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la vie malgré tout

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L’homme existe par sa protestation solidaire contre toutes les oppressions. Il sait qu’aujourd’hui ce n’est plus seulement contre les territoires que l’oppression s’exprime mais surtout contre les consciences, contre les intelligences. La résistance a sans doute changé d’objet, elle n’a pas changé de nature. Elle est facteur de vie, parce qu’elle s’oppose à tout ce qui menace le minimum de dignité nécessaire à la vie des hommes. Elle est comportement actif et volontaire. Elle est de tous les temps, elle est de tous les hommes.

Marcel Deprez (1920-2007)*

sur, autour et à partir du Mistero Buffo, de Dario Fo, Arturo Corso et la Nouvelle Scène Internationale

Au départ, le souvenir tenace que laissa dans les mémoires la version belge créée en 1972 par la Nouvelle Scène Internationale, et, surtout, quelques chansons entrées, pour ainsi dire, dans le patrimoine commun dans lequel C’est des Canailles ! se reconnaît.

À cela s’ajoute un matériel chanté, créé par C’est des Canailles ! : des femmes et des hommes, souvent impliqué-e-s dans l’action sociale, professionnellement et/ou comme militant-e-s, racontent leurs colères, leurs espoirs et leurs craintes, comme les gens d’aujourd’hui les ressentent.

L’enjeu de la création : mettre en perspective le témoignage de C’est des Canailles ! avec la tradition des luttes du siècle passé, et, au-delà, avec un "patrimoine" mythique, déjà mobilisé par Dario Fo.

C’est des Canailles ! convoque les images des contes de notre enfance afin d’appuyer l’interprétation sur un fondement émotionnel, sur une vérité archaïque, primitive, qui parle à chacun-e : Blanche-Neige, Cendrillon, la grève des femmes de la F.N., le génocide rwandais, la création du monde, la flexibilité, la mort, l’amour…

Récit des Mystères est dédié à la mémoire de celui qui, en 1994, fut à l’origine de la fondation de notre groupe : Marcel Deprez œuvra, sa vie durant, pour « rendre la culture au peuple et le peuple à la culture ».

Racontez, humains, votre histoire…

Direction et création musicale, arrangements Francis Danloy Recherche historique et musicologique Vanni Della Giustina

Atelier d’écriture Catherine Daele

Conception et tramage narratifs, écritures Christian Legrève

Mise en scène Patrick Navatte

Costumes de scène Valérie Delemarre et Leila Malavasi Écritures …et tout le reste C’est des Canailles !

* Extrait de Résistance, permanence, effets d’entraînement, communication de Marcel Deprez au colloque Résistances (22-23/11/1995).

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RÉCIT DES MYSTÈRES1

je nais, je pleure, je crie, je tue, je me fais tuer, j'aime, je ris, je peine, je prie, je crois, je ne crois pas, je crève... ... J’Y PENSE ET JE CHANTE2

[ le dinosaure][ le dinosaure]

P. : M. Lefebvre, Cl. Mouvet, A. Sekomo – M. : Francis Danloy

Jamais le premier Toujours le dernier Toujours être chassée Toujours humiliée Et toujours niée Combien de millénaires Donnent droit à une terre ? A coup de sales guerres Ils gagnent de la terre Expédiant sous terre Mes amis, mes frères

Un grand dinosaure Met tout le monde d’accord Il fait un méchoui De ceux qui ont suivi Quel beau raccourci Enfin, plus de cris Plus besoin qu’on se pousse La terre est à tous Enfin ! mais à quel prix !

Je ne peux pas vivre en mer Suis-je condamnée À toujours errer ? Y’a plus qu’à monter Aux arbres grimper Et puis m’envoler Avec les oiseaux Y’ a plus de drapeaux Dans leurs gazouillis, Je suis accueillie J’me suis endormie Rêvant à demi De toute la lignée Jusqu’au tout premier

1par C’est des Canailles !. Première à Liège aux Chiroux le 19/12/2007 2 “Ci Ragiono e Canto”, titre original du spectacle de Dario Fo (première, le 16 avril 1966 à Turin) d’où est tiré l’essentiel du répertoire chanté de la version néerlandaise (et ensuite française) du Mistero Buffo créé en Belgique par Arturo Corso et présenté dès 1972 par la Nouvelle Scène Internationale (De Internationale Nieuwe Scène) à Anvers.

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11erer mystère mystère –– les originesles origines !!

[ le premier qui fut au monde ][ le premier qui fut au monde ]

Le premier qui fut au monde

Etait notre seigneur

Deux.., la nuit, le jour

Mais l’premier qui fut au monde

Etait notre seigneur

Trois.., trois rois mages,

La nuit, le jour

Mais l’premier qui fut au monde

Etait notre seigneur

Quatre, quatre évangélistes,

Trois rois mages,

La nuit, le jour

Mais l’premier qui fut au monde

Etait notre seigneur

Le dodici parole della verità. L’origine de ce chant énumératif sur un rythme de pavane médiévale est à rechercher dans un antique chant celtique où, au lieu des préceptes chrétiens figuraient « la nécessité unique », « les deux bœufs du dieu Hu Gadarn », « les trois règnes de Merlin », etc. « Les missionnaires transfèrent forme, rythme, mélodie, manière élémentaire, toute l’extériorité du chant païen dans le chant chrétien correspondant : seul le contenu pédagogique fut changé. » Le chant est souvent partie intégrée d’une antique nouvelle où on raconte le pacte par lequel l’homme réussit à se soustraire du pouvoir du diable, en lui opposant le pouvoir conjurant des « paroles de la vérité ». Il est répandu dans toutes les régions d’Italie. On en connaît les version celtiques, bretonnes (en latin) et d’autres régions de France, flamandes, basques, portugaises, tessinoises, suédoises, allemandes, du Caucase, de Russie, de Transylvanie, hébraïques, arabo-berbères… Adapt. française : Wannes Van de Velde

Cinq, cinq plaies du seigneur,

Quatre évangélistes,

Trois rois mages,

La nuit, le jour

Mais l’premier qui fut au monde

Etait notre seigneur

Six, six coqs chantaient en Galilée,

Cinq plaies du seigneur,

Quatre évangélistes,

Trois rois mages,

La nuit, le jour

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Nous tous, nous sommes nés dans les champs

Pour nous crever au travail et suer sang et eau

Et tous nos gains disparaissent dans les poches des riches exploiteurs

Nous avons peiné pour venir au monde

Dans notre enfance, nous avons pleuré de faim

Quand nous sommes devenus plus grands,

C'était la guerre et la famine,

Puis vinrent les maladies et la misère

Et maintenant, maintenant arrive la mort

Et nous devrons aller en enfer... QUAND MEME.

