de faire face à
ces risques. La recherche qualitative qu'elle sous-tend met l'accent sur les
interactions constantes entre celui qui analyse et le contexte de production
des entrevues. Ce qui suppose que l'analyste est bien informé des différents
contextes qui portent le texte. En plus, l'analyse se veut inductive et donc,
lorsqu'un extrait est isolé du reste du texte, ce n'est pas de façon arbitraire.
L'analyste a à sa disposition des mémos pour lui permettre de retracer le
contexte. Enfin, dans l'analyse manuelle du contenu, contrairement aux
fiches qui comportent seulement les extraits, le logiciel permet de construire
et de garder un lien entre les extraits et le texte original. Ce qui rend l'analyse
moins fastidieuse que celle qui se fait sur du support papier et offre plus de
facilité dans la recherche des informations381. À chaque étape du projet, il est
même possible d'avoir un aperçu de ce qui a été fait en demandant un rapport
de codification.
380 André VERGEZ, D e n i s HUISMAN, Nouveau cours de philosophie, classes terminales AetB, Tomel, Paris, Fernand Nathan, 1980, p. 169.381 Cf. Lorraine SAVOIE-ZAJC, Ibid., p. 105-106. Pour plus d'information sur lesavantages et les limites du logiciel, se référer à Sylvain BOURDON, « L'analyse qualitativeinformatisée : logique des puces et quête de sens », dans Recherches qualitatives, Vol. 21,2000, pp. 21-44.
169
2. 4. Rapports de codification
Dans les descriptions du joro, la quasi totalité des ethnologues est
fidèle aux divisions séquentielles telles qu'élaborées par Van Gennep pour les
rites de passage : le temps de séparation, celui de la transition et enfin celui
de la réintégration382. Au lieu de suivre les séquences que proposent ces
études, nous avons laissé les entrevues — traduites et transcrites — guider la
codification en tenant compte des grilles habituelles d'analyse des rites de
passage. Tout en gardant en arrière-plan ces grilles, le travail a consisté à
codifier les entrevues à partir des données traduites. À l'exception de
l'entrevue E010HL qui était faite directement en français, toutes étaient soit
en lobiri, soit en birifor, langues locales du pays lobi. Deux sortes de textes
ont fait l'objet de nos analyses : ceux qui visent le centre rituel du joro de
Nako vers le Nord-Est de Gaoua et ceux du centre de Batié-Nord vers l'Est de
Gaoua. Le centre de Nako concerne les Lobi du Nord et de l'Ouest qu'on
nomme les pabulodara (ceux de la plaine). Celui de Batié-Nord vise les Lobi de
l'Est ou les gôgôdara (ceux des collines), et tient ses cérémonies un an après
les pabulodara^2. Nous nous sommes attaché surtout au centre de Batié, qui
serait le plus représentatif. Certaines informations laissent entendre que le
centre de Nako serait une succursale et d'autres y voient un effet de
schisme384. Notre choix est aussi dû au fait que lorsque quelqu'un finit avec le
pabulodara joro, on lui demande d'aller au gôgôdara joro. Une seule entrevue se
base sur le centre de Nako dans le but de souligner les particularités, mais
surtout les similitudes. Nous avons voulu ainsi approfondir l'étude d'un type
de joro, en réservant le second pour des études ultérieures.
À cause des différentes raisons évoquées, nous avons été obligé de nous
en tenir à des entrevues qui posaient moins de problèmes sur le plan de la
qualité sonore en tenant compte des genres. Il faut relever que les entrevues
en langue lobi ont été privilégiées à celles réalisées en langue birifor. Cela est
382 Arnold V a n GENNEP, The Rites of Passage, Chicago, t h e Univers i ty of Chicago P res s ,1961, p. 81-82.383 Cécile d e ROUVILLE, op. cit. p . 185-186 .384 Ibid. p . 186.
170
dû au peu de répondants birifor. Quatre cent trente-quatre (434) codes ont été
établis pour nous servir de base à la réflexion et huit catégories ont orienté la
codification. Partant de ces résultats, nous avons relu les documents en
remaniant les catégories dans une perspective pédagogique. Cette deuxième
lecture nous a permis de réduire les codes à 357 et de limiter notre champ
d'analyse et d'interprétation à partir des catégories « Environnement »,
« Préparatifs », « Objectifs », « Voies et moyens », « Acteurs », et « Interactions »
{cf. Tableau V-l). Les catégories «Objectifs» et «Interactions» ne font pas
l'objet de commentaires comme les autres. Cependant, les indicateurs qu'elles
mettent en évidence servent à saisir le but et la perception chrétienne du joro.
2. 5. Survol quantitatif des résultats
Les dix entrevues qui ont été soumises à l'analyse proviennent de cinq
femmes et cinq hommes. Cet échantillon n'est nullement représentatif de la
société lobi, encore moins du continent africain. Les informations recueillies
ont pour but d'aider à comprendre le phénomène du joro, et poser les repères
pour des recherches plus poussées. Les résultats de l'analyse de ces
informations ne prétendent pas à l'exhaustivité. Les thématiques dont la
régularité est observable dans les entrevues ont été retenues par rapport à
celles qui reviennent moins souvent. Ce choix n'est pas basé sur une
régularité selon une approche quantitative, mais plutôt sur le principe de
saturation des approches qualitatives. Ces thématiques ont été classées dans
des catégories faisant référence à des indicateurs pédagogiques, et permettant
de structurer les commentaires des chapitres qui suivent.
Le tableau V-l fait un survol quantitatif des résultats liés aux
catégories retenues dans une approche qualitative. Tous nos répondants ont
fait référence à « l'Environnement » qui porte les activités du joro. Celui-ci est
constitué des lieux où se déroulent les cérémonies, du temps dans lequel elles
se tiennent et des institutions porteuses de ces cérémonies. Pendant que la
totalité des entrevues parle des lieux, 70 % donnent des indications
171
temporelles et 90 % offrent des informations sur les institutions garantes du
joro.
Tableau V-l : Tableau récapitulatif de la codification
Principaux nœuds
1.1 Lieux des cérémonies
1.2 Temps des cérémonies
1.3 Institutions
2.1 Dispositions préliminnues
Rites préliminaires
3 Objectifs
3.1 Construire l'identité
3.2 Transmettre des savons
3.3 Organiser la société
4 Voies et moyens
4.1 Pèlerinage
! • : K ' M I I . L.
4.3 Transmissions des savons
4.4 Frais
5 Acteurs
5 1 Candidats à l'initiation
5.2 Initiés L
6 Interactions
1 | , )ports internes
6.2 Rapports proches
|6.3 Rapport-
femmes
5
C
2
s
4
4
2
2
4
5
5
5
5
2
5
4
5
4
4
2
5
0
1
5
%femmes
5 0
50
30
50
50
30
40
4 0
20
20
40
5 0
50
50
50
20
5 0
40
50
40
40
20
5 0
0
10
50
Total
g
c
4
4
5
4
C
4
4
3
4
5
5
5
5
5
4
5
4
4
1
5
1
2
5
%hommes
5 0
50
40
40
5 0
40
.50
4 0
40
30
40
5 0
50
50
50
50
5 0
40
50
40
40
10
50
10
20
50
Total
100
100
70
90
100
70
90
8 0
60
50
80
100
100
100
100
70
100
80
100
80
80
30
1 0 0
10
30
100
Tous les répondants soulignent qu'avant la tenue de ces cérémonies, on
s'attelle à des « Préparatifs ». Ceux-ci occupent une place importante et sont
172
constitués de deux sous-catégories. Les dispositions préliminaires que 70 %
des répondants relèvent, désignent certaines actions entreprises, qui ne sont
pas nécessairement des rites, mais contribuent à préparer les individus et la
communauté à l'événement. À côté de cela, 90 % de nos informateurs
soulignent la place de rites préliminaires à connotation beaucoup plus
religieuse que profane.
Quatre-vingts pour cent des personnes relèvent les « Objectifs » du joro.
Remarquons qu'aucune de nos questions ne portait sur les objectifs, mais
l'analyse des données a fait ressortir que 50 % ont parlé explicitement du fait
que le joro permet la construction de l'identité lobi. 70 % font allusion au fait
qu'il permet d'organiser la société et 50 % mentionnent des éléments qui font
référence à la transmission des savoirs comme un objectif visé par le joro.
Sans que cela ne soit explicitement relevé comme un but, la transmission des
savoirs revient sous une autre catégorie : « Voies et Moyens » qui se
subdivisent en cinq sous-catégories : le pèlerinage (100 %), les rituels (100 %),
la transmission des savoirs (100 %) et les frais (90 %).
Tous soulignent la place des « Acteurs » à travers cinq sous-catégories :
candidats à l'initiation (80%), les initiés (100%), les maîtres d'initiation
(80 %), les membres de la famille (80 %) et les ravisseurs (30 %). Les
ravisseurs tiennent un rôle très central dans l'initiation même si peu de
personnes en ont fait mention explicitement. L'interprétation des résultats
permettra de saisir cette importance, car certains aspects caractéristiques du
joro et de ces dispositifs pédagogiques ne peuvent se comprendre qu'en faisant
recours aux ravisseurs. Quant à la catégorie « Interactions », trois dimensions
la composent: les rapports internes (10%), rapports proches (30%) et
rapports éloignés (100 %). Ces chiffres s'expliquent, car pour les deux
premières sous-catégories, aucune question n'avait trait à cela alors que la
dernière constituait une question qui demandait aux répondants de donner
leurs opinions sur les points de rapprochements entre le christianisme et le
joro. Ce sous-ensemble comprend deux aspects : un aspect qui touche la
société moderne et un autre qui touche le christianisme.
173
L'interprétation qui va suivre reprend chaque catégorie qu'elle
commente en faisant référence aux rapports de codification des entrevues qui
se trouvent en Annexe. Dans les chapitres qui suivent, les différents tableaux
développent les catégories en vue de présenter, non pas des statistiques, mais
des éléments qui structurent les commentaires. Nous avons fait quelques
aménagements dans les titres pour suivre une certaine logique dans la
rédaction ; c'est pourquoi les commentaires ne suivent pas toujours l'ordre
des éléments des tableaux.
En conclusion, la recherche qualitative à travers ses techniques de
collectes et d'analyses des données qui a été l'objet de ce chapitre vient à
point nommé dans cette étape de nos recherches sur l'initiation lobi.
Premièrement, elle a réorienté la manière dont nous envisagions notre
approche du joro. Fasciné par ce que disent les ouvrages de ce phénomène et
désireux d'en savoir plus, nous avions néanmoins quelques appréhensions à
aborder ce sujet. N'étant pas initié, nous nous posions des questions sur la
validité de nos propos. Fallait-il donc se faire initier avant d'entreprendre
notre projet de recherche ? Cela n'est pas envisageable à cause de notre foi et
de la famille chrétienne à laquelle nous appartenons. La solution qui se
présentait à nous était de nous doter d'un échantillon probabiliste. Là aussi,
un problème se posait, la difficulté de trouver un certain nombre de
répondants prêts à nous livrer les informations qui serait représentatif de la
population lobi et birifor. Cette solution exigeait aussi un séjour prolongé au
Burkina Faso et en Côte d'Ivoire pour constituer un pareil échantillon, ce qui
soulevait encore d'autres problèmes.
Deuxièmement, la recherche qualitative a contribué à faire le ménage
dans notre compréhension de la construction des savoirs. Nos relations avec
les gens des villages africains qui n'ont pas été à l'école nous avaient
convaincu que le savoir dit savant n'était pas le seul valable. Ceux-ci
ridiculisaient même les connaissances reçues dans les écoles occidentales.
Pour preuve, on raconte la boutade suivante. Un jeune élève revient au village
pour les grandes vacances, et tout content, il fait part à son père d'une
174
découverte importante. Il dit : mon père, à l'école, nous avons appris que la
terre tourne autour du soleil. Le père lui dit : tu mens, les blancs ont gâté ta
tête. L'enfant insiste et tient mordicus à sa connaissance. Voyant sa
détermination, le père coupe court la discussion. Vint le jour où l'enfant
devait repartir en ville pour la reprise des cours. Alors, s'approchant de son
père, il demande les frais de transport, car il devait emprunter un autocar.
Tout tranquillement, son père lui dit : n'as-tu pas dit un jour que la terre
tournait, est-ce qu'elle continue de tourner ? Oui, répond l'enfant. Dans ce
cas, reprend le père, va t'arrêter au bord de la route et puisqu'elle tourne,
lorsqu'elle va atteindre ta destination, tu la laisses continuer et toi, tu rejoins
ton école ! Cette plaisanterie est souvent racontée pour opposer la
connaissance acquise à l'école et celle traditionnelle. Elle met en évidence
l'écart entre le savoir scientifique et le savoir ordinaire, celui des savants et
celui des villageois. Comment est-ce possible de concilier ces savoirs ? La
recherche qualitative nous a ouvert des pistes pour aborder cette question.
Dès lors, elle nous offre une approche prometteuse dans les études
théologiques. En premier lieu, l'accent placé sur la proximité du chercheur et
de son terrain d'étude rejoint l'esprit qui anime les théologies contextuelles.
Jusqu'ici, la majorité des discours théologiques évangéliques africains qui se
veulent contextuels, sont très souvent élaborés en marge de la situation réelle
des gens pour qui ils disent parler. Quand des recherches sont faites sur le
terrain, elles servent surtout à valider une vérité biblique ou une doctrine. Les
théologies contextuelles trouveront dans les méthodes qualitatives des cadres
théoriques et des méthodologies pour mieux approcher leur objet. En
deuxième lieu, la recherche qualitative autorise le bricolage dans lequel
plusieurs méthodes peuvent être combinées pour étudier un sujet. Partant, si
la théologie évangélique africaine peut puiser dans les méthodes qualitatives,
du travail reste à faire pour voir comment cela pourrait se faire pratiquement.
Peut-on les appliquer à toutes les branches de la théologie ? Quelles
possibilités offrent-elles en dogmatique, en exégèse, en théologie pratique ? En
outre, si les méthodes qualitatives peuvent être pertinentes pour la théologie,
il faut reconnaître que les deux sont de registres différents. Les premières
175
abordent des faits humains alors que la théologie vise des réalités qui, bien
qu'immanentes à l'humain, lui sont aussi transcendantes. Il convient donc de
voir comment les arrimer et faire ressortir les possibles apories pour
l'épistémologie d'une « théologie qualitative. » Pour la théologie évangélique en
Afrique, de tels sujets demeurent un champ d'investigation.
Relevons pour terminer que si dans la recherche qualitative le
chercheur et les acteurs directs qui sont ses informateurs interagissent, ils ne
sont pas à l'abri de la manipulation de l'information. Le chercheur qui se base
sur les méthodes qualitatives en est averti et en principe, en tient compte.
Cependant, lors de la codification, des classements et de l'interprétation, le
risque de faire correspondre les résultats de l'analyse à ses présuppositions
est très grand. C'est pourquoi, se doter d'une grille de lecture construite à
partir d'un cadre théorique aide à minimiser un tant soit peu ce risque. Dans
notre cas, étant donné que les anthropologues sont d'accord pour attribuer à
l'initiation une fonction fondamentalement éducative et que les analyses
inductives des discours sur le joro font ressortir des éléments en rapport, avec
les composantes d'une stratégie éducative, cela a conduit à construire une
grille basée sur des données pédagogiques qui sert ici à la relecture des
entrevues réalisées.
176
CHAPITRE VI
CADRE ET ACTEURS DU PROJET D'INITIATION
Dans les chapitres II et IV, nous avons montré que le joro peut être
analysé à partir des catégories issues des sciences de l'éducation. La plupart
des ethnologues s'accordent sur le fait que chez le peuple lobi du Burkina
Faso et de la Côte d'Ivoire en Afrique de l'Ouest, le joro est l'une des plus
importantes institutions d'éducation et de cohésion du groupe385. Il consiste
en un pèlerinage qui serait un effort de la tribu de remonter à ses origines, se
rappelant ainsi sa migration ou la route qu'ont suivie les ancêtres. Il offre
aussi aux pèlerins néophytes l'occasion d'apprendre à devenir de vrais Lobi.
Un tel projet exige un encadrement institutionnel et humain, un cadre porteur
des objectifs, des principes et des moyens pour sa réalisation. Pour ce qui
concerne le joro, de quoi serait constitué l'environnement dans et par lequel se
circonscrivent ses activités ? Partant des catégories « Environnement » et
« Acteurs » de l'analyse des entrevues, nous examinerons cette question. Nous
commenterons les différents éléments touchant les indicateurs géographiques
et humains qui accueillent et gèrent les cérémonies du joro. Pour chaque
catégorie, nous présenterons d'abord, de façon générale, les tableaux des
résultats de l'analyse avant de passer aux commentaires à proprement parler.
1. Environnement
La catégorie « Environnement » décrit le cadre spatio-temporel dans
lequel se déroulent les cérémonies d'initiation. Les résultats générés par
l'analyse font ressortir trois principaux indicateurs : les lieux et le temps des
cérémonies ainsi que les institutions qui les portent (cf. tableau ci-dessus). Le
385 Cf. chapitre II de la première partie.
177
premier et le dernier indicateurs feront l'objet de commentaires. En revanche,
étant donné que l'indicateur touchant le temps des cérémonies est toujours lié
aux différents espaces qui accueillent les rites, il ne constituera pas un point
à part.
Tableau VI-1 : Composantes de la catégorie « Environnement »
Principaux nœuds || Total femmes
Environnement1.1 Lieux des cérémonies
1.1.2 Village lobi
L U Durée de l'initiation\:;-'.i'.,, m o n i e s
préliminaires
1.2.3 La retraite1.2.4 Cérémonies au village
ioro
1.3 Institutions
1.3.1 Patriclans
1.3.2 Groupes
,: de joro
5
5
4
5
3
0
1
3
1
5
4
1
1
%femmes
50
50
4 0
50
30
0
10
30
10
50
40
10
10
hommes
5
5
4
5
4
1
2
3
3
4
4
2
2
r~ %hommes
50
50
40
50
40
10
20
30
30
40
40
20
20
Total%
100
100
80
100
70
10
30
60
40
90
80
30
30
1.1. Le village du joro
À l'intérieur de la sou s-catégorie « lieux des cérémonies », deux endroits
constituent les centres des rituels, le village du joro et le village lobi. Le
premier se situe non loin d'un cours d'eau. Les répondants le désignent par le
terme miir ou mii en lobiri et mani en birifor. E006FB relève que : « Quand on
parle de mani, (fleuve) cela ne veut pas dire que c'est vraiment au fleuve, mais
il est question d'un lieu à proximité du fleuve, un endroit qui se trouve dans
les parages. On peut même apercevoir le fleuve depuis cet endroit. » Le fleuve
dont il est ici question serait le Mouhoun (ancienne Volta noire) ou un de ses
affluents, (cf. carte VI-1)
178
Carte VI-1 : Aire d'emplacement probable du village joro (en pointillés)
pdogo
.;
Source : Encyclopédie Microsoft Encarta 2002
Ce cours d'eau prend sa source au Nord-ouest de Bobo-Dioulasso,
coule vers Boromo et se jette dans la Volta au Ghana. Il aurait occupé une
place importante dans l'histoire de la traversée des ancêtres lobi de leur lieu
d'origine vers le Burkina Faso vers 1770386. C'est à partir de là que les
groupes se seraient séparés, les uns en direction de Nako et les autres en
direction de Batié Nord. Ces deux branches expliqueraient les raisons de
l'existence de deux types de joro. Pendant le pèlerinage, les descendants de
ceux qui ont pris la direction de Nako au Nord de Gaoua reviennent sur les
traces de leurs pères. Il en serait de même des descendants de ceux qui sont
passés par Batié Nord. Mais d'où les Lobi sont-ils venus pour ensuite se
disperser ? Les hypothèses ne manquent pas.
386 Michel FIÉLOUX, Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales lobi de la Haute-Voltavers la Côte d'Ivoire, Paris, ORSTOM, 1980, p. 19. Dans son essai de chronologie, HenriLABOURET, fait aussi remonter l'installation des Lobi au Burkina Faso vers 1770. cf.Nouvelles notes sur les tribus du rameau lobi Leurs migrations, leur évolution leurs parlerset ceux de leurs voisins, Dakar, IFAN, 1958, p. 16-17.
179
D'après le chef coutumier de Gaoua, Yari Oussè387, les pères auraient
raconté que leurs pères seraient venus de très loin, « d'un endroit où l'on
trouve de l'eau rouge », et qu'ils auraient navigué en zigzagant. Partant, il se
demande si les Lobi ne viendraient pas de l'Orient. Quelles que soient les
hypothèses faites à ce sujet, la tâche de remonter aux origines des Lobi
s'avère difficile ; c'est ce que remarque Fiéloux. « La mémoire lobi, dit-elle, ne
retient pas les faits passés sur la rive gauche de la Volta comme si son
histoire avait réellement commencé dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle
au moment de la grande traversée du fleuve. Il ne reste de ce mouvement d'est
en ouest qu'une reconnaissance mythique de la Volta388. » Le joro serait-il là
pour rappeler cette difficulté de remonter à l'origine à travers la symbolique
du pèlerinage ? Nous examinerons cette question quand nous aborderons la
question de la « grande marche » vers le village du joro.
Un indice important qui situe l'emplacement du village du joro est la
mention du peuple Dagari. E007FB relève :
Une fois là-bas, vous vous regroupez selon les patriclans et lesDagari viennent vous vendre des arachides. C'est pourquoi onchante qu'au bord du fleuve, il y a des arachides et des petits pois.Mais si à ton retour tu racontes ce que tu as vu, tu peux souffrird'un mal d'estomac jusqu'à en mourir. Vos parents achètent lanourriture vendue par les Dagari pour vous. (§13)
Cela est confirmé par E003HL : « Le joro est marqué par un ordre établi,
une hiérarchie. Le centre des cérémonies se situe au fleuve parmi les Dagari. »
(§3) E008HL (§10) les assimile aux Wandara composés de Dagari et de Birifor.
Certains Dagari, en effet, vivent au bord du fleuve Mouhoun et cela corrobore
les informations reçues. Comme l'a dit E003HL, c'est là-bas que se situe le
387 Dans une entrevue le 08 juillet 2003, le chef Oussè avance l'idée que les Lobi auraientdes liens avec les populations de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Qu'ils seraientprobablement partis de là pour atteindre le Soudan, puis le Tchad, le Niger, le Bénin, leTogo, le Ghana et le Burkina. Même s'il nous est difficile d'admettre une telle hypothèse,d'après des recherches que nous avions effectuées à l'hiver 2001, nous reconnaissons queles rites initiatiques des Orokaïva de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et ceux des Lobi ontdes similitudes. Toutefois, cela s'avère insuffisant pour expliquer le lieu d'où est parti lepeuple lobi.388 Michèle FIÉLOUX, op. cit. 1980, p . 17.
180
centre des cérémonies, c'est le chef-lieu du patriclan national ou « grande
maison » c'est-à-dire, le premier emplacement de la maison du chef de clan.
Arrivé à la maison du grand chef, vous trouvez plusieurs groupesrassemblés, et différents sanctuaires. Alors, vous vous rassemblezaussi en tant que groupe et vos chefs vont consulter le grand chefpour recevoir les instructions concernant les éléments à fournirpour les sacrifices en faveur du groupe. Quand vos chefs reçoiventles instructions, ils reviennent vous les transmettre. S'il y a descotisations à faire, vous vous en acquittez et vos chefs les remettentau grand chef afin que les sacrifices soient offerts. (E003HL, §7)
C'est à proximité de cette maison que les pèlerins construisent des
huttes pour leur servir de lieu d'habitation pendant le déroulement des
cérémonies. Ces huttes sont utiles non seulement au village du joro, mais
également au village lobi, lors de la retraite. Les candidats à l'initiation y
demeureront pour quelques jours, et la durée de leur séjour dépend de la
pureté des membres du groupe.
[...] s'il y a une faute parmi vous, il faut réparer et tant que vous nele faites pas, ils prendront le temps qu'il faut jusqu'à ce qu'il y aitréparation. Toutefois, quand on peut s'acquitter des droits exigés,les uns peuvent passer cinq jours, d'autres dix jours, avant derepartir au village. Par contre, si les conditions n'ont pas étéremplies normalement, deux semaines peuvent passer sans que rienne bouge. (E003HL, §7)
1.2. Le village lobi et le lieu de retraite
Si le village du joro tient une place centrale dans les cérémonies
initiatiques lobi, le village lobi demeure le point de départ et d'arrivée des
pèlerins. Il est stratégique pour la préparation et la suite des rites ainsi que le
vécu de ce qui a été transmis pendant les cérémonies. Là, un domaine est
toujours réservé pour accueillir les initiés. Les spécialistes le désignent par le
terme de « lieu de retraite ». Les répondants le décrivent comme étant un
hangar (E002FL, §17), ou un grand arbre (E006FB, §17), le bois sacré
(E010HL, §11) situé dans la brousse ou plutôt dans un lieu désert à proximité
du village.
181
De retour au village, les nouveaux initiés doivent nécessairement
transiter par un lieu dénommé jorluu ou jorjëv. E008HL explique : « Une fois
au village, vous ne regagnerez pas tout de suite vos maisons. On vous conduit
dans le jorluu (littéralement, domaine du joro). C'est un peu comme un
marché, et c'est là que vous allez séjourner pendant un temps. » (§6)
Une fois de retour au village, vous demeurez quelque part enbrousse pendant quelques jours. Je ne sais pas comment nommercette place, mais c'est un endroit du village qui est précisémentdestiné à accueillir les nouveaux initiés. C'est le bois sacré et lesinitiés ainsi que leurs moniteurs y demeurent pour quelques jours.(E010HL, §11)
Les nouveaux initiés sont tenus d'y demeurer jusqu'aux cérémonies de
réintégration.
À votre retour, on vous conduit sous un grand arbre où vous passezplusieurs jours. Certains restent un mois, d'autres quarante jours.Vous êtes nourris là-bas et vous ne devez pas quitter les lieux avantle temps prévu. Qu'il vente ou qu'il pleuve, vous êtes tenus dedemeurer là-bas jusqu'à ce qu'on vous autorise à rentrer chez vous.(E006HB, §17)
Ce lieu constitue une école, car c'est là que les enseignements sont
dispensés, que se font les apprentissages et que s'exerce l'art du combat
(E003HL, §13, §24). C'est à cette étape que certains procèdent à la dation de
noms (E010HL, §21) et d'autres se livrent à une répétition de la cérémonie de
bain (E003HL, §13). Tout se déroule comme si le nouvel état de l'initié ne lui
permettait pas de réintégrer sa société sans une certaine transition. Comme
pour le pèlerinage au village du joro, il fallait une sérieuse préparation avant
d'y aller, ainsi en est-îl pour la réintégration du village. Le nouvel initié ne
peut pas directement rentrer dans son village ; il lui faut une escale.
Cette transition passe nécessairement par un lieu géographique situé
entre deux espaces : la grande maison du patriclan national et la grande
182
maison du patriclan local. C'est un entre-deux, l'espace liminaire389, pas
uniquement dans le sens d'état ambigu, mais aussi dans le sens d'espace et
de temps ambigus. L'initié n'est plus au village du joro, et il n'est pas non plus
le bienvenu dans le milieu villageois qui l'a vu sortir du sein maternel. Il est
placé dans un espace qui ne pourra pas le garder indéfiniment, face à un
espace qui l'attend mais qui ne peut pas l'accueillir illico presto. Ici s'opposent
le provisoire et le permanent, l'éphémère et le définitif.
La durée de cet état de liminarité dépend des groupes et peut aller de
dix jours (E003HL, §13) à deux mois (E002FL, §17, E004HB, §4). «Vous
restez dans le bois sacré, pour les uns dix jours, pour les autres quinze jours
et certains vingt jours. » (E003HL, §13) Aucun indice ne permet d'expliquer la
durée de ce séjour. Cependant, il est possible de lier cela à la capacité des
familles de réunir tous les éléments nécessaires pour les cérémonies de
réintégration et aussi à la disponibilité des chefs qui président les institutions
du joro.
1.3. Les institutions du joro
Les institutions du joro se composent des cokôtina. E009HL explique :
Le corkotin est le lieu où les pères avaient séjourné jadis, c'est là oùvos pères ont commencé, le lieu d'où vous êtes partis pour vousdisperser. Cette maison ne se détruit jamais, c'est le lieu où vousvous rassemblez pour les cérémonies du joro. Cela est lié àl'ascendance paternelle. Ici notre corkotin est la famille des Diolompo.Tu sais, nous les Lobi, nous venons du Ghana, on nous apprendque nous venons de là-haut (direction est par opposition à l'ouest).Quand les Diolompo venaient, le premier lieu où ils s'installèrent, futlà-bas. Après les autres les ont rejoints et ils se sont dispersés, maisles premières maisons existent toujours, c'est-à-dire les corkôtina.C'est pourquoi, ceux de Kampti, de Loropéni de Galgouli sont donctenus de se rassembler là-bas. C'est aussi la même chose avec ceuxde Bouméo, de Gbô, de Nako. Il y a le corkotin de ceux de Nako quiest le corkotin des gbôdara. Il y a Youlau, Ténkaar. Mais le jour dedépart ils descendent à Nako, le village du Gbô c'est-à-dire, la
389 Victor W. TURNER, Le phénomène rituel, structure et contre-structure, Paris, PressesUniversitaires de France, 1990, p. 96.
183
maison même des grands chefs. Corkotin dans le joro désigne lalignée paternelle, d'où vous descendez. (§15)
Le corkotin en lobiri ou yir-kpëe en birifor, représente la grande maison
ou l'espace agnatique, et constitue l'une des composantes essentielles pour la
connaissance de l'arbre généalogique du Lobi. Il est cependant difficile de
savoir combien de patriclans — en lobiri, kvon (= naissance) — constituent la
société lobi. Un certain mutisme ou ignorance entoure la parenté du côté
paternel. Ce qui est tout le contraire du matriclan — caar en lobiri (= clan) —
qui compte quatre matrilignages : Da, Hien, Kambou et Paie. Ces
matrilignages sont subdivisés en sous-matrilignages. C'est lors du partage des
héritages que les différentes lignées prennent toute leur importance. L'enfant
hérite de la propriété (terre, maison) et les autels en ligne agnatique, tandis
que du côté maternel, il hérite de ce qui touche aux produits d'élevage et
d'agriculture, ainsi qu'à l'argent de l'oncle maternel.
La difficulté de remonter la lignée paternelle ne viendrait-elle pas de son
lien à l'héritage des autels en général et en particulier à celui du joro ? Fiéloux
et Joseph Kambou relèvent que les secrets du kvon sont révélés qu'aux seuls
initiés390. En effet, chefs-lieux des patriclans, les grandes maisons se situent à
trois niveaux selon certains. Il y a les grandes maisons au niveau local,
régional et celles au niveau national. Madeleine Père parle de grande maison
rapprochée, intermédiaire et principale391. Nos informateurs insistent surtout
sur le niveau local et national. Ils parlent des étapes qu'ils marquent mais ne
disent pas ce qui se fait à ces étapes. Par contre, ils décrivent les cérémonies
qui se déroulent au village (niveau local) ainsi que celles qui se déroulent au
niveau national, au village du joro.
Il ressort clairement que ces maisons constituent des espaces de
ritualisation et d'apprentissage de l'initié. Au niveau local se font tous les
sacrifices préparatoires en vue du pèlerinage au village du joro où se trouve la
« grande maison » du patriclan national. E006HL relève : « Ces sacrifices sont
390 Michèle FIÉLOUX, op. cit., 1980 , p . 4 1 - 4 2 ; J o s e p h - A n t o i n e KAMBOU, op. cit., 1999 , p .18-19391 Madele ine PÈRE, op. cit., p . 3 1 4 - 3 1 6 .
184
toujours accompagnés de boisson et ne se déroulent pas n'importe où. Cela se
passe dans le corkotin, lieu où tous les membres du même clan se
rassemblent. » (§2) E003HL explique :
[...] ils ont des corkôtina où tous ceux qui descendent du même clanse retrouvent pour les instructions et les apprentissages. C'est làqu'on est instruit des différents interdits, qu'on procède auxsacrifices, rase les cheveux des enfants, met les médicaments dansleur nourriture (consécration des repas) avant qu'ils n'en mangent.(§4)
C'est aussi là que se déroulent les cérémonies de réintégration. E004HB
raconte :
Quand on met le feu, la flamme éclaire votre chemin pendant quevous marchez. Vous ne devez pas vous retourner jusqu'à ce quevous arriviez au yir-kpêe (grande maison) Là, sera jouée la musiquedu joro et vous danserez jusqu'au matin. Vous y demeurez quelquesjours avant qu'on ne vous ramène dans vos familles respectives. (§6)
E005FL renchérit :
Vos supérieurs à leur tour vous rencontrent un jour pour procéder àvotre purification. Après la cérémonie d'entrée au marché, ils vouspurifient en vous ôtant les accoutrements faits de cauris. Après lapurification, ils vous demandent d'apporter certains élémentscomme les pistaches par exemple, et quand vous vous exécutez, ilsvous ramènent dans la grande maison. Alors ils font écraser des osdont ils se servent pour accomplir la cérémonie et vous laissentrepartir dans vos maisons. (§12)
Dès lors, la grande maison du patriclan local constitue l'espace
d'ouverture et de clôture des cérémonies du joro. Quant à la grande maison
du patriclan régional, nous ne disposons pas d'informations sur son rôle dans
le processus de « jorbisation » hormis le fait qu'elle sert de lieu de repos ou
d'escale. Toutefois, il n'est pas exclu que certaines cérémonies s'y pratiquent
et que les candidats à l'initiation y reçoivent des instructions qui les préparent
aux rituels du village du joro, fief de la grande maison du patriclan national.
185
Le niveau national se réserve toutes les cérémonies de consécration.
Selon les intervenants, aucun enseignement à proprement parler ne se donne
à ce niveau ; tout est centré sur les cérémonies d'allaitement et de bain
ponctuées par des instructions sur les comportements à tenir pendant le
rituel et l'acquittement de certains frais.
