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Le chapelet et la plume, ou, quand la religieuse se fait écrivain: le cas du prieuré de Poissy (1562-1621) Author(s): Gary Ferguson Source: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 19, No. 2 (2001), pp. 83-99 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/25598950 . Accessed: 10/06/2014 12:08 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelle Revue du XVIe Siècle. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.73.111 on Tue, 10 Jun 2014 12:08:14 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Le chapelet et la plume, ou, quand la religieuse se fait écrivain: le cas du prieuré de Poissy (1562-1621)

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Le chapelet et la plume, ou, quand la religieuse se fait écrivain: le cas du prieuré de Poissy(1562-1621)Author(s): Gary FergusonSource: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 19, No. 2 (2001), pp. 83-99Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/25598950 .

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Nouvelle Revue du Seizieme Siecle - 2001 - N? 19/2, pp. 83-99

LE CHAPELET ET LA PLUME, OU, QUAND LA RELIGIEUSE SE FAIT ECRIVAIN:

LE CAS DU PRIEURE DE POISSY (1562-1621)

A la suite des travaux de Gerard Genette ou d'Henri Mitterand sur les

prologues, prefaces et autres formes de ? paratexte ?\ plusieurs critiques ont

fixe leur attention sur les strategies discursives utilisees par les femmes aux

XVF et XVIF siecles, dans les pieces liminaires de leurs oeuvres, pour jus tifier et fonder leur droit d'acces a l'ecriture et a la publication. Comme on

le sait, ces activites, surtout la seconde, leur etaient generalement interdites.

Fran?ois Rigolot et Kirk D. Read resument les differences de conditions sociales existant a cette epoque entre ecrivains hommes et femmes, diffe rences qui impliquent la mise en oeuvre de rhetoriques distinctes:

Parce qu'ils repondent a un ?horizon d'attente? determine par des prejuges sociaux differents, on s'attendrait a ce qu'ils n'aient pas les memes raisons de vouloir gagner 1'adhesion de leurs lecteurs ou de leurs lectrices. On assisterait alors a la mise en place de dispositifs strategiques propres aux femmes Ecrivains

lorsque, pour presenter leurs Merits, celles-ci doivent aller au-devant des idees

revues et rassurer un public par nature mefiant au sujet de leur propre moralite2.

Ainsi, une des principales strategies prefacielles qu'utilisent les femmes ecrivains du XVF siecle est l'?appel au soutien communautaire?, l'adresse a une communaute imaginaire de lectrices qui accorderaient a leurs oeuvres une reception favorable (art. cit., p. 81). Elles creent ainsi ?un espace col lectif? a double fonction: ?D'une part, avec plus ou moins d'habilete et de

1 Le terme ? paratexte ? a 6t6 defini dans ce sens par Gerard Genette, Palimpsestes: La Lit terature au second degre (Paris: Seuil, 1982), p. 9. Genette a ensuite gtudie' ce sujet dans Seuils (Paris: Seuil, 1987). Cf. aussi Henri Mitterand, ?Le Discours preTaciel?, in La Lecture sociocritique du texte romanesque, ed. G. Falconer et H. Mitterand (Toronto: Samuel Stevens, Hakkert, 1975), pp. 3-13, et ?La Preface et ses lois, avant-propos romantiques?, in Le Discours du roman (Paris: Presses Universitaires de France, 1980), pp. 21-34. Parmi les nombreux autres volumes consacres a cette question, citons simple ment, pour Pepoque qui nous interesse, Versants, 15 (1989) (?Prologues au XVP

siecle?), et Arnaud Tripet, Montaigne et l'art du prologue au XVF siicle (Paris: Cham

pion, 1992). Je remercie vivement Mamadou Bamba et Jean-Marie Roulin de leur aide

pre'cieuse pour la preparation du texte francais de cet article. 2

Francois Rigolot et Kirk D. Read, ? Discours liminaire et identite' litteraire: Remarques sur la preface feminine au XVP siecle ?, in Versants, 15 (1989), pp. 75-98 (p. 76).

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discretion, il exclut la voix masculine pour redistribuer les roles de 1'inter locution entre femmes; et, d'autre part, il met fin a la diaspora feminine en

rassemblant les interlocutrices autour d'un programme commun...? {ibid., p. 86)3. Pour Rigolot et Read, une evolution dans le discours liminaire des femmes s' amorce vers la fin du siecle, avec Marie de Gournay qui se moque des misogynes. Neanmoins, puisque, dans la plupart des cas, la publication d'oeuvres litteraires demeure une infraction sociale pour les femmes, leurs

prefaces continuent d'etre, a un degre ou a un autre, une ?apologie pour celle qui ecrit ?4.

Le point de depart et le terminus ad quern de cette etude est la courte

epitre dedicatoire qui sert de preface a la traduction en vers fran9ais de 1'Of fice de la Vierge Marie publiee en 1621 par une religieuse du prieure domi nicain de Saint-Louis de Poissy (voir Appendice). Fonde en 1304 par Phi

lippe le Bel et recevant surtout des filles de la noblesse, le prieure royal de

Poissy a fourni un cadre propice a la formation intellectuelle et litteraire des femmes. On se souviendra que, selon toute probability, Christine de Pisan

(c. 1364-c. 1431) s'y retira vers la fin de sa vie et y composa son Ditie de Jehanne d'Arc. Plus tard, Anne de Marquets (c. 1533-1588) y ecrivit trois recueils de poemes qui furent offerts au public: les Sonets, prieres et devises en forme de pasquins (1562), Les Divines Poesies de Marc Antoine Flami nius (1568), et les Sonets spirituels (oeuvre posthume publiee en 1605)5. On

sait, en effet, que nombre de religieuses de Poissy ont compose des oeuvres

litteraires: parfois il s'agit de simples vers de circonstance (comme ceux de

3 Dans un autre article, Read, ne se limitant pas qu'aux seuls paratextes, examine la

construction litteraire de la communaute dans des oeuvres ?crites par des femmes. II iden tifie trois formes en particulier: regionale (notamment Louise Lab?), familiale (les

Dames des Roches), et religieuse (Anne de Marquets). Ainsi, d'apres Read, les femmes se sont engages dans ? a constructive, literary enterprise in search of communal, femi nine identity and legitimation? (Kirk D. Read, ?Women of the French Renaissance in

Search of Literary Community: A Prolegomenon to Early Modern Women's Participa tion in Letters ?, in Romance Languages Annual (1993), pp. 95-102 (p. 96)). Voir aussi la these de Read, ? French Renaissance Women Writers in Search of Community: Literary

Constructions of Female Companionship in City, Family and Convent? (Princeton Uni

versity, 1991). 4

Le titre d'un ouvrage de Marie de Gournay, puttie* pour la premiere fois dans LOmbre de la Damoiselle de Gournay (1626); cf. Rigolot et Read, art. cit., pp. 89-90.

