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Île de Pâques Découverte d’une ancienne canalisation d’eau douce comprenant : deux barrages, un canal d’acheminement, des allées cérémonielles et des bassins, dont un en pierres taillées. Certains indices laissent aussi entrevoir que certains rituels liés à l’eau y étaient pratiqués. S'agirait-il d’une réalisation des Incas ? Jean Hervé Daude 2019. Mise à jour du livre : Île de Pâques – L’empreinte des Incas, les monuments

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Île de Pâques

Découverte d’une ancienne canalisation d’eau douce comprenant : deux barrages, un canal d’acheminement, des allées cérémonielles et des bassins,

dont un en pierres taillées. Certains indices laissent aussi entrevoir que certains rituels liés à l’eau y étaient pratiqués.

S'agirait-il d’une réalisation des Incas ?

Jean Hervé Daude

2019. Mise à jour du livre : Île de Pâques – L’empreinte des Incas, les monuments

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Île de PâquesL’accessibilité à l’eau douce

L’Île de Pâques, depuis sa découverte, a toujours été considérée commeune île qui ne possédait ni rivière ni ruisseau permanent. Comment alorsles anciens insulaires se débrouillaient-ils pour se désaltérer ? SelonSebastian Englert, ils utilisaient très peu d’eau douce, laquelle leurservait uniquement pour boire afin de se désaltérer. La nourriture sepréparait dans des fours souterrains, en curantos, et ils utilisaient de l'eaude mer pour toutes autres utilisations courantes, il s’agissait donc d’uneconsommation très limitée d’eau potable.

Le peu d’information que nous avons concernant l’utilisation de l’eaudouce à l’Île de Pâques provient des comptes-rendus des premiersexplorateurs européens. Ainsi, Roggeveen, Cook et La Pérouse, entreautres, lesquels sont restés très peu de temps sur l’Île, ont tout au plussouligné que l’eau potable y était de piètre qualité. Des missionsarchéologiques et ethnologiques ont par la suite souligné l’existenced’étangs à l’intérieur des cratères des anciens volcans.

À partir de 1935, Englert a recueilli plusieurs traditions oralesconcernant l’eau douce, sa consommation, son entreposage ainsi que sarareté en période de sécheresse. Il a par la suite recherché des endroitsprécis sur l’Île afin de vérifier la véracité de toutes ces informations.C’est ainsi qu’il a pu produire une liste précieuse d’anciens puits etciternes d’eau. Il a aussi décrit l’accès à l’eau potable des étangs situésdans les anciens cratères (Englert : 1948).

En effet, les seules grandes nappes d'eau douce disponibles sur l’Île sontconstituées par les étangs situés au fond des cratères des anciens volcansRano Kau, Rano Raraku et Rano Aroi. Le Rano Kau constitue la pointeSud-Ouest de l'Île de Pâques. Son cratère d'un kilomètre de diamètre auxparois abruptes fait plus de 300 mètres de profondeur. Son fond plat estcouvert de plusieurs petits étangs où pousse une grande quantité dejoncs. Dans le Rano Raraku, il y a un seul grand lagon où l’eau y estaujourd’hui en grande partie recouverte de joncs. Son cratère ayant trèspeu de profondeur, les anciens Pascuans qui vivaient dans la région duRano Raraku avaient l'avantage de s'y approvisionner en eau plusfacilement que ceux qui vivaient près du Rano Kau.

Étangs au fond des cratères du Rano Kau et du Rano Raraku

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Étang partiellement recouvert de joncs totora au fond du cratère de l’ancien volcan Rano Raraku.

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Le mont Terevaka

Maunga Terevaka, c’est-à-dire le mont Terevaka en dialecte pascuan, est situé au centre de l’Île, vers son extrémité nord, et culmine à plus de 500 mètres dehauteur. La forme en triangle de l’Île est d’ailleurs due au Terevaka et à deux autres sommets constitués des volcans Poike et Rano Kau. Le Terevaka nepossède pas de cratère principal, il est plutôt constitué de plusieurs petits cratères, car son origine est le produit de plusieurs éruptions volcaniques différentesqui ont eu lieu dans le même secteur.

Maunga Terevaka est l’endroit sur l’Île de Pâques qui reçoit les précipitations les plus abondantes. En effet, alors que les précipitations annuelles atteignent toutau plus 700 à 1200 millimètres à la petite bourgade d’Hanga Roa, elles peuvent atteindre jusqu’à 1500 millimètres au Terevaka et même encore plus lorsd’années exceptionnelles.

Dans les temps anciens, le Terevaka était couvert par de nombreux arbres et selon les vestiges d’habitations qui y ont été retrouvés un grand nombre dePascuans auraient habité sur les lieux. Le nom « Terevaka » peut nous fournir un indice sur les activités qui avaient lieu à cet endroit. En effet, selon Englert,« tere vaka » serait le terme désignant des « pescador », soit des « Persona que pesca, en especial si se dedica a ello profesionalmente », c’est-à-dire, despersonnes qui pêchent en s’y consacrant professionnellement. Englert mentionne aussi que : « terre vaka : patron de bote de pesca, pescador que sale en bote »,c’est-à-dire, un modèle de bateau de pêche ou un pêcheur partant en bateau, tout dépendant du contexte.

Englert a aussi spécifié que « los tangata heuheu henuatrabajaban la tierra, los tangata tere vaka salian a lapesca de atunes en los botes, otros a la pesca delangostas, anguilas y peces de la costa, y todos eranpagados con abundante comida. » Ce qui signifie queles tangata heuheu henua travaillaient la terre, alors queles tangata tere vaka allaient à la pêche au thon avecdes embarcations, ainsi qu’à la pêche à la langouste, àl'anguille et aux poissons côtiers et que tous étaientrétribués avec une nourriture abondante. Nous pouvonsajouter que cette nourriture était aussi probablement trèsvariée puisque dans le cas des pêcheurs, ceux-ciconsommaient déjà des produits de la mer, ils devaientdonc aussi être rétribués avec des produits de la terre enéchange de leurs propres produits.

Il s’agirait donc de pêcheurs professionnels. Il est alorsfort probable qu’à une époque ancienne, cet endroitboisé à l’origine ait été le lieu de fabricationd’embarcations de pêche.

