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L’Ambigu Monsieur Macron

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Ouvrage publié sous la direction de Laurent Léger.

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Marc Endeweld

L’Ambigu Monsieur Macron

Flammarion

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© Flammarion, 2015.ISBN : 978-2-0813-7456-0

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À Sébastien

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« On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. »

Jean-François Paul de GONDI,cardinal de Retz, Mémoires, 1677.

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Prologue

Sous les projecteurs

« Macron, comment vous dire ? Ras-le-bol ! » De retourde vacances, Martine Aubry n’a pas mâché ses mots1, criti-quant les positions du chouchou de François Hollande surle travail du dimanche, les fonctionnaires ou les 35 heures,« sa » loi, faut-il le rappeler. Effet garanti : elle a tétanisé larentrée politique. L’ancienne ministre n’a pas pu s’en empê-cher. Jusqu’à présent, la maire de Lille préférait pourtanttraiter avec le plus grand mépris le ministre de l’Économie,ce « Monsieur Macron », comme elle le désigne sèchementen petit comité. Depuis son arrivée au gouvernement, cedernier multiplie les déclarations fracassantes. Des « illettrées »de la société Gad, aux « pauvres » qui « voyageront plus faci-lement » en car, en passant par le statut des fonctionnairesqui n’est pas « adéquat ». Sans oublier la vocation dont toutjeune Français devrait selon lui rêver, celle de « devenir mil-liardaire ». Et pourtant, le ministre de l’Économie ne cesse

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de s’affirmer… de gauche. Et envisage même de prendre laplume pour s’en expliquer dans un livre2. Il le sait, Emmanuel

1. Mercredi 23 septembre 2015.2. Le Journal du dimanche, 4 octobre 2015. Au moment du bouclage

de ce livre, son cabinet infirmait une telle information.

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L’Ambigu Monsieur Macron

Macron, pour affirmer sa ligne politique, doit sortir del’ambiguïté.

Son sourire, sa tête de premier communiant ou de gendreparfait ne lui sont d’aucun secours pour disposer d’un pas-seport de gauche. Mais c’est bien sur ses intentions et sonparcours que « Monsieur Macron » reste pour le moinsambigu. A-t-il enfilé durablement le costume de responsablepolitique ? A-t-il, comme on le dit souvent, de grandes ambi-tions ? Le ministre balaye ces questions d’un revers de lamain : l’essentiel, pour lui, reste de préserver l’ambiguïté surson après-Bercy. Pour l’instant, il préfère demeurer sur le fildu monde politique : un pied dedans, un pied dehors.

Cet été, quand il nous reçoit dans son grand bureaude Bercy, au troisième étage de « l’hôtel des ministres » del’imposant bâtiment, face à la Seine, Emmanuel Macron estpourtant à l’aise dans ses baskets : « J’assume le syndromefrontal, nous expose-t-il. Car la vie politique française estsurinhibée. Face à la névrose médiatique, on ne dit plusrien. » Ajoutant : « Je considère qu’il faut avoir, comme res-ponsable politique, une fonction de thérapeute. Il faut recon-naître ce qui ne va pas. » Affirmant donc son parler cash,son parler vrai, le ministre se défend : « Si c’est sorti de soncontexte, c’est toujours vu comme une provocation. » Macrons’irrite tout de même du « jeu tactico-médiatique ».

Pourtant, si le ministre se détend au fil de nos questions,presque avachi sur son canapé noir après une longue journée,mais toujours souriant – très tôt le matin, il était en visiteà la gare routière de Bagnolet, près du périphérique parisien,

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pour assister à l’application de la libéralisation du transporten car –, il ne se laisse pas percer à jour aussi facilementque ses déclarations fracassantes peuvent le laisser penser. Son« parler cash » a donc une limite : sa personne. Le ministrecultive à ce propos une ambiguïté protectrice…

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Prologue

Mystérieux Monsieur Macron qui fustige « la mode de latransparence complète » : « Il y a des hommes politiques quiaiment parler d’eux, ce n’est pas mon cas. » Peut-être parcequ’au fil de son parcours fulgurant, Emmanuel Macron afini par représenter l’expression du « système ». « C’est unjeune homme amené à diriger le monde, comme les autres,mais avec un petit supplément d’âme. Il a réussi par les mon-danités », juge l’un de ses procureurs. Le ministre serait fina-lement devenu le symbole d’une méritocratie républicaine àbout de souffle, où copinages et connivences prennent le des-sus, autant de travers qu’il se plaît à dénoncer, alors qu’il alui-même « coché toutes les cases », comme nous le rappelleun interlocuteur, pour en arriver aussi rapidement là où ilest. « À Paris, tout le monde a placé Macron », s’amuse l’unde ses soutiens. « Tout le monde est l’ami de Macron aussiparce qu’Emmanuel Macron est l’ami de tout le monde »,ironise un autre. « J’aime la comédie humaine », nous lâchele jeune ministre au détour d’un exposé, brillant, forcémentbrillant. On nous avait prévenus : Macron est un séducteur,l’homme a du charisme. Certes, il est accessible. Mais est-ildu genre à haranguer les foules ? À battre les estrades lorsd’une campagne électorale et aller, comme Chirac, autrefois,tâter le cul des vaches ? Les Français l’ont vraiment découvertà la télévision en mars 2015, le jour où il a réussi, nous dit-on, sa prestation face à David Pujadas. Mais peut-on parlerréellement de « charisme » ? Pour l’instant, l’homme sembleêtre plus à l’aise avec l’ambiguïté des alcôves, dans le com-promis des relations interpersonnelles. Les yeux dans les yeux.Tout en séduction, justement. Son aspect physique semble