5 Sonets, prieres et devises en forme de pasquins, pour I'assemblee de Messieurs les Pre lats et Docteurs, tenue a Poissy, M.D.LXI (Paris: Guillaume Morel, 1562); Les Divines

Poesies de Marc Antoine Flaminius (Paris: Nicolas Chesneau, 1568); Sonets spirituels (Paris: Claude Morel, 1605), edition critique par Gary Ferguson (Geneve: Droz, 1997). Sur le prieure' et sa culture litteraire, voir Sonets spirituels, 6d. Ferguson, surtout pp. 10

16, et Read, ? Women?, pp. 99-101. En general, voir S. Moreau-Rendu, Le Prieure royal de Saint-Louis de Poissy (Colmar: Alsatia, 1968) et Mary Hilarine Seiler, Anne de Mar

quets, poetesse religieuse du XVF sidcle (Washington, D.C.: Catholic University of Ame

rica, 1931; relmpression New York: AMS Press, 1969).

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LE CHAPELET ET LA PLUME 85

plusieurs soeurs qui precedent et qui suivent les Sonets spirituels d'Anne de

Marquets); parfois ce sont des projets plus ambitieux, dont beaucoup pour tant ne furent jamais imprimes. L'objet de cet article sera de mener une

etude comparative de l'epitre dedicatoire de YOffice de 1621 et celle des trois recueils d'Anne de Marquets

- les deux premieres, celles de 1562 et

1568, ecrites par la poetesse elle-meme; la derniere, celle de 1605, de la

plume de l'editrice, Soeur Marie de Fortia. L'analyse des epitres dedicatoires et d'autres pieces liminaires de ces quatre volumes nous permettra d'etudier les conditions dans lesquelles ils ont ete publies, et de voir si, en les presen tant, les femmes ecrivains religieuses ont eu recours aux memes strategies rhetoriques que leurs soeurs lai'ques. On sera egalement en mesure de juger si, au cours des soixante annees que couvre notre etude, une evolution se

dessine6.

La traduction de 1621 de 1'Office de la Vierge, suivie de celle des

?psalmes penitentiaux et canoniaux?, ne porte pas de nom d'auteur sur sa

page de titre. Toutefois, l'epitre dedicatoire adressee a Jeanne de Gondi,

prieure de Poissy, est signee ?Vostre plus humble et plus obeyssante Fille, S. L. D. M.?. Sous cette signature dans l'exemplaire de la Bibliotheque

Mazarine - le seul que j'aie retrouve de cette oeuvre rarissime - on peut lire la note manuscrite ? Soeur Louise De Marillac ?. Sur la page de titre, d'une autre main, sans doute celle d'un bibliothecaire de la Mazarine, il a ete

ajoute ?par Louise de Marillac, Religieuse de Poissy ?7. L'identification semble bien fondee. Une Louise de Marillac a effectivement ete regue dans la communaute de Poissy par Mere Marguerite du Puy, prieure de 1562 a

15838. Un biographe de l'epoque, Hilarion de Coste, nous indique que Soeur

6 La breve discussion de Marquets dans Particle de Rigolot et Read est trompeuse puisque sa seule ?Epistre aux lecteurs ?, celle qu'on trouve a la fin des Sonets, prieres et devises, ne contient aucune des expressions commentees par les auteurs (?compagnes soeurs ?, ? divin troupeau?, ?bande sacre? [sic]) (art. cit., p. 86).

7 Bibliotheque Mazarine, 23873, 12?. Je suis reconnaissant aux bibliothe'caires de la Maza rine a qui je dois Pinformation sur la mention manuscrite de la page de titre. L'ouvrage ne se trouve ni a la Bibliotheque nationale de France, ni a la British Library, ni a la Biblio

theque Sainte-Genevieve; il ne figure pas non plus dans le National Union Catalog. Je suis redevable aux bibliothecaires de la BnF qui l'ont cherche', egalement sans succes, dans le

?Catalogue des bibliotheques municipales retroconverties?, indisponible au public des lecteurs au moment de la redaction de cet article. Le catalogue alphabetique (?Belles

Lettres?) de la Bibliotheque de l'Arsenal contient la notice suivante: ?Office de la Vierge Marie. Trad, en vers frangois. Paris, 1621. in 12 ?; malheureusement le volume est aujour d'hui perdu. En citant Hilarion de Coste (voir la note 9 ci-dessous), Seiler (op. cit., p. 103) et Moreau-Rendu (op. cit., pp. 173-174) se reTerent toutes deux a Louise de Marillac et a son oeuvre; aucune des deux, cependant, ne semble avoir vu une copie de V Office. 8 Voir Memoires concernant le Prieuri de Poissy, receiiillis sur les archives de la maison

par Madame Susanne de Hennequin, Paris, Bibliotheque nationale de France, ms. ff. 5009 (1719), fol. 31 vo; cf. fol. 8 r?, ou, par erreur, Marguerite du Puy est appetee Char lotte du Puy.

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86 GARY FERGUSON

Louise est l'auteur de la traduction de l'office; il nous informe egalement qu'elle a compose nombre d'oeuvres restees manuscrites et qu'elle est dece dee en 16299. La poetesse a quelquefois ete confondue avec sainte Louise de

Marillac, veuve d'Antoine Le Gras et co-fondatrice avec saint Vincent de Paul des Filles de la Charite. Cette meprise se retrouve meme dans le cata

logue actuel de la Mazarine. Neanmoins, appartenant a l'une des plus illustres families du royaume, les deux femmes etaient liees par le sang. Selon la plupart des sources, la religieuse de Poissy etait la fille de Guillaume Ier de Marillac; elle etait ainsi la soeur de Guillaume II de

Marillac, et la tante de l'eminent Michel de Marillac, garde des Sceaux, et

de Louis de Marillac, marechal de France10. Par consequent, elle etait la

grand-tante de la plus celebre Louise, fille naturelle d'un troisieme fils de son frere, lui aussi prenomme Louis11.

9 ?L'Ordre de S. Dominique a eu quantite de Religieuses scavantes en ce siecle; entr'autres, Louise de Marillac, cousine germaine de Michel de Marillac Garde des Seaux: de Jean-Louis de Marillac Mareschal de France, et de Valence de Marillac, femme d'Octave Doni, Baron de la Ferte\ et Seigneur d'Atichy, et mere de Monsieur PEveque de

Riez, et de Madame la Comtesse de Maure, a compose entre autres Y Office de la Vierge, traduit en vers Francois; avec les Pseaumes Penitentiaux, et Canoniquespour l'exercice des amespenitentes, qu'elle a dedie a Madame de Gondy, Prieure de Poissy, qu'elle a mis en lumiere Pan 1621. Elle a fait aussi un Commentaire sur le Cantique des Cantiques en

vers, qui est conserve ms. au Convent de Poissy avec ses autres oeuvres, scavoir des Medi tations sur toutes les Festes de l'annee; un Dialogue entre deux Vierges, sur les recrea

tions des Religieuses. Divers Cantiques, et plusieurs autres ouvrages de Poesies. Elle mourut a Poissy Pan 1629, ou a aussi fleury Anne des Marquets?, Hilarion de Coste, Les

Eloges et les vies des reynes, des princesses, et des dames illustres en piete, 2 vols (Paris: Sebastien et Gabriel Cramoisy, 1647), II, pp. 106-107. Cf. aussi la note 11 ci-dessous.