Mont Terevaka

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Rano Aroi

Le principal cratère du Teveraka s’appelle le Rano Aroi. Il possède une lagune intérieure qui constitue d’ailleurs la troisième réserve d’eau douce de l’Île enimportance, après celles de Rano Kau et de Rano Raraku. Contrairement aux deux cratères précédents, le cratère du Rano Aroi est très peu visible, car très peuencastré. De plus, toute sa surface est recouverte de joncs ce qui fait en sorte que l’on ne peut discerner la nappe l’eau qui y est pourtant présente. Ces joncs,appelés de nos jours « totora » par les Pascuans, poussent dans les nappes d’eau au fond des cratères des trois anciens volcans de l’Île. Il s’agit d’une planteherbacée vivace aquatique de la famille des Cyperaceae, de son nom scientifique, Scirpus riparius. Ce jonc est présent sur la côte ouest-américaine du Mexiquejusqu’au Chili, sa présence et son utilisation sont aussi bien attestées en Équateur et au Pérou depuis très longtemps, où ils sont appelés « totora ». Ce jonc y estd’ailleurs très répandu dans les estuaires, les marécages et dans certains lacs, dont le lac Titicaca.

Les tribus Quechua de la côte ouest sud-américaine l’appelaient « t'utura » d’où son nom dérivé de « totora ». Les Mapuches situés plus au sud l'appelaient« vathu ». Fait à noter, dans l’ancien dialecte pascuan, ces joncs sont appelés « nga’atu ». Nous savons que dans plusieurs dialectes polynésiens « nga » indiquele pluriel, « nga’atu » se traduirait donc par : « les atu ». Soulignons la forte ressemblance entre le terme « vathu » utilisé par les Mapuches de la côte ouest sud-américaine et le terme « atu » utilisé par les Pascuans.

À une époque récente, les joncs totora constituaient sur l’Île dePâques un matériau de première importance suppléant aumanque de bois sur l’Île. Selon la tradition orale pascuane,l’introduction de ces joncs et leur plantation dans les étangs descratères de l’Île seraient l’œuvre d’un personnage mythiqueimportant du nom de Ure. Curieusement, ces joncs totora, ne seretrouvent nulle part ailleurs en Polynésie. On les retrouvecependant à plusieurs endroits de la côte du Pérou et au lacTiticaca. Notons qu’il s’agit exactement de la même espèce etque l’utilisation variée qui en est faite est aussi identique auxdeux endroits.

Si l’on se fie aux analyses d’échantillons de sédiments pris dansles différents étangs, les joncs totora seraient apparus dans unepériode récente. Il ne s’agit donc pas ni d’une plante endémiqueni d’une plante introduite de longue date.

D’où et comment ce personnage mythique appelé Ure aurait-ilpu apporter ces joncs ainsi que les techniques indispensablespour en faire des objets utilitaires, sinon à partir des endroitsd’où ils poussaient déjà… Ce jonc poussant en Amérique, ceuxqui ont apporté ce végétal sur l’Île savaient qu’il pouvait êtreimportant pour leur mode de vie ou leur survie, ou, ils l’ontpeut-être emporté avec eux, à tout hasard croyant qu’il pourraitpossiblement leur être de quelques utilités.

Étang complètement recouvert de joncs à l’intérieur du cratère du Rano Aroi.

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Ava Ranga Uka A Toroke Hau

Lorsqu’il pleut abondamment, le surplus des eaux de l’étang duRano Aroi ne déborde pas de l’ancien cratère, mais s’infiltre sousle sol. À une certaine distance de là il réapparaît sous la forme depetits cours d'eau. Toujours selon Englert, une de ces sourcesapparaît dans le versant de la montagne à un site appelé Vai Pù,entre l’étang et Vaitea. Selon ses propres constatations : « Ilexiste à cet endroit une sorte de canal réalisé par les anciens, faitde pierres taillées, appelées paenga ».

Autrefois, l'un des ravins qui descendaient vers le sud-est portaitdifférents noms le long de son parcours. Au tout début, ils'appelait Tea Vai, c’est-à-dire « eau blanche ». Aujourd'hui, cetteeau est cependant déviée de son parcours original afin d’irriguerdes champs. Plus haut, là où le courant coulait en cascades deroche en roche, à l’ombre de magnifiques fougères, les"nehenehe", le petit ravin s’appelait « Ko te Ava ranga a Uka AToroke Hau » ce qui signifie : « le vallon dans lequel restaflottant, le corps de la jeune fille Uka, fille de Toroke Hau ».Selon la tradition orale, cette jeune fille était demeurée seule unenuit dans la hutte familiale pendant que ses parents étaient partis àune fête. Une pluie torrentielle soudaine tomba et une véritableavalanche d'eau dévala le ravin détruisant la hutte et emportant lajeune fille qui se noya. Son corps inerte fut par la suite retrouvéflottant dans une mare d’eau du ravin.

Il est étonnant de constater qu’une bribe de tradition orale quiapparaissait tout simplement incongrue du fait que tous lesexplorateurs et navigateurs avaient auparavant considéré que l’Îleétait dépourvue de cours d’eau était en réalité crédible commenous allons le voir.

L’intérêt pour cette tradition orale a d’ailleurs donné lieu par lasuite à une découverte importante sur l’Île puisque desscientifiques qui avaient déjà effectué plusieurs recherches sur lecontinent concernant la canalisation de l’eau à l’époqueprécolombienne s’intéressèrent à l’endroit en question signalé parla tradition orale pascuane.

Ravin à Ava Ranga Uka.

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Une canalisation de l’eau à l’Île de Pâques

Des archéologues allemands, sous la direction de Burkhard Vogt, en collaboration avec l’organisme chilien la CONAF, ont en effet découvert des vestiges decanalisation en effectuant des fouilles à Ava Ranga Uka A Toroke Hau. Les résultats de ces fouilles effectuées entre 2008 et 2010 sont particulièrementétonnants comme nous allons le voir.

Ava Ranga Uka A Toroke Hau est situé sur le versant sud de Maunga Terevaka, à une altitude d'environ 270 m au-dessus du niveau de la mer. Le site se trouveà une altitude un peu plus élevée que la zone où l'ancienne agriculture était traditionnellement pratiquée sur l’Île et bénéficie de fortes précipitations. La plupartdes eaux de ruissellement provenant du Terevaka vont rejoindre l’étang du cratère du Rano Aroi. Une partie de cette eau s’écoule ensuite dans la QuebradaVaipu (ravin de Vaipu) jusqu'à proximité d'Akahanga situé sur la côte sud. Selon ces archéologues, il y a de bonnes raisons de penser que le ravin contenait,jusqu'à une date récente, un ruisseau qui pouvait couler régulièrement.

Selon ces chercheurs, le site d'Ava Ranga Uka A Toroke Hau peut être divisé en deux sections, une partie occidentale assez grande avec les traces d'un petitvillage et une partie orientale avec une statue en pierre appelée Hanua Nua Mea qui, à une certaine époque, était érigée sur une plate-forme et qui gît maintenantà terre. Des traces d’un puits ont aussi été retrouvées non loin de là, l’eau puisée dans celui-ci aurait été utilisée pour favoriser la croissance de palmiers, ce quidémontre là un souci particulier de prendre soin des ressources de l’Île.