La permission de prendre part à ces cérémonies relève de l'autorité du
chef de la grande maison nationale. « Quand le grand chef autorise les
cérémonies pour lesquelles vous êtes allés, c'est-à-dire accomplir les rites
d'intégration, on procède à la préparation du nécessaire. » (E003HL, §9) Tout
se passe au niveau des responsables et tourne autour des rites qui feront du
candidat à l'initiation un vrai Lobi et cela nécessite la présence des autres
clans, afin que les initiés comprennent qu'ils font partie d'un ensemble uni
dans la diversité. E003HL parle de dénominations (§3) pour qualifier ces
regroupements de clans et E008HL explique :
Les gens peuvent venir de différents endroits : Périgban, Gaoua,mais ils doivent se réunir là où leurs ancêtres se sont installés avantde se séparer. Donc, quand tu pars avec ton jorbi, tu dois passer parlà où tes pères s'étaient installés originellement, ce lieu est lecorkôtin, c'est là-bas que tu offres tes sacrifices. C'est pourquoi,pendant le joro chacun doit aller se réunir avec les membres issusdu même père devant le corkotin. (§14)
Dans ce processus de construction identitaire, les personnes de la
même promotion entrent dans un rapport particulier. Ainsi forment-elles des
groupes dont les liens entre membres sont souvent plus forts que les relations
fraternelles. Nous avons pu recenser cinq groupes : Bôdatoo, Dadirbe,
Dâkodara, Djinitoo et Gbaamitoo. Une recherche sur ces différentes
promotions, contribuerait à la connaissance de l'organisation sociale des Lobi.
Il est évident qu'en plus de ces groupes, il en existe d'autres. Leur caractère
ésoténque ne facilite pas leur découverte et empêche de saisir les indicateurs
pouvant permettre de comprendre leur fonctionnement et leurs enjeux
sociaux. La connaissance de ces groupes constitue un sujet qui reste encore
186
inexploré. Cependant, saisir la vision du monde qu'ils véhiculent contribuerait
à comprendre l'homme lobi, ses valeurs et ses aspirations profondes.
Ce bref aperçu sur l'environnement où se pratiquent les cérémonies du
joro nous amène à faire une remarque. La société lobi est souvent considérée
comme une société anarchique. Cela est vrai quand on l'étudié
superficiellement ; mais lorsqu'on entre au cœur de la société joro, les choses
se présentent autrement. Cette société est hiérarchisée c'est-à-dire organisée
et soumise à une certaine discipline (E003HL, §3). E002FL témoigne que les
clans se suivent selon l'ordre hiérarchique d'autorité en matière depouvoir. Les gbôdara sont ceux qui détiennent le plus grand fétiche,c'est pourquoi ils sont en tête et les autres suivent dans l'ordre et ladiscipline. Vous empruntez tous le même chemin, les uns derrièreles autres selon l'ordre établi. Chaque groupe est tenu de garder saposition et ne doit pas chercher à dépasser les autres pendant lamarche. (§11)
Aux dires de nos répondants, cette organisation semble avoir un effet
déterminant, celui de « maintenir » les Lobi dans un ordre social déterminé,
qui prévient la désintégration sociale. Si une telle influence implique une
structure politique, celle du joro est loin de se préoccuper d'une structure
politique à l'échelle ethnique comme c'est le cas chez les Mossi, peuple
majoritaire du Burkina Faso. Certainement, l'administration politique n'est
pas la mission première du joro. Dans ce cas, quels sont ses objectifs ? Le
dernier chapitre examinera cette question. À présent, examinons les acteurs
impliqués dans la réalisation du projet initiatique du joro.
2. Acteurs
Cinq indicateurs nous ont permis de mettre en évidence une typologie
des acteurs qui occupent le champ de l'initiation lobi. Les néophytes, les
initiés, les maîtres d'initiation, les proches des néophytes et les ravisseurs
coopèrent dans ce projet éducatif. Le graphique VI-1 indique que les
informations repérées sur chacun des indicateurs mettent surtout l'accent sur
187
les initiés, les néophytes et les maîtres d'initiation, ainsi que les parents des
néophytes ; tandis qu'on parle peu des ravisseurs. Cela se comprend puisque
toutes les cérémonies tournent autour des néophytes afin de les porter au
rang d'enfant du JOVD, et cela se réalise sous la responsabilité des maîtres et
des parents, sans oublier les initiés de la dernière promotion. Si le
pourcentage des initiés est élevé, cela est dû au fait que nous n'avions pas été
assez vigilant dès le départ, pour distinguer entre les anciens et les nouveaux
initiés. Cela n'a cependant pas d'impact sur l'interprétation qui va suivre, car
l'accent porte plus sur la description des portraits et non sur des statistiques.
Graphique VI-1 : Composantes de la dimension «Acteurs»
Ravisseurs8%
^ —Membres de la / ^ |
famille / ^
SI / 1
VIMaîtres ^ ™d'initiation
22%
Néophyteste^ 22%
^ r Initiés^ 26%
Pour expliquer les caractéristiques de chacun de ces acteurs, nous
sommes parti de certaines clefs d'interprétation. Exception faite des
ravisseurs et des proches des néophytes, les informations sur les autres
acteurs de l'initiation dégagent leur identité, leurs traits distinctifs, leur
fonction et leur statut. L'identité se démarque à partir des indices qui
qualifient et différencient les acteurs. Par exemple, le jorbi (initié) est différent
188
du suu (maître d'initiation). Les traits distinctifs concernent les aspects
physiques, sociaux, psychologiques. Les initiés sont par exemple vêtus de
manière spéciale (aspect physique) ou sont perçus comme des êtres nouveaux
(aspects psychologiques). La fonction sociale fait référence aux différentes
activités auxquelles les acteurs s'adonnent (par exemple, les initiés sont des
accompagnateurs des néophytes). Le statut fait ressortir la place ou la
position des acteurs les uns par rapport aux autres et par rapport à la société
en général (les initiés ont autorité sur les autres membres de la société).
2. 1. Les néophytes
Les néophytes sont appelés jâkuma (cf. tableau VI-2). La signification de
ce terme est incertaine. D'après André Oussè, il viendrait du birifor et serait
un mot composé de jaar (refuser), ku (donner) et ma (moi). Littéralement,
« refuse pour me donner », ce qui signifierait, « renonce pour moi ». Il y a
cependant un hic avec cette explication. En birifor, jâ veut dire ériger, tenir
haut ; il sert aussi à exprimer l'érection de l'organe génital masculin. Jaar veut
dire refuser. Comment est-on parvenu à confondre ces deux termes ? Il y a eu
certainement une déformation, ce que l'auteur de cette explication n'a pas
manqué de relever. La signification que donne André Oussè du mot jâkvma se
rapproche de celle que propose E009HL. « À ta naissance, dit-il, tu es jâkvma,
en birifor jaa kv ma (donne-moi tout), parce que, quand vous allez là-bas, ils
vous prennent tout. On vous fait payer très cher pour que vous puissiez boire
la boisson sacrée, l'argent envoyé doit être tout dépensé. » (§17) Compte tenu
du contexte, cette explication semble très plausible. Dès lors, l'identité des
néophytes serait liée aux enjeux économiques des moyens mis en œuvre pour
leur passage de l'état de non-initié à celui d'initié. Ceci corrobore l'explication
de E008HL.
Quand on dit jâkvma, ce sont les Birifor qui font les sacrifices et celacoûte cher. Tu vas leur donner beaucoup d'argent d'abord, c'est euxqui ont le médicament qu'on met dans la boisson qu'on fait boireaux initiés. Ils sont payés très cher, les chefs leur donnent beaucoupd'argent avant qu'ils ne mettent le médicament dans la boisson.
189
(§22)
Ainsi, conviendrait-il de comprendre ce terme à partir de son emploi
métonymique. Dès lors, le mot jâkvma aurait vu le jour pour signifier d'une
part, ceux pour qui on donne tout pour la construction de leur identité. Car
au village du joro, les candidats à l'initiation et leurs parents payent très cher
pour les cérémonies de consécration, et particulièrement pour celle de
l'allaitement. D'autre part, il désignerait la soumission sans faille du candidat
pendant les rituels et le renoncement à son ancienne identité pour accéder à
celle qu'offre le joro. Ceci explique toute la discipline et la soumission
auxquelles le néophyte ne peut se soustraire.
Tableau VI-2 : Descriptif de l'indicateur «Néophytes»
Né0Phytes
Identité
Fêtes rasées
Jâkuma (non-initiés)
Traits distinctifs
Nus
Spécialement parés
Pris pour designorants
Fonction
Demander l'aumône
Travailler pour lesanciens initiés
Contribuer aux fraisd'initiation
Statut
Soumis auxinitiés
À la métonymie est jointe une synecdoque. Un sobriquet, «tête rasée»,
est donné au candidat à l'initiation, ce qui rappelle le rite de rasage. Cela se
rapporte au caractère purificateur qui est intimement lié au joro. La pureté
recherchée est celle qui vise à dépouiller le néophyte, à le mettre à nu ; à lui
faire prendre conscience de son état premier. C'est pourquoi, son portrait
reflète manifestement cet état, physiquement et mentalement. Physiquement,
les néophytes doivent demeurer nus pendant tout le temps que dure
l'initiation. E005FL raconte : « Quand vous êtes là-bas, vous êtes tout nus,
complètement nus comme le jour de votre naissance. Homme et femmes sont
tous nus et personne n'ose se laisser séduire par la nudité de l'autre. » (§6 ; cf.
190
E001FL, §11 ; E002FL, §8 ; E003HL, §6 ; E006FB, §5 ; E008HL, §1, 7 ;
EO1OHL, §34) La comparaison que fait EOO5FL témoigne de la volonté
d'amener le néophyte à un état originel, à être « complètement nu comme le
jour de la naissance ».
Cette nudité, bien que physique, exprime métaphoriquement la
transparence qui est exigée à toute personne qui se rend au village du joro.
C'est curieux que E005FL dans le même paragraphe, parlant de cette
transparence, relève que la personne qui se laisse séduire par la nudité de
l'autre est considérée « comme un hypocrite392. Quand vous êtes là-bas, vous
ne devez pas dissimuler ce que vous avez au fond de vous, sinon vous risquez
la mort. » (§6)
Cette transparence ne symboliserait-elle pas une certaine aspiration à
l'état d'innocence ? N'est-ce pas la raison pour laquelle les néophytes sont
considérés comme des ignorants, des gens qui n'ont aucun savoir, des naïfs ?
Le candidat doit se mettre dans la peau d'un ignare. Cet état ne traduit pas
seulement une attitude mentale, mais dénote toute un comportement
empreint d'humilité pour entrer dans l'initiation du joro. Il doit montrer
l'attitude d'un petit enfant pour vaincre la honte et l'humiliation qu'il peut
ressentir. Cet idéal de transparence semble utopique, c'est pourquoi, pour le
rendre plus humain, plus supportable, le joro prévoit un accoutrement
spécial. Les candidats sont alors parés spécialement, ce qui leur permet de
supporter un tant soit peu ce dépouillement physique et psychologique. Tout
cela les prépare à assumer leur statut de soumis et certaines fonctions qui y
sont attachées. Ainsi, dans un esprit d'humilité, ils doivent d'une part servir
les anciens initiés en se soumettant à leur volonté et, d'autre part, s'adonner
à la mendicité. Vivre un tel traitement est un vrai supplice pour un Lobi, car
cela met à rude épreuve sa fierté.
Comment en serait-il autrement ? En effet, l'initiation au joro se donne
comme un espace cathartique, le lieu éducatif où l'enjeu est l'homme. C'est lui
qu'il convient de construire en tenant compte du patrimoine ancestral. Cette
392 Le terme employé par le répondant est « personne ayant deux ventres »
191
construction n'est jamais une fin en soi, et ne s'achève jamais, car l'homme
dxLjoro est toujours en route, c'est le pèlerin qui ne se lasse de revenir sur les
traces de ses devanciers.
2. 2. Les initiés
À travers les différentes cérémonies du joro, le néophyte entre dans le
rang des initiés. Le mot lobiri est sans équivoque, il désigne l'identité de l'initié
comme lejorbi, c'est-à-dire, l'enfant du joro. En d'autres termes, c'est l'enfant
pèlerin. Il n'est pas l'enfant dédié nécessairement à un dieu, mais il est celui
qu'on a consacré à l'esprit d'itinérance, à qui on a inculqué des principes que
doit connaître un voyageur.
Dans son pèlerinage, le jorbi passe par un séjour dans le bosquet sacré,
ce qui lui vaut le sobriquet qu'exprime la périphrase « gens de la brousse ».
Nous avons déjà expliqué, que de par son caractère de personne sacralisée,
l'initié ne peut intégrer la société sans transition. Cette transition se vit dans
un lieu très peu fréquenté. Il introduit l'initié dans un monde qui le met en
relation avec les animaux de la brousse, les végétaux et les esprits. Il doit
apprendre à vivre avec cet environnement avant d'être officiellement accueilli
par sa famille.
Toutefois, pendant cette mise à part, il n'est pas seul. Il est accompagné
de ses co-aspergés, (les nouveaux initiés) qu'il appelle omi (frères) ainsi que
des anciens initiés. Tous sont solidaires et c'est pourquoi, lorsqu'un parent
visite le lieu de retraite pour apporter de quoi manger à son enfant, tous
partagent ce repas. Spécialement parés, (cf. photo VI-1-2) leur portrait
souligne la nouveauté de vie dans laquelle ils sont entrés.
Le néophyte passe de l'état d'enfant à celui d'adulte, de l'état de
restriction à celui de la liberté (E008HL, §16 ; E009HL, §17, 21 ; E010HL,
§41) ; car les domaines de la vie sociale qui lui étaient interdits lui sont
désormais permis. Cela lui octroie un statut nouveau, qui le met au-dessus de
ceux qui ne sont pas encore passés par l'initiation et l'autorise de défier les
192
puissances spirituelles (E007FB, §15). En revanche, il est sous ces
devanciers, les anciens initiés qui ont la responsabilité de l'éduquer pour qu'il
assume correctement cette nouvelle position sociale qui lui est assignée.
Photo VI-1, 2 : Les jorbi parés de cauris
'
Source : Clichés de Jack Robertson
S'il y a des privilèges liés à sa nouvelle situation, le jorbi est tenu de
faire preuve de circonspection. Il ne doit, en aucun cas, trahir le secret du joro
(E001FL, §11 ; E006FB, §28). Pour qu'il ne perde pas de vue ce pacte du
silence, la menace de mort en cas de trahison éveille constamment sa
conscience. Il ne peut aborder un sujet touchant son initiation qu'avec ceux
qui ont été initiés, en veillant qu'aucune oreille indiscrète ne saisisse quelque
parole de la conversation. E002FL en témoigne dans ces termes :
Étant enfant, lorsque les adultes parlaient entre eux et que nousnous approchions d'eux, ils nous chassaient. Quand un enfantrefusait de s'en aller, les adultes quittaient les lieux ; l'enfantobéissant s'éloignait toujours et ne pouvait donc pas saisir quoi quece soit de leurs conversations. Quand on est jeune et qu'on n'a pasencore été au joro, on n'est pas autorisé à s'asseoir avec les initiés,surtout pas avec les nouveaux. (§2)
193
2 . 3 . Les maîtres d'initiation
La discipline imposée à l'ensemble des initiés est suivie par les maîtres
d'initiation qu'on désigne par jorkôtin (littéralement, grand du joro). Pour
parler d'eux, les répondants se servent des termes chefs (E002FL, §12 ;
E003HL, §6 ; E005FL, §1), grands chefs (E003HL, §6, 8), supérieurs (E005FL,
§10 ; E010HL, §11), anciens (E006FB, §3). À côté de ces termes, certains
parlent de gbôdara qui désigne le chef lieu du clan, mais aussi celui qui en est
le représentant (E002FL, §14 ; E008HL, §15 ; E009HL, §12). Par signe de
respect, les initiés s'adressent à eux en les appelant suu, quand il s'agit des
hommes et omië pour les femmes (E001FL, §9 ; E008HL, §4).
Pour ce qui est du portrait des maîtres, une seule référence indique
qu'ils sont armés, comme du reste, toutes les personnes qui vont à l'initiation
(E001FL, §21). Il est certain qu'ils sont autorisés à se vêtir différemment, et
ce, à cause de leur statut. Deux types de chefs sont responsables des
cérémonies du joro, les chefs responsables des patriclans au niveau local et
ceux qui sont responsables au niveau national. Parmi eux, il existe une
hiérarchie liée au degré de pouvoir du fétiche que possède la personne.
E002FL souligne : « les clans se suivent selon l'ordre hiérarchique d'autorité
en matière de pouvoir. Les gbôdara sont ceux qui détiennent le plus grand
fétiche, c'est pourquoi ils sont en tête et les autres suivent dans l'ordre et la
discipline. » (§11) Les responsables locaux assument les fonctions suivantes :
- poser les actes rituels (E001FL, §13, 11, 16 ; E003HL, §4, 12 ;
E005FL, §10 ; E009HL, §4) ;
- fixer la date du pèlerinage (E003HL, §4) ;
- percevoir les frais d'initiation (E010HL, §13) ;
- instruire les pèlerins (E001FL, §11 ; E003HL, §4, 6) ;
- prononcer les jugements et appliquer les verdicts qui s'imposent
(EOO1FL,§1,4);
194
- conduire les pèlerins jusqu'au village du joro (E002FL, §15 ;
E005FL, §1).
Les responsables au niveau national planifient l'arrivée des pèlerins
(E010HL, §2), veillent à ce que toutes les conditions spirituelles et matérielles
soient réunies pour les rituels, puis ordonnent les cérémonies au village du
joro (E003HL, §6, 7). Ils autorisent également le retour des pèlerins dans leurs
villages respectifs (E003HL, §9).
Ces responsabilités qui sont échues aux maîtres d'initiation ne se
limitent pas seulement à la période de l'initiation, ni à la communauté des
initiés. Leur pouvoir s'étend sur l'ensemble de la communauté villageoise, car
ils sont appelés à veiller à ce que les interdits permanents du joro ne soient
pas enfreints par qui que ce soit, et que rien ne vienne menacer les
fondements de l'initiation ou détourner les initiés de la voie des ancêtres. C'est
ce qui explique les conflits entre les chrétiens et les chefs du village de Nako
(E009HL, §11). Aussi représentent-ils la société lobi devant les autorités
administratives en cas de litige. E008HL raconte :
II y a deux ans j'ai rencontré des difficultés avec eux. Notreconflit touchait nos enfants qui n'ont pas été au joro. Quand ilsreviennent du joro, qu'ils ont les cauris comme signe, lorsqu'ilsrencontrent nos enfants ils les frappent parce qu'ils ne connaissentpas le joro. Ils disent que lorsqu'ils les croisent sur la grande voie, ilsdoivent leur céder le passage, car la route leur appartient, ainsi,quand ils croisent nos enfants ils les frappent. Un jour, ils ont portéla main sur un de nos enfants et cela m'a révolté. Ils ont attiré monattention sur le fait que moi, je connais les règles. Alors, je leur ai dit: j'ai abandonné le joro, je ne veux plus du joro, mon enfant n'ira pasnon plus au joro. Si tu portes la main sur mon enfant, puisqu'il neva jamais participer à tes sacrifices, quel sens y a t-il à porter lamain sur lui, montre-le-moi ? Moi je connais le joro et je l'aiabandonné et mon enfant ne connaît pas le joro, il n'offre pas nonplus des sacrifices, il prie Dieu ; s'il te dit de venir prier son Dieu, tune seras pas d'accord et lui n'ira pas non plus sacrifier au joro,pourquoi portes-tu la main sur mon enfant ? Ils ont dit qu'ils ont ledroit de frapper mon enfant et qu'il était hors de question d'allerdevant les autorités étatiques avec cette affaire. Alors j'ai dit : si tuportes la main sur mon enfant nous irons devant les autorités pourjuger cette affaire. Ils ont dit que cela ne se fera pas et ils ont unefois encore battu l'enfant et l'ont blessé. Alors je les ai convoqués à
195
la gendarmerie. Là on leur a dit de payer les médicaments poursoigner l'enfant. Ils ont alors dit aux gendarmes de me dire deconseiller mes enfants pour qu'ils n'empruntent pas la voiepublique, que cela leur est interdit. Quand ils ont fini, j'ai dit augendarme : chef393, si vous donnez la permission à ces gens de vousremplacer et qu'ils portent la main sur les enfants de nous autreschrétiens, nous allons nous flécher394. Me tournant vers le maîtred'initiation j'ai dit : je ne sacrifie plus au j'ors, pourquoi veux-tu que«chef» te donne la permission. Alors j'ai dit au chef : chef, si tu disque le j'oro est l'autorité suprême, nous allons nous tuer. Le chef m'adonné raison et leur dit que s'ils estiment que leur sacrifice estimportant, il fallait qu'ils aillent ailleurs et non sur la grande route,car cette voie est la voie publique. Il ajouta que s'il leur autorise àporter la main sur les adorateurs de Dieu, lui qui ne connaît pas lejoro, s'il passe sur la voie publique, il risque d'être aussi leur cible.Le chef m'a donné raison. Ce qu'ils veulent, c'est imposer le joropour que tous aient peur et qu'ils puissent continuer à porter lamain sur nos enfants, c'est là les difficultés que nous rencontrons.Nous devons tenir fermes là-dessus ; pour eux, nous les empêchonsde manger, car lorsqu'ils reviennent, ils font des sacrifices et ilsmangent là-bas. Comme ils voient qu'ils ne gagnent rien avec nous,ils se retournent contre nos enfants pour les frapper, car ils disentque ce sont desjâkvma. (§24)
Ce récit nous montre les obstacles que les maîtres d'initiation
rencontrent dans l'exercice de leur fonction. Ces obstacles émanent des
autorités administratives et des personnes qui se sont détournées de la voie
des ancêtres. Tant que la société était homogène sur le plan religieux et
politique, son contrôle leur était facile. À présent, le joro doit composer avec
d'autres entités qui jouent parallèlement les mêmes fonctions que lui.
2. 4. Les parents et proches
Pendant et après les cérémonies du joro, il existe une catégorie
d'acteurs sans laquelle l'initiation serait impossible. Il s'agit des parents des
néophytes et de leurs proches. Si leur identité et la fonction qu'ils assument
nous sont restituées par les répondants, rien ne filtre explicitement de leur
portrait et de leur statut. Ils sont désignés par les termes de père, mari, mère,
393 Titre donné en signe de respect , mais peu t désigner ici le c o m m a n d a n t de lagendarmerie .394 Les Lobi sont des tireurs à l'arc, l'une des armes meurtrières pendant les conflits.
196
femme (dans le sens d'épouse) et de prétendant. Les premiers sont les parents
directs des néophytes, mais le plus en vue dans l'initiation est le père
(E003HL, §3). Les cérémonies consistent à se substituer à la femme pour faire
renaître leur enfant, non plus en tant que membre du clan de la femme, mais
de celui de l'homme. Toutefois, comme dans la première naissance, le mari et
l'épouse jouent un rôle à des degrés différents, ainsi en est-il lors de cette
deuxième naissance.
Le père et la mère accompagnent le néophyte dans ce processus de
renaissance pour pourvoir matériellement à ses besoins, le protéger et
participer aux rituels. Sur le plan matériel, les parents contribuent aux frais
d'initiation, aussi bien dans le cadre des purifications préliminaires (EOOIFL,
§1 ; E003HL, §3 ; E010HL, §5), que dans le cadre de leur alimentation
(EOOIFL, §6 ; E003HL, §13 ; E007FB, §13). Ils protègent également les
enfants des sévisses dont ils peuvent être victimes (E002FL, §7), et des
ravisseurs (E006FB, §4, 5 ; E008HL, §10). Les hommes mariés ont la
responsabilité de veiller sur leurs épouses (E005FL, §2). Ils accompagnent
enfin leurs néophytes aux différents rites d'initiation (E003HL, §9 ; E004HB,
§7 ; E006FB, §5). Dans la dation de nouveaux noms, les parents constituent
les principaux acteurs, même s'ils peuvent autoriser d'autres personnes à
donner un nouveau nom à leur enfant nouvellement initié (E003HL, §16 ;
E010HL, §21).
À côté des parents il y a les gendres et prétendants. Ces derniers jouent
surtout le rôle de pourvoyeurs sur le plan matériel. Ils aident à couvrir les
frais d'initiation de leurs futures épouses (E008HL, §9 ; E010HL, §5). En plus
de cela, ils sont appelés à porter les bagages des membres de la belle-famille
et doivent toujours se tenir prêts pour jouer le tam-tam qui accompagne la
marche des pèlerins. E010HL fait un lien entre porter les bagages et jouer le
tam-tam.
Je reviens aux filles qui ont été proposées en mariage.Généralement, leurs fiancés aident à jouer le tam-tam pendant lamarche et à charger les bagages des parents de la future belle-famille. Ces bagages étaient en principe rangés dans des paniers
197
qu'on chargeait sur la tête. Lorsque les joueurs de tam-tam étaientfatigués, on cherchait, dans le cortège les jeunes gens ayant chargédes paniers sur leurs têtes et on leur demandait de prendre la relèvedes batteurs de tam-tams. (§7)
2. 5. Les ravisseurs
Les ravisseurs forment un groupe non négligeable dans la typologie des
« Acteurs ». Leur référence est omniprésente dès lors que commence le
pèlerinage. Il y a deux sortes de ravisseurs, l'une venant du genre humain et
l'autre du monde animal ou aquatique. Ici, nous nous intéressons surtout aux
acteurs humains. Ceux-ci sont identifiés comme les Wâdara, c'est-à-dire, ceux
dont la langue est le birifor ou le dagara (E008HL, §10 ; E001FL, §8). Les
Wâdara feraient partie du groupe linguistique dagara395. Ils semblent être les
habitants du village du joro ou de ses environs. Un seul indice décrit leur
portrait, ils sont des gens masqués, qu'on ne peut facilement dévisager
(E002FL, §12).
Le rôle que jouent les ravisseurs est un rôle pédagogique. On se sert
d'eux pour entretenir un climat favorable à l'apprentissage de la discipline et
de l'attachement à son groupe. E002FL explique :
Lors de la marche, des protecteurs encadrent les enfants en setenant à leurs côtés pour les empêcher de dévier du chemin ou dequitter leurs groupes respectifs. Quand quelqu'un s'éloigne de songroupe, des individus l'entourent sur-le-champ et l'enlèventdiscrètement. Dans ce cas, on dit que c'est l'eau qui l'a emporté eton ne réserve pas des funérailles au disparu. Dans certains cas, cesdisparus deviennent des victimes sacrificielles pour préparer lescérémonies de la prochaine initiation. Malgré les bousculadespendant la marche, tu n'oses pas t'écarter des autres de peur d'êtreenlevé. Ceux qui s'adonnent aux enlèvements sont des personnesmasquées recouvertes de feuilles qu'il est difficile de reconnaître.Quand ils se saisissent de quelqu'un et qu'on les aperçoit, on n'apas le droit de leur arracher leur victime. (§12)
395 Gudrun MIEHE, « L'abandon de la langue ou de la culture : le signifié et le signifiantdans quelques langues du rameau lobi », dans Images d'Afrique et sciences sociales. Lespays lobi, birifor et dagara, Michèle FIÉLOUX (dir.), Paris, Karthala/ORSTOM, 1993, p.40.
198
Leur fonction est si importante qu'elle est voilée par un procédé
métaphorique alliant le monde humain, animal, aquatique et végétal. Pour
faire référence à leur action et à leurs victimes, on parle « d'eau qui emporte »,
du « caïman qui saisit », du « yikoro qui emporte », de la « pirogue qui
emporte ». En entretenant un climat de peur marqué par le risque d'être
enlevé, et en gardant le secret autour de l'action des ravisseurs, lejoro se dote
d'un pouvoir de sensibilisation qui d'une part, est totalement différente de ce
qui se fait dans le monde moderne en Afrique, et d'autre part, se comprend
difficilement par l'homme du XXIème siècle.
En définitive, dans le processus initiatique du joro tel que l'ont compris
nos répondants, toute la société est en fin de compte engagée dans le
mouvement de naissance-mort-renaissance qui fait du jâkuma xmjorbi. Ainsi,
lejoro se présente comme un phénomène qui soude les différentes dimensions
de la vie sociale. Si la société lobi est aujourd'hui perçue comme l'une des
sociétés en Afrique qui accepte difficilement le changement, force est de
reconnaître que ces changements proposés cherchent rarement à comprendre
ce qui constitue le ciment de cette société. Le christianisme protestant,
conscient de cette situation, ne sait pas toujours comment s'y prendre. C'est
pourquoi, une contextualisation du joro s'avère nécessaire, si le christianisme
évangélique veut que l'éducation à la foi chrétienne soit pertinente en pays
lobi.
3. Impératif missionnaire etjoro : cadres et acteurs
Le joro, espace bien protégé par la discipline de Parcane,
conséquemment méconnu, est souvent assimilé par les uns à des pratiques
arriérées et par les autres à des pratiques occultes qu'il convient d'évacuer
quel qu'en soit le coût. Cependant, à le considérer de près, malgré les
différences, il présente quelques similitudes avec l'impératif missionnaire dans
ses dimensions touchant le cadre socioculturel qui le porte et qu'il tente de
construire ainsi que les acteurs impliqués dans son projet. Afin de les saisir
nous relèverons d'abord quelques implications pédagogiques de Matthieu 28,
199
18-20 pour dégager leur contribution dans la compréhension de l'initiation
comme processus pédagogique.
3. 1. Les indicateurs pédagogiques de l'impératif missionnaire
Le premier indicateur de l'impératif missionnaire concerne les acteurs
impliqués dont la principale figure est Jésus. Il est identifié à l'Emmanuel (éy<h
H£0'ti|j,û)v dm = je suis avec vous) et comme celui qui a toute autorité (é^ouoia).
Si au début de l'évangile (1, 23), il est fait mention du Dieu qui vient vers son
peuple, qui est avec son peuple, cela est repris à la fin. Le verbe Jipoaèxojiai
(s'approcher) au verset 18 du chapitre 28, appliqué à Jésus, traduit cette
volonté de rencontrer les disciples, d'être avec eux. Il s'approche non pas pour
garder le silence, mais pour prendre la parole ("éXàXr\ocv" du verbe "Àedéo").
L'acte de parler, « tâches maîtresses de l'homme396 », qui se trouve au cœur
des rapports, se présente ici comme un indicateur d'humanité du Christ ; car
il se sert d'une langue humaine pour communiquer.
En outre, l'un des attributs portant sur la personne de Jésus et lié à la
parole, est éveTSiAàpriv (de évxéXkoiiai = commander, ordonner, prescrire).
Comme le soutient Zumstein, ce verbe à l'aoriste suggère une relation entre le
Jésus d'avant la Pâque et celui qui est ressuscité397. Dans ce cas,
l'enseignement de Jésus, n'est pas seulement bonne nouvelle du royaume,
mais aussi commandement. Le décor dans lequel sont placés les propos de
Jésus fait penser à l'événement de la transmission des dix commandements à
Moïse sur la montagne398 (Exode 19, 10-20, lss). Comme YHWH rencontre
Moïse sur le mont Sinaï, ainsi le Christ ressuscité vient à la rencontre des
siens sur la montagne pour leur donner ses dernières instructions.
396 Georges GUSDORF, La parole, Par is , P res ses Univers i ta i res de F rance , 1998 , p .37 .397 J e a n ZUMSTEIN, op. cit., 1977, p . 102 -103 .398 An thony J . SALDARINI, Matthew's Chritian-Jewish Community, Chicago, T h eUniversi ty of Chicago Press , 1994, p . 182 ; Pour les para l lè les avec Moïse, cf. Dale C.ALLISON, J r . , The New Moses. A Matthean Typology, Minneapol i s , Fo r t r e s s Press , 1993 ,p. 262-270.
200
Considéré comme celui qui prend l'initiative de cette rencontre, Jésus
est aussi élevé en dignité et a le pouvoir (è'Epvola) sur la terre et au ciel. La
prise de ce pouvoir suit un processus. Tout d'abord, Jésus prend ses
distances vis-à-vis du pouvoir que lui proposent Satan (Mt. 4, 8-9) et le peuple
(Jn. 6, 15). Ensuite, il dénonce les perversions du pouvoir religieux (Mt.
21, 23-23, lss) et politique (Mt. 20, 20-28) ; enfin, il confronte le pouvoir
politique (Mt. 27, 14). Le non-conformisme dans lequel il s'engage à l'égard
des pouvoirs de son temps débouche sur sa condamnation à la mort sur la
croix. Sa résurrection viendra montrer à ses disciples, puis à ceux qui
recevront leur témoignage, l'ineffable vérité de son autorité.
D'après le texte de l'Évangile, il était né dans la royauté, comme
l'annonce la question des mages en Mt. 2, 2 : « où est le roi des Juifs qui vient
de naître ? » (cf. Mt. 11, 27) Toutes ses activités étaient déjà sous le signe de
l'autorité399. Il enseigne avec autorité (Mt. 7, 29) ses miracles manifestent son
autorité (Mt. 8, 9, 9, 6-8) ; ses opposants l'interrogent sur l'origine de son
autorité (Mt. 2, 23). Il délègue son autorité aux disciples (Mt. 10,1). Tout cela
se trouve confirmé dans sa Pâque. Mais bien qu'il soit né roi, il lui a fallu
s'inscrire dans un parcours humain dont le but n'était pas de lui donner le
pouvoir, ni même de le proclamer, mais de le faire reconnaître d'abord à ses
disciples, et par eux, à toute l'humanité. La déclaration de Jésus sur son
autorité sert à faire comprendre solennellement aux disciples que même les
événements de sa passion n'ont rien enlevé à son autorité. Cette autorité
s'étend dans le ciel et sur la terre.
Les termes oûpavoç et yr\ (ciel et terre) sont ici les éléments qui font
référence à l'univers, indicateur qui suggère le cadre porteur des activités
d'éducation à la foi. Le rapprochement ciel et terre revient dans Matthieu
environ huit fois, et cet évangile compte le plus d'occurrences touchant le ciel
(82 fois)400. Ces deux termes mis ensemble expriment un espace lié par le
même sort, car ce qui se passe dans l'un va se répercuter dans l'autre. « Je
399 J e a n ZUMSTEIN, op. cit., 1977, p . 9 8 .400 H a n s BIETENHARD, « Heaven » d a n s Colin, BROWN, (dir.) New Testament Theology,Vol. 2, Grand Rapids, Zondervan, 1975, p. 192.
201
vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et
tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. » (Mt. 18, 18 ; cf.
24, 30 ; 28, 2) Cet espace eschatologique est soumis au temps, car il passera
(Mt. 24, 35) pour faire place à une recréation, à l'établissement du royaume
des cieux, espace où sont déployés définitivement le règne de Dieu (Mt: 11,
25) et l'autorité du Christ ressuscité (Mt. 28, 11, 18).
