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Directeur honoraire Jacques Ghestin Professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Dirigée par Denis Mazeaud Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas BIBLIOTHÈQUE DE DROIT PRIVÉ TOME 591 L’ACTE JURIDIQUE, UNE RÉPONSE À LA CRISE DU CONTRAT Benjamin Moron-Puech Préface de Dominique Fenouillet Postface de Jean Combacau Prix de thèse André Isoré de la Chancellerie des universités de Paris 2017 Prix de thèse de l’Université Paris II Panthéon-Assas 2017

l'acte juridique, une réponse à la crise du contrat

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BENJAMIN MORON-PUECH

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Si le concept de contrat demeure central dans les enseignements aujourd’hui consacrés au droit des obligations, celui-ci paraît ailleurs en recul. Les privatistes eux-mêmes hésitent à l’utiliser lorsqu’il s’agit d’appréhender des objets par trop éloignés des contrats qu’ils concluent quotidiennement, qu’on songe au mariage ou à la convention collective.

Il y a là, selon l’auteur de cette thèse, une véritable crise du contrat. Non pas une crise de sa force obligatoire, mais une crise du concept lui-même et de sa prétention à vouloir rassembler la plupart des sources volontaires d’obligations.

En réponse à cette crise, l’auteur propose de donner davantage de place à un concept bien connu des juristes (bien qu’entendu fort diversement par eux !)  : l’acte juridique. Défini avec soin et précisé dans son régime dans chacune des deux parties de ce travail – en prenant garde à ne pas donner trop de place aux seules analyses tirées du droit des contrats –, l’acte juridique paraît constituer une réponse satisfaisante à cette crise.

Si la présente thèse intéressera sans doute les lecteurs de droit privé, soucieux de mieux comprendre la définition et le régime d’un acte juridique tout fraîchement (et maladroitement) introduit à l’article 1100-1 du Code civil, elle devrait aussi susciter l’engouement de ceux qui, venus des horizons des droits public et international, souhaitent mieux comprendre des sources volontaires de normes, toutes en effet subsumables sous le concept d’acte juridique.

9 782275 064543ISBN 978-2-275-06454-3www.lgdj-editions.fr Prix : 64 €

Directeur honoraire Jacques GhestinProfesseur émérite

de l’Université Paris 1Panthéon-Sorbonne

Dirigée par Denis MazeaudProfesseurà l’Université Paris II Panthéon-Assas

BIBLIOTHÈQUEDE DROIT

PRIVÉTOME 591

Directeur honoraire Jacques GhestinProfesseur émérite

de l’Université Paris 1Panthéon-Sorbonne

Dirigée par Denis MazeaudProfesseurà l’Université Paris II Panthéon-Assas

BIBLIOTHÈQUEDE DROIT

PRIVÉTOME 591

L’ACTE JURIDIQUE, UNE RÉPONSE

À LA CRISE DU CONTRAT

Benjamin Moron-Puech

Préface de Dominique Fenouillet

Postface de Jean Combacau

Prix de thèse André Isoré de la Chancellerie des universités de Paris 2017 Prix de thèse de l’Université Paris II Panthéon-Assas 2017

978-2-275-06454-3-couv.indd 1 07/02/2020 13:33:42

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L’ACTE JURIDIQUE,UNE RÉPONSE

À LA CRISE DU CONTRAT

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BIBLIOTHÈQUEDE DROITPRIVÉ

TOME 591

Directeur honoraireJacques GhestinProfesseur émérite

de l’Université Paris 1Panthéon-Sorbonne

Dirigée parDenis MazeaudProfesseurà l’Université Paris IIPanthéon-Assas

L’ACTE JURIDIQUE,UNE RÉPONSE

À LA CRISE DU CONTRAT

Benjamin Moron-PuechEnseignant-chercheur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Préface deDominique Fenouillet

Directrice du Laboratoire de sociologie juridique

Prix de thèse André Isoré de la Chancellerie des universités de Paris 2017Prix de thèse de l’Université Paris II Panthéon-Assas 2017

Bibliothèque de droit privé fondée par Henry SolusProfesseur honoraire à la Faculté de droitet des sciences économiques de Paris

Professeure à l’Université Paris II Panthéon-Assas,

Postface deJean Combacau

Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas

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© 2020, LGDJ, Lextenso1, Parvis de La Défense92044 Paris La Défensewww.lgdj-editions.frISBN : 978-2-275-06454-3 ISSN : 0520-0261

Version éditée le 16 décembre 2019

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Thèse retenue par le Comité de sélection de la Bibliothèque de droit privéprésidé par Denis Mazeaud et composé de :

Dominique BureauProfesseur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Dominique FenouilletProfesseur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Laurence IdotProfesseur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas

Thierry RevetProfesseur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Yves-Marie SerinetProfesseur à l’Université Paris-Sud

Pierre SirinelliProfesseur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Geneviève VineyProfesseur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

GuillaumeWickerProfesseur à l’Université de Bordeaux

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À mes enseignantes et enseignants

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REMERCIEMENTS

Que Dominique Fenouillet trouve ici l’expression de ma gratitude pour m’avoir transmis sapassion du droit dès la première année de licence et l’avoir maintenue intacte jusqu’à présent.Qu’elle soit également remerciée pour son temps généreusement offert, son profond humanisme,ses relectures minutieuses, son souci de la discussion et ses incitations à la clarification et à lamodération. Qu’elle soit enfin remerciée pour la confiance et le soutien sans faille qu’elle m’atémoignés, tant dans la préparation de ce travail que dans d’autres actions qui m’étaient chères.