10 Michel de Marillac, qui devint garde des Sceaux en 1626, est connu pour ses efforts en

faveur d'une politique reformiste et absolutiste. Avec son demi-frere Louis, il fut arrete

par Richelieu apres la journee des dupes (11 novembre 1630). Louis fut execute en 1632; Michel mourut en prison la meme annee. Voir G. Pages, ?Autour du 'Grand Orage'. Richelieu et Marillac: Deux Politiques?, in Revue historique, 179 (1937), pp. 63-97; Donald A. Bailey, ?The Family and Early Career of Michel de Marillac (1560-1632)?, in

Society and Institutions in Early Modern France, 6d. Mack P. Holt (Athens, GA: Univer

sity of Georgia Press, 1991), pp. 170-189; J. Russell Major, Representative Government in Early Modern France (New Haven et Londres: Yale University Press, 1980), surtout

pp. 487-567; idem, From Renaissance Monarchy to Absolute Monarchy: French Kings, Nobles, and Estates (Baltimore et Londres: Johns Hopkins University Press, 1994); et

Pierre Chevallier, Louis XIII (Paris: Fayard, 1979). 11

Voir R-G. Aigueperse, Biographie ou Dictionnaire historique des personnages d'Au

vergne, 2 vols (Clermont-Ferrand: Thibaud-Landriot, 1834/[Berthier, 1836?]), II, pp. 57 et 62; La Chenaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, 19 vols (Paris: Schlesinger freres, 1863-1876), XIII (1868), col. 251; A. Perrin, ? La Famille de Marillac ?, in SPAR SAE (Association Culturelle Aigueperse et ses environs), 7 (octobre 1985), pp. 13-19; Elisabeth Charpy, Petite Vie de Louise de Marillac (Paris: Desciee de Brouwer, 1991), pp. 7-8. Selon Hilarion de Coste, qui est suivi en cela par un certain nombre d'auteurs, la reli

gieuse dominicaine n'etait pas la tante mais plutot la cousine germaine de Michel et Louis

(cf. la note 9 ci-dessus); dans ce cas, elle aurait ete la cousine au deuxieme degre de la sainte. Louis Moreri parle de la poetesse mais ne donne aucune indication sur ses liens de

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LE CHAPELET ET LA PLUME 87

L'epitre dedicatoire de 1'Office s'adresse ? A tres-noble et tres-vertueuse dame Madame Jeanne de Gondy, Prieure de la maison royalle de Poissy ?.

D'emblee, la poetesse invoque 1'autorite sociale, morale et ecclesiastique de la prieure: sa noblesse et sa vertu, le nom de sa famille ainsi que celui de la

maison royale et religieuse qu'elle dirige. Les Gondi, on le sait, etaient extremement puissants. Albert de Gondi, due de Retz et marechal de

France, epoux de la savante et cultivee Claude-Catherine de Clermont, a

servi avec distinction sous Charles IX, Henri III et Henri IV. Son frere, Pierre, fut le cardinal eveque de Paris, une dignite qui allait echoir tour a tour a deux des fils d'Albert, Henri et Jean-Frangois, ce dernier devenant le

premier archeveque de Paris12. Jeanne, la soeur d'Albert et de Pierre, etait la fille d'Antoine II de Gondi et de Marie-Catherine de Pierrevive13. Bien

qu'au cours d'une election contestee sa concurrente eut obtenu la majorite des voix, Jeanne fut elevee au prior/at en 1583 grace a l'intervention person nelle d'Henri III. Elle gouverna la maison jusqu'en 1623, l'annee de sa

mort, ayant obtenu en 1602, avec l'aide d'Henri IV, que sa niece, Louise de

Gondi, filleule du roi, fut nominee sa coadjutrice avec droit de succession14.

parente a 1'interieur de la famille Marillac (Le Grand Dictionnaire historique, nouv. ed.

1759,10 vols (Geneve: Slatkine, 1995), VII, p. 254). Je suis reconnaissant au professeur Donald Bailey de 1'Universite' de Winnipeg de m'avoir aimablement aide a etablir ces

precisions gen?alogiques. 12

Voir Moreri, op. cit., V, pp. 259-260. Sur la famille Gondi, voir aussi Corbinelli (pseud. Ant. Pesay), Histoire Ginialogique de la Maison de Gondi, 2 vols (Paris: Jean-Baptiste Coignard, 1705) et Mme Michel Jullien de Pommerol (nee Marie-Henriette de Montety), Albert de Gondi, Marichal de Retz, Travaux d'Humanisme et Renaissance, V (Lyon: Audin, 1953).

13 Cela semble, tout au moins, etre le cas, meme si Jeanne ne figure pas dans la plupart des

genealogies. Corbinelli fait d'elle non pas la sceur mais la fille d'Albert (op. cit., l'arbre

gen?alogique au debut du volume 1; cf. aussi celui au vol. 2, pp. 8-9), hypothese etayee par certaines autres sources (cf. Paris, Bibliotheque nationale de France, ms. Dossier bleu, 319, Gondi, 94 v? et 162 v?). Neanmoins, il semble que Moreau-Rendu ait raison quand elle affirme que Jeanne etait la tante de Louise de Gondi, une des filles d' Albert, qui rem

pla9a Jeanne comme prieure de Poissy (op. cit., pp. 191-192). Une genealogie manuscrite

indique que Jeanne etait la fille d'Antoine tandis que Louise etait celle d'Albert. Apres la mort de sa tante, Louise gouverna Saint-Louis jusqu'en 1661, Pannee de son propre tre

pas. La sceur de Louise, Madeleine, devint egalement membre de la communaute en meme temps que sa sceur (cf. ms. Dossier bleu, 319, Gondi, 50 v? et 51 v?; cf. aussi 1 r?). Cette information confirme celle contenue dans les Memoires concernant le Prieuri de

Poissy (surtout fois 4 r? et 8 r?-9 v?). On ne se rapportera pas a la discussion extremement confuse dans Nicolas Rapin, (Euvres, ed. Jean Brunei a partir des travaux de Emile Bre

the, 3 vols (Geneve: Droz, 1982-1984), pr>. 515-516. Voir aussi la note 14 ci-dessous. 14

Voir la note 13 ci-dessus et Moreau-Rendu, op. cit., pp. 187-193. A plusieurs reprises, Moreau-Rendu situe, de fagon erronee, la transition entre le priorat de Jeanne et celui de Louise en 1625 au lieu de 1623 (cf. les pages 187, 191 et 318, qui contredisent ce qu'on lit aux pages 194-200). Un recu, signe de la main de Louise en tant que prieure de Poissy et dat6 de 1624, corrobore YEvidence 6voqu?e plus haut (Paris, Bibliotheque nationale de France, ms. Pieces originales, 1354 (Gondy), 229). II est vrai que la legitimite' de

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88 GARY FERGUSON

Ayant une telle autorite, Jeanne de Gondi ne pouvait qu'etre une puissante garante de la publication des ecrits de Louise de Marillac, et le fait que la traduction se soit faite avec la ? permission ? de la prieure fournit a la poe tesse un des arguments qu'elle deploie contre ses eventuels critiques. Ainsi, a Finstar de nombre de livres de femmes, celui-ci se place sous la protection d'une eminente personnalite feminine15. Dans le corps de cette epitre dedi

catoire, la principale relation evoquee est celle entre la poetesse (?je? /

?fille?) et la prieure (?vous? / ?Madame?). Neanmoins, la collective ?maison royalle?, evoquee dans Pappel, ne disparait pas tout a fait: vers le

milieu, le pronom ?nous? designe les sceurs; l'adjectif possessif ?nostre?