C'est toutefois dans l'espace soumis au temps que se déploie et se
révèle le pouvoir du Christ ressuscité. Il est la plaque tournante de l'activité
des disciples. Dans Mt. 28, ces derniers, qui constituent un deuxième
indicateur touchant les acteurs, sont au nombre de onze ici, mais forment un
groupe de douze dans le reste de l'évangile où ils sont nommés "ôœôexa
ixaeiyrâç" (Mt. 10, 1 ; 13, 10 ; 17, 6, 16 ; 21, 20 ; 24, 1). Le mot na9r|Tnç40i
attribué aux douze, revient 68 fois dans Matthieu et désigne ceux qui
accompagnent Jésus. Ce groupe se réduit à onze et se caractérise dans la
finale de Matthieu comme ceux dont les sentiments envers le Ressuscité sont
partagés, puisque, bien qu'ils le reconnaissent comme l'envoyé de Dieu, le Fils
de Dieu, ils laissent planer un certain doute (éôkmxaoav). Ce portrait des
disciples dépeint la foi en proie à l'incrédulité. C'est néanmoins à eux qu'est
confiée une mission par laquelle ils sont appelés à parcourir l'univers,
(nopeuouai) à l'exemple du Maître, pour faire d'autres disciples.
La référence au groupe des onze402 fait penser que la formation des
disciples n'était pas circonscrite à des individus isolés. Zumstein s'accorde
avec Bornkamm pour assimiler l'utilisation de ol naSnxat à la notion d'ecclésia
dans Matthieu403. Pour Mortimer, ceux qui sont chargés de la mission sont les
onze, chiffre symbolique pour parler de l'Église de la fin du premier
centenaire404. Cet auteur ne manque pas de relever le caractère imparfait de
401 Pour une étude approfondie du terme dans Matthieu et de son arrière-plan juif et grec,cf. Michael J . WILKINS, The Concept of Disciple in Matthew's Gospel as Reflected in theUse ofthe Tenu Ma6t]Ttjç, L e u d e n / N e w York, E. J . Brill, 1988 .402 ëvôexa naGriTai, (Mat th ieu 2 8 , 16).403 G û n t h e r BORNKAMM, Der Auferstandene, p . 3 0 1 , cité p a r J e a n ZUMSTEIN, op. cit., p .100.404 Ar ias MORTIMER, « C h u r c h in the World. Re th ink ing t h e great commiss ion » d a n sTheology Today, n° 47, 1991, p. 418.
202
cette Église marquée par les conflits et la peur, la foi et le doute, le bon grain
et l'ivraie. Non seulement l'utilisation du pluriel implique un groupe, mais
Matthieu donne l'impression d'une répétition de l'histoire du peuple d'Israël.
Le rassemblement à la montagne fait penser à l'événement du mont Sinaï405,
où le peuple rassemblé reçoit les tables de la loi. Matthieu fait mémoire de ce
moment important de l'histoire du peuple de YHWH. Ce peuple ne se réduit
plus à Israël, mais s'étend à tous les peuples de la terre.
Pour faire partie de ce peuple, un rituel d'intégration s'impose,
comprenant le rite d'eau et la transmission des savoirs, indicateurs suggérant
les voies et moyens déployés dans l'éducation à la foi. Deux participes
définissent ces indicateurs, ParcxCÇovreç et ôiôâaxovreç. Le premier est rituel et
le second est pédagogique. L'ordre des objectifs est frappant et déroute nos
pratiques actuelles qui font précéder le rituel des cours de baptême ou la
catéchèse. Le rapport de la Trinité au rite baptismal dénote la primauté de la
relation ou de l'intégration à la famille de Dieu. En effet, un disciple, c'est-à-
dire un apprenant, est moins celui qui court après une foule de connaissance
que celui qui est appelé à une communion, à une intimité avec le Dieu
Trinitaire au nom de qui il agit. Le point focal est l'entrée dans une relation
filiale avec Dieu le Père. Le disciple de Jésus partage avec lui cette filiation,
car il les appelle frères (Mt. 28,10). Sans cette relation, il est impossible de
s'appeler disciple.
L'acte rituel ponctuel exige, cependant, un vécu permanent de la
signification du rite ; car il initie un processus relationnel. Il intègre et offre la
possibilité d'une dynamique identitaire soumise à un travail de
transformation et de communication. Comme lors du rite baptismal du Fils,
l'Esprit communiqua les paroles du Père pour l'authentifier, ainsi, à travers ce
rite, l'Esprit descend sur le disciple pour que l'écho de la voix du Père se
répande. Cette voix vient confirmer le sceau de sa filiation. Il convient
cependant de préciser que l'acte rituel baptismal, composé de gestes et de
paroles, est intrinsèquement lié à l'acte d'enseigner.
405 Pheme PERKINS, « Matthew 28:16-20, Résurrection, Ecclesiology and Mission », dansSociety of Biblical Literature 1993 Seminar Papers, Atlanta, Scholars Press, 1993, p. 576.
203
Le rite renvoie à un processus d'intégration à une communauté avec
ses règles d'accueil de nouveaux membres et leur formation. P. Perkins écrit
que les paroles du Ressuscité assurant ses disciples de sa présence (v. 20)
font penser à l'Église406. Elle se donne comme une communauté accompagnée
et non laissée à elle-même. Elle est aussi en apprentissage auprès du Maître
et en constante interaction avec le monde extérieur à travers la mission qui la
met en marche ou en pèlerinage. La communauté, le groupe des apprenants,
l'accompagnement, le pèlerinage sont des indicateurs qui permettent de
mettre en lumière les similitudes et les discontinuités des composantes de
l'impératif missionnaire proposé dans l'Évangile et de l'initiation du joro.
3. 2. L'ecclésiologie et la communauté joro
Nous avions relevé dans notre analyse quelques groupes du joro et leur
caractère solidaire. Les initiés forment un groupe unifié dans lequel chacun
est le surveillant de son frère ou de sa sœur. La loyauté au groupe est
essentielle et l'enfreindre entraîne des sanctions. La cohésion du groupe est si
importante que pendant les cérémonies funéraires, celui qui interroge les
morts demande à l'initié décédé de révéler si oui ou non, il a été infidèle à un
des principes du groupe. Cela importe beaucoup, car cette confession permet
les réparations nécessaires pour ôter les obstacles pendant sa migration vers
le village des ancêtres.
À cet aspect communautaire est lié l'accompagnement, composante
nécessaire à l'apprentissage. Nul n'entre seul en initiation du joro. On est
accompagné de ses camarades, de ses parents, des moniteurs, et des maîtres
d'initiation. Les derniers jouent un rôle crucial pendant les cérémonies
d'initiation, tandis que les premiers assurent le suivi après les cérémonies. Ils
facilitent les apprentissages et veillent à ce que tous les moyens soient réunis
pour le succès de l'initiation. Il faut ajouter à ceux-ci l'esprit de l'ancêtre
tutélaire qui accompagne en tout temps. Ainsi, le candidat à l'initiation et
l'initié ne sont jamais laissés à eux-mêmes, ils sont surveillés, soit par leurs
Ibid, p. 578.
204
semblables, soit par un esprit. Dès lors, l'environnement est très impliqué
dans la formation du jorbi. Cette formation assurée par la communauté vise
l'intégration de l'initié dans celle-ci, cadre sociologique de l'éducation. La
notion de communauté qui est bien attestée dans le projet éducatif du joro
n'est pas absente du projet que poursuit l'impératif missionnaire.
Toutefois, ces similitudes entre les composantes de l'impératif
missionnaire et du joro ne doivent pas faire perdre de vue les discontinuités
entre les deux projets. Pendant que la communauté du joro se construit sur
une base clanique, celle de l'impératif missionnaire se veut universelle. La
communauté du joro construit les relations en société, une société humaine
en interaction avec l'environnement végétal, animal et spirituel. Cette société
est fermée, car limitée à une tribu n'ayant aucune ambition expansionniste.
Au niveau local, la communauté qu'édifie le joro vise un groupe ethnique et ne
se préoccupe pas des ethnies environnantes. Ce sont les ethnies lobi et birifor
qui sont concernées par le projet du joro. II ne se donne pas pour objectif
d'atteindre d'autres ethnies, ce qui est totalement à l'opposé du projet de
l'impératif missionnaire. Celui-ci vise l'universel, car sa mission est de faire de
« toutes les personnes de la terre » des disciples du Ressuscité. Son but est de
donner l'occasion à chaque femme et à chaque homme d'entrer dans une
communauté qui transcende les limites géographiques et ethniques.
L'adhésion à cette communauté est fondamentalement une rencontre ou une
expérience spirituelle avec le Christ, avant d'être une question de rites. Cette
expérience construit des relations qui sont loin d'être celles que propose le
joro.
Comme nous l'avons déjà relevé, le joro construit des relations en
société en tenant compte de l'environnement humain, naturel et spirituel.
Nous ne sommes pas certain qu'il propose une expérience avec une divinité
comme certains ethnologues le laissent penser407. Ce n'est pas parce que des
sacrifices sont offerts pendant les cérémonies qu'il faut conclure que le joro
est une divinité. Des sacrifices sont offerts à des ancêtres qui ne sont pas
Madeleine PÈRE, op. cit., p. 229-230.
205
pour autant des dieux. Ils sont des intermédiaires certes, mais pas des
divinités. Nul doute que dans le joro on fait référence à une divinité, mais cela
ne suffit pas pour l'assimiler à un dieu. La divinité dont il est question dans
l'initiation lobi ne peut pas non plus être comparé au Dieu trinitaire. Thâgba
(Dieu) dans la pensée lobi est unique même s'il s'entoure d'intermédiaires
invisibles représentés matériellement. Cela explique la profusion des idoles
symbolisant tel ou tel intermédiaire. Si une telle conception de Dieu est loin
de rencontrer celle que présente les missions chrétiennes, il n'en demeure pas
moins que les représentations qu'elle véhicule peuvent constituer des atouts
majeurs à la compréhension du Dieu révélé par Jésus408.
3. 3. Le maître et le disciple
Dans l'impératif missionnaire, trois indicateurs ayant trait aux relations
interpersonnelles sont observables, les disciples, le Ressuscité comme Maître
et la Sainte Trinité. Les relations en vue sont filiales, fraternelles et
pédagogiques. Qu'en est-il du joro ? Dans notre analyse nous avons relevé ici
et là quelques éléments symboliques qui nous ont permis de mettre en
évidence le caractère englobant du joro. L'éducation que propose l'initiation
lobi est holiste, puisqu'elle vise à construire une symbiose entre la nature, la
culture et le spirituel. Tout cela s'opère dans ses relations humaines
impliquant des acteurs. Les parents, les proches, les moniteurs et les maîtres
d'initiation interagissent dans le but de préparer le néophyte à être un jorbi
(fils du joro).
Dès lors, trois sortes de relations caractérisent l'initiation du joro, une
relation parentale, une relation fraternelle et une relation pédagogique. Celles-
ci coopèrent dans le but de générer une nouvelle relation filiale ou mieux une
filialité joro. Ici nous empruntons le terme à Yves Ledure qui souligne qu'il est
« essentiel de différencier filiation de la génétique et filialité qui est œuvre de
408 Une recherche sur les divinités lobi aiderait à dégager les représentations susceptiblesd'éclairer le Lobi dans sa compréhension du Dieu trinitaire. Un tel objectif dépasse lecadre de notre recherche et pourrait être un sujet de réflexion pour les dogmaticiens.
206
l'esprit409. » Les aspects économiques et affectifs sont pris en charge par la
famille. Ce sont les parents qui décident qui de leurs enfants doit aller à
l'initiation et ils préparent tout ce qui est nécessaire pour atteindre ce but.
Non seulement ils se chargent des besoins matériels, mais aussi ils se rendent
disponibles pour les soutenir, les avertir et veiller sur eux afin que rien de mal
ne leur arrive. Leur apport est essentiel car ils sont au départ de la formation
et facilitent le suivi.
À côté de cette relation se trouve celle des co-aspergés. Elle concerne les
autres candidats de la même promotion. C'est une relation fraternelle car
entre eux, ils s'appellent « frères ». Ils forment un groupe uni et solidaire, liés
par le même sort. Ils sont frères parce qu'ils sont renés de la même Mère, ont
bu le même lait, et sont membres du même patriclan. Il est intéressant de voir
que non seulement ils sont des frères, mais ils sont aussi des co-aspergés. Ce
dernier qualificatif fonde en fait le premier et fait référence au bain rituel.
Ces deux relations se vivent dans un cadre éducatif, d'où la nécessité
de la relation pédagogique qu'entretiennent les moniteurs et les maîtres
d'initiation avec les néophytes. Ceux-ci interviennent à deux niveaux
différents qui se complètent. Les premiers sont des courroies de transmission
des savoirs traditionnels liés au nouvel état de l'initié. Ils ont la responsabilité
d'enseigner les interdits, mais aussi d'instruire ceux qui leur sont confiés à
respecter les directives. Ils n'hésitent pas à se servir de la cravache, car le
savoir qu'ils sont supposés transmettre engage le corps ; il est oral et gestuel.
Les seconds sont chargés des pratiques rituelles. Leur rôle est central car
c'est par eux que s'opère la renaissance à laquelle le néophyte doit parvenir.
Leur action introduit l'initié dans l'ultime relation, celle de la filialité joro.
Ainsi, le néophyte devient fils du joro, né non de manière physique,
mais meta-physique. Cette naissance est récapitulative, globale et vient
409 Yves LEDURE, Le christianisme en refondation, Paris, Desclée de Brouwer, 2002, p.147. L'auteur se sert des mots filiation et filialité pour reprendre à nouveaux frais laquestion de l'Incarnation en mettant l'accent sur la place qu'occupe l'esprit dans cemystère. Le terme nous semble approprié pour traduire cette nouvelle naissance queconnaît le néophyte, laquelle est moins liée à la génétique telle que comprisehabituellement.
207
authentifier la première en la dépassant, ou du moins, en introduisant le
naissant dans un univers de dépassement de soi. Cette relation est essentielle
dans la formation du joro. C'est pourquoi les rites de l'allaitement, du bain et
de dation de nom sont essentiels. Celui du bain place l'enfant lobi en face de
ce qui symbolise Thâgba, (Dieu) le Fleuve. L'eau du Fleuve fait penser à la
pluie qui descend du ciel, et qui est désignée par le terme Thâgba (Dieu) ou
Thâgba-nyvon (l'eau de Dieu). C'est donc dans une dimension spirituelle qu'est
introduit l'initié, il est désormais dans une relation de filialité scajoro, qui n'est
pas une divinité en soi, mais un principe de vie.
Malgré ces analogies, les réalités visées sont marquées par de profondes
différences. Nous sommes en face de deux registres différents qui ne
s'opposent pas nécessairement. D'une part, avec le joro, nous nous situons
sur un terrain anthropologique, et la démarche consiste à éduquer en vue
d'une intégration au milieu social, naturel, et spirituel. Elle vise également le
passage d'un état, celui de l'inculte, de l'ignorant, à celui du connaisseur. La
vedette est l'homme et son milieu social en quête de réalisation. D'autre part,
dans la formation du disciple chrétien, le registre change ; il est moins
question d'intégrer un milieu social situé, que de faire partie intégrante d'un
corps par adhésion librement consentie. « C'est à la fois une véritable ascèse,
une expérience charismatique et prophétique pour grandir à la taille du
Christ, unique et premier Maître d'initiation.410 » La relation est théologique.
Elle concerne moins l'homme se réalisant que se dépassant411 pour que soit
formé le Maître en lui. La vedette est le « Père qui modèle [...] l'image du Fils
par l'action de l'Esprit412 » dans celui qui est engagé dans la formation. La
relation est d'abord vécue avec la Sainte Trinité et ensuite avec les hommes
410 J e a n de Dieu MVUANDA, op. cit., p . 415 . Même si n o u s avons que lques réserves q u a n tà l'attribution du titre "maître d'initiation" à Jésus de peur de l'assimiler aux grandsmaîtres des initiations ésoteriques contemporaines ou de le réduire à sa seule humanité,la pertinence de cette appellation ne nous laisse pas indifférent. Anselme T. SANON, dans"Jésus, Maître d'initiation", dans KABASÉLÉ, et. al. (dir.) Chemins de la christologieafricaine, Paris, Desclée, 1986, p. 143-166, donne des fondements qui expliquent bien untel titre christologique.411 Amadeo CENCINI, Les sentiments du fils. Le chemin de formation à la vie consacrée,Toulouse, Éditions du Carmel, 2003, parle de dépassement de soi. p. 49.412Amadeo CENCINI, op. cit. p. 43.
208
qui sont des acteurs « sujet » appelés à accompagner, étant eux-mêmes en
situation de formation. Cette formation se réalise aussi à travers des
institutions que l'homme met en place pour atteindre le but qui lui est
assigné.
Somme toute, ce chapitre a tenté de mettre en évidence les différents
cadres qui accueillent le projet de formation de la grande initiation lobi. Le
village du joro est le principal lieu physique du déroulement des cérémonies.
Après être passé par les rituels d'initiation, le néophyte rentre au village, mais
doit observer un temps de transition qui le prépare à regagner sa famille. Ce
temps se vit dans le lieu de retraite et est ponctué de visites de quelques
minutes à la maison. Cette période prend fin dès que sont engagées les
cérémonies de réintégration. Ces cérémonies sont placées sous la direction
des chefs des différentes maisons du patriclan. La durée totale des différentes
cérémonies varie entre douze et vingt-quatre mois. Une fois que les chefs
déclarent la fermeture du joro, il faut attendre sept ans pour relancer les
activités. Celles-ci ont pour but d'éduquer le Lobi en lui offrant la possibilité
de construire son identité, afin d'être pleinement intégré dans sa société. Cette
société est prise en compte dans le projet éducatif du joro car il ressort une
forte volonté de la réguler pour que ses membres vivent en harmonie les uns
avec les autres, mais aussi avec leur environnement naturel et spirituel. Cette
régulation est confiée à des institutions qui gèrent les activités du. joro.
Ces institutions se limitent géographiquement et sociologiquement.
Elles sont situées dans les limites de l'ethnie tandis que la formation du
disciple s'étend à tous les peuples de la terre. Les patriclans, institutions
principales qui portent les cérémonies du joro, se donnent comme une
expression locale du peuple lobi où se côtoient jorbi et Jâkuma (initié et non-
initié). Le projet initiatique lobi concentre ses efforts sur les voies et moyens
pouvant faire connaître ces patriclans, véritables milieux de vie du Lobi et
garants de la cohésion sociale.
209
La formation que propose le joro au Lobi est d'abord un dévoilement de
ses propres racines. Tout commence par la connaissance de la grande famille
locale, puis régionale (pour les uns) et nationale. Tant qu'on ne connaît pas
ses origines, on ne peut prétendre entrer dans le processus de connaissance
de sa propre personne, car en régime joro, nul ne construit son identité en
solitaire. Tout commence par la communauté et finit en communauté, pour la
communauté. En outre, l'expérience initiatique lobi laisse supposer que le
projet de se connaître est un long pèlerinage qui ne s'achève qu'avec la
traversée finale vers la vraie patrie. Comment le joro prépare-t-il les membres
de la société à ce pèlerinage ?
210
CHAPITRE VII
LA DÉMARCHE DU PROJET D INITIATION
Le joro, comme nous l'avons déjà relevé, vise à construire l'identité lobi
en prenant en compte de son milieu de vie pour une intégration totale dans la
société. L'enjeu est principalement l'homme avec son espace tant naturel que
spirituel, et le joro met en interaction ces espaces pour parvenir à une
transformation. Pour ce faire, l'initié s'unit au cosmos, se sent en sécurité et
se voit accorder une place dans la gestion des affaires de la société. Désormais
il a droit à la parole là où cela ne lui était pas permis, il peut participer à
certaines cérémonies dont il était exclu et, à sa mort, il bénéficie de certains
rituels réservés uniquement aux seuls initiés. Les privilèges sont nombreux,
toutefois, le chemin pour y accéder est périlleux.
En effet, l'image de l'homme et de la société que le joro se propose de
construire est soumise à certaines conditions et résulte d'une démarche.
Quelle est cette démarche ? Quelle procédure le joro adopte t-il dans son
approche de la formation de l'identité lobi et de l'intégration sociale ? Ce
chapitre examine la question à partir des catégories « Préparatifs » (Tableau
VII-1) et «Voies et moyens» (Tableau VII-1). Les différents indicateurs de
l'initiation qui s'y dégagent seront traités de manière à mettre en évidence les
similitudes et les discontinuités avec les composantes de l'impératif
missionnaire.
1. Préparatifs
Les dangers que doivent affronter les pèlerins pendant le joro exigent
une préparation toute particulière. Les activités commencent toujours sept
ans après la clôture de la dernière session. Elles s'ouvrent par un long temps
211
de préparation pendant lequel certaines dispositions sont mises en place pour
introduire les rites préliminaires.
Tableau VII-1 : Composantes de la sous-catégorie « Préparatifs »
Préparatifs
1. Dispositions préliminaires
Récolter de l'argent
S'iijjprovisionner
Fixer le jour du pèlerinage
Annoncer l'événement
2. Rites préliminaires
Purifier la communauté
Lancer le cri du joro
Se revêtir
*~>e dévêtir
les cheveux
Totalfemmes
5
3
0
1
0
1
3
4
3
2
2
0
1
2
2
%femmes
50
30
0
10
0
10
30
40
30
20
20
0
10
20
20
v , ; ,.ihommes
5
4
1
3
3
3
1
5
1
2
4
1
0
1
4
%hommes
50
40
10
30
30
30
10
50
10
20
40
10
0
10
40
Total%
100
70
10
40
30
40
40
90
40
40
60
10
10
30
60
1.1. Les dispositions préliminaires
Les dispositions préliminaires sont marquées par trois événements qui
sont l'accouchement de la Mère Mu (Mère Fleuve), les approvisionnements et
la sensibilisation. Dès la fin de chaque session du joro qui dure de 17 à 22
mois, une fille et un garçon d'environ 6 ans, qui ne sont pas initiés, sont
choisis comme calendrier biologique. Quand la fille atteint l'âge de puberté ou
tombe enceinte, on dit que la Mère Fleuve a accouché et que le temps de se
préparer pour "ur hvo" (lever ou marcher la route) est arrivé ; c'est-à-dire que
le pèlerinage va bientôt commencer. E002FL insiste sur le fait que la date
fixée est toujours exacte.
Pour connaître la période exacte du début du pèlerinage, les Lobiont une manière de calculer et cela coïncide toujours avec le jour dumarché ou " co ma wiri. " Quand ils déterminent un jour, c'est
212
toujours exact et c'est tous les sept ans que débutent les activités dujoro. Celui qui sait lire et écrire et qui le désire, pourra vérifierl'exactitude de l'année et du jour. (§ 6)
Cette période est le "di bvo yier" (année de souffrance) pour les initiés,
mais pour les non-initiés, on leur fait croire que c'est le "di boo yier" (l'année
du beau monde)413. Nos répondants confirment ce procédé antithétique qui
annonce le joro comme année de bonheur et de souffrance. E002FL signale
qu'à l'approche du pèlerinage, « des cris se font entendre annonçant le jour du
joro. En ce moment on vous avertit que la terre est remplie de fiel (di kaar =
pays amer) ». Pour les candidats à l'initiation, apparemment, les épreuves
subies ne sont pas de nature à leur faire croire à une béatitude facile, sans
renoncement ou sans abstinence. Pendant qu'ils sont soumis à des sacrifices,
les membres du groupe restés au village vivent la paix, car les initiés portent à
leur place les troubles et fardeaux de la société. C'est pourquoi, la société peut
vivre dans un pays d'accalmie. Le répondant E009HL nous informe que « la
période du joro est appelée di boo (bon pays). En ce moment on n'enlève pas de
femmes, on doit éviter la violence, on ne doit pas se flécher, ni frapper
quelqu'un. » (§ 8) E003HL confirme cette information.
Ce temps est aussi appelé dibor yier, (littéralement, l'année du bonpays) car en ce moment, certains crimes sont strictement interdits,exemple le meurtre ; auparavant les gens ne tardaient pas à seflécher, mais quand arrive cette période, ils doivent arrêter toutehostilité. Le pays vit alors une accalmie et on peut se déplacerlibrement et partout sans s'inquiéter. Les enlèvements des femmessont suspendus, et même si deux amants planifient cela, ils sontobligés d'attendre pendant un an avant de pouvoir réaliser leurprojet. (§ 2)
Cela prédispose la société à des actions de bienfaisances, ce qui est
bénéfique pour les candidats à l'initiation et leurs parents qui doivent trouver
toutes les provisions nécessaires au pèlerinage. Dès lors, une vaste campagne
est menée pour collecter des fonds (E002FL, § 10 ; E010HL, § 4). E009HL
explique comment se fait cette collecte. « Quand on veut t'amener au joro en
Cécile de ROUVILLE, op. cit. p. 186.
213
tant que jâkvma, on te conduit chez les gens pour qu'ils t'offrent de l'argent
que celui qui t'accompagne garde, mais toi tu n'y touches pas. Une fois
l'argent récolté, on le place en lieu sûr, et quand vient le jour du joro, on le
récupère et on te conduit à votre cokôtin. » (§ 1)
En plus de l'argent, s'ajoutent des vivres. « Quand le temps du joro est
là, on charge des paniers contenant les condiments pour la sauce et la farine,
ainsi que le matériel de couchage pour le pèlerinage » (E009HL § 19). E004HB
confirme ces actions (§ 1). Enfin, toutes ces activités préliminaires sont
appuyées par une sensibilisation des enfants à qui l'on tente d'inculquer l'idée
de contribuer aux frais de l'initiation. E002FL raconte :
Arrive un temps pendant lequel on vous demande de chercherl'argent. Quand tu te fais remarquer par un mauvais comportement,on s'informe d'abord pour savoir si tu as déjà réuni tout l'argentqu'on t'avait demandé de chercher, ensuite on t'inflige unecorrection. Ils placent des paniers devant toi et t'ordonnent de lesremplir d'argent faute de quoi, tu auras affaire à eux. Cela motive lesenfants à travailler et certains se mettent à faire du commerce pourleurs mères. Pour vous stimuler, on vous dit que l'argent que vouscherchez servira à votre salut et que c'est ce que les anciens ontdemandé. Ils ajoutent que vous devez remplir les paniers sinon vousserez leurs esclaves. Cela vous pousse à vous débrouiller et ceux quin'ont pas l'âge de se faire de l'argent par le commerce sont appeléshvkpalvsoo. Pendant ce temps, les parents entraînent les enfants àfaire plusieurs petits boulots jusqu'au départ pour le pèlerinage etcela peut durer un an. (§ 10)
E010HL va dans le même sens en mettant l'accent sur l'abnégation
qu'on tente d'inculquer aux enfants pour les amener à travailler pour les frais
de leur initiation.
On ne cesse de rappeler aux enfants qu'ils ont une cotisation à faire.Ainsi, leur apprend-on à se surpasser pour se consacrer auxactivités pouvant leur rapporter de l'argent en vue de payer les fraisd'initiation. C'est pourquoi on entend souvent cette question : « sijâkvma na yire musvmv na be » (le non-initié a-t-il trouvé l'argentnécessaire ?) De telles paroles font référence à la cotisation que doitpayer le candidat à l'initiation, servent en même temps de rappel etsensibilisent à se mettre à l'ouvrage pour contribuer à leurinitiation. (§ 4)
214
1.2. Les rites préliminaires
À ces dispositions préliminaires s'ajoutent les rites préliminaires qui
consistent à sacrifier et à purifier la communauté toute entière. Tout
commence par une visite chez le devin pour implorer la protection des
membres du groupe. E005FL le relève en ces termes :
Comme le joro est une activité difficile, avant de s'y engager, on vousconduit d'abord chez le devin, pour qu'une fois engagés, vous soyezprotégés par le fétiche, et que vous soyez épargnés du malheur dontvous pourriez être victimes lors des cérémonies. Après avoir consultéle devin, on vous rassemble dans un endroit destiné à cela dans levillage. Votre chef met alors de l'ordre dans sa maison en offrant dessacrifices et préside les activités. (§ 1)
EOO1FL fait comprendre que cette protection est nécessaire à cause des
dangers qui guettent les pèlerins. « Si tu te prépares pour le joro, c'est
vraiment difficile. Il faut qu'on te conduise d'abord chez le devin, car le village
du joro est un lieu qui est vraiment dangereux. » (§ 1) C'est le devin qui
consultera ses tila (idoles) pour révéler si au sein du groupe il se trouve
quelque faute qui puisse faire obstacle (E006FB, § 2). Si les oracles mettent
quelqu'un en cause, il conseille au groupe les différents éléments à trouver
pour le sacrifice de culpabilité. Ce sacrifice est nécessaire afin de s'assurer
que tous les membres du groupe sont en règle vis-à-vis des interdits du joro et
du groupe et que personne ne vit avec un problème moral non résolu.
S'il est juste que la visite chez le devin permet d'invoquer les esprits
pour la protection pendant le pèlerinage, cette protection n'est possible que si
les membres du groupe sont purifiés. C'est pourquoi, le chef de chaque
groupe procède à des cérémonies de purification dont l'un des signes est le
rasage des cheveux. « Quand on vous rase, cela signifie qu'on vous a purifiés
des anciennes taches pour entrer dans le joro. » (E009FL, §2) Sans la
purification, les risques encourus sont énormes ; E003HL nous révèle
l'importance de ce rite.
215
Pour se préparer, on prend toute une année pendant laquelle onrépare toute faute commise à l'égard des interdits du joro. Si tu avaistué ou blessé quelqu'un, enlevé la femme d'autrui ou volé, c'est lapériode de trouver le nécessaire pour tout réparer. C'est le paa(razzia purificatrice) pendant lequel on peut aller chez toi pour tedemander soit des moutons, des poules, des chèvres afin de les offriren sacrifice. Car il faut qu'on prépare celui qui veut aller aupèlerinage au village du joro. Sans une préparation suffisante, celuiqui se rend au village du joro avec quelque faute non réparée, risqued'y laisser sa peau ou même un de ses enfants peut en mourir. Ilfaut donc réparer toute faute commise en ce moment, c'est ce qu'ondésigne par le terme paa ou la purification de la personne. (§2)
Un autre aspect de cette purification est le marquage à l'aide de l'eau
du til (idole). Cette eau sacrée est faite d'un mélange de kaolin et d'eau. Elle
est généralement conservée dans un petit pot placé sur l'idole et laisse des
marques blanches ou grises sur la peau lorsqu'on s'en induit. E002FL déclare
qu'après le rasage des cheveux, tous les novices sont marqués de cette eau
(§11). Les rites de rasage et le marquage servent à mettre à part les candidats
à l'initiation. Cette mise à part se réalise également dans les premiers rites de
dépouillement et de revêtement et prolonge, selon nous, la volonté de
purification. E001FL souligne : « Nous ne sommes pas habillés ; dès que vous
êtes rasés, vous vous déshabillez. On vous donne l'ordre de le faire et celui qui
ne s'exécute pas en récolte les conséquences. » (§5) Si pour les uns ce rite se
fait immédiatement après le rasage, pour d'autres, cela se fait en cours de
route. L'expérience de E005FL le démontre. « Les novices, relève-t-elle, ceux
qui vont pour la première fois, n'ont pas de vêtements sur eux, sauf un
morceau de tissu à la taille. C'est en cours de route, quelque part dans la
savane, qu'ils sont déshabillés. Dès votre première escale, on vous ferme les
yeux pour que vous ne voyiez pas ce qui se passe et on vous déshabille. » (§1)
Ce dépouillement est suivi de revêtement. « Vous vous déshabillez vous-
mêmes et on vous fait porter des cordes sous forme de bretelles ou des feuilles
tenues par une ceinture faite de fibres. » (EOO1FL, §5) Les candidats se
retrouvent quasiment nus pour commencer leur pèlerinage vers le village du
joro. Ils sont mis à part et peuvent désormais lancer le cri de ralliement au
joro. « Après cela, ils vous mettent en rang, forment un cercle autour de vous
216
et vous commencez à lancer des cris ; le joro a son langage. C'est le moment
pendant lequel on vous apprend à dire wi hur wi hur wi hur hulii wi hur hulii wi
hur. Vous lancez ce cri en marchant. » (E009HL, §2)
Toute personne au village qui entend ce cri reconnaît que des initiés
sont en mouvement. N'importe qui n'a pas le droit de lancer ce cri, il faut être
un jorbi (initié) pour se le permettre. D'habitude, quand les gens entendent
ces cris, ceux qui ne sont pas initiés se cachent ; car s'ils sont sur la voie
empruntée par la procession, ils risquent d'écoper des coups de cravache.
Ainsi, le cri de ralliement annonce l'approche des initiés et invite au respect.
Somme toute, la société initiatique du joro tient beaucoup à la
purification, à la mise à part. Ainsi, animaux et volailles sont abattus par les
anciens initiés en vue de purifier, non seulement les membres du groupe,
mais aussi la société toute entière en réparant les forfaits avoués ou non
avoués pour qu'aucun malheur n'atteigne les membres du patriclan. Une
faute non confessée entraîne le malheur dans la famille et personne ne doit
aller an joro sans s'être purifié. En outre, dans la période où se déroule le joro,
tout conflit est interdit ainsi que le vol, l'adultère et l'enlèvement des femmes.
C'est après avoir procédé à ces rites préliminaires que peut commencer le
voyage pour le pays du joro, pendant et après lequel plusieurs activités sont
menées pour la formation dxxjorbi.
2. Voies et moyens
Pour mener à terme la formation des initiés, le joro dispose des voies et
moyens propres à sa démarche. La catégorie « voies et moyens » a permis de
dégager des entrevues des dimensions et des sous-dimensions qui articulent
les principaux points de cette section. Celles-ci touchent la grande marche,
les rituels, la transmission des savoirs et les frais liés à la formation (cf.
tableau ci-dessous).
217
Tableau VII-2 : Composantes de la catégorie « Voies et
Principaux nœuds
Voies et moyens
ï Grande marche2 Rituels
2.1 Éléments des rites
• Consécration2 o Réintégration
3 Transmissions des savoirs
3,3 Supports pCQ9.2O£lQUCS
* Frais4.1 Ceux qui contribuent aux
frais
4 «2 Nature ou espèce
Totalfemmes
5
5
5
5
5
4
5
5
2
4
2
1
2
%femmes
50
50
50
50
50
40
50
50
20
40
20
1020
Totalhommes
5
5
5
5
5
4
5
5
4
5
5
45
moyens
%hommes
50
50
50
50
50
40
50
50
40
50
50
4050
»
Total%
100
100
100
100
100
80
100
100
60
90
70
5070
Graphique VII-1 : Voies et moyens
120
Pèlerinage Rituels Savoirs
• %Hom• % total
•Frais
2. 1. La grande marche
Sans la grande marche vers le village du joro, la grande initiation
n'aurait pas toute sa signification. Tout se fait en vue de ce pèlerinage, car il
218
constitue en-soi la clef de voûte du processus initiatique. E002FL décrit
comment et dans quel climat cette marche se déroule.