Sun cuntent de vess al mund. Chanson populaire lombarde recueillie dans la campagne entre Crémone et Bergame. Chez divers auteurs du XIVème (par exemple Ruzzante), on ironise sur le fait que, quoique la terre ait été reconnue comme ronde, rien n’a changé. La mélodie est du XIXème. Le texte a été réécrit par Dario Fo. Adapt. française : Wannes Van de Velde

Tibi. Aphorisme populaire sarde avec t hè m e m us ic a l d’origine sacrée (dans la version italienne uniquement) Adapt. française : Wannes Van de Velde

[ racontez ][ racontez ]

Racontez, humains, votre histoire3 Dépoussiérez celle qu’on a emballée, Celle qu’on a cachée tout au fond de l’armoire Chantez fort, chantez bien la vie de tous les jours, L’histoire de ces gens éloignés du grand jour Racontez, humains, votre histoire Dépoussiérez celle qu’on a emballée

P. : Yvette Lecomte – M. : Francis Danloy

3Narrate, uomini, la vostra storia, titre d’un ouvrage (1942) de l’écrivain italien Alberto Savinio (1891 - 1952), cité par Dario Fo dans son discours lors de la réception du prix Nobel de Littérature le 10 décembre 1997.

Ah quel bonheur d'être au monde

Depuis que la terre est ronde

Ah quel bonheur, ah quel bonheur

A pieds nus sur sa rondeur

De s'écorcher sur du verre

Et les riches n'ont rien à faire

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Les ouvrières de Herstal en 1966 © Fonds Léon Desarcy

[ herstal, fabrique nationale, 1 ] [ herstal, fabrique nationale, 1 ]

Seize février mille neuf cent soixante-six, Herstal, Fabrique Nationale d’Armes de Guerre Trois mille, trois mille, trois mille femmes sans leurs hommes Partent en grève Pour cinq francs, cinq francs d’augmentation Partent en grève Pour l’égalité du salaire avec les hommes. Dix sept février mille neuf cent soixante-six, Herstal, première assemblée, cortège dans la ville Trois mille, trois mille, trois mille ouvrières réunies

Le syndicat a demandé. La direction a refusé. Mais nous les femmes, il faut marcher Pour faire trotter nos délégués. Le travail, c’est la santé Pour ça faut être augmentées S’ils refusent d’nous la donner Faut pas travailler

P. : Yvette Lecomte – M. : Francis Danloy

Sur l’air de Le travail, c’est la santé d’Henri Salvador, réécrit par les ouvrières de la FN de Herstal

22èmeème mystère mystère -- le travail !le travail !

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[ pays noir ][ pays noir ]

M'en suis allé au pays noir

Pour me faire embaucher

Si tu savais combien...

Combien j'y ai gagné

Je n'peux même pas m'payer

Un bout de pain noir

De jour, de nuit, au pays noir,

Ils m'ont tant fait trimer

Je suis meurtri de froid,

Mon corps s'est épuisé

“So stato a lavorà a Montesicuro” Chant de travail recueilli à Montefiascone (Latium) en janvier 1966. Typique mélodie du Latium. Ces mélodies, sûrement apparues avant le XIXème, furent souvent reprises par les grands compositeurs des premiers mélodrames d’Italie centrale, comme Landi ou Cavalieri, qui les transformèrent en “aria” ou “cantates”. Elles possèdent donc, comme caractère primordial, une saveur mixte de classique et d’archaïque. adapt. française : Wannes Van de Velde

Je n'avais plus de larmes

Pour pleurer

Au diable soit le pays noir

Où ils m'ont embauché

J'y ai perdu tout mon espoir,

J’y ai perdu la vie

Pour enrichir un monde

Qui n'tourne pas pour moi

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[ au travail à la chaîne ][ au travail à la chaîne ]

Au travail à la chaîne

Nous attendons que vienne le soir

Que le soir vienne et nos amours de même

Au travail à la chaîne

Nous attendons que viennent nous voir

Pourvu qu'ils viennent nos amoureux du soir

Dans le soir nous ramènent

En nous contant leurs peines du jour

Toujours les mêmes, au travail à la chaîne

Dans le soir nous ramènent

Pour nous conter… Mais c’est un détour

Car ils ne viennent que pour nous faire l'amour

E mi sont chi in filanda. Chant du XIXème, peut-être d’origine vénitienne, fort répandu dans le nord de l’Italie et en Emilie-Romagne. Entré de façon stable dans le répertoire des chants d’ateliers de filage. Recueilli à Vimercate (près de Milan) en 1966. Adapt. française : Wannes Van de Velde

Quand j'entends le contremaître

Mon cœur, mon cœur se met à trembler

Et si jamais ma main hésite

Et si jamais ma main hésite

Quand j'entends le contremaître

Ma main, ma main se met à trembler

Et si jamais ma main hésite

C'est l'amende qu'il me faut payer

Quando sento il primo fischio. Chant de lutte des ateliers de filage. Enregistrement par Gianni Bosio à Cologno (Bergame) le 13 janvier 1966. Adapt. française : Wannes Van de Velde

La filanda. Atelier de filage. Italie – entre-deux guerres

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O jeunes gens qu’on aime

Qui voulez faire l'amour

Avec les filles, les filles de l'usine

Attendez la fin du jour

Regardez pas leur teint,

Regardez pas leurs mains

On dit que c'est la fumée oui-da

Qui les a rendues comme ça

A la matin bonora. Chant d’atelier de filage. Enregistré à Piàdena (Crémone). Adapt. française : Wannes Van de Velde

L’élevage des vers à soie était confié aux paysans et métayers. Les cocons étaient récoltés par l’atelier de filage, étuvés, desséchés au four de manière à ce que la chaleur tue le ver pour éviter le forage du cocon et la conséquente rupture du fil de bave. Ils sont ensuite transformés en fil de soie au travers de différentes phases de transformation. Le travail de l’atelier était principalement effectué par des jeunes femmes (avant le mariage) ou des fillettes. Les pauses étaient pesantes, elles pouvaient atteindre 12 à 16 heures avec de très durs contrôles de quantité et de qualité du produit. Les filandières recevaient des amendes si elles ne les respectaient pas. Le travail était fatigant et malsain, à cause des vapeurs des vasques, les mains tenues dans l’eau chaude (80°), la poussière toujours présente. Les salaires étaient misérables. Pour s’aider à supporter ces dures conditions, les filandières chantaient en chœur. Beaucoup de ces chansons nous sont parvenues…

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Pour le progrès de la Nation Je me donne vraiment à fond Et mon travail, j’honore, j’honore Il est devenu ma seule passion. J’y mets toute ma motivation, Je travaille à la direction.