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jouer chez certains : « Il est beau gosse ! » affirme à troisreprises un grand patron lors d’un de nos entretiens.« Macron a été la Ferrari rouge d’un paquet de vieux duCAC 40, sur le mode : “Tu l’as vue ma bimbo ?” C’est letrophée d’une partie de l’establishment », balance un banquier

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de la place de Paris. « Il a fait toute sa carrière en étant sou-tenu par des réseaux homos et cathos dans le grand patro-nat », s’irrite un autre.

Mais Emmanuel Macron n’a que faire de ces sarcasmes,de ces jalousies. Il trace sa route, exprimant « une grandeconfiance en lui », estime un proche. En chair et en os, appa-raît ainsi un personnage érudit qui manie les mots avec unegrande dextérité ; le flot de ses paroles est d’une précisionredoutable, l’enchaînement de ses exposés en devient presquemécanique. Le jeune ministre de l’Économie a plutôt l’intel-ligence de s’adapter à chacun, de ne sortir le grand jeu queface à un public acquis : « C’est l’homme qui sait le mieuxdire bonjour au nord de l’Équateur. Comme Jack Lang. C’estcomme si toute son existence n’avait qu’une fin, la conver-sation », confie un de ses amis. S’est-il exercé à saluer commel’acteur Richard Anconina dans Itinéraire d’un enfant gâté ?

En réalité, cette facilité d’user des bons codes, au momentoù il le faut, vient de loin. De l’enseignement qu’il a reçudans un établissement de jésuites à Amiens, les experts de larhétorique et de la science du beau langage depuis le MoyenÂge. De son histoire familiale plus compliquée qu’il n’y paraîtaux premiers abords : « Il est très secret sur une partie delui-même. Comme s’il avait un double fond. Il donne àl’extérieur très peu de lui. Les gens croient le connaître, maisen fait, ils sont dans l’illusion. Quels sont ses vrais amisintimes ? » s’interroge l’un de ses anciens camarades del’ENA. Depuis qu’il est devenu ministre, il se sait observé,scruté, disséqué. Aux premiers abords, il feint de ne pas s’en

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inquiéter. À tel contact, que nous avons interrogé pour lesbesoins de notre enquête, et qui l’a tenu au courant de celle-ci, il répond un SMS permissif : « Vas-y balance ! » Soncouple avec Brigitte, son ancienne prof de français, de vingtans son aînée, suscite toutes les conversations dans les dîners

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Prologue

parisiens : « Ce qui relève de la vie intime a vocation à resteravec certains », nous rétorque-t-il fermement.

Emmanuel Macron est sous contrôle, le sien, en perma-nence, et sans qu’on y prenne garde. On imagine l’énergiequ’il doit déployer pour garder ses antennes actives : « Il estd’une lucidité incroyable sur tous les gens qui l’approchent.Et il n’a aucune illusion sur les gens qui l’entourent. Il estd’une dureté métallique insoupçonnée. » Là encore, ambiguïté :nombre de ceux qui ont eu l’occasion de l’approcher consta-tent sa « gentillesse ». Mais serait-il finalement « méchant » ?Tel le diabolique Frank Underwood de la série américaineHouse of Cards ? Ses proches nous assurent pourtant qu’il estloin d’être « cynique ». Aujourd’hui, il fait de la politique« pour défendre ses convictions politiques », affirme-t-il. Sameilleure protection reste finalement son humour – justementle règne de l’ambiguïté. Et si « Monsieur Macron » ne se pre-nait pas au sérieux ? À voir… On loue aussi sa bonne humeurégale, sa bonhomie. « C’est son côté Hollande, une petitetape dans l’épaule et il vous neutralise. C’est aussi sa forcepolitique, la simplicité du contact qu’il imprime. Il est beau-coup plus chaleureux que n’importe quelle icône de la gauche.C’est comme s’il était le fils issu d’une GPA de LaurentFabius, extrêmement intelligent, et de Michel Charasse, extrê-mement chaleureux », note drôlement l’un de ses anciens col-laborateurs à l’Élysée. Un financier nous le compare àAlcibiade, un chef athénien, doué de toutes les qualités : labeauté, la haute noblesse, la richesse et l’intelligence. Disciple,ami et amant de Socrate, il était un orateur habile, et, selonle philosophe Théophraste, « celui qui saisissait sur-le-champ les

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occasions et qui semblait inspiré par les affaires, frappait d’éton-nement la multitude et s’en rendait facilement le maître. »

À force, pourtant, de vouloir être ami avec tout le monde,Emmanuel Macron se mélange de temps en temps les pinceaux.