Vous empruntez tous le même chemin, les uns derrière les autresselon l'ordre établi. Chaque groupe est tenu de garder sa position etne doit pas chercher à dépasser les autres pendant la marche. Onfrappe à mort celui qui se hasarde à vouloir dépasser un clan pluspuissant ou alors on le frappe jusqu'à ce qu'il y renonce. Il arriveque les intéressés, en voulant sauver leur peau, se faufilent entre lesgens et ne retrouvent plus leur groupe. Quand quelqu'un est portédisparu, on dit que l'eau l'a emporté.
Pendant le pèlerinage, ils font marcher les enfants - ceux qui vontpour la première fois - à travers la brousse et les grands se mettentdevant eux pour déblayer le chemin. Quelquefois, ils prétendent quele chemin est introuvable. Dès lors, vous observez un arrêt pourqu'ils le retrouvent afin que vous puissiez poursuivre la route. Lorsde la marche, des protecteurs encadrent les enfants en se tenant àleurs côtés pour les empêcher de dévier du chemin ou de quitterleurs groupes respectifs. Quand quelqu'un s'éloigne de son groupe,des individus l'entourent sur-le-champ et l'enlèvent discrètement.Dans ce cas, on dit que c'est "l'eau qui l'a emporté" et on ne réservepas au disparu, des funérailles. Dans certains cas, ces disparusdeviennent des victimes sacrificielles pour préparer les cérémoniesde la prochaine initiation. Malgré les bousculades pendant lamarche, tu n'oses pas t'écarter des autres de peur d'être enlevé.Ceux qui s'adonnent aux enlèvements sont des personnes masquéesrecouvertes de feuilles qu'il est difficile de reconnaître. Quand ils sesaisissent de quelqu'un et qu'on les aperçoit, on n'a pas le droit deleur arracher leur victime. On dit simplement que l'eau a emportéune victime et que cela est arrivé parce que le disparu était unsorcier ou qu'il avait un comportement reprochable. C'est dans cesconditions que vous marchez jusqu'à destination, au lieu prévu pourles cérémonies au village du joro. (§11-12)
La marche se fait dans le travail, l'ordre et la discipline, accompagnée
de musique. Tout au long du chemin, un travail de traçage se fait pour
permettre aux candidats à l'initiation d'avoir des repères pour ne pas se
détourner de la voie tracée. Paradoxalement, tout est orchestré de manière à
désorienter les novices afin qu'ils ne soient pas capables de retrouver le
chemin emprunté. E001FL (§1) explique : « Quand vient le jour du départ, on
vous fait suivre un chemin détourné pour vous amener au lieu où vous êtes
censés vous rendre. Vous n'y allez pas directement, mais on vous fait suivre
un chemin détourné. » E005FL (§2) et E006FB (§3) confirment ce détour en
219
relevant que cela se fait dans le but d'empêcher les novices de reconnaître les
lieux. Non seulement les pèlerins sont obligés de prendre des détours, mais
aussi, de temps en temps, ils sont informés que le chemin est introuvable
(E003HL, §6 ; E002FL, §12). Ces informations ne font qu'entretenir le secret
autour du chemin suivi. Cela est aggravé par le fait que la marche se fait
généralement le soir ou la nuit. « Ils démarrent ensemble mais jamais dans la
journée, c'est soit le soir, soit la nuit» (E003HL, §5). E010HL (§8) confirme
cette information.
Le deuxième aspect qui caractérise la grande marche est l'ordre et la
discipline. E002FL souligne qu'ils sont tous en rang et que personne ne doit
dévier du chemin (§11). Cette discipline est maintenue par des avertissements
mettant en garde contre les éventuels enlèvements et les punitions qui
attendent ceux qui ne se soumettent pas à la discipline. En outre, les
accompagnateurs sont chargés de faire respecter l'ordre établi. Le climat dans
lequel la grande marche est organisée a amené certains répondants à
souligner combien le joro était difficile. E001FL n'a cessé tout au cours de
l'entrevue de nous faire remarquer ces aspects. Son témoignage commence
par : « Si tu te prépares pour le joro, c'est vraiment difficile. » (§1) Parlant de la
marche, nous lisons ceci : « Les épreuves que vous endurez sur le chemin sont
difficiles. » (§1) Au niveau du village du joro, elle ne manque pas de souligner
les difficultés (§7, 9, 12, 14). L'entrevue finit par une note négative. La
position de notre informatrice peut se comprendre étant donné qu'elle a perdu
son mari pendant le pèlerinage. Toutefois, elle n'est pas la seule à relever
l'aspect difficile du joro. E002FL (§2), E005FL (§1), E006FB (§33) et E009HL
(§8) confirment la perception de E001FL.
Même si la marche vers le village du joro se caractérise par les
difficultés rencontrées, il est à remarquer que des dispositifs adoucissants
sont mis en œuvre pour que les épreuves soient supportables. La musique,
dit-on, adoucit les moeurs. Généralement, la marche est accompagnée de
battements de tam-tam. « La dernière étape de notre joro est Bakéo où vous
vous rendez en lançant le cri wi hur jusqu'à destination, accompagné des
220
battements du tam-tam. » (E009HL, §2 ; cf. également E003HL, §5, E005FL,
§12, E010HL, §7)
La marche est un des aspects clefs de l'initiation du joro, car ceux qui
passent par la formule simplifiée du joro - formule sans pèlerinage -, qui
rejoignent les initiés lorsqu'ils sont dans leur domaine de retraite, ne peuvent
pas se vanter d'une initiation en bonne et due forme.
Au regard d'un Lobi, la tendance au déplacement apparaît commenaturelle. Il décrit lui-même le cours de son existence comme unesuccession de phases ou d'étapes vers un but inavoué qui peut êtreune harmonie entre son milieu, son entourage et les puissances quiguident ses ancêtres, ses til414.
Cette tendance au déplacement dans l'univers lobi est intrinsèquement
liée au mouvement migratoire des ancêtres qui reste bien vivace dans l'esprit
du peuple lobi. L'attachement aux ancêtres est une réalité pour chaque Lobi
et se concrétise dans la marche sur les traces de ces derniers à travers le
pèlerinage au village du joro. Ce pèlerinage est appelé hv ur en lobiri ou sor irfv
en birifor. Ces termes désignent littéralement « lever la route », « se mettre en
route » ou « se mettre en marche ». Ils ne désignent pas uniquement la route
tracée, ils font aussi référence à « la voie à suivre » dans le sens des coutumes
et traditions à respecter.
La signification du joro que propose Modeste Kambou permet de
comprendre la place du pèlerinage dans l'univers lobi. Dans une entrevue415,
il nous a expliqué sa position que Antoine de Padou Pooda résume dans son
mémoire. Partant du terme jofi ou jofv oujofo (dépendant des prononciations)
il montre qu'il désigne des repères laissés par les animaux sauvages lors de
leurs déplacements, traçant ainsi des pistes à suivre. Il ajoute que les pas de
danse exécutés au joro forment également un traçage. Dès lors, il propose de
voir le joro comme le chemin tracé par les ancêtres dans leur migration, lequel
414 Michel FIÉLOUX, Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales lobi de la Haute-Voltavers la Côte d'Ivoire, Pa r i s , ORSTOM, 1980, p . 1 1 1 .415 Entrevue du 29 avril 2003.
221
chemin est suivi à rebours par la descendance pour symboliquement
retrouver la voie des pères.
En outre, si nous partons du terme hv-iir (littéralement hv = chemin,
route et iir = se lever) habituellement utilisé pour désigner le pèlerinage au
village joro, il ne fait aucun doute que le joro fait référence à un chemin, à une
route à suivre. L'équivalent birifor du hv-iir corrobore une telle signification.
En birifor le pèlerinage au joro est désigné par le terme sor-irfv. Ce terme
signifie : ouverture ou traçage de route, de chemin, de voie ou alors, la mise
en route. L'idée de trace et de voie est bien attestée chez les voisins birifors.
Les entrevues réalisées avec des répondants birifors le confirment, car ces
derniers se servent des termes joro et sor (chemin, route, voie) comme
synonymes. Ainsi, la grande marche mettrait en lumière la volonté des Lobi de
rester fidèles à la voie tracée par les ancêtres et de faire une immersion dans
leur univers matériel et surtout spirituel pour être en symbiose avec la race.
Pour atteindre de tels objectifs, il faut nécessairement se rendre au village du
joro, lieu des principaux rites d'intégration sociale.
2. 2. Les rituels
Les rites jalonnent tout le processus initiatique du joro. Les entrevues
nous ont permis de relever trois composantes majeures de cette sous-
dimension de la catégorie « voies et moyens ». Celles-ci font référence aux
éléments rituels, aux cérémonies de consécration et de réintégration sociale.
Tout commence par le rassemblement près de la « grande maison » du
patriclan national. C'est là qu'on s'attelle au choix de l'officiant des
cérémonies et de ses aides, et qu'on prépare la boisson rituelle. C'est aussi le
temps de restauration, de l'allaitement des novices, de leur bain, des
changements de noms et autres cérémonies secondaires.
222
2. 2. 1. Éléments des cérémonies
Les éléments dont on se sert dans les cérémonies du joro viennent de
différents milieux : aquatique, végétal, animal et culturel. Premièrement, la
référence à l'eau se trouve à tous les niveaux des cérémonies du joro. Pendant
les rites préliminaires, les initiés sont marqués par l'eau sacrée. Après avoir
rasé les cheveux des novices, « on les promène pour les marquer de l'eau des
fétiches. » (E002FL, §11) Cette eau sert à faire les marques de mise à part
dans le cadre des cérémonies du joro. Cette mise à part permet aux
« marqués » d'effectuer le déplacement vers un lieu, un grand trou contenant
une autre eau appelée ilê (lait). E001FL souligne qu'on ne voit pas cette eau et
qu'elle est versée dans un trou (§23). Cette fois-ci il ne sera plus question de
marquage, mais de boisson. De ce trou on conduit les novices au fleuve,
sommet des éléments aquatiques. Là, non seulement ils s'y baignent, mais
aussi ils sty abreuvent. E002FL relève : « vous êtes conduits au fleuve pour le
bain. Tous les candidats entrent dans l'eau et se lavent en buvant la même
eau. » (§15) Dans le joro nous trouvons une eau à l'état pur comme celle du
fleuve ou de la rivière et une eau transformée. Il existe deux sortes d'eaux
transformées, celle qui est exclusivement rituelle pouvant servir à authentifier
les novices ou à les consacrer et celle qui sert de boisson pour tous pendant
les cérémonies (dolo).
Deuxièmement, à ces éléments liés à l'eau s'ajoutent ceux qui sont liés
au monde végétal (E001FL, §5 ; E003HL, §13 ; E006FB, §7 ; E007HL, §12).
« Quand vous sortez, vous vous couvrez de feuilles d'arbres et vous allez
d'abord à la rivière pour vous laver en vous servant des écorces d'un arbre. »
(E002FL, §17) Les nouveaux portent également des accoutrements faits de
matériaux provenant de la flore (E001FL, §5). Les lieux d'habitation sont
expressément construits avec des branches et des feuilles d'arbres (E003HL,
§8 ; E008HL, §1). Ajoutons enfin certains éléments provenant du monde
végétal qui sont liés à la culture, et qui sont déterminants pour les cérémonies
du joro :
223
La calebasse dont on se sert pour asperger les néophytes, (E003HL,
§10) provient d'une plante.
Les pistaches qu'on utilise comme ingrédient pour la sauce est une
plante rampante (E005FL, §12).
Le tam-tam est un instrument fabriqué à partir de troncs d'arbres
(E003HL, §5 ; E005FL, §12 ; E009HL, §2 ; E010HL, §7).
Photo VII-1 : Femmes à la recherche de l'or
Les calebasses
Source : Cliché de Klaus Schneider, in Fiéloux et. al. 1993 p. 193
Troisièmement, le monde animal est très présent allant de la volaille au
gros bétail. La volaille, principalement les pintades et les poules, constitue
habituellement la victime des sacrifices à tous les niveaux. Pour les
préparatifs, « on vous demande d'apporter chacun six poules. » (E004HB, §1)
Pendant et après les rites de purification, certains éléments rituels sont
requis, notamment les poules (E003HL, §4). Enfin, « pendant que vous êtes
dans le bois, les chefs s'affairent pour la suite des sacrifices. On cherche
alors, des pintades et des poules pour le sacrifice qui permettra de vous
reconduire dans vos maisons. » (E003HL, §14)
Les amendes sont aussi payées au moyen des poules, il en est de même
du gros bétail, qui sert également à payer les frais d'initiation et les sacrifices.
224
« Pour aller au village du joro, les gendres doivent payer les frais de séjour, ils
doivent donner un bœuf et 400FCFA416 ; celui qui ne le fait pas se verra
retirer sa femme au retour du joro » (E008HL, §9). Le gros bétail est destiné
non seulement pour les sacrifices, mais aussi pour payer les amendes visant
la purification. « Pour ceux de Nako, il faut un bœuf et dix cauris -maintenant
pour les cauris ils demandent 500FCFA (environ 1.50$CAN). Quelle que soit
ta faute, tu payeras un bœuf et 10 cauris pour être purifié et autorisé à entrer
au milieu des gens. » (E009HL, §9 ; cf. E002FL, §1 ; E005FL, §7 ; E008HL, §2
; E009HL, §8) II en est de même des chèvres et des moutons qu'on abat lors
des razzias purificatrices (E003HL, §2).
Sans être un élément sacrificiel, le caïman, animal aquatique, auquel
font référence nos informateurs birifors, permet d'entretenir un climat de peur
et de discipline (E004HB, §7, §8 ; E006HL, §4, §34). Il est curieux qu'aucun
répondant lobi ne fasse référence à cet animal. À la place, ils se servent
d'autres représentations que nous verrons plus tard. Relevons enfin la
référence aux cauris qui sont des animaux marins. Coquillages de l'espèce
Cypraea moneta et Cypraea annulus issues de l'Océan Indien417, les cauris
ont une place importante pendant le déroulement du joro. Les cauris
constituent un élément d'échange dans la culture lobi. Il n'est pas étonnant
de voir le nombre de passages qui en font référence (E002FL, §14, §17, §18,
§19 ; E003HL, §4, §9, §15, §18 ; E005FL, §10, §12 ; E006FB, §19 ; E007FB,
§4, §7 ; E008HL, §2, §7, §24 ; E009HL, §8, §9, §10). Utilisés comme monnaie
locale, les cauris occupent une place importante dans les cérémonies du joro,
des rituels sacrés, des funérailles et dans les échanges économiques. Dans la
société traditionnelle, la richesse d'un homme dépend et de la grandeur de
son cheptel, et de la quantité de cauris en sa possession.
Le quatrième élément des rituels touche l'humain dans ce qu'il a de
culturel. En plus des cauris, le tam-tam et le dolo traduisent ces aspects
416 400FCFA= 1$ canadien environ.417 C l aude Nurukyor SOMDA, « Les c a u r i s d u p a y s lobi », d a n s Michèle FIÉLOUX, et. al.[dir.] Images d'Afrique et sciences sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Karthala,1993, p. 235.
225
culturels. Dans la culture lobi, le tam-tam sert surtout d'instrument de
musique lors des réjouissances populaires, des funérailles et des fêtes
rituelles. Au joro il est joué pour accompagner la marche, « ils se mettent tous
en marche, accompagnés des battements du tam-tam » (E003HL, §5). Il est
utilisé pour avertir les nouveaux initiés qu'il est temps de se réveiller.
« Chaque matin à partir de 4 heures ou 5 heures, on vous réveille. On joue du
tam-tam et quand vous l'entendez, vous devez tous vous réveiller sans
tarder. » (E003HL, §13) II sert également à accompagner les danses (cf.
E004HB, §6).
Photo VII-2 : Tam-tam lobi
Source : Cliché de Georges Savonnet, dans Fiéloux et. al. 1993, p. 508.
Photo VII-3 : Les cauris
Source : Cliché de T. Spini et G. Antongini dans Fiéloux et. al. 1993 p. 237.
226
Dans les cabarets, le tam-tam est habituellement joué pour
accompagner la commercialisation de la bière locale, le dolo. Boisson
alcoolisée, le dolo est fait de mil germé réduit en farine et mélangée à l'eau que
les femmes portent à ébullition. Ce mélange est ensuite filtré, puis porté
encore à ébullition. Lorsque le liquide devient tiède, on y ajoute de la levure
qui le fermente. Cette boisson est utilisée pour abreuver les travailleurs, et
sert aussi à accompagner les repas. C'est une grande source de revenue pour
les femmes et, en pays lobi, il existe des maisons spécialisées dans la
fabrication et la commercialisation de cette boisson. Dans les cérémonies du
joro, elle est présente à chaque grande cérémonie au village, de sorte qu'elle
est étroitement liée au groupe de mots désignant les rituels. E004HB relève :
« Après ces deux mois, on prépare le dolo (bière locale) pour la cérémonie
appelée silï kpeer dâa, (la bière d'entrée des initiés) à laquelle tous les initiés
sont conviés. » (§4 ; cf. E009HL, §4 ; E005FL, §12)
Tous ces éléments construisent le champ symbolique du processus
initiatique du joro que nous tenterons de saisir à la fin de cette partie. Il est
évident que l'initiation chez le Lobi prend en compte toutes les composantes
possibles de son univers représenté par des éléments provenant des domaines
aquatique, végétal, animal et humain. Si le culturel, compris ici comme
produit de l'action de l'homme sur la nature, domine (cf. schéma ci-dessous),
cela s'explique par le fait que l'homme est au centre de toute la construction
symbolique du joro ainsi que des objets servant aux différentes cérémonies.
En outre, les éléments liés à l'eau viennent en deuxième position ; car c'est
grâce à l'eau rituelle qu'on naît de nouveau, c'est par l'eau qu'on se purifie et
se consacre au joro et c'est aussi par ses dérivés qu'on se désacralise pour
pouvoir être à nouveau avec les membres de la société.
227
Graphique VII-2 : Éléments rituels
29%
36%
14%21%
@ Aquatique• Floristique• FauniqueD Culturel
La référence à la flore vient en troisième position. Elle sert à faire face
aux besoins de se nourrir, de se vêtir et de se loger. Ces constituantes offrent
également le nécessaire pour les libations. Enfin, la faune tient elle aussi une
place importante dans les échanges socio-économiques et religieux. Nous
reviendrons sur certains aspects, car ils ont une signification qui transcende
la pure matérialité pour désigner d'autres « réalités ». Pour comprendre ce
passage il importe de saisir d'abord les autres composantes de l'initiation.
2. 2. 2. Cérémonies de consécration
Les cérémonies de consécration demeurent le summum de l'initiation du
joro. C'est par elles que les candidats sont soumis aux rites d'allaitement, de
bain et de donation de nom, principales actions qui octroient une pleine
intégration à la société lobi (cf. graphique sur les composantes du rituel de
consécration).
228
a) L'allaitement rituel
Des différents actes posés dans l'initiation du joro, l'allaitement occupe
une place de choix chez les Gôgôdara. E010HL explique cette importance en
ces termes : « Vous aurez à prendre un breuvage qu'on appelle « le lait », et
chacun est tenu de le boire. Ce rite est essentiel car celui qui n'en boit pas se
crée des problèmes. Des gens ont souffert pour n'avoir pas bu.ce lait. Ils ont
confessé qu'ils n'en avaient pas bu, et au retour du pèlerinage, ils ont souffert
de maladies graves. » (§8) II ajoute que « le plus important au joro demeure le
rite d'allaitement. » (§9) E008HL souligne :
Si en enquêtant, on se rend compte, que quelqu'un n'avait pas bu laboisson sacrée, on le fait retourner et quelqu'un va chercher cetteeau pour qu'il en boive. Ainsi, ce qu'il avait refusé au pays du joro,acte qui devait entraîner sa mort, une fois qu'il en boit, cela luiapporte la guérison. Si tu ne bois pas, alors que les autres ont bu,cela veut dire que tu n'as pas fait le sacrifice pour lequel tu as été aupèlerinage. Ce til418 ne va pas te permettre d'être en bonne santé, ilfaut que tu meures, c'est pourquoi on garde cette boisson pendantquelques mois pour que celui qui n'en avait pas bu puisse serattraper. (§7)
Cette importance se voit aussi dans le fait que cette boisson coûte cher.
E009HL nous confie qu'« on vous fait payer très cher pour que vous puissiez
boire la boisson sacrée. » (§17) Des recherches complémentaires pourraient
confirmer la validité d'une telle affirmation. Ayant posé la question pour savoir
de quoi est fait ce « lait » nous avons tout de suite compris que ce domaine est
réservé à ceux qui sont haut placé dans la hiérarchie du joro. E010HL nous a
confié qu'il ignorait de quoi ce lait était composé et que c'était seulement les
hauts responsables qui savent de quoi il est fait (§27). E001FL confirme ce
secret qui entoure la connaissance de cette eau et décrit les conditions dans
lesquelles les néophytes se trouvent quand ils sont conduits au trou pour être
abreuvés.
418 Idole ou fétiche.
229
On ne voit pas cette eau, elle est versée dans un trou et on vous yconduit pour vous abreuver. Vous pouvez être une centaine devantce trou, on vous ferme les yeux et, couchés à plat ventre, on vousfait boire ce qu'il contient. Si quelqu'un ne veille pas bien sur sonjorbi, on peut l'étouffer en lui tenant la tête pendant longtempsplongée dans cette eau. (§23)
Même s'il n'est pas possible de percer le secret de la composition de
cette boisson, il est évident qu'elle constitue une potion faite d'eau et de tîisi
(médicaments) (E004HB, §9 ; E003FL, §9). Certains répondants parlent d'eau
fangeuse (E001FL, §7 ; E006FB, §5 ; E009HL, §3). D'après E002FL (§13), cette
eau serait « faite à base des cendres des corps des disparus. Il semble que ces
corps sont portés au bûcher et les cendres sont recueillies pour la fabrication
des potions. » L'acte de boire cette eau est appelé allaitement ou la « mise à
mort du jorbi ». « II existe un vaste domaine avec un grand trou dans lequel on
verse de l'eau, comme de la potion. Ils mettent quelque chose dans cette eau,
ce n'est pas une simple eau. Alors on dit aux chefs : "ce soir, les enfants
seront allaités". C'est cette eau qu'on appelle ilï (lait). » (E003HL, §9) Les
répondants birifor en font référence en désignant ce lait par le terme man bir,
littéralement, le sein du fleuve {cf. E006FB, §4).
E001FL relève le but de l'allaitement, mettant en évidence son aspect
symbolique.
On vous attrape pour vous faire boire une eau fangeuse. Pour celaon vous ferme les yeux et vous devez les tenir fermés si vous tenez àvotre vie. C'est lorsqu'il commence à faire sombre qu'on vousconduit à ce lieu de breuvage. Ce rite a pour but de mettre à mort lejorbi, c'est pourquoi on dit « qu'on est en train de tuer le jorbi ». (§7)
L'allaitement se fait dans une certaine posture et état particulier. Les
novices sont conduits les yeux fermés vers le trou contenant cette boisson.
Couchés à plat ventre autour du trou ils sont sommés de boire l'eau sacrée,
un signe en forme de croix est tracé sur le dos et la nuque des candidats. Les
parures et vêtements sont découpés et les candidats sont tous nus et
resteront ainsi jusqu'à leur retour au village. Après avoir bu, ils se relèvent et
sont conduits par les accompagnateurs vers la grande maison patrilignage. A
230
cette étape, les candidats sont en plein processus de « jorbisation ». En buvant
le « lait » les néophytes passent par une mort symbolique pour renaître et
devenir membres à part entière de la société lobi. Ils sont déjà des jorbi
(enfants de joro) mais certains rites, non les moindres, restent à accomplir.
b) Le bain rituel
Le deuxième rite important de l'initiation du joro est le bain rituel au
fleuve (E001FL, §8, §10 ; E002FL, §15 ; E003HL, §10 ; E005FL, §10 ; E007FB,
§14 ; E008HL, §2 ; EOIOHL, §9). E003HL raconte comment et quand se
déroule ce rituel et le compare à un baptême.
Deux ou trois jours après l'allaitement, on vous conduit au fleuve.Là, on vous fait avancer dans l'eau non profonde selon les groupes.On puise l'eau avec une calebasse et on vous asperge, mais on vousavertit d'avance de vous garder de frémir quand l'eau froide voustouche. Si quelqu'un en frissonne, cela implique qu'il a peur et ilcourt un grand danger. C'est souvent tôt le matin, quand il faitencore frais, qu'on accomplit cette cérémonie. Au toucher de l'eaufroide, tu ne dois pas grelotter. Après cette aspersion, on vousautorise à vous baigner. C'est comme une sorte de baptême. (§10)
Si le bain rituel du joro peut être comparé à un baptême (cf. EOIOHL,
§9), il faut tout de suite ajouter qu'il serait un baptême par aspersion-
immersion. Le côté aspersion semble être plus marqué étant donné que les
initiés de la même promotion sont considérés comme des co-aspergés. Cet
acte d'asperger est sacré, c'est pourquoi il est interdit à toute personne non-
initiée d'asperger un initié. E008HL explique :
[...] quand on asperge quelqu'un d'eau, il dit : est-ce que nous avonsété aspergés ensemble pour que tu m'asperges ? Cela fait référence àcette aspersion pendant laquelle on ne doit pas frémir. Moi Job, jepeux asperger Timothée parce que nous avons été aspergés le mêmejour. Mais si vous n'avez pas été des co-aspergés, tu ne dois pasasperger l'autre ; si tu le fais c'est comme si tu cherchais sa mort etque tu le condamnais. (§2 ; cf. E005FL, §10 ; E007FB, §8)
Certains auteurs considèrent ce bain comme une consécration au
fleuve. Ainsi, après avoir été aspergés, les néophytes sont autorisés à entrer
231
dans l'eau pour prendre une baignade pendant que le prêtre local implore le
fleuve d'accepter ceux qui sont en train de se baigner en son sein. Sortis de
l'eau, ils prélèvent de la boue du fleuve pour s'enduire le corps419.
c) Dation de nouveaux noms
Après ces principales cérémonies que sont l'allaitement rituel et le bain
rituel, suit la dation de nouveaux noms. Les nouveaux initiés ont quitté leur
ancien état pour entrer dans un nouvel état, tout est devenu nouveau et il
faut les nommer autrement. E009HL voit ce changement de nom comme la
marque du passage à une nouvelle identité.
Étant jàkvma, par le joro tu acquiers ta propre identité, en françaisvous direz liberté, et c'est pourquoi on te donne un nouveau nom.Avant, tu avais un nom d'enfant, c'est pourquoi il fallait que tu aillesau joro, et là on t'appelle jorbi, tu es devenu libre, tu es entré dans lecercle des grands. (§17 ; cf. E008HL, §16)
EOIOHL donne des précisions sur le lieu de la dation des prénoms, du
signe distinctif des nomsy^r^ et les circonstances qui les inspirent.
C'est au bois sacré qu'on nous donne les nouveaux noms terminéstoujours par le suffixe té. Quand on dit Bidjiinté c'est un nompra, ilen est de même de Tégité. Ces noms font généralement référence àune situation vécue. C'est en souvenir d'événements vécus que lepère ou la mère donne un nom à son enfant nouvellement initié. Lasituation vécue porte une signification qui inspire le nouveau nom,qui est désormais considéré comme le vrai nom. Prenons le nomDjinbuoté. (littéralement, manque d'oncles) II se réfère à la non-assistance à un neveu en difficulté. Une personne ayant vu une fillea voulu la prendre pour femme, mais les oncles maternels ne luisont pas venus en aide pour payer la dot. Si après s'être débattu, il apu régler la dette, il profitera de la période du jor3 pour relater ce faità travers le nom Djinbuoté pour exprimer combien l'attitude de sesoncles maternels l'a marqué et combien il en a souffert. (§21)
419 Joseph-Antoine KAMBOU, « Histoire d'un rite de passage, le Joro lobi » dans MichèleFIÉLOUX, et al. {dir.j Op. cit., p. 366.
232
Si les circonstances de la vie inspirent la dation de nouveaux prénoms,
E003HL nous informe sur ceux qui sont autorisés à nommer, la manière dont
la cérémonie se déroule et les enjeux de ces prénoms.
Dans le bois, après deux jours, vos parents viennent vous donner denouveaux noms. Chaque parent annonce à haute voix son nom etdit qu'il est monté dans un arbre très élevé et qu'il en est descendu.Par ces paroles il veut signifier qu'il a affronté la mort et le dangerlors du pèlerinage au village âxxjaro et qu'il s'en est sorti. L'initiationest ici comparée à un arbre élevé qu'il a réussi à grimper et àredescendre. Ceci étant énoncé, il déclare que dorénavant son fils ousa fille que voici porte tel nom. Les noms sont donnés en rapportavec les faits vécus, et certains noms véhiculent des messages àl'endroit des ennemis. Si tu n'as pas d'enfant à nommer, tu peuxdemander à quelqu'un de t'autoriser à donner un nom à son enfant.Certains initiés choisissent eux-mêmes leur propre nom dans le casoù ils ne sont pas satisfaits du nom qui leur avait été donné. Quandvous regagnez vos familles, on vous appelle par ce nouveau nom, onne doit plus vous appeler par votre ancien nom ; si quelqu'un le faitune fois, vous le lui interdisez et s'il répète, vous devez vous éloignerde lui, car il cherche votre mort. Il tient toujours à ce qui est ancien,or ayant été transformé, vous n'avez plus rien à voir avec l'anciennom. (§16)
Certains procèdent à la dation des nouveaux prénoms au village du
joro. Pour cela, on prépare d'abord les néophytes par le rasage et la
conservation des cheveux dans une large feuille le jour avant. Pendant la
cérémonie, chaque jorbi creuse un trou devant lequel il se tient, les cheveux à
la main et un cauris dans la bouche. À la demande d'un responsable, le
néophyte prononce l'ancien prénom tout en crachant le cauris dans le trou.
Vient ensuite la donation d'un nouveau prénom et le dépôt des cheveux dans
le trou que l'initié recouvre de terre et y place dessus le caillou qui avait servi
à creuser ce trou.420
Ces trois cérémonies, l'allaitement, le bain et la dation de noms, se
déroulent généralement dans le village joro. De tous ces rites de consécration,
l'allaitement demeure le plus important, suivi du bain rituel. Ces deux
cérémonies se déroulent pour tous, au village du joro alors que la dation de
420 Joseph-Antoine KAMBOU, op. cit. p. 367.
233
noms peut se faire soit en cours de route pendant le retour ou pendant le
séjour dans le domaine réservé anjoro au village.
Graphique VII-3 : Composantes du rituel de consécration
Allaitement Bain rituel Dation de Autres ritesnoms
2. 2. 3. Cérémonies de réintégration
Devenu un être nouveau, l'initié doit tout réapprendre car il ne peut pas
entrer dans son milieu habituel de vie sans transition. Le rituel de
réintégration est appelé topaar (introduction) en lobiri, il marque cette étape et
il revient aux chefs de s'organiser pour l'accomplissement des cérémonies
appropriées. « Pendant que vous êtes dans le bois, les chefs s'affairent pour la
suite des sacrifices. On cherche alors, des pintades et des poules pour le
sacrifice qui permettra de vous reconduire dans vos maisons, on appelle cela,
topaar. » (E003HL, §14) En birifor le terme utilisé est silï gber dâa (bière du
pied de l'initié) « Quand passent encore deux mois, on prépare la cérémonie
du silï gber dâa. » (E004HB, §5)
Si les Lobi parlent « d'introduction » dans le sens de faire entrer ou
d'intégrer les nouveaux initiés, du côté birifor, le terme utilisé est plutôt
métaphorique. En effet pendant la cérémonie d'entrée-sortie, quelque chose
est déposée à l'entrée de la maison et les initiés doivent veiller à ce que leurs
234
pieds n'y touchent pas. E003HL relève : « À la porte de la maison est déposé
un objet dont on ignore la nature, mais qui a un caractère très dangereux
pour les anciens. Tu entres dans la maison à reculons et tu en ressors
pareillement. Quand tu accomplis ce rite, on t'avertit que si jamais tu piétines
l'objet déposé à la porte, tu meurs. Tu ne dois pas le piétiner. » (§15)
C'est après cette cérémonie d'entrée-sortie que les nouveaux initiés sont
autorisés à réintégrer leurs familles respectives. Ils partent de la « grande
maison » du patriclan local où s'est déroulée la cérémonie « d'introduction »
pour regagner leurs maisons. Un mouvement chiasmique se déploie dans le
déroulement des cérémonies (cf. schéma sur le mouvement chiasmique du
joro). Le candidat à l'initiation part de la maison familiale non-initié et en
revient initié. Le parcours pour atteindre cet état commence au village lobi à
partir de la maison du patriclan local, passe par le domaine national du joro
où il trouve sa sommité devant la maison du patriclan national pour aboutir à
la maison familiale en transitant par le domaine local réservé au joro et la
maison du patriclan local. Ainsi, deux aires d'activités abritent les cérémonies
du joro, le village lobi et l'aire du joro. Ces espaces renvoient à deux types
d'états : l'état de non-initié (jâkuma) et l'état d'initié (jorbi). L'espace villageois
lobi constitue le lieu d'ouverture et de fermeture des cérémonies. C'est de là
que part le candidat à l'initiation pour le pèlerinage et c'est là aussi que prend
fin son parcours. L'espace domanial joro est le lieu de la « jorbisation », lieu de
descente aux enfers et de résurrection. La nouvelle vie qu'octroie cette
renaissance oblige « l'enfant du joro » à se mettre dans une attitude
d'apprentissage en vue de réintégrer sa société d'origine.
235
Illustration VII-1 : Mouvement chiasmique des cérémonies du joro
VILLAGE LOBI
Maison familiale
Maison dupatriclan
Domaine du joro
Maison familiale
Maison dupatriclan
Domaine dujoro
Maison dupatriclan national
VILLAGE JJRD
EOOIFL explique comment se fait la cérémonie d'entrée-sortie et donne
sa compréhension des entrées à reculons.