qualifie leur activite quotidienne, 1'office chante en choeur, que la poetesse

prend pour sujet16. Les premiers arguments dont la poetesse se sert pour contrer ses cri

tiques se fondent sur les intentions des deux partis. D'abord, a ceux qui s'aviseraient de lui reprocher d'employer son temps a ecrire au lieu de

s'adonner a la priere, elle retorque qu'il leur sierait mieux de faire de meme au lieu de chercher des raisons de medire. Ensuite, pour la mettre a l'abri, Pecrivain espere en la purete de ses intentions, c'est-a-dire en son amour

pour l'office qu'elle traduit: ?l'amour m'a faict mettre la main a la plume? et ?s'il est vray ce que l'on dit de l'amour qu'il ne peche jamais...?. Ces deux arguments ont des precedents dans les epitres liminaires d'Anne de

Marquets. L'?Epistre aux lecteurs ? qui suit les Sonets, prieres et devises en

forme depasquins tance un critique protestant de la poetesse en termes sem

blables. Selon Anne de Marquets, elle a souffert ?Des coups...de langue

Pautorite de Louise fut contestee jusqu'en 1625, date a laquelle celle-ci fut confirmee en

sa charge par le General de l'ordre et par le pape. Corbinelli, qui pense que Jeanne est la soeur cadette de Louise, donne une version similaire des faits mais qui est plus favorable aux Gondi, et qui renverse les roles de Jeanne et de Louise (op. cit., vol. 2, pp. 47-48).

15 II semble que Jeanne de Gondi ait encourage les projets litteraires des soeurs. En 1621 fut

aussi publie par une religieuse de Poissy, Soeur Frangoise Oudeau, le premier volume d'une traduction en frangais des sermons de saint Bernard sur le Cantique des Cantiques. En s'adressant a la prieure dans la tres courte epitre dedicatoire, la traductrice evoque, d'un cote, la ? presumption ? et la ? vaine audace ? dont on pourrait 1' accuser, et, de 1' autre

cote, son espoir d'etre ?heureusement protegee de la splendeur de vostre illustre nom?.

L'entreprise serait meme nee du desir de ?satisfaire aucunement a la sainte inclination ?

de la prieure pour les oeuvres de ce saint. Deux ans plus tard, lors de la publication de la

deuxieme partie de la traduction, Soeur Frangoise assurera a sa superieure que, grace a

l'accueil favorable que celle-ci a accorde au premier volume, elle n'a trouve ?en ceste

suitte que du contentement, du repos, et de la facilite ?(Sermons meditatifs du devot Pere

S. Bernard, Abbi de Clervaux, Sur le Cantique des Cantiques, Traduicts du latin en fran

gois, par Sr F O., Religieuse du royal monastere de Sainct Loys de Poissy (Paris: Louys

Boullenger, 1621/Paris: Jean Laguehay, 1623)). 16

Sur Pinfluence de l'office sur les Sonets spirituels d'Anne de Marquets, voir ed. Fergu son, pp. 32-39.

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LE CHAPELET ET LA PLUME 89

ignorante a bien dire, / Ou de plume trop prompte a blasmer et mesdire ?17.

L'argument de la purete de ses intentions est aussi employe par Anne de

Marquets en des endroits strategiques - autant a la fin des epitres dedica

toires des deux recueils publies de son vivant que dans les premiers et der niers poemes des Sonets spirituels1*.

Mais, s'il est vrai que l'epitre de Louise de Marillac presente des simila rites avec les pieces liminaires des oeuvres anterieures d'Anne de Marquets, ce qui frappe surtout le lecteur, ce sont les divergences: en particulier, la

fagon energique et directe dont Louise de Marillac defend son droit d'ecrire et de publier. Par contraste, les critiques ont souligne 1'aversion de son pre decesseur, maintes fois declaree, contre l'impression de ses oeuvres19. Le

premier recueil d'Anne de Marquets, Sonets, prieres et devises, fut inspire par le Colloque de Poissy (1561). Dans son epitre dedicatoire, adressee au

cardinal de Lorraine, la poetesse deplore grandement qu'en depit de toutes ses imperfections, son oeuvre ait ete imprimee. Elle proteste qu'en ecrivant elle n'avait nullement songe a cette publication qu'il lui a ete impossible d'empecher; on ne lui a permis que de designer a qui elle veut dedier les vers. Le choix du cardinal s'impose a cause de cette ?affection...a la defence de la foy ? qu'il manifeste sans cesse, et qui avait caracterise surtout ses interventions au Colloque. Que le cardinal ait pris les poemes ? en bonne

part? n'empeche pas que leur auteur avoue son ? extreme honte et regret? a

l'idee qu'ils lui aient seulement ete presentes. Comme on l'a deja note, la litanie d'apologies et de protestations d'incapacite se termine avec la seule

justification offerte: la probite de ses intentions (pp. a 2 r?-a 3 v?). L'?Epistre aux lecteurs ? a la fin du volume reprend les memes idees avec non moins de force:

Je ne vous pourroy' dire, o candides lecteurs, Qui serez, s'il vous plaist, mes benings protecteurs, Combien a grand regret et avec quelle craincte, Ou plustost malgre moy et par force contraincte, Ce petit opuscule, indigne d'estre veu, Pour n'estre de scavoir ny de grace pourveu,

17 P. D i v?. Ce critique anonyme a du lire les poemes de la dominicaine sous forme manus

crite, cf. Seiler, op. cit., pp. 24-28. En revanche, il ne semble pas necessaire d'avoir recours a l'hypothese de Seiler selon laquelle il y aurait eu une premiere edition pirate, aujourd'hui perdue. L'opuscule d'Anne de Marquets, ainsi que celui de son adversaire

protestant, a ete edite tout recemment par Andre Gendre (Bibliothique d'Humanisme et

Renaissance, 62 (2000), pp. 317-357). Quant a l'identite de l'auteur reforme, ?Alain Dufour pense assez probable qu'il s'agisse de Theodore de Beze lui-meme ? (art. cit., pp. 348-349).

18 Voir Sonets, prieres et devises, pp. a 3 r?-v? et Divines Poesies, p. a iii v?. Cf. aussi Sonets

spirituels, nos I, CCCCLXXVIII et CCCCLXXIX. 19

Cf., par exemple, Seiler, op. cit., pp. 28-29 et 50-51, et ed. Ferguson, p. 30.

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90 GARY FERGUSON

A depuis peu de jours este mis en lumiere, Voire sans que je Paye entendu la premiere: Dont j'ay occasion de me plaindre a bon droict, Pourtant qu'on m'a faict honte et tort en cest endroit: Car je proteste bien, si l'on m'eust voulu croire,

Que passe a long temps il n'en fust plus memoire, Attendu qu'il n'avoit este faict seulement

Que pour mon exercice et seul contentement: Non pour estre transcript, et beaucoup moins encore Pour estre publie et veu, comme il est ore.... (p. D i r?)