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« Il a parfois une difficulté avec les rapports anguleux »,remarque un conseiller qui l’a connu à l’Élysée. « Quand jeparlais politique avec Macron, je ne savais pas ce qu’il pensait.C’est un truc de hauts fonctionnaires ça ! Il regarde le rapportde force, et se met au milieu », persifle un proche d’ArnaudMontebourg. « C’est quelqu’un pour qui l’ambiguïté est ungisement d’opportunités », remarque un grand patron.

Depuis qu’il est ministre, « Monsieur Macron » ne se faitpas que des amis. « Il existe même un groupe dans Paris quej’appelle les déçus discrets d’Emmanuel Macron », s’amuseun initié du monde des affaires. « Ce sont les gens qui sesont fait “entuber” mais qui ont honte de le dire. Il a fait,comme son ami Jean-Pierre Jouyet, des promesses à tout lemonde, il a dit “oui” à tous. Mais ce n’est pas la réalité, onne peut pas faire plaisir à tout le monde ! » À Bercy, EmmanuelMacron en a donc surpris plus d’un. S’opposant, on le verradans ce livre, au puissant patron de Renault, Carlos Ghosn,sur les droits de vote double réclamés par l’État, ou aucontroversé Henri Proglio qui aurait souhaité prendre la pré-sidence du groupe de défense Thales. Le ministre n’a pashésité non plus à défendre l’idée du contrat unique auprèsde l’Élysée ou de Matignon dans les mois qui ont précédéles discussions de sa loi au Parlement…

Mais Emmanuel Macron ne cesse de fuir une question,celle de ses ambitions politiques, ses intentions. Lui préfèreaffirmer sa liberté. Une posture qui lui est possible, car iln’est ni totalement un responsable politique au sens tradi-tionnel du terme, ni un acteur économique investi de la res-ponsabilité d’une entreprise et d’emplois. Toujours un pied

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dedans, un pied dehors. « Emmanuel n’a pas un tempéramentde rebelle. Il est légitimiste vis-à-vis des institutions. Ce n’estpas un franc-tireur. Mais il affectionne d’être à la croisée deplusieurs univers, de plusieurs champs de pouvoir, analysel’un de ses amis. De se trouver au croisement de la bour-

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geoisie amiénoise et des cercles intellectuels parisiens. Ensociologie, on dirait que c’est un “marginal sécant”. Son par-cours touche à tout lui permet de ne pas être enfermé dansune case. »

Si voilà sa principale ambiguïté, ses multiples légitimitéssont également sa principale force. « Je ne me retrouve pasdans la démarche des “entomologistes modernes” qui passentleur temps à mettre les hommes et les femmes dans des casesétriquées. Si l’idée, c’est de laisser fonctionner le marchécomme étant la loi du plus fort, alors je ne me sens paslibéral1 », assurait-il au Soir l’année dernière. « Les étiquettesimportent peu. Elles me sont indifférentes », explique-t-il en2015 à El País 2. En un an à Bercy, une chose est en toutcas incontestable : Macron s’est imposé dans le jeu politiquefrançais. « C’est un jeu à trois désormais », lance-t-il à l’unde ses proches. François Hollande, Manuel Valls, EmmanuelMacron. Celui des trois qui a le moins de pouvoir est leplus populaire. C’est aussi celui qui suscite le plus de curio-sités à l’étranger. Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais,demande ainsi à l’un de ses interlocuteurs français : « Parlez-moi de Macron », comme un banquier américain : « C’estqui ce Macron ? »

En attendant, le ministre de l’Économie trace sa route. Ilmultiplie les rendez-vous au cours d’une journée, gourmandde rencontres variées et de contacts transversaux : « Il ne cessed’écouter les gens, de les recevoir, il n’est pas rare qu’il sefasse deux petits déjeuners le matin, plus un dîner, doubléd’un souper ! » note un habitué des cabinets ministériels.

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« Un athlète du pouvoir », s’extasie un de ses proches. Certainsne devraient pas l’oublier : Emmanuel Macron est un jeune

1. Le Soir, 7 novembre 2014.2. El País, 10 juillet 2015.

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homme pressé : « Je ne me vois pas à 60 ans faire de la poli-tique », nous assure-t-il. Une anecdote est particulièrementrévélatrice : un jour, l’une de ses connaissances lui lance : « En2022, je vote pour Valls, et en 2027, je vote pour toi ! »Réponse immédiate de l’intéressé : « Alors, je vais accélérer1 ! »

Voilà pourquoi il était temps d’enquêter sur ce ministrequi fascine et qui dérange.

1. L’anecdote est rapportée par Le Parisien, le 22 septembre 2015,mais nous a également été confiée par l’un de nos interlocuteurs.

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Chapitre 1

La surprise du remaniement

Le coup de fil est bref. Les deux hommes se connaissentbien, et s’apprécient. Raison de plus pour ne pas perdre detemps, alors qu’en ce matin du mardi 26 août 2014, ledeuxième remaniement gouvernemental est bien en route :« J’ai besoin de toi », lance Jean-Pierre Jouyet, secrétaire géné-ral de l’Élysée, à son protégé Emmanuel Macron… qui luirépond immédiatement : « Je peux travailler avec toi, oui. »En mode automatique. Au printemps, lors de l’arrivée à l’Ély-sée de son ami Jouyet auprès de François Hollande, le jeuneMacron, alors secrétaire général adjoint, avait pourtant jugépréférable de s’éclipser du « Château », ne voulant pas jouerles doublons. Mais là, on ne le sollicite pas pour redevenir col-laborateur du chef de l’État. « Non, j’ai besoin de toi au gou-vernement », réplique Jouyet. À quelques heures de l’annoncedu nouveau gouvernement, voilà Macron quasiment ministre1.