Quand le moment de la cérémonie d'entrer dans la maison arrive, onprépare le dolo et la nourriture pour annoncer que le temps est venupour les jorbe d'entrer dans la maison et qu'ils ne sont plus ceux dela brousse. On procède au rituel quand il fait sombre, car on ne veutpas que les jâkvma vous voient. S'ils vous aperçoivent, vous risquezvotre vie. On laisse les enfants dormir puis on vous conduit àl'arrière de la maison et à tour de rôle, vous passez pour le ritueld'entrée. Si tu es une femme tu entres quatre fois à reculons avantqu'on ne tourne ta face vers l'entrée pour que tu y entres. Passé cerite tu deviens quelqu'un de normal. Si tu es un homme, tu entrestrois fois à reculons et à la quatrième fois on te fait entrer de face ettu deviens quelqu'un de normal. Les entrées à reculons dénotentcombien vous êtes des nigauds, des gens qui ont tout à réapprendreet qu'on doit rééduquer. Dès lors, si tu entres normalement dupremier coup, tu mets ta vie en danger. (§16)
Selon E006FB, « quand vous êtes autorisés à rejoindre vos familles, on
236
vous conduit premièrement à la grande maison pour qu'on vous rase la tête à
moitié. »> (§18 ; cf. E003HL, §17 ; E009HL, §4) Ce rasage qui est lié au
processus de réintégration est fait de façon spéciale. Une moitié de la tête est
rasée et l'initié doit veiller à ce que sa tête soit toujours gardée à moitié rasée.
Une négligence de sa part entraîne une amende (E003HL, §17).
À ces deux cérémonies sont jointes d'autres pour la réintégration
sociale. Une fois de retour à la maison familiale, l'initié n'est pas entièrement
intégré. Il est encore soumis à certaines restrictions. « Quand on vous met
dans la maison, vous n'êtes pas autorisés à vous rendre au marché jusqu'au
moment où on annonce à tous de se rassembler afin d'être conduit au
marché. » (E008HL, §8) Pendant ce temps de renoncement, il ne peut
consommer des aliments en provenance du marché ni se rendre lui-même au
marché, E002FL explique :
On vous donne plusieurs interdits touchant la nourriture. Pendantune certaine période, on vous interdit de consommer des alimentsvenant du marché. Passée cette période, un jour on annonce l'entréedes initiés au marché. Une fois au marché, ils font faire aux fillesquatre fois le tour du marché et aux garçons trois fois. Alors, lesnouveaux initiés se promènent partout dans le marché pour glanerdes cauris en remuant la terre. L'argent est camouflé d'avance et ilarrive que des chanceux tombent sur des canaris pleins de cauris.Tout l'argent trouvé doit être dépensé en totalité, puisqu'ils sontconsidérés comme des bêtes, ils doivent dépenser sans réfléchir ;ainsi achètent-ils tout ce qu'ils veulent pour manger. Après cettesortie au marché, une fois à la maison, ils peuvent dorénavantmanger tout ce qui vient du marché. (§18 ; cf. E006FB, §20)
Le marché étant un lieu important de rassemblement et d'échanges, les
nouveaux initiés doivent attendre qu'on les y introduise. C'est en fait le
moment de les présenter publiquement pour annoncer que dorénavant, ils
peuvent entrer dans le système d'échanges socio-économiques de la tribu. Ce
jour est placé sous le signe de réjouissances populaires ; musique et danses
meublent ce temps.
237
Après cette cérémonie, vient la purification. E003HL place cette étape
dans le temps, relève les éléments requis pour la cérémonie et souligne qu'elle
annonce l'imminence de la fin.
Pour la purification, on prépare le nécessaire et d'habitude, ilsattendent que passe la saison des pluies pour récolter les pistaches,condiment beaucoup utilisé dans les rituels. Ils prennent lespistaches, tuent des pintades et font des boulettes pour lacérémonie. Quand ils arrivent à cette étape, cela montre que le jorotire à sa fin. Mais avant, il faut de la viande séchée et des pistaches.Quand tout est réuni, on procède à la purification. On vous rase lescheveux pour la dernière fois et à un moment donné, on déclare lafermeture du joro. (§19)
Le processus de purification prend fin avec le retrait des accoutrements
du joro ou le rite de dépouillement-revêtement. E005FL fait référence à cette
étape. «... Ils vous purifient en vous ôtant les accoutrements faits de cauris. »
(§12 ; EOO2FL, §19) Une fois ces vêtements ôtés, les initiés peuvent s'habiller
normalement (E002FL, §19). Ces accoutrements sont habituellement déposés
à la maison du patriclan local. C'est là également que les initiés déposent
leurs bâtons et tout ce qui avait servi aux rituels. Quand tous ces objets sont
déposés, le joro est clos et il faut attendre sept ans pour le rouvrir.
La purification dont il est ici question nous semble ambiguë. Il serait
mieux de parler de désacralisation, car c'est de cela qu'il s'agit réellement. Les
nouveaux initiés ont été placés sous le signe du sacré, ils ont été consacrés.
Ainsi, portent-ils le sacré en eux et avec eux. Entrer dans le public avec un si
grand signe de pureté pourrait entraîner un problème dans les relations
sociales. Ayant eu le contact avec le sacré, l'initié est lui-même désorienté ; ne
serait-ce pas ce qui explique son état intermédiaire d'hébété ? Car abasourdi
par la présence du sacré, il ne peut agir que de manière incompréhensible
pour le commun des mortels. Il est donc impératif de le désacraliser pour lui
permettre de retrouver ses esprits et donner la possibilité aux autres de
s'approcher de lui.
238
2 . 3 . La transmission des savoirs
Si les rituels occupent une place de choix dans le processus initiatique
du joro, il faut cependant relever qu'à eux seuls, l'initiation ne peut être
complète. Le pèlerinage et la transmission des savoirs demeurent des
composantes incontournables du processus. La figure VII-1 traduit
éloquemment cette vérité. Même si la transmission des savoirs se passe
surtout dans la sphère villageoise lobi, tout le long du parcours initiatique est
marqué par des instructions.
Le savoir au joro relève de deux types dont la transmission se fait à
l'aide de certains supports. Le savoir déclaratif y est privilégié, {cf. figure VII-3)
et tous nos répondants en font référence, tandis que 60% parlent de l'autre
type qui est le savoir procédural. Les femmes semblent moins portées sur le
savoir procédural et connaissent autant que les hommes les aspects
déclaratifs du savoir. Cela n'est pas étonnant car le savoir-faire dans
l'initiation relève plus de la responsabilité des hommes.
Graphique VII-4 : Sous-Composante « Transmission des savoirs »
120
100
80
60
40
20
0
F•
Ji:. :;|s : -u
1LJ111J
Savoir déclaratif Savoir procédural Supportspédagogiques
B%Fem• %HomO % total
2. 3. 1. Le savoir déclaratif
Le savoir déclaratif dans le joro comprend deux aspects axés sur le
savoir-être et les données qui le facilitent. Celles-ci sont constituées des
239
différents interdits dont ceux qui sont seulement en vigueur pendant la
période de l'initiation et ceux qui sont permanents. Ils touchent différents
domaines de l'activité humaine, en particulier les activités sociales et socio-
économiques. Sur le plan social, les relations familiales prennent une place
importante dans l'éducation du joro. Les interdits dans ce domaine s'orientent
vers les rapports entre mari et femme et entre initiés et jâkvma. Pour les
premiers, la vie du couple est soumise à une réglementation dans laquelle
l'adultère est réprimé, surtout du côté de la femme. E002FL explique :
S'il arrive qu'une femme ait des rapports sexuels avec un hommeautre que son mari, elle ne doit pas servir à boire à son mari nidormir sur la même natte que lui avant d'être purifiée. Deux fois parjour, on vous enseigne à connaître tout ce qu'un adulte est censéconnaître. Quand il arrive qu'une fois elle tombe (couche avec unautre homme) quand elle rentre chez elle, elle ne doit pas dormir surla natte mais par terre. Son mari ne dira rien, mais ce sont sespropres parents qui viendront s'enquérir de ce qui s'est passé etferont les sacrifices nécessaires pour la purifier, (littéralement, laréparer) Pour la purifier, on attache une chèvre et elle doit enjamberl'animal quatre fois. Après quoi, on tue la chèvre pour en faire unrepas aux anciens et on flagelle la femme avec un fouet garnid'épines. (§22)
Cette discrimination s'explique sur le plan social. Chez les Lobi
traditionnels, la femme est acquise au prix de plusieurs bœufs. Pour une
jeune fille promise en mariage, le prétendant est soumis à des travaux pour le
compte de la future belle-famille, et en plus, il est tenu de remettre à celle-ci
un certain nombre de bœufs pour la dote. En général, cette dote est payée par
les oncles maternels. Dès lors, la femme appartient à un homme, mais aussi à
la famille de celui-ci, sans oublier les liens qu'elle continue d'entretenir avec
sa propre famille. Il y a toute une protection autour d'elle, pour son bonheur,
comme pour son malheur. Cela donne un certain droit à l'homme ou aux
parents sur la femme.
Pour ce qui touche les relations entre initiés et jâkvma, il est plus
question de préserver l'image de l'initié. Ce dernier doit entretenir un certain
mystère autour de sa personne devant les non-initiés, mystère qui l'élève à un
rang d'honneur et de dignité. Fraîchement de retour du village du joro, l'initié
240
ou le sacralisé est tenu de veiller à garder son caractère de mise à part. C'est
pourquoi, il ne doit pas se découvrir entièrement devant les autres (E003HL,
§13) ni manger ou converser avec les enfants pour un temps (E002FL, §17,
§19, §22). C'est aussi dans la même logique des choses qu'il lui est interdit de
se rendre aux funérailles, lieu de rassemblement du village en vue de
témoigner de son respect à la personne décédée. Chez le Lobi, quand
quelqu'un ne se rend pas aux funérailles d'une personne décédée, cela peut
être compris comme un signe d'éloignement ou montrer qu'il n'existe aucune
relation entre eux. Les funérailles constituent un espace de solidarité qui
permet aux membres du village de sympathiser. Ainsi, le nouvel initié est
privé de cette solidarité pour un temps. Pour que cet interdit soit levé, il
faudrait qu'un initié décède afin que soient accomplies les cérémonies
autorisant la reprise des activités touchant les funérailles.
À ces interdits touchant les relations humaines s'ajoute celui de se
rendre au marché, espace d'échanges économiques. En pays lobi, le marché
se tient généralement tous les cinq jours. Les jours de la semaine sont
construits autour du jour du marché. Ainsi, le Birifor, par exemple, parlera de
préparatifs du jour du marché, de la veille, du jour du marché, du lendemain
et du surlendemain du jour du marché.
Préparatifs du jour du marché
Veille du jour du marché
Jour du marché
Lendemain du jour du marché
Surlendemain du jour dumarché
241
Cette construction est intrinsèquement liée à la préparation de la bière
locale qui prend deux jours de travail (cf. « Éléments des cérémonies »). Le
marché est non seulement un lieu où l'on vend et achète, mais c'est aussi
l'espace des échanges sociaux et des festivités. C'est là qu'on danse après la
récolte, c'est l'endroit où l'on marque le début et la clôture des activités
importantes de l'ethnie. C'est pourquoi l'entrée des initiés au marché
représente la cérémonie de présentation à la communauté villageoise de ceux
qui sont passés par l'initiation. Mais avant cette présentation, la discipline
imposée aux initiés veut qu'ils s'abstiennent de se présenter au marché.
Non seulement le marché leur est interdit, mais aussi toute nourriture
en provenance de là est prohibée. E002FL relève ce fait, et souligne que
plusieurs interdits touchant la nourriture leur sont imposés (§18). Aucun
aliment particulier n'a été relevé par les répondants à l'exception d'un fruit
dont parle E002FL (§4). Il est certain qu'il en existe, mais nos informateurs
n'ont pas fait mention de cela de façon explicite. Est-ce à dire que cet aspect
importe peu ? Cette question pourrait relever d'études ultérieures.
Tous ces interdits visent à construire un type d'homme dont l'identité
se caractérise surtout par l'attitude vis-à-vis de la sexualité, de la discipline,
de la soumission, du courage, de la discrétion, du respect et de la dignité (cf.
graphique VII-5). Madeleine Père avance que l'éducation sexuelle est
inexistante axxjoro421, ce qui est en partie vrai pour celui qui ignore le système
éducatif lobi. Si l'éducation sexuelle est comprise comme un temps réservé
pour donner des informations sur la constitution des parties génitales, de
l'hygiène sexuelle, des maladies liées aux rapports sexuels, de la procréation,
de la contraception et autres renseignements sur la sexualité dans une
perspective occidentale, alors, le joro est loin d'une telle éducation. Car le but
ici visé est plutôt le comportement envers les pulsions sexuelles. Les
entrevues réalisées viennent contredire ce que Père a appelé « licence
sexuelle422 » pendant le joro. E008HL insiste sur le fait qu'au village du joro, si
« tu couches avec une femme, si tu touches même au cache-sexe de la femme
Madeleine PÈRE, op. cit. p. 314.Md.
242
tu deviens aveugle. Si tu couches avec elle, vous ne pouvez pas vous relever,
vous restez là couchés jusqu'à ce que les chefs viennent constater ce que vous
faites et tu deviens bébête. » (§12) EOO1FL le confirme quand elle dit : « là-bas,
tu ne peux pas voler la chose de quelqu'un ni courtiser une femme mariée. »
(§3 ; cf. E003HL, §2 ; E005FL, §6) Est-ce à dire qu'on n'est pas tenu par cet
interdit quand il s'agit d'une femme non mariée ? Cela reste à vérifier.
Nous n'excluons pas le fait qu'un fossé puisse exister entre ce qui est
dit et ce qui se vit dans la réalité. Il est aussi possible que les interdits sur le
comportement sexuel visent justement à réguler une situation déjà
problématique. Dans ce cas, il ne serait pas tout à fait exact d'attribuer la
licence sexuelle à la période du joro. Vu le climat de pureté qui caractérise
cette période, il nous semble difficile de partager les allégations d'un laisser-
aller. Nous nous en tenons également à la discipline et à la soumission
auxquelles les initiés sont astreints lors de l'initiation. La discipline oblige à
respecter l'ordre établi ainsi que les interdits promulgués. Discipline et
abstinence sexuelle constituent les interdits sur lesquels les répondants sont
souvent revenus. À cela il faut ajouter les références à la soumission, au
courage et à la discrétion. La soumission est en étroite relation avec la
discipline et consiste en l'obéissance et en un respect strict des règles et de la
hiérarchie.
Graphique VII-5 : Composantes de la sous-dimension « Savoir-être »
Dignité8% 1
Respect jdÊÊ11% M
ASoumission m
14% M
\JDiscrétion ^ ^ ^
14%
Continencep-^» 20%
\
/ ^ H • Discipline^^W 19%
Courage14%
243
Aussi curieux que cela puisse paraître, le Lobi est très indépendant
socialement, mais quand il s'agit des interdits du clan ou de la famille, il s'y
soumet sans discussion. Car toute insoumission dans ce domaine lui ôte
sécurité et protection. S'il lui arrive de rejeter ses coutumes, il prend toujours
le soin de se doter d'une puissance pouvant le protéger. Cette tendance à
l'indépendance des Lobi a certainement joué un rôle important dans la
conversion au christianisme, religion dans laquelle plusieurs ont trouvé une
puissance protectrice et un lieu de liberté. Tout porte à penser que c'est
surtout ceux qui ne sont pas capables de se soumettre à la rigueur de la voie
ancestrale qui se tournent vers les religions étrangères qu'ils trouvent moins
astreignantes. Si cela semble juste, il faut ajouter que ceux qui se décident de
quitter le chemin des ancêtres, font preuve de beaucoup de courage, car le
risque qu'ils courent est grand.
Les interdits touchant le respect et la dignité constituent d'autres
aspects du savoir-être. Ils visent les rapports de l'initié avec ses supérieurs et
avec les non-initiés. Il doit faire preuve d'un très grand respect vis-à-vis des
maîtres d'initiation et des moniteurs. E003HL rapporte : « Lorsqu'un grand
arrive, les moniteurs vous apprennent qu'il faut vous empresser d'aller à sa
rencontre pour saluer ; les femmes sont les omië, les hommes sont les suu. »
(§24) La salutation est un grand signe de respect dans la société lobi et
omettre de saluer quelqu'un présage un différend ou une certaine adversité.
Ce respect que doivent les initiés à leurs chefs hiérarchiques leur est rendu
par les non-initiés. Ayant passé par les rites d'initiation, ils sont parvenus à
un rang de dignité qui les distingue des non-initiés et qui exige que ces
derniers les considèrent comme leurs supérieurs. Ils en sont fiers, car non
seulement ils ont des connaissances que les non-initiés n'ont pas, mais ils ont
un certain savoir-faire qui leur est propre.
2. 3. 2. Le savoir procédural
À ce savoir déclaratif s'ajoute le savoir procédural. Nous avions d'abord
pensé que le savoir procédural était très présent dans le joro, mais les
244
entrevues n'ont pas confirmé notre attente. 60 % des entrevues font référence
à cela en relevant ce qui se donne au niveau du savoir-faire et du savoir-
langagier. Les apprentissages liés au savoir-faire concernent surtout le côté
artistique et artisanal. L'essentiel de ce savoir touche la musique et la danse.
Le joro a sa musique particulière et sa danse. Un non-initié ne peut exécuter
la danse du joro ou jouer ses rythmes (E003HL, §13, §24). Pour le faire, il faut
nécessairement se rendre à l'initiation. Une grande partie du temps est
réservée à l'apprentissage de la danse et des instruments de musique tels le
tam-tam, le balafon et la flûte.
En outre, les initiés apprennent les gestes usuels ; les exemples qui
sont donnés par nos répondants font état de l'apprentissage à marcher, à
cultiver (E003HL, §13, §24 ; E009HL, §6). Étant donné que les initiés sont des
êtres nouveaux, ils sont appelés à réapprendre les gestes usuels. Comme le
bébé apprend à marcher, ainsi le nouvel initié apprendra comment marcher,
comment travailler mais aussi comment parler. Le savoir-langagier occupe
une place plus importante que le savoir-faire (cf. figure VII-5). S'il est vrai que
tous ne sont plus soumis à l'apprentissage de cette langue (E003HL, §13), il
n'empêche qu'elle demeure un élément important de l'initiation. Pooda relève
que cette langue est similaire à la langue des Puguli, 423 ethnie à laquelle
certains font remonter l'origine du joro.
Le lieu d'apprentissage de cette langue n'est pas précis, les uns le font
au village du joro, (E001FL, §11) et les autres au village lobi (E002FL, §25, §26
; E009HL, §2 ; E010HL, §19). Aucun intervenant Birifor n'a fait référence à la
langue du joro. Pourtant le cri du joro est le même aussi bien chez ces
derniers que chez les Lobi. Les raisons d'un tel silence reste à vérifier. Il est
possible qu'à cause du secret qui entoure le savoir-langagier, les répondants
Birifor osent moins en parler.
En définitive, la transmission des savoirs dans le joro se résume dans la
transmission des interdits, du savoir-être, du savoir-faire et du savoir-
langagier. Le plus important demeure le savoir-être (cf. figure VII-6), ce qui
Antoine de Padou POODA, op. cit. p. 6.
245
corrobore les objectifs du joro dont la vision est de réguler la société par une
construction identitaire qui prend en compte les aspects communautaires et
individuels.
lobiGraphique VII-6 : Récapitulatif des indicateurs du savoir initiatique
150/0 ^—\
8%/N. ^ 3 9 %
;
a Interdits• Savoir-être• Savoir-faire• Savoir langagier
2. 3. 3. Les supports pédagogiques
Pour une bonne transmission de ces savoirs, le joro use de certains
supports pédagogiques que sont le langage symbolique et les dispositifs de
motivation. Nous reviendrons plus tard sur l'interprétation de toute la
symbolique du joro, mais à présent, nous voulons faire ressortir tout le
langage imagé dont se servent les maîtres d'initiation pour signifier des actes
et des événements. Deux principales expressions relèvent de ce procédé. La
première vient des rites de consécration où il est question de « boire le lait »
pour parler de la boisson sacrée qui fait renaître le néophyte et le consacre
« enfant du joro ». À cette expression sont associés : « le sein du fleuve »,
« l'allaitement » et la mise à mort du néophyte. En effet pour naître enfant du
joro, le néophyte doit passer par la mort symbolique et, à sa renaissance,
recevoir la substance vivifiante qu'est la boisson sacrée.
246
La deuxième expression est liée non seulement aux rites de
consécration, mais aussi à la grande marche. Plusieurs termes la traduisent :
« la pirogue l'a emporté » (E003HL, §12), « l'eau l'a emporté » (E002FL, §11,
§12, §15), « le caïman l'a emporté » (E004HB, §7, §8 ; E006FB, §4, §34), « Yi
koro l'a emporté » (E008HL, §3, §5, §10 ; E009HL, §9). Toutes ces expressions
font référence à la mort ou à l'enlèvement d'un pèlerin à l'initiation. Celui-ci
peut être un néophyte ou un initié. Il est évident que cette référence joue une
fonction d'éveil ou de mobilisation. Nous l'avons qualifiée de dispositif de
motivation, car l'idée de mort ou d'enlèvement entretient un climat de crainte
qui favorise l'obéissance et la soumission, attitudes nécessaires à tout
apprentissage scajoro.
Ce dispositif est très important pour l'approche pédagogique du joro. La
tension qu'entretient l'idée d'enlèvement rend les néophytes et leurs
accompagnateurs très attentifs à ce qui se passe autour d'eux. Elle contribue
à entretenir une certaine concentration, car la moindre inattention peut être
fatale. E006FB dit : « Sur la route, chaque nouveau a ses protecteurs qui
veillent sur lui. Quand une personne s'arrête un peu, ils vous avertissent en
vous disant de bien veiller sur vos protégés de peur qu'ils ne s'égarent. Et
quand il arrive qu'une personne s'égare, ils disent qu'elle a été la proie du
caïman. » (§4)
L'inconnu qui entoure les enlèvements plonge le pèlerin dans un état
d'esprit de lutte contre un ravisseur fictif ou réel et l'introduit dans un
mystère opaque. Ce mystère le mystifie lui-même et fait de lui le gardien du
secret du joro qu'il ne doit en aucun cas, dans les conditions normales, trahir.
Ce mystère entoure l'initié et impose aux autres le respect et l'admiration.
Mais avant d'arriver à ce stade, des sanctions guettent le néophyte et ses
proches. Aucune faute n'est tolérée, ce qui vient augmenter la tension que les
rites se donnent pour mission de contrôler. Certes, autant l'initiation crée un
climat de tension, autant propose-t-elle des solutions. Face à la peur qu'elle
installe, elle enseigne le courage, à la convoitise charnelle elle présente une
réglementation rigoureuse.
247
Tout semble se dérouler dans un climat difficile à gérer en temps
normal, c'est pourquoi au joro, l'atmosphère baigne dans la musique pour
adoucir les mœurs. À chaque niveau, les pèlerins sont servis en musique, soit
à travers les rythmes des tam-tams ou celui des balafons, sans oublier les
danses qui les accompagnent. Dans un entretien avec André Oussè, il est
ressorti combien la musique du joro était envoûtante et qu'il était difficile d'y
résister. Cette musique a pour rôle de rendre les épreuves plus supportables
en aidant l'esprit et le corps à transcender la douleur, la peur et le désir
charnel.
Cette démarche du joro, que ce soit au niveau de la transmission des
savoirs, des rites, et du pèlerinage, démontre à quel point l'initiation lobi se
prête mieux à une institution d'éducation. Sans écarter son aspect religieux, il
nous semble plus juste de voir dans le joro, un dispositif pédagogique dont le
but est de former l'homme et la femme lobi. Si le joro fait référence au
religieux, c'est tout simplement parce qu'il vise une éducation complète qui
prend en compte tous les aspects de la vie humaine. L'éducation à la foi
chrétienne en pays lobi aurait gagné en instaurant dès le début un dialogue
positif avec cette institution. Car une lecture de l'impératif missionnaire fait
ressortir bien de similitudes avec les voies et moyens par lesquelles le joro
réalise son projet éducatif.
3. Impératif missionnaire etjoro : Démarches
Jiâvxa xà ë0vr| est l'ordre de mission des disciples dans
Matthieu 28, 19. Ces derniers ont été préparés à une telle mission et l'évangile
lui-même présente un exemple de ce qu'est la formation des disciples. Francis
W. Beare écrit qu'il pourrait être décrit comme un manuel d'instruction de la
vie chrétienne424. L'évangile met en évidence une démarche dans la formation
des disciples.
424 Francis Wright BEARE, The Gospel According to Matthew. A Commentary, Oxford, BasilBlackwell, 1981, p. 5.
248
1) Choix des disciples (Mt. 4, 19-22 ; 10, 1-4)
2) Formation par la transmission des savoirs (Mt. 5-7 ; 10 ; 13 ; 18 ;24-25)
3) Formation par la pratique : Stage missionnaire (Mt. 10)
4) Formation par l'exemple (Mt. 20, 20-28)
5) Formation par le rituel (Mt. 26, 26-29)
6) Formation par la vie du Maître
• Rite initiatique (Mt. 3,13-17 ; 4, 1-11)
• Vie de prière (Mt. 14, 23 ; 26, 36, 39, 42, 44)
• Ministère de la parole (Mt. 5-7 ; 10 ; 13 ; 18 ; 24-25)
• Ministère d'actions sociales
Assistance en santé physique (Mt. 8, 1-15 ; 9, 35)
Assistance en santé mentale (Mt. 8, 16-17 ; 28-34)
- Assistance alimentaire (Mt. 14, 13-21 ; 15, 32-39)
- Défense des droits humains (Mt. 19,13-15 ; 26, 7-13)
• Rapports
- avec les disciples (Mt. 10, 24,25 ; 12, 47-50 ; 28,10)
- avec les marginaux (Mt. 9, 9-13 ; 11, 19)
- avec le peuple (Mt. 7, 28 ; 9, 36 ; 14,14)
- avec ses opposants (Mt. 161-4 ; 19,1-9 ; 22-23)
• Passion (Mt. 26-27)
7) Travail de suivi (Mt. 28, 20)
Un commentaire de ces différents éléments demanderait une recherche
approfondie et pourrait constituer le sujet d'une autre thèse. Notre intention
ici est de partir des différents indicateurs qui soulignent le caractère
pédagogique de l'évangile. À partir de là, on cherchera à dégager la manière
dont ils pourraient interagir avec ceux de l'initiation lobi pour ouvrir des
horizons nouveaux dans la compréhension et la pratique de l'initiation dans
l'Église ainsi que sa place dans la situation éducative comme processus
pédagogique.
249
3. 1. Le pèlerinage du disciple et celui du jorbi
Dans le chapitre qui précède, nous avons relevé que les ternies oûpavog
et yr\ indiquaient le cadre qui porte les activités de l'impératif missionnaire.
L'un des indicateurs qui traduit la relation entre le disciple et ce cadre est le
parcours. La notion de « parcours » ou de pèlerinage est bien présente dans
l'économie du salut quand on la met en rapport avec Job 1,7. Dans Job, il
ressort que l'Adversaire - ôià(5oÀog dans la Septante = diable, mais ]VWT\ (Satan)
dans le texte hébreu - s'évertue à parcourir la terre et à s'y promener. Le
terme nspinateiv (circuler, aller et venir) dans la Septante se retrouve dans I
Pierre 5, 8 pour qualifier l'activité du diable. Celle-ci fait penser aux actions
d'un prédateur et vise à pousser les hommes à la révolte contre Dieu.
L'exemple de Job en est un.
En mettant ces passages bibliques en parallèle avec Mt. 4, 23 ; 9, 35 ;
17, 22, où l'expérience de parcourir ou de circuler est attribuée à Jésus, cela
nous introduit au cœur de la christologie et de la sotériologie. Jésus est
présenté comme le pèlerin en marche, celui qui partage la destinée
péripatéticienne des hommes, dans le sens de celui qui circule, qui marche,
qui se promène entouré de ses disciples ou de la foule. Ainsi, le voit-on
parcourant villes et villages sans définition particulière ou alors la Galilée. À
l'inverse du diable qui cherche dans ses déplacements à faire des hommes ses
proies, et à les entraîner dans la révolte contre Dieu, Matthieu décrit Jésus en
mouvement, comme celui qui apporte aux hommes la guérison, leur vient en
secours, et les interpelle à la réconciliation avec Dieu, avec le prochain et avec
eux-mêmes.
À l'exemple du Maître, le disciple est convié à un pèlerinage. Le
pèlerinage est aussi une des voies que doit emprunter le candidat à l'initiation
lobi pour parvenir à son statut dejzrbi. Ce pèlerinage très symbolique rappelle
au Lobi qu'il est celui qui est en marche, en marche pour son
accomplissement, en marche sur les traces des ancêtres, en marche vers la
250
destination ultime, le village des morts. Comment se servir du pèlerinage en
éducation à la foi ?
Les catholiques lobi proposent des pèlerinages dans des lieux qui ont
une signification pour la foi chrétienne. Ils suivent les traces des premiers
missionnaires qui sont arrivés avec l'Évangile en pays lobi. Quant aux
protestants, les conférences annuelles leur permettaient de se rencontrer à
Bouroum-Bouroum, lieu d'implantation des premiers missionnaires.
Aujourd'hui, à cause des problèmes d'eau, ils se voient dans l'obligation
d'avoir des conférences régionales. Cependant, soulignons que si le pèlerinage
que proposent les chrétiens est religieux, celui du joro ne l'est pas. Il est plutôt
social, et à ce titre, il donne des bases anthropologiques pour une
inculturation des vérités et pratiques religieuses.
Si la notion de pèlerinage est si ancrée dans l'esprit des Lobi, pourquoi
catholiques et protestants ne peuvent-ils pas se mettre ensemble pour
construire un pèlerinage où tous ensemble ils iraient sur les traces des
premiers missionnaires et une fois dans les lieux, se répartir dans les
différentes dénominations ? L'histoire nous dit que les premiers missionnaires
catholiques et protestants ont occupé le même site dès leur arrivée en pays
lobi. C'est l'administration coloniale qui les a amenés à se déplacer pour leur
sécurité. Si les chrétiens s'entendaient sur ce plan, ils contribueraient à
transformer le visage du joro. Ce ne serait pas la première fois pour le joro de
connaître une nouvelle version. Un tel projet est à considérer et notre travail
en explore les conditions. Notre but consiste moins à réhabiliter le joro, qu'à
faire comprendre qu'en dépit de ses aspects dits religieux, il constitue un
système éducatif qui a été mal géré et que cet aspect pourrait être
déterminant pour l'avenir du christianisme en pays lobi.
3. 2. Le baptême et les rites du joro
Si la formation du disciple nécessite un déplacement, un parcours, son
contenu est rituel et pédagogique. Le baptême qui en fait partie se retrouve
dans les rites initiatiques du joro. L'eau est l'élément essentiel utilisé dans les
251
deux rites et l'acte d'asperger et de se baigner sont similaires. En revanche, il
y a des différences notoires. Relevons d'emblée que ces deux rites ont des
significations qui se rapprochent mais ne sont pas identiques. Le rite chrétien
prend son fondement dans la Sainte Trinité, alors que celui du joro se fonde
sur le Mu (le Fleuve). Le baptême du joro se donne comme une consécration
au Fleuve. Nous avons montré comment, dans la mythologie lobi, le Fleuve
joue un rôle important dans le passage de ce monde à celui des ancêtres et
qu'il se trouve lié dans une certaine mesure à Thâgba (Dieu). Pour Madeleine
Père, le culte de la Terre et celui du Fleuve renverraient à la même réalité. Dès
lors, sans être explicitement nommé, Dieu serait présent dans le joro quand il
est question de la Terre et du Fleuve. Il est évident que ce Dieu n'est pas
nécessairement le Dieu Trinitaire. Il n'empêche qu'il s'agit du concept de
divinité dans une expression langagière particulière. Ce concept chez les Lobi
constitue une représentation nécessaire à laquelle on peut se référer pour
comprendre le Dieu de Jésus Christ.
Malgré cette différence, les deux rites visent l'intégration dans une
communauté. Au joro, le rite du bain qui symbolise la purification, se réfère à
la naissance symbolique. Chez le Lobi, tout bébé qui vient au monde est
nettoyé à l'eau, c'est pourquoi, il n'est pas étonnant que le novice qui vient de
naître comme enfant du joro, passe par ce rite. Cette purification implique un
nouveau départ, une nouvelle vie et un renoncement à l'ancienne vie. Nous
comprenons, à présent, pourquoi dans l'Église protestante les gens ne se
pressent pas pour le baptême. Tout d'abord, avant chaque service de
baptême, chaque candidat devait passer devant le conseil des responsables de
l'Église pour un examen. On interrogeait les membres du Conseil sur le
comportement du candidat pour s'assurer que son témoignage est
irréprochable. Beaucoup de candidats craignaient ces moments. Ensuite,
plusieurs comprenaient qu'après le baptême il n'était plus question de pécher.
Commettre une faute morale était lourd de conséquences. Cette conception
aurait probablement sa racine dans la tradition lobi et aurait été entretenue
par une prédication légaliste dans l'Église. En effet, une fois de retour du joro,
le non-respect d'un interdit pouvait être fatal. Ainsi, l'initié doit veiller à ne
252
pas enfreindre un seul interdit. Si cette représentation rend sensible au
problème du mal, quelque part, elle entretient une conception du péché qui
n'est pas celle enseignée dans la Bible.
Un autre aspect du rite du bain dans le joro, qui rejoint celui du
christianisme, est le symbolisme de la mort et de la résurrection. Des deux
côtés, il est question de mourir à une ancienne vie pour renaître à une
nouvelle vie. Dans le joro, on passe symboliquement de la mère utérine à la
Mère Terre (symbolisant Dieu), de l'état rustique à la connaissance, du
jâkvma au jorbi. C'est une renaissance qui s'opère à travers le rite d'eau
accompagné de celui de l'allaitement. Le joro, dans un jeu symbolique, met en
scène une passation filiale de la mère au père. Cela est nécessaire pour le Lobi
car, sans ce passage, l'héritage du côté paternel ferait défaut. Cette passation
est symboliquement celle de la Mère Terre au Dieu d'en haut. À cette étape, le
néophyte entre dans une nouvelle relation filiale, c'est pourquoi, il a besoin
d'un nom pour qu'on puisse l'identifier.
