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Le haschisch en Egypte

Le haschisch en Égypte - Dunod...relevant à la fois du corps et de la culture, et se posant en opposition au réel. La projection y donne accès, dans la mesure où, loin de se ramener

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Le haschisch en egypte

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SAMI-ALILe haschisch en egypteEssai d’anthropologie psychanalytique

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© Bordas, Paris, 1988 © Dunod, Paris, 2013 pour la nouvelle édition

978-2-10-060009-0

Illustration de couverture : © Sami-Ali

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“Sami-ali_BAT2_9782100600090” (Col. : Idem) — 2013/9/5 — 12:29 — page V — #5

À G. S.-A.

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« Enroulé dans mon vaste manteau du Ciel étoileJe demeure face à face avec les dieux anciens. »

Le livre des morts des anciens égyptiens,p. 201. « Omnium littéraire », Paris 1966.

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Table des matières

Préface à l’édition de 1988 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI

PARTIE I. LE PROBLÈME. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1Psychanalyse et toxicomanie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12Haschich et drogues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

PARTIE II. LES DONNÉES SOCIO-CULTURELLES. . . . . . . . . . . . . . . . 27Chapitre 1. Le réel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Étendue du phénomène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30Mode de prise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31Traits de personnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36Effets immédiats. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

La cognition, 38 • L’affectivité, 40 • Les fonctionsphysiologiques, 42 • La productivité, 43

Le climat social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44Chapitre 2. L’imaginaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

Haschisch et champ idiomatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49Haschisch et histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51Les Mille et une nuits et le haschisch comme motif . . . . . . . . . . . . . 53Anecdotes drôles du haschisch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

Le temps, 64 • L’espace, 66 • Les objets, 68 • Autrui, 70 •

Soi-même, 73

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X --- Table des matières

PARTIE III. LES DONNÉES CLINIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77Première observation. Negma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79Deuxième observation. Zahra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89Troisième observation. Abdou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127Quatrième observation. Salah . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139Cinquième observation. Tarek . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

PARTIE IV. THÉORIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219Tolérance de la régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228Régression et Œdipe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232Variabilité des effets du haschisch. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236

Métapsychologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239Accès à l’objet interdit malgré l’interdiction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239Autres formes du retour du refoulé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243Retour du refoulé et humour. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245

Appendices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249Interview standardisée du groupe expérimental . . . . . . . . . . . . . . . . 249Le haschisch dans le monde arabeÀ propos de deux documents du XIIIE siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270

POST-SCRIPTUM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277

BIBLIOGRAPHIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281Textes arabes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281Textes traduits de l’arabe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282Autres textes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282

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Préface à l’éditionde 1988

Cette nouvelle édition de Le haschisch en Égypte, paru d’abord chez Payoten 1971, et vite devenu introuvable, si elle reprend, à quelques retouchesprès, le texte original, ne fournit pas moins l’occasion de situer ce travaildans l’ensemble d’une œuvre qui se poursuit, tant en arabe qu’en français,depuis une trentaine d’années, l’auteur appartenant intégralement à deuxlangues, à deux cultures fort éloignées l’une de l’autre.

Le somatique et le culturel sont l’axe de cette œuvre autour duquelviennent s’articuler des thèmes aussi divers que possible. Ce qui, cependant,en constitue l’unité, au-delà des champs qui, par endroits, chevauchent,c’est fondamentalement ce que j’appelle l’imaginaire, c’est-à-dire le rêve etses équivalents diurnes que sont le fantasme, le délire, l’hallucination, lejeu, la croyance, le comportement magique, le transfert, etc., l’imaginairerelevant à la fois du corps et de la culture, et se posant en opposition au réel.La projection y donne accès, dans la mesure où, loin de se ramener à unprocessus ponctuel, celle-ci se définit par l’objectivation de soi en dehorsde soi que le rêve effectue éminemment, en créant un espace, un temps etdes objets qui sont le sujet devenu autre. Les équivalents du rêve sont desrêves modifiés par la conscience vigile, à la faveur d’un équilibre chaque foisdifférent entre conscient, préconscient et inconscient. Ainsi, la théorie de lapsychosomatique qui, après des développements partiels, aboutit récemment

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XII --- Préface à l’édition de 1988

à son premier exposé synthétique1, se trouve-t-elle d’emblée incluse dans unquestionnement qui semble le mieux se placer à l’intérieur, non pas tant dela psychanalyse appliquée ou de l’ethnopsychiatrie, que d’une anthropologiedont le point de départ, et le point de départ seul, est la psychanalyse.