Surprise ! Depuis son départ de l’Élysée, la vie d’Emma-

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nuel Macron s’est orientée sur d’autres rails. À peine rentréde Californie où il a passé plusieurs semaines de vacances en

1. La scène nous est racontée par un proche du ministre. Lors denotre entretien du 31 juillet 2015, Emmanuel Macron assure ne pas s’ensouvenir.

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famille, Macron a d’autres projets. Son esprit est ailleurs.Certes, après deux ans de loyaux services au cabinet du pré-sident de la République, le jeune homme commençait à sus-citer la curiosité des milieux politiques et de la presse. Mais,en cette fin d’été, l’ancien banquier a surtout envie de concretdans sa vie professionnelle. « Il est parti de l’Élysée avec desprojets personnels plein la tête », précise un de ses amis.Retrouver le temps long, celui de la réflexion. Un ressour-cement nécessaire après une vie à flux tendu, entrecoupée detrop rares répits, embuée par les polémiques incessantes, lotscommuns des pouvoirs ballottés par les crises et les médias.

Place aussi aux amis, à sa femme, et à la famille. Commece 17 juillet, où il dîne avec les Ferracci, père et fils, à labrasserie de la Rotonde, à l’angle du boulevard Montparnasseet du boulevard Raspail. L’endroit lui est familier, c’est dansce lieu parisien de la Rive gauche que plusieurs économistesse réunissaient autour de Michel Sapin et lui pour préparerla candidature de François Hollande. Loin de cette frénésiede conquête, Emmanuel semble désormais détendu, commerarement depuis 2012, et avide de nouvelles expériences. « Tuvas investir dans mon centre de formation ? » lui lance, unbrin bravache, le père, Pierre Ferracci, patron du cabinet deconsultants Secafi-Alpha, qui bosse notamment pour la CGTdans le cadre des comités d’entreprise, et est aussi dirigeant…du club de foot Paris FC. Contre toute attente, EmmanuelMacron répond le plus sérieusement du monde : « Et pour-quoi pas ? »

Une proximité qui ne date pas d’hier. Les deux hommes

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se sont côtoyés au sein de la commission Attali. Pierre Ferraccien était membre au titre du quota « vie sociale et syndicale »,indispensable aux côtés des grands patrons du CAC 40. Maisen réalité, le duo se connaît depuis bien plus longtemps. CarEmmanuel Macron est un ami de longue date de son fils,

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La surprise du remaniement

l’économiste Marc Ferracci, rencontré sur les bancs deSciences Po au début des années 2000, dont il est devenuplus tard l’un de ses témoins de mariage. « Lors de ce dîner,il semblait apaisé, et soulagé. On avait le sentiment qu’il com-mençait une nouvelle vie, se souvient Pierre Ferracci. Sa volontéd’écrire et d’enseigner était très forte1. »

Enseigner ! Au début de l’été, Emmanuel Macron a eneffet décroché un poste universitaire à Berlin, et s’est faitagréer, avec l’aide d’Alain Minc, par la prestigieuse LondonSchool of Economics, comme Senior Research Fellow en éco-nomie politique. L’enseignement, un vrai changement de viepour l’ancien « SGA » de l’Élysée, qui s’apprête alors à deve-nir maître de conférence en policy-mix européen, l’art d’agen-cer le plus efficacement les outils budgétaire et monétairepour maintenir un sésame aujourd’hui tant recherché par lesgouvernants européens : la croissance économique. En plusde cette charge de cours, la grande école londonienne projetteégalement de lui confier l’organisation d’un séminaire sur leréformisme en Europe. Un investissement intellectuel qui luiaurait « coûté » une nuit à Londres par semaine. Petit effortpour une telle gratification : « Il en était tellement fier »,confie un ami.

Après son départ de la rue du Faubourg-Saint-Honoré,l’enseignement est pourtant loin d’être le seul projet del’ancien banquier. Le trentenaire au costume soigné fourmilled’idées. Au fond, il veut montrer à son ancien patron, leprésident de la République, qu’il n’a pas besoin de lui pourdevenir quelqu’un. Dans cette logique, lors de son départ du

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« Château », il n’a rien demandé à François Hollande. Sur-tout pas de poste – contrairement à une pratique courantedans les lieux de pouvoir, presque une tradition républicaine :

1. Entretien du 30 septembre 2014.

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après avoir officié dans des cabinets ministériels, les hautsfonctionnaires ont pris l’habitude de quémander une fonctionprestigieuse, n’importe laquelle pourvu que l’apparat et lemaintien des rétributions compensent l’éloignement soudaindu pouvoir réel – ou fantasmé – des plafonds dorés de l’Ély-sée et des ministères. Une manière de récompenser les col-laborateurs, voire d’acheter leur silence, bien éloignée desaffectations et mutations réglementaires des corps respectifsde ces hauts fonctionnaires.