Que ma famille et ma belle famille soient ici remerciées pour leur soutien humain et matérielsans lesquels cette thèse n’aurait pas pu être menée dans de si bonnes conditions et dans lesdélais impartis. Merci en particulier à Ivan pour son aide dans les dernières heures. Merciégalement à Mila, Anna et Lara pour leur compréhension dans les jours difficiles de ce travail.

Que mes relecteurs — Nicolas Balat, Jean-Sébastien Borghetti, Jérôme Chacornac, ClémentCousin, Guillaume Drouot, Jérémy Jourdan-Marquès, Stéphane Gerry-Vernières, Jean-MichelLemoyne de Forges, Bernard Moron, Mila Petkova, Ivan Petkov, Benjamin Pitcho, FabiennePuech, Adrien Tehrani, Ada Teller et Françoise Thomas — soient ici remerciés pour leur tempset leurs précieux conseils qui ont permis d’améliorer ce travail.

Que soient ici remerciées toutes les personnes ayant accepté de me consacrer de leur tempspour m’exposer des informations sur leur perception de la relation médicale, du contrat ou del’acte juridique : Paul Amselek, Christian Von Bar, Rémi Decout-Paolini, Dorothée Dibbie,Frédérique Dreifuss-Netter, Louis Dutheillet de Lamothe, Xavier Pin, Denis Piveteau, RodolfoSacco, Didier Tabuteau et l’ensemble des étudiants ayant répondu au sondage sur le contrat.

Qu’Ada Teller soit ici remerciée pour son aide précieuse en épistémologie et les nombreuseslectures qu’elle a pu nous conseiller.

Qu’Élisa Darriet, rencontrée grâce à l’Association des Doctorants et Docteurs d’Assas, soitici remerciée pour son aide précieuse sur les méthodes d’étude des représentations sociales. SansÉlisa Darriet une partie importante de ce travail n’aurait pas pu exister.

Que soient également remerciés, pour leur expertise juridique nationale ou étrangère qu’ilsont bien voulu partager : Ivano Alogna, Patrick Barban, Marc-Olivier Barbaud, EmmanuelBourdoncle, Philippe Cocatre-Zilgien, Clément Cousin, Olympe Dexant – de Baillencourt,Wouter Den Hollander, Olivier Descamps, Victor Deschamps, Paul Giraud, Pierre-Yves Gau-tier, Ruben de Graaf, Bernard Haftel, Egbert Koops, Yves Lequette, Patrick Morvan, DimitriNemtchenko, Hetti ten Oever, Franck Roumy, Michel Séjean, Marina Sonni, Suzanne Vergnolle,Gitta Veldt et Anne-Marie Ho Dinh, laquelle m’a également conseillé sur les différentes manières

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VIII L’ACTE JURIDIQUE, UNE RÉPONSE À LA CRISE DU CONTRAT

de réaliser des entretiens.Que soient aussi remerciés pour leur aide dans l’accès à des archives inédites du Conseil

d’État, de l’Ordre des médecins, de l’Assemblée nationale ou du Ministère de la Santé :Jean-Pierre Brière, Renaud Denoix de Saint Marc, Rémi Decout-Paolini, Louis Dutheillet deLamothe, Corinne Joannes, Denis Piveteau et Maud Vialettes.

Que soient de même remerciés pour leur expertise sur le secteur médical ou les règlesrégissant sa comptabilité : Pierre Andlauer, Céline Benos, Lucie Berkovitch, François Fournier,François Lemoyne de Forges, Corinne Miniza, René Puech, Jacques Rolland, Pierre Sabatier etAlain Salierno.

Que soient aussi remerciés pour leur assistance informatique sur LaTeX : Vivien Maison-neuve, Ivan Petov, Clément Moron et Yves et Laure de Saint-Pern.

Que soient également remerciés pour leur aide dans la formalisation mathématique duconcept d’acte juridique : Abdelhamid Abidi, Vivien Maisonneuve et Ivan Petkov.

Que soient remerciées les éditions LGDJ pour leur patience dans l’édition de cette thèse.Que soient de plus remerciés pour la qualité de leur accueil dans les lieux où nous avons

travaillé ces dernières années : Nathalie Ceriani, Marie-Christine Clément, Samuel Effa, HusseinKhalife, Marcos Povoa et le personnel, malheureusement anonymisé, de la bibliothèque Cujas.

Que soient également ici remerciés nos camarades de thèse Julien Arnoult et Antoine Faye,non cités jusqu’à présent, et dont le soutien moral nous a permis de mener à bien ce travail.

Enfin, que Clément Cousin soit remercié pour sa présence et ses échanges au quotidien lorsde ces trois dernières années.