Étudier le haschisch dans un contexte culturel particulier, celui de l’Égypte,en le comparant avec d’autres contextes, selon le partage entre soi et non-soiqu’opère le refoulement culturel, refoulement qui consiste à se définirpositivement en définissant l’autre négativement, est aussi une manièrede déterminer le statut du corps relativement à l’imaginaire et au culturel.Ce statut privilégie le corps imaginaire, en sa double insertion dans lapensée mythique et l’anatomie fantastique propre à l’hystérie. Car la prise dehaschisch qui, en tout état de cause, aussi bien dans ses effets immédiats queprolongés, reste en deçà de ce qu’on nomme habituellement toxicomanie,est le signe d’un fonctionnement hystérique où l’activité du rêve n’estnullement occultée, à l’instar d’autres organisations caractérielles, par unrefoulement implacable. La pratique de la psychanalyse en Égypte le montresans ambages, en restituant, grâce à une méthodologie ouverte fondéesur la relation transférentielle, toute la dynamique inconsciente d’uneexpérience où, partout, ce qui est un jeu s’avère être un conflit sexuel quel’Œdipe polarise. Une exceptionnelle richesse fantasmatique caractérise untel fonctionnement, allant d’un extrême à l’autre, partagé entre des contrairesen butte à des tendances divergentes, mais partout capable d’échapper àl’enfermement, d’éviter l’irréversible. On y reconnaît une souplesse quis’accommode des solutions de compromis et qui, grâce à d’ingénieusestranspositions imaginaires, multiplie les issues. En d’autres termes, on estloin de l’impasse, comme, au reste, en témoigne le lien constant qui senoue en Égypte entre l’intoxication au haschisch et l’humour. Celle-cidemeure de la variété la plus singulière, métaphysique s’il en est, puisque,secouant l’être, au jeu de mots elle substitue un jeu de choses, alors qu’elledonne forme à l’informe et laisse exploser des contradictions qui, autrement,pourraient mener à l’impasse. Humour qui est donc une manière de penser

1. Sami-Ali, Penser la somatique. Imaginaire et pathologie, Paris, Dunod, 1987. (Lesréférences de la préface ne sont pas incluses dans la bibliographie en fin de volume)

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“Sami-ali_BAT2_9782100600090” (Col. : Idem) — 2013/9/5 — 12:29 — page XIII — #13

Préface à l’édition de 1988 --- XIII

l’impensable, en imaginant, à travers une dynamique de groupe propre à laconsommation du haschisch, des situations toujours nouvelles, où l’identitéde soi et des autres s’affirme en dépit de la perte qui la menace. Pensée quiest celle même du rêve, et que j’appelle d’ailleurs pensée de l’imaginaire1,laissant coexister sans se détruire des tendances diamétralement opposées,conscientes et inconscientes.

Tout se passe alors comme si l’objet sexuel, jusque-là inaccessible,parce qu’inconsciemment interdit, pouvait être approché à la faveurd’une conscience obnubilée où soi n’est pas soi, ni l’autre autre. Il s’agitparadoxalement de l’acceptation du refoulé sans levée de refoulement, cequi donne la mesure d’une solution subtilement haschischine, non exempted’humour, selon laquelle un conflit névrotique où la réalité n’est nullementen cause, aboutit à une solution psychotique attaquant la réalité. C’estcomme si, sans regarder aux dépenses, on se servait d’une grue pour déplacerune noix ! L’humour, le mode d’action du haschisch et le fonctionnementhystérique sont les trois aspects d’une seule et même expérience.