On retrouve aussi, sur le site de l’étroit ravin, un élargissement sous forme d’un bassin naturel d’environ 80 m de long, ainsi que les vestiges d'une grandeterrasse bordée de pierres ayant pu servir de barrage. À 40 mètres plus bas, le ravin qui descend en pente porte aussi les vestiges d’une autre terrasse bordée depierres.Après avoir dégagé la végétation sur les pentes du ravin, les chercheurs ont aussi découvert plusieurs surfaces pavées comme celles trouvées lors des fouilleseffectuées au barrage. Ils constatèrent aussi que même si les pentes du petit bassin naturel sont maintenant ensevelies sous les débris qui se sont ajoutés depuisl'abandon du site, il ne fait aucun doute, selon eux, que le dallage couvrait autrefois toute la zone. Ils considérèrent que l'énergie, les matériaux et la main-d'œuvre nécessaires pour effectuer ce travail doivent avoir été énormes.

Les archéologues ont aussi découvert plusieurs autres structures, dont des petits murs le long du ruisseau, des murs de soutènement pour des terrasses, et,surtout, énigmatiquement, plusieurs sections de dallages sur les pentes du ravin. Selon eux, il est parfaitement évident que le bassin naturel, dans son ensemble,avait été transformé par l'activité humaine dans le but de gérer l'utilisation de cette eau.

Selon eux, les vestiges des deux terrasses bordées de pierres suggèrent la présence antérieure de barrages. Les anciens habitants auraient donc appris à contrôlerl’approvisionnement en eau à cet endroit pour assurer, entre autres, la consommation et l’irrigation des cultures. Les deux digues construites l'une après l'autreauraient formé des barrières sur toute la largeur du ravin afin de contrôler le débit d’eau lors de sa descente et d’en assurer la régularité.

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Ces fouilles ont aussi mis à jour d’autres surprenantesdécouvertes : un canal se terminant par un petit bassintrapézoïdal, trois pétroglyphes dans le fond d’un autrebassin particulièrement bien construit, une cachecontenant des objets miniatures, des graines et descoques de noix.

Pour Vogt, les vestiges de deux terrasses bordées de pierressuggéreraient la présence antérieure de barrages. Les anciensPascuans les auraient construits pour aménager de vastesbassins de rétention des eaux de pluie.

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À environ 50 m au-dessus de la première digue, les archéologues ont effectué des fouilles à un endroit où émergeait du sol ce qui semblait être des parties de quatredalles de pierre particulièrement bien taillées. Ils ont ainsi pu mettre à jour une structure mégalithique qui constitue un bassin rectangulaire de près de 5 m sur 3 met d’une profondeur d'environ 1,5 m. Le fond de cette structure est entièrement pavé et les parois sont constituées de onze dalles bien taillées soigneusementpositionnées. De grandes pierres sont dressées verticalement tout le tour, l’une d’elles faisant plus de 2 m de long par 1 m de large, a particulièrementimpressionnée les archéologues. Superposées à celles-ci, jusqu'à deux couches de pierres taillées étaient installées à l'horizontale. Tout cet ouvrage nous sembleêtre un exploit particulièrement surprenant considérant que toutes ces pierres sont en basalte, une roche volcanique relativement dure et difficile à travailler alorsque les Pascuans ne disposaient que de marteaux de pierre.

Selon les archéologues, toutes ces pierres semblent bien, dans l’ensemble, avoir été taillées spécifiquement pour réaliser un bassin. Ce bassin se remplissait par unearrivée d’eau à l’aide de pierres de hauteur différentes et nous semble avoir fonctionné comme une fontaine se déversant dans le bassin (L’arrivée d’eau est visibledans le coin inférieur gauche de l’illustration ci-bas).

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Un site cérémoniel particulièrement important

C’est la toute première fois, sur l’Île de Pâques, que des vestiges sont découverts dans le lit d’un cours d’eauoccasionnel et que de vastes surfaces de dallages, qui ne sont pas liées aux allées cérémonielles des ahu, sont misà jour. Sur la base des résultats des différentes fouilles effectuées à Ava Ranga Uka A Toroke Hau, lesarchéologues sont convaincus que la partie centrale du site, en particulier, aurait pu être plus qu'un simpleassemblage de monuments hydrauliques. En effet, tous ces travaux ne peuvent être expliqués seulement par descritères purement fonctionnels, tels que canaliser l’eau pour des cultures. Il s’agirait, selon eux, plutôt d’un sitecérémoniel particulièrement important.

Selon Vogt, les Pascuans auraient non seulement utilisé cette eau canalisée à des fins domestiques et agricoles,mais aussi à des fins rituelles. En effet, les archéologues de son équipe ont fait une découverte particulièrementintéressante. Ils ont trouvé près d’une quarantaine de fragments de coraux dans les sédiments situés juste derrièrele premier barrage. Ils considèrent que ces fragments, provenant de la mer et qui donc ne sont pas arrivés à cetemplacement de façon naturelle, suggèrent fortement une sorte d'offrande sacrificielle qui peut faire référence àun culte de l’eau sur l’Île de Pâques.

Vogt considère aussi que l’effort et l’énergie investis dans l’exécution du bassin bordé de pierres, la présence desa cache et de ses pétroglyphes, la découverte de coraux dans le réservoir, la proximité de l’ahu Hanua Nua Meaet de son moai, et surtout les dallages de pierre omniprésents le long du ravin attestent de la significationexceptionnelle du site. Celui-ci aurait contenu une composante cérémonielle majeure qui aurait fait d’Ava RangaUka A Toroke Hau une sorte de paysage sacré. Vogt croit, en effet, que dans l’ensemble, il s’agit là effectivementd’une sorte de sanctuaire doté d'une plate-forme cérémonielle pour l'exécution de rituels précis (Vogt : 2010).

De plus, selon Vogt, la présence de cette canalisation, de l’ahu Hanua Nua Mea et de sa statue, ainsi que desvestiges d’un village indiqueraient un contrôle qu’une élite aurait exercé sur le site d’Ava Ranga Uka A TorokeHau.

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Une influence inca…

Rien de tel n’a été retrouvé sur les autres îles polynésiennes. Tout au plus quelques pierres brutes ont été retrouvées le long de ruisseaux pour en renforcer lesparois. S’agirait-il là d’une invention locale ou cette expertise reliée à la canalisation de l’eau et aux rituels qui y étaient été associés proviendrait-elle d’ailleurs.