Relevons enfin le fait que cette renaissance s'opère dans un climat
d'angoisse entretenu par le bruit du rhombe sacré et les menaces des
moniteurs. Tout se déroule de manière à rendre les néophytes conscients de
l'aventure périlleuse dans laquelle ils s'engagent. En revanche, ils sont
assurés de la présence des proches, ce qui leur donne le courage d'avancer
malgré les dangers qui les guettent et le risque d'y perdre sa vie. Cette
présence qui soutient est couplée de la parole qui vise les instructions pour
éviter aux protégés des actions fatales pendant l'initiation, mais aussi pour
transmettre les savoirs nécessaires à la nouvelle vie.
Si dans le joro la nouvelle naissance est surtout soumise à des actions
rituelles, celle que propose l'impératif missionnaire dépasse le rite. Pour le
courant évangélique, elle est d'abord suscitée par l'expérience d'une rencontre
personnelle avec le Christ et la foi en lui comme Sauveur et Seigneur. Le rite
a, bien sûr, son importance, puisque, lorsque l'on considère les voies et
moyens que propose l'impératif missionnaire pour la formation du disciple, il
tient la première place. Seulement, la célébration de ce rite est accompagnée
253
d'une formule qui précise l'autorité par laquelle elle est accomplie et introduit
le disciple dans une relation trinitaire.
L'autorité qui fonde ce rite et la relation visée sont loin de ce que
présente le joro. L'impératif missionnaire fonde son rite sur une autorité divine
qui détermine la filiation recherchée. Dans le joro, tout se joue au niveau
purement anthropologique, car c'est de l'intégration sociale de l'homme dont il
s'agit. La recherche d'une relation avec une divinité n'est pas l'objectif, mais
fait partie des dispositifs de socialisation et de construction identitaire. Aucun
enseignement sur les dieux n'est dispensé pendant l'initiation, par contre,
tous les efforts sont fournis pour que les règles d'une vie sociale soient
transmises.
3. 3. La formation du disciple et dujorbi
Dans la formation du disciple tout comme dans l'initiation du joro, la
transmission des savoirs est liée à la parole. « Faire la catéchèse c'est
parler425 », et transmettre les savoirs dans l'initiation est en grande partie
orale, donc, liée à la parole et à la gestuelle426. La parole constitue ainsi un
point d'ancrage entre la formation du disciple et l'initiation du joro. Des deux
côtés nous avons des maîtres et des disciples pris dans l'acte de
communication en vue d'apprendre. C'est un espace de savoirs qui se crée. En
initiation, la différence qui sépare l'initié du non-initié, est le savoir427. Le
premier connaît, il est dépositaire des savoirs ancestraux et des interdits de la
société, ce qui lui permet de vivre librement. Son savoir est source de
libération et de fierté. Il lui donne le droit de siéger dans certaines assemblées
et de prendre la parole. Cette prise de parole se trouve liée à la connaissance
du fonds traditionnel, source de discours. L'utilisation de ce fonds de manière
judicieuse confère une autorité à celui qui s'y réfère.
425 Henr i DERROITTE, La catéchèse décloisonnée. Jalons pour un nouveau projetcatéchétique, Bruxelles, Lumen vitae n°13, 2000, p. 26.426 Anse lme T i t i anma , SANOU e t René LUNEAU, op. cit. p . 8 2 .™ Ibid. p. 81.
254
La source de la parole dans le contexte de la formation du disciple est
sans conteste dans le Dieu incarné, Jésus-christ. Cette parole est la Bonne
Nouvelle, mais aussi le commandement, et se résume à l'amour (Mt. 22,38).
L'amour de Dieu et celui du prochain demeure la clef d'interprétation et
oriente toute l'éthique du disciple. Les services sociaux rendus par Jésus
(guérison, aide alimentaire, défense des droits humains...) constituent autant
de signes d'amour posés en exemple pour que le disciple imite. Dans la
perspective de l'initiation du joro, les prescriptions visent non pas la voie qui
mène au Dieu de Jésus-Christ, mais celle tracée par les ancêtres et transmise
de générations en générations dont les grands dépositaires sont les maîtres
d'initiation, acteurs incontournables du joro.
Somme toute, nous avons ressorti dans ce chapitre que les candidats à
l'initiation sont d'abord soumis à une longue préparation de purification et de
mise à part qui les dispose à une série de rites dont les principaux sont
l'allaitement, le bain rituel, la dation de nom et la réintégration sociale. Ces
rites occupent une place de choix dans le projet éducatif du joro car, au-delà
de leur matérialité, ils portent une signification symbolique. Aux différents
rites s'ajoute la transmission des savoirs axée sur la connaissance des
interdits, le savoir-être et le savoir-faire. Pour transmettre ces différents
savoirs, le joro se sert de dispositifs pour motiver et évaluer les
apprentissages. Ainsi, dans le joro, il se déploie un ensemble de voies et de
moyens pour faire passer le jâkvma à l'état dejorbi. Ces moyens et procédures
que sont le pèlerinage, les rites, la transmission des savoirs et
l'accompagnement sont traduits du côté de l'impératif missionnaire et du joro
de diverses manières comme nous l'avons déjà remarqué.
Dans le contexte lobi, si dans le passé, l'éducation à la foi a rencontré
dans le joro des éléments qui ont semblé s'opposer au succès de son projet,
avec les connaissances que nous avons aujourd'hui de l'initiation lobi, il nous
semble que celle-ci, en tant qu'institution d'éducation, pourrait contribuer à
une contextualisation de l'éducation à la foi. Cependant, comme dans la
culture de plusieurs peuples africains, la religion est intrinsèquement liée à la
255
culture, on a vite fait de mettre en exergue les aspects religieux au détriment
des aspects culturels en vue d'écarter une si importante dimension de la
société lobi qui aurait pu servir à incarner l'Évangile dans ce milieu. Car le
joro, ce nous semble, construit une structure des représentations utiles à la
formation chrétienne. Elle permet également à l'éducation à la foi d'avoir des
schèmes sur lesquels elle peut construire sa démarche initiatique et les deux
sont marquées par les composantes d'une situation éducative. Une telle
perception du joro confirme sa définition en tant que voie ou chemin. Si,
historiquement et sociologiquement il est la voie des ancêtres et le chemin qui
mène vers cette voie, prophétiquement, ne serait-il pas cette voix qui proclame
aux Lobi : « préparez le chemin du Seigneur ? »
256
CHAPITRE VIII
DE L1NITIATION AU « PROCESSUS INITIER
La recherche sur l'initiation lobi nous a permis de repérer ses
composantes éducatives. Ainsi avons-nous dégagé le cadre du projet éducatif
du joro, ses acteurs et sa démarche. En partant de ces différentes dimensions,
nous avons montré comment les indicateurs qui s'y dégagent peuvent être mis
en dialogue avec l'éducation à la foi chrétienne à partir des données bibliques.
Si nous avons mis en évidence les similitudes, nous avons en revanche
souligné les discontinuités qui séparent ces deux projets initiatiques. Si le joro
consiste en une démarche éducative qui intègre l'homme dans son milieu
ethnique en mettant en œuvre des rituels qui impliquent essentiellement la
nature, la culture et la méta-physique, il en va autrement de l'éducation à la
foi chrétienne.
Celle-ci, il est vrai, emprunte également une démarche initiatique pour
l'intégration de ceux qui décident de suivre la voie de Dieu par le Christ. Il est
également juste, que la pertinence de ses méthodes découle en partie de sa
capacité de tenir compte des réalités historiques et socioculturelles dans
lesquelles elle évolue. Cependant, ce qu'elle propose ne peut être réduite ou
limitée à la seule expérience humaine. Tout en s'inculturant, elle dépasse les
cultures locales pour s'élever à l'universel ; tout en visant l'humanité elle
conduit vers la divinité que le Christ est venu révéler. Son projet éducatif dans
la perspective du courant évangélique se fonde sur une dimension théologique
au cœur de l'expérience humaine. Par contre, le projet des initiations
africaines et en particulier celui du joro est essentiellement anthropocentrique
même s'il est intrinsèquement lié au religieux. Ainsi, nous nous trouvons en
face de deux projets qui, tout en se croisant, sont caractérisés par de
profondes différences. Tout en étant conscient de la nécessité de préserver
l'identité propre de chaque projet, le but que nous poursuivons nous amène à
257
mettre l'accent sur les éléments conciliables, afin de mettre en relief les
composantes pédagogiques communes.
En réalité, si, en Afrique, nous voulons incarner l'éducation à la foi
chrétienne dans les réalités quotidiennes des personnes en formation, trois
éléments fondamentaux devraient être pris en considération : l'héritage
pédagogique africain, l'héritage biblique des aspects pédagogiques de
l'éducation à la foi et leur ancrage dans une théorie pédagogique générale.
Dans les chapitres 6 et 7 nous avons dégagé les composantes d'un héritage
pédagogique africain à travers l'analyse du joro tout en le mettant en rapport
avec les données bibliques de Matthieu 28, 18-20. Ce chapitre qui conclut le
travail s'attache à la contribution de l'initiation à la situation pédagogique et à
la formation chrétienne. Il tente de répondre à la question suivante : quelle
contribution l'initiation peut-elle apporter à la construction des processus
pédagogiques et à la pertinence de l'éducation à la foi en pays lobi ?
Cette pertinence, nous l'avons déjà relevé, passe par la
contextualisation de l'initiation chrétienne. Le seul travail du théologien ou du
pédagogue en laboratoire, ne suffit pas. La participation des chrétiens et
chrétiennes ayant vécu une expérience initiatique dans leur milieu social
s'avère nécessaire. C'est pourquoi dans ce chapitre, nous partirons d'abord
des opinions de ces derniers pour comprendre les rapports entre l'initiation
traditionnelle lobi et l'éducation à la foi chrétienne. Ensuite nous verrons
quelles sont les spécificités d'un processus initiatique, et enfin nous
proposerons quelques pistes à suivre pour une formation chrétienne en
Afrique qui tienne compte des apports initiatiques.
1. Perception chrétienne du joro
Pour comprendre les différents rapports qu'entretient le joro avec les
autres dimensions de la culture lobi et avec les apports exogènes, nous nous
sommes servi de la catégorie « Interactions » d'où nous avons dégagé trois
sous-catégories : rapports internes, rapports proches et rapports éloignés. Par
258
les rapports internes, nous avons voulu mettre en évidence les relations
qu'entretiennent les différents groupes du joro entre eux. Lorsque nous avons
examiné le point sur les institutions, nous avons relevé que les groupes
tissent des rapports entre eux. Pendant le pèlerinage, certains clans
s'organisent pour partir ensemble et pendant les cérémonies de réintégration,
il existe des cérémonies d'échange et de visite (E003HL, §15). Ici, il ne sera
donc plus question de ces rapports ni des rapports proches. Cette deuxième
sous-catégorie montre la supériorité du joro par rapport aux institutions
cultuelles. Par rapport à l'institution initiatique du buur, institution de
formation à la divination, il ressort que le joro lui est soumis (E008HL, §11).
Ces deux sous-catégories ne feront pas l'objet de nos commentaires car le but
de ce chapitre est de mettre en évidence les rapports éloignés du joro. Ceux-ci
comprennent les rapports avec le monde moderne et les rapports avec le
christianisme. Ce sont ces derniers rapports qui feront l'objet des
commentaires qui suivent. Nous allons quelquefois recourir aux autres sous-
catégories quand cela s'avérera nécessaire pour donner quelque éclairage à
nos propos.
Les rapports avec le christianisme font ressortir trois aspects. 70% des
répondants relèvent des éléments constructifs dans l'initiation lobi, tandis que
la totalité parle des aspects négatifs ou conflictuels, et 90% font référence aux
similitudes (cf. tableau VIII-1 et graphique VIII-1).
259
Tableau VIII-1 : Catégorie « Rapports avec
Nœuds principaux
Rapports avec le christianismeAspects constructifs
Espace d'éducationPierres d'attente
Aspects conflictuels1 Sacrifices offerts aux idoles
Rejet du joro
Plein de risques pour la vieOeuvre de Satan
Espace d'éducation
Dénomination s1 Commandements
Bintême
1 r"> l ~ l
Femmes
302253
0
1
1
4
2
4
1
221
0
2102
r i
%Femmes
100
6 0
0
40
4 0
100
60
0
20
20
80
40
8 0
2 0
4 0
4 0
20
0
4 0
20
0
40
20
le christianisme
Hommes
54301512313353051
1
3
1
2
2
1 i
%Hommes
100
80
60
0
20
100
20
40
60
20
60
60
100
60
0
100
20
20
60
20
40
40
20
H
%
total
100
70
30
20
30
100
40
20
40
20
70
50
90
40
20
70
20
10
50
20
20
40
20
Graphique VIII-1 : Rapport au christianisme
120% -r
100%
80% 4
60%
40%
20%
0%
• Similitudes• Conflictuels
260
1.1. Aspects constructifs
Pour ce qui touche aux aspects constructifs, trois indices apparaissent
dans les entrevues. Ces indices portent sur des aspects ayant rapport au
comportement, à l'éducation et enfin aux relations avec le christianisme.
L'obéissance et la soumission sont des comportements qu'inculque l'initiation
lobi. Elles impliquent le respect scrupuleux de ce que disent les chefs et
procurent des avantages. E001FL relève : « Ce que les chefs disent, il faut s'y
soumettre. Ceux qui désobéissent en subissent les conséquences et en
meurent. Sois obéissant à ce qui est dit, et tu auras la vie sauve. » (§23) Non
seulement elles aident à la formation d'une personnalité disciplinée, mais
aussi elles sont une source de salut ; car toute désobéissance ou
insoumission met la vie en péril. En outre, elles consistent à prêter la plus
grande attention possible aux différents interdits qui sont donnés (E009HL,
§27). Outrepasser un interdit c'est s'exposer à des amendes ou même risquer
sa vie. Ainsi, les chrétiens pensent que cultiver un tel comportement est
positif. C'est pourquoi ils voient dans lejoro un lieu éducatif. E010HL soutient
que l'effort que fournissent les gens pour le pèlerinage a pour but d'offrir à
leurs enfants la possibilité d'une éducation à l'image des Lobi (§29).
Une dernière chose qui ressort des aspects constructifs concerne les
éléments en rapport avec le christianisme. Ce point sera largement abordé
dans la partie où il sera question des similitudes. Il saute néanmoins aux
yeux que les chrétiens protestants trouvent peu d'éléments constructifs dans
le joro. D'où leur vient une telle attitude ? Est-ce une résultante de
l'enseignement reçu dans l'Église ou une conséquence de leur conversion au
Christ ? Avant d'aborder ces questions, nous allons d'abord faire le tour des
autres aspects des discours.
261
1.2. Aspects conflictuels
La référence aux aspects conflictuels vient confirmer l'attitude
foncièrement négative à l'égard du joro. Un rapport conflictuel latent ou ouvert
caractérise les relations du christianisme à l'initiation lobi. E009HL raconte :
Un jour de marché, nous étions à Nako avec Hans pour évangéliser.Un homme du nom de Sopunté et d'autres avec lui sont venus versnous et ont tourné la chose428 sur nous ; tout le monde au marché acommencé à fuir. Tu sais, comme Hans est un blanc, il a eu peur etil voulait que nous déguerpissions, mais nous lui avons dit qu'il nevalait pas le coup de fuir. Il s'apprêtait à chercher le véhicule pourque nous fuyions, mais nous lui avions dit de rester tranquille.Avant d'aller évangéliser au marché, nous avions informé le chefcoutumier qui nous a dits que lui aussi avait sa parole de Dieu etqu'il ne nous autorisait pas à parler de notre Dieu au marché. Alors,nous sommes allés voir le Préfet qui nous a autorisés d'évangéliserau marché. C'est pourquoi quand nous avions commencé à parler etque les gens venaient pour nous écouter, ils sont venus agiter cettechose pour qu'ils se dispersent. Ils faisaient cela pour empêcher lesgens d'écouter notre parole de Dieu, mais cela ne nous a pasempêchés de continuer de parler. Voyant notre détermination, undes hommes est venu nous dire ceci : « que chacun de nous se mêlede ses propres affaires et ne cherchons pas à nous mettre les bâtonsdans les roues. » Alors nous avons répliqué : « en quoi vousdérangeons-nous ? Nous sommes en train d'annoncer notre parolede Dieu et toi tu veux offrir tes sacrifices, en quoi te dérangeons-nous ? Nous ne pouvons pas te déranger, nous sommes ici pourparler de notre Dieu. » Comme il n'a pas réussi à nous faire changerd'idée, il n'a plus rien dit. Si nous n'avions pas demandél'autorisation au Préfet, les villageois n'allaient pas nous accepter,nous risquions de nous battre ce jour, mais comme nous avionsaverti le Préfet, ils n'ont pas pu dire quoi que ce soit. Le blanc avaitpeur, mais nous lui avons dit de ne rien craindre, car nous savonsde quoi il s'agit ; ce jour nous avons tout fait pour apporter la parolede Dieu. Si c'était aujourd'hui nous n'oserions pas beaucoup parler,mais à l'époque nous étions encore vigoureux et s'ils continuaientnous allions nous affronter. Comme ils n'étaient pas d'accords avecnous, nous leur avions dit que s'ils veulent que nous nous portionsla main, nous étions prêts, même s'il faut y laisser la vie. Nousn'avions pas manqué de leur dire que s'ils insistaient, nous allionsnous battre et comme ils voyaient notre détermination ils ontrenoncé. Nous étions jeunes à l'époque, pleins de vigueur et résolusde persévérer dans la foi en Dieu. (§11)
428 La chose fait référence au rhombe sacré.
262
Plus loin il commente les raisons de ce conflit.
Quand ils voient nos enfants qui ne connaissent pas le joro, cela lesdérange, car si les enfants vont au joro, cela les profitera puisqu'onleur donnera de la viande et de l'argent. Comme nous, nous y étionsdéjà, que nous avons vu les aspects négatifs, et que nous n'allonspas autoriser nos enfants à s'y rendre, cela entraîne desprovocations de leur part. Aussi, quand ils nous voient avec lesautorités, ils pensent que nous allons divulguer le secret du joro,c'est pourquoi ils nous détestent. Comme nous connaissons le joroet que nous n'entrons plus dans leur milieu, ils nous accusent dedévoiler les secrets du joro aux jàkuma. C'est ce qui entraîne leurhaine envers nous. Ils disent que nous sommes en train de leurbriser la tête429. Ils ne veulent pas que nous en parlions, mais sinous ne le faisons pas, c'est comme si le joro nous fait toujourspeur. (§25)
Si, dans cette situation, les maîtres d'initiation ont provoqué les
chrétiens, un cas a été signalé, où ce sont plutôt des chrétiens qui ont été à la
base de la provocation. Dans le village de Bouroum-Bouroum, pendant que
les chrétiens étaient en conférence, un groupe s'était détaché pour aller dans
le bois sacré afin de prier contre ce qu'ils appellent l'esprit du joro. Ces
derniers ont été interpellés et réprimandés par l'organe dirigeant de l'Église. Si
ces derniers avaient pris la liberté de prier contre l'initiation, c'est parce que
pour eux, elle constituait un frein à la propagation de l'Évangile. C'est ce qui
ressort des paroles de E006FB : «[...] lorsque nous évangélisons et que
certaines personnes disent qu'elles sont des anciens (des grands), qu'elles ont
de grandes choses qui les empêchent de devenir chrétien, ce n'est autre chose
que le joro. » (§27)
Même si nous déplorons la maladresse de ces chrétiens, nous
comprenons l'esprit dans lequel ils ont posé leur action. Pour eux, afin de
venir à bout de ce qui empêche les Lobi de se donner tout entier au Christ, il
fallait combattre. Où et comment mener ce combat ? Il fallait se rendre sur le
terrain de l'ennemi avec des armes spirituelles, car le combat est lui-même
spirituel. L'enjeu était de déloger les esprits du joro pour ramener au Christ
cet espace consacré à Satan. 50% des répondants en effet, tiennent pour
429 Briser la tête = chercher le malheur de quelqu'un.
263
acquis que \Q joro constitue une œuvre de Satan (E001FL, §3 ; E005FL, §18 ;
E008HL, §6 ; E009HL, §9, 10 ; E010HL, §2). La raison est bien simple. Du fait
qu'avant de se rendre au village de l'initiation, des sacrifices sont offerts, il ne
fait aucun doute pour eux que c'est à Satan, ou alors à ses représentants, que
cela est dédié. N'eut été cet aspect sacrificiel, il aurait été difficile de faire le
lien entre le joro et le kôtee-buu (démon). À cause de ce lien, les chrétiens
protestants ont rejeté l'initiation traditionnelle, et exigent de leurs enfants
d'en faire autant.
Pourquoi une telle attitude à l'endroit d'un phénomène social si
important ? Nous voyons trois raisons à cela, une théologique, une
socioculturelle et une tactique. Théologiquement, l'attitude des chrétiens
protestants prend ses racines entre autres dans la compréhension du terme
« conversion ». Comprise comme un retour au vrai Dieu, la conversion
implique un changement radical d'attitude et de mentalité envers l'ancienne
voie. À écouter les chants chrétiens dans les Églises protestantes lobi, on se
rendra compte que, pour le Lobi devenu chrétien, l'ancienne voie est celle de
Satan. Le chant qui suit exprime la pensée de la plupart des chrétiens lobi.
Refrain :
Je fais appel à Jésus pour qu'il me sauve.
À cause du harcèlement occulte dont je suis victime,
Je supplie Jésus de m'en délivrer.
À cause du démon qui me tourmente,
Je supplie Jésus de m'en délivrer.
J'ai suivi la voie du démon et il m'a délaissé.
Il m'a laissé toute seule, et sur ma couche,
Pendant la nuit, j'ai pensé à une autre voie.
Le démon m'a laissée toute seule et sur ma couche,
Pendant la nuit, j'ai opté pour une autre voie.
Père-Dieu a dit qu'il ne va pas abandonner sa créature.
C'est moi-même qui l'ai abandonné pour suivre le démon.
Alors, le démon s'est emparé de moi pour me faire souffrir.
264
Je l'ai personnellement abandonné pour suivre le démon.
Alors, le démon s'est emparé de moi pour me faire
souffrir430.
L'auteure oppose dans ce chant, la voie du démon à celle du Père-Dieu.
La première est celle de la souffrance et de la solitude, alors que la deuxième
est celle qui ramène à Dieu, celle de la délivrance. Cette délivrance implique
un changement radical par rapport à l'ancienne voie. Ainsi, la conversion pour
le chrétien et la chrétienne lobi, signifie un abandon de tout ce qui aurait une
connexion avec le démon ou l'ancienne voie. Il ou elle tient à marquer une
nette séparation entre l'ancienne et la nouvelle voie. Cette volonté ne lui
tombe pas du ciel. Quoi qu'on dise, la tendance du chrétien lobi à tracer une
ligne de démarcation entre l'ancien et le nouveau est un acquis culturel dont
le pro est en partie responsable. En effet, de retour du village du joro, l'initié
ne doit plus se préoccuper des anciennes choses. Le faire serait enfreindre un
interdit. Or, tous savent ce qu'il en coûte d'être fautif des interdits du joro.
Cette tendance suit le Lobi partout, car dans ce contexte, nul ne peut se
départir à bon compte de son patrimoine culturel. Sans peut-être le savoir, le
chrétien lobi se sert des référentiels culturels pour comprendre l'enseignement
chrétien et vivre son christianisme.
En outre, sa décision de changer de voie est tactique. L'auteure du
chant ci-dessus raconte en fait ce qui l'a poussée à se convertir. Le contexte
est une situation de crise où elle s'est sentie abandonnée, sans soutien. Dans
un autre chant elle dit ceci : « J'ai une famille maintenant, que Jésus en soit
loué. » Elle traduit la situation de beaucoup de chrétiens protestants lobi qui
se tournent vers le christianisme. Une situation de désespoir ou de déception
pousse plusieurs à accepter l'Évangile de Jésus Christ. Bien qu'ils risquent
l'incompréhension des proches, ceux qui se donnent au Christ l'ont fait parce
qu'ils sont convaincus qu'ils trouveront quelque chose de mieux. Même dans
ce cas, la culture est pour quelque chose. La tradition est marquée par des
dispositifs propices à la volonté de faire appel à tout esprit protecteur. En
430 Yuorinsaun KAMBOU, « Je fais appel à Jésus », Nous avons traduit la version originaleorale qui est en birifor.
265
effet, chez les Lobi, il y a plusieurs esprits protecteurs, et chacun peut se
confier à l'esprit qu'il estime approprié et capable de lui venir en aide dans sa
situation particulière. Il faut cependant se garder de faire appel à deux esprits
incompatibles en même temps.
Même si le joro ne peut être assimilé à ces situations de crise, il est clair
que son rejet par les chrétiens tient beaucoup plus aux risques qu'il
comporte. 70 % des intervenants soulignent les dangers encourus pendant
l'initiation. Les risques d'enlèvement (E001FL, §12 ; E002FL, §12 ; E004HB,
§7 ; E007FB, §14 ; E010FL, §41), les circonstances éprouvantes (E001FL, §7,
9, 18 ; E002FL, §19 ; E005FL, §34), et le fait qu'on est facilement mis à mort
(E001FL, §8 ; E003HL, §12 ; E005FL, §6 ; E009HL, §8) caractérisent, non
seulement la période de la grande marche, mais aussi celle des différents
rituels. En choisissant de devenir chrétien, le Lobi initié ne fuit pas ces
risques, puisqu'il les a déjà surmontés ; mais il traduit sa liberté de choix
religieux et son ouverture aux changements, pourvu qu'il soit convaincu des
bénéfices qu'il pourrait en retirer. En changeant de voie, il se soustrait
désormais des interdits du joro et devient « libre de sa liberté » ; car subir les
épreuves du joro avec succès c'est acquérir sa liberté.
1.3. Similitudes
Si les chrétiens protestants sont très peu enthousiastes du joro, nos
répondants sont à 90 % d'accord qu'il existe des ressemblances entre la « voie
des ancêtres » et la « voie de Dieu » comme ils le disent. Les entrevues font
référence aux sacrements, à la catéchèse, à l'éthique et au caractère ecclésial.
Les sacrements touchent le baptême et la dation de nouveau nom. E003HL
résume cela en ces termes :
II y a des éléments qui étonnent, surtout si tu es chrétien et que tucompares ce qui se passe au joro avec ce qui se vit dans la marchechrétienne. Il y a deux choses pour lesquelles je me demandecomment cela a pu arriver. Il y a le baptême, je ne sais pas ce qui aamené les ancêtres à voir la nécessité d'un baptême. L'autre choseest le changement de nom qui atteste de la nouvelle naissance. Je
266
ne sais pas comment ils ont réussi à savoir qu'il y avait une nouvellenaissance, puisqu'ils interdisent de parler des anciennes choses.Ainsi, l'ancien nom ne doit plus être prononcé, les objets laissésavant d'aller au joro ne doivent plus préoccuper l'initié. Quand ilsvont au village du joro, ils tiennent pour acquis qu'ils vont à larencontre de ce qui est d'une très grande importance, ce qui estparfait et exige de leur part, une préparation très sérieuse. Ainsi,celui qui a des différends avec quelqu'un, doit se réconcilier, toutréparer avant de s'engager dans le pèlerinage. (§20)
Aspersion et baignade sont liées dans le rite du bain. Les néophytes
sont d'abord aspergés par les anciens initiés et se lavent eux-mêmes par la
suite. L'action n'est pas unilatérale comme dans le christianisme où tout est
fait par l'officiant. Officiants et néophytes au joro travaillent ensemble pour
que l'initié suive les traces aquatiques des ancêtres. Aucun de nos répondants
n'a fait mention de formules pendant le bain. Toutefois, d'après Joseph-
Antoine Kambou, pendant ce rite, un prêtre local implore le fleuve d'accepter
ceux qui sont en train de se baigner en son sein431. Ce bain au fleuve marque
un nouveau départ, c'est pourquoi il faut un nouveau nom à l'initié. Ce
dernier renonce non seulement à son ancien nom, mais aussi à tout objet qui
lui appartenait avant l'initiation. Une nouvelle vie commence et l'initié doit
tout réapprendre, d'où la nécessité d'être enseigné afin de connaître les règles
qui s'attachent à ce nouvel état.
Comme dans le christianisme, un temps d'éducation est réservé aux
initiés. Bien que tout au long du parcours initiatique des instructions soient
données, il existe un temps spécialement réservé pour la transmission des
savoirs. Généralement, cela se passe lors de la retraite. E003HL souligne
qu'au village du joro, il n'y a pas d'enseignements à proprement parler, mais
qu'au bois sacré, les moniteurs dispensent des enseignements (§24, cf.
E006FB, §36). E002FL compare la manière dont ces enseignements sont
donnés à l'approche chrétienne qu'elle connaît. Pour elle, « la façon dont on
insiste sur les commandements de Dieu, c'est ainsi qu'on insiste sur les
431 Joseph-Antoine KAMBOU, « Histoire d'un rite de passage. Le Joro lobi » dans Imagesd'Afrique et sciences sociales. Les pays lobi, birifor et dagara. Paris, Karthala/ORSTOM,1993, p. 366.
267
commandements du joro. » (§31 ; cf. E003HL, §22 ; E006FB, §36)
L'enseignement est plutôt légaliste et vise surtout la manière de se comporter.
C'est pourquoi l'essentiel porte sur les règles de pureté sexuelle et la
transparence. Pour ces anciens initiés, l'éthique sexuelle se retrouve aussi
bien dans l'initiation lobi que dans les enseignements chrétiens. E005FL fait
le commentaire suivant :
Quand tu connais Dieu, tu ne dois plus courtiser les femmes à toutde bout de chemin. Si tu veux faire la volonté de Dieu, tu ne doispas succomber à la convoitise sexuelle ; il en est de même au villagedu joro. Quand on est là-bas, l'homme ne doit pas convoiter unefemme et la femme ne doit pas convoiter un homme. C'est un péché.Comme cette loi se retrouve dans le christianisme et dans le joro,elle peut constituer un élément de comparaison. (§24, cf. E008HL,§26 ; E010HL,§37)
Outre les aspects liés aux sacrements, à l'enseignement et à l'éthique,
les répondants ont relevé la dimension communautaire. Chez les chrétiens
protestants, des conférences annuelles sont régulièrement organisées à
l'approche de la fête de Pâque, et rassemblent les chrétiens lobi venant de
divers horizons. Les non-chrétiens assimilent ces grandes rencontres au joro.
E008HL en témoigne.
Quand nous allons à nos conférences annuelles, ils disent que notrejoro est aussi arrivé, que nous nous rejoignons ; car comme eux,nous apportons de quoi nous nourrir et des couchettes. Chez eux,ces couchettes sont destinées aux grands, les enfants se couchent àmême le sol ; c'est à leur retour qu'on leur donne des nattes au boissacré. Quand ils nous voient allant à la conférence, ils disent que letemps du joro des adorateurs432 de Dieu est venu. Ils ont fait unecomparaison avec ce qu'ils font. Une fois de retour de la conférence,ils m'ont abordé et ont voulu me faire comprendre que nosconférences étaient notre joro. Alors j'ai répliqué en leur disant ceci :oui, nous étions à notre joro, seulement, nous, nous avions invité lecommandant, les chefs de services, les encadreurs (agents del'agriculture) et aucune personne n'est décédée là-bas. Si vous, vousallez à votre joro, il ne faudrait pas que quelqu'un y meure ; ils sesont dispersés sur le champ en disant que j'étais en train de briserleur tête, de les tuer. (§18 ; cf. E009HL, §19)
432 Littéralement, ceux qui saluent de Dieu.
268
E010HL renchérit en ces termes : « L'aspect de regroupement est un
élément important, car on remarque que les gens viennent de partout, de loin
comme de près pour se rassembler. Dans le joro des gens quittent Bouna en
Côte d'Ivoire, pour se joindre à ceux d'ici afin de former le cortège pour le
pèlerinage. Il en est de même des conférences chrétiennes, les chrétiens
viennent de partout pour se rassembler. » (§29) L'atmosphère des
rassemblements avait en effet quelque chose de spécial. Après chaque
homélie, des personnes s'avançaient pour des confessions et demander la
prière. Cette attitude ne serait-elle pas des réminiscences de la grande
initiation ?
1. 4. Évaluation
La perception des chrétiens protestants du joro est fondamentalement
négative. Les conflits entre d'anciens initiés convertis au christianisme et les
maîtres d'initiation témoignent d'un désintérêt total des premiers pour la
grande initiation lobi. L'enseignement chrétien leur a fait comprendre,
directement ou indirectement, que cette institution sociale est une œuvre du
diable. Comment pouvait-il en être autrement ? Certaines pratiques du joro
laissent en effet voir ses liens occultes. Or l'enseignement biblique s'élève
contre tout occultisme. Les sacrifices et les expériences paranormales sont
autant d'éléments qui repoussent les chrétiens lobi. Mis à part ces aspects
spirituels, certaines pratiques pendant l'initiation sont rétrogrades du point
de vue de l'homme du XXIème siècle. Faire boire de l'eau fangeuse, enlever des
enfants, laisser mourir des personnes sans leur prodiguer les soins
nécessaires constituent la « main tremblante » du joro.
Même si le chrétien protestant lobi est respectueux de sa culture, nos
entretiens nous ont montré qu'il fuit tout ce qui a trait à la grande initiation.
Cependant, pour qui observe bien, il saute aux yeux que ce dernier vit sa
chrétienté en puisant, - du moins, pour celui qui est passé par l'initiation -,
ses outils d'interprétation de la vie spirituelle dans le fond traditionnel
émanant du joro. Le caractère légaliste des prédications en témoigne. En
milieu protestant, on parle souvent de jofu (littéralement loi ou
269
commandement). La plupart des messages bibliques est souvent axée sur
l'éthique, sur ce qu'il convient de faire ou ne pas faire. Cette approche est plus
concrète que l'explication des doctrines. Cela ne veut pas dire qu'il est inutile
ou impossible de dispenser des enseignements sur les vérités fondamentales
de la Bible ou sur les données dogmatiques historiques. Il faut que la doctrine
biblique soit exposée le plus clairement possible, mais quelle doctrine ?
Quand on sait que les élaborations dogmatiques sont situées dans des
contextes précis pour répondre à des questions précises, il va de soi que le
Lobi souhaiterait que les questions de son vécu quotidien soient prises en
compte dans l'effort de transmission de la doctrine. Le symbolisme du joro
peut être d'une grande utilité, et contribuer à une telle tâche.