Celle-ci, pour concerner au premier chef le corps imaginaire, ne touchepas moins le corps réel, déterminant par là même toute l’économiepsychosomatique. On le voit abondamment dans les différentes observationsconsignées ici, où la conversion hystérique peut s’allier à la maladieorganique, et notamment chez Tarek par exemple, à l’asthme allergique. Lesphénomènes allergiques, dans ce cas, disparus depuis l’adolescence, font denouveau leur apparition à la période finale de l’analyse, alors que s’élabore,par rapport à la situation œdipienne, la position homosexuelle passive.Celle-ci se traduit par une identification à la mère qui est asthmatique !Troublante coïncidence qui, pourtant, ne signifie pas que l’asthme soitun symptôme conversionnel ayant le même statut, la même étiologie qued’autres symptômes, comme chez Tarek, ce visage qui se fige, s’immobilise,perd toute sensibilité afin de ne pas exprimer certains affects. Dans le cas del’asthme, l’hystérie n’est qu’une forme, une manière régressive de réactiverun potentiel génétique, sans que celui-ci se réduise à la régression. Hystérie

1. Voir Hallaj, Poèmes mystiques, p. 16, traduction et présentation par Sami-Ali, Paris,Sindbad, 1985.

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“Sami-ali_BAT2_9782100600090” (Col. : Idem) — 2013/9/5 — 12:29 — page XIV — #14

XIV --- Préface à l’édition de 1988

formelle, par conséquent, ce qui suffit à montrer que la problématique del’hystérie doit s’élargir à la maladie organique, non pas, comme on procèdeparfois, en donnant à l’organique, à tout l’organique, le statut de symbole,en confondant sens primaire et sens secondaire d’un symptôme, mais enpensant autrement la relation entre corps réel et corps imaginaire. Et cela n’arien à voir avec le concept d’étayage qui, par ailleurs, reste valable dans sonchamp spécifique. À l’intérieur de cette relation également, il importe detenir compte de phénomènes qui, au niveau de l’hystérie même, voisinentavec la psychose, tel ce sentiment d’irréalité faisant souvent irruption chezTarek pour conférer à la situation analytique quelque chose qui tient du rêveet de l’espace du rêve, et qui reproduit une étrange expérience d’intoxicationsous haschisch.

Or, si tout n’est pas imaginaire dans la drogue, c’est pourtant le rapport àl’imaginaire qui fixe les traits, au double plan personnel et culturel, de toutetoxicomanie. Celle-ci, certes, existe aussi en Égypte pour d’autres droguesque le haschisch, les opiacés notamment, dont l’usage vient immédiatementaprès le cannabis et qui se conforme aux critères avérés de la toxicomanie, àsavoir la dépendance physiologique et la tendance à augmenter la dose (cequi, incidemment, fait défaut dans le haschisch). J’ajouterai, en contrepoint,quelques considérations sur l’usage des opiacés en Égypte1.

Ainsi que le montre une étude clinique extrêmement fouillée2, l’opiumet ses dérivés se trouvent moins intégrés à la vie sociale égyptienne. Plutôtmarquent-ils une marginalité faite d’un repliement sur soi et de prévalencedes traits de caractère psychotiques, du désintérêt à l’endroit de la sexualité,des conflits prégénitaux. Le principal motif de s’adonner à l’opium, presqueexclusivement répandu parmi les gens défavorisés, paraît celui de lutter contre

1. Amphétamines, barbituriques et cocaïne sont d’usage récent (1980), le haschischrestant la drogue de référence. Cela contraste avec la tendance générale en Occident oùla consommation du haschisch s’est considérablement réduite au profit de l’héroïne etde la cocaïne dont la consommation a, dans la même période, presque décuplé. De là,sans doute, la rareté des travaux récents sur le haschisch qui ne semble plus à la mode.Voir, cependant, Michka et H. Verlomme. Dossier vert d’une drogue douce. Paris, Laffont,1978.2. Saad El-Maghrabi, Psychologie de l’opium et ses dérivés (texte en arabe), Le Caire, 1980.

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“Sami-ali_BAT2_9782100600090” (Col. : Idem) — 2013/9/5 — 12:29 — page XV — #15

Préface à l’édition de 1988 --- XV

la misère matérielle et morale, et le malaise corporel. Or, fait remarquable,si les troubles de sommeil sont récurrents parmi les opiomanes, le lieuprimordial avec le rêve n’est pas rompu. Tout se passe alors comme si la vieonirique, omniprésente à tous les instants, objet d’échanges et de croyancespopulaires, persistait encore là où l’on doit s’attendre à ce qu’elle s’efface avecle reste. Mais justement dans ce cas, les rêves s’approchent des cauchemars,présentant des angoisses qui, toutes, se rapportent à la castration. Castrationpar la femme, c’est-à-dire par la mère phallique. Des rêves où au besoininconscient d’autopunition lié à l’Œdipe s’allie l’émergence d’une situationrépétitive et sans issue, figurant toute l’impasse dans laquelle le sujet estengagé. Plus exactement, ce sont des rêves sexuellement saturés, surgissantsur un fond d’absence de rêves, dû à un refoulement qui cède de temps àautre. L’aspect cauchemardesque y tient, d’une part, à la profondeur durefoulement, d’autre part, à l’objectivation d’un sentiment de culpabilité.Et cela reste valable pour les rêves “typiques”. Voici quelques exemplesreprésentatifs :