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AVERTISSEMENT

1o La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises danscette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

2o Le texte ci-après reproduit diffère substantiellement de la version de soutenance sur lespoints suivants, tenant pour une large part aux remarques des membres du jury de soutenance :

— Le titre a été changé afin de refléter davantage le contenu de la thèse et moins l’histoire desa construction ; en conséquence de ce changement, une note de bas de page substantielle(note no 48) a été ajoutée sur le thème de la crise du contrat ;

— Les développements consacrés à la valeur et à la portée de l’arrêt Hôpital de Pradès(nos 98-99), suite aux remarques de Maud Vialettes ;

— Les développements relatifs à la nature de la responsabilité civile médicale après la loidu 4 mars 2002 (note no 83), suite aux remarques de Frédérique Dreifuss-Netter ;

— Les développements sur l’un des éléments constitutifs de la norme, le modèle de conduite(no 273), afin que soit bien distinguée la temporalité de ce modèle de la temporalité del’existence de la norme ou celle de sa vigueur ;

— Les développements relatifs à la possibilité de supprimer l’ambivalence du contrat (no 395),même si, pour conserver les hésitations qui étaient encore les nôtres au moment de lasoutenance, nous n’avons pas fait figurer ici la proposition de restreindre le contrat auseul « contracté ». Le lecteur pourra néanmoins trouver cette proposition — que suiteaux encouragements de Guillaume Tusseau nous défendons désormais — dans l’articleparu, postérieurement à la soutenance, à la revue Droits 1 ;

— Certains développements relatifs au caractère excusable de l’erreur (nos 533, 534 et 573).

3o La version de soutenance de ce travail, qui n’est pas librement accessible pour des rai-sons de confidentialité de certains entretiens retranscrits, est disponible en format papier aulaboratoire de sociologie juridique.

4o Afin de ne pas donner davantage de poids à une distinction des droits public et privéd’une part et pour bien signifier notre adhésion à un pluralisme au sein duquel la structureétatique n’est pas nécessairement plus légitime qu’une autre et notamment qu’une entreprise

1. B. Moron-Puech, « De quelques faiblesses de la définition traditionnelle du contrat », Droits, 2017, p.115-130. L’idée s’étant semble-t-il par la suite diffusée : S. Lequette, « La notion de contrat : Réflexions à lalumière de la réforme du droit commun des contrats », RTD Civ., 2018, p. 541-566.

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X L’ACTE JURIDIQUE, UNE RÉPONSE À LA CRISE DU CONTRAT

— terme s’écrivant sans majuscule —, le nom commun « État » sera ici écrit sans majuscule,suivant en cela une recommandation de Bérénice K. Schramm. La majuscule sera néanmoinsconservée lorsque le terme est utilisé dans une citation écrite par d’autres ou lorsqu’il est utiliséau sein d’une fonction (conseiller d’État) ou d’une institution (Conseil d’État).

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PRÉFACE

Répondre à la « crise » du contrat en proposant un concept original d’acte juridique : telest le pari audacieux que Monsieur Benjamin Moron-Puech propose ici au lecteur, en prenantappui sur les fruits du travail doctoral qu’il a présenté le 4 avril 2016 devant un jury composéde Mesdames Frédérique Dreiffus-Netter (Conseillère à la Cour de cassation) et Maud Vialette(Maître des requêtes au Conseil d’État), de Messieurs les professeurs Thomas Genicon (Uni-versité de Rennes I), Rémy Libchaber (Université Panthéon-Sorbonne, Paris I) et GuillaumeTusseau (École de droit de Sciences Po et membre de l’Institut universitaire de France), et dela soussignée.

Un mémoire de Master 2 consacré aux personnes intersexuées lui ayant donné à voir ladistance séparant parfois le droit civil et le droit de la santé, Monsieur Benjamin Moron-Puechprojetait initialement d’étudier le devenir de quelques grandes notions fondamentales du droitprivé en droit de la santé : personne, bien, droit subjectif, obligation, etc. Mais l’ampleur desdébats relatifs à la qualification de la relation médicale l’a rapidement conduit à recentrer sontravail doctoral sur le contrat.

L’analyse méticuleuse du droit positif devait alors remarquablement mettre en lumière leslimites du concept contractuel, limites d’autant plus signifiantes qu’elles n’étaient pas propresà la relation médicale mais trouvaient un puissant écho dans de multiples domaines : droit dela concurrence, droit pénal, droit de la famille, droit processuel. . . Ses innombrables lecturesl’ayant naturellement mis sur la piste de l’acte juridique, Monsieur Benjamin Moron-Puechfut rapidement convaincu de l’aptitude de ce concept à résoudre les difficultés de qualificationsuscitées par le contrat, grâce à sa nature, sa généralité, sa relative fraîcheur aussi.

Commença alors le travail d’élaboration du concept d’acte juridique : s’efforcer, à partirdu droit positif, des propositions doctrinales et de ses analyses personnelles, d’identifier lescritères de l’acte juridique et de dégager son régime juridique. L’ouvrage ici présenté est, danssa construction même, le fidèle reflet du cheminement intellectuel de l’auteur. À une réserveprès, qui n’est pas mince... L’analyse méticuleuse de la relation médicale, point de départ de lacontestation de la notion de contrat, avait donné lieu à l’écriture de plusieurs centaines de pagesspécifiquement dédiées à l’épreuve que cette relation infligeait au contrat, pages initialementdestinées à former la première partie de la thèse. Pour rendre la lecture accessible, l’auteur n’en

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XII L’ACTE JURIDIQUE, UNE RÉPONSE À LA CRISE DU CONTRAT

a repris que l’inspiration, et quelques exemples techniques, dans un chapitre préliminaire dutravail : il a ainsi abandonné, sans trop de déchirement apparent, de longs mois de réflexion etd’écriture, le seul objectif qui vaille à ses yeux étant d’œuvrer utilement, pour un droit tout àla fois juste et vrai.