Pour Kirk Read, les epitres d'Anne de Marquets revelent meme ?an

extreme paranoia about her own, personal appearance in print (beyond...the stock, feminine rhetoric of self abasement) ?20. En revanche, soulignant la defense vigoureuse de sa theologie et de sa poetique qu'Anne de Marquets met en place dans P?Epistre aux lecteurs ?, pour repondre a son detracteur

protestant, Cathy Yandell con9oit difficilement que la poetesse ait ecrit sans

penser a un lectorat21. Toutefois, il faut rappeler que cette epitre n'a pu etre

ecrite qu'apres que les vers de la religieuse eurent circule sous forme manuscrite et provoque une attaque sectaire qui a du encourager, et sans

doute aux yeux de certains catholiques necessiter, leur publication. Apolo gie alors energique mais a posteriori de sa pratique poetique et catholique, qui n'implique pas forcement un desir de voir ses poemes imprimes en son nom. Anne de Marquets repond vigoureusement a son adversaire protestant et se plaint du tort qui lui a ete fait par ceux (sans doute des catholiques) qui ont insiste pour que son oeuvre soit publiee. Scrupule de religieuse a l'egard de la publication ? C'est ce qu'elle affirme par la suite:

M'estant bien souvenu que la pudicite, Pour mieux se conserver en son integrite, Se doibt accompaigner d'une honte modeste, Et plustost se cacher que d'estre manifeste: Veu que celle ne peult acquerir plus d'honneur,

Qui s'est du tout vouee au seul Dieu et seigneur, Que de ne se vouloir faire au monde congnoistre, Pour plus devant son dieu agreable apparoistre (ibid).

II est vrai que des critiques modernes se sont interroges sur les motiva

tions de l'auteur de l'?epistre?, voyant dans ces protestations un effet de

contrainte ou une strategie de legitimation22. Pour nous, ce qui parait evi

20 Read, ? French Renaissance ?, p. 231.

21 Cathy Yandell, Carpe Corpus: Time and Gender in Early Modern France (Newark, DE:

University of Delaware Press, 2000), pp. 139-142. 22

Pour Yandell, ?the structure of the poet's protest reveals at once her avowed humility and her obligation to assume such a position. The poet 'remembers' (from past teachings) that she must demonstrate modesty ?(op. cit., p. 140). Tout en admettant que l'attaque protes

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LE CHAPELET ET LA PLUME 91

dent, c'est que 1'opposition affichee par la poetesse a la publication de son oeuvre n'a pu que servir a desarmer d'eventuels critiques

- autant parmi ses

coreligionnaires que parmi ses opposants reformes - de cette prise de parole par une femme dans un contexte theologique et polemique. Une note placee par l'editeur a la suite des poemes, juste avant l'?Epistre aux lecteurs?, semble bien resumer le parti pris du volume: ?Icy finissent les Meditations et Prieres a Dieu, lesquelles, pour le bien de la Religion, Sceur Anne de

Marquets, treshumble Religieuse de Poissy, faisoit, M. D. LXI.? (p. C 4 r?). Mais si Anne de Marquets se declare mecontente de 1'impression de ses

vers, il n'en va pas ainsi de leur composition, comme elle le dit au cardinal de Lorraine dans une ode qui suit l'epitre dedicatoire. II est vrai que son oeuvre est de nouveau qualifiee de ? chose tant despourveiie / De toute grace et scavoir? et que l'approbation du cardinal, source de la joie de la poetesse, est attribute uniquement a la ?douceur? du prelat. Neanmoins, Anne de

Marquets chante en termes exuberants sa ? venue a 1' ecriture ? - acte teme

raire d'inspiration celeste; acte susceptible d'entrainer sa condamnation, mais qui lui a merite louanges et bonheur:

Combien fut celle journee Heureuse et bien fortunee, En laquelle j 'entrepris De sacrer a la memoire Ceste tant saincte victoire, Dont vous gagnaistes le prix?

Ce jour-la, comme je pense,

Quelque heureux astre luisoit, Qui par sa douce influence A ce faire m'induysoit: C'est pourquoy je le remarque D'une bonne et blanche marque, Pour mieux tousjours admirer Le bon-heur dont il fut cause,

Qui excede toute chose

Que j'eusse sceu desirer. Veu qu'au lieu d'estre reprise

Comme j' avoy merite De ceste mienne entreprise Et trop grand' temerite, Vostre douceur nompareille, Doucement prestant l'aureille Au son de mes petits vers,

tante ? oblige.. .le parti catholique a repliquer?, Evelyne Berriot-Salvadore commente les vers que nous avons cites de la facon suivante: ?Ces affirmations ne participent-elles pas d'une strategic manifeste dans cette 'epistre au lecteur' [sic]? Derriere Phumilite appa rente, Anne de Marquets se reclame d'autorites a la fois litteraires et religieuses ?(?'Une nonain latinisante': Anne de Marquets?, in Poesie et Bible de la Renaissance a I'dge classique, 1550-1680. Actes du Colloque de Besancon des 25 et 26 mars 1997, ed. Pas cale Blum et Anne Mantero, Colloques, congres et conferences sur la Renaissance, XIV

(Paris: Champion, 1999), pp. 183-197 (pp. 185-186)).

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92 GARY FERGUSON

Leur feit un oeil favorable, Pour plus se rendre admirable A tout ce grand Univers. (pp. a 4 r?-a 4 v?)

Dans ce premier cas, il s'agit alors d'une oeuvre ecrite par la poetesse religieuse, dont il apparait que la publication, s'inscrivant dans le contexte d'une polemique confessionnelle, a ete autorisee, voire mise a execution, par des membres de la hierarchie catholique. Elle s'accompagne d'assu rances de l'humilite de la poetesse, qui, de son cote, declare sa reticence a voir son travail offert au public. En meme temps, l'auteur est loin de regret ter son activite litteraire23.

L'epitre dedicatoire de la deuxieme publication d'Anne de Marquets, Les Divines Poesies de Marc Antoine Flaminius, reprend plusieurs de ces memes themes. La aussi, la poetesse insiste sur le fait qu'elle publie sa tra duction des De rebus divinis carmina (1550) de Flaminio, suivie d'une serie de ses propres poemes, a la ? demande ? expresse de Marguerite de Valois et a la lumiere des encouragements re^us du feu precepteur de la princesse24. De nouveau, elle s'accuse d'?insuffisance? et declare sa ?honte? et sa ? crainte ?, sentiments qui expliquent le temps mis a achever le travail, et qui n'ont ete vaincus que par son desir encore plus fort d'obeir et de plaire a la soeur du roi. Pourtant, on peut dire, comme Read et Yandell, que l'epitre a

Marguerite de Valois prone la valeur morale et pedagogique de l'oeuvre, et

allegue une tradition feminine de culture et de patronage25. Anne de Mar

quets pourrait meme sembler y adopter un ton d'exhortation lorsqu'elle augure que la princesse egalera sa tante, Marguerite de France (a qui Flami nio avait dedie ses vers latins), tant en ?science? et en ?bonnes meurs ?

qu'en ?nom? et en ?qualite?. Suit, comme dans les Sonets, prieres et

devises, un poeme adresse a la meme personne que l'epitre dedicatoire, ou

la poetesse s'exprime d'un ton encore plus assure. L'affirmation de l'utilite du sujet revient, ainsi que l'eioge de la vertu et du savoir, qualites que la

jeune princesse est exhortee a cultiver:

23 Les details concernant la decision de faire publier les Sonets, prieres et devises et les cir constances dans lesquelles le manuscrit a ete communique a Pimprimeur demeurent done tres indecis. On peut se demander pourtant si le personnage de Claude d'Espence n'y a

pas contribue. Par la suite, le theologien devint Pami d'Anne de Marquets et joua un role decisif dans le developpement de sa carriere litteraire (voir ed. Ferguson, pp. 23-24 et 27

30). Au Colloque de Poissy, d'Espence fut un des secretaires du cardinal de Lorraine; il

aurait ete ainsi tres bien place pour transmettre les poemes de la religieuse au preiat. 24 ?... ceste gracieuse demande, qui m'a servy de commendement? (p. a ii v?). Pour des

details suppiementaires et une discussion de l'identite du precepteur, voir ed. Ferguson, pp. 24-25.