« Team building, training et leadership, Equation nécessaire à une bonne équipe ».

Pas le temps de rentrer au bercail, Il faut vider ma boîte d’email. Forwarder mes instructions Je fais de la communication. Faire gonfler le prix de l’action Ça fait monter ma tension C’est ma bataille, mon créneau Pour me faire sortir du lot.

Ref. : Produisons, consommons, progressons. Tout est dans la croissance. Je crois, tu crois, nous croissons, Ou alors nous crèverons.

Pas le temps pour les devoirs de la petite, Les profs sont bien payés pour ça ! Faudrait pas nous mettre en faillite, Et mon rapport dans tout ça ?

Mon rapport, mes factures, mon planning. Et toutes les tâches en retard…

Mon timing, mon briefing Mon brain-storming et ma to do list

Mon PowerPoint, ma réunion Mes résolutions et ma solution

Ma conférence, mon workshop, Mon business plan et mes ambitions

[ racontez ][ racontez ]

Racontez, humains, votre histoire Dépoussiérez celle qu’on a emballée…

[ travail, progrès, nation ][ travail, progrès, nation ] P. : Pierre Audrit – M. : Francis Danloy

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33èmeème mystère mystère -- l'amourl'amour !! [ voici le mai joli ][ voici le mai joli ]

Tralalalala lalalalalalalalala

Tralalalala lalalalalalalala

Aaaaaah

Voici le mai joli voici le temps nouveau

Radieux comme l'amour aux cœurs triomphants

Voici le mai joli chargé de mille fleurs

Les roses de l'amour aux cœurs triomphants

Voici le mai joli, le cœur de ce printemps

Le printemps de l'amour aux cœurs triomphants

Me voici venu en ambassadeur

Devant ta beauté, ô dame de cœur

Je suis envoyé par ton cher amour

Pour te réciter le plus beau des discours

Je ne te dirai que la vérité

Il t'aime à mourir, tu dois le sauver

Ecco il ridente maggio [voici le mai riant]. Cérémonie pour le retour du printemps où un “ambassadeur” apporte une déclaration d’amour à une jeune fille. Un enregistrement de ce chant a été effectué à Riolunato (Modène) en 1954 par Alan Lomax. Adapt. française : Wannes Van de Velde

La coutume de "planter le mai", répandue aussi bien en France qu'en Italie et en Europe centrale, remonte au culte antique des arbres, symbole de la germination et de la reproduction. Les jeunes gens du village, portant une branche verte, ornée de rubans, de clochettes, de petits objets divers, s'en allaient chantant de porte en porte et quêtant monnaie et menus cadeaux. Les amoureux, aussi, plantaient le "mai" à la fenêtre de leurs belles, en signe de déclaration d'amour.

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[ je voulais tant être aimée ][ je voulais tant être aimée ] P. : Claire Gavroy – M. : Francis Danloy

Je voulais tant être aimée Charmer un prince errant Tenir une main serrée Dans la mienne pour un temps

Comment faites-vous les hommes Vous qui passez par là Pour ne pas remarquer comme Pour vous notre cœur bat ?

Dieu comme vous êtes belle Et Dieu que le cœur me fend Voulez-vous mademoiselle Etre à moi totalement ?

Je t'ai donné mon âme Tu m'as fait des enfants Je n'ai pas fait gaffe aux signes Que j'aurais du voir pourtant

Comment faites-vous les hommes Une fois dans nos bras Pour savoir qu'on sera bonnes A ce point jusque là ?

Je t’ai d'abord dit : Arrête De courir à tous les vents Reste auprès de moi et cesse De briller au firmament

Tes mains que je trouvais si belles Elles ont perdu la raison Et sur mes lèvres rebelles Elles ont posé un bâillon

J'ai dû centrer tout mon être Sur tes désirs, tout le temps M'oublier et disparaître Le prince est devenu tyran

Mais qu'arrive-t-il aux femmes Pour se taire et cacher À tout le monde leurs bleus à l'âme Se laisser humilier ?

J'ai espéré que tu changes Je suis restée si longtemps Je voulais t'aider mon ange Te retrouver comme avant

Mais la peur, les coups, les armes J'ai dû quitter la maison Je dois réapprendre à vivre A changer de saison...

Nous vous saluons mesdames Qui savez la chanson Le terrible mélodrame De l'amour – possession !

Nous vous saluons mesdames Avec vous nous chantons Des hommes soyez les égales Pour une fois, pour de bon !

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[ jeunes filles ][ jeunes filles ]

Jeunes filles, écoutez je vous prie

Mon histoire avec attention

C'est l'histoire d'une pauvre vie

Vous y pleurerez avec raison

De ce jour où la mort si cruelle

Est partie emportant mon amour

Oh moi qui lui étais si fidèle

Ne trouve paix la nuit ni le jour

Il voulait m’épouser cette semaine

Le destin le lui a refusé

Il avait vingt-deux ans à peine

Mais à la guerre, ils me l’ont tué

Je suis demeurée sur terre transie

Sans n’avoir plus de joie au cœur

Je prie le ciel que je perde la vie

Pour le rejoindre lui tout mon bonheur

Regazzine vi prego ascoltare. Vieille chanson lombarde. Ce chant de la première guerre mondiale, bien connu en version partielle pour son appartenance au répertoire des “chants de montagne”, a été recueilli à Cologno al Serio (Bergame) le 6 février 1966. Adapt. française : Wannes Van de Velde et Vanni Della Giustina

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[ pourquoi ces yeux ][ pourquoi ces yeux ]

Réécriture en clé de lutte sociale de Il testamento dell’avvelenato [Le testament de l’empoisonné]. Ballade de très large diffusion en Europe, présente en Italie au moins depuis le XVIème siècle. G. G. Bolza, en 1866, note que le chant est chanté à Laveno (Come) « à l’unisson de chœur de paysannes, quand elles travaillent l’été dans les champs, et que l’hiver elles filent en veillant dans les étables ». Le modèle musical s’inspire des compositions de cour à la Renaissance… Où étais-tu hier soir mon fils doux et gentil ? J’étais chez ma dame, adieu, je meurs. Que vous donna-t-elle à manger ? Une petite anguille rôtie… Je n’en ai mangé qu’une moitié ? L’autre moitié, je l’ai donnée à mon petit chien. Il est mort le long du chemin. Elle vous a vraiment donné du poison. Appelez le notaire… etc.. Adapt. française : Wannes Van de Velde

Pourquoi cette peau grise, mon fils

Mon fils, mon fils doux et gentil ?

