L'autopsie scientifique en 2005 : luxe ou nécessité ?

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/18/2019 L'autopsie scientifique en 2005 : luxe ou nécessité ?

    1/4

  • 8/18/2019 L'autopsie scientifique en 2005 : luxe ou nécessité ?

    2/4

    panel pluri-institutionnel de 2479 dossiers [10], la décou-verte autopsique d’un fait pathologique signicatif ayantcontribué au décès atteint 39,7 %. Le matériel émane de248 sources distinctes fournissant chacune un lot maximum

    de 15 autopsies consécutives, dans le cadre du « 1993 Col-lege of American Pathologists Q-Probes Improvement Pro-gram ». Cette base de données concerne une cohorte majori-taire d’adultes et comporte une étude statistique très précise.Elle collige par ailleurs 15 publications parues entre 1974 et1999, soit un total de 13 218 « vérications » dans lesquellesle taux de discordance majeure uctue de 21 à 58 %, avecune moyenne de 34,7 %. L’ensemble de ces constatationsaide à mieux appréhender la médiocre validité des certicatsde décès à travers le monde [3,18]. Dans certaines spéciali-tés, une divergence agrante avec la cause de mort anatomi-quement authentiée, a pu être identiée plus d’une fois surdeux [3,18,19]. Ainsi, dans l’État de New Mexico, sur unepériode de cinq années, les décès par embolie pulmonairedûment constatée, se révélaient deux fois plus fréquents quene le laissaient présager les statistiques ofcielles antémor-tem [19].

    2. L’autopsie scientique en France

    Depuis le brillant éditorialde François Potet dans lesanna-lesde pathologie[7],d’autres pathologistes, dont ClaudeGot[8] et Bernard Gosselin [9] ont malheureusement conrméque la France ne dérogeait pas à la règle générale, à l’excep-tion toutefois de quelques secteurs (essentiellement la fœto-pathologie, la pathologie pédiatrique et, dans quelques cen-tres historiques, la neuropathologie) ou de certaines régions(et en particulier de l’Alsace où se maintient une certaine tra-ditionhéritée de l’école de Strasbourg).D’après leurs conclu-sions, la crise la plus alarmante touche incontestablement lesadultes, ce queconrme l’évolutionobservée au sein de notrepropre CHU. En nous fondant sur les nombres annuels dedécès et d’autopsies répertoriés depuis 1962, plusieurs pério-des se sont succédées (Fig. 1). Schématiquement, dans unpremier temps, les pourcentages autopsies/décès varient de23 à 38 %, ce qui équivaut à 676 vérications, dont plus de

    90 % d’adultes, pour 1774 décès en 1972. Vers 1980, se pro-duisent un véritable effondrement, au dessous de 10 % et uneinversioncroissante du rapport fœtus–enfants/adultes (Fig.2).Ce recueil de données signie clairement l’abandon del’autopsie chez l’adulte, dans notre hôpital. Une telle orien-tation est devenue agrante dans la dernière décennie avecplus de 90 % de nécropsies pédiatriques et fœtales (et essen-tiellement périnatales). En corollaire, au cours de chacunedes cinq dernières années, pour environ 2000 décès, moinsde dix vérications d’adultes, le plus souvent incomplètes,ont été réalisées (Fig. 2). Pour caricatural qu’il soit, notreconstat est loin d’être isolé et corrobore les résultats d’uneenquête [9] menée dans 12 CHU et 5 CHG, afchant unediminution de 48,5 % entre 1993 et 1997. Les conclusions durapport de Claude Got [8] et du Symposium de Carrefour

    Pathologie [9] exposent, de manière à la fois détaillée et syn-thétique, les multiples raisons qui ont conduit à une telledégradation. Sont ainsi invoqués, pour ne citer que quelquesextraits, les progrès des techniques diagnostiques et notam-ment de l’imagerie moderne qui relégueraient l’autopsie aurang d’acte du passé. La complexité de la législation et lalourdeur des procédures administratives, l’inadaptation fré-quentedes salles denécropsieet lemanquedepersonnel qua-

    lié, l’accroissement exponentiel des charges du patholo-giste, l’insertion insufsante de la vérication anatomiquedans la recherche moderne sont autant d’arguments qui favo-risent son discrédit, surtout auprès des plus jeunes généra-tions decliniciens et depathologistes. Pour cequi est denotrediscipline, après avoir connu de profondes mutations tellesque l’immunohistochimie et l’hybridation in situ, des appro-ches diagnostiques et histopronostiques innovantes (micro-dissections et pathologie moléculaire) sont en train de boule-verser la pratique quotidienne. Certaines de ces techniques,incontournables pour une gestion optimale de nombreusesbiopsies,ont, d’oreset déjà, lourdement accru le temps consa-créauxexamens histopathologiques et surviennent aumomentd’un creux démographique préoccupant. Tous ces élémentspeuvent expliquer l’éloignement progressif de la table

    Fig. 1. Évolution depuis 1962 du pourcentage annuel d’autopsies par rap-port aux décès au CHU de Grenoble (d’après les registres du service d’ana-tomie pathologique et de l’État civil).

    Fig.2. Évolutioncomparative depuis 1990des nombres annuels d’autopsiesd’adultes et d’enfants au CHU de Grenoble (mêmes sources).

    612 B. Pasquier / La revue de médecine interne 26 (2005) 611–614

  • 8/18/2019 L'autopsie scientifique en 2005 : luxe ou nécessité ?