La réflexion s’ouvre ainsi sur des développements liminaires très convaincants, qui sou-lignent les insuffisances techniques mais aussi psychosociales de la notion de contrat. Les pré-misses donnent ainsi immédiatement à voir l’originalité de la pensée, soucieuse de confronter ladogmatique avec la réalité pratique et la psychologie sociale. Elles mettent remarquablementen valeur l’intérêt qu’il y aurait à disposer d’un concept plus général, concept que l’auteurs’attache précisément à définir avant d’identifier son régime juridique.

Selon Monsieur Benjamin Moron-Puech, l’acte juridique suppose quatre critères (un acte,une volonté, un ordre juridique, et une norme), articulés comme suit : un acte volontaire,reconnu dans un ordre juridique comme créant une ou plusieurs normes.

Une telle définition présente divers mérites. Elle promeut un concept d’acte juridique quidépasse la distinction du droit public et du droit privé, d’abord. Elle abandonne le critèrede l’intention de créer des effets de droit, ensuite, ou plutôt combine ce critère subjectif aveccelui, plus objectif, de la perception sociale qu’ont le contractant et les tiers : il s’agit, pourMonsieur Benjamin Moron-Puech, de réconcilier la théorie juridique avec la réalité positive, ledroit retenant en maintes occasions la qualification de contrat alors même que manque, en fait,une réelle intention subjective. Elle s’interdit, enfin, de saisir par le même mot la procédure decréation de normes et le résultat de cette procédure, ce qui permet de comprendre qu’un mêmeacte puisse créer, en même temps, des normes contractuelles et des normes réglementaires, desnormes nulles et des normes valables, les effets de la vente et les effets du contrat d’entreprise,etc.

Prenant appui sur cette rénovation de l’acte juridique, la thèse en expose diverses consé-quences théoriques, parmi lesquelles, entre autres, la redéfinition de la distinction de l’acte etdu fait juridique, ou encore l’abandon, au sein des actes juridiques, des distinctions tenant àl’auteur de l’acte, et leur remplacement par une distinction s’attachant à la nature des normesproduites.

Fort de cette identification conceptuelle, Monsieur Benjamin Moron-Puech s’emploie en-suite à préciser le régime de l’acte juridique. Pour ce faire, il commence par identifier quatrepropriétés de ce concept : la soumission à des conditions de validité et à des règles particulièresd’interprétation, une possible distinction de l’existence de la norme créée et de sa vigueur, unmode spécifique d’extinction de la norme. Faute de pouvoir tout embrasser, il choisit d’appro-

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PRÉFACE XIII

fondir les conditions de validité propres aux actes juridiques, ce qui le conduit à mettre enlumière que, dans tous les cas, l’acte ne peut engendrer de norme valide que si l’auteur a émisun consentement dépourvu de toute erreur et s’il a poursuivi un motif licite. L’analyse permetalors de préciser les critères de la nullité : erreur et mobile doivent avoir été déterminants del’acte volontaire ; la nullité pour erreur n’est admise que si le bénéficiaire des normes pouvaitavoir connaissance de ce caractère déterminant, et si l’auteur de l’acte n’a commis aucune fauteen rapport avec cette erreur.

Le travail accompli suscite l’admiration. Admiration des forces mobilisées : culture ency-clopédique, maîtrise des classiques (et tout particulièrement, s’agissant de son sujet, des écritsde Charles Eisenmann, de Léon Duguit, de Georges Rouhette), finesse de l’analyse, rigueurde la méthode, souci d’objectivité, originalité de la pensée. Admiration du résultat proposé,à savoir une authentique thèse de « théorie générale du droit », comme l’a souligné le profes-seur Rémi Libchaber lors de la soutenance, et d’innombrables « perles » à savourer : l’analysepsychosociale de la définition du contrat, la présentation critique de la distinction de l’acte etdu fait juridique, la relecture du célèbre adage de Loysel « En mariage, il trompe qui peut »,les propos liminaires sur l’acte juridique en droit allemand et en droit romain... Sans oublier,cela va de soi, l’utilité pratique de la réflexion : elle réordonne les solutions positives et offre unsoutien théorique à des éléments étranges de régime juridique, comme par exemple la nullitépartielle ; elle permettra de résoudre les questions que l’absence de réglementation expressepourrait susciter relativement à tel ou tel acte juridique particulier.

Chacun appréciera la thèse ainsi élaborée.

Nul doute que l’aspiration systématique à une théorie du droit correspondant en tous pointsau droit positif et le besoin constant de définir les appuis élémentaires de la démonstration pourconduire un raisonnement rigoureux irriteront certains, mieux disposés à des arrangementspragmatiques et approximations théoriques. Qu’à cela ne tienne : nous savons tous ce que ledroit doit aux « faiseurs de systèmes ».