Pourquoi cette peau grise ?

C'est l'acide qui ronge, maman

Je sens que mon âme s'en va

C'est l'acide qui ronge

Je meurs, adieu, je meurs

Pourquoi ces blancs bandages, mon fils

Mon fils, mon fils doux et gentil ?

Des pieds jusqu'à la tête ?

Je suis tombé de là-haut, maman

Je sens que mon âme s'en va

Du grand échafaudage

Je meurs, adieu, je meurs

Pourquoi cette pivoine, mon fils

Sous ton cœur si doux, si gentil ?

Pourquoi cette fleur rouge ?

C'est en faisant la grève, maman

Qu'on m'a décoré de cela

C'est en faisant la grève

Je meurs, adieu, je meurs

44èmeème mystère mystère -- la violence socialela violence sociale !!

Pourquoi ces yeux qui pleurent, mon fils

Mon fils, mon fils doux et gentil ?

Pourquoi ces yeux qui pleurent ?

C'est la fumée, la fumée, maman

Je sens que mon âme s'en va

La fumée de l'usine

Je meurs adieu, je meurs

Pourquoi ces mains qui tremblent, mon fils

Mon fils, mon fils doux et gentil ?

Pourquoi ces mains qui tremblent

Je travaille à la chaîne, maman

Je sens que mon âme s'en va

Je travaille à la chaîne

Je meurs, adieu, je meurs

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Cinq mai mille neuf cent soixante-six Herstal, Fabrique Nationale d’Armes de Guerre Les patrons n’acceptent pas A travail égal, salaire égal, à travail égal, salaire égal, à travail égal, salaire égal, … Les femmes ont un peu plus qu’avant Les hommes gagneront plus que les femmes A travail égal, salaire égal, à travail égal, salaire égal, à travail égal, salaire égal, … On ne peut plus continuer la grève, trop dur, Manque d’argent, misère, on reprend le travail.

[ [ herstal, fabrique nationale, herstal, fabrique nationale, 2 ]2 ] P. : Yvette Lecomte – M. : Francis Danloy

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La grève des ouvrières de Herstal en 1966, un tournant pour l'histoire des femmes. En février 1966, les 3000 ouvrières de la Fabrique Nationale d'armes de Herstal (la FN) près de Liège en Belgique partent en grève, sans préavis, pour que soit appliqué l'article 119 du Traité de Rome visant à réduire les écarts salariaux entre hommes et femmes. Dans cette fabrique (la FN) qui date de la fin du XIXème siècle, les ouvrières sont ponceuses, colleuses, monteuses d'armes, laveuses, emballeuses, contrôleuses, dégraisseuses. On les appelle les femmes-machines. Leurs tâches sont répétitives, leurs conditions de travail déplorables et elles n'ont pas accès à la formation professionnelle interne à l'entreprise. Elles ne disposent donc d'aucune possibilité de promotion dans l'entreprise et leur salaire est inférieur à celui d'un manœuvre masculin débutant. Des pourparlers sont en cours entre les syndicats et les entreprises mais la mise en application du principe toujours retardée. Les ouvrières décident spontanément d'arrêter le travail le 9 février. Elles demandent 5 francs d'augmentation. Une dizaine de jours plus tard, les syndicats reconnaissent la grève, un comité de grève est mis en place pour venir en aide aux grévistes. Bientôt l'usine est paralysée et les hommes de la FN sont mis au chômage. La direction de la FN résiste et ne propose que 50 centimes d'augmentation alors que d'autres usines du bassin liégeois sont également paralysées par des grèves. Au terme de négociations qui durent trois mois entre les syndicats (CSC et FGTB), la direction de la FN, et un délégué du Ministre de l'Emploi et du Travail, on aboutit à un accord : une augmentation de 2,5 francs. Lors de l'assemblée générale extraordinaire des grévistes, le 5 mai, le débat est houleux entre les ouvrières et les représentants syndicaux. On en vient finalement au vote par bulletin secret. C'est la reprise du travail qui l'emporte. La déception est grande, pourtant ce mouvement a une réelle portée européenne : des délégations syndicales françaises, italiennes sont venues soutenir le mouvement ; la grève remet en débat la question de l'égalité des rémunérations à la Commission européenne et dans chacun des Etats membres ; elle marque aussi l'entrée plus massive des femmes dans l'action syndicale et oblige la société à s'interroger sur les problèmes posés aux travailleuses et la condition des femmes en général.

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P. : Odette Dessart – M. : Christian Legrève

[ les tueuses de l’onem ][ les tueuses de l’onem ]

Sur mille chômeurs qui s’sont inscrits Y’en a trois cents qui sont exclus Deux cents qui ont l’CPAS Et cent qui s’en vont à la rue, la rue, la rue, …

Quand passent les directives Les gens s’en vont à la dérive Et puis nous on les met dehors (qu’on tord, qu’on tord) Pas de boulot, c’est eux qui ont tort

À l’ONEm, y’a pas de surprise, On est là pour gérer la crise Responsables des exclusions, Ma foi, c’est une belle promotion !

Ne parlons pas de la souffrance De ces gens que je ne connais pas Moi aussi je travaille dans l’urgence Entre ministre et syndicats

J’ai mon loyer, mes gosses Faut bien que j’obéisse à mes boss Si je ne fais pas la tueuse, C’est moi qui deviendrai chômeuse !

Elles ont leur loyer et leurs gosses Faut qu’elles obéissent à leurs boss Si elles ne font pas les tueuses, C’est elles qui deviendront chômeuses !