    3/4

  • 8/18/2019 L'autopsie scientifique en 2005 : luxe ou nécessité ?

    4/4

    accroissement signicatif des effectifs en personnels quali-és [7–9]. Dans l’attente de dispositions prises à l’échelle dela nation, la mise en commun des moyens matériels et desressources humaines entre les services ou départementsayant

    la chargedesautopsies scientiqueset médicolégales (commeau CHU de Saint-Étienne, communication personnelle deMichel Péoc’h et Michel Debout) pourrait représenter un deséléments de réponse à un problème de santé publique quenous ne pourrons indéniment laisser sur le bord du chemin.

    Remerciements

    Nous tenons à remercier Christiane Celse, Katia Chrétien,Jacqueline Gravier et Françoise Perriat pour leur collabora-tion technique.

    Références

    [1] Coulon G. L’autopsie : luxe ou nécessité [thèse]. Besançon : 1977.[2] Goldman L, Sayson R, Robbins S, Cohn LH, Bettman M, Weis-

    berg M. The value of the autopsy in three medical eras. N Engl J Med1983;308:1000–5.

    [3] Stevanovic G, Tucakovic G, Dotlic R, Kanjuh V. Correlation of clini-cal diagnoses with autopsy ndings: a retrospective study of 2145 autopsies. Hum Pathol 1986;17:1225–30.

    [4] Anderson RE, Fox RC, Hill RB. Medical uncertainty and the autopsy:occult benets for students. Hum Pathol 1990;21:128–35.

    [5] Start RD, McCulloch TA, Benbow EW, Lauder I, Underwood JCE.

    Clinical necropsy rates during the 1980s : the continued decline. JPathol 1993;171:63–6.[6] Kirch W, Schai C. Misdiagnosis at a university hospital in 4 medical

    eras: report on 400 cases. Medicine 1996;75:29–40.[7] Potet F. L’autopsie. Une méthode d’évaluation de la qualité des soins.

    Ann Pathol 1996;6:409–13.[8] Got C. Rapport sur les autopsies médicoscientiques rédigé à la

    demande du sécrétaire d’état à la santé et à la sécurité sociale. 1997.[9] Gosselin B, Gaillard D, Rambaud C. Les autopsies à l’aube de l’an

    2000. Ann Pathol 1999;19:S56–63.

    [10] Zarbo RJ, Baker PB, Howanitz PJ. The autopsy as a performancemeasurement tool. Diagnostic discrepancies and unresolved clinicalquestions. A college of american pathologists Q-probes study of 2479 autopsiesfrom248institutions.Arch Pathol Lab Med1999;123:191–8.

    [11] Gibson TN, Shirley SE, Escoffery CT, Reid M. Discrepanciesbetween clinical andpostmortem diagnoses in Jamaica : a study of theUniversity Hospital of the West Indies. J Clin Pathol 2004;57:980–5.

    [12] Cushing H. The life of Sir William Osler. Oxford: Oxford UniversityPress; 1940.

    [13] Rilke F. The autopsy: its role in oncology. Eur J Cancer 1991;27:528–30.

    [14] De Pangher Manzini V, Revignas MG, BrolloA. Diagnosis of malig-nanttumor:comparison between clinical andautopsydiagnoses. HumPathol 1995;26:280–3.

    [15] Sirkiä K, Saarinen-Pinkala UM, Hovi L, Sariola H. Autopsy in chil-dren with cancer who die while in terminal care. Med Pediatr Oncol1998;30:284–9.

    [16] Tsujimura T, Yamada Y, Kubo M, Fushimi H, Kameyama M. Whycould’ntan accurate diagnosis be made?An analysisof 1044consecu-tive autopsy cases. Pathol Int 1999;49:408–10.[17] Burton EC, Troxclair DA, Newmann III WP. Autopsy diagnoses of malignant neoplasms. How often are clinical diagnoses incorrect?JAMA 1998;280:1245–8.

    [18] Kircher T. The autopsy and vital statistics. Hum Pathol 1990;21:166–73.

    [19] Sperry KL, KeyCR,AndersonRE. Toward a population-basedassess-ment of death due to pulmonary embolism in New Mexico. HumPathol 1990;21:159–65.

    [20] ChometteG,Auriol M, Baubion D, deFrejacques C. Lesendocarditesmarastiques. Corrélations anatomocliniques.Ann Med Interne (Paris)1980;131:443–7.

    [21] Loire R, Tabib A. Mort subite cardiaque inattendue. Bilan de1000 autopsies.Arch Mal Cœur 1996;1:13–8.

    [22] Hofman P, Michiels JF, Saint-Paul MC, Bernard E, Dellamonica P,Loubiere R. Les lésions cardiaques au cours du syndromed’immunodécience acquise (SIDA). Ann Pathol 1990;21:404–8.

    [23] Gray F. Atlas of theneuropathology of HIVinfection. Oxford: OxfordUniversity Press; 1993.

    [24] Nemetz P, Beard M, Ballard D, Ludwig J, Tangelos EG, Kokman G,et al. Resurrecting autopsy: benets and recommandations. MayoClin Proc 1989;64:1065–76.

    [25] Wood MJ,GuhaAK. Decliningclinicalnecropsy rates versus increas-ing medicolegal necropsy rates in Halifax, Nova Scotia. Arch PatholLab Med 2001;125:924–30.

    614 B. Pasquier / La revue de médecine interne 26 (2005) 611–614