Peu de temps avant son départ, Macron fut ainsi sidérépar la décision de François Hollande de nommer son anciensecrétaire général, et par ailleurs ami de promo à l’ENA,Pierre-René Lemas, à la tête de la très stratégique Caisse desdépôts et consignations, un des bras armés financiers del’État. D’habitude si jovial, l’ancien prodige de l’Élyséesemble gagné par l’amertume en présence de ses proches. Ilne croyait pas Hollande capable d’une nomination de « copi-nage ». « Ce fut un vrai camouflet pour Emmanuel, assureun ancien conseiller. D’autant qu’il n’entretenait pas lesmeilleures relations avec Pierre-René. Il voyait là une primeà l’incompétence. Je me souviens qu’il m’a dit : “Puisque c’estcomme ça, je me tire.” » Une amertume d’autant plus grande,qu’avant l’arrivée de Jouyet auprès de Hollande, EmmanuelMacron avait espéré pouvoir récupérer le prestigieux postede secrétaire général de l’Élysée. Lui comme Nicolas Revel,l’autre secrétaire général adjoint de la présidence, les deuxpiliers de l’équipe, étaient effectivement envisagés à ce postepour régler le « cas » Lemas au moment du remaniement gou-vernemental post-élections municipales… Mais, comme sou-

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vent, François Hollande en a décidé autrement.

Emmanuel Macron serait-il insatisfait du sort que le pré-sident de la République lui réserve en ce printemps 2014 ?François Hollande n’a-t-il pas opposé un refus poli, mais

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La surprise du remaniement

ferme, à son nouveau Premier ministre, Manuel Valls, quiavait proposé de le nommer secrétaire d’État au Budget ? N’a-t-il pas choisi Jean-Pierre Jouyet comme patron de l’Élyséeau poste de secrétaire général ?

Non, Macron, n’est pas de ce bois-là. Le jeune secrétairegénéral adjoint s’imagine si différent des autres. Son avenir,croit-il, il le devra avant tout à ses compétences, à ses convic-tions. Surtout pas à la machine étatique, au « système »…Un système dont il est pourtant totalement issu. Par troislettres, il en est l’expression ultime : Macron est un « IGF »,un Inspecteur général des finances, corps de très hauts fonc-tionnaires parmi les plus prestigieux de la République. Uncorps qui sait se serrer les coudes.

Mais notre homme, après quatre années passées chezRothschild, préfère apparaître au-dessus de ces contingenceset autres connivences technocratiques… Depuis l’été 2013,fatigué de la machine élyséenne qu’il juge particulièrementinefficace et surannée, voire incapable de répondre aux grandsenjeux du XXIe siècle, il prépare sa sortie : « Il m’a toujoursassuré qu’il comptait ne rester que deux ans à l’Élysée, et ill’avait d’ailleurs dit à François Hollande », souffle un intime. Àla fois dedans et dehors. L’ambigu Macron cultive les allégeancesmultiples, manière, pense-t-il, de ne dépendre d’aucune.

Pour autant, sa proximité avec le « PR », le président de laRépublique, ne l’a-t-il pas fait roi ? Emmanuel s’y refuse :François Hollande n’a pas fait, pense-t-il, et ne fera pasMacron. Cette posture d’indépendance, « sa liberté », commele rappelle un ami, il y tient beaucoup. Derrière cette affir-mation d’indépendance se cache néanmoins une personnalité

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animée d’une ambition dévorante. Une ambivalence qui n’apas échappé à un autre grand ambitieux : le président de laRépublique lui-même. Lors du pot de départ d’EmmanuelMacron, organisé en début d’été à l’Élysée, François Hollanden’a pas manqué de faire une petite blague à ce sujet : « Vous

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savez, je suis le président qui travaille avec EmmanuelMacron. » Tout était dit.

Peu importe, Macron a sa botte secrète. Depuis son départde l’Élysée, il réfléchit à créer sa propre société de conseils,sur le modèle des « petites boutiques » de banques d’affaires,ou des cabinets d’avocats spécialisés dans la vie des affaires.« Il réfléchissait à monter une boîte originale », nous confieun de ses amis. Un de ses modèles ? Celui d’Antoine Gosset-Grainville, lui aussi inspecteur des finances, ami de Jean-PierreJouyet, et ancien directeur adjoint de cabinet de FrançoisFillon à Matignon : après un passage à la Caisse des dépôts,ce dernier a créé un cabinet d’avocats nouvelle formule,dénommé BDGS (pour Bonnasse, Djehane, Gosset-Grainville,Skovron), spécialisé dans les fusions-acquisitions. « Il voulaits’en inspirer, nous raconte le même ami. Car c’était plusgrand qu’une simple “boutique” sur un nom, et moinsimportant qu’une banque d’affaires comme Rothschild. »

Quelques semaines après son départ du Château, son pro-jet est déjà bien avancé. Comme souvent chez Macron, lesréflexions ne sont jamais des paroles en l’air : Time is money.Et en ce début d’été, lors d’un pot amical avec un anciencollègue élyséen, le jeune impétrant est fier de pouvoir dévoi-ler la première version du site Web de sa future structure,sobrement intitulée Macron Partners…

D’autres idées viennent à l’esprit d’Emmanuel Macron : lagestion d’un fonds d’investissement pour financer des pro-jets innovants, notamment dans le domaine de l’éducation,

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domaine qui lui tient particulièrement à cœur, comme à celuide sa femme, Brigitte Trogneux, professeur de français…Avant que son temps ne soit totalement accaparé par l’Élyséeaprès 2012, Macron était d’ailleurs le trésorier de l’ONGBibliothèques Sans Frontières.