Nous avons vu que les premiers explorateurs ont retrouvé sur l’Île de Pâques tout un foisonnement artistique et architectural, dont, entre autres, des centaines destatues de pierre, appelées moai, qui étaient souvent positionnées sur de grandes plates-formes, appelées ahu. Or, des statues en pierre à l’aspect particulièrementréaliste, taillées en grande quantité et dans de telles dimensions, ne se retrouvent nulle part en ailleurs en Polynésie. Tout au contraire, les statues de pierred’aspect réalistes étaient courantes au Pérou et ce, dans toutes les grandeurs. Une grande partie des statues du Pérou étaient taillées dans du basalte, une pierrebeaucoup plus dure que le tuff volcanique, ce qui demande une grande expertise. Or, quelques moai de l’Île de Pâques ont aussi été taillées dans ce genre depierre.

Différents types de constructions de pierres empilées ont aussi été découverts sur l’Île, dont des petits jardins circulaires, appelés manavai, ainsi que des toursrondes, appelées tupa, et des maisons basses. Les tupa et les maisons de pierres ont été construites avec la technique sophistiquée des plafonds à encorbellement.Or, les tours en pierres et les habitations en pierres ne sont pas construites et utilisées sur les autres îles polynésiennes et la technique sophistiquée des plafonds àencorbellement y est totalement inconnue. Tout au contraire, des tours de pierre, appelées chullpas et des habitations de pierres, toutes deux dotées de plafonds àencorbellement sont très courantes au Pérou.

Nous avons aussi vu que l’ahu Vinapu, un monument de pierres taillées et polies s’ajustant parfaitement les unes aux autres, a été réalisé sur l’Île de Pâques. Or,un tel monument n’existe nulle part ailleurs en Polynésie, alors qu’ils sont très courants au Pérou. De plus une petite pierre trapézoïdale identique à celle intégréedans le mur aux joints parfaits de l’ahu Vinapu se retrouve aussi sur une chullpa au bord du lac Titicaca où elle est disposée de la même manière. Les pierrespaenga servant à faire les assises des huttes pascuanes, percées de trous de diamètre régulier et parfois taillées en forme d’ellipse, ne se retrouvent nulle part surles autres îles de la Polynésie. Ces techniques précises employées pour façonner ces pierres sont cependant très répandues au Pérou.

Étant donné que tous les monuments de pierre de l’Île de Pâques, dont la vaste majorité ne trouve aucun équivalent ailleurs en Polynésie, trouvent cependantsystématiquement tous leur équivalent au Pérou, il nous apparaît donc important de vérifier s’il pourrait y avoir, là encore, une influence inca concernant cesaménagements de pierre reliés à la gestion utilitaire et rituelle de l’eau à l’Île de Pâques.

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PérouL’accessibilité à l’eau douce

Au cours de l’histoire précolombienne de l’Amérique du Sud, de nombreuses civilisations se sont succédé au cours des siècles, principalement sur la côte ouestet dans les régions andines. La plupart avaient développé une grande expertise dans la gestion de l’eau douce, ce qui a permis de favoriser leur expansion. AuPérou, c’est en réalisant de longs canaux d’acheminement dans les vallées côtières ainsi que des terrasses de cultures accompagnées de mécanismes d'irrigationdans les Andes, que plusieurs communautés ont pu cultiver de grandes superficies de terres, favorisant à la fois une agriculture extensive et intensive. Cestechniques ont permis l’accroissement des populations et ont aussi favorisé l’émergence de civilisations sophistiquées. Entre l'Océan Pacifique et les sommetsdes Andes se trouve un désert côtier qui rendait l’agriculture pratiquement impraticable due au manque d’eau. Cette zone désertique s’étendait sur plus de 3 000kilomètres de long et jusqu’à 160 kilomètres de large, selon les endroits. Ce climat désertique des côtes longeant le Pacifique est dû aux courants océaniquesfroids qui remontent du Sud et assèchent les terres sur son passage.

Cependant, ce désert n'était pas totalement stérile puisque quelques coursd’eau s’écoulant des sommets des Andes jusqu’à la mer permettaientl’émergence de bandes de terre fertile le long de leur parcours. Grâce auvaste système d'irrigation artificielle qui y avait été développé dansl’ancien Pérou, certaines étendues désertiques de cette côte ont pu êtretransformées en champs bien cultivés.

Par ailleurs, dans les Andes subsistent de nombreux villages de pierrepresque intacts où habitait une population nombreuse qui y vivaitd'agriculture. Pour ce faire, ils avaient canalisé des sources d’eau afind’irriguer des terrasses soigneusement aménagées et ils avaient mêmeréussi à contrôler les débits de ces cours d’eau en utilisant un système deréservoirs pour recueillir l’eau, laquelle était ensuite distribuée par descanaux et des fossés afin de fournir un approvisionnement régulierindispensable aux végétaux qu’ils cultivaient ainsi que pour les besoins dela population.

Ce système d'irrigation comprenait un gigantesque réseau de canaux pavésen pierre ou même parfois sculptés à même le granit de la cordillère. Desrivières avaient été endiguées et détournées de leur cours. Des barragesavaient été érigés afin de retenir et stocker l’eau pour en diffuser lecontenu lors de périodes propices. Les innombrables terrasses construites àflanc de montagne avaient non seulement pour objectif d’augmenter lessurfaces agricoles en aménageant les terrains en pente, mais aussi deprotéger les cultures des ennemis, car elles étaient ainsi plus faciles àdéfendre. L’irrigation était aussi plus facilement gérable grâce à l’eauprovenant des hauteurs de ces montagnes. Force est d’admettre que dansl’ensemble la construction de ces terrasses a demandé une gigantesqueforce de travail.

Certaines canalisations incas traversaient des cités et villages de manière à ce que l’eau douce soit facilement accessible aux habitants.

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Des techniques hydrauliques très anciennes au Pérou

Le site de Cumbe Mayo

Le site archéologique de Cumbe Mayo est un très bon exemple de lascience hydraulique qui prévalait chez les anciens Péruviens. En effet, prèsde la ville de Cajamarca, à 3 500 mètres d'altitude, les anciens habitants ontconstruit un système de canalisation impressionnant afin de détourner del’eau d’une rivière.

Ce canal de plusieurs kilomètres de long permettait aux habitants de lavallée de détourner de l'eau douce qui s’écoulait naturellement sur leversant est afin de l’acheminer vers le versant ouest, du côté de l’océanPacifique, là où leur village était implanté.

À Cumbe Mayo, une partie de la canalisation traversant des terres a été pavée alors qu’une autre partie a été taillée à même le roc.

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Pour acheminer l’eau sur leur versant, ils ont creusé dans laroche un canal de 30 à 50 cm de largeur et d’une profondeurde 30 à 65 cm. Un petit pont a même été construit afin quel’eau canalisée puisse traverser un ravin. Les constructeurs ontaussi parfois donné au trajet de ce cours d’eau une formezigzagante afin d’en ralentir le débit.