« J’ai rêvé que je volais au-dessus des maisons et derrière moi unchameau qui volait. J’en avais peur. J’ai trouvé un passage ou uneruelle dans laquelle je me suis glissé. Le chameau, lui, s’est laissécoincer il est tombé par terre et ses pattes se sont brisées. »« J’ai rêvé que je longeais le canal avec quelqu’un. Il me quitte, marchesur l’eau et s’embarque sur un bateau. Je veux le suivre, mais jem’enfonce les pieds dans la boue. Je suis complètement immobilisé.Je me réveille très oppressé. »« J’ai rêvé que j’étais coincé comme dans une ruelle parmi des maisonsde paysans cela se passait à la campagne. Partout il y avait le feu lafumée m’entourait et me suffoquait. J’avais peur de mourir. Au loin,je voyais un étang. Je me disais : “Si seulement je pouvais me mettre aumilieu, le feu ne m’atteindrait pas !” Je faisais des efforts désespérés :l’étang s’approchait, puis s’éloignait. J’étais perdu au milieu de lafumée. Je me suis réveillé avec un grand malaise. »

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“Sami-ali_BAT2_9782100600090” (Col. : Idem) — 2013/9/5 — 12:29 — page XVI — #16

XVI --- Préface à l’édition de 1988

« J’ai rêvé que la femme d’un ami, décoiffée et en robe noire, avaitson sein droit sorti. Le lait coulait du mamelon, je le prenais dansma bouche, je sentais bien le mamelon. J’étais accroupi pour recevoirle lait. Puis je me suis éloigné, sentant en même temps une grandeenvie sexuelle. »« J’ai rêvé que je voyais une femme laide, ébouriffée et terrifiante,en robe de paysanne. Une diablesse. Elle était agenouillée et moidebout. Soudain, elle attrape mes couilles et mon pénis comme pourles arracher. Je l’empoigne par les cheveux et je lui mords la tête aussifort que je peux. Elle ne lâche pas prise. Je me mets à crier et mamère me réveille. Je suis resté longtemps avec la sensation d’avoir lescouilles gonflées et que cela n’était pas un rêve. »

Rêves riches à tous égards, profonds et nuancés, même quand ils assumentla forme des rêves “typiques” - notamment de vol - et qui se présententcomme des rêves corporels, en ce sens que le sujet, les objets et l’espacelui-même sont autant d’images du corps, reflétant au dedans et au dehorsla même problématique phallique : creux et plein, pénétrant et pénétré,tout ce qui se projette, s’ouvre et se ferme est le corps sexué, masculin etféminin, de soi et des autres, tel qu’il se révèle à travers une anatomie del’imaginaire, ramenant le corps à l’espace et l’espace au corps. La vie oniriquedes opiomanes a beau subir l’éclipse du refoulement, elle ne se maintient pasmoins prête à faire retour avec une force qui, parfois, oblitère la distinctionentre rêve et réalité. Il est remarquable, en tout cas, que les pulsions précoces,orales et anales, viennent s’intégrer dans une sexualité dont les défaillances,mises en scène et partiellement compensées (vol, feu, pénétration), sont signed’inhibition névrotique. De sorte, que si la symptomatologie prévalente icirenvoie à l’hystérie (impuissance sexuelle), elle se trouve en même tempsprise dans des élaborations qui s’apparentent à la psychose, plus exactementau caractère psychotique. Mais le fil du rêve, pour ténu qu’il soit devenu,ne cède jamais.