Page 18: la vie malgré tout

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P. & M. : Daniel Marcolungo [ tangohomme ][ tangohomme ]

Des champs de bataille aux chambres à coucher Des lieux de travail aux classes des lycées Qu’elles soient en chandail ou emburkanées Habitent à Versailles ou les bas-quartiers

Les femmes, les femmes, les femmes Les femmes, les femmes, sont en danger

Souvent en paroles, trop souvent en gestes Y en a qui s’affolent, les journaux l’attestent Pour une bricole, une mauvaise sieste Et les coups s’envolent, sans parler du reste

Refrain

Sur papier glacé dans les magazines, Et à la télé en sexe-machine Photos punaisées au dos des cantines Pub déshabillée même pour la cuisine

Refrain

Si on n’y prend garde par facilité, Blagues de corps de garde ou e-mails très salés Et même par mégarde ou par lâcheté Le mépris se farde de banalité

Refrain

Vive l’égalité ! disaient nos grand-mères On en a assez ! répétaient nos mères Après tant d’années, c’est toujours la guerre Deux pas de côté et un en arrière

Refrain

Violences guerrières, folies conjugales Le droit de se taire, interdit légal Fillettes pubères, mariage familial, Autour de la terre, c’est le même bal

Mais un jour viendra Pour les femmes et les hommes, Car femmes et hommes Ont les mêmes droits Il suffirait en somme Que les femmes et les hommes Que les hommes et les femmes Sans arrêt se le proclament

Page 19: la vie malgré tout

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55èmeème mystère mystère -- la guerre !la guerre !

[ romance [ romance -- tapim tapoum ]tapim tapoum ]

Ecoutez ce soir la romance De la guerre en son long manteau noir Si tout le monde m'écoute en silence Alors le monde pleurera ce soir

Y a quinze gars qui sont partis

Quatorze d'entre eux sont revenus

Sept pour faire de la musique

Sept pour faire tapim tapoum

Eravamo in quindici [nous étions quinze] Jeu d’en-fants. On poursuit en diminuant le nombre de ceux qui restent… Adapt. française : Wannes Van de Velde

Le soldat qui va-t-en guerre

Mange peu et ne dort guère

Soudain un coup de canon,

Il n'est plus du bataillon

Toujours pauvre, jamais riche

A la guerre, nul ne triche

Ce que tu possèderas

Ma mort te le donnera

Lu suldate che va a la guerre [le soldat qui va à la guerre] Comptine chantée par les enfants de Zaccheo (Abruzzes) pour jouer au quadrille. La comptine a pourtant été importée de Vestea, toujours dans les Abruzzes et était d’usage vers 1942. Le thème de la première strophe est commun à certains jeux de tirage au sort… Adapt. française : Wannes Van de Velde

Ascoltate o popolo ignorante [écoutez oh peuple ignorant]. Composition de chanteur ambulant sur une mélodie commune. Enregistré par Gianni Bosio à Chiese (Mantoue), le 11 décembre 1965. Adapt. française : Wannes Van de Velde

Page 20: la vie malgré tout

2020

Quand éclate une grenade

A trois pas de ton visage

Tu devras souffrir beaucoup

Si tu n'es mort sur le coup

Grimpez hors de la tranchée

Plus vite qu’une araignée

L’ennemi est au balcon

Baïonnette au canon

Ne parlons plus jamais de guerre

En espérant qu'on l'oubliera

Pour conquérir un coin de cette terre

Combien d'enfants y sont restés déjà ?

Le feu des mitraillettes

Passe par-dessus nos têtes

Pour la patrie et le roi,

Debout on les aura

Fuoco e mitragliatrici [feu et mitraillettes] Chant recueilli à Alfonsine (Emilie-Romagne). La mélodie de laquelle ont été recueillies des versions plus explicitement contestataires, est celle d’une chansonnette napolitaine publiée en 1913. Il est probable que le chant ait été créé entre 1915 et 1916… Adapt. française : Wannes Van de Velde

Ne parlons pas de la souffrance

En espérant qu'on l'oubliera

Combien d'enfants souffrent dans l'espérance ?

Ah ! cette guerre qui n'en finit pas !

Le feu des mitraillettes

Passe par dessus nos têtes

La mort est au rendez-vous,

Attendez-la debout !

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Vieille chanson lombarde. Ce chant de la première guerre mondiale, bien connu en version partielle pour son appartenance au répertoire des “chants de montagne”, a été recueilli à Cologno al Serio (Bergame) le 6 février 1966. Cette chanson est très répandue en Emilie, où elle fait partie du répertoire courant des batteurs de riz. Elle s'inspire, tant par le texte que par la mélodie, des couplets bien connus à l'époque de la première guerre mondiale : "la tradotta che parte da Torino". Elle appartient au répertoire de Giovanna Daffini. Trad. française Vanni Della Giustina

Version de la Nouvelle Scène Internationale, adaptation française de A. Corso et J. Colette : Pour la patrie, on fabrique des soldats/Comme du bétail, on les mène au combat (bis)/Ce cimetière de nos enfants./C'était l'hiver, le givre couvrait la plaine/Les pieds gelés, j'attendais qu'on m'emmène (bis)/Le chirurgien me les a coupés./On m'a donné au lieu de mes pieds agiles/Jambes de bois, d'infâmes béquilles (bis)/Et à la maison on me transporta./On m'a donné pour prix de mon sacrifice/Pension d'État, et que Dieu vous bénisse (bis)/Pour assez manger, m'faut la charité./Depuis, j'ai vu bien des gens, beaucoup d'pays/Tout en mendiant, tout en disant merci/Mais les patrons pour lesquels j'm'suis crevé/Quand j’les ai rencontrés, ne m'ont rien donné.

Le chant en contrepoint, Chi ch’insci l’è semper festa, est assez connu en de nombreuses variantes dans toute la Lombardie. D’ordinaire, il continue : Chi ch’insci l’è ôna cuccagna *Pour l’ignorant, c’est une chance+ ; Lavôrà fa mal la s’cenna *Travailler donne mal au dos+…

È la tradotta che parte da Novara

e va diretta al Monte Santo (bis)

il cimitero della gioventù.

Sulle montagne fa molto freddo

ed i miei piedi si son gelati (bis)

e all’ospedale mi tocca andar.

Appena giunto all’ospedale

il professore mi ha visitato

o figlio mio sei rovinato

ed i tuoi piedi li dobbiam tagliar.

Tandis qu’ici, c’est la fête, toujours fête, toujours fête

E miei piedi mi hanno tagliato

due stampelle mi hanno dato (bis)

e a casa mia lor mi han mandà.

Pour qui ne voit, c’est la fête, toujours fête, toujours fête

Le convoi qui part de Novara

va directement au Monte Santo le cimetière de la jeunesse.

Sur les montagnes, il fait très froid

et mes pieds se sont gelés, à l’hôpital il me faut aller.

A peine suis-je arrivé à l’hôpital, le professeur m'a visité : mon enfant, tu es foutu et je dois te couper les pieds.