Cette eau détournée de son trajet d’origine rejoignait unréservoir naturel pour ensuite être répartie vers des champs deculture. L’accessibilité à l’eau douce, grâce à ses travauxconsidérables, a été un des facteurs indispensables à l’essor dela population de cet endroit. Étonnement, cet ingénieuxsystème a été construit vers 1 500 av. J.-C., soit bien avant lesréputés aqueducs romains.

Le débit de l’eau à Cumbe Mayo est ralenti à certains endroits par un tracé en zigzag de la canalisation. Un aqueduc a aussi été construit pour que l’eau douce puisse traverser un petit ravin afin de pouvoir poursuivre son parcours.

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Des barrages pour réguler la disponibilité de l’eau douce

Le barrage de Collpa

Parmi les barrages qui avaient été érigés afin de retenir et stocker l’eau pour en diffuser le contenu lorsque nécessaire, le réservoir de Collpa, réalisé par lesanciens Péruviens, constitue l’une des œuvres emblématiques de la région. Il continue d’ailleurs, encore aujourd’hui, de pouvoir fournir un écoulement de l’eaude façon régulière. Le mur solide réalisé en pierre et en argile continue à retenir l’eau et laisse s’écouler l’eau sous la forme d’une petite cascade.

De telles structures nécessitent des calculs rigoureux pour garantir leur fonctionnalité. Une planification importante a dû être nécessaire avant d’effectuer cestravaux. Un effort aussi énorme dans le déplacement de matériaux nécessaires à la réalisation d’un tel barrage n’a pu se faire sans l’acquis d’une grandeconnaissance des bassins et d’un énorme travail de planification.

Le barrage de Collpa laisse couler l’eau sous la forme d’une petite cascade.

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Les Incas : des virtuoses des travaux hydrauliques

L’Empire inca a duré moins d’un siècle et demi, néanmoins son expansion a été fulgurante. Les Incas ont conquis ou annexé presque toutes lescivilisations contemporaines des Andes et des régions côtières adjacentes. Vers 1530, presque tous les anciens territoires et peuples de la côte ouestsud-américaine firent partie de cet empire qui comprenait un très grand territoire situé le long de la côte et dans les Andes du Pérou, de la Bolivie, del'Équateur, de la Colombie, du Chili et de l'Argentine. Les incas ont aussi par la même occasion, avec succès, assimilé toutes les connaissancesacquises par ces différents peuples, y compris et surtout, les technologies d'ingénierie hydraulique dont ils firent d’ailleurs grand usage par la suite.

Les Incas vénéraient la nature et les ressources indispensables telles que la terre et l’eau. L’eau potable avait cependant pour eux une valeur centrale,car elle est essentielle à la vie humaine, que ce soit pour se désaltérer ou pour favoriser l’agriculture et l’élevage. La civilisation inca était d’ailleursbasée sur une organisation agricole très efficace, les Incas ayant même réussi à transformer des flancs de montagnes abruptes en zones de cultureprolifiques. Ils ont fait preuve de connaissances d’ingénierie très élaborées et bon nombre de leurs œuvres hydrauliques sont encore visiblesaujourd’hui, voire même encore utilisées avec efficacité par des populations locales.

On peut même considérer qu’en Amérique du Sud la civilisation inca est celle qui a poussé le plus loin le concept d’architecture hydraulique. C’estgrâce à l’assimilation des techniques de leurs prédécesseurs que l’ingénierie inca a pu atteindre un niveau aussi exceptionnel en si peu de temps. Lesincas ont d’ailleurs non seulement perfectionné l’ingénierie de l’acheminement de l’eau, mais ils ont aussi réussi à l’intégrer parfaitement dans desensembles architecturaux d’envergures.

L'ethno-anthropologue Alfred Métraux, celui-làmême qui fit partie de l’expédition franco-belge àl’Île de Pâques en 1934-35, est lui aussi resté enadmiration devant ces prouesses des Incas, d’autantplus que certains de ces canaux et aqueducs étaientencore utilisés plusieurs centaines d’années après leurconstruction.

Selon Métraux : « les canaux construits par les Incasconstituent l'un des miracles architecturaux de cettecivilisation et constitue la meilleure illustration dugénie inca. » Il ajoute même que: « (...) les travauxhydrauliques dont Garcilaso de la Vega dit, dans unaccès d'enthousiasme, « qu'ils surpassent les plusmerveilleux ouvrages qui soient au monde ». Commelui, nous avons peine à comprendre « comment sansaucun instrument de fer ni d'acier, à force de brasseulement et avec de grosses pierres, les Indiens ontpu faire de pareils ouvrages; comment ils ont purenverser des roches immenses, remonter à la sourcedes rivières pour en éviter la profondeur et traverserles montagnes les plus hautes. ». ».

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Les Incas pavaient complètement les canalisations qui traversaient des terres de manière à conserver l’eau la plus pure possible.Photo: gracieuseté de Guy Vanackeren

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La grande vallée fertile de Cuzco, située dans les hauts plateaux du Pérou, fut le centre de l'Empire inca. Une fois le contrôle de cette région réalisé, les Incas sesont lancés dans un ambitieux programme de construction monumentale dans ce qui allait devenir la capitale impériale de Cuzco.

L’étude du fonctionnement des systèmes d'irrigation dans la région entourant Cuzco laisse entrevoir que ces réseaux hydrauliques étaient fondamentaux pourl'organisation d'unités territoriales, sociales et politiques des Incas. En canalisant les eaux de sources lointaines, les canaux d’acheminement ont permis d’intégrerles zones d’irrigation et leurs habitants en un système économique spécifique. En effet, les systèmes de canaux d'irrigation unissaient physiquement un territoiredonné et les communautés qui étaient impliquées dans leur construction, leur utilisation et leur entretien. La participation à des travaux et à des rituelscommunautaires liés à l'entretien des canaux d'irrigation locaux garantissait leur accès à l'eau aux habitants de cette zone qui étaient identifiés à ces ressources.Cette gestion de l’eau aurait permis de soumettre et d’unir les peuples andins.

Il semble bien que sous la domination des Incas, l'administration de l'eau sous forme de rituel avait atteint autant d’importance que son rôle utilitaire. En effet,pour les Incas l’eau douce n’était pas considérée comme une simple ressource naturelle. Il s’agissait pour eux d’une ressource qui possédait une signification bienparticulière, à tel point que les notions de communauté, de hiérarchie et de pouvoir auraient été articulées à travers la manipulation physique et rituelle de l'eau.

Rituel lié à l’eau dans une rivière. Une canalisation permet l’accessibilité à l’eau douce dans un village inca.