Telle est, en effet, l’originalité de la toxicomanie en Égypte, et qui présenterelativement à celle que connaissent les sociétés occidentales, les contrastes

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“Sami-ali_BAT2_9782100600090” (Col. : Idem) — 2013/9/5 — 12:29 — page XVII — #17

Préface à l’édition de 1988 --- XVII

les plus prononcés. Sous le signe de la relation au rêve, de l’accessibilité dela vie onirique, la schématique opposition entre Orient et Occident cesse,pour une fois, d’être une abstraction.

En ce qui concerne la toxicomanie, autant le rêve est présent d’un côté,sous ses formes multiples qui doublent et étendent la conscience vigile jusquedans la possibilité impartie au corps de créer des symptômes organiquespétris de fantasmes, autant, d’un autre côté, le rêve est absent et improbableson occurrence. Ce qui change en passant d’un univers culturel à l’autre, n’estrien moins que l’ensemble du fonctionnement psychosomatique polarisé parl’imaginaire. Celui-ci fait désormais problème, pour autant qu’il se trouvedurablement occulté. Disons-le autrement : si, comme je suggère ailleurs1,l’imaginaire constitue une fonction susceptible d’être refoulée, la forme finaleque revêt la pathologie va dépendre du destin de ce même refoulement.Deux éventualités se dessinent de la sorte. Si le refoulement échoue, commele postule Freud, la formation symptomatique de l’ordre de la névrose et dela psychose correspondra alors au retour du refoulé et donnera lieu à unepathologie purement fonctionnelle où le corps imaginaire prend appui surle corps réel, selon un processus d’étayage, et où la somatisation pourvued’un sens primaire relève exclusivement du figuré (cela n’empêche pas queles symptômes hystériques puissent coexister avec une organicité réelle, cequi soulève un autre problème).

Supposons maintenant que le refoulement réussisse, éventualité effleuréepar Freud à point nommé et à laquelle j’ai consacré un livre, Le banal2.Dans ce cas, il ne peut y avoir de formation symptomatique puisque, pardéfinition, le refoulé ne fait pas retour en dépit du refoulement. Aussi, laformation symptomatique se trouve-t-elle supplantée par une formationcaractérielle, issue du refoulement et tendant à perpétuer le refoulement.Celui-ci vise d’abord le rêve nocturne avant de s’étendre aux équivalents durêve dans la vie éveillée, et il s’effectue dans un temps très long, afin de faireface chaque fois, à des moments de crise, à l’irruption brutale de l’activitéonirique. Activité paradoxale au plus haut point, car réellement elle existe,

1. Sami-Ali, Penser le somatique, Paris, Dunod, 1987.2. Sami-Ali, Le banal, Paris, Gallimard, 1980.

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XVIII --- Préface à l’édition de 1988

ainsi que l’attestent les études électroencéphalographiques sur l’alternance dusommeil lent et du sommeil paradoxal, alors que subjectivement elle a cesséd’exister. Entre les deux versants de la vie psychique, aucun passage, aucunlien, aucune trace mnésique. C’est alors qu’on s’aperçoit que, pour exister,le rêve a besoin de la mémoire, que son être est d’être remémoré. Le fait qu’ilexiste, non pas en soi mais après coup comme objet de souvenir1, est déjàquelque chose de fort complexe : c’est l’indice que rien encore n’empêcheson existence, et que le sujet ne s’aliène par une partie de lui-même. Cela,néanmoins, peut advenir : on assiste alors à l’oubli systématique des rêves, àun effacement qui perdure. Et il ne s’agit pas d’une disparition réelle, d’une“carence fantasmatique”, comme le soutient l’École de Paris, mais bel etbien d’un refoulement caractériel qui se maintient et dont la problématiquerenvoie à autre chose qu’à la psychopathologie freudienne.

Ici le lien avec l’inconscient persiste, non pas à cause du refoulé quirevient dans la conscience en dépit du refoulement, mais à travers l’instancequi refoule. Et puisque le sujet fait corps avec celle-ci au point de perdretout intérêt pour l’imaginaire, il ne peut y avoir conscience d’aliénation.Dorénavant n’existe que le réel auquel on s’emploie à s’adapter, un réelreprésentant la norme, un cadre de référence spatio-temporel, un universde règles qui confère au sujet le sentiment d’être et qui, pourvu d’autorité,fonctionne comme surmoi corporel. Le conformisme remplace la créativité,venant investir la place vide d’une subjectivité qui reflue. D’où une formeparticulière de dépression, diffuse, imperceptible au sujet lui-même, quiconstitue une manière d’être dans le non-être, se confondant avec le caractère :la dépression a priori. Il en résulte une subjectivité sans sujet, et, à la limite,peu importe que les rêves existent ou non : ils n’intéressent nullement. C’estle signe du refoulement caractériel, d’un refoulement qui porte, non passur un contenu onirique particulier, mais sur la fonction même du rêveconsidéré comme un tout. Corrélativement, le refoulement caractériel s’étanttellement rigidifié, aucune place n’est laissée au rêve dont l’émergence sous