Et ils m'ont coupé les pieds

ils m'ont donné deux béquilles et à la maison ils m'ont renvoyé.

[ la tradotta che parte da novara ][ la tradotta che parte da novara ]

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Appena giunto a casa mia

fratelli e madre compiangenti

e tra i singhiozzi e tra i lamenti

o figlio caro tu sei rovinà.

Pour qui n’entend, c’est la fête, toujours fête, toujours fête

Mi hanno assegnato una pensione

di una lira e cinquantotto

mi tocca fare il galeotto

per potermi ben disfamar.

Pour qui se tait, c’est la fête toujours fête, toujours fête

Ho girato tutti i paesi

e tutti quanti ne hanno compassione

ma quei vigliacchi di quei signori

nemmeno un soldo lor mi hanno dà.

Chi ch’insci l’è semper festa.

A peine arrivé à la maison, mes frères et ma mère ont pleuré et, à travers sanglots et lamentations : mon cher fils, tu es foutu.

Ils m'ont donné une pension

d'une lire cinquante-huit je dois faire le galérien pour ne pas mourir de faim.

J'ai couru tous les pays

et tous en ont eu de la compassion mais ces lâches de beaux messieurs, ne m'ont pas même donné un sou.

Pour l'ignorant, c'est toujours fête.

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Texte d’Ephrem Ingaji Ndayizigyié - M. : Christian Legrève [ mille collines blues ][ mille collines blues ]

Que n'aurais-je pas fait pour être ailleurs

Durant ces temps maudits

Où j'ai vu des humains tuer des humains ?

Humaine sauvagerie !

QUE N’AURAIS-JE PAS FAIT ?

J'étais là pourtant, j'ai souffert !

Tant et tant que je sais maintenant

Que rien au monde ne pourra

Me faire jamais souffrir autant

J'ai vu des têtes par milliers

J'ai vu les têtes des enfants

Noyées dans le sang qui coulait

Aux mille collines sur leurs flancs !

ETRE AILLEURS !

QUE N'AURAIS-JE PAS FAIT POUR ÊTRE AILLEURS ?

QUE N'AURAIS-JE PAS FAIT ?

J'étais là pourtant et j'ai vu

Cette horreur je l'ai vécue

Elle s'est glissée en moi,

Elle s'est collée à ma peau

Elle m'a asphyxié

Elle a coulé dans mes veines

Elle a englué mon esprit et mon corps

Comme un oiseau piégé

dans les eaux d'une marée noire...

ETRE AILLEURS !

QUE N'AURAIS-JE PAS FAIT POUR ÊTRE AILLEURS ?

QUE N'AURAIS-JE PAS FAIT ?

J'étais là pourtant à ma place

Parmi les cadavres d'humains

Qui jonchaient les pistes et les rues

J’étais là malgré moi

À regarder des chiens et des rats

Dévorer la chair de ces gens

Que j'avais connus et aimés…

Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais, Juvénal Habyarimana, est abattu par un missile. Le président rwandais et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, sont tués sur le coup. Les membres de l'équipage de l'appareil, français, sont également tués. C’est le signal pour que les milices extrémistes hutues - le Hutu Power - et l'armée rwandaise massacrent Tutsis et Hutus modérés. En trois mois, plus de 800 000 personnes sont tuées à coup de machette. Le terme de « génocide » est employé pour la première fois par la Commission des droits de l'Homme de l'ONU, le 25 mai 1994. Dans leur haine, les extrémistes hutus sont encouragés par la radiotélévision des Mille Collines (RTLM). Avant même l'attentat contre l'avion présidentiel, la RTLM diffuse une propagande haineuse à l'égard des Tutsis et des Hutus modérés. "Tuez tous les cancrelats", entend-on quotidiennement sur les ondes.

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J'ai vu la mort sous un visage humain

Pourquoi m'a-t-elle donc laissé là ?

Est-ce pour m'infliger les spectacles horribles de ses exploits ?

Pour faire de ma vie un calvaire épouvantable

Sans pour autant me l'enlever ?

ETRE AILLEURS !

QUE N'AURAIS-JE PAS FAIT POUR ÊTRE AILLEURS ?

QUE N'AURAIS-JE PAS FAIT ?

J'aurais tout fait pour ne pas être là !...

...J'y étais et j'ai vu!

Je dois maintenant raconter

Raconter à ceux qui auraient pu

Vous qui avez tout fait pour que ça soit ;

Vous qui n'avez rien fait pour que cela ne soit pas ;

Vous qui savez mieux que moi ce qui s'est longtemps passé

Dans les coulisses de l'enfer où fut élaboré le macabre plan

D’étouffer le bonheur des milliers d'innocents ;

N'auriez vous pas la bonté de m'aider dans cette tâche

Que la vie m'a confiée ?

ETRE AILLEURS !

QUE N'AURAIS-JE PAS FAIT POUR ÊTRE AILLEURS ?

QUE N'AURAIS-JE PAS FAIT ?

Si jamais j'avais pu

J'aurais tout fait pour ne pas être là !

J’ai vu la fin, sans rien connaître du début :

Pourquoi en est-on venu là ?

ETRE AILLEURS !

Quel tourment d'avoir été là !..

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66èmeème mystère mystère –– la vie malgré toutla vie malgré tout !!

P. : Christine Lange, Isabelle Kisteman – M. : Francis Danloy [ assurance[ assurance--vie ]vie ]

Assurons notre chien, nos gamins, Assurons notre auto, nos vacances, Assurons nos incompétences, Et nos envies et nos absences.

On ne sait jamais ce qui peut arriver ! Et si demain tout venait à changer ?

Assurons-nous contre l’imprévu, Contre tous les nouveaux venus, Assurons-nous contre le froid, Assurons notre toit, notre moi.

On ne sait jamais ce qui peut arriver ! Et si demain tout venait à changer ?

Assurons notre cœur, notre bonheur, Nos dépendances, nos errances, nos peurs, Assurons-nous contre l’enfer, Contre les obus et la poussière.

On ne sait jamais ce qui peut arriver ! Et si demain tout venait à changer ?

Assurons tout sur cette terre, La vie, la mort et la misère, On ne sait jamais ce qui peut arriver... Si demain tout venait à changer ?