Nul doute aussi que la construction proposée, par son audace même, pourra heurter telprincipe tenu pour acquis par le plus grand nombre. On songe d’abord à la minoration ducritère de l’intention juridique, que la doctrine tient généralement pour déterminant, alorsmême que d’illustres prédécesseurs ont montré ses limites, qu’il s’agisse des travaux de BrunoOppetit sur l’engagement d’honneur ou des thèses de Georges Rouhette et, plus récemment, deSamuel Benisty. On songe aussi à l’utilisation du concept d’acte juridique, à côté du conceptde contrat, alors même que divers auteurs ont ouvert la voie à l’analyse ici proposée : ainsi desthèses de Magali Jaouen (La sanction prononcée par les parties au contrat, Étude sur la justiceprivée dans les rapports contractuels, Paris II, dir. D. Mazeaud, 2010), d’Adrien Tehrani (Lesinvestisseurs protégés en droit financier, Paris II, dir. Th. Bonneau, 2013), ou de Bertrand deMaumont (L’acte juridique en droit des personnes et de la famille, Bordeaux, dir. J. Hauser,

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XIV L’ACTE JURIDIQUE, UNE RÉPONSE À LA CRISE DU CONTRAT

2015) ; ainsi encore de l’article de Xavier Lagarde sur l’acte d’investissement (Les conceptsémergents en droit des affaires, dir. E. Le Dolley, LGDJ, 2010). On songe également à l’analysenormative du contrat, assez peu développée chez les privatistes contemporains, encore qu’elle aitété brillamment remise à l’honneur par l’article publié par Pascal Ancel à la Revue trimestriellede droit civil de 1999 et qu’elle semble aujourd’hui rallier des suffrages : « À prendre appui sur lestravaux les plus récents qui empruntent à Georges Rouhette la notion d’intérêt, mais envisagentle contrat dans ses différentes dimensions, on serait porté à le définir comme un accord devolontés qui crée une norme juridique qui lie l’intérêt des parties, ces intérêts pouvant selonl’opération réalisée être opposés, convergents, ou coalisés » (F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequetteet Fr. Chénedé, Les obligations, Précis Dalloz, 12e éd., 2018, no 80, p. 92). Plus précisémentencore, on songe à la définition du contrat comme un « ensemble de normes, créées par desactes juridiques distincts et dont chacune est conditionnée pour sa vigueur à l’existence d’autresnormes de cet ensemble », alors même qu’elle trouve dans la pensée juridique un solide appui :comment ne pas citer en effet Gérard Cornu soulignant, en 1979, qu’« On peut se demander si,dans de nouvelles perspectives, l’offre et l’acceptation ne se dissocient pas comme deux actesde volonté de nature différente, pour former à la limite, deux actes juridiques distincts : un actetechnique et savant, souvent issu d’une œuvre collective ; l’acte personnel d’un individu livréà lui-même. Le mécanisme juridique d’où naissent les engagements est-il encore un contrat,un accord de volonté ? Ne serait-il pas dans la succession de deux actes juridiques unilatérauxsoumis à des règles différentes ? Décomposition qui ferait voir, dans une opération, deux actesaccolés, la vente et l’achat, le prêt et l’emprunt (locatio et conductio. . .), non pas sans douteselon la vision primitive du droit romain, mais comme un reflet d’une situation où le débatréel fait place à la rencontre de deux décisions issues de processus différents. » (« L’évolutiondu droit des contrats en France », Journées de la société de législation comparée, 1979, p. 447s., spéc. no 49, p. 461-462). Bien d’autres exemples encore pourraient illustrer l’originalitédu travail doctrinal ici présenté, de la réunification des vices du consentement autour de lanotion d’erreur à la redéfinition de la donation en contrat synallagmatique, en passant par larénovation de la distinction de l’acte et du fait juridique. Iconoclaste, l’analyse l’est parfois,assurément, mais jamais gratuitement, et toujours pour le plus grand bénéfice du lecteur, pourpeu qu’il accepte d’être bousculé dans ses schémas cognitifs.

Nul doute encore que la thèse ici présentée appelle des prolongements et approfondissements.Comment articuler précisément contrat et acte juridique ? À quelles conditions précises un actejuridique peut-il générer une obligation ? Plus généralement, quel est le régime juridique exactde l’acte juridique ? S’agit-il bien d’un véritable concept, doté de règles propres, ou l’expressionne désigne-t-elle qu’une famille, abritant de multiples types d’actes, l’acte juridique collectif,l’acte juridique conjonctif, l’acte juridique extinctif, etc. ?

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PRÉFACE XV

Mais n’est-ce pas le propre de toute théorie nouvelle que de déstabiliser les idées reçueset de susciter questions et controverses ? Et comment ne pas applaudir une entreprise de ré-habilitation doctrinale de l’acte juridique qui s’efforce d’élaborer un concept général d’actejuridique, dépassant la distinction du droit public et du droit privé, au moment même où cetobjet juridique fait une entrée remarquée en législation, dans le Code des relations entre lepublic et l’administration issu de l’ordonnance du 23 octobre 2015 et dans le Code civil du faitde l’ordonnance du 10 février 2016 ?

La postface de Monsieur le professeur Combacau prolonge la construction doctrinale propo-sée dans la thèse ici présentée et offre de nouvelles perspectives pour éprouver sa pertinence. Nuldoute qu’elle constitue, aux yeux de Monsieur Benjamin Moron-Puech, la précieuse récompensede cette volonté farouche qui l’a animé d’enrichir la théorie générale du droit.