2. Le symbolisme du joro
L'étude du joro fait apparaître quatre composantes importantes qui
interagissent dans la construction de la vie des Lobi. Ces composantes
proviennent du monde humain, animal, végétal et aquatique/terrestre. Pour
saisir leur importance et les rapports qu'elles entretiennent pour l'éducation
traditionnelle lobi, nous allons nous servir de trois clefs de lecture prenant en
considération l'élément symbolique, ce à quoi il fait référence et la réalité dont
il représente une trace. Nous suivrons un mouvement qui part du concret au
moins concret.
Tableau VIII-2 : Structure symbolique du joro
Réalité• •• • ••
Maison dupatriclan
Ancêtre
Humaine
Bœuf
Animal
Faunique
Feuilles
Plante
Floristique
Eau sacrée
Fleuve/Terre
Aquatique /Terrestre
CULTURE- NATURE - ESPRIT
270
2 . 1 . Symbolique liée à la maison
L'éducation lobi place l'humain et son environnement au centre de son
projet. Celui-ci est symboliquement représenté par le cokôtin (grande maison
du patriclan) devant laquelle ont lieu les rassemblements pour les rituels
d'intégration des membres du patriclan. Cécile de Rouville résume ici le
processus mis en œuvre.
D'abord membre d'une unité agnatique minimale (thi kuon), l'enfantest intégré dans le sous-patriclan (kuon leri) paternel par un riteexécuté quelques jours après sa naissance. Il n'est alors qu'unmembre potentiel du patriclan (kuon) de son père, dans lequel il seraincorporé complètement à son adolescence, après avoir subi les ritesinitiatiques du gyoro*33.
La maison en général est non seulement l'abri du corps physique, mais
aussi celui de l'esprit, c'est pourquoi il est presque obligatoire pour toute
personne de retour d'un voyage ou d'une promenade de rentrer
immédiatement dans la chambre ou au salon pour que son esprit retrouve sa
Photo VIII 1 : Maison lobi
Source : Cliché de Giovana Antongini et Tito Spini, in Fiéloux et. al. 1993 p. 143
place. Elle est le lieu de la parenté horizontale et verticale où tous ceux qui y
naissent sont sous la protection d'un esprit. Dès lors, la place centrale du cuor
433 Cécile de ROUVILLE, op. cit. p. 173-174.
271
(maison) et du cokôtin (grande maison) dans les séquences du joro symbolise,
non seulement une parenté locale ou régionale, mais aussi une parenté
nationale voire cosmique.
Cette parenté dépasse le visible pour pénétrer l'invisible, elle dépasse le
présent et comprend le passé et le futur. Signe spatio-temporel, la parenté
symbolisée par le cuor est le lieu où les ancêtres, de leur regard veillent sur la
descendance. Dans le cadre du joro, la. grande maison représente
symboliquement la société lobi dont elle tente de préserver les valeurs et la
cohésion. Elle accomplit cette mission à travers la perpétuation des rites de
purification et le rappel de la route qu'ont suivie les ancêtres. Par dessus tout,
le cokôtin est le lieu où lejûkuma apprend à devenir un jorbi, (l'enfant du joro).
Il se présente comme un espace d'actualisation du sujet, de dynamique pour
une identité communautaire en terme de socialisation dans une conception
holiste. Car il s'agit ici d'intégrer et d'assumer les valeurs et les normes
ancestrales respectueuses des êtres célestes, terrestres et aquatiques. La
formation en initiation commence par une connaissance de ses racines, de
son milieu de vie, non pas pour transformer ce milieu sauvagement, mais
pour s'y conformer et inscrire sagement les particularités propres à le
construire harmonieusement.
Une telle approche s'enracine dans les valeurs du passé pour mieux
comprendre le présent. Certes, le risque de se réfugier dans le passé est un
réel danger dans le joro, et cela peut être préjudiciable au progrès. Toute
ouverture au changement est difficile, mais non impossible. Il y a eu déjà une
scission dans le joro et rien n'empêche de rêver à une version du joro qui
saura mieux relever les défis de la modernité. Les initiés lobi devenus
chrétiens ne pourraient-ils pas contribuer à transformer la vision passéiste
fermée du. joro pour une vision beaucoup plus large ?
2. 2. Symbolique liée à l'espèce animal
La socialisation se fait aussi dans un certain climat en communion avec
l'espèce animale. Le rhombe sacré qui émet du bruit comme celui d'un fauve
272
symbolise la terreur, la force brutale, et entretient un climat d'angoisse et de
violence dans la formation du jorbi. Labouret explique cette terreur en faisant
référence à la Bête434 dont il est souvent question à l'initiation. Joseph-
Antoine Kambou s'y réfère en la désignant par le pronom « II »435. Cécile de
Rouville parle de la « Chose »436. Nos répondants parlent de « bruit » (E004HB,
§8 ; E005FL, §3 ; E006FB, §2 ; E007FB, §12 ; E009HL, §10). E006FB et
E007FB comparent ce bruit à celui d'une hyène. Comment pouvait-il en être
autrement, car la naissance, autant que la mort en milieu lobi ne se vivent
que dans un climat d'angoisse. Or dans le joro, il ne s'agit pas d'une simple
naissance, mais d'une re-naissance qui passe par l'acceptation de mourir. Si
cette mort est généralement symbolique, il arrive qu'elle devienne réalité ; c'est
pourquoi le néophyte est sommé de se revêtir d'un esprit d'anéantissement, de
jouer le tout pour le tout. Comme dans le contexte lobi, la naissance peut
donner un être vivant ou un être mort-né. Ainsi en est-il de la renaissance au
joro. Le néophyte peut y laisser sa peau ou la sauver. Cela explique en partie
la raison pour laquelle le processus initiatique lobi se passe dans un climat de
violence et surtout d'angoisse. Toutefois, la référence à l'animal n'est pas que
représentation effrayante propre à éloigner, car l'animal, autant qu'il est un
être sauvage, est aussi un être de proximité.
Les sacrifices de volailles et autres bêtes, montrent combien le sort du
Lobi est lié à celui de l'animal. Peuple éleveur, les Lobi vivent avec les poules
dans la même maison où des places leur sont spécialement réservées. Il en est
de même des bœufs qui sont souvent utilisés pour les sacrifices de grande
envergure. Ces animaux qui servent aussi à payer les amendes constituent un
élément des facteurs d'échanges dans la société. Les bœufs servent à payer la
dot des femmes qui sont des opératrices économiques de taille dans la société
lobi. Conquises au moyen des bœufs, les femmes produisent et font rentrer de
l'argent qui sert à acheter les bœufs. Dans la tradition, si vous n'aviez pas eu
à payer la dot de votre femme, vous n'avez aucun droit de réclamer la dot de
« 4 Henr i LABOURET, op. cit. p . 4 2 5 - 4 2 6 .435 J o s e p h - A n t o i n e KAMBOU, « a r t . cit. » d a n s Michèle FIÉLOUX, et. al. [dir.], op. cit., p .362, 366.436 Cécile de ROUVILLE, op. cit. p . l 9 0 .
273
sa fille pour vous. Par contre si quelqu'un avait payé trois bœufs pour sa
femme, il a le droit de demander au-delà de trois bœufs pour la dot de sa fille.
Père a vu juste quand elle place le bœuf dans le circuit de l'économie de
reproduction437.
Mis à part cette fonction économique du bœuf, sa relation avec les
enfants démontre la symbiose entre l'humain et l'animal dans l'univers lobi.
Les troupeaux de bœufs sont généralement conduits par des enfants qui les
mènent dans la brousse et restent avec eux toute la journée. Ils veillent à ce
que ces animaux paissent bien et en retour ils partagent avec les veaux le lait
des vaches qui ont mis bas. Ces enfants qui sont appelés nakena (bergers)
remplacent symboliquement les bœufs pendant le joro, étant donné que leurs
accompagnateurs, les initiés de la dernière promotion sont appelés nakena.
Les candidats à l'initiation seraient ainsi assimilés aux bœufs438, et comme le
bâton du petit berger lui permet de conduire le troupeau, de même, les
cravaches des nakena contribuent à maintenir l'ordre et le respect parmi ces
bouviers dans la peau des bœufs, que les rites du joro aideront à s'en
débarrasser.
Photo VIII-2 : Enfants trayant une vache
Source : Cliché de Bozi Somé 1964 dans Fiéloux, (1993) p.262
437 Madeleine PÈRE, op. cit. p. 194-195.«s Ibid. p. 240.
274
2. 3. Symbolique liée à la terre et aux eaux
Ce dépouillement médiatisé par le thii (la terre) introduit le rôle de la
terre dans la formation dnjorbi. Dans les rites du joro, les initiés sont souvent
marqués ou badigeonnés de boue. En général, la terre est considérée comme
l'épouse de Thâgba (Dieu) qui par la pluie, sa semence, féconde cette épouse
de laquelle émanent les produits agricoles qui sont nécessaires à la survie des
hommes. Toute offense à la terre est une offense à Thâgba, et c'est de la bonne
relation avec celle-ci, que dépendent l'abondance des moissons et la fécondité
générale du groupe local439. C'est pourquoi, comme le relève Père, il ne faut
jamais verser du sang humain sur la terre de façon injuste ni commettre l'acte
sexuel à même le sol ou en brousse440.
Avant de passer à la cérémonie de consécration, les candidats sont
appelés à se coucher à même le sol comme pour faire mémoire du sein
maternel d'où ils sont sortis. Couchés à plat ventre sur la terre autour du trou
contenant la boisson sacrée, les jâkuma boivent le liquide de vie appelé ils
(lait), qui les introduit désormais dans le monde des jorbi. C'est également
dans cette position qu'ils sont dépouillés de toutes leurs parures pour qu'ils
soient complètement nus, état qui rappelle leur première naissance et marque
la nouvelle. Cette nouvelle naissance traduit l'union à la terre nourricière,
instant pendant lequel la mère utérine s'efface devant la Mère nourricière et le
patriclan. Tout se passe comme si l'on voulait faire passer le jâkuma dans une
autre dimension d'existence. Ainsi, après le dépouillement qui symbolise la
rupture avec le passé, le jorbi se relève pour entrer dans une nouvelle vie.
L'une des cérémonies qui consacre cette naissance à nouveau est celle de la
dation du nouveau prénom. Pendant ce rite, l'initié fait un trou à l'aide d'un
caillou, y crache un cauri de sa bouche, y dépose ses cheveux, et les recouvre.
Désormais, nul ne doit l'appeler par son ancien prénom sous peine d'amende.
Dans le joro, le contact avec la terre est un élément qui permet de se
rapprocher de la nature, en d'autres termes, des vraies origines. Les
«9 Cécile de ROUVILLE, op. cit., p 111-112.44°Madeleine PERE, op. cit., p. 390.
275
cérémonies faites dans le fleuve entrent dans cette même optique. Père se
demande même si le culte des fleuves ne prolonge pas celui de la terre441. En
effet, le fleuve qui est appelé Miir est lié historiquement à la traversée des
ancêtres pendant leur migration du Ghana à la Haute Volta, actuel Burkina
Faso. Il représente l'espèce aquatique qui symbolise la semence divine qui
féconde la terre. Ainsi, symbolise t-il la présence de Thâgba (Dieu) et rappelle
t-il celle des ancêtres. Les aspersions et les baignades dans le fleuve sont
autant d'actes rituels qui traduisent le désir de communion avec les ancêtres
et Thâgba. C'est l'espace de transition entre l'au-delà et l'en deçà, entre
l'origine et la destination, le d'où vient-on et le où va-t-on. Il faut relever
cependant que pour le Lobi, origine et destination se fusionnent, car tout tend
vers l'origine, ultime destination de l'homme. Entre le départ et l'arrivée se
situe le temps de pèlerinage ici-bas, dans lequel on s'engage par la traversée
des eaux. Les Lobi n'ont pu occuper leur espace actuel qu'en traversant les
eaux, et ils le quittent aussi par le même mouvement. Ils croient qu'après la
mort, il faut nécessairement traverser le fleuve pour aller au village des morts.
C'est pourquoi, lorsqu'il ne pleut pas, le Lobi conclut qu'il y a des gens qui
n'ont pas pu traverser, et qu'il est urgent d'offrir des sacrifices pour les aider.
Car on ne peut rejoindre le village des ancêtres qu'en traversant le fleuve.
Un autre élément important lié aux eaux est le cauri. Ce coquillage qui
sert de monnaie, sert également de parure au jorbu Ceci connote une fois de
plus le désir du joro de mettre l'initié en contact avec les éléments de la nature
pour l'harmonie des hommes et de leur environnement physique et spirituel.
Ce contact recherché avec la nature s'exprime également dans le port des
feuilles pendant l'initiation. Culturellement, les feuilles font partie des
accoutrements pour se vêtir. Éléments de pudeur et de dissimulation, les
feuilles servent surtout à couvrir la nudité de la femme. Elles occupent
également une place de choix dans l'alimentation et les soins corporels, et ont
une fonction médicinale. Dans l'initiation du joro, elles rappellent les
habitudes vestimentaires des ancêtres, mais également leur rapport à la flore.
441 Madeleine PÈRE, op. cit., p. 208-209.
276
2. 4. Symbolique de la mort-renaissance
Tous ces rapports du Lobi avec l'Homme, l'Eau, la Terre, le Végétal et
l'Animal s'incrustent dans la vision d'un monde global dont le poumon est le
Spirituel, principe qui maintient et anime toute vie. C'est à cause et par le
Spirituel que les interactions et la cohésion sont possibles, et qu'on peut
comprendre le passage du concret au moins concret. Sans cela il serait
difficile de faire le lien entre les vivants et les morts-vivants, puisque pour bon
nombre d'Africains, ceux qui sont morts ne le sont pas442. Ils vivent
autrement, sans qu'il ne soit nécessairement question de réincarnation. Ils
peuvent se manifester à travers les éléments de la nature et un nouveau-né
peut porter quelques traits d'un parent décédé.
Pour le Lobi il y a une symbiose entre lui et son environnement, car il
existe une âme (force qui anime la vie) en toute chose. Pour illustrer ceia,
nous rapportons ici un fait que nous avions vécu auprès d'un frère. Celui-ci a
fait la deuxième guerre, et a connu la vie en Occident. Un jour, nous l'avions
visité, et pendant que nous nous entretenions sous un arbre près de la
maison, voici qu'un tourbillon se dirige droit vers nous. Le grand frère arrête
notre causerie et se met à s'adresser au tourbillon en ces termes : « notre père
t'a vu, retournes d'où tu es sorti. » À notre grand étonnement, le tourbillon
changea de direction. Alors il me dit : « Se (c'est notre prénom Sié), je sais que
toi tu n'es pas dans notre travail443, mais quand je ferai le sacrifice au père, je
lui dirai de t'accompagner là où tu iras et de t'aider dans ton travail. » En tant
que chrétien évangélique nous étions gêné et il n'était pas facile pour nous de
faire comprendre au grand frère que ce sacrifice n'avait pas de sens pour
nous. Pour être poli, nous l'avons rassuré que Dieu saura nous garder. Cet
incident permet de saisir combien cette vision du monde est intimement liée à
l'anima (âme), composante nécessaire pour les échanges entre tout ce qui
existe dans l'univers lobi.
442 Birago DIOP, « Souffle », dans Leurres et lueurs, 3é édition, Paris, Présence africaine,1981,87 pp.443 II voulait parler des actions liées aux sacrifices à offrir aux mânes des ancêtres.
277
C'est le monde spirituel qui anime et la nature et la culture. Il est à la
source de ce qui permet d'appréhender la nature pour qu'émerge la culture, et
pour que de la culture on rejoigne la nature pour enfin atteindre le monde de
l'Esprit en tant que trace de la réalité vécue dans l'expérience humaine. Dès
lors, Esprit, Nature et Culture interagissent pour la destinée humaine. Ces
interactions ne peuvent être saisies que par le processus initiatique dont le
joro se veut garant. Ce processus s'insère dans un mouvement de naissance et
renaissance, les deux étant liées par un état transitoire qu'est la mort.
Illustration VIII-1 : Mouvement chiasmique de filialité jars
NAISSANCE RENAISSANCE
MORT
La naissance est intrinsèquement liée à la femme, elle constitue le
commencement de toute vie, et c'est grâce à la femme que ce soubassement
est possible. Serait-ce pour cette raison que, dans la tradition, le Lobi donne
la primauté au lignage de la femme ? Pour cette société matriarcale, la femme
fut la première à être créée ; elle s'appelait Yéri444. Elle était intelligente et
grande (digne d'honneur). À elle, Thâgba indiqua les noms de toutes choses et
lui enseigna la langue lobi (le lobiri). Elle, à son tour, apprit à l'homme à
parler. Celui-ci s'appelait Sié et n'était pas aussi intelligent que Yéri445. En
revanche, les mythes lobi sur les rapports de Thâgba et de l'homme, montrent
444 Yéri es t le n o m q u e reçoit toute fille aînée d 'une femme chez les Lobi.445 Nous a v o n s a d o p t é la vers ion q u e rela te Cécile de ROUVILLE, op. cit., p . 140.
278
que là aussi la femme tient la tête, car elle est rendue responsable de la
rupture de communion entre Thâgba et le Lobi et cela, pour une question de
nourriture446. L'un des mythes raconte qu'il était très facile d'obtenir la
nourriture de chaque jour ; mais à cela était lié un interdit qu'il fallait
observer scrupuleusement. Un jour, une femme qui venait d'accoucher et
ayant très faim n'avait pas pu observer l'interdit, ce qui fut alors fatal pour
l'humanité.
Il serait certainement hasardeux de conclure que cette mésaventure a
permis à l'homme de retirer la primauté à la femme. Car le mouvement
chiasmique dans l'initiation du joro suggère une vision plus globale. Par les
rites du joro, le Lobi meurt pour renaître, et cette fois, ce n'est plus la femme
qui est la vedette, mais l'homme. Partant du produit du sein maternel,
l'homme le modèle, lui fait subir une sorte de kénose par les différents
dépouillements auxquels il le soumet. Cela entraîne la mort symbolique,
passage sine qua non pour renaître, non uniquement dans le clan de la
femme, mais cette fois-ci, dans celui de l'homme. Dès lors, l'initié devient un
être achevé et en voie de parachèvement. Il est achevé car il a atteint le
dernier point de son identité d'ici, il est parvenu à la conjonction du féminin et
du masculin, cependant il est un être en migration vers le pays des morts-
vivants. C'est quand il aura atteint cette destination qu'il sera un être
parachevé et aura ainsi atteint l'ultime lieu de sa naissance. Il faut toutefois
souligner qu'atteindre ce lieu ne dépend pas nécessairement de la renaissance
manifeste dans le patriclan. Même si l'initiation du joro vise ce processus pour
tous, la société qu'elle construit représente symboliquement tous les Lobi,
donnant à chacun l'occasion d'actualiser ce qu'il est potentiellement. C'est ce
qui explique la prétention du joro à réguler la société et aussi son approche
holiste.
Cette approche holiste donne l'impression que très peu de place est
laissée à l'individu. Ce dernier est soumis à une identité que la société
construit pour lui. Ainsi, l'éducation qui sert à réaliser cette identité passe par
446 Pour la rupture nous avons recueilli les informations auprès de KAMBOU D. Luc duvillage de Holi et auprès de plusieurs jeunes lors d'un camp de vacance en Août 1986.
279
des normes et des valeurs qui lui semblent étrangères et imposées de
l'extérieur. Dans une telle approche, l'individu ne trouve sa place que par un
processus d'assimilation, en ce sens qu'il perd toute spécificité propre pour
vivre l'image que le groupe lui impose. Une violence est faite sur lui en vue de
le modeler à l'image de la société, car il se présente comme un être qui subit,
celui qui doit s'effacer devant la cause générale, et éviter toute forme de
velléités personnelles. La communauté prime sur l'individu, le domine et le
contrôle, du moins c'est la première impression que l'initiation du joro donne.
Si en effet, le joro donne l'impression d'un holisme opposé à
l'individualisme, il conviendrait de clarifier certains points pour une meilleure
compréhension de la situation. Tout d'abord, la société traditionnelle lobi est
une société qui refuse les inégalités sociales. Lorsqu'un individu commence à
s'élever au-dessus de tous, surtout par sa richesse, d'aucuns s'arrangent pour
régler son compte, soit en le dépossédant de ses biens, soit en l'éliminant
physiquement. Cela arrive lorsque l'individu se montre arrogant et peu
disposé à partager sa richesse. C'est une sorte de nivelage social. Que cela
soit inacceptable pour la société d'aujourd'hui, nous n'en disconvenons pas.
Toutefois, il importe d'être sensible à chaque contexte avec sa perception de
l'organisation sociale, non pas dans un esprit de jugement mais dans une
attitude d'ouverture pour en saisir les enjeux.
Si, au joro, le Lobi est amené à se soumettre à une structure qui semble
l'englober, cela est dû justement à son individualisme manifeste. Il n'est pas
rare d'entendre un Lobi dire : « je ne mange pas chez toi ». Quand il lance une
telle parole, il veut signifier son absolue indépendance. Tout en concédant à
l'individu un espace d'autonomie dans la société en général, le joro se donne
comme espace de régulation de cette autonomie. À première vue on croirait
qu'il est totalitaire, mais il se présente ainsi afin de régler une situation
sociale ou, en d'autres termes, pour servir de voie d'équilibration. C'est
pourquoi, il laisse six ans aux individus pour faire plus ou moins ce qu'ils
veulent et leur demande deux ans d'apaisement en vue de purifier toute la
société, question de remettre les pendules à l'heure. Ainsi accorde-t-il aux
280
individus une liberté contrôlée. Cette approche serait-elle un frein à la
prétendue autonomie de l'homme du XXIéme siècle ?
À voir de près, le holisme du joro est loin de s'opposer à l'autonomie des
personnes, il la sert plutôt. Si cela n'était pas le cas, comment comprendre la
scission dans cette importante institution de formation ? Nous avions relevé
qu'il y a deux types de joro, celui des pabulodara et celui des gôgôdara. Si le
joro ne laissait pas de place à l'individu d'une certaine façon, (liberté
contrôlée) il serait difficile qu'une chose pareille arrive. Des individus ont
certainement cherché à innover et cela a donné une autre institution. Tant
que la traversée pour l'autre bord ne sera pas consommée, le joro connaîtra
d'autres changements. Car, quand le Lobi et son milieu prendront davantage
conscience que l'homme et sa culture se nourrissent mutuellement et qu'ils
sont pris, non seulement dans un processus d'acculturation, mais aussi dans
celui de l'accommodation, il pourra en ce moment transformer le visage de ses
institutions pour en ôter certaines scories, afin de construire un univers plus
pacifique, heureux et convivial. Aussi pourrait-il contribuer à repenser les
approches éducatives nouvelles en milieu lobi par sa spécificité.
3. Spécificité du processus initiatique
L'éducation à la foi, en raison des différents déplacements qui marquent
son histoire, explore de nos jours, plus que jamais, les possibilités que peut
lui offrir la notion d'initiation. À ce titre, le joro qui est une importante
institution d'initiation chez les Lobi, peut être pour elle un interlocuteur non
négligeable. Même si le mot initiation ne se lit pas noir sur blanc dans la
Bible, il n'en demeure pas moins que la réalité qu'elle vise est très présente
dans les Saintes Écritures. Nous avons montré que cette réalité est axée sur
une situation éducative qui met en œuvre des acteurs, des institutions, des
démarches et des finalités.
Une lecture de l'impératif missionnaire permet de mettre en évidence
des indicateurs qui touchent ces différentes composantes de la situation
281
éducative. Le tableau ci-dessus récapitule les points d'ancrage entre
l'approche biblique de la formation du disciple et celle du joro.
Tableau VIII-3 : Tableau comparatif du joro et de l'initiation chrétienne
ACTEURS
INSTITUTIONS
FINALITÉ
DÉMARCHE
Formation du jorbiMaître d'initiationMoniteursParentsNéophytesPatriclansGroupes promotionnels
Transformation- Filialité
Intégration sociale
PèlerinageRitesTransmission dessavoirsAccompagnement
Formation du discipleJésus le MaîtreDisciplesNations
ÉgliseDifférentes confessionschrétiennesTransformationFilialitéIntégration ecclésiale
PèlerinageRitesTransmission dessavoirsAccompagnement
Pour la dimension « Acteurs », apprenants et maîtres occupent les
mêmes fonctions dans deux registres bien différents, l'un étant
anthropologique et l'autre théologique. L'initiation du joro se veut d'abord
ethnique alors que la formation du disciple a une visée universaliste. Certes,
le joro se limite à l'homme lobi mais, symboliquement, c'est l'homme tout
court qu'il vise ; c'est la raison pour laquelle il ouvre ses portes aux étrangers
sans aucune prétention de prosélytisme. Il vit ce qu'il croit dans la plus
grande discrétion, laissant aux autres la latitude d'en juger. Dans sa
démarche, il implique toute la cellule familiale et clanique, car toute initiation
requiert nécessairement la présence de l'autre. Cette présence se manifeste de
façon individuelle (chaque parent pourvoyant aux besoins des néophytes),
mais aussi de façon communautaire traduite dans la mise en place des
institutions.
Les institutions qui portent le projet éducatif du joro se limitent
géographiquement et sociologiquement. Elles sont situées dans les limites de
282
l'ethnie tandis que la formation du disciple s'étend à tous les peuples de la
terre. Les patrlclans, institutions principales qui portent les cérémonies du
joro, se donnent comme une expression locale du peuple lobi, où se côtoient
jorbi et jâkvma (initié et non-initié). La société joro, tout comme l'Église,
constitue chacun un groupe des mis à part avec ses différentes ramifications.
Cependant, si nous réduisons ces institutions à la seule dimension
sociologique ou anthropologique, nous ne faisons pas justice à la différence
qui les sépare. L'Église n'est pas uniquement une institution sociale, elle
constitue les traces de la réalité du Christ dans le monde, et s'exprimant dans
chaque espace et à travers le temps. Les institutions initiatiques du joro
traduisent, quant à elles, les traces de la réalité des ancêtres et de Thâgba
(Dieu). Malgré ces différences, ces institutions visent des objectifs similaires.
Transformer l'individu pour l'introduire dans une relation filiale, telle
est la finalité de la formation du disciple et de l'initiation du joro. C'est d'une
identité dont il s'agit. L'identité recherchée n'est pas celle qui érige l'individu
pour le placer dans une solitude ou un individualisme privé. Elle construit un
individu « sociocentrique » et non égocentrique, qui se sent partie intégrante
d'un corps. Dans la vie chrétienne, la construction de cette identité, bien que
prenant en compte des aspects procéduraux humains, est essentiellement
l'œuvre de l'Esprit Saint en chacun des disciples. Dans le joro, il se déploie un
ensemble de voies et moyens humains pour faire passer le jâkvma à l'état de
jorbi. C'est à juste titre que Raymond Lemieux définit le travail d'initiation
comme « un ensemble de moyens et de procédures par lesquels un groupe
affirme et réaffirme périodiquement son identité447. » Ces moyens et
procédures que sont le pèlerinage, les rites, la transmission des savoirs et
l'accompagnement sont traduits du côté de l'impératif missionnaire et du joro
de diverses manières comme nous l'avons déjà développé.
Ces particularités de l'initiation nous amène à parler du « processus
initier » tout comme Houssaye parle de « processus enseigner », « processus
447 Raymond LEMIEUX, «Les relations en initiation chrétienne. Point de vue del'anthropologie» dans Gilles ROUTHIER (dir.), L'initiation chrétienne en devenir,Montréal/Paris, Médiaspaul, 1997, p. 51-60.
283
former » et du « processus apprendre ». Cette spécificité de l'initiation peut
s'opérationnaliser à travers les dimensions suivantes : l'objectif visé, la
procédure mise en œuvre et le médium privilégié (la parole).
3. 1. Objectif : une dynamique identitaire
Dans nos entrevues, nos questions ne faisaient pas directement
référence aux objectifs. Toutefois, l'analyse de celles-ci laisse apparaître des
indices à ce propos. Il en ressort une volonté de construire l'identité, de
transmettre des savoirs et d'avoir une certaine emprise sur la société lobi (cf.
graphique ci-après).
Graphique
/42% f
VIII-2
AA
: Les objectifs
w26%
du joro
H Construire l'identité• Transmettre des savoirsD Réguler la société
Sans les rites initiatiques du joro, il est difficile, d'après nos répondants,
de jouir de tous ses droits dans la société lobi. E008HL souligne que celui qui
n'est pas passé par le joro « ne peut pas entrer dans le cercle des Lobi, parmi
les gens qui ont été au joro. Il ne peut pas participer à leurs cérémonies, ni
danser leur danse. C'est comme s'il n'est pas Lobi, il lui faut aller au joro. »
(§20) E009HL renchérit : « si tu n'as pas été au joro, tu n'es pas encore Lobi,
puisque le but des cérémonies consiste à te donner ta vraie identité. » (§21)
Pour ces anciens initiés, acquérir cette identité élève au rang d'homme libre
284
(E009HL, §21 ; E010, §41), ce qui marque un nouveau départ, permet de
quitter l'état immature pour la maturité, quel que soit l'âge. La maturité chez
le Lobi est moins une question d'âge, car un petit enfant peut être considéré
comme mature et l'adulte non initié comme un immature. Même si l'enfant
peut être considéré comme mature, le Lobi est conscient que l'expérience et le
temps sont essentiels pour rendre cette maturité dynamique. C'est pourquoi,
dans le cadre des savoirs, aller une seule fois au joro ne suffit, il faut s'y
rendre plusieurs fois pour parvenir à une pleine connaissance des choses.
Cette connaissance qui est donc nécessaire à la construction de son
identité se transmet au joro. C'est elle qui permet de passer de l'état
d'ignorance à celle de la connaissance. E003HL commence son entrevue par
ces mots : « Pour nous les Lobi et Birifor, le joro est très important. Si tu n'es
pas allé au joro, il y a certaines choses que tu ne peux pas connaître ; même
si tu es un adulte, leur sens t'échappera et il ne te sera pas permis d'en
parler. » (§1) Les cérémonies du joro mettent l'accent sur ce passage de l'état
d'ignorance à celui de la liberté ou de la connaissance. Pour marquer ce
passage, les nouveaux initiés doivent démontrer à quel point ils sont
ignorants afin d'apprendre. E009HL explique :
On vous considère comme des nigauds. On peut vous donner unrécipient contenant de l'eau et vous demander de le porter sur latête, vous devez le porter de travers de telle sorte que l'eau serenverse. Ainsi, on vous montre que vous ne connaissez rien et onvous apprend la bonne manière de porter une jarre d'eau. C'est decette manière qu'on procède pour vous apprendre les choses ; sanscela, vous ne pouvez pas rejoindre le cercle des gens normaux.Quand vous rencontrez un enfant, vous le battez jusqu'à le jeter parterre, car on vous considère comme des nigauds. (§6)
II faut ajouter que la connaissance qui libère chez le Lobi est bien loin
de nos savoirs académiques. Cette connaissance est celle léguée par les
ancêtres qu'il convient de dynamiser. Elle est constituée de savoirs déclaratifs
et procéduraux. La transmission des savoirs vise la connaissance des
différents interdits et des bonnes manières (comportements) dans la société.
C'est pourquoi, tout ce qui s'apprend vise à réguler le milieu de vie (cf.
285
graphique VIII-2), sans avoir nécessairement une vision politico-
administrative.
Cette régulation vise à rendre le milieu social convivial. Le graphique
VIII-2 montre à quel point cet objectif est important et prédomine. Ce n'est
donc pas pour rien que la période du joro est appelée période de bonheur, di-
booyier (E009HL, §8). E003HL le confirme en ces termes :
Ce temps est aussi appelé di-boo yier448, car en ce moment certainscrimes sont strictement interdits, exemple le meurtre ; auparavantles gens ne tardaient pas à se flécher, mais quand arrive cettepériode, ils doivent arrêter toute hostilité. Le pays vit alors uneaccalmie et on peut se déplacer librement et partout sanss'inquiéter. (§2)
Cette période qui peut s'étendre sur deux ans (E003HL, §19), constitue
un moment de purification de la société à travers les razzias, la correction des
enfants insoumis et des réparations des forfaits et offenses. L'idée de
purification traverse toutes les cérémonies du joro. À chaque étape on s'assure
que tout mal soit dévoilé et réparé. Un an avant le pèlerinage, la société est
soumise à une sorte de catharsis, car nul ne peut se rendre au village du joro
avec un cœur impur. C'est pourquoi les Lobi réservent un temps de
préparation sérieuse avant le pèlerinage.
Les objectifs de régulation de la société, de construction de l'identité et
de transmission des savoirs montrent à quel point, le joro est essentiellement
un espace éducatif. Il vise moins une organisation politique de la société bien
que cela ne soit pas absent. En effet en cherchant à réguler la société sur le
plan moral, il y a là une gestion des affaires de la polis. Toutefois, la mission
première du joro se veut éducationnelle. Cette éducation prend en compte la
totalité de l'homme qu'elle cherche à construire à travers les rites, mettant en
interaction le Lobi d'aujourd'hui avec celui du passé, son milieu naturel et
l'environnement spirituel.
448 Littéralement, l'année du bon pays.
286
L'initiation est un « processus de formation qui permet la maturation et
la croissance d'un sujet par son intégration dynamique dans un groupe
social449. » Mvuanda va dans le même sens en y voyant une « dynamique de
croissance et de dépassement450. » Des aspects psychologiques et sociaux
ressortent de ces définitions. C'est pourquoi Villepelet parle d'autonomisation
et de socialisation. L'initiation vise l'humain dans son développement
psychologique et psychosocial en vue d'une dynamique identitaire qui
structure l'initié intérieurement et extérieurement. Elle met de l'ordre à
l'intérieur des dimensions cognitives et affectives de l'individu en les meublant
d'éléments susceptibles de lui permettre de s'appréhender en tant qu'entité
d'un corps, d'une communauté ou d'une société. Ces éléments orientent à
l'extérieur les interactions avec les autres à travers les représentations qu'ils
construisent. Ils sont constitués de paroles déposées au fond de l'initié, de
marques sur son corps (exemple : dents taillées), symboles du sceau
d'appartenance à une réalité immanente et transcendante au candidat.