25 Cf. Read, ?French Renaissance ?, pp. 255-260, et Yandell, op. cit., pp. 142-144. Anne de

Marquets enseigna a Pecole du prieure, ou elle-meme avait auparavant etudie.

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LE CHAPELET ET LA PLUME 93

Voila sommairement les choses plus requises Au fidelle Chrestien, lesquelles sont comprises En ce que j'ay traduict...

Aussi n'y a il rien qui esgalle et seconde La science et vertu, veu que c'est Pornement

Qui dure en sa beaute perpetuellement, Et qui pare trop mieux que la riche couronne

Qui les Rois embellit et leur chef environne...

Or ayant done choisi ce chemin vertueux, Bien qu'il soit plus estroit que le voluptueux, Poursuyvez-le tousjours, 6 Princesse bien nee, Afin que la faveur que Dieu vous a donnee Puisse en fin parvenir a tel accroissement

Que ce soit a sa gloire, et a P advancement Du sang Royal de France.... (pp. e i r?-e iii r?)

Dans cette deuxieme piece liminaire, Anne de Marquets lance meme un

appel a la composition de la poesie religieuse, sujet sur lequel elle presente ses propres idees26. On constate enfin que la traduction du poete masculin constitue moins de la moitie du volume offert a Marguerite, la plus grande partie etant consacree aux vers de la poetesse elle-meme.

Si Anne de Marquets exprime ici une plus grande assurance quant a la valeur de son oeuvre et, semble-t-il, moins de repugnance a la voir impri mee, il n'y a cependant aucune indication qu'elle ait jamais tente de rien

publier par la suite. Son dernier recueil, les Sonets spirituels, qui porte nean

moins toutes les marques d'une oeuvre achevee, fut publie une quinzaine d'annees apres sa mort par Marie de Fortia. L'editrice, consoeur et ancienne

eleve d'Anne de Marquets, dedia sa publication a une certaine Mme de Fresnes. Selon toute vraisemblance, il s'agit d'Anne de Beauvilliers, P epouse de son cousin, le puissant Pierre Forget, seigneur de Fresne, secre taire d'Etat sous Henri III et Henri IV27. C'est a present l'editrice qui reprend a son compte l'habituelle excusatio propter infirmitatem, tout en faisant appel, pour compenser son insuffisance, a la vertu et a l'erudition de la defunte poetesse. En publiant les sonnets, Marie de Fortia espere

- attend,

dirait-on - ? plustost louange que blasme ?, car elle agit en raison du double devoir qu'elle a envers Dieu (?rechercher.. .l'advancement de l'honneur et service divin ?) et envers la memoire de sa vertueuse et savante preceptrice (?luy pourchasser l'honneur des lauriers immortels que ses propres vertus et louables estudes luy ont sceu meriter?). Si l'auteur de la lettre ne semble

pas craindre les reproches, c'est probablement parce qu'il publie les poemes

26 Cf. ed. Ferguson, pp. 25-26.

27 On trouve la lettre aux pp. 77-78, ed. cit. Pour des details compiementaires sur l'identite de l'editrice et celle de la dedicataire, voir pp. 30-31.

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94 GARY FERGUSON

d'une autre et que la reputation acquise par cette autre de son vivant - attes

tee par les eloges liminaires de la plume de poetes, d'hommes d'Eglise et de

religieuses de son ordre - se trouve maintenant consacree par sa mort28. Loin de ressentir seule 1'affliction de cette perte, Marie de Fortia nous assure que l'emotion soulevee s'est repercutee sur tout le ?chaste troup peau? de la communaute religieuse. Ainsi, l'oeuvre est offerte au public sous la double garantie non seulement du merite et de la vertu de la dedica

taire, mais aussi de ceux de la feue poetesse. En revenant a la preface de 1621, on peut voir que Vexcusatio propter

infirmitatem y est toujours presente. Mais, se trouvant desormais a la fin de

l'epitre, elle vient surtout renforcer les dernieres louanges a l'intention de la dedicataire. Si l'auteur parle de la ?petitesse? de son oeuvre, celle-ci appar tient neanmoins a la categorie des ?richesses de l'esprit?; ses insuffisances sont apparentes surtout au regard des merites sans pareils de celle a qui elle s'adresse. La valeur de l'oeuvre est aussi discutee dans le contexte de la deli cate question de savoir si, liee par son voeu religieux de pauvrete, la poetesse peut meme reclamer la propriete de son oeuvre et done le droit de la dedica cer. Cependant, ce qui pour nous est plus interessant, c'est que l'epitre com mence par rabrouer avec force et assurance les eventuels critiques. L'oppo sition entre la plume et le chapelet, etablie des la premiere phrase, est

particulierement frappante. L'un des principaux topo'i polemiques lies a l'ecriture feminine - topos

evoque souvent par les femmes dans leurs paratextes - est celui de 1'oppo

sition entre la plume ou la lyre et la quenouille ou le fuseau, comme Giseie Mathieu-Castellani l'a souligne dans une etude recente: ?Le dilemme, la

quenouille ou la lyre, resume a peu pres les termes du debat ou s'exprime la revendication des femmes, leur droit a delaisser la quenouille, embleme de la condition feminine exclue des belles-lettres et des sciences, pour faire resonner les cordes de la lyre, leur desir de quitter le fuseau pour la

plume ?29. L'exemple le plus connu est certainement l'epitre dedicatoire de

Louise Labe a Clemence de Bourges, ou la poetesse demande aux ? ver

tueuses Dames d'eslever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenoilles et

fuseaus ?30. Mais le meme topos est exploite par Christine de Pisan, Heli

28 Voir les pieces liminaires en Phonneur d'Anne de Marquets qui ont ete publiees avec les Sonets spirituels, 6d. Ferguson, pp. 78-88 et 369-382.

29 Giseie Mathieu-Castellani, La Quenouille et la lyre (Paris: J. Corti, 1998), p. 10; voir

aussi, en particulier, le chapitre 2. Cf. Particle du meme auteur, ?La quenouille ou la lyre: Marie de Gournay et la cause des femmes ?, in Journal of Medieval and Renaissance Stu

dies, 25: 3 (1995), pp. 447-461. 30

Louise Labe, (Euvres completes, 6d. Francois Rigolot (Paris: GF-Flammarion, 1986), p. 42.