[ racontez ][ racontez ]

Racontez, humains, votre histoire Dépoussiérez celle qu’on a emballée, Celle qu’on a cachée tout au fond de l’armoire Chantez fort, chantez bien la vie de tous les jours, L’histoire de ces gens éloignés du grand jour Racontez, humains, votre histoire Dépoussiérez celle qu’on a emballée

P. : Yvette Lecomte – M. : Francis Danloy

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[ cris d’enfants ][ cris d’enfants ]

Par milliers ils ont avancé,

Grimpant si vite ces milles collines,

Où s’entassaient nos chères familles ;

Alors comme l’ombre qui passe, à leur passage tout disparut !

Nous ne pouvions qu’observer ce ciel qui n’existait plus

Espérant que la pluie picotera encore nos visages.

C’est dès lors que la lune étouffa nos désirs effrayés

Et que la nuit ôta l’air qui attisait nos sommeils…

Aujourd’hui on est là, mais c’est de là que l’on vient,

Privilégiés, parmi les rares qui n’y sont pas restés.

Texte d’Ephrem Ingaji Ndayizigyié - M. : Francis Danloy

Y a-t-il encore de la place au bonheur

Dans ce monde si injuste

Où l’on se voit tout le temps repoussés

Pour, comme faute, avoir tant souffert ;

Le seul crime étant de le dire

Et le redire à ceux qui fouettent d’autres chats !

Nous aurions tant aimé vous laisser dormir

Mais nous sommes le fruit d’une histoire difficile

Et ce choix qui nous guide n’est nullement l’un des nôtres :

Accusez ces nuits qui ne laissent aucune chance au sommeil.

Aux grands de ce monde : pourquoi êtes-vous grands ?

Dites plutôt en quoi croyez-vous l’être

Vous qui n’éprouvez que du dédain

En dévisageant ceux qui n’ont pas péri

Là où tout le monde les avait laissés périr...

Espériez-vous que nous allions vraiment périr

Pour ne pas en vouloir à ceux qui furent nos bourreaux ?

Nous venons de loin c’est vrai : du Rwanda et,

Si honteux que cela soit, ça vous suffit pour être indifférents

A nos larmes qui pourtant sont aussi liquides que les vôtres...

Quelle grandeur !

Chéri, tendresse, paix, bonheur…

On a bon être et paraître si jeunes

On ignore pourtant ce que veulent dire tous ces mots !

Ainsi la vie nous devient éphémère.

Alors raconter ne suffit plus du tout

Car au delà, la voix devient inaudible

Face à ces murs si épais de ce monde

Où penser à autrui est devenu inutile, ridicule !

Poussant certains -sans que nul abri ne soit assez sûr-

A décider mûrement de partir, de tout quitter !

Nous aurions aimé garder ; Nos rêves infantiles ;

Mais en quoi cela peut-il ; Dépendre de nous,

Si le monde des adultes ; Nous écroule toits sur têtes

Sans égard pour nos rêves, Nos avis, nos envies,

Intimant plutôt ce silence ; Où l’on souffre en silence ?

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77èmeème mystère mystère –– le jugementle jugement !!

[ le jour du jugement ][ le jour du jugement ]

Arriva il giorno del giudizio [arrive le jour du jugement]. Chant du Piémont d’imitation liturgique, probablement d’origine médiévale.

Le jour du jugement, du jugement universel

Tous seront pris d'un grand tremblement

Jusqu'aux anges du ciel

Al Jorn del Judici. Chant religieux extra-liturgique, de saveur millénariste, recueilli à Alghero (Sardaigne). Connu comme chant de la Sybille, il est un antique chant de Noël. On en connaît des versions latines, espagnoles et françaises. L'emploi de la langue catalane (version italienne) peut s'expliquer par les liens étroits, culturels et économiques, qu'entretinrent l'Italie et la Catalogne depuis le XVIème siècle : «Au jour du jugement, à chacun selon son mérite ; un roi viendra perpétuel, revêtu de notre chair mortelle ; du Ciel viendra en vérité, pour faire du siècle jugement. » Réécriture laïcisée pour la version française, Vanni Della Giustina.

Au jour du jugement,

seront confrontés les bons, les méchants

Un jour viendra, pour du réel

Où nous irons à l’essentiel

Tous solidaires certainement

Pour faire de ce siècle juste jugement

Vi ricordate quel diciotto aprile. Texte composé par Lanfranco Bellotti, un ex-partisan, en avril 1948 [18 avril, défaite historique du Front Populaire aux élections italiennes], tandis qu’il travaillait comme journalier dans une ferme de Tornaco. Le chant, entré dans le répertoire des émondeuses de riz, connut un rapide succès s’étendant dans toute la plaine du Pô. Dans sa diffusion et dans l’usage dans les rizières, le texte se stylisa et la mélodie prit les caractéristiques d’un thème à large usage populaire : « Vous souvenez-vous de ce 18 avril ? ; d’avoir voté démo-chrétien ? ; sans penser au lendemain, ruinant la jeunesse. Chères mères d’Italie, pour toujours vous vous repentirez ; vos enfants encore verrez abandonner le toit familial… » Réécriture actualisée pour la version française : Vanni Della Giustina.

Vous souvenez-vous que depuis quarante ans

L’économie nous a tous endormis ?

Sans jamais plus penser aux lendemains,

Au devenir de nos enfants

Amis, citoyens, parents et enseignants,

Pensez que bientôt nous nous repentirons

Et nos enfants encore nous verrons

Devenir racaille de la société

Au jour du jugement,

seront confrontés les bons, les méchants

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Ecoute un peu, ami Franz4, t’en souviens-tu ?

De soixante-huit, bon temps de la révolte

Ils marchaient fiers, se tenant dans la rue

Les filles, les garçons, l’amour et pas la guerre

Et tous ensemble, ils chantaient, ils chantaient

Bandiera rossa, ami Franz, t’en souviens-tu ?

Au jour du jugement,

seront confrontés les bons, les méchants

Et ces yeux, je les ai vus après vingt ans

Aussi gris d’ennui que de souffrance

C’est le Marché qui a vaincu avec le temps

Sécurité, Télé, et la Croissance

C’est le Marché ! C’est le Marché

Mais dans les yeux de nos jeunes, y a de la grogne

T’en souviens-tu ? Ami Franz,

T’en souviens-tu ?