Nous nous en tiendrons, pour conclure, à des remerciements, des félicitations, et des vœux.Des remerciements, d’abord, pour ces belles années de thèse, toujours riches de discussionspassionnantes. Des félicitations, ensuite, pour cette construction savante et patiente d’une pen-sée propre, justement récompensée en 2017 par le prix André Isoré de la Chancellerie. Desvœux, enfin, pour que ce cocktail d’intelligence et de qualités humaines permette à l’intéresséde satisfaire son appétit d’un droit, redisons-le, tout à la fois juste et vrai.

7 février 2019

Dominique Fenouillet

Professeure à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)Directrice du Laboratoire de sociologie juridique

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TABLE DES ABRÉVIATIONS

AJ Famille Actualité Juridique Famille.al. alinéa.AN Assemblée nationale.AP Assemblée plénière.Ass. Assemblée.

Bull. Bulletin des arrêts de la Cour de cassa-tion (chambres civiles).

Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Cour decassation (chambre criminelle).

C. civ. Code civil.C. com. Code de commerce.C. pén. Code pénal.C. urb. Code de l’urbanisme.CA cour d’appel.Cah. Cahiers.Cass. Cour de cassation.CC Conseil Constitutionnel.CE Conseil d’État.CEDH Cour européenne des droits de

l’homme.cf. confer .Ch. réun. Chambres réunies.chap. chapitre.CPC Code de procédure civile.CPI Code de propriété intellectuelle.CSP Code de la santé publique.

D. Recueil Dalloz.Defrénois Répertoire Defrénois.

Dr. et patr. Droit et Patrimoine.

et al. et autres.

Fasc. Fascicule.

GAJC. Grands Arrêts Jurisprudence civile.GP Gazette du Palais.

ibid. ibidem.infra ci-dessous.

JCP G. La semaine juridique, Générale.JCP N La semaine juridique, Notariale.JCP S La semaine juridique, Social.JO Journal Officiel.

LPA Les Petites Affiches.

obs. observations.

préc. précité.PUF Presses universitaires de France.

Rev. crit. DIP Revue critique de droit inter-national privé.

RIDC Revue internationale de droit comparé.RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil.

s. et suivants.supra ci-dessus.

T. tome.

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SOMMAIRE

IntroductionChapitre préliminaire. Les faiblesses du contrat révélées par

. l’analyse des discours sur la relation

. médicale

Partie I La définition de l’acte juridique

Titre I La définition positive : les élémentsde qualification

Chapitre I Les limites des éléments actuels de qualificationChapitre II La reformulation des éléments de qualification

Titre II La définition négative : l’individuationChapitre I L’acte juridique par rapport à l’acte non

juridique et au fait juridiqueChapitre II L’acte juridique par rapport aux espèces d’actes juridiques

Partie II Les propriétés de l’acte juridique

Titre I Identification des propriétésChapitre I Recherche des propriétésChapitre II Approfondissement des conditions de validité

propres aux actes juridiques

Titre II Vérification des propriétésChapitre I Vérification théorique des cas d’annulation

propres à l’acte juridiqueChapitre II Vérification empirique des propriétés identifiées

Conclusion générale

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INTRODUCTION

1. L’acte juridique, une consécration récente en demi-teinte. Le 10 février 2016, lanotion d’acte juridique est entrée dans le Code civil par la grande porte. Jusqu’à présentcette notion, apparue en 1980 dans le Code civil 1, était dans l’« ombre du contrat » 2. Ainsin’était-elle évoquée directement que dans quatre textes du Code civil relatifs à la forme desactes. La réforme du droit des contrats aurait dû laisser les choses en l’état puisque le projetd’ordonnance, soumis par le ministère de la Justice à consultation publique, se contentait dereprendre les textes anciens sur ce point 3, suivant par là l’« avant-projet Terré » 4 plutôt quel’« avant-projet Catala » 5. Pourtant, in extremis, sur les invitations pressantes d’une doctrineciviliste 6 qui ne risquait guère d’être contredite au Conseil d’État lors de l’examen du projetd’ordonnance 7, de nouvelles dispositions ont été introduites dans le Code civil, avant même les

1. Loi no 80-525 relative à la preuve des actes juridiques : https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000339465. Sur cette loi cf. G. Rouhette, « La doctrine de l’acte juridique : sur quelquesmatériaux récents », Droits, 1988, vol. 7.

2. Expression empruntée à M. Poumarède, « La place de l’acte juridique dans les projets de réforme dudroit des obligations » in Métamorphoses de l’Acte Juridique, sous la dir. de M. Nicod, Presse de l’Universitéde Toulouse 1 Capitole et LGDJ, 2011, no 1.