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LE CHAPELET ET LA PLUME 95

senne de Crenne, Madeleine et Catherine des Roches, et par Marie de Gour

nay31. Si, d'une part, les femmes ecrivains n'exploitent pas ce topos de

fagon identique et que, d'autre part, son emploi par chaque ecrivain suscite

parfois des interpretations divergentes de la part des critiques modernes, il n'en demeure pas moins vrai que Popposition fonctionne comme une

synecdoque embiematique32. C'est precisement pour cette raison, affirme

Mathieu-Castellani, que nombre de femmes ecrivains abordent ce theme en

prelude a leurs oeuvres: ?Voici done un topos, a identifier comme tel, qui autorise a condenser dans une formule breve et frappante toute une argu

mentation, et qui, loin de s'user dans la reiteration, assure au discours une

partie de sa force persuasive. Comme si, reprenant l'image pour la placer en ce lieu strategique de l'enonce, l'exorde de leur discours, Louise Labe et

Marie de Gournay s'emparaient a la fois des arguments hostiles a leur pro pos pour les contester, et des reponses concertees que les voix de femmes, de Christine de Pizan a l'auteur de LEgalite, font entendre dans la contesta tion des theses anti-feministes ? (op. cit., p. 51).

Pour Mathieu-Castellani, la quenouille, contrairement a la plume ou a la

lyre, est associee au bas (le sol, le corps, la matiere, etc.) par opposition a P elevation, au dedans par opposition au dehors, et au travail (negotium) par opposition au loisir (otium) necessaire pour ecrire. Ainsi, la quenouille n'est

pas simpleiment l'embieme de la femme en general. Elle represente plus par ticulierement la bourgeoise et le travail attache a sa condition, lequel etait cense ne pas lui laisser suffisamment de temps libre pour se soucier d'ecrire

(Mathieu-Castellani, op. cit., ch. 2). Du reste, si, comme le maintiennent

plusieurs critiques, le developpement de la production marchande et du commerce au XVF siecle a erode la valeur du travail des femmes en tant que contribution utile et meme necessaire a l'economie du menage, la que nouille (dans la mesure ou elle representait ce travail) a du etre perdue par les femmes comme le symbole d'un confinement domestique d'une futilite

grandissante33.

31 Voir Mathieu-Castellani, op. cit., chapitre 2, et art. cit. Sur les Dames des Roches, voir aussi Tilde A. Sankovitch, French Women Writers and the Book: Myths of Access and Desire (Syracuse: Syracuse University Press, 1988), chapitre 2.

32 On peut dire, en termes generaux, qu'alors que Christine de Pisan et Catherine des Roches semblent vouloir reconcilier la plume et la quenouille, Madeleine des Roches, Louise Labe et Marie de Gournay mettent plutot 1'accent sur 1'opposition entre elles. Tilde Sankovitch, pourtant, ne partage pas 1'interpretation optimiste de Jane Marcus du fameux sonnet de Catherine des Roches ? A ma quenoille ?(cf. Jane Marcus,? Still Prac

tice, A/Wrested Alphabet: Toward a Feminist Aesthetic?, in Tulsa Studies in Women's

Literature, 3 (1984), pp. 79-97, et Sankovitch, op. cit., pp. 52-53). 33

Voir, en particulier, Deborah Lesko Baker, The Subject of Desire: Petrarchan Poetics and the Female Voice in Louise Labi (West Lafayette, IN: Purdue University Press, 19%),

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96 GARY FERGUSON

Pour nous, l'opposition dans l'epitre de Louise de Marillac entre la

plume et le chapelet apparait comme une variante sacree de celle entre la

plume et la quenouille. Toutefois, les associations symboliques du chapelet et celles de la quenouille ne sont pas tout a fait pareilles. On ne saurait sou tenir en effet que le rosaire connote le bas, ni que cet element central de la devotion catholique fut jamais une activite exclusivement feminine, comme c'est le cas du filage. II sera done necessaire de rechercher les associations liees specifiquement au rosaire dans la France de l'epoque.

On remarquera premierement qu'a partir de la fin du XVe siecle et tout au long du XVP, ce sont surtout les dominicains qui ont promu la recitation du rosaire et qui ont quasiment gagne le monopole de la fondation et de 1'ad ministration des confreries qui lui etaient dediees. A la verite, cette pratique etait si intimement liee a 1'Ordre des Precheiirs que l'on en etait arrive a croire que la Vierge l'avait revelee dans une vision a saint Dominique lui meme. En 1573, les dominicains ont joue un role majeur dans l'institution de la fete de Notre-Dame du Rosaire; en 1628 et 1629, les Chapitres Gene raux de l'Ordre imposaient a toutes les eglises conventuelles l'obligation d'organiser, trois fois par semaine, des recitations publiques du rosaire34. L'association du rosaire avec les dominicains n'a certes jamais ete exclu sive ; cependant, l'opposition entre le chapelet et la plume acquiert une force

particuliere sous la plume d'une religieuse dominicaine.

Deuxiemement, bien que le rosaire ait ete con9u a l'origine comme une methode d'interiorisation pour donner une dimension meditative a la priere recitee, vers la fin du XVP siecle il semblerait qu'on l'ait oppose, de fagon symbolique, a la toute nouvelle pratique de l'oraison mentale. Hilarion de Coste raconte le cas de Susanne Habert, membre du cercle de Mme Acarie,

qui pratiquait l'oraison mentale dans son eglise paroissiale de saint Eus tache a Paris. Cette nouvelle forme d'oraison etait si peu connue que des

?gens grossiers? ont suppose qu'elle s'etait assoupie. Le cure finit par tan cer Suzanne publiquement, en exigeant qu'elle recitat soit ses heures soit son chapelet. II lui expliqua apres que ?le simple peuple ne s?avoit pas que e'estoit que l'oraison mentale et, voyant qu'elle ne disoit mot, le monde eust

peu croire qu'il falloit ainsi faire sans penser a rien ?35. Ainsi, la recitation du

p. 23. Cf. aussi Ann Rosalind Jones, The Currency of Eros: Women's Love Lyric in

Europe, 1540-1620 (Bloomington et Indianapolis: Indiana University Press, 1990), cha

pitre 2, surtout p. 14, et Constance Jordan, Renaissance Feminism: Literary Texts and Political Models (Ithaca et Londres: Cornell University Press, 1990), p. 175.

34 Voir Dictionnaire de spirituality ascitique et mystique, doctrine et histoire, 17 vols

(Paris: Beauchesne, 1937-1995), XIII (1988), cols 937-980 (surtout 946-967). Cf. aussi ed. Ferguson, p. 332.

35 Hilarion de Coste, op. cit., II, p. 779. Cf. Jacqueline Boucher, Societi et mentalitis autour

de Henri III, 4 vols (Lille: Atelier Reproduction des Theses, Universite de Lille III, Dif fusion H. Champion, 1981), vol. 4, p. 1477.

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LE CHAPELET ET LA PLUME 97

rosaire implique la priere vocale et occupe les mains - cf. ? me voir manier mon Chappellet? (Epitre, Appendice); contrairement a l'oraison mentale, elle ne donne pas une impression d'oisivete, d'otium.

D'autres recherches dans ce domaine pourraient s'averer fructueuses.