1. Voilà pourquoi il est impossible de dire “je rêve” au présent. Si je le dis au moment derêver, je ne le dis pas véritablement, mais je rêve que je le dis, et si je le dis véritablement,je ne suis pas dans le rêve.

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Préface à l’édition de 1988 --- XIX

forme de cauchemar, bouleverse et traumatise. Il est devenu l’inassimilable,absolument.

La pathologie de l’adaptation qui en résulte se singularise par unfonctionnement caractériel conforme aux normes socio-culturelles, maisdurablement coupé de l’imaginaire. Le banal en exprime l’essence, dansla mesure où le fonctionnement tend plus à reproduire qu’à produire,se déployant à travers une seule dimension que constitue le littéral, leneutre et l’unique en général. S’il y a là pathologie, elle n’est pas le fait dufonctionnement en soi, elle est le fait qu’à point nommé, ce fonctionnementest pris dans une impasse. Alors se manifeste la maladie organique sur cefond d’absence du rêve et d’équivalents du rêve, de sorte que la pathologie,qui n’est pas une psychopathologie, entre ici, à l’opposé de la conversionhystérique, en corrélation négative avec l’imaginaire.

Précisons ce qu’il faut entendre par impasse. Si le conflit névrotique ala forme de l’alternative simple, a ou non-a, laissant la voie ouverte aumoins à deux possibilités, comme aux mélanges et transpositions indéfiniesde ces mêmes possibilités, l’impasse, elle, met d’emblée aux prises avec lecontradictoire : a ou non-a et ni a, ni non-a. Conflit insoluble dont seules’accommode la psychose en tant que pensée de la contradiction, pensée quise ruine en pensant l’impensable. Une variante de l’impasse qui concerneplus directement notre propos, est pourvue par le cercle vicieux dont lepoint de départ est bien l’alternative simple, laquelle aussitôt se ferme surelle-même puisque, par inclusion réciproque1, a implique non-a et non-a, a.Cela permet de fixer exactement les traits de la toxicomanie telle qu’on larencontre en Occident.

Il s’agit d’une toxicomanie qui fait partie de la pathologie de l’adaptationet qui évolue aux confins du somatique. Rarement mise en rapport avecl’activité du rêve, c’est pourtant ce rapport qui, me semble-t-il, doit éclaireren profondeur toute la situation.

1. Sur le concept d’inclusion réciproque, voir Sami-Ali, L’espace imaginaire, Paris,Gallimard, 1974.

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XX --- Préface à l’édition de 1988

Le fait le plus marquant demeure en tout cas cette relation problématiqueau rêve et à ses équivalents, relation portée par un trouble plus global qui atrait au rythme et au temps du corps.

La drogue vient organiser artificiellement de l’extérieur une temporalitéque sommeil et veille ne scandent plus. Les troubles du sommeil quis’avèrent être une constante chez les toxicomanes, se situant à l’articulationdu psychique et du somatique, loin d’être un symptôme parmi d’autres,trahissent au contraire une attitude caractérielle, quelque chose comme ladécision consciente de ne pas dormir. “Je n’aime pas bien dormir”, ditl’un. Et l’autre : “Moins je dors, mieux je me porte”1. C’est que le sommeilintimement associé aux rêves, livrant passage à un autre soi-même, parfoisfamilier mais souvent méconnaissable, est le chemin par quoi fait retour lerefoulé. Rêver, rêver simplement, est le signe d’une certaine coïncidence avecsoi-même, parce que la mémoire en garde la trace. En ce sens, le rêve donton se souvient constitue l’équivalent d’une formation symptomatique due àl’échec du refoulement. Celui-ci vient-il à s’effectuer suivant le modèle de lapsychopathologie freudienne, il prendra la forme de l’oubli, un oubli tour àtour sélectif, prolongé ou permanent. Et, à vrai dire, il n’est pas sûr, comptetenu de la masse des rêves produits chaque nuit durant quatre ou cinqpériodes de sommeil paradoxal et dont on ne peut se souvenir intégralement,que tout oubli soit motivé, empreint du sceau du refoulement. Ici intervientun facteur quantitatif imputable sans doute à quelque chose qui ressemble àune fonction d’effacement2. Par contre, ce qui est certain, c’est que l’oubli desrêves peut être l’expression d’un refoulement qui reste dans le domaine de lapsychopathologie, tout en témoignant d’une attitude caractérielle prévalent :la perte d’intérêt pour la vie onirique. Le refoulement, cependant, va parfoisplus loin, comme si l’oubli systématique ne suffisait plus à effacer toute tracede rêve. Alors se met en place l’insomnie qui est par excellence l’éliminationdu rêve en éliminant les conditions mêmes du rêve, ce qui représente