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La surprise du remaniement

Ainsi, refusant de se laisser enfermer dans le secteur ban-caire et financier – « Au fond, son idée était de se mettre enréserve de la République, plutôt que de faire fortune… Reve-nir dans la banque pouvait lui être préjudiciable au niveaude son image », souligne un proche –, l’ambitieux Macronenvisage de développer son activité de conseil en priorité endirection des États sur des sujets macro-économiques – parle plus grand des hasards, la spécialité de son rival MatthieuPigasse, banquier chez Lazard… mais surtout activité plusnoble aux yeux des Français.

Car si Macron s’éloigne de la politique en quittant l’Élysée,assurément il ne l’oublie pas ! « Dans ma tête, je quittais lasphère publique pour plusieurs années. Évidemment, tout esttoujours possible ; et je ne crois pas beaucoup aux choix devie définitifs, expliquait-il au Point en début d’année 2015.Mais je ne m’attendais pas du tout à ce qui s’est passé cemardi 26 août1… » Macron ne s’attendait pas à être « rap-pelé » aussi vite, mais il en avait tellement envie.

Tout va donc s’accélérer avec un « coup de bol de l’His-toire ». Fin août 2014, exit « les petits cons » du gouverne-ment, comme aime les nommer une figure du PS. À sa fêtede la rose, Arnaud Montebourg, jouant au petit malin, s’estlui-même sorti de Bercy. La fameuse « cuvée du Redressement »,dont il promet, à la télévision, d’adresser une bouteille àFrançois Hollande, lui aura été fatale : « Une ligne jaune aété franchie », balance Matignon à l’AFP le soir même. Vallsa montré sa mauvaise humeur au président, lui qui n’a pasdigéré sa perte vertigineuse dans les sondages publiés le matin

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même par Le Journal du dimanche. S’il passait ça, ça en seraitfini de son image d’autorité, pense-t-il. Mais Hollande lui-même est excédé. Et comme à son habitude, profite de la

1. Le Point, 5 février 2015.

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situation pour rebattre les cartes. Tout au long de la journée,Benoît Hamon et Arnaud Montebourg tentent de sauverleurs têtes. Mais le lundi matin, le « vicomte » de Saône-et-Loire, qui avait promis au Château qu’il allait procéder à unmea-culpa radiophonique, n’en fera rien.

Son sort en est alors jeté. François Hollande en profitepour proposer à son Premier ministre un remaniement com-plet. Contre toutes les apparences, Manuel Valls, malgré sesrodomontades d’autorité, n’est pas à l’aise. Avec le départ deMontebourg et de Hamon, sans compter celui d’Aurélie Filip-petti, il perd des alliés précieux, qui lui avaient permis dedécrocher son ticket pour Matignon lors du printemps pré-cédent, période où le rapport de force au sein des institutionslui était davantage favorable qu’en cette rentrée… « Résultat,lors de ce deuxième remaniement, c’est Hollande qui va jouerMacron, alors que Valls avait essayé de se l’approprier lorsdu premier remaniement », commente un ami du président.Voilà peut-être pourquoi, des mois plus tard, Yves Colmou,le bras droit de Valls, tient à répéter à ses interlocuteurs :« C’est nous qui avons imposé Macron ! »

Qui l’a fait roi lors de ce deuxième remaniement ? Lesentourages respectifs de François Hollande comme deManuel Valls s’échinent chacun à s’en attribuer le mérite.Macron serait-il devenu un trophée qu’on se dispute ?

Avec ses lunettes embuées de pluie sur l’île de Sein, aprèsce fameux week-end de recomposition politique, FrançoisHollande ne reste pas inactif quant à la composition deson gouvernement, qu’il lui faut compléter d’urgence. Le

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lundi, prise de température auprès des écolos, et de certainsaubrystes, comme François Lamy, qui n’est plus ministre dela Ville depuis plusieurs mois déjà. Refus des intéressés.L’exécutif se tourne alors vers les fidèles grognards du socia-lisme, les « anciens », les mitterrandiens : Élisabeth Guigou,

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Jean Glavany… À Bercy, est même envisagé le retour deBertrand Delanoë, l’ancien maire de Paris, pour chapeauterun grand ministère de l’Économie et des Finances. Mais cedernier fait savoir qu’il n’est pas intéressé. Ensuite, aux côtésde Michel Sapin, sont envisagés l’ancien patron de la SNCF,Louis Gallois, comme ministre de l’Économie, et Gérard Col-lomb, le maire de Lyon, comme secrétaire d’État à l’Industrie.Mais Gallois, en voyage en Chine, refuse : « Je suis tropvieux », répond-il en substance. Le nom de Pascal Lamy,l’ancien patron de l’Organisation mondiale du commerce(OMC) est également évoqué. Mais Laurent Fabius, poidslourd du gouvernement, souvent associé aux nominations entous genres depuis le début du quinquennat, oppose un vetoinflexible. Retour à la case départ. L’idée vient alors de fairemonter « la jeune garde » comme va la surnommer le lende-main Libération1.