Photos: gracieuseté de Guy Vanackeren

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Le site de Tipon

Au fur et à mesure de l’expansion de l’Empire inca, des complexes d'un type entièrement nouveau sont apparus dans les Andes, telles desrésidences princières, où le palais s’élevait au milieu de vastes systèmes de terrasses, irrigués par des mécanismes utilisant des canaux et desbassins communicants, lesquels étaient alimentés par des étangs, des ruisseaux et des sources. Certains de ces ensembles, dont les monumentssont encore visibles aujourd’hui et sont même encore en fonction, sont des réalisations d’envergure et répondent toujours aux besoins de lapopulation de la région, démontrant ainsi toute la virtuosité des architectes et des organisateurs incas.

Ainsi en est-il du complexe archéologique de Tipon qui est situé à une vingtaine de kilomètres de la ville de Cusco, à une altitude de plus de3500 mètres. Sa construction est généralement attribuée à Pachacuti, fils de l'empereur inca Wiracocha, qui le fit ériger à la suite d’une bataillemémorable où les Incas remportèrent une victoire éclatante vers le milieu du XVe siècle.

À Tipon, la circulation de l’eau est magistralement intégrée à une ingénieuse architecture.

Les Incas ont réalisé à cet endroit desmonuments impressionnants au niveauarchitectural et en particulier dansl’aménagement de la circulation de l’eauet de sa distribution sur le site. Lessystèmes de canalisation de l'eau et lesfontaines étaient en effet des élémentsparticulièrement importants dans laconception des sites incas de prestige.

Les canaux de Tipon sont toujours enétat de fonctionnement et ils continuentd’acheminer l’eau sur le complexearchéologique. On retrouve à cet endroitdouze terrasses, parmi les plus grandesconnues au Pérou, avec des canaux et deschutes d’eau. Ce système d'irrigation estparticulièrement ingénieux et démontreune grande connaissance de l'ingénieriehydraulique. La fontaine principale estalimentée par une source qui se scinde endeux, et ce, à deux reprises, pour finir parcréer quatre jets d’eau distincts.

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Le site de Tipon représente probablement l'un des plus anciens domaines royaux construits par les Incas. Réalisés par des souverains, ces domaines auraientaussi constitué des lieux de production agricole qui leur étaient exclusifs.

Tipon est situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale inca. Le site contient un ensemble de terrasses agricoles monumentales et d’impressionnants réseauxde distribution d’eau. Tipon a d’ailleurs été décrit comme un « jardin aquatique inca » en raison de ses impressionnants travaux d'ingénierie hydraulique. Uncanal de 3 kilomètres de long y a été construit afin d’acheminer de l’eau d’une rivière jusqu’au site. Ce canal est bordé de pierres et sur une petite partie de sonparcours un aqueduc faisant jusqu’à 4 mètres de hauteur permet à l’eau de traverser une dénivellation du terrain.

Une fois arrivée à Tipon, l’eau est répartie en plusieurs canalisations afin de servir à différents usages. Une partie de cette eau sert à irriguer 13 énormesterrasses, tandis que d’autres canaux acheminent l’eau vers un complexe résidentiel et un groupe de maisons d'élite. Une fontaine impressionnante est aussialimentée par différents jets séparés, l’eau étant subdivisée deux fois en amont pour produire quatre jets. Un peu plus loin, une partie de l’eau est détournée versune petite enceinte avec des niches murales intérieures, selon les archéologues, il s’agirait d’un bain utilisé pour des nettoyages rituels.

La manière dont cette eau était canaliséeaurait aussi traduit une hiérarchie desrelations sociales. En effet, son trajetdébutait dans les lieux occupés par desrésidences où les élites habitaient pour seterminer dans les zones résidentielles deshabitants du fond de la vallée.

L'effort important déployé pour détournerune partie de l’eau d'une rivière lointaine etl’ensemble des travaux somptueusementconçus à Tipon autour de l'eau permettent deconstater que les Incas avaient le souci decontrôler et d'admirer le mouvement de l'eautout en l’incorporant majestueusement dansun environnement architectural. Leur butétait fort probablement de montrer demanière ostentatoire leur savoir-faire et lepouvoir dont ils disposaient en contrôlantparfaitement cette ressource indispensable.

Sur une petite partie du parcours de lacanalisation de Tipon, un aqueduc permet à l’eaudouce de continuer à couler malgré laconfiguration peu favorable du terrain .

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Le site de Tipon semble avoir eu une vocation non seulement utilitaire, mais aussi très rituelle. Constitué de terrasses avec des réseaux apparents ousouterrains de canalisation d’eau et des fontaines impressionnantes, ce site aurait servi à montrer le savoir-faire inca et à impressionner les élites desautres peuples conquis.

Notons, à Tipon, la présence d’un petit bassin à la forme trapézoïdale tout comme à Ava Ranga Uka A Toroke Hau à l’Île de Pâques, ainsi qu’unautre bassin au fond pavé, avec des dalles parfaitement taillées disposées à la verticale et d’autres dalles tout aussi bien taillées déposées sur lepourtour au niveau de la surface du sol.

À Ava Ranga Uka A Toroke Hau on retrouve de vastes terrasses pavées, des canalisations, un petit bassin au fond dallé et aux parois constituées depierres bien taillées dans une roche particulièrement dure. Tout ceci est identique aux plans d’eaux élaborés par les Incas où les jeux d’eauconstituaient la richesse des lieux. Ces constructions étaient réservées à l’élite pour des purifications rituelles, des offrandes, et pour faire étalage deleur important statut.

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Bassins en pierres taillées à Ava Ranga Uka à l’Île de Pâques et à Tipon au Pérou. De grandes dalles érigées à la verticale sont surmontées de dalles disposées à l’horizontale près de la surface du sol.

Île de Pâques Pérou

Bassins en forme de trapèzeet allées cérémonielles àAva Ranga Uka à l’Île dePâques et à Tipon au Pérou.

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Les offrandes incas aux sources d’eau et aux fontaines

Les sources d’eau étant considérées comme sacrées par les Incas, ils y effectuaient des sacrifices de leurs biens afin qu’elles continuent à coulerpour assurer la survie des communautés. Les Incas faisaient surtout des sacrifices de produits de la mer comme offrandes. Ces sacrifices étaientdéposés directement dans les sources, ou dans les bassins et fontaines. Il s’agissait surtout en l’occurrence de coquillages de mer, ceux-ci avaientune grande valeur pour les Incas, car ils venaient de très loin et il leur était difficile de s’en procurer. Ils les utilisaient pour des offrandes,estimant qu’il s’agissait là du sacrifice le plus approprié du fait qu’ils considéraient que ces sources et ces ruisseaux étaient les filles de la mer,laquelle était appelée « mama cocha ». Ils croyaient donc que ces offrandes, issues de la mer, leur seraient particulièrement agréables (Cobo :117).