1. Toutes mes citations renvoient à la thèse de Doctorat d’Antonio Mendes-Pedro : Lerêve et les toxicomanes. Une étude clinique psychosomatique, Université Paris VII, UERSciences Humaines Cliniques, 1987.2. Sami-Ali, Corps réel, corps imaginaire, p. 42. Paris, Dunod, 1984.

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Préface à l’édition de 1988 --- XXI

un refoulement sans faille de la fonction de l’imaginaire. Refoulementqui ne peut se cantonner dans le champ de la psychopathologie, puisque,avec l’altération du rythme du sommeil, l’ensemble du fonctionnementpsychosomatique se trouve dorénavant bouleversé. C’est sur ce fond derefoulement caractériel (« Je n’ai pas l’habitude de rêver ») que se projettetoute l’expérience de la drogue, avec, au demeurant, le sentiment parfoisaigu, interrompant l’attitude d’indifférence habituelle, que les rêves sontune chose dont il faut se méfier : « Je n’aime pas les rêves », dit l’un. Etl’autre : « J’ai annihilé les rêves. »

Que toute la vie onirique soit occultée par le refoulement, puis suppriméepar l’insomnie, explique que les rêves devenus l’absolument autre, nonintégrés, non intégrables, quand d’aventure ils se produisent, ils assumentla forme du cauchemar et qu’ils se répètent. Fait étrange : alors que lafonction première du rêve, comme Freud le reconnaît, n’est pas la réalisationhallucinatoire du désir, mais l’élaboration du traumatisme, on dirait qu’icic’est le rêve lui-même qui devient un traumatisme. Traumatisme qu’il esturgent d’éliminer, rapidement, brutalement. On touche ainsi à une limitequi est celle d’une activité onirique incapable de faire face aux traumatismesparce qu’elle-même se mue en quelque chose de traumatisant. Et celaconcerne l’activité onirique en tant que fonction. Tel est l’aspect le plusgénéral de l’impasse chez le toxicomane.

L’autre aspect a spécifiquement trait au rythme artificiel que la drogueinstaure : se droguer pour empêcher le sommeil, se droguer pour se leprocurer. Est notable ici que les barbituriques, en affaiblissant la vigilance,en rapprochant l’instant où tout doit céder, produisent exactement l’effetinverse : l’insomnie s’accroît de plus belle. La vigilance engendrant lavigilance, détente et rêve reculent indéfiniment, alors que s’endormir et seréveiller, qui ne relèvent plus d’un fonctionnement autonome, sont prisen charge par des substances chimiques représentant à la fois le problèmeet la solution, c’est-à-dire tous les problèmes et toutes les solutions. Toutese passe, en effet, comme si, dans cette économie extrême propre à latoxicomanie, il n’y avait qu’un seul objet face à un seul sujet et que ce sujetétait l’objet et inversement. Cela, incidemment, rappelle la problématique