Au cours de la journée de mardi, c’est en fait le secrétairegénéral Jean-Pierre Jouyet qui pousse la candidature d’Emma-nuel Macron au gouvernement. Manuel Valls ne s’y opposepas, et François Hollande y voit une sacrée occasion dereprendre la main… « En fait, il serait étonnant que Jouyetait agi sans le consentement de Hollande », indique un com-municant proche du Château. Au cours de cette dernièrejournée de remaniement, Hollande et Valls se sont retrouvésà l’Élysée à la mi-journée pour déjeuner ensemble, afin depouvoir finaliser le gouvernement. Les deux hommes pren-nent leur repas dans le salon des portraits, où sont regroupésplusieurs tableaux représentant des chefs d’État européenssous Napoléon III. À table, l’échange s’éternise, et se prolonge

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en début d’après-midi.Jean-Pierre Jouyet et Véronique Bédague-Hamilius, la

directrice de cabinet de Manuel Valls, les rejoignent. « C’est à

1. Libération, 28 août 2014.

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ce moment-là que Jean-Pierre a proposé les noms d’Emma-nuel Macron à l’Économie et de Fleur Pellerin à la Culture,ses deux “dauphins” », nous explique un proche du présidentde la République. Une proposition qui convient à Valls, luiqui avait déjà proposé Macron pour son premier gouverne-ment. « C’est la bonne solution au bon moment », auraitalors répondu François Hollande à ses hôtes. Réticent à nom-mer Emmanuel Macron au printemps, quand ce derniern’était que l’un de ses collaborateurs, le président mettra cettefois-ci peu de temps à se convaincre. Le jeune Macron luisera bien utile pour « bordurer » le fougueux Premier ministre,jusqu’alors présenté par les médias comme le héraut des« réformes ». « Pour les journalistes, insiste sur le fait que c’estquelqu’un de très proche », ordonne d’ailleurs FrançoisHollande à Gaspard Gantzer, son chargé de communica-tion… Une histoire d’image, là encore.

Et d’ambitions personnelles. Sentant son heure arriver,Emmanuel Macron a fait monter les enchères. Pas questionpour lui d’accepter cette fois-ci un secrétariat d’État. Il voulaitla place de ministre de l’Économie, celle d’Arnaud Monte-bourg. Transformant du même coup sa nomination en choixpolitique.

Sur le perron de l’Élysée, en ce mardi 26 août, le rema-niement vient d’être annoncé par Jean-Pierre Jouyet, le secré-taire général de la présidence. Quand le haut fonctionnaireà la mèche de surdoué annonce la nomination d’EmmanuelMacron comme ministre de l’Économie, il laisse échapper

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un sourire. On l’a vu, Macron est son ami, son protégé. Peut-être même son obligé. Jouyet, véritable symbole de l’oli-garchie inamovible, ex-patron de la puissante Inspectiongénérale des finances, et secrétaire d’État aux Affaires euro-péennes de Nicolas Sarkozy, peut être satisfait. Si Macron,

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« c’est le troisième choix », comme le souffle perfidement unministre, c’est bel et bien celui de François Hollande.

Une nomination que le président de la République reven-dique le soir même, lors d’un dîner à l’Élysée avec plusieurshiérarques socialistes. Et c’est peu dire si prendre le jeuneEmmanuel Macron, ancien banquier d’à peine 36 ans, auposte qu’occupait Arnaud Montebourg, l’apôtre de la démon-dialisation, au moment même où le président a décidé delaisser filer davantage les déficits, n’est pas du goût de toutle monde autour de la table. Tous craignent « l’effetd’image ». « C’est une erreur d’avoir mis un financier de plusdans notre gouvernement, et à l’Industrie, qui plus est !Quand on n’a plus que des symboles, on ne les gâche pas ! »râle un ministre entre le fromage et le parfait au chocolat.Un autre convive suggère : Macron au gouvernement pourraitcauser un véritable « accident industriel » au PS. Devant sesconvives, Hollande se raidit, assume, et en profite pour taclerson Premier ministre : « Quel est le procès qu’on fait à cegarçon ? On le critique depuis des années, mais il est quandmême venu travailler avec moi très tôt. On lui fait un fauxprocès. Emmanuelli a bien travaillé chez Rothschild ! Et puisdemain, quand Manuel ira devant le Medef, il se fera évi-demment applaudir. Au fait, est-ce que tu es sûr de vouloirvraiment y aller ? » Sous-entendu, Macron est un hollandistede la première heure, pas toi, Manuel Valls, qui te situe àla droite du PS. « Le président a désormais un collaborateurà l’Économie », remarque un des futurs collègues de Macron.Le jeu de rôle des prochains mois peut commencer.