3. Art. 1174, 1360, 1364 et 1367 du projet.4. Pour une réforme du droit des contrats, sous la dir. de F. Terré, Dalloz, 2009.5. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, sous la dir. P. Catala,

2005, http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf.6. Plaidant pour cet ajout, cf. R. Libchaber, « Regrets liés à l’avant-projet de réforme du droit des contrats

– Le sort des engagements non bilatéraux », RDC, 2015 et N. Molfessis, « Droit des contrats : l’heure de laréforme », JCP E, 16 fév. 2015, vol. 7, 199, no 10. Adde les propos — reproduits en Annexe 1 — de GuillaumeMeunier, magistrat chargé à la Chancellerie de la rédaction de l’ordonnance portant réforme du droit descontrats. Alors que nous l’interrogions sur les travaux préparatoires ayant conduit à l’introduction de la notiond’acte juridique, celui-ci nous écrivait, le 1er décembre 2016, que « les dispositions sur l’acte juridique ont étéintroduites suite à la consultation publique en juin 2015 en réponse aux observations de plusieurs universitairesqui regrettaient que ne soient pas évoquées les différentes sources des obligations, et notamment l’acte juridiqueunilatéral, pourtant évoqué dans le projet à plusieurs reprises. / Initialement, le projet ne contenait en effetaucune disposition énonçant les différentes sources d’obligations autres que celles visées dans les différents sous-titres. Une telle absence conduisait à écarter l’acte juridique unilatéral, pourtant évoqué à plusieurs reprisesdans le projet, ce que de nombreux auteurs ont déploré ». Et Guillaume Meunier de mentionner les sourcesdoctrinales ayant déterminé la Chancellerie à revoir sa copie : les courriels de Jacques Ghestin et ThomasGenicon, l’article de N. Blanc contenu dans la contribution du groupe emmené par Mustapha Mekki (N. Blanc,« Dispositions préliminaires - Analyse des articles 1101 à 1110 du projet d’ordonnance portant réforme du droitdes obligations », Gazette du Palais, 2016, 120) et enfin nôtre contribution, intégrée à un rapport collectif remisà la Chancellerie (B. Moron-Puech, « Articles 1101-1186 » in Observations sur diverses dispositions de laréforme du droit des contrats. Rapport remis à la Chancellerie, sous la dir. de L. Leveneur, M. Leveneur-Azémar et B. Moron-Puech, 2015, url : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01376024).

7. Les membres du Conseil d’État ont en effet généralement un aperçu très positif sur l’acte juridique. Cf.déjà mutatis mutandis, les interventions des conseillers d’État, Marcel Oudinot et Roger Latournerie, qui, lorsdes travaux de la Commission de réforme du Code civil, pressèrent leurs collègues d’adopter des dispositions sur

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2 L’ACTE JURIDIQUE, UNE RÉPONSE À LA CRISE DU CONTRAT

dispositions sur le contrat. Est-ce pour autant un changement de paradigme ? Une révolutionau sens de Thomas Kuhn 8 ?

Au premier abord, oui. En effet, le contrat n’est plus premier dans le Titre III du LivreIII du Code civil. Il n’apparaît désormais qu’après l’acte juridique auquel sont consacrés lespremiers articles du Titre III, intitulé Des sources d’obligations et que l’ordonnance vient no-tamment réformer. Mieux encore, l’on comprend, par le rapprochement des articles 1100-1 et1101 nouveaux du Code civil, que le contrat serait une espèce d’acte juridique 9.

Cependant, la lecture du deuxième alinéa du deuxième article de ce titre III (art. 1100-1)révèle immédiatement la portée limitée de ce changement et permet de douter que le paradigmeait été modifié. L’on apprend en effet dans ce texte que « [les actes juridiques] obéissent, entant que de raison, pour leur validité et leurs effets aux règles qui gouvernent les contrats ».Or, disant cela, les auteurs de l’ordonnance contredisent le discours qu’ils tiennent dans l’alinéa1er : alors que, dans l’alinéa 1er, il est suggéré que le contrat est secondaire par rapport àl’acte juridique, dont il ne constitue qu’une espèce, l’alinéa 2 donne à penser que le contratest en réalité premier car ce sont les règles de ce dernier qui sont applicables, « en tant que deraison », à l’acte juridique. Par une telle formulation, les rédacteurs de l’ordonnance ont adopté« la méthode qui fait de la réglementation des contrats le droit commun des actes juridiques » 10,comme le disait Jean Carbonnier.

Cette contradiction révèle l’indécision des rédacteurs de l’ordonnance qui n’ont pas osétrancher entre une approche scientifique et une approche pratique des rapports entre le contratet l’acte juridique 11. D’un côté, les rédacteurs pressentaient sans doute l’importance scientifiqued’une consécration plus large de la notion d’acte juridique dans le Code civil, de manière àremplir les espaces non occupés par le contrat. De l’autre, ils n’ont pas su préciser son régimejuridique — à supposer que la loi d’habilitation leur aient donné ce pouvoir, ce dont on peutsérieusement douter — et ont donc préféré définir le régime de l’acte juridique par renvoi à celuidu contrat. D’où, finalement, cet entre-deux : la notion est consacrée, mais le régime n’est pasprécisé, le soin en étant laissé aux interprètes du texte, encouragés pour cela à prendre pourguide leur « raison ».

2. La portée de cette consécration. Assurément, cette consécration de l’acte juridiqueconstitue un progrès, tant il paraît souhaitable de disposer d’une notion d’acte juridique, afin

l’acte juridique, sans s’en tenir à une seule réforme du droit des contrats. Sur le caractère déterminant de cesinterventions sur le choix de la Commission d’introduire ces dispositions, cf. Avant-projet de code civil, Premièrepartie, LGDJ, 1955, p. 27. Plus récemment, cf. le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA),qui a consacré de nombre textes à l’« acte administratif unilatéral » (art. L. 200-1 s. CRPA).