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XXII --- Préface à l’édition de 1988

de l’objet unique dans la psychose et l’allergie1, ce qui ne laisse pas moinssubsister une différence fondamentale, due à l’importance de l’agir dans latoxicomanie. Ici, par un continuel passage à l’acte, où aucun temps n’estlaissé à la vie psychique, au mûrissement des conflits internes, ce qui, dumême coup, amène à renforcer le refoulement par l’élimination du peu quis’est soustrait au refoulement, l’activité se réduit chimiquement à la passivité,et la passivité à l’activité. Ni l’une, ni l’autre n’est acceptable, comme s’ilexistait une permanente menace de débordement, et l’une est combattuepar l’autre, sans fin et sans répit. D’où, derechef, un cercle vicieux quis’installe au niveau de la décharge, par le choix même du mécanisme destinéà résoudre le conflit. Désormais la régulation de la temporalité subjective setrouve assumée par une instance dépersonnalisée, mécanisée, anonyme, danslaquelle il faut reconnaître la projection du surmoi corporel, permettant ausujet d’exister dans la non-existence et au corps de fonctionner malgré sanégation. Tel est le sens de la dépendance que crée la toxicomanie.

Le cercle vicieux est donc partout, et l’impasse totale. Née d’une impassede l’imaginaire, la toxicomanie la maintient, la rend incontournable : “Sij’arrêtais la drogue, je ne ferais que rêver”, déclare-t-on sans ambages. Aussila contrepartie de cette rupture avec l’imaginaire, instaurant une temporalitéde rupture2, ne peut-elle être que l’envahissement du réel uniforme, résiduel,normalisé, allant de pair avec une absence de conflits internes, quel que soitle mécanisme qui y mène : “Je n’ai pas de problème”, dit l’un, et l’autre :“La came est un truc dont tu as besoin pour être normal”.

Normal, comme le veut une pathologie de l’adaptation dans laquelle lebanal se substitue à la subjectivité, même là où “l’extase” est recherchée,car il s’agit toujours de quelque chose de typique, d’exotique, standardisépar les mass media et constituant l’unique en général. À cette extrémité dufonctionnement psychique pris dans un cul-de-sac, les somatisations sontpossibles, atteignant le corps réel, non pas donc somatisations du figuré,

1. Sami-Ali, Le visuel et le tactile. Essai sur la psychose et l’allergie, Paris, Dunod, 1984.2. L’aspect temporel de la toxicomanie est effleuré par Claude Olievenstein qui parlede “discontinuités émotionnelles, affectives et cinétiques du toxicomane”. « Aspectpsychodynamiques du développement et du devenir d’un toxicomane, » in Confrontationspsychiatriques, no 28, 1987.

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Préface à l’édition de 1988 --- XXIII

mais somatisations du littéral et du neutre, en corrélation négative avecl’imaginaire1). On est en plein dans une pathologie qui relève davantagede la psychosomatique que de la psychanalyse, aux antipodes du tableauclinique propre à l’Égypte. Entre les deux exemples, c’est toute la différenceentre un refoulement réussi de la fonction de l’imaginaire et l’échec de cemême refoulement.

Les choses, cependant, sont moins tranchées qu’il n’apparaît, car la ruptureavec l’imaginaire s’observe aussi en Égypte, créant de la même façon, à lafaveur de l’impasse, des situations propices aux maladies organiques. C’estalors que l’on constate qu’à l’échec au refoulement s’est insidieusementsubstitué un refoulement implacable, sans retour de refoulé. La vie oniriques’évanouit, mais laisse le sentiment d’une mutilation, d’un appauvrissementsubi et incompréhensible. S’il y a ici aliénation, elle n’est pas consentie, ce quicontraste avec l’absence de tragique dans un fonctionnement caractériel sansfaille. Et c’est là que se reconnaît la troisième forme majeure de la pathologie,définie par référence au psychique et au somatique, correspondant aupassage du refoulement manqué de l’imaginaire en tant que fonction, aurefoulement réussi, et qui, pour caractériser l’Égypte, n’en demeure pasmoins une potentialité intrinsèquement humaine.

Le haschisch en Égypte et Le banal sont les deux moments de la mêmeinterrogation.

SAM-ALI

1. Rares sont les chercheurs sensibles à la dimension psychosomatique dans latoxicomanie. Pourtant on peut lire : “Ce qui est recherché également par un grandnombre de sniffeurs, c’est un état d’acuité sensorielle évoquant l’hypnagogie, étatpermettant, par régression, de pallier une défaillance de la fantasmatisation par le recoursà des stimulations perceptives extérieures”. P. Angel, M. Botbol, F. Facy, Adolescents etsolvants, p. 148, Paris, Eco-Centurion, 1987.

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