L'individu se comprend à travers son appartenance à son groupe
promotionnel, mais aussi à son patriclan et à la tribu. Le nom qui lui est
donné permet de l'identifier comme personne portant une histoire, un récit. Le
nom fait généralement référence à des faits ou à des événements ayant
marqué la vie de celui qui l'a donné. Il constitue un signe de différenciation et
de relation, car il nomme pour marquer une différence entre celui qui porte le
nom et les autres ; mais conjointement, il fait partager la vie de celui qui l'a
proposé. Dès lors, le nommé ou la nommée récapitule l'histoire de tous ceux
qui sont engagés dans les événements qui ont marqué la vie de celui qui a
proposé le nom. En outre, il s'accommode à cette histoire et y inscrit sa
particularité. Le nom se donne ainsi comme mémoire de l'autre, conscience de
soi et de son appartenance à un corps.
Cette conscience et cette appartenance ne se réduisent pas à la réalité
sociale ou humaine. Et comme nous l'avons déjà souligné, elles les
449 Denis VILLEPELET, « Initiation et pédagogie » dans Catéchèse, n°161, Paris, CentreNational Catéchistique, 2000, p. 17.«o Jean de Dieu MVUANDA, op. cit. p. 248.
287
transcendent et touchent l'environnement en tant que milieu de vie
comprenant tous les êtres non-humains et les êtres spirituels. Nous avons vu
que le sort du Lobi était lié au monde animal, végétal et aquatique ; l'identité
que propose le joro prend en compte cette relation. D'habitude, l'accent est
placé sur l'identité communautaire limitée à un milieu social déterminé, mais
ce qu'offre le joro se veut cosmique. Elle récapitule les dimensions touchant la
nature, la culture et le spirituel dans une perspective holiste. L'initié
appartient à un cadre constitué des êtres non-humains de son milieu naturel
et d'êtres invisibles, puisque le nom qui lui est donné peut faire référence à
des éléments de la nature ou à ceux du monde spirituel. C'est avec raison que
Pierre Erny relève : « Le savoir initiatique tire sa force du fait qu'il intègre les
lois qui régissent aussi bien l'ordre social que l'ordre cosmique451. »
Le solipsisme est impensable dans la perspective du « processus
initier », car l'identité qu'il entend promouvoir n'est réalisable qu'avec le
concours des autres. C'est pourquoi, dans le joro, l'individu est défini par son
appartenance au groupe promotionnel. L'initiation fonctionne dans un esprit
communautaire et de solidarité qui, tout en reconnaissant l'individualité de
chacun, fait passer d'abord la relation au groupe d'appartenance. Il ne s'agit
pas uniquement d'une socialisation, mais d'un accueil et d'une intégration
prenant en compte l'équilibre intérieur de l'initié en harmonie avec son milieu
de vie. Un tel projet est très exigent, ce qui explique les voies et moyens mis
en œuvre pour le réaliser.
3. 2. Voies et moyens : épreuves et structuration symbolique
Villepelet comme Pasquier452, souligne que le moyen mis en oeuvre dans
l'initiation pour cette intégration est l'épreuve. La notion d'épreuve n'a rien à
voir avec les sujets d'examen dans les établissements scolaires. Elle consiste
en une confrontation psychique, sociale et cosmique. Le novice est soumis à
451 Pierre ERNY, L'enfant et son milieu en Afrique noir, Par i s , l 'Ha rma t t an , 1987, p . 2 4 3 .452 Denis VILLEPELET, « a r t . cit. », d a n s Catéchèse n° 168, 2 0 0 0 , p . 22 ; Abel PASQUIER,« a r t . cit. », d a n s Essais de théologie pratique, l'institution et le transmettre, collection « LePoint Théologique » 4 9 , 1988 , p . 132.
288
une série d'épreuves qui exposent sa vie en lui faisant prendre d'énormes
risques. Il est confronté à ses propres peurs auxquelles il ne doit en aucun
cas céder. Tout est orchestré intentionnellement pour créer un climat
d'angoisse afin que le novice affronte les sources de ses peurs. Cette angoisse
est celle que suscite la menace de la mort omniprésente dans tout le parcours
initiatique. En effet, il est question d'une mort symbolique, quelquefois réelle,
pour une renaissance, car l'initié est un nouvel homme, un homme
transformé.
La nouveauté de vie dans laquelle il est introduit n'a rien à voir avec ce
qu'offrent les autres processus pédagogiques. C'est le caractère et la
personnalité profonde qui sont visés dans le projet initiatique. Cela implique
des renoncements à tous les niveaux. Non seulement l'initié renonce aux
signes de son identité passée (son ancien nom), mais il est sommé de renoncer
à ses avoirs passés, car faisant partie de l'ancienne vie. Il passe désormais de
l'état de celui qui ne connaît rien à celui qui détient la connaissance des
interdits, et ce, grâce aux épreuves par lesquelles il passe. Ces épreuves
peuvent être aussi physiques, car il faut endurer et dépasser certaines limites
du corps : braver la fatigue, la soif et la faim pendant le parcours, supporter
les flagellations et la douleur (par exemple pendant le taillage des dents). Elles
peuvent être psychologiques comme nous l'avons mentionné plus haut. La
maîtrise des pulsions sexuelles face à l'attrait du corps de l'autre, le courage
face aux bruits angoissants et aux menaces, la vigilance face aux risques
d'enlèvement sont autant de situations qui mettent à rude épreuve le potentiel
psychologique des néophytes. Toutes ces épreuves contribuent à la
structuration symbolique de la personne.
Dans le contexte lobi, le novice vit déjà dans un bain de paroles, de
pratiques et d'objets qu'il manipule. Il se sert de la langue lobi pour
communiquer, il est soumis au respect des aînés, manipule la houe ou tout
autre outil. Seule la signification matérielle et immédiate est portée à son
entendement avant l'initiation. Avec l'initiation, cette signification est
transcendée pour donner lieu à tout une symbolique. L'une des symboliques
289
clefs touche la nudité. Le novice est confronté quotidiennement à l'expérience
de la nudité, mais dans l'initiation, sa compréhension immédiate de la nudité
prend une autre signification. Dans le parcours initiatique, les néophytes sont
généralement nus, ce qui rappelle l'état originel et dit un récit sur la
naissance rituelle. Erny explique :
La naissance rituelle n'est pas individuelle. Nés collectivement, lesnéophytes sont tous frères jumeaux ; sortis en même des entraillesde la terre ancestrale, ils ne sont plus les enfants d'un couple, maisd'un groupe clanique ou ethnique entier. La nudité symbolise lafraternité qui lie désormais tous ceux d'une même classe d'âge : eneffet, par leur tenue, ils signifient qu'ils n'ont plus aucun secret lesuns pour les autres, aucune honte, que rien ne les sépare453.
Cette compréhension de la nudité est portée à la connaissance de
l'initié par le discours oral. Si ce dernier peut recevoir des interprétations
toutes faites, il est important de souligner que le « processus initier » structure
surtout son être et sa pensée de telle sorte qu'il puisse entrer dans l'univers
du symbolique. Cette opération passe par les cérémonies pendant lesquelles le
corps et l'esprit de l'initié reçoivent mystérieusement l'aptitude à interpréter.
L'initié sait désormais qu'il ne suffit pas de voir les objets dans leur
matérialité - ce qu'il savait avant - mais qu'au-delà du visible, agit l'invisible,
et qu'il est possible de cerner cela. Ainsi, part-on de la dimension immédiate
ou manifeste de ce qui se donne directement aux sens, vers la dimension
médiate, ésotérique. Dès lors l'initié est introduit dans un cercle
herméneutique qui lui permet de percevoir au-delà du sens- obvie la
complexité de l'objet, afin de saisir les rapports entre le perçu et la réalité
profonde, et d'en donner le sens. Une certaine structure de base est mise à sa
disposition pour lui permettre de traiter les objets et les discours. Le médium
principal de transmission de ces savoirs demeure la parole dans un contexte
d'oralité.
«3 pierre ERNY, op. cit., 1987, p. 238.
290
3. 3. La parole dans le « processus initier »
D'après Isidore de Souza, l'utilisation de la parole dans la société
traditionnelle en Afrique, repose sur deux organes, la bouche et les oreilles, et
sur une faculté, la mémoire454 ; nous ajouterons les interactions. Le corps est
tout à fait engagé dans la communication orale. Le communicateur dispose de
plusieurs procédés pour que son message soit compris. Il communique par
l'expression corporelle, ce qui humanise le message car communiquer c'est
s'engager, c'est se dévoiler, c'est entrer en relation avec l'autre. La répétition,
l'hyperbole, les expressions idiomatiques sont autant de figures de styles à la
disposition du communicateur traditionnel. Les gestes, l'intonation et les
variations de la voix, les chants, etc. sont des moyens pour tenir le public en
haleine et pour fixer le message dans la mémoire. Les gestes et l'intonation
montrent combien tout le corps est engagé dans la transmission orale.
Certains orateurs sont de véritables metteurs en scène ou des acteurs. Ils
sont capables de faire revivre des faits et des récits anciens à travers les
mains, les pieds, les mouvements du corps et la voix. Les refrains introduits
dans les discours peuvent être repris par l'auditoire, car parler, c'est vivre
l'acte de la parole en relation avec l'altérité. C'est un espace d'interactions et
de relation dans lequel les textes oraux sont privilégiés.
Le communicateur oral a pour fonction de créer un lien entre les textes
du passé et le présent. Ces textes sont traditionnels et un bon transmetteur y
puise tout en veillant à ce que le noyau du contenu soit respecté, même s'il a
une certaine liberté de modifier le sens pour l'adapter au contexte de
l'auditoire. L'initiation permet de se familiariser avec la tradition. Elle agit sur
la personne entière en la structurant à travers les rites et la transmission des
savoirs en vue de l'introduire dans l'univers du symbolique. L'initié apprend à
voir au-delà du concret pour atteindre les significations profondes. C'est
pourquoi, la pensée orale est très imagée, ce qui donne une très grande
flexibilité d'interprétation.
454 Isidore de SOUZA, op. cit., p. 83.
291
Dans la communication orale, le récepteur n'est pas passif ; sa passivité
est un mauvais signe. Il doit montrer qu'il suit celui qui parle, soit par des
gestes ou verbalement. Une parole émise requiert une impression de sa part.
Cependant, toute réaction est contrôlée car il n'est pas donné à n'importe qui
de réagir négativement vis-à-vis des paroles de tous. Cela ne pose toutefois
pas le principe d'irréfutabilité de propos sans fondements. Une réglementation
s'impose. Ainsi, un jeune fera beaucoup attention quand il s'agira de remettre
en question les paroles d'un aîné. Discuter les paroles d'un aîné équivaut à
s'opposer à sa personne, car l'individu n'est jamais détaché de ce qu'il dit ; il
s'y implique profondément.
Pour réfuter les paroles de quelqu'un, il convient de puiser dans le
même fonds traditionnel de paroles, de faits et d'événements. Dans le cadre de
l'oralité, la parole est prise en tenant compte de ce capital à la disposition de
tous. Les proverbes, les contes, les événements qui ont marqué le village sont
des exemples de données traditionnelles. Chacun peut y puiser et leur donner
le sens qu'il croit pertinent tout en respectant la hiérarchie des âges.
Pour finir, il convient de remarquer, que la parole ne sied pas
uniquement au « processus initier » mais, qu'en contexte lobi, elle est
fondamentale dans l'initiation. Les rites qui tiennent une place centrale dans
le joro sont toujours accompagnés de paroles prononcées oralement.
L'importance de la parole se voit également dans l'apprentissage de la langue
secrète. En effet, étant donné la nouvelle naissance et l'introduction dans une
société nouvelle, l'initié doit s'accoutumer au langage de sa nouvelle
communauté.
Au terme de ce chapitre, et en guise de conclusion de nos recherches, il
ressort des discours d'initiés devenus chrétiens que l'initiation traditionnelle
lobi au Burkina Faso
1) constitue la principale institution de formation du Lobi ;
2) par elle, le Lobi apprend à construire son identité à travers des rites
et des épreuves ;
292
3) elle permet la cohésion du groupe en apprenant à l'individu que sa
destinée dépend de sa gestion des rapports avec ses semblables
(ascendance comme descendance) avec les composantes de son
milieu naturel et avec le monde spirituel.
La majorité de nos répondants relève ces éléments dans un esprit de
fierté mais aussi de recul ; car pour eux, si le joro peut comporter des
parallèles avec la vie chrétienne, ils n'hésitent pas à le qualifier d'œuvre de
Satan. Cette perception des chrétiens est une des conséquences de
l'enseignement véhiculé dans une totale ou partielle méconnaissance du rôle
foncièrement éducatif du joro. Les études anthropologiques et théologiques
ont contribué à donner quelque éclairage à l'Église pour une vision beaucoup
plus positive. L'aspect purement pédagogique dans une perspective
théologique a manqué. C'est pourquoi ce travail a tenté de répondre à ce
besoin, sans prétendre épuiser le sujet ou même gagner son pari.
En partant de l'Évangile de Matthieu, nous avons relevé le caractère
pédagogique de l'impératif missionnaire, ce qui nous a permis de mettre cela
en parallèle avec l'initiation lobi. Ainsi, nous avons relevé que les deux se
rejoignent par le fait qu'ils déploient une situation pédagogique mettant en
évidence des acteurs, des institutions, des finalités et des démarches. Ces
composantes de la situation pédagogique constituent un espace
d'interactions. Cependant, nous ne nous sommes pas limité à cet ancrage ;
nous nous sommes efforcés d'examiner les possibilités d'un ancrage de
l'initiation dans les processus pédagogiques. Après avoir souligné la
dynamique identitaire qui caractérise l'initiation lobi, sa particularité à
construire une structuration symbolique de la personne, son enracinement
dans l'oralité, les propositions et conclusions suivantes s'imposent.
4. Propositions
Au terme de toutes nos analyses, il importe de revenir sur nos objectifs
de départ pour proposer quelques idées qui restent à être approfondies sur le
293
plan pédagogique et sur celui de l'éducation à la foi. Celles-ci constituent des
pistes pour des études plus spécialisées.
4. 1. Sur le plan des théories pédagogiques
Après avoir relevé les spécificités majeures de l'initiation, et au regard
des résultats de notre analyse du joro, nous nous rangeons du côté de
Villepelet, qui soutient que « toute initiation comporte une part
d'enseignement et d'apprentissage qui s'intègrent en elle sans qu'elle ne s'y
réduise455. » Olivier Reboul renchérit que l'initiation constitue « à elle seule la
forme la plus complète de l'acte d'apprendre ; s'initier, n'est-ce pas, au-delà de
tout savoir-faire et de tout savoir, apprendre à être ?456 » En outre, « La
formation est [...] un processus initiatique par excellence457. » Dès lors, il nous
semble possible de reconsidérer les différents processus de la situation
pédagogique, et aménager une place pour l'initiation.
Dans ce cas, le triangle pédagogique pourrait être modifié pour accorder
une place à une figure qui exprimerait visuellement les interactions entre les
différents processus enseigner, former, apprendre et initier. Ainsi, sera
préservée l'idée du triangle {cf. chapitre IV) avec des modifications traduisant
la situation pédagogique de manière plus complète. Nous proposons donc la
figure ci-après.
455 Denis VILLEPELET, « Ini t iat ion et pédagogie » d a n s Catéchèse, n ° 1 6 1 , Par i s , Cen t r eNational Catéchistique, 2000, p. 22.456 olivier REBOUL, Qu'est-ce qu'apprendre ? Pour une philosophie de l'enseignement,Paris, PUF, 1991, p. 92.457 Sylviane SALZMANN, « La d imens ion ca téché t ique de la format ion d e s a d u l t e s », d a n sAmbroise BINZ, Robert MOLDO et Alain-Louis ROY, Former des adultes en Église, Étatdes lieux, Aspects théoriques, Pratiques, Saint-Maurice, Éditions Saint- Agustin, 2000, p.255.
294
Schéma VIII-2 : Situation pédagogique B'
La figure ci-dessus présente les trois composantes majeures de la
situation pédagogique, « savoir », « enseignant » et « apprenant ». Quand on
établit les relations qui les lient, il s'y dégage ce que Houssaye appelle des
processus. Ainsi, nous avons les processus « enseigner », « former » et
« apprendre ». Nous avons déjà relevé qu'en dissociant les différentes
dimensions qui déterminent les liens entres les différentes composantes de la
situation pédagogique, cela permet de saisir les particularités de chacune
d'elles. Toutefois, accentuer ces particularités ne doit pas faire oublier que
chaque dimension partage des caractéristiques avec les autres. La figure
l'exprime, mais ne permet pas de visualiser les particularités. Cependant sa
force est d'illustrer qu'il existe un point de rencontre des trois composantes
pédagogiques. Ce point focal est l'initiation qui, tout en récapitulant les
différents processus pédagogiques, ne les épuisent pas, puisque l'expérience
démontre que les réflexions et pratiques éducatives ont été faites en marge de
l'initiation.
Tout en récapitulant ces autres processus pédagogiques, le processus
« initier » conserve cependant une certaine particularité que nous avons déjà
mise en évidence. Il constitue le noyau de l'éducation africaine de laquelle
295
découlent les autres aspects de la pédagogie. Malgré les points communs que
partagent ces différents processus, nous insistons sur le fait que chacun joue
un rôle spécifique, ce qui permet à la situation pédagogique de maintenir sa
cohésion et une certaine unité.
4. 2. Sur le plan de l'éducation à la foi
L'initiation est à la mode dans certains milieux chrétiens458, mais dans
les milieux évangéliques en Afrique, elle est peu exploitée. Les idées que nous
avançons ici servent surtout à la réflexion. Ce sont des pistes à explorer pour
une prise en compte judicieuse de la formation en Afrique. Elles visent
particulièrement les milieux chrétiens évangéliques du Burkina Faso et de la
Côte d'Ivoire et touchent trois domaines.
• L'école du dimanche
Dans les milieux où se développe l'école du dimanche, il est
souhaitable que, dans les processus d'apprentissage mis en
oeuvre, il soit aussi question des hommes et des femmes qui
ont vécu leur foi en milieu africain en vue de rattacher leur
expérience biblique à celle de la société qui se présente
quotidiennement à l'enfant.
- Après un certain nombre de mois ou d'années de cours
bibliques, il est souhaitable d'organiser une cérémonie
officielle pour célébrer le passage de l'enfant de l'étape
parcourue à l'étape suivante.
- Quand l'enfant ou l'adolescent atteint l'âge de quitter l'école
du dimanche, il est opportun de lui proposer l'expérience d'un
certain nombre d'exercices spirituels qui seront couronnés par
un rituel d'accueil dans l'Église. À cette cérémonie les parents
458 Plusieurs auteurs s'accordent sur l'actualité de l'initiation dont Abel PASQUIER,« Initiation, initiation chrétienne » dans André FAYOL-FRICOURT, Abel PASQUIER, OdetteSARDA, L'initiation chrétienne, Démarche catéchuménale, Paris, Desclée, 1991, p. 13.
296
non-chrétiens pourraient être invités pour accompagner leurs
enfants.
Quelle que soit la manière de procéder, l'objectif visé est de trouver des
moments solennels pour marquer les passages d'une étape à une autre en
veillant à créer un lien entre les enfants et les pères dans la foi, tout en
cherchant à impliquer la société, là où cela est possible, dans le parcours de
l'enfant. En initiation il est capital de toujours garder à l'esprit, que la
démarche se fait en société, en communauté. C'est le lieu où se déploie
premièrement une communion fraternelle, familiale, clanique et, pourquoi
pas, nationale et internationale ! Deuxièmement, c'est là que se tissent des
liens spirituels qui rappellent aux hommes qu'ils ne sont pas seuls à habiter
ce monde ; qu'il existe un environnement spirituel et matériel à prendre en
compte dans le quotidien.
• Le catéchuménat
II serait souhaitable de développer un type de catéchuménat adapté au milieu,
car dans les étapes proposées, plusieurs aspects se retrouvent dans le
parcours initiatique. Le tableau ci-après présente quelques aspects. Dans
chaque situation, ces similitudes pourraient faire l'objet de réflexion et de
discussions en vue d'établir des pistes de compréhension et de pratique.
Avant d'engager une telle démarche, il importe de déceler les lieux éducatifs
dans la tradition et ceux du monde moderne, et de chercher à se familiariser
avec les principes de la communication orale.
Tableau VIII-4 : Similitude entre catéchuménat etjoro
CatéchuménatAcceptation du postulant par lesigne de la croix au frontExorcismePénitenceApprentissageDépouillementEau du baptêmeBaptêmeEucharistie
joroAcceptation du jâkuma par le signeau frontRite pour conjurer le mauvais sortConfession/ réparationApprentissageDépouillementEau du fleuve ou de la rivièreAspersion et bain au fleuveLa boisson sacrée
297
• Institutions de formation biblique et théologique
En vue d'améliorer la formation biblique et théologique en Afrique, il
serait judicieux que les institutions de formation sortent de leurs ghettos et
des programmes prêts à consommer qui viennent de l'étranger pour enfin
évaluer les besoins des populations et des Églises locales en vue de construire
des curriculums adaptés. En outre, il conviendrait d'examiner à nouveaux
frais les démarches éducatives des peuples d'Afrique pour aider le reste de la
chrétienté à puiser dans le riche patrimoine des pédagogies propres aux
sociétés à tradition orale. Ainsi, ces institutions pourraient :
- proposer des cours sur les pédagogies initiatiques en Afrique ;
encourager les recherches sur l'oralité et ses modalités ;
encourager les recherches anthropologiques et sociologiques
axées sur les récits de vies des hommes et des femmes de foi en
Afrique ;
- venir en aide aux communautés qui aimeraient expérimenter une
inculturation de l'éducation à la foi chrétienne à travers la
réflexion ;
- créer des réseaux de réflexion sur les interactions entre
pédagogies africaines et les pédagogies exogènes.
Il ne fait aucun doute que la prise en compte de ces propositions
dépend en grande partie de la volonté des autorités ecclésiastiques ainsi que
des responsables en éducation chrétienne. À cause de l'unité de l'Église et de
son caractère universel, nous ne disconvenons pas qu'un programme de
formation conçu hors d'Afrique puisse être de quelque utilité. En revanche,
nous soutenons la nécessité de contextualiser et de revoir ces programmes
pour les adapter aux situations nouvelles. Car, comme le dit l'adage yacouba :
« lorsque le rythme du tambour change, la danse elle-même change459. »
459 Mathurin Kofïî KONAN et collaborateurs, Proverbes en liberté, Bouaké, Presses de laLibrairie Imprimerie de la Cathédrale, 1985, p. 31.
298
CONCLUSION GÉNÉRALE
Le joro crée des sous-groupes patriclans dans la société lobi, et se
donne pour mission la régulation de l'espace vital lobi. Pour cela, dans sa
démarche initiatique, il soumet ses candidats à une purification morale et à
une mise à part qui les préparent au pèlerinage et aux différents rites
d'initiation. La formation qu'il propose est constituée d'épreuves et de la
transmission des savoirs, dont l'accent porte sur le savoir-être et la
connaissance des interdits du clan. Tout se joue pour que l'initié comprenne
que « la calebasse grossit parce qu'elle reste attachée à la tige460. »
L'importance de tenir compte de ses racines et de s'y attacher est centrale
dans le fonctionnement du joro et des valeurs qu'il entend transmettre à la
société.
L'approche de transmission et de réception du savoir sacré et profane,
ainsi que les rites et les cadres d'activités qui permettent au jâkuma (non-
initié) d'accéder au rang de jorbi (enfant du joro ou initié) aide à décrypter des
indicateurs pédagogiques. Ces indicateurs démontrent la vocation
éducationnelle du joro. Aujourd'hui, cette institution est confrontée aux
réalités exogènes et se trouve contestée par des institutions qui proposent
d'autres projets d'éducation. La rencontre avec le christianisme et l'éducation
occidentale en témoigne. L'éducation moderne ne fait aucun cas des
pédagogies initiatiques, même s'il arrive qu'elle s'y réfère pour illustrer ses
propos. Du côté du christianisme, les positions sont partagées entre la
méfiance et la conviction que l'initiation constitue une pierre d'attente pour
un meilleur devenir chrétien. La difficulté de concilier ces positions demeure
entière malgré les résultats des recherches actuelles.
Comme nous l'avons déjà souligné, les auteurs qui se sont intéressés à
la question de l'initiation l'ont abordée dans une perspective anthropologique
ou théologique. Leurs études ont donné une image religieuse au joro, ce qui a
460 René MAVOUNGOU-PAMBOU, Proverbes et dictons du Loango en Afrique centrale :langue, culture et société, Jouy-le-Moutier, Bajag-meri, 1997, p. 111.
299
contribué à voiler sa dimension éducationnelle et les valeurs qu'elle a dans les
rapports interpersonnels chez les chrétiens et les non chrétiens. En effet, la
quasi-totalité des chrétiens lobi se sert bon gré mal gré, des schèmes de
l'initiation pour comprendre les vérités de leur foi. Même si ceux qui sont
passés par le joro relèvent les aspects malheureux de l'initiation, il s'ensuit
qu'ils vivent leur chrétienté en puisant inconsciemment dans le fonds
traditionnel émanant du joro. Nous avons déjà relevé le souci des nouveaux
baptisés d'avoir un nom chrétien, ce qui rappelle le rite de la dation de nom à
l'initiation. Dans les milieux protestants, le légalisme témoigne aussi des
principes du respect des interdits sous peine de sanctions sévères, qu'on
retrouve dans le joro. En outre, ceux qui sont restés fidèles aux traditions
ancestrales comparent certaines activités chrétiennes, en l'occurrence les
rencontres de Pâque, à l'initiation du joro. Ces rapports placent ainsi le joro
dans une dimension religieuse, et les chercheurs n'ont pas tort d'orienter
certaines conclusions dans ce sens.
Cependant, nous avons remarqué que cette perception du joro oublie
que la vision lobi du monde se veut globale. Elle ne trace pas une ligne nette
entre le sacré et le profane, l'un influence l'autre, et les deux se trouvent très
liés. Cette situation fait qu'on peut facilement se méprendre de ce qui relève
fondamentalement du religieux, et c'est le cas du joro. Les sacrifices à tous les
niveaux de l'initiation, l'implication des devins et des prêtres des patriclans
sont autant d'évidences qui peuvent laisser penser à un phénomène religieux.
Mais l'évidence n'est pas toujours synonyme de vérité. Étant une institution
importante dans la société, comment le joro pouvait-il se passer d'aspects
religieux ? Toutes les activités importantes de la société sont toujours confiées
à des forces spirituelles. À chaque saison de travaux champêtres, le Lobi
confie son champ aux esprits, et les prémices de chaque moisson leur sont
dédiées. Assimilera-t-on pour autant ces activités à des phénomènes
religieux ?
Le joro, certes, ne peut être isolé de ce contexte général qui veut que
toute activité importante soit vécue sous les regards bienveillants des esprits.
300
Cependant, le considérer comme un dieu nous semble insoutenable ; il est
une institution de formation. C'est pourquoi, la présente thèse se démarque
des discours qui soutiennent le caractère religieux du joro, pour mettre en
exergue son caractère pédagogique. Cette orientation s'explique, d'une part,
par le fait même que ceux qui ont abordé l'initiation sous d'autres angles, ne
manquent pas de relever sa dimension éducationnelle. D'autre part, cette
dimension ressort des entrevues réalisées qui ont fait l'objet de nos analyses.
Celles-ci mettent en lumière des indicateurs axés sur l'environnement, les
objectifs, les voies et moyens, les acteurs ainsi que les rapports à l'altérité du
projet éducatif joro. Ces indicateurs rejoignent les composantes d'une
situation éducative, ce qui vient confirmer notre hypothèse.
Cette hypothèse comporte des enjeux théologiques. Abordé sous un
angle privilégiant les aspects pédagogiques, le joro, qui fait l'objet de
sentiments partagés chez les chrétiens, offre une structure de représentations
cognitives et les cadres d'action propices à la contextualisation de la formation
chrétienne. Une telle approche sera mieux acceptée chez les évangéliques.
Car, au lieu d'être perçu comme un suppôt de Satan, le joro sera mis sur le
pied d'égalité que les autres institutions humaines pouvant entrer en dialogue
avec l'évangile. Si la contextualisation vise une corrélation des données
bibliques, des savoirs et des pratiques des peuples, la dimension pédagogique
du. joro est alors la plus suggestive pour cette démarche théologique, en milieu
protestant évangélique.
Certes, avons-nous dit, le mot initiation semble absent de la Bible, mais
la réalité qu'elle vise y est démontrée. Cette réalité concerne la situation
éducative dont les composantes sont : les acteurs, les institutions, les
démarches et les finalités. La lecture de l'impératif missionnaire nous a
permis de mettre en évidence ces indicateurs qui démontrent qu'il existe des
points d'ancrage entre l'approche biblique de la formation du disciple et celle
du joro.
En plus de cela, la démarche pédagogique du joro ouvre des pistes
intéressantes pour une taxonomie de la situation éducative. La dynamique
301
identitaire, la capacité de structuration symbolique de la personne et
l'enracinement dans l'oralité sont des particularités de l'initiation qui
permettent d'explorer la possibilité d'articuler le « processus initier » comme
une quatrième composante des processus pédagogiques. Cette piste est peu
explorée, et nous n'avons fait qu'effleurer le sujet qui pourrait être l'objet
d'études ultérieures.
Au terme de notre parcours, certaines remarques s'imposent. Quand on
considère le groupe des initiés lobi, les théories sur les rites de passage se
vérifient. En effet, les néophytes sont soumis à un parcours jalonné d'étapes
géographiquement tracées et des états psychologiquement vécus afin d'être
progressivement intégrés dans la société. Ils sont les « choisis » ou « les mis à
part » pour souffrir dans leur corps et dans leur esprit, afin que l'homme idéal
se forme en eux pour qu'advienne une société idéale dans laquelle régnent
l'harmonie et la paix. La formation de cet homme se veut inchoative, car,
comme le disent les Peuls, « l'initiation commence dans le parc et finit dans la
tombe. » II n'est jamais achevé l'homme que propose l'initiation africaine ; c'est
celui dont l'identité advient pour qu'advienne la société. C'est l'homme pris
dans un parcours, c'est le membre de la communitas pour emprunter le terme
de Turner, celui qui vit entre deux espaces et deux états. C'est enfin l'homme
en transit, en route vers la société idéale.
Cette société est eschatologique car, si les patriclans en sont les signes
tangibles, elle est toujours en chantier. Elle se veut une société de pureté de
cœur, de fraternité, d'harmonie et de paix. L'harmonie en vue dépasse celle
qui se limite aux hommes, pour intégrer toutes les dimensions de la création
et le Créateur lui-même. L'établissement d'une telle société est un projet de
longue haleine qui requiert bien des sacrifices. C'est pourquoi, l'initiation est
exigeante dans ses pratiques et dans l'éthique qu'elle prône. Toutefois, si le
joro veut continuer à remplir la fonction qui lui est assignée pour atteindre ce
but, il a besoin d'être reformé.
Le but qu'il se fixe est aussi celui d'autres institutions qui disposent de
beaucoup plus de moyens, et leur audience ne fait que croître. La mission
302
chrétienne, avec son projet d'éducation à la foi, constitue l'une des
institutions dont le but est d'asseoir une société caractérisée par l'amour, la
paix, la joie et l'harmonie. Son audience n'est plus à démontrer en Afrique.
Cependant, si elle veut gagner le cœur de l'Africain, un dialogue avec les
initiations traditionnelles s'avère nécessaire. \Jnjoro reformé pourrait se doter
d'outils adéquats pour un tel dialogue. Comment y arriver ? Ce travail a
suggéré des pistes qui pourraient constituer des sujets de réflexion.
À ces remarques, ajoutons que l'éloignement de notre terrain de
recherche n'a pas facilité notre travail. Les entrevues, effectuées en lobiri et en
birifor, langues que nous comprenons bien, ont souvent présenté des termes
difficiles à traduire en français. Comme toute traduction comporte le risque de
trahison, le lecteur lobi comprendra pourquoi nous avions préféré certains
termes à la place d'autres. Il nous est donc arrivé de sacrifier la fidélité à la
forme pour rendre le contenu plus digeste tout en cherchant à être le plus
proche possible du style oral.
Ne disposant pas personnellement du logiciel NVivo qui a servi à
l'analyse des données, nous avons dû faire la navette entre notre département
et celui des sciences sociales de l'Université Laval, quand cela s'est avéré
nécessaire. Cette situation nous a pris beaucoup de temps. En outre, le
passage des catégories inductives à celles qui nous ont permis de construire
nos commentaires basés sur la perspective pédagogique a posé des difficultés.
Nous avons dû recodifier plusieurs passages ou déplacer certaines sous-
catégories pour les placer dans des catégories plus appropriées. Dans cette
manipulation, il s'est souvent glissé des erreurs que nous avons corrigées ; il
n'empêche que certaines ont pu nous échapper.
Malgré ces quelques difficultés, le traitement informatisé a facilité
l'accès rapide aux résultats et nous pouvions y revenir pour les traiter selon
les besoins, sans être obligé de revoir toute la codification. Certes, le grand
danger qui nous a guetté est celui de vouloir arranger les résultats de manière
à ce que cela s'accorde avec nos présupposés et notre cadre opérationnel.
Conscient de ce danger, nous nous sommes efforcé de rester le plus proche
303
possible des discours. C'est pourquoi le texte fait largement référence aux
paroles de nos répondants.
Ce travail ne prétend pas épuiser ce que ces derniers ont dit. D'une
part, la perspective dans laquelle nous l'avons confiné nous aide à
approfondir certains aspects du joro, mais d'autre part, elle écarte des
données que d'autres perspectives auraient permis de mettre plus en
évidence. Pour parvenir à une théorie générale de la pédagogie initiatique en
Afrique, d'autres institutions initiatiques doivent être prises en compte et
mises en rapport avec celle du joro. Toutefois, l'apport des pédagogies
exogènes pourrait être mis à contribution. Tout isolement ou renferment ne
peut faire qu'appauvrir. L'idéal est de s'enraciner dans les réalités éducatives
traditionnelles en interaction avec les apports exogènes et les réalités
africaines actuelles, pour que des solutions plus humaines soient proposées à
l'homme africain dans ses quêtes quotidiennes.
S'il y a quelque chose à retenir dans tout ce balbutiement, c'est que :
« le remède de l'homme c'est l'homme », comme le disent les Wolof. Le joro est
justement en quête de cet « homme remède ». N'est-ce pas aussi d'un tel
homme qu'il s'agit dans les paroles de Pilate dans Jean 19, 5 : « 'IÔoù ô
âv9pa)jtoç » (voici l'Homme) !
304
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