Sent on po’ Gioan. Composition faisant partie d’une série de ballades en dialecte milanais, qui ont pour sujet l’histoire d’Italie après la seconde guerre mondiale, écrites par Ivan Della Mea (directeur actuel du l’Institut Ernesto De Martino), dédiées et adressées en ‘66 à Gianni (Gioan) Bosio (1923-1971), historien, animateur culturel, fondateur et directeur de la revue "Mondo operaio", fondateur et directeur des éditions "Avanti" ensuite de "Gallo" et de l’Institut Ernesto De Martino “pour la connaissance critique et la présence alternative du monde populaire et prolétarien”. Dans cette composition, il est question de l’événement marquant de 1948 : la défaite cinglante du Front Populaire et de la gauche italienne aux élections. Cette défaite (définitive) fut orchestrée par l’église catholique (les curés sermonnaient les ouailles lors des cérémonies religieuses) appuyée par la CIA américaine (en pleine guerre froide) : « Ecoute un peu, Gianni, t’en souviens-tu ? de ’48, bon temps de chambardement ? Ils descendaient de la Rocca de Bergame, se tenant par les bras, tous ensemble ; Et tous ensembles, ils chantaient “Bandiera Rossa” ; Et ces yeux, après trois jours étaient noirs de rage et de douleur ; C’est le prêtre qui a vaincu avec ses bigotes, ses sornettes et ses sermons ; et dans les yeux des jeunes, il y avait la guerre…. » Réécriture : Vanni Della Giustina.

4Franz est, durant la résistance (‘40-’45), le nom de code de Marcel Deprez qui fut, en 1995, à l’origine de la fondation du groupe C’est des Canailles !.

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Stornelli d’esilio [rengaines d’exil]. Chant attribué à Pietro Gori par tous les chansonniers

anarchistes et socialistes qui le publient. Celui-ci le composa probablement entre 1898 et 1902, en exil. La première version publiée date de 1904. Le chant encore chanté aujourd’hui, se présente avec un texte et une mélodie plutôt constants. Adaptation française : Wannes Van de Velde Pietro Gori (Messine, 1865 – Portoferraio, 1911), juriste, essayiste, tribun, poète, fut un anarchiste italien. Outre son activité politique, il est connu comme auteur de quelques-unes des plus fameuses chansons anarchistes de la fin du XIXème parmi lesquelles : Addio a Lugano, Stornelli d'esilio, Ballata per Sante Caserio… En 1898, l’augmentation du prix du pain provoqua des tumultes dans toute l’Italie, à quoi le gouvernement répondit avec une main de fer. Les morts du 7 mai à Milan (entre 80 et 300 selon les sources), quand le général Bava-Beccaris ordonna à l’armée de tirer sur la foule, sont seulement la pointe de l’iceberg ;

non moins féroce fut en effet la répression des organisations politiques et syndicales de gauche à la suite de laquelle Gori fut contraint à un nouvel exil pour éviter une condamnation – de 12 ans – qui fut ordonnée par contumace. Il feroce monarchico Bava fut une chanson anonyme composée suite à ce massacre de Milan et a servi de base musicale aux compositeurs de la ballade de Pinelli en 1969 après cet autre massacre à Milan que fut l’attentat d’extrême-droite de la Piazza Fontana (16 morts) et le suicide “arrangé” du cheminot anarchiste Giuseppe Pinelli.

En soulevant les foules des opprimés,

Partout nous sommes mis au ban de la société

Là où l'on se rebelle, nous accourons

Pour partager avec nos frères et nous chantons :

Notre patrie c'est le monde entier,

Notre loi c'est la liberté, notre devise, notre devise

Notre patrie, c'est le monde entier,

Notre loi, c'est la liberté,

Notre devise : rebelles au fond du cœur

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[ même le dernier du monde ][ même le dernier du monde ] P. : Yvette Lecomte, Odette Dessart – M. : Francis Danloy

Même le dernier du monde accouchera d’un petit Nouvelle espèce

Même le dernier du monde accouchera d’un petit Tendre ou bien cruel Nouvelle espèce

Même le dernier du monde accouchera d’un petit Lié, menotté ou libre Tendre ou bien cruel Nouvelle espèce

Même le dernier du monde accouchera d’un petit La mort, la fin du monde Lié, menotté ou libre Tendre ou bien cruel Nouvelle espèce

Même le dernier du monde accouchera d’un petit Si même j’imaginais, si j’imaginais votre avenir La mort, la fin du monde Lié, menotté ou libre Tendre ou bien cruel Nouvelle espèce

Même le dernier du monde pourra tout inventer !

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P. : Yvette Lecomte (Daniel Marcolungo; Vanni Della Giustina) - M. : Dario Fo

[Non aspettar San Giorgio] Ce texte et la musique ont été écrits par Dario Fo. Le texte s’inspire du “Dit des Assiégés de Milan” en 1450. Ce chant servit de fin aux deuxième et troisième versions italiennes de J’y pense et je chante… à la place de Notre patrie, c’est le monde entier. Les nouvelles versions de ce spectacle étaient plus franchement militantes, comme celle d’Arturo Corso, où Wannes Van de Velde a pratiquement traduit le texte italien :

Mais n'attendez pas St Georges, pour quoi ? N'attendez pas St Georges, pour quoi ? Pour qu'il vienne vous libérer N'attendez pas St Michel, pour quoi ? Pour qu'il vienne vous venger

Souviens-toi de Marcinelle, des victimes du Limbourg Des morts du Borinage, des morts du cancer qui est dans l'air Ceux qui sont morts à l'usine, ceux qui sont morts en prison Ceux broyés sous les machines Morts aussi pour nous, aussi pour vous

Réécriture en clé de "Racontez, humains, vos combats", par Yvette Lecomte.

Racontez, humains, vos combats ! Pourquoi ? Racontons, humains, nos combats ! Pourquoi ? Pour qu’ils viennent nous réveiller Partageons, humains, nos combats ! Pourquoi ? Ils pourront nous regrouper, nous relier Souviens-toi d’la Fabrique Nationale, à Herstal, année ‘66 Revendication des femmes, à travail égal, salaire égal ! Et encore tant d’autres dates, comme à Seraing ou à Forest, En Europe, en Afrique, dans le monde, Nous réclamons toujours la Justice ! Que souhaitons-nous sur cette terre, oui nous ? Quelle vie bâtissons-nous, oui nous ? Quelle pomme voulons-nous croquer, croquer ? Solidarité, fraternité pour nous tous ! Solidarité, fraternité pour nous tous ! Solidarité, fraternité pour nous

[ racontez, humains, vos combats ! ] [ racontez, humains, vos combats ! ]

Grèves de Herstal en 1966 © Fonds Léon Desarcy Intervention Charlotte Hauglustaine http://www.archivesdutravail.org

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Contacts Daniel Marcolungo - 0032 (0)478 883 216 - [email protected]