8. Th. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1983.9. Les textes ne le disent pas expressément, mais c’est bien l’idée qui paraît se dégager de l’article 1100-1

nouv. c. civ., lorsque celui-ci énonce que les actes juridiques peuvent être « conventionnels ou unilatéraux ».Derrière l’expression d’« acte juridique conventionnel », c’est bien le contrat qui paraît visé. L’on regretteranéanmoins 1o le caractère allusif des textes et 2o la variation de vocabulaire puisque les rédacteurs passentsubrepticement de la « convention » au « contrat ».

10. J. Carbonnier, Droit civil, PUF, 2004, T. 2, no 933, p. 1948.11. Est ici reprise une idée esquissée dans ibid., T. 2, no 933, p. 1948.

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INTRODUCTION 3

d’appréhender toutes les situations dans lesquelles les individus créent du droit, sans que l’onpuisse pour autant apercevoir un contrat. Cependant, un bref survol historique et comparatistepermet de révéler l’indigence de ce changement.

Historiquement, tout d’abord, le changement opéré par les articles 1100 et 1100-1 apparaîtminime par rapport aux changements qu’avaient pu un temps proposer les membres de laCommission de réforme du Code civil, à rebours d’une doctrine civiliste qui reconnaissait l’utilitéde l’acte juridique, mais refusait d’abandonner son système d’alors, système reposant tout entiersur le contrat 12. En effet, le premier volume d’un projet de réforme du Code civil que cetteCommission avait remis au Garde des sceaux comprenait, en annexe, pas moins de soixante-douze articles consacrés à l’acte juridique 13, ce qui contraste avec les six articles actuellementcontenus dans le Code civil 14.

Au regard du droit comparé, ensuite, l’introduction de ces nouveaux textes sur l’acte ju-ridique peut paraître indigente. Prenons par exemple nos proches voisins hollandais : ceux-ciont réformé leur code civil dans les années 1990 et, bien que restreignant l’acte juridique à lasphère patrimoniale, ils ont pris au sérieux cette notion en lui consacrant vingt-sept articles 15.

3. Les raisons de l’indigence des textes sur l’acte juridique. Pourquoi, dès lors, unetelle indigence des nouveaux textes ? La première raison tient dans le fait que les acteurs dela science juridique française 16, plus précisément les civilistes, ont renoncé, après l’échec de laCommission de réforme du Code civil, à remettre l’ouvrage sur le métier. Or, sans matériauxdoctrinaux préalables il est bien difficile pour les réformateurs d’entreprendre de toute pièceune réforme.

Certes, tous les acteurs de la science du droit ne sont pas à mettre dans le même sac.D’importants efforts ont par exemple été fournis en droit public interne et en droit internationalpublic pour conceptualiser les notions d’acte administratif et d’acte juridique. Ils ont d’ailleurs

12. F. Gény, « Les bases fondamentales du droit privé en face des théories de L. Duguit », RTD Civ.,1922, nos 18-23. Tout en louant par certains aspects les efforts de conceptualisation entrepris par Léon Duguit,François Gény refuse d’abandonner la théorie du contrat au motif qu’on« risquerait [. . .] de dissoudre la notion,péniblement construite en une longue évolution, du contrat, type fondamental de l’acte juridique, et de se voir enprésence d’une poussière d’actes de volonté, échappant à toute synthèse et postulant, chacun, sa réglementationpropre et distincte. Ce serait, en tout cas, une régression certaine de la technique juridique ». Puis d’ajouter, quececi n’aurait aucune utilité car « tout le système moderne des actes juridiques repose sur la théorie du contrat ».

13. Avant-projet de code civil, Première partie, LGDJ, 1955, p. 375-381. Sur les raisons de leur place en annexe,cf. le rapport introductif de Louis Julliot de la Morandière ibid., p. 27.

14. Art. 1100, 1100-1, 1301, 1359, 1364 et 1367 nouv. c. civ.15. Art. 3:32 à 3:59, disponibles en anglais ici : http://www.dutchcivillaw.com/civilcodebook033.htm.16. La pertinence de l’expression « science juridique » pourrait être contestée. Pour notre part, après avoir

longtemps pensé qu’il était possible de distinguer la science des autres discours, notamment en s’appuyant surl’épistémologie (pour une excellente approche de cette question par un juriste, cf. l’ouvrage trop méconnu G.Canselier, Les données acquises de la science : Les connaissances scientifiques et la faute médicale en droitprivé, sous la dir. de C. Labrusse-Riou, thèse de doct., Université Paris 1, 2010, Les Éditions Hospitalières ),nous sommes à présent moins convaincu d’une telle possibilité. Cependant, constatant que certaines personnesdisent faire de la science et se perçoivent comme des scientifiques, ceci nous paraît suffisant pour parler descience du droit. Sur cette question, cf. les propos lumineux consignés dans A.-M. Ho Dinh, Les frontières dela science du droit : Essai sur la dynamique juridique, sous la dir. de N. Molfessis, thèse de doct., UniversitéPanthéon-Assas, 2015, nos 9-11.

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