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Mais pour le moment, le nouveau ministre de l’Économiereste un symbole, qui va très vite se transformer en boome-rang pour l’exécutif… à quelques jours de l’université d’étéde La Rochelle. « En pensant constituer leur dream team, ilsn’ont pas percuté qu’ils faisaient une faute d’image, juge un

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responsable socialiste. Remplacer Montebourg par Macron,ça fait sens. Un frondeur par un banquier de chez Rothschild,ça fait sens. Et ça fait sens tout de suite. D’autant que ManuelValls va au Medef juste après… et que Macron donne uneinterview au Point particulièrement libérale sur le plan éco-nomique en contestant les 35 heures… »

Marqué au fer rouge par son long passage de quatre ansà la banque Rothschild, Emmanuel Macron est loin d’incar-ner l’identité sociale que les socialistes aiment encore se don-ner. Le soir même, les médias et les éditorialistes se félicitentet interprètent l’arrivée au gouvernement de l’ex-banquiercomme une « clarification de la ligne », « un marqueur social-libéral », « le signe de l’inflexion donnée par Manuel Valls ».

Bible des capitalistes du monde entier, The Wall StreetJournal sort les dithyrambes la semaine suivante pour saluerl’arrivée de Macron au sein du gouvernement français : « Féli-citations Mister Macron, vous commencez là où il faut… »Le quotidien libéral se félicite : « Il arrive parfois des miracles. »Et souligne « un changement rafraîchissant par rapport à sonprédécesseur Arnaud Montebourg, pour qui la politique éco-nomique se résumait à faire fuir les investisseurs étrangers ».

En ce mardi 26 août, Emmanuel Macron est pourtantencore loin des polémiques. Quand François Hollandel’appelle pour lui proposer le poste de ministre de l’Écono-mie, l’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée est en trainde faire du vélo avec sa femme au Touquet, la station bal-néaire huppée du Nord-Pas-de-Calais où les deux tourtereauxaiment se reposer le week-end. Ils y disposent d’un grand

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pied-à-terre. Dans son entourage, peu après la sortie de routede Montebourg, sa femme Brigitte fut d’ailleurs l’une desrares à avoir anticipé : « Tu vas voir, ils vont t’appeler ! »avait-elle assuré. En tout cas, avant que son futur ministredécroche son téléphone, le président de la République tentera

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à quatre reprises de le joindre… Sur son vélo, son anciencollaborateur n’avait guère prêté attention à son portable !

Au bout du fil, Hollande commence la conversation avecMacron par une question anodine : « Comment ça va ? » Puisle président évoque le contexte politique avant de lui deman-der d’entrer au gouvernement. « Est-ce que j’aurai mandatpour pouvoir faire des réformes ? » questionne alors Macron,qui se permet de solliciter un délai de réflexion d’une heure– notamment pour s’assurer du soutien de sa femme… Uneheure après, c’est Manuel Valls qui l’appelle. Macron réitèresa question sur les « réformes ». Comme le chef de l’État, lePremier ministre lui assure tout son soutien. Banco, répondMacron.

Une fois confirmée sa nomination dans l’après-midi, il afoncé en voiture jusqu’à son appartement parisien dans leXVe arrondissement. Mais une grappe de journalistes l’atten-dant en bas de chez lui, le ministre de l’Intérieur, BernardCazeneuve, dont il est proche, lui propose de trouver refugeplace Beauvau pour une courte nuit. Son emploi du tempsde ministre a déjà commencé : à 7 h 30 le lendemain, il doitpetit-déjeuner avec Arnaud Montebourg. Puis à 9 heures, cesera la passation de pouvoir. Avant son premier conseil desministres, à 10 heures.

À la sortie, commentaire d’un de ses collègues : « Hollandeest pour Macron car Macron réussit. » Le message est clair :Macron ne doit pas uniquement faire ses preuves, il doitréussir.

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Chapitre 2

Une vie à Amiens

C’est dans la ville austère et populaire d’Amiens que naîtEmmanuel Macron, en décembre 1977. Des champs de bet-teraves et de céréales qui entourent la capitale de la Picardie,on aperçoit la majestueuse cathédrale Notre-Dame, l’une desplus vastes de France, mais également la tour en béton arméde l’architecte Auguste Perret, culminant à 110 mètres, situéeen face de la gare, construite juste après-guerre. Les jours demauvais temps, les courants d’air s’engouffrent dans les ruescommerçantes du centre-ville, dont les immeubles ont large-ment été reconstruits durant les Trente Glorieuses. Fief dela SFIO à l’origine, le maire communiste René Lamps y arégné en maître entre 1971 et 1989, avant de céder la placeau centriste Gilles de Robien, père d’une première loi deréduction du temps de travail… avant celle de Martine Aubrysur les 35 heures. « Une ville empreinte de communisme etproche de la droite sociale », résume un élu à la mairie.

La Picardie, c’est un peu le jardin secret du jeune ministre

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de l’Économie. Il n’en parle quasiment jamais, et son cabinettient régulièrement à distance les journalistes du quotidienlocal le Courrier picard. C’est pourtant une région où il agrandi il n’y a pas si longtemps. Mais, du fait de son parcoursfulgurant, il s’en est éloigné plus rapidement que prévu. Son

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Composition et mise en pagesNord Compo à Villeneuve-d’Ascq

N° d’édition : L.01ELKN000579.N001Dépôt légal : novembre 2015