Barnabé Cobo, dans son livre sur la religion inca et ses coutumes, mentionne d’ailleurs avec précision toute une liste de petits cours d’eau,sources ou ruisseaux, ainsi que des fontaines, où avait lieu ce genre d’offrandes spécifiques. Ainsi en est-il de Callancapuquiu, une source deTicatica, à laquelle étaient offerts des coquillages afin qu’elle continue à toujours s’écouler pour pourvoir au besoin des habitants de la région.Les Incas offraient aussi des coquillages à d’autres sources, dont une appelée Sacasaylla Puquiu et à une autre nommée Auacospuquiu. Il enétait de même pour des sources à qui ils offraient des coquillages qui étaient spécifiquement moulus, dont celle située à Carmenga, ainsi qu’uneautre nommée Chora, située près d’Andamacha et encore une autre nommée Quicapuquiu à Membilla .

Cobo rapporte aussi que les Incas offraient des coquillages en certaines occasions à une fontaine nommée Muchayllapuquiu près de Guaguaylla,ainsi qu’à une autre nommée Pomacucho. Il en était de même pour d’autres fontaines, telles la Collanasayba, la Ayacho, la Pacaypuquiu et laCaripuquiu. Ils offraient aussi, cette fois moulus, des coquillages aux fontaines du nom de Cuillorpuquiu, à une autre nommée Pilcopuquiu,située près de la ville de Corcora, à une autre appelée Suramapuquiu, à l’emplacement de Acoyapuncu, ainsi qu’à celle nommée CupaychangiriPuquiu à Guanacauri.

Parfois, les Incas faisaient des offrandes plus spécifiques. Ainsi à la fontaine de Lampapuquiu, à Andamacha, ils offraient des coquillages quiétaient uniquement de couleurs jaune et rouge ( Cobo : 60-76).

Tous ces signalements d’offrandes de produits de la mer par les Incas, à des sources, des ruisseaux ou à des fontaines, nous démontrent à quelpoint ils les vénéraient et toute l’importance que revêtait ce rituel d’offrandes pour eux. Il nous semble très probable que les produits de la merretrouvés à Ava Ranga Uka A Toroke Hau, à l’Île de Pâques, aient pu remplir les mêmes fonctions de vénérations pour ce petit cours d’eau queles Incas accordaient aux leurs, et ce, pour les mêmes raisons.

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Les rituels incas concernant l’eau douce

Lors de l’élaboration d’un nouveau canal d’irrigation, un notable organisait la force de travail des habitants des villages environnants. Lors dece travail en commun, chaque village prenait en charge la construction d’une section du canal à laquelle il s’identifiait par la suite. Une foisl’ensemble de la canalisation réalisé, chaque village avait droit à un accès à l’eau pour ses habitants. En contrepartie, cependant, des obligationssociales étaient requises pour la réparation et l’entretien des canaux afin de les maintenir en bon état au fil des ans. En plus de ces rituels prévuspour voir à l’entretien des canaux d’irrigation, un certain nombre d’autres rituels dans le calendrier cérémonial inca correspondait à des étapesimportantes du cycle hydrologique naturel des hautes terres et au moment de la répartition des eaux d’irrigation. Tous ces rites annuelssuggèrent que l’approvisionnement en eau douce, la politique et les rituels étaient étroitement liés chez les Incas.

Ces canalisations faisaient aussi l’objet de culte et des rituels d’adoration avaient lieu à des endroits choisis. La plupart du temps, il s’agissait dela source qui alimentait le canal d’irrigation, mais cela pouvait aussi être l’embouchure du canal. Par ailleurs, si un canal longeait une zonecomportant un étroit ravin, celle-ci était aussi considérée comme un lieu de culte important. De nombreuses sources dans la région entourantCuzco ont aussi été considérées par les Incas comme des sites sacrés, appelés huacas.

Un grand nombre des rituels annuels accomplis par les Incas impliquaient le mouvement et l'écoulement de l'eau en tant que partie intégranted’une cérémonie importante. Ainsi, la cérémonie la plus importante de l’année dans leur calendrier rituel concernait l’initiation des enfants del’élite impériale au passage à l’âge adulte, un événement qui durait un mois et se finalisait par une baignade rituelle des initiés. À la fin de leurinitiation, les jeunes nobles allaient sur une terre cultivée près de l’eau, afin d’effectuer une cérémonie bien particulière : on leur perçait leslobes des oreilles, par la suite on y introduisait des rouleaux d’écorce qui faisaient office de ressort afin d’en agrandir l’orifice. Par cet acte, lesIncas inauguraient en même temps un rite à la fertilité, c’est pourquoi la proximité de l’eau était indispensable puisqu’elle est absolumentnécessaire à la croissance des végétaux. Notons que les lobes d’oreilles de ces jeunes Incas étaient percés et par la suite agrandis, selon la mêmeméthode qui était pratiquée sur l’Île de Pâques.

D’autres rituels avaient aussi des fonctions plus spirituelles. Ainsi, pour les Incas l’eau douce était considérée comme purificatrice; avantd’entrer dans un lieu sacré ou dans un temple, il leur était nécessaire de se purifier avec de l’eau.

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Des rituels de purification

Le site de Chachabamba

Lors de fouilles menées dans la région du Machu Picchu, au cœur de la Vallée sacrée du Pérou, une équipe d'archéologues polonais adécouvert les vestiges d'un complexe rituel où les Incas auraient mené, à partir du début du XVe siècle, des cérémonies d'ablution, c’est-à-direle lavage du corps afin d’obtenir une purification religieuse.

Ce site appelé Chachabamba se trouve sur le Rio Urubamba entre Lima et le lac Titicaca, dans une zone montagneuse, non loin du HuaynaPicchu. Sur ce complexe cérémoniel inca, les archéologues ont mis à jour un autel en pierre et 14 bassins qui auraient servi pour des bains. Cegrand nombre de bassins alimentés par des canaux indique que Chachabamba était probablement un lieu religieux important pour adorer lesdéesses de l’eau et de la fertilité.

Selon le professeur Mariusz Ziolkowski, du Centre d'études andines de l'université de Varsovie, il s’agirait sans aucun doute d’ « un site decérémonies religieuses, mais probablement uniquement utilisé par les élites incas et non par le peuple. ». Il a aussi spécifié que : « Lescaractéristiques les plus remarquables du site sont la présence d’un rocher sacré sculpté, probablement un huaca (un monument vénéré), et unnombre inhabituel de bassins ».

Ces bassins utilisés pour des bains étaient donc fortvraisemblablement conçus pour la purificationrituelle. En effet, d’après les croyances des Incas,seule l'eau qui coulait avait le pouvoir de laver lestorts commis et lors des principales cérémonies ducalendrier inca, il était extrêmement important de sedébarrasser des torts commis en se lavant tout lecorps. Après cet acte, il fallait enlever ses vieuxvêtements et porter des vêtements neufs. Il s’agissaitd’un élément rituel très important, en particulier lorsde la fête de Citua, la fête de la Lune.