Cependant, on peut deja dire qu'a partir de la fin du XVF siecle, au moment ou le renouveau de la vie devote lie a la contre-reforme prend son essor, l'exhortation a s'en tenir au chapelet, au chapelet seul, fut adressee aux

femmes qui s'engageaient dans des formes d'expression religieuse innova

trices ou transgressives, telle l'oraison mentale ou la publication. En

revanche, la recitation du rosaire fut proposee comme une activite plus ?seante?, plus exemplaire, plus productive36.

En conclusion, nous dirons que, comme leurs soeurs lai'ques, les reli

gieuses examinees ici, en publiant leurs oeuvres, les dedient souvent a des

personnalites feminines puissantes. En meme temps, elles font appel a des communautes de femmes plus larges, y compris celle du couvent. De toutes les oeuvres dont nous avons parle, seule la premiere, les Sonets, prieres et

devises d'Anne de Marquets, a ete dediee a un homme, le cardinal de Lor raine. Comme nous 1'avons vu, les autorites catholiques furent loin de s'op poser a cette intervention par une femme dans le domaine de la polemique religieuse, accompagnee, comme elle Petait, de nombreuses expressions de reticence de la part de l'auteur. Les pieces liminaires de la seconde oeuvre

d'Anne de Marquets, commandee par une jeune princesse talentueuse, montre une poetesse plus confiante en sa vocation et, semble-t-il, moins refractaire a se voir imprimee. Si la publication de ces deux premiers ouvrages a ete mise en train par des forces exterieures au couvent, tel ne fut

pas le cas des deux derniers. La parution de ceux-ci, tous deux sous le long priorat de Jeanne de Gondi, temoigne d'une plus grande autonomic, d'abord de la part de l'editrice, ensuite de celle de la poetesse religieuse elle-meme.

Marie de Fortia, dans son epitre qui sert de preface aux Sonets spirituels, se declare consciente de la valeur de l'oeuvre qu'elle offre au public et ne

semble pas s'attendre a des attaques contre le caractere de la dedicataire, ni contre celui de l'auteur defunt. Enfin, Louise de Marillac -

quoiqu'elle publie en cachant son nom au lecteur - justifie son acte avec force et confiance. Elle reprend a son compte, en les adaptant a son propre contexte, des topoi polemiques de la Querelle des Femmes. Bien qu'elle semble pre voir des critiques, elle se montre prete a affronter ses detracteurs sur leur

propre terrain: ?je les puis combattre des mesmes armes dont ils me font la

guerre ?.

36 Cf., de nouveau, Appendice, Epitre. Sur la r^glementation et la representation de 1'utili sation du temps par les femmes de cette epoque, voir Yandell, op. cit.

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98 GARY FERGUSON

Les pieces liminaires etudiees ont ete ecrites par trois femmes diffe rentes qui, bien qu'elles aient vecu dans un meme milieu socio-culturel, ont

pu se differencier sensiblement les unes des autres par leur temperament ou

leurs idees. Toutefois, comme elles appartiennent a des generations diffe

rentes, il est tentant d'interpreter revolution que l'on a observee dans le contexte du renouveau de la vie spirituelle de l'Eglise post-tridentine, et a la lumiere du role grandissant que les femmes y ont joue. On sait que cette par

ticipation sans precedent des femmes a la vie de l'Eglise ne fut souvent pas sans susciter, a differents degres, malaise ou opposition

- en temoigne l'epitre dedicatoire de Louise de Marillac37. Mais cette lettre revele aussi une femme determinee, prete a affronter ses eventuels critiques et leurs ?calomnies?.

Comme nous 1'avons indique plus haut, 1'Office de la Vierge de 1621 n'a pas ete traduit par sainte Louise de Marillac mais par sa parente ainee.

Neanmoins* la jeune Louise a ete, elle aussi, pendant quelque temps durant son enfance, pensionnaire au prieure ou sa grand-tante fut religieuse38. Celle-ci et ses consoeurs ont non seulement mis ?la main a la plume ?, mais, a travers la publication, elles ont, avec de plus en plus d'assurance, fait entendre leur voix au-dela des murs du cloitre. On ne peut des lors que s'in

terroger sur l'influence que ce sejour a Poissy a pu avoir sur la future co-fon datrice d'une des premieres et des plus importantes congregations actives

pour femmes. .

Universite du Delaware. Gary Ferguson

37 Voir Elizabeth Rapley, The Devotes: Women and Church in Seventeenth-Century France,

McGill-Queen's Studies in the History of Religion, 4 (Montreal et Kingston, Londres, Buffalo: McGill-Queen's University Press, 1990), et R. Po-chia Hsia, The World of Catholic Renewal 1540-1770 (Cambridge: Cambridge University Press, 1998), surtout

pp. 33-41 et 138-151. 38

Cf. Charpy, op. cit., pp. 7-8.

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Page 18: Le chapelet et la plume, ou, quand la religieuse se fait écrivain: le cas du prieuré de Poissy (1562-1621)

LE CHAPELET ET LA PLUME 99

APPENDICE

L'Office de la glorieuse Vierge Marie. Traduit en vers Frangois. Pour le contentement de ceux qui ont son honneur en recommandation. Suivent

aussi les Psalmes Penitentiaux & Canoniauxpour l'exercice des amespeni tentes (Paris: Mathurain Henault, 1621).

Bibliotheque Mazarine, 23873 12?

[a ii r?] A TRES-NOBLE ET TRES-VERTUEUSE DAME MADAME JEANNE de Gondy, Prieure de la maison Royalle de Poissy.

MADAME,

S'il est vray ce que l'on dit de l'amour qu'il ne peche jamais, je suis a

couvert, et ne redoute plus les calomnies de ceux qui voyant cet oeuvre, [a ii

v?] pourront dire qu'il eust este beaucoup plus seant de me voir manier mon

Chappellet que la plume: car outre que je les puis combattre des mesmes armes dont ils me font la guerre, leur disant qu'il eust este plus a propos de s'adonner a quelque saincte priere, que de chercher subject de mesdisance dans mes actions: Je respons que si j'ay escrit, l'amour m'a faict mettre la main a la plume: or je ne pouvois, ny aymer, ny escrire au- [a iii r?] tre sub

ject que celuy que nous avons jour et nuict et dans le coeur et sur les levres,

sgavoir nostre Office Journalier, Payant faict avec vostre permission, je n'ay peu ny deu en faire offre a autre personne qu'a vous: vray est que je suis en

peine de la fa9on dont je le vous dois offrir: Car si ceux qui ont faict voeu de

pauvrete retiennent la propriete des richesses de l'esprit, je vous faicts pre sent de ce mien ouvrage, dont la petitesse qui n'a rien de bien en nostre

langue [a iii v?] que le nom d'une Fille m'a bien faict naistre un regret de n'avoir chose plus digne pour vostre merite, mais n'a deu me destourner du devoir que je vous rends en cet offre: Que si la propriete des richesses de

l'esprit et du corps est esgalement deffendue a celle qui a faict profession de

Religion, Je vous supplie eu esgard a une si estroitte pauvrete, avoir

agreable que je prenne en mes mains, vos biens mesmes, pour vous en faire

[a iv r?, page non numerotee] offre, si vous avez esgard a 1'affection de celle

qui vous la faict, vous pouvez me permettre justement que je prenne le nom de ce que je suis en effect.

Vostre plus humble et plus obeyssante Fille, S. L. D. M.

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