Cette pratique a d’ailleurs été attestée lors de latoute première rencontre des Espagnols avecAtahuallpa, le prétendant au trône inca. Cetterencontre s’est déroulée précisément dans un lieusimilaire à celui de Chachabamba. Lors de cetterencontre historique, Atahuallpa effectuait desrituels de purification à Conoc, un autre site incacomportant un grand nombre de bassins pour desbains rituels.

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L’ahu Hanua Nua Mea ou l’ahu arc-en-ciel

Un autre élément très intéressant concerne le nom Hanua Nua Mea attribué à l’ahu situé à Ava Ranga Uka A Toroke Hau, celui-ci signifie arc-en-ciel endialecte pascuan. Ce site exceptionnel sur l’Île de Pâques, dont les vestiges nous semblent très péruviens, tant au niveau de leur apparence que de leursutilisations, autant pratique que rituelle, porte donc aussi le nom d’un phénomène naturel qui était particulièrement vénéré des Incas. Selon nous, il ne s’agiraitpas là d’une simple coïncidence. En effet, l’arc-en-ciel était l’emblème de la dynastie inca. L’étendard inca, ou « wiphala », est d’ailleurs un drapeau carré endamier comprenant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Les Incas rendaient beaucoup d’honneur à l’arc-en-ciel, tant pour la beauté de ses couleurs, que parcequ’ils croyaient qu’ils venaient du soleil et qu’il s’agissait de la couronne de plumes de la divinité appelée Illapa. À Cuzco, les temples les plus importantsétaient dédiés au soleil, à la lune, aux étoiles, à la foudre, mais aussi à l'arc-en-ciel.

Dans la mythologie inca, après le Soleil, Illapa,le dieu des phénomènes météorologiques telsque la pluie, les orages, les éclairs, le tonnerreet la foudre était le plus puissant des dieux. Sonimportance était en relation directe avec lanécessité absolue de pluie dans une région oùelle était somme toute assez rare. L’arc-en-cielétait considéré comme la chevelure de cepuissant Illapa.

Les Incas lui rendaient hommage pour recevoirles eaux fertilisantes et bénéfiques aux cultures,mais aussi pour se protéger des inondations,des orages et des pluies torrentielles. C’est surle sommet des montagnes que les fidèlesl’imploraient, en même temps que d’autresdivinités. Ils faisaient des sacrifices lorsque lasécheresse ou l’humidité menaçaient leursrécoltes (Métraux, 1983 : 114-116).

Notons qu’il en était de même à l’Île de Pâquesoù des prêtres venaient faire des incantations etdes sacrifices de produits de la mer sur lessommets de l’Île dans l’espoir de faire tomberla pluie bénéfique aux cultures. La pluie étaitconsidérée comme les larmes du dieu Hiro, ledieu de la pluie chez les Pascuans (Métraux,1971 : 330).

L’étendard inca, ou « wiphala », comprenait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.Photo: gracieuseté de Guy Vanackeren

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Conclusion

Nous avons pu voir que des archéologues ont découvert une très ancienne canalisation d’une source d’eau douce sur l’Île de Pâques. Sesdifférentes composantes comprenaient deux barrages, un canal dallé, des allées cérémonielles, des bassins, dont un en forme de trapèze etl’autre en pierres judicieusement taillées s’ajustant les unes aux autres. De plus des offrandes de la mer auraient été offertes à ce petit coursd’eau. Ce type d’aménagement est complètement inconnu sous cette forme sur les autres îles polynésiennes. Les conclusions des archéologuessont que cette canalisation et ses différentes composantes hydrauliques, ainsi que la présence sur les lieux de l’ahu Hanua Nua Mea sur lequelétait anciennement érigé un moai, en font un site absolument exceptionnel sur l’Île de Pâques. Ils considèrent qu’Ava Ranga Uka A Toroke Haucomporterait une composante cérémonielle majeure ce qui en ferait une sorte d’endroit sacré où une élite aurait pu exercer un contrôle sur lespopulations environnantes.

Nous avons pu voir aussi que tous les monuments de pierres de l’Île de Pâques, dont la vaste majorité ne trouve aucun équivalent ailleurs enPolynésie, trouvent cependant systématiquement tous leur équivalent au Pérou. En ce qui concerne cette canalisation et ses différentescomposantes, elles seraient, selon nous, une autre réalisation inca sur l’Île de Pâques, ceci étant d’autant plus concevable que les Incas ont été,parmi les différentes civilisations qui se sont succédé en Amérique du Sud, les maîtres incontestés de la canalisation de l’eau douce et des rituelsqui leur étaient associés. Les canalisations de cours d’eau, les barrages et les bassins de rétention sont bien connus au Pérou depuis les tempsanciens. La civilisation inca est cependant celle qui a poussé le plus loin les techniques hydrauliques et qui a imposé des rituels et des offrandesreliés à la construction, l’entretien et l’utilisation des canaux d’irrigation. La gestion de l’eau douce par son importance vitale sur la côte ouestsud-américaine et dans les Andes a été la grande priorité des Incas lors de leurs conquêtes. Tout cet aménagement permettait aux Incas demontrer leur savoir-faire aux populations conquises. S’ensuivait alors une répartition des travaux d’entretien périodiques et des droits d’accès àl’eau aux différentes communautés du secteur, ce qui contribuait en même temps au maintien de leur domination. Différents rituels périodiquesutilisant l’eau de source et des offrandes permettaient en plus de rattacher cette ressource à la sphère religieuse.

Nous croyons que les Incas restés sur l’Île de Pâques lors de l’expédition en Océanie de l’Inca Tupac Yupanqui et leurs descendants ont toutsimplement appliqué la même stratégie que celle utilisée sur le continent. Ils auraient entrepris des travaux de canalisation du seul petit coursd’eau sur l’Île, lequel cependant ne coulait que de façon intermittente. Ils auraient construit deux barrages et une canalisation pour contenir l’eaude cette source et la diffuser selon un débit contrôlé. Ils auraient aussi réalisé des petits bassins, dont un en pierre taillée, afin de prendre desbains purificateurs. Des allées cérémonielles complétaient cet aménagement. Des coraux et des produits de la mer étaient offerts en sacrifice àcette source afin que, selon leurs croyances, elle puisse continuer à couler longtemps. Tout ceci leur permettait de montrer leur savoir-faire ainsique d’exercer un contrôle sur les populations avoisinantes par l’accès à l’eau potable.

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Cette étude constitue une mise à jour au livre de Jean Hervé Daude : Île de Pâques – L’empreinte des Incas, les monuments, 2016.

Il s’agit de l’ajout d’une section faisant partie de l’édition réimprimée de 2019.

Les remerciements et la bibliographie sont disponibles dans l’édition 2019.

© Jean Hervé Daude

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